les histoires de demain | saison 4 régulation et supervision : … · 2019-07-30 · les banques...

52
LES HISTOIRES DE DEMAIN | SAISON 4 Régulation et supervision : quelle stratégie pour l’Europe financière ? Livre blanc C RSF C ERCLE DE LA RÉGULATION ET DE LA SUPERVISION FINANCIÈRE En collaboration avec le

Upload: others

Post on 23-May-2020

3 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

LES HISTOIRES DE DEMAIN | SAISON 4

Régulation et supervision : quelle stratégie pour l’Europe financière ?

Livre blanc

CRSFCERCLE DE LA RÉGULATION ET

DE LA SUPERVISION FINANCIÈRE

En collaboration avec le

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 2

Avant-propos

Le renouvellement en cours de la quasi-intégralité des postes de com-mandement du système de régula-tion et de supervision européen, le Brexit et les élections européennes constituent d’excellentes raisons pour reposer deux questions :

L’Europe s’est-elle donnée après la crise les moyens de juguler les conséquences de nouvelles secousses financières éventuelles ?

L’Europe de la régulation et de la supervision a-t-elle pris conscience qu’elle est un acteur majeur de la guerre économique globale qui concerne au plus haut degré l’industrie financière.

La réponse à la première question est largement positive. L’Union Bancaire Européenne existe et ses trois piliers, le MSU, le MRU et les fonds de garantie des dépôts nationaux fonctionnent, mais à quel prix ?

Le CRSF, qui a vocation pour réfléchir sur les objectifs, les acteurs, le fonctionnement et les impacts de la régulation et de la supervision financière, dresse depuis plus d’un an un inventaire des défauts résiduels de l’union monétaire et des conséquences de son fonctionnement qui apparaît en-tropique pour beaucoup d’observateurs. Au-delà du coût de fonctionnement central des trois piliers dont personne ne parle, il faut bien admettre que la charge en termes de repor-ting, transfert de données, stress tests, revue des modèles qui avaient pourtant été validés par les superviseurs nationaux asphyxie les établissements financiers européens.

TNP, membre du CRSF, a interrogé les établissements finan-ciers (banquiers et assureurs) pour la quatrième année et une nouvelle fois, un consensus sur le manque de coordination entre régulateurs et entre superviseurs ressort de ce baro-mètre. Près de la moitié des budgets d’investissement des banques et maintenant des assureurs sont consacrés à la mise en conformité.

C’est à ce prix que l’union bancaire européenne s’est consti-tuée et il est légitime de se demander s’il ne serait pas temps d’évaluer les conséquences sur l’industrie financière européenne de cette surcharge administrative.

Danielle Nouy, Présidente du comité de Surveillance du MSU (Mécanisme de Supervision Unique), dans une entrevue avec la Revue Banque de janvier 2019, dresse le bilan de son action et le cahier des charges de son successeur. Force est de constater que son niveau d’empathie avec l’industrie financière euro-péenne est faible.

« Mais il y a plus grave » : la réponse à la deuxième question est largement négative. Pas de trace de réflexions des autorités européennes sur la nécessaire création de champions eu-ropéens dans l’intermédiation financière, l’animation de mar-chés financiers ou l’assurance. Pas d’instance européenne chargée de dresser un état des lieux de ces industries et de fixer une ambition pour l’Europe pour contrer une érosion maintenant avérée de ses parts de marché. Aucune réponse à l’extra territorialité imposée par les États-Unis. Une gestion désordonnée des conséquences du Brexit qui fait place à une exacerbation des ambitions nationales au sein de la zone euro.

Il faut dire que malheureusement nous n’avons pas connais-sance d’un début de réaction des principaux leaders européens de l’industrie financière. Tout se passe comme si ces derniers laissaient passer l’orage de la régulation en espérant survivre aux agressions du régulateur-superviseur américain, des fintechs et de leurs concurrents internationaux. Tout laisse à penser qu’ils baissent même les bras face aux injonctions contradictoires de la régulation européenne ou plutôt de sa fragmentation résiduelle. Jean-Laurent BONNAFÉ a ré-cemment déclaré qu’il n’y avait pas de bilan de rentabilité positive pour une consolidation bancaire en Europe. À titre d’illustration, on ne peut que constater trois ans après la mise en application du MRU que les états et les autorités de supervision nationales au sein de la zone Euro continuent de restreindre la liberté de mouvement cross-border de la liquidité intra-groupe. En cela, ils jettent un doute sur le MRU, réintroduisent ainsi subrepticement le « Public Risk Sharing » à un niveau national et gênent considérablement la consolidation du secteur financier au niveau européen.

Le CRSF et TNP ont décidé dans la mesure de leurs moyens de lancer un grand débat sur la nécessité de définir une stratégie européenne de la régulation et de la supervision associant les principaux leaders de l’industrie financière.

Guillaume CAZAURAN, partner TNP

Les Histoires de DemainTNP organise chaque année depuis 2015 l’un des événements clients phares du cabinet,

« Les Histoires de Demain ». Cet événement biannuel s’articule autour de deux thématiques, la transformation digitale et la régulation financière. Il donne lieu à un livre blanc

qui rassemble des points de vue d’experts.

Introduction Frédéric PICHARD,TNP ...5 Les défis de l’Europe financière

Résultats de l’enquête TNP & CRSF Banque, Assurance ...9

Paroles d’experts (membres du CRSF)

Bernard POUY, président, CRSF ...17 L’Europe doit-elle être fière de sa régulation bancaire ?

Michel BILGER, responsable régulation et supervision, Crédit Agricole ...19 Une régulation et une supervision intelligentes

Edouard-François de LENCQUESAING, président, EIFR ...21 Réconcilier régulation et stratégie : pourquoi, comment ?

Florence BONNET, directrice, TNP ...25 GDPR : premiers retours d’expériences, sans concession, après 12 mois d’application

Florian MARSAUD, CRSF ...29 Non performing loans

Gérald VOITOT, partner, TNP Rafaël MASSIANI, manager, TNP ...33 Renforcer la culture du contrôle permanent, de la gouvernance à l’exécution

Marc IRUBETAGOYENA, head of group stress testing and financial synthesis, BNP Paribas Mickael PLANCHET, fondateur de Anjou Financial Regulation Consulting ...35 Edouard-François de LENCQUESAING, président, EIFR La régulation financière pèse sur la rentabilité des institutions financières et fait évoluer leurs modèles d’activité

Anne-Marie JOLYS BRIS, senior manager, TNP ...37 Quand la réglementation comptable devient un frein au développement de l’Europe

Carole DELORME d’ARMAILLÉ, directeur général, OCBF Stéphane LE BLÉVEC, head of Group Prudential Affairs, Rothschild & co ...39 La prise en compte des principes de diversité et de proportionnalité dans la régulation

Edouard GRIDEL, ex-senior banker corporates, HSBC Pierre-Henri CASSOU, président, PHC Conseil SAS Maxime DRUAIS, ingénieur financier, Natixis Assurances Christophe IZART, deputy CEO of BPCE Vie & Prévoyance, Natixis Assurances ...44 Les investissements liés à l’environnement, au green et au climat

TNP en bref L’offre TNP pour les secteurs banque & assurance ...49

Sommaire

Saison 4 | Les Histoires de demain par

Les défis économiques de l’EuropeLe 14 juin 2018, à l’issue du Conseil des gouverneurs, Mario Draghi, président de la BCE, a délivré un message implicite aux gouvernements de la zone euro : « Vous ne pourrez pas toujours compter sur nous. » La BCE a signifié aux membres de la zone euro qu’ils devaient prendre leur destin en main et accélérer les réformes structurelles s’ils veulent continuer de progresser ensemble. Elle leur a donné du temps pour se réformer mais sa patience a des limites.

Il n’existe pas de puissance économique sans puissance financière. Défendre la souveraineté économique et finan-cière de l’Europe est crucial pour le soutien de sa croissance et la préservation de ses valeurs. Défendre les intérêts stra-tégiques de l’Europe signifie avoir un système financier fort, qui accompagne ses entreprises avec un accès au capital et à la dette. C’est la raison pour laquelle le renforcement de l’Europe doit être notre priorité. Et pourtant…

Le 10 septembre 2018, Heiko Maas, ministre des Affaires étrangères allemand, appelait à créer un système de paiement mondial alternatif au dollar. C’est en effet de cette manière que l’Europe cessera d’être la variable d’ajustement de l’ex-traterritorialité américaine et du « sharp power » chinois. Or, cet appel n’a suscité aucune réaction.

Pourquoi l’Europe doit-elle sortir de son coma stratégique, en particulier dans le domaine financier ?

La réaction à la crise de 2008 La réponse au cataclysme financier de 2008 a été rapide et exemplaire. Les erreurs des années 1930 – indifférence et laisser-faire – n’ont pas été répétées. La crise de 2008 a déclenché une réaction sans précédent des autorités mo-nétaires avec les plans d’intervention massifs des grandes banques centrales. Mais aussi des dirigeants politiques avec une coopération internationale au sein du G20 jamais vue. Cette réaction collective a permis au monde économique de surmonter la Grande Récession et, surtout, d’éviter la Grande Dépression.

Les banques centrales ont eu raison de refuser la déflation. Les réformes dans le secteur financier ont été importantes. Les banques ont été recapitalisées. Les règles de liquidité ont été renforcées. Les titrisations sont redevenues plus raisonnables. En Europe, les régulateurs de chaque pays ont accepté un transfert de pouvoir auprès de la BCE et les 119 plus grandes banques de la zone euro sont désormais supervisées depuis Francfort.

Cependant, le bazooka monétaire déployé par la BCE pour contrer les effets de la crise a encouragé l’endettement et les prises de risques excessives. Il serait audacieux d’affirmer que le système est stabilisé.

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 5

Les défis de l’Europe financièreFrédéric PICHARD, TNP

Introduction

Introduction

Les conséquences de la crise de 2008

Le 20 septembre 2018, Jean-Claude Trichet, ancien gouver-neur de la BCE, alertait : « Nous n’avons pas tiré toutes les conséquences de la crise de 2008. La dette mondiale aug-mente au même rythme qu’auparavant. La situation financière actuelle est aussi dangereuse qu’au moment de la chute de Lehman Brothers. »

En effet, des entreprises, des banques, des États ne doivent leur survie qu’aux taux d’intérêt très bas. Aucune solution sé-rieuse n’a été mise en place après la crise de 2008, excepté un report des échéances par des dettes toujours plus élevées. Ce n’est plus la guerre que nous finançons mais l’immobilisme. En outre, les banques centrales semblent victimes de leurs contradictions. Elles ne peuvent pas laisser leurs taux trop bas au risque d’encourager l’endettement, ni les augmenter au risque de conduire les emprunteurs à la faillite.

Le défi consiste désormais à sortir de la dépendance monétaire, ce qui signifie que les investisseurs doivent réapprendre à donner un prix au temps et au risque.

Le défi de la rentabilité des établissements financiers européens

Le 10 juin 2018, Jacques de Larosière, ancien directeur général du FMI, déclarait : « La présence de banques solides, rentables et influentes a toujours été un gage de prospérité. » Or, l’Europe préfère parfois entraver l’activité bancaire par des normes ex-cessives.

Si l’Europe veut avoir une idée précise de sa perte d’influence économique, la hiérarchie des capitalisations boursières dans le monde illustre le déclassement de ses établissements financiers. Parmi les dix premiers établissements mondiaux figurent cinq banques chinoises et quatre banques améri-caines. Parmi les quinze premières capitalisations bancaires mondiales, il n’y a plus qu’une seule banque européenne – HSBC – contre neuf en 2008.

Aux États-Unis, le secteur financier a été restructuré après la crise de 2008 à force de liquidations et de consolidations. Les banques américaines se sont alors attaquées au marché européen. Entre 2008 et 2018, la part de marché des banques d’investissement américaines en Europe est passée de 30,8 % à 37,8 %. Celle des banques européennes a reculé de 61,7 à 55,3 %.

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 6

En Europe, le secteur financier demeure morcelé avec plus de 5 000 banques dans la zone euro. Le durcissement de la réglementation a éloigné les banques de certaines activités rémunératrices, notamment dans les métiers de marché. La faiblesse des taux d’intérêt a laminé leurs marges. Et les bilans bancaires comptent encore 600  milliards  d’euros de créances douteuses.

Fin 2017, la rentabilité des capitaux propres des banques eu-ropéennes plafonnait à 6 % en moyenne contre près de 10 % pour les banques américaines.

Le défi de la consolidation des banques européennes

Le 12 septembre 2018, Danièle Nouy, ex-présidente du Conseil de surveillance prudentiel de la BCE, déclarait : « L’Europe a besoin de champions européens qui soient des acteurs glo-baux, capables de servir les besoins des grandes entreprises européennes et de concurrencer les autres acteurs financiers au niveau mondial. »

Un certain nombre de banques européennes ne gagnent pas le coût de leur capital. Cette situation n’est pas tenable. Les banques doivent dégager suffisamment de bénéfices pour générer du capital en interne ou aller chercher le capital sur les marchés quand elles en ont besoin, ce qui implique de ver-ser un dividende suffisant aux investisseurs.

L’amélioration de la rentabilité de l’industrie financière euro-péenne passe par des consolidations transfrontalières afin de constituer des leaders capables de rivaliser avec les banques américaines. Les banques ont besoin de bénéficier de sy-nergies dans la gestion de leurs fonds propres et de leurs liquidités. Or, l’impossibilité de déplacer les liquidités ou le capital d’un pays de l’Union vers un autre est une entrave à la consolidation.

L’obstacle majeur pour constituer des champions européens tient au contexte réglementaire qui, malgré l’Union bancaire, reste fragmenté en Europe.

