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PR É FACE Notre ami et ancien collègue, le DR. CHARLES CADOUX mérite bien toute notre gratitude et toutes nos félicitations. Il est le premier à avoir conçu, à l’intention de nos élèves, un manuel d’histoire littéraire de France. C’est, à ma connaissance, le premier manuel de ce genre, rédigé en français et publié en Inde. Il existe en France d’excellentes histories de la littérature française. Mais elles s’adressent aux lycéens ou aux étudiants universitaires dont le français est la langue maternelle et pour qui, par conséquent, la civilisation française n’est pas inconnue. Il y en a d’autres qui, rédigées tantôt en anglais, tantôt en français, sont destinées aux jeunes Anglais ou Américains dont la civilisation n’est pas trop éloignée de celle de la France. Elles sont utiles, dans une certaine mesure, aux étudiants indiens qui sont encore d’expression anglaise; mais elles ne le seront jamais complètement tant qu’on n’aura pas tenu compte des difficultés de nos élèves, dues à leur ignorance de la civilisation occidentale. D’où le mérite et la raison d’être du présent manuel. L’auteur l’a composé uniquement à l’intention des étudiants indiens abordant l’étude de la littérature française. Il l’a écrit dans un style simple et clair. Au besoin il n’a pas hésité à fournir des explications en anglais, langue avec laquelle nos étudiants sont plus familiers qu’ils ne sont avec le français. D’ailleurs l’auteur n’a pas travaillé dans l’abstrait; le manuel est le résultat des classes faites par lui, lorsqu’il était affecté à l’Université de Poona, de

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PR É FACE

Notre ami et ancien collègue, le DR. CHARLES CADOUX mérite bien toute notre gratitude et toutes nos félicitations. Il est le premier à avoir conçu, à l’intention de nos élèves, un manuel d’histoire littéraire de France. C’est, à ma connaissance, le premier manuel de ce genre, rédigé en français et publié en Inde. Il existe en France d’excellentes histories de la littérature française. Mais elles s’adressent aux lycéens ou aux étudiants universitaires dont le français est la langue maternelle et pour qui, par conséquent, la civilisation française n’est pas inconnue. Il y en a d’autres qui, rédigées tantôt en anglais, tantôt en français, sont destinées aux jeunes Anglais ou Américains dont la civilisation n’est pas trop éloignée de celle de la France. Elles sont utiles, dans une certaine mesure, aux étudiants indiens qui sont encore d’expression anglaise; mais elles ne le seront jamais complètement tant qu’on n’aura pas tenu compte des difficultés de nos élèves, dues à leur ignorance de la civilisation occidentale. D’où le mérite et la raison d’être du présent manuel. L’auteur l’a composé uniquement à l’intention des étudiants indiens abordant l’étude de la littérature française. Il l’a écrit dans un style simple et clair. Au besoin il n’a pas hésité à fournir des explications en anglais,

langue avec laquelle nos étudiants sont plus familiers qu’ils ne sont avec le français. D’ailleurs l’auteur n’a pas travaillé dans l’abstrait; le manuel est le résultat des classes faites par lui, lorsqu’il était affecté à l’Université de Poona, de 1955 à 1957, comme Boursier Français du Gouvernement de l’Inde. C’est, ainsi, un livre d’expérience, conçu à la fois dans esprit pédagogique et milieu de la pratique pédagogique. On peut donc prédire pour ce manuel un très vif succès auprès de tous nos jeunes gens qui désirent s’initier à cette belle littérature française.

Y.K.SOHINI,

Lecteur du Français Poona, le 29 mai 1961 à

L’Université de Poona. (Inde)

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MOYEN AGE La langue française vient du Latin. Elle s’est formée surtout au cours du Moyen Age (1000-1500A. D.environ). Mais son origine est très ancienne : le français que nous parlons aujourd’hui appartient au même groupe de langues que le sanscrit. C’est le groupe des langues dites indo-européennes. Du 10ème au 16ème siècle, la littérature française est très abondante et très variée. On y trouve surtout : ---des poèmes épiques, ou épopées, dont le plus célèbre et aussi le plus long est  ‘‘La Chanson de Roland’’ (11ème siècle). ---des poèmes lyriques, encore appelés ‘‘chansons’’ parce que  ces poèmes sont généralement chantés. Le poète (troubadour ou trouvère) y raconte le plus souvent l’amour d’un Chevalier pour une Belle Dame vivant dans un château-fort (Castle). Le plus grand des poètes de cette époque fut sans doute Villon, qui vécut au 15ème

siècle. Aventurier, mauvais garçon, il conserva cependant toujours au fond du cœur l’amour du bien et l’amour de Dieu.

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---des poèmes dramatiques. Le théâtre est en effet très apprécié au Moyen Age. Les drames sont essentiellement des drames religieux que décrivent la création du monde par Dieu, la vie et la mort du Christ, la vie de la Vierge Marie. Leur titre est d’ailleurs significatif : les pièces (plays) s’intitulent ‘‘Miracles’’ ou ‘‘Mystères’’, et les représentations ont lieu dans les églises ou juste devant. ---une littérature populaire, qui comprend surtout des romans et des comédies dont les nombreux personnages sont soit des animaux, soit des gens du peuple simples mais rusés. Le ‘‘Roman de la Rose’’, le ‘‘’Roman de Renard’’, ‘‘La Farce de Maître Pathelin’’ sont parmi les chefs- d’œuvre le plus connus. ---les ‘‘chroniques’’ historiques constituent également un genre littéraire particulier. Au Moyen Age les croisades donnèrent lieu à de nombreux récits que l’on peut considérer comme la première ébauche de la science historique française. A certains égards, les ‘‘grands chroniqueurs’’ Villehardouin et Joinville sont déjà de véritables historiens. Le Moyen Age a été une époque de foi où la religion chrétienne a joué un rôle dominant. La construction des magnifiques cathédrales ‘‘romanes’’ et ‘‘gothiques’’ (Notre-Dame de paris, chartres,...) en est la meilleure preuve. Ce fut aussi une époque où les guerres étaient fréquentes parce que l’unité de la France n’était pas encore réalisée. Quant à la littérature du Moyen Age, elle a été négligée

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pendant longtemps. Ce sont les poètes romantiques du 19ème siècle qui ont attiré l’attention sur sa variété et sur sa richesse. Aujourd’hui, l’étude de cette littérature est toujours à l’honneur dans les programmes universitaires.

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Seizième Siècle (1500-1600)

Le seizième siècle est le siècle de la Renaissance mouvement, né d’abord en Italie, et qui gagna ensuite l’Europe, eut une influence décisive sur la littérature française. La Renaissance est une sorte de révolution dans les poquées philosophiques, religieuses, politiques, sociales et littéraires. Elle marque dans tous les domaines une rupture avec le monde médiéval, et suscite une passion pour les découvertes et pour les théories scientifiques. Cette révolution intellectuelle et technique entraînera une transformation complète des mœurs et, en définitive, du monde. Au point de vue littéraire, la Renaissance se caractérise par deux traits principaux : retour aux Anciens et crise de la pensée chrétienne. D’une part, en effet, les écrivains du 16ème siècle veulent oublier le Moyen Age ; ils vont désormais puiser leur inspiration chez les Anciens, c’est-à-dire les écrivains grecs et latins de l’Antiquité. A l’idéal profondément religieux du Moyen Age, ils opposent des idées nouvelles où se manifestent l’indépendance d’esprit et le désir de connaître le monde :

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Il faut juger les choses par soi-même, sans considérer. Ce que dit la religion chrétienne ; Il faut jouir de la vie parce qu’elle est brève ; Il faut s’instruire et apprendre les sciences nouvelles (physique, astronomie, etc.) ; Il faut surtout imiter les Anciens parce qu’ils on atteint la perfection de l’Art. La pensée chrétienne, d’autre part, déjà attaquée par ces idées nouvelles, subit une crise appelée la Réforme. Certains dogmes fondamentaux de la religion catholique sont rejetés par une partie des théologiens à la suite de Luther et Calvin. La Réforme divise ainsi l’Eglise chrétienne et introduit en France, ainsi qu’en Europe, le Protestantisme. Ces deux mouvements, Renaissance et Réforme donnent à la littérature de cette époque un caractère original, à la fois vigoureux et désordonné. Parmi les nombreux écrivains de ce siècle, trois auteurs sont à mettre au premier rang : Ronsard, Rabelais et Montaigne.

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La Poésie Française Au 16ème

Siècle

Durant tout le Moyen Age la poésie avait été très populaire. Les sujets et les genres étaient nombreux : épopées célébrant les exploits de ‘‘preux’’ (courageux) chevaliers ; chansons naïves, poèmes lyriques consacrés aux joies et aux douleurs de la vie, à la mort. Dans cette poésie l’idée de Dieu et d’un monde supraterrestre était toujours présente. Les poètes de la Renaissance, épris de nouveauté vont réagir contre cette conception poétique et poser des règles qui donneront à la poésie une orientation nouvelle.

LA PLÉIADE

Un groupe de jeunes poètes, appelé ‘‘La Pléiade’’ (ils étaient une dizaine), décident de renouveler complètement la poésie ; à cet effet, ils formulent un code poétique dont les principes bouleversent la poésie traditionnelle :

Il faut en premier lieu renouveler l’inspiration. Comment ? En empruntant les thèmes et les idées aux poètes grecs et latins.

Il faut aussi renouveler l’expression (la forme) ; on laisse donc de côté la prosodie et les genres en honneur au Moyen Age pour rétablir les genres anciens, par

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exemple l’ode et le sonnet, et pour puiser dans la mythologie antique les images et les métaphores indispensables à toute poésie. Il faut enfin ‘‘écrire en français’’, mais comme la langue française est encore pauvre, on fabrique des mots nouveaux (néologismes) qui, peu à peu, entreront dans le vocabulaire. Cette révolution poétique porte ses fruits. La poésie s’enrichit parce que l’inspiration et la langue sont plus variées, et la versification plus savante et plus souple. Cependant l’imitation abusive des poètes grecs et latins rend fréquemment la poésie artificielle et difficile. Tandis qu’au Moyen Age tout le monde pouvait apprécier les poètes, au 16ème siècle seuls les gens instruits, qui connaissent bien l’Antiquité, peuvent goûter pleinement la poésie. A cette époque, les poètes et versificateurs sont très nombreux. Quelques-uns se distinguent par un talent original. Ainsi Clément Marot, qui rappelle Villon par son ironie touchante et son badinage (light talk), Agrippa d’Aubigné, et Mathurin Régnier dont la violence verbale atteste la forte personnalité Joachim Du Bellay (1522-1560), poète simple et délicat qui fut aussi le théoricien de La Pléiade dans son manifeste ‘‘Défense et Illustration de la Langue française’’. Dans le recueil intitulé ‘‘Les Regrets’’, Du Bellay exprime avec beaucoup d’émotion la nostalgie du pays natal de Rome, où il est en exil, il se souvient de son village, de sa maison, de sa partie et il appelle la France :

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‘‘France, France, réponds à ma triste querelle !’’

Cependant il est un poète qui domine tous les autres : Ronsard.

RONSARD (1524-1585)

Pierre de Ronsard est le plus célèbre poète de la Renaissance et l’un des plus grands de la littérature française. Il a vécu dans l’aisance, il a fréquenté la cour du roi, et il est mort dans la gloire. Son œuvre est importante. Ronsard a composé beaucoup de poèmes, odes et épopées, où il imite trop servilement les Anciens pour être sincère. L’influence de Pétrarque, le grand poète de la Renaissance Italienne (15ème siècle), est souvent visible. Mais Ronsard a su trouver aussi un accent très personnel dans un grand nombre de sonnets qu’il a réunis sous le titre de ‘‘Les Amours’’, et dédié aux trois Dames qu’il a connues et aimées (Amour à Cassandre, Amour à Marie et Amour à Hélène). Le sonnet est un court poème de 14 vers qui obéit à des règles très strictes. Il faut donc beaucoup d’habileté et de talent pour réussir un bon sonnet, et il faut du génie pour exprimer des sentiments sincères dans un cadre aussi étroit. Ronsard y est parvenu. Tout en empruntant des images et des comparaisons aux poètes de l’Antiquité, il arrive à nous émouvoir parce qu’il exprime des sentiments vrais. Il sait évoquer la mélancolie de la vieillesse, comme par exemple dans ce sonnet adressé à Hélène.

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‘‘Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle…’’

Poète de la Renaissance ; Ronsard veut jouir des plaisirs de la vie : ‘‘Le temps s’en va, le temps s’en va, Ma Dame Et nous nous en allons……Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie’’.

Il aime la nature et en apprécie la beauté : ‘‘Mignonne, allons voir si la rose Qui ce matin était éclose N’a point perdu cette vesprée Qui faisait croire à sa beauté.’’

Quelque peu oublié au 17ème et au 18ème siècle, Ronsard a été célébré par les Romantiques du 19ème siècle. On a même dit qu’il était le ‘‘père du Romantisme’’. C’est un grand poète lyrique, c’est-à-dire qui exprime des sentiments personnels. Il a abordé tous les thèmes : amour, jeunesse, vieillesse, mort, amour de la nature, etc. C’est un grand versificateur. Ses poèmes sont surtout remarquables par la beauté et la délicatesse des images, et par la musique et le musique et le rythme des vers. C’est un poète de la Renaissance. Goûter les joies de la terre, profiter du bonheur, telle est sa philosophie. L’inquiétude métaphysique lui est étrangère.

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La Prose FrançaiseAu 16ème Siècle

Les romans et les chroniques historiques étaient les genres favoris des prosateurs du Moyen Age. Mais leur style, au charme naïf, était généralement lourd et compliqué parce que mal dégagé de la langue populaire. Avec la Renaissance, la prose se renouvelle et se perfectionne. L’éclosion d’idées et de doctrines nouvelles suscite des écrivains pour les propager ou pour les combattre : la littérature s’annexe ainsi de nouveaux domaines. Par ailleurs, les auteurs deviennent plus habiles dans le maniement de la phrase : la syntaxe s’assouplit et s’enrichit, en partie sous l’influence des ‘‘Humanistes’’, érudits qui connaissent parfaitement le grec et le latin et qui présentent des traductions des meilleurs écrivains de l’Antiquité un sang neuf pénètre la littérature. Le renouveau n’affecte pas également tous les genres littéraires. Le théâtre, par exemple, reste dans la tradition du Moyen Age tant dans le drame (‘‘Le mystère de la Passion’’ de A. Gréban) que dans la comédie (farces, sotties, moralités). En revanche, la philosophie politique et la théologie engendrent des œuvres intéressantes et neuves dont les auteurs sont à la fois de profonds penseurs et de brillants prosateurs. Ainsi Jean Bodin, auteur d’un traité politique célèbre intitulé ‘‘La République’’, Saint François de Sales, grand écrivain catholique ;

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Calvin et Théodore de Bèze, théologiens protestants. Et l’on pourrait en citer bien d’autres. Deux écrivains, toutefois, se distinguent par leur génie et leur renommée : Rabelais et Montaigne.

RABELAIS (1495-1553)

On ne connaît pas entièrement la vie de François. Rabelais, mais on sait qu’elle fut variée et mouvementée : tour à tour médecin, moine, professeur, écrivain, Rabelais voyagea beaucoup en France et en Italie. Esprit encyclopédique, avide de connaissances, aimant par dessus-tout la vie, il est véritablement un homme de la Renaissance. Les écrits de Rabelais s’échelonnent sur un grand nombre d’années et constituent plusieurs volumes, mais l’ensemble forme un roman énorme et fantastique dont le titre, simplifié, pourrait être : ‘‘La Vie et les aventures de Pantagruel et Gargantua’’. C’est un livre fantastique parce que les principaux personnages sont des géants qui voyagent à travers le monde, qui s’instruisent dans toutes les sciences et tous les arts, pratiquent tous les sports, discutent toutes les théories en honneur à la Renaissance ; leur vie, pleine de péripéties et d’exploits extravagants, est une longue comédie bouffonne. En écrivant ce livre, Rabelais poursuit deux buts principaux : faire rire et instruire le lecteur. Rabelais écrit pour des malades, et il veut les amuser ; en bon médecin il sait qu’un malade en riant oublie sa

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maladie, devient optimiste et peut ainsi guérir plus facilement. Par ailleurs, Rabelais pense que la gaieté, l’optimisme, est un trait dominant de la nature humaine : il faut faire rire, dit-il, ‘‘….parce que le rire est le propre de l’homme’’. Cependant, toute une philosophie traverse cette œuvre burlesque. L’auteur, qui partage les idées de la Renaissance, s’exprime à travers les personnages imaginaires de son roman : il conseille l’individualisme en toutes choses, c’est-à-dire le rejet de toutes les règles imposées par la religion ou par la vie sociale. Dans l’abbaye de Thélème, le monastère où se trouve Gargantua, l’unique règle de conduite est ‘‘Fais ce que (tu) voudras’’. L’éducation de Gargantua est à base de préceptes singuliers : l’étudiant doit tout savoir et son programme est extrêmement chargé ; latin, grec, langues, arts, sciences, Gargantua étudie tout cela afin d’avoir ‘‘une tête bien pleine’’. Le précepteur ne donne qu’un seul ordre à son élève : ‘‘bois’’ (drink). Ce commandement signifie qu’il faut boire du bon vin, c’est-à-dire s’instruire le plus possible. Enfin, à travers les aventures et les idées soutenues par les héros de son livre, Rabelais combat activement ou ridiculise les théories traditionnelles. En prose, c’est lui qui assure le passage du monde du Moyen Age au monde moderne. Le roman de Rabelais offre un exemple caractéristique de l’esprit de la Renaissance. Alors qu’au Moyen Age

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l’individu demeurait soumis au cadre fixé par la religion et la société, à la Renaissance il se libère de cette contrainte. Rabelais a beaucoup contribué, par son esprit satirique et sa philosophie individualiste, à démolir ce cadre traditionnel.

MONTAIGNE (1533-1592)

De tous les écrivains de la Renaissance, Michel de Montaigne est sans doute celui qui a exercé la plus forte influence sur la littérature postérieure. Il eut une vie douce et agréable, peu agitée ; il voyagea à travers l’Europe, soigna sa santé délicate ; participa aux affaires publiques (il fut membre du parlement de Bordeaux), mais surtout s’intéressa aux livres, aux hommes, et principalement à lui-même. Son ouvrage principal s’appelle ‘‘Les Essais’’. Ce n’est pas un roman mais plutôt un journal personnel (diary) dans lequel, pendant de longues années, il a noté ses sentiments et ses idées sur les sujets les plus variés : sa famille, son caractère, ses enfants, ses amis, sa santé, sa profession, et surtout ses idées sur la religion, l’éducation, la politique, la philosophie. Quelles sont donc les idées de Montaigne ? Elles sont très variées et parfois contradictoires, en effet, à mesure qu’il vieillissait Montaigne modifiait ses jugements. Il a dit lui-même que ‘‘l’homme est un être ondoyant et divers’’ dont les idées et les sentiments varient sans cesse. Au début de sa vie Montaigne était stoïcien : il faisait

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l’éloge de la vie austère, du sacrifice, de la douleur. Puis il évolua vers le scepticisme. A son avis, la vérité, dans tous les domaines, est relative ; il y a du vrai et du faux dans chaque théorie. En conséquence, il ne faut pas s’attacher à un système de pensée déterminé ; au contraire, il faut sans cesse chercher l’équilibre moral entre ce que conseille la raison et ce que suggèrent les instincts. Il a mis en pratique sa philosophie, choisissant en chaque occasion la solution qui lui semblait la plus sage, c’est-à-dire la moins pénible. Car la philosophie de Montaigne est celle d’un homme très cultivé, qui veut éviter les excès en toutes choses, plaisirs ou soucis, afin d’éviter le plus possible la souffrance. Montaigne est un Sage. Pour lui, ‘‘philosopher c’est apprendre à mourir’’. Philosophie sceptique, la philosophie de Montaigne est aussi une philosophie individualiste : il ne s’intéresse pas, ou peu, à la société, il s’intéresse à l’Homme. Quand il analyse ses sentiments et ses réactions c’est pour mieux connaître la nature humaine. Quand il explique sa conduite et justifie son comportement, c’est toujours dans le but de préserver sa liberté et sa personnalité, c’est-à-dire de défendre la liberté individuelle contre toutes les contraintes.

INFLUENCE DE RABELAIS ET DE MONTAIGNE

Tous deux ont marqué la littérature française. Tous deux sont des individualistes qui repoussent les impératifs

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de la religion et de la société. Cependant ils diffèrent par de nombreux aspects. Au point de vue caractère et tempérament, ils sont foncièrement différents. Rabelais aime la vie et l’action, c’est un homme de volonté qui a de l’enthousiasme. Montaigne, au contraire, est un individualiste qui hésite devant l’action et choisit toujours ce qui lui plaît ; il manque de volonté et d’enthousiasme. Cette différence de caractère se reflète en particulier dans leurs idées sur l’éducation tandis que Rabelais conseille à l’élève d’apprendre toutes les sciences et d’accumuler une grande masse de connaissances, Montaigne veut que son élève sache avant tout juger par lui-même. Pour lui, l’éducation consiste moins à charger la mémoire qu’à forme le jugement. Il déclare : ‘‘J’aime mieux une tête bien faite qu’une tête bien pleine.’’Et pour cela il est nécessaire de ‘‘limer sa cervelle à celle d’autrui’’ ; ou, si l’on veut, de confronter son intelligence avec celle des autres. Au point de vue littéraire, Rabelais et Montaigne sont également bien différents. Rabelais est un écrivain plein de verve, au vocabulaire très riche, mais son style est souvent confus parce que trop abondant, trop touffu Montaigne, lui, est un excellent écrivain, au style simple et clair. En outre, bien que parlant de lui-même, il exprime des vérités générales, c’est-à-dire des vérités psychologiques valables non seulement pour lui, mais également pour tous les hommes, de tous les pays et de tous les temps.

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C’est pourquoi la place de Montaigne dans la littérature du 16ème

siècle est unique. Si Rabelais est un pur produit de la Renaissance, Montaigne est déjà un écrivain ‘‘classique’’.

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IDÉES GÉNÉRALESSUR LE 16ème SIÉCLE

Le 16ème siècle français est une époque agitée et complexe, mais riche.

VIE POLITIQUE

Au seizième siècle, la France a pratiquement réalisé son unité. C’est véritablement une nation et le roi de France est assez puissant désormais pour assurer et maintenir la cohésion du royaume. Il cherche d’ailleurs à agrandir son territoire : il entreprend des guerres en Italie. Par ailleurs, la Réforme a provoqué des divisions très vives entre Catholiques et Protestants : de 1562 à 1598 les ‘‘guerres de religion’’ troublent la vie politique et entretiennent une agitation permanente dans le royaume de France.

VIE SOCIALE ET INTELLECTUELLE

Le Renaissance et la Réforme, qui renversent l’ordre traditionnel, suscitent une lutte intellectuelle entre les partisans de l’ordre ancien (Moyen Age) et ceux de l’ordre nouveau. Des découvertes scientifiques, l’imprimerie en particulier, et géographiques, découverte de l’Amérique par

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Colomb en 1492, élargissent les connaissances, ouvrent des horizons nouveaux et favorisent les contacts avec les pays étrangers. Les Arts vont profiter de ce renouvellement.

BEAUX-ARTS

La littérature n’est pas le seul domaine artistique à s’enrichir grâce à la Renaissance. La peinture et l’architecture obéissent au même mouvement. Le Moyen Age a vu la naissance de la peinture française dont il reste encore des chefs-d’œuvre. Les sujets étaient essentiellement religieux. Au 16ème siècle, une double influence va s’exercer sur cette peinture : influence des peintres italiens tout d’abord, influence aussi des peintres flamands (Breughel). Au 14ème et au 15ème siècle, la peinture italienne a connu son âge d’or avec l’École de Florence (Raphaël, Léonard de Vinci, Michel Ange) et l’École de Venise (Tintoret, Le Titien). A leur exemple, les peintres français postérieurs renouvèleront leur inspiration tout en perfectionnant leur technique. C’est au roi François 1er qu’est dû ce développement des beaux-arts, car c’est lui qui fit venir en France, à la Cour, des peintres italiens. Il fit aussi construire de magnifiques châteaux où le roi et ses courtisans donnaient des fêtes auxquelles poètes et artistes célèbre étaient invités. Les plus beaux châteaux de cette époque sont situés sur les bords de la Loire.

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CONCLUSION Désormais les beaux-arts, notamment la peinture et l’architecture, se développeront parallèlement à la littérature.

* *

Le seizième siècle est donc une époque riche, complexe, active dans tous les domaines. Mais comme la langue française n’est pas encore définitivement fixée, l’accès de la littérature demeure difficile pour le lecteur qui n’a pas une connaissance approfondie du français. S’il fallait caractériser brièvement cette période de transition entre le Moyen Age et l’âge classique on pourrait dire que les deux idées directrices du seizième siècle sont : individualisme et liberté.

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Dix-Septième Siècle1600-1700

On appelle le dix-septième siècle français le Siècle Classique. L’évolution amorcée à la fin du 15ème

siècle aboutit vers 1660 à l’épanouissement des arts et à la formulation d’une doctrine littéraire nouvelle : le Classicisme.

SITUATION GÉNÉRALE

Au 17ème siècle, la France est prospère et puissante. Au point de vue politique, la situation est moins agitée qu’auparavant. Les guerres de religion sont terminées et si des troubles apparaissent encore, le gouvernement a maintenant assez de force pour les réprimer. En effet de grands hommes politiques dirigent la France : Le Cardinal Richelieu, Mazarin, puis Colbert, le célèbre ministre de Louis XIV. Celui-ci, appelé le ‘‘Roi Soleil’’, règnera de 1660 à 1715 et donnera à la France la première place en Europe. Cette prééminence politique ne veut pas dire que tout était parfait dans le royaume de France. Louis XIV était un roi absolu qui disait : ‘‘L’État, c’est moi’’. Il a entrepris des guerres contre les pays voisins dans

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l’espoir de rendre la France plus grande et plus puissantes ; mais vers la fin de son règne des échecs répétés ont ébranlé le pouvoir royal. Quant au peuple, sa condition ne fut jamais très enviable. Cependant, d’une façon générale, la situation financière et politique de la France est bonne. Ceci favorise le développement de la vie artistique d’autant plus que Louis XIV aime les arts et s’entoure d’une cour très brillante. Il encourage et aide les artistes ; il fait construire de splendides châteaux, tel le Château de Versailles. Il fait venir à la cour les écrivains les plus réputés, il fait donner de brillantes représentation théâtrales et, en un mot, ‘‘patronne’’ les lettres et les arts. Or cet engouement pour la vie artistique coïncide avec l’apparition, entre 1660 et 1680, de très grands écrivains. Ce sont les écrivains classiques. Donc, quand on dit que le 17ème

siècle est le siècle du classicisme, il faut bien voir que cette définition ne s’applique pas à l’ensemble du 17ème

siècle, mais seulement à la période qui va de 1660 à 1680. Ces vingt années sont l’Age d’Or de ‘‘l’École classique ‘’.

QU’EST-CE QUE LE CLASSICISME ?

Le Classicisme est une doctrine littéraire et artistique qui se caractérise par quatre traits principaux : ----Influence prédominante de la raison. L’écrivain classique ne se laisse pas guider par ses sentiments, il obéit à la raison, ce qui donne à sa pensée solidité et clarté.

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---- Étude du cœur humain. Ce qui intéresse l’écrivain classique c’est l’analyse psychologique ; il veut montrer pourquoi et comment l’homme se comporte de telle ou telle façon dans la vie.-----Souci de la beauté. Pour l’écrivain classique, beauté est synonyme de vérité ; ‘‘Rien n’est beau que le vrai’’ écrit Boileau. Mais le souci de la vérité conduit l’écrivain classique à rechercher la beauté de la forme, c’est-à-dire l’harmonie, l’équilibre et la pureté du style.-----Présence de l’idée de Dieu. La littérature classique est une littérature chrétienne, ou du moins d’esprit religieux. On y sent toujours l’inquiétude métaphysique. La morale qui s’en dégage est une morale chrétienne. Ainsi les écrivains classique ne cherchent pas à exprimer leurs sentiments personnels ni à décrire les charmes de la nature. Ils étudient l’Homme. Leur art vise à l’expression de vérités psychologiques générales. La littérature du 16ème siècle était une littérature personnelle. La littérature classique est impersonnelle. Pascal en a formulé la loi en écrivant : ‘‘Le Moi est haïssable’’. Après lui, les écrivains classique n’oseront pas parler d’eux-mêmes et s’effaceront toujours derrière leurs personnages.

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LA FORMATION DE LA LITTÉRATURE CLASSIQUE

(1600-1650)

La doctrine classique s’est forgée dans la première moitié du 17ème siècle sous l’influence de divers facteurs. Comme il est naturel, l’idéal de la Renaissance, défendu par certains auteurs, est combattu par d’autres. De cette lutte entre les deux tendances sortira la doctrine classique.

CONTINUATION DE LA RENAISSANCE

Elle se manifeste dans tous les domaines et le principe fondamental de l’imitation des Anciens est toujours en vigueur. Toutefois une réaction se dessine contre les abus et les licences qu’avait entraînés la trop grande ardeur des écrivains du siècle précédent. On veut mettre un peu d’ordre dans la langue et dans les genres littéraires. Ainsi Malherbe, poète et grammarien, introduit des règles très strictes dans la poésie. Vaugelas compose une grammaire qui aide à fixer la langue française. En 1635, Richelieu fonde ‘‘L’Académie Française’’ (40 membres qui seront appelés ‘‘Immortels’’) dont le rôle est de rédiger un dictionnaire pou surveiller la langue et combattre l’abus des néologismes. Lentement donc de nouvelles règles s’introduisent

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dans la littérature et dans les arts, qui réduisent la liberté de l’écrivain et mettent un frein à l’individualisme. La littérature de ces quelque cinquante années porte la marque de cette évolution. Elle est un mélange de genres et d’idées où les excès cèdent peu à peu devant les tentatives d’ordre. On l’a qualifiée de littérature ‘‘baroque’’. Des influences nouvelles expliquent cette transformation.

LES INFLUENCES NOUVELLES

Dans la société aristocratique du 17ème siècle apparaissent des modes et des goûts nouveaux en même temps que se renouvelle la pensée philosophique et religieuse. Plusieurs courants traversent la littérature et laisseront leur empreinte sur la doctrine classique. On peut noter trois courants principaux : la Préciosité, le Cartésianisme et le Jansénisme.

Les salons   : la Préciosité (1610-1640). A cette époque la France n’est pas troublée par des guerres très violentes. Aussi les gens de la haute société sa passionnent-ils pour la littérature et les arts. Les dames de l’aristocratie ouvrent des salons où elles reçoivent écrivains et artistes pour discuter de problèmes intellectuels et de questions littéraires. Le salon de Madame de Rambouillet fut particulièrement célèbre. Les conséquences sont à la fois sociales et littéraires.

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Les habitudes, les mœurs deviennent plus raffinées et la langue française s’épure, car dans ces salons les invités rivalisent de politesse et d’esprit. Mais ces raffinements seront poussés jusqu’à l’exagération, c’est-à-dire la préciosité. Préciosité dans le langage trop affecté : pour éviter les mots vulgaires on emploie des expressions compliquées et fades (au lieu de dire ‘‘les pieds’’, on dit ‘‘les chers souffrants’’). Préciosité dans les sentiments aussi : on recherche les subtilités, pour aboutir dans l’invraisemblable. Préciosité enfin dans les règles de courtoisie et de politesse qui versent dans l’affectation et le ridicule. Plus tard Molière se moquera de cette mode (‘‘Les Précieuses Ridicules’’) et les classiques réagiront contre cette invraisemblance. Mais la Préciosité laisse des traces dans la littérature classique. En particulier, le gout de l’analyse psychologique et le souci de la langue pure, du vocabulaire noble, en sont issus.

La Philosophie   : Le Cartésianisme.

Avant le 17ème siècle la philosophie était dominée par la pensée chrétienne. Au Moyen Age un très grand théologien, Saint Thomas d’Aquin (1226-1274), avait écrit en latin plusieurs traités de philosophie scolastique où il traitait de l’existence de Dieu. Il proclamait l’existence de Dieu comme un dogme de Foi mais démontrait aussi que la raison humaine peut arriver à la connaissance de Dieu. En somme, la philosophie thomiste (ou philosophie

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de Saint thomas) était une philosophie chrétienne qui utilisait ensemble la Foi et la Raison. Cette méthode philosophique est complètement renouvelée au 17ème

siècle par le philosophe français Descartes (1596-1650). Dans son ‘‘Discours de la Méthode’’, Descartes écarte la Foi comme instrument de réflexion philosophique au profit de la seule Raison. Son système repose sur la constatation : ‘‘Je pense, donc je suis’’. A partir de là, Descartes met systématiquement en doute ce qui a été dit avant lui et essaie ; uniquement à l’aide de sa raison, de construire sa pensée et son système philosophique. Descartes contribue ainsi à répandre le culte de la raison. Le cartésianisme, ou méthode de réflexion s’appuyant uniquement sur la raison, est à l’origine de la philosophie moderne. Directement influencés par Descartes, les écrivains classiques accorderont la première place à la raison, donc au raisonnable et au vrai. On peut dire que le cartésianisme introduit dans la littérature classique : logique, ordre et clarté.

Le sentiment religieux   : Pascal

La Renaissance et la Réforme avaient affaibli l’importance de la religion en littérature. Au 17ème siècle, le sentiment religieux redevient vigoureux. Pourquoi ? Plusieurs faits peuvent l’expliquer. Sous Louis XIV, la religion catholique est religion d’État. La place du clergé, son rôle et son influence s’en trouvent renforcés.

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Le clergé catholique, qui avait subi une crise, se reprend et se développe : l’inépuisable charité d’un Saint Vincent de Paul et l’influence considérable de l’Ordre des Jésuites attestent ce renouveau. Enfin Pascal et la querelle du Jansénisme attirent l’attention des gens instruits sur les problèmes religieux.

Qu’est-ce que le Jansénisme   ?

C’est une doctrine catholique fondée par le théologien hollandais Jansénius en 1640. En France cette doctrine fut acceptée par certains catholiques ; notamment par les théologiens du monastère de Port-Royal (à Paris), mais vivement combattue par les Jésuites. Le Pape devait finalement condamner le Jansénisme : Selon cette doctrine, l’homme n’est pas libre de faire le bien ou le mal. Dès sa naissance il est donc sauvé ou damné. Cette doctrine pessimiste exigeait une morale sévère. Elle mettait l’accent sur les imperfections et les faiblesses de la nature humaine.

Pascal (1623-1662)

Blaise Pascal est un mathématicien et un philosophe. Il fréquenta Port-Royal et défendit le Jansénisme contre les Jésuites, avec beaucoup de force et de talent dans ses ‘‘Lettres Provinciales’’. Mort jeune, Pascal n’a pas écrit d’ouvrage philosophique, mais il a laissé des notes qui ont été recueillies sous le titre de ‘‘Pensées’’.

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Quelles sont ses idées sur l’Homme ? Pascal, comme Montaigne, estime que l’homme est une contradiction, un être à la fois misérable et admirable. C’est un être misérable et malheureux par que son intelligence est limitée, son imagination trompeuse, et ses instincts bons et mauvais tout ensemble. Cependant l’homme est un être admirable parce que, à la différence des animaux, Il peut penser, aimer, espérer. L’homme n’est ni ange ni bête, écrit Pascal. Ou encore : l’homme n’est qu’un roseau (reed), le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant. Dès lors une question se pose. Comment expliquer cette contradiction ? Selon Pascal, seule la religion chrétienne est capable de donner la réponse exacte : la grandeur de l’homme vient de son origine divine, et sa misère vient du péché. Ainsi avant même l’apogée de l’école classique, on rencontre un très grand penseur et bel écrivain qui s’attache à l’étude du cœur humain, et en montre toute la complexité :‘‘Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas’’. Et ce philosophe s’inquiète de la destinée de l’homme. A l’insouciance métaphysique des écrivains du 16ème

siècle succède l’angoisse :‘‘Le silence éternel des espaces infinis m’effraie’’. (Pensées)

Vers le milieu du 17ème siècle, ces diverses influences combinées entre elles s’épanouissent dans ce qu’on

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appellera le classicisme. Dans la littérature des années 1660-1680 on retrouve, en effet, les tendances qui se sont manifestées dans la première moitié du siècle : Imitation des Anciens : les sujets des tragédies classiques, et même certaines idées, sont empruntés aux auteurs grecs ou latins. Culte de la Raison : les héros de tragédie sont des raisonneurs qui sont toujours vraisemblables. Goût de l’analyse psychologique : dans la tragédie classique, il y a constamment lutte entre la raison et les sentiments. Sentiment religieux : la littérature classique est une littérature de conception chrétienne. Pureté du style : le vocabulaire des auteurs classiques est noble et abstrait ; ils évitent les expressions trop communes et ils respectent les règles de bienséance.

