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Spectacle samedi 23 janvier à 18:00 et dimanche 24 janvier à 15:00 Maison de la culture salle Jean-Cocteau Durée 4 heures 40 dont 2 entractes COPRODUCTION LA COMÉDIE DE CLERMONT EN TOURNÉE // DOSSIER DE PRESSE \\ LES FRANÇAIS KRZYSZTOF WARLIKOWSKI INSPIRÉ DE MARCEL PROUST À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU CRÉATION FRANÇAISE À CLERMONT-FERRAND VOTRE CONTACT Émilie Fernandez 0473.170.183 06.11.34.34.83 - [email protected]

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Spectacle samedi 23 janvier à 18:00et dimanche 24 janvier à 15:00

Maison de la culture salle Jean-Cocteau Durée 4 heures 40 dont 2 entractes

COPRODUCTION LA COMÉDIE DE CLERMONTEN TOURNÉE

// DOSSIER DE PRESSE \\

LES FRANÇAISKRZYSZTOF WARLIKOWSKI

INSPIRÉ DE MARCEL PROUST À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDUCRÉATION FRANÇAISE À CLERMONT-FERRAND

VOTRE CONTACTÉmilie Fernandez 0473.170.183 06.11.34.34.83 - [email protected]

LES FRANÇAIS

Inspiré de À la recherche du temps perdu de Marcel ProustAdaptationKrzysztof Warlikowski et Piotr Gruszczynski

Mise en scène Krzysztof WarlikowskiScénographie et costumes Małgorzata SzczesniakMusique Jan Duszynski et Carte d’album. Pièce pour violoncelle et bande magnétique de Paweł Mykietyn, jouée en direct par Michał PepolLumières Felice RossChorégraphie Claude BardouilVidéo Denis GuéguinAnimations graphiques Kamil PolakDramaturgie Piotr GruszczynskiCollaboration à la dramaturgie Adam RadeckiCollaboration à l’adaptation Szczepan OrłowskiMaquillages et coiffures Monika Kaleta, Joanna Chudyk

AvecPREMIÈRE PARTIEOriane de Guermantes Magdalena CieleckaBasin de Guermantes Marek Kalita Marie de Guermantes Agata Buzek Robert de Saint-Loup Maciej StuhrBaron de Charlus Jacek PoniedziałekCharles Swann Mariusz BonaszewskiPrincesse de Parme Ewa DałkowskaDame de compagnie Małgorzata Hajewska-Krzysztofik Alfred Dreyfus Zygmunt MalanowiczNarrateur Bartosz GelnerRachel Agata Buzek Odette de Crécy Maja OstaszewskaPerformance Claude Bardouil

DEUXIÈME PARTIERachel Agata Buzek Robert de Saint-Loup Maciej StuhrNarrateur Bartosz GelnerBaron de Charlus Jacek PoniedziałekCharles Morel Piotr PolakAlbertine Simonet Maria Łozinska Charles Swann Mariusz BonaszewskiOdette de Crécy Maja OstaszewskaOriane de Guermantes Magdalena CieleckaBasin de Guermantes Marek Kalita Marie de Guermantes Agata Buzek Gustave Verdurin Wojciech Kalarus Reine de Naples Ewa DałkowskaSidonie Verdurin Małgorzata Hajewska-KrzysztofikGilberte Swann Agata BuzekPerformance Claude BardouilVioloncelle Michał Pepol

TROISIÈME PARTIERobert de Saint-Loup Maciej StuhrCharles Morel Piotr Polak

Baron de Charlus Jacek PoniedziałekNarrateur Bartosz Gelner, Zygmunt MalanowiczGilberte Swann Ewa DałkowskaOriane de Guermantes Magdalena CieleckaSidonie de Guermantes Małgorzata Hajewska-KrzysztofikBasin de Guermantes Marek Kalita Odette de Crécy Maja OstaszewskaGilbert de Guermantes Wojciech KalarusRachel/Phèdre Agata Buzek Performance Claude Bardouil

Direction technique Paweł KamionkaRégisseur plateau et cadrage Łukasz JózkówAssistanat à la mise en scène Katarzyna Łuszczyk

Régie son Mirosław BurkotRégie lumières Dariusz AdamskiRégisseur vidéo Maciej ZurczakMaquilleuses Joanna Chudyk, Monika KaletaAccessoiriste Tomasz LaskowskiHabilleuses Elzbieta Fornalska, Ewa SokołowskaMachinistes Kacper Maszkiewicz, Tomasz Laskowski

Traduction en français Margot CarlierCollaboration Agata KozakPréparation et réalisation de sous-titrageZofia SzymanowskaChargée de production Joanna Nuckowska

Production Nowy Teatr, Varsovie Coproduction Ruhrtriennale, Théâtre national de Chaillot, Comédie de Genève, la Comédie de Clermont-Ferrand – scène nationale, La Filature – scène nationale de Mulhouse, Le Parvis – scène nationale Tarbes-Pyrénées

Avec le soutien du ministère de la Culture et du Patrimoine national (MKiDN) et l’Institut Adam Mickiewicz (IAM)

Création le 21 août 2015, Festival Ruhrtriennale, Gladsbeck, Allemagne

Création polonaise le 2 octobre 2015, Nowy Teatr, Varsovie

Création française à la Comédie de Clermont-Ferrand – scène nationale

Spectacle en polonais surtitréDurée 4 heures 40 dont 2 entractes

Crédit du dossier Illustration de couverture réalisée par Antoine+Manuel intégrant des photographies de Jean-Louis Fernandez. Photographies du dossier © Jean-Louis Fernandez, photographe associé à la Comédie.

