les fusions transfrontalieres des societes

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UNIVERSIT ROBERT SCHUMAN STRASBOURG FACULT DE DROIT ET DES SCIENCES POLITIQUES

LES FUSIONS TRANSFRONTALIRES DES SOCITS COMMERCIALES

MEMOIRE PRESENT EN VUE DE LOBTENTION DU DEA DROIT DES AFFAIRES 2001-2002

Soutenu par : Ioanna TZINIERI Sous la direction de : Monsieur Jochen BAUERREIS

Je souhaiterais remercier Monsieur Jochen BAUERREIS, Matre de confrences en droit international priv l'Universit Robert Robert Schuman de Strasbourg, pour son soutien et pour son encouragement lors de la redaction du prsent mmoire.

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SOMMAIRE

INTRODUCTION6

PREMIRE PARTIE: Les solutions envisages et envisageables en l'absence d'un cadre juridique propre aux fusions transfrontalires. .23

CHAPITRE I: La leve des principaux obstacles au plan communautaire: un nivellement minimum des lgislations des tats membres.23

SECTION I. L'limination de certains obstacles juridiques24

A. La reconnaissance des socits trangres. 24

B. L'adoption de la troisime directive25 1. Le contenu de la directive.26 2. L'impact de la directive en matire des fusions internationales27

SECTION II: L'existence d'un cadre fiscale europen.29

A. Prsentation de la directive "fiscale"...31 1. Champ d'application de la directive..31 2. Le rgime fiscal commun..32 3. Clause de sauvegarde.34

B. L'efficacit de la directive du 23 juillet 1990..34 1. La porte de la directive.35 2. La transposition de la directive en droit franais..36

CHAPITRE II: Montages envisags et envisageables en l'absence de cadre juridique propre aux fusions transnationales...39

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SECTION I: Les avances dans la

pratique des affaires en matire des fusions

transfrontalires39

A. L'obstacle thorique de l'exigence d'unanimit...40 1. Changement de nationalit et de loi applicable.40 2. Disparition de la socit absorbe..41

B. La ralisation des premires fusions transfrontalires.42 1. Le contournement de l'obstacle de l'unanimit: l'absorption d'une filiale 100%..43 2. La faisabilit de l'opration malgr les divergences profondes des droits nationaux..45

SECTION II: Solutions alternatives envisageables en l'tat actuel du droit positif....47

A. Le recours au mcanisme de l'article 1844-5 C.civ: La dissolution des socits unipersonnelles.47 1. Description du mcanisme.47 2. Le nouveau traitement fiscal du mcanisme et son impact en matire de fusions internationales..49

B. Oprations-substituts des fusions transfrontalires.51

DEUXIME PARTIE: Vers une rglementation communautaire des fusions transfrontalires.54

CHAPITRE I: La Socit europenne: vecteur de concentration des entreprises dans l'espace europen..55

SECTION I: L'organisation de la fusion transfrontalire par le rglement concernant le statut de la SE...56

A. Le cadre juridique de la Socit europenne...564

B. La constitution d'une SE par fusion transfrontalire...58 1. Notion de la fusion.58 2. Les modalits de la fusion..60

SECTION II: L'apport de la SE en matire des fusions transfrontalires62

A. Apprciation de la mthode lgislative...62

B. Apprciation du rglement sur le fond64

CHAPITRE II. La ncessit de gnraliser les fusions intracommunautaires.66

SECTION I. Le besoin pour une structure europenne plus adapte aux exigences conomiques actuelles..66

A. Les limites de la SE.66

B. Vers une socit europenne simplifie..68

SECTION II. La proposition de dixime directive..71

A. Les chances de la proposition d'enfin aboutir.71

B. Principes de la directive propres aux fusions transfrontalires...73

CONCLUSION GNRALE...76

BIBLIOGRAPHIE.79

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INTRODUCTION

1. Le besoin de crotre. Dans l'acclration de la mutation du tissu conomique, les oprations de rapprochement et de concentration sont devenues d'actualit. Soumises de fortes pressions conjoncturelles et dans le but de s'adapter un march plus vaste issu de la construction europenne et la mondialisation de l'conomie, les entreprises prouvent de plus en plus le besoin imprieux de crotre qui se traduit invitablement une tendance concentrer.

En effet, pour atteindre le seuil de comptitivit qu'impose une conomie de plus en plus transnationale, la ncessit imprieuse des entreprises et des groupes est d'atteindre une taille optimale qui leur permettra accder une position hgmonique dans une branche d'activit dtermine. Les manires de crotre et d'obtenir la taille critique peuvent se dvelopper de deux faons; de l'intrieur ou l'extrieur. Cependant, le dveloppement interne, issu des propres moyens de l'entreprise, s'avrant souvent difficile et assez long, on constate une nette prfrence pour la croissance externe qu'elle dcoule d'une stratgie d'acquisition et de rapprochement. On se trouve ainsi devant la ralit d'une multiplication de restructurations et de rapprochements des entreprises, oprations qui tendent de plus plus dpasser les frontires nationales.

2. L'importance de la fusion. Dans ce contexte, le rle de la fusion en tant que modalit de tels rapprochements s'avre majeur. Il s'agit de l'opration-type de concentration absolue puisque elle permet deux socits de se runir pour n'en former qu'une seule, soit par l'absorption de l'une par l'autre (fusion par absorption d'une socit existante), soit par la cration d'une nouvelle socit issue de la dissolution de deux partenaires (fusion par cration d'une nouvelle socit). La fusion entrane la transmission universelle du patrimoine de la ou des socits absorbes ou fusionnes au profit de la socit absorbante ou nouvelle, les actionnaires de la ou des socits dissoutes tant rmunrs par des actions de la socit absorbante ou nouvelle. La technique de la fusion prsente divers intrts1. Elle permet de consolider la capacit concurrentielle des entreprises impliques, ainsi que rorganiser et souvent

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Lamy, Socits Commerciales, n1684

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simplifier la structure d'un groupe en rduisant le nombre de socits ou en y faisant entrer de nouveaux partenaires. Elle peut galement permettre un prix trs attractif de reprendre des entreprises en difficults financires mais en mesure d'atteindre une bonne productivit. Du point de vue fiscal, la fusion est avantageuse car elle permet dviter l'imposition immdiate des plus-values dgages l'occasion de l'opration et gnre des droits d'enregistrement peu levs2.

3. Les fusions internationales. Bien que les socits impliques une telle opration relvent le plus souvent d'un mme droit national, le rapprochement par voie de fusion des socits de nationalit diffrente ne devrait pas- pour le moins thoriquementtre exclut a priori. En dehors des avantages inhrents toute opration de fusion, la fusion qui s'opre entre socits trangres prsente un attrait supplmentaire, puisqu'elle permet aux entreprises impliques d'tendre leurs activits au-del des frontires des pays de leur sige. En ayant recours la technique de fusion internationale les entreprises peuvent accentuer la globalisation de leurs activits en jouant sur deux tableaux: une taille optimun qui leur permettra de consolider leur march et des conomies d'chelle qui permettront de rentabiliser la nouvelle entit au regard des investissements qui ont t ncessaires pour la constituer. C'est exactement sur les fusions transfrontalires que notre tude se focalisera. La fusion est ainsi dite transfrontalire ds lors qu'elle dpasse la simple sphre nationale. Au moins deux des socits concernes par l'opration ont leur sige social dans des tats membres diffrents.

La "merger mania" ("la manie de fusion"), constate au niveau national depuis longtemps, se place dsormais sur le terrain international. La fusion transfrontalire se trouve parmi les modalits de restructuration qui permettent aux entreprises d'organiser de faon optimale leurs branches d'activit l'aide d'lments qui peuvent videmment se situer dans plusieurs tats membres. Depuis la premire fusion transfrontalire proprement dite- ralise en 1993 entre Barclays Bank PLC et Barclays Bank SA, les oprations de ce genre se multiplient et la mode des fusions gagne de plus en plus de terrain dans plusieurs secteurs de l'conomie: les banques, le ptrole, la pharmacie, l'assurance titre d'exemple, il convient de citer le mariage intervenu entre l'amricain

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J.-J. Caussain, Fusions transfrontalires, JCP d E, n21, p. 897

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Bankers Trust et Deutsche Bank qui a amen celle-ci au premier rang mondial de la profession. En outre, l'union entre Rhne-Poulenc et l'allemand Hoechst fait du nouvel ensemble constitu- baptis Aventis- le premier entreprise pharmaceutique europen. De plus, les fusions internationales se rvlent une technique fort utile dans la rorganisation des groupes internationaux. Plus particulirement, des tablissements de crdit, des entreprises d'investissement et des compagnies d'assurances utilisent de plus en plus la technique de la fusion internationale afin de transformer leurs filiales en simples succursales3, compte tenu de la rglementation qui leur est applicable (autorits de tutelle, calcul des ratios prudentiels etc.).

4. Les obstacles aux fusions transfrontalires. Nanmoins, bien que une fusion internationale soit conomiquement avantageuse, sa mise en uvre demeure juridiquement quasi-impossible. Les premiers obstacles sur lesquels peut se heurter une telle opration sont dordre "psychosociologique".

Mme dans une poque de mondialisation, on trouve encore de traces des rflexes nationalistes; tout d'abord chez certains chefs d'entreprises qui oublie difficilement que leurs partenaires trangres ne constituent plus "l'ennemi" d'autrefois ou qui du moins redoute toute formule qui comporterait un transfert du sige social de leur entreprise dans un autre pays ou la soumettrait une direction centrale sur laquelle flotterait un autre "drapeau". Cependant, des traces nationalistes sont le plus souvent rencontres chez les gouvernements eux-mmes, la majorit des chefs de grandes entreprises tant dsormais conscients de l'importance des restructurations transfrontalires par voie de fusion et souhaitent que de telles oprations soient enfin possibles. En effet, les tats sont rticents accepter la fusion internationale notamment pour des raisons tenant au caractre impratif de leurs lois. Il est certain que cette opration est susceptible d'affaiblir le caractre impratif des lgislations nationales. Les tats redoutent que cette opration ne devienne le moyen lgal permettant aux socits d'luder leurs dispositions nationales, tout en restant prsents conomiquement sur leur territoire4. La fusion affecte l'existence mme de la socit au regard de la loi nationale. De cette affirmation rsultent d'arguments juridiques pour dire l'opration suspecte ou impossible.3

J.-J. Caussain, Les fusions internationales deviennent une ralit, Option Finance, 1997, n 478, p.19.

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Mis part de cette "dfense des nationalismes"5 manifeste par plusieurs tats, il existe galement des diffrences culturelles quil n'est gure vident d'tre concilies. Ces difficults tiennent surtout la diffrence des mentalits et des modes de pense, ainsi qu'au style diffrent des entreprises en cause, chacune prfrant ses mthodes, ses conceptions, sa stratgie.