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La Poésie Lyrique Au 17ème Siècle

On appelle lyrisme l’expression poétique de sentiments personnels. Au Moyen Age et au 16ème siècle la poésie française était une poésie essentiellement lyrique. Au 17ème siècle le lyrisme disparaît presque complètement. Pourquoi ? D’une part, Malherbe (1555-1628) enferme la poésie dans des règles strictes qui empêchent le poète de s’exprimer librement. Aussi la poésie devient- elle pauvre car l’inspiration viendra moins de la sensibilité que de l’intelligence : les poèmes lyriques seront clairs, corrects, harmonieux,parfois, mais sans émotion. Malherbe, réformateur de la poésie, a exercé une influence considérable sur les poètes postérieurs. D’autre part, la société lettrée du 17ème siècle est gagnée à l’idéal classique. ‘‘L’honnêteté homme’’, c’est – à- dire l’homme cultivé qui aime la littérature, n’aime pas que le poète exprime ses sentiments personnels ; il préfère découvrir des vérités psychologiques générales. Si bien qu’au 17ème siècle on ne rencontre pas de grand poète lyrique français. Dans la première moitié du siècle apparaît un courant poétique ‘‘précieux’’ avec des poètes intelligents. Subtils, mais fades, comme par exemple Voiture et Racan. C’est au théâtre que triomphera

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la poésie, mais alors il ne s’agit plus de poésie lyrique. Etouffé par la réforme de Malherbe, le lyrisme tiendra une place forte réduite dans la littérature française du 17ème et du 18ème siècle. Ce sont les Romantiques qui, au 19ème

siècle, remettront la poésie lyrique au premier rang, renouant ainsi avec Ronsard et les poètes de la Renaissance.

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Le Théâtre Au 17ème Siècle

Quelle est la situation du théâtre au 17ème siècle ? Tout au long du 16ème

siècle on a assisté à une lente évolution du théâtre, à la formation d’un certain nombre de règles destinées à mettre de l’ordre dans la tragédie et dans la comédie. En outre, bien que les sujets soient en majorité puises dans les Livres Saints de la religion chrétienne, des auteurs dramatiques s’orientent déjà vers l’histoire de l’Antiquité qui leur fournit ainsi des sujets neufs. Avec le 17ème siècle une ère nouvelle s’ouvre pour le théâtre. Deux genres sont particulièrement florissants : l’Opéra, qui est du théâtre chante, et la Tragédie. La Tragédie va se développer et devenir plus vraisemblable qu’au siècle précédent. Moins populaire, ou, si l’on veut, plus savante qu’auparavant, elle prendra un caractère aristocratique : seuls les gens instruits seront à même de l’apprécier. Et vers le milieu du 17ème siècle, le théâtre atteint sa perfection. C’est le triomphe du Théâtre Classique.

L’ÉCOLE CLASSIQUE (166O – 1680)

Sous le nom d’école classique en désigne un certain nombre d’écrivains qui, en l’espace de vingt années, ont donné à la littérature française des chefs– d’œuvre

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Caractérisés par un même souci de l’exactitude psychologique et de la pureté du style. Parmi ces écrivains, il y a des prosateurs. Mais les meilleurs représentants de cette école sont des poètes, qui ont écrit pour la scène. En effet, les cinq grands classiques sont :---- Corneille. Il est le père de tragédie classique bien qu’il ait vécu et écrit dans la première moitié du 17ème siècle.---- Racine. Avec lui la tragédie classique atteint la perfection.---- Molière. C’est le plus grand auteur comique français.---- La Fontaine. Il a composé des Fables ; ce n’est donc pas un dramaturge, mais, en fait, chacune de ses fables est un petit drame dont les personnages sont des animaux. La Fontaine était l’ami de Racine, de Molière et de Boileau. On les appelait les ‘‘quatre amis’’.---- Boileau. C’est un poète, mais ni lyrique ni dramatique. Dans ses poèmes Boileau expose et défend l’idéal classique. C’est surtout un ‘‘critique littéraire’’. C’est donc bien au théâtre, toujours était en vers, que la doctrine et l’art classiques ont été le mieux représentés.

Les Caractères De La Tragédie Classique

La tragédie classique obéit à des règles strictes et elle a un cadre très limité : Elle est toujours écrite en vers alexandrins (vers de 12 pieds).

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Elle comprend toujours cinq actes. Elle est soumise à la règle des ‘‘trois unités’’ : Unité d’action   ; le sujet doit être centré sur une seule intrigue principale. Unité de lieu ; l’action doit se dérouler dans le même lieu durant les cinq actes. Unité de temps ; l’action doit durer au maximum un jour (24 heures). Le bon auteur classique doit respecter scrupuleusement ces règles de composition. Quant au sujet lui- même, il revêt des caractères constants. La tragédie classique montre la lutte des passions dans le cœur de l’homme. Les héros, comme tout homme en général, sont tiraillés entre le Bien et le Mal. La raison conseille de faire le bien tandis que les instincts et les passions poussent vers le mal. En somme, une tragédie classique est un ‘‘combat intérieur’’. Enfin les héros de tragédie classique sont toujours des rois ou des princes, non des hommes ordinaires. Ainsi la tragédie se déroule sur un plan supérieur : ce n’est pas une aventure banale ou un drame de la vie quotidienne, c’est au contraire quelque chose de grand, d’extraordinaire, de pathétique. En définitive, la tragédie classique met en scène de nobles personnages qui luttent contre leurs passions. C’est donc essentiellement un drame psychologique où les évènements extérieurs sont secondaires. Et l’histoire qui s’y développe doit toujours être vraisemblable : en effet, des personnages qui se trouvent dans des situations

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irréelles et qui éprouvent des sentiments exagérés ou faux ne touchent pas le spectateur. Or la tragédie classique, comme tout drame, est faite pour émouvoir le spectateur.

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LES REPRÉSENTANTS DE L’ÉCOLE CLASSIQUE

Pour bien connaître le classicisme il faut se pencher sur les œuvres des auteurs les plus représentatifs. L’idéal classique étant un idéal de noblesse et de grandeur, et la poésie étant considérée comme un genre plus noble que la prose, on ne sera pas étonné de voir que les meilleurs représentants du classicisme sont des poètes. Chacun d’eux a son propre tempérament et son propre style, et cependant tous adhèrent au même idéal. C’est ce qui fait l’unité de l’école classique française.

PIERRE CORNEILLE (1606- 1684)

Corneille est né à Rouen, dans la province de Normandie. Il étudia le Droit (Law) et fut avocat. En France, les Normands ont la réputation d’être rusés et prudents ; ce sont des gens qui réfléchissent avant d’agir. On retrouve ce trait de caractère dans les œuvres de Corneille : les héros de ses tragédies raisonnent beaucoup et, avant de se lancer dans l’action, examinent avec soin toutes les conséquences possibles de leurs actes. Corneille a composé de nombreuses tragédies et également une comédie. C’est lui qui a été le véritable fondateur de la tragédie classique. Ses tragédies les plus célèbres

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et les plus belles sont : ‘‘Le Cid’’, ‘‘Horace’’, ‘‘Cinna’’ et ‘‘Polyeucte’’.

Le Cid (1636)

Rodrigue, appelé Le Cid, est le fils d’un grand capitaine espagnol. Il aime Chimène, fille d’un autre grand capitaine espagnol. Mais le père de Rodrigue se querelle avec le père de Chimène. Rodrigue doit venger son père qui a reçu un soufflet (slap) du père de Chimène. Rodrigue hésite entre son amour pour Chimène et son honneur : le devoir lui commande de venger son père en se battant en duel avec le père de Chimène. Finalement sa volonté triomphe de son amour : il se bat et tue le père de Chimène. Celle-ci, qui aime toujours Rodrigue, demande cependant au roi de punir Rodrigue pour venger l’honneur de son père. Ainsi l’honneur l’emporte sur l’amour. La tragédie du Cid, c’est le triomphe de la volonté sur la passion de l’amour.

Horace (1640)

L’histoire se passe à Rome, au début de l’empire romain. Trois frères, les Horaces, doivent se battre contre les trois frères Curiace. Les Horace défendent Rome et les Curiace défendent Albe, ville voisine et rivale de Rome. Or l’un des Horace est marié à une sœur des Curiace, et Camille, une sœur des Horace, est fiancée à l’un des

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Curiace. Chez les combattants il y a donc lutte entre l’amour de la partie et l’amour conjugal. Finalement le devoir l’emporte et le patriotisme triomphe de l’amour.

Cinna (1640)

L’histoire se situe également à Rome. Il y a eu une conspiration contre l’empereur Auguste. Le complot (plot) est découvert. Auguste hésite entre la vengeance et le pardon. Finalement il pardonne. Ici, la générosité l’emporte sur la passion de la vengeance.

Polyeucte (1643)

C’est une tragédie chrétienne, qui se déroule à Rome, au début du christianisme. Polyeucte est un soldat romain qui s’est converti à la religion chrétienne ; il est marié à Pauline, qu’il aime profondément. Obligé de choisir entre le renoncement à sa religion et la mort, Polyeucte, après hésitations, choisit la mort malgré son amour pour Pauline. Ainsi l’amour divin l’emporte sur l’amour humain.

L’ART DE COREILLE

Pierre Corneille n’est pas véritablement classique, mais c’est lui qui donne à la tragédie ses principaux traits classiques. Corneille n’est pas un véritable auteur classique. Pourquoi ? Il appartient à la première partie du 17ème siècle,

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période de formation où se conjuguent plusieurs influences, donc inégale. Corneille se plie difficilement à la règle des trois unités : ses tragédies sont complexes et compliquées. Il y a plusieurs sujets dans la même pièce ; ainsi dans Le Cid, on relève une intrigue principale entre Rodrigue et Chimène, et deux intrigues secondaires, l’amour de Don Sanche pour Chimène, et l’amour de l’infante pour Rodrigue. Il y a trop d’événements extérieurs, ce qui rend difficile le respect de la règle de l’unité de lieu et de temps ; dans Le Cid, en un jour il se passe une querelle (Don Diègue et Don Gormas), deux duels, et une bataille contre l’ennemi. Pareillement dans Horace. Il y a des scènes confuses et des tirades trop longues, parfois obscures. Enfin les héros de Corneille sont trop souvent des hommes exceptionnels qui ont peu de faiblesses ; ils sont trop vertueux pour être vraisemblables ; leur psychologie n’est donc pas toujours exacte. Rodrigue et Chimène sont les deux héros cornéliens les plus humains et les plus émouvants : ils ont une volonté forte, mais ils souffrent. Dans ses tragédies ultérieures, Corneille crée des personnages de plus en plus vertueux et volontaires, mais de moins en moins humains. Cependant par certains aspects Corneille est déjà un classique. Il puise ses sujets dans l’Antiquité, latine surtout, mais donne à ses héros, païens, une attitude et des sentiments chrétiens. Ses tragédies sont déjà et surtout

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Un conflit de la volonté et des passions. C’est par là que Corneille est un classique. Avant lui, les aventures extérieures constituaient le principal intérêt de la tragédie ; avec Corneille, le centre de la tragédie c’est le cœur des héros aux prises avec les passions. Enfin son style est classique, c’est-à-dire équilibré : style clair, exprimant les nuances des passions et les subtilités du raisonnement ; style rapide, incisif, violent même dans certains dialogues ; style sublime et tendre dans les scènes d’amour. Certains vers de Corneille sont devenus des proverbes :

‘‘Je le ferais encor, si j’avais à le faire’’. ‘‘A qui venge son père il n’est rien d’impossible’’. ‘‘L’amour est un plaisir, l’honneur est un devoir’’. (Le Cid)

QUEL EST LE BUT DE CORNEILLE ?

Corneille cherche à provoquer l’admiration du spectateur, en lui montrant des hommes exceptionnels qui, par leur force de volonté, triomphent de tous les obstacles. Son théâtre a donc une indéniable force morale. Dans les meilleures tragédies, les héros cornéliens demeurent vraisemblables, humains, parce qu’avant de vaincre leurs passions ils hésitent et souffrent. Ce ne sont pas des marionnettes, mais des hommes qui luttent. Le théâtre de Corneille est essentiellement psychologique

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logique et moral. S’il manque parfois de vraisemblance, c’est que Corneille peint les hommes ‘‘tels qu’ils devraient être’’, et non pas tels qu’ils sont.

JEAN RACINE (1639-1699)

Lorsque Racine naît, près de paris, Corneille est déjà un auteur célèbre ; Le Cid est représenté avec un grand succès en 1636, donc trois ans avant la naissance de Racine. Entre eux il y a une génération de différence, et durant cet espace de temps, le goût classique s’est définitivement affirmé. Corneille a bâti la tragédie classique, Racine va la porter à la perfection. L’éducation qu’il a reçue prépare Racine à son art : il apprend le grec et le latin ; il connaîtra donc parfaitement le grec et aura une solide connaissance des tragiques grecs : Eschyle, Sophocle et Euripide (4ème et 5ème siècle avant Jésus-Christ). Racine est élevé dans la religion chrétienne ; il étudie à Port-Royal et subit l’influence janséniste, ce qui lui donne une conception pessimiste de l’homme ; dans ses tragédies, il montrera surtout les faiblesses du cœur humain. Ses héros sont le plus souvent des personnages de la mythologie ou de l’histoire grecque ; et, comme chez les tragiques grecs, ils sont dominés par le Destin (Fate). Cependant Racine prend aussi ses sujets dans l’Antiquité latine ou dans la Bible. Par ailleurs ses personnages ne sont pas chrétiens, mais Racine leur donne des réactions et des sentiments qui sont chrétiens,

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et même jansénistes. En tout cas l’idée de Dieu est présente dans son œuvre.

LES PRINCIPALES TRAGÉDIES DE RACINE

Racine a écrit une comédie ‘‘Les Plaideurs’’, et onze tragédies ; il en a composé neuf entre 1660 et 1680, deux entre 1689 et 1691. Les plus belles sont :

Andromaque (1667)

L’histoire se situe dans la Grèce ancienne, lors de la destruction de Troie par les Grecs. Hector, le chef de Troie, est mort dans la bataille, il a été tué par Pyrrhus, le roi grec vainqueur ; il laisse une veuve, Andromaque, et un fils, Astyanax, désormais prisonniers de Pyrrhus. Or Pyrrhus devient amoureux d’Andromaque et veut l’épouser. Celle-ci refuse, fidèle au souvenir d’Hector. Pyrrhus alors lui ordonne de choisir entre le mariage ou la mort de son fils Astyanax. Prise entre deux sentiments très forts, la fidélité à l’époux disparu et l’amour maternel, Andromaque hésite longtemps, et finalement se décide à épouser Pyrrhus. Mais la tragédie se termine dans le sang. Hermione, fiancée délaissée par Pyrrhus, fait tuer celui-ci par Oreste, un jeune homme qui l’aime mais qu’elle n’aime pas. Pyrrhus meurt, Hermione se tue et Oreste devient fou. Dans cette tragédie, Racine montre comment la

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violence des passions conduit au crime. Il évoque aussi la beauté des sentiments maternels d’Andromaque, épouse fidèle et mère courageuse.

Britannicus (1669)

L’histoire se passe à Rome, sous Néron. Le jeune empereur Néron va commettre son premier crime. Il tombe amoureux de Junie, fiancée de son frère Britannicus. Afin de satisfaire sa passion, il répudie son épouse Octavie, repousse les conseils de sa mère Agrippine, fait enlever Junie, et finalement fait empoisonner Britannicus. Cette tragédie est une analyse très poussée de l’amour passion, c’est-à-dire de l’amour non contrôlé par la raison ni par la volonté.

Bérénice (1670) et Bajazet (1672)

Encore deux tragédies où Racine analyse la complexité du sentiment d’amour et les faiblesses du cœur humain.

Iphigénie (1674)

L’action est située dans la Grèce ancienne. Les Grecs veulent attaquer la ville de Troie ; pour cela, il faut traverser la mer, mais il n’y a pas de vent pour pousser les bateaux. Le roi grec Agamemnon consulte les oracles qui lui disent de sacrifier aux dieux sa propre fille Iphigénie.

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Pris entre son amour pour sa fille et son devoir de roi, Agamemnon se décide, mais après bien des hésitations, à sacrifier sa fille. Iphigénie, qui redoute la mort, accepte cependant et se soumet à la volonté de son père. Elle est sauvée au dernier moment.

Phèdre (1677)

C’est le chef-d’œuvre de Racine, le sujet est tiré de la mythologie grecque. Phèdre est l’épouse légitime de Thésée qui a un fils, déjà jeune homme, né d’une première femme. Or Phèdre, devenue belle-mère d’Hyppolyte, l’aime. Elle a honte de sa passion coupable mais, dominée par le Destin, elle n’a pas la volonté d’y résister. Elle déclare son amour à Hippolyte ; celui-ci, horrifié, la repousse. Pour se venger, Phèdre accuse Hippolyte devant son père Thésée en disant qu’Hippolyte l’aime. C’est une calomnie. Thésée chasse son fils qui se tue. Mais Phèdre, prise de remords, se tue à son tour. Dans cette tragédie, Racine montre combien la passion de l’amour est dangereuse. Phèdre n’est ‘‘ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente’’. C’est le Destin qui a voulu cet amour incestueux ; mais Phèdre n’a pas eu la volonté suffisante pour triompher de sa passion.

Après cette pièce Racine quitte le théâtre. D’une part, il est découragé : ses ennemis critiquent ses tragédies. D’autre part, il revient à la religion chrétienne

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qu'il semblait avoir quelque peu oubliée. Il se marie et occupe une charge à la Cour de Louis XIV. Dix ans plus tard il revient à la scène avec deux tragédies chrétiennes.

Esther (1689)

Le sujet est inspiré de la Bible. Pour la première fois Racine introduit des chœurs qui commentent l’action en chantant. Dans la tragédie classique grecque, le chœur avait un rôle important.

Athalie (1691)

Le sujet est tiré de la Bible. Athalie est une reine païenne qui a usurpé le trône du roi de Jérusalem en faisant massacrer tous les enfants de ce roi. Mais l’un d’eux, Héliacin, a été sauvé par le grand prêtre du temple. Athalie ne le sait pas. Bientôt elle a un songe étrange et elle apprend l’existence de cet enfant, héritier légitime du trône. Athalie veut le faire tuer ; mais le grand prêtre proclame Héliacin vrai roi de Jérusalem, et Athalie est massacrée par les soldats. Quoique invisible, Dieu est le personnage central de cette tragédie. L’analyse psychologique est très juste et la poésie admirable. Voltaire, qui pourtant n’aimait pas la religion, considérait Athalie comme la plus belle tragédie de Racine.

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L’ART DE RACINE

Quel est le but de Racine ? Corneille voulait susciter l’admiration pour ses héros ; Racine veut provoquer la pitié en montrant les faiblesses de l’homme, constamment dominé par ses passions. La plus dangereuse des passions est l’amour, qui peut conduire au crime. Les personnages raciniens, quoique faibles et coupables, ne sont pas des êtres vils. Le spectateur a de la sympathie pour eux. Aussi, a-t-on reproché au théâtre de Racine d’être immoral, de montrer les passions humaines sous un jour favorable. En fait, le théâtre de Racine est aussi moral que celui de Corneille mais par une voie différente. Corneille soulève l’enthousiasme et fait aimer les sentiments nobles : après avoir vu une tragédie de Corneille le spectateur désire imiter les héros cornéliens. Racine, au contraire, provoque la pitié en montrant les conséquences criminelles des passions : après avoir vu une tragédie de Racine, le spectateur plaint les personnages raciniens et n’est pas porte à imiter leurs faiblesses. Au total, Corneille et Racine poursuivent le même but en utilisant des moyens différents : ils veulent émouvoir le spectateur par la peinture vraisemblable des passions humaines, et, par là, l’inciter à suivre dans sa vie les conseils de la raison et de la morale chrétienne. C’est la conception classique de l’homme.

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LA PERFECTION CLASSIQUE

Racine est un véritable classique qui se plie sans difficultés aux règles de l’École, et cependant évite toujours l’artificiel pour atteindre le Vrai et le Beau. Il puise son inspiration chez les Anciens, grecs et latins ; Il donne fréquemment à ses personnages, qui sont païens, un comportement chrétien, comme le veut l’idéal classique ; Il donne rigoureusement à la règle des trois unités : l’intrigue est toujours simple (unité d’action) ; les événements extérieurs sont peu nombreux et surviennent dans un lieu unique, généralement un palais (unité de lieu) ; la tragédie se déroule en quelques heures (unité de temps) ; Il concentre son étude sur le cœur humain. Une tragédie est une ‘‘crise psychologique’’. Andromaque, représentée en 1667, est la première tragédie classique centrée uniquement sur la lutte des passions. Il fait toujours une analyse psychologique très nuancée, et donc vraisemblable ; ses personnages ont des vertus mais aussi des faiblesses ; en cela ils ressemblent à tous les hommes. Racine,-a-t-on écrit, ‘‘peint les hommes tels qu’ils sont’’. Enfin la poésie de Racine, toujours noble, équilibrée, variée, représente la perfection du style classique. C’est un style juste, et tout à la fois imagé et musical : il est clair et vivant dans les dialogues ; solide dans les raisonnements

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et dans les monologues ; évocateur dans les récits, où Racine sait, en quelque vers, donner une description colorée et tragique (par exemple, la destruction de la ville de Troie dans Andromaque III-8 ; le songe d’Athalie, Athalie II-5) ; c’est un style surtout musical, grâce au rythme et à l’harmonie des vers, à l’emploi de syllabes et de voyelles ouvertes. Ainsi :

‘‘Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?’’ (Andromaque V, 5)

‘‘Ariane, ma sœur, de quel amour blessée. Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée.’’ (Phèdre I, 3)

Depuis le 17ème siècle Racine n’a pas cessé d’être joué devant tous les publics. Ses tragédies connaissent toujours le même succès. C’est la preuve qu’il a donné une peinture exacte de la nature humaine.

Molière (1622-1673)

Molière, qui de son vrai nom s’appelait Jean-Baptiste Poquelin, a mené la vie aventureuse et agitée d’un artiste, à la fois auteur et acteur de théâtre. Il est né à Paris. Il a fait de bonnes études classiques (grec et latin) et commença l’étude du Droit. Puis il se tourna vers le théâtre et se fit acteur dans une troupe de comédiens appelée ‘‘L’Illustre Théâtre’’.

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Pendant plus de dix ans Molière parcourt la France. Il apprend ainsi à connaître le peuple : il observe les mœurs et les coutumes, il écoute parler les gens du peuple et de la classe moyenne (paysans, commerçants, fonctionnaires, médecins, avocats,….). En même temps, il compose des comédies qu’il fait jouer par la troupe dont il est le directeur. Finalement il revient à Paris et devient l’auteur comique préféré du roi Louis XIV, qui lui commande des pièces et des ballets pour les nombreuses fêtes données à la cour. C’est durant cette période que Molière, qui a acquis beaucoup d’expérience et qui connaît bien son métier, écrit ses plus grandes comédies. En 1673, Molière meurt sur scène en jouant la comédie du ‘‘Malade—Imaginaire’’.

Le génie de Molière

Molière est non seulement le plus grand auteur comique de la France, mais aussi un génie universel dont l’art est apprécié dans tous les pays du monde. On a souvent tenté de l’imiter sans y réussir. Il n’est pas aisé de définir le génie de cet artiste. On peut toutefois discerner les raisons pour lesquelles son théâtre est goûté par tous les publics. Son théâtre n’est pas aristocratique. Tout le monde y compris les gens peu instruits, peut l’apprécier. Dans sa vie, en effet, Molière a fréquenté les gens du peuple,

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il connaît donc bien leur psychologie. Aussi ses comédies sont-elles toujours vraisemblables. Par ailleurs, le but de la comédie est de faire rire en montrant les défauts et les ridicules de l’homme. Or on voit plus facilement les imperfections d’un individu que ses qualités : le ridicule ‘‘saute aux yeux’’. L’art comique, et Molière y excelle, consiste à le mettre en relief sans tomber toutefois dans la caricature. Enfin Molière ne puise pas ces sujets chez les Anciens mais dans l’actualité, en observant les gens qui l’entourent son comique porte d’autant mieux qu’il vise des individus dont les mœurs sont, tout compte fait, assez proches des nôtres. En tout cas leurs défauts sont ceux de n’importe quel homme vivant dans une société donnée. Ainsi le théâtre de Molière est plus simple et plus direct que celui de Corneille et de Racine. En lisant ou en voyant jouer une tragédie, on demeure spectateur ; mais en voyant une comédie on y participe, on se fait acteur, car la comédie présente des personnages ordinaires, qui ont des défauts et qui font tire. Grand auteur comique, Molière est aussi un classique parce que à travers ses personnages, il peint l’homme en général : l’avarice, l’hypocrisie, l’orgueil, sont des vices communs à tous les hommes. Les meilleures comédies de Molière sont encore des comédies psychologiques.

Les Comédies De Molière Molière a composé un grand nombre de comédies,

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mais elles n’ont pas toutes la même valeur. On peut les classer en trois catégories. Auteur attitré de la cour royale, Molière doit fournir des ballets et des divertissements à l’occasion des fêtes données par le roi. Il écrit donc rapidement, et sans avoir toujours l’inspiration. Ses comédies ne sont alors que de simples pièces agrémentées de musique et de danse, dont le but est de distraire le spectateur ; ainsi : ‘‘Les Amants Magnifiques’’, ‘‘Le Mariage Force’’, ou ‘‘Le Sicilien’’, etc. Directeur de troupe, Molière doit assurer du travail à ses comédiens et gagner de l’argent. Il est donc contraint de composer beaucoup de comédies populaires amusantes qui attirent la foule. Ainsi : ‘‘Les fourberies de Scapin’’, ‘‘Le Malade Imaginaire’’, ‘‘Le Bourgeois Gentilhomme’’, … Dans ces comédies, la force comique vient non pas de la vérité psychologique des caractères, mais de moyens extérieurs et divers, tels que situations drôles, langage vulgaire, costumes bizarres et coups de bâton ou soufflets. Génie authentique, Molière compose des comédies qui sont des chefs-d’œuvre. En dépit des différences de civilisation, de culture, de race et de langue, ces comédies obtiennent toujours le même succès partout où elles sont jouées : c’est que Molière réussit ici non seulement à amuser le public mais encore à peindre l’homme. Parmi ces comédies, certaines sont des comédies de mœurs où Molière stigmatise les défauts propres à son époque : dans ‘‘Les Précieuses Ridicules’’ il se moque des

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femmes du 17ème siècle qui parlent un langage affecté et se comportent d’une façon qui n’est pas naturelle. Dans ‘‘Les Femmes Savantes’’, il ridiculise les femmes qui, au lieu de remplir leur devoir et leur rôle de femmes, ne veulent étudier que les sciences et paraître intelligentes. Les plus grandes comédies sont cependant des comédies psychologiques ou comédies ‘‘de caractère’’. Ce sont essentiellement : ‘‘Tartuffe’’, ‘‘Dom Juan’’, ‘‘Le Misanthrope’’, ‘‘L’Avare’’.

Dom Juan (1665)

C’est un personnage très connu dans la littérature européenne. C’est le type de l’homme cynique, riche, fier, impie et séducteur. Dans cette pièce Molière raconte plusieurs aventures de Dom Juan qui se terminent mal. C’est à la fois une farce, une comédie psychologique et parfois une tragédie. Le caractère de Dom Juan est très complexe.

Le Misanthrope (1666)

Alceste est un homme vertueux etfranc. Il a un défaut : celui de dire toujours la vérité à tout le monde. De ce fait il a de nombreux ennemis : le poète Oronte, auquel il déclare en public que ses poésies n’ont aucune valeur ; Célimène, une jeune femme qu’il aime mais à qui il reproche sans cesse sa coquetterie ; des marquis et des hommes du monde auxquels il reproche d’être superficiels, flatteurs et hypocrites. Finalement Alceste.

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qui hait la société, partira vivre dans un désert. Dans cette comédie Molièrese moque des hommes qui, trop francs, ne savent pas vivre en société. Alceste est malheureux à cause de sa trop grande vertu, poussée jusqu’à l’exagération. Or toute exagération est ridicule. C’est pourquoi Alceste apparaît à la fois sympathique et comique. Mais les personnages qui l’entourent sont encore plus ridicules que lui.

L’Avare (1668)

Harpagon est un bourgeois riche avare. Son avarice est effrayante et ridicule : il a des serviteurs, mais ils sont mal habillés ; il a une calèche et des chevaux, mais qui sont terriblement maigres ; il reçoit invités et amis, mais il surveille lui-même la composition des plats et économise les bougies ; il refuse de donner de l’argent à ses enfants et veut les marier contre leur gré, et ses enfants le haïssent ; Harpagon, enfin, est amoureux mais les femmes, qui connaissent son avarice, se moquent de lui. Finalement un domestique lui vole sa cassette et Harpagon devient presque fou. L’avarice, défaut ridicule, conduit ainsi aux pires excès et à la tragédie.

Tartuffe (1669)

Dans cette comédie Molière étudie une question délicate, la place de la religion dans la vie sociale

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Orgon est un homme qui croit sincèrement à sa religion et qui pense que tout le monde est aussi sincère que lui. Or Tartuffe est un individu hypocrite qui trompe Orgon en faisant semblant d’être sincère et vertueux. Il se fait l’ami d’Orgon, s’introduit ainsi dans sa maison, courtise sa femme, essaie en même temps d’épouser sa fille afin d’obtenir la dot (dowry). Ainsi Orgon, bourgeois honnête et pieux, nous apparaît ridicule parce qu’il est sot et se laisse berner par Tartuffe. Cependant celui-ci sera découvert et finalement puni. Molière se moque donc ici des sots et des hypocrites. Mais comme cette comédie vise la religion chrétienne, le roi Louis XIV en interdit la représentation pendant plusieurs années.

Les Femmes Savantes (1672) Molière attaque les femmes qui se prétendent instruites et savantes, qui passent leur temps dans les livres, et qui négligent de ce fait leur foyer. Ainsi Philaminte est une femme qui est à fois mauvaise épouse et mauvaise mère : elle délaisse son mari pour faire de la poésie, et veut marier de force sa fille avec un poète sans talent mais flatteur. Molière estime qu’une femme, doit être instruite et cultivée, mais qu’elle ne doit pas sacrifier sa famille aux études.

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L’Art de Molière

Le but de Molière est de faire rire (c’est la définition même de la comédie) et en même temps de peindre un caractère tel que l’avare, l’hypocrite, le cynique, le vaniteux. A cet effet, Molière utilise tous les procédés comiques possible les uns vulgaires, les autres plus raffinés : poursuites, coups de bâton, bousculades, costumes grotesques ; langage raffiné et artificiel ou au contraire langage populaire et argot ; situations comiques, rencontrés inattendues ; exagération des réactions et des sentiments. Toute vertu devient ridicule quand elle est exagérée. En somme Molière utilise tous les moyens qui lui permettent de mettre sur scène un personnage ridicule qui fera rire le spectateur. Molière est-il un écrivain classique ? Par certains aspects, il s’éloigne de la doctrine classique. Ses comédies sont écrites soit en vers soit en prose ; le nombre d’actes n’est pas fixe. Sa langue n’est pas noble ni musicale : on y trouve des mots vulgaires. C’est une langue parlée. Et sa poésie est souvent lourde. La construction de ses comédies n’est pas toujours sans défaut ; il n’y a pas de règle des trois unités comme dans la tragédie. Enfin Molière ne cherche pas à imiter les Anciens. Par là Molière n’est pas un classique. Mais il faut se rappeler que le but de la comédie est tout différent de celui de la tragédie. Ce sont deux genres bien distincts qui ont chacun leurs règles particulières. Dans

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la comédie il est une règle fondamentale, c’est de faire rire en présentant un personnage bien vivant, ‘‘en chair et en os’’. Tout le reste est secondaire. Ceci dit, il faut bien reconnaître qu’en fait Molière est un très grand écrivain classique. Classique veut dire universel. Or les personnages des comédies de Molière sont universels, ce sont des types : Harpagon n’est pas un avare quelconque, c’est véritablement le type même de l’avare, car il réunit en lui les traits essentiels et éternels de l’avare . Et pareillement pour les autres personnages. D’ailleurs si depuis trois siècles Molière fait rire tous les publics du monde, c’est bien la preuve qu’il a su saisir, et représenter d’une façon vraisemblable, les défauts et les vices de la nature humaine. Voir un homme ridicule est toujours amusant, mais c’est aussi triste parfois. C’est pourquoi certains passages des grandes comédies de Molière frôlent la tragédie, et font.

‘‘Que lorsqu’on vient d’en rire, il faudrait en pleurer’’

(A. de Musset)

Molière est-il un écrivain moral ? On a souvent dit, notamment J.J.Rousseau, que Molière est un écrivain immoral parce que parfois il ridiculise la religion, la famille, la vertu. En fait, Molière ridiculise tout ce qui est exagéré, donc faux et anti-naturel. La morale de Molière, c’est ‘‘le bon sens’’. Molière n’est pas un mystique, ni un moraliste, c’est un homme raisonnable.

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Il a la sagesse pratique des gens ordinaires, qui respectent la vertu, mais évitent les excès en toutes choses. Dans les comédies de Molière, ce sont les domestiques, gens simples mais honnêtes, qui expriment la pensée de l’auteur.

LA FONTAINE (1621-1695)

Jean de la Fontaine a passé la moitié de sa vie à la campagne. Il aimait la nature et observait la vie et les mœurs des animaux. A l’âge de 50ans il vient à Paris, fréquente la haute société et devient l’ami intime de Racine, de Molière et de Boileau. A leur contact il s’intéresse à la littérature et se décide lui aussi à écrire. Son œuvre comprend deux séries d’ouvrages : les ‘‘Contes’’, récits en prose, élégants est spirituels, mais qui ignorent trop souvent la décence et la morale ; les ‘‘Fables’’, qui ont rendu La Fontaine célèbre, et dont la richesse et l’originalité sont appréciées aussi bien par les enfants que par les grandes personnes.

Le génie de la Fontaine

La fable est un genre littéraire très ancien qu’on trouve dans la littérature sanscrite, dans la littérature grecque (Esope), dans la littérature latine (Phèdre), et, aussi bien, dans toutes les littératures, arabe, persane ou chinoise. Le but de la fable est de prouver une vérité. C’est donc une histoire morale. Le génie de La Fontaine consiste

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en ce qu’il a transformé le récit, traditionnellement banal, en un petit drame avec un décor, des personnages et un dialogue. Ainsi la fable au lieu d’être, comme chez les autres auteurs, un monologue plus ou moins habile, devient un théâtre vivant. La Fontaine a dit lui-même que ses fables forment une comédie aux cent actes divers’’. Chacune de ses fables se développe en effet selon un scénario bien construit. Quel est donc le plan d’une fable de La Fontaine ? Que les fables soient courtes ou longues, le plan suit toujours la même ligne. Il se décompose en trois temps : L’exposition, tout d’abord : Le fabuliste plante le décor de l’histoire qu’il va narrer. Il le fait très rapidement, en deux ou trois vers :

‘‘Un jour, sur ses longs pieds, allait je ne sais où. Le héron au long bec, emmanché d’un long cou. Il côtoyait une rivière’’.

Ensuite le récit   : C’est l’essentiel de la fable. Les personnages agissent et parlent, chacun selon leur caractère : le loup en animal cruel et glouton, le renard rusé, la fourmi travailleuse et égoïste, la cigale brave mais insouciante. Les personnages sont en effet presque toujours des animaux, plus rarement des hommes ou des choses personnifiées. Ce récit est toujours vivant et varié, car La Fontaine sait décrire le personnage en mettant l’accent sur le trait

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caractéristique. Ainsi la fourmi, égoïste, parle d’une manière sèche et dure ; le pigeon, amoureux, s’exprime dans une langue douce et caressante ; le lion, roi des animaux, a le ton assuré qui convient aux hommes puissants et forts. Tout au long du récit le style renforce la vraisemblance et le naturel des caractères. Enfin, la morale : Le récit se termine toujours par une réflexion morale, exprimée ou seulement impliquée. C’est une morale simple et pratique. La Fontaine ne prêche pas le sacrifice, ni l’héroisme, il constate seulement la réalité. Il nous montre la vie telle qu’elle est et nous laisse le soin d’en tirer la conclusion. Bien des vers de La Fontaine sont devenus des proverbes ;

‘‘On a souvent besoin d’un plus petit que soi.’’ (Le Lion et le Rat)

‘‘En toute chose il faut considérer la fin.’’ (Le Renard et le Loup)

‘‘Rien ne sert de courir, il faut partir à temps’’ (Le Lièvre et la Tortue)

La morale de La Fontaine est proche de celle de Molière. Très grand poète, La Fontaine écrit dans un style simple, parfois naïf, mais qui suppose une parfaite maîtrise de la langue. Il connaît tous les rythmes et toutes les ressources de la versification. Avec lui, les animaux se comportent comme les hommes

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dans la société. L’ensemble de ses fables constitue une étude très complète de la psychologie de l’homme, tant des vertus que des défauts. Et c’est en quoi La Fontaine est un Classique.

BOILEAU (1636-1711)

Boileau est un parisien. Fils d’une famille modeste, il fait de solides études classiques, fréquente quelque temps, le barreau, puis, après ses premiers succès littéraires, se lance hardiment dans la littérature. Quel a été son rôle dans le groupe des ‘‘quatre amis’’ ? Ce fut d’exposer les règles de la doctrine classique, qu’il a lui-même codifiées, de les défendre ensuite contre les écrivains qui ne les respectaient pas ou les attaquaient.

Les œuvres de Boileau

Boileau est un poète ou plutôt un versificateur. Il manque d’inspiration, de souffle, et de talent poétique proprement dit. Cependant toutes ses œuvres sont écrites en vers. Il y a : les ‘‘Satires’’, où Boileau attaque avec force les poètes de son époque qu’il juge mauvais, tels Chapelain, Chau lieu ou Cotin. les ‘‘Epîtres’’, ou lettres en vers adressées à divers personnages et traitant de sujets variés littéraires et moraux. le ‘‘Lutrin’’, poème à la fois épique et burlesque où Boileau fait preuve d’invention poétique.

