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ElizabethHoyt

LESFANTÔMESDEMAIDENLANE–4

L'hommedel'ombre

AVENTURES&PASSIONS

Winter Makepeacc, le directeur de l'hospice des enfantstrouvés, est un homme au sérieux irréprochable, mais lesdames patronnesses du comité de soutien lui reprochent sonmanque d’expérience des mondanités. Aussi, lady IsabelBeckinhall,jeuneveuvepleined'entregent,est-ellechargéedeprocéder à son éducation. Sous sa férule, Winter est censéapprendre l'art de la conversation et de la flatterie, afin de

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solliciter lesrichesmécènes.Ilvaapprendretoutautrechose.EtIsabelestloindesedouterquederrièresafaçadeguindéesecacheuntoutautrepersonnage...

TitreoriginalTHIEFOFSHADOW'S

Amonbeau-frèrepréféré,Charles,unartisteautalentplutidisciplinaire,quis'intéresseaussi bien à la danse et au théâtre qu'aux arts visuels et qui à l'occasion ne dédaigne pass'encanaillerentournantdesvidéossentimentales.

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Remerciements

Commetoujours,jeremercietoutel’équipequim'apermisdemeneràbiencetteentreprise:monagent,SusannahTaylor,monéditrice,AmyPierpont,marelectrice,CameAndrews,ainsiquetouslesautres,quionttravaillésansrelâchepouréditercelivre.

1

Approchez-vous tous, et faites provision de chandelles, car ce soir, je vais vous raconterl'histoireduFantômedeSaint-Giles.

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Londres,Angleterre,mai1738

Ilnemanquaitquececadavreentraversdelachausséepourclorelajournéeenbeauté

!

Isabel,baronneBeckinhall,soupiraintérieurement.Savoitureavaitdûs'immobiliserenplein cœur de l'un des quartiers les plusmalfamés de Londres - le quartier Saint-Giles. Etpourquoi Isabel se trouvait-elle dans Saint-Giles, alors que le jour déclinait ? Parce qu'elles'était portée volontaire pour représenter le comité de soutien à l'hospice pour enfantstrouvésdeSaint-Gileslorsdelavisited'inspectiondunouveaubâtimentdel'établissement.Isabelsereprochaitamèrementsonidiotie.

Plus jamais volontaire, se jura-t-elle.Tout avaitpourtantbien commencé. Isabel avaitété accueillie par du thé chaud et des scones faits maison, probablement par lady HeroReading en personne, l'une des deux dames patronnesses de l'hospice. Tandis qu'elle luiservaitdenouveauduthé,ladyHeroavaitdemandéàIsabelsielleaccepteraitd'inspecterlenouveaubâtimentencompagniedel'austère-etunpeuglacial-directeurdel'établissement,M.WinterMakepeace.Isabel,amadouéeparlethéetlesscones,avaitaccepté.

MaisM.Makepeacenes'étaitpasdonnélapeinedesemontrer!

Isabel fit lamoue, oublieuse des convenances, à l'instant où la portière de sa voitures'ouvraitpourlaissermonterPinkney,sacarriériste.

— Quelque chose ne va pas, madame ? demanda Pinkney, ses grands yeux bleusécarquillés.

Le regard de cette jeune femme était l'un des nombreux attributs qui la rendaientparticulièrement séduisante.Àvingt etunans seulement, etquoique encoreunpeunaïve,elleétait l'unedes femmesdechambre lesplusrecherchéesdeLondres.Elleexcellaitdansl'artdel'habillement,connaissanttoutdesdernièresmodes.

— Non, rien, répondit Isabel, le visage de nouveau circonspect. As-tu découvertpourquoiilfallaitautantdetempspourdéplacercecadavre?

—Oui,milady.Toutsimplementparcequ'iln'estpasmort.Enfin,pastoutàfait.Haroldetl'autrevaletontréussiàletirersurlebas-côté.Etvousn'allezpaslecroire,madame,maisc'estunacteurcomique.

Isabelclignadesyeux.

—Harold?

—Non,madame ! Pouffa Pinkney. Le... euh, le cadavre qui n'est pas encoremort. Ilporteunetenued'Arlequin,aveclemasque.Etil...

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Isabeln'écoutaitdéjàplus.Elleavaitouvertlaportièrepourdescendredevoiture.

Dehors,lesombress'allongeaientetlalumièredevenaitgrisâtre,àmesurequelesoleildisparaissait derrière les toits. Un bruit assourdissant se faisait entendre vers l'ouest. Lesémeutiers. Ils semblaient se rapprocherdangereusement. Isabel frissonnaet sedépêchaderejoindrelesdeuxdomestiquespenchéssurlefauxcadavre.Pinkneyavaitdûsetromperen...Maisnon.

Isabel retint son souffle. Elle n'avait encore jamais rencontré le célèbre Fantôme deSaint-Giles,mais elle était convaincue qu'il s'agissait de lui. La fameuse tenue d'Arlequin.Dans sa chute, il avait perdu son chapeau, révélant sa chevelure châtain foncé coiffée enqueue-de-cheval.Unepetitedagueétaitattachéeàsaceintureetiltenaitencoresonépéeàlamain.Unmasquenoir,affubléd'unnezrecourbéd'unelongueurridicule,nelaissaitvisiblesquesamâchoirecarréeetsaboucheauxlèvressensuelles.

—Vit-ilencore?demandaIsabelàsesvalets.Haroldsepinçaleslèvres.

—Ilrespire,milady.Maissansdoutepluspourtrèslongtemps.

Levacarmedesémeutiersserapprochait toujours. Isabeletsesvaletsseretournèrentaubruitd'unevitrebrisée.

— Chargez-le dans la voiture, ordonna Isabel, qui s'était penchée pour ramasser lechapeauduFantôme.

Will,lesecondvalet,fronçalessourcils.

—Mais,milady...

—Toutdesuite.Etn'oubliezpassonépée.

Les premiers émeutiers s'apercevaient déjà au bout de la rue. Les domestiqueséchangèrentunregard,avantdesouleverleFantômeparlespiedsetlesépaules.

Auloin,unevoixlançauncrihostile.

Lesémeutiersavaientrepérélavoiture.

Harold etWill conjuguèrent leurs forces pour hisser le Fantôme et son épée dans lavoiture.Isabels'engouffraàsontouràl'intérieur,aussivitequ'elleput.Vul'urgence,lagrâcen'étaitpasàl'ordredujour.

Abasourdie, Pinkney fixait le Fantôme allongé sur le plancher de la voiture. Isabelpréféraignorerlecorpsdansl'immédiat.Ellejetalechapeaudessus,soulevalabanquetteetentiradeuxpistoletscachésdansuncompartimentsecret.

Pinkneypoussaunpetitcrid'effroi.

Laportièreétaittoujoursgrandeouverte.Isabeltenditlespistoletsàsesdeuxvalets.

—Nelaissezpersonnegrimpersurlavoiture.Haroldcrispalesmâchoires,l'airgrave.

—Comptezsurnous,milady.

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Ilpritlesdeuxpistolets,endonnaunàWilletmontasurlemarchepieddelavoiture.

—Vite,John!criaIsabelàsoncocher,avantderefermerlaportière.

L'attelages'ébranlajusteaumomentoùunprojectilevenaitfrapperl'unedesparoisdel'habitacle.

—Milady!s'écriaPinkney.

—Chut!LuiintimaIsabel.

ElleattrapaunplaidposéàcôtédesacaméristeetledépliasurleFantôme.Puiselleserassitetsecramponnaàsabanquette,tandisquel'attelagepenchaitdecôtépourtourneraucoindelarue.

Unautreprojectileatterritsurletoit.Puisunvisagedéforméapparutàlavitre.

Pinkneypoussauncri.

Isabelcroisaleregarddel'hommequigrimaçait.Sesyeux,injectésdesang,trahissaientuneragedémentielle.

L'attelagebifurqua,etl'hommedisparut.Isabeltiralesrideauxdelafenêtre.Uncoupdefeupartit.Certainementundesvalets.

—Milady,murmuraPinkney,livide,lecadavre...

—Quin'estpasencoremort,luirappelaIsabel,baissantlesyeuxsurleplaid.

De lavitrede laportièreonn'apercevaitqu'unecouverture jetéenégligemment sur leplancher.AucuneraisonàcequelecélèbreFantômedeSaint-Gilessecachedessous.

—Quin'estpasencoremort,répétaPinkney,avecobéissance.Quiest-ce?

—LeFantômedeSaint-Giles.

Pinknevécarquilladenouveausesgrandsveuxbleus.

—Qui'?

Isabellançaunregardexaspéréàsacamériste.

—LeFantômedeSaint-Giles!LepluscélèbreforbandeLondres.Toujoursvêtud'unecombinaisond'Arlequin.Ilvioleettueselonlesuns,ilsauveetdéfendselonlesautres.

LesyeuxdePinkneymenaçaientàprésentdesortirdeleursorbites.

—Cesgensveulentsamort,ajoutaIsabel,avecungestede lamainendirectionde lafenêtrepourdésignerlesémeutiers.

Pinkneycontemplaitleplaidd'unairhorrifié.

—Maispour...pourquoi,milady?

Undeuxièmecoupdefeusefitentendre.Pinkneysursautaetsouleval'undesrideaux

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pourregarderparlavitre.

Isabel priait le ciel pour que ses valets réussissent àmaîtriser la situation. Elle avaitbeauêtredenoblenaissance,celanesuffisaitpasàlaprotéger.L'andernier,danscemêmequartier,unvicomteavaitététiréhorsdesavoiture,dévaliséetpasséàtabac.

La jeune femmepritunegrande inspirationetsouleva leplaidpourchercherà tâtonsl'épée du Fantôme qu'elle posa sur ses genoux. Si quelqu'un enfonçait la portière, ellepourraittoujourssedéfendreenluidonnantuncoupsurlatête.

—Ilsveulentletuerparceque,cematin,ilasauvéMickeyleCharmeurdelapotence.

LevisagedePinkneys'éclairasoudain.

—MickeyleCharmeur, lepirate?J'aientenduparlerde lui.Onracontequ'ilestbeaucommelediableetpresqueaussirichequeleroi.

Unprojectileheurtalavitre.Isabeltressaillit.

—Oui,lepirate,acquiesça-t-elle.EtcesgensdevaientpoursuivreleFantômedepuislegibetdeTyburn.Pauvrehomme.

—Pardonnez-moi,milady,maispourquoil'avoirprisdansvotrevoiture?

— Il me semble que la charité chrétienne commandait de lui éviter d’être réduit enpiècesparunefouleencolère,répliquaIsabel.

—Oui,milady,mais si ces gens veulent luimettre lamain dessus et s'en prennent ànotrevoiture...

Isabelrassemblatoutsoncouragepoursourireavecassurance.Elleserraplusfortdanssamainlepommeaudel'épéeposéesursesgenoux.

—C'estprécisémentcepourquoi ilsnedoiventpasdevinerque leFantômese trouveavecnous.

Pinkney cligna des yeux plusieurs fois, comme si elle essayait de suivre ceraisonnement,avantdesourire.Elleétaitvraimentravissante,quandellesouriaitainsi.

—Oui,biensûr,milady.

Etelles'adossatranquillementàsabanquette.Probablementdevait-ellesepenserhorsdedanger,maintenantqu'elles'étaitfaitexpliquerlasituation.

Isabelécartadiscrètementunpanderideaupour jeteruncoupd'œilpar lavitrede laportière.LaplupartdesruesdeSaint-Gilesétaientétroitesettortueuses,cequiempêchaitlesvoitures d'aller vite. Dans ce quartier, des poursuivants à pied pouvaient facilement vousrattraper.Heureusement,John, lecocher,avait trouvéunerueàpeuprèsdroite.Ilpressaitl'alluredes chevauxet les émeutiers se faisaientdistancer. Isabel laissa retomber le rideauavecunsoupirdesoulagement.

C'estalorsquel'attelages'arrêtabrutalement.

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Pinkneypoussaunnouveaucri.

— Du calme, lui ordonna Isabel, le regard sévère. S'ils étaient attaqués, ce n'étaitvraimentpaslemomentquePinkneyfasseunecrised'hystérie.

Lajeunefemmeécartaencorediscrètementlerideau,puiss'empressadecacherl'épéeduFantômesousleplaid.

Justeà temps.Laportières'ouvraitdéjà, révélantunofficierdesdragonsenuniformeécarlateetàlamineaustère.

Isabelluisouritmielleusement.

—CapitaineTrevillion!Quelplaisirdevousvoir.Aquelquesminutesprès,vousauriezpunousaiderànousdébarrasserdesémeutiers.

Lecapitainerougitlégèrementtouteninspectantl'intérieurdelavoitureavecsoin.Sonregards'arrêtasurlacouverture.

Isabelsouriaittoujours.Elleposanégligemmentsespiedssurleplaid.

Lecapitainerelevalesyeuxsurelle.

—Je suis soulagéde constaterquevouset votreéquipageêtes sainset saufs,milady.Saint-Gilesn'estvraimentpasunquartierpoursepromener,aujourd'hui.

—Eneffet.Mais je l'ignorais lorsque jesuispartiedechezmoi,réponditIsabel.Avez-vous pu rattraper ce pirate qui a échappé à la pendaison ? S’enquit-elle en haussantdélicatementunsourcil.

Lecapitainepinçaleslèvres.

—Cen'estqu'unequestionde temps.Nous finironspar lecapturer.Et leFantômedeSaint-Giles aussi.Les émeutiersnous apportent leur aide : ils les traquent tout autantquenous.Aurevoir,milady.

Isabel hocha la tête. Elle n'osa reprendre sa respiration que lorsque l'officier desdragonseutrefermélaportièreetdonnél'ordreaucocherdepoursuivresaroute.

Pinkneyreniflaavecmépris.

—Lesperruquesdesmilitairessontaffreusementdémodées.

Isabelrécupéral'épéeduFantômeetsouritàsacamériste.

Unedemi-heureplustard,l'attelages'arrêtaitdevantsonhôtelparticulier.

—Portez-leàl'intérieur,ordonna-t-elleàHarolddèsqu'ilouvritlaportière.

—Bien,milady.

Isabeldescenditdevoiture,l'épéeduFantômeàlamain.

—Ah,Harold...

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—Oui,milady.

— Bravo à tous les deux, congratula-t-elle en désignant Will. Vous nous avez biendéfendus.

Unsouriretimideéclairalebeauvisaged'Harold.

—Merci,milady.

Isabelleluirendit,avantdepénétrerdanslamaison.Edmund,soncheretdéfuntmari,lui avait acheté Fair-mont House peu avant de mourir et lui avait offert cette maison encadeaud'anniversairelejourdesesvingt-huitans.Ilsavaitalorsqu'ilétaitcondamnéetqu'àsamort, lespropriétés liées à son titrenobiliaire iraient àun cousin éloigné.Aussi avait-iltenu à installer la jeune femme dans ses meubles, avec l'argent dont il pouvait encoredisposer.

Isabelvivaitdepuismaintenantquatreansdanscettedemeure.Elleavaitcommencéparrefaireentièrement ladécoration.Aprésent, lehalld'entréeétait lambrissédepanneauxdechênedoré,quiréchauffaientl'atmosphère.Etdiversobjetsétaientvenuségayerl'espace:unmiroirovalebordédenacre ;unpetit fauneretenantun lièvre, le toutenmarbrenoir ;unguéridon à pieds cambrés... Des objets qu'Isabel aimait pour leur originalité ou pour leurformeplutôtquepourleurvaleurmarchande.

Lajeunefemmeglissal'épéesoussonbrasetôtasesgantsetsonchapeau,qu'elletenditàsonmajordome.

—Merci,Butterman.J'aibesoinquel'onprépareimmédiatementunechambred'amis.

Butterman,enmajordomeapprêtéetdiscret,necillapasdevantl'épéeetaccueillittrèscalmementl'ordreconcisetpourlemoinsinhabitueldesamaîtresse.

—Bien,milady.Lachambrebleueconviendra-t-elle?

—Ceseraparfait.

Buttermanfitsigneàunefemmedechambreet,aussitôt,lasoubretteseprécipitaversl'escalier.

Isabelseretournaverslaporte.HaroldetWillentraientàleurtour,portantleFantômeparlesbrasetlesjambes.Sonchapeaumouétaittoujoursposésursonventre.

Buttermanhaussaune fractionde secondeunmillimètrede sourcil avantd'ordonner,imperturbable:

—Danslachambrebleue,Harold.

—Oui,monsieur,réponditHarold,lesoufflecourt.

— Si vous le permettez, milady, murmura Butterman à Isabel, je pense que MmeButtermanpourraitvousêtreutile.

—Oui,merciButterman,réponditIsabel,quisuivaitdéjàlesdeuxvaletsdansl'escalier.

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FaitesmonterMmeButtermanaussivitequepossible.

La femme de chambre terminait de faire le lit quand les valets pénétrèrent avec leurfardeaudanslapièce.Lefeucrépitaitdéjàdansl'âtre.

Harold parut hésiter, sans doute parce que le Fantôme était couvert de poussière etensanglanté,maisIsabelluidésignalelit.

Lesdeuxvaletsdéposèrent leur charge sur la courtepointed'unepropreté impeccable.LeFantôme,toujoursinconscient,laissaéchapperungrognement.

Isabel jeta l'épée dans un coin de la pièce pour se porter à son chevet. Tous étaientmaintenanthorsdedanger,maislepoulsdelajeunefemmecontinuaitdebattrelachamade.Ellepritconsciencequetoutescespéripétiesl'excitaient.Aprèstout,ilsvenaientdesauverleFantômedeSaint-Giles !Cequiavaitdébutécommeune journéemonotoneavait tournéàl'aventureinattendue.

LeFantômegardaitlesyeuxclos.Isabelluiôtasonmasqueavecprécaution.Asagrandesurprise,elleendécouvritunautreendessous,unsimplecarrédesoieavecdeuxtrouspourlesyeux.Isabelexaminalemasqued'Arlequinqu'elletenaitàlamain.Toutencuiretteintennoir. L'arcade des sourcils et le nez recourbé de façon grotesque évoquaient une figure desatyre.LajeunefemmeposalemasquesurlatabledechevetetreportasonattentionsurleFantôme. Du sang tachait sa combinaison au niveau de la cuisse. Isabel tressaillit ens'apercevantquedusangfraiss'étaitmêléausangcoagulé.

—Buttermanm'aparléd'unhommeblessé?fitMmeButtermanenpénétrantdanslapièce.

Elles'approchadulitetdétaillaleFantômequelquessecondes,avantd'ajouter:

—Bon,sinousvoulonsnousrendrecomptedesesblessures,lapremièrechoseàfaireestdeledéshabiller,milady.

—Euh,oui,biensûr,acquiesçaIsabel.

Les deux femmes s'attaquèrent aux boutons de la combinaison d'Arlequin. MmeButtermandémarraitduhaut,Isabeldubas.

—Oh,milady!s'exclamaPinkney,danssondos.

—Qu'ya-t-il,Pinkney?demandaIsabelsansseretourner.

— C'est inconvenant, fit valoir Pinkney, qui semblait aussi scandalisée que si Isabel

avait suggéré d'entrer toute nue dans la cathédrale de Westminster. Ce Fantôme est unhomme,milady.

— Je puis te certifier que j'ai déjà vu un homme nu, répliqua Isabel amusée, tandisqu'ellebaissaitlepantalonduFantômesursescuisses.Sessous-vêtementsétaientmaculés.Justeciel!Unhommepouvait-ilsurvivreaprèsavoirperduautantdesang?

— Il a des plaies à l'épaule et aux côtes, ainsi que quelques égratignures, mais rien

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d'alarmantjusque-là,constataMmeButterman,quiachevaitdedénuderlapoitrinedublessé.

Isabel leva lesyeux.Le torseduFantômeétaitsculpté toutenmusclesetdeux tétonsfoncésressortaientsursapeauclaire.Sonventreétaitfermeetplat.Sonnombrils'apercevaitsousquelquesbouclesdepoilsclairsquise retrouvaientégalemententresespectoraux.Lajeunefemmeétaitfascinée.Ellen'avaitpasmentiendisantàsacaméristequ'elleavaitdéjàvuunhommenu-plusieurs,même.MaisEdmundavaitdépassélessoixanteanslorsquelamaladie l'avait emporté, et il n'avait jamais ressemblé à cet homme fort qui se tenait souselle. Quant aux rares amants qu'Isabel s'était autorisés, en toute discrétion, après lamortd'Edmund,tousétaientdesaristocratesvivantdansl'oisiveté.Ilsn'avaientpasbeaucoupplusdemusclesqu'elle.

Le regard de la jeune femme suivit le sillon de poils qui descendait du nombril pourdisparaîtredanslecaleçon.

Surlequelelleavaitposésamain.

Isabel déglutit avant de tirer sur la ficelle du sous-vêtement, d'unemain tremblante,pourlefaireglissersursesjambes.Sonmembreviril,aurepos,luiapparut,longetépais;sestesticules,sombresetlourds.

—Ehbien,commentaMmeButtermanavecironie,aumoins,iln'apasl'airblesséàcetendroit.

—Oh,là,là,ajoutaPinkney,lesjouesempourprées.Isabelfronçalessourcilsetsoulevauncoinducouvre-litpourcacher l'intimitéduFantômeinconscient.Ellen'avaitpasréaliséquesacaméristes'étaitrapprochée.

— Aidez-moi à lui retirer ses bottes, que nous puissions lui enlever son pantalon,demanda-t-elleàMmeButterman.Sinousnevoyonstoujourspasdeblessuregrave,ilfaudraleretourner.

A peine les deux femmes firent-elles glisser le tissu de quelques centimètres sur sesjambesqu'ellesdécouvrirentunebelleestafiladesursacuissedroite.Dusangencoulait.

—Iln'yasansdoutepasbesoindechercherplus loin,conclutMmeButterman.Nouspouvons appeler un médecin, si vous le souhaitez, milady, mais je sais me servir d'uneaiguilleetd'unfil.

Isabelhocha la tête.Elle était soulagéede voirque lablessuren'étaitpas siprofondequ'ellel'avaitd'abordcraint.

— Allez chercher tout le nécessaire,madame Butterman. Pinkney vous aidera. J'ai lesentimentquecethommen'aimeraitpastomberentrelesmainsd'unmédecin.

MmeButtermanquittalapièce,Pinkneysursestalons.

Isabel se retrouva seule avec leFantôme.Pourquoi l'avait-elle sauvé ?Dans le feudel'action,ellen'avaitpasvraimentréfléchi:l'idéed'abandonnerunhommesansdéfenseàunefouleenfurielarévulsait.MaisàprésentqueleFantômesetrouvaitchezelle,elleréalisaitquecepersonnageavaitpiquésacuriosité.Quelgenred'hommepouvaitainsirisquersavie,

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déguisé en Arlequin ? Était-il un vulgaire vide-gousset ou bien un escrimeur aguerri ? Amoinsqu'iln'aitsimplementl'espritunpeudérangé?Quoiqu'ilensoit,c'étaitunhommeenpleineforcedel'âge.Athlétique.Attirant.Etnusoussesyeux.

Enfin,presque.

Isabel tendit lamain pour retirer le carré de soie qui couvrait encore le haut de sonvisage.Était-ilbeau?Monstrueux?Oujusteordinaire?

Mais au moment où la jeune femme allait s'emparer de son masque, la main duFantômesaisitbrusquementlasienne.

Ilouvritlesyeux.Derrièresonmasque,sonregardlafoudroya,implacable.

—Nefaitespascela,murmura-t-ild'unevoiximpérieuse.

Cettejournéenesedéroulaitdécidémentpascommeprévu.

WinterMakepeace contemplait lesbeauxyeuxbleusde lady IsabelBeckinhall et il sedemandaitcommentilpourraits'extrairedecettesituationdélicatesansrévélersonidentité.

—Nefaitespascela,répéta-t-ilàvoixbasse.

Lepoignetde la jeune femmeétaitmenu,mais opposait une résistance certaine soussesdoigts.Sespropresmuscles,eux,manquaientdésespérémentd'énergie.

—Trèsbien,répondit-elle.Depuiscombiendetempsêtes-vousréveillé?

Ellenefaisaitaucunmouvementpourlibérersonpoignet.

—Jesuisrevenuàmoiquandvousm'avezbaissélepantalon.

Winterauraitpuimaginerdescirconstancesbeaucoupmoinsagréablespourreprendreconscience.

—Alorsvousn'êtespasaussiétourdiquenouslepensions,ironisa-t-elle.

Winter tourna la tête pour inspecter le décor qui l'entourait. Une vague de nausée lesubmergeaetilfaillits'évanouirdenouveau.

—Oùsuis-je?

Il parlait toujours à voix basse. Peut-être que s'il se contentait de murmurer, ladyBeckinhallnepourraitpasreconnaîtresavoix.

—Chezmoi,répondit-elle.Jenetoucheraipasàvotremasquesivousnelevoulezpas.

Winternesefaisaitguèred'illusions;iln'étaitpasenmesured'userd'autorité.Ilétaitnu,blesséetilsetrouvaitdansunemaisonqu'ilneconnaissaitpas.Lasituationn’étaitpasàsonavantage.Lajeunefemmehaussadélicatementunsourcil.

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—Enrevanche,vouspourriezpeut-êtrelâchermonpoignet?

Ilécartalesdoigts.

—Pardonnez-moi.

LadyBeckinhallsemassalepoignet.

—Jevousaisauvélavie,toutàl'heure.Maisvousêtesdésormaisàmamerci,dit-elle,balayantduregardlanuditéduFantôme.Jedoutequevoussoyezsincèredansvosexcuses.

Elle était intelligente. Calculatrice. Et elle savait s'y prendre pour séduire un homme.Winterdevinaitledanger.

—Unechoseestsûre,jen'aipasàmefairepardonnermanuditédevantunedame.Je

mesuisréveillédansleplussimpleappareil.Etjesaisquienestresponsable.Vous.Elleécarquillalégèrementlesyeuxetsemorditlalèvre,commesiellevoulaitseretenir

derire.

—Jepuisvousassurerquema...euh,curiositén'étaitdictéequeparledésird'analyserlagravitédevotreétat,monsieur.

—Alors,vousmevoyezhonoréparvotrecuriosité,madame.

Wintern'avaitpaspourhabitudedebadinerainsiaveclesfemmes.Ilsesentaitmeurtriparsonaccidentetdéboussoléparcetteconversation inattendue.Enoutre, ladyBeckinhallluiavaitfaitcomprendre,lorsdeleursprécédentséchanges-quandiln'étaitpourellequeM.Makepeace,ledirecteurdel'hospicepourenfantstrouvésdeSaint-Giles-,qu'elleneletenaitpasentrèshauteestime.

Peut-êtreselaissait-ilallerparcequ'ilportaitsonmasque.Etqu'ilsetrouvaitdansunepièceaudécorintimiste.

Oupeut-êtreétait-celaconséquenceducoupqu'ilavaitreçusurlatête.

—Avez-vousdécouvertcequevouscherchiez?Lajeunefemmeesquissaunsourire.

—Au-delàdemesespérances.

Winterinspiraprofondément.Ildevaitseconcentrerpourcalmerlatensionquimontaitdesonentrejambe.Heureusement,laportes'ouvritetilfermalesyeux.Winterdevinaitqu'ilétaitpréférablequelesautresignorentsonréveil.Iln'auraitpaspuexpliquerpourquoietilpréféraitnepasseposerdequestionsinutilesetobéiràsoninstinct,quiluiavaitdéjàsauvélaviedesdizainesdefois.

Cependant,ilsoulevalégèrementlespaupièrespourtenterd'apercevoirquelquechose.

Son champ de vision était limité : deux femmes, au moins, s'étaient jointes à ladyBeckinhall.

—Commentva-t-il?demandal'uned'elles-unedomestique,àenjugerparletondesa

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voix.

—Iln'apasbougé,réponditladyBeckinhall.

Elle se garda bien d'expliquer qu'ils avaient eu une petite conversation.MaisWintern'étaitpassurpris:ladyBeckinhallavaitl'espritvif,ill'avaitcomprisdepuislongtemps.

—Nousdevrionsluiôtersonmasque,suggérauneautrevoix,plusjeune.

—Celanemeparaîtpasraisonnable,objecta ladyBeckinhall. Ilpourraitnoustuers'ilapprenaitquenousconnaissonssonidentité.

Laplusjeunepoussaunpetitcrid'effroisanscomprendrequelavoixdeladyBeckinhallétaitunpeutropsolennellepourêtresérieuse.

Ladamelaplusâgéesoupira.

—Bon,jevaisrecoudresaplaie.Ensuite,nouspourronsl'installerplusàsonaise.

Acesmots,Wintercompritqu'ilallaitpasseruntrèsmauvaismoment.

Commetoutsoncorpsétaitendolori,ilnes'étaitpasrenducomptequesacuissedroitel'élançait plus particulièrement. C'était donc là que se situait la blessure qu'avait cherchéeladyBeckinhall.

Ilfermalesyeuxetattendit,s'efforçantdecontrôlersarespirationetdesedétendre.

C'est l'effet de surprise qui rend la douleur insupportable, lui avaitexpliqué son mentor, bien des années plus tôt. Si tu t'y attends, la douleur nedevientqu'unesensationparmid'autres,quetupeuxmaîtriser.

Ilpensait à l'hospice et auxeffortsqu'il faudraitdéployerpourdéménager lesquatre-vingt-deux enfants dans le nouveau bâtiment, tandis que des doigts s'activaient sur sablessurepourenrapprocherlesbords.Ladouleurfusajusquedanssondosmaisilréussitàne pas ciller. Toute son attention était concentrée sur le déménagement. Il essayaitd'imaginercommentréagiraitchacundespetitspensionnairesàcegrandchambardement.

Lesnouveauxdortoirsétaientbeaucoupplusspacieuxquelesprécédentsetéclairéspar

degrandesfenêtres.Uneaiguilleluitransperçaitleschairs.Laplupartdesenfantsseraientheureuxduchangement.JosephTinbox,parexemple.Ilavaitdéjàonzeans,maisil

s'amuseraitbeaucoupàcourirdanslescouloirs.Ladouleurcauséeparl'aiguilleétaitàpeinesupportable.Enrevanche,ungarçoncommeHenryPutnam,quivenaitd'arriverà l'hospiceetqui se souvenait encorede sonabandon,pourrait enêtreperturbé.Etcetteaiguillequitraçaitunsillondanslachair.WintersepromitdefairetrèsattentionàHenryPutnam.

Toutàcoup,ilsentitunliquideencontactavecsablessure.Wintereutl'impressionquesajambeprenait feu.Ildutfaireappelàtoutesavolontéetàtoutesonexpériencepourne

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pastressauter.Ilinspirait.Expirait.Seconcentraitsurledéménagement…

Au bout de quelques minutes, il réalisa que l'aiguille avait cessé son va-et-vientétourdissant. Une main se posa sur son front. Il n'eut pas besoin d'ouvrir les yeux pourdevinerqueladyBeckinhallétaitpenchéesurlui.

—Ilnesemblepasavoirdefièvre,murmura-t-elle.Wintersentaitlesouffledelajeunefemme balayer son front. Cette douce caresse sembla un instant voyager sur son corpsdénudéetélectrisersesterminaisonsnerveuses...Ildivaguait.Lecoupqu'ilavaitreçusurlatêtes'avéraitplussérieuxqu'ilnel'avaitimaginé.

—J'aiaussimontédel'eauchaudepourlelaver,ditladomestique.

—Merci,madameButterman,maisvousenavezassez faitpourcesoir, répondit ladyBeckinhall.Jevaism'enchargermoi-même.

—Mais,milady...protestalajeunepersonne.

—Vousm'avezétéd'ungrandsecourstouteslesdeux,lacoupaladyBeckinhall.Laissez-moil'eauchaudeetdeslingespropres.Vouspouvezemporterlereste.

Unepetiteagitation,unbruitd'objetmétalliquetombantdansunebassineenétain, laportequis'ouvreetserefermedanslafoulée.

—Êtes-voustoujoursréveillé?demandaladyBeckinhallunefoislesilencerevenudanslachambre.

Winterouvrit lesyeux.Elle tenaitun lingehumideà lamainet le fixait. Il se raiditàl'idéequ'elles'apprêtaitàletoucher.

—Votreblessuresaigneencoreunpeu,l'avertit-elle.J'aipenséqu'ilseraitpréférabledelanettoyer.Amoinsquevousn'ayezpeurd'avoirmal?

Lemettait-elleaudéfi?

—Jen'aipaspeurdecequevouspourriezm'infliger,milady.

Isabelprituneprofonde inspiration.La lueurdedéfiancequibrillaitdans lesyeuxduFantômene lui avait pas échappé. Il était resté immobile pendant queMmeButterman lerecousaitetelleavaitredoutéqu'ilnesesoitdenouveauévanoui.Maisàprésent,sesjouesreprenaientdescouleurs.

—Vousn'avezdoncpeurderien?demanda-t-elle.Nidemoi,nid'unefouleencolèresurlepointdevousmassacrer?Dites-moi,monsieurleFantôme,quecraignez-vous?

Wintersoutintsonregard.

—Dieu,jesuppose.TouthommeestsupposécraindresonCréateur.

— Non, pas tous les hommes, objecta Isabel, qui n'avait encore jamais tenu deconversationphilosophiqueavecunhommedénudéetmasqué.

Elleappliquadélicatementlelingehumidesurlablessureavantd'ajouter:

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—Certainshommesn'ontpeurnideDieunidelareligion.

EllesentitlesmusclesduFantômeseraidir.

— C'est vrai, acquiesça-t-il, suivant des yeux lesmouvements de la jeune femme. Enrevanche,laplupartcraignentlamort.Etleurjugedansl'au-delà.

—Etvous,murmura-t-elle.Avez-vouspeurdelamort?

—Non,répondit-ilsanslamoindreémotion.

Ellesepenchasursablessurepourl'examinerplusendétail.MmeButtermanavaitfaitdu bon travail. Si la guérison se passait bien, le Fantôme garderait une cicatrice,mais elleseraitdiscrète.Ilauraitététropdommaged'abîmeruneaussibellecuisse.

—Jenevouscroispas.

Ilsouritsubitement,commesisonamusementlesurprenaitlui-même.

—Non?Etpourquoivousmentirais-je?Ellehaussalesépaules.

—Parbravade.Celacorrespondraitbienàvotremaniedevousdéguiser.

— Précisément, acquiesça-t-il. Je hante les rues de Saint-Giles avec un masque, unetenued'Arlequinetuneépée.Pourquoiferais-jecelasij'avaispeurdelamort?

—Parfois,lesgensdéjouentleurpeurdelamortens'enmoquant.

Elle lavait à présent le haut de sa cuisse, s'approchant dangereusement de sonentrejambe.Wintersentitsonsexesedresseret lecouvre-lit sesoulevaàcetendroit.LadyBeckinhallrinçasonlingedanslacuvettecommesiderienn'étaitetrepritsatâche.

Winterluisaisitlepoignet.

— Et vous, je crois que vous jouez à me provoquer. Isabel contemplait la bosse quidéformaitlecouvre-lit.

— En admettant que vous ayez deviné juste, dit-elle, avant d'accrocher son regard, laquestionestdesavoirsivousaimezcegenredeprovocation?

—Quelleimportance?demanda-t-ilavecunegrimacecynique.

—Vousavezraison.Pourquoiprovoquerunhommequiresteraitindifférent?

—Pourlesimpleplaisirdujeusansdoute.

Lajeunefemmebaissalesyeuxsursonpoignet,qu'ilserraittoujours.

—Vousmefaitesmal.

Aulieudelalibérer,leFantômetirasursonbraspourlaforceràsepenchersurlui.Elleétaitsiprèsdesonvisagequ'ellepouvaitvoirl'anneauambréquientouraitsoniris.

—Jesuisdésolédevousfairemal,madame.Maissachezquejenesuispasunepoupéeaveclaquelleons'amuse.

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Isabelauraitvouluqu'ilenlèvesonmasqueafinqu'ellepuisseenfinvoirlevisagedeceFantômequiavaitréussiàpiquersonintérêt.Ellen'étaitpashabituéeàtantdefranchise.Lesgentlemen de sa connaissance préféraient s'exprimer par énigmes distinguées, qui souventfinissaient par ne plus rien signifier. Était-il un homme du peuple ? Cependant, il nes'adressaitpasàellecommes'ilsesavaitd'unmilieusocialinférieur.

Aucontraire, il conversaitavecelle surunpland'égalité.Etcommes'ils s'étaientdéjàrencontrés.

—Non,eneffet,vousn'êtespasunepoupée.Excusez-moi.

Ilécarquillalesyeux,commes'ilétaitsurpris,etlarelâchasubitement.

— C'est moi qui devrais m'excuser. Vous m'avez sauvé la vie. J'en ai parfaitementconscience.Merci.

Isabel se sentit rougir devant ces aveux. Bonté divine ! Cela ne lui était plus arrivédepuis qu'elle était jeune fille. Elle avait badiné avec des ducs, flirté avec des princes.Pourquoicetinconnu,avecsesparolessisimples,l’émouvait-ilautant?

—Oublionscela,répondit-elle,jetantlelingedanslacuvette.Vousavezperdubeaucoupdesang.Reposez-vousjusqu'àdemainmatin.Vousn'êtespasenétatdebougerpourl'instant.

—Vousêtesbiengénéreuse.Ellesecoualatête.

—Jecroyaisquenousétionstombésd'accordpourdirequejen'avaispasdecœur.

Ilfermalesyeuxetunsouriresedessinasurseslèvres.

—Vousvenezdemeprouverlecontraire,ladyBeckinhall.

Isabel le regarda, attendant qu'il ajoute autre chose. Mais sa respiration se fit plussourde.LeFantômedeSaint-Giless'étaitendormi.

La lumière gris-rose de l'aube perçait par la fenêtre quand Isabel ouvrit les yeux.Uninstant,ellesedemandapourquoisondoslafaisaitsouffriretpourquoielleavaitdormidansunfauteuil.Puissonregardtombasurlelitàcôté.

Ilétaitvide.

Elle se releva, les muscles raidis. Le couvre-lit avait été remis grossièrement et unetachedesangressortaitaumilieudesdrapsblancs.Isabelposasamainsurlematelas.Ilétaitfroid.LeFantômeavaitdûs'éclipserdepuisunmoment.

Lajeunefemmeallaouvrirlaportepourappelerunefemmedechambre.Ellevoulaitserenseigner,mêmesiellesavaitdéjà,ensonforintérieur,qu'ilétaitpartisanslaisserdetraces-àpartcettetachedesang.

Ellerevintverslelitvide,qu'ellecontemplad'unairmoroseenattendantlafemmedechambre.Toutàcoup,undétail luirevintenmémoire,quine l'avaitpasfrappéehiersoir-

elleétaitsansdoutetropfatiguéepourréagir.LadyBeckinhall.Ill'avaitappeléeparsonnom,alorsquepersonnenel'avaitprononcéensaprésence.

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Isabelretintsonsouffle.LeFantômedeSaint-Gileslaconnaissait.

2

Vousn'allezpaslecroire,maisleFantômedeSaint-Gilesn'étaitqu'unsimplemortel.Acteurdethéâtre, il interprétait le rôle d'Arlequin au sein d'une troupe itinérante qui se déplaçait de ville enville.Etquandildégainaitsonépéedeboiscontreleméchantdelapièce,celafaisaitundrôledebruit-Clip!Clap!-quidéclenchaitl'hilaritédesenfants.

WinterMakepeace,letrèsaustèredirecteurdel'hospicepourenfantstrouvésdeSaint-Giles,crapahutait,àl'aube,surlestoitsdeLondres.Parvenuàdestination,ilselaissaglisserle longdestuilesetrestaquelques instantssuspendudans levide, lesdoigtsaccrochésà laborduredutoit.Puis,d'unmouvementdereins,ils'engouffradansungrenierparunefenêtreouverte. Il atterrit sur le plancher en grimaçant : sa cuisse le faisait souffrir et ses pieds

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endoloriss'étaientécraséssurlesolavecunbruitmat.

D'ordinaire,ilétaitcapablederentrerparlafenêtredesachambresansfairelemoindrebruit.

Wintergrimaçadenouveauquand il s'assit sur son litpourexaminer sa combinaisond'Arlequin.Elle était sale,maculée de sang et surtout déchirée sur une grandepartie de lajambedroite.Illaretira,enprenantsoindelafaireglisserdoucementsursablessurepansée,puisillaroulaenbouleetlaglissasoussonlitavecsonépée,sonmasqueetlerestedesondéguisement.Iln'étaitpassûrdepouvoirréparerlesdégâts:ilétaitcapabledesedébrouilleravecuneaiguille,maispasd'accomplirdesmiracles.Wintersoupira.Ilseraitprobablementobligédeseprocurerunnouveaucostume.Leproblème,c'estqu'iln'enavaitpaslesmoyens.

Ilserelevaetsedirigea,nu,verssatabledetoiletteoùilversal'eaudupichetdanslacuvettepoursedébarbouiller.Pourlapremièrefoisdesavie,ilregrettaitdenepasdisposerd'unmiroir, qui lui aurait permis de savoir s'il avait des bleus ou des égratignures sur levisage.

Wintersoupiraunenouvellefoisets'agrippaquelquesinstantsaureborddesatabledetoilette,laissantl'eauruisselersursonvisageetretombergoutteàgouttedanslacuvette.Ilavait mal partout. Et il n'aurait su dire à quand remontait son dernier repas. Il lui fallaitpourtants'habilleretremplirsesobligationsdelajournéecommesiderienn'était.Donnerlaclasseàdesgarçonsturbulentsetrécalcitrants,préparerledéménagementdel'orphelinatet,enpremierlieu,s'assurerquesasœurcadette,Silence,étaitsaineetsauve.

Sonprogrammeétaitchargé.

MaisWintersesentaitsi lasqu'il s’écroulasurson lit.Quelquesminutesderepos luiparaissaientindispensablesavantdesejeterdansletumulteduquotidien.

Il ferma les yeux avec l'impression qu'une main délicate et féminine lui caressait lajoue.

Bang!Bang!Bang!Réveilléparlescoupsfrappésàsaporte,Winterseredressad'unbonddanssonlit,ce

quiluiprovoquaunélancementdouloureuxàlacuissedroite.Lesoleilpénétraitàflotsdanssa chambre.Et à en jugerpar l'inclinaisondes rayons, lamatinée touchait à sa fin.Winteravaitbeaucouptropdormi.

—Winter!Appelaunevoixfémininealorsquelescoupsreprenaientcontresaporte.Tueslà?

—Uneseconde!

Winter tira sa chemise de nuit de sous son oreiller et la passa par-dessus sa tête. Ilcherchasonpantalonduregardsansréussiràserappeleroùill'avaitposélaveille.

—Winter!

Avecunsoupir,Winterarrachasondrapdelitpourl'enroulerautourdelui,avantd'aller

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ouvrirlaporte.

— Ce n'est pas trop tôt ! s'exclama Tempérance Huntington, baronne Caire, sa sœuraînée.

Elles'engouffradanslapièce,suivied'unefillettedetreizeansauxcheveuxnoirsetauxjoues toutes roses. Mary Pentecôte était l'aînée des pensionnaires de l'orphelinat, aussis'acquittait-elled'uncertainnombredetâches.

Tempérancesetournaverselle.

—Vadireauxautresquenousl'avonstrouvé.

— Oui, madame, acquiesçaMary. Je suis bien contente que vous soyez sain et sauf,monsieur,ajouta-t-elleàl'attentiondeWinter.

Etelles'éclipsa.

Tempéranceinspectalachambrecommesiellecherchaitquelqu'unquiseseraitcachédansuncoin,puisellefronçalessourcilsavecsévérité.

—Enfin,Winter!Nousavonspasséunepartiedelanuitetdelamatinéeàtechercher.J'aicraintlepire,hiersoir,enapprenantquelesémeutiersécumaientlequartierSaint-Giles.D'autantquetuavaisdisparu.

Tempérance se laissa choir sur le lit.Winter ouvrit la bouchepour répondre,mais sasœurn'enavaitpasterminé.

— Et puis, Silence nous a fait prévenir dans la soirée qu'elle avait épousé MickeyO'Connoretqu'elleétaitpartieseterreraveclui.Sonmessageavaitétéapportépardeuxdeshommes d'O'Connor, à qui nous devions confier Mary Darling. Ils avaient des minespatibulaires,maisjedoisreconnaîtrequ'ilssemblaientbeaucoupaimerMaryDarling.Etquec'étaitréciproque.

Elles'arrêtapourreprendresarespirationetWinterenprofitapours'engouffrerdanslabrèche.

—Donc,Silenceestsaineetsauve?Tempérancelançasesmainsenl'air.

— Espérons-le ! Les militaires ont patrouillé dans la ville toute la nuit, et encore cematin, dans l'espoir de retrouver Mickey O'Connor. Imagine un peu : on raconte qu'il sebalançaitdéjàauboutd'unecordequand leFantômedeSaint-Gilesa surgipour le libérer.Maisc'estprobablementexagéré.Tusaiscommelesrumeursvontbontrain.

Winter demeurait impassible. Pourtant, cette fois, les racontars n'exagéraient pas : ilétaitarrivéjusteàtempspoursauverO'Connordelapendaison.Cela,biensûr,ilnepouvaitpasledireàsasœur.

— Et le « palais » deM. O'Connor a brûlé dans la soirée, ajouta Tempérance à voixbasse.Cematin,onaretrouvéuncadavreaumilieudescendres,ettoutlemondepensequ'ils'agit du pirate,mais celame paraît impossible. Lemot de Silence nous est parvenu après

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l'incendie.Donc,j'endéduisqueM.O'Connoresttoujoursvivant.Qu'enpenses-tu,Winter?Crois-tuqueSilencepuisseêtreensécuritéavecuntelhomme?

VoilàaumoinsunequestionàlaquelleWinterpouvaitrépondresanshésiter.

—Oui,dit-il,accrochantleregarddeTempérance,pourqu'ellepuisseseconvaincredeson assurance. Mickey O'Connor était peut-être un dangereux pirate - et présentement,l'hommeleplusrecherchédeLondres-etquelqu'unqueWintern'appréciaitguère,mais ilétait fou de sa sœur cadette. M. O'Connor aime Silence et Silence est amoureuse de lui,précisa-t-il.J'aieul'occasiondelesvoirensemble.Jesuissûrqu'ilseraitprêtàdonnersaviepourelle.

—Espéronsquandmêmequ'ilneleurarriverarien,murmuraTempéranceenfermantlesyeux.

Elle n'avait que vingt-neuf ans - à peine trois ans de plus que lui - maisWinter futfrappéde constaterquequelques ridules se creusaient aux coinsde ses yeux.Avaient-ellestoujours existé, sans qu'il s'en aperçoive, ou étaient-elles apparues récemment, dansl'excitationdecesdernièressemaines?

Sasœurouvritsoudainlesyeux.

—Tun'aspasréponduàmaquestion.Oùétais-tupassé?

Winters'assitsurlelit,sonépaulecontrecelledeTempérance.

—J'ai été surprispar les émeutiers. J'étais en retardpourmon rendez-vousavec ladyBeckinhall et en voulant me dépêcher, je me suis retrouvé encerclé par cette foule quivociférait.

—Oh,monDieu,Winter!s'exclamasasœur,posantunemainsursonbras.Quet'est-ilarrivé?

Ilhaussalesépaules.

—Jenecouraispasassezvitepourleuréchapper.Jesuistombéetquelqu'unm'afrappéà la jambe, expliqua-t-il, montrant sa jambe droite. Dieu merci, elle n'est pas cassée,s'empressa-t-ild'ajouterdevantl'expressionhorrifiéedesasœur.Maiscommej'avaisdumalàmarcher,jemesuisabritédansunetavernepourattendrequelecalmerevienne.Etjenesuisrentréiciquetrèstarddanslanuit.

Tempérancefronçalessourcils.

—Personnenet'avurentrer.

—Commejetel'aidit,ilétaittrèstard.

Winters'étonnaitparfoisdelafacilitéqu'ilavaitdésormaisàmentir-mêmeàceuxquiluiétaientproches.Ilfaudraitunjourqu'ilréfléchisseàcedéfaut,qu'ilnejugeaitguèreàsonavantage.

— Etmaintenant, je suppose qu'il n'est pas loin demidi, ajouta-t-il, regardant par la

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fenêtre.Ilseraittempsquejeremplissemesobligations.

—Nedispasdebêtises!SerécriaTempérance.Tuesblessé,Winter.Cen'estpasparcequetupasserasunejournéeaulitquelamaisonseretrouverasensdessusdessous.

— Tu as peut-être raison, commença-t-il, avant de s'interrompre devant les sourcilsfroncésdesasœur.Qu'ya-t-il?

—Tunecherchespasàdiscuter,murmuraTempérance.Cen'estpasdansteshabitudes.Montre-moitablessureàlajambe.

—C'estjusteunvilainbleu,mentitWinter.Riend'inquiétant,jet'assure.

Alafaçondontelleleregardait,ilétaitclairqu'ellen'encroyaitpasunmot.

—Mais je vais suivre ton conseil et rester au lit aujourd'hui, s'empressa-t-il d'ajouterpourlacalmer.Dureste,Wintern'étaitpascertaindepouvoirtenirdebouttrèslongtemps.

— Parfait, approuva Tempérance, se relevant avec entrain. Je vais demander à undomestique de te monter un bol de soupe. Ne crois-tu pas que je devrais faire venir unmédecin?

— Ce ne sera pas nécessaire, répliqua Winter, un peu trop sèchement. Un médecincomprendraittoutdesuitequesablessureavaitétécauséeparunelame.Etlagouvernantede lady Beckinhall l'avait recousue proprement. Je t'assure, Tempérance, ajouta-t-il, d'unevoixradoucie.J'aijustebesoind'unpeuderepos.

—Hmm,répliquasasœur,quinesemblaitguèreconvaincue.Sijenedevaispaspartirdansl'instant,jem'assureraispersonnellementqu'unmédecinviennet'examiner.

—Oùvas-tu?demandaWinterdansl'espoirdedétournerlaconversation.

LevisagedeTempérances'assombritlégèrement.

— Une réception à la campagne, à laquelle Caire veut absolument que nous nousrendions.J'aipeurqu'iln'yaitquedesaristocrates.Ilsvonttousmeregarderdehaut.

—J'endoutefort.Cairenelepermettraitpas.Tempéranceavaitdéjàretrouvélesourire.

—C'estvrai.Tuasraison.

Winterétaitheureuxquesasœuraitpuépouserunmariquil'adorait-mêmes'ilétaitdenoblenaissance.

Il ressentit un petit pincement au cœur. A présent, Tempérance et Silence, les deuxpersonnesdontilétaitleplusproche,étaientl'uneetl'autremariées.Bientôt,ellesauraientdes enfants. Elles resteraient ses sœurs, bien sûr, mais leur nouvelle vie de famille leséloigneraitfatalementdelui.

EtWinterseretrouveraitseul.

Cependant,ilrefusadeselaisseralleràcessombresidées.

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— Tu t'en sortiras très bien, assura-t-il à Tempérance. Tu es intelligente, honnête etsincère.Desqualitésqu'àmonavis,peud'aristocratespossèdent.

Ellesoupira,avantd'ouvrirlaporte.

—Tuassansdouteraison.Maisjenesuispascertainequel'intelligence,l'honnêtetéetlasincéritésoienttrèsestiméeschezlesaristocrates.

MaryPentecôteapparutdel'autrecôtédelaporte.

—Madame,lordCairevousfaitdirequ'ilvousattenddanslavoiture.

—Merci.Mary,réponditTempérance,caressantlajouedelafillette.Jesuisdésoléedet'abandonner déjà,ma chérie.Nous n'avons pas eu beaucoup le temps de parler toutes lesdeux.

L'expression stoïque deMary parut, un instant, se fissurer de l'intérieur. Tempéranceavaithabitéàl'orphelinatjusqu'àsonmariageetelles'étaitliéeàlapetite.

—Non,madame,convintlafillette.Maisvousreviendrezbientôt,n'est-cepas?

Tempérancesemorditlalèvre.

—Pasavantunbonmois,j'enaipeur.J'aitouteunelistederéceptionsàhonorer.

Maryhochalatêteavecrésignation.

—Jecomprendsquecen'estpluspareil,maintenantquevousêtesunelady.Vousn'êtesplustoutàfaitcommenous.

A ses paroles, Tempérance grimaça. Winter frissonna. Mary avait raison : l'universaristocratique était unmonde à part oùMary et lui n'auraient peut-être jamais leur place.Faire fusionnercesdeuxmondesnedonnaitpas forcémentdebonsrésultats.Winter feraitbiendes'ensouvenirlaprochainefoisqu'ilverraitladyBeckinhall.

Lemobilieretladécorationrespiraientl'opulence.MaisIsabeltrouvaitqueleluxedelademeure londonienne du comte de Brightmore était si ostentatoire qu'il versait dans leridicule.Descolonnesdemarbreroseaccoléesauxmursdugrandsalonétaientsurmontéespardeschapiteauxcorinthiensornésàlafeuilled'or.Etlesdoruresseretrouvaientaussisurlesmeubles ou les bibelots.Même la fille du comte, ladyPénélopeChadwicke, portait unerobe brodée d'or. Isabel jugeait absurde d'arborer une pareille toilette pour un simple thé,maisunechoseétaitsûre:ladyPénélopecadraitparfaitementavecledécor.

— M. Makepeace est certainement très intelligent, disait lady Pénélope, avec uneinflexion de voix qui laissait entendre qu'elle n'était pas convaincue des capacitésintellectuelles du responsable de l'orphelinat.Mais il n'a pas l'étoffe pour diriger une telleinstitutioncharitable.Jepensequenousdevrionstoutesnousmettred'accordsurcepoint.

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Isabelmordit dans son scone, attendant le verdict des autres. Le comité de soutien àl'hospice pour enfants trouvés de Saint-Giles tenait une réunion d'urgence qui rassemblaittous ses membres présents à Londres : lady Phoebe Batten, lady Margaret Reading, ladyPénélope et sa dame de compagnie, Mlle Artemis Greaves, qui faisait partie de facto ducomitéetsuivait ladyPénélopepartout.ManquaientTempéranceHuntington, la jeune ladyCaire,sabelle-mère,ladyAmeliaCaire,etladyHero.

Aenjugerparl'expressiondesvisages, le jugementtranchantdeladyPénélopesurM.Makepeace était loin de faire l'unanimité. Mais comme cette dernière, en plus d'être unebeauté,étaitunerichissimehéritière,personnen'osaitserisqueràprovoquersonire.

CependantladyMargaretfitminedes'éclaircirdélicatementmaisfermementlavoix.LadyMargaretétaitpresqueaussi jeuneque ladyPénélope.Elleavait lescheveuxnoirs,unvisageavenantetsemblaitdotéed'unepersonnalitéaffirmée.

— Il est dommage queM.Makepeace ne puisse plus compter sur ses sœurs pour leseconder, hasarda-t-elle. Mais cela fait déjà plusieurs années qu'il dirige l'orphelinat et jetrouvequ'ilsedébrouilleplutôtbien.

—Pfft !rétorqua ladyPénélope,presquedédaigneuse.Cen'estpas l'absenced'autoritéféminine que je mets en cause. Vous ne pouvez pas prétendre sérieusement que M.Makepeace saurait dignement représenter l'orphelinat à toutes les réceptions auxquelles ilseraconviémaintenantquenoussommesdamespatronnessesdel'établissement.

LadyMargaretparuttroublée.

—Euh...

— La formation de notre comité de soutien a considérablement rehaussé l'image del'orphelinat, reprit lady Pénélope. Désormais, son directeur sera invité partout. Et lecomportementdeM.Makepeacerisquedenousporterombrage!

Lady Pénélope avait ponctué sa tirade d'un geste dramatique de la main, qui avaitmanqué heurter le nez de Mlle Greaves, assise juste à côté d'elle. La jeune femme auphysique ordinaire et qui s'exprimait rarement ne put s'empêcher de sursauter. Isabel sedemandasiellenes'étaitpasassoupie,lepetitchiendeladyPénélopesursesgenoux.

—Non ! poursuivit lady Pénélope. Cet homme est d'une gaucherie impossible. Il y atroisjours,ilavaitrendez-vousavecladyBeckinhallpourluifairevisiterlesnouveauxlocaux.Iln'estpasvenu.Etleplusbeau,c'estqu'iln'amêmepasenvoyédemotd'excuse!

Isabels'amusaitdevoirladyPénélopetoutexagérer,commeàsonhabitude.

—Remettons les chosesdans leur contexte, rappela-t-elle.Ce jour-là, le quartier étaitsillonnépardesémeutiers.

Etpoursapart,elleavaitététropoccupéeàsauverunmystérieuxhommemasqué,dontlecorpsathlétiquehantaitsesrêvesdepuislors.

Isabels'empressadeboireunegorgéedethépourchasserl'imageduFantôme.

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—Émeute ou pas émeute, ne pas envoyer demot d'excuse à une lady est la pire desimpolitesses!S’entêtaladyPénélope.

Isabel haussa les épaules et prit un autre scone. Personnellement, elle jugeait qu'uneémeuteconstituaitunmotifsuffisantpournepasserendreàunrendez-vous.Enoutre,M.Makepeace s'était excusé le lendemain, ce qu'ignorait manifestement lady Pénélope. MaisIsabel ne voulait pas se disputer avec elle.M.Makepeace était un bon directeur,mais elledevaitconvenirqu'iln'avaitpassaplacedanslesréceptionsmondaines.

—Ilnousfautabsolumentunnouveaudirecteurpourl'inaugurationdeslocaux,conclutladyPénélope.

Quelqu'unquisoitcapabledeconverseravecuneladysansrisquerdel'offenseràtoutmoment. Quelqu'un qui puisse se présenter sur un pied d'égalité avec des gentlemen. Enrésumé,quelqu'unquinesoitpaslefilsd'unvulgairebrasseurdebière.

Ses lèvres s'étaient plissées avec dédain en prononçant ces derniers mots, comme sibrasserlabièreétaituneactivitéinfâme.

Le Fantôme de Saint-Giles serait capable de faire jeu égal avecn'importequelgentleman,pensauninstantIsabel,avantdeseconcentrerdenouveausurlaconversation.

—TempéranceHuntingtonestlasœurdeM.Makepeace,fit-ellevaloir.Parconséquent,elleestégalementlafilled'unbrasseurdebière.

—Eneffet,convintladyPénélope.Maiselles'estmariéeàuntrèsbonparti.

—Quoiqu'ilensoit,intervintladyMargaret,jenevoispasdequeldroitnousretirerionsl'orphelinatàM.Makepeace.Ilaétéfondéparsonpère.

—Mais l'orphelinat n'est plus ce qu'il était, objecta lady Pénélope. C'est devenu unegrande institution, dont le prestige ne cessera de croître. Et une institution à laquelle nosnoms sont désormais attachés. Dans moins de quinze de jours, son directeur sera tenud'assisteraugrandbalde laduchessed'Arlington.Essayezdevousreprésenter larencontreentreM.Makepeaceetladuchesse!C'esttoutsimplementinimaginable.

Hélas, lady Pénélope marquait un point. Avec la création du comité de soutien àl'orphelinat, généreusementdotépar toutes cesdames, ledirecteurde l'établissement étaitdevenuune figurede labonnesociété londonienne. Ildevrait représenter l'orphelinatdansdiverses mondanités. Or, de toute évidence, M. Makepeace n'était pas rompu à un telexercice.

—Jepourraisluiapprendrelesbonnesmanières,proposaladyPhoebe.

Touteslestêtessetournèrentverselle.LadyPhoeben'avaitguèreplusdedix-septans.Elle n'avait même pas officiellement fait ses débuts dans le monde. Ce qui, d'ailleurs,n'arriverait sans doute jamais, car la malheureuse était affublée de lunettes à verresgrossissantsquisemblaientdemoinsenmoinsefficaces.LadyPhoebeperdaitlavueetserait

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sansdoutebientôtaveugle.

Cependant,elleredressafièrementlementon.

— Je pourrais aider M. Makepeace, insista-t-elle. Je suis certaine que je pourrais yarriver.

—Nousn'endoutonspas,machère, répondit Isabel.Mais ilne seraitpas convenablequ'uncélibatairecommeM.Makepeacesoitcornaquéparunejeunefille.

LadyMargaretouvrit labouchepourdirequelquechose,maisellelarefermaaussitôt.LadyMargaretn'étaitpasnonplusmariée.Aussi,plutôtquedeproposersacandidature,ellesecontentadesoutenirleprojetdeladyPhoebe:

—C'estunebonne idée, se réjouit-elle.M.Makepeace est intelligent.Siquelqu'un luienseignaitlesusetcoutumesdelabonnesociété,jesuissûrequ'ilseraitcapabled'acquérirlasophisticationquiluifaitdéfaut.

EllesetournaversladyPénélope-laquellefaisaitlamoue.QuantàMlleGreaves,elleregardaitobstinément lepetitchien lovésursongiron.Entantquedamedecompagniedelady Pénélope, il aurait été suicidaire pour elle d'émettre un avis différent de celui de samaîtresse.

LadyMargaretsetournaalorsversIsabel.Celle-ciesquissaunsouriremachiavélique.

—Cequ'ilnousfaut,c'estunedamequiconnaisseparfaitementlesressortsdelabonnesociété, et qui ne soit plus vierge, résuma Isabel. Une dame qui saura faire briller M.Makepeacecommelediamantqu'ilest,maisquisecacheencoresoussagangue.

Trois jours plus tard,WinterMakepeace descendait prudemment le grand escalier enmarbredunouveaubâtimentquidevaitabriterl'orphelinat.Cetescaliern'avaitévidemmentplusrienàvoiraveclesvieillesmarchesenboistoutesdeguingoisdel'anciennerésidence.Maislemarbren'étaitpasmoinspérilleuxpourquelqu'unquidevaits'aiderd'unecanneenattendantquesablessureàlacuisseguérisse.

—Waow!s'exclamaJosephTinbox.Larampepourraitfaireunjolitoboggan.

A peine eut-il proféré cet avis qu'il réalisa son erreur et offrit à Winter un sourireangélique:

—Jedisaisçacommeça.Jenemelepermettraispas,biensûr.

—Ceneseraitpastrèsraisonnable,eneffet,réponditWinter.

Il se promit d'ajouter un nouvel article au règlement intérieur, qui interdirait auxenfantsd'enfourcherlarampedel'escalier.

— Ah, vous voilà, monsieur ! s'exclama Nell Jones, la plus ancienne domestique de

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l'orphelinat et désormais bras droit de Winter. Une dame vous attend dans le salon.Malheureusement,nousn'avonsplusdemuffins.EtAlicenetrouvepluslesucre.

—Desgâteauxsecssuffiront,larassuraWinter.Ettusaisbienquejeneprendsjamaisdesucredansmonthé,Nell.

—Vous,non.MaisladyBeckinhall,si.Winters'immobilisasurladernièremarche.

—LadyBeckinhall?

— Oui, elle est venue avec sa camériste, murmura Nell, comme si lady Beckinhallpouvait l'entendre à travers les murs. Et elle porte des boucles dorées à ses souliers - lacamériste,pasladyBeckinhall!

Nellsemblaitlittéralementsubjuguée.

Winterseretintdesoupirer.L'idéederevoirladyBeckinhalln'étaitpaspourluidéplaire-dumoins,ellenedéplairaitpasàunecertainepartiedesonanatomie-maisiln'avaitguèreenvied'endurerlacuriositédelajeunefemme.

—Apporte-nouslethéetlesgâteauxsecs,dit-ilàNell.

—Etpourlesucre?

—Jem'endébrouillerai.Net'inquiètepas,ilnes'agitqued'uneinvitée.

—Oui,maisavecunecaméristeàladernièremode,marmonnaNell,avantdes'éclipserencuisine.

—Nell!larappelaWinter,sesouvenantdelaraisonpourlaquelleilétaitdescendu.Lesfillessontarrivées?

—Non,monsieur.

—Commentcela?

Ilavaitreçuunmot,cematin,l'informantquedeuxsœursorphelines,âgéesdecinqans,mendiaientsurHogLane.Winteravaitaussitôtdécidéd'envoyerTommy,leseuldomestiquemasculindel'hospice,leschercher.

Nellhaussalesépaules.

—Tommyaditqu'ellesn'étaientplusdansHogLanequandilestarrivé.