Le défi de la réglementation européenne

Le 21 décembre 2018, Lorenzo Bini Smaghi, président du conseil d’administration de Société Générale, déclarait : « Les banques européennes sont désavantagées par le cadre réglementaire par rapport aux banques américaines… qui bénéficient en outre

d’un marché plus grand et plus concentré. » Le premier enjeu concerne l’harmonisation de la réglementation entre les pays membres. Le mécanisme de surveillance unique (MSU), qui supervise les banques de la zone euro avec 19 cadres juridiques différents, illustre la fragmentation du cadre législa-tif. Nous devons éviter que trop de réglementations tue la ré-glementation, soit par un contournement de celle-ci, soit par un étouffement de certaines activités vitales comme le financement des PME.

Le deuxième enjeu concerne le « shadow banking ». Le ren-forcement de la régulation a conduit les banques à transférer certaines activités devenues trop coûteuses vers des acteurs qui ne sont pas soumis à la réglementation bancaire. Or, la hausse des taux d’intérêt, d’une part, les connexions entre les banques et la finance non bancaire, d’autre part, sont suscep-tibles de propager une crise vers la finance traditionnelle.

La complexité de la réglementation financière européenne dépasse l’entendement.

Le défi de l’abus de droit des États-Unis

Le 8 mai 2018, le président américain Donald Trump annon-çait le retrait des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien signé en 2015. L’extraterritorialité du droit américain consti-tue une arme financière redoutable à laquelle l’Europe n’a pas réussi à s’opposer. Les Etats-Unis imposent leurs règles par-tout où ils le souhaitent dans le monde. Ils utilisent le dollar et un régime de sanctions pour frapper les entreprises étran-gères ayant fait des affaires dans des pays sanctionnés par Washington.

Sur les quinze plus grosses pénalités infligées par les Etats-Unis pour violation d’embargo, quatorze concernent des entreprises européennes. Entre 2007 et 2017, les banques ont versé au to-tal 345 milliards de dollars au titre des amendes et transactions judiciaires. Les Etats-Unis se sont arrogé plus de 300 milliards alors que l’Europe n’a récupéré que 22 milliards.

En 2016, une mission d’information de l’Assemblée Nationale stigmatisait la surreprésentation des entreprises européennes dans les dossiers relatifs à l’application de certaines lois américaines.

Introduction

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 7

Introduction

Le défi du financement de la transition énergétique

Malgré toutes les promesses, l’Accord de Paris du 12 décembre 2015 n’est appliqué ni par les États ni par les entreprises. Or, sans réaction, le changement climatique pourrait coûter au moins 5 % du PIB chaque année.

Le 26 novembre 2018, lors de la conférence « Climate Finance Day », 28 groupes bancaires et compagnies d’assurance se sont engagés à adhérer à des principes de responsabilité dans le cadre d’une initiative baptisée « Principes pour une banque responsable ». La filiale d’assurance de Natixis a annoncé le projet de réaliser chaque année 10 % de ses investissements dans des actifs « verts ».

Les régulateurs de Bâle auraient tout intérêt à encourager le secteur financier en allégeant les normes prudentielles sur les placements « verts ». Et les États en réduisant la fiscalité sur ce type d’investissements.

Comment organiser le sursaut de l’Europe et mettre en œuvre une vraie stratégie financière ? Les Européens doivent d’abord sortir de leur déni car l’Europe est particulièrement menacée par la compétition géopoli-tique mondiale.

D’un côté, les États-Unis, par leur repli isolationniste et protectionniste, renoncent à être une puissance globale et à réassurer la stabilité du système international. L’affaisse-ment du leadership américain affaiblit et divise l’Occident. De l’autre côté, la Chine poursuit méthodiquement son objec-tif visant à imposer sa conquête mondiale à l’horizon 2049 à

travers le contrôle des infrastructures vitales de la mondiali-sation et sa nouvelle route de la soie

Entre ces deux géants, l’Europe s’égare dans l’illusion d’une paix perpétuelle alors qu’elle est cernée par les crises. Elle feint d’ignorer que les Etats-Unis et la Chine ont pris pour cible ses forces économiques et ont entrepris sa colonisation numérique, avec un double objectif de contrôle des données et de contrôle des paiements.

Pourtant, le potentiel de l’Europe est considérable. Pour conserver la maîtrise de notre destin et pour exister entre les deux puissances qui se livrent à un gigantesque combat pour un nouveau partage du monde, nous avons besoin d’une Eu-rope forte.

La souveraineté de l’Europe doit se concrétiser par un budget fédéral, une harmonisation des réglementations financières, des règles du marché du travail, des systèmes sociaux… L’Eu-rope doit rechercher une plus forte internationalisation de l’euro pour éviter les règles d’extraterritorialité imposées par les États-Unis.

La puissance financière et industrielle est une des clefs de l’autonomie stratégique. Si l’Europe ne devient pas une puis-sance raisonnable, avec une autonomie stratégique, elle restera vulnérable et dépendante.

Contacter Frédéric PICHARD : [email protected]

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 8

Résultats de l’enquête TNP & CRSF

TNP et le CRSF ont réalisé une enquête relative à la réglementation financière d’octobre à décembre 2018 auprès de professionnels

des secteurs de la banque et de l’assurance.

Assurance

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 10

Résultats de l’enquête TNP & CRSF

Quelle est votre perception de l’impact des réglementations dans les domaines suivants ?

Par rapport aux précédents baromètres, il est à noter que la protection et la connaissance client devient un sujet majeur comme les autres domaines listés.

Quel est, selon vous, le niveau de cohérence des réglementations, recommandations et normes actuelles ?

Même si la perception de la cohérence de la régulation s’amé-liore pour les banquiers, ces derniers restent moyennement convaincus. Les assureurs ont une vision plus positive de la cohérence des textes que celle des banquiers.

Fort Assez fort Faible

Fort Assez fort Faible

Banque

2018

16 %

51 %

201743 %

51 %

6%

32 %

Pilier 3 : Prudentiel et reporting (Finrep, FATCA, Anacredit,

Corep, ratios de liquidité)

Infrastructures de marché (EMIR, T2S, MAD/MAR,

MiFID2...)

Protection et connaissance client (LAB/FT, MiFID, RGPD)

Pilier 1 : Capital & Liquidité (Bâle 3, FRTB, TLAC, benchmark

RWA, MREL, ...)

Changements structurels (loi de séparation bancaire,

Volcker, ...)

95 %

95 %

92 %

92 %

70 %

2017

8 % 12 %

201857 %29 %

14 %

80 %

Assurance

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 11

Résultats de l’enquête TNP & CRSF

Très forte Forte Moyenne Faible

Fort Assez fort Faible Aucune coordination

Très forte Forte Moyenne

Comment évaluez-vous le niveau de coordination entre les régulateurs ?

Comme les autres années, les banquiers continuent de juger plus durement le niveau de coordination des régulateurs que la cohérence des textes.

Comment qualifiez-vous la pression des superviseurs ?

La perception du niveau de pression du superviseur est ressentie beaucoup plus fortement par les banquiers, car ils y sont soumis depuis plus longtemps en raison de leur caractère systémique.

Banque

2017 2018

60 %68 %

24 %7%

1 % 3 %5 %

2015 2016

77 % 66 %

10 %6 %10 %

26 %

3 % 2 %

3 %

67 %

58 %

14 %

14 % 14 %

30 %

32 %

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 12

Résultats de l’enquête TNP & CRSF

Comment évaluez-vous le niveau de coordination entre les superviseurs ?

Comme pour les régulateurs, les banquiers jugent le niveau de coordination des superviseurs insuffisant (78%), en parti-culier entre la BCE et l’ACPR.

Pouvez-vous classer les enjeux attendus de la mise en conformité des réglementations bancaires pour votre institution financière dans l’ordre d’importance de 1 à 6 ? (1 = enjeu le plus important)

Si le diptyque sanction et protection de la clientèle continue d’être le moteur de la dynamique réglementaire dans la banque et l’assurance, la mise en conformité devient essentielle pour éviter les pertes financières.

Banque

Protéger les investisseurs et les clients 57 %

Ne pas être soumis à des sanctions 51 %

Eviter les pertes financières 38 %

Eviter les risques de réputation 24 %

Renforcer l’efficience interne 16 %

Accroître ses parts de marché 8 %

Ne pas être soumis à des sanctions 65 %

Protéger les investisseurs et les clients 46 %

Eviter les risques de réputation 39 %

Eviter les pertes financières 28 %

Renforcer l’efficience interne 13 %

Accroître ses parts de marché 10 %

19 %

48 %

30 %

3 %

Banque

Très fort Fort Moyen Faible

20

182

017

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 13

Résultats de l’enquête TNP & CRSF

Comment mesurez-vous la performance de votre modèle de mise en conformité ?

L’absence de sanctions ainsi que les benchmarks avec les autres établissements semblent primer sur les coûts de mise en œuvre.

Banque

Benchmark avec les autres établissements 59 %

Absence de sanctions 54 %

Respect des délais de mise en œuvre 51 %

Coût total de l’investissement lié à la mise en Conformité (nombre d’ETP, IT, consultants..)

41 %

Ne pas être soumis à des sanctions 65 %

Respect des délais de mise en œuvre 51 %

Benchmark avec les autres établissements 49%

Coût total de l’investissement lié à la mise en Conformité (nombre d’ETP, IT, consultants..)

32%

Assurance

Benchmark avec les autres établissements 57 %

Absence de sanctions 57 %

Respect des délais de mise en œuvre 57%

Coût total de l’investissement lié à la mise en Conformité (nombre d’ETP, IT, consultants..)

29 %

Ne pas être soumis à des sanctions 70 %

Respect des délais de mise en œuvre 62 %

Benchmark avec les autres établissements 39%

Coût total de l’investissement lié à la mise en Conformité (nombre d’ETP, IT, consultants..)

19%

Utilisez-vous les technologies digitales pour accélérer la mise en conformité de votre établissement ?

Pour répondre aux exigences accrues des multiples réglemen-tations, les banquiers et les assureurs ont recours aux nouvelles technologies. Le secteur de l’assurance semble moins impacté mais gageons que la mise en œuvre d’IFRS 17 pourrait faire évoluer cette tendance.

Assurance

Oui Non

Oui Non

13 %

87 %

60 %

40 %

Banque

20

182

017

20

182

017

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 14

Résultats de l’enquête TNP & CRSF

Quelles technologies digitales utilisez-vous?

Les établissements financiers sont soumis à de fortes exigences sur les processus de connaissance de leurs clients (KYC) et à de fortes pressions pour mettre en conformité leur stock existant. Le trio de tête des technologies digitales utilisées reflète cette situation.

Pensez-vous qu’il existe des acteurs non régulés qui menacent le business model des institutions financières ?

La menace des acteurs non régulés est ancrée dans les esprits. Celle-ci est jugée constamment élevée sur l’ensemble des éditions du baromètre.

Banque

Oui Non

97 %

3 %

RAD/LAD, interprétation des courriels (email entrant),

appels entrants

Dématérialisation entrante (Scan...)

Archivage / GED en ligne sécurisée

Signature électronique

Intelligence artificielle

Dialogue client (mail/SMS

automatisés)

Dématérialisation sortante (email

sortant)

76,92 %

69,23 %

61,54 %

53,85 %

46,15 %

38,46 %

34,62 %

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 15

Résultats de l’enquête TNP & CRSF

Dans quelle mesure pensez-vous que l’évolution actuelle des exigences réglementaires aura un impact sur la rentabilité générale  des établissements financiers ?

Le poids des investissements pour la mise en conformité ainsi que les exigences en ressources rares que sont les capitaux et la liquidité impactent de plus en plus la rentabilité des établis-sements financiers.

Pensez-vous que le contexte réglementaire des Etats-Unis favorise les banques américaines ?

Apparemment, la régulation et la supervision américaines sont jugées plus en phase avec leur industrie financière.

Comment qualifiez-vous la stratégie de l’Europe financière en matière de régulation et supervision ?

La stratégie de l’Europe financière en matière de régula-tion et supervision est qualifiée de faible voire d’inexis-tante, ce qui est un facteur de manque de compétitivité de l’industrie financière européenne.

Banque

Banque

Banque

Assurance

Impact fort Impact assez fort Impact faible

Impact fort Impact assez fort Impact faible

2017 45 % 49 % 6 %

2018 58 % 39 % 3 %

2017 41 % 52 % 7 %

2018 39 % 50 % 11 %

Oui Non

Forte Normale Faible Inexistante

20 %10 %

30 %

40 %

94 %

6 %

Paroles d’expertsMembres du CRSF

Dans le cadre des réflexions conduites par le CRSF, plusieurs experts ont rédigé des articles sur la régulation financière.

L’Europe doit-elle être fière de sa régulation bancaire ?Bernard POUY, président, CRSF

La campagne pour les prochaines élections européennes va permettre de dresser le bilan de la construction de l’Europe au moment même où l’un des pays majeurs se retire de l’accord.

Après la crise de 2008, l’Europe a déployé des efforts remar-quables pour concevoir et faire appliquer, dans un laps de temps très court, des mesures destinées à consolider le bilan des banques et à renforcer le contrôle de leurs activités. À cet égard, on ne peut que se féliciter de l’installation du MSU, dans des délais très brefs.