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‘‘L’Art Poétique’’ enfin, publié en 1674. C’est l’ouvrage principal. Dans ce long poème, Boileau formule les règles générales de la poésie puis les règles particulières propres à chaque genre littéraire (sonnet, ode, satire, épopée, tragédie, comédie, etc…). Il termine en donnant au poète des conseils moraux qu’il estime aussi nécessaires que les conseils littéraires ; à l’écrivain, Boileau recommande avant tout le travail et la vertu, car, dit-il,

‘‘Le vers se sent toujours des bassesses du cœur.’’ L’Art Poétique, c’est le code du classicisme.

QUEL EST L’IDÉAL CLASSIQUE SELON BOILEAU ?

Boileau a des idées très précises sur la nature de l’art classique. Les principales sont les suivantes :---l’art classique doit être centré uniquement sur l’étude de la nature humaine ; Il doit être guidé par la raison seule, car la sensibilité et l’imagination empêchent trop souvent le poète d’atteindre le Vrai.

‘‘Aimez donc la raison ; que toujours vos écrits.Empruntent d’elle seule et leur lustre et leur prix.’’

Il doit se fonder sur l’imitation intelligente des Anciens, car ceux-ci avaient une très bonne connaissance de la nature humaine ;

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il doit être soumis à une discipline stricte : chaque genre littéraire a ses propres règles, c’est-à-dire des limites que l’écrivain est tenu de respecter absolument ; il est le fruit d’un travail incessant, car l’écrivain doit beaucoup travailler s’il veut écrire dans les règles :

‘‘Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. Polissez-le sans cesse et le repolissez ; Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.’’

il doit enfin respecter l’idéal religieux chrétien, c’est-à-dire être toujours moral.

L’INFLUENCE DE BOILEAU

Elle a été très forte au 17ème siècle. Grâce à lui, l’École de 1660 a triomphé de tous ses ennemis. En Boileau, Racine, La Fontaine et Molière ont trouvé un conseiller avisé et un défenseur courageux et même violent. Boileau n’est pas un ‘‘créateur’’ comme ses trois autres amis ; son génie c’est la critique littéraire. En quelques vers, il peut condamner définitivement un écrivain et le déconsidérer tant devant la cour du Roi qui fait les grandes réputations, que devant l’opinion littéraire de l’époque. Aussi les écrivains sont-ils sensibles aux jugements de Boileau : ils le craignent et le respectent. Vers la fin du 17ème siècle, l’influence de Boileau sera moins nette, car une tendance moderne apparaîtra. Mais Boileau restera l’exemple du parfait ‘‘Classique.’’

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La Prose Au 17 ème Siècle

Si le génie classique s’est manifesté essentiellement au théâtre et dans la poésie, il ne faut pas croire que la prose a été négligée. Il existe au 17ème

siècle plusieurs excellents prosateurs. La doctrine classique pénètre d’ailleurs la prose. Les prosateurs visent, eux aussi, au Vrai et au Beau. La langue s’épure et se fixe : on bannit les mots vulgaires, les expressions trop communes les néologismes trop, audacieux ; le style se fait plus savants et plus ample : on recherche le ton solennel qui convient à la dignité et à la vérité. Car les prosateurs du 17ème siècle n’ont de goût et de passion que pour l’analyse du cœur humain : déceler les mobiles qui poussent l’homme à agir, étudier son comportement, mettre à nu ses vertus et ses vices, telle est leur préoccupation. En bref, comme les dramaturges, les prosateurs veulent, chacun dans leur domaine, peindre l’Homme et non pas se peindre eux-mêmes. Mais dans la prose comme au théâtre on discerne une évolution : une première période où l’influence de la préciosité est sensible ; une seconde période qui correspond à l’apogée de la doctrine classique ; et une dernière période où apparaissent des préoccupations nouvelles. L’éloquence est un genre très cultivé au 17ème siècle. Toutefois ce n’est pas le seul. Parmi les auteurs les plus

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intéressants, il faut relever le nom de ceux dont la renommée ne s’est jamais démentie.

LES ORATEURS

L’art oratoire est à l’honneur à cette époque. Le mode de vie favorise en effet le développement de ce genre littéraire : à la cour de Versailles, le roi Louis XIV et ses courtisans écoutent régulièrement les sermons que prononcent, à l’occasion des fêtes religieuses et des grands événements, les prédicateurs catholiques. Le plus célèbre de ces prédicateurs est Bossuet. Né à Dijon, il fut ordonné prêtre et, plus tard, devint évêque (bishop). Pendant plus de dix ans il est le prédicateur officiel à la cour où il occupe aussi la charge de précepteur du Dauphin (crown-prince). Outre ses ‘‘sermons’’ et ‘‘oraisons Funèbres’’, il compose deux ouvrages d’histoire où il veut montrer que tous les événements heureux ou malheureux s’expliquent par la volonté de Dieu. Bossuet est un prêtre aussi, dans ses sermons cherche-t-il à faire réfléchir ses auditeurs sur le sens de la vie et sur le destin qui attend l’homme après sa mort. Pour cela il fait appel à l’enseignement de l’Église catholique, et aussi à la raison. Il le fait dans une langue claire, riche et directe : pas de préciosité, pas d’académisme, pas de style politique. Sa pensée, toute empreinte des leçons du christianisme, est toujours sérieuse mais aussi passionnée : c’est qu’il veut persuader, convaincre son auditoire et, comme tous les grands orateurs, il s’échauffe

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et s’emporte. Ses sermons ne sont donc pas monotones ni ennuyeux, mais au contraire toujours simples et vivants. Bossuet aime le style solennel ; il fait de longues phrases bien construites est rythmées, dont le mouvement suit le développement de la pensée. C’est ce qu’on appelle des ‘‘périodes’’. Rigueur de la pensée, solidité du raisonnement, pureté du style, c’est toujours le classicisme. A côté de Bossuet, qui est l’un des plus grands prosateurs de la France, d’autres orateurs, prêtres également, se sont illustrés au 17ème siècle. Parmi eux citons : Bourdaloue, Massillon et Fléchier.

LES ROMANCIERS

Le roman était en vogue dans la première moitié du 17ème siècle. Mais il s’agissait de romans ‘‘précieux’’ qui sont aujourd’hui illisibles, parce que les personnages sont conventionnels, les sentiments exagérés, la psychologie fausse et le style trop raffiné et trop pédant. Ce genre connut cependant un grand succès dans la société de l’époque. Deux auteurs étaient particulièrement célèbres : Mademoiselle de Scudéry pour ses romans ‘‘Le Grand Cyrus’’ et ‘‘Clélie’’, et Honoré d’Urfé pour son roman galant ‘‘L’Astrée’’. En fait il n’y a qu’un seul bon roman au 17ème siècle. C’est un roman purement psychologique intitulé ‘‘La Princesse de Clèves’’. L’auteur en est une femme, Madame de Lafayette. Ecrit dans un style dépouillé, centré sur l’étude de caractères, c’est une œuvre classique

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et le premier roman français authentique. Dans les siècles suivants, de nombreux romanciers se réclameront de cette esthétique. LES ÉCRIVAINS PERSONNELS

Sous ce titre on peut regrouper quelques écrivains qui échappent à toute classification. Eux aussi, bien sûr, ont ce goût de l’analyse psychologique et de l’équilibre, du raisonnable, qui est la marque du classicisme. Cependant leur personnalité, leur tempérament et leurs sentiments apparaissent avec netteté dans leurs ouvrages. Classiques par formation, ils s’intéressent à l’Homme mais aussi à eux-mêmes.

---Les Mémorialistes

Un mémorialiste est un écrivain qui écrit des ‘‘Mémoires’’, c’est-à-dire qui note ses observations et ses souvenirs en vue de les publier. Si l’auteur a une forte personnalité et un esprit d’observation aigu, ses ‘‘Mémoires’’ peuvent être intéressants tant au point de vue historique et sociologique qu littéraire. Les mémoires du Cardinal de Retz, décédé en 1679, nous renseignent, sur les mœurs de la société de son époque. Ceux du Duc de Saint-Simon (1675-1755), écrits dans un style très vivant, nous instruisent sur ce qui se passait à la cour du roi Louis XIV. En faisant le portrait critique des personnages qu’il a fréquentés à la cour, Saint-Simon fait une étude psychologique magistrale.

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--Les épistoliers : Madame de Sévigné (1626-1696) C’est une femme de la société aristocratique. Veuve à l’âge de 25ans, elle se met à écrire presque quotidiennement à sa fille qui est mariée et habite loin d’elle, dans le Sud de la France. A cette époque la lettre est le seul moyen de communication ; l’art épistolaire est, donc très développé et très apprécié dans la bonne société : les lettres sont lues et commentées en public, comme aujourd’hui les journaux. Madame de Sévigné écrit beaucoup (on a dix volumes de Lettres) et sur les sujets les plus variés. Elle raconte à sa fille tout ce qui se passe et se dit autour d’elle, à la cour et chez ses amis ; tout ce qu’elle fait aussi ; et comme elle va souvent à la campagne dans ses propriétés et qu’elle aime la nature, elle décrit ce qu’elle y voir. Madame de Sévigné est presque le seul écrivain du 17ème siècle à parler de la nature. Rousseau dira qu’ ‘‘elle a mis du vert dans la littérature’’. Elle dit tout ce qu’elle pense, tout ce qu’elle sent, tout ce qu’elle aime ou n’aime pas. Son style est familier, léger, mais toujours pur et brillant. Madame de Sévigné est l’exemple caractéristique de la femme cultivée du 17ème siècle, qui a du talent, qui aime les arts, et qui subit l’influence classique.

--Les Moralistes   : La Rochefoucauld (1613-1680)

La Rochefoucauld est l’auteur célèbre des ‘‘Maximes’’, ou pensées exprimées en phrases brèves et impersonnelles.

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C’est un aristocrate déçu par la vie et donc pessimiste. Dans ses Maximes il prétend donner de la nature humaine une peinture exacte. Il pense que toutes les actions, bonnes ou mauvaises sont dictées par l’intérêt, ce qui pousse l’homme à agir, ce n’est jamais la bonté ou la générosité, c’est toujours l’égoïsme. Les vertus, écrit-il, se perdent dans l’intérêt comme les fleuves dans la mer. L’amertume de l’auteur explique sa vision pessimiste de l’homme. Par son style concis, tendu, La Rochefoucauld annonce une nouvelle manière d’écrire, celle des écrivains du 18ème siècle. Mais deux autres prosateurs, La Bruyère et Fénelon, annoncent par leurs idées une nouvelle manière de penser. C’est la fin de l’époque classique.

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La Fin Du 17ème Siècle

Vers 1690 la monarchie absolue de Louis XIV laisse apparaître des fissures. La cour est toujours très brillante et les arts florissants, mais des idées nouvelles commencent à se répandre. Elles visent aussi bien le régime politique et social que la mode littéraire et la doctrine classique : on suggère des réformes tant en politique qu’en littérature. Les deux écrivains importants qui critiquent cet état de choses sont La Bruyère et Fénelon.

La Bruyère (1645-1696)

Il est né et a vécu à Paris, à l’écart de la Cour ou du moins sans se mêler aux courtisans. Indépendant et solitaire, il observe les hommes et les mœurs de son temps. En 1688 il publie un livre intitulé ‘‘Les Caractères’’. Ce sont, sous forme de tableaux et de récits assez brefs, des réflexions sur le comportement de l’homme en société, et particulièrement dans la société du 17ème siècle. La technique de La Bruyère, c’est le portrait : en quelques lignes il décrit le comportement de l’homme vaniteux, du distrait, du gourmand, du flatteur, de l’hypocrite. Les personnages qu’il peint sont des hommes que La Bruyère a probablement rencontrés au cours de sa vie ; à chacun d’eux il a emprunté quelques traits pour

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finalement créer, comme Molière dans ses comédies, un ‘‘type’’. Ainsi, par exemple, Gnathon n’est pas seulement le portrait d’un homme particulièrement gourmand que l’auteur a observé au cours d’un banquet, mais c’est véritablement ‘‘le’’ gourmand. La peinture est si vraisemblable que ces portraits, puisés dans les modèles qu’offrait la société du 17ème siècle, restent valables pour tous les hommes. En cela, La Bruyère est un classique. Mais La Bruyère décrit d’autre part ce qu’il voit à son époque. Et il voit que la justice est souvent corrompue, que les financiers gaspillent l’argent du pays, que le clergé ne pratique pas toujours le christianisme qu’il prêche, que les paysans sont très malheureux, que les riches ont toujours raison et les pauvres toujours tort. Cet état de choses déplorable, La Bruyère l’explique en partie par les imperfections de la nature humaine : les hommes sont dominés par leurs passions. Mais il laisse aussi entendre, tout en décernant des éloges au roi, que certains abus pourraient être corrigés. Et il compte bien que le roi est assez fort et assez bon pour le faire. La prose de La Bruyère n’est plus celle de Bossuet. Sa phrase est courte, incisive, alerte. Au siècle suivant, Voltaire écrira comme lui. Par ailleurs, La Bruyère critique la société de son temps. C’est là un élément nouveau qui annonce la critique plus violente des philosophes du 18ème

siècle.

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FÉNELON (1651-1715) Fénelon appartient à une famille aristocratique. Comme Bossuet, il fut prêtre, précepteur d’un duc et évêque. Il a composé un grand nombre d’ouvrages théologiques, philosophiques et didactiques. Le plus connu et le plus important est ‘‘Les Aventures de Télémaque’’, roman qui fut publié en 1699. C’est un livre à but éducatif, mais c’est aussi un pamphlet politique critiquant la monarchie absolue de Louis XIV. Fénelon fut d’ailleurs renvoyé de la cour après la publication de cet ouvrage. Fénelon est riche d’idées nouvelles, et, non content de critiquer ce qu’il estime mauvais ou insuffisant, il propose ou esquisse des solutions. Esprit libéral, il fait confiance en la nature humaine ; ses idées pédagogiques, par exemple, prennent le contre-pied des idées reçues : il est persuadé, contre les Jansénistes, que le fond de la nature humaine est bon ; par là il annonce les théories de Rousseau. Il est favorable à l’instruction des jeunes filles. En politique, il est partisan évidemment de la monarchie, mais il s’élève contre l’absolutisme royal. Il met son élève(c’était le petit-fils de Louis XIV) en garde contre le tentations de la puissance et de la force. En littérature, il critique la sécheresse de la doctrine classique, la rigidité des règles, la trop grande place occupée par la raison au détriment de la sensibilité et de l’imagination. Lui-même, qui a reçu la formation d’un honnête homme, écrit comme un classique ; cependant par sa sensibilité et sa nonchalance, il

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donne un ton nouveau : la raison cède le pas au cœur. Ainsi, dans la dernière période du 17ème siècle, La Bruyère et Fénelon réagissent contre la doctrine classique et contre les idées dominantes de leur époque. C’est un signe de la transformation des esprits. On s’achemine progressivement vers les théories du 18ème siècle.

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IDÉES GÉNÉRALES SUR LE 17ème

SIÉCLE

Le 17ème siècle français peut être divisé en trois périodes inégales. Une période d’évolution et de préparation à l’idéal classique (1600-1660) : d’une façon générale, on reste fidèle à l’idéal de liberté et d’individualisme de la Renaissance. Toutefois des influences nouvelles se font sentir avec les salons, le cartésianisme, et la renaissance du sentiment religieux. Cette effervescence aboutira à un esprit nouveau, le Classicisme. Un écrivain de théâtre domine de très haut la littérature de ce demi-siècle : Pierre Corneille. La période de l’École Classique (1660-1680) : c’est l’époque des chefs-d’œuvre dramatiques et de la rencontre heureuse de plusieurs très grands écrivains, dont le fameux groupe des quatre amis : Racine, Molière, La Fontaine et Boileau. La période de transformation de l’idéal classique (après 1680) : les dernières années du 17ème siècle montrent une évolution des idées. Apparemment la société politique et le monde littéraire sont inchangés, mais apparaissent des écrivains qui, quoique toujours fidèles au génie classique, apportent dans leurs œuvres des préoccupations et un style neufs. Le Classicisme représente le courant principal du 17ème siècle. Cependant, même aux plus beaux jours de l’école classique, il

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y a eu des écrivains secondaires qui ne se sont pas pliés aux règles de l’École. Une étude détaillée de littérature de ce siècle révèlerait la persistance de certains courants antérieurs. Le Classicisme se manifeste non seulement en littérature mais dans tous les arts, notamment en architecture et en peinture. La grandeur du siècle du ‘‘Roi soleil’’ éclate dans les majestueux palais royaux aux proportions équilibrées et aux lignes solennelles, tels le château de Versailles, le palais du Louvre, le Palais-Royal ; elle éclate aussi dans les splendides ‘‘jardins français’’ au tracé régulier et aux perspectives très larges. En peinture, c’est le plein épanouissement de la peinture française. Les peintres s’inspirent volontiers des événements de l’histoire de l’Antiquité ; leurs toiles sont savamment composées et les couleurs énergiques. Ici encore c’est le triomphe de l’ordre, du solennel et du beau. Le maître de la peinture classique française est Nicolas Poussin. Avec lui, il faut citer un admirable paysagiste, Le Lorrain, et les trois frères Le Nain. Un bon nombre de leurs toiles sont aujourd’hui au musée du Louvre. En somme, le siècle classique s’est presque exclusivement intéressé à l’Homme. Les questions politiques et sociales ont une place très réduite dans l’œuvre des écrivains, Or, au siècle suivant, ce sont précisément ces questions qui seront au premier plan. De psychologique, la littérature deviendra surtout philosophique et politique.

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Dix –Huitième Siècle 17oo-1800

Vue Générale sur le 18ème Siècle

I ÉVÉNEMENTS POLITIQUES

Chronologiquement, le 18ème siècle français commence sous un régime de Monarchie absolue (Louis XIV) et se termine sur l’avènement d’un autre régime absolu, l’Empire (Napoléon 1er). Mais entre-temps la Révolution de 1789 a mis fin à la royauté et a introduit en France le Régime démocratique. En fait, le 18ème siècle français se termine pratiquement à la révolution, qui marque une profonde coupure dans la civilisation française. Désormais, on appelle Ancien Régime, toute la période qui va de la Renaissance à la Révolution, et Temps Modernes, la période qui va de la Révolution à nos jours (ou du moins jusqu’à la 2ème guerre mondiale).

Quelques dates   : 1715---Mort de Louis XIV . La monarchie absolue continue avec ses successeurs : Louis XV et Louis XVI. Le règne de Louis XV, encore brillant, est assombri

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par des guerres malheureuses et des défaites pour la France. Les écrivains attaquent la Monarchie qui est corrompue. 1750---Début de publication de l’‘‘Encyclopédie’’, énorme dictionnaire philosophique et scientifique qui répand à travers la France et l’Europe les idées nouvelles. 1789---REVOLUTION FRANÇAISE. C’est la fin de la royauté et du pouvoir absolu qui durait en France depuis trois siècles (Louis XVI est guillotiné devant le peuple, à Paris, en 1793). C’est le triomphe du peuple et du slogan ‘‘Liberté, Égalité, Fraternité’’. 1796---Apparition sur la scène nationale du générale Napoléon Bonaparte qui, se servant de ses victoires, va rétablir à son profit, pendant quinze ans, le pouvoir absolu et fonder le Premier Empire (1804-1815).

II LES IDÉES NOUVELLES

Elles apparaissent déjà vers la fin du règne de Louis XIV, grâce à Fénelon et à La Bruyère. Mais leurs critiques de la société, quoique significatives, sont timides et isolées. Puis, jusque vers 1750 ces idées nouvelles se répandent de plus en plus dans la société cultivée grâce aux ‘‘Salons’’. Enfin, à partir de 1750, ces idées apparaîtront au grand jour dans les œuvres des philosophes de l’Encyclopédie, de Montesquieu, Voltaire et Rousseau.

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Quelles sont ces idées nouvelles   ?

Elles sont nombreuses et diverses, et traduisent ‘‘l’esprit du 18ème siècle’’ qui est : Amour de la science. En effet, les sciences (mathématiques, physique, astronomie, sciences naturelles) se développent et passionnent les gens cultivés du 18ème siècle, comme la poésie et la psychologie avaient passionné ceux du 17ème siècle. D’où un esprit de rationalisme (on ne croit qu’à la raison et à la science) et d’incrédulité (lutte contre la religion). Amour de la philosophie, c’est-à-dire : discussions sur la politique, les lois, l’organisation de la société. D’où la critique des institutions présentes (Monarchie, Aristocratie, Église). Amour des voyages et des pays étrangers. Tous les écrivains français vont en Angleterre dont ils admirent le régime parlementaire et les institutions. Ils voyagent aussi en Hollande et en Prusse, tel Voltaire. Ainsi l’influence des idées étrangères, surtout anglaises, est très forte sur le 18ème siècle français. D’où un esprit cosmopolite. D’ailleurs toute l’Europe nourrit les mêmes idées au 18ème siècle. Le 18ème siècle français est avant tout un siècle de Rationalisme scientifique, et de lutte contre les pouvoirs établis (royauté, Église, aristocratie).

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III LES PHILOSOPHES

Les écrivains du 18ème siècle s’appelaient eux-mêmes des ‘‘philosophes’’.

Qu’est-ce qu’un philosophe au 18 ème siècle   ? Ce n’est pas un homme qui cherche la solution de problèmes métaphysiques (existence de Dieu---origine du monde etc.…) comme, par exemple, Platon, Socrate, St. Thomas ou même Descartes. Au contraire, le philosophe du 18ème

siècle est un homme qui participe très activement à la vie sociale qui l’entoure : il veut être utile à ses concitoyens ; il veut les rendre meilleurs et plus heureux, sur cette terre, grâce à une réorganisation plus satisfaisante de la société. Et, comme toute société est fondée sur des principes politiques, le philosophe du 18ème siècle sera essentiellement un ‘‘écrivain politique’’, qui critique ce qui lui semble mauvais et propose des réformes qui lui paraissent bonnes. Les écrivains français du 18ème

siècle n’étaient pas des Révolutionnaires. En général, ils étaient aristocrates et menaient une vie aisée. Mais leurs idées provoqueront la Révolution.

IV LES SALONS

On a vu le rôle important joué par les ‘‘salons littéraires’’ dans la première moitié du 17ème siècle (cf. la Préciosité). Écrivains et gens de la haute société y discutaient de

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poésie, de psychologie, de ‘‘problèmes littéraires’’. Puis, sous le règne de Louis XIV, c’est la Cour du Roi qui devint le contre artistique et intellectuel de la vie française. Le roi Louis XIV dirigeait aussi bien la littérature que la politique : il fallait plaire au roi. Mais, au 17ème siècle, les écrivains ne se préoccupaient pas de politique. Au cours du 18ème siècle, les ‘‘Salons’’ jouent à nouveau un rôle très important. On y rencontre, comme toujours, des gens de la haute société, des artistes, mais aussi des voyageurs et écrivains étrangers et surtout des ‘‘philosophes’’ qui exposent leurs idées politiques et sociales avec esprit ou avec audace. Dans ces salons, on ne parle pas, ou peu, de poésie ou de littérature ; on discute de science, de philosophie et de politique. Ces salons sont tenus par des femmes riches et, souvent intelligentes. Il faut connaître au moins les Salons célèbres de :

Madame de Lambert (1647-1733) Madame de Geoffrin Madame du Deffand (1748-1789) Mademoiselle de Lespinasse

Outre les Salons, il y a aussi les ‘‘cafés’’ qui sont un lieu de rencontre entre les écrivains et le public. On y lit des journaux que la censure royale poursuit en vain. C’est dans les Salons et les Cafés que se forment les idées nouvelles qui dirigent l’opinion publique.

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V Caractères Généraux De La Littérature Du 18ème Siècle

La littérature française du 18ème

siècle se distingue par quatre traits principaux : c’est une littérature cosmopolite, philosophique d’esprit scientifique, et généralement en prose. Littérature cosmopolite--- Il y a échange d’idées, et influence réciproque, entre ‘‘philosophes’’ français et écrivains étrangers, surtout anglais. Ainsi l’horizon littéraire s’élargit au lieu d’être centré, comme au 17ème

siècle, sur la Cour royale. Littérature philosophique et politique--- La préoccupation essentielle est ‘‘le bonheur du genre humain’’. Les écrivains du 18ème siècle sont optimistes ; ils croient fermement que l’humanité entière va bientôt connaître un âge d’or, un ‘‘Eldorado’’ (cf. Voltaire) ; mais auparavant il faut réorganiser la société. Tous les genres littéraires, poésie et même théâtre, deviennent une ‘‘plate-forme de propagande’’ pour ces idées. Littérature d’esprit scientifique—Les philosophes ne croient qu’à la méthode scientifique (vérification des causes par l’expérience (experiment)) et rejettent tous les principes et tous les dogmes, qu’ils soient politiques ou religieux. D’où, une littérature le plus souvent irréligieuse (anticatholique, et parfois matérialiste). Cependant, la plupart des ‘‘philosophes’’ croient en

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l'être Suprême. Voltaire a dit : ‘‘Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer’’. Littérature en ‘‘prose’’--- Pour exposer des idées claires sur des sujets scientifiques et pour répandre ces idées à travers le peuple, la prose est l’instrument idéal. Au siècle classique, la prose était considérée comme une chose vulgaire, indigne d’un grand esprit, convenable seulement aux hommes ordinaires (cf. Mr. Jourdain, dans le Bourgeois Gentilhomme). On aimait seulement la langue noble de la poésie. Au 18ème siècle, au contraire, or délaisse la poésie ; (certes, on trouve encore beaucoup d’écrivains secondaires qui écrivent en vers, mais il n’y a pas un seul bon poète, excepté André Chénier).Pourquoi ? Parce que l’écrivain veut être ‘‘utile’’ et, pour cela, il doit s’exprimer avec précision, dans une langue claire, comprise par tout le monde.

VI QUERELLE DES ANCIENS ET DES MODERNES (1687-1716)

A la fin du 17ème siècle, une bagarre (scuffle) littéraire éclata entre les partisans de l’imitation des ‘‘Anciens’’ (Boileau) et les partisans des ‘‘Modernes’’ (Perrault), c’est-à- dire des écrivains qui rejettent le principe de l’imitation des auteurs grecs et latins, et qui réclament l’indépendance da la pensée et du style. Les Modernes triomphèrent. Ce fut la fin de l’idéal classique.

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Les Écrivains Français Du 18ème

Siècle

Trois grandes figures dominent le 18ème siècle : Montesquieu, Voltaire et Rousseau. Bien que différents les uns des autres, ils sont les meilleurs représentants de ceux qu’on a appelés ‘‘les philosophes’’ et qui ont donné le ton à la littérature de cette époque. Mais à côté des philosophes existent nombre d’écrivains moins importants qui continuent la tradition du siècle classique. Certains d’entre eux étaient même influents et célèbres en leur temps, mais de nos jours, en ne lit plus que les écrivains de génie ou de grand talent. Le tableau schématique ci-dessous donne une vue d’ensemble sur les principaux auteurs de ce siècle :

I. Première Période (1700-1740) : Les Précurseurs

Epoque des premiers savants philosophes, c’est aussi une période d’intense activité dans les salons où l’on discute les idées scientifiques et politiques. Quelques personnages sont illustres : Pierre Bayle, philosophe et esprit critique qui met en doute toutes les vérités dont la pensée sera développée par Voltaire. Fontenelle (1657-1757), écrivain élégant qui propage les idées scientifiques et essaie de les faire comprendre du public. L’Abbé de Saint-Pierre (1658-1743), auteur d’un célèbre projet de paix perpétuelle entre les nations.

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II. Seconde Période (1740-1780) : Le Triomphe Des

Philosophes

---les auteurs de L’Encyclopédie ‘‘Philosophes’’ (Diderot-Buffon…) ---Montesquieu ---Voltaire ----Rousseau Tous meurent avant la Révolution française. ---Marivaux ECRIV- Théâtre : ----Beaumarchais AIN ----Le Sage Roman ---Bernardin de SECO- St PierreNDAI-RE ---Vauvenargues Moralistes  ----Chamfort ----Rivard

III. Troisième Période (1780-1796) : La Révolution, Littérature Pauvre

Poésie : André Chénier

---- MirabeauOrateurs politiques : ---Robespierre ---- Danton

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LES PHILOSOPHES

La philosophie étant à la mode au 18ème siècle ou pourrait dire que tous les écrivains de ce siècle sont plus ou moins des philosophes. Cette appelation est toutefois réservée aux collaborateurs de l’Encyclopédie qui sont tous férus de rationalisme et désireux de réformer la société. Quelques-uns d’entre eux éclipsent leurs compagnons par la vigueur et la richesse de leur esprit.

L’ENCYCLOPÉDIE

Qu’est-ce que l’Encyclopédie ?C’est un énorme dictionnaire qui donne, par ordre alphabétique, la définition et l’explication de toutes les sciences, tous les arts et tous les métiers connus au 18ème siècle. Le sous-titre de l’Encyclopédie porte en effet ‘‘Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers’’. Quel est le but de l’Encyclopédie ? Répandre la connaissance des théories scientifiques et, surtout, répandre dans le public les idées philosophiques et politiques de ceux qu’on appelle ‘‘philosophes’’. Dans cette vaste compilation on trouve des définitions et des idées justes, mais aussi des théories erronées et des erreurs graves. Qui a composé l’Encyclopédie ? Tous les grands écrivains du siècle ont apporté leur contribution à ce

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dictionnaire; ainsi Condillac, d’Alembert, Helvétius, Diderot, Buffon, Voltaire, Rousseau… Mais les deux directeurs et responsables de cette publication furent d’Alembert, un philosophe et mathématicien rationnaliste et sceptique, et Diderot, ardent propagateur des idées philosophiques. Diderot (1713-1784) est le parfait exemple du ‘‘philosophe’’ et de l’écrivain ‘‘type’’ du 18ème siècle : penseur, dramaturge, romancier, critique d’art et poète, il touche à tous les genres. Il croit au bonheur de l’humanité, au progrès ; il propose des réformes ; sa philosophie rationaliste et matérialiste le pousse à rechercher dans la vie le plaisir : il y a aussi chez lui beaucoup de sentimentalisme et aussi de la naïveté. Esprit toujours gonflé d’idées. Diderot s’exprime dans une langue abondante et mouvementée, souvent complexe. Outre ses ouvrage au contenu essentiellement philosophique, il a laissé quelques romans, tels ‘‘Le Neveu de Rameau’’ et ‘‘Jacques le Fataliste’’. Parmi les collaborateurs de l’Encyclopédie, il faut mentionner un savant qui consacra sa vie à étudier les animaux. C’est Buffon, auteur d’une ‘‘Histoire Naturelle’’ ; il apparaît comme un précurseur des théories de Darwin Son style, un peu froid, est élégant et précis. En quelle année a été publiée l’Encyclopédie ? Ce dictionnaire est le fruit d’un travail long et troublé. Il parut en l’espace de 30 ans : au début (1745-1757) le roi autorise la publication, puis il la retire lorsqu’il s’aperçoit que cet ouvrage attaque le régime politique et social

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ainsi que la religion ; alors, pendant 20ans, la publication se fait en cachette. L’ouvrage est terminé quelque 10ans avant qu’éclate la Révolution. Quelle est l’importance de l’Encyclopédie ? C’est l’ouvrage qui a eu le plus d’influence sur la société française et même européenne de cette époque : il est lu partout, et il lance des idées qui conduiront à la Révolution. Les doctrines exposées dans ce dictionnaire universel ont été combattues, mais sans succès, par quelques écrivains. Aujourd’hui on ne lit guère cet ouvrage chaotique et confus ; mais il faut s’y reporter si l’on veut avoir une idée exacte de l’univers intellectuel du 18ème siècle. L’Encyclopédie contient en somme toute la philosophie de la Révolution française.

MONTESQUIEU (1689-1755)

Riche, aristocrate, équilibré, Montesquieu n’est pas un révolutionnaire. Il aime la lecture, les voyages, et il s’intéresse en observateur à la politique. Mais Montesquieu est un homme du 18ème siècle : C’est un philosophe, qui a du goût pour les sciences, en particulier pour les sciences sociales et historiques. C’est un écrivain qui a beaucoup d’esprit et qui le montre. Il est vrai qu’au 18è siècle, tout le monde a de l’esprit (avoir de l’esprit—to be witty).

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ŒUVRES DE MONTESQUIEU

Ses deux ouvrages importants sont : les ‘‘Lettres Persanes’’ et ‘‘l’Esprit de Lois’’.

LES LETTRES PERSANES (1721)

Montesquieu imagine que Rica et Usbeck, deux Persans (l’Orient est très à mode au 18ème siècle), visitent l’Europe. Installés à Paris, ils écrivent à leurs amis de Perse et leur racontent ce qu’ils voient. Quel est le but de ces lettres ? Montesquieu veut faire une satire de la société européenne du 18ème siècle. Il critique les mœurs (i.e. la mode) les hommes (i.e. les magistrats, les financiers), les institutions (i.e. l’Eglise, la Monarchie, le Parlement). C’est une satire audacieuse, faite sur un ton léger et amusant. Montesquieu n’est pas un pessimiste. C’est un observateur intelligent, sensé et que relève avec malice tout ce qui est exagéré, mauvais ou ridicule. Mais en France ‘‘le ridicule tue’’ (le Français a toujours peur d’être ridicule). Le style des lettres persanes est vif. C’est le style des écrivains du 18ème

siècle, qui aiment plaire et amuser par des remarques spirituelles, des jeux de mots ou des calembours (puns).

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L’ESPRIT DES LOIS(1748)

C’est un ouvrage très différent, sérieux, d’allure scientifique. Dans ce livre, Montesquieu cherche ce qu’est la nature de la loi. Et il constate que les principes de Droit, de Justice sont absolus, mais que les lois sont nécessairement différentes selon les pays, les climats, les religions, les gouvernements etc… Il distingue trois sortes de gouvernements : la tyrannie (dont le principe est la crainte), la monarchie (dont le principe est la vertu.) Montesquieu avait étudié et admiré le système parlementaire anglais. C’est lui qui l’a fait connaître en France ; on l’appliquera à la Révolution. L’Esprit des Lois est un livre important. On y trouve beaucoup de réflexions et de remarques excellentes, intéressantes pour le juriste et pour l’étudiant de sciences politiques. Mais, par-dessus tout, Montesquieu y expose des idées politiques très libérales qui attaquaient directement le régime d’autorité absolue imposé par la royauté.

VOLTAIRE (1694-1778)

De son vrai nom, Voltaire s’appelle François Arouet. A partir de son premier succès littéraire (en 1718), il prend le nom de Voltaire.

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SA VIE

Elle a été très agitée. Voltaire, né à Paris, fait des études classique sérieuses, puis, pendant quelque temps, il étudie le Droit (Law). Mais dès son jeune âge, il s’intéresse à la poésie : il écrit des satires et le gouvernement l’enferme à la Bastille. A sa sortie de prison, il se dispute avec un personnage de la Cour, et il est enfermé une seconde fois à la Bastille. Désormais Voltaire se consacre à la littérature. Il vivra le plus souvent loin de Paris, en exil, parce que ses écrits contre le gouvernement et l’Eglise attirent sur lui la colère de la Cour. Ses principaux lieux de séjour sont :

L’Angleterre (1726-1728)

Voltaire y passe trois années. Il s’enthousiasme pour ce pays dont il admire les institutions politiques, le mœurs, le théâtre de Shakespeare et surtout l’esprit de liberté.

Cirey (en Lorraine) (1734-1749)

A son retour d’Angleterre, Voltaire revient à Paris ; mais bientôt il est obligé de quitter cette ville pour avoir publié les ‘‘Lettres anglaises’’ où il critique fortement les institutions françaises. Il s’installe en Lorraine chez une Dame de la haute société (Mme du Châtelet) qui le protège et l’encourage à écrire. Il y reste 15 ans.

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Berlin (en Prusse) 1749-1759

Revenu de Lorraine, Voltaire vit pendant 5ans à Paris, puis part à la Cour du roi de Prusse qui l’a invité. Il y restera 10ans ; il admire beaucoup ce roi, mais finalement il se querelle avec lui, et revient en France.

Ferney----

Voltaire s’installe dans un petit village près de la frontière suisse. Il y passera les 20 dernières années de sa vie, développant l’agriculture et l’industrie dans cette région et écrivant un grand nombre de livres et de pamphlets politiques et religieux. Il est le ‘‘centre intellectuel’’ de l’Europe. En 1778, il revient à Paris assister au triomphe de sa tragédie ‘‘Irène’’. Toute l’Europe l’admire. Il meurt à Paris, en pleine gloire, à l’âge de 84 ans.

Son Caractère

Voltaire est un homme très complexe. Bon et sensible par nature (il combat l’esclavage --- et défend des innocents dans des procès célèbres), il méprise le peuple : ‘‘Le peuple, dit-il, c’est un animal auquel il faut donner du foin’’. Déiste (il croit en Dieu), il combattra sans cesse l’Eglise et la religion catholique ; il faut, répète-t-il, ‘‘écraser l’infâme’’.

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Extrêmement intelligent, il manque de sens moral : la recherche du plaisir, le mensonge, la flatterie et aussi la vulgarité composent sa philosophie morale. La personnalité même de Voltaire est peu recommandable ; mais Voltaire écrivain est un génie.

