les incorruptibles apprentissage de la lecture, initiation...

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les incorruptibles Entretien avec Étienne Pflimlin Apprentissage de la lecture, initiation à la citoyenneté Étienne Pflimlin : Les actions de mécénat du Crédit Mutuel sont très décentralisées ; la Fondation n’est en quelque sorte que la partie émergée de l’iceberg. En vertu de cette décen- tralisation, les Fédérations régionales aident à la réalisation de projets dans des domaines très divers tels que la santé, la culture, la recherche… Lorsque la décision de créer cette Fondation a été prise, nous nous sommes posés la question de savoir quels thèmes seraient mis en avant. Le thème de la lecture s’inscrivait dans une certaine logique par rapport aux valeurs défen- dues par le Crédit Mutuel, des valeurs à la fois individuelles et collectives qui touchent à la volonté de créer des outils de promotion et de lutte contre les exclusions. Nous sommes très attachés à cette combinaison associant respon- sabilité et solidarité, car les gens qui se sentent responsables sont plus à même de s’engager en faveur de leur prochain. De plus, nous sommes attentifs à la notion de partenariat entre structures privées et publiques pour des raisons d’efficacité. Le thème de la lecture s’est avéré répondre à une attente forte. PAGE : Précisément, qu’est-ce qui pré- side au choix du pôle Lecture de la Fon- dation du Crédit Mutuel de soutenir telle ou telle initiative (nationale, régionale ou locale) ? Comment s’opère ce choix, selon quels critères ? É. P. : L’un des problèmes rencontrés par la Fondation consiste à procéder à une sélection drastique, souvent diffi- cile, parmi la foule de projets qui nous sont adressés. Les critères sont nombreux. Les choix s’opèrent d’abord en fonction de l’attention que portent ces projets à la transmission du désir de lecture, à son apprentissage. Ils s’attachent aussi à valoriser les actions menées en partenariat avec d’autres structures et facilitant les passerelles avec des enseignants, des bibliothécaires, des bénévoles, des auteurs, des libraires… autour de projets dont l’enracine- ment local est puissant. Cette conju- gaison d’acteurs différents crée un effet levier, une dynamique positive et stimulante. Il faut naturellement aussi que ces projets puissent s’insérer dans l’un des trois axes du pôle Lecture : « Lire la ville », « Prévenir l’illettrisme » et « La voix des lettres » et que les initiatives correspondent à des besoins identifiés sur le territoire concerné. Nous sommes également attentifs à la manière dont le projet envisage de répondre aux difficultés qui ont été recensées, au type de réponses ima- ginées, au public auquel il s’adresse. Ajoutons à cela deux derniers cri- tères : un critère de durée même si, théoriquement, nous ne soutenons pas des projets plus de trois ans et un critère lié à l’entreprise car toute action doit aussi être cofinancée par une structure du Crédit Mutuel, qu’il s’agisse d’une Caisse locale ou d’une Fédération régionale. P. : Au-delà de l’importance essentielle de savoir lire et écrire, la Fondation manifeste un attachement particulier à former des citoyens responsables, engagés dans la vie de la cité. Com- ment la lutte contre l’illettrisme et la formation de citoyens dignes de ce nom s’articulent-elles ? Par quels moyens faites-vous en sorte de rem- plir cette double mission ? Depuis vingt ans, la Fondation du Crédit Mutuel œuvre pour com- battre l’illettrisme et promouvoir la lecture. Mais cette double lutte se conjugue à une mission civique qui n’est pas étrangère aux principes régissant le Crédit Mutuel : il s’agit de faire en sorte que la lecture soit d’abord un instrument d’éveil à la citoyenneté. Étienne Pflimlin, président de la Fondation, revient sur cette vocation. Propos recueillis par Patrick de Sinety © Crédit Mutuel 110 | AVRIL-MAI 2012 | PAGE

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les incorruptibles

Entretien avec Étienne Pflimlin

Apprentissage de la lecture, initiation à la citoyenneté

Étienne Pflimlin : Les actions de mécénat du Crédit Mutuel sont très décentralisées ; la Fondation n’est en quelque sorte que la partie émergée de l’iceberg. En vertu de cette décen-tralisation, les Fédérations régionales aident à la réalisation de projets dans des domaines très divers tels que la santé, la culture, la recherche… Lorsque la décision de créer cette Fondation a été prise, nous nous sommes posés la question de savoir quels thèmes seraient mis en avant. Le thème de la lecture s’inscrivait dans une certaine logique par rapport aux valeurs défen-dues par le Crédit Mutuel, des valeurs à la fois individuelles et collectives qui touchent à la volonté de créer des outils de promotion et de lutte contre les exclusions. Nous sommes très attachés à cette combinaison associant respon-sabilité et solidarité, car les gens qui se sentent responsables sont plus à même de s’engager en faveur de leur prochain. De plus, nous sommes attentifs à la notion de partenariat entre structures privées et publiques pour des raisons d’efficacité. Le thème de la lecture s’est avéré répondre à une attente forte.

