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Les cahiers des fps Prévenir ensemble les risques d’atteinte psychologique au travail Revue tri-annuelle Numéro 4 - Août 2006 Editorial Méthodologie Outils CHSCT Approche institutionnelle Point de vue d'acteurs Point sur les savoirs p1 p2 p8 p16 p21 p25 p29 Le burn out ou l'épuisement profes- sionnel : un concept pour rendre compte des nouvelles ten- sions au travail. RÔLE DU MEDECIN DU TRAVAIL ET CHARGE PSYCHOSOCIALE DANS LES ETABLISSEMENTS DE SANTE À PROPOS DU FILM "ILS NE MOU- RAIENT PAS TOUS, MAIS TOUS ÉTAIENT FRAPPÉS". HARCÈLEMENT ET MOBILISATION COLLECTIVE : LE TÉMOIGNAGE D'UN REPRÉSENTANT DU PERSONNEL LA SOUFFRANCE PSYCHOSOCIALE AU TRAVAIL : Rôle du médecin du travail face à l'aptitude au travail Enquête et réflexions de 5 méde- cins du travail de l'AIST 84 à pro- pos de 35 cas de salariés se disant harcelés. Reconnaître la subjectivité dans la relation d'accueil Enquête épidémiologique sur la violence psychologique au travail CONSEIL EN ANALYSE DU TRAVAIL ETUDES ET INNOVATION SOCIAL facteurs psycho sociaux Pour la santé des salariés et des entreprises

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Page 1: Les cahiers...Les cahiers des fps Les cahiers desfps d'une part, des objectifs quantitatifs atteints et d'autre part une plainte croissante des salariés. Quels sont les phéno-mènes

Les cahiersdesfps Prévenir ensemble

les risques d’atteinte psychologique au travail

Revue tri-annuelleNuméro 4 - Août 2006

Editorial

Méthodologie

Outils

CHSCT

Approcheinstitutionnelle

Point de vue d'acteurs

Point sur les savoirs

p1

p2

p8

p16

p21

p25

p29

L e b u r n o u t o ul ' é p u i s e m e n t p r o f e s -s i o n n e l : u n c o n c e p tp o u r r e n d r e c o m p t ed e s n o u v e l l e s t e n -s i o n s a u t r a v a i l .

R Ô L E D U M E D E C I N D U T R A V A I L E TC H A R G E P S Y C H O S O C I A L E D A N S L E SE T A B L I S S E M E N T S D E S A N T E

À PROPOS DU FILM "ILS NE MOU-RAIENT PAS TOUS, MAIS TOUSÉTAIENT FRAPPÉS".

HARCÈLEMENT ET MOBILISATIONCOLLECTIVE : LE TÉMOIGNAGE D'UNREPRÉSENTANT DU PERSONNEL

LA SOUFFRANCE PSYCHOSOCIALE AU TRAVAIL :Rôle du médecin du travail face à l'aptitude au travail

E n q u ê t e e t r é f l e x i o n s d e 5 m é d e -c i n s d u t r a v a i l d e l ' A I S T 8 4 à p r o -p o s d e 3 5 c a s d e s a l a r i é s s e d i s a n th a r c e l é s .

R e c o n n a î t r e l a s u b j e c t i v i t é d a n s l a r e l a t i o n d ' a c c u e i l

E n q u ê t e é p i d é m i o l o g i q u e s u r l a v i o l e n c e p s y c h o l o g i q u e a u t r a v a i l

CONSEIL EN ANALYSE DU TRAVAILETUDES ET INNOVATION SOCIAL

facteurs

psycho

sociaux

Pou r l a san té des sa la r i és e t des en t rep r i ses

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Les cahiers des fpsLe Vénitien

27 bd Charles Moretti13014 Marseille

Tél. : 04 91 62 74 09Fax : 04 91 62 72 45

e-mail : [email protected]

publication tri-annuelleun hors-série par an

Directeur de la publicationFranck Martini

REDACTION

Comité éditorialPhilippe SottyIsabelle MichelMuriel Gautier

Anne-Marie GautierGéraldine Catsivelas

Marie Hélène Cervantes

Conception graphiqueMaquetteIntuitivArts

EDITEUR

CATEISConseil en Analysedu Travail Etudes

et Innovations SocialesS.A.R.L. au capitalde 24 000 euros

Siège social : Le Vénitien27 bd Charles Moretti

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Agréé expert CHSCTHabilité IPRP

FINANCEUR

Direction régionale du travail del’emploi et de la formation

professionnelleProvence-Alpes-Côte d’Azur

180 avenue du Prado13285 Marseille Cedex 08

Tél. : 04 91 15 12 12

IMPRIMEUR

Espace ImprimerieMarseille

Dépôt légal : février 2005ISSN : 1772-7642

Sommaire N° 4Août2006

Méthodologie

Outils

Reconnaître la subjectivité dans la relation d'accueil

Le burn out ou l'épuisement professionnel : unconcept pour rendre compte des nouvelles ten-sions au travail.

Enquête et réflexions de 5 médecins du travail del'AIST 84 à propos de 35 cas de salariés se disantharcelés.

CHSCT

Harcèlement et mobilisation collective : le témoignaged'un représentant du personnel

Approche institutionnelle

La souffrance psychosociale au travail : Rôle dumédecin du travail face à l'aptitude au travail

Point de vue d’acteurs

Rôle du medecin du travail et charge psychosocia-le dans les etablissements de sante

À propos du film"Ils ne mouraient pas tous, maistous étaient frappés"

Point sur les savoirs

L'intervention en sante mentale au travail :Une lecture interactionniste

Editorial1

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Enquête et réflexions de 5 médecins du travail 13

Enquête épidémiologique sur la violence psycho-logique au travail

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édi tor ia l

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édito

Cela mène tout droit à la gestion individuelle du stress.Puisque les individus sont fragiles, puisqu'on est bien d'ac-cord pour ne pas mettre sur la table les pratiques, les formesd'organisation, leurs contradictions et ce qu'il y a derrièrede stratégie on va s'appliquer en bonne logique technicisteà outiller les individus pour qu'ils sachent parer aux dégâtsfaits par le travail. Les sujets sont inadaptés? Adaptons-les !C'est la même logique qui trouve que les équipements indi-viduels de protection plus la responsabilité individuellesont, du point de vue de la sécurité, la panacée. D'où unefloraison de formations.

Tout cela s'oppose à la perspective que nous essayons depromouvoir, perspective dans laquelle ce sont les situationsde travail qui vont être déterminantes dans le devenir de lacombinaison travail - sujet. Le travail lui-même prend alorsune valeur centrale de construction - déconstruction de lasanté, facteur de développement il peut être un opérateurde mutilation de l'individu. Il est appréhendé comme lavariable centrale. Les situations de travail sont donc l'objetpremier de l'attention ainsi que la dynamique des échangesqui s'y origine. Le sujet au travail est ici d'abord le sujet dutravail.

C'est d'ailleurs un vieux débat qui resurgit, et dont une desformes d'expression a été portée par l'ergonomie desannées 70 dont le credo était d'adapter le travail à l'hommeet non l'homme au travail. On en est somme toute pas trèsloin, même si le point d'entrée varie. Ce débat renvoie lar-gement au caractère normatif du travail et à l'appréciationdes formes " normales " d'engagement des travailleurs. Lenormal n'étant ici qu'une dérivée du socialement accep-table.

On peut penser à juste titre que l'abord de la thématiqueFPS progresse (après l'identification, la construction d'ou-tils et de méthodes de prévention). Mais il demeure essen-tiel de garder à l'esprit les lignes de fracture qui traversentles approches des FPS. Si on n'apprécie pas à leur justevaleur les enjeux et les modèles implicites sous-jacents onrisque de se retrouver dans des impasses au niveau de l'ac-tion et de faire, à moyen terme, des FPS un problème uni-quement technique, alors qu'il est, profondément, social etmoral.

Ces lignes de fracture nous pouvons les retrouver dans larevue. Ce nouveau numéro respecte le rubriquage habitueldans lequel on retrouve un foisonnement d'approches et decommentaires, d'outils et de questions. Nous espérons quechacun trouvera dans ces textes de quoi nourrir sa propreréflexion et des ressources pour soutenir son action.

Franck MartiniDirecteur de la publication

Les cahiers des fpsN° 4 - Août 2006

DDans le domaine des Facteurs Psycho-sociaux,est-il temps après une période d'identification etde qualification du problème de passer à autrechose ? C'est en tout cas une idée qui prend de

l'ampleur. Ce serait le moment de franchir un pallier, et de sedoter d'outils et de méthodes après une période où il s'est agisurtout de faire accepter la réalité du phénomène et de mieuxcomprendre ses développements.

Il est néanmoins nécessaire de s'arrêter un peu sur ces consi-dérations. En premier lieu il est clair que si on dispose aujour-d'hui de tout un ensemble de données, d'études, de témoi-gnages, que l'on cerne bien l'impact du phénomène on estencore loin de trouver une unanimité dans l'appréciation deson ampleur et de ses causalités. En effet on ne peut queconstater en première analyse que les formes du déni sontencore très fortes.

Dans un très grand nombre de cas le déni renvoie à l'idée queles tensions liées au travail sont "normales" et que ce sont lesindividus qui sont défaillants. Ainsi dans cette perspective lemanagement, les formes d'organisation, les formes d'enga-gement de l'humain au travail sont indemnes d'interrogation.

Cette appréhension des facteurs psycho-sociaux n'est qu'unedes expressions multiples d'une approche idéologique del'humain et des organisations très largement répandue dansnotre société (y compris parmi les préventeurs !). Elle se tra-duit (se trahit) notamment par le discours développé autourde la thématique du changement. Lorsque l'on parle de"changement" celui-ci est connoté très souvent de manièreabsolument positive, tandis que les individus sont suspectésspontanément de développer une "résistance" au change-ment. En d'autres termes le changement c'est la modernité etil s'agit de repérer par quels mécanismes les sujets au travailse dérobent à cette modernité. On ne se demande jamais si lefait d'accepter un changement parce que c'est un change-ment relèverait d'une forme dégradée de la santé mentale. Sile fait de considérer comme allant de soi d'être dans une cir-culation, un mouvement perpétuel (d'organisation, de places,de postes, d'objets…) ne serait pas au fond le signe d'unepassivité inquiétante, d'une soumission forcenée, ou dequelque chose dont les limites pourraient avoir à faire avec lapathologie. On ne pose pas très souvent non plus le sens duchangement. Par un retournement assez étonnant ce sont lessujets qui font problème et non le contexte général danslequel ils sont pris. Il n'y a là pas grand chose d'autre qu'untravail de l'idéologie, et cette idéologie constitue un filtre deperception de la réalité.

Or, pointer la souffrance comme d'essence individuelle n'estpas un positionnement qui va se modifier. Il serait donc sur-prenant que l'on retrouve une unanimité : on sera très long-temps face au déni du fait que le travail est la causalité d'uncertain nombre de maux et l'affirmation que c'est la fragilitéindividuelle qui est cause sinon de tout du moins de beau-coup. La souffrance n'est plus dès lors le signe d'une injusti-ce mais d'une déficience (ne voit-on pas d'ailleurs fleurir deplus en plus sur les cv : "bonne résistance au stress" ?).

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Les cahiers des fps

d'une part, des objectifs quantitatifs atteints et d'autre partune plainte croissante des salariés. Quels sont les phéno-mènes de blocages dans lesquels les agents se trouvent pris,au point de se voir menacés dans leur santé ? Quels sont lesfacteurs de contraintes dans l'activité réelle des salariés, lesfacteurs d'astreintes (les réponses mises en mouvement) etleurs conditions d'expression?

Le diagnostic permet d'identifier deux types de déterminants :

Des difficultés liées aux exigences et à l'organisationdu travail.

La difficulté à gérer des exigences potentiellement contra-dictoires: il s'agit ici essentiellement du sentiment de devoir"faire vite et bien" plus précisément de réaliser une presta-tion de service personnalisée en 30 minutes, par exemple.

Une possible déstabilisation des collectifs de travail en lienavec la recherche de flexibilité de l'organisation : polyvalen-ce, souplesse dans l'affectation des personnes pour tenircompte des absences ou RTT, déplacement de salariés versl'accueil pouvant conduire tant à une insatisfaction qu'à unmauvais traitement de la demande

Une dématérialisation du tra-vail par le système informa-tique et l'option retenue duzéro papier vient remettre encause certains modes opéra-toires formels et informels dessalariés et changer leur repré-sentation du travail donnantainsi le sentiment que "ce n'estjamais fini".

Au sein de cet organisme de prestations sociales,les objectifs quantitatifs sont atteints, mais les

salariés souffrent. L'intervention de l'ARACT montrela nécessité de reconnaître le caractère qualitatif etsubjectif de la relation d'accueil, véritable "vitrine" del'institution.

PRÉSENTATION

Cette Caisse gère 25 000 bénéficiaires pour un effectif de103 salariés ETP. Elle met en oeuvre plusieurs dispositifs et23 prestations différentes. Gérée par un conseil d'adminis-tration paritaire, cet établissement est composé de 9 services,dont les services "action sociale" et "prestation" sont lesplus importants en effectif. Dirigée par une directrice, undirecteur adjoint et 10 responsables de services, elle comptedeux grandes catégories de salariés : 20 techniciens (ex liqui-dateurs) et 18 travailleurs sociaux, en face à face avec les usa-gers. Le personnel titulaire compte 12 % d'hommes et 88 %de femmes, dont un nombre important dans la tranche 45-54 ans.

DEMANDE DE L'ENTREPRISE

L'évolution rapide des nou-velles technologies, l'introduc-tion d'un nouveau logiciel cesdernières années, la centralitédu client et son corollaire de"juste à temps" de la réponseont profondément modifié lessystèmes organisationnels de

l'entreprise. Ces changements qui doivent améliorer la pres-tation de service auprès des usagers semblent progressive-ment peser sur le climat social de l'entreprise. Des plaintesportant sur la charge au travail et le mode de managementsont enregistrées. Le CHSCT et l'inspectrice du travail poin-tent la souffrance mentale des salariés. Proposée par leMédecin du travail, l'intervention diagnostic de l'ARACT estconfirmée par la direction.

DÉMARCHE

L'intervention s'appuie sur le modèle d'analyse de la chargede travail, à partir des situations concrètes de travail et pardes entretiens individuels et collectif de salariés. Il s'agit decomprendre le paradoxe présent dans cette institution entre,

La centralité du clientet son corollaire de

"juste à temps" de laréponse ont profondé-

ment modifié les sys-tèmes organisation-nels de l'entreprise

Une dématérialisa-tion du travail par lesystème informatiqueet l'option retenue duzéro papier vientremettre en causecertains modes opé-ratoires formels etinformels des salariés

Si vous souhaitez recevoir les cahiersdes FPS, merci d’en faire la demande àla DRTEFP Paca auprès de :[email protected]

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Méthodologie

Reconnaître la subjectivité dans la relation d'accueil

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N° 4 - aout 2006

Méthodologie

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BILAN

L'analyse de la situation detravail des agents d'accueilcomme référence de la pro-blématique a permis d'explici-ter les déterminants du tra-vail. En effet, on constate quele service accueil est une vitri-ne de l'institution. Le ressortfondamental de la relation deservice qui s'établit au moment de la rencontre entre l'usageret l'agent, est l'engagement de ce dernier. Sa contributionsuppose d'être volontaire, et librement consentie, et donc infine disponible pour que l'interaction puisse se faire correc-tement. Cependant il doit gérer une triple contrainte : celledu flux pour lui, le flux qu'il envoie à son collègue au box, etla contrainte temporelle. Cette contrainte temporelle occultela dimension qualitative contenue dans la relation avec ledemandeur, laquelle doit se transformer en satisfaction del'allocataire et de l'agent. Ainsi, ce "temps devenir", ce tempsde la transformation est un temps qualitatif avant d'être untemps quantitatif. Le sentiment de mal être au travail et lesatteintes à la santé qui en découlent sont moins dus à ce quel'on fait au travail, qu'à ce que l'on ne fait pas.

La qualité du travail devient un enjeu déterminant pour lesagents, pour autant qu'on la reconnaisse. Le travail à l'accueil,même s'il expose à des moments pénibles, procure de la partdu public des manifestations de reconnaissance que lesagents disent ne pas pouvoir attendre de leur hiérarchie.L'intérêt du travail est favorisé au plan subjectif par le senti-ment d'utilité immédiate de la réponse faite à l'allocataire.

Des difficultés liées au mode d'évaluation et de recon-naissance du travail :

Le sentiment d'être contrôlé et évalué individuellement eten permanence : une pression qui vient du système dutableau de bord et de son suivi par l'encadrement, des"appels mystères" ainsi que des entretiens d'évaluation dontles finalités et le sens ne sont pas toujours perçus par les opé-rateurs, viennent nourrir cette hypothèse. Le ressenti dessalariés se traduit par l'idée qu' "on ne sait pas à quelle sauceon va être mangés".

Le sentiment d'une remise en cause des métiers et desexpertises développées dans le temps par les salariés, lié auxchangements d'exigences quantitatives, vient amplifier lephénomène. Ainsi pour cet établissement, une tendanceémerge se traduisant par la quantité et la nature du travail.D'une part, le volume de travail augmente du fait de l'ac-croissement de la population du secteur, d'autre part, la com-plexité de l'activité est accentuée par l'accumulation destextes réglementaires et la diversification des populationscouvertes. Dans ce contexte de tension, entre d'un côté lesobjectifs à atteindre et de l'autre les conditions dans les-quelles ils se réalisent, se cristallisent des modes de repré-sentation divergents pouvant conduire à des impasses oudans le cas présent à des souffrances.

D'une façon générale, leschangements nombreux,rapides, et leur mode de ges-tion peuvent générer despertes de repère et des situa-tions de mal être se traduisantdifféremment selon les indivi-dus. Les caractéristiques per-sonnelles des salariés, leurexpérience, leur rapport autravail sont autant d'éléments

qui vont conditionner des modes de réaction différents :adaptation progressive, retrait, démotivation, différentesformes d'atteintes à la santé de façon plus ou moins accen-tuée et plus ou moins visible.

Visant à comprendre les enjeux subjectifs investis dans le tra-vail et la relation qu'ils entretiennent avec l'organisation dutravail, le diagnostic permettra d'élaborer une réflexion col-lective sur ces difficultés.

D'une façon générale,les changements

nombreux, rapides, etleur mode de gestionpeuvent générer des

pertes de repère etdes situations de malêtre se traduisant dif-

féremment selon lesindividus

On constate que le ser-vice accueil est unevitrine de l'institution.Le ressort fondamentalde la relation de servi-ce qui s'établit aumoment de la ren-contre entre l'usageret l'agent, est l'engage-ment de ce dernier

Reconnaître la subjectivité dans la relation d'accueil

BBeerrttrraanndd PPOOEETTEEchargé de mission, FACT

Contact : [email protected]

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Les cahiers des fps4

Méthodologie

LES MANIFESTATIONS ET LES CONSÉ-QUENCES DU BURN OUT.

Comment se manifeste le burn out ? Avant d'aller plus loin,précisons que le burn out n'obéit pas à la loi du tout ou rienavec d'un côté les individus atteints et de l'autre ceux quiseraient épargnés : on peut être atteint par un degré plus oumoins élevé de burn out. Autrement dit, les manifestationsdu burn out peuvent être plus ou moins aiguës et une seulepersonne ne les présentera pas nécessairement toutes. Cesmanifestations pourront aussi varier en fonction de l'étapedans laquelle se trouve l'individu dans le processus de déve-loppement du burn out.