Pourtant, les causes de la crise de 2008 sont loin d’être toutes résolues. Ainsi les dettes souveraines continuent de croitre et atteignent des niveaux largement supérieurs aux PIB : aucun pays, à part l’Allemagne, n’a réussi à rétablir son équilibre budgétaire et donc à réduire son endettement. La limite ré-glementaire de 3 % du PIB laisse penser que l’impasse est minime  : grave erreur lorsque l’on sait que pour la France, par exemple, le déficit de 100 milliards d’euros représente 30 % des ressources de l’État. En outre, les taux d’intérêt très bas, voire négatifs, donnent le sentiment, tant aux politiques qu’aux citoyens, que cette tendance des comptes publiques n’est pas si problématique que cela. Comment les États vont-ils pouvoir faire face au poids des intérêts de leur dette lorsque les taux remonteront ?

Mieux réguler et mieux superviser les banques permet d’ac-croitre la confiance des gouvernants et des européens dans la solidité du système financier. Renforcer la protection des clients des banques a été l’un des objectifs de la Commission européenne. Malheureusement, dans le même temps, le

shadow-banking poursuit sa croissance favorisée par le dé-veloppement des nouvelles technologies sans que les auto-rités ne parviennent à sécuriser ce développement. Tous les acteurs de la finance se souviennent que l’une des principales origines de la crise de 2008 a été le développement dérai-sonnable des crédits « subprimes » accordés aux États-Unis par des acteurs non contrôlés par la FED, qui s’est accompa-gné de la contagion à des établissements sains par les effets d’une titrisation opaque non régulée. Ce développement du shadow-banking pourrait être à l’origine d’une nouvelle crise et pourrait faire perdre leur épargne à bon nombre d’inves-tisseurs.

L’Europe doit donc poursuivre ses efforts de rigueur bud-gétaire et la mise en œuvre d’une régulation de l’ensemble des acteurs de la finance, comme elle l’a si bien fait pour les banques.

Mais l’Europe ne peut pas être le meilleur élève de la classe et être plus exigeante que les régulateurs et les superviseurs des États-Unis, de Chine ou d’Inde, et cela pour deux raisons. Tout d’abord, le carcan réglementaire européen bride indé-niablement les banques du vieux continent par rapport aux grandes banques américaines. Les ratios prudentiels actuels ne favorisent pas les rapprochements d’institutions bancaires, contrairement aux assurances qui sont incitées à grossir pour alléger la charge prudentielle.

Lorsque l’on compare les évolutions récentes des banques américaines et des banques européennes, on observe que les premières ont atteint des tailles bien supérieures à celles des plus grandes banques européennes.

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 17

Paroles d’experts

La deuxième raison est qu’il ne sert à rien d’être irréprochable si certains acteurs de la finance mondiale font courir un risque à tous. La contagion reste possible et elle demeure inévitable : des régulations homogènes sur toutes les places financières du monde permettraient néanmoins de réduire les effets de la contagion. Ainsi, depuis la crise de 2008, la contagion par l’assèchement de la liquidité a été fortement réduite par des mesures incitant les établissements à disposer d’un équilibre de refinancement de leurs actifs moins dépendant des autres banques.

L’Europe doit se concentrer maintenant sur les travaux d’uni-versalisation de la réglementation prudentielle. Un tel chantier présentera sans doute l’avantage de revenir sur certains points réglementaires européens, lors des négociations, au moins sur trois d’entre eux.

Le premier concerne la transition écologique. À titre d’illus-tration, il pourrait être efficace pour l’avenir de la planète, dans le calcul du ratio de solvabilité, de pondérer les actifs verts beaucoup moins que les financements de la vieille éco-nomie, l’objectif évident consistant à favoriser l’épargne fi-nançant des projets « verts » ou au contraire à pénaliser les crédits « bruns ».

Le deuxième sujet d’attention vient de l’homogénéisation des modèles des banques. Collectant les données très fines de l’ensemble des acteurs, l’autorité de tutelle européenne est amenée à alerter les établissements qui s’éloignent trop de la médiane et à leur demander de revenir dans le troupeau,

laissant peu d’originalité et de spécificités aux business mo-dels, concentrant aussi des acteurs les mêmes secteurs et renforçant ainsi la concurrence.

La troisième préoccupation est liée au rôle du superviseur dont l’ingérence quotidienne dans la gestion des établisse-ments interroge : une telle ingérence fait perdre au supervi-seur son pouvoir de commenter la gestion d’un établissement de façon globale puisqu’il suit au quotidien les décisions de gestion qu’il lui arrive de contester et détient en permanence l’ensemble des informations sur les bilans et la gouvernance des banques. Ainsi, en cas de défaillance d’un établissement, le superviseur ne pourrait-il pas être considéré comme com-plice de cette défaillance voire même gérant de fait ?

Sur tous ces sujets, le Cercle de la Régulation et de la Su-pervision Financière travaille et publie périodiquement ses contributions.

Notre objectif est de participer à la réflexion qui doit per-mettre aux politiques d’exprimer leurs attentes du secteur financier et tenter d’écrire une véritable stratégie pour les banques européennes.

Contacter Bernard POUY : [email protected]

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 18

Paroles d’experts

Une régulation et une supervision intelligentes Michel BILGER, responsable régulation et supervision, Crédit Agricole

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 19

Paroles d’experts

La réglementation prudentielle n’est pas que technique, elle revêt souvent un enjeu économique, voire de quasi-guerre financière. Et sur ce plan les anglo-saxons, américains en tête, excellent ! Les objectifs du cadre réglementaire et de supervi-sion y font l’objet de débats publics alimentés notamment par le trésor américain. Et on ne peut être que frappé par le nombre et l’expérience des régulateurs et superviseurs qui y veillent en-suite, ce qui montre leur haut degré d’investissement.

Les Américains ont bien compris cette dimension et ils viennent d’imposer au niveau du Comité de Bâle, instance définissant des recommandations sur la régulation financière internatio-nale, une nouvelle mesure de solvabilité appelée « l’output floor ». Cette couche supplémentaire d’exigences de fonds propres prudentielles s’attaque violemment au fondement sur lequel est basée aujourd’hui notre supervision européenne, à savoir l’usage à des fins réglementaires de méthodes internes qui permettent à chaque banque d’appréhender ses risques en fonction de ses propres clients et produits. Et l’Europe va de-voir analyser l’intégration de cette recommandation dans sa législation bancaire pour lui donner force de loi.

« CCAR » et non Bâle ! Les Autorités américaines ne font pas trop confiance aux mesures du Comité de Bâle. Outre Manche, une philosophie différente de la supervision a été mise en place depuis la crise de 2007 et elle repose sur des stress tests dit CCAR (Com-prehensive Capital Analysis and Review) qui forment l’outil

réel de contrôle des banques. Pour autant, il fallait aussi peser sur les normes recommandées par le Comité de Bâle, ceci pour affaiblir la finance concurrente des autres pays...

Et en Europe ? En Europe, on croit ferme aux méthodes internes de mesure des risques qui constituent une grande force des banques européennes. Cette utilisation de méthodes internes adaptés aux risques propres de la banque a été largement encouragée par les superviseurs, les banques devant même produire un plan de charges montrant l’horizon final où tous les risques seraient appréhendés par ces mesures.

Or l’ajout de cet output floor apparait comme la négation même de cette approche : à titre d’illustration, sur le finance-ment de l’immobilier résidentiel, les contraintes prudentielles vont être plus que doublées ! Les banques françaises ont un taux de pertes très bas du fait de leurs critères d’octroi liés à la capacité de remboursement des clients, des types de prêts à taux fixe qui protègent leurs clients contre toute hausse des taux et de procédures de recouvrement sophistiquées. Du fait de l’output floor, elles vont devoir appliquer des méthodes dites « standards », en fait alignées sur les taux de pertes des pays où ces caractéristiques prudentes sont absentes, donc qui subissent un risque de crédit sur les emprunteurs nette-ment plus élevé comme la crise des subprimes l’a montré.

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 20

Paroles d’experts

Mais ce n’est pas tout ! L’Europe s’est lancée en même temps dans deux chantiers qui, conjugués, risquent d’accroître encore l’impact négatif de cette nouvelle norme de l’output floor 16 : le programme dit TRIM (Targeted review of internal models) et les normes comptables dites IFRS. Voudrait-on affaiblir l’Europe finan-cière, on ne ferait pas mieux …

TRIM constitue en une revue approfondie des mesures in-ternes par la Banque Centrale européenne. Or, avant toute utilisation, les banques ont fait valider toutes leurs mesures par leurs superviseurs. Ce sont donc des superviseurs qui vont contester les validations d’autres superviseurs ! De surcroit, les banques produisent régulièrement des histo-riques de défaut montrant l’efficacité de leurs mesures, les modèles internes étant ainsi « backtestés » suivant les pertes réelles et non via une couverture présupposée comme pour les surprimes. Les résultats de cette revue TRIM ne sont pas connus mais les banques craignent les effets de cette revue dite « d’harmonisation européenne » et certaines ont déjà provisionné des impacts négatifs conséquents.

Mais, toujours sur l’immobilier résidentiel, la palme de l’ab-surdité revient aux conséquences prudentielles que pourrait entrainer l’introduction de l’IFRS 16 : ici, il s’agit d’un simple changement de normes comptables – applicables en Europe mais pas aux Etats-Unis – consistant à comptabiliser désormais tout contrat de location des immeubles d’exploitation qu’une entreprise occupe à la fois l’actif et au passif de son bilan (un « droit d’utilisation » d’une part et une dette au titre de tous les loyers à effectuer d’autre part). Ceci n’a aucune incidence sur les risques eux-mêmes mais cet aménagement pourrait générer à partir de cette année une forte augmentation des

exigences en fonds propres liée à cette extériorisation pure-ment comptable dans le bilan des banques. Or, un locataire ne subira pas d’éventuelles pertes liées à la baisse de la valeur de l’immeuble qu’il occupe, contrairement à son propriétaire !

Est-ce bien cela que nous voulons ?On pourrait affirmer que les banques n’ont qu’à s’adapter ! Mais ceci n’est pas qu’un débat technique d’experts et le résultat pour l’économie sera douloureux : l’alourdissement prudentiel pour les banques va entraîner moins de crédits accordés, par exemple pour les prêts immobiliers aux primo-accédants, et générer des prix d’emprunts plus élevés. De quoi contribuer à un ralentissement économique en Europe…

Tout le monde le reconnait, les banques ont fortement aug-menté leur capital et elles participent ainsi au renforcement de la stabilité financière. Elles ont émis des propositions concrètes pour limiter au maximum l’impact de cet output floor et neutraliser l’effet prudentiel de l’IFRS 16. Elles sont prêtes à dialoguer mais encore faut-il qu’elles soient asso-ciées et écoutées ! Avançons & construisons une régulation et une supervision en Europe qui restent intelligentes. Et nos hommes & femmes politiques devront monter au créneau. Il y a eu un précédent : souvenons-nous de Jacques Chirac qui avait écrit pour faire plier sur les normes comptables IAS… Reproduisons-le !

Contacter Michel BILGER : [email protected]

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 21

Pragmatisme, « bottom up », démarches chères à nos amis anglo-saxons, et donc envahissantes. Mais au fond, cela ne cache-t-il pas une sorte de paresse de l’esprit ou une dé-mission face à un monde qui se complexifie ? Certes, il faut chercher à simplifier, maîtriser des « objets » à notre portée : « small is beautiful ». Mais cela ne conduit-il pas à la carica-ture de la réalité et donc à des solutions se concentrant sur « l’arbre » et ignorant la « forêt » ?

Les conditions de la croissance sont complexes. Elles sont fondées sur la capacité à prendre des risques. L’industrie financière est la clef pour faire le pont entre les preneurs de risque désargentés et les épargnants riches de sécurité. Au cœur du dispositif, l’industrie financière est une usine de transformation du risque en sécurité : un processus industriel, lui-même source de risques.

Qui dit industrie dit politique et stratégie industrielle : masse critique, granularité, business model, compétitivité. Qui dit risque dit aussi régulation. Or, chacun le sait, la régulation n’est pas neutre et est porteuse aussi de modèle industriel : mix de petites ou grandes banques ? Mix d’activités ou spé-cialisation ? Mix crédit-marché ? Mix marché-gestion ? Mix gouvernance actionnariale « publique » ou privée ? L’Europe dans une lente précipitation post crise a rénové la totalité de son corpus de régulation et de surveillance. Mais a-t-elle pris la précaution de gérer en même temps sa propre vision stratégique et ses objectifs régaliens de protection inspirés par le principe de précaution ?

Question en générale qualifiée d’inopportune sinon tech-nocratique : Cela est trop compliqué, soyons pragmatiques, commençons « bottom up », la synthèse se fera en cours de

route car surtout comptons sur les forces du marché qui, comme par miracle, rectifieront les erreurs et bâtiront le chemin de la cohérence.

Dix ans plus tard le traumatisme est toujours là. La croissance croissance est à la peine, la souveraineté financière européenne affectée, les acteurs sont désabusés. Le pragmatisme n’a pas payé et ce n’est pas une surprise. Une Commission Européenne s’achève, une autre prendra le relai. Le président Juncker avait prédit que son défi serait qu’elle ne soit pas la dernière…La sienne sera très probablement la dernière d’une époque.

Avec ou sans la Grande Bretagne, la prochaine devra prendre un virage qu’il n’a pas pris, un virage de proximité, de résultats tangibles autour d’un bien commun européen rassemblant des forces face à une inéluctable compétition multipolaire. Confrontée à une exigence existentielle de succès elle doit transformer le doute en cercle vertueux. En ce qui concerne la finance, transformer une industrie sécurisée en outil de crois-sance entrepreneuriale. La régulation doit participer à ce défi.