Winterfronçalessourcils.Pasplustardquelasemainedernière,ilétaitpartirécupérerune fillette d'environ sept ans abandonnée à Saint-Giles-in-the-Fields. Mais quand il étaitarrivé à l'église, la fillette avait disparu. Des êtres malfaisants étaient souvent à l'affût defillettes esseulées ; cependant, à huit jours d'intervalle, voilà que trois fillettes sevolatilisaient.C'étaitincompréhensibleetsurtoutinquiétant...

Quelqu'untiraitsursamanche.WinterbaissalesyeuxetdécouvritleregardimplorantdeJosephTinbox.

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—S'ilvousplaît,monsieur.Jen'ai jamaisvudesouliersàbouclesdorées.Jepourraisvousaccompagnerpourvoirladameetsacamériste?

—Viens.

Winterdescenditladernièremarcheetcachasacannedansuncoin.Puisilappuyaunemainsur l'épauledugarçonnet.Avecunpeudechance, le subterfugepasserait inaperçu. Ilvoulait à tout prix éviter que ladyBeckinhall ne s'aperçoive qu'il boitait de la jambedroitepourqu'ellenepuisseopérerderapprochementaveclablessureduFantôme.

—Tuserasmabéquille,ajouta-t-il,avecunsourirepourl'enfant.

JosephluirenditsonsourireavecunetellespontanéitéqueWinters'obligeaàmaîtriserl'élanchaleureuxqu'ilsentaitmonterdanssapoitrine.Entantquedirecteurdel'orphelinat,ilne pouvait témoigner une affection particulière à tel ou tel enfant. Les quatre-vingt-deuxpensionnaires de l'établissement devaient tous être traités avec lamême impartialité. Sonpère,qui avait fondé l'hospice, avait toujours su semontrer à la fois attentionnéetdistantvis-à-visdechacun.MaisWinteravaitbeaucoupdemalàsuivresonexempleàlalettre.

Ilétreignitl'épauledugarçonnet.

—Jecomptesurtoipourbientetenir,JosephTinbox.

—Oui,monsieur.

Josephsecomposauneexpressionqu'ilvoulaitsansdoutesolennelle,maisquiparutàWinterparfaitementespiègle.

Winterbombale torseetcalasonpoidssursesdeux jambes- ignorant ladouleurquil'élançaitàlacuissedroite-avantd'ouvrirlaportedusalon.

Lady Beckinhall se retourna. Tous les sens de Winter furent en alerte, lui faisantcomprendrel'évidence:qu'ilétaitunhommeetqu'elleétaitunefemme.

Sonhôteportaitunerobecouleurbordeauxornéededentellequibouffaitlelongdesesmanches,dupoignetjusqu'aucoude.Lamêmedentelleseretrouvaitenborduredudécolleté,commepoursoulignersapoitrinegénéreuse.

—Bonjour,monsieurMakepeace.

—Bonjour,milady.

Il s'avança prudemment vers elle, s'appuyant toujours discrètement sur l'épaule deJoseph.

Elle lui tendit lamain. Sans doute s'attendait-elle à ce qu'il la baise,maisWinter secontentade la serrer furtivement.Lecontactde sesdoigtsdélicatsdans les siensétaitdéjàplusqu'iln'enpouvaitsupporter.

—Quemevautl'honneurdevotrevisite,milady?Elleeutunsouriretaquin.

—Auriez-vousdéjàoubliévotrepromessedeme fairevisiter lenouvel établissement,

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monsieurMakepeace?Jevousrappellequenousavionsrendez-vouslasemainedernière.

Winter se retint encore de soupirer. La camériste de lady Beckinhall se tenait justederrièreelle,etNellavaitraison:cette filleprenaitgrandsoinàsevêtir.C'est tout justesielle n'arborait pas davantage de dentelle que samaîtresse. Josephpenchait la tête de côté,sansdoutepourtenterd'apercevoirlesfameuxsouliersàbouclesdorées.

—Jem'excuseencored'avoirmanquénotrerendez-vous,assuraWinter.

Lady Beckinhall inclina gracieusement la tête, faisant se balancer les perles qu'elleportaitàsesoreilles.

—Vousêtestoutexcusé.J'aicrucomprendrequevousvousétiezlaissésurprendreparlesémeutiers.

Wintervoulutrépondre,maisJosephledevança:

—M.Makepeaceafaillisefairepiétiner.Ilapassépresquetoutelasemaineaulit.

LadyBeckinhallhaussalessourcilsavecintérêt.

—Vraiment?J'ignoraisquevousétiezsigravementblessé,monsieurMakepeace.

Winteraccrochasonregard.Cettefemmeétaittoutsaufnaïve.

—Josephatendanceàenrajouter.

—Mais...protestaJoseph,offensé.

Winter lui tapota gentiment l'épaule, avant de transférer samain sur le dossier d'uncanapé.

—Vavoirencuisinesilethéestbientôtprêt,s'ilteplaît,Joseph.

Le garçonnet grimaça, mais Winter fronça les sourcils pour lui montrer qu'il ne selaisseraitpasattendrir.

Josephpartitverslaporte,lesépaulesdouloureusementaffaissées.

WinterreportasonattentionsurladyBeckinhall:

— J'ai peur que nous ne soyons pas encore totalement installés dans nos meubles.Revenez plutôt la semaine prochaine, milady. Je serai ravi de vous faire faire le tour dupropriétaire.

Dieumerci,elleacquiesçad'unhochementde tête.Maisau lieude tourner les talons,elles'assitdansunfauteuil.Winterselaissaglissersurlecanapé.Lacarriéristes'installasurunechaise,enretrait,etregardaparlafenêtre.

— Volontiers, monsieur Makepeace, répondit lady Beckinhall. J'ai hâte de visiter leslieux.Maisjen'étaispasvenueuniquementpourcela.

Winterhaussaunsourcillégèrementinterrogateur.Ilnevoulaitpassemontrerimpoliet manifester son impatience, mais il n'avait guère le temps de jouer aux devinettes. Son

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travaill'attendait,biensûr,et,surtout,chaqueminutesupplémentairepasséeencompagniedelajeunefemmeaugmentaitlerisquequ'ellenefasselelienentreluietleFantôme.Plusviteellerepartirait,mieuxcelavaudrait.

Ellesourit.Unsourireirrésistible.

—Lebaldeladuchessed'Arlingtonalieulasemaineprochaine.

—Oui?

—Etnous-lesdamesducomitédesoutien-nousespéronsquevousyassisterezpourreprésenterl'orphelinat.

—J'aidéjàinforméladyHeroquejem'yrendraipuisqu'ellelesouhaitait,quoiquejenevoieguère l'intérêtdemaprésenceà cegenrede réception.Pasplus... (Il se tournavers laporte qui s'ouvrait pour laisser entrerNell avec le plateaudu thé), pas plus que je ne voievotreintérêtàm'ypousser.

—Oh,celan'ariendepersonnel.

Winter la regarda. Un petit sourire, presque aguicheur, éclairait le visage de la jeunefemme.Ilseraidit,surladéfensive.LesouriredeladyBeckinhalls'élargit.

—J'aiétéchoisiepourêtrevotrepréceptricemondaine.

3

Deuxfoisparan,latroupedanslaquellejouaitnotreArlequinvenaitdonnerdesreprésentationsàSaint-Giles.Unjour,l'attelaged'unebelledamesetrouvaimmobilisé,unefoules'étantassembléedanslarue,devantlascène.Ladameécartalesrideauxdesaportièrepourjeteruncoupd'œil.Sonregardaccrochaalorsceluid'Arlequin.

IsabelvitWinterMakepeaceclignerdesyeuxletempsd'absorberlanouvelle.Cefutsaseule réaction,mais elle était déjà éloquente, de lapartdequelqu'unqui aurait fait passerunestatuedepierrepourunmodèled'animation.

—Jevousdemandepardon?demanda-t-ilpolimentdesabellevoixgrave.

Onpouvaitéventuellementleconsidérercommeunbelhomme,àconditiondenepass'arrêtersursesmanièresunpeutropaustères.Ilavaitunvisageplaisant-mentoncarré,nezdroit, lèvres fermes.Mais Isabel ne l'avait vu que très rarement sourire, et jamais rire auxéclats.Sescheveuxchâtainfoncéétaientcoifféstrèssimplement,sanspoudre,etils'habillaittoujours de couleurs sombres. Probablement n'avait-il pas encore trente ans, mais il

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paraissaitplusvieuxquesonâge.

Il était assis sur le canapé, l'air détendu. Mais Isabel avait remarqué qu'il boitaitlorsqu'ilétaitentrédans lapièce.LesouvenirduFantômeavaitalors faitsurface,sonauravirile,soncorpsnusurlelitdelachambrebleue,sesmusclespuissants.

WinterMakepeace,àl'opposé,avaitplutôtlephysiqued'unintellectuel.Sapoitrineétaitsansdoutecreuseet sesbrasdécharnés.Pourtant, Isabelessayaitdese le représenter sansseshabits.Quelleidée!

Lajeunefemmes'intéressaauplateauapportéparMlleJones.Celle-cisemblaithésiter,regardanttouràtourIsabeletM.Makepeace.

—Dois-jeservir?demanda-t-elle.

—Non,ceneserapasnécessaire,Nell,réponditM.Makepeace.Merci.

IlattenditquelaportesesoitreferméesurladomestiquepourdemanderàIsabel:

—Pouvez-vousvousexpliquer?Isabelremplitunepremièretasse.

—Oh,jevoisqu'iln'yapasdesucre,dit-elleavecungrandsourire.Voulez-vousquejerappelleMlleJones?

Apparemment,M.Makepeaceétaitimmunisécontresessourires.

—C'estinutile,nousn'avonspasdesucre.Vousdevrezfairesans.Maintenant,sivousvoulezbienme...

—Queldommage.J'adoremettredusucredansmonthé.

Isabel grimaça de déception. Et M. Makepeace ne manqua pas de pincer ses lèvres.C'était sans doute puéril de sa part,mais elle s'amusait beaucoup à le taquiner. Il était siréservé-rigide,même!Cependant,Isabelétaitprêteàparierqu'unvolcansommeillaitsouscette carapace de granit. Et si ce volcan devait exploser un jour, elle voulait être là pourassisteràl'éruption.

— Lady Beckinhall, je déplore l'absence de sucre pour votre thé, en revanchej'apprécieraisbeaucoupquevousconsentiezàvousexpliquer.

—Bon,trèsbien.

Elleluitenditlatassequ'ellevenaitderemplir,avantdeseserviràsontour.

—Lesdamesducomitédesoutienontdécidéquevous...quevousaurieztoutintérêtàprendredesleçonsd'étiquette.Oh,rassurez-vous,ilnes'agiraquede...

—Non.

—...quelquesleçons,terminaIsabeldansunsouffle.

M. Makepeace serrait les lèvres, ce qui chez lui devait sans doute signifier une trèsgrandecolère.

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—Qu'avez-vousdit?luidemanda-t-elle.

—J'aiditnon, répéta-t-il, reposant sa tasse sansyavoir touché.Jen'aini le tempsnil'enviedemeplongerdansdeshistoiresd'étiquette.Jesuisdésolé,mais...

— Vous n'avez pas l'air très désolé, le coupa Isabel. Et vous apportez de l'eau àmonmoulin,monsieurMakepeace.Pourquelqu'unquis'ingénieàmasquersesémotions,vousnecherchezmêmepasàdissimulerledédainquevousinspireunelady.

Il la regarda sans unmot et Isabel se demanda à quoi il pouvait bien penser. Puis ilinclinalatête.

—Jem'excusesi j'aipuparaîtrevousdédaigner,milady.C'est... c'est tout lecontraire.Mais, très honnêtement, je ne vois pas l'utilité de ces leçons d'étiquette. Mon emploi dutempsestsurchargé.Etjesupposequevousconviendrezavecmoiqu'ilestpréférablequejeconsacre mon énergie à diriger cette maison, plutôt qu'à savoir comment flatter desaristocrates.

—Mais supposez que l'avenir de cettemaisondépendede votre aptitude à flatter desaristocrates?

Ilfronçalessourcils.

—Quevoulez-vousdire?

Isabel but une gorgéede thé - affreusement amer, fautede sucre - pour se donner letempsderéfléchiràsesarguments.M.Makepeaceétaitquelqu'undetrèstêtuet,sielleneparvenait à lui faire comprendre la gravité de la situation, il risquait de refuser son aide.Alors,ilperdraitsonpostededirecteur.Or,WinterMakepeaceavaitbeaus'ingénieràcacherses sentiments, Isabel savait à quel point l'orphelinat comptait pour lui. Et puis, il seraitinjuste qu'il se retrouve privé de son emploi, simplement parce qu'il était quelque peu...Spartiate.

Isabel reposa sa tasse et gratifiaM.Makepeace de son plus beau sourire - cemêmesourirequiaxaitfaittrébucherbiendesjeunesgensdanslessallesdebal.

Aenjugerparl'expressiondeM.Makepeace,elleauraitsansdouteprovoquélamêmeréactionsielleluiavaitprésentéunetranchedecolinfroid.

— Vous devez comprendre l'importance de vous montrer à certaines réceptionsmondaines,maintenantquel'orphelinatestpatronnépardesdamescommeladyCaire,ladyHeroetladyPénélope?

C'estàpeines'ilhochalatête.

—Donc,vousdevezégalementcomprendrelanécessitéd'apparaîtresousvotremeilleurjour.Toutcequevouspourrezdireoufaireauradesrépercussionsnonseulementsurvous,maissurl'orphelinat-etlesdamesquilesoutiennent.

—Craindriez-vousquejenevousfassehonte?

—J'aisurtoutpeurquevousnemettiezl'orphelinatendanger.

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Ilrestasilencieuxunmoment.C'étaitlapreuvequ'ilnes'attendaitpasdutoutàpareilleréponse.

—Qu'entendez-vousexactementparlà?

—Quevousrisquezdeperdrevotrepostededirecteur,oulesoutiendecesdamesou,pireencore,lesdeuxàlafois.

Ellepritungâteausecetmorditdedans.Ilétaitfranchementrassis.

—Aucuneladydelabonnesociéténevoudraitvoirsonnomassociéàceluid'unhommeun peu fruste, ajouta-t-elle. Si vous ne polissez pas unminimum vosmanières, soit vousserez remplacé à la direction de l'orphelinat, soit vous perdrez le patronage du comité desoutien.

Ellebutunegorgéede thé amer,pour fairepasser la sécheressedubiscuit, et elle enprofitapourobserverM.Makepeacepar-dessuslereborddesatasse.Ilregardaitdroitdevantlui,levisagedemarbre,commes'ilétaitenproieàundébatintérieur.

Puis ilposa lesyeuxsurelleet Isabel faillit tressaillir.Elleavait l'impressionquesonregard...latouchait.Ledouten'étaitpluspermis:cethommeétaitbiencapabled'émotions.Leurdonnait-illibrecourslorsqu'ilseretrouvaitenintimecompagnie?

Maispourquoiseposait-ellecegenredequestionàsonpropos?Pourautantqu'ellepûtenjuger,M.Makepeaceétaitl'hommelemoinssensuelqu'elleconnaissait.

—Non,dit-il,enserelevant.

Et,massant-sansdouteinconsciemment-sacuissedroite,ilajouta:

—Jen'aidécidémentniletempsnil’enviequevousm'enseigniezlesbonnesmanières,milady.

Etsurcerefusbrutal,iltournalestalonsetquittalapièce.

PourquoiladyBeckinhallmettait-ellesifacilementàmalsaréservehabituelle?

WinterMakepeacearpentait enboitant les ruesdeSaint-Gilesalorsque lesderniersrayonsdusoleildisparaissaientderrièrelestoitsdesmaisons.Unebonnedemi-heures'étaitécoulée depuis qu'il avait faussé compagnie à son hôte et il ne parvenait toujours pas àanalyser la dangereuse attirance qu'elle exerçait sur lui. Certes, lady Beckinhall avait faitpreuve de beaucoup de courage en le sauvant des griffes des émeutiers. Si elle aimait sedonneruneapparence frivole, ses actesprouvaientque sa véritablenature était tout autre.Dureste,sielleavaitétélafilled'uncordonnieroud'unboucher,Winterauraitététrèstentédepercersavraienature.

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Mais ladyBeckinhalln'étaitni filledecordonnierni filledeboucher.EtWintersavaitpertinemmentqu'ellen'étaitpaspourlui.Pourtant,alorsqu'iljugeaitpréférabledegarderlepluspossiblesesdistancesavecelle,ilavaitbienfailliacquiesceràsonprojetridiculedele«piloter»dans legrandmonde.Et ilavaiteu laplusgrandepeineàmettreun termeà leurconversation.Celaneluiressemblaitpas.

Lady Beckinhall était très au-dessus de lui - presque autant que les étoiles quicommençaientd'apparaîtredansleciel.Elleétaitnéedansunmondedeluxeetdeprivilègesalorsqu'iln'étaitquelefilsd'unmodestebrasseur.Elleétaitriche.Ilsedébrouillaitavecpeu.EllehabitaitlesbeauxquartiersdeLondres,oùlesmetsétaientlargesetrutilantes.Etlui,ilvivait...

Ici.

Wintersautapar-dessusuneflaquedebouetandisqu'illongeaitunvieuxmurdepierre,à moitié écroulé. Ce ne fut pas sans résonner dans sa jambe... Une porte de fer forgé,ménagée dans lemur et ballottée par le vent, grinçait sur ses gonds.Winter la franchit. Ilavaitl'habituded'emprunterceraccourcietdetraverserlepetitcimetièrejuifdontlespierrestombalesétaienttoutesrédigéesenhébreu.

Uneombrebougeaalorsqu'ilatteignaitl'autreextrémitéducimetière-unchat,ouungrosrat.Iln'yavaitpasdeporte,dececôté-ci,maislemurétaitsibasqueWinterlefranchitsanspeine-engrimaçant,toujoursàcausedesablessureàlacuisse.

Il atterrit dans une petite ruelle déserte. Seuls les plus courageux - ou les plusinconscients - osaient s'aventurer dans cette partie de Saint-Giles à la nuit tombée. Et aumoins prenaient-ils la peine d'emporter une lanterne avec eux.MaisWinter avait toujourstrouvéplusconfortabledeserepéreràlalumièredelalune.

Unchatfeula,s'attirantaussitôtlaréponsed'unrival.

Winterbifurquadansuneruellecouverteenréalité,unesortedetunnel,dontlesmurssuintaientd'humidité. Lebruit de sespas résonnait sous la voûte.Devant lui, une forme -hommeouanimal-sedéplaçadanslapénombre.

Sansralentir,Wintersortitl'épéequ'ilcachaitsoussonmanteau.Entantqueroturier,iln'avaitpasledroitdesepromeneravecuneépée,maiscelafaisaitbienlongtempsqu'ilavaitpriscertaineslibertésauregarddelaloi.

Quandilétaitquestiondevieoudemort,ilpréféraitopterpourlavie.

Laformevenaitàsarencontre.Winterbranditsonépée.L'attaquefrontaleestlameilleuredesdéfenses,luiavaitsouventrépétésonmentor.

Levide-goussetreconsidéramanifestementsonplan,car ilyeutunbruitdecavalcadeetlavoiefutdenouveaulibre.

Winter aurait dû être soulagé de voir disparaître le danger. Ce fut tout le contraire :l'irritationsemêlaitàladéception.Ilavaitenviedesebattre,demesurersaforceàcelled'un

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adversaireetdegoûteràl'ivressedelavictoire.

Ils'immobilisanet.

Jenesuispasunanimal.C'étaitenpartieàcelaqueluiservaitsonmasqued'Arlequin:àdonnerlibrecoursàses

instincts primaires. Tout en gardant le contrôle de ses actes, bien sûr. Mais ce soir, il neportaitpasdemasque.

Ilrangeal'épéesoussonmanteau.

Le tunnel débouchait sur une petite place cernée d'immeubles aux balcons délabrés,menaçant de s'écrouler sur les malchanceux qui auraient la mauvaise idée de se tenirdessous.Wintertraversalaplacepourfrapperàuneporteenbois.Ilattenditunpeu,avantdefrapperunedeuxièmefois.

Ilentendittirerleverrou.Puislaportes'ouvritsurunefemmetoutemenue,auvisagemalmenéparlesannées,commelespagesd'unlivredeprières.

—Bonsoir,madameMedina.MurmuraWinter.

Sansluirendresonsalut,lafemmeluifitsignederentreràl'intérieurd'unmouvementimpatientdelatête.

Wintersebaissapourpassersouslelinteaucintré.Laportedonnaitsurunepetitepiècequi servait tout à la fois depièce à vivre, de chambre et d'atelier. Le feudans la cheminéeservaitàfairesécherlelingeaccrochéauplafondparunsystèmedecâblesetdepoulies.Unlitoccupaitl'undescoinsdelapièce.Untabouretetunetabletrônaientdevantl'âtre.LatablesupportaitplusieurschandellesetlesoutilsdeMmeMedina:desciseaux,desaiguillesetdufil.

—Jeviensjustedeterminer,dit-elleenrefermantlaporte.Puisellesedirigeaverslelitetpritlatuniquecoloréeposéedessus.

Les gens ne s'intéressent qu'à l'apparence, disait toujours le mentor deWinter.Montre-leuruncostumeétrange,ajoutes-yunecapeetunmasqueetilsjurerontavoircroiséunfantôme,sansmêmeavoirremarquél'hommequisecachaitderrièreledéguisement.

Winterexaminalatuniqueneuve.

—Vousavezfaitdel'excellenttravail,commed'habitude,madameMedina.

Lacouturières'esclaffa.

—Vousferiezmieuxd'enprendresoin,dit-elle,carjenesaispassi jepourraivousencoudreuneautre.Mesyeuxnesontpluscequ'ilsétaient.

Désignantlatabled'unmouvementdumenton,elleajouta:

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—Mêmeavectoutesceschandelles,j'aideplusenplusdemalàvoiroùjeplantemonaiguille.

—Jesuisdésolédel'apprendre,réponditWinter-etilétaitsincère.Avez-vousunautremoyendegagnervotrevie?

Ellehaussalesépaules.

—Jepourraisessayerdemefaireengagercommecuisinière.Dans le temps, jenemedébrouillaispastropmalauxfourneaux.

—C'estvrai,acquiesçaWinter.Jemesouviensm'êtrerégalédevostartesauxpommes.

—Oui.Etmoi,jemesouviensquevousétiezungarçontoutfrêle.Jepensaisquevousneseriezjamaiscapabledeteniruneépée.MaissirStanleyassuraitquevousétiezdouépourl'escrime.

Unpetitsourirenostalgiqueavaitponctuésonpropos.Wintersedemandaunenouvellefois si la petite couturière n'avait pas été davantage pour son mentor, sir Stanley Gilpin,qu'unesimpleservante.

—Vousavezbienchangédepuis,ajouta-t-elle.

—C'était il y a neuf ans, lui rappelaWinter.Unhommede vingt-six ans ne peut pasressembleràungarçondedix-septans.

Elles'esclaffaencore,avantdecommenceràemballerlenouveaucostumed'Arlequin.

— Sans doute.Mais jeme demande si sir Stanley savait ce qu'il faisait quand il vousdonnaitcesleçonsd'escrime.

—Désapprouveriez-vousmonaction?Elleeutungesteimpatientdelamain.

— N'essayez pas de m'embobiner avec vos arguments, monsieur Makepeace. Je netrouve pas normal de passer ses nuits à hanter les rues de Saint-Giles pour semêler desaffairesdesautres.

—Vouspréféreriezquej'abandonnelesgensàleursproblèmes?

Ellesetournabrusquementverslui.Sesyeuxétaientpeut-êtreuséspardesannéesdemétier,maissonregardavaitgardétoutesonacuité.

—Votreanciennetuniqueétait irrécupérable.Jemesuisbiendoutéeque ladéchiruredupantalonavaitétécauséeparuncoupdelame.D'ailleurs,letissuétaittouttachédesang.J'enaiconcluquevousaviezététrèssérieusementblessé.

Wintersecoualatête.

—Jesuisjeuneetfort.Jecicatrisevite.

—Oui,pourcettefois.

EllepritlepaquetcontenantlatuniqueetlepressacontreletorsedeWinter.

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—Mais quand la blessure sera encore plus grave ?Vous n'êtes pas immortel,WinterMakepeace,quoiquesirStanleyaitpuvousmettredanslatête.

—Merci,madameMedina.

Winterpritlepaquetetsortitunepetiteboursedesapoche.Ellecontenaitl'argentqu'ilavaitpuéconomiserdepuisquel'orphelinatavaitlachanced'êtresoutenupardesdamesdelabonnesociété.

—Passezdemainmatinà l'orphelinat,dit-il, tendant labourseà la couturière.Je suisconvaincuquenousauronsbesoind'unecuisinière,maintenantquenousavonsemménagédansnotrenouveaubâtiment.Etjegarderaivotreavertissementàl'esprit.

—Hmm.maugréalacouturière.

Elle prit la bourse et ouvrit la porte. Mais au moment de sortir, Winter l'entenditmurmurer:

—Soyezprudent,monsieurMakepeace.Saint-Gilesabesoindevous.

—Bonnenuit,madameMedina.

Winterresserrasonmanteaupouraffronterlanuit.S'ilavaitportésatenued'Arlequin,il se serait tout de suite lancé à l'aventure, en quête de gens à sauver ou de méchants àaffronter.Sonbrasledémangeaitdedonnerquelquesbonscoupsd’épéeàdroiteouàgauche.Il avait gardé le lit pendant près d'une semaine, et à présent il se sentait l'énergie pourrepartiraucombat.

Demainsoir,sepromit-il.Demainsoir,iltrouveraitbienuneoccasiondesebattre.Cetteidéel'arrêtanet.Winters'étaittoujoursconsidérécommeunhommepacifiqueen

dépitdeseserrancesnocturnes.Etilentendaitlerester.S'ilrevêtaitlecostumeduFantômedeSaint-Giles,c'étaituniquementpourréparerlestortscommis.Pouraiderceuxquiétaientincapablesdesedéfendreeux-mêmes.

Saint-Giles était le réceptacle de toute la misère du monde. Ceux qui étaient troppauvrespourvivreailleursaboutissaientlà.Lesprostituées,lesvoleurs,lesalcooliques...Ilsformaienttousensembleunemarmiteenperpétuelleébullitiondedésespoir,deviolenceetdesouffrance.

Aucoind'unerue,Winterfitsursauterunchiensquelettiquequinel'avaitpasentenduvenir.L'animalglapitets'aplatitsur lesvieuxhaillonsqui luiservaientdepaillasse.Winterpassasonchemin,maisquelquechoseavaitattirésonattention.

Oualorsc'étaitlaProvidencequiluiadressaitunsigne.

Ilrevintsursespas.Unemaind'enfants'accrochaitaupelageduchien.Wintersebaissaetécartaleshaillons,ignorantlesgrondementsquimontaientdelapoitrinedel'animal.Unpetitvisageterroriséapparut.

Winters'agenouillapourserendremoinsintimidant.

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—Jeneteferaipasdemal,dit-ilàl'enfant.Es-tuseul?

Lapauvrecréaturesemblaitpétrifiée.

—Viens.Jevaist'emmenerdansunendroitchaud.L'enfants'accrochaitauchienetauxhaillons.Wintersoulevaletout,malgréleseffortsdel'enfantpourlerepousser.

Lechienlâchapriseettombasurlepavéenglapissant.

L'enfantmurmuraquelquechoseettenditunemainimploranteversl'animal.Wintersetournaverscelui-ci:

—Bon,jecroisquetuferaismieuxdenoussuivre,luilança-t-il.

Et ilcontinuasonchemin,endirectionde l'hospice,sansunregardenarrière.Peuluiimportait,aufond,quelechiensuiveounon.

Saprioritéétaitl'enfant.

Illesentaittremblerdanssesbras-defroidoudepeur,iln'auraitpassudire.

Unedemi-heureplus tard, ilarrivaitenvuedesnouveauxbâtimentsde l'hospicepourenfants trouvésdeSaint-Giles.Laconstructionenbriquesedressait, flambantneuve,dansson environnement délabré et semblait diffuser unmessage d'espoir.Winter repensa à saconversationavecladyBeckinhall.Etsielledisaitvraietqu'ilétaitcongédiédesonpostededirecteur ? L'hospice - et s'occuper des enfantsmalheureux - était toute sa vie. S'il perdaitcela,ilneseraitplusrien.

Ilpréférachassercetteidéeethâterlepas.L'enfantseraitmieuxàl'intérieur.

L'entréeprincipale,imposante,étaitprécédéed'unperron.MaisWinterpréféraprendrel'entréedeservice,réservéeaupersonnel.

—Vousvoilà,monsieurMakepeace?s'exclamaAlice, l'unedesservantes,enlevoyantarriver.L'entréedeservicedonnaitdirectementsurlescuisinesetAlices'étaitmanifestementoctroyéunetassedethéavantdemontersecoucher.J'ignoraisquevousétiezsortisi tard,ajouta-t-elle.

— Sers une autre tasse de thé, avec beaucoup de lait, s'il te plaît, Alice, lui demandaWinter,alorsqu'ildéposaitl'enfantdevantlefoyer.

—Oh,va-t'en,toi!

Winterseretourna.Aliceessayaitdefairesortirlechiendelacuisine.L'enfantsemitàpleurerdedésarroi.

—Non,c'estbon,Alice.Lechienpeutrester.

—Ilestsaleetilsentmauvais,marmonnaAlice,scandalisée.

—Jesais.

Lechiens'avançadevantlacheminée.Ilsemblaitpartagéentresondésirderesterprès

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del'enfantetl'enviedefuirtouscesinconnus.Sonpelagedégageaituneodeurdecaniveau.

—Voilà le thé, dit Alice, sans sucremalheureusement. Et s'apitoyant devant l'enfant,elleajouta:

—Pauvrepetitechose.

—Oui,murmuraWinter.

Il écartadoucement les cheveuxqui retombaient sur le visage tout salede l'enfant. Ildevait avoir quatre ou cinq ans, peut-êtreunpeuplus, car la plupart des enfants deSaint-Gilesétaienttouschétifspourleurâge.

Lechiensoupiraetsecouchadansuncoin,prèsdelacheminée.

Lespaupièresdel'enfantétaientlourdesdefatigue.Winterluiôtaseshaillons.

—Apporteunecouverture,murmura-t-ilàAlice.

—Ilauraitbesoind'unbonbain,suggéra-t-ellequandellerevintaveclacouverture.

—Oui,maisjecroisqu'ilenaeuassezpourcesoir.Nouslelaveronsdemainmatin.

Enespérantque lepauvre gamin serait toujours vivantd'ici là.Winter continuade ledévêtir,avantdes'arrêter:

—Jecroisquetudevraisterminer,Alice.

—Pourquoi,monsieur?

Ilenroulal'enfantdanslacouvertureettenditletoutàlaservante:

—C'estunefille.

Cemêmesoir, ladyMargaretReading-Meg,pourlesintimes-sefaufiladiscrètementdanslasalledebaldeladyLanstonenprenantsoindenepasregarderautourd'elle.

D'abord, c'était inutile, car elle connaissait tous les invités - l'élite de la sociétélondonienne, à commencer par son frère Thomas et sa femme. Depuis bientôt cinq ansqu'elleavaitfaitsesdébutsdanslemonde,Megavaitl'habitudederetrouvertouscesgensàdesréceptionscommecelle-ci.

Maiscen'étaitpaslaseuleraisonpourlaquelleelleévitaitderegarderautourd'elle.Ilétaitbeaucoupplusdiscretdenepaslereluquercommeunevulgairecollégienne.Etellenevoulaitpasque les autres - et surtoutpas son frère -devinent leur relation.Pour l'instant,c'étaitunsecretqu'ellechérissaitdanssoncœur.Quandilsannonceraientleurliaison,celle-cideviendraituneaffairepubliqueet ilsseraient interrogésdetoutepart.Or,Megpréféraitgardercetamourpourelleencorequelquetemps.

Il y avait enfin une troisième raison pour laquelle elle évitait de scruter la foule du

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regard, et c'était la plus évidente : dès qu'elle apercevaitM. Roger Fraser-Burnsby, elle enavaitdesfrissonsetellesentaitsesjambesvaciller.

—MachèreMeg,tuesenbeautécesoir,murmuraunevoixderrièreelle.

Lajeunefemmeseretourna.Sonfrèreaîné,Thomas,luisouriait.

C'était assez étonnant. Jusqu'à récemment - en fait, jusqu'à son mariage avec lascandaleuse Lavinia Tate, en décembre dernier - Thomas ne s'était jamais soucié de luisourire. Du moins, pas sincèrement. En tant que membre du Parlement et marquis deMandeville, Thomas avait l'habitude d'afficher en société un sourire de pure façade. Maisl'arrivée de Lavinia dans la famille Reading l'avait métamorphosé. Il était heureux, toutsimplement,réalisaitsoudainMeg.Sil'amourpouvaitchangerunhommeaussiaustèrequeson frère aîné, alors c'est qu'il était capable des plus grands prodiges pour le commundesmortels.

—JesupposequeLaviniaestlàégalement?demandaMeg,luiretournantsonsourire.

—Biensûr,noussommesarrivésensemble.

—Parfait.J'espèrequej'aurail'occasiond'échangerunmotavecelle.

Thomasfronçalégèrementlessourcils.

—Jecroisqu'elleestdéjà trèsoccupéeàparlerdecepiratequis'estéchappédugibetpourmourir carbonisédans l'incendiede samaison.Jene suispas sûrqu'une ladydevraits'intéresseràdeshistoirespareilles,maisLavinias'estpassionnéepourcefait-divers.

Meg pouvait comprendre sa belle-sœur. Si l'étiquette réprouvait qu'une femmeconvenablediscutedetelleschoses,lacuriositéyincitaitévidemment.

—ToutLondresneparleplusquedecepirateetduFantômequi...

Megs'interrompit.Elleavaitbrusquementperdutoutintérêtàlaconversation.

Ellevenaitd'apercevoirRoger,etcommec'étaitprévisible,sesjambesmenaçaientdesedérober sous elle. Il était en compagnie d'autres gentlemen et la conversation devait êtreamusante,carilriaitàgorgedéployée.Rogern'étaitpasàproprementparlerbelhommedanslesensclassiqueduterme.Sonvisageétaitunpeutroplarge,sonnezunpeutropplat.Maisses yeux marron étaient chaleureux, son sourire communicatif. Et quand il dirigeait cesouriresurelle,Megavaitl'impressionquelerestedumondedisparaissait.

—Undînerouunbal,nousnesavonspasencorepourl'instant,luidisaitThomas.Quoiqu'ilensoit,jecomptesurtaprésence.

Megsursauta.ElleignoraitdequoiparlaitThomas,maiselleledécouvriraitbienasseztôt.

—Biensûr,jeseraienchantée,répondit-ellemachinalement.

—Parfait.MèreseraàLondresàcemoment-là.Maisc'estdommagequeGriffinetHerosoientpartisàlacampagne.Enpleinmilieudelasaisonmondaine.

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—Hmm,murmuraMeg.

Rogerparlaitavectroisgentlemendontellesavaitqu'ilsétaientsesamisproches:lordd'Arqué,M.CharlesSeymouretlecomtedeKershaw.Malheureusement,Meglesconnaissaitassez mal et ils l'intimidaient. Surtout lord d'Arqué, qui avait une solide réputation dedébauché. Si elle pouvait accrocher le regard deRoger, elle lui ferait signe de le retrouverdanslejardin.

Unefemmeenrobedesoiecouleurprunebrodéed'oretd'argentluibouchasoudainlavue.

—Oh,ladyMargaret!Voustombezbien!

LadyPenelopes'adressaitàelle,maisc'estThomasqu'ellefixaitenbattantdescils.MlleGreaves,sadamedecompagnie,souriaittimidementàMargaret.

—JevoudraisvousparlerdeM.Makepeace,précisaladyPenelope.

Thomasfronçalessourcils.

—Makepeace?Quiest-ce,Meg?

Megouvritlabouchepourrépondre,maisladyPenelopefutplusrapide:

—C'estledirecteurdel'hospicepourenfantstrouvésdeSaint-Giles,milord.Ou,plutôt,devrais-jedirel'actueldirecteur.Pourtoutvousavouer,jedoutebeaucoupdescompétencesdeM.Makepeace.Sinouspouvionsluitrouverunremplaçantdavantagepolicé,l'hospicenepourraitques'enportermieux.

Thomassemblaitneriencomprendreàcetteconversationetenmêmetemps,latrouverparfaitementfastidieuse.MaisMegnepouvaitpaspermettrequ'onenrestelà.M.MakepeaceétaitcertainementaussiaustèrequeThomas,maisilétaitentièrementdévouéàl'hospice,etdepuistoujours.IlseraitdésolantdelaisseruntyrancommeladyPénélopel'enécarter.

—NousavonsconfiéàladyBeckinhalllesoindesechargerduproblème,rappela-t-elleàladyPénélopeavecungrandsourire.Laissons-luiletempsdetravailleràl'éducationdeM.Makepeace.Nousverronsbiensielleyréussit.

LadyPénélopereniflaavecdédain.

— Lady Beckinhall a bien sûr toute mon admiration, mais j'ai peu d'espoir qu'elleparvienneàchangerM.Makepeace.Jecroisvraimentqu'ilseraitpréférabledechercherunautredirecteur.D'ailleurs, j'aicommencé,aujourd'huimême,àrencontrerdeshommesquipourraientconvenirpourleposte.

Megseraidit.

—Maisnousavonsdéjàundirecteur...

—Quineconvientpas,lacoupaladyPénélope.Elles'efforçaitdesourirepoliment,elleaussi,maissonsouriredévoilaitdesdentsdecarnassier.

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—Lesmessieursquej'aidéjàrencontrésontdebienmeilleuresmanières.Etilsm'ontétérecommandéspardesamies.

—Maispossèdent-ilsuneexpériencepourdirigerunorphelinat?demandaThomas,quinecachaitpassonamusement.

—Pfff!rétorqualadyPénélope,avecungestevaguedelamain.Celuiquejerecruteraiseracapabled'apprendre.Aubesoin,j'enrecruteraideux.

MlleGreaves leva furtivement lesyeuxauciel.Megauraitbienaiméen faireautant -sansêtrevuedeladyPénélope.Aumoins,cettedernièresemblaitconscientedelaquantitédetravailquefournissaitM.Makepeace.

—Jenepensepasquenouspuissionsdéciderd'untelchangementenl'absencedeladyHero,de ladyCaire etde la jeune ladyCaire, insistaMegavec fermeté.Après tout, ce sontellesquisontàl'origineducomitédesoutien.

Lady Pénélope pinça les lèvres d'un air dépité et Meg soupira de soulagement. LadyPénélopeétaitforcémentconscientequ'ellenuiraitàsacausesielleagissaitdansledosdesdamespatronnesseshistoriquesdel'orphelinat.MaisMegsepromitd'écrireauxtroisladiespourlesinformerdudangerquimenaçaitM.Makepeace.

Roger regarda tout à coup vers elle et Meg se désintéressa brutalement de laconversation. Roger lui adressa un clin d'œil et lui fit discrètement un signe de tête endirectiondelaterrasse.

—Oh,jeviensd'apercevoirunami,ditMeg.Voulez-vousbienm'excuser?

Megn'entenditlesréponsesdeThomasetdeladyPénélopequed'uneoreilledistraite.Roger se dirigeait déjà vers les portes-fenêtres donnant sur la terrasse. Meg devrait semontrerprudente,maisbientôt-trèsbientôt-elleseraitdanslesbrasdesonamant.

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4

Beaucoupd'hommestrèsavisésontessayéd'expliquerl'amour,etilsonttouséchoué.Toutceque je peux vous dire, c'est que l'Arlequin et la belle dame tombèrent amoureux ce jour-là. D'unamoursincère,quisefichaitéperdumentdeleurdifférencesociale.D'unamourdévastateur,àlafoismerveilleuxetterrifiant.

—On raconte que le roi lui-même amis sa tête à prix, assura Pinkney, le lendemainmatin.

Isabelregarda,danslemiroirdesacoiffeuse,sacaméristepiqueruneépingledanssescheveux.

—LatêteduFantôme?S’inquiéta-t-elle,lagorgesèche.

—Oui,milady.

Satête,miseàprix.Mickey le charmeur étaitmort carbonisé dans l'incendie deson palais - dumoins, c'est ce que tout lemonde croyait - et les autorités concentraient àprésent leurs efforts sur le Fantôme de Saint-Giles. Sans doute était-il averti du danger etprendrait-il la précaution de se faire discret pendant quelque temps. Malheureusement,Isabeln'enétaitpascertaine.Pourcequ'ellepouvaitensavoir,leFantômen'étaitpashommeà se cacher du danger. Mais pourquoi s'inquiétait-elle encore de lui ? Leurs chemins nes'étaientcroisésqueparleplusgranddeshasards.EtIsabelnel'avaitsecouruqueparcharitéchrétienne.Probablementnelereverrait-ellejamais.

— J'espère qu'ils ne le prendront pas, dit Pinkney. Un si bel homme, et tellementaudacieux!

Prenantuneexpressiontragique,elleajouta:

—AvecMickeyleCharmeurquiestmort,nousn'auronsbientôtplusdebellescanaillesàLondres.

—Ceseraitdommage,eneffet,ironisaIsabel.

— Oh, j'ai failli oublier ! s'exclama tout à coup sa camériste. Et, fouillant dans sespoches,elleentirauneenveloppe,qu'elletenditàsamaîtresse:Cettelettreestarrivéepourvous,cematin.

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—Merci,ditIsabelenprenantl'enveloppe.

—Elleaétéapportéeparuncoursier,pasparlefacteur,précisaPinkney.C'estpeut-êtreunelettred'amour?

Isabel,amusée,ouvritl'enveloppe.Lalettre,succincte,tenaitendeuxlignes:

LadyPénélope rencontre actuellement desmessieurs susceptibles deremplacerM.Makepeace.

Isabel tourna et retourna la lettre, intriguée. Elle n'était pas signée. Cependant, ellecroyaitsavoirquienétaitl'auteur.

—Alors?demandaPinkney.C'estunelettred'amour?

—Euh...non,murmuraIsabel.L'incorrigibleM.Makepeaceluiavaittournélestalonsladernière fois qu'ils s'étaient parlés. Probablement refuserait-il de la recevoir si elle venaitl'avertirdecequetramaitladyPénélope.Cependant,siIsabelnetentaitpasdeleconvaincredechangerd'avis,ilperdraitàcoupsûrladirectiondel'orphelinat.

Pinkney avait terminé de la coiffer. Isabel se releva et jeta la lettre au feu. Elle avaitprévudesortirtoutàl'heurefairelesboutiquesetderendrevisiteàquelquesconnaissances.Maisriendetoutcelan'étaiturgent.

—Demandeaucocherdefaireattelermavoiture,s'ilteplaît.

—Oui.Milady.

Pinkneyseruaverslaporte.Pourtrompersonattente,Isabelfitlescentpasdevantlacheminée.Cettefois,ellenedevraittoléreraucunrefusdesapart.Aubesoin,ellen'hésiteraitpasàlepoursuivrejusquedanssachambreàcoucher.Ilfiniraitbienparcéderet...

Sonpiedheurtaunobjetquisetrouvaitparterreetl'envoyavalseràquelquesmètres.Isabelallasepencherpourleramasser.C'étaitunpetitjouetenboispeint,delatailledesapaume.Elle leregardaquelques instants,avantde leposersursacoiffeuseetdequittersachambre.

Danslehall,Pinkneymettaitsonchapeau.

—Nousallonsfairelesboutiques,milady?

— Non, nous retournons à l'orphelinat, répondit Isabel, ignorant la moue de sacamériste.DisàCarruthersqu'ilyaunjouetsurmacoiffeuse.Jevoudraisqu'ellel'enlève.

—Bien,milady.

LetempsquePinkneys'acquittedesamission,lavoitureétaitprête.Isabels'installasurlabanquetteet lissa les jupesdesarobecouleurémeraude.Elleétaitunpeutropapprêtéepour se rendre à l'orphelinat etM.Makepeace lui en ferait très certainement la remarque.Mais tant pis. Isabel semoquait de ce queM.Makepeace pouvait penser d'elle ou de sestenues.Cethommeparaissaittroisfoissonâge.Ceque,dureste,elleentendaitbiencorriger

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enluidonnantquelquesleçonsdemaintien.

Letrajetsepassasansencombre.Unedemi-heureplustard,leurattelages'immobilisaitdevantl'entréedunouveaubâtimentdel'orphelinat.Haroldouvritlaportière.

—Merci, luiditIsabel,quidescenditaussitôt.Pinkneys'étaitassoupiedurantletrajet.Ellebâilla,avantdesuivresamaîtressesurleperron.

—Jefrappe?demanda-t-elle.

—Oui,s'ilteplaît.

Pinkneysoulevalelourdheurtoirdebronzeetlelaissaretomber.Puisellearrangealesplisdesarobeturquoisefinementbrodée.Isabelsedemanda-etcen'étaitpas lapremièrefois-sisacaméristeneluifaisaitpasdel'ombre.

Laportes'ouvritsurunvisageparsemédetachesderousseur.

Isabelne.sesouvenaitplusdunomdel'enfant,maiscelan'avaitpasgrandeimportance.Al'orphelinat,touslesgarçons-oupresque-s'appelaientJosephetlesfillesMary.

—Bonjour,Joseph,dit-elle,avecunsouriredéterminé.M.Makepeaceestlà?

— Il est avec la fille, répondit mystérieusement l'enfant d'un air solennel. Et avantqu'Isabelaitpudemanderdesprécisions,ils'effaçapourlalaisserentrer.

Jusqu'aurécentdéménagement, l'orphelinatavaitéludomiciledansunevieillebâtissequimenaçaitdetomberenruines.Elleavaitd'ailleursbrûlél'andernier,cequiavaitdécidélecomitédesoutienà lancer laconstructiondunouveaubâtiment.LecouloirquetraversaitàprésentIsabelétaitlargeetbienéclairéavecdesmurspeintsenbeigeclair.Surladroite,unsalonservaitàrecevoirlesvisiteurs-c'étaitd'ailleurslàqu'Isabels'étaitentretenueavecM.Makepeace,l'avant-veille.Legarçonnetlesentraînaplusloin.Lecouloirdesservaitensuiteleréfectoire,puis lescuisines.Sur lagauche,ungrandescalierenmarbreaccédaitauxétagessupérieurs.Toutétaitparfait.Etsolide.Cependant, Isabelneputs'empêcherdepenserquel'ensemblemanquaitdequelquesartificesdedécoration,quiluiauraientfaitperdreunpeudesonapparencefroide-pournepasdiresévère.

Le garçonnet gravit lesmarches sansunmot. Isabel le suivit, Pinkney sur ses talons.Arrivéessurlepalierdupremierétage,lesdeuxfemmesentendirentdesvoixd'enfantsleurparvenir des salles de classe. Mais Joseph montait toujours, jusqu'à l'étage des dortoirs,désertsdurantlajournée.Ilmarchajusqu'auboutducouloiretouvrituneporte.

Derrière,unepetitepiècechaleureuse- l'infirmerie-pourvued'unecheminéeornéedecarreaux de céramique bleus et blancs et de deux grandes fenêtres qui prodiguaient lalumière du jour. Quatre lits étaient alignés contre unmur. Un seul était occupé, par unefillette couchée dans les draps blancs.Un chien au pelage blanc tacheté de roux était lovécontreelle.

WinterMakepeace, assis au chevet de la petite, leva les yeux dans leur direction. Lafatiguemarquaitsestraits,maisilseredressaendécouvrantIsabel-commes'ilétaitsoudainenalerte.

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—LadyBeckinhall,dit-il,selevantdesonsiège.Aquoidois-jecettenouvellevisite?

—Amonentêtement,réponditIsabel.Maisrasseyez-vousdonc.

Ilavaitdetouteévidenceveillél'enfanttoutelanuit.Isabels'approchadulit.Lechiengrogna,maissansgrandeconviction.Lafillettedormait.

—Elleestmalade?

M.Makepeace contemplait l'enfant. Isabel s'aperçutque sa lèvre supérieure étaitpluslargequesalèvreinférieure.Oùdoncavait-elledéjàvu...

—Jel'ignore,répondit-il,interrompantlecoursdesespensées.Jel'aitrouvéehiersoir,dansuneruelle,lechiencouchéàcôtéd'elle.Ledocteurestvenul'ausculter.D'aprèslui,ellesouffresimplementdemalnutritionetd'épuisement.

—Comments'appelle-t-elle?

M.Makepeacesecoualatête.

—Elleneparlepas.

—Moi,ellem'aditquesonchiens'appelaitDodo,intervintJoseph.

Legarçonnets'étaitassisdel'autrecôtédulit,etilcaressaitaffectueusementlebrasdelafillette.M.Makepeacehochalatête.

— J'aurais dû préciser qu'elle ne parle ni à moi ni aux autres adultes. En revanche,JosephTinboxapuéchangerquelquesmotsavecelle,pendantqu'ilsétaientseuls.

JosephTinboxacquiesça,fierdelui.

—Etelles'appellePeach.

Lesadultessetournèrentdanssadirection.Pinkneygloussa,avantdesereprendreenvoyantleregardsévèredesamaîtresse.

Ilyeutunsilence.PuisIsabels’éclaircitlavoix.

—C'estunnomunpeubizarre,Peach...JosephTinboxpritunairbuté.

—C'estlenomqu'elleadonnéetnousneluichangeronspas.

—Nousl'appelleronsbiensûrcommeellelesouhaite,offritM.Makepeace,conciliant.Maisattendonsqu'elleseréveilleavantdetrancher.

JosephTinboxouvritlabouche,sansdoutepourprotester,maislafilletteseréveillaàcetinstant.Elleregardatoutautourd'elle,leregardpaniqué,avantderefermerbienvitelespaupières-etd’étreindredésespérémentlamaindeJosephTinboxdanslasienne.

— Joseph, je vais conduire lady Beckinhall dans le salon du rez-de-chaussée pourm'entretenir avec elle, dit M. Makepeace. Tu pourrais peut-être en profiter pour voir si...Peachaimeraitgoûteràlasoupequenousluiavonsfaitmontertoutàl'heure.

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Il se releva, contourna le lit pour tapoter affectueusement l'épaule de JosephTinbox,puisentraînaIsabeletPinkneyverslaporte.

— Pourquoi ne parle-t-elle qu'à Joseph Tinbox ? demanda Isabel alors qu'ilsdescendaientl'escalier.

— Parce qu'elle lui fait confiance, de toute évidence. Et que de toute évidence,également,ellen'apasconfianceenmoi.

—Oh,mais...voulutprotesterIsabel.

Quelsquesoientsesdéfauts,ilnefaisaitpasl'ombred'undoutequeM.Makepeaceétaittrès attaché aux orphelins placés sous sa responsabilité. Et Isabel ne pouvait pas imaginerunesecondequ'ilpuisseleurcauserlemoindremal.

M.Makepeacesecoualatêteenouvrantlaportedusalon.

— Je ne le prends pas contre moi, milady. Cette enfant a dû être maltraitée par lesadultes qu'elle connaissait. Il est donc naturel qu'elle se méfie des grandes personnes etqu'ellepréfèreaccordersaconfianceàJosephTinbox.

—Jevois,fitIsabel,quiselaissachoirdistraitementsuruncanapé.

Elle était bouleversée à l'idée que cette pauvre petite fille ait subi des mauvaistraitements.Puis,sesouvenantde lamaindeM.Makepeacesur l'épauledugarçonnet,elledemanda:

—JosephTinboxestl'undevospréférés,n'est-cepas?M.Makepeaceseraidit.

—Jen'aipasdepréférence.

Pourtant Isabel se souvenait parfaitement de la tendresse avec lequel il avait regardéJoseph.

—Mais...

M.Makepeace s'assit dans un fauteuil et prit sa tête entre sesmains, comme abattu.Probablementn'avait-ilpasdormidelanuit.

—Pinkney,s'ilteplaît,vaencuisinedemanderqu'onnousapporteunplateauavecunecollationpourM.Makepeace.Dupain,du fromageetdes fruits feront l'affaire.Etaussiduthébienfort.

—C'estinutile,rétorquaM.Makepeace.

—Aquandremontevotredernierrepas?Ilfronçalessourcils,irrité.

—Ahiersoir.

—Alors,c'esttrèsutile,aucontraire,insistaIsabel,quivenaitdepenseràautrechose:Ilseraiturgentd'engagerunecuisinièreattitrée,maintenantquel'orphelinatestinstallédanssesnouveauxlocaux.NellJonesetlesautresservantesontdéjàassezdetravailcommecelasurlesbras.

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M.Makepeaceétouffaunbâillementderrièresamain.

—Lesfillesapprennentàcuisiner.

—Certes.Maisellesnepeuventpasfournirtouslesrepas.Etj'aieul'occasiondegoûterà leurs travaux culinaires. Leurs biscuits, par exemple, sont loind'être inoubliables.Mieuxvaudraitpouvoircomptersurquelqu'undeplusfiable.

Isabel attendit la réponse deM.Makepeace,mais il ne lui renvoya qu'un ronflementétouffé.Lepauvrehommes'étaitendormi,latêteposéesursespoings.Pendantunmoment,la jeune femme ledétailla.Les traitsde sonvisages'étaientadouciset il auraitpresquepuressembleràunenfant, siuneombredebarbenaissantene luiavaitdonnéunpetitairdedébauché.

Pourtant, Isabel n'avait pas encore rencontréd'hommequi fassemoinsdébauchéqueM. Winter Makepeace. Il consacrait tant de temps et d'énergie à l'orphelinat qu'il s'étaitendormidevantelle,enpleinjour.CequiincitaitIsabelàsedemandercequ'ilpouvaitbienfaire de ses rares loisirs. Aimait-il lire ? Tenait-il un journal ? Se recueillait-il à l'église ?Isabelavaitbeauréfléchir,ellenevoyaitpas.Cethommeétaituneénigme.Enapparence,ilse dévouait aux autres, mais elle était convaincue qu'il gardait ses petits secrets. Siseulement...

Laportedusalongrinça.Isabeltournalatête,pensantvoirPinkney.

Maisc'étaitunefemmetoutemenueetd'unâgerespectablequisetenaitsurleseuil.

—Oh,jevousdemandepardon,madame!S’excusalavieillefemme.

— Bonjour, madame Medina, fit Winter Makepeace. Sa voix trahissait sonensommeillement, mais il s'était manifestement réveillé dès que la porte s'était ouverte.Nousauronsbesoindevosservices.

—Oui,monsieur?

M.MakepeaceluidésignaIsabel:

—LadyBeckinhallmemorigénaitjustementsurl'absenced'unebonnecuisinière.

—C'estfaux!protestaIsabel.

Ill'ignora.

—Pourriez-vouscommencertoutdesuite,madameMedina?

—Certainement,monsieur.

—Parfait.Alors...

TroispetitesfillesportantdesplateauxetconduitesparPinkneyfirentirruptiondanslapièce.

—Voicilethéetlacollation,milady,annonçaPinkney.

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—Trèsbien,lafélicitaIsabel.

Etsouriantauxfillettes,elleleurdésignaunetablebasse.

—Déposezvosplateauxici.Nousmangeronspendantquej'expliqueraicertaineschosesàM.Makepeace.

WinterMakepeacefronçalessourcils.

—Quelleschoses?

Isabelluisouritavecfermeté.

—Etbien,parexemple,commentjepourraisvousaideràgardervotreemploi.

Biensûr,lestroisfillettesgloussèrentauxproposdeladyBeckinhall.

Wintern'avaitpasdormiplusdequelquesminutesdepuisqu'ilavaitdécouvert«Peach»laveilleausoir,maislaprésencedeladyBeckinhalls'avéraitétonnammentrevigorante.

Ettoutautantirritante.

Ilsetournaverslesfillettes:

— Mary Pentecôte, montre les cuisines à Mme Medina, s'il te plaît. Elle sera notrenouvelle cuisinière. Tu devras donc lui obéir et l'aider du mieux que tu le pourras. Vousautres,allezencours.

Les deux fillettes concernées baissèrent la tête et s'éclipsèrent sans broncher. MaryPentecôtesouritchaleureusementàMmeMedina,avantdel'entraînerverslescuisines.

WinterreportasonattentionsurladyBeckinhall.Elleétaitredoutablementséduisante,danssarobeémeraudequimagnifiaitlesrefletsd'acajoudesachevelure.

—Maintenant,sivousm'expliquiezdequoiilretourne?

—Mangeonsd'abord, suggéra Isabel.Elle se leva pour remplir une assiette de viandefroide,depainetdefromage.Sinousdevonsnousdisputer,autantlefaireleventreplein.

Winterlaregardaitavecperplexité.Quemijotait-elle?

LadyBeckinhallseretournaversluiavecungrandsourire.

—Vousvoussentirezmieuxquandvousaurezmangé.

Etelleluitenditl'assiette.

Winter ne pouvait pas continuer à froncer les sourcils, alors qu'elle se montrait siattentionnéeenverslui.Ilpritl'assietteavecunsentimentdereconnaissance.

Cen'était pas si souvent que les gens s'occupaient de lui.D'ordinaire, c'était plutôt lecontraire.

—Merci,dit-il.

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Elle hocha la tête, imperturbable, et se servit à son tour, avant de se rasseoir sur lecanapé.

—Avez-vouspenséàmettrequelquechosedanscecoin?dit-elle,endésignantlecôtédroitde lacheminée.Unestatue,peut-être?J'ai chezmoiunepetite statueenmarbrequiconviendraitparfaitement.Ellereprésenteunrenardetunegrenouille.

Winterclignadesyeux.

—Unrenard?

—Oui.Etunegrenouille.C'estd'origineromaine.Ougrecque.Jecroisquec'estinspiréd'unefabled'Esope.Ilétaitgrec,n'est-cepas?

— Il me semble, murmura Winter. Et, reposant son assiette, il ajouta : Si nous envenionsaufait,milady?

Elleluisourit.

—Voulez-vousquenousnousdisputionsdéjà ? Son souriren'était pas sans effet surWinter.Maisilsegardabiendelemontrer.

—S'ilfautenpasserparlà.

—J'enaipeur.J'aiapprisqueladyPénélopecherchaitàengagerunnouveaudirecteurpourl'orphelinat.

Winters'yattendaitplusoumoins,mais lanouvelle lui causa toutdemêmeunchoc.Cettemaison n'était pas seulement celle des enfants, c'était aussi la sienne. Ce qui s'étaitpassé hier soir, le sauvetage de Peach, le lui avait bien prouvé. Il ne se voyait pas plusabandonnerl'orphelinatqu'iln'avaitenviedesecouperlamaindroite.

Cependant,ils'efforçadegarderunvisageparfaitementimpassible.

—Etcommentcomptez-vousm'aideràgardermonposte?

La jeune femme haussa les épaules avec beaucoup de grâce,maisWinter la devinaittendue.Peut-êtren'était-ilpasleseulàdissimulersesémotions?

—Jevousenseignerailesbonnesmanièresafinquevouspuissiezdémontrerquevousvalez,surcepoint,n'importequelbeauparleurqueladyPénélopepourraitrecruter.C'estleseulmoyendecontrecarrersesprojets.

Wintereutunsourireamusé.

—Vousvoudriezmesauver?Pourquoi?

—Pourquoipas?Cesdernierstemps,ilsembleraitquejesoisdestinéeàmeporterausecoursdesmessieursendétresse.Saviez-vousquel'autrejour,j'aiaidéleFantômedeSaint-Gilesàéchapperàlafouledesémeutiers?

Wintercrutquesoncœurs'arrêtaitdebattre.

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—Non,jel'ignorais.

— C'est courageux de ma part, vous ne trouvez pas ? dit-elle avec un sourired'autodérision.

—Oui,acquiesça-t-ilavecleplusgrandsérieux.Trèscourageux.

Qu'avait-elle donc en tête ? Lady Beckinhall ne semblait pas à sa place dans ce petitsalonbienordinaire.Ellen'avaitpasnonplussaplaceàSaint-Giles.NidanslaviedeWinter.Pourtant,iléprouvaituneenvieirrésistibledel'attirersursesgenouxpourl'embrasser.

Ils'obligeaàrefrénersesinstincts.

—Bon.Jesupposequejeferaismieuxdevousacceptercommepréceptrice.

— Parfait, dit-elle, se relevant avec énergie. Nous commencerons dès demain matin.Chezmoi.

Lelendemainmatin,Wintercontemplalafaçadedel'hôtelparticulierdeladyBeckinhallavantdefrapperàlaporte.C'étaitexactementceàquoiils'attendait:unegrandebâtissedeconstructionrécente,d'apparence luxueuseetsituéedans l'undesquartiers lesplusenvuedeLondres.

L'intérieurracontaituneautrehistoire,cependant.

Ignorantlemajordomehautainquiluiavaitouvert,Winters'arrêtasurleseuil,àlafoispourreposersajambedroiteetpourtenterdecomprendreoùsesituaitladifférence.Lehallétaitimposant,biensûr,etrichementdécoré.Maisilyavaitquelquechoseenplus.

Lemajordomes’éclaircitlavoix.

—Voudriez-vous,s'ilvousplaît,attendreladyBeckinhalldanslepetitsalon?

Winterhochadistraitementlatête.

Lemajordome le conduisit dans le « petit salon » qui, naturellement, n'avait rien depetit.Ilétaitpresqueaussivastequeleréfectoiredunouvelorphelinat.Maislapièceavaitétédécoréede façonquesesdimensionsneparaissentpas trop intimidantes.Lesmursétaientpeintsenjauneetlambrissésdepanneauxgris-bleu.Dessièges-fauteuilsetsofas-étaientregroupésicietlà,invitantàlaconfidenceetaurepos.Leplafondétaitornéd'unefresquedechérubinsfolâtrantsurunfonddecielbleuparsemédenuages.

Winter se dirigea vers la cheminée, sans se soucier de dissimuler son boitillement,maintenant qu'il était tout seul. Une pendule rose et blanche surchargée de fioritures quicachaientpresque lecadrans'avéraitêtre laseulesourcedebruit.Tic, tac, tic...Cesalonsetrouvaità l’arrièrede lamaison,sibienque lesbruitsde laruenevenaientpas troubler latranquillitédulieu.

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Winter toucha la pendule. C'était un objet totalement grotesque et enmême temps...adorable.Ellesefondaitparfaitementdansledécor.Winterfronçalessourcils.Depuisquandtrouvait-ilunependule«adorable»?

Quelquechosebougeaderrièreunsofa.

Winterhaussalessourcils.LadyBeckinhalln'avaitquandmêmepasderatschezelle?Peut-êtrepossédait-elleunpetitchien,commebeaucoupdeladies.Ilsepenchapar-dessusledossierdusofa.

Deuxyeuxmarron,surunvisagedepetitgarçon,leregardaient.L'enfantnedevaitpasavoirplusdecinqans,étaitvêtud'unejolievesteécarlateetportaitdeladentelleautourducou.Cen'étaitpaslefilsd'undomestique.

Winter ne s'était pas douté une seconde que lady Beckinhall pût être mère. Cettedécouverte,bizarrement,luiserralecœur.

—Bonjour,dit-ilàl'enfant.

Legarçonnetsortitdesacachette.

—Quiêtes-vous?

Winterinclinalatête.

—M.Makepeace.

L'enfant,bienélevé,luirenditsonsalut.Wintersourit,amusé.

—Etvous,jeunehomme,quiêtes-vous?

—Christopher!

Laréponsefusadederrièresondos,delabouched'unedomestiqueàlaporte.

—Jesuisdésolée,monsieur,s'ilvousaimportuné.Wintersecoualatête.

—Ilnem'apasimportunélemoinsdumonde.LadyBeckinhallsematérialisaderrièrelaservante.

—Christopher,tuasinquiétéCarruthersinutilement.Excuse-toiauprèsd'elle.

Christopherinclinalatête.

—Désolé,Ruthers.

Carruthersluisouritavecbienveillance.

—Cen'estpasgrave,Christopher.Maisilestgrandtempsquevouspreniezvotrebainsivousvoulezquenousnouspromenionsdansleparccetaprès-midi.

Legarçonnetquittalapiècel'airrenfrogné,commes'ilserésignaitàsubirlatorturedusavon.

LadyBeckinhallrefermalaportederrièreladomestique.

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—J'ignoraisquevousaviezunfils,milady,ditWinter.