Au niveau de l'individu, la manifestation physique la plusfréquente est le sentiment de fatigue chronique. On est vidépar son travail. A cette fatigue peuvent être associés maux deventre, céphalées, troubles musculo-squelettiques, mais aussirhume persistant. Des désordres psychosomatiques sontparfois rapportés : ulcères, troubles gastro-intestinaux. Desrecherches récentes montrent que le burn out est associé àdes états pathologiques tels qu'hypercholestérolémie et dia-bète de type II. Tout ceci explique pourquoi il est égalementlié aux maladies cardio-vasculaires. Au niveau comporte-mental, la personne atteinte de burn out manifeste un degréplus élevé d'excitabilité se traduisant par exemple par desexplosions soudaines ou de l'hyperactivité accompagnées deconduites addictives. La tolérance à la frustration est dimi-nuée, la personne est irritable, "hyper-sensible", se compor-te de façon hostile ou suspicieuse. Plus généralement, la per-sonne atteinte de burn out a une mauvaise hygiène de vie. Auniveau cognitif, on relève encore une diminution des perfor-mances cognitives et de l'attention, la présence de penséesintrusives, des difficultés à se concentrer ou à prendre desdécisions. Aux niveaux affectifs et motivationnels, les symp-tômes affectifs associés aux états dépressifs sont particuliè-rement prégnants : humeur dépressive, sensation d'inutilité,sentiments dysphoriques. Toutefois, il est important de nepas confondre burn out et dépression. Les causes du burnout se situent au niveau de l'environnement lui même, et nonau niveau de l'individu. Autrement dit, en confondant burnout et dépression, il y a un risque de psychologisation, c'està dire d'imputer à l'individu lui même un trouble qui prendson origine dans l'environnement du travail.

Au niveau des relations inter-individuelles, la personnefrappée de burn out est en retrait tant au niveau comporte-mental (elle évite les contacts sociaux) que psychologique(elle se désintéresse des autres, n'a plus d'émotions empa-thiques). Par exemple, les médecins frappés d'épuisement

Al'heure où l'on compte une proportion crois-sante d'employés souffrant de stress (30%

dans l'ex-Europe des quinze, 40% aux Etats-Unis), mais dans un contexte culturel où le travailprend une part considérable dans la constitutionde l'identité sociale, la notion de bur nout s'impo-se progressivement pour rendre compte du lienqui relie travail et santé, qu'il s'agisse de la santéphysique ou psychologique. Nous savons aujour-d'hui que le burnout représente un coût élevé autantpour l'individu, ses proches, que pour l'organisation.Dans les années soixante-dix, époque où ce phénomè-ne a été observé pour la première fois, on considéraitqu'il frappait exclusivement les professionnels impli-qués émotionnellement auprès d'autrui (infirmier(e)s,travailleurs sociaux, enseignants, etc.). Mais depuis, lesrecherches ont montré que le burn out pouvait frap-per tout individu au travail quelque soit son activité.

On s'accorde à définir le burnout comme un syndro-me psychologique constitué de 3 éléments : épuise-ment émotionnel, cynisme et réduction de l'efficacitéprofessionnelle (Maslach et al., 1996). L'épuisementrenvoie aux sentiments de tension, à l'appauvrisse-ment des ressources émotionnelles, à la fatigue chro-nique. La personne est vidée nerveusement, a perdutout entrain, n'est plus motivée par son travail. Lesrecherches empiriques montrent que l'épuisement estcentral : c'est par lui que s'enclenche le processus deburnout. Le cynisme se manifeste au travers d'atti-tudes indifférentes, distantes envers son travail, sescollègues, ou au travers de conduites détachées, voireagressives et stigmatisantes envers les personnes donton s'occupe. Il représente une stratégie inadaptée pourfaire face à l'épuisement. Puisqu'il n'a plus l'énergiepour répondre aux demandes de son travail, le profes-sionnel se désengage, se désintéresse de son travail.La réduction de l'efficacité professionnelle traduit unechute des sentiments de compétence, d'estime de soiau travail. La personne s'évalue négativement, ne s'at-tribue plus aucune capacité à "faire avancer leschoses". Son estime de soi diminue, son sentimentd'efficacité décline. Cette dimension est la conséquen-ce des deux premières : étant épuisé émotionnelle-ment, n'ayant plus d'intérêt pour son travail, l'efficaci-té professionnelle est au plus bas.

Le burn out ou l'épuisement professionnel : un conceptpour rendre compte des nouvelles tensions au travail.

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N° 4 - août 2006

L'arrivée massive des femmes sur le marché du travail lesconfrontent souvent à des secteurs traditionnellement mas-culins et à de nombreux phénomènes de préjugés et de dis-crimination. Quand elles occupent un poste à responsabilitéselles dirigent d'autres femmes. Par ailleurs elles sont souvent,et plus que les hommes, confrontées au conflit entre vie pro-fessionnelle et vie familiale.

Dans les pays occidentaux la majorité des emplois se trou-ve dans le secteur des services (plus de 60% en Europe). Lesrelations sont au cœur de ces emplois qui impliquent uncontenu émotionnel en même temps qu'un contrôle desaffects destiné à exprimer des émotions congruentes avec lespré-requis du rôle professionnel ou institutionnel (ne pass'irriter face à un client agressif, ne pas montrer son agace-ment face à des attitudes sexistes, etc.). L'employé doit à lafois réfréner les émotions incompatibles avec ce qui estattendu et en même temps montrer celles jugées socialementappropriées. On attend de lui qu'il produise un état émo-tionnel particulier chez les autres (e.g., bien-être, crainte, gra-titude, satisfaction).

Parallèlement, de plus en plus de professionnels déplorentdes attitudes et des comportements hostiles, agressifs, entout cas peu amènes de la part du public. Traditionnellement,le rôle occupé (médecins, enseignant, gendarme) garantissaità lui seul la reconnaissance sociale et professionnelle. Laperte d'autorité de nombreuses professions joue non seule-ment sur le burn out mais contribue aussi à se désengager dutravail.

Les valeurs culturelles de l'individualisme libérale fontpeser sur l'individu le poids de ses choix. Ces valeurs le pres-sent à "s'épanouir" individuellement, sans dépendre d'autrui :l'individu "normal" est "autonome", "a un projet", est "moti-vé". Dans ce contexte, le travail est devenu un lieu d'inves-tissement où l'important n'est plus de transmettre et de fairevivre les valeurs du groupe, mais de réaliser ses valeurs per-sonnelles. On comprend qu'une telle pression, outre lesconflits interpersonnelles qu'elle implique (autrui devient unobstacle à la sa propre réalisation), crée des attentes inextin-guibles et soit finalement source de solitude.

émotionnel privilégient les solutions les moins engageantes,les moins implicantes lorsqu'ils ont à prendre une décisionvis à vis d'un malade. L'individu " burn outé " ne se sent plusapprécié et conjointement, devient méfiant, critique, cyniquevis à vis de son entourage professionnel. Une telle attitudepeut entraîner des conduites stigmatisantes vis à vis desclients, élèves, patients, usagers… Ajoutons que des travauxrécents établissent que les manifestations du burn out débor-dent la sphère du travail, envahissent les relations familialeset génèrent des conflits avec amis, conjoint ou enfants.

Au niveau de l'organisation, le burn out entraîne un climatorganisationnel irrespirable fait d'absentéisme, de conduitesorganisationnelles d'incivilité, d'accidents, de diminution dela productivité, de conflits interpersonnels. Notons qu'engénéral, plus il est probable qu'au sein d'une équipe une per-sonne ait un burn out élevé, plus on risque d'observer undegré élevé de burn out chez tous les autres membres decette équipe. Ajoutons qu'il est évident que le burn out a desrépercussions économiques sensibles pour l'organisation

POURQUOI PARLE T-ON AUJOURD'HUIDU BURN OUT ?

L'apparition du burn out à la fois en tant que souffranceindividuelle mais aussi en tant que phénomène social est cor-rélative d'un ensemble de bouleversements qui ont contri-bué, au cours des dernières décennies, à redessiner le conte-nu et le contexte du travail. Ces changements ont modifié etaugmenté les sources de tensions, c'est à dire le type d'exi-gences du travail qui dépassent les capacités de faire face desindividus. Sans prétendre à l'exhaustivité, citons quelquesuns de ces changements :

Méthodologie

Le burn out ou l'épuisement professionnel

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MéthodologieLescahiersdes

fps

LE SENTIMENT DE JUSTICE

Avoir le sentiment d'être traité avec dignité et respect, rece-voir les informations relatives aux décisions nous touchantde près ou de loin, percevoir que les mêmes règles s'appli-quent à tous, sans préjugés ni discrimination, avoir le senti-ment d'investir et d'être payé en retour, pouvoir exercer sescompétences, (etc.) sont autant d'éléments constitutifs dusentiment de justice, de vivre avec ses clients, ses collègues,son employeur, des interactions équilibrées, équitables, réci-proques. Toutefois, des recherches récentes montrent queseulement 27% des employés ont le sentiment de vivre desrelations équilibrées avec leur institution. Les enquêtes réali-sées par la Fondation européenne nous apprennent que dansl'ex-Europe des 15, plus d'un tiers des travailleurs se plai-gnent de ne pas avoir leur mot à dire sur la manière d'effec-tuer leur travail. Aujourd'hui, de plus en plus, les employésont le sentiment de devoir donner plus à leur employeur etde recevoir moins en retour. Un salaire décent, un emploistable n'est plus garanti en échange d'un travail bien fait.Autrement dit, le contrat psychologique (c'est à dire lescroyances de l'individu concernant les termes et les condi-tions d'un échange réciproque avec son employeur) estrompu. Les recherches actuelles montrent à la fois l'impor-tance du sentiment d'injustice mais aussi de son impact surle burn out.

LE SOUTIEN SOCIAL

Face aux exigences du travail, la disponibilité du soutiensocial est associée à un risque réduit de tensions psycholo-giques. Le soutien prend des formes différentes. Les com-portements, les attitudes qui nous persuadent que d'autres sesoucient de nous, que nous faisons partie d'un réseau decommunication mutuel, constituent le soutien émotionnel.Les informations permettant de mieux faire face aux diffi-cultés réfèrent au soutien informationnel. Lorsque lesconduites d'autrui nous aident directement alors, on parle desoutien instrumental. Le soutien des supérieurs hiérar-chiques, des collègues, de la famille, des amis, favorise le plussouvent un faible burn out. On a démontré que, s'ils man-quent de soutien de la part de leurs collègues ou de leurssupérieurs immédiats, les travailleurs qui éprouvent de l'épui-sement émotionnel dépersonnalisent davantage et bénéfi-cient d'un faible accomplissement personnel. L'impact dusoutien a été observé auprès de groupes professionnelsvariés. Il fait partie des ressources organisationnelles qui per-mettent à l'individu de partager des valeurs, des croyances etdes perceptions similaires de la réalité. Les relations nourris-sent alors un climat professionnel stimulant, une forte cohé-

Corollairement, les rôles professionnels ne sont plus fixésune fois pour toute. Ils sont devenus fluctuants ce quiconduit l'individu à construire et reconstruire son réseausocial de relation et de solidarité. Les valeurs libérales, favo-risant le narcissisme individuel, le besoin de gratificationimmédiate, et donc l'insatisfaction permanente, produisentun environnement propice au développement du burn out.

A cela s'ajoutent évidemment les pressions liées au déve-loppement des NTIC qui transforment les relations de tra-vail (par exemple le télétravail) et bouleverse les frontièresentre vie professionnelle et vie privée. Je n'oublie pas bienentendu les nouvelles formes de précarité liée à la mondiali-sation de l'économie.

Derrière ces changements, dont on n'a donné ici quequelques exemples, trois processus psychosociaux majeurssous-tendent ce lien entre travail et santé : la perte de contrô-le sur son activité, le sentiment de vivre des relations et dessituations injustes, le fait de manquer de soutien social.

LE SENTIMENT DE CONTRÔLE

Exercer un contrôle effectif sur son environnement est unmoteur indispensable à la santé psychologique et physique.Maîtriser les choses facilite l'adoption d'attitudes préventives,la recherche active de solution, rend l'environnement plusfamilier et réduit la détresse émotionnelle. A l'inverse, l'indi-vidu privé de contrôle, ne peut établir un lien entre ce qu'ilfait et ce qu'il lui arrive, ne peut prévoir les événements, etverra sa santé se dégrader. La théorie de l'impuissance acqui-se, montre qu'après avoir vécu un événement incontrôlablemarquant l'individu en déduit que les événements futurs nedépendent plus de lui. Son estime de soi décline avec l'idéeque ses compétences ne sont pas à la hauteur.

Si le contrôle est bénéfique, il est sapé par les nouvellesformes d'insécurité engendrées, entre autres, par la mondia-lisation de l'économie. Les exigences de flexibilité, les délo-calisations, les fusions d'entreprises, les restructurations etles réductions d'effectifs entraînent une menace pour les res-sources des employés, qu'il s'agisse de l'argent, de l'estime desoi, de la perte des relations. Ces changements ont conduitdirectement à l'augmentation de l'insécurité, à une baisse dumoral, et à l'érosion de la motivation à des troubles phy-siques et psychologiques.

6 Les cahiers des fps

Le burn out ou l'épuisement professionnel

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mais jamais validés (PNL hier, coaching aujourd'hui, autrechose demain). Ces professionnels connaissent peu ou pasla littérature scientifique, ne basent donc pas leurs interven-tions sur des connaissances éprouvées. Il est donc grandtemps que chercheurs et professionnels se rejoignent pourmieux envisager les outils basés sur des connaissances avé-rées et des méthodes rigoureuses qui permettront de préve-nir et d'enrayer le burn out.

RÉFÉRENCES

Le lecteur qui souhaite en savoir plus peut obtenir la liste desréférences en prenant contact avec l'auteur :[email protected]

sion sociale, renforcent l'engagement, le sentiment d'appar-tenance et d'identité. Face à une charge de travail importan-te, à des tâches complexes, avoir à ses côtés des collègues etune hiérarchie disponibles pour fournir une assistanceconcrète, un réconfort émotionnel, un encouragement, aidenon seulement à faire face mais donne au travail un attraitsupplémentaire.

LES CHERCHEURS ET LES PRATICIENS :LA NÉCESSITÉ D'UNE MEILLEURE COL-LABORATION

Le burn out a un coût élevé, autant pour l'individu, ses col-lègues, ses proches, que pour l'institution. Y remédier sup-posera, à l'avenir une meilleure collaboration entre praticienset chercheurs. En effet, d'un côté un vaste ensemble deconnaissances est aujourd'hui disponible (j'ai recensé plus de4500 articles scientifiques, livres et thèses sur le sujet). Leschercheurs ont mis au point des stratégies d'investigationpermettant de cerner finement les causes du burn out. Maisils passent trop peu de temps à diffuser leurs connaissanceset à les transformer en outils pour l'action. De l'autre côté,sur le terrain, les professionnels (préventeurs, consultants,etc.) s'activent, à la recherche de solutions immédiates qu'ilstrouvent auprès des savoirs à la mode, facilement accessibles,

Le burn out ou l'épuisement professionnel

DDiiddiieerr TTrruucchhoottMaître de Conférences en

Psychologie SocialeLaboratoire de Psychologie EA

318830-32 rue Mégevand

25030 Besançon [email protected]

Méthodologie

Assises régionales de la prévention 2006.

La DRTEFP PACA organise en 2006 les assises régionales de la prévention.

Elles ont pour objet autour du thème central :

"construire ensemble pour la santé au travail"

d'organiser 20 manifestations dans la région entre le 13 octobre 2006 et le 8 décembre 2006.

Ces manifestations poursuivent plusieurs objectifs :fédérer autour de la prévention des risques professionnels et la santé au travail en PACA,conforter une dynamique d'acteurs par l'organisation de manifestations, rendant compte de l'action de tous,renforcer un dialogue social autour des problématiques y compris dans les entreprises,rappeler que l'année 2006 est l'année de commémoration du centenaire du Ministère du Travail créé en 1906.

Le programme des assises sera diffusé à partir du 15 septembre 2006 et sera disponible sur le site internet :www.sante-securite-paca.org

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OutilsEnquête et réflexions de 5 médecins du travail de l'AIST 84à propos de 35 cas de salariés se disant harcelés.

Y A T IL UN PROFIL TYPE DE HARCÈLEMENT ?

Environ deux tiers des plaintes de harcèlement moralsont exprimées en dehors des visites périodiques (soitlors de la visite de pré reprise ou de reprise). Parfoisl'altération de leur état de santé était tel qu'il a néces-sité un arrêt de travail lors d'une visite occasionnelle,ce qui montre l'urgence du problème. Un tiersexplique leur situation lors de la visite périodique.Nous pouvons en déduire qu'une meilleure informa-tion doit être faite auprès des salariés sur les possibi-lités des visites à leur demande.

Le harcèlement moral doit être distingué des autrescauses de souffrance morale au travail. En effet le

harcèlement déstabilise le salarié, de par la répétitiondes brimades, des injonctions paradoxales et desautres techniques. L'article L122-49 nous offre unedéfinition du harcèlement moral. "c'est un ensembled'agissements répétés qui a pour objet ou pour ef fet une dégra-dation des conditions de travail susceptible de porter atteinteaux droits du salarié et à sa dignité, d'altérer sa santé phy-sique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel".Cette définition a servi de base à notre travail.

Au cours de l'année 2003, 5 médecins ont répertorié35 cas des personnes se plaignant de harcèlementmoral. Un questionnaire a été rempli par nos soinspour chacun des cas. Nous présentons ici le résultatissu du dépouillement des questionnaires et les ensei-gnements essentiels que l'on peut retirer de cetteétude.

QUAND LE SALARIÉ SE PLAINT-IL AUPRÈS DUMÉDECIN DU TRAVAIL?

Environ deux tiers des plaintes de harcèlement moralsont exprimées en dehors des visites périodiques (soitlors de la visite de pré reprise ou de reprise). Parfoisl'altération de leur état de santé était tel qu'il a néces-sité un arrêt de travail lors d'une visite occasionnelle,ce qui montre l'urgence du problème. Un tiersexplique leur situation lors de la visite périodique.Nous pouvons en déduire qu'une meilleure informa-tion doit être faite auprès des salariés sur les possibi-lités des visites à leur demande.

Y A-T-IL UN PROFIL TYPE DU "HARCELÉ"?

Environ deux tiers des plaintes de harcèlement moralsont exprimées en dehors des visites périodiques (soitlors de la visite de pré reprise ou de reprise). Parfoisl'altération de leur état de santé était tel qu'il a néces-sité un arrêt de travail lors d'une visite occasionnelle,ce qui montre l'urgence du problème. Un tiersexplique leur situation lors de la visite périodique.Nous pouvons en déduire qu'une meilleure informa-tion doit être faite auprès des salariés sur les possibi-lités des visites à leur demande.

Mademoiselle H., 23 ans, est embauchée ennovembre 2001 sur un poste administratifdans une entreprise de transport. En juillet2004, l'accroissement de l'activité aidant, elleest affectée à l'affrètement afin de seconderla titulaire en place de longue date. Postequ'elle assure parfaitement tant et si bien quesa collègue plus âgée de 10 ans commence àen prendre ombrage et entame un travail de"sape" morale caractérisée : "c'est moi qui t'aiformée, c'est à grâce à moi que tu es là, tu medois beaucoup…" Elle poursuit par des agis-sements tels que : ne transmet pas les fax etles messages, (sabotage du travail), s'attribueles succès et lui impute les erreurs, se sert desconfidences personnelles qu'elle a pu obtenircontre elle… Conscient du problème, l'em-ployeur sollicite une visite pour sa salariéeauprès du médecin du travail. Ce dernier,après avoir notifié son histoire dans son dos-sier, lui conseille de s'exprimer auprès de sonemployeur qui se verra ainsi confirmer l'am-pleur de la situation, les répercussions médi-cales sur sa salariée et les conséquences quipourraient s'en suivre à savoir une démission.De ce fait, il entame une procédure de licen-ciement à l'encontre de la harceleuse présu-mée pour un motif que l'on ne connaîtra pas.