La phase que nous abordons est donc à la fois critique et vitale. Nous sommes loin d’une aspiration à la pause. Au contraire, à partir du lègue brut de fonderie de Michel Bar-nier, il faut le ciseler pour en faire non pas une simple ligne Maginot du risque mais un outil de conquête, souple, adapté au terrain, menant une double bataille, celle du risque et de la croissance dans un esprit de souveraineté européenne. Cette phase de « tuning » implique beaucoup plus de compétences, d’expertise dans une approche holistique et pluridisciplinaire. Elle implique en amont d’avoir un pilote dans l’avion, c’est-à-dire une capacité à savoir et dire où nous voulons aller et par quel chemin : une stratégie.

Paroles d’experts

Réconcilier régulation et stratégie : pourquoi, comment ?Edouard-François de LENCQUESAING, président, EIFR

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 22

Paroles d’experts

Quel est ce véritable contexte stratégique à affronter : celui de la 4ème révolution industrielle… qui n’est qu’à son balbutiement. Les Gafa ne sont qu’une première étape qui peut même être dépassée… ce qui donne de l’espoir à ceux qui sont encore sur le quai. Cette révolution comme les autres passe pour les gagnants par une prise extraordinaire de risque.

Pour la société, cela veut dire une fantastique transformation des comportements face aux risques et donc en particulier en ce qui concerne la mobilisation de l’épargne. Dans la stra-tégie financière, nous avons le grand débat de la répartition financement crédit vs marché. Le régulateur ayant alourdi la composante bilans bancaires, le langage officiel, toujours timide, a transformé cette contrainte en un atout volontaire : diversification des sources de financement, compétition entre les circuits de financement… avec en exergue que l’Europe ne doit pas changer fondamentalement de modèle…. Ce qui est le cas de la quasi-totalité des Etats membres, sauf pour la France déjà à 40%/marché.

Mais dans la réalité ce n’est pas le prisme prudentiel qui doit fixer l’axe stratégique. La culture risque pour le financement par les banques via le crédit ou les investisseurs via des actifs financiers est très différente. Or, le degré de prise de risque pour adresser cette 4ème révolution est d’une ampleur nouvelle, bien comprise par la Chine mais pas par l’Europe. Le rôle du marché n’est pas une résultante de la pression prudentielle sur le crédit mais probablement un instrument indispensable du fi-nancement de la 4ème révolution industrielle ! Voilà un exemple de prise de position politique et stratégique dont nous avons besoin, en ajustant ensuite la régulation à cette réalité entre-preneuriale.

Voilà le véritable défi incompris de la CMU. Projet initié par la Commission et qui laisse perplexe la sphère privée car ne débouchant pas sur des directives à « lobbyer ». Encore un bel exemple de révolution culturelle, pour un lobby responsable : ce n’est pas la Commission qui peut savoir comment fixer une stratégie pour construire une masse critique de l’industrie du

financement et d l’investissement. C’est l’industrie elle-même qui doit bâtir le projet et négocier avec la Commission les instruments d’incitation ou de structuration nécessaires.

Mais voyons plus près de nous. Nous devons d’abord achever ce qui est commencé et rendre compétitive une industrie finan-cière qui ne l’est pas encore (taille, performance des capitaux propres). Ciseler et dégraisser notre surplus de couverture règlementaire des risques est une nécessité : l’échec annoncé de Prips, l’alignement de solvency 2 sur la vocation de long terme des assureurs, le développement de la recherche y compris des ETI auxquels on dit vouloir ouvrir le marché, une titrisation qui doit répondre à la double contrainte voulue par les politiques : augmenter le crédit et diminuer les bilans, une surveillance homogène, une gestion responsable de toutes ces données qui remontent vers les régulateurs !

Un travail de cohérence entre stratégie et régulation est nécessaire. Nous avons pu penser que le « call for evidence » lancé par la commission aurait rendu ce service. Nous avons été

déçus. À contrario, le travail remarquable du trésor américain qui ne conduit pas à un démantèlement de la régulation mais bien à un réglage fin, de bon sens.

Ce travail fin implique vision commune entre le publique et le privé. Il implique ensuite une oscultation de la pile d’instru-ments de régulation pour analyser et supprimer les grains de sable. Il implique des deux côtés courage et détermination. Mais, plus fondamentalement, il implique confiance entre ces deux mondes : c’est la vocation et mission de l’EIFR depuis 10 ans et des experts du CRSF.

Contacter Edouard-François de LENCQUESAING : [email protected]

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 23

Paroles d’experts

Il faut réveiller les consciences endormies. Vouloir rassurer, c’est toujours contribuer au pire.RENÉ GIRARD

GDPR : premiers retours d’expériences, sans concession, après 12 mois d’application Florence BONNET, directrice, TNP

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 25

Paroles d’experts

48 à 62 % des consommateurs ne croient pas que les entre-prises soient honnêtes sur la manière dont elles utilisent les données personnelles.

Pourtant, le règlement sur la protection des données appli-cable depuis le 25 mai 2018 tend à créer un espace numérique de confiance avec un cadre juridique harmonisé favorable au développement de l’économie.

En France, les plaintes ont augmenté de 60 % par rapport à la même période l’an dernier, les autorités européennes sont actuellement saisies de plus de 200 procédures « transfron-talières » et elles ont été saisies de 60 000 notifications de violations de données personnelles.

Dans le même temps, les organisations peinent à voir les bénéfices qu’elles pourraient tirer de cette réglementation.

Les entreprises européennes s’estiment pénalisées. Les géants du net ont pu consacrer d’importantes ressources à leur mise en conformité et ont profité de leur position domi-nante pour éliminer une partie des acteurs qui ne répondaient pas aux exigences du règlement. Au fil des mois, le GDPR est devenu un irritant.

Coût élevé, manque de spécialistes, budgets sous-estimés, la mise en conformité est vécue comme une contrainte

La formation est un gros poste de dépenses. Dans les grandes entreprises, la révision des contrats mobilise plusieurs ETP à temps plein sur plusieurs années et la mise en conformité des applications coûte des centaines de milliers d’euros. Les feuilles de route sont régulièrement révisées : 2019, 2020...2021 et le changement devra s’inscrire dans la durée.

Selon PWC, 88 % des entreprises (US, UK, Japon) disposant d’une présence en Europe auraient dépensé un million de dollards.

Des impacts IT largement sous-estimés

Peu d’entreprises ont prévu les budgets nécessaires à l’évolu-tion du parc applicatif, de l’architecture et de la gouvernance des données en lien avec les processus de protection des données. La mise en œuvre est complexe du fait de la mul-tiplicité des formats, des référentiels et des fournisseurs de données au sein d’une même entreprise et de la configuration des espaces de stockage en silos.

La CNIL1 sanctionne régulièrement les entreprises pour dé-faut de mesures de sécurité, mais le GDPR donne aux RSSI une occasion d’en faire un sujet prioritaire. Les dépenses des organisations devraient augmenter de 45 % d’ici 2022 par rapport aux prévisions pour 20182. Les investissements

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 26

Paroles d’experts

concerneront tant des solutions de prévention, de monitoring et de détection des incidents (SIEM, DLP…) que de protection des données (data blocking, data masking, chiffrement…). Les organisations devraient aussi mettre en place des démarches de certification du SMSI.

Enfin, en 2019 la plupart des grandes organisations ont com-mencé à s’équiper de solutions de gestion du registre des traitements et de pilotage de la conformité au GDPR.

Obligées de repenser leur organisation, les entreprises doivent gérer les résistances aux changements

Bien que les organisations aient eu deux ans depuis mars 2016 pour se préparer au GDPR, la plupart ont vécu dans le déni.

Avec le GDPR, les sujets de protection des données ont été confiés à la conformité et à la DSI ou à la direction des pro-grammes. Le Délégué à la Protection des Données (DPO) est généralement rattaché à la direction générale. Il est le nouvel homme clé et doit pouvoir compter sur une solide gouver-nance. La mise en place d’une démarche de « Data Protection by Design » impacte tous les niveaux de l’organisation, du développeur aux membres du Comex et cela n’est pas sans générer de fortes résistances.

Sur un plan très opérationnel, le manque de ressources in-ternes est régulièrement mis en avant tandis que les budgets relatifs à l’externalisation ont explosé.

La chaîne de sous-traitance représente la principale source de risques pour les entreprises européennes 

25 % des entreprises auraient changé de sous-traitant à cause du GDPR qui leur impose de ne recourir qu’à des sous-traitant qui offre des garanties de conformité et de sécurité.

En pratique cependant, le rapport de force est inversé avec les sous-traitants qui bénéficient d’une position dominante, le responsable de traitement n’ayant d’autre choix que de se soumettre (au risque de violer la réglementation) ou de se démettre (avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur son chiffre d’affaire). À contrario, le fournisseur est en situation de dépendance aura tendance à valider des clauses contractuelles dont il ne comprend pas toujours la portée.

Le mode de calcul financier du ROI ne permet pas d’appréhender les bénéfices à long terme du GDPR

Le calcul du retour sur investissement des dépenses relatives aux mesures de protection des données personnelles relève d’une gageure.

Les choix de la personne concernant la divulgation de ses données sont imprévisibles car ils sont avant tout émotionnels et ils sont psychologiquement biaisés (par exemple par la

perception d’un bénéfice immédiat). Même les individus les plus avertis ne sont pas toujours réceptifs (“ privacy myopic ”). De nombreux autres facteurs liés au profil de la personne, aux comportements de ses pairs (i.e. “ social proof ”), ou à sa per-ception de la gravité de la menace et de sa capacité à s’en protéger (risque) tendent à influer sur ses décisions.

Les géants du net recourent aux techniques de « nudge » pour manipuler les personnes et les pousser à révéler plus d’infor-mations qu’elles ne l’auraient souhaité (Privacy Zuckering). L’échelle de temps et la mesure financière sur lesquels re-posent le calcul tradicitonnel du ROI ne sont pas adaptées. Cela ne prend pas en compte l’érosion progressive de la confiance dans l’économie numérique du fait de ces pratiques déloyales, ni les « gains cachés » liés à la protection des données qui ne sont pas immédiatement visibles sur les résultats.

Quel avenir pour la protection des données et de la vie privée ?  

L’esprit du règlement ne cesse d’être bafoué au détriment des individus

Combien d’internautes prennent la peine et le temps de pa-ramétrer leurs paramètres de confidentialité avant de cliquer sur « J’accepte » ? Mais ont-ils compris que des cookies sont déposés sur leur ordinateur à des fins de ciblage publicitaire et que les informations sont partagées avec des centaines de tiers dans le monde ?

Beaucoup d’applications sont conçues de manière à dissuader l’utilisateur d’utiliser les paramètres de protection de la vie privée ; penser qu’il est capable de faire un choix libre et éclai-ré relève d’un rêve chimérique.

La prise de conscience passera forcément par la sanction d’entreprises dans l’UE et au-delà

Si l’autorité portugaise a ouvert le bal avec une première sanction de 400 K¤ à l’encontre d’un hôpital public, c’est la CNIL qui a fait sensation avec une amende de 50 M¤ infligée à Google en début d’année. On notera avec attention que cette délibération fait suite aux plaintes déposées par des associa-tions elles-mêmes saisies par plusieurs milliers de personnes. Autre point important, la décision reproche à Google un « choix ergonomique » qui « ne répond pas aux objectifs d’ac-cessibilité, de clarté et de compréhension fixés par le GDPR ». Faut-il y voir là une première allusion à l’obligation de « Data Protection by Design » ?

Le GDPR n’est que la première pierre d’un cadre juridique en construction essentiel pour accompagner l’innovation « data driven »

L’éthique numérique et la protection de la vie privée sont classées parmi les 10 tendances 2019 par le Gartner.

#trustedAI #dataethics #digitalethics #eprivacy sont autant de hashtags qu’il faudra suivre à l’avenir.

Le Règlement européen crée de formidables opportuni-tés pour les entreprises européennes : « avantage confiance » qui raccourcit le cycle de vente, meilleur qualité des données et optimisation de leur utilisation, amélioration de l’expé-rience et de l’engagement client, nouveaux business models, nouveaux services, gains de parts de marché, hausse de la valorisation de l’entreprise, moindre coût en cas de faille de sécurité. C’est une occasion unique pour des leaders euro-péens mus par des valeurs humanistes d’imposer une vision responsable de l’économie numérique, une stratégie « ga-gnant-gagnant » permettant de concilier l’innovation et le respect des droits et libertés des individus…sauf à laisser Tim Cook, Satya Nadella ou d’autres nous damer le pion.

1 https://www.linkedin.com/pulse/gdpr-les-entreprises-sous-esti-ment-le-risque-de-sanction-bonnet/?published=t

2 Source IDC

Contacter Florence BONNET : [email protected]

Paroles d’experts

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 27

Non performing loans Florian MARSAUD, CRSF

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 29

Paroles d’experts

Plus d’un an après l’annonce du plan d’actions décidé par le Conseil européen en Juillet 2017 pour résoudre le problème des prêts non performants  (non-performing loans, NPL) en Europe, les différents textes publiés, tant par le BCE que la Commission européenne ou les travaux du Parlement et l’EBA ont montré des approches et des calendriers divergents.

Sous l’effet du ralentissement économique ayant suivi la crise financière de 2007/2008, le poids croissant des NPL dans le bilan des banques européennes a fait de la problématique des prêts non performants un sujet de préoccupation majeur pour un certain nombre de pays de l’Union. L’est-il véritablement ?

Évolution des montants de prêts non-performants et du ratio

Source : risk dashboard – EBA Q3 2018

Définir un prêt non performant  n’apparait pas si simple que cela…

La BCE a notamment tenu à promouvoir une définition har-monisée des NPL, dans un contexte où subsistent encore des options et discrétions nationales (cas de la France et du traitement spécifique sur l’immobilier par exemple) et de dé-salignement entre le défaut au sens comptable et le défaut au sens prudentiel-risque.