L'espaced'un instant,uneexpressiondouloureusesedessinasur levisagede la jeunefemme.Winter se sentit mal à l'aise. Puis elle sourit, comme si elle voulait masquer sonémotion.

—Jen'aipasd'enfants.

Winterhaussalessourcils.

—Alors,qui...

Maiselles'asseyaitdéjàsurlesofa.

—Ilesturgentquenouscommencionsdèsaujourd'hui,dit-elle.Lebalde laduchessed'Arlingtonauralieudansunesemaine.Etjesupposequevousnesavezpasdanser?

Ellenevoulaitpasparlerde l'enfant.Voilàqui était curieux.Winter secoua la tête enréponseàsaquestion.

— Non, bien sûr, soupira-t-elle. J'aurais dû m'en douter. Vous allez donc devoirapprendrelespasdebase.Jenemefaispasd'illusions:cen'estpasenunesemainequevousdeviendrezunbondanseur.Maissivousparvenezaumoinsànepasécraserlespiedsdevoscavalières,jem'estimeraisatisfaite.

—Vousêtestropaimable.

Elleplissalesyeux,commesielles'offusquaitdesonironie.

— Il vous faudra aussi un costumeneuf. Peut-être un habit crème ?Ou en soie bleuclair?

LafiertédeWinterserebella.

—Non.

—Vous ne pouvez pas vousmontrer à une réception avec l'une de vos tenues. Votrevestesembleavoiraumoinsdixansd'âge.

—Seulement quatre ans, rectifiaWinter. Et je ne peux pas accepter un tel cadeau devotrepart,milady.

— Considérez-le comme un cadeau du comité de soutien. Nous apprécions toutes letravailquevousaccomplissezpourl'orphelinatetuncostumeneufpourbrillerensociéténeseraitenrienunedépenseextravagante.

Winterauraitvoulurefuserdenouveaumaislesargumentsdelapartieadverseétaientconvaincants.Ilsoupira.

—Bon,trèsbien.Maisj'insistepourneporterquedescouleurssombres.Dunoiroudumarron.

Ellesemblaitdésirerleconvaincredeporterdescouleursplusvoyantes-durose,oudu

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mauve,parexemple-,maisfinalementelleacceptalecompromis.

— C'est d'accord, répondit-elle. Maintenant, abordons le sujet des conversationsmondaines. J'ai commandé du thé afin de nous mettre davantage dans l'ambiance. Maisd'abord,sachezquesilessarcasmesonttouteleurplaceensociété,ilfautsavoirenuseravecmodération.Jediraismêmeaveclaplusgrandemodération.

Winterhochalatête.

— De quoi voudriez-vous que nous discutions ? Elle sourit encore, et son sourirebouleversaWinterquis'obligea,biensûr,àrefoulercetteémotion.

—Ungentlemandoitsavoirflatterunedame.

Ellevoulaitqu'illaflatte ?Wintersedemandasielleneplaisantaitpas,maisnon,ellesemblaittrèssérieuse.Ilsoupiraintérieurement.

—Votremaisonesttrès...confortable.

Leplusdrôle,c'estquec'étaitvrai.Wintersesentaitparfaitementàl'aisechezelle.

Ilétaitdoncplutôtsatisfaitdesoncommentaireetilespéraitavoirréussil'exerciceavecbrio.

—Jenesuispascertainequ'ils'agissed'uncompliment,répliqua-t-ellepourtant.

—Commentcela?

— Vous êtes supposé faire des compliments sur le décor par exemple, pour flatter lamaîtressedemaison.

— Mais je me moque du décor, objecta Winter, pris par la discussion. La premièrequalité d'une maison n'est-elle pas d'être confortable ? Dire de la vôtre qu'elle est trèsconfortablemesemblaitleplusbeaudescompliments.

Ellepenchalatête,commesielleméditaitl'argument.

—Vousavezsansdouteraison.L'idéalestdesesentiràl'aisechezsoi.Jevousremerciedoncdevotreaimablecompliment.

Bizarrement, Winter éprouva du plaisir à la voir se rendre à son avis. Un plaisir,évidemment,qu'ilsegardademanifester.

Laportes'ouvrit,pourlaisserentrerdeuxsoubrettesaveclethé.

Winterattenditquelesdeuxdomestiquesaientdéposéleursplateauxsurlatablebasseet soient repartiesavantdecroiser le regardde sonhôtesse.Cette femmeétaitdécidémenttropintelligentepourl'universdefrivolitésdanslequelelleévoluait.

—J'aipeurquevousnedésiriezmechangerdutoutautout,dit-il.

Ellesoupiraetsepenchapourservirlethé.

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— Non, pas entièrement. Du reste, je doute fort que vous soyez une personnalitéfacilementinfluençable.Maisasseyez-vousdoncàcôtédemoi.

Winterétaitrestédebout,malgré ladouleuràsa jambedroite,commes'ilvoulaitêtreprêt à s'enfuir à tout moment. Il se résolut à s'asseoir, mais face à lady Beckinhall, lesplateauxduthé formantunebarrièreprotectriceentreeux. Il résistaà l'enviedemassersacuisseendolorie.

Elle le regardaavecamusement,maisellene fit aucuncommentaire sur le siègequ'ilavaitchoisi.

—Jecroisquevousnepreneznilaitnisucre?dit-elle,luitendantsatasse.

—Non,eneffet.

Lethéétaitchaud,corséetd'unequalitéàlaquelleWintern'étaitguèrehabitué.

LadyBeckinhalltouillaitavecsapetitecuillerleliquidedanssatasse.

—Passonsauxchosessérieuses,dit-elle.Mêmesi j'apprécievotrecomplimentsurmamaison, ceux que vous décernerez dans une réception devront être de nature pluspersonnelle.Quelquechosesurlesyeuxd'unedame,ousacoiffure,ousarobe,parexemple.

Ellebutunegorgéedethé,leregardantpar-dessuslereborddesatasse,avecsesbeauxyeuxbleusquisemblaientsondersonâme.Wintersavaitqu'uneladyétaitsupposées'asseoirbiendroite.MaisladyBeckinhallprenaitsesaisessurlesofa,lesépaulesenfoncéesdanslescoussins,cequi faisait ressortir sapoitrine.Winterétaitconvaincuquesonattituden'avaitriendedélibéré,maislavisiondecedécolletéétaitunsupplice.

J'adoreraisvoirvosseinsnus.Et jedonnerais toutemafortunepoursucerleurstétons.

Non.Cen'étaitprobablementpaslegenredecomplimentqu'elleattendait.

Winterseraclalagorge.

—Votrevoix,milady, rendrait jalouxunrossignol.LadyBeckinhall clignadesyeuxdesurprise.

—Personnenem'avaitencorejamaiscomplimentéesurmavoix,monsieurMakepeace.Bienjoué.

Rêvait-ilousesjouesavaient-ellesprisdescouleurs?Ellebattitdescils.

—Encorequelquesflatteriesdecegenre,monsieurMakepeace,etvouspourriezflirteravecmoi.

Wintern'encroyaitpassesoreilles.

—Vousvoudriezquejeflirteavecvous?Ellehaussalesépaulesavecnonchalance.

—Dansuneréceptionmondaine,touteconversationentreungentlemanetuneladyse

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résumeplusoumoinsàunflirt.

—Danscecas,vousdevezflirteravecdesdizainesdegentlemenchaquefoisquevoussortez.

—Serait-ceunreproche,monsieurMakepeace?

—Pasdu tout, s'empressadecorrigerWinter.Jeconstatesimplementquevousdevezensavoirbienplusquemoisurlesujet.

—Voulez-vousdirequej'aidavantaged'expérience?Wintersecontentadelaregarder,carlaréponseétaitplusqu'évidente.LadyBeckinhallétaitbeaucoupplusexpérimentéequelui -nonseulementenmatièrede flirt,maisdans toutcequiconcernait les rapportsentrehommesetfemmes.

Cette idée,dureste, lemettaitmalà l'aise.Enfait, il réalisa,àsongrandétonnement,qu'il en éprouvait de la jalousie. Winter s'était imposé des règles qui bannissaient touteprésencefémininedesaviepersonnelle.Mais...

Mais il se rendait compte qu'il avait de plus en plus demal à supporter cette vie demoine.

— Pourtant, il a bien dû vous arriver de flirter, à l'occasion? ajouta-t-elle, d'une voixveloutéedeséductriceaccomplie.

—Non.

Ellehaussalessourcils.

—Jesaiscombienvotreemploidutempsestchargé,maiscelan'aquandmêmepasdûvous empêcher de fréquenter une jeune fille par le passé ? Une amie de votre sœur, parexemple?Ouunevoisine?

Wintersecoualentementlatête.

—Non,personne.

Prenait-elletoutelamesuredesonaveu?

— Je m'en remets complètement à vous, lady Beckinhall, ajouta-t-il. Soyez monprofesseur.

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5

La belle dame et l'Arlequin devinrent amants. Leur liaison ne putrestersecrètebienlongtemps,carladameavaitbeaucoupdeprétendants,richesetjaloux,quinetardèrentpasàapprendrel'existencedel'Arlequin.Unsoirdepleinelune,ilslesuivirentdanslesruesdeSaint-Gilesetilsluitombèrentdessusavecleursépéesd'aciertranchant.L'Arlequinn'avaitqueson épée de bois pour se défendre. La bataille fut courte. Quand lesprétendantsseretirèrent,l'Arlequingisaitsurlepavé,agonisant.

Isabel avala sa salive.Avait-elle bien entenduM.Makepeace ?Venait-il de lui avouer

qu'ilétaitvierge?Certes, iln'étaitpasmarié.Etilavaitreconnun'avoirjamaiseudepetiteamie.Maistoutdemême.Beaucoupd'hommesserendaientdansdesmaisonspoursatisfaireleursbesoins-etM.Makepeacevivaitdansunquartieroùlesprostituéesabondaient.

Cependant,Isabelcommençaitàappréhendersoninterlocuteuretellesavaitqu'ilétaitorgueilleux.Ilnevoudraitjamaispayerpourgoûteràunpeud'intimité.

Cequivoulaitdoncdirequ'elleavaitdevinéjuste.Etilvenaitdeluidemanderd'êtresonprofesseur!Ilnevoulaitquandmêmepas...

—Votresilenceest inhabituel,milady, insista-t-il,decettevoixprofondequipénétraitIsabeljusqu'àlamoelle.J'espèrequejenevousaipaschoquéeenvousconfessantmanquerd'expérience...enmatièredeflirt.

Flirter. Bien sûr. C'est de cela qu'ils discutaient.Mais Isabel n'avait certainement pasimaginé la lueur particulière de son regard. Ni sa subtile hésitation avant de terminer saphrase.

Lajeunefemmeseredressasurlescoussins.Puisqu'elleétaitlaseuleàposséderlaclef,ilétaittempsd'ouvrirlecoffreautrésor.

—Jepensequenousdevrionscommencerparlesprésentations,dit-elle.

Ilhaussalessourcils.

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— Le flirt peut s'engager immédiatement, expliqua-t-elle. Dès l'instant desprésentations.Pouvez-vousmemontrercommentvoussaluez?

Ilserelevaet,sanslaquitterdesyeux,ils'inclinafurtivement.Isabelsecoualatête.

—Non.Essayezd'êtreplusélégant.Voulez-vousquejevousfasseunedémonstration?

—Ceneserapasnécessaire,répliqua-t-il.Etsonregardétaitironique.

Il recommença. Mais cette fois, il recula d'un pas, et fit semblant de soulever unchapeau imaginaire, avant de s'incliner jusqu'à la taille, les bras tendus, avec beaucoup degrâce.

Isabelécarquillalesyeux.

—Sivoussaviezcommentsaluercorrectement,pourquoinepasl'avoirfaittoutdesuite?

Ilseredressaethaussalesépaules.

— Franchement, je ne vois pas la différence entre un simple signe de tête et cescourbettesostentatoires.

Isabellevalesyeuxauciel.

— Merci de recourir aux courbettes ostentatoires lorsque vous serez dans le beaumonde.

—Commevousvoudrez,acquiesça-t-il.

—Maintenant,montrez-moicommentvousbaisezlamaind'unedame.

Isabelluitenditsamain,enespérantqu'ilneremarqueraitpaslelégertremblementdesesdoigts.

Il s'avança vers elle, lui prit la main et se pencha dessus. Ses cheveux, à présent,cachaientleursmains,maisIsabelsentitlacaressedeseslèvressursesdoigts.

Elletressaillit.

—Vousêtessupposéembrasserl'airau-dessusdemesdoigts.Ilrelevalatête.

—Jecroyaisquec'étaituneleçondeflirt?

—Oui,mais...

Ilseredressacomplètement.

—Danscecas,ilmesemblequ'unvraibaiserestplusadaptéqu'unbaiserauvent.Isabels'aperçutqu'unelueurjoyeusedansaitdanssesyeux.Ellevoulutretirersamain,

maisillatenaitfermementdanslasienne.

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—MonsieurMakepeace.

Ilécartalégèrementlesdoigtspourqu'ellepuisseretirersamain.

—Peut-êtren'avez-vouspasbesoindeleçons,aprèstout,murmura-t-elle.

—Oh,si,assura-t-ilens'asseyant.Combiend'amantsavez-vouseus?

Isabelsursauta,choquée.

—Vousnepouvezpasposerunequestionpareilleàunefemme.

—Vousmel'avezbienposée,àmoi,luirappela-t-il,sanssetroubler.

—Jen'aipaslesouvenird'avoiremployélemot«maîtresses».

—Maislasignificationétaitlamême,non?Elleplissaleslèvres.

—Pardonnez-moi,reprit-il.Jenepensaispasvotresensibilitésidélicate.

Cethommediaboliquesemoquaitd'elle !Oh,sonexpressionétait toutcequ'ilyadeplussérieux,maisIsabeln'étaitpasdupe.Ils'amusaitàlaprovoquer.

Elles'adossaauxcoussinsducanapéetlevatroisdoigtsdesamaindroite.

—Trois,dit-elle.

Ellevitàsonregardqu'ellel'avaitsurpris.

—Quatre,si l'oncomptemonmari.Mais jesupposequelesmarisnesontpasclassésdanslacatégoriedes«amants»?

—Aviez-vousdesamants,pendantquevousétiezmariée?

— Non, répliqua-t-elle, avec une petite moue. C'est très bourgeois de ma part, j'enconviens,maisc'estainsi.Jen'aijamaistrahimesvœuxmatrimoniaux.

—Etlui?

Elledétournaleregard.

—Jen'aimepasvosquestions.

—Jesuisdésolé.Jenevoulaispasvousblesser.Sesaveuxétaientsincères.

—Jenelesuispas.

—Donc,vousavezrecrutévosamantsaprèslamortdevotremari.

Commentl'avait-ellelaisséprendrelescommandesdecetteconversationpourlemoinspérilleuse?Maisàprésent,iln'étaitplusquestiondereculer.

—Oui.Naturellement,j'aiattenduquelapériodededeuils'achève.

—Naturellement.

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Isabel aurait juré qu'il désapprouvait l'idée qu'une femme puisse avoir des amants.Cependant, son tonn'étaitnullementdésapprobateur.Et il semblaitaussidétenduques'ilsdiscutaientdubeautempsouduprixdupain.

—Avez-vousunamant,encemoment?

Serait-ilplaisantd'enseigneràuntelhommel'artdes'aimer?Isabelfutsurpriseparsesproprespensées.M.Makepeacen'étaitpasdesonmilieu.Etil

n'étaitpas legenred'hommeauquelelles'intéressait.Elleaimait leshommessophistiqués,quisavaientquandplaceruntraitd'esprit.Leshommesquipouvaientsemontrerenflammésaulit,maisquisavaienttenirleursdistancesendehorsdelachambreàcoucher.Leshommesquineprenaientpasleshistoiresd'amourausérieux.

—Non,assura-t-elle.

Et,sepenchantverslui,elledemanda:

—Seriez-vousintéresséparleposte?

Sielleavaitespérélechoquer,elles'étaittrompée.Ilsecontentadefroncerlessourcils,commes'ilréfléchissait.

— Je suis intéressé par beaucoup de choses, milady. Mais je doute fort que votrepropositionsoitsérieuse.Aprèstout,nevousai-jepasconfessémonmanquederéférences?

N'importe quel autre homme aurait eu honte d'avoir à lui rappeler cette réalité.MaispasM.Makepeace.Isabelendéduisitqu'ilétaitdugenreàprendreleshistoiresd'amourtrèsau sérieux. Une fois qu'il aurait trouvé la femme dont il voudrait faire samaîtresse, il sejetteraitcorpsetâmedanscetterelation.

Isabelfrissonna.Laperspectivenemanquaitpasd'êtreexcitante.

Attention, lui souffla son instinct.Ne t'engage pas avec lui sans y avoirbien réfléchi. Quand tu n'en voudras plus, il ne sera pas aussi facile àrepousserquelesautres.

Elles'adossaàsonsiège.

—Sinouspoursuivionslaleçondeconversation?suggéra-t-elle.

Il hocha la tête. Son regard trahissait une certaine déception, mais Isabel décida del'ignorer.Elleaimaitflirter,cequinel'empêchaitpasdegarderlatêtefroide.

Winter regardait lady Beckinhall se servir du thé. Il avait été trop loin dans leurconversation.Elleavaitdécidéd'ycoupercourt,etsansdoutenevoudrait-elleplusparlerquedelapluieetdubeautemps,oud'autressujetstoutaussiassommants.

Leplusétrange,c'estqu'ilenéprouvaitunecertainedéception.Ilavaitprisplaisiràcetéchange.Etplus encore aux éclatsde sincéritéque ladyBeckinhall avait laissépercer sous

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sonmasquedefemmedumonde.Winteravaitcomprisquesonmariluiavaitfaitdumal.Etbienqu'iln'eûtaucuneenviedeluirappelerdetristessouvenirs,ildésiraitardemmentrevoirlevisagequ'elleluiavaitmontréàcetinstant.CeluidelavraieladyBeckinhall.

Elledardasesyeuxsurlui.Laparfaitemaîtressedemaisonavaitreprisledessus.

—Avez-vousvuledernieropéra?

—Non.Jen'aijamaisétéàl'opéra.

Elleplissalégèrementlesyeux-d'irritation,devinaWinter.

—Etauthéâtre?Ilsecoualatête.

—Aunconcert?

Wintersecontentadelaregarder,attendantlasuite.Maisellen'avaitpasbeaucoupdepatience.

— Vous êtes l'homme le plus ennuyeux que j'aie jamais rencontré, monsieurMakepeace.Nemefaitespascroirequevoustravaillezjouretnuit.Commentoccupez-vousvotretempslibre?

—Ilm'arrivedelire.

—NemeditespasquevousdévorezlesromansdeDanielDefoe!

—J'avoueavoirbeaucoupaiméRobinsonCrusoé.Etjetrouvesespamphletssurleginetlesdistillateursintéressants,mêmes'ilestdansl'erreur.

Isabel,toutàcoupintéressée,neputs'empêcherdeclignerdesyeux.

—Commentcela?

—Defoeprétendqueladistillationduginestunbienfaitpournosagriculteurs,carilspeuventécoulerleurssurplusdegrainauxdistillateurs.L'argumentestrecevable,maisilnetientpascomptedesravagesqueproduitleginsurlapopulationmiséreusedeLondres.

Isabelsecoualatête.

— Mais Defoe a fini par convenir que des mères alcooliques engendreraient unegénérationde...pourquoisouriez-vous?

—Alors,commecela,vouslisezlespamphletspolitiques,milady?dit-il,feignantd'êtrechoqué.Lesdamesducomitédesoutiensont-ellesaucourant?

Isabelpiquaunfardcommesielleavaitétésurpriseentraindefaireunebêtise.Maiselleredressafièrementlementon.

—Vousseriezétonnéd'apprendrecombiendefemmess'intéressentàlapolitique.

— Non. Je pense que je ne serais pas étonné. Je n'ai jamais douté que le beau sexepuisseavoirautantd'intérêtqueleshommesàsepassionnerpourlapolitique.Enrevanche,jesuisétonnéque,vous,vousvousyintéressiez.

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Ellehaussalesépaules.

—Pourquoidonc?Ilsepenchaverselle.

—Parcequevousconsacrezbeaucoupd'effortspourdonnerl'illusionquevousnevousintéressezàriendesérieux.Jemedemandebienpourquoi,d'ailleurs.

Winter crut qu'elle allait lui répondre sans détour.Mais elle baissa les yeux avec ungestevaguedelamain.

—Jesuissupposéevousapprendreàparlerensociété.Lapolitiquen'estpasunsujetqu'onabordedevantunedame.

—Milady...

—Non,lecoupa-t-elle,déterminéeànepascroisersonregard.Vousnem'aurezpasunedeuxième fois. La littérature, en revanche, est un excellent sujet de conversation. Nouspouvonsparlerden'importequelroman.

—MêmedeMollFlanders?

—SurtoutdeMollFlanders.Unromanquiracontelavied'unefemmedemauvaiseréputationconstitueunsujetdedébatenor.

— Malgré le tragique de son existence, je ne parviens pas à l'aimer autant que M.Crusoé.

Sonvisages'éclaira,commeceluid'unefillettepassionnéeparunjeu.

—Oh!Vousvoussouvenezdumomentoùiltrouvel'empreintedanslesable?

—C'étaitexcitant,n'est-cepas?

—J'aiveillé touteunenuitpourachever la lecture,confessa-t-elle.Et je l'ai reludeuxfoisdepuis.

Plongeantsoudainsonregarddanslesien,elleajouta:

—Mais si vous racontez aux dames du comité de soutien que je préfèreRobinsonCrusoéàMollFlanders,jevouségorge.

—Nevousinquiétezpas.Votresecretserabiengardé,milady.

Elleesquissaunsourire.

—QuiauraitpupenserquelesisérieuxM.Makepeaceaimaitlesromansd'aventure?

—Ouque lasi frivole ladyBeckinhallpréférait lesromansd'aventureauxbiographiesscandaleuses?

L'espaced'untoutpetit instant,ellerenonçaàsafaçadepourluisourirevraimentetpresqueavectimidité.

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Winter luiretournasonsourire.Soncœurbattaitàpeuprès trois foisplusviteque lanormale.

Ellefinitpardétournerleregard.Etconsultalapendule.

—Oh,commeletempspassevite!Jecroisquenousallonsarrêterlàpourcematin.Jepasseraidemainàl'orphelinat.Nousreprendronslesleçonslà-bas.

Winter s'abstint de tout commentaire. Il l'avait déjà suffisamment poussée dans sesretranchements.Aprèss'êtrelevéetl'avoirsaluée,ilquittalapièce.

Mais tandis que le majordome le raccompagnait jusqu'à la porte d'entrée, Winter sedemandalequeldesdeuxsedévoilaitleplusdansleurpetitjeu.

Cesoir-là, Isabel s'assità sacoiffeusepoursebrosser lescheveux,aprèsavoirenvoyéPinkney se coucher.Elle était conscientede jouerun jeudangereuxavecM.Makepeace. Iln'étaitpasdesonmilieu.Iln'avaitpasnonpluslemêmeâgequ'elle.Pourtant,ellesesentaitirrésistiblement attirée par lui. Et par son regard intense. Aucun homme ne l'avait jamaisregardéecommeWinterMakepeace.Nisesamants.Nisonmari.

Elle reposa sabrosse.Pourquoi s'ingéniait-elle à leprovoquer ?Dansquelbut ?Pourl'obligeràtomberlemasque?

Cette imageenamenauneautre.Abieny réfléchir, la franchisedeM.Makepeace luirappelait un autre homme - le Fantôme de Saint-Giles. Pourtant, quel rapport pouvait-il yavoirentreunmaîtred'écoletroprigideetlescandaleuxFantômedeSaint-Giles?

Un mouvement, dans le miroir, attira son attention. Les tentures du lit à baldaquinondulaient.

Isabelseretourna.

—Christopher?

Il y eut un silence, et Isabel se demanda si elle n'avait pas rêvé. Puis une petite voixmurmura:

—Oui,madame?Isabelsoupira.

—Christopher,jet'aidéjàditdenepastecacherdansmachambre.

Silence.

Isabelregardalelit,perplexe.S'ilrefusaitdesortir,devrait-elleletirerdeforcehorsdulit?EtoùdiableétaitpasséeCarruthers?

Lestenturess'agitèrentdenouveau.

—J'aimebienêtreici.

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Isabelinspiraprofondémentpourcontenirleslarmesquivoilaientsesyeux.

—Tudevraisdéjàêtrecouché.

—Jen'arrivaispasàdormir.

Isabelinspectalachambreduregard,commesiellecherchaitdel'aide.

—Jevaistefairemonterdulaitchaud.

—Jen'aimepaslelait.

Isabelfixalestentures,exaspérée.

—Qu'aimes-tu,alors?

—J'aimerais... commença-t-il, avantd'hésiter, cequi serra le cœurd'Isabel. J'aimeraisquevousmeracontiezunehistoire,milady.

Une histoire. Isabel était à court d'imagination. Spontanément, elle n'avait queCendrillonen tête,maisellevoyaitmalunpetit garçonsepassionnerpourunehistoiredejeunefilleetdeprincecharmant.Ellebaissalesyeuxpourréfléchiretcontemplasabrosseàcheveuxposéesursacoiffeuse.

—As-tudéjàentenduparlerduFantômedeSaint-Giles?

—Unfantôme?Unvraifantôme?

— Eh bien... c'est un homme en chair et en os,mais il se déplace à lamanière d'unfantôme.Etilchasselanuit,commelesfantômes.

—Quechasse-t-il?

—Lesméchants,réponditIsabelsanshésiter.

ElleavaitentendutoutessortesdefablessurleFantôme-parexemplequ'ilviolaitlesvierges et enlevaitdes femmes -maisdepuisqu'elle l'avait vu, elle était convaincueque cen'étaientquedesracontars.

—Ilchâtielesvoleurs,ettousceuxquis'enprennentauxinnocents,ajouta-t-elle.

—Oh.

Les tentures s'écartèrent légèrement et un regard innocent observa Isabel. La jeunefemmes'obligeaàsourire.

—Maintenant,ilesttempsquetuaillesaulit,Christopher.

—Maiscen'étaitpasunehistoire,objecta-t-il.

—Malheureusement,jen'envoispasd'autrepourl'instant.

—Etes-vousmamaman?

Isabeldutdétournerleregardpourrépondre.

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—Tusaisbienquenon.Jetel'aidéjàexpliqué.Elleselevaetallaécarterlesrideauxdulit.

—Dois-jeappelerCarruthersouturetrouverastoutseullechemindelanursery?

—J'yvais,réponditChristopher.

Ilsautadulitetsedirigeaverslaporte.

—Bonnenuit,milady.

—Bonnenuit,Christopher,chuchotaunevoixaltéréeparl'émotion.

Isabelréussitàcontenirseslarmesjusqu'àcequ'ilaitrefermélaportederrièrelui.

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—Lavoiturede ladyBeckinhallestdevant l'entrée,annonçaMaryPentecôtedepuis laportedusalondel'orphelinat,lelendemainaprès-midi.

Juste aumoment oùWinter levait les yeux de la lettre qu'il lisait, un petit chien deterrierpénétraentrottinantdanslapièce,commes'ilétaitlemaîtredeslieux.

—Oh,vienslà,Dodo!s'exclamaMary.

Ellesebaissapourprendredanssesbrasl'animalconciliant.

Winter,impressionné,haussalessourcils.Dèsqu'ilvoulaits'approcherdeDodo,celui-ciluigrognaitdessus.

—Peachs'estlevée?

—Non,monsieur,réponditMary.Elleest toujoursà l'infirmerie.Etelleneditrien, lapauvrepetite.MaisDodoadécidéd'explorer lamaison.Cematin,MmeMedinaasauvédejustesselestartesqu'ilconvoitaitsurlatabledelacuisine.

—Ah,fitWinter,quiobservaitlabouledepoils.Celle-ciavaitfermélesyeux,commesielles'apprêtaitàs'assoupirdanslesbrasdeMary.

—Nousferionsbiendechargerdeuxoutroisgarçonsdelesurveilleretdes'occuperdelesortirpourqu'ilfassesesbesoins.Peux-tut'encharger,Mary?

—Oui,monsieur.

Lafillettetournaitdéjàlestalons,maisWintersesouvintdequelquechose.

—Attendsuneseconde,Mary.

—Monsieur?

Winterexaminalapiledepapiersposéesursesgenouxetpritunefeuillequ'iltenditàlafillette.

—Masœuraréservéunpetitmotpourtoi,danslalettrequ'ellem'aadressée.

Le visage de la fillette s'éclaira et Winter réalisa que Mary Pentecôte devenaitravissante. Encore un an ou deux et il devrait se préoccuper des garçons qui lafréquenteraientd'unpeutropprès.

—Oh,merci,monsieur.

Elle prit la lettre et disparut avant queWinter ait puprotester qu'il n'avait pas à êtreremerciédequoiquecesoit.

Il finissait juste de classer ses papiers, quand la porte s'ouvrit de nouveau. LadyBeckinhall entra, une main sur son chapeau pour l'ôter. Sa camériste la suivait avec unpanier. Et un étrange petit homme vêtu d'un magnifique costume en soie couleur pêchefermaitlamarche.

Winterselevapours'incliner.

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—Bonjour,milady.

—Bonjour,répondit-elle,avantdesetournerverssacamériste.Occupe-toidenousfaireapporterduthé,s'ilteplaît,Pinkney.

Elleluipritlepanierdesmainsetledéposasurlatable,puisellereportasonattentionsurWinter.

—J'aiamenédespetitsgâteauxsucculents.Vousallezvousrégaler.

—Jeviensdedéjeuner,fitvaloirWinter.

—Maisjeparieraisquevousn'avezpasassezmangé.

—Auriez-vousl'intentiondem'engraisser,milady?

—Entreautresprojetsvousconcernant,oui,répliqua-t-elleavecdésinvolture.

Elleportaituneroberayée,bleuetblanc,quirehaussaitlebleudesesyeux.

Winterpréféradétournerleregarddesasilhouetteauxformesappétissantes.

— Et qui est ce monsieur ? demanda-t-il, désignant l'homme en costume restélégèrementenretrait.

—Votretailleur.Soyezgentilderetirervotrepantalon.

La camériste revint aumême instant. Bien sûr, elle ne put s'empêcher de glousser àcetteinjonction,avantdemettreunemainsursaboucheetdes'asseoirdiscrètementsurunechaise,dansuncoindelapièce.

—Sicetailleurdoitprendremesmesures,jepensequ'ilseraitplusjudicieuxquevousvousretiriezavecvotrecamériste.

— Ce n'est pas nécessaire. Il nous suffira de tourner le dos pendant que vous vousdéshabillerez.

Winterserraleslèvres,pourcontenirunsentimentdepanique.

—Jepréfèrequevousvousretiriez.

—Etmoi, jepréfère rester, au cas oùM.Hurt voudraitme consulter sur la coupeducostumequ'ilvousdestine.

Wintersedemandaitcommentsesortirdeceguêpier.Outrel'inconvenancequ'ilyavaitàsedévêtirdevantdeuxfemmes-mêmesiellesluitournaientledos-letailleurrisqueraitdel'interrogersursacicatriceàlacuisseetdeluiposerdesquestionsembarrassantes.

Mais lady Beckinhall s'affairait en l'ignorant. Deux pensionnaires de l'orphelinatvenaientd'arriveraveclethéetelleleurdonnaitsesdirectivespourdisposerletout.

—Le bal de la duchesse d'Arlington est dans cinq jours. Je suppose que vous pouvezfabriquer un costume dans ce laps de temps, monsieur Hurt ? S’enquit-elle, lorsque lespensionnairesfurentreparties.

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Elle servitdeux tassesde thé,en tendituneàWinteravantd'ajouter lait et sucreà lasienne.Letailleurs'inclinaavecrespect.

—Oui,milady.Jemettraitousmescommisàlatâche.

—Magnifique!approuvaladyBeckinhall.

Elletrempaleslèvresdanssonthéetajouta,enthousiaste:

—Oh,maisilestbienmeilleurqueladernièrefois.

—Jesuisraviqu'ilreçoivevotreapprobation,milady.

—Attention aux sarcasmes,monsieurMakepeace.Nous en avons déjà discuté l'autrejour, le taquina-t-elle. Je constate que votre éloquence s'améliore. Mais nous n'avons pasdansé,avant-hier.AussitôtqueM.Hurtenauraterminé...

Letailleurprofitadelaperchequiluiétaittendue.

—Sivousvoulezbienvousleveretvousdéshabiller,monsieurMakepeace.

Winter soupira intérieurement. Il posa sa tasse de thé. Puis, voyant que ni ladyBeckinhallnisacaméristeneseretournaient-aucontraire,elleslefixaientavecattention-,ilarquapolimentunsourcil.

— Oh, oui, bien sûr ! s'exclama lady Beckinhall. Elle fit signe à sa camériste de setourner.PuiselleinterrogeaWinterduregardet,commecelui-cinecillaitpas,elleserésolutàsetourner.

—Ah,cesidéespuritainessurladécence!marmonna-t-elle.

Winterattenditunmoment,pours'assurerqu'ellen'allaitpasfairevolte-face,avantdesedébarrasserdesonvestonetdesongilet.Ilnepouvaitpasoublierqu'ils'étaitdéjàtrouvénudevantcettefemme.

Maisbiensûr,ellel'ignorait.

Sonpantalonsuivit.Sibienqu'ilseretrouvaenmanchesdechemiseetcaleçon.

—La chemise également,monsieurMakepeace, intervint le tailleur. Lamode est auxcostumesajustés.

—C'estvrai,commentaladyBeckinhall,sansseretourner.Etjeveuxquesoncostumesoitàladernièremode.

Winterôtasachemise.Letailleurs'approchaavecsonmètre.Winterserralesdents.Letailleur remarqua tout de suite sa cicatrice,mais il prit sesmesures sans faire lemoindrecommentaire.

—Vousêtes-vousexercéàlaflatterie,depuisl'autrejour?interrogealadyBeckinhall.

—J'attendaisvotrevenue,milady,répliquaWinter.Et,aprèsunepause,ilrisqua:

—Jesuisadmiratifdel'efficacitéaveclaquellevouscommandezlethé,milady.

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M.Hurtluilançaunregardapitoyé.Ilyeutunsilence.

—Merci,monsieurMakepeace.Jedoisdirequevoscomplimentssont...originaux.

—J'aiunprofesseurquim'inspire,madame.

Letailleurnesemblaittoujourspastrèsconvaincu.Winters'éclaircitlavoix.

—Dureste,quineseraitpas...enadmirationdevantvous,madame?Etjeparleautantdevotrepersonnalitécharmantequedescharmesdevotrepersonne.

Là-dessus, il interrogea M. Hurt du regard. Le tailleur eut une moue qui semblaitsignifier«Passimal».

Winterpensaitavoiratteintlàseslimitesdansl'artdelaflatterie.

Malheureusement,ladyBeckinhallnevoulaitpascloredéjàlaleçon.

—Qu'entendez-vouspar«charmes»,monsieurMakepeace?

Ah.Leterraindevenaitglissant.

—Vousêtesunepersonnetrèsféminine,serattrapaWinter.Maisjesupposequevouslesaviezdéjà.

Elles'esclaffa.

— Oui. Mais une femme ne se lasse jamais d'entendre des compliments. Je vousconseilledel'avoirtoujoursàl'esprit,monsieurMakepeace.

Lacarriéristehochavigoureusementlatête,ensigned'acquiescement.

WinterfixaitledosdeladyBeckinhall.Ilauraitaimévoirsonvisage.Seslèvresdevaientesquisserunpetit sourireamuséetune lueurd'excitationdevaitbrillerdans sesyeux.Sonanatomies'enharditàcettepenséeheureusement,M.Hurtprenaitlesmesuresdesondos.

— J'imagine que vous nagez déjà dans une mer de compliments, milady. Tous leshommesquevousrencontrezdoiventvoustémoignerleurdévouement.Etencore,jeneparlelà que des gentlemen. Les seuls qui sont autorisés à flirter avec vous. Les autres, tous cespauvres gens qui ne peuvent vous manifester leur flamme en raison de leur différencesociale, ne sont pas moins émus par votre beauté. Et leurs pensées admiratives vousenveloppentetvoussuivent,telunnuagedeparfum.

Ilentenditlajeunefemmeinspirerprofondément.

Lacaméristesoupiradefaçonthéâtrale.M.Hurtavait interrompusontravailmais,auregardlancéparWinter,ils'empressadelereprendre.

—Merci,monsieurMakepeace,réponditladyBeckinhall.C'était...trèsbientourné.

Ilhaussalesépaules,bienqu'ellenepûtlevoir.

—Jen'aifaitquerapporterlavérité.

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—Metrouvez-vous...metrouvez-vousfrivoled'apprécierdetelscompliments?

— Je pense que vous aimez vous cacher derrière une façade de gaieté et de frivolité,milady.Jepenseaussiquedèsquevouspénétrezdansunepièce,touslesvisagessetournentnaturellement vers vous. Vous irradiez comme une lumière qui s'infiltrerait dans lesmoindresrecoins,etquienvoûtemêmeceuxquisecroientlesmieuxéclairés.

—Etvous,monsieurMakepeace?Faites-vouspartiedeceuxquiseconsidèrentcommebienéclairés?

— Je suis aussi noir qu'un cul-de-basse-fosse. Même votre lumière ne pourrait enéclairerlefond.

Uncul-de-basse-fosse?Acesmots,Isabelneputs'empêcherdeseretourner.Ilétaitdebout, lesbras le longducorps,pendantqueM.Hurt lemesuraitsoustoutes

lescoutures.Isabelretintsonsouffle.IlressemblaitauxétudesdenusdeLéonarddeVinci.Son torse était aussi magnifique que ceux des modèles du peintre. Et à l'exception dequelquespoilsentresespectoraux,etsoussonnombril,ilétaitimberbe.

Isabelétaitconscientedemalagir.Ellen'auraitpasdûlereluquerainsi.Maiselleétaitfascinéeparlespectacleetellesedemandaitcommentunsimplemaîtred'écoleavaitpusedoterd'uncorpsaussimusclé.Acroirequesesvêtementsternesservaientàlecacher.C'étaitd'autant plus dommage qu'il possédait un aussi beau corps que le dernier homme qu'elleavaitvunu-leFantômedeSaint-Giles.

Quand elle baissa les yeux, il se tourna légèrement, cachant sa cuisse droite. Isabelplissalesyeux.

Le tailleurgrommelaunerécriminationet tira la jeune femmedesarêverie.Elle levalesyeuxetaccrochaleregarddeM.Makepeace.Ilnetémoignaitplusaucunegêne,àprésentqu'ilsetenaitdevantelleencaleçon.

—Pourquoiseriez-vousuncul-de-basse-fosse?demanda-t-elle.

Ilhaussalesépaules.

—Jeviset jetravailledanslepirequartierdeLondres,milady.Ici, lesgensmendient,volentouseprostituentpoursurvivre:senourrir,s'habiller,seloger.Ilsn'ontpasdetempsàconsacrerauxplaisirsdelavie,commelerireoul'amour.

Ignorantlesprotestationsdutailleur,ilserapprochad'elleetpointaleplafonddudoigt:

— Peach est toujours couchée à l'infirmerie. Elle a été abandonnée et violentée. Uneenfant.Maisc'estlequotidiendeSaint-Giles.Etc'estmonquotidien.Netrouveriez-vouspasdéplacé,danscesconditions,quejemeperdeenfutilités?

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Son torse se soulevait avec véhémence tandis qu'il parlait. Isabel était fascinée. Ilincarnaitlavirilitébrute.Elledéglutit.

—D'autresgenstravaillenticietneseconsidèrentpaspourautantcommedesculs-de-basse-fosse.Votresœur,parexemple.Lajugez-vousplusfutilequenous?

—Jen'ensais rien.Je sais simplementque les ténèbresm'environnentetque jedoislutterchaquejourpournepasmefaireengloutir.

Était-ce là le véritable Winter Makepeace ? Isabel avait envie de le toucher, de lerassurer.Elleétaitprêteàcombattrelesténèbresaveclui,s'illefallait.

Pourtant,elles'interrogeait.

Cet homme n'était-il que noirceur, ainsi qu'il le prétendait? Ou cachait-il une naturepassionnée?MaisM.Hurts'éclaircitsoudainlavoix.

—J'aiterminé,milady.

M.Makepeacerécupéraaussitôtsachemise.Isabeldéglutitunenouvellefois.

—Merci,monsieurHurt.

Letailleursalualapetiteassembléeavecrespectets'éclipsa,sesnotessouslebras.

M.MakepeaceremettaitsonpantalonettournaitledosàIsabel.

MaisPinkney,enrevanche,nerataitrienduspectacle.

Isabel décochaun regard sévère à sa camériste tout en cherchant quoi répondre àM.Makepeace.Mais iln'étaitpas faciledepoursuivreuneconversation intimeavecquelqu'unquivoustournaitledos.

— J'aimerais que ma... lumière, comme vous l'appelez, puisse éclairer vos ténèbres,monsieurMakepeace.Jesuissincèrement...

Ilseretournapourattrapersonvestonetsongilet.

—Pardonnez-moi,ladyBeckinhall,maisj'aidutravailquinepeutattendre.J'espèrequevousvoudrezbienm'excuser.

Isabel était capable de reconnaître une rebuffade lorsqu'elle y était confrontée. Ellesouritchaleureusement,pourmasquerlatristessequeluiinspiraientsespropos.

—Biensûr.Jenevoudraispasvousinterrompretroplongtempsdansvotretâche.Maisnous n'avons toujours pas commencé vos leçons de danse. Serez-vous libre demain après-midi?

—Oui,çadevraitaller,répondit-ilpresquesèchement.

Etsurunsimplesalutdelatête,ilquittalapièce.

— Il a encore besoin de beaucoup de leçons, commenta Pinkney, apparemment pourelle-même. Oh, pardon, milady, s'empressa-t-elle d'ajouter en croisant le regard de sa

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maîtresse.

—Cen'estpasgrave,réponditdistraitementIsabel.Pinkneyavaitraison.M.Makepeaceavaitencorebesoindebeaucoupdeleçonsdecourtoisie.Etprobablementplusqu'Isabelnepourraitluiendonneravantlebaldeladuchessed'Arlington.

LajeunefemmeenvoyaPinkneyavertirlesvaletsdeleurdépartet,unefoisseule,ellefit les cent pas dans le petit salon, pour réfléchir. La brusquerie de M. Makepeace - quipouvaitpasserpourde l'impolitesse, voirede la grossièreté -ne s'expliquaitpas seulementparunmanquedesavoir-vivre.Après tout, iln'étaitpasnédansunecaveetn'avaitpasétéélevéparunemeutede loups. Ilvenaitaucontraired'une famille trèsrespectable.SasœurTempérance s'était parfaitement adaptée à son titre de baronne -même si elle n'était pasencorecomplètementacceptéeparlecercletrèsfermédel'aristocratie.

Pinkneyrevintpourannoncerquelavoitureétaitprête.Isabelhochalatêtecommeunautomateetpritladirectiondelasortie.EllemurmuraunmotderemerciementpourHarold,quil'aidaàmonterdanslevéhicule,puisellesecaladanslescoussins.

Pinkneys'assitfaceàelle.

—Avez-vousdécidécequevousporterezpourlebaldeladuchessed'Arlington?

Isabel,tiréedesarêverie,clignadesyeux.

—Manouvellerobecouleurcrèmeavecdesbroderies, jesuppose.Oualors,celleavecdesrayuresdorées?

TouteconversationsurlamodepassionnaitPinkney.

— La robe crème brodée, répondit-elle, d'un ton sans appel. Vos émeraudess'accorderontàmerveilleautissu.Etnousvenonsjustederecevoirladouzainedebasornésdedentellesquej'avaiscommandés.C'estàladernièremode,enFrance.

—Hmm,murmuraIsabel, lesyeuxbaissés ellen'étaitpasvraimentconcentréesur lesujet.Jepourraisaussimettremesescarpinsdumêmeton.

Lesilencedésapprobateurdesacamériste lui fit relever lesyeux.Pinkney fronçait lessourcils.

—Letalonestélimé.

— Vraiment ? S’étonna Isabel, qui n'avait rien remarqué. Ce ne doit pas être grand-chose.Jepourraisquandmême...

— Vous feriez mieux d'en acheter une nouvelle paire. Des escarpins dorés seraientparfaits.Nouspoumonsfairelesboutiquescetteaprès-midi.

—Bon,soupiraIsabel,commesielleserésignaitàuneaprès-midideshopping.

D'ordinaire,elleadorait faire lesboutiques.Maispour l'instant,ellen'étaitpréoccupéequedeM.Makepeacecommesileciels'étaittoutàcoupdégagé.

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SilarudessedeM.Makepeacenevenaitpasdesonéducation,alorsc'estqu'ellefaisaitpartiedesoncaractère.Danscecas,luienseignerl'étiquetteseraitbeaucouppluscompliquéque prévu. Car soitM.Makepeace devrait apprendre à porter constamment unmasque ensociété - ce dont il ne serait sans doute pas capable bien longtemps - soit Isabel devraitéclairersonpointdevueetluifaireprendreconsciencequelemondeneserésumaitpasàuncul-de-basse-fosse.Etcela,c'étaitunetâchecolossale.

6

L'Arlequin gisait sur le pavé et son sang se déversait dans le caniveau, quand un inconnuapprocha.Ilportaitunecapequimasquaitsasilhouette;cependantonpouvaitvoirqu'ilmarchaitsurdessabotssemblablesàceuxd'unechèvre.

L'inconnu s'agenouilla aux côtés dumourant et sortit de sa poche une pipe en terre cuite. Ill'alluma,puisfixal'Arlequin.«Dis-moi,Arlequin,aimerais-tutevengerdetesennemis?»

Winter Makepeace sauta du toit d'un immeuble et atterrit accroupi sur le toit del'immeublevoisin,fortdeplusieursannéesdepratique.

Cesoir,ilétaitleFantômedeSaint-Giles.

Ilprenaitdesrisquescar lesoleiln'avaitpasencoretotalementdisparu.Mais iln'étaitpasquestionqu'ilselaissevolerunautreenfant.Unpeuplustôtdanslasoirée,alorsquelespensionnaires de l'orphelinat venaient tout juste de s'asseoir à table pour le dîner, unmessageétaitarrivé,expliquantqu'unenfantavaitbesoind'êtresecouru.Uneprostituéeavaitsuccombéà l'unedesnombreusesmaladiesqui ravageaient les fillesde cetteprofession etellelaissaitderrièreelleunenfantdetroisans.

De tels drames étaient chose courante à Saint-Giles d'où la création de l'orphelinat.Winter n'aurait su dire le nombre de fois où il avait envoyé quelqu'un chercher un enfantabandonné pour le ramener à l'hospice quand il ne s'en chargeait pas lui-même. Les deuxdernièresfois,cependant,l'enfantleuravaitmystérieusementéchappé.

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Winter redoutait que quelqu'un - quelqu'un de très bien organisé n'ait entrepris dekidnapperlesorphelinsdeSaint-Giles.

Wintercourutjusqu'auboutdutoitetsautasurunautreimmeuble.LaconstructiondeSaint-Gilesn'avaitjamaisétéplanifiéeparpersonne.Lesimmeubless'étaientaccoléslesunsauxautresdans leplusgranddésordre, sibienqu'onseperdait facilementdansces ruellestortueuses.MaisWinterétaitcapabledetraversertoutlequartierlesyeuxfermés.

Etdelesurvoler.

Bien sûr, il avait envoyé Tommy cherché l'enfant.MaisWinter espérait arriver avantTommy.Ilavaitquittélatableenprétextantquesajambelefaisaitsouffriretilétaitmontédanssachambrepourrevêtirsatenued'Arlequin.Puisilétaitsortiparlafenêtre.

Uncoupd'œilenbasluiappritqu'ilétaitauniveaudeChapelAllev.Lecommerçantquilesavaitprévenusprécisait,danssonmot,quelamèreavaithabitédansPhoenixStreet,justeàcôté.Winterse laissatombersurunbalconquicouraittout le longdel'immeuble,puis ilenjambalarambardeàl'angle,pourdescendrelemurjusquedanslarue.

Une filletted'environdixans le regardait faire, lesyeuxécarquillés.Elleserrait sursapoitrineunpanierd'oùdépassaientquelquespetitsbouquetsdefleursfanées,lesrebutsdesajournéedevendeuseambulante.

—OùhabiteNellyBroom?luidemandaWinter.

Lafillettedésignaunemasuredélabréeauboutdelaruelle.

—Aupremierétage,surl’arrièredelamaison.Maiselleestmortecematin.

—Jesais,acquiesçaWinter.Jesuisvenurécupérersonenfant.

—Vousferiezbiendevouspresseralors,ditlafillette.

—Pourquoi?

—LesKidnappeurssontdéjàsurplace.

Winterseprécipitavers l'extrémitéde laruelle.Desravisseursd'enfants?Ilnes'étaitdoncpastrompé.UnebandeorganiséesévissaitdansSaint-Giles.Etilsétaientassezcélèbrespourqu'unefillettededixansconnaisseleurexistence.

Winterouvritlaportedelamaisonindiquéeparlafillette.Unescalierétroitluifaisaitface.Wintermontasurlapointedespiedspourn'alerterpersonne.

Lesmarchesdonnaient surunminusculepalier.Winterouvrit laporteen facede lui,surprenant une famille en plein dîner. Trois enfants entouraient leur mère, chacun unetartinedepainàlamain.Lepère,unrouquindécharné,levalepoucepar-dessussonépaulepourdésignerune autreporte sur le palier.Winterhocha la tête et fit demi-tour. Laportedonnaitsurunepetitepièce.Deuxfemmesétaientaccroupiesdansuncoin,l'œilvitreux.Enfaced'elles,lafenêtreétaitgrandeouverte.

Wintern'eutpasàposerdequestion.Ilsedirigeaverslafenêtreetregardaenbas.Un

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peuhautpoursauter.Unecornichepassaitjusteendessousdeluietcouraittoutdulongdelafaçade.Winterenjambalafenêtre,s'agrippaaurebordetmitlepiedsurlacorniche.C'estalorsqu'ilvit,au-dessusdesatête,unejambedisparaîtresur lestuiles.Winterseredressa,attrapaàdeuxmains le reborddu toitetgrimpadessus. Ilsétaientdeux là-haut : l'hommequ'ilavaitvudisparaîtreetunplusjeune.Cederniertenaitdanssesbrasunpetitgarçonsiterroriséqu'ilnecriaitmêmepas.LeplusâgésursautaenvoyantWinterapparaître.

— Le Fantôme ! Le Fantôme de Saint-Giles est venu nous chercher pour nous tirerjusqu'enenfer!

—Filons!crialejeunehomme.Etilss'enfuirentencourant.

MaisWinters'étaitdéjàlancéàleurpoursuite.Sonpoulscognaitàsestempesetlaragel'aveuglait presque. Il attrapa l'hommemûr par sa veste. Celui-ci voulut se défendre,maisWinterparafacilementsonattaqueet,d'uncoupdepoingenpleinemâchoire,lemitàterre.

Le jeune, cependant, courait toujours. Il était arrivé au bord du toit et s'apprêtait àsautersurletoitsuivant,sanslâcherl'enfant.

Winter le rattrapa alors qu'il prenait son élan pour sauter.Mais l'autre, aussi fuyantqu'unserpent,réussitàselibéreretlemorditsauvagementaupoignet.

Winter serra les dents et saisit son adversaire par les cheveux, le secouant comme ill'auraitfaitavecunrat.Lejeunehommefinitparcéderetlâchal'enfant.Celui-citombasurlesdernièrestuiles.

Winter,desamainlibre,tiral'enfantparlepied,pourl'écarterdureborddutoit.

—Nebougeplus,luiordonna-t-il.Lepetitgarçonacquiesçaensilence.

Puis Winter reporta son attention sur le jeune homme qu'il tenait toujours par lescheveux.Illesecouadenouveau.

—Tuauraispulefairetomberdanslevideensautantsurletoitd'enface.

—Bah,parici,cenesontpaslesenfantsquimanquent.Enplus,c'estungarçon.

Winterplissalesyeux.

—Leperverspourquitutravaillesnes'intéressepasauxpetitsgarçons?

— Ils n'ont pas les doigts aussi agiles que les petites filles, répliqua le jeune avec unsourireméchant.Etjenetravaillepaspourunpervers.Monpatronestdelahaute.

—Précise.

Lejeunehommejetafurtivementunregardpar-dessusl'épauledeWinter.

Cederniersepenchajusteàtempspouréviter lecoupquiallait lefrapperà lanuque.L'autre ravisseur, voyant qu'il avaitmanqué son but, s'enfuit en courant. Et le jeune, queWinteravaitlâchéensepenchant,lesuivit.Ilssautèrenttousdeuxsurletoitvoisin.

Le premier réflexe de Winter fut de les poursuivre, mais il se ravisa en songeant à

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l'enfant. Le petit garçon n'avait pas bougé et regardait son sauveur avec des grands yeuxétonnés. Winter se pencha pour le prendre dans ses bras. Il était incroyablement léger.Probablementsouffrait-ildemalnutrition,commelaplupartdesenfantsduquartier.

— Comment t'appelles-tu ? murmura Winter, écartant de sa main une mèche decheveuxblondsquiretombaitsurlesveuxdel'enfant.

L'enfant, intrigué, tenditunepetitemainpourtirersur lenezdumasque.Enécartantlesdoigts,illaissaéchapperunboutdepapierqu'ilserraitdanssapaume.

Wintersebaissapourleramasser.L'enfantavaitdûarracherceboutdepapieraujeunehommequil'avaitenlevé.Dansl'obscurité,Winterignoraitsicelaluiseraitd'unequelconqueutilitépourretrouverceshommes,maisilpouvaitsentir,soussesdoigts,lereliefd'uncachetà lacire.Winterglissasoigneusement leboutdepapierdanssapoche,avantdeserrerbienfortl'enfantdanssesbras.

—Etmaintenant,jet'emmèneàlamaison,JosephChance.

—Leplus important,quandvousdansez,estdenepasmarchersur lespiedsdevotrecavalière,expliquaIsabel,lelendemainaprès-midi.

Winter Makepeace, vêtu de noir, comme à son habitude, hocha la tête en faisant lamoue.

—Jevousprometsdepréservervosorteils,milady.

—Parfait.

Isabelprituneinspirationets'avançafaceàlui.Ilssetrouvaientdanssasalledebal-unepièceimmense,dalléedemarbrenoiretvert.

—M.Buttermanaquelquetalentpourlamusique;ainsiilaacceptédes'encharger.

Lemajordome,assisauclavecin,inclinasolennellementlatête.

—C'esttrèsgentilàlui,murmuraM.Makepeace.Isabelcrutàunsarcasmedesapart,maisilsemblaitsincère-d'ailleurs,ilremercialemajordomed'unsignedetête.Peut-êtreneréservait-ilsespiquesquepourelle.

Cetteidéen'avaitrienderéjouissant.

—Nouscommençons?demanda-t-elle,luitendantsamain.

M.MakepeaceregardaIsabelavecgravité.

—Commeilvousplaira.

—Atrois.Un,etdeuxettrois.

Isabel entama la chorégraphie qu'elle avait précédemmentmontrée àM.Makepeace.

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Ellefutsurprisedeconstaterquenonseulementilavaitmémorisélespasdupremiercoup,maisqu'ilétaitégalementcapabledelesreproduireavecgrâce.

—Quandavez-vousapprisàdanser,milady?demanda-t-il.

— Oh, quand j'étais toute petite. A douze ans, j'avais un professeur que je devaispartageravecmacousine.C'étaithorrible,carjenem'entendaispasavecelle.

Ilssetournèrentd'unmêmemouvement,avantdeseretrouverdenouveaufaceàface.

—Vousn'aviezpasdefrèresetsœurs?

—J'aieuunfrèreaîné,mais ilestmort justeavantmanaissance.Maintenant,prenezmamain.

Ils'exécuta,samainlargeetchaudeenveloppantcelled'Isabeltandisqu'ildécrivaituncercleautourd'elle.

—J'ailesentimentquevousavezconnuuneenfancesolitaire,murmura-t-il,assezbaspourqueButtermannepuissepasentendre.

— C'est l'impression que je vous donne ? Pourtant, je n'étais pas seule. J'avais descamarades.Nousorganisionsbeaucoupdesortiesdans lacampagneenvironnante.Non, j'aieuuneenfancetrèsheureuse.Etcettemêmecousineavecqui jemedisputaissanscesseàl'époqueestàprésentl'unedemesamiesintimes.

—Maisun jour, vous avez abandonné la campagnepour faire vosdébutsmondains àLondres.

—Oui.Avecuncertainsuccès,jedoisdire.

—Jen'endoutepasuneseconde.Vousdeviezavoirunenuéede jeunesaristocratesàvospieds.

—C'estpossible.

— A quoi pensiez-vous en vous cherchant un mari ? Avec quel genre d'hommesouhaitiez-vouspasserlerestantdevotrevie?

Qu'avait-ilentête?

— Je pense que j'étais comme la plupart des jeunes filles, je m'intéressais surtout àl'apparenceetàl'élégancedesmessieurs.

—Etcependant,vousavezépouséBeckinhall.Elleneputs'empêcherdes'esclaffer.

—Avousentendre,cepauvreEdmundn'avaitriendeséduisant.Pasdutout.J'étaistrèséprisedelui.Etluidemoi.

—Maisilétaitbeaucoupplusâgéquevous.

—Non,contournez-moiparlagauche,lecorrigea-t-elle,avantdehausserlesépaulesenréponse à sa question.Quel est le problème ?Ladifférenced'âge est légion ; surtout dans

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notremilieu.

Ilrestaitimperturbable.Etilétaitsisolennel,aujourd'hui,qu'Isabelavaitunefurieuseenviedeleprovoquer.

—Jepuisvousassurerquej'étaisunefemme...comblée,ajouta-t-elle.

Leurs mains s'accrochèrent furtivement, pour une nouvelle manœuvre decontournement.MaisM.MakepeaceattirasibrusquementIsabelàluiqu'ellefaillitheurtersontorse.

—Ouf!S’exclama-t-elle,surprise.

Leclavecinémitunenotediscordante,avantqueM.Buttermannesereprenne.

—Jevousdemandepardon,ditM.Makepeace.Maisilnesemblaitnullementcontrit.

Isabelplissalesyeux.

— Prenez garde, monsieur Makepeace. Ces figures délicates, comme celle que vousvenezd'essayer,sontréservéesauxdanseursexpérimentés.

Ilesquissaunsourire.

— J'espère, lady Beckinhall, que grâce à vos leçons je ne tarderai pas à devenirmoi-mêmeundanseurémérite.

— Euh, oui, très bien, fit Isabel, reculant d'un pas pour reprendre son souffle. Nousrecommençons?

Ils'inclinapoliment.

—Sivouslesouhaitez.

—Jelesouhaite,répliquaIsabel,enfaisantsigneàButtermandereprendreaudébutdumorceau.

Ils se retrouvèrent de nouveau face à face, pour répéter les mêmes pas. Isabel,cependant, n'était pas sûre que cela fût nécessaire, car il avait été capable de retenir lachorégraphieenuntempséclair.

Auboutd'unmoment,elles'aperçutqu'illaregardaitd'unairsongeur.

—Aquoipensez-vous,monsieurMakepeace?

—Jepensaisquevotremariavaitétéstupided'allervoirailleurs.

Isabelinspiraprofondémentpournepasparaîtredéstabilisée.

— Vous savez, dansmonmilieu, lesmariages réussis se bâtissent davantage sur uneamitiéquesurlapassion.

—Maisvousêtesunefemmepassionnée,murmura-t-il.Quelqu'unnevousa-t-iljamaischérie?

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Elles'esclaffa.

—Voilà une étrange question, de la part d'un hommequi s'occupe de tout lemonde,maisdontpersonnenes'occupe.

Ilfronçalessourcils.

—Jene...

—Non, non, passez à droite, le coupa-t-elle, corrigeant encore sonmouvement. Voussavezpertinemmentdequoijeveuxparler,ajouta-t-elleenguisederéponse.

Ilss'arrêtèrentdedanseralorsquelamusiquecontinuait.

—Ahbon?fit-il.

—Nousn'avonspeut-êtrepaslesmêmesoriginessociales,monsieurMakepeace,maisjesaisreconnaîtrequelqu'unquimeressemble.

Ilseraidit.

—Vousmesurprendreztoujours,milady.

—Quefaites-vous,lanuit?demanda-t-elle,suruneimpulsion.Quandlesenfantssontcouchés,rejoignez-vousvotrelitpourydormirseulouarpentez-vouslesruesdeSaint-Giles?

Sonvisageseferma,aussihermétiquequ'uneporte.

—Jepensequenotreleçonestterminéepouraujourd'hui,dit-il.

Là-dessus,ils'inclinapourlasalueretquittalapièceavantqu'Isabelaitpuriposter.

—Dois-jemeretirer,milady?demandaButterman,derrièreleclavecin.

— Oui, ce sera tout, merci, Butterman, répondit Isabel d'un air absent, avant de sereprendre:Attendez.

—Milady?

Butterman était au service d'Isabel depuis son union avec Beckinhall. Elle ne s'étaitjamais posé la question ouvertement, mais elle avait le sentiment de pouvoir lui faireconfiance.

—Jesouhaiteraisvousdemanderunservicequisortunpeudel'ordinaire,Butterman.

Lemajordomes'inclinaavecrespect.

—Jesuisàvotreservice,milady.

— Et je vous en remercie, Butterman. J'aimerais que vous glaniez tout ce que vouspourrezsurleFantômedeSaint-Giles.

Buttermannecillapas.

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—C'estentendu,milady.

Après le départ de sonmajordome, Isabel continuade fixer la porte par laquelle étaitégalementsortiM.Makepeace.

Elle avait touché, sans le savoir, une corde sensible -elle ne voyait pas d'autreexplication à sa réaction inattendue. Elle devait donc réfléchir soigneusement à l'étapesuivante.

Ledîner,àl'hospicepourenfantstrouvésdeSaint-Giles,sedéroulaittoujoursdansuneambianceanimée.

—Amen,lançaWinter,pourconclurelebénédicité.

Unchœurdevoixenfantinesluifitécho.

Winterétaitheureuxd'avoirretrouvél'orphelinatsa«maison» aprèssonaprès-midipasséeavecladyBeckinhall.Cettefemmes'approchaitunpeutropdangereusementàlafoisduFantômedeSaint-GilesetdelabêtelubriquequiétaittapieauplusprofonddeWinteretqu'il s'était toujours employé à combattre. La nuit dernière, il avait rêvé d'Isabel, et demanière on ne peut plus explicite. Il s'était réveillé le membre dressé, et il lui avait fallupréparer les leçonsde la journéependant plusd'unedemi-heurepour que son érectionneretombe.Encoremaintenant,lessouvenirsdesonrêvelui...

—Pouvez-vousmepasser le sel ? demanda JosephTinbox, le tirant de saméditationinconvenante.

—Oui,biensûr.

Winter lui tendit le condiment avant de reporter son attention sur son assiette, qu'ilcontemplaavecappétit.Cesoir,undélicieuxragoûtdebœuf,accompagnédepain fraisà lacroûtecraquante.MmeMedinaserévélaitmeilleurecuisinièrequeWinternel'avaitespéré.

—J'adoreleragoûtdebœuf!s'exclamaJosephTinbox,auxanges.

—Moiaussi,renchéritHenryPutnam.Ettoi,JosephChance?

— Ouais ! fit le petit nouveau, hochant vigoureusement la tête avant de porter unecuilleréederagoûtàsabouche.

—Siçanetenaitqu'àmoi,nousaurionsduragoûtdebœuftouslessoirs,assuraHenryPutnam.

—Maisalors,onnepourraitplusmangerdetourteaupoisson,objectaJosephSmith,assisàladroitedeWinter.

— Personne n'aime la tourte au poisson, à part toi, Joseph Smith, fit valoir JosephTinbox.

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Devinantquelesgoûtsculinairesdesunsetdesautrespouvaientdevenirunesourcedeconflit,Winterjugeabondedétournerlaconversation:

—Dis-moi,Henry,quelpsaumeétudiez-vousenclasse,cettesemaine?

—LePsaume139,monsieur.Ilestlong!