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Identification des techniques utilisées

(Les pourcentages ont été calculés par rapport au nombrede dossiers (35)

Les conséquences du harcèlement moral sont elles dif-férentes des autres situations de souffrance? Le harcè-lement moral peut avoir des conséquences graves surla santé et sur la situation professionnelles et dessuites juridiques. Nombre de salariés se disent, plu-sieurs années encore après avoir vécu de tel évène-ment , perturbés. Il serait intéressant d'étudier ledevenir à long terme de ces salariés.

QUELLE EST LA PLACE DU MÉDECIN DU TRA-VAIL ?

Le médecin face à une plainte de harcèlement doitpouvoir poser un diagnostic et proposer un traite-ment. Rappelons la spécificité du médecin du travail :il est avant tout un préventeur. Il doit éviter toute alté-ration de la santé du salarié du fait du travail .

Son "traitement" à court terme dans ce cadre, est deproposer une séparation avec le milieu professionnel,si ce n'est déjà fait et si il estime que maintenir le sala-rié à son poste présente un risque pour sa santé. Il aégalement un rôle de conseiller des salariés et desemployeurs. De ce fait, il est intéressant qu'il puisseintervenir dans les entreprises. Ce n'est pas aisé dansces cas de figures. Le médecin du travail n'est interve-nu que dans moins de 30% des cas au cours de l'année2005.

Cette action est difficile lorsque le chef d'entrepriseest le harceleur présumé, il y a un risque de voir lasituation s'aggraver. C'est pourquoi, il est nécessairede connaître les entreprises et de se faire un diagnos-tic précis. Parfois le salarié refuse l'intervention dumédecin du travail. Le médecin du travail peut êtredans une position délicate lors de l'entretien avecl'employeur eu égard au secret médical. La garantie del'efficacité de l'intervention n'est jamais établie.

Dans notre étude l'intervention a abouti à une actionappropriée à 4 reprises.

COMMENT RECONNAÎTRE UN HARCÈLEMENT ?

Le harcèlement moral au travail, rappelons le, se dif-férencie de la surcharge psychique et des autres souf-frances morales par ses techniques, par la notion dedégradation des conditions de travail et surtout par larépétitivité des actes. Nous avons rencontré des tech-niques d'isolement, de persécution, de punition, d'at-taque du geste du travail qui vise la perte du sens dutravail.

"…Quand je partais dans des réunions extérieures, ilme donnait toujours la moitié des informations. Jepassais pour un incompétent…" Les techniques rela-tionnelles sont aussi utilisée : "…depuis 6 mois, ils neme parlent plus sauf pour me donner des ordres, jecontinue à leur dire bonjour mais ils ne me répondentplus…"

Tenter systématiquement par l'anamnèse de détermi-ner la présence et les types de techniques permet depréciser si derrière la souffrance morale décrite il y aune situation de harcèlement. Remarquons dès à pré-sent que seul le juge peut définir le harcèlement, lemédecin du travail se place dans le cadre de la préven-tion de la santé.

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Enquête et réflexions de 5 médecins du travail de l'AIST 84 à propos de 35 cas de salariés se disant harcelés.

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Techniques relationnelles Agressives 77%Ignorantes 9%dégradantes 21%

Techniques persécutrices (contrôle excessif +/- permanent)

63%

Techniques d'attaque du geste de travail

Sabotage du travail 17%Absurdité du travail

6%

Fixer des objectifsirréalisables

6%

Mise en scène de la disparition

3%

Techniques d'isolement 29%Techniques punitives 34%

Suites juridiques Nb

Prud'hommes 5Plaintes auprès de la gendarmerie 2Avocat mandaté afin de négocier le licenciement 1

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COMMENT AMÉLIORER L'INTERVENTION DUMÉDECIN DU TRAVAIL ?

Cela passe par une information du monde du travailsur la réalité du phénomène et sur les possibilité deprévention en renforçant les relations au travail et lemanagement. Le médecin du travail est là aussi pourorienter les salariés vers les personnes susceptibles deleur venir en aide. Il pourrait aussi conseiller lesemployeurs s'il était sollicité. L'assistance dans lecadre des SST d'un psychologue, comme cela ce faitdans certains centres ou dans d'autre pays pour ren-forcer la prévention est aussi envisageable.

UN HARCÈLEMENT MORAL AU TRAVAIL POUR-RAIT-IL ÊTRE DÉCLARÉ EN ACCIDENT DE TRA-VAIL ?

Oui, dans certains cas lorsqu'il y a un événementsecondaire, par exemple une altercation. L'intérêt estque cela engendre une reconnaissance solide du phé-nomène. Le harcelé est bien une victime et non unprésumé coupable.

QUE DEVIENT LE HARCELÉ ?

Dans 11% le salarié est muté dans l'entreprise, ce quiest un moindre mal, cependant, la "victime" est à lafois soulagée de ne plus être en contact avec le harce-leur, mais elle peut se sentir aussi brimée surtout sicelui-ci est toujours en poste. Dans 45% des cas il y arupture avec le travail soit par démission, soit parlicenciement. Ce qui engendre des difficultés supplé-mentaires.

COMMENT PRÉVENIR LE HARCÈLEMENTMORAL ?

Il faudrait agir avant les faits pour être efficace. Agir àce niveau passe pour une information des instancespatronales et une sensibilisation à ce phénomèneparmi les employeurs et les salariés. Ce rôle devraitêtre joué par les organismes patronaux

Le médecin du travail est bien placé pour dépister lespremiers signes de souffrance morale ou de harcèle-ment lors de visite périodique. Malheureusement lepassage à une périodicité de 24 mois des examens

médicaux, peut être une entrave. A ce stade, nous ren-voyons les salariés alors que la souffrance morale per-dure depuis plusieurs mois (9.7 mois en moyenne).

QUELS ENSEIGNEMENTS RETIRER DE CETTEÉTUDE ?

Suite à une impression d'augmentation des cas de har-cèlement moral au travail, nous avons voulu objectiverce phénomène. Quelle est sa fréquence ? Commentaider les salariés se plaignant de harcèlement ? A-t-onbien à faire à du harcèlement ou à une autre cause desouffrance morale au travail ? Quelle préventionmettre en place ?

Le pourcentage des cas de harcèlement peut paraîtrefaible, mais la gravité des cas sur le plan professionnelet surtout sur celui de la santé implique une interven-tion adéquate. L'analyse de ces cas, les discussionsnombreuses que nous avons eu nous ont permit demieux aborder ces situations la plupart de temps dra-matiques. Nous voyons souvent ces salariés bien long-temps après le début des faits. La réalisation systéma-tique d'un questionnaire apporte une approche fac-tuelle qui permet un diagnostic différentiel plus pré-cis. A-t-on à faire à du harcèlement moral ou à uneautre causes ?

Rechercher les types et les techniques nous donne despistes de travail pour pouvoir agir en amont. La ren-contre avec les responsables a été souvent positivequand elle était possible. Ces démarches devraient êtreplus fréquentes. Nous avons aussi noté que la préven-tion primaire passe par une information du mondeprofessionnel. La diffusion de ce travail pourrait yaider.

Malheureusement dans les cas de harcèlement institu-tionnel ou stratégique, il nous est difficile d'intervenir.Ce devrait être le rôle de l'inspection du travail; maiselle n'intervient que lorsque le harcèlement est avéré.Nos discussions ont aussi porté sur le devenir dessalariés qui se retrouvent souvent licenciés. C'est ceque nous avons appelé le paradoxe terminal puisque lesalarié est doublement puni. Enfin, l'obligation pourtout employeur de désigner un interlocuteur privilégié,un conciliateur ne pourrait-il rétablir des meilleuresrelations professionnelles ?

Enquête et réflexions de 5 médecins du travail de l'AIST 84 à propos de 35 cas de salariés se disant harcelés.

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nos points de vue, étudier les bibliographies.

Chaque médecin a rempli ses questionnaires. Le grou-pe s'est réuni et a étudié, analysé, épluché, "pinaillé",émis des hypothèses, parfois controversées à proposdes résultats obtenus.

Il en est ressorti des analyses consensuelles sur chaquethème, chacun ayant pu s'exprimer. Ce sont les échangesd'expériences qui nous ont le plus enrichi. La comparaisondu fonctionnement des collègues était rassurante.

La partie la plus fastidieuse fut la rédaction. Soit lesdifférents participants se voyaient confier des mor-ceaux d'analyse et de rédaction qu'ils travaillaiententre les réunions. Ils le soumettaient ensuite au grou-pe. Soit un "secrétaire de séance" était choisi, et notaitnos commentaires et réflexions en cours de réunion. Ilrédigeait ensuite un texte qu'il nous communiquait vial'intranet du service. Ce texte était rediscuté et amen-dé au cours de la séance suivante. Ce deuxième modede travail est devenu la règle quand il est apparu quela multiplicité des taches des médecins du travail neleur permettait plus de travailler en individuel entreles réunions. In fine, ce fut un seul médecin qui sechargea de la saisie finale.

MOTIVATIONS DES MEMBRES DU GROUPE

"Suite à l'inter vention orale d'un r eprésentant desemployeurs auprès d'un médecin du travail pour nier l'existen-ce du phénomène, je me suis senti concerné car j'avais été inter-pellé par plusieurs cas de Harcèlement Moral ces dernièresannées. Dans un cas j'avais du faire face à des attaques per-sonnelles. Ce cas concernait plusieurs acteurs locaux de la vieéconomique et politique".

"Travail intéressant pour le secteur tertiaire où il y a beau-coup de problèmes relationnels souvent étiquetés HarcèlementMoral par les salariés".

"Dans une entreprise (contrôle technique) la plupart des sala-riés évoquent une grande souffrance morale qui a des répercussionssur leur santé psychique et physique (troubles digestifs, hyperten-sion et même menace d'infarctus). Que faire quand mes interven-tions auprès de l'employeur, de la hiérarchie, du CHS-CT, seheurtent au déni ou au silence ? Continuer à compatir à cette souf-france ? C'est la négation de ma fonction ! "

Sont exposées ici des commentaires relatifs à la genèse duprojet, son déroulement et son intérêt pour les participants.Ceci apparaît important dans la mesure où le rôle desCahiers FPS est notamment de permettre aux différentsacteurs de tirer tout le bénéfice des expériences relatées dupoint de vue de leur contenu et de leurs résultats, mais éga-lement du point de vue de leur réalisation, en quelque sortede la "cuisine interne".

DÉROULEMENT DE L'ÉTUDE

Ce thème était, en 2002, fréquemment évoqué, aussibien dans la presse que dans nos réunions. La loi surle harcèlement venait d'être votée, en janvier 2002. Ala suite de la présentation de nos rapports annuels ànotre commission de contrôle ses membres nous ontproposé de travailler sur ce sujet. Nous avons adoptéce sujet comme thème d'un plan d'activité à l'ensemblede nos confrères. Cinq ont été intéressés.

Fin 2002, au cours de nos réunions mensuelles demédecins dans le service (26 médecins du travail) nouséchangeons nos expériences, nos cas cliniques etc. Ungroupe de 5 médecins, dispersés dans 3 centres diffé-rents, décide d'approfondir la question en organisantun groupe de travail. Un questionnaire de recueil dedonnées (par le médecin du travail) est élaboré. Lesdifférentes sensibilités s'y expriment. La notion d'ob-servation des conséquences dans le temps est adoptée.A la même époque nous sommes sollicités par MmeNiedhammer pour participer à une étude épidémiolo-gique régionale sur le sujet. Mais son étude était orien-tée vers les salariés et ne correspondait pas à nosattentes.

L'année 2003 sera consacrée au recueil des informa-tions. Lors de nos recherches bibliographiques nousavions pris connaissance du document de Marie Pezeet Marie-Christine Soula : "Approche pluridisciplinai-re du harcèlement moral" (DMT, 90, p 137-146 2002INRS) qui devint notre référence car il caractérisait lestypologies des différents types de harcèlement moralet de harceleurs.

En 2004 et 2005, nous avons consacré une dizaine deréunions de travail à analyser nos résultats, échanger

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Enquête et réflexions de 5 médecins du travail de l'AIST 84 à propos de 35 cas de salariés se disant harcelés.

N° 4 - aout 2006

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"Au contraire, dans une entreprise importante, il y avait desplaintes incessantes de Harcèlement Moral, j'étais persuadéqu'il s'agissait plus de problèmes organisationnels surgissantdans le cadre de la mutation nécessaire de ses structures que deharcèlement vrai…"

"J'ai été confronté à cette époque à plusieurs cas deHarcèlement Moral. Depuis, des altérations graves de la santédes victimes avec séquelles à long terme et d'autre part cer-taines plaintes semblent être abusives. Il me paraissait utiled'objectiver ce phénomène".

Il y avait de plus une interrogation commune sur ledegré et l'importance des manœuvres de harcèlement.Le médecin du travail réunit des arguments pour seforger une conviction mais ne vit pas la situation, ilest externe à l'entreprise, il peut toujours se tromperou être manipulé. D'où l'importance de se confronterau vécu des autres confrères médecins du travail.

Enquête et réflexions de 5 médecins du travail de l'AIST 84 à propos de 35 cas de salariés se disant harcelés.

Les cahiers des fps

Le drame humain du travailEssai de psychopathologie du travailYves Clot - Louis Le Guillant

ERES EDITIONS 2005

Cet ouvrage présente des textes classiques de la clinique du travail : du métier de roulant à la SNCF jusqu'à celui des"bonnes à tout faire", des téléphonistes aux mécanographes en passant par l'analyse de l'existence "empoisonnée"d'une ouvrière d'usine, Mme L, il s'agit d'une véritable introduction à une nouvelle clinique du travail. Tous ces textesmobilisent le sens du concret qui caractérise Le Guillant. Tous sont aussi écrits dans la grande tradition clinique fran-çaise. La langue utilisée par l'auteur, précise et créative, est un véritable hommage rendu au travail humain.

Yves Clot, qui a supervisé cette édition et lui a donné son ouverture, montre pourquoi la contribution de Le Guillantreste une force de rappel pour tous ceux qui s'intéressent aux rapports entre psychologie et travail. L'activité profes-sionnelle des femmes et des hommes d'aujourd'hui est affectée par des épreuves dont on ne connaît pas encore l'is-sue. Sont-elles différentes de celles que Le Guillant a patiemment décrites ?

Même si, ces dernières années, la clinique du travail s'est développée au rythme de la crise du travail, si visible dansl'exclusion sociale que le chômage de masse met au devant de la scène, nombreux sont les problèmes cliniques, théo-riques et pratiques qui restent à résoudre. Il faut les affronter. Les textes de Le Guillant nous donnent le moyen de lefaire. A une condition : regarder son œuvre non pas comme un temple mais comme un chantier.

Psychiatre, thérapeute, chercheur, homme d'action, Louis Le Guillant (1900-1968) a joué un rôle novateur dans lapsychiatrie qu'il concevait comme enracinée dans la vie sociale.

Yves Clot est professeur titulaire de la chaire de psychologie du travail du CNAM.

Site CGT comprendre pour agirhttp://www.comprendre-agir.org/all_page.asp

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N° 4 - août 2006 Les cahiers des fps13

Enquête harcelement AIST 84-2003

1 LLE HARCELE

2 LLE HARCELEMENT (réf DMT 90)

4 CCONSEQUEENCES

3 LLES TECHNIQUEES DU HARCELEMENT (réf DMT 90)

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Questionnaire à renseigner pour les salariés se plaignant de harcèlement

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14 Les cahiers des fps

Enquête harcelement AIST 84-2003

5 IINTERVEENTION EXTERIEURRES

6 AACTION DDU MMEDECIN DDU TTRAVAAIL

7 DDEVEENIR DDU HARCELÉ (à remplir en fin d’enquête)

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termes de santé mentale. Les hommes et les femmes expo-sés à la violence étaient 8 fois plus nombreux à présenter unniveau élevé de symptômes dépressifs. Une exposition pas-sée à la violence était également associée à une augmentationdu risque de symptômes dépressifs, et cela même si l'exposi-tion avait cessé. Plus l'exposition à la violence était fréquen-te, plus le risque de symptomatologie dépressive était accru ;chez les salariés exposés à la violence tous les jours oupresque, le risque de symptômes dépressifs était multipliépar 11 pour les hommes et par 9 pour les femmes. Enfin,être témoin de violence envers autrui était également un fac-teur de risque, puisque les salariés ayant vu une personne surleur lieu de travail exposée à la violence avait un risque desymptômes dépressifs multiplié par 3 pour les hommes et 4pour les femmes.

Les résultats de cette enquête soulignent la prévalence nota-blement élevée (10%) de salariés exposés à la violence. Ilsmettent également en avant les effets importants de la vio-lence sur la santé mentale, les salariés exposés mais égale-ment les salariés témoins de violence ayant un risque accrude symptômes dépressifs.

RÉFÉRENCES

Niedhammer I, David S, Degioanni S, et 143 médecins dutravail. La version française du questionnaire de Leymannsur la violence psychologique au travail : le "LeymannInventory of Psychological Terror" (LIPT). Revued'Epidémiologie et de Santé Publique (sous presse)

Niedhammer I, David S, Degioanni S, and 143 occupationalphysicians. Association between workplace bullying anddepressive symptoms in the French working population.Journal of Psychosomatic Research (Sous presse)

Enquête épidémiologique sur la violence psychologique au travail

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N° 4 - août 2006 15

En 2004, grâce à la contribution de 143 médecins du travailvolontaires de la région PACA, 19 655 salariés, tirés au sortdans la population de salariés suivie par ces médecins, ont étésollicités pour participer à une enquête épidémiologique surla violence psychologique au travail. Parmi eux, 7770 salariésont rempli et retourné à l'INSERM l'auto-questionnaire ano-nyme. Le taux de participation à l'enquête s'élève à 40%.

La violence psychologique au travail est considérée commeun facteur de stress majeur en milieu de travail, cependant,très rares sont les études réalisées en France sur cette thé-matique. L'enquête menée par l'INSERM s'appuie sur uninstrument de mesure de la violence de réputation interna-tionale, qui définit les salariés exposés à la violence par unensemble de critères :

avoir été exposé à au moins une situation parmi 45 situa-tions définies comme violentes ou agressives de la part del'entourage professionnel (hiérarchie, collègues, subordon-nés) au cours des 12 derniers mois,

avoir été exposé à cette ou ces situations fréquemment, aumoins une fois par semaine, et sur une longue période, pen-dant au moins 6 mois,

et considérer avoir fait l'objet de violence au cours des 12derniers mois.

Sur la base de cette définition, les données de l'enquête per-mettent de fournir une estimation de la prévalence ou fré-quence de salariés exposés à la violence au cours des 12 der-niers mois. Cette estimation est de 10% sur l'ensemble del'échantillon, 9% chez les hommes et 11% chez les femmes,soit environ 1 salarié sur 10 exposé à la violence dans lecadre de son travail au cours des 12 derniers mois. Notonsque 7% des hommes et 8% des femmes sont encore aumoment de l'enquête exposés à ces situations violentes, et4% des hommes et 6% des femmes le sont tous les jours oupresque. Une question permettait également d'évaluer si lessalariés avaient été témoins de violence envers autrui sur leurlieu de travail au cours des 12 derniers mois ; 31% deshommes et 32% des femmes ont été témoins de violenceenvers autrui.