Une définition européenne harmonisée des NPL a été donnée par l’EBA pour des besoins de reporting, laquelle a été ensuite reprise par la BCE, notamment dans ses lignes directrices de mars 2017. Les définitions comptables et prudentielles ont ainsi vocation à être alignées1 : les NPL sont l’ensemble des ex-positions au risque de crédit présentant des impayés de plus de 90 jours (past due) ou qui ne pourront probablement pas être recouvrées sans recours à la réalisation de la garantie, qu’elles présentent ou non des impayés (Unlikely to pay, UTP).

Un frein à la rentabilité des banquesOn peut se faire peur et indiquer, par exemple, que le total des NPL représente en Europe un montant total, au 30 sep-tembre 2018, de 714 milliards d’euros soit environ le PIB de la Suisse ! Mais la réalité est toute autre  : les NPL représentent, au 30  septembre 2018, un poids moyen dans le total des créances des établissements en Europe2 de 3,4 %. Toujours est-il que les autorités tant de supervision que de régulation ont décidé de s’emparer du sujet des NPL considérant que leur niveau était un frein à la rentabilité des banques (hausse des coûts de refinancement, des coûts de gestion de ces crédits et

814,5

4,1 %

700

750

800

850

900 4,1 %

3,1 %

2,1 %

1 %

0 %

3,8 %3,6 %

3,4 %

790,7

746,2 714,3

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 30

Paroles d’experts

du provisionnement). S’en suivent une dégradation du résultat donc, des capacités de mise en réserve, une détérioration du return on equity (RoE) et une mobilisation de fonds propres pour ces créances qui pénalise le ratio de solvabilité et le ratio de levier… CQFD.

Un dispositif européen bien dimensionné ?

Le traitement des NPL envisagé par le Conseil dans son plan d’actions de juillet 2017 revêt deux approches :

Une approche macroéconomique, qui se traduit par la volonté de développer les marchés secondaires européens des NPL. Le mandat donné à l’ESRB3 de revue du cadre macro-prudentiel, ou encore l’objectif de satisfaire les besoins de crédit des agents économiques dans le cadre de l’Union bancaire en sont des illustrations ;

Une approche microéconomique, avec en particulier le renforcement des pouvoirs du superviseur au travers de la revue CRR/CRD, l’introduction de provisionnements (backstops) prudentiels au-delà des règles de provisionnement comptables, et la réforme des régimes de faillite impactant les filières recouvrement.

On peut néanmoins regretter que ce plan d’actions se soit traduit par une avalanche de textes réglementaires pensés et rédigés dans un calendrier extrêmement serré (moins de 12 mois pour la grande majorité), empêchant de facto l‘articula-tion nécessaire des textes entre eux, et aboutissant in fine à un empilage de mesures aux effets diffus sur certaines pratiques actuelles. Au final, l’Europe a décidé la mise en œuvre suivante :

Compromis final

*** Conseil de

l’UE Jan.2019

AnnéesGarantie

réelle immobilière

Garantie non réelle

immobilière

Absence de garantie ou garantie non éligible

1 - - -

2 - - -

3 - - 35 %

4 25 % 25 % 100 %

5 35 % 35 % -

6 55 % 55 % -

7 70 % 80 % -

8 80 % 100 % -

9 85 % - -

10 100 % - -

Infographie CRSF – cercle de la régulation et de la supervision financière

Bien loin d’un dispositif simple tant comptablement que pru-dentiellement ou qu’en gestion des risques ou encore de suivi des créances et des garanties concernées.

De l’utilité finaleLes taux de NPL sont très différents selon les pays et ne résultent pas forcément d’une qualité moindre des por-tefeuilles crédits, mais aussi de pratiques de passages à perte différentes reflétant certains contextes juridiques et / ou fiscaux particuliers.

Le suivi des NPL figure en général dans les indicateurs d’appé-tit au risque des établissements. Tout défaut est provisionné en fonction de la capacité du client à honorer telle ou telle partie de son dû et de la valeur des garanties réelles existantes, valeur à la casse pour le superviseur (après hair cut lié à l’historique des pertes de crédits sur des garanties de même nature, time to recovery et cost to sell - temps de céder et coût de la ces-sion). N’oublions pas que ces NPL sont au 30 septembre 2018 provisionnés en moyenne dans les banques couvertes par le dashboard trimestriel de l’Autorité Bancaire Européenne à hauteur de 45,7 % contre 44,6 % au 31 décembre 2018.

Le manque d’articulation entre les textes peut induire un biais non souhaitable. Si la norme IFRS 9 amène l’équation que la perte attendue (Expected Loss, EL) doit être couverte par un taux de provisionnement adéquat et anticipé, les règles prudentielles sont faites pour couvrir les pertes inattendues (Unexpected Loss, UL). Les backstops prudentiels reviennent à doter certains dossiers de fonds propres complémentaires alors que l’expected loss des dossiers contentieux retient déjà la loss given default4.

Sans même attendre l’observation de ces évolutions réglemen-taires, pourtant majeures, et dans un contexte d’amélioration des NPL, les instances européennes se sont lancées dans une surenchère réglementaire dédiée aux NPL… L’argument : la reprise économique observée ne durera pas éternellement, il est donc urgent de régler le problème des NPL pendant cette phase propice. Faisons attention qu’avec une telle surcharge de réglementation, le fragile environnement économique en Europe ne soit pas tout simplement contrarié par l’absence de financement bancaire de pans économiques sans relais pris par les marchés.

1 Les orientations sur l’application de la définition du défaut au titre de l’article 178 du CRR (EBA/GL/2016/17) seront applicables au 1er janvier 2021

2 Loans and advances de 20.000 milliards d’euros, source : tableau de bord risques trimestriel de l’EBA au 30.09.18

3 ESRB = European Single Resolution Board, en français CERS = Comité européen du risque systémique

4 (EL= PD x LGD x EAD avec EL = expected loss, PD = probability of default, LGD = loss given default et EAD = exposure at default).

Paroles d’experts

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 31

Pour se protéger de l’illusion ou de la folie financière, la mémoire est bien meilleure conseillère que la loi.JOHN KENNETH GALBRAITH

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 33

Paroles d’experts

Renforcer la culture du contrôle permanent, de la

gouvernance à l’exécution

Gérald VOITOT, partner, TNP

Rafaël MASSIANI, manager, TNP

L’offre des établissements financiers génère des risques qu’il convient de gérer. La gestion de ces risques repose en amont sur l’adaptation de l’offre et en aval sur la définition d’un corps procédural

et la mise en place d’un dispositif de contrôle dont la pierre angulaire est le contrôle permanent.

Les contrôles de premier niveau sont réalisés par les équipes opérationnelles sur leurs propres tâches ainsi que par leurs managers.

Les contrôles de deuxième et troisième niveaux ont pour objectif de s’assurer que les contrôles de premier niveau sont correctement implémentés et exécutés. Ils sont réa-lisés par des équipes indépendantes de celles du premier niveau.

Type de contrôle

Niveau de contrôle

En charge du contrôle

Périodique 3éme niveauIndépendant

de l’entité opérationnelle

Inspection générale

Permanent

2éme niveauFonctions

centrales et/ou transverses

1er niveauÉquipes opérationnelles

et leur manager

Dispositif de contrôle permanent :

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 34

Paroles d’experts

Les principaux défis du contrôle permanent

Le dispositif de contrôle permanent doit faire face à un envi-ronnement mouvant, qu’il soit externe avec les évolutions rè-glementaires et les exigences du superviseur, ou interne avec les changements d’organisations, ceci associé à une culture du contrôle à renforcer.

Contrôle permanent vs. réorganisation permanente

Les changements d’organisation entraînent certes des enjeux technologiques, notamment dans l’adaptation des outils, mais aussi humains.

Une réorganisation du business et des fonctions support doit être accompagnée d’une adaptation du dispositif de contrôle (entités impactées, rapports hiérarchiques modifiés, etc.) et de la répartition des rôles et responsabilités au sein du dis-positif au risque de ne pas couvrir l’ensemble des zones de risques ou d’avoir des contrôles en doublon, rendant ainsi inefficace le dispositif.

Ainsi, dans le cadre d’une réorganisation, l’anticipation de l’ajustement du dispositif de contrôle doit permettre :

1. D’assurer le transfert de compétences et de former les équipes,

2. De capitaliser sur un socle commun de contrôles, tout en tenant compte des spécificités métiers ou locales,

3. De s’appuyer sur les fonctions centrales pour identifier les risques et concevoir les contrôles homogènes adaptés qui en découlent.

Prendre en compte des réglementations et des exigences du superviseur qui évoluent

On retrouve les enjeux liés aux réorganisations dans les sujets liés aux réglementations. À cela s’ajoute, toujours avec anti-cipation, la mise en place de nouveaux contrôles dès l’entrée en vigueur des réglementations et la mise à jour des outils.

De manière plus globale, il convient de mettre en place une gou-vernance concertée avec les équipes en charge des activités, des risques et des contrôles afin d’identifier et de classifier les

risques, y compris de non-conformité, et de les gérer selon les axes suivants :

Adapter l’offre

Au-delà des aspects organisationnels, les risques des établissements financiers sont liés de manière inhérente à leur activité : l’offre produits, la cible de clients, les canaux de distribution, et les types de transactions.

Définir le corps

procédural

Le corps procédural régit l’ensemble des processus clés de l’établissement. Il permet, s’il est respecté, de garantir que les mesures indispensables à la bonne gestion des opérations sont appliquées.

Mettre en place un dispositif

de contrôle

Le dispositif de contrôle se décompose en plusieurs niveaux de contrôle. Si les contrôles ne sont pas adaptés, ou ne sont pas exécutés de manière efficiente, la maîtrise du risque résiduel s’en retrouvera réduite.

Développer la culture du contrôle, un facilitateur pour relever les défis du contrôle permanent

En renforçant la culture du contrôle, les établissements finan-ciers gagnent en efficacité dans la déclinaison du dispositif de contrôle permanent.

En effet, même si les risques sont correctement identifiés, que les contrôles adéquats sont conçus, que l’outil est en ligne avec les contrôles définis, si les équipes n’exécutent pas les contrôles de manière efficace ou ne sont pas responsabilisées pour faire évoluer et adapter le dispositif de contrôle, les établissements ne répondront pas aux attentes du régulateur et du superviseur en dépit d’investissements humains et financiers importants.

Contacter Gérald VOITOT :[email protected]

Contacter Rafaël MASSIANI :[email protected]

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 35

Paroles d’experts

Depuis la crise financière de 2008, la régulation a répondu principalement à une priorité « sécuritaire » rassurant poli-tiques et citoyens, à partir des recommandations du G20. En Europe, un objectif essentiel s’y est ajouté : faire converger les régulations et les supervisons nationales. La crise a été instru-mentalisée pour accélérer ce second objectif, avec la création d’autorités de supervision unifiée européennes.

Concomitamment à cette lente construction, en dix ans, les cinq premières banques américaines sont passées de 45 à 65 % de part de marché aux Etats Unis pour les activités de banque d’investissement, quand les cinq premières institutions

européennes sont restées à 24 % de part de marché en Eu-rope. Les tailles des marchés étant similaires, le rapport de force de frappe est ainsi passé de deux à trois. Les annonces récentes des résultats des grands groupes financiers américains et européens confirment cette dynamique de domination américaine.

La régulation a joué un rôle indéniable sur l’évolution de l’in-dustrie financière, que ce soit en matière de compétitivité ou de portefeuille d’activité. Ce poids demande une vision stratégique préalable qui manque à ce jour.

La régulation financière pèse sur la rentabilité des institutions financières et fait évoluer leurs

modèles d’activité

Marc IRUBETAGOYENA, head of group stress testing

and financial synthesis, BNP Paribas

Edouard-François de LENCQUESAING,

président, EIFR

Mickael PLANCHET, fondateur de

Anjou Financial Regulation Consulting

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 36

Paroles d’experts

Pour faire en sorte que la finance soit réellement au service de la croissance européenne dans un contexte de mondiali-sation, deux axes de réflexion sont nécessaires :

1. Quel format pour l’industrie financière ? 2. Pour quels services financiers ?

1. Dans un monde complexe, les idées simples sont sédui-santes ! C’est le cas de la ségrégation des activités bancaires, fondée sur l’idée que le risque systémique viendrait plus de la contagion entre activités que d’une activité spécifique. Il est indéniable que la contagion peut propager des risques. Cependant, des activités pures ont déjà propagé un risque systémique. Les exemples de Lehmann Brother et Northern Rock ont démontré cela. Par ailleurs, les principes d’une saine gestion de portefeuille promeuvent la répartition des risques plutôt que l’hyper spécialisation. La pensée politiquement correcte de la ségrégation aurait simplement conduit l’Europe à une impasse de souveraineté. En y souscrivant pleinement, l’Europe aurait été frappée d’une double peine  : perte de robustesse par l’abandon du modèle universel et perte défi-nitive de masse critique dans le financement par les marchés financiers face aux banques américaines.

Le format de notre industrie financière devrait se structurer autour d’un double concept : diversité et puissance. Il faut maintenir une certaine diversité des institutions financières pour servir le spectre culturel des clients européens et garder une richesse de modèles d’activité susceptibles d’évoluer plus rapidement dans un cadre mouvant. En même temps, il faut pouvoir s’appuyer sur un nombre limité d’acteurs de taille internationale pour accompagner les grandes entreprises, servir l’évolution du tissu industriel européen par des opé-rations de fusions et acquisitions et maintenir les conditions de souveraineté financière européenne. Cela suppose d’ajuster la régulation à la réalité des risques par une progressivité des mesures, de favoriser la consolidation financière en fluidi-fiant la gestion de la liquidité entre pays européens, de mieux calibrer les surcouches prudentielles de capital des grands groupes post consolidation, de renforcer une surveillance au niveau pan européen de cohérence de l’application de la régulation et d’ augmenter la masse critique du marché intérieur en poursuivant son harmonisation (Banking Union et CMU).