—Maischarmant,tunetrouvespas?rétorquaWinter,quicitademémoire:«Etjedis:Aumoins les ténèbresme couvriront, et la nuit sera la seule lumière quim'entoure. Lesténèbresmêmesn'ontpaspourtoid'obscurité :pourtoi, lanuitbrillecommele jouret lesténèbrescommelalumière.»Henrysegrattalenezd'unairsceptique.

—Sivousledites,monsieur.Pourmapart,jenecomprendsrienàcequeçasignifie.

—ÇasignifiequeleSeigneurpeutvoirdanslenoir,réponditJosephTinbox,avectoutel'autoritédesesonzeans.

— Et aussi qu'on ne peut pas se cacher de Dieu, pas plus la nuit que le jour, ajoutaWinter.

Pendantquelquessecondes,Winternevitplusquedesvisagesinquietsautourdelui.Ilsoupira.

—S'est-ilpasséquelquechoseicienmonabsence?

—Dodos'estbagarréavecSoot,ditJosephSmith.

—Ahoui!s'exclamaHenryPutnam,avecunmouvementdesacuillerquifaillitenvoyerdu ragoûtdans les cheveuxde JosephChance.Dodo est entrédans la cuisine et il a voulus'approcherdeSootquidormaitprèsdufeu.Soots'estréveilléensursaut,ilafeuléetdonnéuncoupdepattesurlenezdeDodo.MaisDodones'estpasdémonté.Ilarenducouppourcoupetaboyéjusqu'àcequeSootquittelacuisine.

—C'estvrai?S’étonnaWinter.J'ignoraisqueDodoétaitunvaleureuxguerrier.

—Elle,corrigeaJosephTinbox.Enfait,Dodoestunechienne.

Winterhaussalessourcils.

—Ahbon?

—Oui,confirmaJosephTinbox.Etelleadorelefromage.

—Hmm, fitWinter.Leschiensaimentsouvent le fromage.Maisnousn'avonspas lesmoyensdegaspillerleprécieuxfromagepourunchien,n'est-cepas?

—Euh,non,biensûr,réponditJosephTinbox,d'unevoixpeuassurée.

Winterdécidadesemontrerindulgentetdechangerdesujet.

—CommentvaPeach?

—Elles'assoit,àprésent,annonçaJosephTinbox,levisagesoudainradieux.

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—Ah.Etdit-ellequelquechose?Josephfronçalessourcils.

—Non.Maisvousnepensezpasqu'ilfautd'abordqu'ellereprennedesforces,monsieur?

Winteracquiesçadistraitementetlesgarçonss'engagèrentdansuneautreconversation.Winteravaitdéjàcertaines informationsetune idéederrière la tête.Peachnesemblaitpasatteinte de déficience mentale. Et d'après Nell Jones et Mary Pentecôte, elle avait bienrécupéréphysiquement.Maisellerefusaitdeparleràquiquecesoit,exceptéJosephTinbox.

Aussi,àlafindurepas,Winters'éclipsa-t-ilencuisines.

MmeMedinasupervisaitlavaisselle.Ellesetournaverslui:

—Vousêtesvenuvoircommentjem'ensors,monsieurMakepeace?

—Pasdutout.Jesaisquevousvousensorteztrèsbien.Jesuisvenuvousdemanderunservice.

—Lequel?

—Vousreste-t-ildecetexcellentfromagequevousnousavezserviàdîner?

—Jecrois,oui.

MmeMedinaouvritunplacardavecuneclépendueàsaceinture.

—Vousn'avezpaseuassezàmanger,monsieurMakepeace?

—Si,si,j'aitrèsbienmangé.Enfait,c'estpour...c'estpourPeach.

—Ah.

Lacuisinièredécoupaunmorceaudefromageenhochantlatêted'unairentendu,puisellel'enveloppadansunlingeavantdeletendreàWinter.

—J'aicrucomprendrequecettepauvrepetiteméritaitbienunsupplément.

—Eneffet,acquiesçaWinteravecgravité.MmeMedinadésignaunplateau:

—Jeluiavaispréparésondîner,maispersonnen'aencoreeuletempsdeleluimonter.Çavousembête,sijeviensavecvous?

—Aucontraire,c'esttrèsgentilàvous,répliquaWinter.

La présence d'une figure maternelle aiderait peut-être Peach à prononcer quelquesmots.

Lacuisinièrepritleplateauetilsmontèrentl'escalier.

Winter crut, en entrant dans l'infirmerie, que la fillette et le chien étaient endormis,serrésl'uncontrel'autre.MaisDodoredressalatêteetlegratifiadesongrognementhabituel.S'approchantdulit,WinterconstataquePeachavaitlesyeuxgrandsouverts.

MmeMedinaposaleplateausurlatabledechevetenmaugréant.

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—Cetaprès-midi,cemauditchiens'estbattuaveclechatdanslacuisine.

—Jesuisaucourant,ditWinter,amusé.Bonsoir,Peach.

Si la fillette l'avait entendu, elle nemanifesta aucune réaction.Mais ses yeux étaientrivéssurWinter.Winterpritunechaiseets'assitàcôtédulit.

—Jene saispas si tu te souviensdemoi,mais c'estmoiqui t'ai trouvée, l'autre soir,danslarue.

Pasderéponse.

—Ah,j'allaisoublier!

Winterdéballa lemorceaude fromage.Dodotenditaussitôt lemuseau, lesnarinesenalerte.JosephTinboxavaitraison:cettechienneadoraitlefromage.

—MmeMedina, ici présente, est notre cuisinière. Elle t'a préparé à dîner. Et je peuxt'assurerquec'estdélicieux.

Il coulaunregardendirectiondeMmeMedina,quis'était retiréeprèsde laporte.Lacuisinièrehochasobrementlatête.

Winterreportasonattentionsurlafillette.

— J'ai aussi apporté un cadeau pour ta petite chienne. Sans doute préféreras-tu ledonnertoi-même?

Wintercrutbienquesarusenefonctionneraitpas.MaisPeachfinitpartendrelamain.

Winterrompitlefromageetplaçaunpetitmorceaudanslapaumedelafillette.

— Tu as dû être bien effrayée, l'autre soir ? dit-il, tandis que la fillette donnait lefromageàlachienne.

Pasderéponse.

Winterrompitunautremorceau.Aprèsunehésitation,Peachledonnaégalementàsachienne.

—Demoncôté,jemedemandaisd'oùtupouvaisbiensortir.Ilfaisaitsifroid,cesoir-là,qu'àmonavistunedevaispasêtredanslaruedepuistrèslongtemps.Habitais-tutoutprès?Ouétais-tuvenueàpied,avecDodo?

Toujourspasderéponse.Lesilenceétaitseulementtroubléparlebruitdemasticationdelachienneauxanges.

Bientôt, tout le morceau de fromage fut englouti. EtWinter eut le sentiment que lafillettenetoucheraitpasàsonsoupertantqu'ilresteraitdanslachambre.

Ilsereleva.

—Quandtuserasenétatdeparler,jeseraistrèsheureuxd'entendretavoix,Peach.

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Iltournaitdéjàlestalons,sibienqu'ilneputcomprendrelemurmurequiétaitmontédulit.Ilseretourna.

—Jetedemandepardon?

—Peela,murmuralafillette.Jem'appellePeela.Winterclignadesyeux.

—Peela?

—CeneseraitpasplutôtPilar?IntervintMmeMedina,quis'étaitapprochéedulit.

Lafillettehochalatête,avantdesecachersouslescouvertures.

La cuisinière échangea un regard avec Winter et quitta la pièce. Winter la suivit etrefermalaportederrièrelui.

— Comment connaissez-vous son nom ? demanda-t-il, intrigué. Et Pilar est un nomespagnol,n'est-cepas?

MmeMedinasemblaittrèsémue.Wintercrutqu'elleallaitpleurer.

—Pilarestaussiunnomportugais,dit-elle.Et je lesaisparcequ'elleestcommemoi.C'estunefilled'Abraham.

— Je ne porterai jamais cela, décrétaWinter, cinq jours plus tard, avec le plus grandcalme.

Isabelseretintàgrand-peinedeleverlesyeuxauplafond.

—C'estnoiretmarron,répliqua-t-elle,assisedansl'undesfauteuilsdesonsalon.Voscouleurshabituelles.

M.Makepeaceluijetaunregarddubitatif.Carsilepantalonetlavestedesonnouveaucostume étaient bien noirs, et le giletmarron, l'ensemble ne ressemblait en rien à ce qu'ilportaitd'ordinaire.

Lavesteetlepantalonétaientmagnifiquementcoupésdansunesoiesinoirequ'elleenavaitdesrefletsbleus.Desboutonsenargentornaientlespoignets, lespocheset ledevant.Quantaugilet...C'étaitunchef-d'œuvre,auxyeuxd'Isabel.Ilétaittaillédansunesoiecouleurhavaneetbrodé,surtoutledevant,devertpomme,d'argent,debleuclairetderose.

—Jen'avais encore jamaisvud'aussibeaugilet, assura-t-elle.Unduc serait fierde leporter.

Isabelétait trèssatisfaite.Nonseulementde l'effetproduitpar lecostume,maisaussiparcequeM.Makepeaceavaitenfinconsentiàrevenirchezelle.Aprèsleurleçondedansedel'autre jour, il s'était décommandé à deux reprises, et elle avait craint de l'avoir effarouchépourdebon.

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Ilsetenaitàprésentdevantlemiroirdelacheminéeettiraitsursoncoldechemise.

—Jenesuispasunduc,rétorqua-t-il,avecunregardsarcastique.

—Non,maiscesoir,vouscroiserezplusieursducsaubaldesArlington.

Lajeunefemmeabandonnasonsiègepourluisaisirlamain.

—Arrêtez de toucher à votre col. Vous allez détruire le travail demon valet qui s'estdonnébeaucoupdepeinepourvoushabiller.

M.Makepeace tourna samaind'un geste vif, si bien que c'est lamaind'Isabel qui seretrouvadanslasienne.Etillaportaàseslèvrespourl'embrasser.

Isabel inspira profondément. Que le diable emporte cet homme ! Pourquoi le simplecontactdeseslèvressursesdoigtsluidonnait-ildesboufféesdechaleur?Etàquoijouait-il?

—Commevousvoudrez,dit-il.Isabelsedégageaetlissasesjupes.

—Lavoiturenousattend.Allons-y,sivousavezfinidevousconduirecommeungamin.

—C'estterminé.

—Parfait.

Ellemarchaverslaporte.

La nuit était délicieusement fraîche. Ce soir, Isabel portait sa robe brodée couleurcrème,commeprévu,etelleréalisa,alorsqueM.Makepeacel'aidaitàmonterenvoiture,quesatoiletteétaitassortieàsoncostume.

Ilss'assirentfaceàface.Isabelremarquaquelapochedesonvestonétaitdéforméeparunepetiteproéminence.

—Auriez-vous quelque chose dans votre poche ? demanda-t-elle. J'ai dumal à croirequeM.Hurtvousaitfabriquédesvraiespoches.

— Je le lui ai demandé. A quoi bon gaspiller du tissu, si c'est pour faire de faussespoches?

—Mais vous allez ruiner la silhouette de l'ensemble, si vous remplissez vos poches.Qu'avez-vousmisdedans?

Ilhaussalesépaulesettiraunboutdepapierdesapoche.

—Quelquechosequej'aitrouvédanslamaind'unpetitgarçon.

Isabelsepencha.Ellevitqueleboutdepapierétaitornéd'unsceauàlacire.

—Cesontlesarmesd'Arqué,dit-elle.Quiétaitcepetitgarçon?

Ilhaussalessourcils.

—Vousconnaissezcesceau?

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—Jecrois.

Ellepritleboutdepapierdanssamain,pourl'examinerdeplusprès.

—Oui,jereconnaislachouette.C'estl'emblèmecaractéristiquedelafamilled'Arqué.

Leboutdepapier semblait avoir étéarrachéd'une lettre.D'uncôté, Isabelneput lirequedeuxmots:

ChaplalléeDel'autrecôté,dansunstyleplussoigné,figuraitunedate:

12octobMais les deux dernières lettres du mot « octobre » manquaient. Isabel tourna et

retournaencorelepapier,avantdeleverlesyeuxsurM.Makepeace.

—Jedoutequecesoitl'écritured'Arquédececôté-ci;enrevanche,ilauraitpuécrireladate. Et c'est son sceau. C'est étrange. Comment un petit garçon de Saint-Giles aurait putrouvercepapier?

M.Makepeacerécupéraleboutdepapier.

—C'estunebonnequestion.Parlez-moideced'Arqué.

Isabelhaussalégèrementlesépaules.

—Vousnedevriezpas tarderà le rencontrer.Jesuissûrequ'il sera làcesoir.C'est levicomted'Arqué.Ilahéritéletitredesononcleiln'yapastrèslongtemps,troisansjecrois.

—Ilestjeune?

Isabelleregardadanslesyeux.

—La jeunesseestunenotion toute relative,nepensez-vouspas?Jepensequ'iln'estpasbeaucoupplusâgéquemoi,sivousappelezcelajeune.

Ilsourit.

—Oui.

Isabelsesentitrougir-diabled'homme!

—Toutlemonden'estpasdevotreavis.J'aitrente-deuxansetj'aienterréunmari.Jenesuisplusvraimentunegamine,monsieurMakepeace.

—Mais vousn'êtes pas nonplus une antiquité,milady.Considérez-vous lord d'Arquécommevieux?

—Biensûrquenon.Maisleshommesvieillissentmoinsvitequelesfemmes.Certainsdoiventleprendrepourunjeunehomme.

—Etvous?Ellesourit.

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—Moiaussi.

Ilplissaleslèvres.

—Est-ilbelhomme?

Isabelsedemandas'ilétaitjaloux.Bizarrement,cetteidéelaravissait.

—Oui,neput-elles'empêcherderépondreavecunpetitsoupirextatique.Ilestgrand,bienbâtietilémanedeluiuneauravirilequiplaîtbeaucoupauxfemmes.Enoutre,ilaundonpour dire des horreurs, sous des airs de parfaitemondanité. C'est un vrai talent, voussavez.

—Hmm.Jesupposequemoi,enrevanche,jeparlesouventavectropdefranchise?

—Exactement.

IlsepenchasoudainverselleetIsabeltressaillit.

—M'apprécieriez-vousdavantagesijeréfléchissaisdavantageavantdeparler?

Sonregardétaitsiintensequ'Isabelréponditsanshésiter,dufondducœur.

—Non,jevousaimetelquevousêtes.

Surpriseparsonaveu,ellepassalalanguesurseslèvresetlesyeuxdeM.Makepeaceserivèrentsursabouche.

Dieuquesonregardétaitbrûlant!Commentavait-ilpudissimuler,pendantdesannées,la passion qui l'animait sous ses dehors austères de maître d'école ? Ses pulsions sedevinaientsipuissantesqu'Isabels'étonnaitqu'ilpuissearriveràlescontrôler.Asonregard,onauraitpupenserqu'ils'apprêtaitàsejetersurellepourlavioler,avantdepartirconquérirLondresetlemondeentier.C'étaitunguerrier.

L'attelages'immobilisasoudain.M.Makepeaceselevaaussitôtetluitenditlamain.

—Descendons.J'aihâtedefairelaconnaissanceduvicomted'Arqué.

Isabel prit la main qu'il lui offrait. Elle avait le sentiment, sans bien comprendrepourquoi,d'avoiracceptéundéfi.

7

«Oui»,murmural'Arlequindansunderniersouffle.

Lesyeuxdel'inconnubrillèrentcommedesrubis,tandisquel'Arlequindevenaitblanccommelamort.«Qu'ilensoitainsi»,ditalorsl'inconnu.

L'Arlequinressuscitasur-le-champ, toutesa forceretrouvée. Ilétait lemêmequ'auparavant,àdeuxdétailsprès:danssesyeux,laflammedevies'étaitéteinteet,àprésent,ilpossédaitdeuxépées.Etaucunen'étaitenbois.

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Winter sentit lamaind'Isabel s'emparerde la sienneavecun sentimentde triomphe.Elleétaitpeut-êtreattiréeparced'Arqué,unbellâtredesonmondearistocratique,maispourl'instant,elletenaitsamain.

Il descendit le premier de voiture, puis se tourna pour aider la jeune femme. Elle leremerciad'unsourire,alorsqu'unautreattelagedémarraitaumême instantdevant le leur,après avoir libéré ses passagers.Winter tourna brièvement la tête, juste à tempspour voirune chouette figurer sur les armoiries de la portière. Il grimaça. Le cocher lui paraissaitvaguementfamilier.

—Vousn'avezpasde raisond'êtrenerveux, luimurmura Isabel, seméprenant sur saréaction.

Winterhochalatête.

—Entoutcas,pasenvousayantàmonbras,répondit-il.

Puisilobservalafaçadedel'hôtelparticulierdeladuchessed'Arlington.C'étaitl'unedesplusgrandesdemeures londoniennesqui, selon la rumeur,avaitétéofferteà laprécédenteduchesse par un amant de sang royal. La duchesse actuelle avait entièrement refait ladécoration,enpuisantsansvergognedanslesfinancesdesonmari.

Lebalétaitbiensûràl'imagedetoutecetteopulence.

Une armada de laquais en livrées escortait les invités dans un vaste hall éclairé pard'immenseschandeliers.Ungrandescalierconduisaitàlasalledebal,déjàpresquecomble.

Winter se pencha pour murmurer à l'oreille d'Isabel s'enivrant au passage de sonparfumàlalavande:

—Vousêtessûrequememêleràtouscesaristocratesprofiteraàl'orphelinat?

—Sûreetcertaine,assura-t-elle,unriredanslavoix.Venez.Laissez-moivousprésenteràquelquespersonnes.

Ils pénétrèrent dans la salle de bal et Winter posta ses sens en alerte. D'Arqué setrouvait effectivement parmi les invités. Le Fantôme déguisé en grand du monderencontreraitbientôtl'hommequiavaitunlienaveclesravisseursd'enfantsdeSaint-Giles.

Isabelluitenaitlebraspourleguiderdiscrètementdanslafoule.Lesmursdelasalledebal,trèsclairs,étaientàdominantebleu-vertavecdestouchesdecrèmeetdedoré.Detellescouleurs incitaientà ladétente,mais lemomentauraitétémalchoisi.Les invitésriaientetparlaientsifortquel'orchestreavaitdumalàsefaireentendre.

—Aquivoulez-vousmeprésenter?demandaWinter.

Isabelhaussalesépaules.

—Oh,àl'élitedelabonnesociététoutsimplement,répondit-elleentapotantlebrasdeWinteravecsonéventailreplié.Atousceuxquipourraientêtreutilesàl'orphelinat,enfait.

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—Maisencore?

Elle lui désigna deux gentlemen qui penchaient la tête l'un vers l'autre, comme s'ilsdiscutaientd'unsujetd'importance.

—LeducdeWakefield,parexemple.

—Jecroismesouvenirqu'ilestlefrèreaînédeladyHeroetdeladyPhoebe?

—Lui-même,acquiesçaIsabel.C'estunhommed'influenceet,biensûr,fabuleusementriche.OnracontequesirRobertWalpole,lePremierministre,neprendpasunedécisionsansle consulter. Son ami, avec qui il discute, le marquis de Mandeville, est à peu près aussiinfluent.C'estlefrèreaînédeladyMargaret.Jevousprésenteraisbientoutdesuite,maisj'ail'impressionqu'ilsparlentdechosestrèssérieuses.

—Alors,cherchonsuneautreproie,enattendant.

—Oui.

Isabelscrutaitlafouleduregard.QuantàWinter,ilavaitleplusgrandmalàdétournersonregarddeslèvresdelajeunefemme.

—Oh,lepauvrehomme!S’exclama-t-ellesoudain,aveccompassion.

—Quicela?

Mais elle l'entraînait déjà vers unhommequi se tenait, tout seul, dans un coin de lapièce. Ilportaituneperruquegriseetdes lunettesendemi-luneset ildonnait l'impressiond'êtremisàl'écart.

—Bonsoir,monsieurSaint-John,luilançaladyBeckinhall.

Saint-Johnécarquillalesyeuxderrièreseslunettes.

—LadyBeckinhall!

LajeunefemmeluidésignaWinter:

—Puis-jevousprésenterM.WinterMakepeace, ledirecteurde l'hospicepourenfantstrouvésdeSaint-Giles?MonsieurMakepeace,jevousprésenteM.GodricSaint-John.

WintertenditlamainàSaint-John.

—Enfait,nousnoussommesdéjàrencontrés.LadyBeckinhallhaussalessourcils.

—C'estvrai?

— Je suis un ami de lord Caire, expliqua Saint-John, tandis qu'il serrait la main deWinter. J'étais là quand l'orphelinat a brûlé, l'an dernier. Je suis ravi de vous revoir,Makepeace.

Ilnesouriaitpas,maissesmanièresétaientcharmantes.

—Moidemême,monsieur,réponditWinter.Vousnousavezbienaidés,cesoir-là.Mais

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j'aiétésurprisdenepasvousvoiraumariagedemasœur.

Saint-Johnseraiditimperceptiblement.

—Jel'airegretté,croyez-lebien.Maisc'étaitjusteaprèsqueClara...

Ilneterminapassaphraseetdétournaleregard.

—J'aiéténavréed'apprendrelamortdeMmeSaint-John,murmuraladyBeckinhall.

Saint-Johnhochalatêteetdéglutitpéniblement.

—Nousallonscontinuernotrechemin,repritladyBeckinhall.JesouhaiteraisprésenterM.Makepeaceàd'autresgentlemen.

GodricSaint-Johnneparutpass'apercevoirqu'ilss'éloignaientdéjà.LadyBeckinhallsetournaversWinter.

—M. Saint-John a perdu sa femme l'an dernier, des suites d'une longuemaladie. Ilsétaienttrèséprisl'undel'autre.C'estlapremièrefoisquejelevoisassisteràuneréceptiondepuisqu'ilestveuf.

— Ah, fitWinter, qui jeta un coup d'œil derrière lui.M. Saint-John était de nouveauseul,leregardperdudanslevide.Ilal'airbienmalheureux,ajouta-t-il.

— Pauvre homme, murmura lady Beckinhall, avec un frisson. Venez, que je vousprésenteàcesmessieursquej'aperçoislà-bas.

—Jevoussuis.

Ils se dirigèrent vers un groupe de trois gentlemen, auquel lady Beckinhall souritgénéreusement.

—Bonsoir,messieurs. Jemedemandais si vous aviez déjà eu le plaisir de rencontrermonami,M.WinterMakepeace?

Bienévidemmentnon.ElleprésentadoncWinterauxtroisgentlemen.

— L'hospice pour enfants trouvés de Saint-Giles ? Répéta sir Beverly Williams. Jesupposedoncqu'ilsetrouvedanscequartiermalfamé?

—Eneffet,confirmaWinter.

—Vousferiezmieuxdedéménagerdecettefosseàrats,sivousvoulezmonavis,repritsir Beverly, d'un ton dédaigneux. Et de vous installer plus à l'ouest. Le quartier d'HanoverSquareseraitparfait,parexemple.

— Je ne pense pas que nous aurions lesmoyens de nous payer les loyers d'HanoverSquare,objectaWinter.Enoutre,nosinvitésnefréquententpaslesbeauxquartiers.

—Vosinvités?

— Il veut parler des orphelins, Williams, intervint le comte de Kershaw, un hommed'allure sympathique, doté d'un visage tout en rondeurs, d'un grand nez et de deux yeux

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pétillants.N'est-cepas,Makepeace?

Winterhochalatête.

—Oui,milord.LesorphelinsétanttousissusdeSaint-Giles,nousavonsjugépréférabled'yétablirl'hospice.

— C'est assez logique, convint le troisième homme, M. Roger Fraser-Burnsby. MaisSaint-Gilesestunquartierdangereux.J'aientenduparlerd'unfouquirôdaitparlà-bas.

—LeFantômedeSaint-Giles,acquiesçaKershaw,avecunsourireamusé.Nemeditespasquevousavezpeurdescroque-mitaines,Fraser-Burnsby.Cen'estqu'unelégende,riendeplus.

Wintersentitqu'Isabelleregardait,maisilsegardabiendechangerd'expression.

—J'airencontréleFantôme,dit-elle.Ilyaprèsd'unequinzainedejours.Jel'aitrouvéquigisait,inconscient,danslarue,etnaturellementj'aifaitarrêtermavoiturepourluivenirenaide.

ElleaccrochaleregarddeWinter,commepourlemettreaudéfi.Winterhochalatête.

—J'imaginequeleFantômevousesttrèsreconnaissant.

— Grands dieux, il vous faut veiller à votre sécurité, lady Beckinhall ! Se récria sirBeverly,scandalisé.

Isabelhaussalesépaulesavecélégance.

—Iln'étaitpasvraimentenétatdem'agresser.

— Remercions-en Dieu, marmonna Kershaw. Car si la moitié seulement de ce qu'onraconte sur lui est vraie, ce Fantôme est capable des pires atrocités. L'avez-vous déjàrencontré,monsieurMakepeace?

— Uniquement de loin, répondit Winter, d'un ton détaché. J'ai l'impression qu'il estplutôt timide.Maintenant, si vous voulez bienm'excuser, j'ai promis à lady Beckinhall unverredepunch.

Lestroisgentlemensaluèrentpolimentlecouple,tandisqueWinterentraînaitIsabelàl'écart.

—Pourquoiavez-vousfaitcela?Siffla-t-elle,dèsqu'ilsfurentassezloinpournepasêtreentendusdupetitgroupe.

Ilhaussalessourcils.

—N'était-cepaslafaçonlapluspoliedeprendreCongé?

— Si, bien sûr, c'était tout à fait courtois. Mais nous aurions pu rester encore unmomentaveceux.

—Jecroyaisquelebutdecettesoiréeétaitderencontrerleplusdemondepossible?

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Isabeln'eutpasletempsderépliquer:ladyMargaretReadingvenaitdesematérialiserdevanteux.

—Oh,ladyBeckinhall!Commejesuisraviedevousvoir.

Lesdeuxfemmess'embrassèrentsurlajoue,seloncettenouvellefaçon,unpeuétrange,qu'avaientdeuxamiesdesemanifesterleuramitié.

PuisladyMargaret,aprèsunehésitation,tenditlamainàWinter.Illapritpourlabaisersecontentantd'embrasserl'airau-dessusdesesdoigts.

Quand ilseredressa, ladyMargaretsouriaitauxanges,commes'ilétaitunpetitchienquivenaitd'accomplirunnumérodecirque.

—MonsieurMakepeace,vousavezfièreallure.

—Merci,milady.

Isabelplissalesyeuxàsonintention,probablementpourluireprocherlasécheressedesonremerciement.Winters'éclaircitlavoix.

—Votresourireilluminecettesoirée,ladyMargaret.

—Oh,merci.

Elleregarda furtivementpar-dessussonépauleetWinterdutrefrénersonenviedeseretourner.IlsnesetrouvaientpasdansSaint-Giles,aussirisquait-ilassezpeud'êtreagressé.

Oudumoinsn'avait-ilpasàredouter,ici,legenred'agressionsauquelilétaithabitué.

—LadyBeckinhall!s'exclamaunbeaujeunehommequivenaitàsontourd'apparaître.J'avais peur de vous manquer à cette soirée. Mais vous voilà, et votre glorieuse présencesuffitàmetransporterd'allégresse.

Isabelritdececomplimentoutrancier.

—Vousnecroyezpasquevousexagérez,d'Arqué?

—Pasdutout,répliquad'Arqué,avantdeluibaiserlamain.

Winter se retint de grogner, car il était à peu près certain que le vicomte lui avaitvraimentbaisélamain.

D'Arquéseredressaaveclangueur,lesyeuxrivéssurIsabel.

—Sivouspensezquejedoisfairedesprogrèsenmatièredecompliments,milady,peut-êtreseriez-vousdisposéeàm'aider?Si jevousavaiscommeprofesseur, j'auraissansdouteunechanced'attirerenfinvotreregard.

—Elleadéjàunélève,intervintWinter.

Isabel sursauta, comme si elle était vraiment tombée sous le charmede ces flatteriesimbéciles.

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— Milord, permettez-moi de vous présenter M. Winter Makepeace, le directeur del'hospice pour enfants trouvés de Saint-Giles. MonsieurMakepeace, voici Adam Rutledge,Vicomted'Arqué.

Lesdeuxhommessesaluèrentdelatête,puisd'Arquédemanda:

—Qu'est-cequec'estquecettehistoire,Makepeace?Vousêtessonélève?

—LadyBeckinhallaeulagentillessedem'offrirsesservicespourm'aideràmepolicer.Ceciafindemieuxreprésenterl'orphelinatdansdessoiréescommecelle-ci.

D'Arquéhaussalessourcils.

— Quel est l'intérêt ? De toute façon, je dois bientôt vous remplacer au poste dedirecteur.

Winterseraidit.Soncœurbattaitàtoutrompredanssapoitrine.

—Jevousdemandepardon?D'Arquésemblaitsincèrementsurpris.

—J'aicrucomprendre,d'aprèsladyPénélope,quevoussouhaitiezdémissionner.Nemeditespasquevousavezchangéd'avis!Jemefaisaisunejoiedereprendreleposte.

—Jen'aiaucuneintentiondedémissionner,répliquaWinter,lesmâchoiresserrées.Nimaintenant,nijamais.

WinterMakepeacesemblaitlittéralementfouderage.

Pour unhommequi contrôlait d'ordinaire ses émotions, le spectacle avait de quoi eneffrayer plus d'un. D'instinct, Isabel, voulut s'écarter de lui, mais il lui prit le bras avecautoritépourlagarder,aucontraire,àsescôtés.

Lordd'Arquéavaitsuivisongeste.Ileutunsourirecynique.

—Ilparaîtquevousn'êtesplusàlahauteurdevosfonctions,Makepeace.

Isabelouvritlabouchepourcontrerl'argument,maisWinterrépondaitdéjà:

— Je devine d'où vous tirez vos informations, milord. Lady Pénélope s'y connaît enaccessoiresdemode,maisellen'aaucuneexpériencedeladirectiond'unorphelinatenpleincœurdeSaint-Giles.Jesuisetjeresterailameilleurepersonnepourceposte.

—Croyez-vous?répliquad'Arqué,etsonsourireétaitàprésentcruel.Vousn'avezpasl'airderéaliserquel'imagedevotreétablissements'estredoréeàvotreinsu.Jepensemêmequ'aveccesdamesquilesoutiennentdésormais,votreprésencepourraitconstituerunegêne.

—Adam!SerécriaIsabel,sansmêmeréfléchir.Ellesentit lebrasdeWinterseraidir.Sansdouteparcequ'elleavaitappeléd'Arquéparsonprénom.

D'Arquépritunairsuffisant.Isabelluidécochaunregardglacial.Cesderniersmois,ils

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avaient joué à se séduire l'un l'autre. AdamRutledge lui avait fait subtilement savoir qu'ilétait intéressé par une liaison, en retour elle lui avait fait comprendre qu'elle n'était pasopposéeàcetteidée.MaisIsabels'étaitbiengardéedes'engagerplusavant.

Il n'avait donc aucune raison de se montrer si condescendant avec Winter, ni del'agresserverbalement,commes'ilvoulaitluisignifierqu'ilpossédaitIsabel.

LadyMargarets’éclaircitlavoixdanslesilenceembarrasséquis'étaitinstallé.

— J'estime, pour ma part, que M. Makepeace est un excellent directeur, et qu'ilreprésentetrèsbienl'orphelinat.

D'Arqués'inclinadanssadirection.

—Votredéfensereflètebienvotregénérositédecaractère,milady.

LadyMargaretluisouritpoliment.

—Avousentendre,jeneseraisqu'ungroschatronronnant,milord.

—Unchatavecdesgriffes,lataquinaIsabel.Etpourd'Arqué,elleajouta:

—Jenecomprendspasvotreattitudeàl'égarddeM.Makepeace,milord.Dureste,quelintérêtauriez-vousàdirigerunorphelinat?

Levicomtehaussalesépaulesavecindolence.

—Peut-êtremesuis-jedécouvertunesoudaineenviederépandrelebien?

— Ou peut-être Saint-Giles vous intéresse-t-il pour une tout autre raison ? suggéraWinter,d'unevoixdouce.

D'Arquéfronçalessourcils,dérouté.

—Maisencore?M'accuseriez-vousd'avoirunpenchantsecretpourlegin?

CefutautourdeWinterdehausserlesépaulesd'unairnégligent.

—Saint-Gilespeutoffrirbiend'autresplaisirs illicitesquelegin.Lespetitesfilles,parexemple.

D'Arquahaussalessourcils.

—Vousnesuggérezquandmêmepasquejesuisattiréparlesenfants?

—Jenesaispas,réponditWinter,d'untonglacial.Aprèstout, jenevousconnaispas.Maiscertainsdépravésn'hésitentpasàdébaucherdesenfantspoursatisfaireleursenvies.

—Jepuisvousassurerque j'aime les femmes... avecdes formes, rétorqua levicomte,avecuncoupd'œiléloquentpourIsabel.

Lajeunefemmedétournaleregard.

D'Arqué frappa soudain dans ses mains, avec une telle violence que lady Margarettressaillit.C'étaitunhommerompuauxmondanitésdefaçade,maisàprésentunevéritable

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colèreselisaitdanssesyeux.

—Allez.Makepeace,dit-il,jeproposequenoustestionstouslesdeuxnotrehabiletéensociété.Quediriez-vousd'unejoutemondaineentregentlemen,undecesprochainssoirsàl'opéra?

Isabelvoulutsecouerlatête.Ellecraignaitqued'Arquén'ailletroploin.

—Marchéconclu, lançaWinter,commes'ilvenaitd'accepterunduelenbonneetdueforme.

—Magnifique!s'exclamalevicomte.Pourcorserlejeu,j'inviteraiquelquesgentlemenpournousjuger.

—C'estentendu,acquiesçaWinter.Maintenant,sivousvoulezbiennousexcuser,ladyBeckinhalletmoi-mêmeavonsbesoind'unrafraîchissement.

D'Arquésouritavecironie.

— Je ne voudrais surtout pas vous en priver.Winter tourna les talons et se fraya unchemindanslafoule.Lesinvités,àsonexpression,s'empressaientdes'écarterpourluilivrerpassage,tandisqu'Isabelétaitobligéedeforcerl'allurepourlesuivre.

—Vousn'avezpasbesoindevousenfuirdelapièce,luimurmura-t-elle,haletante.

—Vouspréféreriezquejeresteetquejeluiinfligeunecorrection?

—Vousneferiezpascela.Cen'estpasdansvotrenature.

Illuijetaunregardoblique.

—Quesavez-vousdemanature?Isabelredressalementon.

— Beaucoup de choses. Par exemple, que vous tirez fierté de cacher vos émotionsderrière un masque d'impassibilité. En réalité, je suis convaincue que vous avez peur dedévoilervotresensibilité.

Sonregardsefitincrédule.

—C'estlavérité,insistaIsabel.Jevousaibeaucoupobservé,cesdernierstemps.Etpuis,frapperd'Arquéneferaitqueluirendreservice.

Ilspassèrentdevantunealcôvedelasalledebal,protégéepardesstatuesetdesplantesvertes.Winterpoussalajeunefemmededans,luiserrantlebrassansménagement.

— Il semble penser que je ne suis qu'une espèce de singe savant, inapte à la viemondaine,dit-il.Etvous,qu'enpensez-vous,milady?Aviez-voushonted'êtrevueàmonbrasdevantvotreamant?

—Iln'estpasmonamant.

—Ilaimeraitl'être.

—Oui. Ilaimerait l'être ! répliquaIsabel,quicommençaitàse lasserdecescolèreset

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jalousiesmasculines.

—Etvous?Avez-vousenviedecoucheraveclui?

—Peut-être.

Leurs visages étaient si proches l'un de l'autre qu'Isabel pouvait sentir le souffle deWinter sur ses lèvres. Il baissa les yeux sur sa bouche et elle comprit aussitôt qu'il allaitl'embrasser.

Les lèvres deWinterMakepeace se posèrent sur les siennes. L'espace d'unmoment,Isabel en oublia où ils étaient et qui ils étaient. Elle le désirait. Elle brûlait d'envie de luidéfairesacravateetdeluiouvrirsachemisepourcouvrirsapoitrinedebaisers.

Elleouvritleslèvres,l'encourageantàallerplusavant.

Winter Makepeace croisa son regard. Il ferma un instant les paupières avant de lesrouvrir,unelueurnouvelledanslesyeux,commes'ilvenaitdeseréveillerensursautaprèsundouxrêve.

Ilreculad'unpas.

— Excusez-moi, lady Beckinhall. Je suis impardonnable. Isabel aurait voulu crier safrustration.Ellesecontentadeprendreunegrandeboufféed'air,dansl'espoirqu'ellepourraitaussivitepasseràautrechosequ'ilenétaitapparemmentcapable.

—Non,monsieurMakepeace.Cequiestimpardonnable,cesontvosexcuses.

Winteravaitbien failli rompresonvœu implicitedechasteté. Ilavait failliembrasserunefemme.Etpasn'importelaquelle:Isabel,ladyBeckinhall.

Unefois,unefillel'avaitembrasséalorsqu'iln'étaitqu'untoutjeunehomme-iln'avaitpas dix-sept ans. A l'époque, Winter n'avait pas encore pris conscience que son destinl'appelleraitàseconsacreràSaint-Giles. Ilavaitrencontrécette fillealorsqu'ilserendaitàOxford et c'était si lointain qu'il avait oublié son prénom à supposer qu'il l'ait connu.Unbaisermaladroit.Wintern'avaitjamaisrevulafille.

Isabelneluiétaitenriencomparable.Lesoleilàcôtéd'unevulgairechandelle.Winterbrûlaitd'enviede laprendredanssesbrasetdedonner librecoursàses instinctscharnels,qu'ilavaittoujourssoigneusementréprimés.Ilrêvaitdelaconquériretdelaposséderaveclasauvageried'unguerrierviking.

Maisilnelepouvaitpas.

Lesenfantsdel'orphelinat,Pilar,maisaussitouslesautresdépendaientdelui.Ilavaitcommisuneerreurenselaissantalleruninstant.Isabelluiavaitfaitoubliersondevoir.

Cettefemmeétaitlatentationincarnée.

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Ilvoulutsedétourner.

Elleluipritlebras,avecunevigueurétonnante.

—Oùallez-vous?demanda-t-elle.

Ilregardaitverslecentredelasalledebal.

—Nousdevrionsretournernousmélangerauxinvités.

—Pourquoi?

Wintergrimaça.

—Nesuis-jepassupposérencontrerdesgentlemend'influence?

—Jeconstatequevousn'hésitezpasàmecongédiercommesijen'étaisriendutout.

Winters'obligeaàlaregarderdanslesyeux.

L'expressiondelajeunefemmetrahissaitcombienill'avaitblessée.Dieutout-puissantWintereutl'impressionquesoncœursaignait.

—Qu'auriez-vousvouluquejefasse?murmura-t-il.Jemesuisexcusé,maisvousvousjugezquandmêmeoffensée.

—Nedétournezpaslaconversation.Vousmefuyez.Iln'yapasuneminute,vousvousapprêtiezàm'embrasser,et...

—Etjenel'aipasfait.

Winterauraitvoulus'arracher lescheveux,donnerdescoupsdepoingdans lemuret,par-dessustout,laprendredenouveaudanssesbraspourl'aimertoutàloisir.Etl'embrasserjusqu'àcequ'elleperdecetteexpressionquilechagrinait.

Maisbiensûr,ilnefitriendetoutcela.

—Non,eneffet,répondit-elle.Apparemment,ilestfaciledemerésister.

Facile?Winters'esclaffa.Commentpouvait-ellepenserunechosepareille?Ilcroisalesbrassursapoitrine.

—Jemedoutequevousêteshabituéeàceque leshommesvousembrassent.Etplusencorequandvouslesregardezdelafaçondontvousmeregardez.

—Insinueriez-vousquejesuisunecatin?

—Non!Je...

Elleenfonçaundoigtdanssongiletbrodé.

—Cen'estpasparcequejen'aipasvosmanièresdemoinequejesuispourautantunefemme perdue. Êtes-vous capable de comprendre cela, monsieur Makepeace ? J'aime lacompagniedeshommes,etj'aimecoucheraveceux.Sicelanevousplaîtpas,peut-êtreferiez-vousmieuxderéviserd'abordvotrepropreconduite?

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Là-dessus, elle tourna brusquement les talons, comme si elle avait l'intention del'abandonnertoutseuldansl'alcôve.

CefutautourdeWinterdeluisaisirlebraspourlaretenir.

—Jenepenseaucunmaldevous,assura-t-il.

—Alors,pourquoirefusez-vousdemonterlamarchesuivante?

—Jenepeuxpas.

—Pourquoi?répliqua-t-elle,sesyeuxlançantdeséclairs.Seriez-vousimpuissant?

—Non.Pasàmaconnaissance.Sonregardseradoucit.

— Si c'est votre inexpérience qui vous retient, vous avez tort. Je ne cherche pas unamantconfirmé.Dumoins,paspourlapremièrefois.

Wintersecoualatête.

—Non,cen'estpasça.Vousnecomprenezpas.

—Alors,expliquez-vous.

Winter soupira. Puis il renversa la tête en arrière, pour contempler les cupidons quiornaientleplafond.

—Jemesuisdévouécorpsetâmeàl'orphelinatdeSaint-Giles.Mamissionestd'aidertousceuxquiontbesoindemoidanscequartierdéshérité.

Elleparutétonnée.

—Avousentendre,onjureraitquevousavezprononcédesvœuxreligieux.

Winterdétournauninstantleregard,pourmettredel'ordredanssespensées.Iln'avaitjamaisexposésamissionàquiconque.

Finalement, il prit une profonde inspiration et reporta son attention sur la jeunefemme.

— C'est très semblable, du moins dans l'esprit, à des vœux religieux. Je ne suis pascomme les séducteurs que vous fréquentez, Isabel. Je considère le plaisir charnel commequelquechosedesacré,quidoitallerdepairavec l'amour.Et siun jour j'aimaisassezunefemme pour l'inviter dans mon lit, alors cela voudrait dire que je l'aimerais assez pourl'épouser. Mais comme je n'ai pas l'intention de me marier, je préfère ne pas tropm'approcher,niphysiquement,niémotionnellement,desfemmes.

—Maisvousn'êtespasprêtre!objectaIsabel.RiennevousempêcheraitdefonderunefamilleetdecontinueràaiderlesmiséreuxdeSaint-Giles.

—Non,jenepensepasquecelaseraitpossible.Unmaridoitd'abordseconsacreràsafemme et à ses enfants. Tout le reste passe au second plan. Si jememariais, les gens deSaint-Gilesseraientreléguésausecondplan.

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Elleécarquillaitlesyeux.

—Jen'arrivepasàycroire!Vousvoudriezdevenirunsaint.

Winterplissaleslèvres.

—Non.J'aisimplementdédiémonexistenceausecoursdemonprochain.

—Maispourquoi?

— Je vous ai déjà expliqué pourquoi, répliquaWinter, qui s'efforçait de contenir sonimpatience.Cette conversation lemettait au supplice et il souhaitait l'abréger auplus vite.Les enfants, leshabitantsdeSaint-Giles et leurmisérable existence, ajouta-t-il.Nem'avez-vousdoncpasécouté?

—Si,biensûr.Jenesuispassourde.Mais jevoulaissavoirpourquoivous?Pourquoiseriez-vousceluiquidoitconsentiràuntelsacrifice?

Ilsecoualatête,d'unair impuissant.Isabelappartenaità laclassedesprivilégiés.Ellen'avait jamais connu lamisère.Pasplusqu'ellen'avait euà compter ses sous, chaque soir,poursavoirsiellepouvaits'acheterducharbonpoursechaufferoudupainpoursenourriretquoiqu'ilensoit,jamaislesdeuxenmêmetemps.Ellenepouvaitdoncpascomprendre.

Winterrelâchalebrasdelajeunefemmeetreculad'unpas,pourmettredeladistanceentreeux.

—Sicen'estpasmoi,alorsqui?

Megs'étiradetoutsonlongpoursavourerlalangueurd'aprèsl'amour.C'était l'unedeses plus belles découvertes, depuis que son cher Roger l'avait invitée dans l'intimité de sachambreàcoucher:soncorps,aprèschaqueétreinte,étaitincroyablementdétendu.

Malheureusement,ilsn'avaientpastoujoursl'occasiondeserencontrerdansunlit.

Pourl'heure,lajeunefemmeétaitallongéesurunsofa,dansl'undespetitssalonsdeladuchesse d'Arlington. Malgré l'épaisseur des murs, elle pouvait entendre le bruit des voixdanslasalledebal.C'étaittoutdemêmeundélicieuxrefuge,rienquepoureuxdeux.

—Ilesttempsd'yretourner,chérie,luichuchotaRogeràl'oreille.

Megfitlamoue.

—Déjà?

Rogers'assitpourremettredel'ordredanssatenue.

—Tunevoudraispasquelesmatroness'aperçoiventdetonabsence?Oupireencore,quetonfrèrelemarquisselanceàtarecherche?

Megfrissonnaàcetteidée.Sesdeuxfrèresavaientfaitdesmariagesscandaleux,maisce

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n'étaitpaspourautantqu'ilsétaientdisposésàluipardonnerlamoindreinconvenance.

Elles'assitàsontouràcontrecœur.

—Etjenevoudraispasmefâcheravecmonfuturbeau-frère.

Megsentitunsentimentdejoieluigonflerlapoitrine.Elleretintpourtantsonsouffle.Rogeréclataderiredevantsonexpression.

— Pensais-tu que je ne te voudrais pas pour femme ? N'as-tu donc pas compris quej'étaisfouamoureuxdetoi?

Commeellelefixaittoujours,ilcessasoudainderire.

—Ah,jecrainsd'avoirparlétropvite.Peut-êtreneveux-tupas...

Ellesejetadanssesbras,avantqu'ilaitputerminer.

—Ouf!s'exclamaRoger,quitombaàlarenversesurlesofa,écraséparlajeunefemme.

—Oui!Oui!Oui!s'exclamaMeg,lecouvrantdebaisers.Oh,Roger!Commentpeux-tut'imaginerquejenet'aimepasdetoutmoncœur?

Ilpritlevisagedelajeunefemmedanssesmainsetl'embrassapassionnément

—Oh, chérie,murmura-t-il, quand il relâcha son étreinte. Tu fais demoi l'homme leplusheureuxdumonde.

Megposasatêtesursontorsepoursavourerlebonheurdecetinstant.MaisRogerluidonnaunetapesurlesfesses.

—Allez,debout!

Megs'exécutaengrommelant.Elleseregardadansuneglace,avantdesetournerverssonamant:

—Allons-nousnousfiancer?

—Oui,répondit-ilavecunsourire.Maisjetedemandeunefaveur:gardenosfiançaillessecrètes,letempsquejemettedel'ordredansmesaffaires.Jenesuispasaussirichequelevoudraitsansdoutetonfrère,maisje...

—Chut !Lui intima la jeune femme,posantundoigtsurses lèvres.Je t'épouseparcequejet'aime,paspourtonargent.

Ilfronçalessourcils.

—Tupourraisépouserunhommeplusriche.Ettitré.

—Jepourrais,maisjeneleveuxpas.Etj'entendsl'expliquerfermementàThomas, lemomentvenu.

Rogerappuyasonfrontcontreceluidelajeunefemme.

—Jet'aime.

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—Moiaussi,dit-elle,posantunbaisersurseslèvres.Jeneparleraiàpersonnedenosfiançailles,situmeprometsd'enparlerrapidementàThomas.

— Accorde-moi une quinzaine de jours, pas plus. Tu sais, Meggie, j'ai réalisé unexcellentinvestissement.Quandildonnerasesfruits,mêmetonfrèreseraimpressionné.

Ellesecoualatête,avecunsourired'extase.

—Tun'aspasbesoindem'impressionneravectonargent,RogerFraser-Burnsby.

Elleleregardadanslesyeux,avecl'envied'endiredavantage,maisellenetrouvaitpaslesmots.

Alors,commeilfallaitbienseséparer,elleluicaressalajoue,lissasesjupesetquittalapièce.

Isabelsetenaitsur leseuildusalondereposréservéauxdamesetellecontemplait lecouloir d'un œil songeur. Si elle ne s'était pas trompée, elle avait vu ladyMargaret sortirdiscrètementd'unautresalon,unpeuplusloin,àl'endroitoùlecouloirétaitmoinséclairé.Que...

Isabel écarquilla les yeux. Maintenant, c'était au tour de Roger Fraser-Burnsby dequitterlemêmesalon,ettoutaussifurtivement.

Bon.

Isabel était assez rompue auxmondanités pour savoir que des tête-à-tête clandestinsavaientlieulorsdecertainessoirées.MaisladyMargaretétaitunejeunehéritière.Certes,M.Fraser-Burnsby était un jeune homme charmant. Il n'en demeurait pas moins que Megrisquaitsaréputationetsonavenirenlevoyantenprivé.

Isabel s'éloigna. Elle s'arrangerait pour faire comprendre subtilement à Meg qu'ellen'étaitpasaussidiscrètequ'ellesel'imaginait.Detoutefaçon,IsabeldevaitrejoindrelebaletM.WinterMakepeace.Elleétaitdéjàrestéetroplongtempsdanslesalonderepos,etellenevoulaitpasqu'ils’imaginequ'ellesecachaitdelui.

Isabelsoupira.Ellen'avaitjamaisétélâchedesavie.Toutcequ'elleavaitàfaire,c'étaitde retrouverM.Makepeace et de poursuivre avec lui une conversation anodine, jusqu'à cequecettemauditesoiréesetermine.

Après,elledevraittrouverunmoyendesortirM.WinterMakepeacedesatête.Etpeut-êtredesoncœur.

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8

Cesoir-là,l'Arlequinsevengeadetousceuxquiluiavaientfaitdumal.Sesagresseursn'avaientmêmepas encore quittéSaint-Giles quand il les retrouva. Ils eurent beau se défendre, ils n'avaientaucunechancecontreleFantômedeSaint-Giles!

Avecuneforcesurhumaine,ilsebattitcontreeuxetlestuasanspitié.Etilnes'arrêtapaslà.

L'Arlequinseremitenchasselanuitsuivante.Bientôt,tousceuxquiavaientquelquechoseàsereprochercomprirentqu'ilvalaitmieuxéviterSaint-Giles lanuit,carsonFantômeétaitassoiffédesang.

—Oh,milady,cesbassontd'uneélégancefolle!s'enflammaPinkney,lelendemainsoir,tandisqu'Isabelenfilaitsesnouveauxbas.Etilsnecoûtentpassicher,enplus!Voulez-vousquej'encommandeuneautredouzainedepaires?

Isabel tendit le pied, pour mieux juger de l'effet. Les bas étaient brodés et ornés dedentelle au-dessus de la cheville. C'était en effet très élégant et raffiné. Mais WinterMakepeacetrouveraitprobablementqueporterdetelsbasrelevaitdugaspillage.

Ellehochalatêteavecdéfiàl'intentiondePinkney.

—Commandes-endeuxdouzaines.

Sa camériste sourit avec enthousiasme. Pinkney adorait dépenser des fortunes envêtements.

—Bien,milady.

—Parfait,murmuraIsabel,d'unevoixdistraite,tandisqu'elles'observaitdanslemiroir.Sa chemise était ornée de dentelle aux coudes et autour du cou et la fine gaze de l'étoffelaissaitvoirlerougefoncédesestétons.Untelspectaclesaurait-iltenterl'abbéMakepeace?

Asupposerqu'Isabelaitenviedeletenter,biensûr.

Ilavaitexpliquéqu'ilnevoulaitpasd'uneliaison,niavecelle,niavecuneautrefemme,

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dansdestermesonnepeutplusclairs.Ilavaitdévouésoncorps,sonâmeetmêmesonsexe,apparemment auquartierSaint-Gilesetàseshabitants lesplusmiséreux.Pourquoi Isabelirait-elles'humilieràcouriraprèsuntelhommeunsimplemaîtred'école,enplus,alorsquetantdegentlemenétaienttoutdisposésàluisuccomber?Lordd'Arqué,parexemple.Ilétaitbel homme, il avait de l'esprit et Isabel était convaincue qu'il se révélerait un amantexpérimenté.

—Milady?

PinkneytiraIsabeldesespensées.Sacamériste,aidéedeSuzy,unefemmedechambre,luitendaitsarobe.Isabelécartalesbraspourquelesdeuxdomestiquespuissentlaluienfilerplusfacilement.

Ce soir, Isabel porterait une robe de brocart violet, ornée de médaillons de couleurpourpretissésàmêmel'étoffe.

Le problème, c'est qu'elle ne se sentait pas spécialement attirée par d'Arqué. Ni parpersonne d'autre, d'ailleurs à l'exception deWinterMakepeace. La vie était quandmêmeétrange !Unesemaineplus tôt, Isabelauraitéclatéderireà l'idéequ'ellepourraitrêverunjour d'une liaison avec le directeur de l'orphelinat de Saint-Giles. Mais, au cours de cesderniersjours,elleavaitcomplètementrévisésonjugementsurlui.

Ils'exprimaitavecelled'égalàégal,cequilaissaitpenserqu'ilnesesouciaitnidesonrangsocialnidesaposition.Maisiln'yavaitpasquecela.Beaucoupd'hommesconsidéraientlesfemmessoitcommedescréatureséthérées,qu'ilsplaçaientsurunpiédestal,soitcommede grands enfants incapables de suivre un raisonnement logique.Winter, au contraire, luiparlaitcommesielleétaitaussiintelligentequeluietqu'ellepouvaits'intéresserauxmêmeschosesquelui.Mieuxencore:commesisonavisluiimportait.

Pour Isabel, c'était entièrement nouveau. Aucun homme, dans sa vie, ne s'étaitcomporté ainsi avec elle. Elle avait été successivement fille, épouse et maîtresse, maispersonnen'avaitjamaischerchéàsavoircequ'ellepensait.

Il était donc logique qu'elle se sente attirée par quelqu'un qui la considérait enfincommeunêtrehumainàpartentière.

Pinkneyl'aidaàrentrerdanslebustierdesarobe.Ungranddécolletéen«V»laissaitdevinerlaplusbellevallée.

—Voilà, dit Pinkneyquand sa camériste eut terminéde lui lacer sa robedans le dos.Vousêtestoutsimplementsplendide,cesoir,milady.

Isabelsetournad'uncôtéetdel'autredevantlaglace,pours'admirer.

—Mecrois-tuassezsplendidepourséduireunprêtre?

—Milady?fitPinkney,désarçonnée.

—N'ypenseplus,répliquaIsabel.

Elletouchalaroserougeensoieincrustéedepierreriesquiornaitsacoiffure,avantde

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demander:

—M.Makepeaceest-ilarrivé?

—Non,milady.

Isabel retint un juron. Elle venait d'apercevoir un pied d'enfant dépasser de sous unfauteuil.

— Va t'assurer que la voiture est prête, dit-elle à Pinkney. Je descends dans deuxminutes.

Isabel attendit que les deux domestiques se soient éclipsées, avant de s'approcher dufauteuil.

—Christopher?

—Milady?réponditunevoixdesouslefauteuil.Isabelsoupira.

—Quefais-tulà?

Silence.

—Christophe?

—Jeneveuxpasprendremonbain,réponditl'enfantd'unevoixmutine.

Isabelsemorditlalèvrepournepassourire,bienquelegarçonnetnepûtpaslavoir.

—Situneprendsjamaisdebain,lacrassefiniraparformerunecroûtesurtoncorps,etnousseronsobligéesdel'enleveràlatruelle.

Ungloussementamusémontadufauteuil.

—Parlez-moiencoreduFantôme,milady.

Isabelhaussaunsourcil.Cegarnements'essaierait-ildéjàauchantage?

—Trèsbien.JevaisteraconterunehistoireduFantôme.Maisensuite,promets-moiderejoindreCarrutherspourqu'elles'occupedetatoilette.

Unsoupirdéchirants'élevadufauteuil.

—Bon,d'accord.

Isabel inspecta sa chambre du regard, à la recherched'une inspiration.Butterman luiavait fait son rapport sur le Fantôme précisément cet après-midi. Pour l'essentiel, ce qu'ilavaitpuglaners'inspiraitderumeursetdecontesàdormirdebout,manifestementdestinésàeffrayerlespetitsenfants.Parexemple,leFantômesecachaitderrièreunmasqueparcequ'ilétait horriblement défiguré et il se nourrissait des entrailles des jeunes filles. D'autresracontaientqu'ilpouvaitsetrouveràdeuxendroitsenmêmetempsetqu'uneflammeorangedansaitdanssesyeux.Certains,enfin,assuraientqu'ilétaitcapabledevolerdanslesairsetdevenirfrapperauxfenêtresdeschambresdespetitsgarçonsdésobéissants.

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Toutefois, certainesdeshistoirescolportéesausujetduFantômesemblaientposséderunfonddevérité.

—Milady?S’impatientaChristopher.Isabels’éclaircitlavoix.

—Ilétaitunefois...commença-t-elle.Ilétaitunefoisunepauvreveuve,quivendaitdespetitspainsauxraisins.Chaquejour,elleselevaitbienavantl'aube,pourfabriquersespetitspains.Puisellelesempilaitdansungrandpanier,etellepartaitdéambulerdanslesruesdeLondresencriant«Painsauxraisins!Achetezmesbonspainsauxraisins!»Ellemarchaitainsi toute la journée et le soir son panier était vide et ses pieds enflés. La pauvre veuverevenait chez elle avec quelques sous en poche. Elle pourrait s'acheter du pain, un peu deviandeetdulaitpournourrirsesenfants.

Isabels'interrompit,pours'assurerqu'ellen'avaitpasperdul'attentiondesonauditoire,maisChristopherdemandaaussitôt:

—EtleFantôme,danstoutça?

— J'y arrive. Un jour, alors que la veuve rentrait chez elle, une bande de gredins luitombadessusetlafrappapourluivolersarecettedelajournée.«Arrêtez!Arrêtez!»Criaitla veuve, qui appelait ainsi à l'aide.Maispersonnene vint à son secours, car tous les gensavaientpeurdesgredins.Laveuve,cesoir-là,dutvendresonchâlepourpayerledînerdesesenfants.Le lendemain, lamêmebandedegredins l'agressaencoreà la findesa journéedetravail.Etlamalheureuseappelaencoreenvainàl'aide.

—Oh,murmuraChristopher.Sij'avaisunpistolet,j'iraistuercesgredins!

—Ceserait trèscourageuxde tapart, répondit Isabel,émuequecepetitenfantdésiresecouriruneinconnue.Cettefois,laveuvefutobligéedevendreseschaussurespournourrirsesenfants.Letroisièmejour,elleétaitaudésespoir,maisilfallaitbienqu'ellerepartedanslesrues,vendresespainsauxraisins.Cesoir-là,aumomentderentrerchezelle,elleavaitlespiedsensang.Etlesgredinss'enprirentencoreàelle.Maiscettefois,quelqu'unentenditsesappelsàl'aide.LeFantômedeSaint-Giless'abattitsurlesgredinssansqu'ilsl'aientvuvenir.

—Hourrah ! s'écriaChristopher avec enthousiasme.Et il sortit la tête de sa cachette,pourmieuxentendrelafindel'histoire.

—LeFantômeavaitdeuxépées.Unelongueetunecourte,etilseservaitdesdeuxpourcombattrelesvoleurs.Ilferraillaitsibienqu'illacéraleursvêtements.Quandileutterminé,lesgredinsn'eurentpasd'autrechoixquedes'enfuirtoutnus.Crois-moi,ilsnes'attaquèrentplusjamaisàlapauvreveuve.

—Oh!ditChristopher,quiavaitprissesgenouxdanssesbras.Oh!

Ilécarquillaitlesyeux,lesjouesrosies.Isabelespéranepasl'avoirtropexcité.

—C'estlameilleurehistoirequej'aiejamaisentendue,dit-il.

Isabelluisourit,unpeuconfuse,carelles'étaitelle-mêmelaisséemporterparl'histoire.Ellen'enrevenaittoujourspasd'avoirrencontréenvrailemythiqueFantômedeSaint-Giles.Dureste,ellecommençaitànourrirdessoupçonssursavéritableidentité.

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Ellereportasonattentionsurl'enfant.

—Cen'estpastout.Veux-tuconnaîtrelafin?Christopherhochalatête.

L'épiloguemanquaitd'action,cependantc'étaitlapartiequepréféraitIsabel.

—Lelendemainmatin,quandlaveuveselevapourpréparersespetitspainsauxraisins,devinecequ'elletrouvaàcôtédesonfour?Uneboursepleinedepiècesquicontenaitplusd'argentquecequelesvoleursluiavaientdérobé.Etunepairedechaussuresneuves.

—CommentleFantômeapurentrerchezelle?Saporten'étaitpasverrouillée?

—Si,biensûr.Personnen'ajamaissucommentleFantômes'yétaitpris.

Christopherécarquilladenouveau lesyeux,commesicetultimedétail luiouvraitdesabîmesderéflexion.

—Maintenant,ditIsabel,jedoispartiràl'opéra.Ettoi,tudoisprendretonbain.Tun'aspasoublié,n'est-cepas?

Christophergrimaça,mais il sortitdesacachetteet sedirigeavers laporte. Il s'arrêtasurleseuil.

—Vousviendrezmesouhaiterbonnenuit?Isabeldéglutitpéniblement.

—Tusaisbienquejenelepourraipas.

Ilhochalatêteets'enallasansseretourner.

Isabel restaun instant à contempler laporte,désarçonnée.Qu'attendait-il exactementd'elle?Etserait-ellecapabledeleluidonner?Quoiqu'ilensoit,pourcesoirelleseraitdansl'impossibilitédesatisfaireàsondésir.Elledevaitserendreàl'opéra.

Lajeunefemmequittasachambreetdévalal'escalierpresqueencourant.Onauraitpucroire qu'elle fuyait le diable, alors qu'il ne s'agissait que d'un petit garçon, songea-t-elleamèrement.

Buttermanl'attendaitdevantlaported'entrée.

—M.Makepeaceafaitprévenirqu'ilseraitenretard.Ilvousretrouveradirectementàl'opéra.

— Bon, très bien,marmonna Isabel, irritée. A quoi jouaitWinter ? Voulait-il déjà sedérober au défi lancé par lord d'Arqué, avantmême que les hostilités n'aient commencé ?Danscecas,jeparstoutdesuite,ajouta-t-elle.Lemajordomeouvritlaporte.

—Ah,Butterman...

—Milady?

Isabelinspiraungrandcoup.

—DitesàCarruthersqueChristopherétaitencoredansmachambre.

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—Bien,milady.

Isabeldescenditleperronl'espritpréoccupé.Peut-êtreserait-iltempsqu'elledemandeàLouise, la mère de Christopher, de prendre certaines dispositions concernant son fils. Leproblème,c'estqueLouisen'avaitpaslesmoyensdeprendreChristopheravecelle.Etqu'elleétaitincapabledegérercorrectementunemaisonnée.Sanscompterqu'ellefréquentait...

—Bonsoir,milady,saluaHaroldalorsqu'iltendaitlebraspouraiderIsabelàmonterenvoiture.

—Bonsoir,Harold.Merci.

Lajeunefemmes'installaconfortablementsurlescoussinsetl'attelagedémarra.

Une longue file de voitures s'étirait déjà devant l'opéra de Covent Garden et celled'Isabeldutattendresontour.Isabelenprofitapoursortirlatêteparlafenêtredelaportière,dans l'espoir d'apercevoir Winter. Elle vit la voiture de d'Arqué, si reconnaissable à sesarmoiries,etlaminuted'aprèslevicomteenpersonne,quipénétraitdansl'opéraaccompagnédedeuxfemmes.Isabeleutunhaut-le-cœurenréalisantqu'ils'agissaitdeladyPénélopeetdesadamede compagnie,MlleGreaves.Cela commençaitbien.D'Arquéavait choisi lespiresennemiesdesonadversairepourservirdejugesàleurdéfidebonnesmanières.

QuantàWinterMakepeace,iln'étaitvisiblenullepart.

Wintersedéshabillaitdanslescoulissesdel'opéraavecdesgestesrapidesetefficaces.

Il avait été retenu à l'orphelinat par une urgence de dernièreminute : l'une des plusjeunes pensionnaires avait soudain disparu. Mary Morning n'avait que deux ans.Heureusement, tout s'était bien terminé.Mary avait été retrouvée, saine et sauve, dansunplacarddelacuisine.WinteravaitconfiélafilletteàNell,maislesrecherchesavaientprisdutempsetilétaitfinalementarrivéàl'opérabeaucoupplustardqueprévu.