L'enquête permet aussi de montrer l'association forte entrel'exposition à la violence pour les salariés et les atteintes en

IIssaabbeellllee NNiieeddhhaammmmeerrINSERM U687

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Harcèlement et mobilisation collective : le témoignage d'un représentant du personnel

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Par contre cette per-sonne, membre de laDirection, a traitéd'emblée de jeu tout lemonde n'importe com-ment. Elle insultaitmême les chefs de ser-vice. Les organisations syndicales faiblement représentée etles DP sont montés au créneau. Mais, il faut le reconnaître,on n'était pas performants. On n'était pas soutenu par le per-sonnel, on était mal informés et pas compétents sur les ques-tions de droit du travail et aussi de conditions de travail.

Pendant ce temps le harceleur a mis en place un systèmebasé sur la peur dans l'entreprise. Tout le monde a peur delui et parfois même une peur panique. Même des chefs deservice. A titre d'exemple il tient des réunions service en lieuet place d'un chef de service qui, lui, reste consigné dans sonbureau ! Ou alors il le laisse venir pour mieux l'humilier enpublic "taisez vous, vous ne dites que des conneries". La femme dece chef de service longtemps harcelé, travaille directementsous les ordres du harceleur et étant même considéréecomme sa "chouchou" rendant ainsi la position sociale per-sonnelle du chef de service intenable.

Paradoxalement les cadres harcelés n'ont rien dit, même si enprivé le Directeur adjoint m'a avoué à plusieurs reprise : "ilest fou" en parlant du harceleur. Aujourd'hui ce mêmeDirecteur adjoint moyennant finance à changé de camp : ilsoutient le harceleur !

Un cadre aurait été sous anti-dépresseur pendant des mois etn'a jamais rien dit. Pire il a fourni devant les prud'hommesun faux témoignage au harceleur accusé par une salariée.

La démarche a commencé il y a 4 ans. Un collègue me dit"untel est malade, elle est partie l'autre jour elle pleurait". J'ysuis allé de manière directe, j'ai téléphoné à cet agent pour luidemander des nouvelles. En larmes devant son mari et sesenfants elle a accepté de me parler. La démarche souffranceau travail du CE de l'entreprise U a commencé là.

A l'époque je n'avais aucune compétence dans le domaine. Jesuis allé voir le syndicat au niveau départemental. On adémarré une démarche prud'homme. C'est encore en cours.

Aujourd'hui je ne procèderais pas comme ça car c'est le par-cours du combattant. La procédure judiciaire ne résoud pasla souffrance du salarié harcelé. La réparation ne peut pasêtre que juridique. La prise en compte de cette souffrance autravail dans et par l'entreprise est à mon sens le seule remè-de concret à apporter aux salariés victimes.

En fait dans l'entreprise U quelqu'un pratique le harcèlementdepuis plusieurs années. Cette personne agissait de la mêmefaçon dans son ancienne fonction sur un autre établisse-ment. Quand elle est arrivée elle a recommencé chez nousces anciennes pratiques. Personne dans la société n'ayant"l'habitude" de ces pratiques harcelantes et cette personneayant une position hiérarchique importante tout le monde aété soumis aux insultes, mots grossiers, brimades, vexations,propos déplacés, mensonges… Résultat : au bout de troisans ce langage et ces propos ont commencé à rentrer dans lequotidien et le comportement d'une partie de l'encadrement.

On a un encadrement compétent techniquement mais quin'a reçu aucune formation en RH ou en management. En 15ans une seule formation coaching en 2005 ! Le questionnai-re de Karasek distribué à l'ensemble du personnel en février2006 par le CHSCT confirme cette lacune de l'encadrement.

Les cadres ont tous étéformés sur le tas. En1994, quand je suis ren-tré, une chef adjointede service nous faisaittrier des documents parordre alphabétiqueavant de les envoyer àla poubelle.

Un ancien Secrétaire Générale au début des années 80 faisaitvenir dans son bureau une jeune rentré de préférence enmini-jupe, en lui réclamant des documents pour les lui jeterpar terre et lui les faire ramasser. Au bout de 20 ans ces sala-riés sont devenus à leur tour cadre à l'ancienneté en ayantreçu l'éducation de l'ancienne génération. Pourtant, dansl'ensemble ça se passait bien malgré ces quelques comporte-ments problématiques qui n'étaient pas du tout systématisés.

Par contre cette personne,membre de la Direction, atraité d'emblée de jeu toutle monde n'importe com-ment. Elle insultait mêmeles chefs de service

Les cadres ont tous été for-més sur le tas. En 1994,

quand je suis rentré, unechef adjointe de service

nous faisait trier des docu-ments par ordre alphabé-

tique avant de les envoyerà la poubelle

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"ramé" durant deux ans sur ce dossier car il n'y avait pas decollectif au niveau des salariés et les organisations syndicalesétaient aux abonnés absents. Je suis parti en stage à plusieursreprises pour me former sur ces questions de harcèlement etde souffrance au travail. Grâce à mon syndicat j'ai pu parti-ciper à de nombreuses formations juridiques à l'Université àStrasbourg et Aix en provence.

En 2004 un nouveau CE a été élu. Nous avons enfin pucréer un collectif très fort de 18 salariés tous élus DP, CE,CHSCT, qui avaient tous un point commun celui de vouloirlutter contre "le despotisme moyenâgeux de la Direction".

Le CE a diligenté un audit interne, audit réalisé par leMinistère. On a dénoncé la collusion des pouvoirs entredeux responsables de la Direction, ce qui en comptabilitépublique est interdit. Mais nous n'avons jamais pu obtenircopie du rapport d'audit. On a fait venir à plusieurs reprisel'inspecteur du travail qui a dressé des PV. On a aussi le sou-tien du médecin du travail.

Toutes les réunions CEDP et CHSCT depuisdeux ans sont très hou-leuses. Nous avons donnémandat à un élu du CEpour ester en justicecontre l'employeur. Nousavons sensibilisé les sala-

riés sur ces questions. Les affrontements avec la Directionsont devenus terribles, mais ils ont soudé les élus entre eux.Ceux-ci ont fait corps alors qu'ils n'étaient même pas syndi-qués. Cela reste une grande victoire. Celle de la démocratiecitoyenne participative et de la prise en compte par un col-lectif de salariés de tous les problèmes de tous les salariés.

Nous avons simplement redécouvert les vertus de base dusyndicalisme.

Le syndicat (représenté uniquement par 3 élus sur 15) estresté au centre de ce collectif apportant son soutien enmatière de formation et ses compétences dans les domainesjuridiques. Sans l'apport d'une organisation syndicale struc-

Un autre cadre a vécu un calvaire durant deux ans sansjamais se plaindre et aujourd'hui il inflige sur ordre du har-celeur et en représailles une sanction disciplinaire non justi-fiée à un Délégué Syndical, Délégué du Personnel, membredu CE.

Il faut aussi com-prendre que lorsque leharceleur est arrivé descadres importants,garants de l'éthique etde la culture sont partisà la retraite. Le harce-leur s'est retrouvé face

à des jeunes qu'il a broyés. Il en a nommé certains qu'il aensuite insulé et manipulé. Une seule salariée a refusée de sesoumettre et a démissionnée de sa fonction malgré sa récen-te nomination à un poste a responsabilité. Par ailleurs, parmiles anciens cadres, deux femmes sont parties en invaliditévictimes de harcèlement.

Curieusement si on élève la parole, si on répond, le harceleurn'insiste pas. Je suis convaincu que cette personne qui harcè-le est dans une souffrance terrible et son comportement"anormal" voire "hystérique" est pour moi l'aveu d'unepathologie lourde. Ces comportements posent aussi le pro-blème de la compétence professionnelle de cet individu.

Crier, insulter, harceler, maintenir dans la peur une centainede personne c'est peut-être aussi un moyen d'asseoir sonautorité autrement que par sa propre compétence profes-sionnelle.

De plus l'employeur a des liens très fort avec le harceleur.Cela crée des difficultés supplémentaires. En effet commentpeut-il exercer son devoir de prévention et de protection dessalariés dont il a la responsabilité tout en ayant des relationsprivilégiées avec le harceleur ?

L'employeur a donc toujours traîné les pieds pour agir,même si devant la pression de l'inspecteur du travail il a étéobligé de modifier le règlement intérieur. L'employeur àmême fourni au harceleur des faux témoignages contre unsalarié ayant porté plainte pour hacèlement moral aux pru-d'hommes ?

La mobilisation

C'est le médecin du travail qui m'a confirmé en 2002 et enprivé qu'il y avait plusieurs cas de harcèlement dans l'entre-prise et une nette dégradation de la souffrance au travail. J'ai

Harcèlement et mobilisation collective : le témoignage d'un représentant du personnel

Les affrontements avec laDirection sont devenus

terribles, mais ils ontsoudé les élus entre eux.

Ceux-ci ont fait corpsalors qu'ils n'étaient

même pas syndiqués

Il faut aussi comprendreque lorsque le harceleur est

arrivé des cadres impor-tants, garants de l'éthique

et de la culture sont partis àla retraite

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Dans le cadre del'Observatoire on anotamment fait passerun questionnaire deKarasek à l'ensembledes salariés. Cela a étéréalisé de concert avecle CHSCT. On a eu 54réponse sur 110 salariés. 10 agents disent être en souffrance.La raison principale qu'ils invoquent est le manque d'appuipar l'encadrement et le désintérêt de celui-ci dans le domai-ne des conditions de travail. Il faut encore réfléchir à la façondont on va utiliser ces résultats. La direction claironne àtoutes les réunions que l'enquête prouve que tous va bien. Lemédecin du travail en CHSCT a simplement fait remarquerau Directeur que ces résultats d'enquête n'étaient pas le refletdes propos tenus par les salariés dans son cabinet lors de lavisite annuelle.

Mais la création de l'observatoire a eu un autre effet, inat-tendu celui-là et peut être plus inquiétant. Des gens ontvoulu rencontrer des élus, des salariés qui se disaient en souf-france.

C'était quelque chose que l'on ne soupçonnait pas. On a reçutrois personnes, des gens qui se disent victimes. Mais enrecevant ces salariés on s'est aperçu que les personnes enquestion pouvaient parfois dans une situation de désespé-rance sociétale. Sur deux cas le médecin nous a dit " il y aautre chose que de la simple souffrance lié au travail " ( psy-chopathologie du salarié incriminé). Or, le monde du travailest le dernier module structurant, le dernier réceptacle de lareconnaissance pour certaines personnes.

Quand on a reçu une salariée "harcelée" son chef, quelleaccusait, était comme fou. Il passait la tête à la porte du localDP sous un prétexte futile. Ca devenait très lourd. On a eupeur que certains fassent des bêtises. On a passé des nuits etdes week-end d'angoisse à se demander se que l'on trouve-rait le lendemain matin au travail. Un des trois salariés reçunous a même avoué "je n'ai aucune reconnaissance professionnelle,j'ai divorcé et je ne connais pas mes petits enfants…. Et mon chien sefait vieux" Que faire ? On décide de convaincre se salarié departiciper aux activités du CE pour recréer un lien social avecles autres.

Est-ce le rôle de l'entreprise de se préoccuper de la souf-france sociétale de ses salariés ? C'est l'éternelle question quenous renvoie la direction et le président du CHSCT qui sys-tématiquement face à cette expérience d'Observatoire nousretourne que nous ne sommes pas des "psy" et que tout ceci

turée nous n'aurions jamais pu réaliser tous le travail faitdurant plus de quatre ans.

La personne qui avait été harcelée est depuis dans une pro-cédure prud'homale. Elle a trouvé dans l'activité syndicale unmoyen de s'en sortir. Elle est aujourd'hui élue. Elle a prisseule la décision de se syndiquer.

On s'est rendu compte alors que tout un tas de personnesétaient victimes. C'était un phénomène plus important quece que l'on croyait ! Le médecin du travail, très frileuse surd'autres points pourtant, a été réceptive sur ces questions.Elle a informé à plusieurs reprises le Directeur qui n'a rienvoulu faire. Malheureusement entre temps des salariés vic-times sont partis en invalidité et en retraite.

La fonction de président du CHSCT a été assumée duranttoute cette période par le Directeur Adjoint qui nous a sou-tenu jusqu'à la fin de l'année 2005. Il a reçu une forte pro-motion et depuis il nous a tourné le dos et soutient à fond leharceleur.

Il y a eu un positionnement fort de tous les élus et surtoutceux du CE qui n'ont plus voulu siéger en séance plénièreavec le harceleur. On a proprement viré l'agent de directionincriminée.

Nous avons faitprendre conscience àtout le monde que celane servait à rien debaisser la tête. Avecl'observatoire les com-portements harcelantvis à vis des agents ontbaissé. Par contre leproblème s'est déplacésur les élus, perçus

comme la source du mal. Une cabale organisée par la direc-tion a été montée contre le CE.

L'Observatoire et ses effets inattendus.

On a écrit un règlement interne du CE dans lequel on a inté-gré l'Observatoire de la souffrance au travail qui est unecommission du CE. Il a été visé par l'inspecteur du travail eta été voté en juin 2005. L'observatoire bénéficie de la capa-cité financière du CE. Il comprend les membres élus DP, CEet CHSCT volontaires, le Président du CHSCT et le méde-cin du travail. Dans le même temps les DP sont régulière-ment montés au créneau en réunion. Tout ce ramdam avaitcalmé les ardeurs du harceleur.

Harcèlement et mobilisation collective : le témoignage d'un représentant du personnel

Dans le cadre del'Observatoire on a notam-ment fait passer un ques-tionnaire de Karasek à l'en-semble des salariés. Cela aété réalisé de concert avecle CHSCT

Nous avons fait prendreconscience à tout le monde

que cela ne servait à rien debaisser la tête. Avec l'obser-vatoire les comportements

harcelant vis à vis desagents ont baissé. Par

contre le problème s'estdéplacé sur les élus, perçus

comme la source du mal

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deux est explosif.

Avec les restructurations qui arrivent l'intérêt individuelrisque de prendre encore plus de pas sur l'intérêt collectif.On imagine les dégâts que cela va occasionner. Il est essen-tiel de maintenir du lien entres les uns et les autres.L'observatoire est aussi un outil pour cela. C'est un lieu derencontre ouvert ou les salariés peuvent s'exprimer en touteliberté. C'est un luxe et un privilège rare dans les entreprisesde nos jours.

Mais les élus qui se portent volontaire pour écouter celles etceux qui demande à être reçus, doivent avoir impérativementune formation adaptée. Nous avons mis en place cette for-mation pour le 2ème trimestre 2006.

Addendum : éléments apportés quelquessemaines après le premier entretienDepuis notre rencontre, beaucoup de choses on évoluésdans l'entreprise.Les élections du personnel ont été blackboulés par la direc-tion alors qu'une liste syndicale DP CE avait été déposéepour le 1er tour. La Direction n'en a pas tenu compte et ellen'a organisé que le 2ème tour avec une liste de non syndiquésmontée par elle.

Aujourd'hui 18 salariésont déposés 4 requêtesen annulation auTribunal d'instance.Moyennant promessela Direction a tenté dediviser les salariés endeux camps. Elle y esten parti arrivée. Mais

un noyau dur de "contestataires et de réfractaires" s'estconstitué.D'autres élus ont pris le relais.Le Délégué Syndical, secrétaire du CHSCT, a reçu un blâmepour utilisation abusive des heures de délégation alors quecelui-ci était détaché à plein temps depuis décembre 2004(grâce à un accord d'entreprise). Il dépose aujourd'hui uneplainte pour discrimination syndicale aux prud'hommes.

Le Directeur adjoint ancien président du CHSCT part enretraite, mais plus personne ne veut être président duCHSCT à sa place.

J'ai pu enfin récupérer mon poste de secrétaire du CHSCT.

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est malsain. Le président du CHSCT a même douté de notreprobité morale en nous demandant : "n'est-ce pas pour vendredes cartes syndicales que vous faite ceci ? ".

On ne reçoit jamaisseuls mais toujours àdeux. C'est trop lourd.Et puis il faut du recul,savoir si on a bienentendu, bien com-

pris… La première chose : on ne reçoit personne sans qu'el-le n'ai été vue auparavant par le médecin du travail. Il est plusà même que nous pour écouter. La Direction nous répète"vous n'êtes pas psychologue". Certes mais il faut bien qu'il y aitdes personnes qui puissent répondre présent quand des sala-riés disent souffrir au travail. Sortons de l'anonymat dumonde du travail actuel. Redonnons du sens aux rapportshumains dans l'entreprise. Sortons-nous du paraître quoti-dien du "bonjour ça va ? Oui ça va…."

Il y a dix ans quand on avait abordé le télétravail, cela avaitété un tollé chez les salariés. Je n'avais pas alors comprispourquoi. En fait pour beaucoup de salariés le travail est laseule vie sociale. Sans parler des salariées chef de famillemono parentale. Familles décomposées qui sont toujoursplus nombreuses.

Il y a pour certains un isolement absolu hors de la vie pro-fessionnelle. Des employés qui n'ont pas l'occasion d'adres-ser la parole à un être humain entre le vendredi 17h et lelundi 8h !

Est-ce encore du ressort de l'entreprise ?

Pour ces personnes le travail c'est la vie. Il y a eu une telleévolution de nos sociétés vers plus d'individualisation ! Lemonde du travail n'échappe pas à cette tendance lourde descomportements humains. Nous avons constaté aussi quebeaucoup de personnes pouvaient souffrir de "solitudesociale" à l'extérieur de l'entreprise et par réaction avoir dansl'entreprise des comportements harcelants. Surtout quand ily a une position hiérarchique. L'entreprise est leur chez eux,leur intimité, leur sécurité, leur moi social. Quand en plus ily a des accidents de la vie et des problèmes familiaux lourdcela peut vite dégénérer. Ici a force tout se sait. Nous vivonsen vase clos. C'est un microcosme ou toutes les passionss'exercent en bien comme en mal. Le lundi matin à la machi-ne à café tout se raconte. Mais cela doit aussi exister danstoutes les entreprises. Lors de nos entretiens nous avonsdécouvert qu'il y avait un adossement de la souffrance au tra-vail à des problèmes de souffrance privés. Le mélange des

chsctHarcèlement et mobilisation collective :

le témoignage d'un représentant du personnel

Aujourd'hui 18 salariés ontdéposés 4 requêtes en

annulation au Tribunald'instance. Moyennant pro-

messe la Direction a tentéde diviser les salariés en

deux camps. Elle y est enparti arrivée

On ne reçoit jamais seulsmais toujours à deux. C'est

trop lourd. Et puis il faut durecul, savoir si on a bienentendu, bien compris…

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Le mot collectif a pris un sens dans l'entreprise. La relèvesemble assurée même si le travail qui reste devant nous estun puits dont on ne perçoit jamais le fond.

La lutte contre l'injustice et l'arbitraire continue, toujoursplus dure mais encore plus essentielle.

Le combat parfois très dur contre le harcèlement moral agénéré une conscience nouvelle chez certains représentantsdu personnel.

Harcèlement et mobilisation collective : le témoignage d'un représentant du personnel

41e congrés de la SELF11-12-13 septembre 2006, CAEN

Session 1 - Santé psychique et stress professionnelD. Dessors

La santé psychique, si tant est qu'il soit possible de discriminer réellement les critères de la santé globale, apparaît plus menacéepar le type d'engagement sollicité par l'organisation actuelle du travail et par les choix managériaux qui se banalisent :

d'une part, qualité totale et zéro accident, par exemple, ne tiennent pas toujours compte du réel du travail ;d'autre part, le "savoir être" des salariés est de plus en plus sollicité comme une compétence.