2. La régulation peut entraîner une éviction de certains services financiers nécessaires et leurs arrêts, ou leurs substitutions par du shadow banking, pourraient être dommageables à la croissance ou au profil de risque de l’Europe. Voici quelques cas illustratifs :

Besoin de renforcer les capitaux propres des entreprises en adaptant Solvency 2 pour laisser aux assureurs leur rôle d’investir à long terme avec un modèle de surveillance des risques approprié.

Financement des PME-ETI en facilitant leur accès aux marchés de capitaux. La Suède est un bon exemple avec une participation significative des investisseurs de long terme aux introductions en bourse.

Financement de projets en revoyant les pénalités réglementaires, en capital et en liquidité, mises sur une activité précédemment cœur des banques françaises.

Défense des activités de market making nécessaires à un financement par le marché de titres moins liquides (actions et obligations).

Développement d’une titrisation responsable pour redonner aux banques de la capacité d’octroi de crédit.

Choix entre un modèle anglo-saxon de financement des services par la valorisation des données des clients et une protection des données financières privées avec en contrepartie une rémunération des services.

Le modèle bancaire européen est mis à risque avec des ren-tabilités proches de 8 % pour les meilleurs établissements, divisées de moitié par rapport au point haut du cycle pré-cédent, à comparer à un coût du capital inchangé à 10 %. Cette situation de destruction de valeur n’est pas tenable longtemps !

Contacter Edouard-François de LENCQUESAING : [email protected]

Contacter Marc IRUBETAGOYENA : [email protected]

Contacter Mickael PLANCHET : [email protected]

Quand la réglementation comptable devient un frein au développement de l’EuropeAnne-Marie JOLYS BRIS, senior manager, TNP

Au terme d’un processus de longue haleine de plus de vingt ans, l’IASB a publié le 18 mai 2017 la norme IFRS 17 relative à l’évaluation et à la comptabilisation des contrats d’assurance, actuellement en cours d’homologation par l’Union européenne. Sa date d’entrée en vigueur, prévue initialement au 1er janvier 2021, a été reportée d’un an par l’IASB, le 14 novembre 2018, en raison de débats techniques d’interprétation, de la com-plexité opérationnelle de la nouvelle norme, des difficultés d’implémentation et de l’importance des coûts associés.

Pourquoi tant de réserve ?

Pour des raisons historiques, le secteur de l’assurance, très fragmenté, obéit à des règles de comptabilité très différentes d’un pays à l’autre. Jusqu’à présent, les assureurs appliquaient la norme IFRS 4 permettant l’application des principes locaux. La nouvelle norme exige un mode de comptabilisation des contrats d’assurance innovant, qui n’est en vigueur dans aucun pays. À cela s’ajoute l’obligation de mise en place simultanée de la norme IFRS 9 relative aux instruments financiers pour un grand nombre d’assureurs.

L’objectif de la norme est de permettre une meilleure comparabilité des comptes des entreprises d’assurance et d’homogénéiser la comptabilisation des contrats.

Quels changements dans les principes comptables ?

IFRS 17 s’applique aux contrats d’assurance et de réassurance émis, de réassurance détenus, d’investissement émis avec

participation discrétionnaire. La granularité comptable est un changement majeur car chaque portefeuille (groupes de contrats soumis à des risques similaires et gérés ensemble), di-visé en cohortes annuelles de souscription, devra être scindé en au moins trois groupes (contrats onéreux dès l’origine, contrats ne présentant pas de risque de devenir déficitaires, autres).

La valorisation des contrats d’assurance sera fondée sur une évaluation prospective des engagements des assureurs. Les passifs d’assurance seront comptabilisés à la valeur actuelle, au lieu de la valeur historique, en fonction des flux de tré-sorerie futurs, en y incluant un ajustement pour risque non financier afin de prendre en compte l’incertitude relative à ces flux.

La marge de services contractuels, calibrée sur la prime ver-sée par l’assuré de façon à ne pas dégager de résultat à la souscription, représente les profits non acquis du contrat à chaque clôture. Elle est ensuite allouée au résultat pour reflé-ter le service rendu par l’assureur selon le passage du temps.

Quelle définition de la nouvelle communication financière ?

Les agrégats sur lesquels se basaient les investisseurs seront modifiés, ce qui obligera les entreprises à définir de nouveaux indicateurs de performance. L’un des changements majeurs introduits par IFRS 17 est la reconnaissance du revenu : ac-tuellement les primes d’assurance viennent alimenter le chiffre d’affaires dès la comptabilisation initiale, alors que la nouvelle norme s’articule autour du principe de la reconnaissance du revenu au fur et à mesure des services d’assurance rendus.

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 37

Paroles d’experts

Le 13 décembre 2018, l’IASB a convenu provisoirement de mo-difier l’exigence relative à la présentation distincte de groupes de contrats comme un unique actif ou passif d’assurance alors même que la pratique actuelle est de présenter les compo-sants des contrats d’assurance sur des lignes différentes du bilan : certains à l’actif (primes dues, frais d’acquisition repor-tés, dépôt espèce) d’autres au passif (provisions techniques). Le changement déplace l’exigence de séparer la présentation d’un groupe à un niveau de portefeuille mais les comptes de créances et de dettes ne seront pas présentés séparément.

L’impact de cette norme sur les assureurs n’a pas encore été estimé mais les enjeux sont importants.

Quel impact sur les investissements des assureurs ?

La première conséquence de l’évaluation en valeur actuelle est, en cette période de taux bas, l’augmentation de la va-leur des engagements. Ainsi, face à cette dette accrue, les assureurs devront investir dans des placements dont la valeur sera adossée à ces contrats. Si la valeur était inférieure à celle des engagements long terme, les assureurs ne pourraient pas honorer leurs engagements. De plus, les entreprises devront avoir des fonds propres suffisants face à la dette plus forte.

La deuxième conséquence est une plus grande volatilité des résultats rendant compliquée le pilotage à long terme de l’ac-tivité des assureurs. IFRS 17, hormis pour les contrats éligibles au modèle « Variable fee » (contrats participatifs directs) nie les liens entre les placements et les passifs d’assurance, ce qui contribue aussi à une volatilité accrue.

Ainsi les assureurs pourraient avoir des difficultés de por-tage voire abandonner certains types de placement alors même que le secteur finance massivement les innovations et infrastructures de demain ainsi que l’économie verte et du-rable en tant qu’investisseur.

Une modification de l’offre des assureurs ?

Le groupement des contrats en cohortes annuelles ne per-met pas de refléter le modèle économique dans le reporting financier, en particulier la mutualisation intergénérationnelle. En France, la participation aux bénéfices annuelle des pro-duits d’assurance vie est partagée entre les assurés quel que soit leur année de souscription. De manière plus générale, le

concept de cohorte annuelle va à l’encontre de la solidarité inhérente à la tarification des contrats.

L’assurance est basée sur la mutualisation des risques des por-tefeuilles composés de contrats qui peuvent être différents mais qui forment un tout. Grâce à cet ensemble non homogène de contrats, les risques peuvent être mutualisés. Cette nouvelle granularité comptable pourrait conduire à reconnaitre des groupes de contrats onéreux dès l’origine, ne traduisant pas les modalités retenues pour la tarification de ces contrats et leur gestion.

Ainsi, les assureurs pour des raisons d’image de marque mais aussi d’affichage de pertes alors même que la ligne de produits est rentable pourraient revoir leur stratégie commerciale soit en revoyant leur tarification à la hausse et plus alignée avec les profils de risque soit en abandonnant des lignes de produits.

Des coûts d’implémentation très élevés Tout d’abord, la nouvelle granularité comptable induit une complexité présentant des challenges opérationnels (gestion de la granularité des données et leur historisation, volume des calculs, …). La nouvelle présentation du bilan entrainera aussi des évolutions majeures des outils pour regrouper des don-nées qui sont aujourd’hui administrées dans des systèmes dif-férents et qui seront coûteuses alors même qu’elles ne sont pas pertinentes.

Ce coût élevé de la mise en adéquation du système d’in-formation pourrait être un frein aux investissements et à la participation de l’assurance au sein de l’économie mais aussi un motif d’augmentation des frais de gestion des assurés.

Alors que le G20 a mis en avant le rôle incontournable de l’assurance pour faire face aux défis de demain démogra-phiques, sociaux, environnementaux, financiers et écono-miques, la nouvelle réglementation comptable internationale IFRS 17 pourrait mettre à mal la contribution de l’assurance au développement économique de l’Europe. Espérons que les débats des mois à venir répondront aux préoccupations des assureurs.

Contacter Anne-Marie JOLYS BRIS : [email protected]

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 38

Paroles d’experts

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 39

Paroles d’experts

La prise en compte des principes de diversité

et de proportionnalité dans la régulation

Carole DELORME d’ARMAILLÉ,

directeur général, OCBF

Stéphane LE BLÉVEC, head of Group

Prudential Affairs, Rothschild & co

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 40

Paroles d’experts

La proportionnalité appliquée au secteur bancaire est un sujet complexe sinon tabou que l’on peut aborder sous plusieurs aspects, la réduction du fardeau de la régulation, une approche adaptée à la taille et aux business models, la concurrence et la comparabilité, la culture bancaire locale.

Supervision macro-prudentielle : les profonds stigmates de la crise de 2008

La crise financière et systémique que nous avons traversée en 2008 a mis sur le devant de la scène certaines pratiques prin-cipalement dans les activités de marché spécifiques. Celles-ci ont conduit à alimenter une vive critique de la part de l’opinion publique qui s’est également diffusée auprès des législateurs, sans discernement, à des établissements qui n’étaient en rien concernés.

Jusqu’à la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008, le risque systémique, risque par nature macro-économique, n’était pas clairement identifié dans la réglementation finan-cière à la différence des risques micro-économiques plus classiques (risque de taux, risque de crédit, etc.).

Les systèmes bancaires concentrés sont, par nature, les plus exposés aux crises systémiques.

Pour éviter à l’avenir tout risque systémique, la communauté financière via le G20 a pris des dispositions à partir de 2009 concernant la supervision et la régulation de ces risques et la gestion des défaillances des institutions financières. De nombreuses réformes depuis ont été entreprises afin de dé-tecter l’accumulation de risques mal appréhendés à l’époque par les régulateurs (liquidité, titrisation, endettement, effets procycliques...).

Cette approche du risque que l’on peut qualifier de plus globale, plus macro-économique, est conduite par plusieurs normalisa-teurs au niveau mondial,  le Conseil de Stabilité Financière, le Fonds Monétaire International et le Comité de Bâle.

À l’échelon communautaire, ce rôle est tenu par le Comité euro-péen du risque systémique (CERS), et au niveau national l’auto-rité désignée est le Haut comité de stabilité financière (HCSF).

L’unicité du marché intérieur impose le principe suivant : même activité, même règle, même supervision

Post-crise, face à une multitude de modes de régulations et pour la préservation du marché intérieur, le législateur européen a finalement décidé d’encadrer l’activité des banques en ren-forçant le socle réglementaire déjà défini par le Comité de Bâle (alors que la portée du dispositif de Bâle est censée être limitée aux seules banques de dimension internationale) et selon le principe suivant : il est essentiel que les règles de sol-vabilité, de liquidité et de supervision soient les mêmes, faute de quoi cela reviendrait à une remise en cause de l’Union bancaire, de la supervision intégrée qu’elle a instituée (Méca-nisme de supervision unique) et des mécanismes de solidarité qu’elle prévoit (Mécanisme de résolution unique) afin de limiter les effets potentiels d’un retrait massif de liquidités des particuliers ou « bank run ».

Mais les exigences prudentielles se sont considérablement renforcées à tel point que de nombreux établissements aux États-Unis comme en Europe ont signalé à leurs superviseurs respectifs que le poids de ces nouvelles réglementations menaçait leur rentabilité et pourrait diminuer la compétitivité des petites banques au détriment du consommateur.

Face à ces contraintes, le débat porte toujours aujourd’hui sur le niveau de proportionnalité ou de progressivité à intro-duire dans la règlementation à mettre en perspective avec les discussions en cours à Bâle. En réalité, les exigences des régulateurs se faisant plus fortes, et à l’inverse de l’effet recher-ché, l’asymétrie réglementaire régionale tend à se renforcer mettant en exergue des modèles bancaires différents.

L’appel à une supervision et une régulation plus proportionnée s’est manifestée plus largement à la suite de l’intervention de Janet Yellen, alors présidente de la FED en août 2017 lors de son discours de Jackson Hole en laissant entendre que des ajustements pourraient être réalisés pour les petites et moyennes banques américaines. En Allemagne, la banque centrale allemande milite ouvertement depuis 2015 pour alléger le fardeau réglementaire des plus petites banques allemandes. Andreas Dombret, ex membre du directoire de la Bundesbank

Faut-il instituer un régime de proportionnalité ou de progressivité  pour les établissements non systémiques ?

Paroles d’experts

est à l’origine du concept de « Small Banking Box », d’un méca-nisme de supervision unique bis adapté à des établissements de taille intermédiaire. Hors de l’Union européenne, le régu-lateur suisse la FINMA a lancé en juillet 2018 une phase pilote dite régime des petites banques pour une durée d’un an.

L’OCBF, des associations bancaires allemandes et italiennes, les banques coopératives, le Groupement européen des Caisses d’Epargne font de la proportionnalité dans la régulation bancaire leur principal sujet de réflexion. Leur attention est particulièrement attirée par une tendance, au-delà des dis-cours officiels (notamment comme élément de la politique de « better regulation »), à l’harmonisation voire l’uniformisation en faveur du modèle des grandes banques et à la poursuite de la consolidation bancaire.