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Œuvre monumentale s’il en est, À la recherche du temps perdu a donné lieu à quelques tentatives d’adaptations cinématographiques ou théâtrales. Luchino Visconti avait écrit un scénario qu’il n’a jamais pu réaliser. Celui de Joseph Losey et Harold Pinter a connu le même destin, à la différence près que Harold Pinter utilisa ce travail en publi-ant une pièce de théâtre intitulée Le Scénario Proust. À son tour Krzysztof Warlikowski, lecteur assidu de Marcel Proust depuis ses années d’ado-lescence, a construit au fil du temps un projet qui puisse rendre compte de son rapport personnel à cette saga romanesque. Un projet qui ne consiste pas simplement à présenter sur le plateau du théâtre les scènes les plus célèbres du génial écri-vain, ni à proposer une reconstitution historique de la société aristocratique et bourgeoise des débuts du XXe siècle. C’est pour les spectateurs d’aujourd’hui que Krzysztof Warlikowski et ses acteurs travaillent, pour faire surgir de l’œuvre de Proust ce qui peut les questionner encore et toujours : la peur de la vieillesse et de la mort, la

jalousie, le désir amoureux contrarié, ces thèmes qui irriguent quelques-unes des plus belles pages de la littérature française. À cela s’ajoute la volonté de faire entendre ce qui est aussi présent dans l’œuvre mais travesti, dissimulé, camouflé, tout ce qui a traversé l’époque et la vie de Proust mais qui ne pouvait être dit avec franchise : l’ho-mophobie et l’antisémitisme par exemple, sujets encore brûlants au XXIe siècle, véritables méca-nismes de violence et d’exclusion qui continuent à agir. En amenant ses acteurs à pénétrer l’état d’esprit « proustien », Krzysztof Warlikowski dépasse la présentation d’une « ménagerie » de personnages excentriques qui dansent sur un volcan qui gronde, pour atteindre le cœur d’une œuvre, décrivant avec une force inégalée une société en crise qui cherche à se sauver du désastre qui menace..

Jean-François Perrier pour la Comédie de Clermont-Ferrand, mai 2015. Texte libre de droits

WARLIKOWSKI INVOQUE PROUST POUR APPRÉHENDER L’EUROPE D’AUJOURD’HUI.

MONUMENTAL, HYPNOTIQUE, TENU ET ADDICTIF. PUR ET NOIR COMME UN DIAMANT.

Krzysztof Warlikowski, l’une des figures majeures du théâtre européen, adapte À la recherche du

temps perdu de Marcel Proust, amenant ses acteurs à pénétrer l’état d’esprit proustien pour

atteindre le cœur d’une œuvre monumentale.

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Krzysztof Warlikowski est l’une des figures majeures du théâtre européen et appartient aux rénovateurs du langage théâtral. Avec une dizaine de mises en scène de Shakespeare, il a créé un nouveau canon de réalisation des œuvres du dramaturge de Stratford. Il explore aussi intensément les possibilités contemporaines de la tragédie antique. Sa lecture de Purifiés de Sarah Kane a révolutionné la réflexion sur les limites du théâtre.(A)pollonia est devenu un spectacle emblématique du règlement de comptes avec l’histoire polono-juive de l’époque de la guerre et de l’après-guerre, appelé le théâtre polonais de l’extermination. Dans ses spectacles, Warlikowski ne cesse de renouveler son alliance avec le spectateur, en entraînant le public dans un processus commun de découverte de sens et de significations. Ses spectacles constituent des débats théâtraux dont le résultat n’est pas acquis d’avance. Depuis quelques années, il travaille aussi pour l’opéra où il transfère ses découvertes théâtrales pour œuvrer en faveur de la re-théâtralisation de l’opéra. Il est né en 1962 à Szczecin. Il a mené des études de philosophie et d’histoire à l’université Jagellonne de Cracovie avant de s’installer à Paris pendant quatre ans où il étudie la philosophie, la littérature française, les langues étrangères et l’histoire du théâtre à l’École pratique des hautes études. Puis il revient en Pologne pour commencer des études de mise en scène à l’École supérieure de théâtre de Cracovie, où il présente ses premiers spectacles – Nuits Blanches d’après Dostoïevski et L’Aveuglement d’Elias Canetti – tout en continuant de parcourir l’Europe à la rencontre des maîtres incontestés de l’époque, Peter Brook, dont il sera l’assistant sur Impressions de Pelléas (1992) et Giorgio Strehler qui supervisera son travail sur Périclès présenté au Piccolo Teatro de Milan en 1994. Ces allers-retours, ces voyages, ces rencontres, lui donnent un regard particulier sur son propre pays. Dans cette société en reconstruction, il constate une relative désaffection pour l’art dramatique et s’interroge alors sur ce qu’il convient de faire pour être plus en adéquation avec les réalités et les désirs de ces jeunes générations, qui n’ont plus à contester le nouveau régime « démocratique ». Il prend conscience que le théâtre doit devenir celui des questionnements plus intimes, en particulier sur les tabous qui persistent dans cette Pologne libre, mais profondément dominée par une église catholique relativement conservatrice. Antisémitisme, liberté et

identité sexuelle, anti-féminisme, racisme, spiritualité, tout ce qui peut être dérangeant devient le champ de son intervention artistique.

Depuis 2008, il dirige le Nowy Teatr (Théâtre Nouveau) à Varsovie qu’il a fondé avec un groupe de collaborateurs permanents. À partir de 2009, sans abandonner son travail sur les grands textes dramatiques, il s’engage dans une voie qui le conduit à proposer des spectacles constitués de fragments littéraires juxtaposés, organisés, venus d’auteurs aussi différents qu’Hanna Krall, Jonathan Littell et surtout John Maxwell Coetzee qui deviendra son auteur fétiche, une sorte de fil rouge qui traversera successivement (A)pollonia (2009), La Fin (création française à la Comédie de Clermont-Ferrand en janvier 2011), les Contes africains d’après Shakespeare (2011), Kabaret Warszawski (2013) et Phèdre(s), sa prochaine création, en mars 2016.

Des spectacles de théâtre mais aussi des spectacles d’opéra, puisqu’il a mis en scène dix-sept œuvres lyriques sur les quinze dernières années, Verdi, Gluck, Berg, Wagner, Stravinsky, Strauss, Tchaïkovski, Janàcek, Mozart qui permettent à Krzysztof Warlikowski de poser, ailleurs, avec d’autres contraintes, les mêmes questions existentielles.

Ce travail en profondeur, qui ne refuse pas la radicalité, ne laisse jamais indifférent. Mais cette « perturbation » volontaire des spectateurs n’est pas pure provocation. Elle est nécessaire pour faire entendre des voix discordantes au moment où la peur de l’avenir, la peur des « autres », des étrangers en particulier, poussent à rechercher une sorte de consensus mou, réconfortant mais trompeur. Refusant un théâtre qui ne se nourrirait que de la beauté factice des images, qui n’aurait pour but que de conforter le public dans ses habitudes, qui ne serait plus qu’un produit marchand au milieu de tous les produits marchands, Krzysztof Warlikowski privilégie un théâtre de la parole, de l’échange exigeant, de la confrontation des désirs.