Pour autant, l'existence d'un lien de causalité direct entre organisation du travail et santé mentale doit être questionnée avec clairvoyance card'autres points de vue méritent d'être pris en compte. Il se pose en outre la question de savoir si l'exploration de cette problématique doitrester circonscrite dans le champ spécialisé du travail, ou si elle doit aussi se déployer désormais dans le champ élargi de la santé publique.

Dans un contexte de fort chômage, dominent la volonté de garder son emploi et la crainte d'être disqualifié si l'on fait socialement valoir des difficultésdans son activité, du seul fait qu'on serait privilégié d'avoir du travail, ou du fait que l'on n'est pas fier de ce que l'on accepte de faire pour le conserver.Toute tentative d'agir se heurte ainsi de plus en plus, sur les sites d'intervention, à une réticence à penser le travail au lieu de conformer les personnes.

En quoi la pluridisciplinarité peut-elle proposer des perspectives d'action mieux appropriées pour intervenir dans de telles situations ? La mobilisa-tion de plusieurs champs disciplinaires vise-t-elle à élargir les approches pour davantage d'intelligibilité des problèmes, ou vise-t-elle à corroborerles uns par les autres des résultats d'analyse mal accueillis dans un premier temps ? Existe-t-il ou non des situations où la pluridisciplinarité estplus spécifiquement pertinente, selon l'instance initialement demandeuse dans l'entreprise, ou selon le registre de problème soulevé, ou selond'autres critères encore... ?

Par ailleurs, en quoi la question de la santé mentale et du stress au travail modifie-t-elle le destin des connaissances de l'Ergonomie de LangueFrançaise, par exemple :

sur l'écart travail prescrit/travail réel (face au déferlement des normes qualité),sur la variabilité de l'état des personnes et de leurs tâches (face à la rigidité des comportements exigés),sur les conditions de familiarisation avec un poste (face à la précarité et aux rotations "bouche-trous") ?ou sur la motivation du personnel (face à la disqualification de la subjectivité),... etc ?

Enfin, quelles questions soulève la pluridisciplinarité dans sa mise en oeuvre pour enquêter des situations et développer une action de transforma-tion ? Comment articuler par exemple les approches qui explorent la subjectivité avec celles qui mesurent des réalités objectives ? A la condition dequel travail un langage commun peut-il se construire chez les intervenants et se transmettre sur les sites de travail ?

Ces questions gagneront probablement à être examinées à propos d'actions déjà menées ou en cours, dans la mesure où la référence au concret dutravail d'intervention offre des exemples de réflexion, d'aménagement et de compromis, d'échecs et de réussites. Mais des apports théoriques etépistémologiques seront sans doute nécessaires pour enrichir les discussions de ce thème.

Pour nous Contacter :Secrétariat : Maryvonne Briosne - Laboratoire de Physiologie - UFR de Médecine - 14032 CAEN CEDEX

Tel : 02.31.06.82.14 - Fax : 02.31.06.82.19 Courriel : [email protected]

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Approche institutionnelle

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taux d'erreurs, des rebuts, des réclamations, et bien sûr, appa-rition de la conflictualité.

Parallèlement les indicateurs de santé individuels traduisentle développement parfois rapide de situations de stress réac-tionnel plus ou moins contenu, de souffrance morale, dedécompensation médico-sociale plus ou moins sévère. Onassiste à des attitudes de "déni", ou au contraire de victimi-sation excessive. Des systèmes de stratégies défensives, demises en retrait, de dévalorisation personnelle, de dégrada-tion même de la capacité de penser ou de concevoir la réali-té se développent ; il y a un dépassement des capacités de"résilience". Le sentiment d'impuissance peut conduire jus-qu'au burn-out ou à l'épuisement professionnel, ou à la vio-lence au travail.

Dans les services de santé au travail, les médecins décou-vrent de plus en plus de "pathologies émergentes", detroubles musculo-squelettiques assez repérables puisqu'ilsfont l'objet d'un tableau de reconnaissance au titre des mala-dies professionnelles, mais aussi de syndromes psychogènesdivers et reliés plus ou moins confusément aux difficultésprofessionnelles : souffrance, mal-être, troubles cardiovascu-laires, manifestations fonctionnelles douloureuses, lombal-gies, douleurs des membres, troubles de l'appétit et de l'équi-libre pondéral, troubles digestifs, altérations du sommeil,fatigue, conduites addictives et bien sûr, manifestationsdépressives ou anxieuses.

Le monde a changé et il ne cesse d'évoluer… Modes de viedésorganisés, éclatement des familles, mutations, déménage-ments, temps de transports, précarisation personnelle, fami-liale, environnementale et professionnelle… Les repèreschangent plusieurs fois dans une même vie.

Il n'est donc pas étonnant que le "stress" se développe dansnotre société. Les situations de désadaptation ou de souf-france croissent, ainsi qu'en attestent l'augmentation desplaintes exprimées et la consommation de médicamentspsychotropes. Les signes d'incivilité ou les conduites agres-sives se banalisent.

Le travail peut être, idéalement, le lieu de structuration, dereconnaissance personnelle ou sociale, de valorisation dessavoirs et des pratiques, un lieu d'épanouissement. Si ce n'estle cas, il peut devenir le lieu de cristallisation des déceptions.

Mais le travail aussi a changé, vite, dans un contexte de mon-dialisation économique et de concurrence, d'exigencesaccrues, de rendement financier des entreprises. Nous assis-tons à une tertiarisation croissante, nous voyons se mettre enplace des techniques de management encore mal éprouvées,plus ou moins compréhensibles, en réponse aux demandesdu marché, lui-même instable, sous la pression des investis-seurs et des clients, sous la menace informelle de délocalisa-tions ou d'une judiciarisation des exigences et des attentes…

Et si le travail lui-même était malade, entend-on dire par-fois … C'est le sens que nous lui donnons qui est mis enquestion parce que les mécanismes habituels de construc-tion individuelle et collective deviennent, dans certainescirconstances inopérants.

En regard, nous voyons défiler le cortège des impactshumains de cette déshumanisation du travail, démotivationdu personnel, perte du sens et de la satisfaction du travail"bien fait" quelquefois en rapport avec une gestion des res-sources humaines et des techniques de managementopaques. L'encadrement aussi connaît le doute. Les conflitsentre collègues ou avec les supérieurs arrivent en avant de lascène. Savons-nous lire ce qu'ils signifient ?

Cette complexification des situations parcellisées de travail,souvent mal comprise, agit en boucle sur des sujets fragilisés,aggravant encore la tension au travail et déclenchant les indi-cateurs d'alarme de l'entreprise : absentéisme, turn-over,accidentabilité, maladies professionnelles, augmentation des

LA SOUFFRANCE PSYCHOSOCIALE AU TRAVAIL:Rôle du médecin du travail face à l'aptitude au travail

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Approche institutionnelle

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s'imbriquent les facteurs personnels, familiaux, sociaux…Mais le médecin du travail doit s'en préoccuper, tout enpesant les éléments contradictoires, la fragilité des témoi-gnages humains.

Elle peut sembler évidente au médecin du travail, même sielle est niée par le salarié. Elle peut aussi apparaître d'emblée.Le parcours du salarié lui permettra d'appréhender avec plusde subtilité les origines de sa souffrance. Mieux il le fera etmieux il saura répondre.

L'origine professionnelle de la souffrance semble bien encause lorsque le salarié parvient à sortir de la confusion, del'angoisse et de la peur et qu'il parvient à décrire :

son incapacité à faire face aux situations de travail aux-quelles il est confronté,

l'association d'une forte charge de travail et d'un manquede reconnaissance, d'une perte de sens, d'une perte d'auto-nomie,

l'impossibilité à faire face à des injonctions paradoxales oucontradictoires,

la mise en évidence des débats éthiques dont il est l'enjeu,

la déroute émotionnelle occasionnée par les contraintesprofessionnelles.

3 - Evaluer la gravité de la souffrance au travail

La gravité de la souffrance, indépendamment des symp-tômes physiques et psychologiques présentés est, à mon avis,liée à la confusion du sujet, à son incapacité à mettre desmots sur ce qu'il ressent et à en analyser sans culpabilité lesorigines. Le médecin du travail fait mettre en place, le caséchéant, un traitement médical et psychologique, en relationavec le médecin traitant.

4 - L'aptitude au poste de travail

Elle se discute lors de la visite de reprise, ou de la visite depré-reprise du travail.

En concertation avec les autres médecins, thérapeutes, spé-cialistes, le médecin s'appuie sur l'évolution individuelle dusalarié et sa connaissance spécifique du contexte profession-nel. Il évalue en particulier l'état de santé mentale du salarié.Il détermine si la reprise du travail à ce poste peut être dan-gereuse pour le salarié lui-même (idées morbides...) ou pour

RÔLE DU MEDECIN DU TRAVAILDANS LE CADRE DE L'APTITUDEAU TRAVAIL

On décrira ici, le rôle du médecin du travail dans le cadre dela consultation médicale individuelle. L'action du médecins'inscrit en parallèle d'une action en milieu de travail qui est,elle pluridisciplinaire et fait appel à de nombreux interve-nants.

Le médecin se trouve face à un salarié en état de "souffran-ce morale". Il constate surtout l'état de stress du salarié,exprimé ou cliniquement visible. L'attitude du médecin pro-cède d'étapes progressives :

1 - Ecouter le salarié

Le médecin du travail, par son écoute bienveillante maisobjective et du fait de sa position "médicale" dans l'entrepri-se permet et autorise le salarié à parler de sa souffrance, à ladéfinir par des mots. Il s'agit de comprendre, de donner dusens au symptôme, mais aussi de déculpabiliser le salarié etde l'aider à mettre en perspective sa souffrance avec soncontexte personnel, individuel, familial, social et profession-nel.

Ce bilan doit permettre au salarié d'accepter le diagnostic desouffrance morale et donc d'être capable d'y recourir et dechercher l'aide appropriée. Aussi, dès cette étape il ne faudrani considérer la personne comme une victime, ce qui la cou-perait de ses ressources, ni se positionner en juge de situa-tions auxquelles on n'a pas assisté.

L'orientation vers son médecin généraliste et/ou un psy-chiatre permet au sujet de reconsidérer sa situation sousd'autres perspectives et de mobiliser ses ressources pourfaire face aux contraintes imposées, trouver ses propres solu-tions et exercer sa liberté de choix, sa dignité.

Ce parcours est purement individuel.

2 - Poser le diagnostic de souffrance morale au travail.

Au terme de ce bilan, l'origine professionnelle est quelque-fois évoquée. L'affirmer est toujours délicat. L'origine de lasouffrance morale est le plus souvent polyfactorielle, tant

Rôle du médecin du travail face à l'aptitude au travail

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Approche institutionnelle

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N° 4 - août 2006 23

des arguments valides à l'appui d'une telle demande auprèsdes conseillers prud'hommaux.

L'avis d'inaptitude doit être la conséquence d'une inadéqua-tion entre, d'une part, l'état de santé du salarié et, d'autre partles exigences, contraintes, nuisances et risques du poste detravail qu'il occupe ou auquel l'employeur envisage de l'af-fecter... Dans son avis d'inaptitude, le médecin du travail doitfaire des propositions de reclassement… Le libellé " inapte àtous postes " doit être proscrit, sauf dans des situationsextrêmes. Des propositions de reclassement doivent tou-jours être recherchées.

Il reste bien évident qu'un médecin du travail ne doit pas :

sortir de son champ d'action

ne pas apporter d'éléments de son expertise pour le reclas-sement

émettre un jugement sur la gestion de l'entreprise

se poser en donneur de leçons

montrer un parti pris pour le salarié ou pour l'employeur,alors qu'il ne devrait tenir compte que de la santé au travail

se présenter comme un avocat, une assistante sociale, ouun juge et non comme un médecin du travail.

7 - La souffrance du médecin du travail face à ces situa-tions :

La difficulté du médecin dans ces situations est bien réelle.Les situations sont complexes et ont déjà évolué depuislongtemps. Le médecin du travail se sent seul, même lesautres médecins du travail ne comprennent pas toujours ladifficulté du confrère. Les CHSCT ou les instances syndi-cales sont quelquefois mal informées, mal renseignées et sur-tout ils font partie de l'entreprise.

Le recours à l'inspection du travail est quelquefois délicat,mais il peut s'avérer efficace, lorsque il est porté par le sala-rié lui-même ou les représentants du personnel. Le médecinsent parfois que, de part et d'autre, on peut se servir de lui,l'"instrumentaliser" dans les conflits.

Enfin, le problème de la souffrance morale engage souvent,à son insu, l'affectivité propre du médecin du travail. Il luifaudra peut-être se faire aider par des confrères, des spécia-listes afin de prendre conseil…

Rôle du médecin du travail face à l'aptitude au travail

les autres (menaces, discours agressif…).

Il évalue aussi ses aptitudes nouvelles à la guérison (aptitudeà réagir, à rebondir, à se faire aider dans l'entreprise par lesdélégués du personnel ou le CHSCT). Il considère aussi sacapacité à faire appel, s'il y a lieu, en dehors de l'entreprise àdes associations d'aide aux victimes, aux tribunaux, à l'ins-pection du travail…).

S'il reprend le travail, le salarié sera suivi plus fréquemmentpar le médecin du travail, pour vérifier ses capacités d'adap-tation et de défense, pour le conforter dans sa réinsertion enmilieu professionnel.

5 - L'inaptitude au poste de travail est quelquefoisincontournable.

Le médecin du travail est alors pris dans des dilemmes diffi-ciles, partagé entre la protection de l'emploi et la protectionde la santé, le droit à l'information et le droit à la confiden-tialité, ou de conflits entre intérêts individuels et intérêts col-lectifs. Il ne peut pas transgresser le secret de la confidencemédicale sans l'accord du salarié, pour faire part à l'entrepri-se de situations individuelles et nominatives.

Comme prévu, cette décision d'inaptitude doit être prise,exceptées les rares situations d'urgence véritable, au terme dedeux visites médicales espacées de deux semaines. Ce tempsest mis à profit pour évaluer le poste de travail et chercheravec l'employeur des modifications du poste ou des postesde reclassement. Avec tact et discernement lorsque cela luisemble possible, il peut servir de médiateur entre les parties.L'inaptitude définitive au poste peut être alors confirmée,mais, comme dans les autres situations, le médecin, conseillerde l'employeur et du salarié doit décrire les restrictions médi-cales du poste et les aptitudes résiduelles du salarié… pourpermettre son reclassement.

6 - Les situations litigieuses

Elles sont très nombreuses, au vu des contestations d'aptitu-de médicale qui parviennent à l'inspection médicale et desplaintes déposées au conseil de l'Ordre contre des médecinsdu travail.

Les enjeux de l'aptitude sont importants. Rappelons qu'unavis d'inaptitude n'a pas, en principe, pour objet de soustrai-re un salarié à une situation conflictuelle au travail : dans cesens, le salarié peut parfaitement demander la résiliation judi-ciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur s'il a

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Conclusion

Devant une situation de souffrance au travail, il n'appartient pasau médecin du travail de qualifier la souffrance de l'individu entermes juridiques (harcèlement moral, discrimination, etc..). Ilassume un rôle de conseiller médical dont il ne doit jamais sedépartir. Les dossiers sont difficiles et douloureux. Leur instruc-tion demande beaucoup de temps, et ce n'est pas toujours facile.Les enjeux sont nombreux en termes d'emploi, de conséquencesfinancières ou juridiques, mais surtout de santé mentale.

Rôle du médecin du travail face à l'aptitude au travail

DDoocctteeuurr MMaarriiee--HHééllèènnee CCEERRVAANNTTEESS

médecin inspecteur régional du travail et de lamain d'oeuvre DRTEFP, 180, avenue du Prado

13285 Marseille cedex 08Tel : 04 91 15 12 97fax 04 91 04 64 17

[email protected]

Approche institutionnelle

Une brochure de l'INRS

L'INRS a édité une plaquette destinée aux employeurs de PME permettant de faire le point sur la question et d'ap-porter un éclairage opérationnel : de l'identification du problème jusqu'à la mise en place de pratiques de prévention.Ce document synthétique donne une approche concrète d'une question encore très mal appréhendée par nombre dechefs d'entreprise. Il a également l'avantage de resituer la thématique dans le cadre plus général des conditions de tra-vail, des relations sociales et de l'organisation du travail.L'extrait suivant est ainsi parlant du positionnement adopté : " si les méthodes de gestion individuelles du stress, sou-vent préconisées, peuvent permettre d'aider les salariés en souffrance, elles ne permettent pas de s'attaquer aux causesréelles du stress. Elles peuvent même masquer et différer la nécessité d'analyser les conditions de travail. Les initia-tives visant à apprendre aux salariés à gérer leur stress ne dispensent donc pas d'une réflexion plus générale au niveaude l'entreprise. Elles ne peuvent remplacer une démarche de prévention collective, nécessaire quand les plaintes s'ac-cumulent."

Et s'il y avait du stress dans votre entreprise ? INRS réf. ED 973 (disponible dans les services préventiondes CRAM)

Pour aller plus loin :

Site internet : www.inrs.fr : dossiers "stress au travail", "travail et agressions", "harcèlement moral au travail".

"Le stress au travail", collection Le point des connaissance sur, ED 5021, 2003

"J'ai mal au travail", un outil vidéo pour apprendre à repérer les problèmes de stress, harcèlement moral et violences(DV 0327 ou CD 0327)

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Si nous nous sommes attachés à centrer cet exposé plus pré-cisément sur la souffrance psychique, nous ne perdrons pasde vue le retentissement physique de cette souffrance pou-vant aller jusqu'à masquer la symptomatologie mentale oumême la remplacer ! (pathologie psychosomatique !)

Lorsqu'on évoque les questions de contraintes psychoso-ciales au travail et de tension due au travail, la notion quivient d'emblée à l'esprit est bien celle de stress. On le défi-nit généralement comme une "réponse de l'organisme auxfacteurs d'agressions physiologiques et psychologiques, ainsiqu'aux émotions ,qui nécessitent une adaptation fonction-nelle".

D'après l'Agence Européenne pour la Sécurité et la Santé auTravail, le stress "survient lorsqu'il y a déséquilibre entre laperception qu'une personne a des contraintes que lui impo-se son environnement et la perception qu'elle a de sespropres ressources pour y faire face… il affecte … la santéphysique, le bien-être et la productivité." Il est bien sûr diffi-cile de mesurer et de quantifier cette notion car chacun réagi-ra à sa manière; néanmoins les chercheurs ont proposé desoutils, et notamment le modèle "demande-latitude" deRobert Karasek (1979) ou le modèle d'inadéquation efforts-reconnaissance de Siegrist (1996).

La consommation de médicaments psychotropes est aussiun indicateur. En 1990 Estryn-Béhar et coll. établirent unlien entre l'augmentation du niveau de tension au travail et laconsommation de médicaments psychotropes (populationd'infirmières). D'autres études et travaux indiquent claire-ment une propension significative à la consommation demédicaments psychotropes lorsque la tension au travail estélevée.

D'après la troisième enquête européenne sur les conditionsde travail (2000), 28% des salariés européens déclarent queleur travail est source de stress. Les enquêtes périodiques"conditions de travail" réalisées par le Ministère du Travailpermettent de relever que certaines contraintes liées au tra-vail s'aggravent progressivement au cours du temps.Ainsi plus d'un travailleur sur deux travaille dans l'ur-gence, plus d'un sur trois dit appliquer strictement lesconsignes ou reçoit des ordres contradictoires. Pour untravailleur sur trois également, les relations de travailsont source fréquente de tensions. Enfin le sentimentde responsabilité vis-à-vis de son travail concerne deplus en plus de travailleurs.