Nanmoins ce qui pose davantage des problmes est la diffrence, souvent profonde, des traditions juridiques et, corrlativement, les disparits des lgislations nationales. Tout d'abord, la notion elle-mme de la fusion n'est pas toujours identique dans toutes les lgislations. Ce qui peut constituer une fusion sous l'angle d'un droit, ne l'est pas forcement dans un autre systme juridique6. Il en va de mme en ce qui concerne les effets de la fusion. S'il ne fait aucune difficult pour certains tats, comme la France, accepter qu'une fusion transfrontalire entrane transmission universelle du patrimoine, d'autres, comme l'Angleterre, n'envisagent que le transfert d'actifs. Mais, mme dans l'hypothse o la conception de l'opration et de ses effets est commune, les divergences de droits nationaux en ce qui concerne le droulement de la fusion sont loin d'tre minimes. Ainsi, par exemple, les droits allemand et italien organisent un contrle judiciaire ou administratif de la fusion, alors que les droits belge et luxembourgeois confient le contrle de l'opration au notaire; De mme, les rgles relatives l'tablissement du projet de fusion ou la protection des cranciers et des associes connaissent des diffrences trs sensibles7.

Les disparits des lgislations nationales peuvent galement se rvler profondes au plan fiscal. On constate des diffrences techniques, mais surtout des diffrences de politique fiscale8. Bien que la plupart des tats adoptent en droit interne des rgimes de faveur pour viter notamment la double imposition des plus-values et faciliter, ainsi, les4 M. Menjuck, La mobilit des entreprises, Rev. soc. 2001, p. 212 5 R. Routier, Les fusions de socits commerciales, L.G.D.J. 1994, n 426.

titre d'exemple, la fusion par rachat des socits anonymes constitue une particularit du droit grec par rapport aux autres droits nationaux europens. 7 B. Goldman, Rapport concernant le projet de convention sur la fusion internationale des socits anonymes, n RDTE, 1974, 6. 8 J. Bguin, La difficile harmonisation europenne du droit des fusions transfrontalires, in mlanges en n l'honneur de Christian Gavalda, Dalloz 2001, p. 25, 10.

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fusions nationales, la politique fiscale de plusieurs tats s'avre hostile aux fusions transfrontalires. Les tats redoutent que cette opration soit utilise en tant que moyen de fraude ou d'vasion fiscale et se montrent trs rticents l'gard de toute opration internationale qui risque de raliser un transfert de matire imposable. Par consquent, les rgimes de faveur restent souvent rservs aux fusions internes. En revanche, pour les oprations transfrontalires l'imposition immdiate des plus-values dgages par l'opration, en tant que bnfices, persiste et devient vite insupportable. Le cot fiscal d'une fusion est en effet prohibitif ds lors qu'il faut payer tous les impts affrents la liquidation de la socit qui disparat.

Au plan communautaire, les problmes poss par la dfense des nationalismes, d'une part, et les divergences culturelles et juridiques, de l'autre, dj ardus en eux-mmes, ont t rendus encore plus difficiles par les largissements successifs. tats plus nombreux, cela signifie plus grandes difficults se mettre d'accord. C'est particulirement le cas de l'Allemagne qui voit dans la fusion transfrontalire le moyen pour les grandes entreprises allemandes d'viter l'application du rgime de cogestion qui permet aux salaris de dsigner des reprsentants sigeant avec voix dlibrative dans les organes d'administration de leur entreprise9.

5. L'absence des dispositions internationales. Ces obstacles psychosociologiques ont fait qu', en l'tat actuel du droit positif, il n'existe pas une rglementation internationale spcifique en matire des fusions transfrontalires. De fait, force est de constater le manque de flexibilit juridique qui a gouvern le droit des fusions durant ces dernires annes, droit qui n'a pas su faire face au pragmatisme croissant de la matire. Le droit des socits na pas quitt lorbite nationale, ce qui rend la fusion transfrontalire une opration extrmement complexe et dlicate manier. Selon une phrase employe par M.Routier10 qui illustre parfaitement la situation actuelle, "l'opration esquisse relve plus de l'aventure que de la stratgie"! Cette complexit rsulte de la prsence d'un lment d'extranit, rsultant son tour de la situation des siges des socits qui fusionnent. Autrement dit, partir du moment o sont impliques dans l'opration au moins deux socits de "nationalit" diffrente, deux ou9

J. Boucourechliev, Les voies de l'Europe des socits, JCP ed. E 1996, I, p. 560.

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plusieurs droits nationaux trouvent, en principe, s'appliquer et la dtermination de la loi applicable l'opration peut s'avrer une tche extrmement malaise. Bien videmment, ces conflits des lois nationales auraient pu tre vits par la rglementation des fusions transfrontalires au niveau international. Or, tel n'est gure le cas en l'tat actuel des choses. Au plan communautaire, lopportunit de dvelopper un concept transnational de fusion s'adressant des socits relevant de lgislations nationales diffrentes, a t perue. Afin de rpondre aux ncessits d'un grand march commun, l'article 220 du Trait de Rome prvoyait que les tats membres engageraient entre eux, en tant que besoin, des ngociations en vue d'assurer en faveur de leurs ressortissants la possibilit de fusion des socits relevant des lgislations nationales diffrentes.

La Convention de la Haye du 1er juin 1956 sur la reconnaissance des socits constitue le premier texte international faire rfrence la fusion internationale11. Aux termes de l'article 4 alina 2 de la Convention "la fusion d'une socit, d'une association ou d'une fondation qui ont acquis la personnalit dans un des tats contractants, avec une socit, une association ou une fondation qui a acquis la personnalit juridique dans un autre tat contractant, sera reconnue dans tous les tats contractants, au cas o elle serait reconnue dans les tats intresss". Cette convention n'est jamais entre en vigueur faute de ratification par trois tats. De toute manire, le texte mentionn n'ajouterait pas grand chose tant donn que la fusion internationale n'est admise dans la Communaut que dans des cas exceptionnels12.

Un projet de convention sur les fusions transfrontalires fut transmis par la Commission au Conseil en 197313, mais ces travaux durent tre abandonns en 1980 faute d'un accord entre les tats membres. Une proposition de dixime directive concernant les fusions transfrontalires lance en 198514 n'et pas davantage de succs, puisqu'elle fut bloque par le Parlement europen avant mme de pouvoir parvenir dans les groupes de travail du Conseil.R. Routier, Les fusions de socits commerciales, L.G.D.J. 1994, n 930 B. Lecourt, L'influence du droit communautaire sur la constitution de groupements, L.G.D.J. 2000, n 687. 12 B. Goldman, Rapport concernant le projet de convention sur la fusion internationale des socits anonymes, RTDE, 1974, p. 29 13 Texte et rapport introductif de B. Goldman, Bull. CE, suppl. 13/73; RTDE, 1974, p. 464.11 10

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6. La technique de conflits des lois. L'absence des rgles internationales relatives aux fusions transnationales est non seulement tonnante une poque caractrise par la globalisation des activits conomiques et financires, mais galement regrettable puisquelle a pour consquence l'application en la matire de dispositions nationales par le recours la technique des conflits des lois. Elle est regrettable car le recours au raisonnement du droit international priv ne procure pas de solutions tous les problmes lis l'opration et, en consquence, il ne permet pas la gnralisation des fusions internationales. Cependant, en dpit de ses insuffisances, c'est justement le recours au droit international priv- combin avec une harmonisation minime au plan communautaire- qui a permis la ralisation des premires fusions transfrontalires. Il convient donc, ce stade introductif, d' analyser brivement la technique des conflits des lois.

Il a t dj dmontr que, compte tenu de la nationalit diffrente des socits impliques une telle opration, plusieurs lois nationales ont vocation rgir les diffrentes phases du processus de la fusion; celle de la nouvelle socit ou de la socit absorbante et celle de toute socit absorbe. La question qui se pose en premier lieu est de dfinir les lois nationales qui ont vocation jouer. Autrement dit, il faut dterminer les rgles de rattachement qui, pour les fusions, renvoient au corps de rgles de la lex societatis. Selon les systmes juridiques, cette loi est celle du sige rel de la socit considre (position adopte par le droit franais) ou bien celle de l'incorporation, autrement dite loi du lieu d'enregistrement de la socit15. La lex societatis gouverne tant les conditions de fond et de forme de la fusion que ses effets. Cela revient appliquer chaque socit les rgles de droit de l'tat dans lequel la socit considre a son sige social ou de celui dans lequel elle est enregistre.

Cependant, la question cruciale qui pose de problmes souvent insurmontables est de dterminer parmi les lois nationales dj dfinies celle qui rgira l'opration. Il est vident que, avant de procder lidentification de la loi applicable, une condition pralable doit tre remplie; il est indispensable qu'il existe dans chacun des tats dont relvent les socits participantes l'opration, un rgime juridique qui assure la

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JOCE n C 23/11 du 25 janv. 1985 M. Menjucq, Droit international et europen des socits, Montchrestien, 2001, n71 et s.

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reconnaissance rciproque tant du concept de fusion que de la forme juridique des socits impliques16. Ainsi, il faut, tout d'abord, que le droit national de chacune des socits participant la fusion reconnaisse l'existence des socits soumises la lgislation de l'autre tat. D'ailleurs, il va de soi que la fusion internationale n'est possible qu' partir du moment o cette modalit de regroupement des socits est accepte par tous les lois nationales qui ont vocation s'appliquer. En d'autres termes, une fusion transfrontalire est en principe impossible lorsque la loi rgissant une socit participante ignore la technique en cause. Il en va de mme lorsque les systmes juridiques des socits impliques contiennent de dispositions ayant pour objet ou pour effet de s'opposer aux fusions internationales17.

Une fois les conditions pralables bien remplies, il convient de dterminer le rgime juridique applicable l'opration. Lorsque la mise un uvre d'une fusion internationale exige l'accord des lois des tats de toutes les socits participantes, cette exigence semble impliquer l'application cumulative des lois des diffrentes socits18. Dans cette hypothse les socits parties l'opration seraient obliges remplir les conditions de toutes les lois en prsence. 7. Les mthodes "distributive" et "cumulative". En 1967, M. Bietzke19 a dvelopp le raisonnement internationaliste et a apport de prcisions essentielles la ralisation des fusions suivant la mthode conflictuelle. Selon l'auteur, cette application cumulative de toutes les lois impliques ne constitue pas forcment la seule solution, puisquune application distributive des lois suffit dans une large mesure, chacune des socits devant respecter les dispositions relatives aux fusions de sa propre loi dans la mesure du ncessaire.