ŒUVRES DE VOLTAIRE

Voltaire a écrit dans tous les genres littéraires, et sur des sujets très variés. Au total, il a composé plus de cent volumes.

Poésie---

Voltaire a composé un grand nombre de poésies satiriques, philosophiques ou didactiques. Il s’est aussi essayé à la poésie épique (‘‘La Henriade’’). Mais voltaire n’est pas un grand poète : il a peu d’imagination et peu de sensibilité. Son domaine c’est la fantasia, la plaisanterie, les jeux de l’esprit. Voltaire, poète, est un bel esprit (Wit).

Théâtre---

Admirateur de Shakespeare, Voltaire veut renouveler le théâtre classique ; il y introduit des éléments nouveaux (décor—mélodrame) afin de sortir des règles strictes de la tragédie du 17ème siècle. Malgré leur grand succès à l’époque, les tragédies de

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Voltaire sont peu intéressantes : elles manquent de vraisemblance et d’émotion vraie. Sa meilleure pièce est ‘‘Zaïre’’.

Histoire--- Là encore, Voltaire veut réformer la conception de l’Histoire ; en particulier il déclare qu’un historien doit :-----puiser aux sources exactes : il faut raconter les événements dans toute leur vérité.-----faire un récit complet : non seulement le récit des événements militaires (comme on le faisait jusqu’ici), mais encore la description de l’environnement social, économique, politique.----rechercher les causes vraies : jusqu’au 18ème siècle, les historiens expliquaient principalement l’histoire par l’intervention de la Providence Divine.-----écrire avec art : c’est-à-dire mettre en relief, par le style ou par les anecdotes, la psychologie des caractères. Pour Voltaire, l’histoire est à la fois une science et un art. Par là, il est l’un des créateurs de ce genre littéraire qui consiste à faire revivre tout le passé d’un homme ou d’une nation. Parmi les nombreux ouvrages historiques de Voltaire il faut citer : ‘‘L’Histoire de Charles XII’’ (1731) et surtout, ‘‘Le Siècle de Louis XIV’’ (1768), œuvre sérieuse et

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Romans, Contes, Pamphlets---

Il y en a un très grand nombre. C’est par ce moyen essentiellement que Voltaire enseigne ‘‘sa philosophie’’. Pour lui, l’homme n’est ni bon ni mauvais ; et sur cette terre, l’homme peut éviter le malheur (la souffrance) s’il consent à rester à sa place et à ne pas vouloir trop de bonheur : ‘‘Il faut cultiver son jardin’’.

Ce monde où nous sommes est ‘‘le meilleur des mondes possibles’’ ; c’est donc à nous, hommes, de faire notre bonheur en nous en accommodant. Pour cela, il faut être bienfaisant et tolérant. Les meilleurs contes de Voltaire sont : ‘‘Zadig’’ (1748), et ‘‘Candide’’ (1759). Les personnages de ces contes sont imaginaire : ils voyagent à travers le monde entier voient beaucoup de spectacles, les uns bons, les autres mauvais, et ils en tirent la conclusion morale.

Correspondance---

Nous avons plus de douze mille lettres de Voltaire, adressées à des correspondants très divers, rois et inconnus. Dans ces lettres, Voltaire dévoile en toute sincérité son caractère, ses qualités et ses défauts. D’autre part, ces lettres nous renseignent sur les idées et sur les événements dont il a été témoin durant sa vie longue et mouvementée.

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IMPORTANCE DE VOLTAIRE

Au 18ème siècle, Voltaire était considéré en Europe comme une sorte de dieu. Il osait attaquer les hommes et les institutions, il osait même critiquer la France et complimenter la Prusse de l’avoir battue. Aussi son audace, sa versalité et son génie littéraire lui donnèrent—ils vite la première place parmi les écrivains européens.

Quelles sont les idées de Voltaire   ? En somme elles sont assez simples. En toutes choses, Voltaire combat l’intolérance :

L’intolérance religieuse ; d’où ses écrits violents contre l’Eglise catholique, qui, à cette époque, est très influente politiquement, socialement et spirituellement. Selon lui, toutes les religions se valent.

L’intolérance politique ; il admire le régime politique anglais et désire pour la France un ‘‘despote éclairé’’, qui assure la protection des philosophes et un certain bien-être au peuple. Mais Voltaire, qui combat l’esclavage, n’est pas un démocrate. Pour lui, la masse du peuple est bête et elle doit travailler.

L’intolérance morale ; Pour Voltaire, il n’y a qu’une seule morale, c’est d’être bienfaisant et tolérant ; il faut

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éviter la cruauté inutile et se contenter de sa condition. Mais Voltaire n’est pas partisan de l’égalité. C’est un aristocrate intelligent qui entend conserver ses privilège ; et aussi, comme tous les ‘‘philosophes’’ du 18ème siècle, un optimiste qui croit au progrès et au bonheur du genre humain. Par sa lutte continue contre les tyrannies de toutes sortes, par son soin à encourager le développement des sciences, de l’agriculture et de l’industrie, Voltaire a exercé une influence prépondérante sur la société du 18ème siècle. Mais ses bassesses, ses mensonges, son immoralisme, et l’évolution des idées, ont beaucoup amoindri la portée de son œuvre. Aujourd’hui Voltaire demeure l’un des très grands écrivains français parce que : Son rôle et son influence sociale et littéraire au 18ème siècle ont été extrêmement importants. Ses qualité d’écrivain son immenses. Le style de Voltaire est la perfection même : clair, précis, concis, rapide, spirituel. Chaque phrase exprime exactement l’idée de l’auteur ; chaque mot est choisi avec soin, et le rythme de la phrase correspond toujours aux sentiments qui l’animent. Le style de Voltaire, c’est véritablement la clarté et l’esprit français.

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JEAN JACQUES ROUSSEAU (1712-1778)

Lorsqu’on parle du 18ème siècle français, on a l’habitude d’associer Voltaire et Rousseau comme si leurs œuvres se ressemblaient. En fait, Voltaire et Rousseau n’ont aucun point de ressemblance ils sont même étrangers l’un à l’autre. Si Voltaire et les ‘‘philosophes’’ représentent le 18ème siècle français, Rousseau n’appartient pas à ce siècle- là. C’est un très grand écrivain, mais c’est une figure solitaire en avance sur son temps. Pour bien comprendre Rousseau, il faut connaître son caractère et sa vie.

QUI EST JEAN-JACQUES ROUSSEAU ?

Enfance   : Il est né à Genève, de parents protestants et romanesques. Il est de caractère très sensible, presque maladif. Ses études sont interrompues très souvent ; il lit beaucoup, mais des livres qu’un enfant de son âge ne peut pas comprendre. Son éducation est très libre : il passe une grande partie de son temps dans les rues ou à la compagne. Il essaie d’apprendre un métier manuel.

Vie errante   : A 16 ans, il s’enfuit de Genève et quitte sa famille pour toujours. Il est recueilli par un prêtre et confié à Mme

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de Warens, une dame riche et dévouée qu’il aimera come sa mère. Elle le convertit au catholicisme. Puis il la quitte, part en Italie, fait de nombreux métiers pour vivre, et revient chez sa mère adoptive, à la campagne (en Savoie), où il restera une dizaine d’années. Mais il veut faire fortune à Paris, grâce à ses connaissances musicales. Il fréquente les salons, les philosophes. Mais il est trop indépendant et trop sensible pour supporter cette société raffinée, superficielle, intelligente et immorale. A Paris il fait encore tous les métiers possibles pour ne pas mourir de faim, et il prend en haine la société.

Succès littéraires : En 1750, il remporte un premier prix dans un concours littéraire organisé par l’Académie de Dijon. La question posée était celle-ci : ‘‘Est-ce que le rétablissement des sciences et des arts (c’est-à-dire la Renaissance) a contribué à épurer les mœurs ?’’ Rousseau, que la vie parisienne et la société dégoûtent, répond que les sciences et les arts corrompent la société. Désormais il est célèbre. Il va écrire puiseurs livres pour soutenir et défendre ses idées. Et, appliquant sa théorie, il vit à la campagne, loin de la foule et de Paris où se trouvent les philosophes. Vieillesse malheureuse : L’un de ses livres sur l’éducation, ‘‘L’Emile’’, est condamné par la censure. Rousseau doit s’enfuir. Il va en

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Suisse, puis en Angleterre, revient en France. Sa situation matérielle est misérable ; d’autre part, sa sensibilité maladive le rend insupportable, même à ses meilleurs amis. En chaque homme il voit un ennemi. Et les ‘‘philosophes’’ qui le haïssent, ne lui laissent aucun repos. Dans les dernières années de sa vie, dégoûté des hommes mais résigné, il revient à Paris pour écrire le récit de sa vie malheureuse : ‘‘Les Confessions’’. En 1778, Voltaire meurt à Paris en pleine gloire, Rousseau meurt aussi en 1778, mais seul, sans témoin, dans la maison de campagne d’un de ses amis.

LES IDÉES DE J.J. ROUSSEAU

Trois influences principales expliquent la pensée de Rousseau :sa sensibilité très vive lui fait accorder la première place non pas à la raison, mais au sentiment et à l’instinct.sa vie vagabonde et ses séjours à la campagne lui donnent un profond amour de la nature.ses lectures et ses expériences, malheureuses dans la société lui inspirent la haine de la société. A la campagne, autour de lui, Rousseau voit des homes simples, travailleurs, et apparemment heureux. Il pense donc qu’à l’origine, à l’état sauvage, les hommes étaient égaux, libres et heureux. Il expose cette théorie dans son ‘‘Discours sur l’origine de l’inégalité’’ (1755). Il affirme aussi que le progrès des sciences, le développement de l’agriculture et de l’industrie ont obligé les

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hommes à se grouper, à vivre en société : les uns sont devenus riches et les autres pauvres ; les uns sont devenus puissants et les autres esclaves ; et tous sont devenus méchants, parce que propriété signifie inégalité, et inégalité signifie corruption (‘‘Discours sur les arts et les sciences’’). Pareillement, les arts et surtout le théâtre corrompent les hommes parce que les tragédies et les comédies veulent plaire au spectateur et, pour cela, flattent les passions mauvaises. (Cf. ‘‘Lettre à D’Alembert sur les spectacles’’). Que faut-il donc faire pour éviter cette corruption de l’homme ? Il faut, dit Rousseau, vivre selon la nature parce que la nature seule est bonne. Rousseau expose son système dans deux grands ouvrages qui sont :

Le Contrat Social (1762).

C’est un ouvrage politique où Rousseau expose les bases d’un nouvel ordre social : tous les hommes seront égaux ; et le gouvernement sera exercé non par un seul homme, mais pas tous les citoyens. Rousseau est ainsi le fondateur de la ‘‘démocratie directe’’, et cette idée sera appliquée à la Révolution.

L’Emile (1762)

C’est un ouvrage didactique où Rousseau expose ses idées sur l’éducation de l’enfant. Il faut, dit-il, élever l’enfant selon la nature pour ne pas corrompre son caractère

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qui est bon. L’enfant doit tout découvrir par lui-même, il doit faire des travaux manuels. Il ne doit pas apprendre dans les livres, il doit apprendre dans le spectacle de la nature, en suivant son instinct. Ainsi cet enfant deviendra un homme bon et vertueux ; et lorsque tous les hommes seront devenus bons et vertueux, le Contrat Social pourra facilement être appliqué, et alors la société future ne sera pas corrompue. A la fin de sa vie, Rousseau, qui a exposé ses idées et sa théorie, va faire le récit de sa propre vie : il est l’exemple vivant de sa théorie puisqu’il a toujours obéi à ses sentiments, a vécu dans la nature et fui la société. Dans ses deux livres : ‘‘Les Rêveries d’un Promeneur Solitaire’’, et les ‘‘Confessions’’ J.J. Rousseau nous découvre toute sa personnalité complexe, ses souffrances, ses haines, et son ardent amour de la nature. Ce sont ses deux livres les plus intéressants, ou, du moins, les plus attachants.

INLUENCE DE J.J. ROUSSEAU

Elle a été décisive dans plusieurs domaines : les pensées et les théories de Rousseau ont eu d’immenses répercussions.

En Politique

Ses idées sont utopiques. Mais elles ont contribué fortement à la Révolution. Voltaire et les autres philosophes

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critiquaient les institutions, détruisaient l’ordre politique et social, mais Rousseau était un véritable révolutionnaire : non seulement il voulait détruire l’ordre social et politique, mais il en proposait un autre fondé sur l’égalité de tous les citoyens et sur un régime de démocratie directe.

En Philosophie

Voltaire et les philosophes étaient des ‘‘rationalistes’’ : ils n’avaient confiance qu’en la raison. Rousseau est un ‘‘instinctiviste’’ : il n’a confiance qu’en son instinct et en ses sentiments. Les ‘‘philosophes’’ étaient ‘‘athées’’ (Diderot) ou ‘‘déistes’’ (Voltaire) pensant que Dieu est nécessaire pour expliquer le monde. Rousseau est un mystique ; il ne croit pas en Dieu avec son intelligence, mais il ‘‘sent’’ Dieu avec son cœur. Aussi au 18ème siècle, alors que triomphe dans la société le culte de la Raison, Rousseau introduit la sensibilité.

En Littérature

Rousseau est l’ancêtre des ‘‘Romantiques’’. En effet, il introduit les thèmes littéraires des poètes et des écrivains romantiques :---le ‘‘moi’’ (cf. Confessions). Au 17ème

siècle, seule importait la psychologie à valeur générale : ‘‘le moi

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est haissable’’ disait Pascal. Rousseau, lui, réhabilite le ‘‘moi’’.----l’amour de la nature (cf. Rêveries). Pour Rousseau, comme pour les poètes romantiques, la nature est une véritable ‘‘mère’’ qui console de toutes les douleurs.----au règne de la ‘‘raison’’, Rousseau substitute le règne de l’‘‘imagination’’ et de la ‘‘sensibilité’’ (cf. V. Hugo ---Lamartine). Par son style, Rousseau annonce le 19ème siècle. Voltaire écrit en phrases courtes, rapides ; Rousseau écrit en ‘‘périodes’’ amples et harmonieuses, musicales et imagées. Par là, il annonce Chateaubriand. Le 18ème siècle français a glorifié Voltaire. Mais l’influence de Rousseau sur la vie et la littérature françaises a été plus forte encore que celle de Voltaire. On a dit que J.J.Rousseau a inauguré une nouvelle manière de penser, de sentir et d’écrire.

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Le Théâtre Au 18ème Siècle

Au 18ème siècle, on continue à écrire beaucoup pour le théâtre ; mais la littérature dramatique de cette époque est loin d’être aussi riche que celle du siècle classique.

I TRAGÉDIE La tragédie subit une évolution au cours du 18ème siècle. Pendant la première moitié du siècle, les auteurs imitent Corneille et Racine, mais il leur manque le génie. Leurs tragédies sont artificielles. A partir de 1750, sous l’influence des ‘‘philosophes’’, la tragédie devient un moyen d’exposer les idées nouvelles et les thèses philosophiques. Aussi la tragédie n’est-elle plus une ‘‘crise psychologique’’ mettant en scène des héros ou de nobles personnages de l’Antiquité grecque ou latine ; elle devient un ‘‘drame’’, c’est-à-dire l’histoire sérieuse et émouvante de personnes ordinaires, qui se déroule dans le cadre de la société contemporaine. Et elle se rapproche de la comédie. Quelques auteurs essayent d’introduire des éléments nouveaux. Voltaire essaya de renouveler la tragédie classique, mais sans succès, (par des sujets nouveaux, des costumes et un décor plus vrais). (Ainsi, dans ‘‘Zaïre’’).

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Crébillon voulut émouvoir le spectateur par la ‘‘terreur’’ en présentant des scènes horribles. Enfin, on traduit les drames de Shakespeare que l’on imite. Cependant aucune tragédie remarquable n’a été créée au 18ème

siècle.

II COMÉDIE

La comédie subit également une évolution au cours du 18ème siècle. Molière demeure pour tous les auteurs le grand exemple. On l’imite beaucoup, mais sans l’égaler ; par exemple, Regnard, à qui l’on doit une bonne comédie. ‘‘La Légataire Universel’’. A l’analyse psychologique s’ajoute toujours la satire sociale. Dans ce genre deux auteurs connaissent le succès : Dancourt et Le Sage (1668-1747) qui, dans ‘‘Turcaret’’, fait une satire incisive des financiers véreux. Puis, sous l’influence des philosophes, la comédie perd sa vivacité et devient sérieuse et moralisante ; le but n’est plus de faire rire, mais d’inspirer de bons sentiments et d’émouvoir. C’est ce qu’on appelle la ‘‘Comédie Larmoyante’’ où s’illustrent quelque temps Destouches et Nivelle de la Chaussée. A ce stade, comédie et tragédie poursuivent le même but et se confondent ; les deux genres se fondent en un genre nouveau dit ‘‘Drame Bourgeois’’ dont le but est de donner au spectateur une leçon morale émouvante en

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lui décrivent, sur le mode pathétique, un destin malheureux. Les auteurs qui cultivent ce drame sont nombreux ; les plus connus sont Sedaine et Diderot (i.e. ‘‘Le Fils Naturel’’ ; ‘‘Le père de famille’’). Heureusement la Comédie prend un tour différent et plus intéressant avec les deux auteurs de théâtre les plus importants du 18ème siècle, Marivaux et Beaumarchais.

MARIVAUX (1688-1763)

Il a écrit plus de trente comédies dont le sujet est toujours le même : un jeune homme aime une jeune fille ; tous deux sont beaux, riches et libres de leurs actes. Cependant ils hésitent à s’épouser parce qu’ils ne sont pas sûrs de leurs sentiments et qu’ils trouvent toujours un prétexte pour reculer. Parmi les meilleures comédies, citons : ‘‘Le Jeu de l’Amour et du Hasard’’.‘‘Les Fausses Confidences’’ et ‘‘Les Surprises de l’Amour’’. Marivaux ne veut pas faire rire le spectateur mais seulement le faire sourire. Ses comédies se déroulent dans un salon, sans bruit, entre des personnages qui parlent un langage raffiné. C’est une analyse psychologique très subtile du sentiment d’amour, écrite dans un style très fin et un peu ‘‘précieux’’. Marivaux est unique dans la littérature française. On appelle aujourd’hui ‘‘marivaudage’’ une discussion sur toutes les nuances du sentiment d’amour fait, à

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l'exemple de Marivaux, dans un langage raffiné. Aujourd’hui encore, les comédies de Marivaux sont jouées avec succès.

BEAUMARCHAIS (1732-1799)

C’est l’auteur comique le plus célèbre du 18ème siècle, et l’un des plus importants de la littérature française. Fils d’un horloger parisien, Beaumarchais est un aventurier, qui, à force d’intrigue politiques et amoureuses, de calculs et de combinaisons financières peu honnêtes, a obtenu une place à la Cour de Louis XV et de Louis XVI. Mais les vrais nobles ne lui pardonnaient pas son succès, et Beaumarchais eut à se défendre devant les tribunaux contre les ‘‘grands’’ ; il fut plusieurs fois victime des ‘‘lettres de cachet’’ (warrant of imprisonment). Cependant dans ses malheurs, Beaumarchais conserva toujours sa gaieté et son éternelle bonne humeur. Fils du peuple, il aimait le peuple et mit son talent d’écrivain à exprimer les revendications des ‘‘petits’’ contre les ‘‘grands’’. Après avoir écrit plusieurs drames bourgeois sans succès, Beaumarchais composa deux chef-d’œuvres : Le Barbier de Seville (1755), Le Mariage de Figaro (1778). Ce sont deux comédies à la manière de Molière, avec des intrigues amoureuses, des poursuites, des chansons, des masques et de beaux costumes. Mais toute l’action conduite par un valet, Figaro joyeux et sans scrupules,

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audacieux et insolent, qui trompe tout le monde et attaque les hommes au pouvoir avec beaucoup de verve et d’irrespect. ‘‘Le Mariage de Figaro’’ fut interdit par la censure royale pendant six ans. Parlant de cette comédie, Napoléon a dit : ‘‘C’est la Révolution en action’’. Le personnage de Figaro est devenu un ‘‘type’’ immortel dans la littérature française.

De tous les auteurs de théâtre du 18ème

siècle, Marivaux et Beaumarchais sont les seuls qui soient encore joués aujourd’hui.

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Le Roman Au 18ème Siècle

Les écrivains classiques avaient négligé le roman, car seule la poésie semblait digne du lecteur. Au 18ème siècle, au contraire, le Roman revient à la mode, car c’est l’instrument idéal pour faire circuler les idées. Mais il subit une double influence : une influence étrangère, espagnole et anglaise (dans la première moitié du siècle), une influence philosophique (dans la seconde moitié).

INFLUENCE ESPAGNOLE : ‘‘LE ROMAN PICARESQUE’’

En espagnol, ‘‘picaro’’ veut dire fripon (rascal). Le roman picaresque est le récit des aventures d’un picaro. Ce genre littéraire fut très en vogue dans l’Espagne du 17ème siècle. Cervantes en avait écrit le chef-d’œuvre : ‘‘Don Quichotte de la Manche’’. Comme l’Espagne est très à la mode au 18ème siècle, les romanciers français imitent le roman picaresque espagnol : Le Sage (auteur de Turcaret) publie de 1715 à 1735, un roman célèbre : ‘‘Gil Blas de Santillane’’. Gil Blas, héros du roman, circule à travers l’Espagne, fréquente tous les milieux, a beaucoup d’aventures et rencontre un grand nombre de personnes. Mais c’est la société française du 18ème siècle que Le Sage critique.

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à travers l’Espagne. Le roman picaresque devient ainsi satirique.

INFLUENCE ANGLAISE : ‘‘LE ROMAN SENTIMENTAL’’

Les romans anglais de Richardson (ex. Pamela Grandisson) sont traduits en français et lus avec passion. Le public aime beaucoup ces récits d’aventures émouvantes d’un héros vertueux et pauvre qui, finalement, triomphe de ses malheurs. En France, ce sentimentalisme (sentimentality) donne naissance à une masse de romans dont le plus célèbre est : ‘‘Manon Lescaut’’ de l’Abbé Prévost (1731), histoire d’amour passionnée et mélodramatique. Marivaux a également écrit deux romans de même sorte : ‘‘La Vie de Marianne’’ et ‘‘Le Paysan Parvenu’’.

Influence Philosophique : Le Roman A Thèse

A partir de 1750, tous les philosophes utilisent le roman pour exprimer leurs idées et soutenir leurs théories. L’histoire qu’ils racontent est moins importante que les pensées de leurs personnages, qui sont en fait les pensées de l’auteur. Ceci est vrai de Diderot (‘‘Le neveu de Rameau’’, ‘‘Jacques le Fataliste’’), de Voltaire dont les contes philosophiques sont lus et discutés (‘‘Candide’’, ‘‘Zadig’’, ‘‘Jeannot et Colin’’), de Marmontel (‘‘Contes moraux’’), de J.J. Rousseau, auteur d’un roman épistolaire intitulé

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‘‘La Nouvelle Héloïse’’. Le roman épistolaire, c’est-à-dire sous forme de lettres, est très à la mode au 18ème

siècle.

AUTRES ROMANS

L’esprit libertin (dissolute) et athée du 18ème siècle a engendré une floraison de romans licencieux, immoraux, mais parfois écrits dans un style sobre et tendu. Les représentants de ce genre romanesque sont Restif de la Bretonne, le Marquis de Sade, et Choderlos de Laclos dont le roman ‘‘Les Liaisons Dangereuses’’ (1782) a une réelle valeur littéraire. Enfin un court roman exotique, tout plein de l’amour de la nature et de naïvetés, connut un succès prodigieux. C’est ‘‘Paul et Virginie’’ (1787), écrit par un disciple de Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre. De cette masse de romans on ne lit aujourd’hui que les plus intéressants. Mais la diversité des romans publiés reflète l’effervescence intellectuelle de ce siècle dans lequel certains prétendent voir le ‘‘Grand Siècle’’ de la littérature française.

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Les Moralistes Au 18ème Siècle

Un ‘‘moraliste’’ est un écrivain qui observe et juge le comportement des hommes. Il ne raconte pas une histoire ; il transcrit seulement ses observations et ses réflexions en formules impersonnelles et brèves qui ont valeur de vérité psychologique. Mais chaque moraliste considère et juge les hommes selon ses propres conceptions philosophiques et morales et selon son tempérament. C’est-à-dire que ses juges les hommes sont toujours influencés par des facteurs personnels. Au 17ème siècle, La Rochefoucauld et La Bruyère sont des moralistes assez pessimistes. Au 18ème siècle, les moralistes sont nombreux : ce genre littéraire convient en effet parfaitement à des esprits épris de concision, qui aiment aller droit à l’essentiel. Vaunevargues, dans ses ‘‘Réflexions et Maximes’’, révèle une grande élévation morale, tandis que Chamfort apparaît comme un pessimiste systématique (cf : ‘‘Maximes et Anecdotes). Les ‘‘Pensées’’ de Joubert (1754-1824) sont toujours lues aujourd’hui avec intérêt car l’observation psychologique est juste. Citons aussi Rivarol, journaliste ironique et mordant, qui, sous la Révolution, osa défendre la monarchie ; il est l’ancêtre

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des journalistes politiques, frondeurs et critiques, qui, de la Révolution à nos jours, ont fait de la presse l’instrument idéal pour façonner l’opinion publique.

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La Poésie Au 18ème Siècle

Le public lettré du 18ème siècle n’apprécie pas la poésie lyrique. Il lui préfère les romans et les contes, le théâtre et la philosophie. Cependant on rencontre à cette époque un grand nombre de poètes ou plutôt de versificateurs, qui font des vers sur n’importe quel sujet. Toute matière est bonne : un évènement historique ou politique, un paysage, une fleur, un animal, un objet quelconque, un ustensile de cuisine, une arme à feu, etc… Cette poésie se caractérise par l’absence de sensibilité et de sincérité, et par l’abus des calembours et des jeux de mots. D’une façon générale, à quelques rares exceptions près, les poètes sont intelligents et habiles, mais ils ne sont pas émouvants car ils ne sont pas sincères. Ce sont des rimailleurs (rhymester), de beaux esprits, mais pas des poètes authentiques. Beaucoup ont été célèbres au 18ème

siècle, puis oubliés ou presque ; ainsi Delille, Voltaire, Jean-Baptiste Rousseau, Le Franc de Pompignan, Lebrun, Gresset, Gilbert, Parny. Quelques noms cependant ont passé à la postérité en raison de poésies mieux réussies. Le fabuliste Florian, qui n’a pas le génie de La Fontaine est de ceux-là ; et aussi Marie-Joseph Chénier, qui a chanté la révolution, synonyme pour lui de liberté ; le nom de Rouget

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de l’Isle est demeuré célèbre, car il est l’auteur de ‘‘La Marseillaise’’, l’hymne national français. En fait, le seul vrai poète lyrique français du 18ème siècle est André Chénier, qui est mort victime de la Révolution de 1789.

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LA LITTÉRATURE DE LA PÉRIODE RÉVOLUTIONNAIRE

A partir de 1789 les événements politiques prennent la première place. On n’a plus le temps ni le goût de s’occuper de littérature. Aussi cette période est-elle pauvre au point de vue littéraire. Elle s’enrichit cependant d’un poète authentique, André Chénier, et d’orateurs politiques éloquents. Enfin un retour se dessine vers l’idéal classique. Après de nombreux excès, on aspire à l’ordre et à la simplicité.

ANDRÉ CHÉNIER (1762-1794)

Il est mort à l’âge de trente ans, guillotiné. Il n’a donc pas eu le temps de donner toute sa mesure. Malgré sa mort prématurée, il a laissé un certain nombre de poésies qui sont d’un poète authentique : ----les ‘‘Bucoliques’’, poésies imitées des grecs, mais toujours vivantes et sincères. Chénier connaissait très bien l’Antiquité.---les ‘‘Elégies’’, poèmes d’amour.---des poèmes inachevés (‘‘ l’Hermes’’ et ‘‘l’Invention’’) où il voulait mettre en vers les découvertes scientifiques et les idées philosophiques du 18ème siècle. André Chénier apportait de l’originalité dans ses vers, et de la sincérité dans son inspiration, toutes choses

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qui manquaient totalement aux autres poètes de son siècle.

ORATEURS RÉVOLUTIONNAIRES

La nécessité d’exciter et d’enthousiasmer le peuple de Paris pour la Révolution a fait naître de grands orateurs politiques. Parmi eux trois sont particulièrement célèbres : Mirabeau, le plus grand de tous. Danton, passionné et violent (guillotiné sur l’ordre de Robespierre en 1794). Robespierre, inflexible et froid (guillotiné à son tour en 1794).

LE NÉO-CLASSICISME

Un caractère nouveau apparaît dans la littérature à la fin du 18ème

siècle : le retour au classicisme, Pourquoi ? Parce que les découvertes archéologiques et l’érudition répandent une connaissance plus juste de l’Antiquité (les études grecques reviennent à la mode). Parce que pour lutter contre la monarchie, on va puiser dans l’Antiquité non chrétienne des théories nouvelles. Ce retour au goût et à la simplicité classique annonce un changement dans la littérature française : c’est le 19ème siècle.

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Idées Générales Sur Le 18ème

Siècle

I Passage Du 17 ème Au 18 ème Siècle

Entre le 17ème et le 18ème siècle, il n’y a pas de rupture ni de révolution. Le passage se fait lentement, progressivement. Quand Louis XIV meurt (1715), il y a déjà longtemps que les salons répandent, discrètement, les idées nouvelles : le philosophe Bayle publie son ‘‘Dictionnaire Historique’’ en 1691, donc au 17ème siècle. La Bruyère et Fénelon écrivains classiques, peuvent être rattachés au 18ème siècle par leurs idées. Il ne faut donc pas fixer de date précise entre ces deux siècles mais, au contraire, concevoir l’évolution sur l’espace d’une génération.

II Caractères Du 18 ème Siècle

C’est un siècle essentiellement ‘‘scientifique’’ et ‘‘pratique’’.

Scientifique :

On fait de très nombreuses découvertes scientifiques en mathématiques, astronomie, physique, chimie, sciences naturelles.

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Ces découvertes trouvent leur application pratique dans les ‘‘manufactures’’. En même temps, l’esprit scientifique, ‘‘rationaliste’’, se répand dans la société. On ne juge que par des faits et des preuves. Aussi rejette-t-on toute autorité absolue : Religion et Monarchie.

Pratique :

L’écrivain veut être utile à la société. C’est un ‘‘philosophe’’ qui, par ses idées, veut aider l’humanité à trouver le Bonheur et à marcher vers le Progrès. D’où l’importance des romans ‘‘philosophiques’’, du théâtre à thèse aussi bien que des ouvrages scientifiques ou d’Economie Politique (cf. l’Encyclopédie).

III L’Art Au 18 ème Siècle

En littérature, le lecteur aime l’ironie, la grâce, l’intelligence. A ce goût convient le style rapide, à la fois clair et précis, fait de phrases courtes et allègres. Cette légèreté, on la retrouve dans la décoration, dans l’art mobilier (les meubles de style Louis XV), dans l’architecture plus gracieuse que celle du 17ème siècle, et dans la peinture. La peinture en particulier s’accorde aux tendances littéraires. Avec Watteau, Boucher et Fragonard, c’est le triomphe de la grâce, de la délicatesse ; la composition et les couleurs visent à plaire plus qu’à émouvoir ; les

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sujets, pastorales et scènes mythologiques, sont superficiels mais traités avec soin. Un autre peinture de grand talent, Greuze, exprime le sentimentalisme du siècle dans ses portraits et tableaux ‘‘moraux’’. Enfin, dans la dernière partie du siècle, le peintre David témoigne du retour au classicisme avec ses sujets historiques et antiques. Il sera le peintre officiel de l’Empire.

IV L’Influence Étrangère

Le 18ème siècle est cosmopolite. L’étranger, et surtout l’Angleterre, est la source d’idées nouvelles. Idées philosophiques avec Newton, Locke, David Hume, Adam Smith (Angleterre), Leibnitz et Kant (Allemagne), Vico (Italie) ; modes littéraires avec les romanciers anglais Swift, Addison, Pope, Richardson et de Foe. Mais l’art français à son tour influence l’Europe : on admire Voltaire, Rousseau, Beaumarchais, et l’on imite les écrivains français du 17ème siècle, en particulier Gœthe, Schiller et Lessing en Allemagne. Enfin, la Révolution aura un retentissement mondial.

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Dix-Neuvième Siècle (1800-1900)

Vue Générale Sur Le Dix-Neuvième Siècle

I ÉVÉNEMENTS POLITIQUES

L’Empire de Napoléon 1er s’écroule en 1815 à la bataille de Waterloo. Aussitôt, c’est la restauration de la royauté avec Louis XVIII, puis Charles X. Mais les partisans de l’Ancien Régime se heurtent aux partisans de la Révolution et aux fidèles de Napoléon. D’où une vie politique très agitée, et des dates importantes : 1830   : 2 ème Révolution . On chasse de France le roi Charles X. Cependant, la révolution échoue puisque c’est un nouveau roi, le dernier, qui remonte sur le trône : Louis-Philippe. Le régime monarchique n’est plus aussi absolu qu’autrefois, mais on le supporte mal.

1848   : nouvelle révolution . Cette fois, on proclame la République. Elle dure 4ans. En effet, le président de la République, Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon 1, fait un coup d’état et rétablit l’Empire en 1852. Ce sera le Second Empire.

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1852-1870   : le second Empire. Durant dix ans, c’est une période de prospérité matérielle pour la France ; mais Napoléon III est trop ambitieux et trop aventureux. Le Second Empire se termine par la guerre avec l’Allemagne et Bismark, et la défaite française de Sedan. 1875   : début de la Troisième République. La monarchie se trouve pour toujours abolie en France et le régime républicain, instauré pour la première fois en 1789, définitivement établi.

II RÉVOLUTION INDUSTRIELLE

Commencée en Angleterre, elle transforme bientôt la France à partir de 1848. Le développement des sciences pures et des sciences appliquées se poursuit à pas de géant ; les découvertes et les inventions se multiplient ; les moyens de locomotion transforment la vie de la société française et européenne, surtout dans la seconde moitié de 19ème siècle. En même temps se développe le syndicalisme, qui va devenir une nouvelle force dans la nation, pour contrebalancer le gouvernement et développer un sens plus aigu de la justice sociale.

III COLONISATION

L’Algérie a été conquise en 1830. A la fin du 19ème siècle, la pénétration se fait en Afrique Centrale et en

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Indochine. Elle apporte, en même temps que l’expansion économique, une connaissance plus exacte de ces régions qui, jusque-là, étaient pratiquement ignorées. Sous l’influence de ces divers facteurs, le 19ème siècle a vu en quelques dizaines d’années la société et le mode de vie se transformer d’une façon prodigieuse. Et pareillement la littérature et les arts.

Caractères Généraux De La Littérature Française Au 19 ème Siècle

La Révolution de 1789 a détruit beaucoup d’habitudes sociales et de modes de pensée. L’idée de liberté et d’indépendance se répand dans la littérature. Les écrivains du 19ème

siècle seront des hommes qui cherchent, non pas à servir un homme, un gouvernement ou des institutions mais à se faire entendre eux-mêmes. Il n’y a plus de règles. Aussi est-il difficile de définir en quelques mots le caractère de la littérature de ce siècle. On peut dire qu’elle est :

Indisciplinée

On a le droit dire, ou presque. On voit donc apparaître des écrivains très différents. Le seul juge, c’est le public des lecteurs. Mais ce public sera largement guidé par la ‘‘Critique littéraire’’ qui

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tient une position, très forte, grâce à quelques écrivains (critiques littéraires) excellents et grâce aussi à la très large diffusion des journaux.

Changeante

La succession rapide des événements et la transformation de la société provoquent des changements successifs dans les mœurs, les idées, les goûts et les sentiments. La littérature y est sensible. C’est pourquoi, les ‘‘écoles’’ littéraires et artistiques se succèdent ; chaque génération nouvelle s’opposant à la génération précédente. Direct courants de pensée s’entre-croisent au cours du 19ème siècle : ---le goût de l’ordre et de la clarté se heurte au besoin d’exprimer des sentiments passionnées.---les excès dans l’expression des sentiments entraînent un retour vers le réel.---la recherche à tout prix du ‘‘naturel’’ provoque, par réaction, le culte de l’art pur.---le matérialisme, engendré par la révolution industrielle et par les idéologies socialiste et marxiste, suscite un renouveau de l’idéalisme.---le régime républicain, né de la Révolution, se heurte au Catholicisme, qui avait soutenu la monarchie. Toutes ces oppositions se reflètent dans les œuvres des écrivains.

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On peut diviser le 19ème siècle littéraire en 4 périodes :

1800-1820 : Période de RECHERCHE

1820-1850 : le ROMANTISME

1850-1880 :` le REALISME

1880-1900 : l’IDEALISME

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I

PÉRIODE DE RECHERCHE(1800-1820)

Avec la disparition de l’Ancien Régime et les terribles années de la Révolution tout un système politique et social s’est écroulé. Il faut en bâtir un nouveau. Mais les guerres de l’Empire, puis la défaite, ajoutent aux bouleversements. Aussi la littérature française, en ce début du 19ème siècle, est-elle assez pauvre. Mais il y a une exception, et c’est un génie : chateaubriand

A LA RECHERCHE DU NOUVELLES IDÉES

Sur quel système politique faut-il reconstruire la France ? Telle est la question qui se pose à ce moment Va-t-on revenir aux théories de gouvernement absolu de l’Ancien Régime ? Va-t-on continuer d’appliquer les idées démocratiques de la Révolution ? Pour un temps, la question est résolue d’autorité par Napoléon qui exerce une dictature absolue. La censure est très sévère, en particulier pour les ouvrages politiques.