Jean-François Perrier pour la Comédie de Clermont-Ferrand, mai 2015.

PORTRAIT

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Que représente, pour toi, le roman de Proust ?C’est une description de reporteur du monde qui contient le diagnostic de sa fin. Marquer cette fin que l’histoire a rendue bien concrète fait que cette réalité a été immédiatement transfor-mée en mythe, tout en restant ancrée et cachée très profondément en nous. C’est le caractère mythique de ce monde qui le rend important.

À quoi pourrait nous servir cette chronique ? Est-elle le mythe fonda-teur de notre temps ? Existe-t-il un parallèle entre cette façon anxieuse et décadente qu’a Proust de perce-voir le monde et celui dans lequel nous vivons aujourd’hui ?Nous avons ici cette figure : le petit Proust enregistre le grand monde, d’où émerge un petit monde écrit par le grand Proust. Mais pour moi, la perspective du regard du petit Proust est beaucoup plus intéressante ; le petit Proust, c’est le Proust qui a peur, névrotique, mi-Juif, homosexuel qui se cache derrière une mystification littéraire.Pour moi, pour ceux qui se souviennent du commu-nisme, ce mythe fondateur proustien a un caractère un peu diffèrent de celui des sociétés occidentales. De façon surprenante cet auteur était adoré par les auto-rités communistes. On se servait alors de l’image du monde parisien dégénéré d’avant la Première Guerre mondiale, et on l’utilisait devant le monde polonais d’avant la seconde guerre mondiale comme épouvan-tail. On traitait Proust comme un critique du système. Bien évidemment on passait à côté du fait que ce match proustien s’achevait toujours au stade d’un individu qui est confronté au temps, à la fugacité, à la mort. Et pourtant, ce qui pourrait sembler être au départ une critique du reporteur est une enquête sur le monde qui déjà, aux yeux de Proust, devenait un monde mythique et non pas réel. Chaque génération a besoin de sa déca-dence, de son sentiment de déclin et de sa fin. Est-ce ainsi qu’on se protège d’un violent sentiment de perte que la mort apporte à chacun ?

Pourtant, il est certain qu’au temps du communisme il était possible de se réfugier dans le monde de Proust pour fuir cette réalité.

C’était le monde d’une idylle, son apparence était impénétrable.Oui, ceci semblait être une idylle, alors que Proust évoque tout le temps la cruauté de cette réalité et en parle du point de vue de la pers-pective de sa victime. On peut alors constater qu’attaquer Proust au théâtre est aujourd’hui une action de mise en scène postmarxiste ou même néo-marxiste.

Proust reste quand même un critique de la réalité très perfide : d’un côté il en démontre toutes ses lâchetés et ses cochonneries, de l’autre il ne cesse d’admirer ce monde qu’il décrit avec lucidité. En ce sens, cette critique est une critique inefficace car en ruinant certaines visions elle les renforce en même temps.Visconti jouait avec la réalité de la même façon. Communiste et aristocrate, il portait un regard critique sur le monde dans lequel il vivait, tout en nous laissant l’image du crépuscule des dieux. Nous continuons tout de même à parler des dieux. Et c’est exactement le sens du monologue de Charlus sur Pompéi, qu’il déplore et accuse à la fois de dilettantisme. Ceci est une sorte de cercle vicieux des contradictions, propre à l’Europe. Ce monde tellement beau est aussi coupable de la catas-trophe dans laquelle nous nous retrouvons aujourd’hui. Celle-ci est aussi notre projection dans l’avenir. Nous sommes témoins d’un processus perpétuel et récurrent de barbarisation.

Qu’est-ce qui constitue les fondements du mythe fondateur proustien ?C’est cette phrase prononcée dans le dernier tome par le Narrateur : « J’y décrirais les hommes, cela dût-il les faire ressembler à des êtres monstrueux » qui constitue la clé pour comprendre cette critique, à première vue très drôle, de Proust, qui est à vrai dire redoutable. Elle

LES FRANÇAIS. REPORTAGE SELON PROUST ? Krzysztof Warlikowski dans l’interview de Piotr Gruszczynski

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ne provoque pas le cataclysme d’une nation, même si l’affaire Dreyfus – qui constitue un des axes du roman – est bien une catastrophe qui a divisé le monde à jamais.

C’est vrai, il n’y a pas de grandes culminations dans ce roman, tout est tissé légèrement et en silence. Il faut une grande perspicacité au lecteur pour s’aper-cevoir de l’ampleur du scandale et de la provocation de l’auteur.Proust poudré et maquillé est un auteur très dangereux. Le xxe siècle devrait le tuer pour ce roman, car il était apparemment Français, mais finalement, Juif, provenant d’une famille qui s’est naturalisée, non croyant ; un Juif qui a renié son Dieu, en a accepté un autre, ou pas. Toujours est-il, qu’à différents moments du xxe siècle, des communistes juifs venaient de ce genre de milieu.

Pour Proust, la métaphore d’un monde étant en train de se figer dans un mythe reste l’histoire de Pompéi. Une civilisation arrêtée dans son geste, un film dont la bande casse dans la ville dans laquelle, sur les murs, a été trouvée cette inscription « Sodome, Gomorrhe ». Avec quoi remplirais-tu ta ville de Pompéi ?Je la remplirais avec le cinéma italien – celui qui commence avec Rossellini et qui va jusqu’à la mort emblématique de Fellini. Ce cinéma accompagnait l’homme d’après-guerre, en essayant de le créer à nouveau. Ce cinéma a disparu brusquement laissant derrière lui cette question : pourquoi a-t-il disparu, pourquoi n’est-il plus là aujourd’hui ?

La Soumission de Houellebecq présente une société française en tant que monde apparu après la chute de Pompéi, monde dans lequel le travail sur soi n’a pas été accompli, mais dans lequel, suite au cynisme, à l’atrophie de la passion, au dilettantisme, à l’igno-rance, au calcul et à la stérilisation totale de ce qu’on pourrait appeler une arche de culture, nous avons renoncé à la culture européenne, nous soumettant à l’islam.Cette antonymie Prout–Houellebecq est très forte. L’un ouvrait le xxe siècle, l’autre le xxie, et chacun y décrit la catastrophe de son temps.Ce qui est encore pire que le vieillissement de l’Europe, est le vieillissement de la culture européenne et de son modèle. Nous nous préoccupons de l’économie et de la politique qui traversent régulièrement des crises, alors que la lutte devrait concerner l’homme ; comment sera

l’homme que nous allons porter vers les temps futurs, par exemple celui de l’année 2100 ou 3000. Le cinéma italien se préoccupait-il de cette façon de l’homme ? Serons-nous les derniers Mohicans de la pensée, à avoir cru que, finalement, seul l’art peut réparer le monde ?