Winter enfila sa tunique d'Arlequin et calcula qu'il n'avait pas plus de vingtminutespour finir de se changer enFantôme, ressortir par l'arrière de l'opéra, trouver le cocher ded'Arquéet l'interrogersursesactivitésnocturnesàSaint-Giles.CarWinteravaitfinalementcomprispourquoilecocherded'Arqué,aperçul'autresoiraubaldeladuchessed'Arlington,lui avait paru familier. Il était à peu près certain qu'il s'agissait du plus âgé des deuxravisseursdeJosephChance.

Il tirasonmasquedusacqu'ilavaitapportéavec lui.Pourplusdediscrétion, il s'étaitrendu à l'opéra à pied, son costumedeFantôme, son épée et sa dague cachés dans ce sac.Toutàl'heure,quandlasoiréeseterminerait,ilrentreraitégalementàpiedjusqu'àl'hospice.

Winterajustalemasquesursonnez,éprouvantimmédiatementlesentimentdelibertéqu'il ressentait chaque fois qu'il se déguisait ainsi. Comme un fauve prenant une dernièreinspirationavantdebondirsursaproie.

Contienstespulsions,luiintimaunevoixintérieure.Unevéritablecomposition:leFantômedevaitlibérersesinstinctss'ilvoulaitréussirses

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missions,maisilluifallaitaussilescontrôlerpournepasrisquerd'allertroploin.Commentréagirait-il,parexemple,s'ilcroisaitladyBeckinhallainsidéguisé?S'emparerait-ildecequ'iln'osaitmêmepastoucherquandiln'étaitqueWinterMakepeace?

Winter préféra chasser cette obsession de son esprit. Il cacha le sac et ses vêtementsdans un coin, puis il ouvrit prudemment la porte pour jeter unœil dans le couloir. Vingtminutes.Letempsdefaireparlerlecocherded'Arqué,puisdereveniricietdesechangerànouveau pour remettre son costume. Le Fantôme redeviendrait le très sage et très rigideWinterMakepeace,maîtred'écoleetdirecteurd'unorphelinat.

Un homme qui n'osait embrasser lady Isabel Beckinhall que dans ses rêves les plusintimes.

La voiture d'Isabel s'immobilisa enfin devant le perron de l'opéra. Harold ouvrit laportièreetaidalajeunefemmeàdescendre.

—Merci,luidit-elle.

L'attelage redémarra, pour laisser place aux autres, et Isabel se retrouva seule pourgravirleperron.Ellen'auraitpasd'autrechoixquedeseprésenteràlalogeded'Arquésansson«élève».LadyPénélopenemanqueraitévidemmentpasdereleverleretarddeWinter.

Lafouleétaitdéjàdensedanslefoyerdel'opéra.Isabelsefitbousculerparunevieilledame,quimarchasursarobe.

—Zut!marmonnaIsabel,constatantqu'unmorceaudedentelles'étaitdécousu.

Elle se souvint qu'un petit salon de repos se trouvait à l'arrière du bâtiment. Elleemprunta donc le couloir pour le rejoindre. Si elle se pressait, elle aurait le temps deraccommoderlebasdesarobeavecquelquesépinglesetderejoindrelalogeded'Arquéavantleleverderideau.

Lecouloirétaitmaléclairé,maislesalonétaitlapremièrepiècesurladroite.Isabelenpoussaitdéjàlaportequandsonœilfutattiréparuneétrangesilhouetteàl'autreextrémitéducouloir.

Unesilhouetteentenued'Arlequin.

Non, c'était impossible ! Isabel voulut se persuader qu'elle avaitmal vu. Le Fantômen'avait jamais été aperçu en dehors de Saint-Giles. Sauf, bien sûr, le jour où Isabel l'avaittrouvé inconscientsur lepavé.Ce jour-là, il s'étaitaventuré jusqu'augibetdeTyburn,pour

sauver unpirate de la pendaison.EtWinterMakepeace était supposé assister à l'opéraentantquespectateur.

Asupposerqu'ilfûtbienleFantôme...

Lecœurbattant lachamade,Isabelpressalepasjusqu'auboutducouloir,quidonnait

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surunpetitescalierdeservicemontantàl'étage.

Personne.

Isabelenfutpresquedéçue.

—Vouscherchezquelquechose,ladyBeckinhall?Murmurasoudainunevoixfamilièredanssondos.

Isabelseretourna.

Ils'étaittapidansunrecoindumur,aveclagrâceindolented'unfélin.Ladernièrefois,Isabeln'avaitpaspu levoirdebout ilétaitblessé,alors.Aprésent,ellepouvaitconstateràquelpointilétaitimpressionnantdevirilité.Satenuemoulanted'Arlequinmettaitenvaleursamusculature,tandisquesonnezgrotesqueluidonnaitl'aspectd'unsatyre.

Unsouriresardoniqueétiraseslèvres.

—Amoinsquevousnecherchiezquelqu'un,milady?

—Peut-être,réponditIsabel.

Etbienqu'ellesesentîtrougir,elleredressafièrementlementon:

—Quefaites-vousici?Ilhaussalesépaules.

—Quelleimportance?

Elle s'approcha d'un pas. La voix était bien lamême. Et la carrure identique.Mais leFantôme témoignait d'une audace, dans le ton et les manières, dont Winter Makepeacen'avait jamais fait preuve avec elle. Cependant.WinterMakepeacene s'était pas davantagemontréviolent.Or,sileshistoirescirculantsurleFantômeétaientfondées,l'hommequisetrouvaitprésentementdevantellesemontreraitpeut-êtrebrutal.Isabelétaitfascinée.

— Je ne comprends pas que vous ne vous inquiétez pas pour votre vie, dit-elle.Beaucoupdegenssouhaitentvotrearrestation,etmêmevotreexécution.

—Etalors,siceladevaitseproduire?Laquestionna-t-il.

Isabels'avançad'unautrepas.

—Je...jeseraistrèstristequ'ilvousarrivequelquechose.

—Vraiment?

Elletenditlamain,pourcaresserduboutdudoigtlenezdesonmasque.

—Quiêtes-vous?

—Jesuisceluiquevoussouhaitez.Isabels'esclaffa.

—Nefaitespasdepromessesquevousnepourriezpastenir.

—Cen'estpasmongenre,murmura-t-il,d'unevoixquipénétralajeunefemmejusqu'àlamoelle.

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Elle accrocha son regard, qui brillait derrière sonmasque. Puis elle aventura samainplusloin,pouratteindrelalanièredecuirquiattachaitsonmasquesursanuque.

Illevaunemain,etIsabelcrut,avecdéception,qu'ilallaitl'empêcherdecontinuer.

Ellesetrompait.Ildéfitlui-mêmelalanièredecuirquiretenaitsonmasque.

—C'estcequevousvouliez?

—Non,répliquaIsabel,dansunsouffleetsehaussantsurlapointedespieds.C'estcela,quejevoulais.

Sansmême luidonner le tempsde répondre, elleplaqua ses lèvres sur les siennes. Ils'en empara comme un guerrier barbare. Son baiser était rude, sans finesse, en un motinexpérimenté.MaisIsabelfutparcourued'unlongfrisson.Elleétaithabituéeauxétreintespolicées«civilisées».LeFantômedeSaint-Gilesignoraittoutcela.

Ilsecomportaitenhommeprimitif.

Ellesentitqu'il l'enlaçaitpour laserrerplus fortcontre lui.Lecœurd'Isabels'emballadanssapoitrine.Ellecompritavecunecertitudeabsoluequ'ellen'embrassaitpasseulementleFantômedeSaint-Giles,maiségalementWinterMakepeace.

Soudain, une main s'abattit sur son épaule, et elle se trouva arrachée des bras duFantôme.

— Comment osez-vous ! Jeta d'Arqué au Fantôme, tandis qu'il poussait sansménagementIsabeldecôté.

Lajeunefemme,choquée,pantelante,vitleFantômeremettresonmasquesurlecarrédesoie.

—Répondez-moi,lâche!Insistad'Arqué.Etildégainasonépée.

—N'on!SerécriaIsabel.Maisilétaitdéjàtroptard.D'Arqués'étaitjetésurleFantôme.

Wintertirasonépée justeà tempspourcontrer l'offensiveduvicomte.Ilétait furieuxdelamanièrecavalièredontd'ArquéavaitrepousséIsabeldecôté.

Winter recula en direction de l'escalier. Non pas qu'il eût peur de se battre contre levicomte.MaisIsabelsetrouvait justederrièred'Arquéet ilnevoulaitpasprendre lerisquequelajeunefemmereçoiveuncoupd'épée.

Cependant,levicomten'étaitpasdécidéàlâchersaproie.Detouteévidence,ilétaittropcontentdetenirleFantômedeSaint-Gilesàportéedesalame.

Winteragitafurieusementsonépée,dansl'espoird'impressionnerd'Arqué.Sanssuccès.Levicomteétaitsansdouteexcellentbretteur.

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A court d'inspiration, Winter tourna brusquement les talons, pour gravir l'escalier,quatreàquatre.

D'Arquélesuivit cegredin! obligeantWinteràseretournerenarrivantsurlepalier,pouréviteruncoupd'épéedansledos.

— Alors, Fantôme, on cherche à fuir ? Ironisa d'Arqué, qui ne semblait même pasessoufflé d'avoirmonté l'escalier en courant. On nem'avait pas dit que vous étiez couard.C'est vrai qu'il est plus facile de se battre dans le noir, contre des gens qui ne savent pasmanierl'épée.

Winter renonçaauplaisirde lui répondre. Il avaitdéjàpris tropde risquesenparlantavecIsabel.Ilsecontentadoncdebondirsurlui.

D'Arqué,quines'attendaitpasàcetteriposte,reculatoutauborddesmarches,dansunéquilibreprécaire.

Il suffirait d'un coup, songea Winter, pour envoyer son adversaire au bas desmarchesets'endébarrasser.

Maisiln'étaitpasunanimal.Ilreculajusqu'àuneporteetl'ouvrit.

D'Arqué,revenudesasurprise,repartaitdéjààl'assaut.

Winterlevasonépée.Lesdeuxlamess'entrechoquèrentavecunbruiteffroyable,tandisqueWinterreculaitparlaporteouverte,entraînantlevicomteaveclui.

Unefemmepoussauncri.

Ils venaient de déboucher dans un couloir desservant les loges et encombré despectateursarrivantpourlareprésentation.

—Rendez-vous,gredin!Criad'Arqué,quicommençaitàtranspirerabondamment.

Wintersecoualatête.

Puis,sansprévenir,ils'engouffradansunedesloges.

Elleétaitoccupée,biensûr.Deuxgentlemens'empressèrentdelaquitter,abandonnantderrièreeuxunejeuneladyquiseretrouvaseulefaceàWinter.

—Excusez-moi,luimurmura-t-ilaupassage.

Il s'arrêta devant la balustrade de la loge. Cette dernière surplombait la salle de lahauteurd'unétageetcouraittoutlelongdeslogesjusqu'àlascène.S'ilparvenaità...

Lajeunefemme,danssondos,poussauncri.

Winterseretourna.D'Arquéarrivaitdéjàsur lui, sonépéeà lamain.Winter lecontraavecsalame,maisilétaitenpositiondélicate,acculécontrelabalustrade.Etd'Arquéexerçaitunefortepressionavecsonépée.Wintersevitbasculerenarrière.

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—Rendez-vous,luiintimalevicomte.Vousêtesfait.

— Non ! Hurla une voix féminine depuis la salle une voix familière aux oreilles deWinter.Non,Adam!Laissez-lepartir.

Le vicomte ne sembla pas apprécier l'intervention d'Isabel. Winter devina, à sonexpression,quelajeunefemmeavaitperdulàunexcellentparti.

Heureusement,Winteravaitdesressources.Ilprofitadeladistractionmomentanéeduvicomtepourrepousserdetoutessesforcessonassaillant.

D'Arquérecula.Winterputsautersurlabalustrade.

Ilentenditcriersouslui,maisilpréféranepasregarder.D'Arquéavaitbondi,luiaussi,surlabalustrade.IlvoulutviserWinteràlatête,maiscelui-cisepenchaetdirigeasonépéeverssonentrejambe.

Aucunhommen'aimerecevoiruncoupdelameàcetendroit.Commec'étaitprévisible,d'Arqué réagit par un bond en arrière, qui menaça de le déséquilibrer. Pendant quelquessecondes,iltentadeserétablirenfaisantdesmoulinetsavecsonbraslibre.

Enbas,danslasalle,lepublicretenaitsonsouffle.

Winter n'aimait pas d'Arqué, mais il n'avait pas pour autant envie de le tuer. Pourl'instant, il ne disposait d'aucune preuve contre lui. Il n'était donc pas impossible que levicomte fût innocent des crimes dont il le soupçonnait. Aussi, profitant de ce que d'Arquéétaitoccupéàretrouverl'équilibre,Wintercourutsurlabalustrade,endirectiondelascène.

Ilcouraitenriant.

Iln'yaquelesidiotspours'imaginerlavictoireacquise,luiavaitsouventrépétésirStanley.

De fait, d'Arqué était déjà reparti à sa poursuite. Les deux hommes ferraillèrent sansrelâche sur la balustrade, obligeant les occupants des diverses loges qu'ils traversaient às'enfuir.

Finalement,lapointedelalamedeWinterdéchiraendiagonalelamancheduvestondesoiebleupâleduvicomte.

Unetacherougeapparutsurl'étoffe.

D'Arqué,aveugléparlarage,voulutriposter,maisWinterévitafacilementl'attaque.Etlevicomteavaitmistantd'énergiedanssonoffensivequ'ilperditànouveaul'équilibre.

Plusieurscrismontèrentdelasalle.

Winter ne réfléchitmême pas. Il attrapa le bras libre du vicomte pour l'empêcher des'écrasertroismètresplusbas.

L'épéeded'Arqué tombadans la salle, se fichant toutdroit dans l'assised'un fauteuilvide,heureusement.

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Wintercroisaleregardduvicomte.

—Merci,luiditsonadversaire.

Winterhochalatêteetlâchalebrasduvicomte.Puisiltournalestalonsets'enfuitendirectiondelascène.Là,ils'accrochaaurideauetselaissaglisserjusqu'ausol.

Ilatterritsurlascène,sonépéeàlamain.Lesouvrierschargésdemanœuvrerlesdécorss'empressèrentdedéguerpir.Winter, tournant ledosauchaosquirégnaitàprésentdans lasalle, s'enfuitpar les coulisses,gagnauncouloirquipassaitderrière la scèneet repérauneportequidevaitdonnersuruneruelle.

De la pure folie ! Il n'aurait jamais dû alerter Isabel de sa présence.C'était beaucouptroprisqué.Maisquandilavaitvulajeunefemmeetqu'ils'étaitrenducomptequ'ellel'avaitégalement repéré, et qu'elle cherchait à le retrouver, il n'avait pas pu résister à l'envie del'embrassersauvagement.

La nuit, le Fantôme de Saint-Giles était capable de faire ce que Winter Makepeacen'oseraitjamaisentreprendreàlalumièredujour.

Winterouvritprudemmentlaporte.Enfaitderuelle, laportedonnaitsurunevoiededégagement pour les véhicules ayant convoyé les aristocrates à l'opéra. Si bien qu'une filed'attelagesattendaitderrièrelebattant.

Acausedeceduel,Wintern'avaitmaintenantplusquequelquesminutespourobtenirl'informationqu'ilétaitvenuchercher.

Winterrengainasonépéeettiraladaguedesaceinture.Puisilsefaufilaàl'extérieuretremonta la file d'attelages enprenant soindemarcher le longdumurpournepas risquerd'êtrerepéré.Ungroupedecochersetdevaletss'étaitassembléunpeuplusloin,discutantetfumantlapipe.Lecocherded'Arquénesetrouvaitpasparmieux.

Poursuivant sonchemin, ilaperçut lavoitureducomteet reconnu lachouette sur lesarmoiries.Lecocherétaitàl'intérieur,assoupisursonsiège.

Wintergrimpaàcôtédeluietagrippalecocherparlecolavantmêmequecelui-ciaitletempsdeseréveiller.

— Que... qu'y a-t-il ? bredouilla le cocher. Mais, voyant la dague de Winter ils'interrompitbrusquement.Puis,ilécarquilladesyeuxhorrifiésendécouvrantlemasqueduFantôme.

Malgrélapénombre,Winterlereconnutsanshésitation.C'étaitbienluiquiavaitvoulukidnapperJosephChance.

Illesecouasansménagement.

—Pourquitravaillez-vous?

—Mi...milordd'Arqué.

—Pourquoivousordonne-t-ild'enleverdespetitesfillesdansSaint-Giles?

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Lecocherdétournaleregard.

—Jenecomprendspascequevousvoulezdire.Winterpointalalamedesadaguesurlecouducocher.

—Réfléchis.

—Ce...cen'estpaspourd'Arqué,lâchalecocher.Winterplissalesyeux.

—Commentcela,paspourd'Arqué?Queveux-tudire?

Le cocher secoua la tête. Il semblait terrorisé à l'idée de révéler le nom de soncommanditaire.Winterenfonçalégèrementlalamedanssoncou.

—Parle!

—Aïe!

Ils risquaient d'attirer l'attention du groupe de fumeurs de pipe. Winter hésita unefractiondesecondeetlecocherenprofitapourluiéchapper.Ilsautaàterreets'enfuitdanslanuit.

Winterdescenditàsontouretrebroussachemin,endirectiondelaporteparlaquelleilétaitsorti.

Iln'avaitrienpuapprendreducocher.

Etlareprésentationl'attendait.

9

Labelledameéprisedel'Arlequinappritbientôtcequiluiétaitarrivé.Comment il avait été agressé et laissé pour mort. Comment il avaitfinalementsurvécu,pourhanterdésormaislesruesdeSaint-Gileslanuit

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et tuer lesmécréants. Elle savait que l'homme qu'elle aimait ne pouvaitêtre capable d'autant de violence. Aussi décida-t-elle de partir à sarecherche,pourtenterdeluifaireentendreraison.

Dixminutesplustard,ladyPénélopes'exclama:

—Ah,voilàM.Makepeace.Larespirationd'Isabels'apaisa.

Elle s'obligea à continuer de regarder droit devant elle, pendant que M. Makepeacesaluaitlesoccupantsdelaluxueuselogedelordd'Arqué.Cedernieravaitinvitébeaucoupdemonde pour arbitrer son duel mondain avecWinter : outre Isabel, lady Pénélope et MlleGreaves,ilyavaitlàlecomtedeKershaw,unamidelonguedatedelordd'Arqué,ainsiqueM.CharlesSeymouretsonépouse,unefemmeauphysiquetrèsordinaireetbeaucoupplusâgéequesonmari.

—IlmesembleévidentqueM.Makepeaceadéjàperdu,commentaladyPénélope.Nousgagnerionsdutempsendéclarantlordd'Arquévainqueur.

—Vousmeflattez,milady,réponditd'Arqué.MaisjepensequelasurvenueinattendueduFantômenousobligeàannuler l'épreuveetà lareporter.Lebalquedonneramagrand-mère,demainsoir,pourraittrèsbienconvenir.

—Mais...voulutprotesterladyPénélope.

EllefutinterrompueparladoucevoixdeMlleGreaves.

— Bien joué, lord d'Arqué. L'équité vis-à-vis de son adversaire est la marque desgentlemen.N'est-cepasvotreavis,monsieurMakepeace?

Isabel se retint de s'esclaffer. Mlle Greaves n'était pas allée dans le sens de ladyPénélope.Pourvuqu'ellenepaiepassonaudaceàleurretouràlamaison1

—C'estaussimonavis,mademoiselleGreaves,réponditM.Makepeace,clôturantainsiledébat.

Isabel fixait la scène, où le rideau ne tarderait plus à se lever. Lesmachinistes et lesspectateurss'étaientremisde leurémoicausépar leduelentred'Arquéet leFantômeet lasoirée avait repris son cours normal. Isabel ne voulait pasmontrer àWinter combien elles'étaitinquiétéepourluietaussicombienelleétaitfurieuse.Aprèstout,s'ilvoulaitparaderpartoutentenued'Arlequinetsecroireinvincible,qu'ilsedébrouille!

Ilfinitpars'asseoiràcôtéd'elle.

—Bonsoir,milady.

Lajeunefemmeinclinalatête,sansmêmelatournerdanssadirection.

Après leduel, lordd'Arqué,quin'étaitque très superficiellementblesséaubras, avait

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réunisesinvitésdanssaloge,situéefaceàlascène.Levicomteavaitmêmecommandédesrafraîchissementspour tout lemonde. Isabelse fit laréflexion,unpeucynique,que levraiduel celui contre le Fantôme avait déjà fait de lord d'Arqué le héros de la soirée. M.Makepeacesoupira.

—Ilsembleraitquevousmeboudiez,milady.Jem'excused'êtrearrivéenretard.J'aiétéretenuàL'orphelinat.L'undenospetitspensionnaires...

Isabelplissaleslèvres.Ellecommençaitàenavoirassezdesesmensonges.

— Je suppose que vous êtes déjà au courant que vous avez manqué une apparitionmouvementéeduFantômedeSaint-Giles?

Sur ces mots, elle se tourna vers lui. Il serrait simplement les lèvres un signed'impatience,chezlui.LadyPénélopes'éventavigoureusement.

—J'aibienfaillim'évanouir,quandj'aivulordd'Arquérisquersaviecontrecegredin!Oh,milord,sivousétieztombédelabalustrade...dit-elleenfrissonnantavecemphase.Votrebravourenousatoussauvés.

Levicomted'Arquéavaitdepuis longtempsrecouvré sonaplombhabituel.Sablessureaubrasétaitbandéeparunmouchoirécarlateduplusbeleffet.Plusieursdamesavaientfaillien venir aux mains pour avoir le privilège de lui offrir mouchoir ou fichu en guise debandage.

Lordd'Arqués'inclinaendirectiondeladyPénélope.

—Sij'avaisperdumaviepoursauverlavôtre,lesacrificen'auraitpasétévain.

—Ilesttrèsdommagequ'aucunautregentlemann'aiteuassezdecouragepourdéfierleFantôme,réponditladyPénélope,avecunregardéloquentpourWinter.

—Quelques-unsd'entrenoussonttropâgéspoursebattreàl’épéesurunebalustrade,fit valoir lordKershawavecunepointed'ironie lui quin'avait pasdépassé laquarantaine.Cela dit, je pense que Seymour aurait pu donner du fil à retordre au Fantôme. Il a bonneréputationàsonclubd'escrime.Ladernièrefois,ilamêmebattuRushmoreetGibbons.Pasvrai,Seymour?

M.Seymourpritunairmodeste.

MaisladyPénélopelesignoratouslesdeux.

—Jevoulaisdireunjeunegentleman.CommeM.Makepeace,parexemple.

—M.Makepeacen'étaitpasarrivé,protestaMlleGreaves.Etilneportepasd’épée.Vousn'auriezquandmêmepasvouluqu'ilaffronteleFantômeàmainsnues?

— Non, en effet, acquiesça malicieusement lady Pénélope. Et j'oubliais que M.Makepeacen'apasledroitdeporterl'épée.Ceprivilègeestréservéauxaristocrates.

—C'estexact,acquiesçaWinter,quineparaissaitnullementoffensé.

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—Porteriez-vousl'épée,sivousenaviezledroit?VoulutsavoirMlleGreaves.

—J'estimequeleshommescivilisésdevraientêtrecapablesderésoudreleursquerellessans recourir à la violence. Alors, pour répondre à votre question, mademoiselle Greaves,non,jen'enporteraispas.

MlleGreavessouritd'unairsatisfait. Isabelreniflabruyamment,etWinter lui jetaunregardcirconspect.

—Quevoilàunnoblesentiment,Makepeace, ironisad'Arqué.Pourmapart,quandj'aivuqueleFantômeaccostaitladyBeckinhall,j'aipréférédégainermonépéeplutôtquedemelancerdansuneconversationphilosophique.

LordKershawhaussalessourcils.

—J'ignoraisqueleFantômevousavaitabordée,milady.

Isabelcroisasonregard.

—Pardonnez-moidenepasvousenavoirinformé,milord.

—Vousavezeuparfaitementraisond'agirainsi,lordd'Arqué,poursuivitladyPénélope.J'imaginequeladyBeckinhallétaitterrorisée.

Maisfronçantlessourcils,elledemanda:

—Commentsefait-ilquevousvoussoyezretrouvéeseuleavecleFantôme,milady?

IlfallaitfaireconfianceàladyPénélopepourleverlelièvre.

LecomtedeKershawsetournaversIsabel:

— Vous nous avez expliqué, l'autre jour, avoir sauvé la vie de ce Fantôme. Leconnaîtriez-vousmieuxquenousnelepensions?

Isabels'éclaircitlavoix.

—J'aivuleFantômesefaufilerdansuncouloirdeserviceetjel'aisuivi.

—Comme cela ? S’étonna ladyPénélope.C'était très courageuxde votrepart,milady.Comptiez-vous l'arrêter toute seule ou aviez-vous une autre raison de le suivre dans uncouloirdeservice?

Isabels'obligeaàsourireàladyPénélope,lesdentsserrées.

—J'aipeurquelacuriositén'aitaltérémonjugement,milady,répondit-elle.

—Hélas,lacuriositéatuébiendespetitschats,murmuraWinter.

Lordd'ArquéplissalesyeuxetregardatouràtourIsabeletWinter.

— La curiosité ne valait certainement pas que vousmettiez votre vie en danger, ladyBeckinhall.J'espèrequevoussaurezvousmontrerplusréfléchieàl'avenir,luiintima-t-il.

—Vousferiez-vousl'avocatdelaprudence,milord?luirépliquaIsabel,surprise.

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—Quand il s'agit de fous dangereux, oui. Je ne voudrais pasme disputer avec vous,milady,maisquandjevousaivueavecleFantôme,jevousaicrue...enpéril.

Isabelretintsonsouffle.Jusqu'ici, lordd'Arqués'étaitconduitenparfaitgentleman.Iln'avaitpassoufflémotqu'il l'avaitdécouvertedanslesbrasduFantôme.Isabelluiavaitétéreconnaissantedesadiscrétion.Silanouvelleserépandaitqu'elleavaitembrasséleFantômedeSaint-Giles,saréputationseraitdétruite.

Mais,àprésent,lordd'Arquésemblaitlamenacerdetoutrévéler.Cependant,IsabelnepouvaitserésoudreàleslaisserattaquerleFantôme.

—Jenepensaispascourirderéeldanger.

—Non?Insistalordd'Arqué.

—Non,répliqua-t-ellesèchement.

— Comment pouvez-vous dire cela, alors que le Fantôme est un assassin assoiffé desang?SerécrialadyPénélope.

—Jepenseque les histoires le concernantne sont quedes rumeurs, rétorqua Isabel.Quoiqu'ilensoit,leFantômenem'anullementmenacée.

—Combiendefoisl'avez-vousrencontré?demandaM.Seymour.

Isabelsentitlefeuluimonterauxjoues.

—Deuxfois,encomptantcesoir.

—Beaucoupdegens, àSaint-Giles, ont eu l'occasionde croiser leFantômeàdiversesreprises, intervintWinter.D'aprèscequej'aipuvoirdelui, ilm'adonnélesentimentdeseconduiretrèscivilement.

Isabelluidécochaunregardsceptique.

— Ames yeux non plus, poursuivitWinter, le Fantôme ne semble pas constituer undanger.Aucontraire.L'andernier,ilaaidéàcapturerundangereuxmeurtrier.

— Lord d'Arqué a peut-être eu tort de se battre contre lui, suggéra Mlle Greaves.SupposonsqueleFantômesoitinnocentdetouslescrimesdontonl'accuse?

—C'est ridicule ! Riposta lady Pénélope. Vous avez le cœur trop sensible,ma pauvreArtémise. De tels criminels ne méritent pas notre sympathie. Leur place est derrière lesbarreaux.Ouauboutd'unecorde.MlleGreavesétaitdevenueblême.

—Pourmapart,jesuisconvaincuequelordd'Arquénousaévitéunetragédie,conclutladyPénélope.

Levicomteinclinalatêtedanssadirection.

—Merci,milady.

—Ilyaunechosequejenecomprendspas,intervintlordKershaw.

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Isabelhaussalessourcils.

—Laquelle,milord?

—Que faisait leFantôme ici ce soir ? Je croyaisqu'il ne sortait jamaisdeSaint-Gilesd'oùsonnom,d'ailleurs.

—Ilyaquinzejours,ils'estaventuréjusqu'àTyburn,rappelaIsabel.

— C'est un criminel. Il voulait nous voler nos bourses et nos bijoux, assura ladyPénélope.

—Amoinsqu'ilnesoitvenusauverquelqu'un,risquaMlleGreaves.

LadyPénélopelevalesyeuxauplafond.

—Peut-êtreétait-ilenchasse,suggéraWinter.

—M.Makepeaceestdemonavis,triomphaladyPénélope.

—Jevousdemandepardon,milady,précisaWinter,maisjevoulaisdirequeleFantômecherchaitpeut-êtrequelqu'unquiauraitfaitquelquechosedemaldansSaint-Giles.

—Quelleétrangeidée,commentalordd'Arqué.Winterledéfiaduregard.

—Jecroisquel'opéravacommencer,remarquaIsabel.

Lesmusiciensavaientfinid'accorderleursinstruments.L'orchestreattaqualadernièrecompositiondeM.Haendel.

—Oui!S’enthousiasmaMlleGreaves.VoilàLaVeneziana.C'estlaplusgrandesopranodenotretemps.

— Elle ? fit lady Pénélope, ajustant ses jumelles.Mais elle est minuscule. Et laide àpleurer.

Isabelfixasonattentionsurlacantatrice.Elleportaituneroberayée,rougeetblanche.Malgrésapetitetaille,elleirradiait.

Etencore,c'étaitavantqu'ellen'ouvrelabouche.

—Savoixestmagnifique,murmuraWinteràl'oreilled'Isabel,quandlasopranochanta.Elleendevientbelle.

Isabel tourna la têtevers luietaccrochasonregard.Moinsd'unedemi-heureplus tôt,elleavaitvubrillerdanssesyeuxunepassiondévorante.Etcesouvenirlafaisaitfrissonner.

Dieutout-puissant!

Siellen'yprenaitpasgarde,cethommeseraitcapabledeladétruire.

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IlétaitplusdeminuitquandWinterrepritlechemindel'orphelinat.CoventGardensetrouvaitàmoinsd'unkilomètredeSaint-Gilesetilnevoulaitpasdépenserinutilementsonargentenprenantunfiacrepourparcouriruneaussicourtedistance.

Winter soupira. Cette soirée avait tourné au désastre. S'il n'avait pas perdu son duelmondain contre lord d'Arqué, c'était uniquement parce que le vicomte avait décidé dereporter l'épreuveau lendemain.Et ladyBeckinhall s'étaitmontréeglaciale avec lui tout lerestantde la soirée.Avait-elle comprisqu'il était leFantôme?Probablementdevait-elleaumoinsnourrir des soupçons après leur baiser. Pas si sûr... Si elle avait deviné qu'il était leFantôme, une femme aussi libre d'esprit que lady Beckinhall se serait empressée de le luifairecomprendre.Enrevanche,siellen'avaitriendevinédutout,ilétaitfortpossiblequ'ellene soit plus intéressée par Winter Makepeace. Probablement préférait-elle embrasser deshommesmasquésdansdescouloirsmaléclairés.C'étaitplusexcitant.

Winterdonnauncoupdepiedrageurdansuncaillou,quialla rebondircontre lemurd'unimmeublevoisin.

Ils'arrêtapoursecalmer.Iln'auraitjamaisdûl'embrasser.S'iln'avaitpasétéhabilléenFantôme, il auraitété capablede lui résister, enfin, il voulait le croire.Lavérité, c'estqu'àl'instantoùlajeunefemmeavaitplaquéseslèvressurlessiennes,ils'étaitsentiperdu.Isabelavaitéveilléchezluilestourmentsdelapassion.

La prudence exigeait désormais qu'il se tienne le plus possible à distance de ladyBeckinhall.Cequis'étaitpassécesoirdevraitluiservird'avertissementetneplusjamaissereproduire.Malheureusement,Winterréalisaitqu'il luiétait impossibledecouper lespontsavec Isabel.Elle était sa seule chancequ'ilpuisse conserver ladirectionde l'orphelinat.Enoutre,elleluipermettraitd'ensavoirplussurleséventuellesactivitésillicitesded'Arqué.CarsansIsabel,iln'auraitaucunechancedefréquenterlesmêmescerclesquelevicomte.

Winter s'esclaffa. Il sementait effrontément, s'il pensait vraimentque c'était l'uniqueraisonpourlaquelleilcontinueraitàvoirlajeunefemme.Wintersavait,aufonddesoncœur,qu'il ne pourrait pas se détourner d'Isabel. Elle l'attirait irrésistiblement. Il n'aurait pas sudiresic'étaituniquementcharnel, ses instinctsvirils, trop longtempsétouffés,avaient finiparserebeller ousicetteattiranceavaitunedimensionplusémotionnelle.Detoutefaçon,celan'avaitpasd'importance. Ilnepourraitpasdavantage tourner ledosà la jeune femmequ'ilnepouvaits'arrêterderespirer.

Winter s'adossa à un vieil immeuble en brique, pour réfléchir. Qu'avait voulu dire lecocher de d'Arqué en assurant que « ce n'était pas » le vicomte ? Un autre aristocrate secachait-ilderrièrelabandedesKidnappeurs?Sic'étaitlecas,pourquoiJosephChanceavait-ilserrédanssamainceboutdepapierportantlesceaudesd'Arquélesoirdesonenlèvement?

Winter s'écarta du mur et secoua la tête. Il cherchait sans doute dans la mauvaisedirection.Lecocheravaitdûsimplementmentirpourprotégersonmaître.Etseprotégerparlamêmeoccasion.D'Arquéétaitforcémentimpliqué,sinoncomment...

Unbruitdesabotssurlepavél'incitaàsetapircontrelemur.

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Le capitaine Trevillion apparut au coin de la rue, suivi par une demi-douzaine de sesdragons.

TrevillionavaitvuWinter,cariltiraaussitôtsurlesrênesdesajumentpourlaforceràs'arrêter.

—MonsieurMakepeace,Saint-Gilesn'estpasunendroitsûrpoursepromenerlanuit.Jepensaisquevousenaviezconscience?

—Oui,biensûr.

Puisque lecapitainedesdragons l'avaitdetoute façonrepéré,Winters'avançaauclairdelune.

—Alors,capitaine,vouspourchassezquelquesvieillesvendeusesambulantesdegin?

Trevillionpinça les lèvres.Winter sedemandacombiendeplaisanteriesdecegenre ilavait dû essuyer depuis qu'il s'était lancé dans sa campagne pour nettoyer Saint-Giles desdistillateursetvendeursdegin,pourl'instantsansgrandsuccès.

—Jepoursuisdesproiesplus intéressantes,cesoir,réponditsèchementTrevillion.LeFantômeaétéaperçuprèsdeSaint-Giles-in-the-Fields.

Winterhaussalessourcils.

— Ah bon ? Il semblerait qu'il soit très actif, ce soir. Je sors de l'opéra, où il s'estégalementmontré,avantleleverderideau.

—L'opéra?Vous fréquentezunmilieuprivilégiépourquelqu'unquivitàSaint-Giles,Makepeace.

—Oùestleproblème?rétorquaWinterd'unevoixglaciale.

—Jesupposequecelanemeregardepas,concédaTrevillion.

Et,avisantlesacqueWinterportaitentraversdesonépaule,ilajouta:

—Vousvousrendeztoujoursàl'opéraavecunbagage?

—Biensûrquenon,réponditWinter,d'unevoixradoucie.Jemesuisarrêtéchezunamisurlecheminduretour.Ilm'adonnéquelqueslivrespourl'orphelinat.

Winter s'obligeait à paraître détendu, le souffle court. Si le capitaine des dragonsdemandait à voir le contenu du sac, il ne saurait lui expliquer pourquoi il renfermait lecostumeduFantôme.

MaisTrevilliondétournaleregard.

— Soyez prudent en rentrant chez vous,Makepeace. J'ai déjà assez de travail commecela,pournepasavoirenviedemeretrouveravecvotremeurtresurlesbras.

—Votresollicitudemetouche,capitaine,ironisaWinter.

Trevillionlesaluad'unsignedelatêteetpartitaugalop.

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Winter attendit que la petite troupe de soldats se fonde dans la nuit avant d'expirerbruyamment.

Lerestedutrajetjusqu'àl'orphelinats'effectuasansincident.Vingtminutesaprèslafindu spectacle,Winter pénétrait dans la cuisinede l'établissement. Soot, le chat de gouttièrenoirquifaisaitpartiedelamaison,étaitcouchédevantlacheminée.Ilselevaets'étira,avantdevenirsefrottercontrelajambedeWinter.

Wintersebaissapourlecaresserentrelesoreilles.

—Çava,monvieuxSoot?

Enréponse,l'animalbâillaàs'endécrocherlamâchoire,avantderetournersecoucherdevantlefeu.Unelampeavaitétélaisséealluméeàl'attentiondeWinter.Ils'enemparapourmonterl'escalierdeservicequimenaitsouslescombles,làoùsetrouvaitsachambre.Maisaumomentd'attaquerlapremièremarche,lalumièredelalampeéclairauneforme.

JosephTinboxdormaitsurunechaise.

Wintersentitsoncœurseserreràcespectacle.Josephavait-ilattendusonretour?

Ilposaunemainaffectueusesurl'épauledugarçonnet.

—Joseph.

Josephclignadesyeux,unpeuperdu.Wintersesouvintalorsdupetitgarçondedeuxansqu'ilavaittrouvésurlesmarchesdel'orphelinat,prèsd'unedizained'annéesplustôt.Lemalheureuxpleuraitàchaudes larmeset serraitunepetiteboîteen fer-blancdanssamain[1].QuandWinterl'avaitsoulevédanssesbras,l'enfantavaitlovésatêtedanssoncou,avectoutelaconfiancedumonde.

JosephTinboxclignaencoredesyeux,avantdereprendresesesprits.

—Oh,monsieur!Jevousattendais.

—Jevoisça,ditWinter.Maistudevraisêtreaulitdepuislongtemps.

—Oui,monsieur,maisc'estimportant.

Winter était rompu à ce que les garçons considéraient comme « important ». Unechamaillerieparexemple.Ouladécouverted'uneportéedechatonsdansuneruelle.

—Jen'endoutepas,mais...

—Peachaparlé!l'interrompitJoseph.Ellem'aditd'oùellevenait.

Winter,quis'apprêtaitàréprimanderJosephpourluiavoircoupélaparole,seravisa.

—Quet'a-t-elledit?

[1].Boîteenfer-blancsedit«tinbox»,d'oùlenomdel'enfant.(N.d.T.)

—Jepensequ'ilseraitpréférablequ'ellevouslerépèteelle-même,réponditJosephaveclasolennitéd'unmembreduParlement.

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—Elledoitdormir.

—Non,monsieur.Elleapeur.Ellem'aditqu'elleattendraitvotreretour.

Winterhaussalessourcils,intrigué.

—Bon,trèsbien.

JosephTinbox ledevançadans l'escalier.Winter suivit, avec la lampeet son sac,qu'ilportaittoujoursentraversdesonépaule.

L'orphelinatétait calmeàcetteheurede lanuit.Wintersedemandaquel lourdsecretavaitempêchéunefillettedeparlerpendantunesemaineentière.Etilavait l'intuitionqu'ildevrait compter sur le pouvoir de persuasion de Joseph pour que Peach accepte de luiracontersonhistoire.

Josephs'arrêtaauniveaudesdortoirsetseretourna,pours'assurerqueWintersuivaittoujours.Puisilremontalecouloirjusqu'àl'infirmerie.

ApeineJosepheut-ilpoussélaportequeWintercompritqu'ilavaitditvrai:Peachnedormait pas. La fillette était couchée dans son lit, les couvertures remontées jusqu'aumenton,unbrasposésursachiennequisommeillaitàsescôtés.Peachavaitlesyeuxgrandsouverts.

Unechandellebrûlaitsurlatabledechevet.

Winterregardalachandelle,puisJoseph.

Legarçonnetpiquaunfard.

— Je sais que vous interdisez que les chandelles brûlent en pleine nuit, pour ne pasrisquerdedéclencherunincendie,mais...

—Jen'aimepaslenoir,ditPeach,d'unevoixclaire.Winterhochalatête.Puisildéposasonsacsurleplancher,avantdes'asseoirsurlachaiseauchevetdulit.

—Beaucoupdegensn'aimentpaslanuit.Tun'aspasàenavoirhonte,Pilar.

—J'aimebien«Peach»,siçanevousgênepas,monsieur.

Winterhochaencorelatête.JosephTinboxs'installadel'autrecôtédulitetpritlamaindelafillettedanslasienne.

—Trèsbien,Peach,repritWinter.Josephmeditquetuasquelquechoseàmeconfier.

Peachacquiesçaimmédiatement.

—J'aiétévictimedesKidnappeurs.

Wintersentitsonpoulss'accélérer.Maisilrestaimpassible,commesilafilletten'avaitrienditdespécialementimportant.

—Peux-tum'enapprendredavantage?

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LafilletteenfouitsamaindanslepelagedeDodo.

—Je...j'étaisdanslequartierdel'église.

—Saint-Giles-in-the-Fields?MurmuraWinter.

Lafillettesegrattalefront.

—Oui,jecrois.J'étaislàpourmendier.

Winterhochalatête.Ilnevoulaitpas interrompre la fillettedanssonhistoire,mais ilavaitbesoindesavoirquelquechoseavantqu'ellenecommence.

—Tesparentsétaient-ilsavectoi?

—Ilssontmorts.Mapetitesœuraussi.Lafièvrelesaemportés.

LecœurdeWinterseserra.Ilavaitentenducegenred'histoiredescentainesdefois.Lamaladie et lamisère ravageaient des familles entières, laissant derrière elles des orphelinsforcésdesedébrouillerpareux-mêmesdansunmondequineleurprêtaitaucuneattention.Maisc'étaittoujoursaussiinsupportableàentendre.

—Jesuisdésolé,dit-il.

Peachhaussalesépaules.

—Avantdemourir,papaavaitdemandéàMmeCalvodes'occuperdemoi.Jesuisrestéeunpeuchezelle.PuisMmeCalvom'aditqu'elleavaitdéjàassezdebouchesànourrircommeçaetquejedevaispartir.

—Encoreunegarcesanscœur,marmonnaJosephaveccolère.

Winterlefusilladuregard.Josephbaissalesyeux,maisilnesemblaitnullementcontritparsonéclat.

—Continue,Peach,s'ilteplaît,ditWinter.

—J'aiessayédetrouverdutravail,maisiln'yavaitrienpourmoi,expliqualafillette.Etmendiern'étaitpasmieux.Jedevaistoujoursêtresurmesgardes.

Winter comprenait ce qu'elle voulait dire. Il n'existait aucune solidarité entremendiants. Au contraire, les plus forts n'hésitaient pas à rançonner les plus faibles. UnefilletteisoléecommePeachauraitététotalementdésarméefaceàcesgangs.

—Raconte-luicequit'estarrivé,Peach,l'encourageaJosephTinbox.

PeachregardaJosephcommesiellevoulaitpuiserducouragedanssesyeux,puisellepritunegrandeinspirationetsetournaversWinter.

—C'est ledeuxièmesoirquej'étaisdevantl'églisequ'ilsm'ontprise.LesKidnappeurs.J'aicruqu'ilsvoulaientmetuer,maisnon.

—Qu'ont-ilsfait,Peach?demandaWinter.

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—Ilsm'ontconduitedansunecave.Elleétaitpleinedepetitesfilles,toutesoccupéesàcoudre.Audébut,j'aipenséquecen'étaitpassimal.Letravailnem'ajamaisfaitpeur,voussavez, monsieur. Maman disait toujours que je l'aidais beaucoup. Et Dodo était là. Ilsessayaientdelachasser,maisellerevenaittoujours.

La fillette enfouit quelques instants son visage dans le pelage de Dodo. La chiennes'étaitréveilléeetluiléchaitlevisage.

—Maisilsnenousnourrissaientpasànotrefaim,repritPeach,d'unevoixsibassequeWinter dut tendre l'oreille. Nous n'avions que du gruau et de l'eau. Et le gruau étaitimmangeable.

Peachsemitàsangloter.

Joseph Tinbox semordait la lèvre. Il semblait très soucieux. Après une hésitation, iltendit lamainpourcaresser l'épaulede la fillette,avantdes'interrompredanssongesteetd'interrogerWinterduregard.

Winterhochalatête.

Josephposasamainsurl'épauledePeach.Lafilletterelevalatête.

—Cen'était pas tout, reprit-elle. Ilsnousbattaient, aussi, quand ils trouvaientque letravailn'avançaitpasassezvite.Ilyavaitavecnousunefillequis'appelaitTilly.Unjour,ilsl'ontbattuesiméchammentqu'elleaperduconnaissance.Et le lendemain,nousne l'avonspasrevue.Nilesjourssuivants.

PeachregardaWinteravecdesyeuxdésespérés.Ellenel'avaitpasexpriméverbalement,maiselleavaitdûcomprendre,malgrésonjeuneâge,quesacamaradeétaitmorte.

—Commentas-tuput’enfuir?VoulutsavoirWinter.

—Unsoir,lesKidnappeursontamenéunenouvellefille.IlssesontdisputésavecMmeCook, c'était elle qui dirigeait l'atelier et ils sont ressortis sans verrouiller la porte.Alors,avecDodo,onestpartiesencourantaussivitequ'onapu.

— C'était très courageux de ta part, la félicita Winter, tandis que Joseph acquiesçaitfièrement.Sais-tuoùsetrouvaitcettecave,Peach?

Lafillettesecoualatête.

— Non, monsieur. Je sais seulement qu'elle se trouvait sous une boutique dechandelles.

—Ah, fitWinter, qui voulaitmasquer sa déception. Il existait des dizaines de petitesboutiquesdechandelles,dansSaint-Giles.Toutefois,c'étaittoujoursmieuxquerien.Bravo,ajouta-t-il.C'esttrèsintelligentdetapartd'avoirremarquécedétail.

Lafilletterougit.

—Maintenant, je croisqu'il est tempsquevousdormiez, tous lesdeux, repritWinter,s'adressantàlafilletteetàJosephTinbox.

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Ilseleva.Josephl'imitaetdonnaunedernièrepetitetapeaffectueuseàPeachavantdelesuivreverslaporte.

Winterouvritlebattant.Unequestionluitraversasoudainl'esprit.

—Peach?

—Oui,monsieur?

—Quecousiez-vous,danscettecave?

— Des bas, répondit Peach, d'une drôle de voix, comme si ce mot lui répugnait, àprésent.Desbasornésdedentelle.

Winter ne se gêna pas pour bâiller devant le majordome d'Isabel quand celui-ci luiouvritlaportedesamaîtresse,lelendemainaprès-midi.

Lemajordomearquaunefractiondesecondeunsourcildésapprobateur.

—LadyBeckinhallvousattenddanslepetitsalon,monsieur.

Winter acquiesçamachinalement et suivit lemajordome. Il s'était levé à l'aube pourrechercher, dans les rues de Saint-Giles, quelle boutique de chandelles était susceptibled'hébergerunatelierclandestindanssacave.Maispourl'instant,iln'avaitencorerientrouvé.Et personne n'avait entendu parler d'une Mme Cook. Peach avait pu se tromper sur laboutique en question lors de sa fuite après tout, elle était affolée. OuMme Cook, entre-temps,avaitdéménagésonatelier.

Il existaitune troisièmehypothèse,plus embarrassante.Laplupartde ceuxqu'il avaitinterrogés et qui servaient d'ordinaire d'informateurs àWinter s'étaient montrés nerveux.Peut-être lesKidnappeurs,oucette fameuseMmeCook,exerçaient-ilsunesortede terreursurlequartier.

LemajordomeouvritlaportedupetitsalonetWinterbombaletorseavantdepénétrerdanslapièce.Isabelsetenaitdeboutdevantl'unedesfenêtres.Lesoleiléclairaitsonprofiletdonnaitdesrefletscuivrésàsachevelure.

Winterseretrouva,unefoisdeplus,sous lechocdesabeauté.C'étaitextraordinaire :plusilvoyaitIsabeletplusilladésirait.

Lajeunefemmesetournaverslui.Sasilhouettesedétachaencontre-jouretsonvisagerestadansl'ombre.

—MonsieurMakepeace.Jecommençaisàmedemandersivousviendriez.

Ah.Elleneluiavaittoujourspaspardonnésonretardd'hiersoir.Et ils'aperçutquelethéétaitdéjàservi.

—Vraiment,milady?Jevousavaisditque j'arriveraisàquatreheures.Et si j'en juge

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parlapenduledevotrecheminée,ilestprécisémentquatreheures.

Elles'écartadelafenêtre.Winterputvoirsonexpression:detouteévidence,saréponseneluiconvenaitpas.

—Pourunefoisquevousêtesàl'heure,monsieurMakepeace.J'aibienpeurquecenesoitl'exceptionquiconfirmelarègle.

—Nepourriez-vouspasm'appelerWinter,désormais?suggéra-t-il,essayantuneautretactique,carilétaitsûrdenepouvoirgagnerunejouteverbalesursaponctualité.

—Croyez-vous?

—Oui,Isabel.

Ellefronçalessourcils.

—Jene...

Unbruitdesanglots'échappasoudaind'unbahut.

WinteretIsabelsetournèrentenmêmetempsverslemeuble.Lajeunefemmen'étaitplusencolère,ellesemblaitdésarçonnée.Elle fitunpasendirectiondubahut,avantdesefixer.

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Voyant qu'elle ne savait pas quoi faire, Winter se dirigea vers le bahut et ouvrit lesportesdubas.Unpetitvisageravagédelarmesluiapparut.

—Bonjour,Christopher,lançaWinter,quisesouvenaitdunomdel'enfant.

Winterjetaunregardpar-dessussonépaule.Isabeln'avaitpasbougédeplace.Ilreportasonattentionsurl'enfant.

—C'estconfortable,là-dedans?

Legarçonnets'essuyalajoueavecsamanche.

—Non,monsieur.

—Situsortais?

L'enfantréponditparunhochementdetête.Winterl'aidaàs'extirperdesacachetteetlepritdanssesbras.Christopherétaituntrèsjoligarçonnet,maisilnedevaitpasavoirplusdequatreoucinqans.

Winter s'approcha d'Isabel. La plupart des femmes auraient sans doute cherché àrécupérerl'enfantparpurinstinctmaternel.MaispasIsabel.Aucontraire,ellecroisalesbrassursapoitrine,commesiellevoulaits'empêcherdelestendreversChristopher.

Winterhaussalessourcils.Lajeunefemmefinitparsecouerlatête,commesielleavaitréussiàreprendresesesprits.

—JevaissonnerCarruthers,dit-elle.Elles'occuperadelui.

—Jeveuxrester,pleurnichaChristopher.Isabeldéglutit.

—Je...jepensequ'ilestpréférablequeturejoignestanounou.

C'était bien la première fois queWinter voyait lady Beckinhall aussi peu sûre d'elle.Voilàquiméritaitdeséclaircissements.

— J'ai bien envie de goûter à l'un de ces scones que j'aperçois sur la table basse,murmura-t-ilàChristopher.Qu'endis-tu?

Christopherhochalatête.

Winters'assitsuruncanapé,faceàlatablebasseetilinstallal'enfantsursesgenoux.IldonnaunsconeàChristopher,avantdeseservir.

Ilmorditdanssongâteau,unœilsurIsabel.Lajeunefemmeétaitretournéeprèsdelafenêtreetellelesignoraittouslesdeux,ledostourné.Décidément,soncomportementétaitdeplusenplusétrange.

— C'est bon, n'est-ce pas ? demanda-t-il à l'enfant. Christopher acquiesça avecenthousiasme.

—Lessconesdelacuisinièresontlesmeilleursdumonde.

Pendantunmoment,ilsmâchonnèrentdeconserve,commedeuxvieuxamis.

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—OùdiableestpasséeCarruthers?marmonnaIsabel,depuislafenêtre.

Christopher,quis'apprêtaitàmordredansunautrescone,confiaàWinter,àvoixbasse:

—Ellenem'aimepasbeaucoup.

Winteraurait voulu le contredire,mais iln'aimaitpasmentirauxenfantset l'attituded'Isabel était éloquente : elle se tenait à distance et feignait d'ignorer la présence dugarçonnet.Ilversadulaitdansunetasse,yajoutadusucreetquelquesgouttesdethéchaudettenditletoutàl'enfant.

Christopher lâcha son scone qui tomba malencontreusement sur le plancher pourprendre la tasse à deux mains et boire avidement. Quand il baissa la tasse, il avait desmoustachesdelait.

—Ellem'aquandmêmeracontéunehistoire,hiersoir,confia-t-il.

Lanursefitirruptionsurcesentrefaites.

—Oh,milady,jesuisdésolée!

Elleseprécipitapourarracherl'enfantàWinter,avantd'ajouter,pourIsabel:

— Je vous promets que ça ne se reproduira plus. Isabel tournait toujours le dos à lapièce.

—J'ycomptebien,dit-elle.

La malheureuse Carruthers, qui n'avait déjà pas beaucoup de couleurs, pâlit encoredavantageavantdequitterlapièceavecChristopher.

Winterseservitunetassedethé,l'airsongeur.

—Vousdevezmetrouversévère,ditIsabel.

Winter la regarda. Son dos était raide,mais elle avait croisé les bras sur sa poitrine,commepoursesoutenirelle-même.

—J'aimeraissurtoutsavoirquiestChristopher,etcequ'ilreprésentepourvous.

Ilyeutunlongsilence.Wintercommençaitàsedemandersielleluirépondrait,quandellelâchafinalement,sanslamoindreémotion:

—Christopherestlefilsdemondéfuntmari.

Winterfronçalessourcils,interloqué.Maisavantqu'ilaitpuposeruneautrequestion,Isabels'étaitretournée.

—Samèreétaitlamaîtressed'Edmund.

—Je... je vois, fitWinter, qui en réaliténe voyait riendu tout.Et il habite avec vous.C'étaitlesouhaitdevotremari?

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Ellehaussalesépaules.

— Je n'ai appris l'existence de Christopher et de Louise sa mère qu'après la mortd'Edmund.Iln'avaitrienprévupoureux.

Winterlaregarda,attendantlasuite.

—Louiseestvenuemevoirunmoisaprès l'enterrementd'Edmund.Ellem'aexpliquéqu'ill'avaitinstalléedansunepetitemaisondeville,maisquedepuissamortleloyern'étaitpluspayé.Et ellen'avaitpasun soudevant elle. J'ai vite comprisqu'elle était incapabledegérersesfinances.Ellem'ademandédeluidonnerdel'argentet...

Elles'interrompit,lesbrasballants,plantéeaumilieudelapièce.

—Isabel,venezboireunpeudethé,l'encourageaWinter.

Asongrandsoulagement,elleacceptaetvints'asseoirfaceàlui,leregarddanslevaguependantqu'ilservaitlethé.

—Lait.Etsucre,annonça-t-ilenluitendantlatasse

—Vousnedevriezpasfaireleservice,dit-ellemachinalement,enacceptantlatassequ'illuitendait.

Ileutunsourireironique.

—Voussavez,àl'orphelinat,personnen'estchargédemeservir.

—Oui,biensûr.

Ellebutunegorgéedethé.Winterétaitconvaincuqu'elleneluiavaitpastoutdit.

—Etiez-vousaucourantquevotremarientretenaitunemaîtresse?

Elleposasatassesursesgenoux,latenantàdeuxmains.

—Non.Enfin,pasaveccertitude.Maisjen'aipasvraimentétésurprisedel'apprendre.Edmund était resté veuf plusieurs années avant notre mariage, et il avait des besoins àsatisfaire.

Wintergoûtaàsonproprethé.Ilcommençaitdéjààrefroidir.

—Vousm'avezdit,unjour,avoirétéfidèleàvotremari.Vousavezdûressentircommeunetrahisonlefaitqu'ilnel'aitpasétéenversvous.

Leregardd'Isabelsefitcynique.

—Vousoubliezquedansmonmilieu,ilestcourantetmêmebienvuquelesmarisaientdesmaîtresses.L'existencedeLouisenem'apasdutoutchoquée.Aprèstout,notremariagen'était pas un mariage d'amour. Mais Edmund m'a toujours manifesté la plus grandecourtoisie.Etilavaittoutprévupourquejenemanquederienaprèssamort.Quepourraitespérerdeplusunefemmedesonépoux?

—Laloyauté.Lapassion.L'amour,réponditWinterunpeutroprapidement.

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Elleledévisageaaveccuriosité.

—Vraiment?C'estainsiquevousvoyezlemariage?

—Oui.

—Alors,ilestbiendommagequevousayezdécidédenejamaisvousmarier,monsieurMakepeace.

Ildétournaleregard.

—Pourquoinevousêtes-vouspascontentéededonnerdel'argentàLouise?

Lajeunefemmedessinalecontourdesatasseavecleboutdesondoigt.

— C'est d'abord ce que j'ai fait.Mais... mais Christopher n'était encore qu'un bébé, àl'époque.EtLouisenesemblaitpasdévoréeparl'instinctmaternel.

—Alors,vousluiavezproposédevousoccuperdesonfils.Lefilsdevotremari.

Ellehochalatête.

—Oui.

—C'étaittrèsgénéreuxdevotrepart.

—Au début, quandChristopher était tout petit, ce ne fut pas bien compliqué. J'avaisengagéCarruthers,quiveillaitàtout.Mais...

—Mais?lapressaWinter.

—Maisengrandissant,Christophers'estdeplusenplus intéresséàmoi. Ilpassesontempsà se faufilerdansma chambrepourm’épier. Il fouillemêmedansmespenderies etdansmoncoffreàbijoux.

Winterclignadesyeux.

—Vousvole-t-ildeschoses?Ellesecoualatêteavecénergie.

—Non,non.Jamaisrien.Mais...pourquoiagit-ilainsi?

—Celanemeparaîtpasungrandmystère,réponditWinter.Vousêteslamaîtressedemaison.Ajoutezàcelaquevousêtesbelleetcharmante.C'esttoutàfaitnaturelquevouslefasciniez.

Ellesouritpourlapremièrefoisdepuisqu'ilsétaientensembleaujourd'hui.

— Monsieur Makepeace, je crois bien que c'est le plus beau compliment que vousm'ayezjamaisfait.

Winterrefusadeselaisserdistraire.

—Cetenfantvouscausedusouci.Pourquoi?

Ilregrettapresquesaquestion,carlesouriredelajeunefemmes'évanouitaussitôt.

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—Peut-êtrequejen'aimepasbeaucouplesenfants.

Dans ce cas, pourquoi avoir accepté de financer un orphelinat ? sedemandaWintermaisilpritgardedenepasformulersoninterrogationàhautevoix.

Isabelterminasatassedethé,lareposasurlatableetseleva.

—Bien, dit-elle. LadyWhimple la grand-mèrede lordd'Arqué donneunbal ce soir,chezlevicomte.Jesuggèrequenouspeaufinionsvospas.

Wintersoupira.Iln'étaitpassûrdeprendreduplaisiràdanser.

—Asupposer,biensûr,quevouscomptiezvousrendreàcettesoirée,précisaIsabel.

Winter se leva à son tour. L'invitation chez lord d'Arqué lui fournirait une occasioninespéréedefouillerlebureauduvicomte.

—Jenelamanqueraispourrienaumonde,milady.

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10

Deuxnuitsdesuite,labelledameamoureusedel'ArlequinbravalesruesdangereusesdeSaint-Gilesàlarecherchedesonamant.Maisàl'aube,ellerentraitchezellebredouille.Latroisièmenuit,cependant,ellefinitparletrouverdeboutdevantlecadavred'unvoleurqu'ilvenaitjustedetuer.

«Arlequin!Oh,monArlequin!s'exclamalabelledame.Netesouviens-tupasdemoi?»

Maisils'éloignasansseretourner,commes'ilnepouvaitplusnil'entendre,nilavoir.

Malgrél'assurancedeWinterqu'ilserendraitàlasoiréedeladyWhimple,Isabelfitsonentréedans la salledebalde lordd'Arqué sans s'attendreà le voir réellement.Une foisdeplus, il avait décidé d'arriver de son côté, ce soir avec l'excuse qu'il devait s'attarder àl'orphelinatpourpréparersescoursdulendemain.

Isabel commençait à se lasser de ces petits mensonges à répétition de la part d'unhommequi,parailleurs,vivaitselonlespréceptesd'unemoraletrèsstricte.Finirait-ilparluiavouerqu'il était leFantôme?Ou la croyait-il asseznaïvepourqu'elle soit incapablede lereconnaître sous son masque ? Plus longtemps il ferait l'innocent, plus Isabel enrageraitcontrelui.

Lajeunefemmepritunegrandeinspirationetscrutalesalentours.Lasalledebalavaitnaturellement été décorée avec extravagance et repeinte dans un incarnat très élégant. Levicomte avait également dépensé une fortune en arrangements floraux, où le rouge lacouleur préférée de sa grand-mère dominait partout. Tous ces bouquets dégageaient uneodeurcapiteuseàlaquellesemêlaitlafragrancedesclousdegirofle.

Levicomted'Arquésetenaitàcôtédesagrand-mèrepouraccueillirleursinvités.LadyWhimplevivaitdésormaischezsonpetit-fils.Onracontaitqu'elleavaitétéunebeauté,maisl'âgeavaitapposésonempreintesursonvisage.Sesyeux,enrevanche,n'avaientrienperdudeleuréclat.

—Bonsoir,ladyBeckinhall,dit-elle,alorsqu'Isabelluifaisaitlarévérence.Monpetit-filsm'aexpliquéquevousaviezprissousvotreaileundirecteurd'orphelinat.

Isabelsouritpoliment.

—C'estexact,madame.

LadyWhimplerenifla.

—Demon temps, les femmes de la bonne société ne s'intéressaient qu'aux intriguesamoureuses et aux ragots. Mais je suppose que les jeunes femmes d'aujourd'hui peuventdavantageprétendreàlasainteté,avectoutesleursœuvrescharitables.

A son intonation de voix, il était facile de comprendre qu'elle ne considérait pas lasaintetécommeunevertudigned'éloges.

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—Jefaismonpossible,murmuraIsabel.

—Hmm, répondit ladyWhimple d'un air sceptique. D'Arquém'a confié qu'il pensaitreprendreladirectiondecefameuxorphelinat.Maiscommeilaimebienmetaquiner,jenel'aipasprisausérieux.

—Grand-mère!Intervintd'Arqué.Jesaisquevousnevoyezpasl'intérêtquejepuissefairequelquechosequinemeprofitepasimmédiatement,maisnousdevonsvivreavecnotretemps.IljetaunregardironiqueàIsabelavantd'ajouter:

—Etsijemelasseduposte,jepourraitoujoursengagerquelqu'und'autrepourfaireletravailàmaplace.

Isabel n'était pas surprise de le découvrir d'humeur si versatile. L'avantage de telsrevirements,c'estqued'Arquérenonceraitpeut-êtreàsondéfiavecWinteravantqu'ilnesoittroptard.

—Bah,fit ladyWhimple.Dumomentqu'onnemedemandepasdememêlerdecettefolie.

—Jesuisbiendevotreavis,milady,intervintunevoixmasculine.

Isabel se retourna pour constater queM. etMme Seymour les suivaient dans la filed'invités.Lordd'Arquésourit.

—Auriez-vousdécidédevousliguercontremoi,Seymour?

M.Seymours'esclaffa.

—Jen'airiencontrevous,d'Arqué.MaisladyWhimpleàraisondemalvousimaginerendirecteurd'orphelinat.

—Quecelavoussembleétrangeounon,c'estpourtantmonambition,s'entêtad'Arqué.Londres commence à m'ennuyer. M'occuper d'enfants pourrait peut-être réussir à medistraire.

Sagrand-mèrerenifladédaigneusement.

—Sivousledites,réponditM.Seymour,sceptique.Quoiqu'ilensoit,jenevaispasmefatiguer inutilement à vouloir vous en dissuader. Je préfère demander à ladyBeckinhall sielles'estremisedesarencontreavecleFantômedeSaint-Giles?