La mission essentielle du médecin du travail est " d'évitertoute altération de la santé du fait ou à l'occasion du tra-

vail ". Définie classiquement comme l'absence de maladie, lanotion de santé a été élargie (OMS) et doit désormais s'en-tendre comme "un état de complet bien-être, à la fois phy-sique, mental et social". Outre les charges physique et men-tale, la charge psychosociale peut se définir dans un établis-sement de santé comme le poids du vécu au travail, de lasouffrance au travail jusqu'au harcèlement. Quels sont lesmoyens à mettre en œuvre pour éviter l'ensemble de lapathologie liée à une telle cause et ainsi améliorer la qualitéde vie du personnel et du patient ? C'est à cette question quenous allons tenter de répondre.

Quelques éléments sur la charge psycho-sociale

Le travail retentit sur l'Homme dans sa globalité, physique,psychique et sociale ! Si d'un point de vue strictement analy-tique on peut considérer séparément ces éléments, il est cer-tain qu'en pratique ils se trouvent intimement associés, inter-agissant par là même l'un sur l'autre !

On comprendra facilement les contraintes physiques impo-sées par tel ou tel type de tâche. On peut de même évaluer lacharge mentale nécessaire, c'est-à-dire l'importance et la qua-lité de la mobilisation mentale (attention, concentration,mémoire, précision du geste) nécessitée par la réalisation detel ou tel type de geste ou démarche. Nous définirons lacharge psychosociale comme le "ressenti" du vécu au travail,prenant en compte l'ensemble des conditions du déroule-ment du temps de travail.

RÔLE DU MEDECIN DU TRAVAIL ET CHARGE PSYCHOSO-CIALE DANS LES ETABLISSEMENTS DE SANTE

Point de vued’acteurs...

Point de vue d’acteurs

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Le rôle du Médecin du travail

Pour le médecin du travail jouer pleinement son rôle, à savoirprévenir les conséquences néfastes sur la santé descontraintes et de la charge psychosociale, suppose quelquespré-requis :

1) Connaître les éléments essentiels des principaux tableauxcliniques (afin de les dépister au plus tôt et d'aider à leur priseen charge), et repérer les conditions de travail pathogènes.

Les principaux tableaux cliniques de la souffrance mentaleau travail :

¤ La "pré-dépression" (Ferreri -1984) : comporte destroubles émotionnels anxieux, des troubles du comporte-ment divers, de fréquents troubles somatiques, sur-consom-mation de médicaments psychotropes

¤ Le "burn out" : syndrome d'épuisement professionnel.Maslach et Jackson ont proposé une échelle pour quantifierce syndrome (M.B.I). On note : épuisement émotionnel,déshumanisation de la relation à l'autre, diminution de l'ac-complissement personnel, signes somatiques, conduitesaddictives. Parmi les facteurs corrélés, on trouve le jeune âge,des traits obsessionnels.

¤ Parmi les autres entités cliniques il faut citer le syndromede fatigue chronique.

Les principaux agents stresseurs professionnels sont : lacharge de travail excessive, l'avenir incertain, les conflitsinterpersonnels, le manque de reconnaissance et la frustra-tion, l'évolution du management.

2) Connaître les éléments essentiels de la réglementation

Depuis 1991, en application de la directive-cadre européen-ne 89/391, la loi définit une obligation générale de sécuritéqui incombe au chef d'établissement, dans une approcheglobale de la prévention des risques professionnels. Le chefd'établissement peut donc s'appuyer sur les principes géné-raux de prévention (article L 230-2 du Code du Travail). Celaimplique notamment :

¤ d'adapter le travail à l'Homme (conception des postes detravail, choix des équipements de travail, méthodes de travailet de production en vue de limiter le travail monotone et letravail cadencé…)

¤ de planifier la prévention en y intégrant dans un ensemblecohérent la technique, l'organisation du travail et les condi-tions de travail, les relations sociales et l'influence des fac-teurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlementmoral tel qu'il est défini à l'article L 122-49

La prévention est l'objectif à atteindre ! (Schéma en annexe).Elle s'inscrit dans la démarche globale de prévention desrisques professionnels (art. L230-2 et R230-1 du CT).Orientée vers l'amélioration de l'organisation des conditionsde travail, elle a des effets durables, contrairement auxactions de renforcement des résistances de l'individu.

Pour conclure, il faut dire que si le travail est un lieu dereconnaissance, de sociabilité, de saines compétitions, deconstruction identitaire, il est aussi le lieu de rivalités, d'acti-vités excessives et de contraintes économiques et sociales...Confronté au "stress-charge psychosociale" (mais à partir dequelle intensité la charge psychosociale devient-elle inaccep-table pour se traduire par le stress ?) l'individu va tenter d'yrépondre en essayant de s'adapter (coping). Le débordementde ses défenses va le plonger dans un état pathologique assi-milé à une névrose micro-traumatique. Au-delà de la séméio-logie observée, les facteurs inévitablement intriqués et dontle dosage respectif sera variable en fonction des individussemblent relever de trois ordres :

des facteurs techniques propres aux gestes ou perfor-mances nécessaires,

des facteurs humains qui correspondent aux compétencesprofessionnelles indispensables pour réaliser les travauxdemandés,

des facteurs personnels enfin, éminemment variables carles individus sont singuliers, tant bien sûr sur le plan biolo-gique que sur le plan psychique.

*références bibliographiques : sur demande à [email protected]

RÔLE DU MEDECIN DU TRAVAIL ET CHARGE PSYCHOSOCIALE DANS LES ETABLISSEMENTS DE SANTE

Point de vue d’acteurs

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DDoocctteeuurr LLoouuiiss LLéérryy

DDoocctteeuurr GGuuyy AAttttaallInterne des Hôpitaux

DES de psychiatrie

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Ce texte a initialement été écrit pour être lu suite à laprojection du film lors du débat organisé par le cinémaMazarin à Aix en Provence.

Dans le commerce, dont il est question dans le film, derriè-re la cellule commerciale, la boutique, on trouve l'arrière-boutique, la cellule carcérale… L'absence de lumière naturel-le, qui se traduit par de la fatigue visuelle, des maux de tête,la perte des repères avec la vie extérieure, un mal être indi-cible que l'on lit sur les regards… Des salles de pause, lors-qu'elles existent et qu'elles sont utilisables, de cinq mètrescarrés pour neuf personnes… L'absence de toilettes, desvestiaires trop petits.

Mais il y a aussi du plaisir au travail, parce qu'il y a de l'intel-ligence, des compétences, du travail collectif, de la satisfac-tion à répondre aux attentes des usagers du service public, àvenir à bout de situations de travail toujours inédites y com-pris sur les chaînes.

Le plaisir d'un manutentionnaire qui renseigne une clientependant que la gérante du magasin prend sa courte pause.

Le plaisir d'une femme de ménage qui participe au bien êtredes malades, objectif partagé par le collectif des infirmières,des aides soignantes et des femmes de ménages (les Agentsde Service Hospitalier).

Le plaisir de ce salarié, un tâcheron, en train de désosser dela viande à une allure folle, un couteau dans les mains : pasdroit à l'erreur, couché tôt la veille. En le regardant je voyaisCharlot dans les temps modernes. Et pourtant comme il étaitfier de son métier, de sa performance, de la reconnaissanceexprimée par les autres salariés de la chaîne.

J'ai choisi le métier d'intervenant en entreprise que j'exercedepuis une quinzaine d'années parce que je suis contre l'in-justice dans le monde du travail. "Soyez surtout capable de sentir,au plus profond de vous-même, toute injustice commise contre quiconqueen quelque partie du monde" disait Ernesto Che Guevara. "C'estla plus belle qualité…" d'un militant pour la reconnaissance dumonde ouvrier, du coût de son labeur et de son intelligence.

Le monde du travail n'a aucune place, mis à part les ques-tions de l'emploi et du type de contrat de travail, dans les dis-cours et les actions politiques. C'est un monde méconnu, ycompris par celles et ceux qui le vivent.

La pratique de l'ergonomie exige d'installer ses yeux, avecson bloc-notes, son appareil photos et éventuellement sa

caméra, dans l'atelier, surla chaîne, dans le bureau,dans le magasin, pour voiret comprendre commentles salariés travaillent,pourquoi ils souffrent,pourquoi ils prennent desrisques pour leur intégritéphysique, mentale et psy-chique, pourquoi ils cra-quent. Je pense à ce salariéque j'observais, coincé,écrasé mentalement, entreles aléas de l'atelier de pro-duction et les aléas descamions venant charger lamarchandise. Ce salarié enpermanence "au taquet" pour faire au mieux, pour faire bien,en essayant de pallier au fait qu'il était seul pour faire beau-coup, trop, de choses.

J'ai intitulé mes notes d'observation "Chronique d'un licen-ciement annoncé1" : une heure après mon départ, le salariéétait convoqué chez le directeur qui lui signifiait sa mise àpied définitive pour en être venu aux mains avec le respon-sable de l'atelier qui était venu lui reprocher de ne pas avoircontrôlé de la marchandise avant son expédition.

Ce métier consiste aussi à voir et comprendre comment lessalariés s'y prennent pour être si performants, comment ilsfont face avec une si grande virtuosité à des problèmes com-plexes, comment ils mettent en œuvre leur intelligence, demanière beaucoup plus, mais alors beaucoup plus efficacequ'ils sont en mesure de l'exprimer. Combien ils sont surprisquand je leur présente les résultats de mes observations : " Jefais tout ça moi !? " Phrase qui exprime toute la satisfactiond'une reconnaissance de leurs compétences, compétences àla fois enfouies sous la culpabilité récurrente du "peut mieuxfaire" et indicibles par celle ou celui qui les déploie au quoti-dien.

Jacques Morice dans Télérama parle d'un film "d'écoute ris-quée" pour "affronter le mal en cours. Et le regarder enface". "Cela signifie que rien n'est sûr, que les solutions sontdifficiles" écrit-il. Oui, les solutions sont difficiles, comme lesvéritables révolutions, mais elles sont les seules à même d'ap-porter des éléments de réponses durables aux angoisses etaux souffrances des salariés et à rendre ce film moins "ris-qué" car, on ne peut pas en rester au constat si bon soit-il, nià la seule prise de conscience même collective des causes etdes conséquences de ce constat.

À propos du film"Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés".

Je pense à ce salariéque j'observais, coincé,écrasé mentalement,entre les aléas de l'ate-lier de production et lesaléas des camionsvenant charger la mar-chandise. Ce salarié enpermanence "au taquet"pour faire au mieux,pour faire bien, enessayant de pallier aufait qu'il était seul pourfaire beaucoup, trop, dechoses.

Point de vued’acteurs...

Point de vue d’acteurs

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La course aux profits fait des ravages. "Vaincus par l'argent lesmonstres d'acier" dit la chanson de Bernard Lavilliers. Mais, laproductivité est une valeur humaine. La solidarité aussi.Cependant, le taylorisme, qui hier comme aujourd'hui règneen maître, en a voulu autrement en engendrant dans sondéveloppement l'exclusion des travailleurs et de leur placecentrale dans l'évolution industrielle du Monde du travail. Etla souffrance a pris le pas sur le plaisir.

Je conclurai par cette question : l'expression de la souffranceau travail ne serait-elle pas aussi une "sonnette d'alarme"tirée pour exprimer le manque de reconnaissance du plaisir àtravailler, c'est-à-dire des compétences et de l'intelligence destravailleurs ?

1Outil construit par l'ergonome à partir d'observations, permettant de visualiser lesactions d'un opérateur dans un laps de temps (1h, 1 journée, …)

Les cahiers des fps28

Point de vue d’acteurs

Il faut mettre en oeuvre des solutions et c'est effectivementdifficile. Pour exemple, l'explosion des troubles musculo-squelettiques, 2600 cas en 1992 et 24 000 en 2003, et ledésarroi de ce Directeur des Ressources Humaines, assis surun siège éjectable actionné par les actionnaires, qui n'ad'autres solutions pour réduire les coûts engendrés par cesmaladies professionnelles, par l'absentéisme et le turnover,que celle de mettre en place une discrimination à l'embauche.

Mon expérience de l'intervention en entreprise m'a convain-cu que seule la transformation du travail permet d'apporteraujourd'hui des réponses à toutes les difficultés si bien expri-mées dans le film. Je suis également convaincu que la ques-tion posée par le DRH est une bonne question, puisqu'elleest posée et parce qu'il existe beaucoup d'alternatives à la dis-crimination à l'embauche, à l'exclusion ou à l'auto-exclusion,alternatives qui se trouvent dans l'intelligence et les compé-tences des femmes et des hommes au travail. C'est très diffi-cile de transformer le travail parce qu'il faut convaincre lesdécideurs en leur parlant de retour sur investissement, parcequ'il faut convaincre les concepteurs et les organisateurs enleur parlant de problèmes de conception et d'organisation àrésoudre.

À propos du film"Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés".

MMaarrcc JJoouurrddaann ANALUSIS Ergonomie

42EMES JOURNEES NATIONALESDE FORMATION DES MEDECINS DU TRAVAILDES ETABLISSEMENTS DE SANTEorganisées par l'ANMTEPH à MARSEILLE 18,19 et 20 OCTOBRE 2006

Mercredi 18 octobre Matinée : Thème : le risque chimique -Modérateur : Pr A.Botta Après-midi : Thème : le risque chimique -Modérateur : JL.Marande

Jeudi 20 octobreMatinée : Thème : souffrance au travail - Modérateur : E. Wertenschlag

09 heures : Harcèlement moral, harcèlement sexuel (Rohmer, Kastler, Strasbourg, D.Attal 09 heures 30 : Tableaux cliniques : prise en charge et suivi (Rohmer, Kastler, Strasbourg)10 heures : Enquête sur la violence au CHU de Besançon (I.Clément, CHU Besançon)10 heures 30 : pause, visite des stands11heures : Aspects réglementaires : rôle du médecin du travail (G.Attal, Marseille, E.Wertenschlag, Colmar )11heures 30 : débat avec les participants

Après-midi : Thème : rayonnements ionisants - Modérateur : F. Martin

Vendredi 20 octobreMatinée : Thème : infectiologie-Modérateur : L.Léry Après-midi : Communications libres -Modérateur L.Sctrick

Lieu :Amphithéâtre HA1 du CHU

La Timone - rue St-Pierre 13005 MARSEILLE

Renseignements et Inscriptions :

ANMTEPH, Secrétariat,4 Av. de Bruxelles

06000 NICE

Tél. : 04 93 81 57 89 E-mail : [email protected]

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cognitives, émotionnelles, relationnelles en vue de satisfaireaux nécessités productives ou de services des entreprisesdans un marché de plus de plus concurrentiel.

Notons qu'une réponse à ce constat de faible disponibilitéautant que d'intelligibilité d'une pratique tend à se constituerpar la voie d'un renouvellement des apports du managementet des ressources humaines sur le dossier de la Santé Sécuritéau Travail (SST) (Abord de Chatillon & Bachelard, 2005).Cette évolution est intéressante, ne serait-ce que par l'alter-native qu'elle apporte face à une certaine diabolisation desinstances de décision dans les entreprises, souvent dénon-cées comme responsables exclusives de tous les maux ren-contrés . Délaisser cette vulgate semble nécessaire, car elle nefait qu'entretenir une guerre de tranchée larvée entre bour-reaux et victimes supposés. Et surtout, une telle position necontribue guère à défendre et clarifier les méthodes et enjeuxd'une pratique professionnelle d'intervention.

Toutefois, malgré ces tentatives, l'apport d'un professionna-lisme essentiellement externe restera encore pour longtempssemble-t-il la réponse la plus commune, quitte bien entenduà envisager une articulation avec des ressources propres auxentreprises lorsqu'elles sont disponibles. Notons aussi queces apports ne préjugent pas de leurs modalités de mise enoeuvre. Ils peuvent, en effet, s'exprimer autant sous la formed'interventions in situ (formation, conseil, écoute, groupesde travail, plans de prévention) que de consultations indivi-duelles ou collectives spécialisées (hospitalières, associatives).

Dans ce contexte introductif rapidement esquissé, ce textevise à expliciter quelques modalités notables du profession-nalisme impliqué dans l'intervention sur les situations desouffrances psychologiques au travail. L'approche adoptéeprivilégie un point de vue, celui de la prise en compte de l'in-teraction individu-milieu dans l'émergence des troublesobservés et donc des solutions mises en oeuvre. Cette lectu-re interactionniste est en cohérence avec le niveau traité, enaval des pratiques d'intervention (par contraste avec unabord diagnostique amont plus traditionnel, par les facteursd'exposition). Ce choix autorise surtout à discuter de l'inté-rêt d'une mise en relation de la position clinique (notammentlorsque référée à la psychanalyse), position partagée parnombre de praticiens de la souffrance professionnelle, avecles propositions théoriques et méthodologiques de l'analysesystémique et stratégique d'intervention en entreprise.

Ajoutons que notre démarche s'efforce de maintenir l'analy-se des techniques d'intervention sur les risques psychoso-ciaux dans le périmètre professionnel des actions de préven-tion en SST. En cela, elle est porteuse d'une volonté deconception unifiée de l'action de prévention des risques, qu'ils'agisse de sécurité, de santé physique ou de santé mentale.

Les atteintes psychologiques au travail (épuisements,harcèlements, stress, violences) sont devenues un

des sujets de préoccupation majeur de la préventiondes risques professionnels. Outre la nécessité deconnaître et décrire les secteurs et populations les plusexposés, ainsi que de caractériser les divers facteurs encause, il apparaît tout aussi important de débattre desmodalités théoriques et pratiques des interventionsmises en oeuvre. Dans un langage accessible aux pro-fessionnels de terrain qu'interpellent cette difficilequestion de la santé mentale au travail, ce texte propo-se des pistes de réflexion, ceci du point de vue de lacontribution croisée des individus et des organisationsà l'origine des souffrances professionnelles observées.

Introduction : une pratique profession-nelle à expliciter

Dans l'allocution de séance plénière que Davezies (1997)donnait lors du premier colloque de psychodynamique dutravail, il était notamment question d'exposer un bilan de ceque les professionnels de la santé au travail pouvaient, voiredevaient opérer en matière "d'assistance non substitutive à lapensée" (p.21) du sujet en souffrance. Pour l'auteur, le pro-fessionnel en question est avant tout le médecin du travail.Cette désignation se conçoit assez naturellement comptetenu du thème évoqué : la santé au travail .

Une telle exigence d'écoute, située à égale distance de l'inter-rogatoire médical traditionnel et de "l'attitude compassion-nelle" (sic), interroge directement ce qu'il en est du périmètrede compétence de la médecine du travail. Ou pour le for-muler en termes plus prospectifs, quant aux savoir faire qu'ilconviendrait de développer pour cette catégorie de profes-sionnels, fréquemment interpellés par des situations de souf-frances psychologiques, parfois dramatiques.

Car à quelle situation est-on confronté du point de vue desréponses à apporter face aux atteintes psychologiques ensituation de travail ? A une forte carence de compétencesmobilisables, associée à une faible intelligibilité quant à leurnature. Déficit dont il serait d'ailleurs injuste de rendre res-ponsables les professionnels de la santé au travail, qu'ilssoient médecins, personnels de prévention ou de services deressources humaines. En effet, cette situation n'est que l'ex-pression d'un constat : il n'y a pas, ou très marginalementpour les entreprises, de compétences et connaissances dis-ponibles pour contrer les pathologies observées. Pathologieslargement liées, ainsi que tous les observateurs le notentdepuis des décennies , à la montée en continu des exigences

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Le texte est organisé en quatre parties :

I-une présentation de positions de la psychodynamique dutravail, jugées nécessaires à prendre en considération pournotre propos,

II-une explicitation de la notion d'interactionnisme, notam-ment concernant l'articulation entre démarches clinique etsystémique d'intervention,

III-une illustration d'un cas de maltraitance au travail, consi-déré du point de vue interactionniste,

IV-une discussion du couplage implication professionnel-le/adhésion organisationnelle dans la formation desatteintes psychologiques au travail et leur traitement.