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Cependant deux écrivains ‘‘politiques’’ se distinguent par la force de leur pensée et la vigueur de leur style. Ce sont :---De Bonaldet Joseph de Maistre, dont l’ouvrage principal s’intitule ‘‘Les soirées de Saint-Pétersbourg’’. Ces deux écrivains réclament un retour à l’autorité politique et religieuse, c’est-à-dire, à la monarchie absolue en politique et à la soumission à la religion catholique. Pour eux, toute société doit être fondée sur l’autorité, sinon c’est l’anarchie, comme l’ont montré les excès et les désordres de la Révolution. Bonald et De Maistre étaient, en somme, des réactionnaires qui voulaient effacer la Révolution et le 18ème siècle des philosophes pour faire renaître en France un régime comparable à celui du 17ème siècle.

MADAME DE STAËL

Un autre écrivain, une femme, exerce une forte influence en ce début du 19ème siècle : Madame de Staël (1766-1817). Fille d’un ministre de Louis XVI, elle a connu les derniers salons fréquentés par les philosophes. Elle est d’esprit libéral : elle a été dégoûtée par les excès de la Révolution, qu’elle avait accueillie d’abord avec joie ; et elle hait la tyrannie de l’empereur Napoléon. Elle est obligée de quitter la France, et elle voyage beaucoup à travers l’Europe, surtout en Allemagne.

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L’influence de Madame de Staël s’est exercée à travers plusieurs livres qui connurent un vif succès en Europe : ---Elle a été célèbre en son temps par deux romans : ‘‘Corinne’’ et ‘‘Delphine’’ où elle montre que la femme n’est pour l’homme qu’une esclave, que sa condition est médiocre, que ses dons ne peuvent pas s’épanouir. ---‘‘De la littérature’’ est un livre de critique littéraire où l’auteur déclare que la littérature d’un pays est une chose vivante, qu’elle reflète la civilisation de ce pays à un moment donné, et donc qu’il est absurde d’imiter les Anciens par principe. Enfin un reportage intitulé ‘‘De l’Allemagne’’ fait connaître en France la littérature allemande, et surtout les poètes allemands qui sont plus ‘‘romantiques’’ que les français. C’est elle qui a créé le mot romantique. Les théories et les idées littéraires de Madame de Staël seront exploitées par les écrivains postérieurs. La renaissance du sentiment religieux réclamée par J. de Maistre se confirmera. Mais c’est Chateaubriand qui, par son style prodigieux, donnera à tous ces thèmes une force et un éclat incomparables.

CHATEAUBRIAND (1768-1848)

François de Chateaubriand a connu la gloire de son vivant, moins cependant pour ses œuvres littéraires que pour sa vie aux péripéties nombreuses.

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Il est né en Bretagne, province française pauvre, aux vastes landes désertes, bordée par l’Océan Atlantique qui rend le climat pluvieux et triste. C’est là qu’il passe sa jeunesse, dans la solitude et la rêverie, avec sa sœur Lucile dont la sensibilité et le caractère exalté l’influencent encore davantage. Fils d’une famille fière mais ruinée, Chateaubriand s’engage dans l’armée ; il vient à Paris, fréquente les salons des philosophes, perd la foi religieuse. Fervent disciple de Rousseau, il veut voir les ‘‘bons sauvages’’, et, 1791, part pour l’Amérique d’où il rapportera beaucoup d’impressions visuelles et de notes qu’il utilisera plus tard pour écrire ses livres, en s’aidant de la mémoire…et surtout de l’imagination. Chateaubriand revient en France au moment où le roi Louis XVI est arrêté et mis en jugement. Il quitte alors la France et vit misérablement à Londres, où il endure des privations, y compris la faim. C’est en Angleterre toutefois qu’il se met à écrire. Apprenant la mort de sa mère en Bretagne, il subit un choc et revient subitement à la religion de son enfance. ‘‘J’ai pleuré et j’ai cru’’, dit-il. Désormais il se consacre à la rédaction d’un grand livre pour défendre la religion chrétienne que les philosophes avaient ridiculisée. Il rentre en France en 1800, refuse de servir Napoléon dont il hait la tyrannie, voyage en Palestine pour voir les lieux saints. Après la chute de Napoléon, il entre dans la politique, devient ministre des Affaires Etrangères, puis entre dans l’opposition.

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Sur ses vieux jours, Chateaubriand se consacre à la littérature. Mais, assez étrangement, il ne reconnaît pas comme ses disciples les poètes romantiques qui se réclament de lui. Il n’aime pas leurs excès. Et il meurt, désenchanté, en 1848, en pleine révolution. Il fut enterré, selon son désir, en Bretagne, sur un roc solitaire, face à l’océan. La vie de Chateaubriand est celle d’un homme insatisfait, fier et solitaire, toujours poussé par de nouveaux désirs et qui, finalement, ne trouva que le désenchantement et l’ennui. Et il suffire de raconter cela par écrit, dans un style passionné et coloré, pour exalter les lecteurs et transformer la littérature française. Ce sera le ROMANTISME. La mélancolie pessimiste, ce ‘‘Mal du siècle’’, lancée par Chateaubriand s’étale déjà dans un livre qui, publié en 1804, passe inaperçu : ‘‘Obermann’’, de Sénancour. Plus tard ce livre charmera la jeunesse rêveuse des Romantiques qui y trouveront un personnage à la mesure de leur ennui :…‘‘Pourquoi, s’écrie Oberman, la terre est-elle ainsi désenchantée à mes yeux ? Je ne connais point la satiété, je trouve partout le vide.’’

ŒUVRES PRINCIPALES

Mis à part des ouvrages de politique ou d’histoire sans grand intérêt, il faut retenir les chefs-d’œuvre suivants :

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Le Génie du Christianisme (1802)

C’est une défense de la religion chrétienne. Chateaubriand y montre, contre Voltaire et les autres philosophes, que le christianisme a produit des œuvres magnifiques, telles que les Evangiles, les cérémonies du culte, et surtout les ‘‘cathédrales gothiques’’ du Moyen Age. En exaltant le sentiment de la beauté, Chateaubriand défend la religion et réhabilite le Moyen Age que, depuis la Renaissance, on avait oublié volontairement, et dont Voltaire avait dit avec mépris : ‘‘C’est une longue nuit’’.

Atala

Histoire d’amour (chez les Peaux-Rouges d’Amérique) entre un païen et une jeune fille chrétienne. Chateaubriand veut prouver l’harmonie qui existe entre le sentiment religieux, les passions du cœur humain et les grandes scènes de la nature. On trouve dans ce petit livre de magnifiques descriptions.

René (1802)

Autre petit récit qui met en scène un jeune français, René, insatisfait, triste, et qui va chez les indiens d’Amérique pour guérir sa mélancolie. C’est le portrait de Chateaubriand lui-même.

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René souffre, mais il ne sait pas pourquoi ; et même il aime sa souffrance ; il y associe la nature. Ce tourment vague fut très à la mode à cette époque : ce fut le ‘‘mal du siècle’’.

Les Martyrs (1809)

Epopée chrétienne en prose destinée à montrer le triomphe de la civilisation chrétienne sur la civilisation romaine, c’est aussi un roman historique où Chateaubriand décrit dans un style très coloré, très vivant, les grands épisodes de la fin de l’Empire romain.

Les mémoires d’outre-tombe C’est le récit de sa vie par lui-même, publié après sa mort. Cette autobiographie est le chef-d’œuvre de Chateaubriand qui s’exprime ici avec sincérité et naturel. Le récit de son enfance, notamment, est justement célèbre. Chateaubriand commence en déclarant que ‘‘c’est par une nuit de tempête que la vie lui a été infligée’’.

Quelle a été l’influence de Chateaubriand   ?

Elle a été immense. Il est le père du Romantisme, ‘‘l’aïeul’’, comme dit Théophile Gautier : Il a réveillé le sentiment religieux et redécouvert le Moyen Age.

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Il a fourni au Romantisme tous ses thèmes littéraires, et surtout la mélancolie et la passion Il a crée un style nouveau : musical (davantage encore que celui de Rousseau) rythmé et solennel, coloré. Tous les prosateurs, même aujourd’hui, doivent quelque chose à Chateaubriand.

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II

LE ROMANTISME(1820-1850)

Qu’est-ce que le Romantisme ? C’est une ‘‘école littéraire’’ qui déclare la guerre à la doctrine classique. Donc elle rejette toutes les règles et proclame la liberté pour l’écrivain de s’exprimer sans aucune contrainte. Remplace le règne de la raison par celui de l’imagination et de la sensibilité On aime les ‘‘états d’âme’’ violents, les désespoirs, et aussi le désordre, la fantaisie, l’originalité, la bizarrerie, les excès. Plus on est original, plus on a de succès. Et cela non seulement en littérature, mais aussi dans la vie quotidienne. On exploite certains thèmes littéraires. Ainsi :--l’amour malheureux --les ruines, les cimetières ;

--Dieu --les pays inconnus, l’Espagne, l’Orient ;

--le ‘‘moi’’ --la couleur locale ;--la solitude.

On met à l’ordre du jour cette tristesse sans cause appelée mélancolie. Le mouvement romantique français est né d’influences diverses. Si Rousseau et Chateaubriand en sont les

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inspirateurs directs, des écrivains étrangers y ont aussi puissamment contribué. Ossian et Byron en Angleterre, Goethe et Schiller en Allemagne, Manzoni et Pellico en Italie. Quelques dates importantes jalonnent l’histoire du Romantisme : en 1820 la publication des ‘‘Méditations’’ de Lamartine sonne l’ouverture ; l’année 1830 marque le triomphe de la nouvelle école avec la bataille ‘‘d’Hernani’’, célèbre drame de Victor Hugo ; mais en 1843 l’échec des ‘‘Burgraves’’, autre drame de Hugo, anonce le déclin du Romantisme.

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L’ÉCOLE ROMANTIQUE

Sous ce nom, on groupe un grand nombre d’écrivains, les uns devenus célèbres et les autres oubliés, poètes, romanciers, dramaturges, historiens, qui, entre 1820 et 1850, ont défendu les mêmes idées littéraires, et se sont appelés eux-mêmes ‘‘Romantiques’’.1

Ces écrivains avaient un point commun : le mépris du Classicisme. Ils voulaient renouveler la littérature française en y introduisant l’expression de sentiments personnels, un style coloré et varié, des images nouvelles empruntées à l’Italie, à l’Espagne ou à l’orient. Etant très individualistes, ils étaient donc nécessairement différents les uns des autres. Il faut connaître les noms des écrivains les plus importants dans chaque genre littéraire.

P 1. LAMARTINE Théo. Gautier O 2. Alfred de Poètes BanvilleÉ VIGNY Sé- NodierT 3. Victor HUGO co- Barbier E 4. Alfred de nd- Béranger

MUSSET air G.de Nerval

THÉA- VICTOR et HUGO a Alfred de s A. de Vigny

TRE MUSSET s Alex. Dumas i

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1Au contraire les écrivains du 17ème siècle n’ont jamais dit : ‘‘Nous sommes des Classiques’’. Ce nom leur a été donné par la suite.

R O 1. BALZAC

M 2. STENDHAL A 3.George SAND N

HISTOIRE 1.Augustin THIERRY 2. MICHELET

Écrivains 1. LAMENNAISReligieux 2. LACORDAIRE

Critiquelittéraire : SAINT- BEUVE

V. Hugo autres romanciers A. de Vigny et conteurs Alex. Dumas Benjamin Constant Mérimée Gautier

A. de MussetG. de Nerval

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LA POÉSIE ROMANTIQUE

Elle est emmenée par quatre poètes au lyrisme retentissant mais s’enrichit de nuances variées avec d’autres poètes plus discrets. Il n’est pas possible de les nommer tous.

LAMARTINE (1790-1869)

En 1820, paraît en librairie un recueil de poésies intitulé : ‘‘Les Méditations Poétiques’’. C’est un succès prodigieux. L’auteur, hier inconnu, devient célèbre en un jour. Il s’appelle Alphonse de Lamartine. La poésie romantique est née.

I Les Méditations Poétiques

D’où vient ce succès ? Lamartine n’est pas un homme extraordinaire. Il a passé sa jeunesse à la campagne, tranquillement. C’est un rêveur, sensible aux beautés de la nature ; c’est aussi un ‘‘mélancolique’’ (cf. Chateaubriand) qui souffre d’une souffrance vague et qui aime sa souffrance. L’absence d’une personne aimée, le sentiment de solitude, l’amour de Dieu, l’angoisse de la mort, l’amour d’une femme, le souvenir de son enfance, le regret du temps qui passe, etc… tel est le sujet de ses poésies.

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Tout homme éprouve ces sentiments ; et c’est parce qu’il a su les exprimer dans des vers simples et mélodieux que Lamartine a été aimé et admiré. Quelques poèmes sont particulièrement célèbres : l’Isolement : Souvent sur la montagne, à l’ombre du vieux chêne…. Le vallon  : O vallons paternels, doux chants, humble chaumière… Le Lac  : O Lac, l’année à peine a fini sa carrière, Et près des flots chéris qu’elle devait revoir, Regarde ! Je viens seul m’asseoir sur cette pierre où tu la vis s’asseoir… Le vers préféré de Lamartine c’est l’alexandrin (12 pieds) dont le rythme régulier et harmonieux, mais aussi monotone, convient bien à l’expression de sentiments discrets, vagues et tristes.

II Les Harmonies Poétiques et Religieuses Après ce premier succès, Lamartine entre dans la politique, occupe de hautes fonctions, joue un grand rôle dans la Révolution de 1848. Célèbre, heureux, le poète publie un autre recueil de poésies personnelles, ‘‘Les Harmonies’’ où il remercie Dieu de son bonheur, décrit les beautés de la nature, les joies de l’enfance et de la famille. En même temps, il publie des ouvrages historiques en prose, d’ailleurs peu intéressants. Il se passionne

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pour la politique, mais se retire à l’arrivée au pouvoir de Napoléon III.

III Poète Épique

Lamartine aurait voulu écrire une épopée pour célébrer la marche de l’humanité vers le progrès moral. Pour lui, l’homme aspire toujours à l’infini, à ‘dieu :

Borné dans sa nature, infini dans ses vœux, L’homme est un Dieu tombé qui se souvient des cieux.

Mais Lamartine n’était pas un poète épique et il n’a composé que deux récits en vers, ‘‘Iocelyn’’ et ‘‘La Chute d’un Ange’’, d’ailleurs inachevés. Le meilleur Lamartine c’est le poète lyrique qui chante en vers délicats ses souffrances et ses désirs :

Filles de la douleur, Harmonies ! Harmonies !

C’est le poète qui cherche refuge et consolation dans la nature, où il trouve la paix, le silence, et le sentiment de l’éternité : Mais la nature est là, qui t’invite et qui t’aime Plonge-toi dans son sein qu’elle t’ouvre toujours ; Quand tout change pour toi la nature est la même, Et le même : soleil se lève sur tes jours.

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ALFRED DE VIGNY (1797-1863)

Contemporain de Lamartine, Alfred de Vigny en est cependant bien différent. Sa vie a été une suite de déceptions : Vigny était officier dans l’armée et rêvait de gloire militaire ; mais après la chute de Napoléon, la vie de soldat se passait, monotone, à l’intérieur des casernes (barrakcs), et Vigny quitta l’armée. Poète lyrique, il ne connut jamais le grand succès, et en souffrit. Il fut refusé plusieurs fois à l’Académie Française. Il se lança dans la politique, mais, là encore, il subit des échecs. Marié à une femme peu intelligente et bientôt infirme, Vigny ne connut pas le bonheur familial. Il mourut triste et désabusé.

Vigny, poète pessimiste

Tous ces faits expliquent que Vigny soit un ‘‘pessimiste’’. Il ne voit dans la vie qu’une source de souffrances et de malheurs. Tous ses poèmes traduisent cette conception pessimiste du monde. (cf. ‘‘Poèmes antiques et modernes’’ ). Pour Vigny, l’homme est un condamné qui ignore les motifs de sa condamnation. Il ne reçoit aucun secours, ni de Dieu, qui ne l’écoute pas (cf. ‘‘Moïse’’, ‘‘le Déluge’’)ni de la femme, dont l’amour est trompeur (cf. ‘‘La Colère de Samson’’)ni de la nature qui est une ennemie :

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On me dit une mère, et je suis une tombe. Le poète ne cherche pas sa consolation dans la nature, car celle-ci reste indifférente à ses souffrances :

Vivez, froide Nature, et revivez sans cesse Sous nos pieds, sur nos fronts, puisque c’est votre loi : Vivez, et dédaignez, si vous êtes déesse, L’homme, humble passager, qui dut vous être un roi ; Plus que tout votre règne et que ses splendeurs vaines J’aime la majesté des souffrances humaines ; Vous ne recevrez pas un cri d’amour de moi. (La Maison du Berger)

Vigny, poète stoïcien Cependant Vigny ne cède pas au désespoir ; au contraire, il accepte et subit ses souffrances stoïquement, sans jamais se plaindre. Après ses nombreux échecs, Vigny se retire en effet dans sa propriété, soigna sa femme infirme, et silencieux, amer, s’enferma dans sa ‘‘tour d’ivoire’’ (ivory tower), c’est-à-dire dans la solitude complète, et composa là ses plus beaux poèmes philosophiques : ‘‘Les Destinées’’. Il jeta au feu toutes les poésies dont il n’était pas satisfait. La poésie de Vigny n’est pas élégante ni musicale comme celle de Lamartine. Mais sa pensée est vigoureuse, énergique. Vigny se sert du ‘‘symbole’’ pour exprimer cette pensée : il choisit un personnage, un animal ou un

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objet (Moïse, Le Naufrage, le Loup, la Bouteille à la mer) et construit autour de ce symbole un récit à intention philosophique. Ainsi, le Loup, qui, tué par les chasseurs, meurt fièrement sans jeter un cri donne à l’homme une leçon de courage et semble lui dire :

A voir ce que l’on fut sur terre et se qu’on laisse Seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse…. Gémir, pleurer, prier est également lâche ; Fais énergiquement ta longue et lourde tâche ; Dans la voie où le sort a voulu t’appeler, Puis après, comme moi, souffre et meurs, sans parler. (La Mort du Loup)

VICTOR HUGO (1802-1885) Victor Hugo est véritablement un géant dans la littérature française. C’est un poète--- lyrique, satirique, épique --- mais c’est aussi un dramaturge qui a renouvelé le théâtre, un romancier puissant, un politicien, un homme d’Etat (il faillit être Premier Ministre), un dessinateur même. Sa vie a été prodigieuse, mouvementée, très longue : heureux et célèbre dès sa jeunesse, Victor Hugo a éprouvé ensuite des malheurs dans sa famille (il a vu mourir presque tous ses enfants) ; il a connu l’exil politique ; après ses triomphes littéraires, il a subi des échecs cuisants. Cependant, jamais découragé, Victor Hugo écrivit toujours, luttait, ayant sans cesse plusieurs ouvrages en

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composition. Bien que l’École Romantique eût cessé dès 1850, Victor Hugo, qui en avait été le chef à partir de 1828, continua seul à défendre sa doctrine littéraire, aimé et respecté même par ceux qui ne partageaient pas ses idées ni ses goûts. Ses funérailles à Paris furent une apothéose.

Le Poète Lyrique

Doué d’un talent merveilleux, Hugo a écrit des poèmes dans les genres les plus divers. Il a épuisé tous les thèmes : Dieu, l’amour, la pitié, la douleur, la gloire, la mort, la fragilité de la vie, le bonheur, la patrie, la nature, l’océan, etc… Hugo peut être tour à tour tendre, sensible, fraternel, naïf, malicieux, désespéré, triste, satirique, violent, émerveillé, mystique, épique, visionnaire. Pendant 50 ans il publie des poésies en divers recueils : ---‘‘Odes et Ballades’’ --- ‘‘Les Orientales’’ où il chante l’Espagne et l’Orient.---‘‘Feuilles d’Automne’’ –‘‘Chants du Crépuscule’’--- ‘‘Les Voix intérieures’’ --- ‘‘Les Rayons et les Ombres’’ (1830-1840). Hugo traite de l’actualité politique, de la gloire de Napoléon, et de tous les thèmes romantiques. ---‘‘L’Ane’’ --- ‘‘Les quatre Vents de l’Esprit’’ --- ‘‘Le Pape’’ --- ‘‘La Pitié Suprême’’ ; Victor Hugo, passionné des sciences occultes et de l’histoire des religions, compose des poèmes visionnaires et mystérieux.---‘‘L’Art d’être grand-père’’ --- ‘‘Chansons des rues et des bois’’ ;

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---‘‘Les Contemplations’’ --- Victor Hugo, bouleversé par la mort de sa petite-fille, exprime ici avec une sincérité émouvante son amertume, sa douleur et aussi son espoir en Dieu.

Le Poète Satirique

---‘‘Les Châtiments’’ ; Hostile à Napoléon III, Victor Hugo s’exile volontairement pendant plusieurs années et compose des poèmes violents contre la tyrannie et l’ambition de Napoléon I et de Napoléon III.

Le Poète Epique

---‘‘La Légende des Siècles’’ (1859-1883). Comme La martine et Vigny, Hugo a voulu écrire l’histoire du l’humanité, l’épanouissement du genre humain, ‘‘l’homme montant des ténèbres à l’idéal’’ :

L’humanité se lève, elle chancelle encore, Et, le front baigné d’ombre, elle va vers l’aurore.

‘‘Les Contemplations’’, ‘‘Les Châtiments’’ et ‘‘La Légende des Siècles’’ sont les trois œuvres poétiques les plus importantes de V. Hugo. Hugo a le don de l’image et du rythme, (il écrit sur des rythmes très variés) ; il aime les couleurs, la sonorité des mots, les contrastes, les antithèses. Lamartine est un poète qui ‘‘laisse parler son cœur’’. Vigny est un poète qui ‘‘pense’’.

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Hugo est un poète qui ‘‘voit’’ et qui ‘‘entend’’ : c’est un peintre et un musicien qui se sert de mots. Enfin Hugo était persuadé que le Poète a pour mission de guider les hommes ; c’est une sorte de prophète qui communique avec Dieu. Selon lui, le poète est placé dans la société comme un témoin qui doit rendre compte, dans ses vers, de tout ce qui se passe : il doit être ‘‘l’écho sonore’’ de son époque Victor Hugo, lui, l’a été.

ALFRED DE MUSSET (1810-1857)

C’est l’enfant terrible du Romantisme. A dix-huit ans il est déjà célèbre. Comme la poésie ‘‘romantique’’ est à la mode, il compose, lui aussi, des poésies romantiques, mais sans se prendre au sérieux.

‘‘Premières Poésies’’ (1829-1835)

Dans ce premier recueil, Musset s’amuse avec tous les thèmes du Romantisme. Tandis que Lamartine, Vigny, Gautier et V. Hugo croient sincèrement à la nouvelle doctrine littéraire, Musset semble s’en moquer joyeusement. C’est un fantaisiste. Il aime la bizarrerie, la couleur locale, les mots étranges, les descriptions originales de l’Espagne et de l’Orient qu’il n’a jamais vus. Il utilise des procédés de versification inattendus, audacieux et il mécontente à la fois les partisans du Classicisme et les romantiques.

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Son originalité et sa fantaisie lui donnent une place particulière dans le groupe des poètes romantiques.

‘‘Poésies nouvelles’’ (1835-1852)

Musset a voulu vivre le Romantisme, c’est-à-dire éprouver ces passions exaltées par les romanciers et les poètes. Et c’est alors qu’il se lie avec George Sand (romancière) ; mais leur amour se termine par un échec total, et Musset sort de cette éprouve, brisé. Malade, il se met à boire et, tué par l’alcoolisme, il meurt à 47 ans. C’est durant ces années malheureuses que Musset écrit ses plus beaux poèmes. Il exprime ses chagrins et ses déceptions avec une sincérité si prenante qu’on ne peut oublier ses plaintes douloureuses :

Le seul bien qui me reste au monde Est d’avoir quelquefois pleuré.

Les plus célèbres de ces poésies sont les ‘‘Nuits’’ (Nuit de Mai, Nuit d’Octobre, Nuit de Décembre…) Musset voit en songe apparaître sa Muse (c’est-à-dire la fée qui lui a donné son génie poétique) ; il lui dit ses souffrances. La muse lui répond que ses souffrances ne sont pas inutiles parce qu’elles lui permettent d’écrire des vers immortels :

Les plus désespérés sont les chants les plus beaux Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots. (Nuit de Mai)

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D’autre part, ses souffrances ne sont pas inutiles parce qu’elles lui apprennent que l’homme ici-bas doit surmonter sa douleur :

L’homme est un apprenti, la douleur est son maître. (Nuit d’Octobre)

Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur. (Nuit de Mai)

Musset était guéri des excès du Romantisme, et sa poésie se rapproche des règles classiques, tout en conservant sa fantaisie et son ironie. De tous les poètes romantiques, Alfred de Musset est le plus original, à cause de sa grâce légère et moqueuse, et le plus humain, aussi à cause des souffrances qu’il a éprouvées et qu’il a su exprimer avec une profonde émotion. C’est pour cela qu’il a toujours été aimé. Et lui-même n’a fait qu’aimer. Musset c’est le poète de l’amour :

Je me dis seulement : A cette heure, en ce lieu, Un jour je fus aimé, j’aimais, elle était belle. J’enfouis ce trésor dans mon âme immortelle Et je l’emporte à Dieu. (Le Souvenir)

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Les Autres Poètes Romantiques

On peut dire que le Romantisme a été une grande révolution littéraire. Et cette révolution, comme toute révolution, a enthousiasmé la jeunesse. Si V. Hugo, Lamartine, Vigny et Musset sont les quatre noms célèbres de cette ‘‘école’’, il ne faut pas oublier qu’un grand nombre d’autres jeunes poètes suivaient leur trace. Certains sont totalement oubliés aujourd’hui parce qu’ils n’avaient pas de génie, ni même de vrai talent ; d’autres ont une gloire locale ; d’autres enfin ont abandonné assez vite le Romantisme pour une autre forme de poésie.

THÉOPHILE GAUTIER

Le ‘‘bon Théo’’ comme l’appelaient ses amis a d’abord été un ardent défenseur du Romantisme. Puis il a évolué et a cherché dans ses vers la perfection de la forme. Il a défendu la théorie de ‘‘l’art pour l’art’’ : le poète ne doit soutenir dans ses vers aucune cause ; il doit seulement faire de ‘‘beaux vers’’ (rythme, sonorité, couleur…) (i.e. ‘‘Emaux et Camées’’) Théophile Gautier assure la transition entre les Romantiques et les Parnassiens. Avec lui il faut citer encore : Théodore de Banville Louis Bouilhet

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Augustin Barbier, auteur de ‘‘Iambes’’ vigoureuse satire contre Napoléon. (le ‘‘iambe’’ est un vers grec au rythme particulier) Pierre Beranger, dont les chansons ‘‘politiques’’ étaient répétées par le peuple tout entier. Il est assez oublié aujourd’hui.

LES POÉTES RÉGIONALISTES

On les a appelés ‘‘petits romantiques’’. Ils chantent surtout leur pays natal. Ainsi : Brizeux, chantre de la Bretagne Petrus Borel, auteur de chansons émouvantes sur les marins. Victor de Laprade, et bien d’autre dont le talent, quoiqu’inégal, n’est pas sans charmes.

Les Poètes Du Rêve

Ce sont Aloysius Bertrand, Charles Nodier, et surtout Gérard de Nerval. Avec eux la poésie et la prose se confondent. Ils cherchent à exprimer les sensations et les pensées qui se situent à la limite du rêve et de la vie éveillée. D’où des vers étranges, des récits mystérieux, impalpables où les faits de la vie quotidienne et les souvenirs vécus se mêlent au monde illogique du rêve.

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Ce courant nouveau dans la littérature française est dû à l’influence de poètes allemands. Vivant en marge du Romantisme, instable, déséquilibré, Gérard de Nerval était considéré par ses amis comme un bon ami, aimable, étrange et au style agréable. Mais sa réputation a grandi, et certains le considèrent aujourd’hui comme un génie parce qu’il a été l’un des premiers à introduire dans la littérature française le monde fascinant et mystérieux de l’inconscient et du subconscient. Dans ‘‘Aurélia’’ et ‘‘Les Filles du Feu’’ sa réussite est totale.

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LE THÉATRE ROMANTIQUE

Malgré les efforts de Voltaire pour renouveler la tragédie classique, le théâtre traditionnel s’était prolongé depuis Racine sans fournir aucun chef-d’œuvre. Si l’on met à part les comédies de Beaumarchais et de Marivaux, aucune pièce de théâtre intéressante et durable n’a été jouée sur la scène française au cours du 18ème siècle et de la première partie du 19ème siècle. La encore c’est le Romantisme, V. Hugo surtout, qui révolutionne le théâtre.

I CONDITIONS NOUVELLES

Au point de vue matériel, il y a eu beaucoup de progrès : la scène est plus large ; débarrassée des spectateurs importants qui l’occupaient au 17ème

siècle, elle permet l’évolution des acteurs et des figurants (support-cast) qui sont de plus en plus nombreux. L’éclairage perfectionné réhausse l’éclat du spectacle. Le décor varié, la musique, les costumes aux couleurs vives constituent un attrait supplémentaire pour le spectateur. La représentation de passions violentes, les coups de théâtre, les duels….attirent les gens du peuple. Le public ainsi s’agrandit, et les directeurs de salles peuvent dépenser davantage d’argent pour la mise en scène.

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On joue parfois à Paris des drames étrangers, allemands surtout, dont l’intrigue et le romantisme fiévreux font éprouver des émotions jusqu’ici inconnues au spectateur français qui était habitué aux caractères artificiels et aux déclamations froides et pompeuses des tragédies soi-disant classiques du 18ème siècle et de la période révolutionnaire. C’est dans ces conditions que V. Hugo va faire son entrée sur la scène.

II LE THÉATRE DE VICTOR HUGO

1827, ‘‘Cromwell’’

Victor Hugo publie un drame historique qui dure hui heures et par conséquent est impossible à jouer. Mais dans la préface, restée célèbre, il indique ce que doit être le drame romantique : il n’y a plus de règle des trois unités ; il n’y a plus de séparation entre tragédie et comédie. Il y a seulement un drame, c’est-à-dire une histoire à la fois tragique et comique, sublime et grotesque, parce que dans la vie quotidienne la tragédie se mêle toujours à la comédie. Et pour que ce ‘‘drame’’ impressionne le spectateur, il y aura de l’action, beaucoup d’événements, des passions violentes, à la fois tendres et terribles, de la couleur locale (costumes d’époque, décors…) de la variété et du lyrisme. La préface de ‘‘Cromwell’’ est le manifeste de l’École Romantique.

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1830, La bataille d’‘‘Hernani’’

‘‘Hernani’’ illustre brillamment les théories dramatiques de Victor Hugo. C’est l’histoire brutale et tendre d’un bandit espagnol, beau, fier, et sans fortune, qui lutte pour la liberté et la justice contre les ‘‘grands’’ d’Espagne, aime et épouse Dona Sol, fille d’un duc, et finalement se suicide avec elle pour rester fidèle à sa promesse. Le jour où ce drame fut représenté pour la première fois à Paris, la salle de théâtre s’était divisée en deux camps : d’un côté, les partisans des classiques, et de l’autre, les romantiques, barbus et bruyants, emmenés par Théophile Gautier qui portait sa fameuse jaquette rouge. Il y eut une bataille dans la salle et ‘‘Hernani’’ fut un triomphe pour V. Hugo. Hugo compose ensuite d’autre drames, dont ‘‘Ruy Blas’’, laquais amoureux d’une reine Un ver de terre amoureux d’une étoile ‘‘Le Roi s’amuse’’, ‘‘Marie Tudor’’, etc.

1843, ‘‘Les Burgraves’’

Mais en 1843 son drame historique ‘‘Les Burgraves’’ est un échec complet alors que ‘‘Lucrèce’’, tragédie classique de Ponsard, remporte un immense succès. Le drame romantique avait duré quinze ans.

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AUTRES DRAMES ROMANTIQUES

Durant ces quinze années de triomphe du théâtre romantique, de nombreux écrivains ont écrit pour la scène. Parmi eux, on peut retenir :

Alfred de Vigny

Après avoir présenté sans grand succès plusieurs drames historiques (La Maréchale d’Ancre, Stello…) et des adaptations de Shakespeare, Vigny compose ‘‘Chatterton’’ (1835), pièce en prose, racontant l’histoire malheureuse d’un poète méconnu qui meurt de pauvreté et de chagrin. Ce drame porte l’empreinte du pessimisme de Vigny.

Alexandre Dumas

Ecrivain extrêmement fécond. A. Dumas (père) a écrit plusieurs drames dont les sujets sont surtout empruntés à l’Histoire de France. Ses pièces faciles, alertes et brillantes ont connu, comme ses romans, un très grand succès populaire. Mais le seul écrivain de théâtre romantique qui ait produit des chefs-d’œuvre c’est Alfred de Musset.

III LE THÉATRE D’ALFRED DE MUSSET

Il porte, comme sa poésie lyrique, cette marque de

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fantaisie, de liberté, de grâce et d’ironie qui caractérise Musset. Les pièces de Musset ne sont pas faites pour être jouées, mais pour être lues. Lui-même les a publiées dans deux recueils intitulés. ‘‘Spectacle dans un fauteuil’’ et ‘‘Comédies et Proverbes’’ Ce ne sont donc pas des drames violents à la V. Hugo, mais de courtes comédies légères, tendres élégantes, qui rappellent les comédies de Marivaux. Comme Musset composait ses pièces sans avoir l’intention de les faire jouer, il passe très librement d’une scène à l’autre dans des lieux ou à des époques différentes, saute les siècles ou bien glisse brusquement du drame sombre et cruel à la franche comédie, ou change complètement le décor. Un lecteur assis dans son fauteuil peut facilement imaginer ces renversements de situation, ces déplacements dans le temps et dans l’espace, et apprécier le charme des caractères. Mais, au théâtre, la représentation est rendue beaucoup plus difficile. Musset, poète de l’amour, continue sur scène à parler de l’amour. Ainsi dans :--- ‘‘Fantasio’’ (l’amour et la raison d’Etat)--- ‘‘On ne badine pas avec l’amour’’ (l’amour et la religion)--- ‘‘Il ne faut jurer de rien’’ (l’amour et le mariage)--- ‘‘Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée’’ (id)--- ‘‘Les caprices de Marianne’’ (l’inconstance de l’amour) etc…

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De son vivant, Musset n’a jamais vu jouer son théâtre. Mais les innovations de la mise en scène permettent actuellement de représenter sans difficulté ces pièces qui, toutes, ont été et sont encore jouées chaque année. A cause de ses excès, de la schématisation de ses personnages, de la psychologie fruste de ses héros, le drame romantique a lassé rapidement le spectateur. Mais il a redonné de la vie au théâtre français : il lui a acquis un public beaucoup plus l’âge, a influencé la mise en scène et a fait passer sur la scène le souffle des grands sentiments, exagérés mais cependant émouvants. Aujourd’hui on joue encore certains drames de V. Hugo tels que ‘‘Ruy Blas’’, ‘‘Marion Delorme’’ …Mais l’auteur le plus apprécié, le plus aimé, parce que plus discret et plus humain que tous les autres, c’est Alfred de Musset.

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LE ROMAN ‘‘ROMANTIQUE’’

Le roman est un genre ‘‘libre’’. Aucune règle ne le limite : dans un roman, il s’agit tout simplement de raconter une histoire. On ne s’étonnera donc pas que les romanciers soient de plus en plus nombreux à l’époque romantique, où chaque écrivain cherche à exprimer ses sentiments personnels, ou ses expériences, ou sa vision propre de l’homme, de la société ou de la destinée humaine. De ce grand nombre de romanciers, il faut détacher trois noms : Balzac, Stendhal, George Sand.