Il suffira donc pour la socit absorbante d'observer les rgles de sa propre lex societatis pour intgrer l'autre socit, surtout les rgles sur l'augmentation du capital social qu'entrane une fusion, sans qu'il soit ncessaire quelle observe les rgles relatives la dissolution. l'inverse, la partie de la fusion qui concerne l'extinction des socits sera

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J.-J. Caussain, Fusions transfrontalires, JCP d. E, 1999, n21, p. 897. J.-J. Caussain, Fusions transfrontalires, JCP d. E, 1999, n21, p. 897. 18 M. Menjucq, Droit international et europen des socits, Montchrestien, 2001, n164 19 G. Bietzke, Les conflits des lois en matire des fusions des socits, Rev. crit. DIP 1967, p.1 et s.

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rgie par la lex societatis de la socit absorber. En gnral, la socit, qu'elle soit absorbante ou absorbe, devra suivre les prescriptions de sa loi nationale en ce qui concerne les aspects juridiques de la fusion qui n'ont aucune consquence sur les autres socits tablies l'tranger. Tel sera le cas notamment lors des diffrentes tapes conduisant chacune des socits approuver l'opration et permettre sa ralisation. En revanche, pour les lments de l'opration intressant les deux socits de manire bilatrale, c'est--dire lorsque sont directement en cause les relations entre les parties, l'opration doit tre conforme aux conditions imposes par les lois de toutes les socits qui font donc l'objet d'une application cumulative. Dans ce cas de figure, lorsqu'il existe des diffrences entre les lgislations nationales, c'est ncessairement la loi la plus restrictive qui trouvera s'appliquer20.

7. Critique du raisonnement du droit international priv. Au plan thorique, la mthode des conflits des lois semble convaincante. Toutefois, les insuffisances de ce raisonnement s'avrent nombreuses lorsque l'on essaie de faire une application pratique de cette mthode au processus de la fusion.

Le premier reproche qui pourrait tre adress la mthode conflictuelle consiste en son formalisme. Les promoteurs d'une fusion transfrontalire seront en prsence d'une opration qui peut impliquer non seulement deux socits, mais souvent trois, quatre socits ou davantage. Par consquent, en prsence de plusieurs lois qui auront vocation s'appliquer, ils voient s'affronter deux, trois, quatre systmes de conflits qui vont, ventuellement, proposer des rgles de conflits diffrentes. Lorsqu'il est possible d'en faire une application distributive, l'opration demeure jouable. Mais, dans les cas o il faut les observer simultanment pour une mme question (par exemple, pour le contenu du contrat de fusion ou le transfert universel de patrimoine de la socit absorbe la socit absorbante), la difficult de trouver des solutions compatibles avec une pluralit de systmes de conflits et de lois peut tre prohibitive de la ralisation d'une fusion transfrontalire.

Ainsi, dans le cas o l'une des lgislations concernes disposerait que l'acte doit tre tabli sous forme authentique, ce formalisme devrait tre respect mme si les autres lgislations se contentent d'un acte sous seing priv.

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De plus, on a dj indiqu que l'application de la mthode conflictuelle suppose pralablement que les systmes juridiques, dont relvent les socits qui participent l'opration, ne contiennent pas de dispositions ayant pour objet ou pour effet de s'opposer aux fusions internationales. Or, cette condition n'est pas toujours remplie. Dans l'espace europen, la transposition de diffrentes directives en matire de droit des socits a entran une harmonisation des systmes de droit de l'Union europenne qui devrait, le plus souvent, carter tout risque de rejet d'une loi d'un tat membre par l'ordre public de l'autre tat. Ainsi, la fusion transfrontalire est "compatible" avec la lgislation en vigueur en Italie, Luxembourg, au Portugal, en Espagne, en France et au Royaume Uni21. D'ailleurs, les droits italien et espagnol contiennent des dispositions expresses qui prvoient la possibilit de raliser de telles oprations22. Une socit qui relve donc une de ses lgislations, tolrables ou favorables, peut absorber la socit d'un autre tat membre ou participer la constitution d'une nouvelle socit immatricule dans un autre tat membre, mais une telle opration ne peut tre ralise qu'avec des socits d'tats membres dont la lgislation ne s'y oppose non plus. En consquence, une fusion transfrontalire d'une de ces socits ne serait pas possible avec une socit relevant du droit nerlandais, sudois, irlandais, grec, allemand, finlandais, danois ou du droit autrichien, tant donn que ses lgislations s'opposent encore la ralisation des fusions internationales23

. La Belgique a adopt une position

intermdiaire. Selon la lgislation de ce pays, une socit belge peut absorber une socit d'un autre tat membre, mais elle ne peut pas se faire absorber par une socit de nationalit diffrente.

Sous l'angle du droit franais, les conditions de ralisation d'une fusion transfrontalire seront plus ou moins contraignantes selon que la ou les socits franaises concernes sont en position d'absorbe ou d'absorbante. Lorsque la socit franaise a la qualit d'absorbante, le droit ne pose aucune restriction particulire la ralisation de l'opration. l'inverse, lorsque c'est une socit franaise qui doit tre absorbe la

F. Blanquet, Les fusions transfrontalires et la mobilit des socits, Rev. Soc. 2000, n 118, p. 116, note n4. 22 J.-J. Caussain, Fusions transfrontalires, JCP d. E, 1999, n 21, p. 898. 23 F. Blanquet, Les fusions transfrontalires et la mobilit des socits, Rev. Soc. 2000, n 118, p. 116, note n5.

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situation se complique significativement. Bien que critiquable, la position du droit franais consiste analyser l'absorption d'une socit franaise par une socit d'un autre tat comme un transfert de sige social, ncessitant l'accord unanime des associs, dans la mesure o la fusion impliquerait un changement de nationalit pour la socit franaise absorbe24. Cette situation est donc assimile un changement de sige social. Lexigence d'unanimit constitue l'obstacle majeur aux fusions transfrontalires impliquant une socit franaise dont l'actionnariat est dispers. Cependant, cet obstacle ne constitue pas une particularit du droit franais. L'Italie, l'Espagne et le Portugal sont les seuls pays europens ne pas exiger un accord unanime25. Cela explique pourquoi la plupart des oprations de fusions connues se sont ralises sous la forme d'absorption par leur socit mre de filiales 100%26.

8. La ncessit des rgles uniformes. Pour les raisons que l'on vient d'exposer, il n'est pas toujours possible de rsoudre les problmes inhrents la fusion internationale en dterminant, selon le cas, une loi applicable diffrente pour tel ou tel stade de l'opration. Finalement, est-il souhaitable de distinguer les diffrentes tapes d'une fusion afin de procder une application "cumulative" ou "distributive" des lois nationales? Aux termes de M. Bguin27, " ce n'est pas une juxtaposition d'oprations isoles. C'est une opration de stratgie commerciale ou industrielle soit l'intrieur d'un groupe, soit dans le cadre du rapprochement de groupes ou d'entits". Les solutions appliquer sont souvent difficilement divisibles, de sorte qu'elles ne puissent tre simplement puises, pour chaque socit, dans la loi dont elle relve. D'ailleurs, l'application de la mthode conflictuelle -lorsquelle serait possibleconduirait, en raison des divergences entre les lois des tats, rendre le rgime juridique des fusions internationales, tantt plus libral, tantt plus restrictif, selon qu'elles auraient t soumises, en raison du rattachement des socits intresses, aux lois de tel ou tel tat. D'o le besoin impratif dune uniformisation des droits nationaux et une harmonisation des solutions, afin que les fusions transfrontalires puissent enfin se gnraliser.

R. Routier, Les fusions de socits commerciales, LGDJ, 1994, p. 140. J.-J. Daigre, Les fusions internationales: Esquisse d'une analyse et de solutions, Actes pratiques, juilletaot 1998, p.3 26 Fusion de Barclays PLC de sa filiale Barclays SA, fusion de sa filiale espagnole Damart par Belmart SA, absorption d'une filiale portugaise par PSA Finance Holding.25

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C'est dans le but de pallier l'absence d'une rglementation internationale propre aux fusions transfrontalires que, depuis de nombreuses annes, sous diverses dnominations et plusieurs reprises, les instances communautaires, conscientes de l'indniable utilit de la fusion pour le dveloppement du march unique, ont tent d'tablir des rgles spcifiques aux fusions transfrontalires. La Commission avait elle-mme exprim les raisons pour lesquelles elle souhaitait voir se raliser le projet d'un statut europen de socit, dans un mmorandum publi en 196628, dans lequel elle faisait valoir l'importance des fusions transfrontalires dans le cadre de sa politique de concurrence, d'une part au regard de l'achvement du march intrieur et d'autre part au regard de la comptitivit face aux socits extracommunautaires.

la suite de l'chec du projet de Convention sur la fusion internationale des socits anonymes en 1972, les autorits communautaires prirent en considration la difficult de mettre au point un texte uniforme en la matire. Elles tournrent ainsi vers la directive qui, en raison de sa souplesse, tend devenir la voie privilgie de l'harmonisation. En 1985, fut-elle lance une proposition de dixime directive concernant les aspects juridiques des fusions intracommunautaires. Or, malgr la flexibilit de la dmarche des autorits communautaires, cette proposition de directive n'a pas encore t adopte.

9. Les avances au plan communautaire. Cependant, des pas importants ont t franchis au niveau communautaire, conduisant la leve des principaux obstacles la ralisation des fusions transfrontalires.

Tout d'abord, la reconnaissance mutuelle des socits europennes, condition pralable de la fusion entre socits relevant des droits diffrents, ne constitue plus une question d'actualit. Malgr l'absence d'une convention ou d'une directive europenne en la matire, l'harmonisation des diffrents droits des socits atteint actuellement un tel degr

J. Bguin, La difficile harmonisation europenne du droit des fusions transfrontalires, in mlanges en l'honneur de Christian Gavalda, Dalloz 2001, p. 34. 28 Mmorandum de la Commission europenne sur le projet de socit commerciale europenne, RTDE 1996, p. 409

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de rapprochement que l'hypothse de la contestation des conditions d'existence d'une socit est carte sur tout l'espace europen29. Ensuite, l'adoption et la transposition de la troisime directive30 sur les fusions des socits anonymes a introduit dans toutes les lgislations europennes la notion de la fusion et, de plus, de faon uniforme. La directive prvoit que les tats membres organisent pour les socits relevant de leur droit, la fusion par absorption d'une ou plusieurs socits par une autre et la fusion par constitution d'une nouvelle socit31. Ainsi, par del son apport technique, ce texte a eu le mrite de faire en sorte que toutes les lgislations nationales partagent une conception commune de l'opration, ce qui constitue une deuxime condition pour la mise en uvre d'une fusion internationale. Un progrs trs important a rsult galement par l'adoption et la transposition de la directive 90/434 du 23 juillet 199032, dite directive "fusions". Ce texte, qui permet dassurer la neutralit du cot fiscal d'une fusion transfrontalire, repose sur le principe de la suspension d'imposition des plus-values dgages de l'opration: le prlvement est repouss jusqu'au jour o la plus-value est effectivement ralise dans le patrimoine de la socit absorbante. Par consquent, ce texte vise ce que la ralisation de telles oprations ne soit pas entrave par des considrations fiscales. Or, la transposition de la directive dans les droits des certains tats membres a t ralise de faon incomplte ou contestable, ce qui rend l'harmonisation des droits en la matire imparfaite33.