PAGE : Précisément, qu’est-ce qui pré-side au choix du pôle Lecture de la Fon-dation du Crédit Mutuel de soutenir telle ou telle initiative (nationale, régionale ou locale) ? Comment s’opère ce choix, selon quels critères ?É. P. : L’un des problèmes rencontrés par la Fondation consiste à procéder à une sélection drastique, souvent diffi-cile, parmi la foule de projets qui nous sont adressés.

Les critères sont nombreux. Les choix s’opèrent d’abord en fonction de l’attention que portent ces projets à la transmission du désir de lecture, à son apprentissage. Ils s’attachent aussi à valoriser les actions menées en partenariat avec d’autres structures et facilitant les passerelles avec des enseignants, des bibliothécaires, des bénévoles, des auteurs, des libraires… autour de projets dont l’enracine-ment local est puissant. Cette conju-gaison d’acteurs différents crée un effet levier, une dynamique positive et stimulante.

Il faut naturellement aussi que ces projets puissent s’insérer dans l’un des trois axes du pôle Lecture : « Lire la

ville », « Prévenir l’illettrisme » et « La voix des lettres » et que les initiatives correspondent à des besoins identifiés sur le territoire concerné.

Nous sommes également attentifs à la manière dont le projet envisage de répondre aux difficultés qui ont été recensées, au type de réponses ima-ginées, au public auquel il s’adresse. Ajoutons à cela deux derniers cri-tères : un critère de durée même si, théoriquement, nous ne soutenons pas des projets plus de trois ans et un critère lié à l’entreprise car toute action doit aussi être cofinancée par une structure du Crédit Mutuel, qu’il s’agisse d’une Caisse locale ou d’une Fédération régionale.

P. : Au-delà de l’importance essentielle de savoir lire et écrire, la Fondation manifeste un attachement particulier à former des citoyens responsables, engagés dans la vie de la cité. Com-ment la lutte contre l’illettrisme et la formation de citoyens dignes de ce nom s’articulent-elles ? Par quels moyens faites-vous en sorte de rem-plir cette double mission ?

Depuis vingt ans, la Fondation du Crédit Mutuel œuvre pour com-battre l’illettrisme et promouvoir la lecture. Mais cette double lutte se conjugue à une mission civique qui n’est pas étrangère aux principes régissant le Crédit Mutuel : il s’agit de faire en sorte que la lecture soit d’abord un instrument d’éveil à la citoyenneté. Étienne Pflimlin, président de la Fondation, revient sur cette vocation.

Propos recueillis par Patrick de Sinety

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rédit

Mut

uel

110 | AVRIL-MAI 2012 | PAGE

les incorruptibles

Née en 2009 et placée sous l’égide de la Fondation de France, la Fondation du Crédit Mutuel regroupe les activités nationales de mécénat du Crédit Mutuel. Elle intervient dans les domaines de la solidarité et de l’intérêt général et s’articule autour de trois axes.Le Centre International du Crédit Mutuel (CICM), dont l’objet est de favoriser la création et la pérennisation de réseaux mutualistes d’épargne et de crédit pour contribuer à l’indépendance financière des populations dans les pays émergents. Le pôle Recherche et Action solidaire, à la fois actif dans le soutien à la recherche et dans la mise en place d’actions de solidarité en France. Le pôle Lecture, dont l’objet est la promotion de la lecture et de la langue française sous toutes ses formes.La Fondation du Crédit Mutuel a par ailleurs mis en place, après le séisme de 2010, un important programme de solidarité : Ensemble, reconstruisons Haïti.Président : Étienne Pflimlin