Isabelvoulutrépliquer,maislevicomtes'exclamasoudain:

—Ah,voicimonrival.Pourunefois,ilarriveàl'heure.

Winter se matérialisa comme par miracle à côté d'Isabel. Il portait son nouveaucostume,avec le gilethavanebrodé, et la jeune femme fut frappéedevoir combien il étaitsuperbededans.

— Bonsoir, milord, dit-il à d'Arqué, avant de prendre le bras d'Isabel. Veuillez nousexcuser.Lafiled'attentes'allonge.

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Isabeleutàpeineletempsdesaluerlesautres.Makepeacel'entraînaitdéjà.

—Vousvousêtesmontrégrossier,luisouffla-t-elle.

—Ahbon?Maisn'est-cepasencoreplusgrossier,pourunhôte,defaireattendretroplongtempssesinvités?

—Peut-être,concédaIsabel,tandisqu'ilss'avançaientdanslasalle.Maisvousauriezpuaumoinsdireunmot.

—J'aisaluélevicomte.

Isabels'arrêtapourluifaireface.Pourquoiavait-ilautantderepartiecesoir?

—Maismoi,vousnem'avezpassaluée.NiladyWhimple.NiM.etMmeSeymour.

Ilregardaitlasalle.

—Jecroisquel'orchestrevajouer.

Lajeunefemmehaussalessourcils,incrédule.

—Serait-ceuneinvitation?

Ilfitlamoue,commes'ilavaitledroitd'êtrefâchécontreelle.—Sivousytenez.

—J'ytiens,répliqua-t-ellesincèrement.

Durant leurs leçons, il s'étaitmontré d'une grâce surprenante. Et puis, il y avait uneautre raison, toute simple : malgré sa fureur contre lui, elle avait envie d'être en sacompagnie.

Elleavaitenviedelui.Aussi,dèsqu'il luitendit lamain,elles'enemparasanshésiter, le laissant laconduire

jusqu'àlapistededanse.

C'était une danse campagnarde. Il se révéla étonnamment bon danseur, mais sansostentation.Ilnecherchaitpasàattirerl'attentiondesautressurlui.

Quandilss'immobilisèrent,faceàface,maindanslamain,iln'étaitmêmepasessoufflémêmesisapoitrinesesoulevaitplusvitequ'àl'ordinaire.

Ilposasonregardsurelle.

—Désirez-vousmedirequelquechose?L’encourageaIsabel.

—Sivousvoulezque jem'excusedemonattitudedetoutà l'heure,vousperdezvotretemps.

Isabel pinça les lèvres. Le gredin ne voulait toujours pas lui avouer qu'il était leFantôme.

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—Non,dit-elle.J'avaisautrechoseentête.

—Quoidonc?

Elleluiopposaunsouriredéterminé.

—Aproposd'hiersoir.Vousnem'aveztoujourspasexpliquépourquoivousêtesarrivésitardàl'opéra,oùvousavezmanquél'apparitionduFantôme.

—Jevousaiditqu'ilyavaiteuuneurgenceàl'orphelinatet...

—Cesurgencesseproduisentunpeutropsouvent,lecoupa-t-elle.

Ilrivasonregardàceluidelajeunefemme.

—Eneffet.Ilsetrouvequenospensionnairessontdesenfants,etquelesenfantssontparnatureimprévisibles.

—Iln'yapasqu'eux.

Illafixaencoreunmoment,avantdedétournerleregard.

— Vous m'avez l'air perturbée. Je vais aller vous chercher un verre de punch. Unrafraîchissementvousferaleplusgrandbien.

Illalaissaavantqu'elleaitpuluirépondrequ'elledétestaitlepunch.

C'était incroyable !M.Makepeace l'avait tout simplementabandonnéeaubeaumilieud'unepistededanse.

Une telle avanie n'était jamais arrivée à Isabel. Dieu du ciel! Pour qui se prenait-il ?N'était-elleàsesyeuxqu'unegourgandine?

Ellesouritàunematronequi laregardait,puiselletournalestalonsetquitta lapiste.Quelquesconnaissancesluiadressèrentdessalutsauxquelselleréponditdistraitement.

Lesminutess'écoulèrentetIsabelseretrouvadenouveausurlapiste,sanspouvoirdirecombiendefoiselleavaitfaitletourdelasalledebal.ElleauraitquelquesmotssalésàdireàWinterquandilseraitderetour.Maisoùdiableavait-ilpupasser?Ilnefallaitquandmêmepasuneheurepourallerchercherunverredepunch!Saufs'ilvoulaitl'éviter,biensûr.

Ous'ilétaitpartiselivreràquelquesactivités«fantomatiques».

Cette hypothèse alarma Isabel. Winter semblait bel et bien avoir disparu. Il n'avaitquandmêmepasl'intentionde...pasici!

Isabelrepritsesrecherches.Cettefois,ens'aventuranthorsdelasalledebal.Lajeunefemme était déjà venue chez d'Arqué et elle se souvenait à peu près de la disposition deslieux.

Ellecommençaparserendreducôtéde labibliothèque.Unchandelierbrûlaitdans lapièce,maiscelle-ciétaitdéserte.Etaprèsavoirpoussétouteslesautresportes,Isabeldutserendreàl'évidencequeWinternesetrouvaitpasaurez-de-chaussée.

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La jeune femme inspira profondément, avant de monter à l'étage. Elle risquait saréputation, là-haut. Tant qu'elle fouillait aumême niveau que la salle de bal, elle pouvaittoujours dire qu'elle s'était perdue si quelqu'un la découvrait. Mais à l'étage, l'explicationseraitplusdifficileàfairepasser.

Elle ouvrit précautionneusement une première porte et découvrit une chambre defemme,probablementcelledeladyWhimple.Parchance,ilnes'ytrouvaitaucundomestique.MaisWintern’étaitpaslànonplus.Remontantlecouloir,ellepoussauneautreporte.

Cettefois,lapièceétaitdécoréedansdestonsmasculinsmarronetbordeaux.Isabelendéduisit qu'il s'agissait des appartements privés de lord d'Arqué. Un grand lit à baldaquintrônait au centre. Ses rideaux étaient coordonnés aux tentures des fenêtres.Mue par uneimpulsion, Isabel se faufila à l'intérieur pour regarder sous le lit. Rien. Elle se redressa,déçue. C'est alors qu'elle s'aperçut que quelqu'un fredonnait dans la pièce d'à côté. Bontédivine!Ildevaits'agirduvaletdechambredelordd'Arqué.Etsavoixserapprochait,cequivoulaitdirequ'ilvenaitverslachambre.

La jeune femme s'apprêtait à s'enfuir, quand un bras surgit d'une des tentures desfenêtrespourl'attirerderrière.

Isabeln'eutpasletempsdecrier:sonagresseuravaitplaquéunemainsursabouche.Et bien que ses yeuxne fussent pas encore complètement habitués à l'obscurité, elle avaitdéjàcomprisquiilétait.

—Chut,luimurmura-t-ilàl'oreille.

Lajeunefemmesefigea.Soncœurbattaitàtoutrompredanssapoitrine,commeceluid'unpetitlapinprisaupiège.Winterlaserraitcontreluietilspurententendretouslesdeuxlevalet,quin'avaitpascessédefredonner,alleretvenirdanslachambre.

Lamain deWinter était chaude. Et Isabel pouvait sentir son torsemusclé se pressercontre son dos. A présent, son cœur battait toujours aussi vite, mais pour une tout autreraison.

Uneraisonparfaitementinconvenante.

Levaletdechambreouvraitetrefermaitdestiroirs.Aenjugerparlebruit,ilsetrouvaitjustederrièrelesrideaux.Pourtant,larespirationdeWinterétaitparfaitementnormale.

Isabel n'en revenait pas. Comment pouvait-il rester si calme ? Elle en était furieuseaprès lui. Elle sentait ses tétons se presser contre le tissu de sa robe, parce qu'il l'excitaitfollement.Etluicontinuaitàfairecommesiriennesepassaitentreeux!

Le valet fredonna un nouvel air, qui résonna familièrement aux oreilles de la jeunefemme, bien qu'elle fût incapable de le reconnaître. Isabel glissa unemain derrière elle ettoucha la cuisse deWinter. Il parut vouloir se reculer, mais il n'y avait pas d'espace : ilsétaientcoincésentrelafenêtreetlerideau.

Winter ne pourrait pas lui échapper. Mais si elle restait dans cette position, Isabeln'auraitqu'unelibertédemouvementtrèslimitée.Aussin'hésita-t-ellepasuneseconde:elle

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seretournadanssesbras.Ilauraitpul'enempêcher,biensûr,maislemoindresignedelutten'auraitpasmanquédefairebougerlesrideauxetd'alerterlevaletdechambre.

LesyeuxdeWinterbrillaientsoussonmasque.Était-ilfurieux?sedemandaIsabel.Ousimplementintrigué?Ouexcité?

Cela n'avait plus d'importance, de toute façon. Elle était fatiguée d'attendre qu'il sedévoile.Etbonsang,puisqu'ilnesedécidaitpasàfairelepremierpas,elles'enchargeraitàsaplace!

Elleselaissatomberàgenouxdevantlui.

Ilseraiditinstinctivement.

Isabelentrepritdeluidégraferlepantalon.

Illuisaisitlepoignetavecfermeté,maisillaissalamaindelajeunefemmeàhauteurdesonmembre.

Elleentenditlebruitdistinctifd'uneportequis'ouvraitpuisserefermait.

Etcefutlesilence.

Winter penchait la tête vers elle pour la regarder. Isabel attendit,mais il ne bougeaitpas.Elleluiembrassalamain.

—Non,murmura-t-il,d'unevoixsiétoufféequecelaauraitpupasserpourunsoupir.

Isabelpouvaitvoir,aurenflementdesonpantalon,quesonsexe,lui,s'impatientait.

—Laissez-moifaire.

Lentement,commeaprèsunlongdébatintérieur,ilouvritlamainpourrelâchercelledelajeunefemme.

Isabel n'attendit pas qu'il risque de changer d'avis. Elle lui dégrafa complètement lepantalon,glissaunemainàl'intérieurettrouvacequ'ellecherchait.

Sonmembreétaitbiencommedanssonsouvenir :d'unetaille imposante,magnifiqueenpleineérection.Ellelesortitducaleçonpourlecaresser.

Winter se raidit, comme s'il s'apprêtait à fuir, ou à lutter. Aussi s'empressa-t-elle depasser à l'étape suivante : elle ouvrit grand la bouche pour y engouffrer l'extrémité de sonsexe.

Illaissaéchapperungémissement.

Isabel ferma les yeux, pour mieux s'enivrer de son odeur virile. Elle le suçait avecavidité, heureusede sentir la viepalpiter sous sa langue.Enmême temps, elle caressait labasedesonmembreavecsamaindroite,doucementpournepashâtersonplaisir.ElleavaitenviequeWintersesouviennedecemomenttoutlerestedesavie.

Il se mit à lui caresser les cheveux, d'une main hésitante d'abord, puis avec plus

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d'assurance.

Isabelétaitémueauxlarmes.

Elleseretiraetlevalesyeuxverslui.

—Isabel...murmura-t-il.

—Non,répondit-elle.Etelleengloutitdeplusbellesonsexefrémissant.

Elleneputretenirpluslongtempsseslarmes,quiroulèrentsursesjoues.Deslarmesdebonheur.Sonmembreétaitsidur,sipuissant!Elleleléchapendantquelquesinstants,avantdelereprendreenboucheetderefermerlesyeux.Ellevoulaitseconcentreruniquementsurcesexedresséquiluiemplissaitsidélicieusementlaboucheetqu'ellesuçaitavecdeplusenplusd'avidité.

Toutàcoup, il luiempoignalescheveuxavecunetelle forcequ'ellecompritqu'ilétaitsur lepointdese laisseraller.Elleouvrit lesyeuxpour leregarder jouir. Ilavaitbasculé latêteenarrièreettoutsoncorpsétaitagitédespasmes.

La première giclée fut puissantemais sans saveur. La seconde, en revanche, avait legoûtmerveilleuxdecethomme.UngrognementsourdmontadeslèvresdeWinter,commes'ilétaitàl'agonie.

Isabellesuçaittoujours,lesmainssursesfessesmuscléespourlegarderenboucheetnepasperdreunegouttedesasemence.Quandsonmembrecommençadesedétendre,ellele retira de sa bouche pour le lécher avec tendresse. Elle-mêmemouillait d'excitation.Elleétaitprêteàlerecevoir,maisilneseraitpasenétatde...

Iltirabrutalementsursesbras,pourl'obligeràserelever.Isabelneputretenirunpetitcri,dedouleuretdesurprisemêlées.Cependant,ellen'eutpasletempsd'émettrelamoindreprotestation:ils'emparadeseslèvresavecunebrutalitépossessive.

Isabels'abandonnaàsonbaiser.Elleétaitprêteàendurertoutcequ'ilvoudraitluifairesubir.

Maisilrelâchasoudainsonétreinteetdisparutavantqu'elleaitpuréagir.

Lajeunefemmeclignadesyeux,désarçonnée.Puisellesecaressaleslèvres.Dieutout-puissant!Qu'avait-ellefait?Laréalitécommençaitàreprendresesdroits.Ellesesouvenait,àprésent,dequielleétait.Etplusimportantencore,dequiIlétait.Maisuneimagelahantait:avantqueWinternel'embrasse,elleavaiteuletempsdevoirquesesyeuxbrillaient,voilés,commedesyeux...

Pleinsdelarmes.

Winter Makepeace tituba jusque dans l'ombre du couloir et, s'adossant au mur, ilsouleva sonmasque pour s'essuyer le visage de sesmains. Ses joues étaientmouillées delarmes.Bonsang,ilavaitpleurécommeunbébé!Maiscequ'avaitfaitIsabelavecsaboucheet sa langueétait tout simplementmerveilleux.Toutà l'heure,quandelle était agenouilléedevant lui, à le sucer, Winter avait compris qu'elle l'initiait à un nouveau monde de

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sensations. Et l'animal terré depuis si longtemps en lui s'était d'un coup libéré de sa cage,pourrugirdeplaisir.

Il se redressa et remit sonmasque. Avait-elle deviné qui il était ? Et à qui elle avaitdonné tantdeplaisir ?AWinterMakepeaceouauFantôme?Car si c'était à lui, l'homme,alors elle avait tout simplementbouleversé savie.Quelle femme,quandmême !Et àquoijouait-elle?

Winter secoua la tête, pris de remords. Il aurait pu l'arrêter. Il était plus fort qu'elle.

Mais lavérité, c'estqu'iln'avaitpasvoulu l'arrêter.Dès l'instantoùelle avait refermé seslèvressursonmembregonflédedésir...

Lesimplefaitd'yrepensersuffisaitàluiprovoquerunenouvelleérection.

Winterétouffaunjuronetquittasacachette.Ilsavaitqu'ilauraitdûrejoindrelebaletsemontrer,maisilavaitd'autresprioritésdansl'immédiat.

Despasrésonnèrentdansl'escalier.Winters'engouffradansunepièce.Elleétaitpetiteet sombre undressing,peut-être? Etpourvued'une fenêtre. Il récupéra le sacoù il avaitrangé son costume après s'être changé tout à l'heure en Fantôme. Winter avait jugépréférabledefouiller lamaisonduvicomtedéguiséenFantômedeSaint-Giles,aucasoùilseraitdécouvert.Sonplaninitialavaitétéderemettresoncostumeetderedescendredanslasalledebal.Maiscen'étaitplusauprogramme.

Winterouvritlafenêtreetregardaau-dehors.Elledonnaitsurlejardin.Lalumièreduclairdelunedanslesparterresdessinaitdesformesgéométriques.

Winterenjambalereborddefenêtre,jetasonsacenpremieravantdeselaissertomberdans l'herbe.Puis il sebaissapourprendre lepapierqu'il avaitdissimulédans sabotte sacombinaisond'Arlequinétantdépourvuedepochesetexposal'écritureàlaclartédelalune.Illut:10,CalfsheadLane.

C'étaituneadressedansSaint-Giles.Winteravaittrouvécepapierdansl'undestiroirsde d'Arqué. Il était peu probable que d'Arqué se sente assez sûr de lui pour laisser traînerdans son bureau l'adresse de l'atelier clandestin.MaisWinter ne pouvait pas se permettred'ignorercettepiste.

Unriredefemmesefitentendre.Winterseretournaverslamaison,sursesgardes.Uneportes'ouvritetuncouplesortitdanslejardin.Lafemmes'appuyaitcontresoncompagnonetsemblaitimpatientedecequiallaitsuivre.

Winterramassasonsacets'éloignaàpasfeutrésverslaportedederrière.

Qu'avaitsignifiéleurétreintepourIsabel?Unjeu?Unedistractionàl'occasiond'uneréceptionfrivole?

Ousavait-ellepertinemmentàquielleavaitoffertcettegâterie?

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Isabelsedépêchaderejoindrelasalledebal,dansl'espoirquesonabsencen'avaitpasététropremarquée.Elledécouvritbienvitequ'elleavaiteutortdes'inquiéter.

Unévénements'étaitproduitentre-temps,quimonopolisaitl'attentiongénérale.

Plusieurs personnes faisaient cercle autour d'un homme, à l'entrée de la salle de bal.Des murmures choqués s'échappaient de ce petit groupe. Isabel était trop loin pourcomprendre de quoi il retournait, mais lord d'Arqué passa soudain à côté d'elle. La jeunefemmel'attrapaparlamanchedesonveston.

—Qu'ya-t-il?Quiestcethomme?

—Jen'ensaisrien.Venez,allonsvoir.

LevicomtesefrayauncheminparmilesinvitésetIsabelluiemboîtalepas.Alorsqu'ilsapprochaientdel'entrée,lajeunefemmevitquel'hommeaucentredel'attroupementportaitunelivréevertealorsquelescouleursdelamaisonnéeded'Arquéétaientlebleuetblanc.Ilsemblaitextrêmementagité,etdeslarmesroulaientsursesjoues.

—Milord!s'écrial'homme,apercevantlevicomte.Oh,milord!C'estterrible!

Plusieurs personnes parlaient en même temps et Isabel ne parvenait pas à saisir cequ'ellesdisaient,maistoutàcoupelleentenditquelqu'un,sursagauche,crier.

—Non!

Isabel tourna la tête et reconnut ladyMargaret.Lamalheureuse était pâle commeunlinge.Isabelsedirigeaverselle.

—Quesepasse-t-il?demandad'Arquéaudomestiqueenlivréeverte.Expliquez-moi.

Isabel avait déjà rejoint lady Margaret. Elle lui prit le bras, mais lady Margaret nesemblaitpaslavoir.Sonregardàlafoisincréduleetimplorantétaitrivésurledomestique.

— Mon maître... commença le valet, avant d'être secoué par une nouvelle crise delarmes.Oh,monDieu,milord!M.Fraser-Burnsbyaétéassassiné!

Unefemmecria.Lordd'Arquéblêmit.Isabelsesouvintqu'ilétaitunamiprochedeM.Fraser-Burnsby.

—Je...jesuisvenuiciparcequejenesavaispasoùaller,milord,expliqualevalet,avantd'éclaterencoreensanglots.

Le brouhaha s'intensifiait,mais Isabel n'avait d'attention que pour ladyMargaret. Lajeunefemmes'étaitfigée,boucheouverte,sansqu'aucunmotnesortedesagorge.Enétatdechoc.

Isabelluisaisitlebras.

—Reprenez-vous,luimurmura-t-elle.

LadyMargaretsetournaverselle,leregardperdu.

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—Roger...

—Non,lacoupaIsabel,àvoixbasse,maisd'untonautoritaire.Pasici.

LadyMargaretclignadesyeux,avantdeperdreconnaissance. Isabelseprécipita,maispasassezvitepourlaretenir.

Heureusement,M.GodricSaint-JohnrattrapaladyMargaretavantquesatêteneheurtelesol.Puisillagardadanssesbras,commehypnotiséparlevisagedelajeunefemme,blanccommeunlinceul.

—Venezavecmoi,luiditIsabel.

Ilparutétonnédesarequête,maissansunmotilsoulevaladyMargaretdanssesbrasavecuneaisancedéconcertante.Isabelétaitstupéfaite.Ellen'auraitjamaiscruqu'unhommequipassaitsontempsàétudierlaphilosophiepûtêtresifortniavoirdesréflexessirapides.

Isabelseconcentrasurlepetitconvoiets'éloignadelasalledebaletdescommérages.

—Ici,dit-elleàM.Saint-John,poussant laported'unpetit salondestinéaureposdesdames pendant la réception. Par chance, il était désert : ses occupantes s'étaient toutesprécipitéesdanslasalledebalpoursavoircequisepassait.

M.Saint-JohndéposaladyMargaretsurunsofa,puisildemandaàIsabel:

—Voulez-vousque j'aille chercherquelqu'un? Isabel s'agenouilladevant le sofapourtoucherlajouedeladyMargaret.Lajeunefemmeseréveillaitdoucement,engémissant.

—Non, ce sera tout.Merci de votre aide,monsieur Saint-John.Et il serait préférablequevousneparliezàquiconquedecequivientd'arriver.

—Vouspouvezcomptersurmadiscrétion.

IljetaundernierregardàladyMargaretetquittalapièce.

—Roger?murmuraMeg.

—Chut,luiditIsabel.Nousallonsattendreunpeuici,quevousayezreprisdesforces,maisnousnepourronspas rester trop longtemps.Quelqu'unpourrait s'apercevoirdevotredisparitionetfairelelienaveclamortdeM.Fraser-Bumsby,cequi...

—Oh,monDieu!s'écrialadyMargaret,avantdefondreenlarmes.

Isabel ferma un instant les yeux. Elle était bouleversée par le chagrin de la jeunefemme.Queldroitavait-elledes'enmêleretdeconvaincrecettepauvreMegqu'ellenedevaitpasmanifester sa détresse en public et encoremoins son amour pourM. Fraser-Burnsby,qu'Isabelavaitaisémentdeviné.

Maisiln'yavaitpersonned'autrepours'encharger.

Alors,Isabels'assitsuruncoindusofa.

—Là,là,dit-elle,serrantladyMargaretdanssesbras.Nevousrendezpasmalade.

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—Jel'aimais,sanglotaladyMargaret.Nousavionsprévudenousmarier.Ilvenaitjustede...

Ellesecoualatête,commesiellen'arrivaittoujourspasàcroirecequiluiarrivait.

Pourquoi lamort faisait-elle ainsi irruption dans la vie ? Pourquoi une jeune femmepleine d'avenir voyait-elle ses rêves d'amour s'écrouler ? C'était injuste.QuelDieu pouvaitvouloirpunirunejeunefemmeinnocente?

Sauf que lady Margaret ne serait plus jamais innocente, marquée à jamais par cetévénement.Chagrinetdeuilseraientsonlotdésormais.

Isabelinspiraprofondément.

—Venez.Allonstrouvervotremère.LadyMargaretsecoualatête.

—Ellen'estpaslà.Elleétaitinvitéeàunepartiedecampagne.

—Alorsvotrefrère,lemarquis.

—Non!SerécrialadyMargaret.Ilnesavaitrien,pourRogeretmoi.Personnen'étaitaucourant.

— Dans ce cas, faisons preuve de discrétion. Si les invités vous voient pleurer, ilsimagineronttoutessortesdechoses.

LadyMargaretfermalesyeux.

— Et ils auront raison. Nous... nous aimions. Isabel n'était pas lamieux placée pourjuger.Dureste,elleadmiraitplutôtlaréactiondeladyMargaret:ellenemanifestaitaucunehonte,seulementduchagrin.

Maissaréputationsetrouveraitdétruitesi lanouvelleserépandaitqu'elleavaitété lamaîtressedeRogerFraser-Burnsby.

—Raisondepluspourvousreprendre,insistagentimentIsabel.

—Jememoquedecequedirontlesgens,murmuraladyMargaret.

— Je comprends, ma chère. Vous réagissez ainsi sur le coup. Mais plus tard, vouspenserezdifféremment.

Isabel avait conscience de se montrer cruelle, mais elle était convaincue que c'étaitnécessaire.

—Séchezvoslarmes,milady,reprit-elle.Nousallonsdevoirtraverserlafouledesinvitésjusqu'àvotrevoiture.Avecquiêtes-vousvenue,cesoir?

—Ma...magrand-tante.Ellehabiteavecmoi,pendantquemamanestàlacampagne.

Isabel se souvenait vaguement d'une femme âgée, aux cheveux blancs, quiaccompagnaitparfoisladyMargaret.

— Très bien. Je vais d'abord vous installer dans votre voiture. Et ensuite, j'irai la

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chercher.

Cene futpasaussi simpleque cela,bien sûr.D'abord, Isabeldut réconforter la jeunefemmeunbonquartd'heure,avantquecettedernièrenesoitprêteàsortirdusalon.Ilétaitdifficiledecachersesyeuxrouges.Maisaumoins,elleavaitcessédepleurer.

—Ilsuffit justedemarcher jusqu'àvotrevoiture, l'encourageaIsabel.C'est l'affairedequelquesmètres,aprèsquoivouspourrezvousdétendre.

LadyMargaretacquiesçaàlamanièred'unautomate.

Ellesfurentobligéesdetraverserlasalledebal.Laplupartdesinvitésétaienttoujoursregroupés près de l'entrée, et Dieu merci, personne ne sembla leur prêter d'attentionparticulière.

—Nous dirons simplement à votre grand-tante que vous avez lamigraine. Avez-vousconfianceenvotrefemmedechambre?

—Quoi? fit ladyMargaret, totalementperdue.Probablementn'avait-ellepas réaliséàquelpointlesragotscirculaientvitechezlesdomestiques.

— Peu importe. Congédiez-la dès qu'elle vous aura aidée à vous déshabiller. Puisverrouillezvotreporteetreposez-vous.

—Ah,vousvoilà,ladyBeckinhall!s'exclamasoudainunevoixmasculine.

Isabelsetourna,defaçonàcacherenpartieladyMargaret.M.Seymoursetenaitàcôtédelordd'Arqué.Tousdeuxaffichaientdesminesgraves.

—Cette affaire est horrible, assuraM. Seymour, qui jetait des regards curieux à ladyMargaret. Assassiner un gentleman, en plein Londres ! Je comprends qu'un tel crimebouleverselespersonneslesplussensibles.

—Etmêmelesmoinssensibles,répliquaIsabel.M.Fraser-Burnsbyétaitungentlemanaimédetous.Ilnousmanquera.

Lord d'Arqué marmonna quelque chose d'inintelligible et tourna brusquement lestalons.

— Ils étaient très proches, expliquaM. Seymour, désignant d'Arqué qui s'éloignait. Jecroisqu'ilss'étaientconnusaucollège,dit-ilensecouantlatête.Nousdénicheronsl'assassindeRoger,soyez-encertaines,mesdames.LesdragonssontdéjàprévenusetilsfouillentSaint-Giles.Jesuisconvaincuqu'ilseraarrêtédanslanuit.

Isabelhaussalessourcils,perplexe.

—Quicela?OnsaitdoncquiatuéM.Fraser-Burnsby?

CefutautourdeM.Seymourdeparaîtresurpris.

— Pardonnez-moi, lady Beckinhall, je pensais que vous étiez déjà au courant. RogerFraser-BurnsbyaétéassassinéparleFantômedeSaint-Giles.

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La belle dame, amoureuse de l'Arlequin, pleura à chaudes larmes, mais ne renonça pas. Lelendemainsoir,elleallaconsulterunedésenvoûteuse.

«Ah!s'exclamacettedernière,quandlabelledameluieutcontétoutel'histoire.L'Arlequinacédé son âme auMaître de la nuit et il ne peut plus semontrer à la lumière du soleil. Il passeradésormais l'éternité sans voir ni entendre ceux qui l'entourent, animé seulement par un désir devengeance.Ceneserapasfacile,maisilexisteunmoyendelesauver.Sivousvoulezlerameneràlalumière,ilvousfaudralecontraindreparl'Amour,puislaversesyeuxavecleChagrin,etenfinluifairetoucherl'Espoir.»

Laluneétaitperchéehautdansleciel.Telleunedéessebienveillantequiluimontreraitlechemin,elleéclairaitWinterMakepeacequisautaitdetoitentoit.Ilapprochaitdesonbut.Illesentait.Lesenfantsquiavaientbesoindesonaideétaienttoutprès.Illestrouveraitetilles sauverait.Maispour cela, il devait à toutprix oublier les émotionsque ladyBeckinhallavaitéveilléesenlui,toutàl'heurependantlebal.Ilétaitimpératifqu'ilrecouvretoutesonénergie. Avec la jeune femme, il ne serait plus queWinterMakepeace et il ferait en sortequ'elle ne rencontre plus jamais le Fantôme. S'il y parvenait, alors peut-être aurait-il unechancedereprendresonexistencetellequ'elleétaitauparavant.Quelquesoitleplaisirqu'ilpouvaitéprouverencompagniedeladyBeckinhall, ils'étaitchoisiuneautrevoie:apportersonaideàceuxquiétaienttropdémunispourobtenirjusticeeux-mêmes.

Etvaincretouslesgredinsquivoulaients'enprendreauxhabitantsdeSaint-Giles.

Winter sauta sur un dernier toit, avant de se laisser glisser le long d'une façaded'immeuble, pour atterrir dans Calfshead Lane. Le numéro 10 correspondait à une portedélabrée.Deuxportesplusbas,enrevanche,uneenseignesebalançaitauvent.MaisilfaisaittropsombrepourqueWinterpûtvoircequiétaitinscritdessus.

Ilessayad'ouvrirlaportedunuméro10.Commeelleétaitverrouillée,ilreculad'unpasetl'enfonçacarrément.

—Allez-vous-en!Criaunevoix,àl'intérieur.Winterseretrouvafaceàunefemmequiagitaituncoutelasdansunemain.

—MonDieu,c'estlediableenpersonne!s'exclamalafemme,horrifiée.

—Oùsontlesenfants?demandaWinter.Lafemmeregardaautourd'elle,perplexe.

—Lesenfants?Iln'yapasd'enfants,ici.Winters'avançaàl'intérieur.Lafemmerecula.

—Jesaisqu'ilyadesenfants.Oùsont-ils?

Lafemmeécarquillalesyeux.Ellesemblaitterrorisée.

—Êtes-vousvenumechercherpourmeconduireenenfer?

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Winteraperçutdeuxautressilhouettes,allongéesdansuncoindelapiècedesadultes,sans doute ivres morts. Et la femme qui tremblait de tous ses membres devant lui nesemblaitpasenmesurededirigerunatelierclandestin.

—Iln'yariend'autreici?

Lafemmesecoualatête.

Winter sedirigeavers la seuleportede lapièceet l'ouvrit.Elledonnait surunepièceencoreplusexiguë,sibassedeplafondqu'unhommenepouvaits'ytenirdebout.

Elleétaitvide.

Winterfutdéçu.Ilespéraitsecrètementtrouvericil'atelierclandestinoùavaittravailléPeach.CetteadressedansSaint-Gilesétait le seul indicequ'ilaitpudénicherchezd'Arqué.S'ils'étaittrompé,alorsilnepourraitpassauverlesenfantscesoir.

Unbruitdecavalcadesefitentendredepuislarue.

Wintersedépêchaderessortir.

Un détachement de dragons remontait la rue. Les hommes de Trevillion. Ilsbrandissaientdestorches.Grâceàleurlumière,Winterputvoirdistinctementl'enseignequisebalançaitdeuxportesplusloin.

Unechandelle!

—Halte!crialecapitaine.

Winter n'était évidemment pas disposé à obéir. Il bondit et entreprit d'escalader lafaçadedel'immeubleàmainsnues.

Une détonation retentit. La balle se ficha dans le mur et Winter reçut des éclats depierresursonmasque.

—Descendez,ou jevous tue ! lui lançaTrevillion.Winteratteignaitdéjà lehautde lafaçade.Ilsehissasurletoitjusteaumomentoùuneautrebalvenaitpercuterlestuiles,prèsdesespieds. Il courutà toutes jambespourpassersur l'autreversant.Mais lescavaliers lesuivaientdesyeux.Ilscontournèrentl'immeuble.Ladistancequiséparaitlacornichedecelled'enfaceétaittropgrande:Winternepouvaitpassautersansrisquerdetomberdanslevide.Ets'iltombait,ilseraitimmédiatementcapturer.

—Rendez-vous!criaTrevillion.Vousêtescerné.

Ildisaitvrai.D'autresdragonsarrivaientdéjàenrenfort,encerclantlamaison.PourquoidiableTrevillionavait-ilsortitoutessestroupesenpleinenuit?

Wintern'avaitdoncpluslechoix.

Ilreculadedeuxpaspourprendresonélan.

—Vousn'yarriverezpas!luicriaTrevillion,quiavaitdevinésonintention.

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Winter courut sur le toit et sauta. Une détonation éclata enmême temps. Trop loin.C'étaittroploin.

Winterheurtalereborddutoitd'enface.Lechocl'atteignitenpleinepoitrine.

Puis il semit à glisser inexorablement vers le vide. Il tentait de s'agripper aux tuiles,maissesgantssedéchiraient.

Dansunréflexeultime, il réussitàs'accrocherà lagouttière.De là, ilputsehisserdemanièrespectaculaireetremontersurletoit.

Ils'enfuitaussitôtencourant.

Un bruit de détonation résonna dans la nuit. Isabel sursauta, comme si elle avait étéelle-mêmevisée.Elleouvritsaportièreetcriaàsoncocher:

—Dirigez-vousverslafusillade,John!

Son cocher était d'ordinaire un homme imperturbable. Là, il se retourna d'un airincrédule.

—Vousêtessûre,milady?

—Oui,oui.Faitescequejevousdis.

Isabel referma sa portière et resta le nez contre la vitre, à scruter les environs avecanxiété. Dès qu'elle avait appris que le Fantôme était accusé du meurtre de M. Fraser-Burnsby, elle avait compris queWinter était en danger. Il avait quitté le bal avant que lanouvelle dumeurtre n'éclate. Il ne pouvait donc pas savoir qu'il lui serait plus risqué quejamaisd'apparaîtrecettenuitdéguiséenFantôme.

Lajeunefemmetendaitl'oreille.Lesdétonationsn'avaientpasretentitrèsloin.Sic'étaitbienWinterquiétaitvisé,celavoulaitdirequ'ilsetrouvaittoutprès.Amoinsquelescoupsdefeun'aientatteintleurcible...

Uneombrebougeadansl'obscurité.

Le cœur d'Isabel bondit dans sa poitrine. Elle ouvrit sa portière avant même d'avoirreconnul'hommeaumasque.

—Vite!Montez!

Ils'engouffradanslevéhicule.

—Alamaison,John!criaIsabel,avantderefermerlaportière.

Puis elle se rassit sur sa banquette. Il avait pris celle d'en face. Ses gants étaientdéchirés,maissoncostumeparaissaitintact.Ilétaitvivant.Vivant!IsabelremerciaDieu,lesangesettouslessaintsdelaCréation.Elleétaitsisoulagée!

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Il se débarrassade son chapeau et le jeta sur les coussins. Puis il entreprit d’ôter sesgants, le plus calmement dumonde, comme s'ils n'étaient pas en pièces et comme s'il nevenaitpasd'échapperàlamort.Isabelsentitsonsangbouillirdanssesveines.

—Bougred'inconscient !Explosa-t-elle.N’êtes-vousdoncpas au courantque tous lessoldatsdelavillevousrecherchentactivement,avecl'ordredevousarrêtermortouvif?

Ilterminad’ôtertranquillementsesgantsetlesposasursesgenoux.Isabelavaitenviedelesecouercommeunprunier.

—Winter!

Ilseraidit.

—Alors,voussaviez?

Elleéclataderire.

— Bien sûr, que je savais. Croyez-vous que je puisse embrasser un homme sansconnaîtresonidentité?

Il se défit de son masque et du carré de soie qu'il portait en dessous. A cause del'obscurité,Isabelnepouvaitpasbienvoirsonexpression,maissesyeuxbrillaientd'unéclatparticulier.

—Voussaviezdéjà,toutàl'heure,quand...

—Quandjevousaisucé?

Si elle espérait le choquer, elle en fut pour ses frais. Il ne tressaillit même pas. Ilcontinuadelafixer,sansciller.

Isabeléclataencorederire,maiscettefois,demanièrehystérique.

— Allons, monsieur Makepeace ! Me pensez-vous assez dépravée pour attirer deshommes à chaque réception mondaine, uniquement dans l'objectif de les sucer dans desrecoins...

Ilnelalaissapasterminersaphrase.Sejetantsurelle,ill'attiradanssesbrasavecunetelleforcequ'elleneputluiopposerderésistance.Isabelseretrouvasursesgenoux,commeuneprisedeguerre,àsamerci.

Maiscelan'étaitpaspourluidéplaire.

—Avez-vousseulementidéedecequevousavezfait?luidemanda-t-il.

Ellen'eutpasleloisirderépondre;ils'étaitemparédeseslèvres.

Isabelenoubliatoutlereste.Pourl'instant,plusriennecomptaitquecethomme.

La jeune femme s'abandonna sous son baiser, ouvrant la bouche pour accueillir salangue. Il l'embrassait avecune sorted'urgencequi l'excitait terriblement, carderrière, elledevinaitlaforcedesondésirviril.Elle-mêmesentaitcedésirgronderentresesjambes.

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Ellelaissacourirsesdoigtslelongdesatuniqued'Arlequin,s’émerveillantdelafermetédesontorsesoussesdoigts.Ilétaitcommeunjeuneétalon,toutenmusclesetenénergie,etIsabelmouraitd'enviedelechevaucherpaspourledresser,maispourquecettevitalitéluiappartienneunpeu.

Samains'aventuraplusbas.Ilémitungrognementetl'embrassaavecplusdepassionencore.Sonmembreétaitdéjàgonflédedésir.Isabelessayadel'atteindre,maisc'étaitmoinsfacile qu'avec un pantalon ordinaire. Unmoment, elle crutmême qu'elle serait obligée dedéchirersacombinaison.

LesboutonsfinirentparcéderetIsabelgémitdeplaisirenrefermantsamainsursonmembredressé.C'étaitcommecaresserunetiged'aciergainéedevelours.

Ilcommençaalorsàluisouleverlesjupes.Isabell'aidaensecambrant.

Toutcelaétaitpurefolie,biensûr.Maisc'étaittropbon.

Il l'enlaça à la taille, sous ses jupes, enmême temps qu'il l'embrassait avec toujoursautantdefougue.Isabelsentaitsesmainsluicaresserlesfessesetlescuisses.

Ils se trouvaient dans une voiture, pour l'amour du ciel ! La jeune femme aurait dûmettreuntermeàleurétreinte,maisellenepouvaits'yrésoudre.

Ellenouases jambesautourde luipuis, fouillantsousses jupes,elles'emparadesonsexe.

—Attendsunpeu,dit-il,s'arrachantàseslèvres.

—Non,répliqua-t-elle,leregardantdroitdanslesveux.Tantpissitujouistoutdesuite.J'aienviedetesentirenmoi.Maintenant.

Ilplissalesyeux.

—Tunetiendraspastoujourslesrênes,milady.

Isabelluisourit.

—Certainementpas.Maispourl'instant,c'estmoiquicommande.

Etelleguidasonmembrejusqu'àl'entréedesonintimité.Ellemouillaitdéjàtellementqu'ils'yenfonçatoutnaturellement.

Ilfermalesyeuxetrenversalatêteenarrière,surlescoussins,engémissant,commesielleluiinfligeaitquelquetorture.

Cespectaclelafitmouillerencoredavantage.

Elles'enfonçaplusprofondémentsurlui,avecunsourireextatique,excitéeparleplaisirqu'elleressentaitautantqueparceluiqu'ellelisaitsurlevisagedesonamant.

Puisellesemitàlechevaucher.

—Non,murmura-t-il.Jevaisvenirtropvite.

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—Jesais,dit-elle.Maistun'oublieraspascemoment.Tunem'oublierasjamais.

Ilouvritlesyeux.

—Detoutefaçon,jenet'oublieraijamais.

Et il lui empoigna fermement les hanches, pour s'enfoncer davantage en elle. Ilmanquaitd'expérience,etilsemontraitunpeubrutal,maisIsabeladoraitcela.

Ellerenversalatêteenarrièreetelleritdebonheurdelesentirenelle.

L'attelagebringuebalait sur lespavéset Isabel semouvait surWinter,deplusenplusvite.Jusqu'àcequedesétoilesapparaissentderrièresespaupièresclosesetqu'unevaguedeplaisirlasubmerge.

Quand il gémit à son tour, elle ouvrit les yeux et le contempla jouir avec une telleviolencequ'ellesentitpresquesasemencegiclerenelle.Ellen'avaitjamaisrienvécudetel.Etilcontinuaitdejouirenlapénétrantdeplusbelle!C'étaitcommes'ilcherchaitàlafairesienne,d'unemanièreprimitive.

UngrondementsourdluiéchappaetIsabels'écroulasursontorse,à lamanièred'unefleurcourbéeparlevent.

Puisellesoupiraetpassalalanguesurseslèvres.

—IlspensentquetuastuéRogerFraser-Burnsby.

Ilrefermasesbrasautourd'elleetlaserratrèsfort.

—Ilestmort?

—Oui. Le valet deM. Fraser-Burnsby est venu annoncer la nouvelle, juste après tondépartdubal.

—Cen'estpasmoiquil'aitué.

—Jesais.Tuétaisavecmoi.

Ilhaussaunsourcil.

—Mecroirais-tuquandmême,sijen'avaispaseucetalibiprovidentiel?

—Évidemment,s'impatientaIsabel.Tun'espascapabledetuerquelqu'un.

—Tumeconnaisdoncsibien?demanda-t-ild'untonsceptique.

Isabelcaressasatuniqued'Arlequin.

— Je ne connais pas tout de toi.Mais j'en sais assez pour être convaincue que tu netueraisjamaisquelqu'undesang-froid,quelquesoittondéguisement.

—Humm.

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—Melediras-tu?

Ilregardaparlavitre.IlsétaientpresquearrivéschezIsabel.

—Tedirequoi?

—Pourquoitufaiscela?Pourquoitut'habillesenFantôme?

Illuijetafurtivementunregard.

—Peut-être.Maisdansl'immédiat,jedoispartiravantquetavoiturenes'arrêtedevantcheztoi.

Et là-dessus, il bascula sans plus de cérémonie la jeune femme sur la banquette d'enface.Isabel,stupéfaite,leregardareboutonnersatunique.

—Tunepeuxpassortirdanscetaccoutrement!Lesdragonstecherchentpartout!

Ilremitsonmasque.

—J'aiunemissionquim'attend.

—Serais-tufou?

Unrictusdéformaseslèvres.

—C'estpossible.Maisjedoislefaire.

—Non, voulut protester la jeune femme.Tune...Mais il avait déjà ouvert la portièrepoursauterenmarche.

Megétaitassisedevant lafenêtredesachambre.Ellecontemplaitd'unœilvidelecielétoiledecettenuitquin'enfinissaitpas.

Elle avait retenu ses larmes en arrivant à la maison et jusqu'à ce qu'elle puissecongédiersacarriériste.Puiselleavaitpleuré,pleuré,pleuré.Ensilence.Elleavaittellementpleuré que ses paupières en avaient enflé. Après quoi, elle était restée allongée un longmoment,boucheouverte,àcontemplerleplafond,avecunsentimentdeprofondabandon.

Ellen'avaitplusdelarmespourpleurer.Ellen'avaitplusrien.

Sonespritbattaitlacampagnecommeunanimaltroplongtempsretenuencage.Rogerétaitmort.Ellel'avaitencorevulaveille,pleindevie.

Maisàprésent,ilétaitmort.

Megavaitd'abordpenséàuneerreur.Rogern'étaitqueblesséetsonvalet,égaré,s'étaitprécipitéaubalpourannoncertropvitelamauvaisenouvelle.

Hélas, non.On avait récupéré son cadavre. Sa camériste l'avait appris àMeg pendantqu'elle l'aidait à se déshabiller. Les ragots circulaient si vite, chez les domestiques ! Et sa

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camériste avait paru prendre du plaisir à lui raconter comment le corps ensanglanté de cepauvreRogeravaitétéramenéchezluidanslavoituredelordd'Arqué.

Megavaitdûprendresurellepournepasgiflersacaméristeellen'avaitjamaislevélamain sur personne. Elle s'était contentée de la congédier un peu trop sèchement. LadyBeckinhall l'aurait probablement critiquée pour sa réaction impulsive, car sa camériste luiavaitjetéunregardintriguéavantdelaquitter.

MaisMegs'enfichaitéperdument.

Aforcederesterassisesansbouger,elleavaitdesfourmisdanslesjambescommeundouloureuxsignedevie.La jeunefemmebougea légèrementetentenditunbruitdepapierfroissé.Ellepassaunemainsoussesjupes.Biensûr.C'étaitunelettred'Hero, lafemmedeson frèreGriffin. Lemot était arrivé pendant qu'elle s'habillait pour le bal de ce soir. Ellel'avaitposésurlesofadevantlafenêtre,pourlalireplusàsonaiseàsonretour.Ehbien,elleétaitrentrée!

Megselevaetprésentaunechandelleauxbraisesdufoyeravantderetourners'asseoirdevantlafenêtre.Puiselledécachetalalettre.

Chèresœur, commençaitHero. C'était gentil de sa part. Dès l'instant où elle avaitépouséGriffin,Heroavaitpris l'habitudedes'adresserainsiàelledansseslettres.Lalettreétaitlongueetanodine.UneaileenconstructiondanslamaisondecampagnedeGriffin,lessoucisqueleurdonnaitlacuisinière,l'excellenterécoltedespommiersduverger.Heroavaitgardélaprincipalenouvellepourlafin:

...et,machère, jepensequevousserezravied'apprendremondouxsecret:jesuisheureuseau-delàdetout.Votrefrèreestcomblé,biensûr,mêmes'ilm'assommeparfoisavecsesinquiétudessurmasanté.Jecroisqu'ilseraunpapatrèsfieravantlafindel'hiver.

Meg resta un moment à contempler les signes qui se voilaient sous ses doigts.Heureuse.Ellesedevraitd'êtreheureusepoursonfrèreetpourHero.

Elleéclataensanglots.

Wintervenaitdegoûteràlaplusbelledesexpériences.

Il se tapitdans l'angled'uneportecochèreet regarda lavoitured'Isabeldisparaîtreaucoindelarue.

Ressentait-ellelamêmechose?Avait-ceétéaussiglorieuxpourellequepourlui?Ouétait-ilcommelesautreshommesaveclesquelselleavaitcouché?

Non,décida-t-il.Ilrefusaitd'êtreunamantdeplusqu'ellepourraitfacilementcongédier

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etoublier.Ilavaitbeauêtreunsimplemaîtred'écoleetelleunebaronne,ilsétaienthommeetfemme.Ceciétaitleplusimportant.

Il s'obligea à étouffer tout sentiment de jalousie. Cela ne pourrait que lui nuire. Et ilavaitd'autreschosesàrégleravantderetrouverIsabel.

WinterpritladirectiondeSaint-Giles.Lesdragonsdevaientêtretoujoursàsarecherchelemeurtred'unaristocrateébranleraittropleurmondepourresterimpuni.Touteslesforcesdel'ordreseraientréquisitionnéesafindeleretrouver.Wintersedemandaitévidemmentquiétait le véritable assassin de Fraser-Burnsbv, mais dans l'immédiat, il préférait chasser laquestion de son esprit. Probablement était-ce l'œuvre d'un vulgaire vide-gousset, mais leFantômedeSaint-Gilesconstituaituncoupabletoutindiqué.

Vingtminutesplustard,ilatteignaitCalfsheadLane.Ilpassadevantlenuméro10sanss'yarrêter.L'enseigneàlachandelleétaitjusteunpeuplusloin.SanslatorchedeTrevillion,il ne l'aurait sans doute pas remarquée. Et elle lui avait échappée lors de ses précédentesinvestigations.Ilfautdirequel'enseigneétaittoutepetite,etenpiteuxétat,etqu'ellepassaitfacilementinaperçueaumilieudetouteslesautresenseignesquipendaientdanslesruesdeSaint-Giles.

Laporte sous l'enseigne était elle aussi enmauvais état.En revanche, la serrure étaitneuveetsolide.Winteressayalapoignéeàtouthasardetilfutsurprisdevoirqu'elletournaittouteseule.Lapièce,derrière,étaitplongéedans lenoir.Winterattenditquelques instantsquesesyeuxs'habituentà l'obscurité.Maissans lamoindresourcede lumièrec'étaitpeineperdue.Ilsortitdenouveaudanslarue,allas'emparerd'unelanterneaccrochéeàuneportevoisineetrevintdanslaminusculeéchoppe.

Lapièceétaitlargemaispeuprofonde.Desétagèresétaientdisposéesauhasardsurlesmurs,sansdoutepoursupporterlestockducommerçant.Maisellesétaienttoutesvides,etàenjugerparlapoussièrequilesrecouvrait,depuisdéjàlongtemps.

Quelquechoses'agitadanslapénombre.Winterlevasalanterneetvitunratquitrottaitlelongdumur.Lavermineneprêtamêmepasattentionauvisiteuretcontinuasonerrancenocturne.

Uneautreporteétaitencastréedanslemurfaceàlarue.Winters'enapprochaetcollaprudemmentsonoreilleaubattant.Ilattenditunpeu,maisaucunsonnesefitentendre.

Cettedeuxièmeporteétaitverrouillée.Winterreculadedeuxpasetposasalanternesurleplancher,defaçonqu'elleluiéclairelepassageunefoisquelaporteseraitouverte.

Puisildégainasonépéeetenfonçalaported'unpuissantcoupdepied.

Il se jetade côté, au casoù surgiraitunagresseur.Maispersonnenevint.Et lapiècesemblaittoutaussividequelapremière.

Winter attendit encore, les sens en alerte. Rien. Il rengaina son épée, récupéra salanterneetpénétradanslapièce.Uneodeurfétided'urineetdevomiluiassaillitlesnarines.Cependant,lapièceétaitbienvide,àpartunsquelettederatetquelqueshaillons.

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Mais quelque chose, dans le plancher, accrocha la lumière de sa lanterne.Winter sebaissa pour regarder de plus près.Un fil était pris entre deux lattes. Il le récupéra avec lapointedesadagueetl'approchadesalanterne.

Unfildesoie.

Il le glissa dans une poche de sa tunique. Il ne trouva rien d'autre. L'endroit avaitmanifestementétédéserté.Ceneseraitpascettenuitqu'ilsauveraitlesenfants.

Wintersortitdelamaison.Dehors,leventsoufflaitdeplusenplusfortetluijetaitdesgouttesdepluieauvisage. Il tenditencore l'oreille,mais iln'entenditque legrincementdel'enseignequibattaitauvent.LesdragonsdevaientpatrouillerdansuneautrepartiedeSaint-Giles.Winteraccrocha la lanterneàsaplaceets'éloignarapidement.Adeuxreprises, il futobligédesecacherdansl'ombrepournepascroiserunautrepiéton.Etunefoisildutmêmegrimper sur un toit afin d'éviter les dragons. Il fit tout cela naturellement et ce n'est quelorsqu'ilseretrouvadansun jardinparfaitemententretenudesbeauxquartiersqu'il réalisaoùiltrouvait.

Ses pieds l'avaient entraîné jusque devant la maison d'Isabel et ses yeux analysaientchaque fenêtrequidonnait sur le jardinpoursavoir laquelleétait celledesachambre.Soninstinct lui jouait des tours. Lady Beckinhall n'était pas de son monde. Probablement necomprendrait-elle jamais ce que représentait Saint-Giles à ses yeux. Mais peut-être setrompait-il.Isabel luiavaitmaintesfoisprouvéqu'elleétaitunefemmepluscomplexequ'ilnel'avaitd'abordpensé.

CommeEveavecAdam,IsabelavaitfaitdeWinterunhommeaccompli.Aucunefemmen'y avait réussi auparavant. Aucune femme n'y réussirait après elle. Leurs différencesn'avaient plus la moindre importance. Elle était la seule femme de sa vie. Et il le luidémontrerait.

Tandis qu'il était dans le jardin, les nuages finirent par déverser des trombes d'eau.Winteroffritsonvisageaudéluge,commesilapluiepouvaitlelaverdetoussesdoutes.

Unelumières'allumaàunefenêtredurez-de-chaussée.Ilétaitplusdeminuit.Peut-êtreétait-ceunvaletquis'offraitunverredebrandyencachette.Oualors,Isabeln'arrivaitpasàdormir.

Quoiqu'ilensoit,illesauraitbientôt.

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12

Labelledameréfléchitlonguementauxparolesdeladésenvoûteuse.Puiselledénouasalonguechevelureblonde,etcoupaplusieursmèchesqu'elletressaenunecordelettetrèsfine.Pendantqu'elleselivraitàcettetâche,ellerepensaitàtouslesmomentsheureuxqu'elleavaitvécusavecl'Arlequin.

Isabel contemplait la bibliothèque soigneusement classéed'Edmund. Sondéfuntmariavaitététrèsfierdesaluxueusecollectiondelivres,alorsmêmequ'iln'enavaitpratiquementlu aucun. Ils étaient une source de réconfort pour la jeune femme toutes ces nuits où lesommeillafuyait.

Ellesoupiraettiraunpetitvolumedepoésieérotiqued'uneétagère.C'étaitassezbanall'auteurserengorgeaittropdesavoirécrire,maispeut-êtrecelal'aiderait-ilàs'assoupir.Elleavaitdéjàessayéunbainchaud,puisdulaitchaudetenfinunverredevin.Ilneluirestaitplusbeaucoupd'autrespossibilités,siellevoulaitdormirunpeucettenuit.

La jeune femme s'installa dans un confortable fauteuil de cuir devant la cheminéeéteinte et elle rassembla ses pieds sous son peignoir. La pièce était un peu fraîche, maisIsabelneresteraitpasassezlongtemps.

Elleouvritlelivreetcommençasalecture.

Lepoèten'avaitpasdûsimalfairesontravail,aprèstout,carlorsqu'ellerelevalesyeuxellen'auraitsudireauboutdecombiendetemps,ellesedemandasiellenerêvaitpas.

Ilétaitlà,àquelquespasd'elle,entenuedeFantômedeSaint-Giles.

Lecœurd'Isabelbonditdejoiedanssapoitrine.Jusqu'àcetinstant,elles'étaitdemandési leurs étreintesn'apportaientpas àWinterqu'un soulagementphysique, commemangerquandonétaitparticulièrementaffamé.Onétait toujourscontentde faireunbonrepaset,l'instantd'après,onn'ypensaitplus.

Mais cette fois, il était venu à elle de son plein gré. Ce qui voulait dire qu'il ne laconsidéraitpasuniquementcommeunsteak.

—Tuesentraindetrempermontapis,luifit-elleremarquer,voyantl'eaudégoulinerdesoncostume.

Ilsedébarrassadesonmasqued'Arlequinetavançad'unpas.

—Tuauraisbesoindefairechangertesserrures.

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Isabelrefermasonlivre.

—Ellesnesontpourtantpasvieilles.

Ilôtaaussisonmasquedevelours,qu'illaissatomberparterre.Puissonchapeau.

—Non,peut-être.Maisellessontplusesthétiquesqu'efficaces.

—Cequiexpliquequetuaiespuentrer?

—Enpartie,acquiesça-t-il,tandisqu'ilsedéfaisaitdesonépéepourladéposerdevantlacheminée.De toute façon, je serais entréquandmême.Mais avecdebonnes serrures, celan'auraitpasétéaussifacile.

Ilcommençadedéboutonnersacombinaison.

—Bah,jen'aipasgrand-chosedevaleuràprotéger.

Illuijetaunregardbrillant.

—Si,toi.

C'étaitterriblementgratifiant.Pourquoisesmotssimplesavaient-ilsplusd'effetsurelleque les flatteries imagées qu'elle avait reçues, par le passé, de la part des gentlemen quivoulaientlaconquérir?

—Pourquoies-tuvenu?

Ils'assitpoursedéchausser.

—Jeveuxquetumemontres.

—Temontrerquoi?

Illevalesyeuxverselle,unebottedansunemain.

—Tout.

Isabelavalasasalive.

—Qu'est-cequitefaitpenserquej'aimeraisêtretonprofesseur?

Ilseraidit.

—Meserais-jetrompé?

Ellepassasalanguesurseslèvres.

—Non.

—Nemeprovoquepas,Isabel,répliqua-t-il,avantdesepenchersursonautrebotte.

—Pourquoicedéguisement?Pourquoies-tuleFantôme?

Ilhaussalesépaules.

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—Parcequepersonnenes'occuped'eux.

—Quicela?

—Lespauvres,lesenfantsdeSaint-Giles,expliqua-t-il,ôtantlehautdesacombinaisonetdévoilantsontorselargeetpuissant.Ilsontenvoyédesdizainesdedragonspourchercherl'assassind'unaristocrate,maisdesdizainesd'enfantsmeurenttouslesmoissansquecelanelesempêchededormir.

—RogerFraser-Burnsbyétaitquelqu'undebien,risquaIsabel.

Ilhochalatête.

—Mais aurait-il battu ses domestiques, séduit des vierges et négligé ses parents, sonmeurtreauraitétévengéaveclamêmeférocité.

Isabel sentait sa colère à travers sa voix et de son regard. Il avait dû arriver quelquechosedepuisqu'ilavaitsautédesavoitureenmarche.

—C'estvrai,acquiesça-t-elle.Maisquevoudrais-tuquefasselasociété?

Il se relevapoursedéfairedesonpantalon. Ilneportaitplusquesoncaleçon,quinecachaitriendesonérection.

—Jevoudraissimplementquelasociétéfassepreuvedeplusdesolidarité.Pourquoiunenfant pauvre vaudrait-il moins qu'un aristocrate ? Je voudrais surtout qu'il n'y ait plusd'enfantsmiséreuxoucrevantdefaim.Nousnepouvonscontinuerànousvoilerlaface.

—Tuparlesderévolution,murmura-t-elle.

—Etalors?Peut-êtreaurions-nouseneffetbesoind'unerévolution?Jesuisfatiguédedevoirsanscessesauverdesorphelins.Jen'enpeuxplusdechercherdesenfantsmaltraitésetdene...

Ilneputcontinuersaphraseetdétournaleregard.

Isabel comprit qu'ils s'approchaient de ce qu'il ressentait au plus profond de lui. Elleaurait voulu le serrer dans ses bras, mais elle se doutait qu'il ne voudrait pas de sacompassion.

—Ques'est-ilpassécesoir?

Ileutunegrimaceamère.

— Je cherchais un atelier clandestin où des enfants kidnappés travaillent dans desconditionsatroces.Maisaprèsdesjoursdetraque,j'aifinalementtrouvél'endroitdésert.Lesenfants m'ont encore échappé. Probablement ont-ils été tous déménagés dans un autreendroit.

Isabelétaitbouleverséeparladétressequ'ellelisaitdanssonregard.

—Tunepeuxquandmêmepasportertoutseulcefardeau,WinterMakepeace.Oualors,ceseraitdetapartunpéchéd'orgueil.

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Touthommeseseraitesclafféetl'auraitraillée.Ilsecontentadefermerlesyeux.

—Çan'empêchepasquejesoisarrivétroptardpoursauvercesenfants.

Isabel pencha la tête. Comment pourrait-elle l'aider, cet homme qui avait décidé deportertouslesmalheursdeSaint-Gilessursesépaules?Quepouvait-elleluioffrir,endehorsdecequ'elleluiavaitdéjàdonnéc'est-à-diresoncorps?

Ellereposasonlivresurlatable.Puis,s'emparantduchandelier,elleallas'agenouillerdevant la cheminée. Le feu avait été préparé par les domestiques. Il n'y avait plus qu'àl'allumer.

—Quefais-tu?demanda-t-il,danssondos.Lefeuprenaitdéjà.Elleseredressa.

—Jepensaisquenousapprécierionsunpeudechaleurpourcedonttuasenvie.

Puis elle laissa tomber son peignoir par terre. Elle ne portait plus sur elle que sachemise de nuit, une composition frivole de soie et de dentelle. Elle la passa pardessus satête,etsedéfitdesesmules.Sibienqu'elleseretrouvanuedevantlui,plustoutàfaitjeunefille,pasencorefemmemûre.Ellegonflasapoitrineetlefixad'unairdedéfi.

Asonregard,ellecompritqu'iln'étaitpasdéçu.Ilsemblaitmêmesouslechoc.

Elles'avançaverslui.

—Queveux-tuexactementquejetemontre?

Illuifitlamêmeréponsequetoutàl'heure:

—Tout.

Delapartd'unautrehomme,cemotauraitsonnéavecemphase.MaispaschezWinterMakepeace.

—Alors,caresse-moi.

Il tendit la main. Sa paume large couvrait parfaitement le sein gauche de la jeunefemme.Illaissasamainimmobileunmoment,avantdeluicaresserl'aréole.

—Commeça?demanda-t-il,leregardrivésurcequ'ilcaressait.

—Oui,c'estbon.Tupeuxmepincerletéton,aussi.Illepinça,unpeutropdoucement.

—Plusfort.

Ilfronçalessourcils.

—Jenevoudraispastefairemal.

—Tunemeferaspasmal,murmura-t-elle.

Cette fois, il lapinça si bienqu'un long frisson laparcourut.Puis il fit demêmeavecl'autresein,avantdesereculer.

—Pourquoi t'arrêtes-tu?demandaIsabel,unpeutropsèchement.Maissa frustration

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étaitdetaille.

—Allonge-toi,luiordonna-t-il.Jeveuxpouvoirmieuxt'admirer.

Isabelétenditsachemisedenuitsurletapisetsecouchadessus.Desoncôté,ilôtasoncaleçon,pours'agenouillerauprèsd'elle,entièrementnu.

Le feu dansait dans l'âtre et donnait des reflets dorés à sa peau. Ses cheveux étaientcoiffésenqueue-de-cheval,commed'habitude,maisIsabelprofitadecequ'il lacontemplaitpourdéfairelacordelettequilesretenait.

Ilsursauta,vaguementsurpris.

Elleluisourit.

—Achacunsontour,dit-elle,passantsesdoigtsdanssalonguecheveluresoyeusequiluitombaitjusqu'auxépaules.

—Jevoudraistecaresser,murmura-t-il.Ette...tegoûter.

Isabelhochalatête,unebouledanslagorge.

Ilsepenchaverselleetapprochaseslèvresdesesseins.Isabelfermalesyeuxquandsalanguerencontrasontéton.Ilsemontraittrèsdoux.Était-ceainsiqu'AdamavaitcaresséEve?Aveclemêmeémerveillement?Lamêmerévérence?

Illuimordillasoudainletétonetlajeunefemmelaissaéchapperunpetitcri.

—Jet'aifaitmal?

—Non!C'estbon...c'esttrèsbon.

Il la regarda un moment, comme, s'il cherchait à analyser sa réaction, avant dereprendresescaresses.Sa languetraçaitdesdessinssursonsein,puissuçotait tendrementuntéton.

Isabelseretenaitdegémir,depeurqu'ilnes'arrêteencorecedontellen'avaitsurtoutpasenvie.

Toutàcoup,ilabandonnasonsein,pourlaregarderdenouveaudanslesyeux.

—Jeveuxtoutdécouvrirdetoi.

—Alors,vas-y,répondit-elle,etsavoixtenaitduronronnement.Jesuisàtoi.

Il traça, du bout du doigt, le contour de ses seins. Puis il continua, en direction del'aisselle,avantdedescendreensuivantl'intérieurdesonbras.

Isabelsetrémoussa.

Ilhaussalessourcils.

—Qu'ya-t-il?

—Tumechatouilles!

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Ileutunsouriremachiavélique,etsoudainementfitremontersesdoigtsjustessouslesbrasdelajeunefemme.

—Ouh!fit-elle,secontorsionnant.

Ils'allongeasurellepourl'empêcherdecontinuer.

—Nebougeplus,luiintima-t-il,saboucheàquelquescentimètresdelasienne.

—Alors,arrêtedemechatouiller.

Il hocha la tête. Puis il se redressa légèrement, comme s'il voulait voir si elle allaitchercheràluiéchapper.

Isabelécartagrandlesbrassurletapisensignederedditionetluisourit.

Illaregardaencoreunmoment,avantd'approcherseslèvresdesonventre.Isabelretintsonsouffle.