10. Les premires fusions transfrontalires-intracommunautaires. Malgr l'absence de runion des conditions juridiques idales, les premires fusions internationales ont pu tre ralise grce la transposition -mme parfois incomplte- de la troisime directive et, surtout, de la directive "fiscale", mais aussi grce l'habilet et l'imagination des praticiens. Selon les termes employs par M. Menjucq, "trois lments semblent autoriser la mise en uvre des fusions transfrontalires entre les socits d'un certain nombre d'tats: l'harmonisation des droits nationaux par les troisime et sixime directives, l'influence indirecte du droit communautaire sur les lgislateurs nationaux les conduisant

B. Lecourt, L'influence du droit communautaire sur la constitution de groupements, LGDJ, 2000, n 677. Dir. 78/855/CEE du Conseil, 9 oct. 1978, JOCE n L.295, 20 oct. 1978, p.36 31 Article 2 de la directive. 32 JOCE 225/1 du 20 aot 1990 33 J.Bguin, La difficile harmonisation europenne du droit des fusions transfrontalires, in mlanges en l'honneur de Christian Gavalda, Dalloz 2001, p. 27, n1230

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une certaine convergence des solutions et enfin une apprhension plus contractuelle des oprations de fusion"34.

Le cas que citent traditionnellement comme exemple les auteurs, est la fusionabsorption de Barclays Bank SA par sa mre britannique, Barclays Bank PLC35. D'ailleurs, ralise en 1993, elle fut la premire fusion internationale. Cette premire fusion, mais galement d'autres qui l'ont suivi chronologiquement36, dmontre qu'une fusion internationale n'est plus impossible, comme le croyait une partie de la doctrine. Cependant, des incertitudes persistent. Car, en l'tat actuel des choses il n'existe pas d'autre voie que celle de la mthode conflictuelle, avec toutes les consquences de complexit qu'elle implique. C'est exactement ce passage obligatoire par les lgislations nationales qui empche la gnralisation des telles oprations. Ces dernires se heurtent notamment sur l'exigence d'un accord unanime des associs de la socit absorbe et il ne s'agit gure d'une coincidance que la plupart des oprations de fusions connues jusqu' prsent se sont ralises sous la forme d'absorption par leur socit mre de filiales 100%.

En gnral, les fusions internationales sont encore loin d'tre facilites et banalises. Ce qui oblige les oprateurs conomiques de recourir aux autres modes de concentrations afin de dvelopper leurs activits et les tendre aux autres pistes des marchs. Dans la situation actuelle le modle dominant reste le groupe qui runit des socits soumises des lois nationales diffrentes.

11. L'apport de la socit europenne. Ainsi, mme si l'application des rgles de conflit des lois a permis la ralisation d'un certain nombre d'oprations de fusions entre socits relevant des tats membres diffrents, il subsiste cependant la difficult lie l'exigence d'unanimit. De ce point de vue la socit europenne apporte une solution puisqu'elle permet plusieurs socits de se regrouper sans avoir recueillir de leurs membres une dcision unanime.

M. Menjucq, Droit international et europen des socits, Montchrestien, 2001, n170-1 A.Viandier - J.-J. Caussain, Droit des socits, Chronique, JCP d E, 1999, n 48, p. 710 ; M. Cozian A.Viandier - Fl. Deboissy, Droit des socits, 13me d. LITEC, n 1751 36 Par exemple, la fusion- adsorption de la socit franaise Financire Sema par sa mre anglaise Sema group.35

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l'issue de discussions qui auront dur plus de trente annes et aprs une longue srie d'checs, la socit europenne a enfin vu le jour le 20 dcembre 2000, lors de la Confrence intergouvernementale de Nice. Elle est rgie par deux textes distincts: le rglement CE n 2157/2001 qui dfinit le statut de la Societas Europea et la directive 2001/86/CE du Conseil relative l'implication des salaris dans celle-ci.

Le cadre restreint de cette tude interdit d'analyser le statut de la socit europenne dans son dtail. Ainsi, seront-ils envisags seuls ses apports relatifs la mobilit des entreprises dans l'espace europen et, plus particulirement, son importance en matire des fusions intracommunautaires. En effet, la nouvelle structure de la Socit europenne se prsente comme un vritable vecteur de la circulation des socits dans l'espace europen37. Mis part du fait qu'il est possible pour la socit europenne de transfrer son sige statutaire sur le territoire europen sans qu'il soit besoin d'une dcision unanime des associs38, on s'intressera aux possibilits qu'elle offre aux socits ressortissant des tats membres de raliser de fusions intracommunautaires.

Selon l'article 2 alina 1 du rglement sur le statut de la socit europenne, la fusion constitue la premire mode de constitution d'une socit europenne. Aux termes de la mme disposition, il faut qu'il s'agisse d'une fusion entre au moins deux socits relevant du droit des tats membres diffrents. En bref, la fusion transfrontalire est dsormais expressment prvue en tant que mode de cration d'une socit europenne. Ainsi, dans le cas de la fusion par absorption, la socit absorbante prend la forme de SE simultanment la fusion, tandis que dans l'hypothse de la fusion par constitution d'une socit nouvelle, la socit europenne n'est que cette nouvelle socit39. L'intrt majeur d'une fusion qui aboutirait la cration d'une SE rside dans l'absence de condition d'unanimit de la part des associs des socits qui fusionnent. De fait, le rglement organise la fusion des socits anonymes d'tats membres diffrents aux conditions de la directive 78/855/CE relatives aux fusions internes. Il en rsulte que ce texte autorise la ralisation des fusions transfrontalires aux conditions de dcision de la fusion interne, savoir, sans exigence d'unanimit.

37 38

M. Menjucq, Droit international et europen des socits, Montchrestien, 2001, n108. Article 8 du rglement du 8 octobre 2001. 39 Article 17 du rglement.

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Enfin, il convient d'ajouter que le rglement contient des dispositions matrielles qui facilitent la ralisation de fusions concernant, notamment, la transmission universelle du patrimoine ou encore le sort de la socit absorbe.

En tout tat de cause, l'adoption du rglement et de la directive relatifs la SE a le mrite de dmontrer qu'une solution politique a pu tre apporte la dlicate question de la participation des travailleurs dans la SE dbattue pendant de nombreuses annes. On peut alors esprer trouver un compromis analogue dans le cadre des discussions sur la proposition de dixime directive concernant les fusions transfrontalires, jusqu' prsent bloque, notamment cause des rticences allemandes.

12. De nombreux points laisss en suspens. En dpit de l'apport indniable de la socit europenne en matire des fusions internationales, elle n'est pas en soi suffisante pour raliser des restructurations d'entreprises au sein de l'Union europenne. Pour atteindre cet objectif, les textes sur la SE doivent tre complts par la proposition de dixime directive prcite sur les fusions transfrontalires40.

La place important que le rglement rserve aux lgislations nationales constitue une premire faiblesse de la socit europenne. En consquence, le risque de conflits des lois sur certains points n'est pas tout fait exclut. La solution idale pour les acteurs serait de pouvoir soumettre leurs oprations de fusion un droit matriel unique. Avec la socit europenne ils se trouvent, au contraire, nouveau confronts l'application distributive des diffrents droits nationaux concerns par l'opration de restructuration, ce qui peut faire encore planer une grande incertitude.

Cependant, ce qui s'avre le plus "gnant" pour la majorit de la doctrine est que la socit europenne soit rserve aux seules socits anonymes41

. En outre, en prvoyant

un capital minimum assez lev42, le nouveau rglement ne permet l'accs la SE qu'aux entreprises europennes de grande taille. Compte tenu de ces restrictions, l' on doit s'interroger de la pertinence de priver les petites et moyennes entreprises, qui constituent

40 41

J.-M. Bischoff, Aspects de droit international priv, Petites Affiches, 16 avril 2002, n 76, p.45. Article 1 du rglement. 42 120000 , selon l'article 2 alina 2 du rglement.

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d'ailleurs l'essentiel du tissu conomique europen, de ce moyen de mobilit au sein de l'Union. Beaucoup de voix se sont donc leves pour demander la cration non pas d'un statut de socit europenne, mais de deux: un statut de SE, dj adopt et destin aux socits ouvertes largement l'actionnariat europen, mais galement, un statut de socit ferme, dont les caractristiques seraient une plus grande souplesse et une transparence moindre43. Ainsi, la Chambre de Commerce et de l'industrie de Paris et le Mouvement des entreprises de France ont-ils propos la cration d'une "socit prive europenne"44, sorte de contre-position au rglement de la socit europenne. L'adoption de cette proposition par les autorits communautaires constituerait une volution trs positive en vue de la gnralisation des fusions internationales.

La question de rendre possibles les fusions internationales n'est pas un problme propre l'Union europen. En revanche, il s'agit d'un problme juridique international qui apparat urgent l o les conditions conomiques sont semblables. Nanmoins, on bornera notre tude sur les fusions transfrontalires dans l'espace europen, tant donn de l'importance des avances effectues au niveau communautaire, tant au plan lgislatif qu'au plan pratique. On traitera, ainsi, dans un premier temps, les solutions envisages et envisageables en l'tat actuel du droit positif europen (I), avant d'analyser les avances du droit communautaire vers une rglementation propre aux fusions transfrontalires (II).

J.Simon, La socit par actions simplifier et la proposition de cration dune socit prive europenne, Rev. Soc. 2000, p. 263-270. 44 Projet disponible sur le site de la CCIP: www.ccip.fr/etudes/dossiers/spe

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PREMIRE PARTIE: LES SOLUTIONS ENVISAGES ET ENVISAGEABLES EN L'ABSENCE D'UN CADRE JURIDIQUE PROPRE AUX FUSIONS TRANSFRONTALIRES

Vu les obstacles qui persistent et compte tenu de l'absence des dispositions internationales propres aux fusions transfrontalires, il est souvent affirm que ces oprations sont actuellement pratiquement impossibles45. Cependant, impossible ne semble pas tre le qualificatif le mieux adapt. Les exemples des premires fusions transfrontalires dmontrent que ces oprations sont difficiles et complexes, mais, en tous cas, ralisables (CHAPITRE II). Cependant, ces avances considrables de la pratique des affaires n'ont pu tre effectues qu'aprs une harmonisation des droits des socits europens (CHAPITRE I).