Il existe aussi une mythologie négative de Proust – celle d’un écrivain incompréhensible et hermétique. André Gide a refusé son manuscrit. Et pour le théâtre – Proust n’a-t-il pas sa mythologie négative ?Notre spectacle est composé de dix séquences, orga-nisées selon la clé provenant des titres des tomes, parfois des chapitres. Mais notre jeu avec ces titres et la recherche de nouveaux sens commence déjà là. Du côté des Guermantes ne signifie pas un voyage sentimental à Combray chez Geneviève de Brabant mais un voyage dans le plus redoutable des mondes qui est aussi celui le plus désiré par le Narrateur, un monde qui le rejette de par sa judéité, un monde antisémite s’isolant des gens sans nom et sans passé. Dans Du côté de chez Swann il n’y a pas non plus de voyage vers le sentiment d’un enfant envers une fille, mais un voyage chez Swann Juif et dreyfusard. Ce n’est pas Swann qui est le héros de cette scène mais l’esprit de Dreyfus appelé par l’aristo-cratie détraquée comme lors d’une séance de spiritisme chez Fellini. Sodome et Gomorrhe est déplacée vers les temps de guerre et englobe les contenus du dernier tome où le bordel masculin rempli de soldats français devient pour Proust le meilleur moyen de décrire la première guerre mondiale.Nous nous sommes servis du titre À l’ombre des jeunes filles en fleurs pour désigner un monologue tiré de Sodome et Gomorrhe concernant la qualification particu-lière des homosexuels, monologue dans lequel Proust transfère la nomenclature des sciences naturelles sur le terrain humain. Première façon de légaliser l’homo-sexualité, qui dans la nature fonctionne naturellement. Montrer l’homme en tant que fleur fécondée ou bien stérile, fanée ou en fleurs soumet l’homme à quelque obligation, comme celle de la reproduction, ce qui ne lui permet pas de faner en vain. Proust, libéré de reli-gion, se permet de voir l’homme à travers Darwin et la nature dans une grande liberté et propreté des espèces. Cette perspective libère de toutes les peurs, tabous et psychoses.

Mais Proust se tient toujours à distance, ironique vis-à-vis de l’objet de sa recherche. Comme l’avait pertinemment observé Walter Benjamin, Proust

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avait l’index très fortement développé et un toucher très léger. Ceci étant, le reportage prous-tien ne peut pas être poignant, il en deviendrait inélégant.C’est une littérature très perverse, qui jette de la poudre aux yeux du lecteur. C’est peut-être pour cette raison que Proust n’a apparemment pas changé le monde grâce à son roman, alors qu’il y est malgré tout parvenu. C’est nous qui ne savons toujours pas le concrétiser.

Proust ne permet pas de le rendre responsable de ce qu’il a écrit. Il fuit dans la littérature.Au théâtre il faut le coincer, faire en sorte que de ses mots intangibles sortent un cri. Proust crié est une contradiction, quelque chose d’impossible.Proust cache et camoufle, par exemple dans le salon de Guermantes, il parle de choses quotidiennes, de botanique, d’affaires politiques, il y colporte les derniers potins ; il emprisonne Orianne ainsi que toutes les émotions des personnages de cette scène. C’est un jeu pratiqué avec des gants, un jeu sur les hommes – impalpable et déchirant à la fois. Puis c’est La Prisonnière ou plutôt le prisonnier, prisonnières, prisonniers. Femmes, hommes, hommes-femmes, jalousie des femmes avec les femmes, jalousie des femmes avec les hommes, des hommes avec des femmes, des hommes avec des hommes. Et enfin la mystification de l’homme homosexuel qui crée une fiction de l’amour pour la femme homosexuelle. Pourquoi Proust en inventant les histoires de l’amour d’un homme pour une femme doit-il être jaloux de la femme qui elle, a d’autres femmes ? Est-ce que cela veut dire que Proust parle de sa jalousie plus intense vis-à-vis des hommes – jalousie de ses femmes, ou plutôt jalousie de ses hommes ?

Et tout cela s’appelle Les Français.Il fallait bien trouver un dénominatif commun à tous ces personnages, à leur caractère iconique et barbare. Le caractère français c’est ce que l’on admire géné-ralement. Mais nous pouvons y penser en songeant à quelque chose de dégénéré. Il existe pourtant deux incarnations de ce que le caractère français englobe – le monument de la République et le siège d’ai-sances de Louis XIV que toute la France peut voir à Versailles.

Les Français. Reportage selon Proust ? « Reportage », c’est aussi un mot français.

Traduit par Anna Kiełczewska, Piotr Gruszczynski

POUR ALLER PLUS LOIN

Krzysztof Warlikowski. Théâtre écorché, ouvrage conçu et réalisé par Piotr Gruszczynski, postface de Georges Banu, traduit du polonais par Marie-Thérèse Vido-Rzewuska, éd. Actes Sud, 2007.

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Le travail de dramaturge n’est pas le même d’un pays à l’autre. Pouvez-vous expliquer en quoi consiste le vôtre, ainsi que votre partenariat avec Krzysztof Warlikowski ?Piotr Gruszczynski : Le travail du dramaturge est strictement défini par le metteur en scène avec lequel il travaille. Chaque fois, ces « liaisons » sont différentes. Dans le cas de Krzysztof, le travail est divisé en deux étapes : la première est fondée sur l’écriture en commun du scénario, basée sur une composition de fragments de textes différents ; la deuxième, c’est le travail avec les acteurs et la recherche de la forme finale du texte qui devient partie intégrante de la vision du metteur en scène. Le processus dramaturgique est fondé sur l’extraction, au moyen de textes préexistants, de ce qui est caché dans la tête du metteur en scène. Parfois on cherche un texte sur un certain sujet, parfois on l’écrit, mais en général le processus est fondé sur l’intuition et les pressentiments. Ce n’est pas l’écriture sur scène mais une sorte de maïeutique. Comment s’est élaboré le travail d’adaptation, quels axes de lecture, quels thèmes avez-vous retenus ?P. G. : Dans le cas de Proust, il était évident depuis le début qu’il ne pouvait s’agir d’une adaptation mais d’une création personnelle de Warlikowski sur le cas de Proust. Nous ne voulions créer ni narration ni fils fictionnels. Nous avons suivi la piste des cas et des scandales de ce roman, des sujets les plus importants : l’affaire Dreyfus, l’antisémitisme, l’homosexualité, la vieillesse, la mort, la mémoire comme source de culpabilité.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans le travail d’adaptation ?P. G. : Une des plus grandes difficultés que Proust impose au théâtre est la convention apparente qui tire le théâtre dans l’impasse de la comédie de salon. Pendant les répétitions surgissait souvent le problème du « quatrième mur » et de l’enfermement