Les aspects pratiques de la proportionnalité pour l’UE

Conformément à l’article 5, paragraphe 4, du Traité sur l’Union européenne « En vertu du principe de proportionnalité, le contenu et la forme de l’action de l’Union n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités. »

La Commission s’est engagée sur la proportionnalité et le nouveau « paquet bancaire » (CRR2-CRD5) établit une classification sur 3 niveaux : établissements de grande taille, établissements de petite taille et les autres.

Les établissements de grande taille, pour faire simple, sont ceux dont les actifs sont supérieurs à 30 milliards d’euros ou supérieurs à 5 milliards d’euros si le ratio actif sur PIB de l’Etat membre est supérieur à 20 %. Les établissements de petite taille sont ceux dont la valeur de l’actif est, en moyenne, infé-rieure ou égale à 1,5 milliard d’euros.

Le seuil de 1,5Md¤ couvre environ 50 % des banques en Europe, très peu en France ou aux Pays-Bas, mais quasiment toutes les banques de l’Europe de l’Est. Certains établissements en France reconnaissent ne pas vouloir croître trop vite pour éviter les effets de seuils et être contraints de revoir leurs disposi-tifs de contrôle et de gestion des risques en conséquence.

En conséquence, la Commission doit réconcilier ces positions et trouver un bon équilibre entre le maintien de la diversité bancaire européenne et la pérennisation d’un cadre juridique cohérent.

Le challenge est de garantir la prise en compte des spéci-ficités et des pratiques bancaires nationales (certains mé-tiers sont/étaient régulés dans certains pays et pas dans d’autres) en imposant un cadre unique : est-ce que l’on veut

des grandes banques selon le modèle français ou un univers de banques petites et moyennes comme en Allemagne ? Quel est le bon mix ?

L’objectif est de s’assurer que tout en soutenant que l’activité bancaire est régulée, cette activité normative sectorielle s’ar-ticule de façon harmonieuse avec la liberté entrepreneuriale, dont la traduction concrète est la diversité des opérateurs tant par la taille que par les formes juridiques, qui constitue un des socles fondamentaux des libertés promues par l’Union européenne.

Faut-il envisager de nouvelles mesures liées à la proportion-nalité à l’échelle mondiale ?

C’est justement ce que préconisent certains banquiers cen-traux lors des échanges qui se sont tenus lors de la confé-rence ICBS (International Conference of Banking Supervisors) de novembre 2018.

Ce rapport établit un état des lieux précis de la question de la proportionnalité et du dispositif de Bâle. Il pose comme principe sous-jacent que le risque global s’accroît de manière non linéaire avec la taille des établissements financiers no-tamment au titre de leur systémicité, les externalités dues aux faillites s’accroissant de manière exponentielle. Il établit également que les banques bénéficient d’économies d’échelle pour le respect des normes administratives.

De ce fait, la proportionnalité rétablit l’optimisation des bé-néfices nets de la réglementation, simplifie le dispositif ré-glementaire, réintroduit des conditions de concurrence équi-tables, accroît l’efficacité du contrôle.

Inversement, les effets positifs de la proportionnalité sont contrebalancés par l’augmentation des effets d’arbitrage entre les systèmes de régulation, la fragmentation du dispo-sitif réglementaire et la création d’effets de seuils.

Pour éclairer le débat, les banquiers centraux font le point sur les pratiques de proportionnalité prudentielles et font les constats suivants :

Les accords de Bâle respectent déjà nativement des principes de proportionnalité,

Les juridictions nationales ont déjà introduit des règles proportionnelles au sein même d’ailleurs du groupe des nations ayant signé l’accord de Bâle.

Preuve que la prise de conscience de la nécessité d’introduire la proportionnalité dans la réglementation progresse, ils font

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 41

Paroles d’experts

la proposition de poursuivre les travaux à l’échelle mondiale pour les raisons suivantes :

échanger des informations sur les approches et tech-niques prudentielles, quant à leurs pratiques locales/ré-gionales en termes de proportionnalité.

se pencher sur les cas des juridictions non membres qui font l’objet de pressions extérieures en faveur de l’adop-tion, en tout ou partie, du dispositif de Bâle, qu’il leur soit adapté ou non.

avec l’interdépendance croissante des systèmes finan-ciers, étudier les conséquences pour la stabilité finan-cière mondiale d’un potentiel effet domino en référence à la faillite collective de banques locales de moindre en-vergure, la crise des banques secondaires au Royaume-Uni en 1973-75, et la crise des caisses d’épargne aux États-Unis dans les années 1980.

Dans cette perspective, l’intégration réelle d’une démarche de proportionnalité à l’échelle mondiale ne serait pas consi-dérée comme portant atteinte à l’efficacité du système glo-bal de supervision et pourrait même lui donner une portée plus pragmatique et moins formelle comme accélérateur de croissance car au bénéfice, en particulier, de la compétitivité du secteur bancaire européen dans son ensemble et du fi-nancement de l’économie.

Contacter Carole DELORME d’ARMAILLÉ : [email protected]

Contacter Stéphane LE BLÉVEC : [email protected]

SYSTÈME EUROPÉEN DE SURVEILLANCE FINANCIÈRE (SESF)

SUPERVISION MACRO-PRUDENTIELLE

HAUT COMITÉ DE STABILITÉ FINANCIÈRE (HCSF)

SUPERVISION MICRO-PRUDENTIELLE

COMITÉ EUROPÉEN DU RISQUE SYSTEMIQUE (CERS)

COMITÉ MIXTE DES AUTORITÉS DE SUPERVISION EUROPÉENNE

AUTORITÉ BANCAIRE EUROPÉENNE

(ABE/EBA)

AUTORITE EUROPÉENNE DES ASSURANCES ET DE

PENSIONS PROFESSIONNELLES (AEAPP/EIOPA)

AUTORITÉ EUROPÉENNE DES MARCHES FINANCIERS

(AEMF/ESMA)

ACPR/BANQUE DE FRANCE

ACPR/BANQUE DE FRANCE

AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

PRÉSIDENTS ABE, ESMA ET AEAPP

BANQUE CENTRALE EUROPÉENNE

COMMISSION EUROPÉENNE

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 42

La plupart des défis sont mondiaux et ne peuvent être relevés qu’ensemble.JEAN MONNET

Engager une réflexion collective sur la création de centres de ressources ESG disposant d’une légitimité institutionnelle

Le groupe de travail recommande la création de centres de compétences et de ressources ESG (Environnement, Social, Gouvernance) qui bénéficieraient à la fois de l’inventivité des experts et des chercheurs, de la légitimité d’autorités pu-bliques, et de l’expérience opérationnelle de praticiens des métiers bancaires et financiers.

En effet, l’environnement, le green, le climat deviennent de plus en plus, à travers la montée de « l’ESG », des marqueurs

de stratégie. Cette évolution se traduit par une exubérance de recherches provenant de multiples cercles et d’acteurs anciens ou nouveaux, par l’apparition d’écosystèmes spé-cifiques désireux de faire évoluer certaines pratiques, ainsi que par une abondance de concepts, d’outils et d’instruments d’analyse - parfois dissonants.

Le groupe de travail considère que cette profusion devrait être utilisée et mise au service du bien commun. Il recom-mande par suite la création de centres de compétences et de ressources ESG qui viseraient la promotion des meilleures pratiques et qui devraient exister aux trois niveaux d’actions pertinents : national, régional, mondial. Au niveau français : l’application de l’article 173-VI de la Loi sur la Croissance Verte et la Transition Energétique

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 44

Paroles d’experts

Les investissements liés à l’environnement, au Green et au climat

Edouard GRIDEL, ex-senior banker corporates, HSBC

Pierre-Henri CASSOU, président,

PHC Conseil SAS

Maxime DRUAIS, ingénieur financier, Natixis Assurances

Christophe IZART, deputy CEO of BPCE

Vie & Prévoyance, Natixis Assurances

(LCVTE), qui impose l’obligation de « disclosure » de leurs portefeuilles à certains investisseurs institutionnels fran-çais, pourrait être une première mesure utile. L’application de cette disposition met toutefois en exergue des diver-gences et des lacunes dans sa conception qui empêchent sa pleine efficacité. Un centre de compétences ESG en France, bénéficiant si possible de l’appui d’une autorité pu-blique, permettrait de relayer les différentes propositions d’amélioration de la loi  : couverture de ses angles morts, mutualisation des développements (avancées des uns et retards des autres), adoption des meilleures pratiques (par exemple en poussant la logique du « comply or explain »).

Au niveau européen  : les conclusions de la Task Force for Climate Disclosure (TFCD), initiées par le Conseil de Stabilité Financière, ont été remises en 2018 aux Communautés Eu-ropéennes et l’action du High Level Expert Group (HLEG) a permis l’adoption du « Paquet Vert ». Toutefois, des traduc-tions opérationnelles ne sont pas attendues avant de longs mois, notamment pour la définition de la « taxonomie » du vert (quelles sont les opérations - ou les activités - qui le sont et celles qui ne le sont pas ?). Un centre de compétences ESG eu-ropéen institutionnalisé pourrait ainsi synthétiser ce qui serait recommandé dans les différents pays de l’Union Européenne, pérenniser les travaux et conduire aux adoptions attendues.

Au niveau mondial : dans son  First Progress Report d’octobre 2018, le NGFS pointe les insuffisances actuelles dans la lutte contre le risque climatique  (manque de données pertinentes, d’outils méthodologiques ou de modèles prédictifs) qui em-pêchent une évaluation correcte du risque financier lié au climat, notamment des conséquences macro-économiques des risques physiques et des risques de transition sur l’investissement, sur la consommation, sur la productivité, sur les supply chains, sur les valeurs d’actifs, sur les taux de défaut des actifs verts et des actifs bruns, etc. Est aussi pointée l’attente des marchés pour de nouveaux instruments financiers verts : indices, dérivés, approches risk-driven et value-driven. Un centre mondial de compétences ESG utilisant des expertises académiques et de l’industrie financière, permettrait aux banques centrales et aux superviseurs de remplir leurs missions et d’être plus que jamais des public good providers.

À terme, une plateforme ouverte dédiée au green, soutenue par les Nations Unies et légitimée par les banques centrales et les superviseurs, agrégeant les données extra-financières pertinentes, validées au regard de la lutte pour la stabilité financière contre le risque climatique, constituerait un levier d’appropriation et d’intégration des enjeux ESG par la com-

munauté de tous les acteurs économiques (autorités pu-bliques et acteurs privés, émetteurs et investisseurs, analystes et chercheurs, etc.).

Promouvoir le développement par consensus de métriques structurantes

Les progressions futures passeront par toujours plus de cla-rifications des métriques au moyen de consensus créant de la confiance, à l’image de ce qui fait le succès croissant des Green Bonds : des principes volontaires, un effort d’objec-tivation sur un nombre croissant de secteurs d’activités, un respect de l’autonomie des acteurs, une instance de valida-tion des principes, (l’International Capital Markets Association - ICMA), qui actualise chaque année depuis janvier 2014 les Green Bonds Principles, une veille constante par un centre de compétences spécifique et une mesure des progressions par des organismes spécialisés comme la Climate Bonds Initiative.

L’engouement pour l’envrionnement, le green, le climat doit conduire à une clarification des concepts et des méthodes d’analyse dans les différents métiers bancaires et financiers, et déboucher sur une rationalisation des définitions :

labels clairs (ex : ISR, TEEC, autres) en produits d’asset-management,

critères précis par secteurs pour valoriser et crédibiliser l’engagement des acteurs en finance de marché,

méthodes de reporting des emprunteurs pour inclure les avancées scientifiques (mesure des gaz à effet de serre, pollutions en tous genres, prélèvements sur toutes les ressources naturelles, biodiversité et océans inclus, « scope 3 », etc.).

D’une étude commandée par HSBC au cabinet East & Partner en 2018, il ressort qu’au niveau mondial, plus de 60 % des in-vestisseurs et près de 50 % des émetteurs ont mis en place une stratégie ESG. Cette étude montre le chemin parcou-ru mais aussi celui qui reste à parcourir pour continuer à convaincre, à créer de la confiance, à atteler les grands ac-teurs économiques, côté ressources comme côté emplois, pour accélérer le développement des opérations finançant les transitions.

Une progression des métriques proviendra d’une diffusion plus large des quatre principes auxquels la TFCD a abouti pour le reporting du risque climatique : gouvernance, stratégie, ges-tion des risques, indicateurs et objectifs. En France, un groupe

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 45

Paroles d’experts

de travail ad hoc a été constitué par le MEDEF, l’Association Française de la Gestion Financière et la Fédération Française de l’Assurance, avec l’objectif de rendre utilisables et opéra-tionnelles ses conclusions par un cadre qui soit accepté à la fois des émetteurs et des investisseurs. Un premier résultat de ce groupe de travail a été obtenu et communiqué le 1er octobre 2018, avec des indicateurs-clés de performance pour les sec-teurs de l’énergie et des transports. Les autres secteurs écono-miques sont programmés pour suivre le même chemin.

Encourager la finance régulée à la « vertu climatique »

Fin 2018, la poursuite dans des proportions très significatives de financements de projets bruns a été pointée alors que des efforts sont entrepris dans le même temps pour maxi-miser le développement des financements de projets verts. Ce constat illustre la nécessité de formules nouvelles pour encourager la « vertu climatique » et trouver une cohérence d’ensemble pour décourager son contraire.