CHAPITRE I: La leve des principaux obstacles au plan communautaire: un nivellement minimum des lgislations des tats membres.

Mme s'il ne facilite pas des oprations socitaires transfrontalires importantes, pourtant "un droit europen des socits existe bel et bien aujourd'hui"46. Le lgislateur europen a, depuis longtemps, pris conscience du besoin d'harmoniser les droits des socits des tats membres; la dmarche tait indispensable si l'on voulait que chaque droit des socits offre des garanties quivalentes aux associs et aux tiers, conformment aux dispositions de l'article 54-3 g du Trait de Rome qui prescrit d'harmoniser "pour prserver les intrts des associs et des tiers". Mais, cette harmonisation s'avre trs importante galement en matire des fusions entre socits relevant des lgislations diffrentes. En effet, l'adoption de diffrentes directives en matire de droit des socits a permis d'carter certains obstacles juridiques, jusqu'alors insurmontables, mais, surtout, de diminuer au minimum les inconvnients fiscaux que peut impliquer une fusion transfrontalire.Y. Guyon, Droit des affaires, 11e d., Economica, n 639 - H. Le Nabasque, Le droit europen des socits et les oprations transfrontalires, Mlanges en l'honneur de Claude Champaud, Dalloz, 1997, p. 417- J. Bguin, La difficile harmonisation europenne du droit des fusions transfrontalires, Mlanges en l'honneur de C. Gavalda, Dalloz, 2001, p. 19, F. Blanquet, Les fusions transfrontalires et la mobilit des socits, Rev. Soc. 2000, p.115. 46 H. Le Habasque, Le droit europen des socits et les oprations transfrontalires, Mlanges en l'honneur de Claude Champaud, Dalloz 1997, p. 417.45

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SECTION I. L'limination des certains obstacles juridiques

Pour que les socits europennes puissent fusionner entre elles, il faut tout d'abord que ces entits juridiques soit reconnues en tant que telles. De plus, il est indispensable que tous les droits aient la mme perception de l'opration de fusion.

A. La reconnaissance des socits trangres

La reconnaissance des socits trangres, qui peut se dfinir comme "l'admission sur le territoire national de l'existence et des effets d'une personne juridique morale trangre"47, constitue un pralable ncessaire toute opration de restructuration qui concernerait des socits relevant de plus d'un tat. L'opration de la fusion implique la participation des entits juridiques quivalentes. Il est vident qu'une socit relevant d'un tat ne peut pas fusionner avec une socit trangre lorsque la lgislation de cet tat ne la reconnat pas en tant que telle. Selon les termes de M. Bietzke48, "la fusion ne peut tre ralise que par des socits fondes selon les lois de deux ou plusieurs pays, entre lesquels existe un rgime de reconnaissance rciproque des socits".

L'article 220 du trait de Rome enjoignait aux tats membres d'ouvrir des ngociations sur, parmi d'autres sujets de droit des socits, la reconnaissance mutuelle des socits. Nanmoins, la Convention europenne de Bruxelles sur la reconnaissance mutuelle, signe le 29 fvrier 1968, n'a jamais t entre en vigueur faute d'avoir recueilli les ratifications ncessaires. D'ailleurs, la Convention de la Haye (1er juin 1956) pour la reconnaissance de plein droit des socits, associations et fondations des autres tats n'a non plus eu d'aboutissement.

Cependant, malgr ce vide juridique, il n'existe pas d'exemple en pratique d'un refus de reconnaissance. Il semble qu'il existe aujourd'hui une sorte de droit communautaire coutumier qui fait qu'il n'est plus ncessaire de recourir au systme conventionnel prvu par l'article 220 du Trait. La constitution d'un corps commun des47 48

M. Menjucq, Droit international et europen des socits, Montchrestien, 2001, n48. G. Bietzke, Les conflits des lois en matire des fusions des socits, Rev. crit. DIP 1967, p.5.

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dispositions relatives la publicit, la validit des engagements sociaux et la nullit des socits bien identifies49, la constitution des socits anonymes, au maintien et la modification de leur capital50, leur fusion et leur scission51, aux comptes annuels52 et consolids53 et aux personnes habilites les contrler54 etc., font qu'il parat bien difficile de contester, d'un tat l'autre, la reconnaissance mutuelle de socits rgies par de rgles analogues ou par de rgles procdant de la mme inspiration. D'ailleurs, les tats membres disposent entre eux d'un rseau fourni des conventions bilatrales de reconnaissance et d'tablissement.

Une autre raison qui explique pourquoi cette question ne se pose plus dans l'espace communautaire, prend appui sur le droit d'tablissement. En effet, l'article 48 du trait de Rome contient une "reconnaissance lgale expresse des socits". Aux termes de cette disposition, les socits constitues conformment la lgislation d'un tat membre et ayant leur sige statutaire ou rel dans l'Union europenne sont assimiles aux ressortissants, personnes physiques des tats membres. La Cour de justice des communauts europennes fait rfrence cet article dans l'arrt Centros55. Les socits qui respectent les deux conditions de l'article 48 du trait, c'est--dire qui respectent les rgles de constitution dans l'tat de cration et qui sont tablies l'intrieur de l'Union, ont le droit d'exercer leur activit dans un autre tat membre. La reconnaissance mutuelle est donc rentre dans les faits.

B. L'adoption de la troisime directive.

La troisime directive 78/855 sur les fusions des socits anonymes fut adopte par le Conseil europen le 9 octobre 197856. Son fondement juridique est l'article 54-3 g du trait de Rome qui prvoit la coordination du droit des socits des diffrents tats membres.

49 50

1er Dir. Cons., n 68/151, 9 mars 1968. 2me Dir. Cons., n 77/91, 13 dc. 1976. 51 3me Dir. Cons., n 78/885, 9 oct. 1978. 52 4me Dir. Cons., n 78/660, 25 juill. 1978. 53 7me Dir. Cons., n 83/349, 13 juin 1983. 54 8me Dir. Cons., n 84/253, 10 avr. 1984. 55 CJCE, 9 mars 1999, Centros, Bull. Joly, 1999, p. 705. 56 JOCE, L. 295, 20 oct. 1978.

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Lobjet de cette directive est la protection des intrts des actionnaires et des tiers en cas de fusion entre socits d'un mme tat membre. Elle ne rglemente donc que les oprations internes. Cependant, en faisant ainsi, elle a cr la base commune ncessaire pour permettre les fusions entre des socits relevant du droit d'tats membres diffrents.

1. Le contenu de la directive

La directive invite, en premier lieu, les tats membres organiser deux formes de fusion des socits relevant de leurs lgislations; la fusion par absorption et la fusion par constitution d'une nouvelle socit 57. Ainsi, la fusion par absorption y est dfinie comme "l'opration par laquelle une ou plusieurs socits transfrent une autre, par suite d'une dissolution sans liquidation, l'ensemble de leur patrimoine activement et passivement moyennant l'attribution aux actionnaires de la ou des socits absorbes d'actions de la socit absorbante et, ventuellement, d'une soulte en espces ne dpassant pas 10% de la valeur nominale des actions attribues ou, dfaut de valeur nominale, de leur pair comptable"58. Respectivement, la fusion par constitution d'une nouvelle socit se dfinie comme "l'opration par laquelle plusieurs socits transfrent une socit qu'elles constituent, par suite de leur dissolution sans liquidation, l'ensemble de leur patrimoine activement et passivement moyennant l'attribution leurs actionnaires d'actions de la nouvelle socit et, ventuellement, d'une soulte en espces ne dpassant pas 10% de la valeur nominale des actions attribues ou, dfaut de valeur nominale, de leur pair comptable"59.

Ensuite, la directive prescrit certaines formalits et mesures visant protger les actionnaires et les cranciers, dont un vote favorable de l'assemble gnrale de chaque socit concerne et la production obligatoire de quatre documents (projet exposant les conditions de la fusion, rapport de l'organe d'administration ou de direction, valuation d'un expert, tat comptable), des comptes annuels de trois derniers exercices et d'"un systme de protection adquat [non dfini]" des cranciers de chaque socit60. Ces exigences - l'exception de celles relatives la protection expresse des cranciers- peuvent

57 58

Article 2 de la directive. Article 3 de la directive. 59 Article 4 de la directive. 60 Articles 5, 7, 9, 11 et 13.

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tre assouplies pour la socit absorbante, mais tous les documents doivent tre prpars et tenus disposition et la convocation d'une assemble gnrale doit pouvoir tre exige par des actionnaires reprsentant 5 % ou plus du capital souscrit61. La directive impose galement aux lgislations nationales d'adopter un certain nombre de dispositions visant protger les droits des travailleurs62, des obligataires63 et des titulaires de titres auxquels sont attachs des droits spciaux64, ce systme de protection devant tre assorti de garanties adquates. De plus, les rdacteurs de la directive expriment une proccupation relative la scurit juridique en limitant les conditions dans lesquelles peut tre prononce la nullit de la fusion. Le texte permet toutefois la nullit s'il est tabli que la dcision de l'assemble gnrale est nulle ou annulable en vertu du droit national.

Surtout, il conviendrait de souligner que la troisime directive, en imposant une notion de la fusion commune pour tous les tats membres, elle harmonise les droits nationaux en ce qui concerne galement les effets de l'opration. L'article 19 de la directive dispose, cet gard, que "la fusion entrane ipso jure et simultanment les effets suivants: a) la transmission universelle, tant entre la socit absorbe et la socit absorbante qu l'gard des tiers, de l'ensemble du patrimoine actif et passif de la socit absorbe la socit absorbante, b) les actionnaires de la socit absorbe deviennent actionnaires de la socit absorbante et c) la socit absorbe cesse d'exister".

2. L'impact de la directive en matire des fusions internationales

L'lment qui nous intresse, dans le cadre de cette tude, consiste en ce que la troisime directive vise non seulement coordonner les diffrentes dispositions nationales qui, en la matire, prsentait des divergences trs sensibles, mais galement introduire dans les droits de tous les tats membres la technique de la fusion. Les fusions entre deux socits relevant d'tats membres diffrents sont, en effet, impossibles si la lgislation de l'un des deux tats ne la prvoit pas. La situation peut tre compare au mariage de deux

61 62

Article 8, et notamment son point b) qui renvoie l'article 11. Article 12. 63 Article 14. 64 Article 15.

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futurs poux de nationalit diffrente; ce mariage sera impossible si la loi nationale de l'un des futurs poux l'interdit65.