des salons dans leur propre réalisme, ce qui n’est pas du tout la nature du texte de Proust. Comment se fait la rencontre du texte avec les

acteurs et le travail de plateau ?P. G. : Le texte dans le théâtre de Krzysztof Warlikowski est toujours le point

de départ. Le travail ne commence pas par des inspirations visuelles ou musicales mais par le texte, donc par le sujet, donc par le cas dont on parlera. Dans un sens, le texte est aussi le point d’arrivée : il devient un élément vivant du spectacle, il résonne, donne à penser et à discuter, il tient le cas et le discours, il est responsable des significations du spectacle. Certaines scènes, comme le Prologue, sont librement inspirées de À la recherche du temps perdu, d’autres passages sont des extraits, comme l’épisode des catleyas ou des chaussures rouges d’Oriane. Comment ces choix de scènes se sont-ils faits ?P. G. : Le spectacle est fidèle à la matière proustienne, mais il n’a pas toujours été possible de trouver dans le texte de Proust les scènes ou les cas dont on avait besoin pour créer le spectacle. La scène du Prologue, qui est l’invocation de l’Esprit, n’existe pas dans l’œuvre de Proust même si le spiritisme

ENTRETIEN AVEC PIOTR GRUSZCZYNSKI, DRAMATURGE « Le texte dans le théâtre de Krzysztof Warlikowski

est toujours le point de départ. »

Dans le cas de Proust, il était évident depuis le début qu’il ne pouvait s’agir d’une adaptation mais d’une création personnelle de Warlikowski.

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y est mentionné plusieurs fois. À partir de ce stade précoce, on savait qu’on voulait « entrer » dans Proust par l’invocation de l’Esprit, on a donc dû construire cette scène. Toutefois, la majorité des textes utilisés dans le spectacle provient du roman. L’adaptation théâtrale donne l’illusion de suivre l’ordre chronologique des volumes de La Recherche, hormis « Combray » qui est juste suggéré par les champs de blé à la fin du spectacle. Pourtant, les passages de La Recherche que vous intégrez ne suivent pas toujours l’ordre des textes. Par exemple, vous faites précéder la partie À l’ombre des jeunes filles en fleurs par le grand monologue, essai sur l’homosexualité, qui introduit Sodome et Gomorrhe. Quelle logique avez-vous suivie lorsque vous avez conçu le montage ?P. G. : La logique des titres qui apparaissent dans le spectacle ne reflète pas souvent les liens entre le contenu et les titres du roman. On a aussi changé leur ordre. C’est un premier piège pour le spectateur qui a pour but de stimuler sa vigilance discursive envers le spectacle. C’est aussi une manifestation de la vision de Proust par Warlikowski. Le metteur en scène parle ainsi des titres dans une conversation que nous avons eue avant la première : « Le spectacle est constitué de dix séquences disposées sur la base des titres des volumes, parfois des chapitres. Ici commence notre jeu avec ces titres et la recherche de significations nouvelles. Le Côté de Guermantes ne signifie pas de voyage sentimental à Combray chez Geneviève de Brabant, mais un voyage dans le monde le plus terrible et en même temps le plus convoité par le Narrateur – qui le rejette à cause de sa judéité – et qui est un monde antisémite. Dans Du côté de chez Swann, il n’y a pas de voyage vers le sentiment d’un enfant envers une fillette mais un voyage chez Swann, Juif et dreyfusard. Ce n’est pas Swann qui est le héros de

cette scène mais, invoqué par une aristocratie idiote, comme dans une séance de spiritisme de Fellini, l’esprit de Dreyfus. Sodome et Gomorrhe se déplace dans les époques de guerre et couvre le contenu du dernier volume où le bordel masculin rempli par les soldats français décrit le mieux, selon Proust, la première guerre mondiale. Nous avons nommé d’après le titre À l’ombre des jeunes filles en fleurs un monologue pris de Sodome et Gomorrhe concernant une classification particulière de types d’homosexuels dans lequel Proust a transposé la nomenclature de la nature sur le terrain humain. C’est une première façon de légaliser l’homosexualité en montrant

qu’elle fonctionne naturellement dans la nature. Une présentation d’un homme comme une fleur fécondée ou stérile, flétrie ou en fleur – cette floralité impose à l’homme plusieurs obligations comme

la reproduction qui ne l’autorise pas à « flétrir » pour rien. Libéré de la religion, Proust se permet de voir l’homme à travers Darwin et la nature dans une grande liberté et une pureté de l’espèce. Cela donne une libération de toutes les peurs, tabous et

psychoses.

Vous préparez une adaptation des sous-titres pour le public français début 2016. Comment comptez-vous aborder le

caractère très littéraire de la langue de Proust ?P. G. : La traduction polonaise faite par l’excellent Tadeusz Boy-Zelenski dans les années trente a aussi un caractère très littéraire et suit fidèlement l’original. Le caractère littéraire de la langue de Proust ne masque même pas à un quelconque degré l’acuité de ses observations et de ses opinions ce qui ne fait qu’aider l’intention de Warlikowski.

Entretien réalisé par Amélie Rouher en août 2015, à Gladsbeck, Allemagne, dans le cadre du festival Ruhrtriennale, pour la réalisation du dossier pédagogique du spectacle.

[Le texte] devient un élément vivant du spectacle, il résonne, donne à penser et à discuter, il tient le cas et le discours, il est responsable des significations du spectacle. […] La majorité des textes utilisés dans le spectacle provient du roman.

Libéré de la religion, Proust se permet de voir l’homme à travers Darwin et la nature dans une grande liberté et une pureté de l’espèce. Cela donne une libération de toutes les peurs, tabous et psychoses.