—Etlà,çachatouille?demanda-t-il.

—Non,murmura-t-elle.

—Hmm.

Savoixrésonnaitcontreleventred'Isabelet lachaleurdesonsouffleserépandaitsursapeau.

Illuiléchaquelquesinstantslenombril,puiss'aventuraplusbasavecsalangue.

Maisils'arrêtasursonentrejambe.

—Explique-moiquoifaire,dit-il.Jenesaispas.

Isabelécartalescuisses.

—Ilyaunesortedepetitbouton,àlajonctiondemeslèvres.

Ilenfouitlesdoigtsdanssesbouclessombres.

—Là?

Ellefermalesyeux.

—Oui.Caresse-moilà,s'ilteplaît.

Etelleattendit,retenantsonsouffle.Lapièceétaitplongéedansunsilenceseulementtroubléparlecrépitementdesbûches,dansl'âtre.D'autreshommesl'avaientdéjàcaresséeàcetendroit,mais ilsneluiavaient jamaisdemandécomments'yprendre.Dureste, lafiertémasculine était si sensible qu'Isabel n'aurait jamais osé les conseiller sur lamanière de latoucher.

Nimêmeleurdirecequ'ellepréférait.

Finalement,ilapprochamaladroitementsesdoigts.

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Isabelsemorditlalèvre.

—Pourrais-tu...letitiller?

—Commeça?

—Unpeuplusdoucement.

—Etlà?

Elleritenpartiedefrustration.Ils'yprenaitmal.Peut-êtredevrait-elle...

—Isabel,luichuchota-t-ilsoudainàl'oreille.J'aitoutelanuit.Jefiniraibienparsavoircommentfaire.Montre-moi,s'ilteplaît.

Voilàquinemanquaitpasd'honnêteté.Etleplusbeau,c'estqu'ilnesemblaitnullementhonteuxdesonignorance.Ilparaissaittoutsimplement...curieux.

Puisqu'il était capable de parler de ces choses aussi franchement, elle pouvait bienl'imiter.Aprèstout,c'étaitellel'expérimentée.

Elleluipritlamain.

—C'esttoutpetit,delatailled'ungrospois.Etc'esttrèssensible,sionletouchedelabonnefaçon.

Elleleguidaquelquesinstants,avantderetirersamain.

—Commeça?demanda-t-il.

—Oui.Oui,c'est...trèsbon.

—J'aimeteregarder,dit-il.J'aimetesentir.Dieuduciel!

Ellesentitqu'il luiécartaitdavantagelescuisses.Puisqu'il installaitsatêteaumilieu,les bras autour de ses jambes. Ses yeux devaient être juste à hauteur de sa féminité, pourregarder...

Saboucheseposasursonsexeet...

—Jetefaismal?

—Noon!Serécrialajeunefemme,luiempoignantsauvagementlescheveux,sansplussesoucierdepudeur,desophisticationoudebonnesmanières.

Ilapprenaitvite.Etilsavaitfairedesmerveillesavecsalangue.Isabelsecambrasouslacaressehumideets'abandonnaàlajouissanceavecdegrandscris.

Quand elle ouvrit enfin les yeux, il était allongé à côté d'elle, attendant patiemmentqu'ellereprennesesesprits.

Elleluicaressalajoue.

—Vienssurmoi.

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Ilnesefitpasrépéterl'invitation.Isabels'emparadesonsexepourleguiderenelle.

—Maintenant,murmura-t-elle.Maintenant.

Illapénétradoucement,commes'ilseretenait.Isabelsoulevaseshanchespourmieuxvenirverslui.

—Enfonce-toi.

—Jenevoudraispastefairedemal.

—Necrainsrien,lerassura-t-elle,enmêmetempsqu'elleluipinçaitlestétons.Jeveuxtesentirtoutentierenmoi.

Cefut,pourlui,commeunsignal.Ilseretiralégèrement,pours'enfoncerviolemmentenelle.Ilsemitàalleretvenir,avecardeur,lesyeuxrivésàceuxd'Isabel.Quandl'orgasmeleposséda,illafixaittoujours,deceregarddouloureusementbienheureux.

Puis,quandcefutterminé,ilcontinuadelaserrertrèsfortdanssesbras,commes'illavoulaitsiennepourtoujours.

Isabeldéglutit.«Pourtoujours»n'étaitpaspoureux.

Plusrienn'agitaitl'espritdeWinter.Plusaucunepenséeneletraversait.Étendusurletapis, il se contentait de ressentir le relâchement de tous sesmuscles. Et la chaleur de lafemmeallongéeàsescôtés.

Ilavaitlesentimentdevivreunvéritablemomentdepaix.

Isabelluicaressaletorse.

—Winter?

—Hmm?

—Commentes-tudevenuleFantômedeSaint-Giles?

Ilouvritlesyeuxetlessouvenirsaffluèrenttoutàcoup.

—C'estquelqu'unquim'aappris.SirStanleyGilpin.

La jeune femme se redressa sur un coude pour accrocher son regard. Ses cheveuxétaientencoreretenuspardesépingles,etWinteréprouval'enviedeleslibérer.

—Queveux-tudire?

—SirStanleyétaitungrandamidemonpèreetlepremierbienfaiteurdel'orphelinat,jusqu'à ce qu'ilmeure, il y a deux ans de cela. Sir Stanley était veuf.Quand j'étais petit, ilvenait souvent à la maison pour parler religion et philosophie avec mon père. Ils seconnaissaientdepuisl'enfance.Maisilsétaienttrèsdifférentsl'undel'autre.

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—Dequellemanière?

—Monpèreétaitquelqu'undetrèssérieux,répondit-il,toutenluiôtantunepremièreépingledesacoiffure.

Ellesourit.

—Commetoi.

Ilhochalatête.Ets'attaquaàunedeuxièmeépingle.

—Oui,commemoi.Iltravaillaitbeaucoup.Etl'argentqu'ilavaitpuéconomiserpassaitdansl'orphelinat.Ilétaitconvaincuquel'ondevaitdévouersavieàaiderlesautres.

LajeunefemmecroisalesmainssurletorsedeWinteretposasonmentondessus.

—EtsirStanley?

—Monpèreaimaitsonami,maislejugeaitfrivole.SirStanleyaimaitliredesromansetdelapoésie.Ilappréciaitégalementlethéâtreetl'opéra.Ilavaitmêmeécritquelquespièces.Pastrèsbonnes,jedoisdire.

Isabelsourit.

—Apparemment,c'étaitunbonvivant.

LamaindeWinter se figeaun instantdans la chevelurede la jeune femme. Iln'avaitjamaisconsidérésirStanleysouscetangle.

—Peut-être. En tout cas, il était l'opposé de papa. Et quand j'étais petit, je l'admiraisbeaucoup.

Iléprouvaitunecertaineculpabilitéàdirecelamaisquin'étaitpasnouvelle.Sonpèreavaiteutouteslesqualitésc'étaitunhommepieux,travailleuretgénéreux.Encomparaison,sirStanleyauraitpupasserpourunexcentriqueunpeuflamboyant.

—Cedoitêtredifficiledenepasêtreattiréparuntelhomme,luiditIsabel.

Winter la regarda. Avait-elle deviné son sentiment de culpabilité ? Il retourna à sonhistoire:

—SirStanleyavaitétéuninvestisseurtrèsavisé,danssajeunesse.Ilavaitfaitfortunedans lenégoce,par l'intermédiairede laCompagniedes Indesorientales.Plus tard, jecroisqu'il apossédéun théâtre.Quoiqu'il en soit, àdix-sept ans,quand je suis venuaidermonpèreàl'orphelinat...

Lajeunefemmeseredressasubitement.

—Tuascommencésijeune?

Winterluiavaitdéfaittouteunemèchedecheveux,etiljouaitavec.

—Oui,pourquoi?Beaucoupdegarçonsontdéjàuntravail,àcetâge-là.

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Ellefronçalessourcils.

— Oui, bien sûr. Mais... avais-tu eu ton mot à dire, avant de venir travailler pourl'orphelinat?

—Tumedemandessij'avaisenvisagéd'abandonnerlesenfantsqui...

—Winter,jen'aipasditcela!

—Maislerésultatauraitétélemême.Ellepritunairmutin.

Winterôtauneautreépingledesachevelure.

—Siçapeutterassurer,j'aitoujoursaimémontravailàl'orphelinat.

—Maissitunel'avaispasaimé?

—Jel'auraisaimédetoutefaçon.Ilfallaitbienquequelqu'uns'encharge.

Elleposadenouveausatêtesursontorse.

—Nousenrevenonsàlamêmeéternellequestion,dit-elle.Pourquoifaut-ilprécisémentquecelasoittoi?

—Etpourquoipas?Maintenant,veux-tucontinueràargumenteràl'infini,oupréfères-tusavoircommentjesuisdevenuleFantômedeSaint-Giles?

Elleeutunepetitegrimaceadorable.

—LeFantôme!Winterhochalatête.

— Trois ou quatre mois après que j'ai commencé à travailler pour l'orphelinat, un...incidents'estproduit.

Ilseconcentraquelques instantssuruneautreépingle.Elleattenditpatiemmentqu'ilreprenne:

— J'avais été envoyé récupérer un enfant devenu orphelin après lamort de son père.Quand je suis arrivé à l'adresse où il avait vécu avec sonpère, lemalheureux était déjà entraind'êtrevenduauxenchèresparunpourvoyeurd'enfants.

—Oh,monDieu!

Oui, « Oh, mon Dieu ! ». Winter se souvenait encore avec émotion de la douzained'hommesassemblésdanslapetitepiècemisérableetdupetitgarçonterrorisé.

—Ques'est-ilpassé?

—J'ai essayé d'interrompre la vente aux enchères, bien sûr.Mais ilsme sont tombésdessus.Jen'aipaspusauverl'enfant.

— Oh, Winter, murmura-t-elle, avant de l'embrasser sur le visage. Je suis désolée.Désolée.

Winter la tint fermement afin de l'embrasser plus fougueusement. La tristesse qu'il

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avaitéveilléeparsonrécitsediluaitunpeu-seulementunpeu-danslebonheurdel'instantprésent.

Ilabandonnaleslèvresdelajeunefemmeàcontrecœur.

—Merci,luidit-il.

—Tun'auraisjamaisdûaffronterunechosepareilleenétantsijeune!

Elleétaitpresquefurieuse.

—Etlepetitgarçon?

Safureurnefitqu'augmenter.

—Luipasdavantage.

Winter sourit tristement. Ne savait-elle donc pas que des « choses pareilles »survenaienttouslesjours,àSaint-Giles?

—Quoiqu'ilensoit,sirStanleyfutinformédelanouvellequandilvintrendrevisiteàmonpère.Ilmepritalorsàpartetmedemandasij'aimeraisapprendreunefaçonhonorabledemedéfendreparmoi-même.Jeluirépondisoui.

SirStanleyn'avaitpasloindesoixanteansàl'époqueetWintersesouvenaitencoredelagravitédesonvisagelorsqu'illuiavaitposécettequestion;sirStanleyd'ordinairesijovial.

Ilôtaladernièreépingledescheveuxd'Isabeletpassaunemaindanssachevelurepourleurdonnerduvolumeavantdepoursuivre:

— Sir Stanley m'invita chez lui. Et pendant plus d'un an, il me donna des leçonsd'escrime,etm'appritdiversesfiguresacrobatiques.C'étaitunmaîtretrèsrigoureux.

—Tonpèreétaitd'accord?

—Ilnesutjamaiscequej'allaisfairechezsirStanley,réponditWinterenhaussantlesépaules.Monpère était très occupépar sabrasserie et par l'orphelinat. Jepensequ'il étaitcontent que sir Stanley s'intéresse à moi. Et puis, avec sir Stanley nous étions tombésd'accordpournepasentrerdanslesdétails.

Lajeunefemmetiqua.

—WinterMakepeace,aurais-tumentiàtonproprepère?

Ilrougitlégèrement.

—Cen'étaitpasbiendemapart,jesais.Ellesouritetdéposaunbaisersursonnez.

—Jecroisquejetepréfèrequandtutedévergondesunpeu.

—C'estvrai?Pourtant,ilfautbienquejemecontrôleunminimum.

—Pourquoidonc?

—Meverrais-tuhanterlesruesdeSaint-Gilesàlamanièred'unebêtelubrique?

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—Non!Detoutefaçon,teconnaissant,jenecroispasquecelapourraitarriver!

—Sait-onjamais.Lefonddemonâmeestnoir.

—Lefameux«cul-de-basse-fosse»donttum'avaisparléunefois?

Ilgrimaça.

—Oui.Tum'asdemandéunjourpourquoimessœursnes'étaientpasinvestiesautantquemoidansSaint-Giles.Jepensequec'estparcequejeréagisdefaçonépidermiqueàcequisepassedanslequartier.Ilsuffitqu'ons'enprenneinjustementàquelqu'un-unadulteouunenfant-devantmesyeuxpourquej'aiedesenviesdemeurtre.

—Maistunelestransformespasenacte.Ilsecoualatête.

—Non.Parcequejecombatscetteenvie.Etquejenem'enprendsjamaisqu'àceuxquileméritent.

—As-tu...as-tudéjàtuéquelqu'un?

—Non.J'aifailli,plusieursfois.Maisjemesuistoujoursretenu.

Isabelluienlaçaletorse.

—Ettucontinuerasàlefaire,j'ensuissûre.Tanoirceurnem'effraiepas,Winter.Parcequ'aufonddetoi,tuesquelqu'undebien.Tuesanimépardebonssentiments.

Ileutunsourireamer.

—Beaucoupdegenss'imaginentaucontrairequejeneressensriendutout.

—C'estparcequetut'estoujoursingéniéàcachertesémotions.Pourtant,ellesnesontpastoutesnoires,loindelà.

Avait-elle raison?Winter contemplaunmoment leplafondde labibliothèque. Isabelétaitune femme très intuitive.Mais si elle se trompait, s'il allait...non, le risqueétait tropgrand.

—Parle-moiplutôtdetoncostumed'Arlequin.D'oùletires-tu?

—C'étaituneidéedesirStanley,expliqua-t-il,ravidepouvoirchangerdesujet.Danssajeunesse,ilfutaussileFantômedeSaint-Giles.

Elleseredressaànouveau.

—Quoi?Ilyenaeuplusd'un?

— Oh oui, confirmaWinter, qui s'amusait de son incrédulité. En fait, la légende duFantôme de Saint-Giles est très ancienne. Elle date d'un bon siècle, au moins. Peut-êtredavantage.SirStanleys'estsimplementemparédelalégende.Sonamourduthéâtreluiavaitinspirélecostumed'Arlequin.Lesgensneveulentvoirquecequ'ilsveulentvoir,merépétait-il souvent. Si l'on se présente à eux comme une figure spectrale et que l'on fait mine deposséderdespouvoirsextraordinaires, ils sepersuaderontd'avoirvuunvrai fantôme.C'est

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d'ungrandavantage,quandilfautsebattre.Parfois,mesadversairessonttellementeffrayésparmonmasqueetmoncostumequ'ilsdétalentsansdemanderleurreste.

—Hmm,murmura Isabel, quidessinait avec sondoigtdes cercles autourdu tétondeWinter.

Les caresses de la jeune femme lui provoquèrent une nouvelle érection. Winter sedemandaquelleseraitlaréactiond'Isabel.Serait-elleeffrayée?

— Et donc, reprit-elle, le jour, tu diriges l'orphelinat et la nuit, tu hantes les rues deSaint-GilesdéguiséenFantôme.C'estbiencela?

Ilfronçalessourcils.

—Pastouteslesnuits,quandmême.

—Non,biensûr.Jemedoutequ'ildoit t'arriverdedormiraumoinsuneoudeux foisparsemaine,soupira-t-elle.Vas-tucontinuerlongtempsainsi?

—Aquoifaire?AcourirlesruesdeSaint-Gileslanuit?

—Supposeque tu sois blessé,Winter !D'ailleurs, que s'est-il passé, après que tu t'esenfuidechezmoiavectacuissebandée?

Winterhaussalesépaules.

—Jesuisrentréàl'orphelinatetjemesuisreposé,commelesautresfois.

—Commelesautresfois?répéta-t-elle,soudainfurieuse.

Wintercompritqu'ilavaitcommisuneerreur.

—Winter,combiendefoisas-tuétéblessé?

—Oh,pastantqueça.

Bizarrement, la colère de la jeune femme ne tempérait en rien son ardeur. Bien aucontraire.Cependant,toutnovicequ'ilétaitencequiconcernaitlesplaisirsdelachair,ilsedoutait qu'il aurait de plus grandes chances de lui refaire l'amour si elle redevenait demeilleurehumeur.

—Combiendefois?Insista-t-elle.

—Trois,peut-êtrequatre.

Enréalité,iln'auraitpassudireavecprécisionlenombredeblessuresqu'ilavaitreçuesentantqueFantôme.

—Winter!Serécria-t-elle,horrifiée.Tudoisabsolumenttrouverunmoyenderenonceràcetteactivité.Sinon,tuvasfinirparylaissertapeau.

Winterluipritlamainetlaportaàseslèvrespourl'embrasser.

—Chuut.Jesuisbienentraîné.Etjefaisaisdéjàcelabienavantdeterencontrer,Isabel.

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—Ne repousse pasmes inquiétudes comme si elles n'étaient quedu vent, répliqua-t-elle,enagitantsonautremain.

Winters'enemparaégalement.

—Isabel.

—Winter,tudois...

Il était fatiguéde cette conversation stérile.Aussi, tirant la jeune femmepar lesdeuxbras,ill'attiraàluipourl'embrasser.Ellevoulutd'abordrésistermaisserenditavecunpetitsoupir et ouvrit la bouche. Les lèvres se joignirent en un baiser fougueux. Winter laissaéchapperungrognementdesatisfaction.Cettefemmeluiôtaittouteraison,toutevolontéettoute civilité. Avec elle, il n'était capable que de deux choses : ressentir et réagir. Et sonérectionétaitsipuissantequ'elleenétaitpresquedouloureuse.

Ilavaitbesoind'Isabel.Unbesoinviolent.

Probablementdevina-t-elleàquelpointilladésirait,carelleluitapotalajoue,commesiellecherchaitàconsolerunpetitanimal,etellemurmura:

—Chuut.J'aicequ'iltefaut.

Leraillait-elle?Peuimportait,detoutefaçon.Ilavaittropbesoindesatisfairesondésir.

La jeune femme s'accroupit sur lui pour s'empaler sur son sexe. Winter se morditl'intérieurdelajouepournepasjouiraucontactdeseschairs.Ilnevoulaitpasquecelaseterminetropvite.

Ellesemblaitperduedanssonpropreplaisir, la tête renverséeenarrière, sasplendidechevelurecascadantdanssondos.Cespectacleluiinspiraitdespenséesprimitives.C'étaitsaqueuequ'ellechevauchaitainsi.Saqueuequilamettaitdanscetétat.Sansdoutepensait-ellequ'ilnes'agissaitqued'uneétreintepurementphysique,maisWinter,lui,estimaitquecettefemmeétaitsiennedorénavant.Illuiavaitexpliqué,unefois,cequesignifiaitpourluil'actecharnel.C'étaitl'uniondedeuxcorps,maisaussidedeuxâmes.Etpourtoujours.

Toutefois,siellenevoulaitdeluiquepourlesexe,ilsauraitluidonnerassezdeplaisirpourqu'elleseretrouvedépendantedelui.

Iltenditlesmainsetluicaressalesseinsdelamanièrequ'elleaimait.

Elleleregarda.

—Essaierais-tudereprendrelecontrôle?

—Tun'aslecontrôlequeparcequejel'aibienvoulu.

—Alors,regarde.

Elle se cambra en arrière, posa sesmains à plat sur les cuisses deWinter, y prenantappui. Dans cette position, il pouvait voir sonmembre s'enfoncer et ressortir de sa fente.Wintercontemplaitcespectaclequiluiprocuraitunsentimentd'infiniepuissance.

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—Çateplaît?

Ilhochalatête.Cettefemmemenaçaitdelerendrefou.Aussi,sansréfléchir,lasaisit-ilauxhanchesafinderenverserlasituation.Elleseretrouvaallongéesurledos,luiau-dessusd'elle.

—Atontourderegarder,luidit-il.

Ellebaissalesyeuxlàoùleursdeuxcorpss'imbriquaientl'undansl'autre.Winterretiralentementsonmembre,trèslentement,presquejusqu'aubout.Puisillapénétraavecforce,jusqu'àcequeleursdeuxpubissefrottent.

—Çateplaît?

—Oh,monDieu,oui!Recommence,Winter,s'ilteplaît!

Avecplaisir.

Ilrépétalamêmedélicieusemanœuvre.Etencore,etencoreetencore.

Jusqu'àcequ'ellegémissesansdiscontinuer.Jusqu'àcequ'ilsoitincapabledeseretenirpluslongtemps.

Quandilseurentfaitl'amour,elleleregardaavecsesbeauxyeuxbleusetelleluicaressadoucementlajoue.

Alors,ilsut.

Ilsutquecesoirilavaitfaitd'ellelamèredesesenfantsmaisaussilafemmedesavie.

13

Ensuite, labelledamepritunepetitefioleenverreets'assit.Elleréfléchitàcequel'Arlequinreprésentaitpourelleetcombien il luimanquait.Ces tristespenséesvoilèrentsesyeux.Les larmesroulèrentsursesjouesetlabelledamelesrecueillitsoigneusementdanslapetitefiole.

Il faisait encorenuit quand Isabel remontadans sa chambre.Mais l'aubene tarderaitplus à se lever. Elle était restée allongée contre Winter après une dernière étreinte,s'assoupissant de temps à autre, mais surtout savourant leur intimité. Quand il s'était

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finalement décidé à se rhabiller, elle n'avait pas eu envie de quitter la bibliothèque. C'estuniquementl'idéequelesdomestiquesauraienttrouvéétrangequ'elleaitpassélanuitlàquil'avait décidée à s'activer. Isabel avait confiance en son personnel qu'elle payait très biend'ailleursmais,aprèstout,ilsn'étaientquedeshumains.Ilétaitpréférabledenepasnourrirdavantage leuramourdes ragots.Le sauvetage,àdeux reprises,duFantômedeSaint-Gilesavaitdéjàdûleurdonnerlargementmatièreàcommérages.

Ilétaittroptôtpourquelesfemmesdechambresoientdéjàlevées,maisquelqu'unsetrouvaitdevantsaporte.Christopher.

Lajeunefemmes'arrêta,perplexe.Ilyavaitbiensûruntapispourrecouvrirleplancherducouloir,maiscelan'avaitriend'unlitconfortable.Pourtant,legarçonnets'étaitcouchélà,recroquevillésur lui-même,commeunepetitesouris.Ilsemblaitsipetitdanssonsommeil presque un bébé ! Il avait les cheveux châtain clair de samère et Isabel s'aperçut, en lecontemplant, qu'il avait hérité du nez et du menton de son père. En grandissant, ilressembleraitàEdmund.

La jeune femme soupira. Personne n'était encore levé. Carruthers devait dormirtranquillementdanssonlit.Alors,ellesepenchapourprendrel'enfantdanssesbrasunpeumaladroitement,carellen'yétaitpashabituée.Etelleledéposasursonlit.

Christopherclignadesyeux.

— Il est là ? demanda-t-il, d'une voix si endormie qu'Isabel n'était pas sûre qu'il fûtcomplètementréveillé.

—Quidonc?

—LeFantôme, répondit-il, cette fois d'une voix plus claire. J'ai rêvé qu'il venait voussauver,milady.

Isabelneputs'empêcherdesourire.

—Mesauverdequoi?

—J'airêvéquevouspleurieztoutenhautd'unegrandetouretqueleFantômearrivaitpourvoussecourir.

Quelétrangerêvepourunsipetitgarçon!SongeaIsabel.

—Cen'étaitqu'unrêve,Christopher.Jesuissaineetsauve.

Ilhochalatête,avantdebâilleràs'endécrocherlamâchoire.

—Alorsc'estqu'ilestvenuvoussauver.

Isabel ne sut quoi répondre à cette logique imparable. De toute façon, Christophers'étaitdéjàrendormi.

La jeune femme le regarda longtemps cepetit garçonqu'elleavaitbeauchassermaisquirevenaittoujours.Cetoutpetitgarçonquiluiréclamaitunamourmaternel.Etsesyeuxs'embuèrentsoudainde larmes.EllesesouvintdesparolesdeWinter :Sicen'estpasmoi,

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alorsqui?Peut-êtrepourrait-elleoffriràcetenfantcequ'ilréclamait.

ElleposaunbaisersurlefrontdeChristopher,puiss'allongeaàcôtédeluidanslelit.

WinterregardaitPeachdormiretilsedemandaitquoifaired'elle.Ilnesavaitpasgrand-chosede la situationdes juifsàLondres, sinonque leurprésenceétait enprincipe illégale.Unesolutionétaitdeconvertirlafilletteetdel'élevercommeunebonnechrétienne.Maissaconscience se rebellait à l'idée de lui imposer un changement aussi radical. Une autresolution,àpeinepréférable,seraitdel'obligeràmentirtoutesavie.

Aumoinsparaissait-elleenbienmeilleuresantéquelorsqu'ill'avaitrecueillie.Sesjouesétaientmoinscreusesetavaientreprisdebellescouleurs.Elleparaissaitmêmeavoirunpeugrandi.Dodoétaitcouchéecontreelle,commesiellevoulaitprotégersapetitemaîtresse.EllejetaitàWinterdesregardsméfiants,maisellenegrognaitplusaprèslui.

Winterreportasonattentionsurletroisièmeoccupantdupetitlitetqui,fautedeplace,dormaitavecunejambependantdanslevide.

—Joseph.

JosephTinboxouvritpéniblementlesyeux.

—Que...

—Quefais-tudanslelitdePeach?l'interrogeaWinter.

Legarçonnetseredressa.

—Peachafaituncauchemar.Winter,sceptique,haussaunsourcil.

—Uncauchemar?

—Oui,assuraJoseph,quiétaittoutàfaitréveilléàprésentetquiprenaitsonairleplusinnocent.Jenepouvaisquandmêmepaslalaisserdormirtouteseule,aprèsça,ajouta-t-il.

—Ettuasentenduqu'ellefaisaituncauchemardepuistonlitdansledortoir?

Josephouvrit labouchepourrépondre,avantderéaliserqu'ilyavaiteffectivementunproblème.Ilétaitimpossibled'entendrelemoindrebruitprovenantdel'infirmerie,depuislesdortoirs.Ilbaissalatête.

—Ellem'aconfiéqu'ellefaisaitdescauchemars.

Wintersoupira.L'attitudeprotectricedecegarçonn'étaitpasàblâmer,mais...

—Tuesarrivéàunâge,Joseph,oùiln'estplusconvenablequetudormesdanslemêmelitqu'unefille.Quellesqu'ensoientlesraisons,aussinoblessoient-elles.

Il devina, au regard de Joseph, que celui-ci ne comprenait pas de quoi il parlait.Malheureusement,lemondeétaitainsifaitquelesgensconcluaienttoujoursaupire.

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—Viens, Joseph,dit-il, en tendant lamain.Peach est assez grandepourdormir touteseule.Etpuis,elleaDodopourlaprotéger.

—Dodon'estqu'unechienne,monsieur.Ellenepeutpas lui répondre,quandPeachabesoindeparlerdecequiluiestarrivé.

—C'estvrai, tuasraison,concédaWinter.Danscecas,nouspourrionspeut-êtrenousentendresuruncompromis.Quedirais-tudecoucherdans le litd'àcôté?Commecela, tupourrais converser avec elle quand elle le désire. Et tu dormirais quand même plusconfortablement.

Josephméditalapropositionaveclasolennitéd'unjugedevantrendresonverdict.

—Oui,jepensequeçadevraitmarcher.Ildescenditdulitetbâilla.

Winterrepritsachandelleettournalestalons.Lejournetarderaitpasàselever.MaisJosephleretint:

—Monsieur?

—Oui?

—Oùallez-vous,lanuit?

Winterseretourna.Josephl'observaitd'unregardpénétrant,troppoursonâge.Toutàcoup,Winterfutfatiguédementir.

—J'essaiederedresserlestorts.

Ils'attendaitàd'autresquestions-d'ordinaireJosephn'étaitjamaisavaredequestions,etsaréponseétaittropénigmatique.Maislegarçonnetsecontentad'acquiescer.

—Vousm'apprendrez,unjour?

Winterécarquillalesyeux.Luiapprendreà...Saconscienceserebellaitàl'idéed'exposerJosephaudanger.Maisd'unautrecôté,sileFantômedevaitsechoisirunapprenti,nulautrecandidatneconviendraitmieuxquelecourageuxJosephTinbox.

—Jevaisyréfléchir,répondit-il.

Josephbâillaencore.

—MercidemelaisserresteravecPeach,monsieur.

Winterfaillitêtresubmergéparl'émotion.

—Merci de veiller sur elle, Joseph, murmura-t-il, avant de quitter l'infirmerie et derefermerlaportederrièrelui.

—Oùallons-nous?demandaimpatiemmentChristopher,lelendemainaprès-midi.

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—Dansunendroitoù ilyabeaucoupd'enfants,répondit Isabel.Tuentrouverasbienunoudeuxpourjoueravectoi.

Christophe!nesemblaitpastotalementconvaincu.

—Vouscroyezqu'ilsm'aimeront?

Isabelsentitsoncœurseserrer.Mueparuneimpulsion,elleavaitemmenéChristopheravecellepourserendreàl'orphelinat.Ilavaitétésiheureux,cematin,deseréveillerauprèsd'elleetdevoirqu'ellene legrondaitpas.Isabelavaitpenséqu'ilapprécierait lacompagnied'autres enfants de son âge, mais que savait-elle des enfants, après tout ? Peut-êtrecommettait-elleunegraveerreur?Christopherparaissaitsianxieux.C'étaitcompréhensible:il n'était jamais en contact avec d'autres enfants. Louise n'avait pas de famille et ses amisn'avaientpasd'enfants.Jusqu'àprésent,Christopheravaitconnuuneenfanceplutôtsolitaire.

Isabel n'était pas sa mère, mais elle n'en éprouvait pas moins un sentiment deculpabilité.Elleauraitdûs'apercevoirplustôtqueChristopherétaittropseul.Enfait,c'étaitgrâceàWinterqu'elleenavaitprisconscience.Depuisqu'ellelefréquentait,elleapprenaitàregarderlemondeetsapropreexistenceautrement.Cetteconstatation,dureste,lamettaitmalà l'aise.Car leur liaisonn'étaitpasdestinéeàdurer.Tôtoutard,Isabeldevraitprendresesdistancesd'avecWinter.Maispourl'instant,plusellepassaitdetempsavecluietplusillaséduisait.

Lajeunefemmefrissonna.Elledevinaitqueleurséparationneseraitpasfacile.QuitterWinterseraitcommes'arracherunepartied'elle-même.

—Milady?LapressaChristopher,quiattendaittoujourslaréponseàsaquestion.

Isabelluidécochaunsourirequisevoulaitréconfortant.

—Jenepeuxpasrépondreàleurplace,maissituesgentilaveceux,ilsn'aurontaucuneraisondenepast'aimer.

Christophernesemblaitqu'àmoitiérassuré.Isabelsoupiraintérieurementetsetournaverslavitre.Winterluireprocheraitprobablementd'êtrevenueavecChristopher.

Mais quand elle arriva à l'orphelinat, une demi-heure plus tard,Winter avait d'autrespréoccupations plus urgentes. Il conversait avec le capitaine Trevillion sur le perron del'établissement.

Isabelsedépêchadelesrejoindre.

—Bonjour,messieurs,lança-t-elle.

Le capitaine Trevillion souleva son chapeau et se pencha sur sa selle pour la saluer.MaisWinterne luiaccordaqu'unbref regard,ainsiqu'àChristopher,avantdereportersonattentionsurl'officierdesdragons:

—Comme je vous l'ai dit, capitaine, jen'ai pas aperçuune seule fois leFantômehiersoir.

Isabels'alarma.Trevillionnourrissait-ildessoupçons?

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—Lesenfantsm'ontexpliquéquevousétiezrentrétard,insistaTrevillion,cequinefitqu'inquiéterdavantagelajeunefemme.Vousdevezaumoinsavoirentenduquelquechose?

—Des coups de feu, réponditWinter.Mais j'ai pour habitude dem'éloigner de toutesourcedeviolence,capitaine.

LecapitaineTrevilliongrognad'unairdépité.

—LeFantômeatuéungentleman,hiersoir.J'imaginequevousêtesdéjàaucourant.Etj'aimerais que vous nous alertiez, moi ou mes hommes, si jamais vous apprenez quelquechoseàcesujet.

—Vousavezmaparole,assuraWinteravecgravité.Lecapitainehochalatête.

—Parfait,dit-ilensetournantversIsabel.Jesupposequevousn'ignorezpasdavantagelanouvelle,milady?Saint-Gilesn'estpasunendroitpoursepromener,encemoment.

Isabelluisourit.

—Jevousremerciedevotresollicitude,capitaine.Maismonvaletm'accompagne.

ElledésignaHarold,restéprèsdelavoiture.

—Est-ilarmé?interrogeal'officier.

—Toujours,luiassuraIsabel.

—Bien,maisveillezàquitterlequartieravantlatombéedelanuit,ordonnalecapitaineTrevillion,commes'ils'adressaitàl'undesessoldats.

IltiralabridedesonchevaletlançaàWinter:

—Quantàvous,monsieurMakepeace,n'oubliezpasvotrepromesse.

Là-dessus,ils'éloignaautrotsansmêmeattendreleursréponses.

WintersetournaversChristopher,quipendanttoutl'échangeavaitregardél'officieretsonuniformeimpressionnantavecdesyeuxronds.

—Es-tuvenuvisiterlamaison,Christopher?

—Oui, acquiesça l'enfant, s'accrochant timidement aux jupes d'Isabel.Miladym'a ditqu'ilyauraitd'autresenfantsavecquijepourraisjouer.

—C'estexact,confirmaWinter.EtilgratifiaIsabeld'ungrandsourire,quiluiréchauffalecœur.JesuisraviquetuaiesaccompagnéladyBeckinhall,ajouta-t-il.

PuissepenchantversIsabel:

—Êtes-vouslàpourcontinueràm'apprendrelesbonnesmanières,milady?

—Non,pasaujourd'hui.Vousenauriezpourtantbesoin.Jevousrappellequ'hiersoir,vousêtespartidubalsansvousdonner lapeinedesaluerquiquecesoit.Mais jesupposequ'après... (Elle coulaun regard endirectiondeChristopher)... après ce qui est arrivé àM.

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Fraser-Burnsby,votreduelmondainaveclordd'Arquéseraremisàunedateultérieure.

—Votremissionestbiendélicate,milady, ironisaWinter,avantd'ouvrir laporteetdelesinviteràl'intérieur.

—Hmm,s'étranglaIsabel,lesyeuxauciel.

Elle était de trop bonne humeur, cet après-midi, pour se disputer avec lui.Winter fitsigneàHarold:

—Lacuisinièreapréparédesbeignets,sicelavoustente.

—Volontiers,monsieur.

Levaletpritladirectiondescuisines.ChristopherlançaàWinterunregardexplicite.

—Oui,jecroisquenousprofiteronsaussidesbeignets.Maisallonsd'abordvoircequefontlesenfants.

Christopherparutàlafoisexcitéetunpeuangoisséparcetteproposition.Ilneditrien,maisils'emparadelamainqueluitendaitWinterlequeléchangeaunregardavecIsabel.

Ils gagnèrent la salle de classe. C'était l'heure du thé, et chaque enfant était attablédevantunetassedethéetunbeignet.

—Nousarrivonsaubonmoment,commentaWinter.

Touteslestêtessetournèrentversluietunchœurdevoixluirépondit:

—Bonneaprès-midi,monsieurMakepeace.

—Bonneaprès-midiàvousaussi,lesenfants,réponditWinter.

Puis,désignantunetablelibre,ildemandaàIsabel:

—Voulez-vousvousjoindreànous,ladyBeckinhall?

Lajeunefemmeacquiesçaavecungrandsourire.

Winter s'assit à côtéd'elle et lui servitune tassede thé,dans laquelle il ajouta lait etsucre.Christophers'installafaceàeux.Sapostureétaitunpeuraideetilnetouchapasàsatassedethé.Enrevanche,illorgnaitsonbeignetavecenvie.

—C'esttamère?luidemandaungarçon,quiavaitàpeuprèssonâge.

ChristopherjetaprudemmentunregardàIsabel,avantderépondre:

—Non.

—Tuasunemère?luidemandaalorslegarçon.

—Oui.Ettoi?

— Non. Aucun de nous n'en a une. C'est pour cela que nous vivons ici, dans cetorphelinat.

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—Oh,fitChristopher.Ilparutméditerunmomentcetteréponse,avantdesesaisirdesonbeignetetdemordrededans.Maisjen'aipasdepère.

Legarçonhochalatête.

—Moinonplus.Çatediraitdevoirunesouris?Christopherparaissaittrèsintéressé.

—Oui,jeveuxbien.

—HenryPutnam,ditWinter.

—Oui,monsieur?réponditd'unairinnocentlegarçonquiavaitparléàChristopher.

—J'espèrequelasourisestendehorsdelamaison?HenryPutnambaissalesyeux.

Wintersoupira.

—Alors,aprèslethé,ceseraitbienquetul'emmènesdehors.AvecChristopher.

HenryPutnamhochavigoureusementlatête.

—Oui,monsieur.JosephChancenousaidera,aussi.C'est luiqui l'asauvéedesgriffesdeSoot.

Untroisièmegarçonleursourit,unmorceaudebeignetdanslabouche.

Cinqminutesplustard,IsabelregardaChristophertrotterhorsdelapièceavecsesdeuxnouveaux camarades. Les autres enfants sortirent également. C'était l'heure des exercicesphysiquesdanslacour.

—Tuessibonpoureux.

—Cen'estpascompliqué.Ilsuffitdelesécouteretdelestraiteravecrespect.

—C'estpeut-être facilepour toi.Pourmapart, jem'inquiète toujoursdeceque je lui

dis.Oudecequejeneluidispas.Ilhochalatête.

—Jepensequetouteslesmèressesoucientdelafaçondontellesélèventleursenfants.

Lajeunefemmefronçalessourcils.

—Jenesuispassamère.

—Non,biensûr.Maisaujourd'hui,tul'asamenéavectoi.Ladernièrefoisquejevousaivusensemble,tuluiavaisordonnédesortirdetachambre.Qu'est-cequiachangé?

—Jenesaispas.Peut-êtretasaintetéest-ellecontagieuse?

Illaregarda,sansriendire.Isabelsoupira.

—Oupeut-êtresuis-jelasséedenousfairedumalàtouslesdeuxenlerepoussantsanscesse.

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Ilsourit.Sonsourireétaitchaleureux.

—Quoiqu'ilensoit,jesuisraviquetul'aiesamené.

Elle haussa les épaules, mal à l'aise, avant de parcourir la salle du regard. Sonameublementselimitaitauxtablesetauxbancsutilisésparlesélèves.Etàuneseuleétagèredelivres.L'und'euxdépassaitlesautresenhauteurprobablementuneBible.

—CettepièceestunpeuSpartiate,dit-elle.N'ya-t-ilriendanslescaissespourladécorerunpeu?

Winterparutsurpris.

—Quevoudrais-tuchanger?

—Cen'estpasàmoide...commença-t-elle,avantdesecouerlatête.Jemettraisuntapispar terre, pour commencer. Le carrelage doit être glacial en hiver. Je mettrais aussi desimagesauxmurs.Etdesrideauxauxfenêtres...

Elles'interrompit,voyantqu'ilsouriait.

—Pourquoimeregardes-tuainsi?

—J'admirelafaçondonttusaisrendreaccueillantunintérieur.

Elles'esclaffa.

—Cen'estpassorcier.

Ilsétaientseulsdanslapièce.Winterl'attirasoudainàluipourl'embrassersonbaiserfutfurtif,maisintense.

—Voudrais-tufairedecetorphelinatunemaison,Isabel?luidemanda-t-il,alorsqu'ellereprenaitsonsouffle.

Ellehochalatête,sansunmot.Saquestionsignifiait-elledavantage?

Ce soir-là, Isabel ne savait pas si elle devait s'attendre ounon à sa visite. CarWintern'avaitpasmanifesté endehorsdecerapidebaiserdans lasalledeclasse lesouhaitde larevoirentouteintimité.

Cependant,elledescenditdanslabibliothèquedèsquelesdomestiquesfurentcouchés.Etellesepromenadevantlesrayonnagesdelivressanssedécideràenprendreunseul.Bah!Elleétaitaussipathétiquequ'unedébutanteattendantlesigned'unéventuelsoupirant.

Etquandelleentenditenfin laportede labibliothèque tournersursesgonds,elle futincapable de feindre la nonchalance. Elle se retourna aussitôt vers lui, le cœur bondissantd'allégresse.

IlportaitsacombinaisondeFantômedeSaint-Giles.

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— As-tu envie d'être pendu ? s'emporta la jeune femme. Projettes-tu de mourir enmartyrpourleshabitantsdeSaint-Giles?

— Je n'ai aucune compétence pour le martyre, assura-t-il, alors qu'il ôtait déjà sonchapeauetsonmasque.

—Tuasunebienétrangefaçondeleprouver,ironisaIsabel.

C'étaitcela-leprendresurletondelamoquerie-oufondreenlarmes.

— S'ils t'attrapent, reprit-elle, ils te pendront haut et court. Et cette fois, il n'y aurapersonne pour venir te sauver à la dernière minute, comme tu l'as fait avec Mickey leCharmeur.Winterluipritlesmains.

—Calme-toi,Isabel.Personnenemecapturera.

Ellenevoulaitpaspleurerdevantlui.—Tun'espasinvincible,murmura-t-elle.Jesaisquetut'imagineslecontraire,maistu

tetrompes.Tuesfaitdechairetdesangettuesaussivulnérablequen'importequelhomme.

—Neleprendspasautantàcœur.

—Commentvoudrais-tuquejeleprenne,alorsquetut'entêtesàrisquertavie?

Illasoulevadanssesbras,pourl'asseoirsurlatable.Puisilluiécartalescuissesetseplantajustedevantelle.

—Jedoisretrouvercesenfantsquiontétékidnappés,Isabel.Ilsontbesoindemoi.

—Toutlemonde,àSaint-Giles,abesoindetoi.Maisilsnebougerontpaslepetitdoigtquand tu aurasbesoind'eux. Souviens-toi : ils te pourchassaient, le jour où tu as sauvé cepirate!

—Nedevrais-jeaiderqueceuxquisontassezcourageuxpourmerendrelapareilleencasdebesoin?Etnesauverqueceuxquipasseraientbrillammentuntestdecharité?

—Non,biensûrquenon.Tudoissauvertout lemonde.Ceuxqui leméritent,commeceuxquineleméritentpas.N'oublionspasquetuesunsaint.

Ils'esclaffaetIsabelnotaquec'étaitlapremièrefoisqu'ellelevoyaitpresquerire.Puisilsepenchaverselle.

—Jesuisdésolédetecauserdusouci.Jeferaisn'importequoipourterendreheureuse.

Isabelluicaressalajoue.

—MêmerenonceràêtreleFantômedeSaint-Giles?

Ilneréponditpasàcela soitparcequ'ilnevoulaitpasladécevoir,soitparcequesonesprits'égaraittandisqu'elleluidéboutonnaitlebasdesacombinaison.

Dèsqu'elleeneutterminéavecledernierbouton,elleglissaunemainàl'intérieur.Son

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membre était déjà dressé, comme elle s'y attendait. Elle le saisit à pleinemain, enmêmetempsqu'ils'emparaitdeseslèvres.Jamaisencoreellen'avaitconnuunetelleattirancepourunhomme.

Winterluidonnaitl'impressiond'êtrevivante,entière.

— Prends-moi, lui murmura-t-elle, nouant ses jambes autour des hanches de sonamant.

Ilpressasonsexesursafentedéjàhumideetlapénétraviolemment.

—Commeça?demanda-t-il.

—Oui,exactementcommecela.

Lajeunefemmesecramponnaàsesépaules,sepressantcontrelui.

—Plusvite,lesupplia-t-elle.Plusvite!

Ilsecoualatête.

—Non.Pasdeprécipitation.

Etilcontinuadebougerlesreinsavecunelenteurexaspérante.

—Winter,l'implora-t-elle.

Pourtouteréponse,illasoulevadanssesbras.Ellepoussaunpetitcriets'agrippaàlui,depeurdetomber.

Maisillatenaitfermement,elleétaitaccrochéeàsataillecommesileurscorpsétaientscellés.Etils'emparadeseslèvres.

Pendant unmoment, Isabel oublia tout le reste. Sa langue était dans sa bouche. Sonmembreétaitenelle.Illapossédait.

Puis ilsemitàmarcher,sanscesserde l'embrasser,etcemouvementfutensorcelant,terriblementérotique.

—Winter...gémit-elle.

—Oui,chérie.Oui.

Toutàcoup,elleseretrouvaledoscontreunmur.Etcettefois,illapénétraférocementdansunva-et-vientbrutaletincessant.Enfin!

—Oui!cria-t-elle.

Elle sentit que le plaisir allait déferler. Une jouissance indicible. Elle ne connaîtraitjamaisd'autrehommecommelui,mêmesielledevaitvivrecentans.

Ils atteignirent l'extase enmême temps. Aussi Isabel ne comprit pas tout de suite cequ'ilvenaitdeluimurmurer.

Quandsonespritréalisaenfincequ'elleavaitentendu,elleleregardaavecincrédulité.

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Lui,àl'opposé,semblaittrèssûrdeluietrépétaavecunedouceurinfiniecestroispetitsmots.

—Jet'aime.

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Puislabelledameamoureusedel'ArlequincroisalesmainspourprierDieuettouslessaints,afinqu'ilsl'aidentàsauverl'Arlequinduterriblesortdontilétaitprisonnier.Ellepriajusqu'àcequela lunese lèvedans leciel.Alors,elle rassembla lacordeletted'Amour, la fioledeChagrinet sonpropreEspoiretellepartitpourSaint-Giles.

Wintercomprit toutdesuitequ'ilavaitcommisuneterribleerreurtactique.Et ilétait

inutile de chercher à le nier. Quand tu as révélé ton point faible dans unebataille,attaque,nebatssurtoutjamaisenretraite.

C'était trop tôt. Il le savait, bien sûr.Mais àprésent, iln'avaitplus le choix. Il inspiraprofondémentetregardalajeunefemmedanslesyeux.

—Veux-tum'épouser?

Ellerestauninstantbouchebée,lesyeuxécarquillés.Silasituationn'avaitpasétéaussi

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critique,ilauraitvolontierséclatéderire.

—Serais-tudevenufou?

—Certainsensontdéjàconvaincus.

—Jenepeuxpast'épouser!

Il s'attendait à cette rebuffade, mais il accusa quand même le choc. Elle paraissaittellementincrédule!

—Qu'est-cequit'enempêche?Tun'espromiseàpersonne.Moinonplus.Jet'aiditquejet'aimaisettut'esdonnéeàmoi.

Ilsétaientencorel'undansl'autre,lemembredeWinterencoregonflédudésirrécent.Isabelpouvaitdifficilementcontrercedernierargument.

Etpourtant,si.

—Jenemesuispasdonnéeàtoi.Cefutunmomentdedivertissement,riend'autre.C'étaitunefemmedecaractère,plusâgéequeluietbeaucoupplusélevéesocialement.

Mais Winter n'en démordait pas : il voulait l'épouser. Il n'avait jamais donné son âme àquelqu'uncommeil l'avait faitavecelle.Elleavaitdevinél'animalquisommeillaitenluietelleavaiteulatéméritédeledomestiquer.

Ill'aimait.EtWinterétaitconvaincuqu'ellel'aimaitaussimêmesiellerefusaitdelereconnaître.

Mais s'il la laissait partirmaintenant, une aussi belle occasion ne se représenterait pas desitôt. Ils redeviendraient cequ'ilsavaient toujoursété :deuxâmessolitaires, enmargedesautres.

Iln'enétaitpasquestion.

Alors, il tenta d'user de toute sa force de conviction. Il poussa des reins, pour luirappelercequ'ilsvenaientdefaire,etildit:

—Jen'avaisjamaiscouchéavecunefemmeavanttoi.Tulesavais.Crois-tuquejet'aielaisséemeséduirejustepoursatisfaireundésirpassager?Non.Tuasconcluunpacteavecmoiàl'instantmêmeoùtum'asofferttoncorps.

—Jen'aijamaisconcluquoiquecesoit!répliqua-t-elleaveccolère.

—Si,Isabel.Tul'asconcluavectoncorps,toncœurettonâme.

Elleclignadesyeux,commesielleétaitperdue.

—Je... jenepeuxpast'épouser,murmura-t-ellesibasqu'onauraitpucroirequ'elleseparlaitàelle-même.Tun'esqu'unsimplemaîtred'école.Qu'est-cequi te faitpenserque jevoudraist'épouser?

Sesmotsétaientblessants.Winteryréponditdelafaçonlapluscrue: il luidonnaun

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nouveaucoupdereins,enfonçantsonmembredéjàrevigoréauplusprofonddesonintimité.

Elle ne put retenir un petit gémissement. Et quand elle accrocha son regard,Wintercomprit qu'elle avait décidé de renoncer à tous les arguments spécieux. L'instant de véritéétaitarrivé.

—Jesuisstérile,lâcha-t-elle.

Son ton était amer. Son visage n'exprimait plus qu'une grande tristesse.Winter étaitcommetétanisé.

—J'ai comprisque jenepourrais jamaisdonner la vie àma troisième fausse couche,expliqua-t-elle. Je l'ai compris malgré l'avis de tous les médecins qu'Edmund avait puconvoquer.Laquatrième fausse couche fut lapire. J'avaisperdu tellementde sangque lesmédecinsconsidéraientquej'avaiseudelachanced'avoirsurvécu.Mais ilyavaitunprixàpayer,m'avouèrent-ils.Cettefois,mesorganesétaientirrémédiablementendommagés.

Elle avait dit cela très calmement, mais Winter comprit qu'à l'époque, elle avait dûbeaucouppleurer.CarIsabeln'étaitpasfemmeàserésignerfacilement.

Winter comprit égalementqu'il lui faudrait faire ledeuildes enfantsqu'ilnepourraitjamaisavoir.Maisdansl'immédiat,ilpoursuivaitunautrebut.

—Cen'estpastrèsimportant,lâcha-t-ilfinalement.Ellesecoualatête.

—Biensûrquesi.Tousleshommesdésirentdesenfants,unhéritierdesang,et jene

pourrai jamais donner ce que la plupart des femmes ont si facilement. Des enfants.Desbébés.

Il se retira doucement et il reposa la jeune femme à terre.Mais, craignant qu'elle necherche à s'éclipser, il la gardadans ses bras et l'entraîna versun sofa, où il l'assit sur sesgenoux.Unpeucommeunepetite fille. Iln'auraitpassudire lenombrede foisoù ilavaitréconfortédanscettepositiondesenfantsdel'orphelinat.

—Winter...commença-t-elle.

—Chuut,lacoupa-t-il,plaquantundoigtsurleslèvresdelajeunefemme.Jenevaispasnierquej'auraisaiméavoirdesenfantsavectoi.Unepetitefille,avectesyeuxettescheveux,m'auraitcombléedebonheur.Maisc'esttoiquejeveuxpar-dessustout.Jepeuxmeremettrede perdre quelque chose que je n'ai pas encore, en revanche je ne supporterai pas de teperdre,toi.

Ellesecoualatête.

—Tues jeune,WinterMakepeace.Tupeuxdire,aujourd'hui,quetunetesouciespasd'êtrepère,mais tu changerasd'avisun jour.Pourquoipenses-tuque jeneme sois jamaisremariée?Jenevoudraispasqu'unmatintuteréveillespournevoirenmoiqu'unevieillesorcièrestérile.

SavoixémutWinter.Ilplissalesyeux.

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—Tonmarit'avait-iltraitéeainsi?

—Non. Bien sûr que non, assura-t-elle, cependant elle ferma les yeux comme si elleluttait contre un chagrin difficilement surmontable. Edmund s'est toujours comporté engentleman.

—Maisilestalléfaireunenfantàuneautre.

Elleouvritlesyeux.Sonregardtrahissaitunedétresseincommensurable.

—Jeneveuxpasêtreunobstaclequit'empêcheraitdefonderunevraiefamille,Winter.Jeneveuxpasrevivrecela.Etsurtoutpasavectoi.

Cettedernièreprécisionréchauffa lecœurdeWinter. Ilcompritalorsqueceneseraitqu'unequestiondetempsetdepatience.Debeaucoupdepatience.

— Je ne te regarderai jamais comme un obstacle à quoi que ce soit, répliqua-t-il, luicaressantlescheveux.Aucontraire,tueslesoleilquiilluminemavie.Tum'asdébarrassédemonhabitde ténèbres, Isabel.Nem'obligepasà retournerdans l'obscuritédemoncul-de-basse-fosse.

Ellefermadenouveaulesyeux.

—Non. Ne t'inflige pas cela. Et neme l'inflige pas. Dans deux ans, tu trouveras quemêmemonargentnevalaitpaslapeinedem'épouser.

Winter grimaça. Son mari l'avait durablement meurtrie et elle était trop paniquée àl'idéederevivreunetelleépreuvepourréfléchirdemanièresensée.Ilétaitinutiled'insisterdavantagedansl'immédiat.

Ildéposalajeunefemmeàcôtédeluietserelevapourserhabiller.

—Jevoisbienquejen'arriveraipasàteconvaincrecesoir.Tuesfatiguéeetj'avouequemoiaussi.Laissonscesujetdecôtépourlemoment.

Naturellement, elle ouvrit encore la bouche, mais il s'y attendait et en profita pourl'embrasserjusqu'àcequ'illasentesedétendre.

—Et s'il te plaît, Isabel, lui dit-il quand il s'écarta, essaie de ne pasm'insulter quandnousnousdisputons.

Ilsedépêchadefiler,avantqu'ellepuisseluirépliquerquoiquecesoit.

—Milady!

Isabel ouvrit les yeux et découvrit Pinkney plantée à côté de son lit. Sa camériste luitenditunelettrecachetée.

—Milady,cette lettrevient tout justed'arriverpourvous.Legarçonqui l'aapportéea

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expliquéavoirreçuunshillingpoursacourse.J'enaidéduitquec'étaitsansdouteurgent.

Lesévénementsdelanuitassaillirentl'espritencoreembruméd'Isabel.Lademandeenmariage de Winter. Son refus brutal. Ils avaient pris beaucoup de plaisir à faire l'amour.Pourquoivoulait-iltoutchanger?

Isabelauraitaimécachersatêtesoussonoreiller.

—Quelleheureest-il?marmonna-t-elle.

—Seulementuneheuredel'après-midi,réponditPinkney,avecunaircontrit.

Sacaméristeconsidéraitquedormir jusqu'enmilieud'après-midiétait lapreuved'uneéléganceraffinée.MaisIsabelétaittoutàfaitréveilléeàprésent.Elles'assitdanslelit.

—Fais-moimonterducafé,s'ilteplaît.Etvoyonscequeditcettelettre.

IsabelladécachetapendantquePinkneyallaitàlaportecommanderlecafé.Lalettreseréduisaitàdeuxphrases:

Lady Pénélope accompagnera cette après-midi lord d'Arqué àl'orphelinat.Jepensequ'ilsontl'intentionderenvoyerM.Makepeace.

A.G.ArtémiseGreaves.LadamedecompagniedeladyPénéloperisquaitsonemploi.Isabel

froissalalettreetbondithorsdesonlit.

Illuiavaitditqu'ill'aimait.Isabelnevoulaitpasyréfléchirmaintenant.Toutcequ'ellesavait,c'estqu'elledevaitl'aider.

—Milady?

Pinkney était visiblement stupéfaite, en revenant vers le lit, de voir samaîtresse déjàdebout.

—Oublielecafé,dit-elle,jetantlalettreaufeu.Aide-moiàm'habiller.

Dixminutesplus tard, Isabelétaitapprêtée unrecordabsolu etellemontaitdanssavoiture.

—Si seulement j'avais eu cinqminutesdeplus, vous auriezpumettre votrenouvellejaquetteverte,gémissaitPinkney.

Isabels'installaimpatiemmentsurlescoussins.

—Maisjen’avaispascinqminutesdeplus.J'espèrequenousarriveronsàtemps.

LesruesdeLondresétaientmalheureusementtrèsencombréescejour-là.Pardeuxfois,l'attelaged'Isabelseretrouvaimmobilisé.Etmêmequandilroulait,c'estàpeines'ilavançaitplusvitequ'unpiéton.

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Isabeleutl'impressionqu'ilsmettaientuneéternitéàrejoindrel'hospicedeSaint-Giles,alorsqueletrajetn'avaitprobablementpasduréplusd'unedemi-heure.

Mais,àleurarrivée,lavoitureduvicomted'Arquéétaitdéjàgaréedevantleperron.

— Attendez-moi ici, ordonna Isabel à ses domestiques tandis qu'elle descendaitprestementdevoiture.

Elle grimpa le perron en courant et poussa le heurtoir. C'estMary Pentecôte qui luiouvrit.Lafilletteétaittoutepâle.Etdeséclatsdevoixprovenaientdel'intérieur.

—Entrezvite,milady,ditMaryPentecôte.Etellepartitdanslehall.

Isabels'empressadelasuivre.Dieuduciel!Pourquoilordd'Arquécriait-il?CarIsabelreconnaissaitsavoix,àprésent.

MaryPentecôteetIsabelpénétrèrentdanslesalondel'orphelinatjusteaumomentoùlordd'Arquéseretournaitdevantlacheminée:

— ... vous connaissez, cet assassin, Makepeace. Vous avez reconnu l'avoir croiséplusieursfois.Donnez-noussonnomousinonjevousfaistraduireenjusticepourcomplicitédemeurtre.

La scène était quelque peu dramatique. Lord d'Arqué donnait l'impression de ne pasavoir dormi depuis l'annonce de la mort de son ami. Son visage était hagard et ses yeuxbrillaientdangereusement.Acôtédelui,lecomtedeKershawetM.Seymouraffichaientdesmineslugubres,tandisqueladyPénélopeparaissaitaucombledel'excitation.MlleGreaves,quisetenaitderrièresamaîtresse,lançaunregardinquietàIsabel.

Winter semblait parfaitement détendu et son attitude contrastait avec la nervositéambiante.Enrevanche,sonexpressionimpénétrableempêchaitdesavoircequ'ilpensait.

Isabelauraitaimélerejoindreetseteniràcôtédelui.Maisc'étaitimpossible,biensûr.

— Je vous ai déjà expliqué, répondit-il calmement, que, même si j'ai déjà croisé leFantôme,enrevanchej'ignorequiilest.

—N'essayezpasdetergiverser,monsieurMakepeace!s'exclamaladyPénélope.

Wintersetournaverselle:

—Pourquoivoudrais-jetergiverser,milady?

—Oh,pouruneraisontrèssimple,intervintM.Seymour.LeFantômepourraitêtredevos amis.Voireplusproche encore. Lesdeuxdernières fois où leFantôme s'estmontré àl'opéraetaubaldelordd'Arquévousétiezétrangementabsent.

Isabel sentit son sang se glacer dans ses veines. Si Winter était démasqué, il seraitpendupourlemeurtredeRogerFraser-Bumsbyinnocentoupas.

—MonsieurSeymour!Serécria-t-elle,instinctivement.Voilàuneterribleaccusation.M.Makepeaceestpeut-êtrearrivéenretardàl'opéra,maisilm'escortaitaubaldelordd'Arqué,

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ainsiquelordd'Arquépourralui-mêmel'attester.

— C'est exact, milady, confirma lord Kershaw.Mais je crois savoir que vous avez euvous-mêmeplusieurstête-à-têteavecleFantôme?

Isabelluidécochaunregardmielleux.

— M’accuseriez-vous de complicité, milord ? Oseriez-vous insinuer que j'ai aidé leFantômeàtuerM.Fraser-Burnsbv?

—Biensûrquenon,réponditlordKershaw.MaisquelleheureusecoïncidencequevousarriviezjusteàtempspourdéfendreM.Makepeace,ladyBeckinhall.

IsabelpritsoindenepascroiserleregarddeMlleGreaves.

—Quellecoïncidence?J'avais toutsimplementrendez-vousavecM.Makepeace,pourqu'ilmefassevisiterlesnouveauxlocaux.

—Nousnousécartonsdusujet,fitvaloirlordd'Arqué,quin'avaitpasquittéWinterdesyeux.Vouspourriezaumoinsmedireoùj'aideschancesdetrouverleFantôme,Makepeace.

Wintersecoualatête.

—Jen'ensaispasplusquevous,milord.J'ajoutequejenesuispasconvaincuqueM.Fraser-BurnsbyaitététuéparleFantôme.

Lordd'Arquédevintécarlate.Maisc'estM.Seymourquirépliqua:

—Vousoubliez,Makepeace,qu'ilyavaituntémoin.LevaletdeRogerFraser-Burnsbyadécritlemeurtrierendétail.

—Oui, je suis au courant, acquiesçaWinter. Il est d'ailleurs étrange que le Fantômen'ait pas tué le valet et qu'il ait préféréprendre le risquede laisserparler un témoin aussigênant.

— Je n'ai pas le temps de discuter de cela, s'emporta lord d'Arqué.De toute façon, jetrouverai le Fantôme avec ou sans votre aide, Makepeace. Le capitaine Trevillion et seshommesl'ontmanquédepeul'autrenuit.Cen'estqu'unequestiondetempsavantqu'ilnenoustombedanslamain.

Ils'apprêtaitdéjààrepartir,maisladyPénélopeluirafraîchitlamémoire:

—Etvotrecadeau,milord?

Lordd'Arquéseretourna,unétrangesourireauxlèvres.

—C'estvrai!Commentai-jepuoublier?Ilmesembleévident,Makepeace,àlalumièrede ce qui s'est passé ces derniers jours, que j'ai gagné notre défimondain.Nous pourronsattendreleretourdeladyHeroetdeladyCairepourréglerlasituation,maisj'aipenséqu'ilseraitpréférabledelesmettredevantlefaitaccompli.

— Je vous ai déjà dit que je n'abandonnerais pas l'orphelinat, répliqua sèchementWinter.

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Levicomtehochalatête.

—Jesais.Maispeut-êtreyaurait-ilunmoyendevous...persuader?

Winterseraidit.

—Sivouspensezquel'argentpourraitme...

Lordd'Arquélevalamainpourl'interrompre.

—Non,Makepeace.Riendesivulgaire.Jen'aienvuequel'intérêtdel'orphelinatetdesespensionnaires.Vousaussi,j'imagine?

Winterplissalesyeux.

— Que voulez-vous dire, milord ? demanda Isabel, soudain alarmée. Le vicomte nes'étaitjamaisintéresséqu'àsaproprepersonne,cequiensoineconstituaitpasunproblème.MaislamortdesonamiFraser-Burnsbysemblaitl'avoirrenduincontrôlable.

— Je veux dire que j'ai décidé d'offrir une commission navale à l'aîné des garçons del'orphelinat,quelqu'ilsoit.Jevousvoismal,ladyBeckinhall,désapprouvermongeste?NiM.Makepeace?

Isabeln'encroyaitpassesoreilles.Unecommissionnavalepermettaitd'entrercommecadetde lamarineetd'envisagerensuiteunecarrièred'officierde laRoyalNavy.Une tellecommission,quisepayaittrèscher,étaitd'ordinaireréservéeauxfilsdel'aristocratieetdelagentry.En offrir une à un orphelin pauvre constituait pour le petit chanceuxune occasionuniquedes'élever.Quepouvaitdoncmanigancerlordd'Arqué?

Et soudain, elle comprit : l'aîné des garçons n'était autre que Joseph Tinbox.Wintercrispalesmâchoires.

—Vous,êtestrèsgénéreux,milord.Levicomteinclinalatête.

—Merci.Maisbiensûr,magénérositéestsoumiseàunecondition:quejesoisnommédirecteurde l'hospice.End'autres termes,vousdémissionnezdevotrepleingré.Et toutdesuite.

Isabelsecouaitdéjàlatête.

—Iln'estpas...

MaisWinterélevalavoixpourcouvrirsesprotestations:

— Me donnez-vous votre parole de gentleman, milord, que vous offrirez réellementcettecommission?