En effet, avant l'adoption de la troisime directive, les diffrences accuses dans les droits nationaux des tats membres taient profondes. Abstraction faite des divergences au niveau procdural, l'institution mme de la fusion n'tait par admise par toutes les lgislations. Ainsi, la fusion tait inconnue aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Irlande. Les lgislations allemande, italienne et franaise contenaient une dfinition prcise de l'opration, alors que, sous l'angle des droits belge et luxembourgeois, la fusion n'existait pratiquement qu' travers des dispositions fiscales66. Pareillement, des disparits srieuses existaient en ce qui concerne galement la notion de la fusion et ses effets, les droits des tats membres n'admettant pas forcement la transmission universelle de patrimoine.

La troisime directive a donc le mrite d'avoir introduit dans les lgislations nationales une conception commune de la fusion et d'avoir amoindri les disparits que prsentaient les diffrents droits. Le droit interne des fusions est, dsormais, suffisamment harmonis pour que les principes juridiques dissemblables ne soient pas un frein ou un obstacle la faisabilit des restructurations par voie des fusions transfrontalires. Ainsi, aprs la transposition de la directive, un tat membre ne pourrait s'opposer une fusion d'une socit, dont le sige est situ sur son territoire, avec une socit d'un autre tat membre, ni mconnatre les effets du mcanisme du transfert universel de patrimoine qu'il connat pour l'avoir lui-mme transpos dans sa lgislation. D'ailleurs, il ne saurait non plus prtendre que l'opration se heurte sur une disposition d'ordre public; la troisime directive assure des garanties suffisantes, tant aux associs qu'aux tiers67.

Certes, cette harmonisation n'est pas complte. Le fonctionnement mme des socits anonymes et, notamment la structure de leurs organes font encore l'objet de dispositions bien disparates. En outre, il convient d'ajouter que la transposition de cette

65 66

G. Bietzke, Les conflits des lois en matire des fusions des socits, Rev. crit. DIP 1967, p.12. B. Lecourt, L'influence du droit communautaire sur la constitution de groupements, LGDJ, 2000, n 703. 67 J.-J. Caussain, Des fusions transfrontalires dans l'Union europenne, Droit bancaire et financier, Mlanges AEDBF-France II, Bandue diteur, 1999, n 14.

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directive dans les droits nationaux a t gnralement tardive68, mais aussi parfois contestable.

Toutefois, l'adoption de la troisime directive constitue le premier pas, chronologiquement, vers la circulation, au sens large, des socits dans l'espace europen. D'ailleurs, ce texte a pu, en oprant une harmonisation en gnral satisfaisante, servir de base aux projets relatifs aux fusions internationales et leur rgime fiscal. L'intention du lgislateur europen de procder par rfrence la troisime directive est explicitement expose dans les considrants du Conseil la proposition de dixime directive concernant les fusions transfrontalires des socits anonymes. Ainsi, selon les rdacteurs de cette proposition "dans les trs nombreux cas o l'organisation de la fusion interne et celle de la fusion transfrontalire concordent, la prsente directive peut renvoyer aux dispositions correspondantes de la directive 78/855/CEE et permet donc en mme temps d'assurer l'excution et l'interprtation uniformes des deux rglementations mieux qu'il serait possible de la faire dans le cas de deux textes de nature diffrente"69.

SECTION II: L'existence d'un cadre fiscale europen

L'apport de la troisime directive a rendu concevables les oprations des fusions transfrontalires au sein de l'Union europenne. Cependant, cette harmonisation risquait de s'avrer vaine puisque les obstacles au plan fiscal persistaient. Le cot fiscal d'une fusion transfrontalire devenait insupportable pour les socits intresses ds lors qu'il fallait payer tous les impts affrents la disparition des socits absorbes.

La fusion, telle qu'elle a t dfinie par la troisime directive, entrane la transmission universelle du patrimoine de la socit absorbe au profit de la socit absorbante qui le recueille. Cette transmission universelle implique ncessairement la dissolution immdiate de la socit absorbe, qui se produit sans liquidation. Ainsi, en labsence de mesures particulires, une fusion des socits devrait entraner les

H. Le Habasque, Le droit europen des socits et les oprations transfrontalires, Mlanges en l'honneur de Claude Champaud, Dalloz 1997, p. 420. 69 Considrant n3 de la proposition de dixime directive, JOCE n C 23/11 du 25 janv. 1985

68

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consquences fiscales d'une cessation totale d'entreprise70, ce qui est susceptible de rendre le cot de l'opration particulirement dissuasif pour la mise en uvre d'une fusion.

C'est exactement dans le but d'encourager les restructurations d'entreprises par voie de fusion que les lgislateurs dans la plupart des tats ont instaur des mesures fiscales de faveur qui tendent assurer le report de la taxation des plus-values dgages ventuellement par l'opration. En France, par exemple, le lgislateur a institu un dispositif fiscal particulier (prvu principalement aux articles 210A et ss du CGI) qui tend confrer la fusion le caractre d'une opration intercalaire l'issue de laquelle la socit absorbante est la continuatrice de la socit absorbe.

De tels rgimes fiscaux de faveur s'appliquent toutefois avec rserve ds lors qu'interviennent socits nationales et trangres, et, plus particulirement, lorsqu'une socit nationale est en position d'absorbante et de socit apporteuse71. Les tats se montrent, plus ou moins, mfiants vis--vis aux fusions transfrontalires, considrs comme porteuses d'un risque de fuite de matire imposable. L'opration de fusion transfrontalire a pour consquence de sortir d'un tat donn les biens ou les valeurs de patrimoine des socits participant la fusion pour les transfrer une socit constitue dans un autre tat. Or ce transfert, en l'absence de dispositions spcifiques, est susceptible, de dclencher d'impositions encore plus lourdes que s'il s'agissait d'une fusion interne. En effet, des doubles impositions peuvent rsulter des diffrences de lgislation, applicables respectivement dans l'tat de la socit apporteuse et dans l'tat de la socit bnficiaire des apports72. D'ailleurs, une fusion transfrontalire, quelle que soit la procdure juridique suivie, aboutit une dlocalisation gnratrice son tour de srieux problmes fiscaux. Comme le remarque un auteur, "les disparits des fiscalits nationales entranent une vritable "pnalisation" des fusions transfrontalires"73.

Ces obstacles fiscaux qui constituaient depuis longtemps un frein aux fusions entre socits de nationalit diffrente ont t, pour l'essentiel, levs au plan communautaire,ditions Francis Lefebvre, La pratique des restructurations, 2001, n 150. Par exemple, le droit franais exige qu'un agrment soit donn par l'Administration; ditions Francis Lefebvre, La pratique des restructurations, 2001, n 25055 72 J.-J. Cappelaere, La directive communautaire du 23 juillet 1990 sur les fusions, Petites Affiches, 1992, n 21, p.21.71 70

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avec l'adoption de la directive 90/434/CEE74 qui a tablit un "rgime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et change d'actions intressant des socits d'tats membres diffrents".

A. Prsentation de la directive "fiscale"

La directive 90/434/CEE n'est que l'aboutissement d'un long processus, puisque la Commission a, ds 1967, inscrit l'action communautaire tendant l'limination des obstacles fiscaux la concentration et la restructuration des entreprises parmi les objectifs importants de son programme d'action fiscale75. Les fusions intressant des socits d'tats membres diffrents "peuvent tre ncessaires pour crer dans la Communaut des conditions analogues celles d'un march intrieur et pour assurer ainsi l'tablissement et le bon fonctionnement du march commun". Ce texte vise viter que les fusions transfrontalires au sein de l'Union europenne ne soient entraves par des restrictions, des dsavantages, des distorsions, dcoulant des dispositions fiscales des tats membres. Ainsi, il instaure un rgime fiscal commun qui assure une neutralit fiscale de l'opration.

1. Champ d'application de la directive.

La directive ne vise, effectivement, que les seules fusions internationales ou selon les termes de la directive les oprations de fusion"qui concernent des socits de deux ou de plusieurs tats membres diffrents"76. Ds lors, la prsence d'un lment d'extranit parat obligatoire pour que puisse tre invoque la directive.

Le champ dapplication de la directive est dlimit par les articles 2 et 3. Le premier donne les dfinitions des oprations vises. Ces dfinitions sont similaires celles figurant dans la troisime directive. Mais, il est expressment ajout que constitue une fusion l'opration par laquelle "une socit transfre, par suite et au moment de sa

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P. Dibout, La directive communautaire du 23 juillet 1990 relative au rgime fiscal commun des fusions, scissions et apports partiels d'actifs, Dr. Fiscal, 1990, n 49, p.1655 74 JOCE, L.225 du 20 aot 1990 75 Programme d'action fiscale prsent par la Commission le 8 fvrier 1967 76 Article 1 de la directive.

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dissolution sans liquidation, l'ensemble de son patrimoine, activement et passivement, la socit qui dtient la totalit des titres reprsentatifs de son capital social". L'article 3 dsigne les socits vises. Pour relever du rgime fiscal commun, la socit doit, en premier lieu, revtir une des formes numres en annexe la directive. Ensuite, la socit doit tre considre selon la lgislation fiscale d'un tat membre comme ayant dans cet tat son domicile fiscal. Enfin, elle doit tre assujettie, sans possibilit d'option et sans tre exonre, l'impt sur les socits ou un impt quivalent.

2. Le rgime fiscal commun

Dans son principe, le "rgime fiscal commun", institu par la directive, tend viter toute imposition l'occasion d'une fusion transfrontalire, tout en sauvegardant les intrts financiers de l'tat de la socit apporteuse77. Pour atteindre cet objectif de neutralit, la technique fiscale approprie est celle du report d'imposition. Car elle vite toute imposition de bnfices ou de plus-values l'occasion de l'opration elle-mme tout en assurant leur imposition ultrieure, par l'tat de la socit apporteuse, au moment de leur ralisation effective par la socit bnficiaire des apports78. En d'autres termes, la neutralit fiscale des fusions internationales est assure par un transfert de la matire imposable de la socit apporteuse (socit absorbe) celle bnficiaire des apports (socit absorbante ou nouvelle), et cela sans modifier la comptence fiscale des tats concerns.

Ainsi, en son article 4 alina 1, la directive pose le principe de la non-imposition des plus-values dtermines par la diffrence entre la valeur relle des lments d'actif et de passif transfrs et leur valeur fiscale. En effet, l'tat du sige de la socit apporteuse doit s'abstenir d'imposer les plus-values d'apports. Cette exonration est toutefois subordonne la condition que la socit bnficiaire calcule les nouveaux amortissements et les plus-values ou moins-values affrents aux lments d'actif et de passif transfrs dans les mmes conditions qu'airaient pu le faire la ou les socits apporteuses si la fusion n'avait pas eu lieu, c'est--dire sur la base des valeurs avant apport79. Autrement dit, l'absence de taxation est uniquement lie au77 78

Dir. 90/434, 4e considrant Dir. 90/434, 6e considrant 79 ditions Francis Lefebvre, La pratique des restructurations, 2001, n 280.