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UNE LENTE GENÈSEFils d’un célèbre professeur de médecine, Marcel Proust connaît une enfance bourgeoise à Paris. Asthmatique, il devra très tôt composer avec la maladie. Après des études de droit et de lettres, il se tourne vers la littérature et mène une vie mondaine. Il connaît des débuts promet-teurs de critique littéraire et artistique.La mort de sa mère, en 1905, constitue une rupture. Il décide alors de devenir écrivain, publie Les Pastiches et Contre Sainte-Beuve en 1908 et se lance dans l’écriture de son grand œuvre. De 1909 à 1922 – année de sa mort –, il vit reclus et malade dans sa chambre capitonnée de Liège, écrivant la nuit.

UNE « CATHÉDRALE »Selon ses termes, Proust a conçu son cycle romanesque, près de 3000 pages, comme « une cathédrale », dont tous les éléments – personnages, lieux, thèmes – se répondent. Le plan, évoluant au fil de l’écriture, comprendra finale-ment sept volumes. Une somme romanesque.

UN ROMAN D’APPRENTISSAGEL’œuvre trouve son unité dans la conscience d’un narra-teur-personnage, dont on ne connaît que le prénom, Marcel, dont on ne sait presque rien physiquement et dont on suit, à travers le récit qu’il en fait, les grandes étapes de la vie : l’enfance heureuse à Combray, l’adoles-cence (À l’ombre des jeunes filles en fleurs), l’accès à l’âge d’homme et les premières expériences amoureuses (La Prisonnière, Albertine disparue), et enfin, la maturité (Le Temps retrouvé).L’œuvre proustienne s’inscrit dans la tradition du roman d’apprentissage du xixe siècle. Comme l’indique le titre, le récit est une quête, jalonnée d’obstacles et de souffrance – oublis, futilités mondaines, jalousies, trahisons – qui détournent le narrateur de son but. Les initiateurs sont des figures d’artistes : l’écrivain Bergotte, le peintre Elstir, le musicien Vinteuil permettent à celui-ci de pénétrer les salons et d’accéder au monde de l’art.

UNE FRESQUE SOCIALE ET POLITIQUEComme La Comédie humaine de Balzac, La Recherche est une vaste somme qui brosse le tableau d’une époque. Proust met en scène d’innombrables personnages qui constituent une galerie de types humains observés à travers leurs défauts, leurs tics, leurs ridicules, leur part d’ombre : Odette la demi-mondaine, la duchesse de Guermantes l’aristocrate, Charlus l’homosexuel honteux, Rachel l’ancienne prostituée devenue tragédienne, Morel le musicien arriviste et corrompu…Le romancier fait ainsi revivre, sous le regard ironique du narrateur, toute une société avec ses clans, ses hiérarchies sociales (le clan Verdurin, le salon des Guermantes) et qui

est traversée par l’onde de choc de l’affaire Dreyfus (1894 – 1906). Surtout, il se fait le témoin d’une époque essouf-flée et méchante où l’ennui, sous couvert de la meilleure éducation et de la belle langue, creuse le berceau de l’en-semble des haines raciales et sexuelles qui dévoreront le reste du XXe siècle.

UN NARRATEUR OMNIPRÉSENTLa conscience du narrateur est le centre de cette fresque, un « je » à partir duquel les événements et les personnages sont perçus, à l’exception de « Un amour de Swann » qui est écrit à la troisième personne. Proust exploite toutes les ressources de ce narrateur-personnage : le narrateur raconte en effet après coup ce qu’il a vécu et vu ; il est en même temps celui qui rapporte aux lecteurs ce qui lui arrive, son apprentissage de la vie ; il est enfin le « je » de l’écrivain en devenir tel qu’il se découvre à la fin du Temps retrouvé.

LE ROMAN DU TEMPSComme le suggère le titre, le temps est la matière même de l’œuvre. Le récit s’étend de la fin du xixe siècle au lende-main de la première guerre mondiale. Tout commence avec le goût d’une madeleine trempée dans du thé, qui fait subitement resurgir le passé et le paradis de l’enfance ; tout s’achève avec Le Temps retrouvé et l’évocation d’une réception mondaine chez le duc de Guermantes. Le narrateur rassemble alors une dernière fois ses person-nages pour observer sur eux les marques du vieillissement et l’approche de la mort.Mais au cours de cette même réception, à trois reprises, le narrateur éprouve une sensation extraordinaire de bonheur qu’il parvient à éclaircir à la fin du livre : le passé survit en nous, ressuscité à l’occasion de sensations privilégiées auxquelles nous ne prêtons pas attention d’or-dinaire. Il y a donc une vraie part de nous-mêmes qui peut survivre au pouvoir destructeur du temps grâce au souvenir et à l’art.

LE ROMAN DU LECTEURCette immense comédie sociale, qui peut se lire aujourd’hui sur le même modèle qu’une série, est aussi une extraordinaire saga de l’âme : l’éveil, l’attente, la jalousie, la perte, le deuil, le vieillissement. Quel que soit l’âge où il se plonge dans la lecture, le lecteur est toujours mis en position d’identification. Sans doute parce que l’expérience singulière du narrateur est avant tout une recherche de compréhension, à la fois philosophique et poétique, de nos propres processus psychologiques. Ainsi, À la recherche du temps perdu est aussi celle de notre temporalité intérieure, et l’œuvre, un immense miroir retourné où « chaque lecteur est quand il lit le propre lecteur de soi-même. »

ZOOM SUR À LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU

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L’affaire Dreyfus, et même l’esprit de Dreyfus, jouent un rôle significatif dans la pièce Les Français, inspirée par le chef-d’œuvre de Marcel Proust À la Recherche du temps perdu. Jusqu’à ce jour, on peut même dire que cet esprit hante [non seulement] la France [mais aussi l’Europe]. […]