HONORÉ DE BALZAC (1799-1850)

Fils d’une famille pauvre, Balzac est venu, jeune, tenter sa chance à Paris. Toute sa vie, il a connu la gêne ; accablé de dettes, il fut sans cesse poursuivi par ses créanciers. Il avait un tempérament ardent ; aimant la vie et le travail il écrivait sans arrêt ; afin de provoquer un état d’excitation il se levait la nuit et écrivait à la lueur d’une bougie, en consommant force café. Balzac a composé plus de cent romans qu’il a réunis sous le titre général de ‘‘La Comédie Humaine’’. En effet, il a voulu décrire dans ses livres toute la société française de son époque, en choisissant comme personnages de ses romans des hommes appartenant aux différentes classes sociales. Ainsi, par exemple :

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‘‘Eugénie Grandet’’ : la vieille fille (old maid) provinciale et malheureuse. ‘‘Le Père Goriot’’ : le père de famille vieux et faible qui se sacrifie pour ses filles. ‘‘Le Cousin Pons’’ : le vieil artiste maniaque et avare que tout le monde trompe en vue d’obtenir l’héritage. ‘‘Le Colonel Chabert’’ : histoire d’un vieux soldat des guerres napoléoniennes. ‘‘Le Lys dans la Vallée’’ ; ‘‘Splendeurs et Misères des Courtisanes’’ ; ‘‘César Birotteau’’, etc... Cette peinture des mœurs de la société remporta un très grand succès. C’est que Balzac avait du génie : en décrivant ses personnages, avec leurs passions, leurs défauts, leurs vices, leurs désirs, leurs aspirations, Balzac fait le portrait de l’homme en général. Si, par exemple, l’on éprouve de l’émotion devant les faiblesses et les déceptions du Père Goriot, c’est que l’on retrouve finalement dans le portrait de ce vieil homme les traits de caractère de n’importe quel vieillard. Il y a plus de 2ooo personnages dans l’œuvre de Balzac. Or tous semblent bien vivants devant nos yeux. Balzac, en effet, sait créer et donner de la vie aux héros de ses romans. Comment ? Pour cela il observe beaucoup, note minutieusement tous les détails, et décrit très longuement, parfois trop longuement, l’entourage et le cadre physique, social, politique, religieux, dans lequel vivent ses personnages. Puis, grâce à son imagination prodigieuse, Balzac grossit les faits et les caractères, si bien que l’on a

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l'impression de voir ses personnages marcher, parler, aimer, souffrir, comme des acteurs sur la scène d’un théâtre. Balzac ainsi réussit à évoquer, à travers ses très nombreux romans, un véritable ‘‘monde’’, qui est le reflet non seulement de la société française de 1830, mais aussi le reflet de l’humanité. Mais Balzac montre surtout les laideurs de la vie (pauvreté, malhonnêteté, corruption, vice….). Cette tendance sera exploitée systématiquement par les romanciers de la génération suivante.

STENDHAL (1782-1842) Stendhal, qui est aujourd’hui considéré comme un très grand romancier, (et par certains comme le plus grand des romanciers de la littérature française) est très différent de Balzac. Il a mené une vie solitaire et triste, assez aventureuse. Timide et laid, il n’a pas connu de succès dans le monde, bien qu’il en eût le désir. Alors il s’est mis à écrire des romans. Le héros principal, c’est, sous des noms divers, Stendhal lui-même ‘‘tel qu’il aurait voulu être’’. Ses deux romans les plus célèbres sont : ‘‘La Chartreuse de Parme’’  et ‘‘Le Rouge et le Noir.’’ Le personnage central en est un jeune homme : Fabrice del Dongo dans le premier, et Julien Sorel dans ‘‘le Rouge et le Noir’’. Tous deux ont le même caractère : ils veulent vivre leur vie, connaître la gloire et l’amour

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à n’importe quel prix, au mépris de toute religion et de toute morale. Cette volonté tendue vers un but unique, cette ‘‘leçon d’énergie’’, c’est la doctrine de Stendhal (appelée aussi ‘‘beylisme’’, car de son vrai nom Stendhal s’appelait Henri Beyle). Les romans de Stendhal n’ont connu aucun succès au 19ème siècle, parce qu’ils étaient écrits dans un style très simple, banal, sans images, ni recherches. Stendhal lui-même disait qu’il ne serait compris qu’après sa mort et qu’il écrivait pour ‘‘la génération future’’. Aujourd’hui, alors que les exagérations romantiques ne passionnent plus, Stendhal connaît la gloire : on aime son style qui met à nu tous les ressorts psychologiques des personnages, et on aime aussi le caractère volontaire de ses héros.

GEORGE SAND (1804-1876)

C’est une femme ; contrairement à Stendhal, elle connut de grands succès littéraires, mais on ne la lit plus guère aujourd’hui. George Sand reflète très bien son époque. D’abord très romantique, elle écrit des romans lyriques où, comme Rousseau, elle défend les droits de l’instinct et de la passion (Lélia). Puis, influencée par les théories socialistes, elle mêle à son lyrisme des revendications sociales (Consuelo).

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Finalement, retirée à la campagne, elle décrit la vie paysanne, simple et heureuse, en présentant les paysans sous un jour sympathique, alors que, jusqu’ici, les romanciers les décrivaient le plus souvent comme des hommes frustes, sans éducation et avares. Ce sont ses meilleurs romans, les seuls qui soient encore lus de nos jours (La Petite Fadette, La Mare au Diable…). Le style de George Sand est agréable, mais il manque de nervosité, il ennuie un peu. Tandis que Balzac composait avec difficulté et corrigeait sans cesse ses manuscrits, George Sand, elle, écrivait d’un jet, sans jamais relire ses écrits. Aussi ses romans sont-ils monotones parce qu’ils manquent un peu de vie.

AUTRES ROMANCIERS ‘‘ROMANTIQUES’’

Ils sont très nombreux. On peut toutefois mentionner les noms des principaux auteurs de romans autobiographiques et historiques.

Romans Autobiographiques

Depuis Rousseau (‘‘Les Confessions’’), et Chateaubriand (‘‘René’’…) les écrivains aiment faire le récit de leur vie sentimentale. Ces romans autobiographiques sont généralement écrits à la première personne (‘‘je’’). C’est ainsi que ---A. de Musset raconte ses expériences dans ‘‘Les Confession d’un Enfant du Siècle’’.

Pg No. 162 ---A. de Vigny dit ses aspirations et ses dégoûts de soldat dans ‘‘Servitude et Grandeur Militaire’’. ---G. de Nerval fait un admirable récit poétique. ‘‘Les Gilles du Feu’’ où il entremêle ses souvenirs à ses rêves. ---Benjamin Constant raconte son amour passionné et décevant pour une femme dans un roman très court, d’un style sobre et tendu : ‘‘Adolphe’’ (1816). Romans Historiques

Le succès des romans anglais de Walter Scott. (Ivanohé, Quentin Durward…) et des épopées antiques de Chateaubriand (Les Martyrs) favorise le développement du roman ‘‘historique’’ dont les aventures colorées, les sentiments héroïques et l’amour de la gloire enchantent le public populaire. V. Hugo compose un chef-d’œuvre où, mêlant comme au théâtre le sublime au grotesque, l’horrible à la poésie, il évoque magnifiquement le Paris médiéval : ‘‘Notre Dame de Paris’’. Puis il publie ‘‘Les Misérables’’, énorme roman historique et social, plein de tendresse et de pitié pour les malheureux. Et encore ‘‘Quatre-vingt Treize’’, ‘‘Les Travailleurs de la Mer’’, etc… Alexandre Dumas (père) a écrit, ou signé, car il avait des collaborateurs qui écrivaient pour lui, de nombreux romans historiques, pleins de duels, de disparitions, de poisons, de trahisons et d’assassinats. Il n’y a aucune psychologie, mais des aventures, une action très rapide, invraisemblable, qui emportent le lecteur loin du monde réel. On connaît par exemple ‘‘Les Trois Mousquetaires’’,

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‘‘Le Comte de Monte-Christo’’, etc. On peut encore citer : A. de Vigny qui dans son roman ‘‘Cinq-Mars’’ évoque le règne de Louis XIII (1610-1643), l’époque héroïque où vivait Corneille. Prosper Mérimée fait revivre le 16ème siècle dans ‘‘La Chronique du Roi Charles IX’’. Il est aussi l’auteur de ‘‘Nouvelles’’ (short-stories), où il raconte d’un ton impassible les mœurs de contrées encore mal connues : ‘‘Colomba’’ (en Corse), ‘‘Carmen’’ (en Espagne). T. Gautier fait le portrait du soldat fanfaron dans ‘‘Le Capitaine Fracasse’’. Mais par leur souci du style et de la composition, Mérimée et Gautier appartiennent déjà à la nouvelle école réaliste. Chacun de ces romans a son intérêt. Cependant, Balzac et Stendhal ont dominé leur génération et occupent le premier rang parmi les romanciers français. Pourquoi ?-----parce qu’ils résument le romantisme à eux seuls : L’un, Balzac, par sa puissance d’imagination,  l’autre, Stendhal, par son culte du héros égocentriste et passionné.-----parce que leurs romans dépassent le cadre de leur époque : si les costumes les habitudes sociales, les conditions et les lieux même où se déroule l’action de leurs romans ont changé, la psychologie des personnages demeure toujours vraie.

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L’HISTOIRE ‘‘ROMANTIQUE’’

Le Romantisme a également influencé les historiens. On a vu que pendant très longtemps l’histoire avait été considérée comme le récit plus ou moins exact des événements militaire et des guerres entreprises par les rois ou les princes (XIIIème-XVIIème siècles). L’historien racontait ce qu’il avait vu ou entendu dire ; il ne cherchait pas à vérifier ni à expliquer les faits. Les seuls historiens qui se soient préoccupés de donner les causes des événements étaient presque toujours des ‘‘religieux’’, comme Bossuet et Fénelon, qui expliquaient trop souvent le déroulement de l’Histoire par l’intervention de la Providence (Dieu). C’est Voltaire qui, le premier tenta de réformer la conception de l’Histoire : il voulut en faire à la fois ‘‘une science et un art’’. Après lui les historiens s’efforcent d’atteindre la ‘‘vérité historique’’. Mais ils demeurent tous plus ou moins Romanciers et jugent le passé avec les préjugés et les idées toutes faites qu’ils en ont. A l’époque romantique, apparaissent deux grands historiens qui renouvellent l’Histoire : Augustin Thierry et Jules Michelet.

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AUGUSTIN THIERRY (1795-1856)

Dans les ‘‘Récits des Temps Mérovingiens’’, cet écrivain puise ses renseignements à des sources sûres et fait en même temps un récit vivant et coloré de l’époque du Haut-Moyen-Age français.

JULES MICHELET (1798-1874)

C’est le grand historien romantique. Il a composé une ‘‘Histoire de France’’ (30 volumes). Pour lui, l’histoire ne doit pas être seulement l’exposé exact et méthodique des faits qui se sont produits au cours d’une époque ; l’histoire doit être ‘‘une résurrection du passé’’. Dans son œuvre, Michelet fait revivre tout le passé de la France depuis le Moyen Age jusqu’à la Révolution. Il pense qu’une nation ‘‘vit’’ comme une personne, qu’elle a une naissance, qu’elle grandit et qu’elle atteint l’âge adulte. C’est un être vivant. Michelet lisait beaucoup de documents afin d’avoir des renseignements exacts. Puis il essayait de revivre par l’imagination ces époques passées et, grâce à son style passionné et imagé, composait de magnifiques panoramas des événements significatifs de l’Histoire de la France. D’autres historiens, plus méthodiques, travaillaient de leur côté. Avec eux, l’Histoire deviendra purement ‘‘scientifique’’.

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LA LITÉRATURE RELIGIEUSE

Chateaubriand, au début du 19ème

siècle, avait ranimé le sentiment religieux que les philosophes et la révolution avaient voulu étouffer. Durant tout le siècle un courant spiritualiste luttera contre un courant antireligieux. A l’époque romantique, des écrivains et des orateurs talentueux défendent avec vigueur la religion chrétienne en empruntant à l’école romantique son style fiévreux sa sensibilité et son imagination. Eu égard à leur seule valeur littéraire, et sans discuter leurs opinions, citons ici : Lamennais (‘‘Paroles d’un croyant’’) ; Lacordaire ; le grand prédicateur romantique ; Montalembert et Ozanam, tous deux publicistes et ardents défenseurs du catholicisme libéral. Le journaliste Louis Veuillot, dans un style différent, s’inscrit dans cette lignée de littérateurs catholiques.

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LA FIN DU ROMANTISME

Le Romantisme a été un ‘‘moment’’ très brillant de la littérature française qui a donné de génies et des chefs-d’œuvre non seulement dans les lettres mais aussi dans les autres arts, comme la peinture ou la musique. Le Romantisme a été un mouvement européen bien qu’il ne se soit pas manifesté exactement au même moment dans chaque pays. En France, ce mouvement littéraire et artistique a entrainé notamment : ---l’éclipse du rationalisme au profit de la sensibilité et de l’imagination. ---le réveil du sentiment religieux. ---le triomphe de l’individualisme et du lyrisme. ---la connaissance des littératures étrangères, en particulier des littératures anglaise et allemande. Cependant le Romantisme est mort assez brusquement. A cela, deux raisons principales : la lassitude du public et la révolution industrielle. Le public, et même les écrivains, ont vite été fatigués de cet art ‘‘exaspéré’’. On ne peut pas être continuellement passionné et demeurer sincère. A la longue on tombe dans l’artificiel, et alors l’intérêt disparaît rapidement, ou on décide de revenir au naturel. C’est cette seconde réaction qui se produit chez les écrivains dès les années 1845-1850.

Pg No. 168 Ce retour au naturel est encouragé par la révolution industrielle et les découvertes scientifiques sensationnelles qui en sont la cause. L’esprit ‘‘scientifique’’ reprend en effet la première place. D’illustres savants bouleversent les données traditionnelles dans tous les domaines : Cuvier (anatomie et paléontologie), Ampère, Arago, Dumas (physique et chimie), Claude Bernard et Pasteur (biologie), et d’autres encore. Nombre de ces savants pensent que tous les phénomènes obéissent à des lois de la nature qu’il faut découvrir et qui, une fois découvertes, permettront d’expliquer le monde et même la vie, sans qu’il soit nécessaire de faire appel à la religion : l’univers entier, pense-t-on, est soumis au ‘‘déterminisme’’, et un jour viendra où l’on pourra donner une explication purement scientifique du monde et des espèces. Les penseurs et philosophes partagent ces opinions et les propagent dans le public. Auguste Comte élabore son système de ‘‘Philosophie Positive’’ (1830-1842) ; Ernest Renan, historien et philosophe, écrit en 1848 un livre célèbre ‘‘L’Avenir de la Science’’, avenir qu’il voit prodigieux ; Darwin, naturaliste anglais, public en 1859 ‘‘L’Origine des Espèces’’ où il systématise les théories du naturaliste français Lamarck (1744-1829) sur le ‘‘transformisme’’ et la ‘‘génération spontanée’’. La Science devient ainsi toute puissante. L’imagination et la sensibilité cèdent le pas à la Raison qui exige la soumission aux faits. Les écrivains veulent en conséquence faire

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une œuvre scientifique, c’est –à-dire appuyée

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sur des documents et des faits bien établis : ce sera une littérature ‘‘réaliste’’. Et comme la rationalisme scientifique pousse à l’étude des problèmes sociaux, et que les théories des socialistes français (Proudhon, Fourier) et les théories économiques et sociales de Karl Marx, l’auteur célèbre du ‘‘capital’’ (1863), mettent l’accent sur les défauts de la société`, les littératures seront amenés à peindre surtout des milieux sociaux considérés dans leurs aspects les plus laids : la littérature réaliste se fera ‘‘naturaliste’’.

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III LE RÉALISME (1850-1880)

Le Réalisme s’oppose directement au Romantisme. Cette nouvelle doctrine littéraire s’appuie sur les principes suivants : L’Artiste doit être impassible  : il ne faut pas qu’on puisse deviner ses sentiments personnels. Son art doit être impersonnel. L’Artiste doit respecter les faits  : tout ce qu’il dit doit être exact, précis, scientifique.Son art doit être soumis au réel. L’Artiste doit toujours prendre soin de la ‘‘forme’’ de son œuvre   : Il faut que son œuvre soit ‘‘belle’’ : pour cela, l’artiste doit sans cesse travailler son style comme l’artisan travaille un objet. Car c’est par le travail seulement qu’il pourra obtenir la reproduction exacte de la réalité.

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L’ÉCOLE RÉALISTE

Les écrivains qui succèdent à la génération romantique ont, en commun, le souci de l’exactitude scientifique et de la beauté du style. Cependant chacun d’eux apporte sa contribution personnelle. Il est donc difficile de les grouper en bloc sous le titre de ‘‘École Réaliste’’. Enfin, le Romantisme demeure toujours vivant avec V. Hugo qui, pratiquement seul, le défendra avec succès jusqu’à sa mort, en 1885. La tendance ‘‘réaliste’’ se retrouve dans tous les genres littéraires. On peut, dans un souci de clarté dresser le tableau suivant :

1. Leconte de Lisle POÉSIE: 2. Théophile ‘‘Les Parnassiens’’ Gautier 3. José-Maria de Hérédia 4. Sully Prudhomme 5. François Coppée

Mais le plus grand poète, rattaché à aucune école particulière, c’est Charles Baudelaire.

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* Emile Augier * Alexan- dre --Drame Dumas Bourgeois (fils) Théâtre : * Sardou --Labiche --- Comédie --Scribe --Théâtre ‘‘Libre’’ : Becque

--réaliste 1.Gustave Flaubert 2. Guy de Maupassant

--naturaliste 1. Emile Zola 2. Les frères Roman  Gonocourt 3. Huysmans A. Daudet --autre 1. E. Fromentin romanciers 2.O. Feuillet et 3. E. About conteurs 4. Mérimée 5. Erckmann- Chatrian 6. Jules Verne

Histoire et 1. Renan Philosophie 2. Taine

1. Sainte Critique Littéraire Beuve

2. Brunetière

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POÉSIE : LES PARNASSIENS

Pourquoi ce titre Parnassiens ? Le Parnasse est une colline grecque, qui, dans la Grèce antique, était consacrée à Apollon et aux Muses. Vers 1850, de jeunes poètes publient des vers dans une revue intitulée ‘‘Le Parnasse contemporain’’.On les appelera donc Parnassiens. Ces poètes ne se connaissent pas toujours. En fait, ils ne forment pas une véritable ‘‘école’’ comme leurs prédécesseurs romantiques. Mais ils sont tous influencés par le Réalisme et par la théorie de ‘‘l’art pour l’art’’ de Théophile Gautier et de Théodore de Banville. Ils veulent écrire des poèmes descriptifs qui soient ---vides de sentiments (= impassibilité) ---exacts dans le choix des détails (= goût scientifique) ---‘‘beaux’’ (rimes riches, mots éclatants, images, rythme sonore) Les représentants de cette poésie les plus célèbres sont au nombre de trois.

THÉOPHILE GAUTIER

D’abord ardent romantique, il formule ensuite la théorie de l’art et donne des exemples parfaits de la nouvelle poésie dans son recueil ‘‘Emaux et Camées’’. Le poète doit travailler la ‘‘Forme’’ de son vers

comme un peintre et comme un sculpteur :

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Sculpte, lime, cisèleQue ton rêve flottant Se scelle Dans le bloc résistant

LECONTE DE LISLE

C’est le chef des Parnassiens. Connaissant parfaitement l’Antiquité, il puise son inspiration dans les civilisations mortes (‘‘Poèmes Barbares’’). C’est un pessimiste ; dégoûté de la vie, il aspire à l’anéantissement total. Mais il n’exprime pas sa philosophie par un étalage de sentiments. Il le fait par des descriptions froides et graves où l’on devine un désespoir stoïque (ex. ‘‘Le cœur de Hialmar). Au point de vue ‘‘forme’’, la poésie de Leconte de Lisle est parfaite : on ne peut pas déplacer un seul mot sans détruire l’ensemble. Comme un peintre, il compose des tableaux magnifiques. Voici, par exemple, ‘‘Midi’’ (noon) où il évoque la campagne silencieuse, écrassée de chaleur :

Midi, roi des étés, épandu sur la plaine Tombé en nappes d’argent des hauteurs du ciel bleu. Tout se tait. L’air flamboie et brûle sans haleine ; La terre est assoupie en sa robe de feu.

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JOSÉ-MARIA DE HÉRÉDIA

Célèbre pour son recueil de sonnets ‘‘Les Trophées,’’

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Hérédia est l’artiste pur qui, sans cesse, refait ses vers jusqu’à ce qu’ils atteignent la perfection. En 14 vers il réussit à évoquer et à décrire toute une civilisation. Pour cela, chaque mot est choisi avec un soin extrême pour sa signification et sa sonorité. Il décrit ainsi ‘‘Antoine et Cléopâtre’’ lors de leur rencontre en Egypte :

Tous deux ils regardaient, de la haute terrasse, L’Egypte s’endormir sous un ciel étouffant Et le fleuve, à travers le Delta noir qu’il fend, Vers Bubaste ou Sais rouler son onde grasse.

Poètes Secondaires

Certains poètes du Parnasse ne sont Parnassiens que de nom. Ils partagent, en effet, avec les autres, le goût des sciences et le souci de la forme. Mais ils ne sont pas impassibles ; au contraire, ce sont des sentimentaux. Deux d’entre eux ont un talent original.

SULLY PRUDHOMME

Il chante, en vers simples, les souffrances de la solitude, des départs (‘‘Solitudes’’ ; ‘‘Vaines Tendresses’’) ou l’émotion que provoque la vue des vieilles maisons, de la pluie, ou d’un

objet chargé de souvenirs (‘‘Le Vase brise’’).

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Je n’aime pas les maisons neuves : Leur visage est indifférent ; Les anciennes ont l’air de veuves Qui se souviennent en pleurant…. (Les Solitudes)

Prudhomme a essayé aussi de célébrer dans ses poèmes les progrès de la science et la solidarité sociale (ex. ‘‘Le Laboureur m’a dit en songe’’…)

FRANÇOIS COPPÉE

C’est le poète des ‘‘humbles’’ : l’épicier, l’artisan, le petit peuple de Paris. Il décrit les choses quotidiennes, les paysages ordinaires, les rues pauvres, les fêtes de village, la vie simple des vieillards. Ses poésies sont pleines de tendresse, mais leur simplicité devient souvent banalité. L’été, pour lui, c’est la saison favorite des vieilles personnes qui s’assoient, sur un banc, au soleil, et regardent les choses vivre autour d’elles :

Ah ! C’est la saison douce et chère aux bonnes vieilles.Les histoires du feu, les longues veilles Ne leur conviennent plus. Leur vieux mari, l’aïeul, Est mort ; et quand on est très vieux, on est tout seul.

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C’est de la poésie sentimentale. Pas de lyrisme comme chez Lamartine ou Hugo, et pas de rythme, ni d’image recherchée comme chez Leconte de Lisle.

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Cependant le Romantisme continue avec V. Hugo lui-même. D’autre poètes empruntent à la fois au Romantisme et au Parnasse : Jean Richepin, poète puissant, coloré, et parfois vulgaire. Jean Aicard (‘‘Maurin des Maures’’) André Theuriet, Gabriel Vicaire, Fabié, poètes régionalistes qui chantent leur terre natale. En somme, Leconte de Lisle et Hérédia seuls représentent parfaitement la nouvelle école parnassienne. Mais un poète à cette époque, ni romantique ni parnassien véritable, va exercer une influence décisive sur la poésie française. Ce poète s’appelle Charles Baudelaire.

CHARLES BAUDELAIRE (1821-1867)

Sa vie a été lamentable. Il rompt avec sa famille à cause de son beau-père (step-father) qu’il n’aime pas. A Paris, il vit péniblement toujours endetté, en mauvaise compagnie. Il s’adonne à l’alcool et meurt jeune, tué par les excès. Mais Baudelaire a une passion : la poésie. Il écrit peu et travaille par brusques périodes. Un jour, il découvre les ‘‘nouvelles’’ de l’écrivain américain Edgar Poe (1809-1849). En lui, il retrouve un frère, tant par l’imagination étrange que par la vie

malheureuse. Baudelaire entreprend la traduction en français des ‘‘Histoires Extraordinaires’’ de Poe. On n’en a pas fait de meilleure après lui.

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Le Poète

Baudelaire a fréquenté les Romantiques dont il a l’imagination puissante. Il a fréquenté aussi les Parnassiens, et, comme eux, il aime le vers ‘‘bien fait’’. On retrouve cette double influence dans sa poésie. Mais l’inspiration de Baudelaire est unique. En 1857, il publie un recueil de poèmes intitulé les ‘‘Fleurs du Mal’’, Scandale. L’auteur est poursuivi en justice et condamné à une amende. C’est que Baudelaire chante dans ses vers tout ce qui est laid, sordide, répugnant ; la foule grouillante, les rues désolées, l’ivresse, le vice, le péché, en un mot le Mal. Son imagination névrosée lui fait préférer les sujets voluptueux et macabres. Par exemple, il voit dans l’horloge, qui marque la fuite du temps, un être cruel et horrible :

Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,Dont le doigt nous menace et nous dit : ‘‘Souviens-toi !’’Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d’effroiSe planteront bientôt comme dans une cible.

Tous les poèmes de Baudelaire sont marqués par ce goût de l’atroce, de l’inhumain. Mais le poète n’exprime pas son dégoût de toute chose par des plaintes ou des cris romantiques ; il

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regarde le Mal en face, et, parfois, il trouve refuge et consolation dans le repentir et dans la souffrance elle-même.

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Si le poète est incompris des hommes et souffre, c’est que

Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. (L’Albatros)

Le Précurseur des Symbolistes

Le grand apport de Baudelaire à la poésie française, c’est d’en avoir renouvelé l’inspiration. Avec lui, c’est tout un monde inconnu et mystérieux qui s’ouvre aux poètes : les Romantiques avaient laissé parler leur cœur ; Baudelaire, lui, découvre des ‘‘correspondances’’ entre les choses et entre les diverses sensations :

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Ainsi le monde entier est comme une vaste forêt peuplée d’êtres mystérieux qui parlent à l’homme dans un langage secret.

La Nature est un temple où de vivants piliersLaissent parfois sortir de confuses paroles.L’homme y marche à travers des forêts de symbolesQui l’observent avec des regards familiers (Correspondances)

Désormais le rôle du poète sera de déchiffrer ces symboles pour leur arracher leurs secrets.

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LE THÉATRE DE 1850 À 1900

I LE THÉATRE ‘‘RÉALISTE’’

Par réaction contre les exagérations du théâtre romantique, le théâtre Réaliste puise ses sujets dans la société contemporaine pour en dépeindre les traits réels. L’auteur dramatique observe les mœurs de son temps ; il regarde vivre les hommes et les familles, montre les habitudes sociales, les vices : il étudie le comportement des hommes de son époque. En cette seconde moitié du 19ème

siècle, l’expansion industrielle met au premier plan la question d’argent ; d’autre part la lutte entre l’esprit scientifique et la religion provoque des réaction sur le plan social ; la loi autorise le divorce en 1884. Tout cela modifie les rapports familiaux et sociaux ; c’est l’étude de ces rapports que les auteurs dramatiques portent au théâtre. Les deux auteurs dramatiques importants à cette époque sont :

ÉMILE AUGIER

Il a écrit de nombreuses pièces où il défend avec ‘‘son bon sens’’ les idées

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de la bourgeoisie (ex. ‘‘Le Gendre de Monsieur Poirier’’)

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ALEXANDRE DUMAS (fils)

Lui aussi, dans ses pièces, expose les problèmes psychologiques et surtout sociaux qui se posent à ses contemporains. Mais, il veut ‘‘guider’’ ses contemporains : Il leur fait la Morale. Dumas sait développer une situation dramatique avec une logique très serrée qui persuade le lecteur. Parmi ses drames, ‘‘La Dame aux Camélias’’ (histoire d’amour malheureuse entre une coquette parisienne et un jeune homme riche) a connu un très grand succès, Le Cinéma a popularisé à travers le monde entier cette peinture de mœurs.

II LE THÉATRE ‘‘NATURALISTE’’

Les naturalistes prétendent décrire le plus fidèlement possible la réalité, en ne considérant que les aspects les plus laids de cette réalité. Au théâtre, Antoine, directeur-acteur fonde le Théâtre Libre : non seulement les pièces qu’on y joue, mais aussi les costumes et le décor copient exactement le réel. On est donc très loin du drame romantique avec ses couleurs, ses mots

sonores, ses costumes éclatants. On est scientifique. L’auteur représentatif, c’est Henry Becque. Excellent écrivain, il peint avec vigueur et sans complaisance les mœurs corrompues d’une certaine partie de la société cf. ‘‘Les Corbeaux’’ ; ‘‘La Parisienne’’.

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III LA COMÉDIE

Le vaudeville (comédie légère où le rire naît de situations cocasses) trouve des auteurs habiles avec Scribe (auteur de 400 comédies), Sardou et surtout Labiche dont l’imagination, la verve et la bonne humeur assurent, aujourd’hui encore, le succès à ses meilleures comédies (La Cagnotte ; Le Voyage de M. Perrichon ; Le Chapeau de Paille d’Italie…) En définitive, la production théâtrale dans la seconde moitié du 19ème siècle est abondante mais d’un niveau médiocre. Bien des drames à succès ne sont plus joués parce que les problèmes qu’ils traitent ont perdu leur intérêt. C’est encore le théâtre comique de Labiche qui a le mieux résisté à l’épreuve du temps.

LE ROMAN DE 1850 à 1900

De 1850 à 1900, le Roman français est dominé par deux grands noms : Flaubert et Zola. Derrière eux, de nombreux romanciers se font leurs disciples ou continuateurs, tandis qu’un petit nombre résiste au ‘‘Réalisme’’. Gustave Flaubert est considéré comme le chef des ‘‘réalistes’’ et

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Emile Zola comme le chef des ‘‘naturalistes’’. Qu’est-ce à dire ? Il n’y a qu’une différence de degré : les Réalistes, à la suite de Balzac mais avec plus de rigueur scientifique, veulent peindre dans leurs romans la vie telle qu’elle est. Pour cela, ils se renseignent, observent

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vent avec soin, consultent les documents de toutes sortes et adaptent leur style au caractère de leurs personnages. les Naturalistes, eux, systématisent la doctrine réaliste. Ils veulent faire un roman ‘‘scientifique’’ : le caractère et le comportement de leurs personnages doivent être conformes aux lois découvertes par les savants (i.e. loi de l’hérédité). En même temps, ils montrent surtout dans leur peinture de l’Homme et de la Société les vices et les laideurs.

LES ROMANCIERS ‘‘RÉALISTES’’

GUSTAVE FLAUBERT (1821-1880)

C’est par son roman ‘‘Madame Bovary’’ (1857) que Flaubert est devenu célèbre. Dans ce livre, il raconte l’histoire banale d’une jeune femme provinciale mariée à un homme qu’elle n’aime pas. Elle se suicidera. Flaubert décrit en même temps les principaux personnages de cette petite ville de Normandie où se situe le roman, tel le pharmacien Homais, homme peu instruit mais prétentieux et ennemi de toute religion. Comme Baudelaire, Flaubert fut poursuivi en justice par la censure, mais il fut acquitté.

‘‘L’Education Sentimentale’’, récit un peu autobiographique, est écrit avec la même précision, le même souci du style. Flaubert, en effet, est un très grand prosateur : il choisit ses mots, pour leur exactitude, leur sonorité et leur couleur ; il construit ses phrases

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patiemment, et les refait jusqu’à ce que leur mouvement corresponde exactement à leur signification. Cependant Flaubert a composé d’autres romans qui ne sont pas ‘‘réalistes’’ : ainsi ‘‘La Tentation de Saint- Antoine’’ et surtout ‘‘Salammbô’’ (1862), où l’auteur fait revivre avec un luxe de couleurs tout à fait romantique la ville de Carthage, détruite par les Romains dans l’Antiquité. Réaliste par son ardeur à reproduire avec exactitude le passé d’une civilisation disparue, ou la vie quotidienne et vulgaire d’un homme de son époque, Flaubert est en même temps un écrivain qui aime la Beauté. Son style en est une preuve : Flaubert s’enfermait seul dans sa chambre et déclamait chaque phrase qu’il composait pour en apprécier le rythme et la sonorité. Le début de Salammbô s’ouvre sur une phrase un peu mystérieuse : ‘‘C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar’’…La répétition des voyelles ouvertes ‘‘a’’, l’emploi de l’imparfait ‘‘c’était’’ et de noms propres aux sonorités à la fois douces et larges ; contribuent à créer une atmosphère de mystère et de grandeur, évoquant un monde disparu.

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GUY DE MAUPASSANT (1850-1893)

Il est connu surtout pour ses ‘‘nouvelles’’, récits courts et sobres qui décrivent des scènes de la vie familière, surtout des paysans. Ses romans, en particulier ‘‘Bel-Ami’’ et ‘‘Boule de Suif’’, sont typiquement ‘‘réalistes’’.

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Maupassant est impassible. Il raconte en observateur froid et précis, et d’un style impeccable, les aventures de personnages le plus souvent vulgaires, malhonnêtes et sans idéal. Guy de Maupassant est le principal disciple de Flaubert.

II LES ROMANCIERS ‘‘NATURALISTES’’

Par réaction contre les romantiques qui se laissaient emporter par leur imagination et leur sensibilité et transfiguraient la réalité, les réalistes ont voulu décrire cette réalité avec exactitude. Les Naturalistes ont voulu aller encore plus ici : selon eux le roman doit montrer le développement d’un caractère dans un milieu donné et dans des conditions données. C’est donc de la science. Les Naturalistes s’appuyaient sur les théories scientifiques de leur époque ; mais comme ces théories étaient souvent inexactes et comme la psychologie humaine n’obéit pas rigoureusement aux lois de la physique et de la chimie, il s’ensuit que les Naturalistes ont, eux aussi, sans le vouloir, faussé la Réalité.

ÉMILE ZOLA (1840-1902)

Zola croit aux lois de l’hérédité : il est persuadé qu’un homme agit toujours non pas selon sa volonté, mais sous l’influence des tendances qu’il a acquises, à sa naissance, de ses parents. De même que dans son laboratoire un

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savant étudie au microscope la vie des microbes, de même Zola, dans sa chambre de travail, reconstitue sur le papier toute la vie d’une famille de son époque, en fonction des lois de l’hérédité. Cette reconstitution ‘‘scientifique’’ a pour titre : ‘‘Les Rougon-Macquart’’. C’est, en vingt volumes, la description de la vie de tous les membres de cette famille. Zola a imaginé que chacun de ses personnages vivait dans un milieu différent (ouvrier-paysan-commerçant-industriel-banquier-politicien-etc…) et il les regarde vivre. Ses personnages sont mûs par leur ‘‘tempérament’’ (nerfs-sang), et non par leur volonté. Zola est un matérialiste ; il ne croit pas à l’âme. Aussi ses personnages sont-ils toujours vulgaires : ils vivent comme des brutes, n’ont aucun sentiment noble. Ils ont des vices mais pas de qualités. Zola, écrivain, a le don de faire vivre les foules. Ce n’est pas un artiste du mot ou de la phrase comme Flaubert. Mais lorsqu’il décrit le peuple de Paris au travail, une grève ouvrière, ou les milieux de la banque, il le fait avec une puissance et un relief saisissants.

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Ses romans les plus connus sont : ‘‘L’Assommoir’’, ‘‘Nana’’, ‘‘Le Rêve’’, ‘‘La Terre’’, ‘‘La Bête Humaine’’, ‘‘Thérèse Raqùin’’…..

LES GONCOURT (EDMOND ET JULES)

Les frères Goncourt on adopté la même méthode que Zola. On dit que leurs romans sont une ‘‘tranche de vie’’

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(slice of life) parce qu’ils sont l’étude scientifique d’un ‘‘cas’’ psychologique (i.e. Germinie Lacerteux). Les Goncourt, à la différence de Zola, aiment le beau style, le style ‘‘artiste’’.

Les Naturalistes se comportent comme de véritables savants : avant de composer un roman, ils amassent une très grande quantité d’observations et de documents afin d’atteindre la vérité scientifique. Et cependant leur œuvre entière n’a aucune valeur scientifique, parce que ces écrivains n’ont systématiquement considéré dans la nature humaine que les vices et les tares de l’homme.

III LES AUTRES ROMANCIERS

Le courant Naturaliste

L’influence de Zola a été trè forte dans la seconde moitié du 19ème siècle. De nombreux romanciers se firent ses disciples, tels les frères Rosny, Descaves, Paul et Victor Margueritte.

Cependant lorsque Zola eût publié ‘‘la Terre’’, ces écrivains refusèrent de suivre Zola dont le pessimisme, le matérialisme et le goût systématique pour la laideur les lassaient. Deux romanciers dits ‘‘naturalistes’’ de grand talent sont à mettre à part :

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J. KARL HUYSMAN

Il fut d’abord un naturaliste fervent. Puis, après sa conversion au Catholicisme, il écrivit ses meilleurs romans où, dans un style précis et personnel, il peint les tourments de l’homme toujours tiraillé entre son idéal et ses passions. (i.e. ‘‘Là-bas’’ ; ‘‘A Rebours’’ ; ‘‘En Route’’…)

ALPHONSE DAUDET

Tout le monde connaît ses contes : ‘‘Lettres de Mon Moulin’’ ; ‘‘Tartarin de Tarascon’’, pleins de fantaisie et de bonne humeur. Mais ce n’est là qu’une partie de son œuvre. Daudet a composé plusieurs romans où, lui aussi, il décrit les mœurs de son temps : ‘‘Sapho’’--- ‘‘Numa Roumestan’’ --- ‘‘Le Nabab’’—‘‘Le Petit Chose’’. Comme les naturalistes Daudet s’applique à reproduire la réalité. C’est un pessimiste, mais, à la différence de Zola, c’est aussi un sentimental : il a une grande pitié pour les hommes qu’il aime. Il ne choisit pas systématiquement les

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détails laids. Toute son œuvre est pleine de mélancolie et de sympathie humaine. Daudet sait émouvoir le lecteur et l’amuser par son style vif et malicieux.

Le Roman Psychologique

Deux romanciers, dans cette époque réaliste, se distinguent par leur originalité. Ce sont :

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Eugène Fromentin

Son meilleur roman ‘‘Dominique’’ est une étude psychologique approfondie, dans la ligne du roman français classique.

OCTAVE FEUILLET

Dans ‘‘Le Roman d’un Jeune Homme Pauvre’’, Feuiller décrit un monde conventionnel, celui de la bonne société, éloigné de tout naturalisme mais un peu fade.