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maintien, par la socit bnficiaire de l'apport, de la valeur fiscale que le bien transfr avait pour la socit absorbe. En pratique, l'application du rgime fiscal dfini par la directive est subordonne une autre condition supplmentaire; que les lments apports demeurent dans l'tat de la socit apporteuse, rattachs rellement un tablissement stable de la socit bnficiaire80. Ainsi, la fusion transfrontalire est traite comme une opration intercalaire, c'est-dire qu'elle ne donne pas lieu par elle-mme l'imposition de plus-values apparues cette occasion la condition qu'elles restent imposables dans la nouvelle socit ou la socit absorbante.

Des exigences identiques se retrouvent quant aux provisions et aux rserves rgulirement constitues en franchise totale ou partielle d'impt par la socit apporteuse81. La question du transfert des provisions et rserves, qui ont t constitues en franchise d'impt dans la socit absorbe, est rgle en accordant le bnfice de cette franchise fiscale la socit absorbante -ou nouvelle- qui se substitue aux droits et obligations de la socit apporteuse82.

Enfin, en ce qui concerne les actionnaires, l'article 8 de la directive prcise que l'attribution aux actionnaires de la socit apporteuse de titres de la socit bnficiaire ne doit donner lieu aucune imposition. Cette absence d'imposition est toutefois subordonne la condition que "l'associ n'attribue pas aux titres reus en change une valeur fiscale plus leve que celle que les titres changs avaient avant (l'opration)". Cette condition est logique; l'objectif de la directive est de rendre la fusion neutre fiscalement, mais non de lui confrer un caractre exonratoire gnral. C'est donc, comme pour les plus-values d'apport ralises par les entreprises, un rgime de report d'imposition qui est instaur par la directive.

J.-P. Le Gall, P.Dibout, La fiscalit des fusions d'entreprises communautaires, JCP d. E, 1991, n 2, p.12. P. Derouin, G. Ladreyt, L'incomplte adaptation du rgime fiscal des fusions de socits et oprations assimiles la directive communautaire du 23 juillet 1990, Dr. fiscal, 1992, n 5, p. 228. 82 Article 5 de la directive81

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3. Clause de sauvegarde

Mis part de l'objectif de neutralit fiscale, la directive 90/434/CEE, se donne un objectif de bonne foi83. Ainsi, pour rpondre aux incertitudes de certains tats membres, notamment des Pays-Bas et de l'Allemagne, la directive prvoit, dans son article 11, que tout membre peut soit refuser dappliquer tout ou partie des dispositions de la directive, soit en retirer le bnfice dans deux cas de figure possibles.

Le refus peut tre justifier, en premier lieu, lorsque l'opration de fusion "a comme objectif principal ou un des objectifs principaux la fraude ou l'vasion fiscale". Il est ainsi prvu que l'inexistence de motifs conomiques "valables" tels que la restructuration ou la rationalisation des activits des socits participant l'opration, peut constituer une prsomption que cette opration a comme objectif ou un de ses objectifs la fraude ou l'vasion fiscale. L'article 11 nonce, en deuxime lieu, qu'un tat membre peut galement refuser ou retirer le bnfice du rgime commun lorsque l'opration a pour effet qu'une socit, participant ou non l'opration, ne remplit plus les conditions requises pour la reprsentation des travailleurs dans ses organes selon les modalits applicables avant l'opration en cause. Cette deuxime hypothse d'application de la clause de sauvegarde rpond plus prcisment la rserve exprime pendant longtemps par l'Allemagne.

B. L'efficacit de la directive du 23 juillet 1990

L'objectif de la directive fiscale tait d'instaurer pour les fusions, parmi d'autres oprations transfrontalires, des rgles fiscales neutres au regard de la concurrence afin de permettre aux entreprises de s'adapter aux exigences du March commun, d'accrotre leur productivit et de renforcer leur position concurrentielle sur le plan international. Mais, a-t-elle atteint cet objectif? A-t-elle suffisamment harmonis les rgimes fiscaux internes des tats membres pour que lon puisse enfin parler d'une faisabilit des fusions transfrontalires?

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1. La porte de la directive Pour reprendre les termes d'un auteur84," il a fallu beaucoup d'audace au lgislateur europen pour concilier ce qui semblait jusqu' prsent inconciliable: l'impossibilit de grer la question autrement que par des rgles matrielles, et la ncessit de sauvegarder les intrts financiers de l'tat de la socit apporteuse".

D'ailleurs, le choix du lgislateur de procder une harmonisation des lgislations par voie de directive a t pertinent. Les diffrences accuses dans les diffrents droits peuvent tre trs profondes et il serait vain de chercher harmoniser des rgles fiscales nationales trs difficilement conciliables. Mieux vaut donc dfinir un vritable rgime fiscal communautaire destin tre appliqu dans chaque tat membre aux oprations transfrontalires. Et c'est exactement ce que fait la directive fiscale. De plus, en intressant toutes les socits de capitaux, la directive prsente l'avantage d'avoir un domaine beaucoup plus vaste que la troisime directive sur les fusions internes ou mme la proposition de dixime directive, tous les deux textes tant cantonns la seule socit anonyme. Dsormais, les principaux obstacles fiscaux, savoir l'absence de neutralit fiscale des oprations des fusions transfrontalires, ont t levs grce l'adoption de la directive du 23 juillet 1990, ouvrant ainsi la voie une rglementation des fusions transcommunautaires.

Cependant, on peut se permettre encore de formuler quelques critiques car cette harmonisation au plan fiscale prsente un certain nombre de failles. Il n'appartient pas dans le cadre de cette tude d'analyser les incertitudes que font natre certaines dispositions techniques de la directive85. Or, ce qui est susceptible de compromettre l'efficacit mme de la directive est la clause de sauvegarde, prvue par l'article 11. La notion trs vague de "motifs conomiques valables" risque, en ce qui concerne le contrle, de poser de srieuses difficults. En effet,J. Bguin, La difficile harmonisation europenne du droit des fusions transfrontalires, Mlanges en l'honneur de C. Gavalda, Dalloz, 2001, p. 26. 84 R. Routier, Les fusions de socits commerciales, LGDJ, 1994, n 510. 85 Sur ces points, v. J.-J. Cappelaere, La directive communautaire du 23 juillet sur les fusions, Petites affiches, 1992, n 21, p.23 ; Z. Azzouz, La fiscalit des fusions de socits dans la CEE, Petites affiches,83

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si la notion est laisse l'apprciation des administrations fiscales nationales, elle revient restituer aux pays membres des prrogatives protectionnistes que la directive fiscale avait prcisment pour objectif de supprimer. Pour viter ce risque, le lgislateur europen devrait prciser davantage les conditions de la non-application de la directive.

2. La transposition de la directive en droit franais

Selon larticle 189 du trait de Rome, "la directive lie tout tat membre destinataire quant au rsultat atteindre, tout en laissant aux instances nationales la comptence quant la forme et aux moyens". Ainsi, les tats membres, qui devaient transposer la directive fiscale dans leur ordre juridique nationale, avant le 1er janvier 1992, disposaient pour la forme et les moyens d'une marge de manuvre non ngligeable. Or, plusieurs tats membres ont transpos la directive fiscale incompltement ou imparfaitement86, ce qui diminue un degr significatif l'efficacit de ses dispositions. Ainsi, les tats qui ne connaissent pas la fusion ou la scission avec transmission universelle du patrimoine de la socit dissoute n'ont transpos la directive qu'en ce qui concerne les apports partiels d'actifs et les changes d'actions. D'autres tats comme l'Allemagne, le Luxembourg ou les Pays-Bas, mme s'ils admettent le principe de la fusion en droit interne, ont procd une transposition restrictive, en arguant de l'impossibilit, selon leur droit, de raliser des fusions transfrontalires et de l'absence de rglementation communautaire ce sujet. En dfinitive, seuls les droits italien, espagnol et portugais soumettent les oprations transfrontalires au mme rgime de faveur que les oprations internes87.

La France, jusqu prsent, n'avait pas explicitement transcrit en droit interne les dispositions de la directive. Le lgislateur franais a estim plus pertinent de mettre en place un seul rgime de faveur. Il a donc modifi le rgime dj prvu par le Code gnral des impts pour les fusions internes pour le rendre plus proche de celui instaur par la directive. Et il a dclar ce nouveau rgime applicable aussi bien aux fusions transfrontalires qu'aux fusions internes.1991, n 85, p.50 et 51; J.-P. Le Gall, P. Dibout, La fiscalit des fusions d'entreprises communautaires, JCP d. E, 1991, n 2, p. 24. 86 J. Bguin, La difficile harmonisation europenne du droit des fusions transfrontalires, Mlanges en l'honneur de C. Gavalda, Dalloz, 2001, p. 27. 87 M. Menjucq, La mobilit des socits dans l'espace europen, LGDJ, 1997, n 115, p. 80.

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Or, le rgime de faveur du CGI n'est pas sans prsenter des incompatibilits avec le texte communautaire88. Jusqu' prsent, le CGI rservait le bnfice de ce rgime l'ensemble des oprations qualifies de "fusion" au regard du droit priv89. Par consquent, la dfinition des oprations fiscalement ligibles devrait tre recherche dans les dispositions du droit des socits. Or, les dfinitions de la fusion donnes par les dispositions du Code de Commerce ne concident pas avec celles de la directive fiscale90. Cette difficult a t trs rcemment limine avec l'insertion dans le CGI d'un nouvel article 210-0 A, issu de la loi de finances n 2001-1275 du 28 dcembre 2001, qui prcise les caractristiques que doivent dsormais revtir les fusions (et les scissions) pour bnficier du rgime fiscal de faveur. Ce faisant, il donne une dfinition purement fiscale aux fusions, d'ailleurs trs analogue celles figurant l'article 2 de la directive fiscale du 23 juillet 199091. partir du moment o une opration remplira les conditions poses par le CGI, elle sera considre comme une fusion au plan fiscal, mme si elle ne relve pas du Code de Commerce.

Cet amnagement lgislatif peut avoir de consquences significatives pour la ralisation des fusions transfrontalires. En effet, les oprations ralises partir du 1er janvier 2002 qui mettent en prsence une socit trangre et rpondent aux caractristiques exiges par l'article peuvent dsormais bnficier du rgime spcial. Ds lors que cette disposition ne fait pas rfrence la qualification juridique des oprations effectues, certaines restructurations transnationales pour lesquelles l'administration entendait jusqu'alors refuser la qualification de fusion et l'application du rgime spcial, pourront dsormais tre ralises sous un rgime de neutralit fiscale.