En décembre 1894, un officier d’artillerie qui travaille à l’état-major général – le juif Alfred Dreyfus – est accusé de trahison au profit de l’Allemagne, sur la base de preuves falsifiées. Condamné par le tribunal militaire pour coopé-ration avec un service de renseignement étranger, Dreyfus est condamné à la déportation à perpétuité et envoyé au bagne de Guyane sur l’île du Diable. L’accusation repose sur un mémorandum manuscrit trouvé dans la poubelle d’un attaché militaire de l’Ambassade d’Allemagne. Les preuves sont faibles, l’écriture différente de la sienne, mais malgré cela, le document compromet Dreyfus. Pourtant, les éléments à charge n’ont même pas été présentés publiquement. Peu de temps après, le commandant Georges Picquart, chef des services de renseignements, a prouvé que ce mémorandum émanait d’un officier issu d’une famille aristocratique hongroise, Marie Charles Esterhazy. Reconnaître cette faute et admettre l’innocence de Dreyfus était pourtant inconcevable pour l’état-major général : l’idée de hiérarchie et l’honneur de l’armée étaient en jeu. Esterhazy a été disculpé et le brave Picquart emprisonné. Pourtant, le dossier de l’accusation a été plus que fragilisé par la révélation de la fabrication du document clé contre Dreyfus par l’officier Joseph Henry (qui confessera sa faute avant de se suicider). C’est à partir de ce moment-là que le jugement contre Dreyfus devient une cause, « l’affaire Dreyfus », et un champ de bataille dans une France profondément divisée. Les uns, à savoir les dreyfusards, demandent « justice et vérité », la réouverture du procès et l’acquittement du capitaine ; les autres, les antidreyfusards, défendent l’au-torité et l’honneur de l’armée, en rejetant l’idée même d’un nouveau procès. Devenu porte-parole des premiers, en janvier 1898, après l’acquittement d’Esterhazy accusé de trahison, Émile Zola a publié une lettre ouverte au président, au titre fameux, « J’accuse ! », dans laquelle il accusait l’état-major général de falsification délibérée conduisant à la condamnation d’un innocent. Des centaines d’intellectuels et artistes français se sont joints à lui. Proust en faisait partie ; il se décrivait lui-même comme « dreyfusard de la première heure ». […]

Ce n’était pas l’antisémitisme qui était à l’origine de l’affaire Dreyfus, mais au contraire l’affaire Dreyfus qui a contribué à sa « popularisation » et à sa radicalisation. […]Pourquoi alors l’affaire Dreyfus est-elle toujours présente dans l’esprit des Français, et pas seulement des Français ?

Reste certainement en mémoire le traumatisme de l’époque, l’atmosphère de guerre civile, la confrontation de deux France, de deux visions du monde, de deux systèmes de valeurs contradictoires. […]

Dans l’affaire Dreyfus, on peut déjà percevoir le premier signal de la montée de ressentiments, de peur et de natio-nalisme à laquelle cette époque de progrès et d’optimisme de la fin du xixe siècle devra bientôt faire face. La haine et l’obscurantisme n’étaient pas uniquement les résidus d’anciens préjugés, mais un feu vif qui allait bientôt consumer l’Europe. […]

Existe-t-il dans l’histoire polonaise un équivalent à l’af-faire Dreyfus ? On pense forcément à mars 1968. La campagne antisémite eut alors pour but de protéger l’ordre politique existant contre le mécontentement gran-dissant d’une grande partie de la société. Tout comme dans l’affaire Dreyfus, de forts éléments de provocation s’y ajoutaient. Dans la propagande de l’époque, les Juifs étaient associés, tout comme en France au temps de l’Af-faire, à des forces étrangères. Il est incontestable que cette propagande a été accueillie favorablement par une partie de l’opinion publique. Il y avait ceux qui avaient peur du changement, ceux qui se laissaient séduire par les notes de nationalisme et ceux, nombreux, qui acceptaient le message anti-judaïque.En 1968, en Pologne, nous avons observé ce qu’avait révélé l’affaire Dreyfus, peut-être pour la première fois, et ce qui a été brillamment analysé par Hannah Arendt : l’antisémitisme comme plate-forme de coalition d’une partie des élites avec la foule, dans le mépris des valeurs libérales et démocratiques. Au sein de cette coalition, Arendt voyait les prémices des mouvements totalitaires du vingtième siècle. Le mars polonais avait bien évidemment un caractère d’épigone, il était dépourvu de l’énergie et du potentiel totalitaire et révolutionnaire. Il constituait la dernière convulsion nostalgique d’un régime qui se mourait. […] Ce que raconte exactement la lente décadence de la famille Guermantes. [NDLC]

Extraits du texte d’Aleksander Smolar écrit pour le dossier polonais des Français.

L’AFFAIRE DREYFUS

Marcel – Narrateur du roman, alter ego de Marcel Proust. C’est lui qui nous fait passer d’une situation à une autre, en étant son témoin muet ou déclencheur de conflits. Il transforme en mythe ses sentiments envers des femmes qui prennent la dimension d’icônes : Oriane de Guermantes, Odette de Crécy, Madame Verdurin, Rachel. C’est ce genre de sensibilité qui produit la liaison du Narrateur avec Albertine. En la soupçonnant dès le début d’inclination homosexuelle, il la suit, la guette et pour finir l’emprisonne dans une sorte de résidence forcée. Après la mort tragique d’Albertine, la fiction littéraire de relation avec une femme prend l’importance d’un événement réel. Le narrateur pose jusqu’à la fin la question sur la véracité de cet amour, qui était, de fait, une mystification littéraire à l’égard de son homosexualité.

Albertine Simonet – L’une des jeunes filles rencontrées à Balbec, le grand amour de Marcel, lesbienne. N’a pas d’argent, vit chez sa tante. Est l’amie de Mademoiselle Vinteuil, extravagante lesbienne, fille du célèbre compositeur. Peu après sa rupture avec Marcel, elle meurt dans un accident, peut-être un suicide.

Charles Swann – Alter ego de Marcel. Juif bien intégré, riche amateur d’art. Favori d’Oriane de Guermantes, il évolue dans la haute société. Snobé à cause de son mariage avec Odette, comédienne et prostituée (avec qui il a une fille nommée Gilberte), et à cause de ses sympathies dreyfusardes.

Odette de Crécy – Actrice de cabaret, prostituée, femme entretenue. Après la mort de Swann, elle hérite de sa fortune et épouse un noble ruiné, devenant Comtesse de Forcheville. Veuve à nouveau, elle devient l’amante de Basin de Guermantes.

LE CLAN GUERMANTES

Oriane, Duchesse de Guermantes – De la branche principale de la famille de Guermantes, mariée à Basin de

Guermantes. Amoureuse de Charles Swann. Une icône de beauté, de goût, d’humour et d’élégance.