Il importe à cet égard de poursuivre la valorisation des meil-leures pratiques et initiatives dans les différents métiers bancaires et financiers. Il s’agirait notamment de promouvoir des organismes valorisant l’engagement et l’intégration ESG chez les investisseurs, à l’exemple des UN-PRI (organisme

des Nations-Unies édictant les « Principles for Responsible Investment ») qui incitent les acteurs de la finance à la trans-parence et les invitent à structurer et nourrir une démarche responsable. Des publications faisant référence qui évaluent (voire classifient ?) les investisseurs selon leur maturité ESG ou assurent la mise en valeur des meilleures pratiques faci-literont la convergence des indicateurs clés extra-financiers.

Le groupe de travail s’est aussi interrogé sur la possibilité de transposer dans les différents métiers de la finance régulée certaines recettes et formules qui ont pu être développées dans le monde de la finance désintermédiée.

Les ratios prudentiels de fonds propres mis en place (Bâle 3 pour les banques, Solvabilité  2 pour les sociétés d’assu-rances) dans le but de conjurer une réplique de la crise de 2008, constituent un sujet sensible : les moduler en fonction de catégories de crédits consentis se prête à la critique d’un mélange des genres, la protection du système financier global ne devant pas être mise en péril au nom d’un développement d’une catégorie d’activités, fussent-elles estimées bénéfiques. D’autres moyens existent cependant pour encourager la vertu climatique.

À titre d’illustration, Natixis, a ainsi innové en créant en 2017 un « Green Weighting Factor » pour aligner ses financements sur l’Accord de Paris : ce système consiste à pondérer favo-rablement dans son bilan les opérations de financement vert

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 46

Paroles d’experts

à travers un référentiel comptable (RWA – Risk Weighted As-set - analytique sous Bâle 3), et inversement à procéder à un ajustement défavorable des risques pondérés pour les opéra-tions ayant un impact négatif sur le climat et l’environnement. D’autres institutions financières de la zone euro, par exemple le groupe bancaire néerlandais ING, ont également pris des initia-tives analogues, qui pourraient utilement servir de références.

En matière de crédits bancaires, plusieurs formules ont vu le jour, notamment les green credits et les positive incentive loans. Les green credits suivent la même logique que celle des green bonds : fléchage de l’objet financé (des actifs et des projets verts) avec contrôle ex-ante et ex-post par des organismes extérieurs. Avec les positive incentive loans (ou crédits « à impact »), la marge du crédit n’est pas fonction de la « couleur » de l’objet financé mais de la réalisation d’objec-tifs extra-financiers choisis par l’entreprise. Ces objectifs sont matérialisés et formalisés par des indicateurs-clés de perfor-mance, définis ex-ante avant la mise à disposition des fonds et certifiés ex-post à intervalles réguliers (à chaque échéance de paiement des intérêts et de remboursement du principal).

Toutes ces formules présentent l’avantage de permettre un suivi des risques au cas par cas, selon leurs qualités et leurs caractéristiques propres, d’être moins critiquables que des distorsions globales et générales de ratios réglementaires et de n’appeler que des interventions et vérifications exté-rieures similaires à celles pratiquées dans la finance désin-termédiée.

Faire évoluer la cotation des demandeurs de financement par le régulateur

Deux évolutions de l’actuelle « cotation Banque de France » pourraient être étudiées : l’inclusion de critères de durabili-té dans la cotation des entreprises françaises, et l’extension de cette cotation à des acteurs économiques français autres que des entreprises.

Si le risque climatique est reconnu comme figurant à part en-tière dans les responsabilités des régulateurs et des super-viseurs au titre de leur protection de la stabilité financière, ceux-ci doivent logiquement veiller à ce que tous les acteurs économiques de leur ressort impliqués dans la création de ce risque - ou qui leur sont soumis - puissent être correctement évalués à l’aune de ce risque. Le « risque climatique systé-mique » ne serait que la somme de tous les risques climatiques

résultant des activités de chaque acteur économique et des externalités négatives qui en découlent.

Concernant une entreprise, sa cotation peut-elle en 2019 continuer à être encore seulement « une appréciation sur la capacité à honorer ses engagements financiers à un horizon de 1 à 3 ans », avec une cote d’activité et une cote de crédit ? Ne faut-il pas y inclure, d’une part, les impacts que l’entre-prise a sur le monde extérieur (ex : pollutions en tous genres) qui peuvent lui créer un passif caché à plus ou moins long terme, et d’autre part les impacts que les dérèglements clima-tiques peuvent risquer d’avoir sur son modèle d’affaires à plus ou moins brève échéance ?

Les efforts et la politique conduite par une entreprise en ma-tière climatique pourraient être des composantes de sa cota-tion future par attribution soit d’une cote unique « de durabili-té » (à la fois financière et environnementale), soit de plusieurs cotes distinctes (l’une financière, l’autre environnementale).D’autres acteurs économiques que les entreprises agricoles, industrielles ou commerciales interviennent également dans la création du risque climatique, ou peuvent le subir, par exemple les collectivités publiques (municipalités ou régions), les offices et établissements publics (offices d’HLM), etc.

Dès lors que leurs actions ne sont pas climatiquement neutres, et qu’ils viennent se financer sur les marchés de la dette désintermédiée et/ou des crédits bancaires, ces acteurs économiques ne devraient-ils pas également être appréciés par le régulateur national, à l’instar des entreprises, par l’attri-bution soit d’une cotation (unique ou différenciée) ?

Cette action en France vis-à-vis des acteurs économiques fran-çais, qui ne dépendrait que de la volonté de la France et non de compromis ou de négociations internationales, pourrait accen-tuer son rôle pionnier et son exemplarité en matière climatique, comme ceci a été le cas avec l’adoption de l’article 173-VI de la LCVTE sur la disclosure des investisseurs institutionnels, ou avec le lancement de l’OAT verte de l’Etat français, et ce, sans nécessairement pénaliser les entreprises françaises.Une telle cotation de durabilité serait aussi un signe supplémen-taire de l’exigence verte attendue des acteurs économiques par le régulateur français (en cohérence avec la Déclaration de Performance Extra-Financière désormais en vigueur), et un signal de confiance envoyé en direction des épargnants sur la qualité authentiquement durable des sous-jacents dans lesquels ils investissent.

Paroles d’experts

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 47

Paroles d’experts

Accentuer la canalisation de l’épargne vers l’environnement, le green, le climat

Un sondage effectué en septembre 2018 par l’IFOP, pour le compte de VigeoEiris et du Forum pour l’Investissement Responsable sur l’intérêt des français pour la finance res-ponsable, fait apparaître qu’une majorité croissante d’entre eux (plus de 60 %) déclare accorder une place importante à l’ESG (dans ses 3 composantes) dans leur stratégie de place-ments mais que « leur passage à l’acte » (l’investissement dans un fonds spécifiquement ISR) demeure très faible, et, surtout, qu’une part infime (5 %) des Français se sont vus proposer de l’ISR par leur conseiller.

Pour le Groupe de Travail, une meilleure canalisation de l’épargne vers l’environnement, le green et le climat implique plusieurs actions, dont :

une évolution réelle, rapide et effective de l’assurance-vie : avec l’inclusion d’unités de compte spécifiquement vertes et facilement intégrables à un contrat déjà souscrit,

la définition de produits green, type fonds, dont la qualité soit garantie par des labels clairs et transparents. Ainsi, l’on peut s’interroger sur le maintien d’un label public ISR généraliste et d’un label TEEC (ou EEC) dédié à la transition écologique Faut-il des fonds thématiques avec des critères spécifiques par secteurs, du type voiture électrique, économie d’énergie dans le bâtiment, biodiversité, eau, etc. ?

la description des impacts réels, gage de plus grande confiance (la mesure de ces impacts réels pourrait être une autre mission des centres de compétences ESG de la recommandation 1),

l’inclusion systématique de ces produits dans les gammes de produits vendus par les réseaux bancaires et assurantiels,

la formation de tous les conseillers en gestion de patrimoine à la vente de produits d’investissements responsables et de fonds spécialisés dans l’environnement, le green, le climat.

Le développement de l’écosystème d’informations extra-fi-nancières pour l’épargnant nous apparaît clé : la formation des personnels des réseaux bancaires et assurantiels à la vente

des produits d’investissement responsable, l’identification de la sensibilité des épargnants sur les thèmes du développe-ment durable devront permettre l’essor d’une épargne plus durable et résiliente, valorisant le sens de l’investissement, en enrichissant la perception de l’épargne de sa dimension posi-tive face à des marchés souvent perçus comme anxiogènes.

Le fléchage de l’épargne et la communication directe au-tour de solutions qui développent le sens de l’investissement responsable auprès des souscripteurs viendront dès lors en-richir l’obligation fiduciaire d’informer sur la matérialité des phénomènes en jeu (« stranded asset »), accompagneront leur démarche et compléteront le profil de l’épargnant-consomma-teur en favorisant sa sensibilité aux thèmes du vert.

En conclusion, le groupe de travail souhaite souligner à quel point le concept de « tragédie des horizons » apparaît au-jourd’hui actuel et pertinent. C’est en septembre 2015 que Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre, l’avait employé pour illustrer que les atteintes au climat et à l’envi-ronnement - avec tous leurs risques induits - pouvaient sur-venir longtemps après les décisions qui les avaient provo-quées, et longtemps après le départ des décideurs.

En 2019, ce concept apparaît plus pertinent que jamais pour illustrer la difficulté de financer les transitions écologiques, énergétiques et climatiques auxquelles nous sommes confrontés : les risques liés à l’environnement, au green, au climat ont depuis longtemps quitté les horizons lointains et se rapprochent dangereusement, tandis que faire adopter en priorité les moyens d’y parer reste très difficile. Puisse l’adoption des cinq propositions de ce rapport servir à des améliorations aux niveaux nationaux, régionaux, mondiaux.

Contacter Edouard GRIDEL : [email protected]

Contacter Pierre-Henri CASSOU : [email protected]

Contacter Maxime DRUAIS : [email protected]

Contacter Christophe IZART : [email protected]

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 48

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 49

L’offre TNP pour les secteurs banque & assurance

TNP en bref

En finir avec la non-valeur ajoutée Accompagner votre transformation digitale

(Big data, robot…)

Proposer de nouvelles solutions collaboratives

Innovation & digital

Réussir vos adaptations et évolutions Accompagner la convergence des fonctions

Finance et Risque

Définir et mettre en œuvre votre TOMFIR*

Aligner le système d’information sur les métiers

Transformation

Produire de manière efficace

Participer aux arrêtés de comptes

Produire les états réglementaires (comptabilisation des opérations aux normes règlementaires…)

Assister à l’administration des référentiels (produits, comptables, tiers…)

Assistance opérationnelle

Répondre aux exigences du régulateur

Prendre en compte l’impact des évolutions réglementaires françaises et internationales sur vos activités (IFRS 9, IFRS 15,16,17, Bâle 3, Fatca,

SEPA, Emir, MIFID II…)

Proposer de nouvelles solutions collaboratives

Réglementaire

Reengineering de process, optimisation Aider à la refonte opérationnelle et organisationnelle

Proposer des méthodes de management innovantes (Lean Management, Lean 6sigma…)

Proposer de nouvelles solutions collaboratives

Organisation & processus

Vous accompagner en tant que pilote de votre organisation

Piloter des projets de transformation des solutions de performance

Accompagner la décision dans les choix d’outils

Déployer les systèmes de pilotage auprès des directions

Pilotage de la performance

TNP, 31 rue du Pont, 92200 Neuilly-Sur-Seine 01 47 22 43 34 [email protected]

blog.tnpconsultants.fr www.tnpconsultants.com

Vos interlocuteurs TNP

NOS BUREAUXParis, Lyon, Marseille,

Luxembourg, Genève, Cochin,

Alger, Casablanca

450consultants

70 m€de chiffre d’affaires

40 %de croissance

annuelle depuis 2008

TNP en chiffres

Guillaume CAZAURAN, partner TNP [email protected]

Jean-Luc GÉRARD, partner TNP [email protected]

Erick MOTTIN, directeur TNP [email protected]

Gérald VOITOT, partner TNP [email protected]

Florence BONNET, directrice TNP [email protected]

Franck MAHÉ, associate partner [email protected]

TNP en bref

Assurance & Protection Sociale

Réglementaire, Audit

& ConformitéFinance

& Risques GDPR

Saison 4 | Les Histoires de demain par | 50

Nous contacter

LE CERCLE DE LA RÉGULATION ET DE LA SUPERVISION FINANCIÈRE

UN INTERLOCUTEUR CLÉ POUR DÉCRYPTER L’ACTUALITÉ DE LA RÉGULATION ET DE LA SUPERVISION FINANCIÈRE

Afin d’approfondir la réflexion sur les objectifs, les acteurs, le fonctionnement ou encore les impacts de la régulation et de la supervision financière, le CRSF a vu le jour en décembre 2017. Ses membres, des experts indépendants s’exprimant en leur nom propre, partagent leurs opinions et leurs recommandations sur ces sujets pour plus de lisibilité.

CRSFCERCLE DE LA RÉGULATION ET

DE LA SUPERVISION FINANCIÈRE

BUSINESS HUMAN TECHNOLOGY

TNP accompagne depuis 10 ans les leaders de l ’économie dans leurs programmes de transformation à forts enjeux métiers et humains.

www.tnpconsultants.com

MENEZ AVEC TNP LES TRANSFORMATIONS OÙ INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET INTELLIGENCE ÉMOTIONNELLE FERONT LA DIFFÉRENCE

Co

ncep

tio

n-r

éalis

ati

on

du

do

cu

men

t : S

tud

ioC

had

ho

- E

stelle

Dh

o /

Cré

dit

s p

ho

tos

: Is

tock