En revanche, sont exclues de ce rgime, mme si elles rpondent la dfinition fiscale des fusions, les oprations auxquelles participe une socit localise dans un tatSur les incompatibilits d'ordre technique, v. P. Derouin, G. Ladreyt, L'incomplte adaptation du rgime fiscal des fusions de socits et oprations assimiles la directive communautaire du 23 juillet 1990, Dr. fiscal, 1992, n 5, p. 224 et ss.; A. De Waal, Fusions et oprations assimiles:les dispositions franaises l'preuve du droit communautaire, RDAI, 1999, n 7, p. 844 et ss. 89 A. De Waal, L'application du rgime de faveur des fusions aux rorganisations internationales, Dr. fisc., 1997, n 24, p. 787. 90 titre dexemple, les dispositions du C.com relatives aux fusions ne visent pas la dissolution sans liquidation d'une filiale dtenue 100 %. 91 ditions Francis Lefebvre, La pratique des restructurations, 2001, n 25030 et ss.; D. Villemot, La nouvelle dfinition des fusions et des scissions, Dr. fisc., 2002, n 25, p. 911 et ss.88

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n'ayant pas conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'vasion fiscales. Cependant, l'article 210-0 A prcise sur ce point que cette exclusion ne concerne pas les oprations entrant dans le champ d'application de la directive du 23 juillet 1990. Une opration entre une socit franaise et une socit d'un autre tat membre bnficiera donc du rgime de faveur mme si elle fait intervenir un tablissement stable de la socit de l'autre tat qui serait situ dans un tat n'ayant pas sign de convention fiscale avec la France92.

Il convient de souligner toutefois quune opration de fusion ralise au profit des socits trangres ne peut toujours pas bnficier du rgime de faveur qu'aprs avoir obtenu l'agrment de l'article 210 C CGI, dlivr si l'opration n'a pas comme objectif principal, ou comme un de ses objectifs, la fraude ou l'vasion fiscales. Aprs les modifications apportes par la loi de finances pour 2002, cet agrment n'est plus discrtionnaire mais il est dlivr de plein droit et ne peut tre refus que si les conditions lgales ne soient pas runies93. Nanmoins, malgr le nouveau dispositif, l'exigence de la part de l'administration franaise d'un agrment pour les apports faites par des personnes morales franaises des personnes morales trangres, ainsi que l'imprcision des conditions de son octroi sont loin d'tre conformes l'esprit de la directive. L'application de l'article 210 C CGI revient donc instituer une diffrence de traitement des oprations de fusions en fonction de la nationalit des socits y participant. *

L'adoption de la troisime directive du 9 octobre 1978 et de la directive fiscale du 23 juillet 1990 constitue une avance significative du droit communautaire en matire des fusions transfrontalires. Dsormais les principaux obstacles juridiques -les disparits nationales du mcanisme de fusion- et fiscaux -l'absence de neutralit fiscale des oprations de fusion- ont t leves ouvrant ainsi la voie une rglementation des fusions transcommunautaires. Cependant si les reformes issues de ces directives se sont concrtises par des retouches importantes dans les lgislations nationales, de nombreuses difficults demeurent en raison de la non-introduction ou de la mauvaise traduction de ces textes dans les droits92

D. Villemot, La nouvelle dfinition des fusions et des scissions, Dr. fisc., 2002, n 25, p. 913.

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nationaux. D'ailleurs, le lgislateur europen a choisi, d'une faon curieuse, de traiter d'abord l'aspect fiscal et, ensuite, l'aspect juridique. L'obstacle fiscal a t trait et il aurait t surmont si la transposition de la directive fiscale tait parfaite. En revanche, les obstacles juridiques quant eux persistent et obligent les praticiens recourir aux montages sophistiqus afin de les surmonter.

CHAPITRE II: Montages envisags et envisageables en l'absence de cadre juridique propre aux fusions transnationales.

Pour rpondre aux besoins des entreprises, les juristes, les fiscalistes, les spcialistes financiers, dans la recherche constante des solutions les mieux appropris aux politiques industrielles, commerciales et financiers, dveloppent et affinent des montages et des techniques socitaires, mme si les conditions juridiques sont loin d'tre idales. Ainsi, la pratique des affaires a su galement contourner les obstacles juridiques aux fusions transfrontalires. L'attnuation de l'obstacle fiscal a ouvert la voie aux premires oprations de restructuration des groupes internationaux, par voie de fusion, qui ont pu tre ralises en dpit de l'absence des textes communautaires relatifs aux aspects juridiques de l'opration. Cependant, abstraction faite de ces exemples qui sont relativement rares, l'on ne saurait pas affirmer que la fusion internationale constitue une pratique des affaires courante, les oprateurs ayant le plus souvent recours aux autres modes de restructuration.

SECTION I: Les avances dans la pratique des affaires en matire des fusions transfrontalires.

Les difficults juridiques sur les quelles se heurtent encore les oprations de fusions transfrontalires ne concernent pas gnralement la socit absorbante, dont la personnalit ne saurait tre altre par l'opration. En revanche, le vritable problme se situe plutt chez les socits absorbes appeles disparatre ou se "fondre" chez la socit absorbante; la ncessite de respecter les rgles d'ordre public de la protection des actionnaires de la socit absorbe peut constituer un vritable frein de l'opration.

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ditions Francis Lefebvre, La pratique des restructurations, 2001, n 25065.

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A. L'obstacle thorique de l'exigence d'unanimit

Toute opration de fusion, quelle que soit internationale ou purement interne, devra tre approuve par les organes dlibrants de chaque socit concerne. Or, les conditions de quorum et de majorit exiges pour la prise de cette dcision peuvent parfois conduire un vritable blocage de l'opration. Plus particulirement, les systmes juridiques qui n'interdisent pas formellement la fusion transfrontalire la subordonnent souvent l'assentiment unanime des associs ou actionnaires de la socit qui disparat94. On peut donc comprendre que cette condition d'unanimit est trs rarement possible d'tre remplie, lorsque les socits concernes ont un actionnariat dispers au public.

Sous l'angle du droit franais, les conditions de ralisation d'une fusion transfrontalire seront plus ou moins contraignantes selon que la ou les socits franaises concernes sont en position d'absorbe ou d'absorbante. Ainsi, lorsque la socit franaise est en position d'absorbante, c'est le rgime normal des dispositions du Code de Commerce qui s'applique. Ce type de fusion ne pose aucune difficult particulire au regard du droit franais. Il en va de mme dans l'hypothse d'une fusion par cration d'une socit nouvelle, mais condition que la socit nouvelle se situe en France. En revanche, dans le cas o la socit franaise serait en position d'absorbe ou dans l'hypothse d'une fusion par cration d'une nouvelle socit qui se situera dans un autre tat, un problme spcifique li l'aspect transfrontalier se pose; la fusion transfrontalire provoque-t-elle un changement de nationalit et de loi applicable la socit franaise? Deux analyses semblent s'opposer.

1. Changement de nationalit et de loi applicable. Ainsi, selon une conception classique95, lorsque le sige social de la nouvelle socit est fix l'tranger, la problmatique juridique des fusions transfrontalires se pose en des termes similaires celles du transfert international du sige social. Autrement dit, l'opration est assimile un transfert du sige qui entrane le changement de nationalit etAu sein de l'Union europenne, l'Italie, l'Espagne et le Portugal sont les seuls tats ne pas exiger que la dcision de fusion transfrontalire soit prise l'unanimit.94

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de loi applicable de la socit. Une telle opration doit, ds lors, en application de l'article L. 225-97 du Code de Commerce (anc. art. 154 de la loi du 24 juillet 1966), tre autorise par l'assemble gnrale extraordinaire de la socit absorbe non pas la majorit des deux tiers, mais l'unanimit. Bien videment, les auteurs qui raisonnent sous l'angle du "changement de nationalit" sont conscients du fait que, suite une fusion, la socit absorbe disparat en tant que personne morale. Mais, ils envisagent plutt l'opration du point de vue des associs. Ainsi, selon un auteur96, la socit "poursuit dsormais les buts sociaux l'tranger par le moyen de la participation la socit absorbante, et cela pose des problmes analogues ceux du transfert du sige. En consquence, on a besoin de la mme protection [des associs] qu'en cas de transfert de sige". D'ailleurs, "si la fusion internationale n'entrane pas proprement parler un changement de nationalit de la socit absorbe ou des socits participant la fusion par constitution d'une socit nouvelle rattache un ordre juridique diffrent du leur, du moins le risque couru par les associs est-il le mme: ils perdent chaque fois le bnfice de l'application du droit des socits en considration duquel ils ont effectu leur investissement"97. Pour M. Menjucq98 la fusion internationale conduit, l'instar du transfert de sige, au changement de la loi applicable l'engagement des associs de la socit qui est absorbe. Cette modification de leur statut justifie l'exigence d'une dcision des associs lunanimit car ces derniers disposent d'un droit individuel au maintien de la loi ayant prsid la conclusion de leur engagement social.

2. Disparition de la socit absorbe Mais cette analyse prte critique. En effet, selon une conception diffrente99, suivant d'ailleurs le droit commun des fusions dans l'Union, tel qu'il rsulte de la troisime directive, la fusion, qui emporte transmission universelle du patrimoine de la socit absorbe, entrane la dissolution de celle-ci; l'on ne saurait dire qu'une socit qui disparat

B. Lecourt, L'influence du droit communautaire sur la constitution de groupements, LGDJ, 2000, n 691; M. Menjucq, Droit international et europen des socits, Montchrestien, 2001, n 163. 96 G. Bietzke, Les conflits des lois en matire des fusions des socits, Rev. crit. DIP 1967, p.11 97 H. Syvet, Enfin la socit europenne, RTDE, 1999, p.26, note 17 98 M. Menjucq, La mobilit des entreprises, Rev. Soc. 2001, p. 216. 99 B. Goldman, Rapport concernant le projet de convention sur la fusion internationale des socits anonymes, RTDE, p. 468;

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change de nationalit, moins si l'on adopte une "vision bouddhiste de la rincarnation des personnes morales"100. En ce qui concerne les associs il est vrai que l'change des titres, qui est de l'essence de la fusion, les fait entrer dans une socit rgie par une autre loi que celle qui gouvernait leur participation initiale. Mais, pour un auteur, "on cherche vainement la rgle qui imposerait de recueillir leur consentement individuel, sauf si cette mutation aboutissait augmenter leurs engagements envers la socit"101. Par ailleurs, fusion et transfert de sige ne rpondent pas la mme logique pour tre traits aux mme