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draient autant de cultures professionnelles vécues commeéloignées les unes des autres (ingénieurs vs médecins) que departicularismes académiques ou institutionnels entretenant leclivage commun entre sciences "dures" et sciences "molles".Pour autant, une circulation plus active entre les concepts,représentations et modalités d'action sur les expositions yserait sans doute bénéfique. Elle contribuerait vraisembla-blement à enrichir et relier des problématiques ayant encommun le souci de l'intégrité physique autant que psy-chique des individus en situations de travail.

A titre d'exemple ou de suggestion, remarquons qu'entre lathèse de la "banalisation du mal" empruntée par Dejours(1998) à la philosophe Arendt (2002) et celle de la " routini-sation de la déviance " de l'anthropologue Vaughan (2001)se rencontrent des questionnements proches, liés au rapportà la règle (règle plutôt éthique dans un cas, plutôt formelledans l'autre). On aperçoit en filigrane dans ces probléma-tiques l'expression d'un hyper conformisme qui insidieuse-ment deviendrait destructeur dans ses excès, producteurselon le thème concerné de décompensations individuellesautant que de catastrophes industrielles. Relier les dyna-miques organisationnelles du risque majeur avec celles durisque mental (et peut-être d'abord avec d'autres formesd'expositions plus communes dans l'entreprise) semble tou-jours faire l'objet d'un impensé qui peut surprendre à l'heurede l'appel insistant à l'interdisciplinarité en santé au travail .

Le second point, celui des représentations négatives domi-nantes de la gestion, est plus préoccupant dans ses retom-bées pratiques. En effet, les pratiques gestionnaires sont pré-sentées, explicitement ou implicitement selon les auteurs,comme largement responsables des souffrances psycholo-giques endurées par diverses catégories de personnels. Ainsi,les démarches gestionnaires semblent tenir dans les positionscommunes de la psychodynamique du travail un rôle demauvais objet de la prévention. Cette tendance entretient oucontribue à un climat intellectuel assez répandu de crainte dedestruction de la santé des travailleurs sous la poussée d'unerationalisation déshumanisante du travail.

Par exemple, quand le fondateur de l'école de la psychody-namique stigmatise ces gestionnaires qui, au motif d'intro-duire un changement, font "passer les impératifs gestion-naires contre le travail" (Dejours, 2003, p.45), il dramatise àl'extrême l'écart entre le prescrit et le réel de l'activité. Ce quiconduit à reléguer le prescrit au niveau guère enviable d'unenuisance et leurs auteurs présumés à celui d'individus"immoraux" ou d'apprentis sorciers quelques peu irrespon-sables de leurs actes.

Outre que de tels propos ne tiennent pas compte que ceux

I- Positions de la psychodynamique du travail

La psychodynamique du travail étant l'orientation dominan-te dans le champ de la santé mentale au travail, du moinspour la France, il convient d'en discuter certaines modalitésentrant en résonance avec la perspective d'analyse interac-tionniste des pratiques adoptée ici.

Ce qui est remarquable avec le mouvement de la psychodyna-mique du travail, c'est l'effet massif qu'il a entraîné de remo-bilisation au service de la santé mentale au travail des grandsenseignements de la psychanalyse. Bien entendu, s'agissantd'opérer dans le monde de l'entreprise ou dans un rapportdirect avec celui-ci, nombre de concepts ont été retravaillés ourecontextualisés en tant que de besoin (ainsi l'extension auniveau collectif de la notion de mécanisme de défense).L'important reste qu'en deçà de distinctions méthodologiquesou même théoriques mineures, le principe fondateur d'uneauthentique clinique du travail soit préservé : la prise en comp-te de la position subjective de l'individu en souffrance.

Il convient toutefois de remarquer que ce mouvement de"clinicisation" de la santé au travail s'effectue d'une part,dans une relative indifférence à l'égard de la culture de pré-vention traditionnelle (sécurité industrielle notamment),d'autre part, dans un climat de défiance pour tout ce qui relè-ve des pratiques de gestion, de rationalisation du travail.

Sur la première observation, soit la faiblesse d'articulation dela psychodynamique avec la culture de prévention en géné-ral, il est envisageable de l'attribuer à un effet de fragmenta-tion de " l'objet prévention ", ceci pour des motifs qui tien-

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qui s'occupent de gestion travaillent comme les autres etainsi sont susceptibles d'être soumis à des contraintes aussipénibles que d'autres catégories professionnelles, est-il bientenable de laisser entendre que l'activité organisée pourrait sedispenser d'être structurée, bornée par un dispositif, par desrègles applicables à une communauté de travail ? Non que laresponsabilité de la mise en gestion envahissante du travaildans ses effets délétères ne soit pas réelle ! De trop nom-breuses observations en attestent. Mais plutôt que du pointde vue de la praxis et non plus seulement de la conceptuali-sation des processus producteurs de violences organisation-nelles, il n'est guère souhaitable d'exclure, ou pire d'accuserune catégorie d'acteurs, ceci quel que soit par ailleurs lacontribution réelle ou supposée de celle-ci aux désordresdénoncés du travail.

Cette "clinique psychanalytique" donc, à l'origine clinique àl'usage des sujets en situation de souffrance, légitimant, lors-qu'il y a demande, que des réponses appropriées soient dis-ponibles (actions de soutien, groupes de parole, psycho-drames, psychothérapies), devient dans sa reprise psychody-namique une clinique spécialisée. Elle se mue en une cliniquedu travail, mobilisable lorsque la souffrance est clairementattribuable à la situation professionnelle des personnes ensouffrance. Pour autant, la pratique psychodynamicienne dutravail reste pour l'essentiel une clinique psychologique dusujet , au sens de ce qui caractérise toute pratique clinique :nécessité d'une demande, primauté du rapport subjectif dusujet à son symptôme, position distanciée du clinicien.

Un troisième et dernier point est incontestablement à mettreau crédit de la psychodynamique. Outre de nombreuxapports conceptuels de grand intérêt pour le praticien de lasanté mentale au travail ("idéologies défensives de métiers","intelligence rusée", "souffrance éthique"), une spécificitéépistémologique notable caractérise ce mouvement : le déga-gement opéré à l'égard d'une certaine "quantophrénie" (DeGaulejac, 2005), de fait dominante dans la recherche en santéau travail. Cette obsession du chiffre se manifeste notam-ment dans des pratiques diagnostiques sophistiquées, aumotif d'atteindre l'objectivité des faits avant d'agir . Il est vraiqu'au vu d'une tradition intellectuelle largement dominée parun positivisme hérité des sciences expérimentales duXIXème siècle, l'évidence de la nécessité de connaître enamont de la pratique s'impose à la plupart des acteurs de laprévention revendiquant une identité et une pratique scienti-fique .

En résulte une production continue de données (mesuresd'expositions, descriptions statistiques, enquêtes épidémiolo-giques) dont l'inachèvement tend à justifier sur un modequelque peu circulaire sa propre accumulation, tandis que les

transformations supposés en résulter peinent à s'élever àhauteur des ambitions affichées. Sans compter que, dans ladynamique des rapports sociaux de l'entreprise, un certainstatu quo pourra gagner à être entretenu afin de ne trop rienbouleverser d'équilibres, notamment patronat-syndicats(Davezies, op. cit.), constitués de longue date. En somme, onaurait dans ce constat d'écart entre inflation des chiffres etmodestie des retombées pratiques une illustration de ces"solutions qui entretiennent le problème" (Watzlawick et alii,1975).

En réaction à cette tendancemassive d'étude et recherched'objectivation des facteursamonts des expositions, suggé-rons que pour progresser dansla compréhension et la maîtriseappliquée des atteintes psycho-logiques au travail, il soit indi-qué de consacrer quelquesmoyens à l'étude raisonnée despratiques de terrain. Enquelque sorte, renverser leregard en promouvant une"théorie de l'action" (Bourdieu,1994) appliquée à la préventiondes risques psychosociaux.L'analyse interactionniste ycontribue car privilégiant uneapproche plus pragmatique de l'intervention en santé menta-le au travail.

II- Une lecture interactionniste reliant cli-nique et systémique

Tout à fait indépendamment de l'école de psychodynamique,d'autres démarches sont présentes sur le terrain de la santémentale au travail. Certaines d'entre elles, pour être assimi-lables à des cliniques du travail, n'ont par contre rien à devoirà la référence psychanalytique.

Ainsi dans l'univers des théories et pratiques du soin psy-chologique, le paradigme cognitivo-comportemental tient-ilune place au moins aussi importante que la psychanalyse.Dans un tel cadre théorique, il n'est plus question demotions inconscientes, de mécanismes de défense, de trans-ferts et contre-transferts. La pratique y est, en effet, pourl'essentiel organisée autour de l'idée d'apprentissage :apprendre de nouvelles façons d'agir, de penser, de repré-senter (Cottraux, 1998).

En réaction à cettetendance massived'étude et recherched'objectivation desfacteurs amonts desexpositions, suggé-rons que pour pro-gresser dans la com-préhension et la maî-trise appliquée desatteintes psycholo-giques au travail, ilsoit indiqué deconsacrer quelquesmoyens à l'étude rai-sonnée des pratiquesde terrain

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vidus et des contextes dans la souffrance psychologique nepeut guère être éludée. Sauf sinon à privilégier, pour desmotifs qu'on pourrait dire plus idéologiques que pratiques,un pôle ou l'autre de cette dualité, pourtant inhérente à lasituation de l'individu au travail.

Formulé autrement, il n'y a guère de sens à opérer ce genrede distinction de façon abstraite ou en la fondant surdiverses considérations académiques. Pour le praticien, c'estplutôt chaque situation rencontrée qui conduira à appréhen-der la nature des interactions en cause dans les dysfonction-nements observés, par conséquent la nature des réponses lesplus appropriées à envisager. Refuser tout clivage de princi-pe et ainsi tenter de relier les deux pôles revient précisémentà soutenir une conception interactionniste de l'intervention.

Nous proposons de for-maliser cette lecture endistinguant position cli-nique et position systé-mique, ceci en vue d'exa-miner à l'aide d'unexemple les moyensd'une complémentaritéen pratique.

La "clinique", étymologiquement "(soin) qui se pratique auchevet (du malade)" (Robinson, 2003, p.16) parle d'elle-même. Pour prendre les figures professionnelles habituelle-ment concernées - celle du médecin, du psychologue, du thé-rapeute - chacun y verra la nécessité pour soigner de partirdu patient (diagnostic) et d'y revenir (soin). Le travail de laclinique s'apparente à une "sémantique" du sujet, car il s'agitd'aller "au dedans" (organique ou psychique) du patient afinde puiser la compréhension du symptôme autant que dedécider des moyens à mobiliser pour sa résolution. Et bienque les cadres théoriques puissent être variés, voire peu com-patibles pour certaines d'entre eux, la position clinique ainsiclassiquement définie présente toutefois en commun cettesituation de "colloque singulier" (Foucault, 1963) embléma-tique d'une certaine forme d'assistance proposée au sujet ensouffrance.

La "systémique", prise ici au sens d'une forme d'aide psy-chologique, propose à l'inverse d'être situé "au dehors" dupatient, autrement dit de suspendre l'intérêt pour la person-ne propre (son histoire, sa singularité) afin de privilégier lecontexte de son mal et/ou de sa plainte. A ce titre et parcontraste avec une pratique clinique d'inspiration psychana-lytique, la systémique s'apparente à une "sémiologie" dusujet, car elle accorde son attention avant tout à un systèmede signes extérieurs à décoder, auxquels le patient participe,consciemment ou à son insu, plutôt qu'à une structure de

Si le paradigme psychanalytique a engendré la psychodyna-mique du travail, l'école cognitivo-comportementale est àl'origine d'une offre commerciale assez diversifiée, portéepar diverses officines privées, spécialisées en tout ou partiedans l'intervention pour des entreprises confrontées à desproblèmes de risques psychosociaux, mais aussi de violencesau travail (ainsi les risques d'agressions par les usagers dansles activités de service). Toutefois, ce mouvement d'origineoutre-atlantique (Etats-Unis) n'a pas donné lieu à notreconnaissance à des élaborations théoriques notoires pour lasanté au travail ni à une volonté d'institutionnalisation com-parable à ce que l'on observe avec l'école de psychodyna-mique.

Pour être plus complet, il resterait à mentionner les contri-butions plus traditionnelles, elles aussi assez bien implantées,des sciences sociales pour l'action de prévention envers lesatteintes psychologiques en situations de travail. C'estnotamment un domaine de pratique pérenne de la longuetradition de la psychosociologie d'intervention (Dubost,1987).

En dernier lieu enfin, l'ergonomie contribue pourrait-on dired'une façon consubstantielle à la prévention des risques enentreprise, ce qui inclut naturellement l'action sur les risquespsychosociaux. Dans ses diverses filiations, autrement ditqu'il s'agisse de la filiation anglo-saxonne ou francophone ,l'intervention ergonomique inspire et accompagne autant lapratique que la réflexion en santé mentale au travail.

Notons que l'intérêt pour le point de vue de l'activité, carac-téristique de l'école francophone d'ergonomie, peut se tra-duire sous des formes pratiques variées. Par exemple,Gaignard (2005), psychanalyste et psychodynamicienne dutravail, formule cette position d'écoute thérapeutique de lasouffrance : "à chaque patient que je reçois pour harcèlementmoral /…/ plutôt que d'examiner longuement les tours etles détours des développements pervers dont il a été l'objet/…/ je lui demande ce qu'il fait exactement et surtout com-ment il le fait" (p.77, c'est nous qui soulignons).

Si les disciplines et les méthodes sont diverses, qu'en est-iltoutefois de leurs capacités respectives à relier problématiquedu sujet et problématique de l'organisation dans l'interven-tion de terrain ? Par exemple, il est notoire que les démarchescomportementales et cognitives accordent moins d'intérêtdans leurs pratiques à l'environnement qu'à l'individu. A l'in-verse, l'ergonomie est porteuse par conception d'une culturede l'intervention sur les facteurs de risques plutôt que sur lescaractéristiques individuelles.

Pourtant, lorsqu'il est question d'action concrète plutôt quede positions de principe, la contribution respective des indi-

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Nous proposons de forma-liser cette lecture en distin-guant position clinique etposition systémique, cecien vue d'examiner à l'aided'un exemple les moyensd'une complémentarité enpratique

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consortium industriel. Il manifeste "une intense insatisfac-tion dans son travail", ceci sur fond "d'infranchissable bar-rière d'hostilité" (p. 24) de la part tant de ses collègues que deses supérieurs. Il s'agit donc d'une observation parmid'autres de souffrance professionnelle, sur fond de maltrai-tance et susceptible de dégénérer en harcèlement au vu de larépétitivité des agressions subies.

Les informations recueillies par le psychologue de l'entrepri-se auquel s'est adressé cet ingénieur chimiste (nommons-leGianni) indiquent que dès son entrée en fonction, il s'estheurté à l'impossibilité récurrente d'accomplir la tâche qui luia été confiée par le président (à l'origine de son embauche).En effet, il ne parvient jamais à avoir accès aux informationsindispensables à la conduite de son activité.

Il réalise de plus que bien qu'il dépende formellement duprésident, il est de fait sous les ordres du directeur des achatsqui lui, dépend du vice-président. A l'époque de l'embauche,le président s'était refusé à présenter Gianni à son directeurau motif que ce dernier était "un personnage étrange, de fortmauvais caractère, qu'il valait mieux ne pas irriter" (p. 26).

Le directeur concerné ayant en outre été tenu dans l'igno-rance totale de l'embauche de Gianni, pourtant engagé dansson propre secteur de responsabilité, décidera de l'ignorertotalement : non examen des propositions, non réponse auxdemandes d'informations, non réponse aux appels télépho-niques de Gianni, refus de le recevoir.

significations intrinsèques et à interpréter du symptôme.Assez logiquement, la résolution du problème y prend l'allu-re d'une action appropriée, directe ou indirecte, sur le milieu.Il pourra s'agir d'actions sur des données, sur des objets oustructures et pour le cas des atteintes psychologiques, préfé-rentiellement d'actions sur les relations à autrui .

Dans l'absolu, aucune raison épistémologique impérieuse nepermet de décider pour l'une ou l'autre de ces positions. Etsurtout, en termes d'efficacité pour une pratique, encore unefois prévaut une large indétermination, notamment du pointde vue des possibilités d'action sur la psychologie du sujet(clinique) et/ou sur ses modalités relationnelles (systémique).L'interactionnisme envisage par conséquent toute pratiquecomme étant à la fois affaire de contextes et de personnes.Il postule qu'en matière de santé mentale au travail, il y anécessairement prise en compte de cette double détermina-tion psychologique et contextuelle des problèmes autant quedes solutions .

Un exemple pris dans la littérature va permettre d'étayercette proposition.

III- Illustration : un cas de maltraitance au tra-vail

Pour montrer l'intrication de fait entre individu et organisa-tion face aux problèmes rencontrés de harcèlement, de mal-traitance, d'épuisement, de stress, de résignation, autrementdit de violences psychologiques en situation professionnelle,nous nous appuierons sur un cas exposé dans l'ouvrage deSelvini Palazzoli et alii (1984) : "dans les coulisses de l'orga-nisation".

Cet exemple est apparu intéressant tout d'abord de par sonrelatif éloignement temporel, faisant qu'à l'époque les termesde harcèlement, voire de maltraitance au travail, n'étaientguère usités. De même, le contexte culturel et la probléma-tique générale de l'ouvrage sont distanciés du milieu intellec-tuel francophone sur ces questions (et donc en particulier duparadigme psychodynamique). En l'occurrence, l'exempletraité se situe en Italie dans les années quatre-vingt. Lavolonté des auteurs de l'ouvrage est de mettre à l'épreuve,pour le cas des situations de travail, les modèles et méthodessystémiques de l'école de Palo Alto (Wittezaele & Garcia,1992), cadre épistémologique jusqu'alors plutôt réservé à lathérapie individuelle ou familiale.

Il s'agit d'un ingénieur chimiste, responsable de la program-mation des achats de matière première dans un grand

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dans le domaine des risques psychosociaux, à l'évidence lesattitudes réactionnelles aux épreuves subies contribuent biensouvent à aggraver le sort de la personne exposée. C'est, làencore, une application directe d'une situation de causalitécirculaire, tendant à entretenir le problème par les réponsesproduites pour contribuer à le résoudre (Watzlawick et alii,1972, 1975).

Cette particularité justifie aussi que l'action de correctionimplique de prendre en compte les attitudes du sujet, cecisans pour autant considérer une quelconque responsabilitéde celui-ci. Comme l'indique Torrente (op.cit.) pour les situa-tions de harcèlement caractérisées : "Savoir avec quelles res-sources psychiques la victime a pu ou n'a pas pu réagir, ouquelles failles ont été atteintes ne signifie en aucun cas que lavictime a été complice volontairement de sa propre destruc-tion psychique" (p.25) .