Basin de Guermantes – Désigné dans le livre sous le nom de Basin – 12e Duc de Guermantes, membre de la branche principale de la famille grâce à son mariage avec sa cousine, Oriane. Coureur de jupon invétéré. Sa femme est la seule femme que Basin ne désire pas, la considérant comme sa propriété, un des plus rares oiseaux de sa collection qui lui donne de l’importance.

Baron de Charlus – Aussi connu sous le nom de Palamède, membre de la famille de Guermantes, veuf d’environ cinquante ans, extrêmement intelligent, à la conversation brillante, vedette de la haute société, homosexuel, misogyne et antisémite. Devient le protecteur du violoniste Morel. Aristocrate hautain qui méprise la bourgeoisie, sa réputation est détruite par Madame Verdurin. Charlus estime beaucoup Swann, qui est la seule autorité qu’il reconnaisse.

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LES PERSONNAGES

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Robert de Saint-Loup – Neveu préféré d’Oriane, officier, ami de Marcel, amant de l’actrice juive Rachel. Finit par épouser la fille et héritière de Swann, Gilberte. Marcel apprend que Robert est homosexuel et qu’il a une liaison avec Morel. Tué pendant la Grande Guerre et enterré avec les honneurs militaires.

Gilbert, Prince de Guermantes – Mari de Marie de Guermantes, bisexuel, aux opinions conservatrices et antisémites. Parangon de la vieille noblesse française. A eu une liaison avec Morel. Sans ressources après la mort de Marie, il épouse l’ancienne Madame Verdurin, devenue Duchesse de Duras.

Marie, Princesse de Guermantes – Première femme du Prince Gilbert de Guermantes, Duchesse de Bavière.

LE CLAN VERDURIN

Sidonie Verdurin – Tient un salon bourgeois que les Guermantes considèrent être le sommet de la prétention, mais qui est néanmoins fréquenté par de jeunes

artistes talentueux. Très riche. Déterminée à monter dans la société, elle tente de surpasser les salons aristocratiques. Elle se considère la « maîtresse » du « petit clan », comme elle appelle ses hôtes. Mariée à Gustave Verdurin. À sa mort, après une seconde noce, elle finit par épouser Gilbert de Guermantes et adopte le titre de Princesse.

Gustave Verdurin – Mari de Sidonie Verdurin. Dévoué à sa femme et fasciné par elle, il vit complètement dans son ombre. Meurt pendant la guerre.

Princesse de Parme – Aristocrate, « habituée » du petit cercle des « fidèles », snob.

LES ARTISTES

Rachel – Prostituée, femme entretenue, comédienne. Juive. Fiancée à Robert de Saint-Loup, qui ignore son passé. Abandonnée par Saint-Loup, elle réapparaît, plus grande comédienne de son temps.

Charles Morel – Fils d’un valet, violoniste. Diplômé du conservatoire, premier prix. Déserteur. Fournit à Albertine ses amantes à Balbec. Protégé de Madame Verdurin. Vit aux dépens de Charlus. Amant de Gilbert de Guermantes.

« LES FIDÈLES » ET LES AUTRES

Reine de Naples – Personnage historique, sœur de l’Impératrice Élisabeth d’Autriche, mariée à François II, Roi de Naples. Détrônée, elle partit vivre dans la pauvreté, dans la banlieue parisienne de Neuilly.

Gilberte – Fille de Swann et d’Odette, premier amour, non réciproque, de Marcel. A épousé Robert de Saint-Loup, qui lui est infidèle. Ils ont une fille. Une des maîtresses d’Albertine.

Alfred Dreyfus (Le fantôme de) – Officier d’origine juive, accusé à tort par deux fois et jugé coupable de haute trahison. La question antisémite occupe une grande partie des conversations mondaines dans La Recherche où l’action est censée se dérouler de la fin du xixe siècle jusqu’à l’éclatement de la Grande Guerre.

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NOTES

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NOTES

KRZYSZTOF WARLIKOWSKI ET LA COMÉDIE

DE CLERMONT-FERRANDSalle Gaillard

2, rue Saint-Pierrejusqu‘au 30 janvier

Exposition rétrospective des photo-graphies de Jean-Louis Fernandez, photographe associé à la Comédie de Clermont-Ferrand, retraçant les

spectacles du metteur en scène polo-nais reçus par la Comédie : La Fin

(2011), Kabaret Warszawski (2014) et Les Français (2016).

LES FRANÇAISen tournée

• 30 et 31 janvier 2016 Comédie de Reims

• Du 11 au 13 février 2016 Comédie de Genève

• 22 et 23 mars 2016 Tarbes, Le Parvis

• 18-19 et 22-25 novembre 2016 Paris, Théâtre de Chaillot • 2 et 3 décembre 2016

Mulhouse La Filature

PHÈDRE(S)Krzysztof Warlikowski

Du 27 au 29 mai 2016

Avec Isabelle Huppert distribution en cours

Dates uniques en tournée française, après la création à l’Odéon –

Théâtre de l’Europe.

LECTURE

MARIE MADELEINE MARGUERITE DE MONTALTE (M.M.M.M.)Jean-Philippe Toussaint et The Delano Orchestra

14 et 15 mars 2016création

Né d’une rencontre forte entre l’écrivain Jean-Philippe Toussaint et le musicien Alexandre Delano,

M.M.M.M. est un projet unique et protéiforme. L’auteur se met pour

la première fois en scène, en lecteur-acteur, entouré du Delano Orchestra et des vidéos qu’il a réalisées à partir de séquences narratives issues de son cycle romanesque autour de Marie : Faire l’amour, Fuir, La Vérité sur

Marie et Nue. Hommage à la femme aimée, ce spectacle musical est aussi

une ode à la littérature.

CRÉATION EN RÉSIDENCE À CLERMONT-FERRAND

du 9 au 13 marsPRODUCTION LA COMÉDIE

DE CLERMONT-FERRAND

TOURNÉE 2015-2016

• 22 mars 2016 CDN Orléans

• 4 avril 2016 Odéon - Théâtre de l’Europe

• 28 avril 2016 Théâtre de Liège

LES RENDEZ-VOUS À VENIR

lojelis

Nº LICENCE DIFFUSEUR : 1063592 SIRET : 413 893 140 000 25 APE : 9001 Z

TOUTE L’ACTU, DES PLACES À GAGNER vidéos, photos, documents,

actus sont sur le site www.lacomediedeclermont.com