Autres Romanciers et Conteurs

Parmi les nombreux écrivains de la seconde moitié du 19ème siècle il faut retenir le nom de quelques romanciers qui se sont illustrès au moins par un livre. Ainsi : Charles-Louis Philippe, peintre réaliste de la misère (‘‘Le Père Perdrix’’) Jules Renard, auteur de ‘‘Poil de Carotte’’ (1894) Erckmann-Chatrian co-auteurs d’une série de récits ‘‘alsaciens’’ sur

les guerres de Napoléon (L’Ami Fritz’’ --- ‘‘Histoire d’un conscrit de 1813) Edmond About, journaliste, conteur, écrivain clair et ironique (‘‘Le Roi des Montagnes’’--- ‘‘L’Homme à l’oreille cassée’’…) Jules Verne (1828-1905) a raconté dans de nombreux romans scientifiques des aventures qui apparaissaient tout à fait impossibles, et que l’on réservait aux enfants

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(20000 lieues sous les mers’’--- ‘‘Le Tour du monde en 80 jours’’ etc). Notre époque le redécouvre, car les inventions modernes ont réalisé ce que J. Verne avait pressenti, peut-être sans le vouloir. Et le cinéma d’aujourd’hui illustre ces aventures. Enfin il faut signaler l’importance prise par le ‘‘roman-feuilleton’’, ou roman écrit par tranches hebdomadaires pour les lecteurs de journaux. Il y faut beaucoup d’aventures et du ‘‘suspense’’. Des écrivains comme Dumas (Père), Eugène Suë, Ponson du Terrail….s’y sont illustrés. Mais c’est de la fabrication, non de la littérature.

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LA PHILOSOPHIE--- L’HISTOIRE----LA CRITIQUE DE

1850 À 1900

C’est dans le domaine des idées surtout que l’influence du Réalisme scientifique a été sensible et profonde.

PHILOSOPHIE

Au début du 19ème siècle, la philosophie demeurait soumise à la philosophie du 18ème siècle (Condorcet, Condillac), qui se voulait scientifique et matérialiste. Sous l’influence du renouveau religieux du Romantisme, la réaction apparaît avec Maine de Biran et Victor Cousin, dont ‘‘l’éclectisme’’ cherche à retenir, dans chaque système philosophique, tout ce qui lui parait bon. Ainsi la métaphysique reprend sa place. Cependant, à la suite des révolutions de 1830 et 1848, les idées humanitaires et sociales----le Socialisme sensibles dans le roman, trouvent leurs théoriciens avec Saint-Simon, Fourrier et Proud’hon, tandis qu’à l’étranger Marx et Engels

lancent leur Manifeste du Communisme (1847). A partir de 1840, dans le domaine philosophique proprement dit, la réaction contre la philosophie spiritualiste est annoncée par Auguste Comte qui fonde le ‘‘Positivisme’’ (selon lui, le philosophe ne doit pas essayer de chercher ce qui est ‘‘inconnaissable’’ ; il doit seulement s’attacher aux

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faits, aux phénomènes, et utiliser dans ses recherches les méthodes de la science expérimentale. La doctrine positiviste sera à la mode jusqu’à la fin du 19ème siècle, date à laquelle se manifestera une réaction nouvelle en faveur du spiritualisme.

HISTOIRE

Avec le Réalisme, l’Histoire devient une ‘‘science pure’’. L’historien est un savant qui consulte une énorme quantité de documents et essaye d’en tirer les ‘‘lois’’ de l’histoire. Les qualités du bon historien sont désormais : objectivité--- impartialité--- respect des faits et critique minutieuse des sources. Ses meilleurs représentants sont :Fustel de Coulanges (‘‘La Cité Antique’’ (1864) ou histoire de l’antiquité grecque et romaine).

Taine (Origines de la France Contemporaine, où il montre qu’une nation se développe comme une plante, sous l’influence de ‘‘la race, du

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milieu et du climat’’. C’est du matérialisme systématique.)

Ernest Renan (Histoire des origines du Christianisme (1863-1885) et aussi l’Avenir de la Science, écrit en 1848, mais publié en 1890.) Renan était avant tout un philologue érudit, spécialiste des langues orientales. Il a essayé d’établir les fondements de l’histoire des religions sur des bases scientifiques et philologiques. Mais, en même temps, il montre une

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sympathie pour les croyances religieuses quelles qu’elles soient. C’est un sceptique, tolérant et ironique, qui aime les paradoxes. Taine et Renan, qui se voulaient scientifiques, avaient un tempérament de poètes. Ils sont sensibles à tout ce qui est beau. La plupart de leurs théories sont aujourd’hui abandonnées, mais on continue à les lire à cause du charme de leur style. Ils sont parmi les plus grands prosateurs français.

CRITIQUE LITTÉRAIRE

A cette époque, le grand nom c’est, Sainte-Beuve (Cf. ‘‘Les Causeries du Lundi’’). Poète, romancier, Sainte-Beuve est avant tout un critique littéraire qui a voulu faire ‘‘l’Histoire Naturelle des esprits’’. En étudiant l’œuvre d’un écrivain, il analyse la vie de l’auteur, sa famille, son tempérament, ses idées, afin de pouvoir juger cet écrivain. Taine utilise cette même méthode, mais systématiquement : selon lui, un

écrivain est ‘‘déterminé’’ par sa race, le milieu et le climat où il vit. Enfin Brunetière, grand érudit a voulu montrer ‘‘l’évolution des genres littéraires’’ : comme les êtres vivants, les genres littéraires (épopée, lyrisme, théâtre…) naissent, grandissent, meurent ou se transforment sous l’influence de facteurs extérieurs. Grâce au développement prodigieux du journalisme, la critique littéraire joue un rôle déterminant dans la littérature.

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IV L’IDÉALISME

OU LA RÉACTION CONTRE LE RÉALISME

(1880-1900)

Bien que l’influence réaliste demeure très forte jusqu’à la fin du 19ème siècle, une réaction se fait sentir à partir de 1880 environ. Au culte de la science et au matérialisme de l’École Réaliste et Naturaliste, le nouveau courant littéraire oppose :-----un certain mépris pour le rationalisme et l’esprit de système,-----le souci de la Morale et de la métaphysique,-----le goût de l’irrationnel, du mystère, du symbole. L’idéalisme se manifeste surtout dans le domaine de la poésie, avec la nouvelle ‘‘École Symboliste’’. Mais il pénètre également dans le théâtre, dans le roman, dans la philosophie (Bergson), dans la critique

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(Lemaître, Faguet) et dans les beaux-arts (peinture, musique). Sous l’influence de cet élan littéraire, qui est développé par la découverte en France des littératures russe et scandinave, le Réalisme cèdera la place.

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A l’aube du XXème siècle, la littérature française s’engage sur une voie nouvelle où se mêlent la tradition et le symbolisme.

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LA POÉSIE SYBOLISTE

L’école symboliste, qui succède à l’école du Parnasse, est le troisième grand mouvement poétique du 19ème

siècle. Préparé par Baudelaire, le Symbolisme trouve ses chefs avec Verlaine, Rimbaud et Mallarmé ; il exercera une influence profonde sur la poésie moderne. On peut même dire, sans exagérer, que le Symbolisme a transformé complètement la Poésie non seulement en France, mais dans l’Occident tout entier. Qu’est-ce que le Symbolisme ? C’est, si l’on veut, un nouvel Art Poétique à l’usage des poètes, qui repose sur les principes suivants :-----le poète doit seulement suggérer, et non pas déclamer comme les Romantiques, ni décrire comme les Parnassiens.-----le poète, pour suggérer, doit avant tout être un ‘‘musicien’’. Et pour obtenir une poésie musicale, il doit se libérer des règles de prosodie : rimes—cadences fixes---etc…..

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-----le poète, enfin, doit suggérer en même temps toute la diversité des impressions qu’il reçoit du monde extérieur ou intérieur. Pour cela, il se servira de symboles, d’images inédites, d’un langage secret et même obscur afin de créer un monde poétique où le rêve et le mystère aient leur place. En somme, le symbolisme n’est pas seulement une façon

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Nouvelle d’écrire des poèmes, dont le charme est fait de musicalité et d’imprécision, mais encore une volonté de parvenir, par la poésie, à la connaissance des secrets du monde.

PAUL VERLAINE (1844-1896)

Impulsif, contradictoire, Verlaine eut une vie errante et douloureuse. Il a connu la misère, la prison. Brutal et mystique, il se convertit au Christianisme, exprime ses remords avec une grande sincérité, puis retourne aux abus avec la même simplicité. Malgré tous les désordres de sa vie agitée, Verlaine gardait une âme d’enfant, toujours naïf et doux. il gardait surtout l’âme d’un poète. C’est lui qui, dans son ‘‘Art Poétique’’, exprime la doctrine symboliste : pas d’étalage lyrique, pas de discours, pas de sermons. Il faut bannir l’éloquence de la poésie :

‘‘Prends l’éloquence, dit-il au poète, et tords-lui le cou’’. pas de règles fixes en prosodie, mais :

«  De la musique, encore et toujours »

Et nul mieux que lui n’a su être autant musicien. Pas d’éloquence dit-il, c’est pourquoi ses poèmes sont toujours très courts. Chez lui tout est musique (mots légers---voyelles ouverts---cadences brisées…) Et c’est une musique

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très douce dont les notes s’égrènent et s’envolent. On connaît la célèbre chanson sur l’Automne :

Les sanglots longs Des violons De l’Automne Blessent mon cœur D’une langueur Monotone…..

ARTHUR RIMBAUD (1854-1891)

C’est un enfant-génie. Ami de Verlaine, il vit en bohême comme lui. Il écrit des vers étranges et magnifiques (Le Bâteau Ivre, Les Illuminations, Saisons en Enfer). Or, à cette époque, il n’est qu’un adolescent. En effet, Rimbaud a composé ses poèmes entre quinze et dix-huit ans, puis il a abandonné complètement la littérature, il a même quitté la France pour aller faire du commerce en Orient. Il est revenu en France pour mourir dans un Hôpital, à Marseille.

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Le cas de Rimbaud est donc rare. Il demandait à la poésie autre chose que des rimes et de la musique : il voulait découvrir un autre monde où les mots aient une signification différente, où les sens et les modes de pensée même seraient nouveaux : ‘‘Je est un autre’’ disait-il, pour indiquer qu’il voulait se dépersonnaliser complètement. Il voulait atteindre au ‘‘dérèglement de tous les sens’’. Dans un sonnet

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fameux, Rimbaud a identifié les voyelles de l’alphabet à des couleurs : ‘‘A noir, E blanc, I rouge…’’ Ce que Baudelaire avait pressenti, Rimbaud a essayé de le réaliser : être le poète, le ‘‘voyant’’, qui découvre, à travers les correspondances de la nature, les secrets d’un monde nouveau.

STEPHANE MALLARMÉ (1842-1898)

C’est une tentative parallèle qu’a poursuivie Mallarmé dont la vie de professeur a été calme et studieuse. Mallarmé a très peu écrit ; son recueil principal s’appelle ‘‘Vers et Prose’’. La plupart de ses poèmes sont obscurs, indéchiffrables ; on dit que c’est de la poésie ‘‘hermétique’’ (tight-closed). D’une part Mallarmé ne cherchait pas à être compris de tout le monde, mais seulement de quelques disciples qu’il réunissait chez lui, une fois par semaine. D’autre part, la poésie de Mallarmé est difficile parce qu’il utilise les mots pour leur valeur

musicale surtout, et en les chargeant d’un sens inhabituel. Ainsi chaque vers, chez Mallarmé, veut être à la fois une image (cf. Parnasse), l’expression d’une pensée, d’un sentiment, un symbole philosophique, et une mélodie. On imagine quel travail savant et rigoureux. Mallarmé a dû accomplir pour obtenir ce résultat. En somme, le but de Mallarmé était, non pas découvrir un autre monde (comme Baudelaire et Rimbaud),

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mais de créer un monde nouveau à partir de la poésie. Longtemps Mallarmé à été raillé. Mais bien qu’obscur, il a obtenu des succès poétiques parfois éclatants (‘‘L’Après-midi d’un Faune’’). Et son influence sur la poésie moderne a été très importante.

Les Autres Poètes Symboliques

Ils sont nombreux, car le symbolisme a marqué tous les poètes. Certains ont poussé à l’extrême la doctrine symboliste ; d’autres ont profité des leçons de la nouvelle école, puis sont revenus à des formes plus traditionnelles. Albert Samain (‘‘Au Jardin de l’Infante’’) et Henri de Régnier sont les maîtres fervents du mouvement. Emile Verhaeren, poète belge, accorde aux rythmes nouveaux son lyrisme puissant (‘‘Les Villes Tentaculaires’’). Jean Moréas, G. Khan sont de bons disciples. Les ‘‘Complaintes’’ de Jules Laforgue, mort à 27 ans, sont d’un

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symbolisme teinté d’ironie et d’amertume. Beaucoup d’autres, un peu oubliés aujourd’hui, voyaient dans le symbolisme la plus haute forme de poésie.

L’IDÉALISME DANS LES AUTRES GENRES LITTÉRAIRES

C’est en poésie que l’Idéalisme, comme nous l’avons vu, s’est manifesté avec le plus de force, grâce à l’école symboliste.

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Dans les autres genres littéraires, le Réalisme et la Naturalisme exercent toujours une influence dominante. Cependant, dans les dernières années du siècle, la réaction se dessine à travers certains écrivains. Par leur vie, ces écrivains appartiennent aussi bien au XXème qu’au 19ème siècle. Ils sont à la jonction des deux siècles. Jusqu’en 1914, la littérature française est marquée par cette réaction contre le Réalisme et le Naturalisme. Indiquons ici les principaux auteurs dont l’influence se fait déjà sentir à la fin du 19ème siècle, et qui continueront leur œuvre à l’époque contemporaine.

THÉATRE

L’Idéalisme au théâtre signifie préoccupation morale ou, tout au moins, abandon des peintures systématiquement laides, étouffantes et vides de toute inquiétude métaphysique :

-----François de Curel (Le Repas du Lion, 1897 ; La Nouvelle Idole, 1899) compose des pièces à thèse où il étudie les conflits sociaux (patrons-ouvriers) ou moraux (religion-science). C’est un moraliste et un sociologue.-----Henri Lavedan, Emile Fabre, Eugène Brieux, Paul Hervieu…, tous dramaturges qui ont connu un certain succès autour de 1900, et que préoccupent les problèmes sociaux et moraux. Ces dramaturges écrivaient en prose.-----Dans le théâtre lyrique en vers, à l’exemple du drame romantique, on assiste en 1897 au succès prodigieux de

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‘‘Cyrano de Bergerac’’ de Edmond Rostand ; puis en 1900, de ‘‘L’Aiglon’’, drame en vers du même auteur, sur la vie malheureuse du fils de Napoléon Ier. Costumes éclatants, poésie brillante, mots sonores, personnages généreux, braves, pleins de ‘‘panache’’ (who have an air about them). C’est un peu la résurrection de V. Hugo au théâtre. Et le public de 1900 applaudit chaleureusement ce théâtre peu vraisemblable, mais brillant et optimiste. C’est la preuve qu’il est fatigué des drames réalistes.

ROMAN

Dans le roman l’empreinte naturaliste demeure très forte. Toutefois, quelques grands romanciers apparaissent à partir de 1885 qui donnent au roman français une nouvelle orientation.

(I) Roman À Thèse

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Ici le romancier principal est Paul Bourget (1852-1935). Après avoir écrit des poésies et des nouvelles. Il publie un roman retentissant ‘‘Le Disciple’’ (1889) où il montre que le maître est responsable des conséquences qu’un disciple peut tirer de ses leçons. Puis, dans ‘‘Le Divorce’’, ‘‘L’Etape’’, etc…, Bourget défend des thèses conservatrices et traditionnalistes. L’analyse psychologique y est toujours juste, mais la volonté de démonstration est trop évidente.

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René Bazin (La Terre qui meurt ; Les Oberlé), catholique idéaliste et poète, René Boylesve (Mademoiselle Clocque, 1899), analyste subtil et mélancolique, Henri Bordeaux (La peur de vivre ; Les Roquevillard), défenseur de la famille et de la religion, se rattachent tous, avec un talent divers, à la tendance de Paul Bourget. Il faut reconnaître qu’on ne les lit plus guère aujourd’hui.

(2) ROMAN IDÉOLOGIQUE

On peut désigner sous ce nom le roman qui n’est qu’un cadre commode où l’auteur exprime ses pensées, politiques ou religieuses, ou son esthétique, bref sa vision du monde. Maurice Barrès (1862-1923), écrivain, journaliste essayiste, politicien, a été, avant 1914, l’un des inspirateurs de la jeunesse française,

un ‘‘guide’’. Il y a, en lui, une double tendance : d’un côté, un individualiste fervent, un égocentriste (cf. sa trilogie Sous l’œil des Barbares 1888) d’un autre côté, un nationaliste et un adversaire de la démocratie parlementaire ; il a voulu écrire le roman de l’Energie Nationale (Les Déracinés 1897 ; L’Appel du Soldat 1900). Son culte du ‘‘moi’’ et de l’‘‘énergie’’ le rapproche de Stendhal. L’œuvre de Barrès est très vaste. Son style est raffiné, précieux, influencé par les rythmes subtils et les recherches du symbolisme. Maurice Barrès était un

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homme très intelligent, épris d’idéal, ennemi de la vulgarité, mystique, et artiste. Il fut aussi un politicien ardent, et, comme tel, s’est fait beaucoup d’ennemis.

(3) ROMAN FANTAISISTE ETPHILISOPHIQUE

L’œuvre romanesque de Anatole France (1844-1924), très variée, peut être réunie sous ce titre. Elle se compose de romans autobiographiques (Le Livre de mon ami 1885), psychologiques, (Le Lys Rouge 1894), historiques (Les Dieux ont soif 1912), philosophiques (La Rôtisserie de la Reine Pédauque 1893), fantaisiste (Le Crime de Sylvestre Bonnard 1881). Anatole France, comme Renan, est un esprit très cultivé, érudit. Ce savant est aussi un ironiste, un sceptique, qui se moque de tout mais avec gentillesse, et un homme sensible

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à la misère humaine (Crainquebille 1901). Anatole France a combattu violemment le matérialisme de Zola. Mais lui-même ne prétend pas donner de leçons. C’est avant tout un conteur, un excellent écrivain, qui a retrouvé la phrase limpide et souple des écrivains français du 18 ème siècle. On lui a, assez justement, reproché son dilettantisme, son humanisme égoïste ; mais il reste un très grand prosateur.

(4) ROMAN EXOTIQUE L’exotisme dans le roman est une autre forme de réaction contre le Naturalisme. C’est un romancier

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Isolé qui l’apporte : Pierre Loti (1850-1923). Officier de marine, il voyage à travers le monde entier, surtout en Orient et dans le Pacifique. Il décrit ce qu’il voit, ce qu’il sent, avec beaucoup de couleurs, à la façon des peintres ‘‘impressionnistes’’. Mais Loti, qui a perdu la foi chrétienne, retrouve sans cesse au contact des beautés changeantes de la Nature l’idée de la mort et de l’anéantissement total. D’où cette impression de désolation et de tristesse, renforcée par un style alangui, qui se dégage de ses livres. Les plus célèbre sont : Mon Frère Yues, 1883 ; et Pêcheur d’Islande, 1886.

* *

Aux environs de 1900, ce sont les noms de Bourget, A. France et P. Loti qui dominent le Roman français. D’ailleurs le cadre du roman s’est beaucoup élargi et, au XXème siècle, le Roman va servir à exprimer, autour d’une intrigue quelconque, toutes les formes possibles de la pensée, depuis la poésie jusqu’à la philosophie et la politique.

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Idées Générales Sur Le 19ème

Siècle

Ce fut un siècle extrêmement varié et riche, dans tous les domaines, et marqué par : la succession des écoles littéraires (Romantisme, Réalisme, Idéalisme), le conflit entre la science et la religion, le matérialisme et la foi, le caractère ‘‘européen’’ de l’Art (influences des diverses littératures), la transformation de la poésie et des Arts plastiques, considérés non plus comme simple délassement, mais comme moyen de connaissance d’un monde nouveau.

I Les Diverses Influences Etrangères

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Comme il est naturel, chaque école littéraire se découvre des précurseurs dans les littératures voisines ou se réclame de maîtres nouveaux. D’ailleurs le développement des traductions facilite les échanges d’un pays à l’autre et crée dans le public lettré un engouement, souvent passager, pour des thèmes ou des doctrines littéraires venus de l’étranger. Durant tout le 19ème siècle, la littérature anglaise et la littérature allemande sont les mieux connues et les

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plus appréciées. Toutefois, vers la fin du siècle, on découvre la littérature américaine, scandinave et russe.

DE 1800 À 1850

Shakespeare et les romantiques anglais sont à l’honneur en France : Byron, Keats, Shelley, Walter Scott ; et aussi la philosophie allemande (Kant, Fichte, Hegel) et les poètes du rêve que sont Arnim, Novalis, Tieck, Brentano et Jean-Paul Richter. A côté des romantiques italiens (Alfieri, Manzoni et Sylvio Pellico), on note aussi une certaine faveur pour deux écrivains espagnols du 18ème

siècle, Calderon et Lope de Vega.

A PARTIR DE 1850

C’est toujours d’Angleterre que viennent les auteurs les plus goûtés du public ; d’une part les romanciers comme Dickens, George Eliot, Thackeray, les sœurs Brontë dont le succès en France favorise l’acclimatation du réalisme, et, d’autre part, les artistes et esthètes tels que Carlyle, Ruskin, Oscar Wilde et les poètes ‘‘lakistes’’ (Wordsworth) ou pré-raphaëlites (Rossetti) qui préparent le terrain au symbolisme. Autour de 1900, le public découvre les romans de Thomas Hardy, et la poésie de Swinburne et de Tennyson. D’Italie, les littérateurs accueillent avec faveur les théories pessimistes de Leopardi, de Fogazarro et les beautés formelles de la poésie de Carducci.

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Les drames étranges, à tendance sociale, de Hauptmann (Allemagne) sont représentés sur les scènes françaises. Mais le souffle nouveau vient des États-Unis, de Russie et de Scandinavie. L’imagination hallucinée d’Edgar Poë, la poésie mélancolique de Longfellow et la poésie libre de Whitman surprennent le lecteur français autant que les romans de Mark Twain et les récits colorés du far-west de Fonimore Cooper. Avec les romanciers russes Gogol, Tourgueniev, Dostoïevsky et Tolstoï ce sont les thèses sociales et le romantisme russe qui pénètrent en France. Leur influence sera très forte. Enfin la France découvre dans les drames symbolistes et violents des dramaturges scandinaves, Bjoernson,

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Strindberg et Ibsen, une nouvelle façon de sentir. Ces divers courants littéraires enrichissent la littérature nationale par leurs apports nouveaux : écrivains et lecteurs ouvrent leur esprit et leur âme à des idées, à des sentiments et à des techniques littéraires que leur tempérament et leur formation ne leur permettaient peut-être pas d’éprouver et d’imaginer.

LES BEAUX-ARTS

Le 19ème siècle a été une époque particulièrement riche pour l’Art français, spécialement en peinture, sculpture et musique. On retrouve la même évolution que dans la littérature.

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DE 1815 À 1850

Le Romantisme triomphe avec les peintres Géricault et Delacroix avec les sculpteurs Rude et Barye, avec le musicien Berlioz. Chacun d’eux, dans son propre domaine, fait éclater la passion, la force et les couleurs. Le peintre, le sculpteur et le musicien expriment, comme les poètes, leurs sentiments personnels.

A PARTIR DE 1850

Le Réalisme influence également les Arts Plastiques (peinture et sculpture) et la musique. L’artiste essaye de représenter avec fidélité les paysages ou les personnages qu’il voit, les couleurs, les formes. Ainsi en peinture : Millet, Corot, Courbet, et le

caricaturiste Daumier ; en sculpture : Carpeaux. Quant aux musiciens français, tels que Bizet et Chabrier, ils font entendre une musique plus sobre, moins passionnée, que celle de Berlioz. Mais c’est le musicien allemand Wagner, génie puissant, qui domine la musique européenne par ses opéras.

La fin du 19ème siècle voit naître, en même temps que la poésie symboliste, une splendide école française de peinture, appelée ‘‘Impressionnisme’’.

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Le peintre ne veut plus exprimer ses sentiments sur une toile, ni décrire des scènes, il veut seulement traduire ses impressions par des couleurs. En somme, comme le poète symboliste, il veut ‘‘suggérer’’ un paysage par exemple, et non pas en faire une photographie. Aussi, dans cette peinture, le dessin compte peu : il n’y a pas de lignes précises, tout est flou ; seul le jeu des couleurs et de la lumière crée une impression ou suggère un sujet quelconque. Les grands noms de cette école sont : Manet, Monet, Renoir, Degas, Sisley, Signac, Pissaro, etc. En sculpture, Rodin triomphe. En musique : Saint-Saens, César Franck, puis Chausson, Duparc et Fauré, qui mettent en musique les poèmes parnassiens et symbolistes.

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Les poètes symbolistes comme Rimbaud et Mallarmé essayaient d’atteindre un autre monde ou d’en construire un nouveau au moyen de la poésie. La même volonté de découverte, le même désir d’aller au-delà du monde réel se retrouve chez des peintres de génie qui s’appellent : Cézanne, Gaugin, Van Gogh, et chez des musiciens qui, vers 1900, vont causer une véritable révolution dans le monde musical : Ravel, et Claude Debussy. L’influence de ces artistes sur l’Art contemporain européen, et même mondial, a été décisive. Ainsi, aux alentours de 1900, l’Art—qu’il soit poésie, peinture, sculpture ou musique--- se charge d’une signification entièrement nouvelle : il n’est plus une simple

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distraction, il devient un moyen de changer le monde réel, une véritable ‘‘création’’. Tel est l’horizon immense et inquiétant qui s’ouvre à la littérature française du 20ème siècle.

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Vingtième SiècleVue Générale Sur Le 20ème Siècle

Il est à peine besoin de souligner le caractère exceptionnellement ‘‘révolutionnaire’’ du siècle où nous vivons. En cinquante ans, la Science a fait un bond prodigieux : en 1900, l’automobile, très rudimentaire, apparaissait comme une invention merveilleuse et dangereuse ; en 1950, l’homme de la rue s’étonne à peine de l’avion à réaction qui franchit le ‘‘mur du son’’ et discute des découvertes atomiques comme d’une chose ordinaire, ou presque. Et il est inutile de rappeler combien le télégraphe, la photographie, le cinéma, la radio, la

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télévision et les modes de transport les plus rapides et les plus confortables ont contribué à ‘‘rapetisser la planète’’, et à rapprocher les peuples, matériellement du moins. En l’espace de cinquante ans, plusieurs étapes ont été déjà parcourues. Les deux plaques tournantes de ce demi-siècle sont la première guerre mondiale (1914-1918) et la seconde guerre mondiale (1939-1945).-----Jusqu’en 1914, les préoccupations et le mode vie sont sensiblement les mêmes qu’à la fin du 19ème siècle. L’année 1900 n’est pas une date marquante, parce qu’il n’y a pas de rupture à proprement parler entre

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l'époque qui s’achève et le siècle qui commence. On peut même considérer que le vingtième siècle s’ouvre véritablement en 1914.-----A partir de 1920, on entre dans une période nouvelle. La guerre mondiale, et la révolution bolchevique de 1917, on causé, dans tous les domaines, des bouleversements dont les conséquences se feront sentir très longtemps. Puis, en 1929, la grande crise économique qui affecte le monde entier, et particulièrement les Etats-Unis et l’Europe, oblige à réviser de nombreuses idées toutes faites, économiques, politiques et sociales.-----avec la guerre de 1939-1945, le bouleversement est total. Aux destructions matérielles viennent

s’ajouter les conflits idéologiques, essentiellement Communisme contre Capitalisme. Le réveil des nationalismes en Asie et en Afrique, la lutte contre le colonialisme, et, finalement, la menace atomique constituent les éléments nouveaux et décisifs de l’avenir immédiat. Tous les rapports, tous les problèmes, toutes les notions qui semblaient définitivement acquises sont à revoir complètement. On conçoit donc aisément que la Littérature et les Arts aient été affectés profondément par ces événements successifs.

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LA LITTÉRATURE FRANÇAISE DE 1900 À 1950

La littérature française des cinquante dernières années -----disons la littérature moderne-----se prête difficilement à l’analyse. Tout d’abord, le Temps n’a pas encore trié les œuvres, et certains écrivains que nous admirons aujourd’hui risquent d’être oubliés par les générations futures. D’autre part, le climat politique et social, les idées et les mœurs ont évolué si rapidement en un demi-siècle que la littérature revêt des caractères très variés. Cependant des auteurs se sont imposés indiscutablement, et des écoles littéraires, ou des tendances, ont

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déjà marqué de leur empreinte cette première moitié du vingtième siècle. Les traits essentiels à noter sont les suivants : I ) La littérature devient de plus en plus solidaire des autres arts.

En France, la littérature n’a jamais été un champ clos ; les écrivains ont toujours fréquenté les artistes. Aujourd’hui cet échange est encore plus poussé : non seulement l’écrivain s’intéresse aux autres activités artistiques, mais encore il cherche à s’exprimer à travers des moyen nouveaux, tels que le cinéma, l’art radiophonique, le journalisme, même la peinture. Il tente d’adapter les techniques des autres arts. Il y a donc échange influence réciproque.

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2 ) Le Roman occupe la première place dans la littérature, en quantité, sinon toujours en qualité. C’est un phénomène mondial, qui n’est que le développement d’une mode littéraire née au 19ème siècle. Comme le roman est le moyen le plus efficace pour atteindre un vaste public, les spécialistes et les savants---philosophes, historiens, moralistes, sociologues, essayistes---se transforment souvent en romanciers, concurrençant directement, sur leur terrain, les créateurs purs. Le genre romanesque s’enfle au détriment d’autres genres littéraires tels que la ‘‘nouvelle’’ et même la poésie. 3 ) La littérature devient plus ‘engagée’’ Aucun écrivain, aujourd’hui, n’ose professer la théorie de l’art pour

l’art. L’urgence et l’importance des problèmes moraux, politiques, religieux et sociaux ont poussé les écrivains à ‘‘s’engager’’, c’est-à-dire à choisir un point de vue et à le défendre, bref à prendre parti. C’est pourquoi un grand nombre de romanciers, poètes et artistes sont engagés, plus ou moins ouvertement, dans la lutte politique et le journalisme de combat. Il existe même un certain mépris du style au profit de l’idée. On écrit moins pour faire une œuvre d’art que pour ‘‘dire quelque chose’’. 4 ) La littérature devient plus ‘‘populaire’’ Plusieurs facteurs ont contribué à développer dans la masse du peuple un certain goût pour la littérature : le développement de l’instruction, le snobisme, la multiplication des

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journaux et des revues, la radio, les ‘‘prix’’ littéraires (prix Nobel—prix Goncourt—Renaudot—Fémina—Interallié—etc…). Mais, parallèlement, le niveau littéraire s’abaisse, ou plutôt, il se crée deux sortes de littérature : l’une, populaire, qui touche un vaste public ; l’autre, plus raffinée, qui s’adresse à une élite intellectuelle.

LES ÉTAPES

Chaque genre littéraire s’est modifié sensiblement au cours de 3 étapes : l’époque 1900-1914 ‘‘l’entre-deux guerres’’ : 1920-1938

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la période contemporaine, à partir de 1940.

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LA POÉSIE DEPUIS 1900

Le public est certes moins attiré par la poésie que par le roman. Cependant il n’y a peut-être jamais eu autant de poètes que de nos jours. Parmi eux, des noms se sont déjà imposés définitivement : Péguy, Paul Valéry, Paul Claudel, Jean Cocteau. Ils n’appartiennent pas tous à la même école, ni à la même tendance. Au contraire, la Poésie française moderne s’est dispersée en plusieurs directions, et renouvelée à un rythme très rapide.

I DE 1900 A 1920 : L’INFLUENCESYMBOLISTE

La tradition poétique inaugurée par Verlaine—‘‘suggérer’’ et non pas déclamer—se poursuit avec des poètes remarquables, tels Henri de Régnier, Le Gardonnel, F. Gregh, et les poétesses Anna de Noailles et Lucie Delarue-Madrus, pour n’en citer que quelques uns. Mais, en même temps, d’autres groupes se constituent et se défont, qui prétendent chacun enrichir le Symbolisme ou le dépasser :-----Jean Moréas, parti du symbolisme, revient à un néo-classicisme (‘‘Stances’’.)-----Jules Romains, connu surtout comme romancier, fonde vers 1910 ‘‘l’Unanimisme’’ ; abandonnant la rime pour une poésie toute personnelle, il veut, dans ses

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poèmes, exprimer le sentiment imprécis mais profond qu’il ressent à se fondre dans la foule anonyme (dans une ville par exemple). C’est en s’identifiant avec l’âme des masses qu’il se sent véritablement vivre :

Je cesse d’exister tellement je suis tout.-----Le groupe de l’Abbaye (Duhamel, Vildrac, Jouve, Luc Durtain) à la même période, se rattache à l’école ‘‘unanimiste’’ ; il se dispersera bientôt. De toute façon, le Symbolisme a marqué tous ces poètes qui, délivrés des règles strictes, s’engagent dans la voie ouverte par Verlaine et Mallarmé. Mais il faut mettre à part quelques noms :

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CHARLES PEGUY (2+ 1914)* Ecrivain socialiste, il est venu à la poésie vers la fin de sa vie, après sa conversion à la religion catholique. Fils de paysan, simple et obstiné, il imprime à sa poésie un rythme lent, martelé, il accumule volontairement les répétitions, et atteint par là un lyrisme à la fois épique et familier. Ses plus beaux poèmes sont d’inspiration chrétienne ou nationale (Notre-Dame de la Beauce—Jeanne d’Arc—Eve.)

FRANÇIS JAMMES (+ 1938) Ermite, campagnard, il s’est fait le poète de la vie quotidienne et des humbles : les fleurs, les bêtes malheureuses

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(l’âne)—les gens ordinaires (le Facteur). Il écrit naïvement, mais sa poésie familière est le fruit d’un travail tenace. Avant la première guerre mondiale, Jammes eut une profonde influence sur la jeune poésie.

PAUL FORT (+ 1952)

Auteur de ‘‘ballades’’---genre très connu au Moyen Age---Fort occupe une place spéciale dans la poésie moderne. Ironique et ‘‘gentil’’, il chante des thèmes simples, variés, mi-rêve mi-réalité. Sa poésie ressemble à de la prose, mais une cadence subtile et un rythme complexe la rendent très chantante (cf. ‘‘La Complainte du Petit Cheval Blanc’’).

2 + = mort en

PAUL CLAUDEL (+ 1955)

Grand poète catholique, à la fois mystique et populaire, Claudel est un lyrique au souffle puissant, large et déroutant. Sa poésie est chargée d’images et de pensées. Disciple de Rimbaud, puis converti au catholicisme, Claudel puise son inspiration dans la Bible et dans l’histoire du Moyen Age. Il n’utilise ni rime ni cadence fixe ; le rythme de sa poésie est le rythme même de la respiration du poète. Cette poésie est donc faite pour être lue à haute voix, ou plutôt déclamée au théâtre. Claudel a dominé la scène littéraire et a imposé l’admiration ou le respect même à ceux qui lui reprochent sa poésie difficile et

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son catholicisme intransigeant (cf. ‘‘Cinq Grandes Odes’’---‘‘Feuilles des Saints’’).

PAUL VALÉRY

Lui aussi a dominé la poésie moderne. Mais il a peu écrit, préférant réfléchir sur les problèmes que pose la création poétique. Philosophe et mathématicien, Valéry condense en peu de vers de hautes pensées. Disciple de Mallarmé, il est intelligent et obscur comme lui, car sa poésie, chargée de symboles, d’images multiples, de pensée philosophique, exige du lecteur une forte culture et un effort de participation.

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Mais cette poésie dense, hermétique, trouve souvent un rythme admirable qui procure une exaltation aussi vive que la Danse ou l’Architecture :

Le vent se lève ! Il faut tenter de vivre

Valéry s’est d’ailleurs intéressé à ces deux arts qui sont avant tout lignes et mouvements (‘‘La Jeune Parque’’) ---‘‘Le Cimetière Martin’’ ---‘‘Charmes’’) Paul Valéry est un poète difficile, mais, à coup sûr, un très grand créateur.

II DE 1920 À 1940 : CUBISME ETSURRÉALISME

Au lendemain de la première guerre mondiale, l’esprit de révolte souffle sur les Arts. L’expérience de la guerre

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a prouvé que tout est incertain, instable, dérisoire même. D’où cette ironie et cette amertume qui caractérisent la poésie de l’entre-deux guerres.

Ironie et Amertume

Le poète souffre ; il dit sa souffrance mais il s’en moque, ou feint de s’en moquer. Depuis le Symbolisme on ne déclame plus ; le poète s’exprime donc en poèmes brefs, rapides. Depuis la guerre on a perdu confiance en toute choses, même dans la vertu de la souffrance : le poète donc se fait fantaisiste, clown, ironiste, humoriste, mais on y sent toujours l’amertume et souvent le désespoir.