Et si la situation vécue par Gianni peut être qualifiée de per-verse, c'est au sens d'une distorsion de la réalité (envoi demessages discordants, fausseté des rapports humains établis,mises en situations paradoxantes) et non à celui d'agisse-ments délétères d'un individu perturbé à l'encontre d'unevictime désignée d'avance . La situation de Gianni ne relèveguère d'actes de cruauté délibérée à son encontre. Elle appa-raît plutôt comme illustrative " de modèles de relation extrê-mement complexes qui sont structurés progressivement ensystèmes conflictuels régulés par des impératifs de défianceprudente afin d'éviter des conflits ouverts " (p. 30) (dansl'exemple, conflits entre présidence et vice-présidence).

Face à la situation bloquée et persistante qu'il rencontre etqui l'épuise, Gianni propose finalement d'abandonner laposition réformatrice des procédés existants qu'il adoptaitjusque-là, afin de contribuer à rétablir un climat tolérable.Informé, le président lui interdit formellement un tel revire-ment, lui rappelant qu'il l'a précisément engagé en vue demoderniser les pratiques d'achats . Au fil du temps, confron-té aux échecs répétés de ses diverses tentatives aussi bienauprès du président que du directeur des achats, " son senti-ment d'impuissance à changer quoi que ce soi dans cettesituation s'accentua au point de le plonger dans l'exaspéra-tion et dans l'angoisse " (p. 27).

Victime d'un très grave accident de voiture, Gianni est arrê-té plusieurs mois. Sans attendre la période probatoire prévuepar le règlement, le président le confirme alors dans sonengagement. Il lui manifeste de plus sa solidarité au point delui promettre la mise à disposition d'un chauffeur personnelà sa sortie de l'hôpital au cas où il serait dans l'incapacité depouvoir conduire.

L'analyse conduite par le groupe de recherche à partir de ce

Parvenu à un tel degré de non communication, Giannidemande l'intervention du président, dans l'espoir de parve-nir enfin à réaliser sa mission. En guise de réponse, le prési-dent lui réitère que le directeur des achats est un hommebizarre, susceptible, qu'il convient de traiter avec beaucoupde diplomatie… et encourage Gianni à poursuivre le "tra-vail" entrepris.

Quelle perception Gianni a-t-il de sa situation ?Vraisemblablement se sent-il victime d'agressions directe-ment dirigées contre sa personne et face auxquelles, à défautd'informations qui lui permettrait d'envisager les chosesautrement, il n'est guère en mesure d'appréhender les motifs.

En réalité, cet exemple comme bien d'autres illustre que l'in-dividu victime de violences psychologiques sur son lieu detravail est moins souvent objet d'une agression qui serait liéeà sa personne en propre qu'à la place, explicite ou implicite,qu'il occupe, ou qu'on lui fait tenir dans l'organisation. Lesauteurs évoquent pour le cas de Gianni, une "position detransit des messages destinés à une ou plusieurs autres per-sonnes : messages qu'on ne peut, ne doit ou ne veut envoyerde manière directe, claire ou explicite" (p. 30). Et comme lenote aussi le groupe d'étude : "le 'patient désigné' /Gianni/apparaît comme un pion du président dans le jeu conflictuelavec son associé /le vice-président/ (un pion complice, dufait de son ambition obstinée)" (p. 29).

On ne peut mieux illustrer l'interaction de fait entre lecontexte opaque dans lequel se trouve Gianni, notammentpar manque d'informations (le contexte réel demeurant toutà fait inavouable par les protagonistes), et ses ambitions per-sonnelles qui contribuent à le rendre plus vulnérable encore.En effet, au plan de ses dispositions professionnelles per-sonnelles, l'analyse du dossier du psychologue apporte leséléments suivants : Gianni montrerait "une motivationincroyablement obstinée à assurer un rôle réformateur,même contre l'avis ou la volonté de ses supérieurs. Cette atti-tude lui avait fait perdre une très belle situation profession-nelle quelques années auparavant. Pourtant, et malgré la dra-matique situation actuelle, il continuait de proposer des plansde modification des dispositions mises en place par le vice-président et ses collaborateurs pour l'approvisionnement enmatières premières, avec pour seul effet une marginalisationtotale, le confinant dans son secteur" (p. 25).

C'est que l'individu n'est jamais "cause" unique de la situa-tion qui se développe à son encontre dans le milieu de tra-vail. Ce constat est d'ailleurs valable pour quelque formed'exposition professionnelle que ce soit, ainsi que Malchaire(2002) le formule très explicitement, en qualifiant les carac-téristiques individuelles de "cofacteurs de risques". Toutefois

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paraît explicitement à ce niveau dans l'ouvrage de SelviniPalazzoli) "L'assistance non substitutive à la pensée" dontparle Davezies (op. cit.) prendrait sa signification, autant queles conditions d'une possible efficacité, dans l'effort d'articu-ler les éléments du contexte (la rivalité entre le président et levice-président) avec les tendances de l'individu en souffran-ce (le désir d'accomplissement professionnel de Gianni).

S'agissant certes d'un exemple, il apparaît nécessairementréducteur. Il apporte toutefois un éclairage quant à la naturedialectique des positions qui s'instaurent et s'entretiennententre un sujet psychologiquement agressé et un contexteprofessionnel agresseur. Au plan pratique, le niveau systé-mique d'appréhension du contexte produit les conditionsfavorables à guider l'interaction clinique entre le profession-nel et son interlocuteur en souffrance.

La quatrième et dernière partie de notre contribution discu-te la nature des interactions individu-organisation en termesde niveaux d'implication professionnelle et d'adhésion orga-nisationnelle du sujet en crise avec son milieu de travail.

IV- Une lecture interactionniste du couplageimplication/adhésion

Dans la perspective interactionniste proposée et dans le pro-longement d'une présentation antérieure du modèle d'inter-vention systémique et stratégique (Favaro, 2004), il convientd'examiner les modalités d'une articulation entre ce dernieret les problématiques portées par la clinique de sujets vic-times de violences organisationnelles.

L'analyse stratégique, branche appliquée de la théorie systé-mique de la communication de l'école de Palo Alto(Watzlawick et alii, 1972), se donne un objectif aussi simpledans son principe que délicat dans sa mise en œuvre : l'arrêtdes tentatives de solutions. La pratique thérapeutique montreque les tentatives des patients sont très diverses. Pour illus-tration, Fisch et alii (1986) exposent les situations couram-ment rencontrées suivantes :

Tenter de se contraindre à faire quelque chose qui ne peutsurvenir que spontanément (ex. vaincre une insomnie),

Tenter de surmonter la crainte d'un événement en le diffé-rant (ex. parler en public),

Tenter de parvenir à un accord dans le conflit (ex. disputeconjugale),

Tenter d'obtenir l'acquiescement par le volontarisme (ex.vouloir que son enfant se comporte spontanément de la

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cas propose de distinguer d'une part, entre niveaux expliciteet implicite des communications entre le président et Gianni,d'autre part, d'éclairer la nature des intentions de chaque pro-tagoniste. La description suivante du système relationneldélétère dans lequel est pris Gianni est proposée (p. 28) :

requête explicite du président à Gianni : moderniser lesmodalités d'achats, "en d'autres termes une demande d'al-liance ouverte pour accroître les bénéfices de l'entreprise",

requête implicite du président à Gianni : exercer un plusgrand contrôle sur la direction des achats par une program-mation qui ne serait plus confiée exclusivement aux respon-sables de ce secteur : "en pratique, il s'agit d'une coalitioncontre ces derniers",

intention du président : "acquérir des instruments decontrôle sur ce secteur de production, qui dépend unique-ment de son associé" (le vice-président),

requête explicite de Gianni au président : être embauchédans une position lui permettant de faire la preuve de sescapacités, autrement dit "une alliance avec le président pourréformer tout un secteur de l'entreprise",

requête implicite de Gianni au président : dépendre exclu-sivement du président et en partager le pouvoir, "en pratiqueune coalition contre le supérieur direct" (le directeur desachats),

intention de Gianni : réaliser enfin ses ambitions nova-trices, régulièrement mises en échec lors de ses expériencesprécédentes.

On voit que l'analyse du groupe montre un haut degré d'in-telligence de la situation rencontrée par le psychologue del'entreprise. Conduit-elle pour autant à une prescription clai-re de ce qu'il conviendrait de faire pour aider Gianni, à l'évi-dence en grande difficulté ? Par exemple, agir "sur l'organi-sation" serait-il bien réaliste, dans la mesure où il serait enpremier lieu question de contribuer à modifier la nature desrelations entre présidence et vice présidence ? Dans un lan-gage actualisé pourrait aussi être évoquée l'urgence d'un coa-ching… Mais s'agit-il vraiment d'action sur le système orga-nisationnel ? Et surtout au plan des possibilités pratiquesconvient-il encore pour pouvoir travailler dans un tel cadrequ'une demande explicite des intéressés soit formulée !

On énoncera plutôt ici que le travail de compréhension ducontexte, passage obligé de toute intervention et partie sys-témique de la démarche, produira dans la meilleure deshypothèses les conditions favorables à la mise en oeuvre dela partie clinique, soit dans l'exemple un travail de soutien àl'adresse de Gianni. Dans cette éventualité (mais rien n'ap-

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Gaulejac, 1991 ; Monteau, 1997 ; Pagès et alii, 1979). Dansbien des cas, l'impact pathogène de l'emprise à laquelle estsoumis le sujet résulte de son exposition à des séries d'in-jonctions paradoxales à répétition.

Toutefois, pour la pratique d'intervention, la difficulté n'estpas seulement dans la compréhension des diverses configu-rations à l'origine des troubles rencontrés. En effet, la finali-té est d'apporter une forme d'assistance aux personnes ensouffrance, assistance qui en outre n'interfère pas négative-ment avec l'implication professionnelle telle qu'elle se donneà voir au moment de l'intervention. Autrement dit, une pra-tique de soutien qui n'aggrave pas, soit une implication pro-fessionnelle maintenue intacte (cas plus théorique que réel),soit un processus de désinvestissement en cours (cas cou-rant), soit à l'inverse un surinvestissement aux allures de fuiteen avant dans le renoncement à penser (observable notam-ment avec les personnels d'encadrement) .

En effet, ces dérives de l'investissement au travail, qu'elless'expriment par excès (source "d'épuisement" (Freudenberg,1974)) ou par défaut (glissement dans la "résignation"(Seligman, in Grosjean, 2005)) peuvent être interprétées dupoint de vue systémique comme autant de tentatives de solu-tions, tentatives qui opèrent par manipulations de la distancesujet-activité-milieu, ou formulé autrement au détrimentd'un équilibre satisfaisant pour l'individu entre implicationprofessionnelle et adhésion organisationnelle.

La notion d'implication professionnelle ne soulève pas dedifficulté majeure de compréhension, renvoyant à desdimensions évidentes d'intérêt, de motivation, de compéten-ce, etc. Par adhésion organisationnelle, nous entendons pourl'essentiel la capacité du sujet à maintenir son identité propre,à rester lui-même dans le temps de sa présence dans et pourl'organisation qui l'emploie. Ceci en régulant la distance rela-tionnelle, voire idéologique à l'égard de son milieu de travail.

Au plan de la pratique, la difficulté provient de ce que adhé-sion et implication se maintiennent dans un rapport com-plexe, évolutif et aux frontières mouvantes, car lieu d'ex-pression des transactions entre contraintes du milieu et dis-positions individuelles. Or, si un degré d'adhésion raison-nable, donc de maintien d'une distance de pensée critique dusujet par rapport à son milieu de travail, apparaît indispen-sable à son bien-être, au risque sinon de glisser soit dansl'aliénation (par défaut de distance), soit dans le cynisme (parexcès de distance), toutefois convient-il de préserver unequalité optimale d'investissement professionnel (ce qui veutdire éviter les dérives vers la "sur-qualité" autant que vers la"sous-qualité"). En effet, outre que l'implication est le plussouvent nécessaire à la bonne réalisation de l'activité, elle est

manière souhaitée),

Confirmer les soupçons de l'accusateur en se défendant(ex. d'avoir une liaison extra conjugale).

Pour contrer toutes ces tentatives et bien d'autres, diversesstratégies thérapeutiques propres au paradigme d'interven-tion des auteurs sont présentées (thérapie stratégique dite"brève"). Transposées dans le domaine de communicationsproblématiques en entreprise, voire franchement patholo-giques, nombre de ces stratégies ou tactiques d'interventionsont mobilisées par divers professionnels de l'interventionqui se reconnaissent dans le paradigme stratégique(Duterme, 2002 ; Gill, 1999 ; Kourilsky, 1999 ; Nardone etWatzlawick, 1990).

Cependant, si toutes les situations de violences organisation-nelles présupposent une forme ou l'autre de communicationdysfonctionnelle, l'inverse n'est pas nécessairement vrai. Eneffet, et cela est heureux, nombre de difficultés communica-tionnelles en milieu de travail n'ont pas de conséquencesaiguës en termes d'atteintes psychologiques des individus.

Par contre, et comme déjà proposé à titre d'hypothèse(Favaro, 2005), les atteintes psychologiques au travail s'ac-compagnent bien souvent d'une symptomatologie plus oumoins prononcée et durable de confusion ou d'empêche-ment de pensée chez les individus exposés en continu à desdysfonctionnements du rapport à leur milieu de travail . Cesaltérations de la capacité de pensée sont à mettre en relationavec une problématique organisationnelle d'emprise sur lesujet, problématique largement documentée (Aubert, De

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nombre d'organisations, à mobiliser l'implication profession-nelle en agissant par divers artifices (rhétoriques et idéolo-giques notamment) sur l'adhésion organisationnelle de leurspersonnels.

En deçà d'une lecture politique et sociale de ce phénomènede "contrôle idéologique" (Monteau, op. cit.), la préventionne doit-elle pas être interpellée dans la mesure où la perte dela distance et donc de l'autonomie de pensée devient facteurde vulnérabilité psychologique de personnels identifiés, sousdes formes concrètes très diverses, aux idéaux organisation-nels (Aubert & De Gaulejac, op.cit.) ? En d'autres termes,l'emprise organisationnelle devient repérable comme un fac-teur de risque psychosocial, ceci en complément d'autres fac-teurs de risques (d'accidents et maladies liés au travail) mieuxconnus.

Ce lien effectué en conclusion entre pratiques d'interventionet actions de prévention dans le domaine des atteintes psy-chologiques au travail est rendu possible par l'intérêt accor-dé à la question du couplage, souvent problématique pourl'individu au travail, entre les deux registres mentionnés del'implication et de l'adhésion. En cela, le point de vue inter-actionniste est aussi directement mobilisé. En effet, les phé-nomènes d'indifférenciation entre ces deux dimensions durapport au travail s'observent aussi bien à l'échelle des per-sonnels alors exposés à diverses souffrances psychologiques(stress, épuisement, maltraitance, résignation) qu'à celle d'or-ganisations en mal d'implication de ces derniers ou à l'inver-se surinvesties à l'excès .

Le professionnel de la prévention, qu'il soit interne ou non àl'entreprise, ne devrait-il pas tirer bénéfice d'une lecturenuancée des situations individuelles autant que collectives -parfois très lourdes - qu'il peut être amené à connaître ? Cecien étant attentif à l'étiologie interactionnelle (entre individuet organisation) des symptômes : phénomènes de circularitésentre "causes" et "conséquences" des atteintes psycholo-giques, effets de renforcement/dégagement induits pardiverses "tentatives de solutions", degrés d'implication pro-fessionnelle et d'adhésion organisationnelle du sujet.

Ainsi le médecin du travail, certes placé au premier plan decette nécessité pratique, mais aussi d'autres acteurs de la pré-vention (préventeurs SST, responsables RH, membres IRP)pourront-ils contribuer, chacun à partir de leur fonction, deleur niveau de compétence et de responsabilité, à la mobili-sation des capacités du sujet par lui-même. En sommecontribuer à ce processus "d'assistance non substitutive à lapensée" qu'évoque Davezies (op. cit.) et dont il précise lesenjeux et exigences autant méthodologiques que de posi-tionnement :

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aussi exigence de tout contrat de travail (relation de subordi-nation).

De sorte qu'il s'agit en pratique d'engager avec le ou les inté-ressés en difficulté une dynamique de soutien en vue de larécupération de la distance perdue (par défaut ou par excès),matrice de toutes les souffrances, ceci sans altérer l'investis-sement. Récupérer la distance perdue en préservant l'inves-tissement, voilà semble-t-il un enjeu d'importance, certesguère accessible pour bien des situations lorsqu'elles s'avè-rent très détériorées au moment ou elles sont connues , maiscependant définissable comme un enjeu-cible de l'interven-tion en santé mentale au travail.

Dans cette conception de la pratique, l'arrêt des tentatives desolutions préconisé par l'analyse stratégique revient à per-mettre ou restaurer l'ouverture d'un espace de pensée cri-tique du rapport que le sujet entretient avec son milieu pro-fessionnel. Dans la meilleure des hypothèses, une telle"reprise du cours de la pensée" (Gaignard, op. cit.) ne devraittoutefois pas s'opérer au détriment de l'intérêt professionnel,sinon à prendre le risque d'un déplacement plutôt que d'unerémission de la souffrance.

Conclusion : une compétence d'interventionqui fait retour sur la prévention

La tradition francophone d'ergonomie constitue un apportmajeur pour la prévention des risques en entreprise, que cesderniers concernent la sécurité, la santé physiologique ou lasanté mentale. En vue de concevoir des solutions de préven-tion, l'ergonomie de l'activité incite en particulier à dépasserles seules lectures technico-réglementaires, pour atteindre leréel du travail et par conséquent des expositions.L'émergence d'une "clinique de l'activité" prolonge cetapport en incitant à explorer aussi bien "les activités suspen-dues, contrariées ou empêchées, voire les contre-activités"(Clot, 2001, p. 38). Face aux difficultés d'investigation etd'action sur les risques, il s'agit en somme d'introduire et delégitimer une préoccupation pour un sur-réel de l'activité,façon de prendre en compte le négatif dans le rapport autravail.

Mais il convient aussi de faire mention de cette autre tradi-tion intellectuelle francophone remarquable : l'examen cri-tique des processus d'emprise organisationnelle sur les indi-vidus. De nombreux travaux consacrés à ces questions décri-vent et illustrent une variété de mécanismes d'influencevisant, ainsi que le résume Monteau (op. cit.), à "faire vou-loir" . Pour la prévention, l'intérêt nous paraît de voir commetrait commun à ces différentes analyses la tendance pour

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33La question du négatif (autrement dit la prise en compte de l'impensé, de l'inélabo-ré, de l'inachevé, de l'irreprésenté dans l'action et la pensée) est un thème d'investiga-tion déjà ancien de la psychanalyse. Pour une présentation d'ensemble, cf. l'ouvragecollectif (auquel nous avions contribué) sous la direction de Gagnebin et Guillaumin(1988).

34Trois contributions importantes sur la question de l'emprise organisationnnelle :Pagès et alii (1979), Aubert & De Gaulejac (1991), Enriquez (1997). Pour un abord plusculturel et social qu'entrepreneurial, cf. Ehrenberg (2000).

35Et vraisemblablement à plus long terme facteur de fragilisation des organisationselles-mêmes, l'uniformisation des comportements et pensées induisant mécanique-ment une stéréotypie guère propice à l'innovation et au renouvellement des idées etpratiques professionnelles.

35Selon les structures organisationnelles en cause, au sens de Mintzberg (1990) : méca-nistes, divisionnalisées, professionnelles, innovatrices, missionnaires ; ou d'Enriquez(1997) : charismatique, bureaucratique, coopérative, technocratique.

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MMaarrcc FFAAVAARROO Dr. Psychologie

INRS Département Homme au Travail

Laboratoire Gestion de la Sécurité

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CONSEIL EN ANALYSE DU TRAVAILETUDES ET INNOVATION SOCIAL

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