Délégué général : Frédéric Monot

88-90, rue Cardinet 75847 Paris cedex 17

Téléphon : 01 44 01 11 97

http://fondation.creditmutuel.com

É. P. : Sortir de l’exclusion, accéder à la liberté, réussir, passent forcément par la maîtrise de la lecture, du calcul, de l’écriture. Si ces connaissances de base font défaut, il manque un socle essentiel à la constitution d’un citoyen responsable. Il me semble que la lutte contre l’illettrisme se fourvoie trop souvent à tenter de corriger les défauts immédiats, au lieu de mener un tra-vail en profondeur sur les origines du problème. Or, quand on voit le nombre de jeunes qui sortent du système sco-laire sans savoir lire ni compter, on est obligé de constater que les racines du problème perdurent et se développent. Partant de ce constat, le Crédit Mutuel considère la lecture comme une ini-tiation fondamentale à la citoyenneté. L’acte de lire est un moyen d’accéder à la liberté, à l’acquisition d’outils pour forger des relations sociales, un moyen de s’ouvrir aux autres… Et nous défen-dons les programmes qui partagent cette conception, dont le but consiste à former de futurs lecteurs qui soient aussi de futurs citoyens. Cela est si vrai que la lutte contre l’illettrisme regroupe 50 % de nos actions – pour un tiers de notre budget – et concerne environ 200 000 enfants et leur famille. « Lire la ville » poursuit des objectifs similaires, mais en empruntant d’autres voies, celles de l’appropriation de son environ-nement quotidien, de son histoire, de l’architecture, des paysages... Maîtriser, déchiffrer les codes dont se compose le cadre au sein duquel on vit est une autre manière de se comporter en citoyen. Je pense notamment à des programmes « Lire la ville » portant sur les noms de rue, sur les monuments, sur les plaques commémoratives. Connaître l’histoire des personnages auxquels se réfèrent ces noms de rue, de plaque, c’est une façon de tisser des récits en les inscri-vant dans une trame plus vaste, celle de la ville (ou de la campagne), d’éta-blir des connexions entre les lieux, des ponts entre les quartiers…

P. : Qu’est-ce qu’un citoyen responsable à vos yeux ?É. P. : Un citoyen qui s’engage, quels que soient le lieu, les méthodes, les raisons. S’engager suppose d’être conduit par une volonté et pour moi, cette volonté est liée à une identité. Quelqu’un qui ne se sentirait appar-

tenir à aucune communauté mènerait son chemin en solitaire et n’éprouve-rait aucune envie de s’engager. Pour qui s’engagerait celui qui n’a de lien avec personne, qui ne se sent solidaire de personne ? S’engager, participer à la vie de la cité suppose la maîtrise d’un certain nombre d’instruments, au pre-mier rang desquels la lecture – d’où découlent tous les autres.

P. : … La lecture qui permet de se forger une identité, de savoir qui l’on est…É. P. : Je parlais de « volonté » pour ne pas employer le terme d’identité, contro-versé depuis l’émergence du débat sur l’identité nationale. Quoi qu’il en soit, la force d’une structure comme le Crédit Mutuel repose justement sur la person-nalité des hommes et des femmes qui y travaillent, sur ce que toutes ces singula-rités apportent à l’entreprise.

P. : Comment sensibilisez-vous les populations qui sont les plus suscep-tibles d’être concernées par vos ini-tiatives et qui sont souvent en même temps les plus marginalisées, les plus éloignées de l’accès à l’information, quelle qu’elle soit ?É. P. : Les principaux relais, ce sont les gens avec lesquels nous travaillons, les associations locales, les enseignants… et puis notre réseau de correspondants qui sont eux-mêmes amenés à suivre et à promouvoir les projets, à nouer des contacts sur le terrain.

P. : Les pouvoirs publics locaux s’im-pliquent-ils dans vos initiatives, les sollicitez-vous ?É. P. : En général, ils font partie des acteurs qui s’investissent collectivement dans un projet. C’est particulièrement vrai pour « Lire la ville ». Le projet suppose l’implication des administrations locales. Les établissements ne peuvent d’ailleurs mettre en branle un tel programme sans le feu vert préalable de leur hiérarchie. « Lire la ville » est parti de cette idée que la maîtrise de son environnement natu-rel (urbain et rural) passe par une initia-tion. Il est très frappant de voir combien l’adhésion des jeunes à ce programme est forte, combien aussi est intense et diverse l’activité créatrice qu’il suscite. Les jeunes s’approprient un lieu comme ils le font avec une histoire et des person-nages dans un livre, puis le réinterprètent par le truchement de dessins, de photos, de textes, de maquettes, de vidéos…

P. : De quels horizons les membres du comité consultatif (qui étudie les projets, soutient les initiatives) viennent-ils ?É. P. : Ce sont d’une part des présidents de Fédérations régionales du Crédit Mutuel, dont certains sont d’ailleurs enseignants et universitaires ; de l’autre, des personnalités qualifiées, éditeurs, auteurs… S’ajoute bien sûr le représen-tant de la Fondation de France, qui abrite le pôle Lecture. Le comité consultatif est une structure légère, très souple, qui se réunit deux ou trois fois par an afin de statuer sur les projets et de décider les-quels financer. •

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