Cette attitude, inaugurée à la fin poème siècle par Jules Laforgue, Tristan Corbière (Les Amours Jeunes) et ceux qu’on appelait ‘‘poètes maudits’’, se continue, après 1920, avec Tristan Derème, Toulet, Ponchon, J.M. Bernard, Francis Carco, etc… Même attitude chez le groupe des ‘‘cubistes’’ dont les meilleurs sont Guillaume Apollinaire (Calligrammes ---Alcools), A. Salmon, Max Jacob, Robert Desnos, Blaise Cendrars, Cocteau, etc…. Ils allient liberté et fantaisie ; ils sont sérieux et bouffons, ils méprisent toutes les règles, décomposent les mots et, par des rapprochements inattendus, des images cocasses ou audacieuses, un rythme cessé, brisé, ils parviennent à créer, dans les meilleurs des cas, une poésie véritable. Le Cubisme, né d’abord en peinture, exerça une

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forte attraction sur les jeunes artistes entre les deux guerres.

Révolte

C’est dans la tradition de Baudelaire, de Rimbaud et de Lautréamont, poète visionnaire et tumultueux de la fin du 19ème siècle, découvert par la génération suivante (Les Chants de Maldoror) Ces révoltés veulent littéralement détruire ce monde et bâtir un nouveau d’où la raison, l’intelligence seraient bannies. Le mouvement ‘‘dadaïste’’ (lancé par le poète Tzara) visait à l’incohérence totale, à la destruction du langage lui-même.

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Le mouvement ‘‘surréaliste’’ eut une influence autrement décisive sur la poésie, les arts, même le roman. ‘‘Sur-réel’’ signifie au-delà du réel, donc au-delà de l’intelligence, de la sensibilité, de la conscience. Fortement inspirés des théories psychanalytiques de Freud, les poètes surréalistes veulent, par la poésie, atteindre le subconscient ou l’inconscient lui-même ; ils veulent libérer les forces cachées qui suscitent les rêveries, les rêves, les hallucinations, et qui, pour eux, sont la véritable vie, le ‘‘réel’’ par excellence. Pour atteindre ce but, ils imaginent une technique particulière, ‘‘l’écriture automatique’’ : le poète, dans un demi-sommeil, le plus souvent provoqué par les stupéfiants, enregistre purement et simplement le discours

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incohérent que lui dicte son inconscient ; il rejette tout contrôle de la raison ou de la sensibilité, et ne se soucie d’aucune règle morale ou esthétique. Le résultat est, généralement, un assemblage de mots tout à fait incompréhensible, sauf peut-être pour l’auteur lui-même. Cependant l’influence du Surréalisme a été très forte : il a attiré l’attention sur ce monde intérieur inexploré, fascinant et mystérieux qu’est le domaine du rêve, et ses excès même ont enrichi la Poésie moderne d’une sensibilité et d’une esthétique nouvelles. Tous les poètes contemporains ont été, plus ou moins longtemps, surréalistes. Le chef d’école, qui lança

le ‘‘Manifeste du Surréalisme’’ en 1924, s’appelle André Breton. Parmi les principaux disciples, citons : Paul Eluard, Louis Aragon, René Daumal, Soupault, Cocteau, Pierre Réverdy. Aujourd’hui même le surréalisme se survit avec Henri Michaux, et Pichette (Epiphanies).

III LA POÉSIE DEPUIS 1940

Le Surréalisme ne pouvait être apprécié que par un petit groupe d’intellectuels et de snobs. Le public, lui, aime comprendre ce qu’il lit. Les drames de la deuxième guerre mondiale et de la Résistance à l’occupation allemande ont ramené les poètes à une prise de conscience de leur rôle et de leur place dans la société. Ils ont cessé d’être de purs amuseurs, des dilettantes ou des hermétiques pour retrouver contact avec la masse du peuple. L’éloquence poétique et le lyrisme

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se sont emparé à nouveau des thèmes éternels : patrie---liberté---souffrance---mort ---amour….Ainsi Louis Aragon, qui fut surréaliste et qui est communiste, a trouvé d’admirables accents, en reprenant la prosodie traditionnelle des romantiques, pour chanter sa patrie ou son espoir (La Rose et le Réséda---Les Yeux d’Elsa). Grand poète, quand il veut bien oublier ses positions idéologiques. De même Paul Eluard (+ 1952). Jean Cocteau, qui a participé à tous les mouvements poétiques depuis 1900, et qui s’est exprimé à travers la poésie, le roman, le théâtre, le dessin, la musique, la danse le cinéma, est un poète équilibriste, un jongleur de

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mots, dont les derniers recueils poétiques marquent un retour à une forme plus classique (Plain-chant ; Clair-Obscur). L’importance de Cocteau est moins dans son rôle de poète que dans sa place d’inspirateur. Il fut l’ami de tous les grands artistes de notre époque et fut au départ de toutes les révolutions et mouvements artistiques. Quoique indirecte, son influence sur l’art moderne a été considérable. Jacques Prévert ridiculise tout ce que les ‘‘gens bien’’ admirent ou respectent et sait faire naître une sourde émotion du fait le plus ordinaire (Paroles---Images). Il faudrait encore citer bien d’autres poètes, et des meilleurs, pour lesquels la poésie n’est pas un jeu de mots, ni une simple succession de rimes et d’images, mais l’expression de la vérité la plus secrète---, une véritable création : Philippe Soupault, P. Reverdy, J. Supervielle, P. Emmanuel, Patrice de la Tour du

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Pin, Saint John-Perse. Et à côté de ces créateurs exigeants il reste en grand nombre de poètes jeunes et vieux, qui, non sans talent, continuent de chanter leurs émotions et leurs expériences personnelles dans le cadre poétique traditionnel. Ainsi, à l’heure actuelle, la révolution Symboliste, qui a ouvert la porte à toutes les libertés, continue d’opérer à travers les écoles les plus diverses. En effet, l’hermétisme de Mallarmé et de Valéry, toujours goûté par une élite, a cédé la place à une poésie plus humaine, c’est-à-dire moins intellectuelle et plus chargée

d’émotions, plus compatissante aux souffrances et aux angoisses de l’homme. Mais la technique symboliste, celle de Verlaine, renforcée par les audaces cubistes et surréalistes, a donné sa forme à la poésie contemporaine : poèmes courts, fragmentés, loin de toute déclamation ; rythmes cassés, désarticulés, surtout images neuves, violentes, sèches, qui opèrent comme un déclic photographique. Comparant à un col de marin l’effet du ciel bleu sur des maisons blanches, Cocteau dira :

Le ciel est un marin assis sur les maisons

Ce procédé rapide, très éloigné des longues et volumineuses comparaisons romantiques, traduit, en tout cas, cette allure pressée, cette hâte qui est la marque du 20ème siècle : il faut aller vite et droit au but, en se débarrassant de tout ce qui n’est pas essentiel.

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Léon-Paul Gargue, poète de Paris, exprime l’Art poétique contemporain quand il dit au poète moderne :

Ne nous sers que du café filtre(Suite Familière)

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LE ROMAN DEPUIS 1900

L’énorme production romanesque de ces 50 dernières années ne permet pas de faire justice à tous les auteurs. Cependant, il faut retenir des noms importants : Romain Rolland ---Proust ----Gide---Malraux ---Mauriac----Camus---…. Le mot ‘‘roman’’ recouvre aujourd’hui des œuvres très diverses—qui parfois sont à peine un roman--- et, pour y voir clair, il faut faire des classifications. D’autre part, la technique du roman s’est modifiée sous l’influence combinée des mouvements littéraires, du cinéma, et

des romanciers américains (Hemingway—Faulkner--- Steinbeck--- Dos Passos). On n'écrit plus aujourd’hui comme on écrivait au début du siècle. Cependant, dans le roman comme en poésie, il existe toute une gamme de tendances et de styles, qui vont du ‘‘traditionnel’’ à ‘‘l’avant – garde’’.

I---- LE ROMAN PSYCHOLOGIQUE

Au début du XXème siècle se fait sentir vivement l’influence de P. Bourget (+1935) et de ses disciples : R. Bazin, H. Bordeaux (qui écrit toujours), R. Boylesve et E. Estaunié (+ 1942), peintre des états d’âme secrets. Mais les préoccupations esthétiques et morales et le style de ces romanciers les rattachent davantage à la dernière

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phase du 19ème siècle qu’à l’époque contemporaine. Ceux qui, jusqu’en 1920 surtout, attirent la jeune génération sont des penseurs à la fois romanciers, essayistes et politiciens comme Barrès et Romain Rolland, des individualistes fervents comme André Gide, et un romancier comme Proust.

MARCEL PROUST (1871-1922)

Son cycle littéraire en quinze volumes ‘‘A la Recherche du Temps Perdu’’ a poussé à l’extrême point le roman psychologique et exercé une influence décisive sur les romanciers

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modernes. Il n’y a pas d’intrigue proprement dite ; Proust essaie de revivre son passé, son enfance surtout, et de retrouver les impressions et les sensations qu’il avait éprouvées autrefois. Il note, en même temps ses souvenirs et ses sentiments au moment où il écrit, et essaie de les rendre avec l’intensité, le rythme, la complexité et l’imprécision qui sont la marque de tous nos états d’âme. Un épisode est célèbre : Proust raconte, qu’un jour, ayant trempé un biscuit dans une tasse de thé, il eut subitement la sensation réelle de revoir toute une partie oubliée de son enfance, au seul contact du biscuit, dont la saveur lui rappela celle d’un biscuit mangé autrefois. C’est à cette ‘‘remontée du passé’’ que se consacre Proust. La richesse et la complexité des notations psychologiques obligent Proust à écrire des phrases très longues, parfois des pages, et ce style particulier peut rebuter le lecteur pressé.

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ROMAIN ROLLAND (1866-1944)

Passionné de musique, ouvert aux grandes pensées, ennemi des nationalismes étroits, pacifiste, R. Rolland fut le guide de toute une génération. Il fut en contact avec tous les grands philosophes et penseurs du monde, en particulier avec Vivékananda et Mahatma Gandhi. Ses prises de position politique --- il aurait sans doute été aujourd’hui ‘‘citoyen du monde’’ --- lui attirèrent des ennemis ; mais jusqu’à sa mort, il se fit le défenseur de l’humanisme et de la liberté. En tant que romancier, il a écrit, en 10 volumes, un ‘‘Jean Christophe’’,

qui raconte la vie, les tourments et les passions d’un jeune musicien de génie. Le style de R. Rolland est une prose lyrique et musicale.

ANDRÉ GIDE (1869-1951)

Il a été, à lui seul, toute une époque. Mouvant, toujours prêt à échapper aux contraintes, Gide a prêché l’individualisme le plus forcené (Les Nourriture Terrestres). Ce qu’il veut par-dessus tout, c’est réserver sa liberté de choix, ne jamais s’engager, se soumettre à toutes les influences sans rien perdre de sa personnalité, en un mot, comme il l’a dit ‘‘être disponible’’. Dans ses romans psychologiques (La Porte Etroite, Les Faux Monnayeurs) il fait l’étude de destinées douloureuses et complexes, où il met beaucoup de lui-même. Gide n’est pas un pur romancier ; ses ouvrages sont plutôt des récits. Sa correspondance volumineuse

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----avec Claudel, Valéry, Louis Gillet, André Suarès---- et son ‘‘journal littéraire’’ constituent une partie essentielle de son œuvre. Ecrivain au style limpide, direct, dépouillé, d’une simplicité classique, Gide fut vraiment, dans ce demi-siècle, la figure littéraire la plus séduisante et aussi la plus déroutante. Entre 1920 et 1940, le roman psychologique s’est enrichi de l’œuvre de Jean Giraudoux (+ 1944), écrivain ‘‘Précieux’’, à la fois fantaisiste et sérieux, bouffon et émouvant qui, à travers les légendes mythologiques a traité des plus brûlants problèmes posés par la guerre (Bella--- Combat avec l’Ange).

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De nos jours, G. Duhamel (le Club des Lyonnais), André Maurois (Climats), tous deux romanciers, essayistes, voyageurs, défendent les valeurs de la civilisation. Mais les deus romanciers psychologiques les plus remarquables sont Julien Green (Adrienne Mesurat, Moïra,…), protestant d’origine américaine, et François Mauriac (Le Désert de l’Amour, Thérèse Desqucyroux, Le Blaiser au Lépreux,….), catholique ; tous deux écrivains graves, pessimistes, tourmentés, qui ont créé des personnages inoubliables, d’une rare puissance dramatique, emportés par la haine et les passions les plus implacables. Leur style sobre et tendu les rangent parmi les grands écrivains français. Dans la même veine il ne faut pas oublier les écrivains catholiques Léon Bloy et surtout George Bernanos, romancier puissant, rugissant, qu’exaspère la bassesse

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humaine (Sous le soleil de Satan ; le Journal d’un Curé de campagne). Des nombreux romanciers contemporains qui nous offrent des peintures psychologiques, les plus réputés sont, entre autres : J. Schlumberger, M. Genevoix, Marc Chadourne, Marcel Arland, A. Arnoux, A. Lanoux, Louis Guilloux, E. Roblès, A. Chamson, Jacques Chardonne, Paul Morand, P. A. Lesort. Enfin Madame Colette (+1954), dans un style inimitable, plein de saveur, de précision et de chaleur, a su peindre les troubles de L’adolescence (Le Blé en Herbe) et le monde des animaux domestiques. Elle comptera

parmi les grands stylistes de notre époque. Il est des écrivains qu’un seul livre a rendu célèbre :-----A. Litchenberger, auteur de ‘‘Mon Petit Trou’’ (1898)-----Jules Renard, auteur de ‘‘Poil de Carotte’’ (1908)-----Alain Fournier, auteur du ‘‘Grand Meaulnes’’ (1912) roman de l’adolescence et du rêve.-----Louis Hémon, auteur de ‘‘Maria Chapdelaine’’ (1913), roman de la vie canadienne.-----Raymond Radiguet, romancier mort à 20 ans, que l’on a comparé à Rimbaud, auteur de ‘‘Le Bal du Comte d’Orgel’’ et de ‘‘Le Diable au Corps’’, deux courts romans qui sont dans la ligne du roman français classique.

II--- LE ROMAN SOCIAL Appelons roman social celui qui peint les mœurs d’une époque ou d’un milieu. A la suite des cycles de Balzac

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Et Zola est né le ‘‘roman-fleuve’’ dont l’intrigue, ou plutôt les intrigues, qui mêlent les destinées de plusieurs personnes et même de plusieurs générations, s’étirent sur plusieurs volumes. Ces ‘‘bâtisseurs’’, qui ont déjà achevé leur œuvre, s’appellent :-----Jules Romains poète de l’Unanimisme, dramaturge, il est surtout connu comme romancier ; c’est lui qui a écrit le plus vaste monument de la littérature française, intitulé ‘‘Les Hommes de Bonne Volonté’’ (33 vol.) : reconstitution romanesque, mais fortement appuyée sur les événements politiques et

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sociaux, de la première partie du vingtième siècle français.

-----Jacques de Lacretelle auteur de plusieurs romans remarquables (cf. Silbermann), a aussi raconté la destinée d’une famille dans ‘‘Les Hauts Ponts’’.

Georges Duhamel---- dans ‘‘Chronique des Pasquier’’ (10 vol) retrace l’histoire d’une famille moderne où les personnages les plus vils se mêlent aux plus héroïques. Médecin et humaniste, Duhamel se pose en défenseur de l’Homme et des valeurs spirituelles contre le machinisme et le matérialisme.

-----Roger Martin du Gard évoque dans les ‘‘Thibault’’ (10 vol) les conflits politiques et sociaux de l’époque 1900-1920. Véritable créateur, il sait faire vivre ses personnages, développer avec naturel des intrigues

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complexes, et intéresser le lecteur aux questions spirituelles et métaphysiques les plus ardues. Tous ces écrivains ont tenté, en somme, de ressusciter la vie sociale française telle qu’elle fut dans les 30 premières années du vingtième siècle. Aujourd’hui, Paul Vialar complète un cycle intitulé ‘‘La Mort est un commencement’’ ; et Henri Troyat, écrivain d’origine russe, s’impose par le souffle et la puissance qui anime ses vastes compositions. D’autres romanciers se sont attachés à une région particulière--- la

leur --- ou à des milieux qu’ils connaissaient bien.

-----Francis Carco a dépeint les bas-fonds de Paris et la Bohême artistique, Eugène Dabit, le Paris des ouvriers (cf. Hôtel du Nord) ; Aragon, le Paris mondain de l’entre deux guerres (cf. Aurélien) et J. P. Clébert le Paris des clochards (tramps) dans ‘‘Paris Insolite’’. (1954) Une région arriérée, dure et mystérieuse. L’Auvergne--- a inspiré un admirable conteur, Henri Pourrat, est un romancier nerveux, A. Chamson (Le Crime des Justes).

-----La Varende, qu’inspirent la Normandie et la Bretagne, M. Genevoix, (Rabolion), Alphonse de Chateaubriant (La Brière), J. de Pesquidoux, évoquent avec talent leur province natale. Enfin la Provence---région de soleil, de bonne humeur et aussi d’entêtement --- a été chantée par d’excellents

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romanciers dont une femme Thyde Monnier, Henri Bosco (Le Mas Théotime), et surtout Jean Giono (Regain---- Colline---- Jean des Baumugnes…), l’un des meilleurs écrivains de notre époque. Quant aux milieux professionnels, ils ont donné naissance à des œuvres intéressantes mais de valeur parfois discutable. Maxence Van der Mersh, écrivain réaliste d’origine belge, a évoqué sans pitié le monde des médecins (Corps et Ames), qu’un autre médecin – écrivain, André Soubiran, a dépeint plus récemment

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encore (Les Hommes en blanc). Roger Peyrefitte, ex-diplomate et fin écrivain, a mis à nu le monde diplomatique (Les Ambassades). Et la liste n’est pas close puisque le nombre de romanciers augmente chaque année. Une nouvelle école apparaît, avec Alain Robe—Grillet, qui veut faire le ‘‘roman objectif’’ (Les Gommes).

III--- LE ROMAN D’ACTION

Dans ce genre aussi la quantité est abondante et la qualité diverse.

-----Romans d’Aventures

Les lecteurs d’A. Dumas peuvent aujourd’hui suivre les aventures que content Pierre Benoit (L’Atlantide), J. Kessel, H. de Monfreid, Delteil, H, Castillou, M. Dekobra. Le roman historique se poursuit avec Maurice Druon. Enfin le roman policier, illustré au 19ème siècle

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par Gaboriau, a pris surtout un ton violent, mais aussi une réelle valeur psychologique et littéraire avec l’œuvre de Georges Simenon.

----Romans de Guerre

La discipline de la vie militaire a été exaltée, avant 1914, par E. Psichari (Le Voyage du Centurion). Des œuvres violentes et poignantes ont été inspirées par la guerre de 1914-18 : ‘‘Le Feu’’ de H. Barbusse, ‘‘Les Croix de Bois’’ de R. Dorgelès. Puis, la guerre de 1940 et la résistance ont donné une littérature considérable,

amère, réaliste, souvent désespérée ; ainsi : Romain Gary, Ambrière, Vercors dont ‘‘Le Silence de la mer’’ est un chef-d’œuvre de rigueur et de justesse.

Roman exotiques et récits de voyages

A la suite de Loti, Louis Bertrand a chanté les rivages méditerranéens, Claude Farrère les pays d’Extrême—Orient, Myrriam Harry le Moyen—Orient, et les frères Tharaud, voyageurs infatigables, écrivains au style ferme et sobre, le monde entier. Un archéologue artiste Victor Ségalen s’est intéressé à la Chaine ; et l’ile de Tahiti, dans les mers du Sud rêve inavoué de tout Français, n’a cessé d’attirer les voyageurs-écrivains ; hier Loti, Alain Gerbault, le peintre Gauguin, et aujourd’hui Eluard, T’stertevens, etc…. Dans ces amoureux du voyage, il faut faire une place particulière aux voyageurs- poètes….. ‘‘qui partent pour partir’’, intéressé avant tout par leurs aventures personnelles

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et toujours lancés à la poursuite d’un monde insaisissable. Valéry Larbaud, admirable styliste (cf. Fermina Marquez), qui aime les rivages d’Italie et de Grèce ; Blaise Cendrars, le ‘‘bourlingueur’’, Paul Morand (La Route des Indes) qui a fait entrer la vitesse dans la littérature ; Paul Mac-Orlan, amoureux des ports et des mers brumeuses.

Romans d’action pure

C’est celui où l’aventure ne devient intéressante qu’à travers son héros, l’auteur lui-même, placé au moment

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d’un choix décisif. C’est véritablement le roman de l’homme face à son Destin.

Henri de Montherlant par ailleurs puissant dramaturge exalte l’’homme seul (le Saint le Soldat le Sportif le Toréro….) énergique, dur, indifférent aux autres, qui n’agit que pour le plaisir et la joie de triompher de lui-même.

-----Antoine de Saint-Exupéry tué pendant la guerre, a raconté les joies et les doutes de l’aviateur qui, seul devant le danger se sent plus que jamais associé au Destin des autres hommes (Courrier Sud---Vol de Nuit—Terre des Hommes).

André Malraux engagé volontaire dans les guerres civiles de Chine et d’Espagne, a conquis une réputation mondiale avec ‘‘La Condition Humaine’’ et ‘‘L’Espoir’’

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où, avec un sens exceptionnel du tragique, il s’interroge sur la signification de la lutte et sur le destin de l’homme. Malraux, qui se consacre aujourd’hui aux civilisations mortes (Les Voix du Silence) fut réellement l’écrivain ‘‘engage’’--- qui a fait un choix délibéré pour rendre son action efficace. Il a exercé une attraction profonde sur la jeune génération.

IV--- LE ROMAN PHILOSOPHIQUE

Depuis 1945 surtout, le roman à thèse a reparu sous la forme du roman philosophique, centré sur le problème de la condition de l’homme, de son ‘‘existence’’ même dans le monde actuel. La philosophie ‘‘existentialiste’’ s’est emparé du roman qu’elle a marqué de son pessimisme et du son désespoir : Jean-Paul Sartre (les Chemins de la Liberté) ; Simone de Beauvoir (Les Mandarins…), etc…Dans deux romans remarquables--- ‘‘L’Etranger’’ et ‘‘La Peste’’ --- Albert Camus, essayiste et penseur, s’est penché avec angoisse sur le sort de l’homme contemporain à la recherche de son salut.

V--- ROMAN DIVERS

-----Le Surréalisme et ses suites ont atteint le roman. Des œuvres étranges, lourdes de mystère et de signification, sont nées. Les romans de Louis Pauwells, par exemple, et de Julien Gracq (Le Rivage des Syrtes) ont quelque chose d’envoûtant.

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Il faudrait également signaler les romanciers nombreux qui, à la suite de Colette et de Cocteau (Les Enfants Terribles), se sont penchés sur le monde de l’enfance et de l’adolescence. Quant au roman comique, il est soit franchement caricatural et rabelaisien --- avec Gabriel Chevalier (Clochmerle) —soit adroitement moqueur--- avec Pierre Daninos (Les Carnets du Major Thompson) --- soit satirique et plaisant avec Jacques Perret et Marcel Aymé (La Jument verte).

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On peut mettre à part des prosateurs, souvent excellents, mais qui ne relèvent pas à proprement parler de la littérature--- des écrivains politiques, comme Maurras, Péguy, G. Sorel, Drieu la Rochelle…… --- des auteurs de Mémoires --- des orateurs comme Albert de Mun, Jean-Jaurès, Clémenceau. --- des essayistes comme Suarès, Valéry, Rivière, Julien Benda, Jean Guchenno --- des philosophes comme Bergson, Maritain, Gilson, Alain, Gabriel, Marcel --- des critiques littéraires comme Rémy de Gourmont, Lanson, Thibaudet, Edmond Jaloux, Charles du Bos, Robert Kemp. Enfin il faut signaler, dans le domaine proprement littéraire, l’importance prise par le ‘‘Journal’’ (diary) où l’auteur consigne régulièrement, en vue de publication, ses pensées, ses impressions, ses activités et jusqu’à ses secrets les plus intimes. Outre leur intérêt psychologique,

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ces écrits aident à mieux comprendre certains événements et permettent de suivre la genèse des œuvres d’un écrivain. Parmi les plus célèbres, citons le Journal de Jules Renard, d’A. Gide, de Julien Green de Mauriac de Du Bos, et les ‘‘Carnets’’ de Montherlant. Et le ‘‘journal’’ le plus irrespectueux du siècle est peut-être celui de Paul Léautaud (+ 1956) écrivain misanthrope, maniaque, solitaire, mais passionné de littérature.

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LE THÉATRE DEPUIS 1900

Au théâtre diverses influences se sont également fait sentir depuis le début du siècle. Les salles de théâtre et les troupes se sont multipliées et spécialisées, en même temps que s’opérait une révolution technique dans l’art de la mise en scène : vers 1920, au théâtre du ‘‘Vieux Colombier’’, Jacques Copeau débarasse la scène de ses accessoires réalistes. Ses disciples Charles Dullin, G. Baty et L. Jouvet complètent sa réforme et, par l’utilisation ingénieuse

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des éclairages, des draperies et de décors nouveaux, parviennent à créer une ‘‘atmosphère’’ à la fois plus dépouillée et plus suggestive, ouvrant au théâtre des possibilités de renouvellement et d’enrichissement dont il a su profiter. A côté de la Comédie Française --- qui a principalement la charge de jouer le répertoire classique—d’autres compagnies théâtrales obtiennent de grands succès, grâce à des metteurs en scène remarquables, tels Lugné Poé et les Pitoëff avant-guerre, Jean-Louis Barrault et Jean Vilar aujourd’hui.

LE THÉATRE DRAMATIQUE

De 1900 à 1940

A la fin du 19ème siècle, les dramaturges ‘‘idéalistes’’ s’étaient penchés sur les problèmes sociaux de leur

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époque, mais--- malgré quelques bonnes pièces --- ce théâtre moralisant devint vite systématique et sans vie. Dans les années qui suivent, le théâtre se fait psychologique ou poétique, tandis que la Comédie demeure légère ou satirique.

Théâtre psychologique

C’est essentiellement du sentiment d’amour qu’on y parle ; toutes les manifestations de l’amour, toutes ses nuances sont analysées, tantôt avec lyrisme --- chez Henri Bataille ---

tantôt avec profondeur et violence – chez Porto-Riche et Henri Bernstein. C’est aussi et surtout de l’amour que traitent d’autres auteurs comme Paul Raynal et Paul Géraldy (Duo). Enfin, avec Vildrac (La Brouille), Jean Sarment, H. R. Lenormand (Le temps est un songe), les aspects les plus fuyants de la personnalité sont étudiés sur scène.

Théâtre poétique

Depuis le succès de E. Ronrand en 1900, le théâtre lyrique s’est orienté vers la fantaisie agréable (avec Zamacois), ou vers le drame historique et pompeux (avec R. Rolland et St. Georges de Boubélier) ou enfin le drame mystique, avec Henri Ghéen. C’est surtout Paul Claudel et Jean Giraudoux qui ont donné les chefs-d’œuvre du théâtre poétique. Claudel a mis longtemps avant d’être apprécié du public pour

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ses drames catholiques et médiévaux, au lyrisme puissant----- loin de tout réalisme (L’Otage --- Le Soulier de Satin--- L’Annonce faite à Marie--- Partage de Midi). Les pièces de Giraudoux –qui emprunte souvent ses sujets à l’Antiquité--- repensent en des termes fantaisistes et précieux les problèmes les plus actuels (Electre).

Depuis 1940

Notre époque bouleversée a ramené sur la scène les problèmes sociaux et

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surtout l’angoisse et le pessimisme. Le théâtre se fait grinçant, sarcastique avec A. Salacrou. (L’Archipel Lenoir) et surtout Jean Anouilh qui, aussi bien dans ses ‘‘pièces roses’’ que dans ses ‘‘pièces noires’’, montre l’homme dépouillé de toute vertu dans un monde désaxé. De son côté H. de Montherlant--- excellant dramaturge comme Anouiih--- s’intéresse au ‘‘héros’’, à l’homme solitaire, face à son destin (Le Maître de Santiago--- La Reine Morte--…) Le théâtre à thèse --- ou philosophique --- s’est renouvelé avec les philosophes J. P. Sartre (Les Mouches ; Les Mains Sales), Gabriel Marcel (La Soif), avec A. Camus (Caligula), Anouilh (Antigone), Thierry Maulnier, Cocteau (La Machine Infernale, Racchus), et d’autres encore que hantent les questions de liberté, d’engagement, et l’existence même de l’homme.

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II LE THÉATRE COMIQUE

Avant guerre, la farce et le vaudeville furent illustrés par A. Jarry (Ubu-Roi) et Feydeau, tandis que la satire des institutions fleurit avec Tristan Bernard, Flers et Caillavet et surtout Georges Courteline. La vie parisienne était dépeinte par Edouard Bourdet, tandis que J. Romains connut avec ‘‘Knock’’ – satire des médecins—le plus grand succès comique, Plus près de nous Marcel Pagnol a créé des

types avec ‘‘Topaze’’, et sa trilogie marseillaise (Fanny – César—Marius). Aujourd’hui la comédie se fait rêveuse et sentimentale avec Marcel Achard (Jean de la Lune) ; plus acide avec Stève Passeur et surtout. Marcel Aymé ; plaisante avec Sacha Guitry, psychologique—avec J. Deval et André Roussin (La Petite Hutte), l’auteur le plus fêté à l’heure actuelle. Enfin il y a toujours eu, à chaque époque, un théâtre dit ‘‘d’avant-garde’’, c’est-à-dire en avance sur son temps. Ainsi, entre les deux guerres, certaines troupes jouaient du théâtre surréaliste. Aujourd’hui, les meilleurs représentants de l’avant-garde s’appellent Ionesco et Adamov : par une technique stylisée, un dialogue sobre et tendu, et une économie de moyens qui leur fait rejeter les règles et conventions établies, ils jettent sur la scène des personnages étranges, hallucinants, pantins pitoyables qui sont comme les hommes, le jouet de Destin. C’est parce que réapparaît l’idée de Dieu, qui semble si souvent absente du théâtre contemporain.

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Avec les nombreuses représentations de pièces d’auteurs étrangers (Shakespeare --- T. S. Eiiot, Beckett, Chekov --- Dostoïevsky, Von Kleist--- Bertold Brecht ‘Pirandello, A. Miller, Tennessee Williams… le théâtre français connaît actuellement un très grand élan, malgré de lourds obstacles matériels. A Paris seulement, on compte environ cinquante troupes professionnelles qui jouent tous les soirs.

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LES BEAUX-ARTS DEPUIS 1900

LA PEINTURE

Au début du siècle, c’est toujours ‘‘l’Impressionisme’’ --- avec ses effets de lumière et d’éclairage --- qui triomphe. Cependant Cézanne, puis Gauguin et Van Gogh, redonnent du dessin et surtout à la couleur la première place. L’affiche (poster) devient un art avec Toulouse Lautrec, peintre du Paris de ‘‘la Belle Epoque’’, des cabarets, des cirques, et

du célèbre ‘‘Moulin Rouge’’, à Montmartre. La réaction anti-impressioniste amorcée par Cézanne devient véritable révolution picturale avec le ‘‘Cubisme’’ dont Juan Gris et Pablo Picasso sont les chefs d’école à partir de 1908. Pour eux, ni le sujet, ni le dessin, ni la couleur n’ont une importance particulière : ils ne veulent pas représenter un objet, ils veulent le ‘‘construire’’ ou plutôt le reconstruire à leur idée. D’où ces tableaux curieux, souvent incompréhensibles, tout en surfaces et en lignes géométriques, qui font appel à l’intelligence plutôt qu’à la sensibilité. L’école cubiste a marqué toute la peinture moderne, même les groupe dissidents, comme celui des ‘‘Nabis’’ (Bonnard—Vuillard) ou des ‘‘Fauves’’ (Othon Fiez ---- Valloton), les peintres ‘‘primitifs’’ et fantaisistes (douanier Rousseau—Raoul Duffy), ou des indépendants

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comme Derain, Dunoyer de Segonzac, le paysagiste Marquet. Après 1920, le Cubisme s’est prolongé ou transformé, comme la poésie, avec le ‘‘Surréalisme’’, dont le peintre espagnol Salvador Dali est toujours le porte-parole excentrique, et avec les peintres ‘‘Abstraits’’ (Miro—Kadinsky Paul Klee…) dont les tableaux, souvent de vastes dimensions, sont de pures constructions qui ne reposent sur aucun modèle.

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Comme en littérature, les ‘‘écoles’’ se succèdent et s’influencent réciproquement. Mais l’influence cubiste a été profonde sur tous les grands peintres contemporains : Picasso, Braque, Matisse, Rouault, André Lhote, Fernand Lèger, Chirico, Wlaminck, Utrillo, Marchand, Buffet, Lorjou,… Ils aiment les volumes, les lignes, les surfaces. La peinture moderne a gagné en rythme, en intelligence et en signification ce qu’elle a perdu en charme et en sensibilité. On retrouve en elle l’ironie amère, l’angoisse et l’inhumain, qui sont la marque de notre époque. La Sculpture, de Bourdelle à Germaine Richeir, a suivi une évolution parallèle, abandonnant le réalisme de l’expression pour la rigueur et le dépouillement des formes géométriques. Et l’Architecture s’est délivrée du style ‘‘rococo’’ et bourgeois pour se faire plus pratique, plus simple et aussi révolutionnaire avec des architectes tels que Auguste Perret et surtout Le Corbusier qui est connu dans le monde entier.

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LA MUSIQUE

Dans la musique européenne, il existe toujours un ‘‘courant’’ français. En 1900, Claude Debussy et Maurice Ravel avaient redonné à la musique une fluidité toute impressioniste, des rythmes et des couleurs nouveaux qui la rendait suggestive et non pas descriptive. Après eux, la musique française assimile l’influence de la musique slave (Moussorgsky, Stravinsky, Bela Bartok), espagnole (Manuel de Falla)

du Jazz, tout en conservant son élégance : Paul Dukas, et le ‘‘groupe des Six’’, inspiré par Jean Cocteau et représenté surtout par Darius Milhaud, le Suisse A. Honegger, Auric Dulac… enrichissent la musique française d’harmonies et de couleurs orchestrales neuves. D’autres musiciens talentueux donnent des chefs-d’œuvre, soit en musique religieuse (Florent Schnitt, O. Messaien), soit à l’opéra (H. Rabaud) ou au ballet (Albert Roussel, J. Ibert). Enfin il existe, en musique comme en littérature, une ‘‘avant-garde’’, qui combine l’harmonie traditionnelle avec les recherches acoustiques les plus audacieuses : Erik Satie, en France à l’époque surréaliste ; puis l’école ‘‘dodécaphoniste’’ allemande (Schonberg) dont les Jeunes disciples français --- P. Schaeffer, P. Boulliez --- poursuivent les expériences, malgré les réticences d’un public qui n’entend là que du ‘‘bruit’’. Quant à la musique ‘‘légère’’, elle est loin d’être toujours vulgaire et méprisable. Les opérettes de Lecoq

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et Messager, les mélodies de Reynaldo Hahn sont justement célèbres. Et tout le monde connaît ou fredonne les chansons de Vincent Scotto, G. Auric, Joseph Kosma et Brassens.

LE CINÉMA

Le cinéma est une invention française due aux frères Lumière, de Lyon, qui, en 1895, projetèrent dans une salle de café la première bande

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d’actualités. Depuis on a fait beaucoup de progrès techniques, et la dernière découverte--- le ‘‘Cinémascope’’ – est également due à un Français, le professeur Chrétien, inventeur de l’hypergonar, instrument qui est à la base de ce nouveau procédé cinématographique. Le cinéma étant avant tout une industrie, la majorité des films n’ont qu’un intérêt commercial. Mais c’est aussi un art, le ‘‘septième art’’, et dans tous les pays des cinéastes ont utilisé la caméra comme un moyen d’expression original, au même titre que la littérature ou la musique. Bien qu’un film soit une œuvre collective, le responsable principal en est le ‘‘réalisateur’’ (director) qui dirige le tournage et la construction du film. Les grands réalisateurs ont, tout comme les romanciers, leur style personnel, puisqu’un film c’est essentiellement une histoire racontée, non pas avec des images. Il y un ‘‘cinéma français’’, comme il y a une littérature

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rature ou une musique française, et qui a ses traits particuliers.

LES DÉBUTS DU CINÉMA

Jusqu’à la première guerre mondiale, le cinéma cherche sa voie. En France, deux réalisateurs s’imposent : G. Melies, le premier vrai réalisateur parce qu’il pense à construite des histoires avec des moyens proprement cinématographiques. Avec lui, le

cinéma s’enferme au studio d’où nait un monde féérique. Abel Gance, génie épique et lyrique, qui utilise le triple écran et le son stéréophonique pour peindre des sujets grandioses, tels que ‘‘La Roue’’ ou son célèbre ‘‘Napoléon’’, inachevé.

L’APOGEE DU CINÉMA MUET

Après 1920, le cinéma muet (silent film) donne des chefs-d’œuvre. En France, il s’oriente soit vers le mélodrame populaire avec Feuillade, soit vers le drame social et héroïque avec Delluc et Feyder ; tandis que René Clair triomphe dans la comédie légère, ‘‘l’avant-garde’’ a des prétentions littéraires, avec Marcel L’Herbier, ou se plonge dans le surréalisme avec Jean Cocteau (cf. Le Sang d’un Poète).

LE CINÉMA PARLANT

Le cinéma parlant (talkie) supplante définitivement le muet à partir de 1930. Des nouveaux, réalisateurs

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45,762 Words239,990 Characters (no space)297,250 Characters (with space)11,566 Lines126 Pages2,097 Paragraphs