Lordd'Arquéparutpresquesurprisqu'ilpuisseendouter.

—Biensûr.

—Danscecas,jesuisd'accord.

—Winter,murmuraIsabel.Maisilpartaitdéjàverslaporte,levisagefermé.

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Lajeunefemmeseretournaverslordd'Arquéetluijetaenpleinvisage:

—Jevoushais.

Etlà-dessus,elles'élançaàlapoursuitedeWinter.

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Winter préparait déjà son sac quand Isabel le rejoignit, quelques minutes plus tard,danssapetitechambresouslescombles.

La jeune femme tira immédiatement hors du sac les quelques chemises qu'il y avaitrangées.

—Bonsang,Winter,quefais-tu?

—Çanesevoitpas?Jebouclemesbagages.

—Net'avisepasdejouerlesmartyrsavecmoi.Turentresdanslejeudelordd'Arqué.

—Jesais.Maisçan'aaucuneimportance.

—Biensûrquesi.

— Je n'ai pas pris ma décision pour lui plaire, mais parce que c'était la meilleuresolution.

— Tu ne peux quand même pas penser qu'il serait mieux pour toi d'abandonnerl'orphelinat!EtdelaisserpartirJosephTinboxenmer.

Ilseremitàfourrerlesvêtementsdanssonsac.

—C'estpourtantcequej'aichoisi.

Isabelscrutadésespérémentlachambreduregard,cherchantquelquechose,n'importequoi,susceptibledelefairechangerd'avis.LapièceétaitpetiteetmeubléedefaçonSpartiate.Elle avait été visiblement conçue pour un domestique, pas pour le directeur del'établissement.Ceconstatlarenditencoreplusfurieuse.

—Pourquoicherches-tutoujourslemartyre,àlafin?Tut'habillesleplusbanalementpossible, tu risques ta vie pour des gens qui n'hésiteraient pas à te tuer s'ils en avaientl'occasion,ettudorsdanslachambrelaplusmodestedetoutl'établissement!

Ilhaussalessourcils.

—Qu'est-cequinevapasaveccettechambre?

— C'est une chambre de domestique et tu le sais très bien. N'essaie pas de dévier laconversation.

Ils'agenouillapourprendrequelquechosesouslelit.

—Cen'estpasmonintention.

La jeune femme posa fermement sesmains sur ses hanches. Elle était consciente deperdretouteélégancedanslefeudeladiscussion,maisellen'enavaitcure.

—Lordd'ArquépensequetuasquelquechoseàvoiravecleFantômedeSaint-Giles...

—Etilaraison,lacoupaWinter,quitiraprécisémentsoncostumedeFantômedesouslelit.

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—Es-tufou?S’emportaIsabel,avantdecourirverrouillerlaporte.

—Cen'estpaslapremièrefoisquetumeposescettequestion.

— Parce que j'ai de bonnes raisons de la poser ! Lord d'Arqué ne s'intéresse pas àl'orphelinat. Il agit uniquement par vengeance. Comment penses-tu qu'il va dirigerl'établissement?

—Pastrèsbien,réponditWinter.Maiscen'estpasvraimentlesujet.D'Arquéadéjàditqu'ilengageraitquelqu'undeplusqualifiépourleseconder.

— Crois-tu vraiment que quelqu'un d'autre pourrait mieux se débrouiller que toi ?demanda-t-elle,àcourtd'arguments.

Illuijetaunregardironique.

—C'estdifficilepourmoiderépondreàunetellequestionsansparaîtrevaniteux,maisnon,eneffet,jenecroispasquequelqu'unpuissedirigercettemaisonmieuxquemoi.

Lajeunefemmelançasesmainsenl'air.

—Etvoilà!Tureconnaistoi-mêmequetunepeuxpasquittercetendroit.

Ilsecoualatête.

—J'admetssimplementquemonremplaçantneserasansdoutepasàmahauteur.Maisje ne pense pas que l'orphelinat en souffrira. Nell Jones est ici depuis presque aussilongtempsquemoi.Etlesautresdomestiquessonttoutaussiexemplairesqu'elle.Sansparlerducomitédesoutien,quisauraveilleraubonfonctionnement.L'orphelinatpourratrèsbiensepasserdemoi.

—Peut-être,concédaIsabel,d'unevoixradoucie.Maistoi,quevas-tudevenir?

Illaregarda.

—Queveux-tudire?

—Cettemaisonesttoutpourtoi,dit-elle,avecungesteamplequiincluaitlachambreettoutlereste.Tumel'asassezsouventrépété.L'orphelinat,lesenfants,lespauvresdeSaint-Giles...C'estl'œuvredetavie.

Ilhochalatête.

—Eneffet.Jevaisdevoirmetrouverautrechose.

Isabelsesentaitgagnéeparlechagrin.Pourlui.Pourtoutcequ'ilrefusaitd'admettre.

—Oùvas-tualler,Winter?

Ilhaussalesépaules.

—Jenesuispasàcourtderessources.Jetrouveraibienunlogement.

—Ettrouveras-tuunautregarçoncommeJosephTinbox?

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—Non,confessa-t-il,d'unevoixtriste.JosephTinboxestunique.

—Tul'aimes,Winter.Tunepeuxpaslelaisserpartirenmer.

Ilfermabrièvementlesyeux,etsonvisageexprimasoudaintouteladétressequ'Isabeldevinaitenlui.Puisilouvritlesyeux,leregardimplacable.

—C'estparcequej'aimeJosephquejevaislelaisserpartir.

15

LabelledamearpentaitprudemmentlesruellesdeSaint-Gilesàlarecherchedel'Arlequin.Pardeuxfois,elleéchappaàdesindividusàlaminepatibulaireensefondantdansl'ombredelanuit.Unsoir,elledutmêmesecacherdansunrecoinpouréviterunebanded'ivrognes.Soncœurbattaittrèsfortdanssapoitrine,maisellenerenonceraitpasàtrouverl'Arlequin.

Les nouvelles circulaient vite dans un orphelinat. Il y avait beaucoup d'oreilles etbeaucoupd'yeuxpourcollecterlesinformations,etbeaucoupdelanguespourlescolporter.

Lesgarçonsétaienttousencours.AlaminuteoùWinterpénétradanslasalledeclasse,unedemi-heureplustard,ildevina,auregardqueluilançaJoseph,quecelui-ciétaitdéjàaucourant.

—JosephTinbox,j'aimeraisteparlerenprivé.

Lesautres garçons regardèrentJoseph commes'il étaitun condamnéàmort appelé à

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l’échafaud. Joseph déglutit et se leva de son banc. En le regardant s'approcher, Winterconstata à quel point il avait grandi, ces derniersmois. Il pouvait presque regarderWinterdanslesyeux,àprésent.Ilyaencoreunan,ilneluiarrivaitmêmepasàl'épaule.

Joseph s'immobilisa devant lui et demanda à voix basse, pour que ses camarades nepuissentpasentendre:

—Jesuisvraimentobligédevoussuivre?

Wintersentitsoncœurseserrer.

—Oui,illefaut.

Joseph baissa la tête et sortit le premier de la salle. Winter décida de le conduire àl'infirmerie.Elleétaitvide,désormais.Peachavait recouvréassezde forcespour intégrer legroupedesfilles.

Winterfermalaporteetsetournaverslegarçon.

—J'ail'impressionquetusaisdéjàcequejevaist'annoncer?

JosephTinboxhochalatête.

—Unaristocrateveutm'envoyerenmer.

Winters'assitsurlelitdésertéparPeach.

—C'est beaucoupmieux que cela, Joseph. Tu vas devenir cadet dans lamarine de SaMajesté.

Joseph écarquilla un instant les yeux. Il ne s'attendait pas à quelque chose d'aussigrandiloquent.Mais il reprit bien vite l'expression entêtée qu'il arborait en entrant dans lapièce.

—Jen'aipasenvied'yaller.

Winterhochalatête.

—Je te comprends.Tun'as jamaisétéenmer.Et tuvasdevoirquitter tout ceque tuconnais.Mais tu as toujours été courageux, Joseph, et tu vas l'être encore plus. Car tu nepeuxpaslaisserpasserunetelleopportunité.

JosephbaissalesyeuxsurlelitoùétaitassisWinter.

—Jenepeuxpas.Peachabesoindemoi.

L'espaced'uneseconde,Wintereutenviedefermerlesyeuxetdereconnaîtresadéfaite.Laplupartdesenfantsarrivaientà l'orphelinatseulaumonde.Aussiétait-cetrèsimportantpoureuxdecréerdesliensavecleurssemblables.Josephétaitdevenu,parpuraltruisme,leprotecteuret... l'amidePeach.Mettrefinàunetelleamitiérelevaitpresquedupéché.Maistantpis.

—Laplupartdesgarçonsquiviventiciseretrouventapprentis.Tulesaisbien,Joseph?

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Legarçonacquiesçamollement.

— Avec un peu de chance, ils peuvent espérer finir artisans. Mais toi, Joseph, tu asl'opportunitédedevenirbienmieuxquecela.EntrercommecadetdanslaRoyalNavyneferapasdetoiunsimplemarin.Si tutravaillesdur, tupourrasaspireraugraded'officier.Etunjour,peut-être,tuserasmêmelecapitainedetonproprebateau.

Josephsemblahésiter.

—Maissijen'aimepaslamer,monsieur?

Winters'autorisaàsourire,carpourlecoup,ilétaitsûrdelaréponse.

— Tu l'aimeras, Joseph. Tu apprendras à conduire un navire, tu voyageras dans desendroitsmerveilleux, loin, très loinde l'Angleterre.Cesera laplusbelleaventurede tavie,Joseph.

Aprésent,Winterétaitsûrd'avoirgagnélapartieetd'avoirconvaincuJosephquec'étaitlameilleuresolutionquipouvaits'offriràlui.

MaisJosephselaissatombersurlelitetregardaWinterdanslesyeux.

—Jesuisdésolé,monsieur.JenepeuxpasabandonnerPeach.

Winter, toutàcoup,était fatiguédetoujourssebattresanspouvoir jamaissereposer.Maisilrefusaitdes'apitoyersursonsort.

— Moi aussi, je suis désolé, Joseph, car je crois que tu m'as mal compris. Je ne tedemandepastonavis.Tupartiras,c'estunordre.

Ce soir-là, Isabeldîna seuledans sa salleàmanger.Le feucrépitaitdans la cheminéederrière son dos. Le vase en porcelaine de Chine était surmonté d'un bouquet de fleursfraîchesettrônaitaucentredelatableronde.Lacuisinièreavaitpréparéunexcellentpotage.Cependant,Isabeln'avaitpasd'appétit.

Elleavaitétéinvitéeàunesoirée,maisentrelemeurtredeM.RogerFraser-BurnsbyetledépartdeWinterdel'orphelinat,ellen'avaitpaseuenviedesortir.Dureste,lamortdeM.Fraser-Burnsby avait dû affecter beaucoup d'autres personnes. Cette pauvre lady Littletonn'auraitsansdoutepasgrandmondeàsaréception.

—Puis-jeservirlepoisson,milady?

demandalevalet.

—Oui,s'ilvousplaît,réponditdistraitementlajeunefemme.

Elle était encore profondément troublée par la demande enmariage deWinter et sadémissiondel'hospice.C'étaitunevéritabledéfection,quellequesoitsafaçonvertueusedeprésenterleschoses.Ilavaitabandonnéunorphelinatentierpouréclairerl'avenird'unseul

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enfant. Au regard de lamorale, ce n'était pas correct,même si JosephTinbox représentaitbeaucouppourlui.

Isabel s'inquiétait pourWinter.Où était-il en cemoment ? Pinkney lui avait raconté,toutàl'heure,avecunegrandeexcitation,queleFantômeavaitétévucourantsurlestoitsdeSaint-Giles, alors que les dragons de Trevillion lui donnaient la chasse. Peut-être gisait-ilblesséquelquepart.Ou,pireencore,peut-êtreétait-ilmort.

Isabelreposasonverredevin.Ellesesentaitsoudainnauséeuse.

— Milady, vous avez un visiteur, annonça Butterman, depuis la porte, d'un tondésapprobateur.Ilinsistepourvousvoir,sinonjel'auraisrenvoyéet...

—Çaira,merci,lecoupaunevoixmasculine,danssondos.

Oh,Dieusoitloué!

Wintercontournalemajordome,pourentrerdanslapièce.

—Merci,monsieurButterman,répéta-t-il.

Lemajordomeseraidit.

—JusteButterman,monsieur.

—Trèsbien.J'essaieraidem'ensouvenir.

—MonsieurMakepeace,voulez-vousvousjoindreàmoipourdîner?luiproposaIsabel.

—Avecplaisir,ladyBeckinhall.

Bon.Tantdeformalismeentreeuxétaitsansdouteridicule,aprèscequ'ilsavaientfait,lanuitdernière,danslabibliothèque.

—DemandezàMmeButtermanderajouteruncouvert,s'ilvousplaît,demandalajeunefemmeaumajordome.

Butterman se retira, ne montrant, en bon majordome, qu'il était choqué que par laraideurinhabituelledesondos.

Maisàpeinelaportesefut-ellereferméequ'Isabeloubliatoutformalisme.

—Où étais-tu ?Ma caméristem'a rapporté qu'on avait vu tout à l'heure le Fantômehanter les toitsdeSaint-Giles.Jenepouvaispassavoir si c'était justeunerumeurousi turisquaistavieunefoisdeplus.

Iltiraunechaisepours'asseoirenfaced'elle.

—C'étaitvrai.J'aieudumalàsemerTrevillionetsesdragons.

Ilétaitimpossible!Ilnerenonceraitjamaismalgréledangerquilemenaçaitdeplusenplus.Et Isabelnesavaitpassielledevait lui jeter lecontenudesonverreà la figureousepencherpar-dessuslatablepourl'embrasser.

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Heureusement,MmeButterman arriva sur ces entrefaites. Le silence entreWinter etIsabelétaittendu,maislagouvernanteneparutpasremarquerl'atmosphèrepesante.

DèsqueWinter futservienvin,MmeButtermanpritcongé.Ilsseretrouvèrentseuls,carWill,levalet,s'étaitabsentéprobablementpourallerchercherlepoisson.

Isabelenprofitapourdemander:

—As-tutrouvécefameuxatelierclandestin?

Wintersecoualatêted'unairdésappointé.

—Toujourspas,répondit-ilenprenantsonverredevin.J'aientenduparlerd'unesortedesoupenteoùtravailleraientdesenfants,malheureusementmesinformateursn'ontpaspume fournird'adresseprécise. J'ai voulu inspecterun immeublequi aurait pu faire l'affaire,maislesdragonsdeTrevillionm'ontobligéàrenoncer.J'essaieraiuneprochainefois.

Cecache-cacheaveclesdragons,nuitaprèsnuit,commençaitsérieusementàinquiéterIsabel.

—Nepourrais-tupasaumoinsattendrequelquesjoursavantderepartirenchasse?

Illuijetaunregardimpatient.

—Plusjetardeàlesdécouvrir,pluscesenfantssontmaltraités.

Isabelbaissalesyeuxsursonassiette.Elleauraitvoulul'aiderd'unemanièreoud'uneautre,maisellenevoyaitpascomment.

Uneautreidéeluitraversasoudainl'esprit.

—EtJosephTinbox?Commenta-t-ilaccueillisondépartpourlamarine?

—Pastrèsbien.

Winterbutunegorgéedevinet fermabrièvement lesyeuxpour lesavourer,avantdelesrouvriretd'ajouter:

—J'aiétéobligédeluidirequ'iln'avaitpaslechoixetquec'étaitunordre.Depuis,ilnem'adressepluslaparole.

—Oh,Winter.

Elletenditlebrasàtraverslatablepourluiprendrelamain.MaisWillouvritlaporte.

Le valet servit lepoisson en silence.Mais il jetait des regardsnerveux entre Isabel etWinter.

—Ceseratoutmerci,luiditIsabelpourlecongédier.

—Bien,milady.

Will battit en retraite vers la porte. Les autres domestiques l'attendaientvraisemblablementdanslecouloir,espérantentendresonrapport.

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Aprèssondépart,IsabelsoupiraetreportasonattentionsurWinter.

Ilbutuneautregorgéedevin.

—Ilestexcellent.C'estunvind'Italie?

—Oui, jeviens justede l'acheter, répondit-elle, enplissant lesyeux.Tues le filsd'unbrasseurdebière.Commentsefait-ilquetut'yconnaissesenvin?

Ellecrutpercevoirdel'embarrasdanssonregard.Maisilhaussalesépaules.

—J'aimelevin,c'esttout.

—Jepensaisteconnaîtreetjedécouvretouslesjoursdeschosesàtonsujet,dit-elle.

Ilreposasonverre.

—C'esttouteladifférenceentrenous.Pourmapart,jepensequejen'arriveraijamaisàpercer tous tes secrets. Les années vont passer et je continuerai à découvrir de nouvellesfacettesdetapersonnalité.

Isabelsentitsoncœurseserrer.Ilsemblaittellementvcroire.Maisellenevoulaitpasqu'ils'imaginequ'elleavaitchangéd'avis.

—Winter...nousn'avonspasd'avenirensemble.

Enguisederéponse,ilattaquasonpoisson.Maiscesilencecriaitsonentêtement.Ellesoupira.

—Quevas-tufaire,maintenant?

—J'aipensédevenirprécepteur,dit-il.D'unpetitgarçon.

Isabelfronçalessourcils.

—Quicela?Oùas-turencontré...

Ilsouritenvoyant,àsesyeux,qu'ellevenaitdecomprendre.

—MaisChristophern'aquecinqans!Ilestencoretroppetitpouravoirunprécepteur.

—L'expériencem'aenseignéqu'ilesttoujourspréférabledecommencer l'école leplustôtpossible. Surtout avec les garçons. Jedonneraimespremières leçonsàChristopherdèsdemain.

—Mais... mais...bredouilla Isabel, qui cherchait une excuse quelconque pour refuser.Cependant, elle était consciente qu'un peu d'autorité masculine ne ferait pas de mal àChristopher.Carruthersn'arriveraitjamaisàledisciplinerseule.

—Parfait.Jesuiscontentquecetteaffairesoitréglée,repritWinter,commesielle luiavaitdonnésonconsentement.Ilnemeresteplusqu'àapportermesaffaires.

Isabelclignadesyeux.Ellen'étaitpassûred'avoirbiencompris.

—Quoi?

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Winterluisouritfranchement.

— L'un des avantages d'être un précepteur privé plutôt qu'un maître d'école, c'estd'habiterdanslafamilledesonélève.Quellechambrevas-tum'offrir?

Trois joursplus tard,Winterétaitassisàunepetite table,dans lanurseryd'Isabel.Lapièceétaitsituéetoutenhautde lamaison,maiselleétait trèsbienaménagée.Degrandesfenêtrespourvuesdebarreaux,pourévitertoutaccident,prodiguaientuneclartégénéreuse.Une impressionnantearméedesoldatsdeplomboccupait touteuneétagère.Etunénormelionenpeluchedébordaitdelachaisevoisinedecelledesonélève.

Winterpoussaunplateaudepetits-foursaucentredelatable.

—Regarde, Christopher. La cuisinière a eu la gentillesse de nous préparer des petits-fourspourlethé.Combiennousena-t-ellefaitmonter?

Le garçon, assis face à lui, s'appuya sur ses coudespour compter les gâteaux.Chacunétaitsurmontéd'unefraiseetilssemblaienttoustrèsappétissants.

—Douze!S’exclama-t-ilfinalement.

—Trèsbien.Maintenant,sinousnouspartageonslesgâteauxéquitablement,combienenaurons-nouschacun?

Christopher fronça les sourcils pour réfléchir à la question. En attendant sa réponse,Winterluipréparaunetassedethéavecdulaitetdusucre.

—Six?suggéralegarçon.

—Bravo,lefélicitaWinteravecunsourire.Maissixpetits-fourschacun,c'estbeaucouptroppournous.Turisquerais l'indigestion.Etmoi, jeprendraisdupoids.C'estpourquoi ildésignaIsabelquientraitdanslapiècenousavonsdelachancequeladyBeckinhallsejoigneànouspourlethé.

Isabelleursouritàtouslesdeux.

—Nous faisonsde l'arithmétique ! lui expliquaChristopher, avec enthousiasme.Et lacuisinièrenousapréparédesgâteauxpourlethé.

—Merveilleux!réponditIsabel.Etqu'as-tuapprisdebeauaujourd'hui,Christopher?

Winterdétournaleregard.MaisChristophermurmura,d'untondeconspirateur:

—Labatailled'Hastings.Voussaviez,milady,queleroiHaroldétaitmortd'uneflèchereçuedansl'œil?

— Vraiment ? fit Isabel, qui se tourna versWinter. Croyez-vous que ce soit un sujetd'étudepourunaussipetitgarçon,monsieurMakepeace?

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Winters’éclaircitlavoix.

— Quand il s'agit d'histoire, je me suis aperçu que les détails les plus... piquantspermettaientdemieuxretenirl'attentiondesgarçons.

—Hmm,commentalajeunefemme,d'unairsceptique,avantdes'asseoiràcôtéd'euxetdeseverserunetassedethé.

—Maisquandvousêtesarrivée,repritWinter,nousétionsentraindetravaillersurlesdivisions. Christopher, maintenant que lady Beckinhall est avec nous, nous allons devoirpartagerlesgâteauxdelacuisinièreentrois.Combienenaurons-nouschacun?

—Cinq?

—Poursavoirsitaréponseestjuste,tuvasmaintenantrépartirlesgâteauxentrenoustrois.

Christopherprit les gâteauxunparun,pour lesdéposer tourà tourdans l'assiettedechacun,jusqu'àcequ'ilneresteplusunseulgâteausurleplateau.

—Trèsbien,ditWinter.Maintenantcompte...

—Pourrions-nouséventuellementdévorercesgâteaux?marmonnaIsabel,quilorgnaitsonassiette.

—Unpeudepatience,ladyBeckinhall.Ilnefautjamaisprécipiterlaleçon.Maintenant,Christopher,comptelesgâteauxdanstonassiette.

Christophers'exécuta.

—Quatre.

— Et nous sommes donc .trois, reprit Winter. Ce qui veut dire que trois fois quatrefont...?

Christopherregardalestroisassiettes.Puissonvisages'éclairad'uncoup.

—Douze!Troisfoisquatrefontdouze,monsieurMakepeace!

—Bravo,Christopher,dit-il.Etmaintenant,ladyBeckinhall,nouspouvonsmangernosgâteaux.

—Youpiii!s'exclamaChristopher,quiengloutitunpetit-fourtoutentier.

Bon.Lesbonnesmanièresàtableferaientl'objetd'uneprochaineleçon.

WinterregardaIsabelmordredanssongâteauetsepasserlalanguesurleslèvrespourrattraperunemiette.Cespectaclesuffitàluiprovoqueruneérection.

Ilpensaitlecacheraumieux,maisvivresouslemêmetoitquelajeunefemme,prendresesrepasavecelle-elleavaitinsisté-ousimplementrespirerlemêmeairqu'elleétaitunetorturequotidienne.

Wintermorditàsontourdansungâteau.Ils'étaitjurédeneplusreparlermariagetant

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qu'elleneseseraitpasfaiteàl'idée.Detouteévidence,sapropositionétaitvenuebeaucouptroptôt.Ildevaitdoncs'armerdepatienceetattendrequ'Isabels'habitueàsaprésence.D'icilà,ilavaitdécidéqu'ilétaitpréférabledefaireabstinence.Maisc'étaittellementdifficile!

—Voulez-vousencoreunpeudethé,monsieurMakepeace?luidemanda-t-elle,letirantsoudaindesespensées.

—Oui,merci.

Elleleservit,avecungrandsourire.

—Trouvez-vousvotrechambreconfortable?

—Toutàfait,merci.

—Lavuevousplaît-elle?

Safenêtredonnaitsurunmurenbrique.

—Amerveille.

Ellebattitdescils.

—Etlelitest-ilassez...confortable?Lematelasn'est-ilpastropmou?

Winterdéglutitpéniblement.

—Ilestparfait,merci.Maisvous-même,milady,quellesortedematelaspréférez-vous?Plutôtmououaucontraire...biendur?

Ce fut très furtif,maisWinter étaitprêt à jurerqu'elle avait couléun regardvers sonentrejambe.

— J'aime les matelas bien durs, répondit-elle. Et endurants pour de longueschevauchées.

—Pourquoichevauchez-vousvosmatelas,milady?demandaingénumentChristopher,tandisqu'ilavalaitsontroisièmegâteau.Lesmatelas,c'estfaitpourdormir.

—Euh...fitIsabel,quicherchaitdésespérémentuneréponseacceptable.

— Ne t'inquiète pas, Christopher, intervint Winter. Lady Beckinhall dort sur sonmatelas. Et fait des rêves merveilleux. Mais je voudrais te rappeler qu'on ne parle pas labouchepleine.Reprendras-tuunpeudethé?

Legarçontenditaussitôtsatasse.

WinterleservitenévitantderegarderIsabel.Siseulementilpouvaitsedistrairedesesappétitssexuelsaveclamêmefacilitéqu'ildéviaitl'attentiondeChristopher...

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16

Finalement,labelledameentenditdescrisetunbruitdelutte.Aulieudefuir,elles'approchaetregarda, cachée à l'angle de la rue. Au milieu d'une petite place, l'Arlequin se battre contre cinqhommesàlafois.

Leshommesdonnaientdescoupsencriantàchaqueexpiration.Maisl'Arlequinsebattait, lui,ensilence.Etilsupprimaitméthodiquementsesadversaires,unàun.

Cettenuit-là, Isabel veilla tard,dans son lit, à sedemanderoùelle enétait.Elle avaitrejetélademandeenmariagedeWinter.Unautrehommeauraitsansdouteétésoulagéquelasituationsoitclarifiée:àprésent,soitilseretirait,soitilcontinuaitd'avoiruneliaisonavecelle,maissansplusrienattendre.

Aulieudequoi,ilavaitréussiàs'invitersoussontoit.

Isabel n'était pas naïve. Winter n'était pas seulement orgueilleux, il était aussiterriblement entêté. Elle en concluait qu'il n'avait pas renoncé à l'idée de l'épouser.Probablementétait-ilvraimentamoureuxd'elle.

Lajeunefemmefermalesyeux.Ellen'étaitpascapable,commelui,des'attacherautantàquelqu'un.Enfait,elleavait toujoursévitéde trops'impliquerémotionnellement.Elleneméritaitpassonamour.Ilfiniraitparledécouvrirunjouroul'autre,etcejour-là...

Ellen'avaitentenduaucunbruitmaissentaituneprésencedanslapièce.

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Elleouvritlesyeux.Ilétaitlà,aupieddesonlit,unechandelleàlamain,enpantalon,giletetmanchesdechemise.

— Pardonne-moi, dit-il, en posant la chandelle.Mais je ne pouvais pas attendre pluslongtemps.

Isabelsentitsoncœurs'emballerdanssapoitrine.Elleseredressasursescoudespourleregarderdéboutonnersongilet.

—C'esttrèsétrange,enfait,murmura-t-il,commes'ilseparlaitàlui-même.Jecroyaisêtre quelqu'un capable de se contrôler. J'ai réussi à garder le secret du Fantôme de Saint-Gilespendantneufans.Nimafamillenimesamisn'enontjamaisriensu.Jem'emportetrèsrarement.Jepeuxsouffrirdeblessuresensilence.Et j'avaispurestercélibataire jusqu'àcequejeterencontre.

Ilôtasongiletetlepliasoigneusementsurledossierd'unechaise.

—Maisvoilà,jet'airencontrée.Ettoutavoléenéclats.C'estévidemmenttafaute.

—Ma faute?Se récria Isabel,quin'avaitpasencoreditunmotdepuisqu'il avait faitirruptiondanssachambre.

Ilhochagravementlatête,commeunjugeautribunal.

—Oui.Considèreunpeulesfaits.Apeineas-turejointlecomitédesoutienàl'hospicedeSaint-Gilesquetuascommencéàmenarguer.

Isabel s'assit dans le lit, le dos droit. Elle était à la fois fascinée par ce raisonnementbiaisé et par ce torsemagnifique qui apparaissait àmesure qu'il déboutonnait sa chemise.Cela,iln'étaitpasquestionqu'elleleluidise.

—Tenarguer?Moi?

—Menarguer,oui.Tesregardsencoin,tesdécolletésprovocants...

Isabelbaissalesyeuxsursapoitrine.

—Mesdécolletésnesontpasprovocants!Enfin,pastoutletemps.

Winteraccrochasonregard.

—Ilssontprovocants, insista-t-il,alorsqu'ilcommençaitàdéboutonnersonpantalon.Etjeneparlepasdesleçonsdeflirt,nidesleçonsdedanse,oùtunerataispasuneoccasiondemetoucherlesfesses.

—Jenet'aijamaistouchélesfesses!Enfin,presquejamais.Etcen'étaitpasprémédité!assura-t-elle,avecunregarddeparfaiteinnocencequiauraitfaitfondrelecœurd'unprêtredel'Inquisitionespagnole.

Ilsedéfitdesonpantalonetdesoncaleçon,révélantuneérectionprochedelaverticale.Puisils'approchadulitd'unairmenaçant.

— Tu n'es qu'une odieuse séductrice qui s'en prend aux jeunes hommes purs et

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innocents,incapablesdesesoustraireàtonenvoûtementàsupposerqu'ilslesouhaitent.

Ilbonditsoudainsurlelit,avecunetelleénergiequ'Isabelneputretenirunpetitcri.

Puis, s'appuyantsuruncoude, il laissacourirsamain libresur lapoitrinede la jeunefemme,sursonventre,sursonentrejambeoùilresserralesdoigtsenungestepossessif.

—Commentaurais-jepunepassuccomberàtessortilègesdesirène?reprit-il.

Isabel avala sa salive. Elle réalisait que sous cette plaisanterie, il semblait nourrirquelqueressentimentcontreses«sortilègesdesirène».

—Queveux-tu?

—Oh,tusais trèsbienceque jeveux,répliqua-t-il, lesyeuxsur labouchede la jeunefemme.

Et il n'attendit ni réponse ni permission. Il s'empara de ses lèvres comme si elles luiappartenaient.

Isabels'agrippaàluietenfouitsesmainsdanssachevelure.

—Non,luidit-il,dutonqu'ilauraitemployépourparleràuneenfant.Cesoir,c'estmoiquicommande,milady.

Ilseredressa,d'unmouvementsvelte,etlasaisitparleshanches,pourlaretourneretlaplaquersurleventre.

Ellevoulutsedébattre,maisilpesaitdetoutsonpoidssurelle.

—Winter,laisse-moibouger.

— Non, murmura-t-il à son oreille, lui caressant doucement les cheveux, comme s'ilavaittoutsontemps.

Etcommesisonmembregonflédedésirnes'écrasaitpascontrelesfessesd'Isabel.

—T'ai-je déjà dit que j'adorais tes cheveux ?murmura-t-il encore. J'y rêvais souvent,toutseul,dansmonlitdemoine.Etjemeréveillaistoutexcité.

Ilpoussadesreins,commepourillustrersonpropos.

—Jetefaismal?demanda-t-il.

—Non,confessalajeunefemme.

—Maistoi,tum'asfaitdumal.

—Jesuisdésolée,réponditIsabel.

Ellevoulutseretourner,pourleregarderdanslesyeuxetluiassurerqu'ellen'avaitrienprémédité.Maisilsemblaitavoirperdusoninfiniepatience.

— Non, dit-il encore. Et il lui mordilla la nuque, comme le ferait un étalon avec sajument.

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Puis il laissa courir ses mains le long des flancs de la jeune femme, jusqu'à ce qu'ilatteigne le bas de sa chemise de nuit. Il commença alors à la retrousser. Après quoi, il sesoulevalégèrementpourluicaresserlesfesses.

Ilfinitparglisserunemainentresescuisses.

—Tumouilles,dit-ild'unevoixrauque,commeunsimpleconstat.

Ilenfouitundoigtdanssonintimité.Isabel fermalesyeux.Maisauboutdequelquesinstants,ilretirasondoigt.

—J'adoretonodeur,dit-il.

Et ilplaçasamainsur l'oreiller,prèsduvisagedela jeunefemme,pourqu'ellepuissesentirsapropreodeur.

—C'esttrèsanimal,maisc'esttrèsérotique,ajouta-t-il.

Isabel gémit. Elle mouillait de plus en plus. Pourquoi ne la retournait-il pas pour laprendre?Elleenavaitautantenviequelui.

Maisilrepritsescaressessursesfesses.

—Soulèveteshanches.Elleobéit.

Ilglissaunemainsouselle.

—Commetumouillesbien,murmura-t-il.

Il luiécartalescuissesavecsesgenoux,et ilsepositionnadesortequ'ellepuissebiensentirsonsexepalpitersursafente.Isabeldoutaitqu'ilpuisselapénétrerdanscetteposition;ellereposaitpresqueàplatventresursonlit.Pourtant,dèsqu'ilcommençaàpousser,ellesentit sonmembres'introduireenelle.Ellevoulut se cambrer,pour lui faciliter la tâcheetqu'ils'enfonceplusvite,maisilétaittropfort,tropentêté.Ilrefusaitdeluilaisserlamoindrelibertédemouvement.

Elleagrippal'oreilleràdeuxmains,tandisqu'illapénétraitavecunelenteuragonisanteetquesamainglisséesouselleluicaressaitleclitoris.

Puis il se retira légèrement, pour s'enfoncer avec plus de brutalité. Et il recommençaaussitôt,dansunva-et-vientétourdissant.

Isabel,écraséesoussonpoids,gémissaitdeplaisir.

—Jet'aime,murmurait-il,entredeuxcoupsdereins.Jet'aime.

Isabelperditlanotiondel'espaceetdutemps.

Son plaisir était à la limite de la douleur,mais cette douleur sourde lui procurait undivinplaisir,sibienqueplusrienn'importait,àcetinstantprésent,queleurétreinte.

Etilnes'arrêtaitpas!Ilahanait,maissesmouvementsneralentissaientpas.

—Jouis!luicria-t-il.Jouissurmaqueue!

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Sonordrefutcommeunelibération.Isabelsentitleplaisirserépandredanssesveinesetsesmusclessecontracter.Ellegémitentremblant,submergéeparl'orgasme.

Illarejoignitpresqueaussitôt,dansungrognementanimalquiravitlajeunefemme.

Puis il s'écroula sur son dos, son souffle contre sa joue. Mais la jeune femme nesongeaitpasàprotester:ellesesentaitbienainsi.Etuneidéefolleluitraversal'esprit:ellevoulait lui demander de rester pour la nuit. Après tout, quelle importance que lesdomestiquesledécouvrentdanssonlitdemainmatin?Elleétaitchezelle.Etelleétaitveuve.Elle...

Il se releva d'un seul mouvement. Isabel ressentit immédiatement le froid, sans soncorpssurlesien.

Ilramassaseshabitssansunmotetrepritsachandelle.

Etilquittalapièce.

LeFantômedeSaint-Gilessefaufilaitdanslanuit.

Il était plus deminuit, à présent, et les rues désertes de Saint-Giles étaient plongéesdansl'obscurité.Iln'avaitpasréussiàtrouverlesommeilaprèsavoirquittéIsabel.Alors, ilétait reparti à la recherchede l'atelier clandestin. Il avait absolumentbesoind'agir pour sechangerlesidées.

Ce soir, labêtequi sommeillait en lui avait échappéà son contrôle. Il avait rompu sapromesse de se tenir à l'écart d'Isabel, tout simplement parce que cela ne lui était plussupportable.Ilavaitdoncététrouverlajeunefemmedanssachambreetluiavaitfaitl'amouravectoutelaforcedumâlequ'ilétait.Maisprobablementn'avait-ellepasétéchoquéeparsoncomportement,sinonellen'auraitpasautantmouillé.Entoutcas,ellen'avaitpaseupeurdelui et il s'en réjouissait. Carmaintenant que la bête était sortie de sa cage, il ne serait pasfaciledelafaireretournerderrièresesbarreaux.

Winter secoua la tête, chassant ses pensées. Ce n'était pas le moment de se laisserdominerparsesémotions.Ilvenaitd'atteindrel'immeublesurlequelilcomptaitconcentrersesrecherchespourlanuit.

Ildégainasonépéeetfitirruptiondanslegrenierparunelucarne.

Autantquepossible,attaquetoujourstesennemisparenhaut, lui avaitsouventrépétésonmentor.

Plusieurssilhouettessedressèrentdevantlui,manifestementréveilléesensursautparsonirruptionfracassante.Untypeauxlargesépaulesetempestantlasueurvoulutluibarrerle chemin.Winter luidécochauncoupdepoingenpleine figurequi l'envoyabouler sur leplancher.Aprèss'êtreassuréqueletypenebougeaitplus,Winters'attaquaausuivant.

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Bang!Quelqu'un avait tiré un coup de feu dans le noir. Un court instant, la clarté de la

détonationaveuglatoutlemonde.

Winterfermalesyeuxetcontinuadesebattre.Desannéesplustôt,sirStanleyluiavaitapprisàseservirdesonépéeavecunsacsurlatête,pourqu'ilsoitcapabledesedéfendreenpareillescirconstances.

Sonadversaires'écroulasoudaincontrelui.EtWinterentenditunbruitdecavalcade.

Il repoussa le corps. Les autres s'étaient enfuis. La pièce était désormais déserte, àl'exceptiondesdeuxtypesqu'ilavaitcombattus.

Winterétaitsidéçuqu'ilattrapaviolemmentletypeàsespiedsparlecolpourl'obligeràserelever.

—Oùsontlesenfants?

Asongrandétonnement,savictimeluidésignal'extrémitédelapièce.

—Là.

Winterplissalesyeux.Soitletypeessayaitdesedébarrasserdelui,soitc'étaitunpiège.Ildevaitenavoirlecœurnet.

Tenant toujours le typepar lecol, il le tira jusqu'auboutde lapièce.Winters'aperçutqu'unepetiteporteétaitménagéedanslemur.Unimmenseespoirl'envahit,qu'ils'obligeaàcontenir.Saquêtes'étaitsisouventrévéléevainequ'iln'osaitplusycroire.

Une barre de bois avait été installée en travers de la porte.Winter la souleva, avantd'ouvrirprudemmentlebattant.Lapièce,derrière,étaitencoreplussombrequelapremière.C'étaitunréduittotalementdépourvudelumière.

Winter crut d'abord que l'endroit était vide. Puis une petite silhouette s'agita dansl'obscurité.Etuneautre.Etunetroisième.

Soudain,unefillettesematérialisadevantlui.Elleavaitlevisagedécharné.

—S'il vousplaît, dit-elle,d'une toutepetite voix. Il les avait trouvés. Il les avait enfintrouvés.

—Vousavezdelavisite,milady.

Meg leva les yeux du livre ouvert sur ses genoux. Elle n'aurait pas su dire depuiscombiendetempselleétaitassisedanslabibliothèque,aveccelivrecommeprétexte.Maislatassedethéposéeàcôtéd'elleétaitvidec'étaitunindiceéloquent.

—Jenereçoispasdevisites,répondit-elled'unevoixmorne.

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—Oh,maiscelanepeutpass'appliqueràmoi,assuraladyBeckinhall,faisantirruptiondanslapiècederrièrelemajordome.

Ellelecongédiad'unsignedelamain.Ledomestiqueparutsoulagéets'éclipsa.

—Jesuisvenuevoussortir,annonçaladyBeckinhall.

—J'ailamigraine.

—Raisondeplus.Unpeud'airfraisvousferaleplusgrandbien.

—D'ordinaire,lesmédecinsprescriventlerepospourcegenredemaux.

— Ils prescrivent le repos pour tout, objecta lady Beckinhall. S'il vous plaît, faites uneffort,ladyMargaret.VoilàdéjàpresqueunesemainequeM.Makepeaceaquittél'orphelinat.NousdevrionsallervoirsiladyPénélopen'apasdéjàconduitl'établissementàlafaillite.

— M. Makepeace est parti ? s'exclama Meg, qui parut un moment manifester del'intérêt.

—Oui.Deuxjoursaprès...

LadyBeckinhalls'interrompit,avecunegrimaceembarrassée.DeuxjoursaprèslamortdeRoger.Megbaissalesyeuxsursonlivre.Sonregardsevoila.

—Jesuisdésolée.Jenepeuxpas.

LadyBeckinhalls'approcha.

—Pourquoi?

—Jenepeuxpas,répétaMeg.

LadyBeckinhallposaunemainsursonfront.

—Seriez-vousréellementmalade?Avez-vousvuunmédecin?

—Non!SerécriaMeg,repoussantsamain.Cen'estpascela.

—Alors,qu'ya-t-il?

LaréponseéchappaàMeg:

—Jesuisenceinte.

LadyBeckinhallblêmit.Sonregardétaithorrifié.

Voilàquiétaitsplendide.Apparemment,Megavaitréussiàchoquerlaseulefemmedesaconnaissancequinesechoquaitjamaisderien.

—Jesuisdésolée,murmura-t-elle.Jenesaispaspourquoijevousl'aidit.Oubliez...

—Vousme l'avezdit parceque vous avezbesoind'aide, la coupa ladyBeckinhall, quiretrouvaitdéjàdescouleurs.Etvousvousêtesadresséeàlabonnepersonne.

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17

Quandl'Arlequinsefutdébarrassédesondernierassaillant,labelledamecourutverslui.Maisil tournait déjà les talonspour s'enfuirdans lanuit.Labelledame le suivit desheuresdurant sansjamais le perdre de vue, jusqu'à ce qu'il s'engage soudain dans une impasse. La belle dame seprécipita:ellelançalacordelettedesescheveuxàlamanièred'unlassoetluiemprisonnalesbraslelongducorps.Decettefaçon,elleavaitenchaînél'Arlequinavecsonamour.

Isabelentradanssasalleàmangerpourledéjeuner.Finalement,ellen'avaitpasétéàl'hospice. Elle était restée unmoment avec ladyMargaret, avant de rentrer chez elle pourécrireunelettreconcernantsonamie.Etmaintenant,elleavaitfaim.

Winter était déjà assis à la table en bois de rose, une tasse de thé devant lui. C'étaitétrange.D'ordinaire,Winterdévoraitunplantureuxpetitdéjeuner,avantdedisparaîtrepourle restant de la journée dans la nursery, ou dans la chambre qu'Isabel lui avait allouée.Pourquoisemontrait-il,aujourd'hui,àl'heuredudéjeuner?Selevait-ilseulement?

—Quesepasse-t-il?demandalajeunefemme,sansautrepréambule.

Ilnelevamêmepaslesyeuxdesatassedethé.

—Jelesaitrouvés.

Isabel se tourna vers le valet, debout dans un coin, et qui faisait semblant de ne pasécouter:

—Allezprévenirlacuisinièrequenousseronsdeuxàdéjeuner.

Dèsquelevaletsefutéclipsé,ellereportasonattentionsurWinter:

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—Trouvéquoi?

—Lesenfants.

Ellefronçalessourcils.

—C'estunebonnenouvelle,non?

Illevalesyeuxdanssadirection.Desyeuxcernés.Elleenconclutqu'elles'étaittrompée:ilneselevaitpas.Probablementnes'était-ilpascouchédutout.

Elletiraunechaiseets'assit.

—Raconte-moitout.

Ilécartasesmainsdevantluietcontemplasespaumes,commes'ilcherchaitàliresonpassé,ousonavenir.

— Elles étaient quinze. Quinze fillettes entassées dans un grenier sans fenêtre niventilation.Aucunen'asouriquandj'aiouvertlaportedeleurprison.Jecroisqu'ellesavaientrenoncéàtoutespoir.

Isabelfermabrièvementlesyeux.

—Maistuasfiniparlestrouver.Ellesréapprendrontàsourire.

—Jen'ensuispassûr,soupira-t-ilensecouantlatête.

—Oùsont-elles,àprésent?

— Je les ai conduites à l'orphelinat. J'ai frappé à la porte, et je me suis caché dansl'ombre, jusqu'à ce que la porte s'ouvre et qu'elles puissent entrer. Aucune n'a cherché às'enfuirpendantqu'ellesattendaient.

Levaletrevint,suivid'unautre.Ilsportaientdeuxplateauxchargésdeviandefroide,defromage,depainetdefruits.

—Posezcelaici,leurditIsabel,indiquantlatable.Nousnousservironsnous-mêmes.

Elleattenditqu'ilssoientpartis,avantdegarnirl'assiettedeWinterd'unpeudetout.

—Tiens,mange.Tuenasbesoin.

Ilcontemplalanourriturecommes'iln'enavaitjamaisvuauparavant.

—Quand je suis arrivé, je suis tombé surdes adultes dans la premièrepièce,mais laplupartsesontenfuis.J'aiquandmêmepueninterrogerun,mais iln'apassumedirequiétaitderrièrecetrafic.Quelaristocratesefaisaitdel'argentsurledosdemalheureuxenfants.Probablementn'a-t-iljamaisvud'Arqué.

Isabelseservaitunetassedethéetinterrompitsongeste.

—Lordd'Arqué?

—Oui, s'impatienta-t-il. Je t'ai déjà expliqué que j'avais trouvé unmorceau de papier

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portantsonsceaudanslamaind'unenfantquej'avaissauvédecesravisseurs.

—Tum'asditcela,eneffet.Maistunem'asjamaisditquesesravisseursétaientliésàcetatelierclandestin.

—Ahbon?fit-il,fronçantlessourcils.C'étaitpourtantlecas.LesgensdeSaint-GileslesappellentlesKidnappeurs.Maisapparemment,ilspréfèrentlesfilles.Ellesontdepluspetitsdoigtsetellessontplushabilespourcoudre.

—J'aidumalàimaginerlordd'Arquéimpliquédansunetelleaffaire.

—J'aireconnusoncochercommel'undesKidnappeurs.

—Luias-tuparlé?

Wintergrimaça.

—Oui.Ilm'aditquecen'étaitpasd'Arqué.

—Etbien,alors...

—Mais ilaréussiàs'enfuiravantquej'obtiennedavantaged'aveux.Jesuisconvaincuqu'ilcherchaitsimplementàcouvrirsonmaître.

—Amoinsqu'iln'aitditlavérité.Jesaisquetun'aimespaslevicomteetj'admetsqu'ilpeutsemontrer insupportable,maiscelanefaitpasde luiuncriminel.Niunexploiteurdepetitesfilles.

Ilsecoualatête.

—Jepensequetonjugementestaltéré.

Isabelsesouvintdesonexpressionquandlordd'Arquéavaitflirtéavecelle,aubaldeladuchessed'Arlington.

—Jepensequeletienaussi.

Ilhaussa les épaules sans répondre. Isabel enprofitapourprendredu fromageetdesfruits.

— Pourquoi nemontres-tu pas ce papier à lord d'Arqué pour lui demander qui a puécriredessus?

Il lui jetaunregardironiqueetgardalesilence.Isabelajoutadulaitetdusucreàsonthé,avantd'enboireunegorgée.

—Quefabriquaientcesenfantsdansl'atelier?Tunemel'aspasdit.

—Desbas!Imagineunpeu.Cespauvresfillettescousaientdesbasornésdedentelles,àlamodefrançaise,pourlesdamesfrivolesdelabonnesociété.

Isabelreposasoudainsatassedethé.

—As-tuvucesbas?

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—Seulementcettenuit.Lesfuyardsenontabandonnéuneboîtederrièreeux.

Ils étaient seuls dans la salle à manger. Isabel se leva de son siège pour rejoindreWinter. Il l'interrogeaduregard.La jeune femmeplaçasonpiedsur lachaisevoisinede lasienneetrelevasesjupes.

—Desbascommecelui-ci?demanda-t-elle.

Ilsefigeaendécouvrantlebasquihabillaitsonmollet.Ilétaitbrodéetornédedentelleblanche.Unedentelledélicate,quidevaitcoûterunefortune.

Illevadesyeuxbrillantsdecolère.

—Oùas-tueucela?

Isabellaissaretombersesjupesetreposasonpiedparterre.

—C'estma camériste,Pinkney,qui les a achetés. J'ignoreoù,mais je saisque leprixl'affolait.

—Pourrais-tulafairevenirici?

—Biensûr.

Elleallaouvrirlaporte,pourdonnerl'ordreauvaletquiattendaitdanslecouloir.

Winter était furieux, elle le voyait bien. Les dames frivoles de la bonnesociété. La prenait-il pour l'une de ces femmes qui se moquaient éperdument de laprovenance de leurs vêtements pourvu qu'ils soient à la dernièremode ?Mais après tout,n'était-ellepasl'uned'elles?

ElleserassitsursachaisepourattendrePinkney.Ilrestaitmuet,lesyeuxbaisséssurlatable.Laportes'ouvritetPinkneyentra.

—Vousvouliezmevoir,milady?

—Oui,jevoulaisteposerdesquestionssurlesbasquetum'asachetés.

Pinkneyhaussalessourcils.

—Lesbas,milady?

—Oùvouslesêtes-vousprocurés?demandaWinter,d'unevoixgrave.

Pinkneyécarquillalesyeux.

— Je... je... dans une petite boutique de Baker Street, milady. La marchande ne lesexposepas.Ellelesgardedanssonarrière-boutique.Ilfautsavoir…

—Etcommentas-tuétémiseaucourant?demandaIsabel.

Pinkneyhaussalesépaules.

— C'est le genre d'information qui se colporte vite, milady. Où trouver les meilleurs

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gantspourenfants.Quelcordonnierfabriquelesescarpinslesplusfins.Etquivenddesbasàlamodefrançaise.C'estmontravail,milady,desavoirtoutcela.

Pinkney les regardait tous les deux avec une sorte de dignité offensée car elle avaitraison:c'étaitsontravail,etelles'enacquittaitàlaperfection.

—Merci,Pinkney,ceseratout,luiditIsabel.Sacaméristes'inclinapoliment.

—Bien,milady.

Elletournaitdéjàlestalons,maisIsabellarappela:

—Attends.

Ellerelevadenouveausesjupes,etôtaseschaussures,poursedébarrasserdesesbasqu'elledonnaàsacamériste.

—Brûle-les,s'ilteplaît.Ainsiquetouslesautres.

Pinkney avait ouvert grand la bouche en voyant Isabel retrousser ses jupes devantWinter.Ellelafermad'uncoup.

—Bien,milady.

Ellepritlesbasets'éclipsa.

— Pourquoi l'as-tu congédiée ? demanda sèchementWinter. Elle aurait peut-être punousenapprendredavantage,sinousl'avionsquestionnée.

Isabelsecoualatête.

—J'endoutefort.C'estuneexcellentecamériste,maisellenes'intéresseàriend'autrequelamode.

Winterselevadetable.

—Alors,jevaisrendreunepetitevisiteàcettemarchandedeBakerStreet.Ellepourrapeut-êtremedonnerd'autresinformations.

—EtChristopher?Nedevais-tupasluidonnerdesleçons,aujourd'hui?

Winterétaitdéjààlaporte.Ilseretourna.

—Si.Mais samère avait apparemment d'autres projets. Jeme suis laissé dire qu'ellel'avaitemmenéenpromenade,tôtcematin.

—Que...

Maisilétaitdéjàparti.

Étrange. Louise ne venait voir Christopher qu'une fois par mois au mieux etgénéralement dans l'après-midi. Pour la raison très simple qu'elle se levait rarement avantmidi.

Isabel soupira, et sedécida àmanger son fromage et ses fruits.Devait-elle désormais

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contrôler tout ce que lui achetait Pinkney pour s'assurer que rien n'était fabriqué par desenfantsmaltraités?Oudevait-ellecarrémentrenoncerauxaccessoiresàladernièremodeetauxrobesluxueusesquiréclamaientdesheuresetdesheuresdebroderie?

Ellepourraitbiensûrs'habillerenbonnesœur,bannirtouteslescouleursdesagarde-robe...etsombrerdansladéprime.Isabelaimaitlesbellestoilettes,lesdessousextravagantset,d'unemanièregénérale, toutcequeWinterconsidérait comme frivole.Ellenesevoyaitpasrenonceràl'undesgrandsplaisirsdesavie.

C'était une autre bonne raison pour ne pas l'épouser. Même si Winter l'aimaitsincèrement, il ne pourrait pas s'empêcher de lui faire des reproches sur sa manière des'habiller.Abienyréfléchir,ilsn'étaientpasfaitsl'unpourl'autre.

Cependant, ce constat, loin l'apaiser, l'attristait terriblement. Car si sa raison étaitconvaincuequ'ellenepouvaitpasl'épouser,soncœurserebellait.

Laportes'ouvrit.Isabeltournalatête,heureused'unediversion,quellequ'ellesoit.

Louise entra, les joues colorées, les yeux brillants d'excitation. Ses cheveux blondsétaientornésd'unrubanroseetelleportaitunerobetouteneuve.

—Oh,Isabel,ilm'arriveunechosemerveilleuse!J'aitrouvéunprotecteurquim'offreunemaison.JevaispouvoirprendreChristopheravecmoidèscettesemaine.

Isabelouvrit labouche,maisaucunsonn'ensortit.Louisepoursuivitsonbavardageàpropos de sonprotecteur et de lamaisondans laquelle elle s'apprêtait à emménager,maisc'étaitcommesisavoixluiparvenaitétouffée.

IsabelavaitacceptéàcontrecœurdeprendreChristophersoussonaile,etuniquementparce qu'il n'v avait personne d'autre susceptible de s'occuper de lui. Elle avait considérél'enfant comme un fardeau : outre qu'il était le témoignage vivant - mais innocent - del'infidélitéd'Edmund, il luirappelaitsanscessesoninfertilité.Unenfantavaitbesoind'unemèreetLouise,quelsquesoientsesdéfauts,étaitlamèredeChristopher.

Pourtant, Isabelétait tristed'apprendrequeChristopherallaitpartir.Toutsimplementparcequ'elles'étaitmiseàaimercegarçon.

—Jeviendrailechercherdemain,sivousêtesd'accord?proposaLouise.

Isabelclignadesyeux.

—Oui,biensûr.Ceseraparfait.Quepouvait-ellerépondred'autre?

Tard,cesoir-là,Winterpoussalaportedelachambrequ'iloccupaitchezIsabelaveclasensationd'êtreépuisé,aussibienphysiquementquementalement.Cependant, lespectaclequil'attendaitravivatoussessens.

Isabell'attendaitdanssonlit,etd'aprèscequ'ilpouvaitvoir,elleétaitnue.

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Ilrefermalaportederrièrelui.

Lachambrequ'elle luiavaitoctroyéeétaitplusagréablequesonanciennechambredel'orphelinat.Commeellesetrouvaitaumêmeétagequelachambredelajeunefemme,ilenavaitdéduitquec'étaitunechambred'amis,plutôtqu'unlogementdedomestique.Lelitétaitgrandet confortable,et lemobilier rendait lapiècechaleureuse :un fauteuilpours'asseoirdevantlacheminée,unependerie,unetabledetoiletteaveccuvetteetpichet.Isabelavaitdûchoisircettechambreparcequ'ellesedoutaitquesadécorationsimpleluiplairait.

—Quefais-tulà?demanda-t-il.

Elleluisourit.

—ChermonsieurMakepeace,jesaisquevousn'avezpaspuprendrebeaucoupdeleçonsdesavoir-vivre,maisjepensequevousn'avezpasbesoindemedemandercequejefaisici?

Savoixétaitétrange.Winters'alarma.

—Ques'est-ilpassé?

Ellefitlamoue.

—Devrait-ilm'arriverquelquechosepourquejeviennetevoirdanstachambre?

Ils'approchadulit.

—Danscescirconstances,oui.Dis-moitout,Isabel.

Elledétournaleregard,sansrépondre.Maisseslèvrestremblaient.

Winterétaitbouleversé.Ilgrimpasurlelit,touthabillé,pourlaserrertrèsfortdanssesbras.

—Isabel.

Elleavalasasalive.

— Te souviens-tu de la première fois où tu es venu dans cette maison et que tu asrencontréChristopher?

—Oui,murmura-t-il,sedemandantoùtoutcelaallaitmener.

—J'étaisfroideaveclui.

—Isabel,protestaWinter.

—Non,inutiledenier.J'étaisglaciale.Cen'étaitpassafaute,maisilmerappelaittropceque jenepourrai jamais avoir. Jen'avaisqu'unehâte :m'endébarrasser. J'espéraisqueLouise trouverait unmoyende le reprendre avec elle. Tu vas rire,maismon souhait a étéexaucé.

Winter,effondré,fermalesyeux.Alorsqu'ellecommençaittoutjusted'ouvrirsoncœuràChristopher,voilàquel'enfantluiétaitrepris.Unvéritablechoc.

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—Jesuisdésolé,dit-il.Oùcompte-t-ellel'emmener?

—Elle s'est trouvéunnouveauprotecteur.Un richenégociant. Il lui a louéunebellemaisondeville.

Winterfronçalessourcils.

—CeneserapaslemeilleurendroitpouréleverChristopher.

—J'aipensélamêmechose.Maisj'aipeurquemonaffectionpourChristophern'altèremon jugement. Je veux qu'il soit heureux. Et probablement sera-t-il plus heureux avec samère?

Saquestionétaitdouloureuse.

Wintersoupira.

—Jen'ensaisrien.Toutcequejesais,c'estqu'ilsemblaittrèsheureuxici.Etquetoi,tusemblaisheureusedel'avoiravectoi.

—Oui,maisceque jeressensn'apasd'importance.Jenedoispenserqu'à l'intérêtdecetenfant.

Winterappuyasonfrontcontreceluidelajeunefemme.

—Fairecequiestlemieuxn'estpasforcémentunsacrifice.

IsabelselovaitcontreWinter.

—Ilyaautrechose,devina-t-il.Cen'estpasseulementledépartdeChristopherquitetracasse.

Isabelnicha son visagedans l'épauledeWinter.Ellene voulait pas enparler.Ellenevoulaitmême pas y penser. Pourquoi ne lui faisait-il pas simplement l'amour pour qu'ellepuissetoutoublier?

Mais il lui caressait tendrement les cheveux.Aucunhommene l'avait jamais caresséeainsietelleréalisaquecelaluimanqueraitterriblementlorsqu'ilneseraitpluslà.

—Dis-moi,Isabel,lapressa-t-il.

Ellefermalesyeux.

—Je... j'aivuuneamie,aujourd'hui.Unetrèsbonneamie.Ellem'aconfiéqu'elleétaitenceinte.

LamaindeWintersefigeauninstantavantdereprendresescaresses.

—Jesuisdésolé,murmura-t-il.Jemedoutequecelaadûêtreduràentendrepourtoi.

—Çanedevraitpasl'être.Jedevraisêtrecapabledemeréjouirdesbonnesnouvelleset

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de les fêteravecmesamies.Jesuis tropmesquine.Jenevoisquemespropresproblèmes.J'aimeraisêtrequelqu'undemieux.

—Nousledésironstous.

—Non,toituesparfaittelquetues.

—Oh,jesuisloind'êtreparfait.Jepensaisquetuavaisfinipart'enapercevoir.

Non. Plus elle apprenait à le connaître, plus elle le trouvait parfait : altruiste, fort,courageux,attentionné...lalistedesesqualitésnecessaitdes'allonger.Encomparaison,ellesejugeaitmédiocreetelleavaitlacertitudedenepasméritersonamour.

—Tunesaispasencorelepire,murmura-t-elle.

—Alors,dis-le-moi.

Elleinspiraprofondémentavantdeconfesser:

—Mon amie n'est pasmariée. Évidemment, elle est au désespoir et ne sait pas quoifaire.Maispendanttoutletempsqu'ellepleuraitdansmesbras,jenefaisaisquepensera...

C'étaitsiterrible,qu'elleneparvenaitpasàl'avouer.Maisilavaitdeviné.

—Tuauraisvouluêtreàsaplace.

Elles'écartabrutalementdelui.

—Pourquoi,Winter?Pourquoi?Pourquoiporte-t-elleunenfantquivadétruiresavie,alorsquemoi,j'aimeraistantenavoirunetquejenepeuxpas?

Elleéclataensanglots.

Winter la reprit dans ses bras. Elle voulut résister. Sa jalousie, ses larmes... tout celaétaittropmonstrueux.Ildevaitladétester.Oualors,laplaindre,cequiétaitencorepire.

Pourquoi fallait-il que, de tous les hommes, il soit le seul à la voir sous son plusmauvaisjour?

Mais elle finit par se laisser aller. Parce que c'était Winter, et qu'elle avait comprisqu'ellenepourraitjamaisluirésister.Ilétaitdevenuplusqu'unamant.Etplusqu'unami.Enfait,ellen'arrivaitpasàdéfinircequ'ilétaitexactementpourelle,maisellecraignaitquecelanesoitdestinéàdurerpourtoujourscommes'ilavaitgravésonempreintedanssachair.

Pourvu,seulement,qu'ilnes'enaperçoivepas!

Ellel'embrassa,etseslèvresavaientlegoûtdeslarmes.Ellel'embrassaavecpassion.

Ellelesentitseraidir.

—Isabel,dit-il,s'arrachantàsonétreinte.Nousnedevrionspas,danstonétat.

Il avait pitié d'elle ! La jeune femme repoussa brutalement les couvertures, pourgrimpersurlui.

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—Non,Isabel.

Maiselledevina,àsavoix,qu'ilnetarderaitpasàserendre.

Ellepritsonvisagedanssesmainsetellel'embrassadenouveau,avecautorité,pourluifairecomprendreàquelpointelleledésirait.

—Isabel,non,protesta-t-il.

—Pourquoinon?J'aienviedetoimaintenant.Etj'aibesoind'oublier.

—Jepeuxtecomprendre.Maispasdecettefaçon.Jenesuispasunobjetsexuel.

Ellereculainvolontairement,commes'ill'avaitfrappée.

— Qu'en sais-tu ? répliqua-t-elle vicieusement. Peut-être ne t'ai-je jamais considéréautrementquecommeunobjetsexuel?

Ilréagitàlavitessedel'éclair:renversantlajeunefemmesouslui,illuiplaqualesbraslelongdesflancs.

Croisantsonregard,Isabels'attendaitàvoirdelacolèredanssesyeux,maisellen'ylutquedelacompassion.

C'enétait trop.Elle fonditdenouveauenlarmes.Degrosses larmesquicharriaientsacolère,sonchagrin,sonamertumeettoutescessensationsquil'étouffaient.

Illaserrafortdanssesbras,laberçantcommesiellen'étaitqu'unbébé.

Sagentillessenefitqu'aviverledésespoirdelajeunefemme.Elleserebella,lefrappantaux épaules avec ses poings. En réponse, il l'étreignit encore plus fort, luimurmurant desparoles apaisantes, tandis qu'elle continuait de pleurer sur son mariage qui n'avait pascomblé toussesrêves, surses faussescoucheset sur lesenfantsqu'ellenepourrait jamaisavoir.Elleavaittroplongtempscontenusonchagrin.Ilexplosait.

Ellepleurajusqu'àcequemêmesescheveuxsoientmouillésdelarmesetquesesyeuxsetarissent.Enfin,elleputentendrecequeluimurmuraitWinter.

—Tuessicourageuse,disait-il.Sibelleetsicourageuse.

—Jenesuispasbelle.J'auraispréféréquetunemevoiespasdanscetétat.

Elle devait être horrible. Si horrible qu'elle voulut enfouir son visage au creux del'épauledeWinter.

Maisilluipritlementonpourl'obligeràleregarderdanslesyeux.

—Aucontraire,dit-il.Jem'estimeprivilégiédetevoirtellequetuesréellement.Portetonmasquemondain tant qu'il te plaira dans les réceptions ou avec tes amis.Mais quandnous ne sommes que tous les deux, promets-moi de ne jamais me montrer que ton vraivisage, quoi que tupuisses enpenser.Notre véritable intimitén'est pasdansnos étreintespassionnées,maisdansnotreaptitudeàêtrenous-mêmesquandnoussommesensemble.

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Isabellecontemplait,fascinée.

—Commentpeux-tuêtresisage?

Ilsecoualatête.

—Jen'ysuispourrien.C'esttoiquim'asmontrélechemin.

Ilétaittropgénéreux.EtIsabelétaittropfatiguéepourargumenter.Winterroulasurlecôtéetlaserracontrelui.

—Dors,dit-il.

Isabelfermalesyeuxetluiobéit.Maisalorsqu'ellesombraitdanslesommeil,laréalités'imposaàelle:Elleaimaitcethomme.Etpourtoujours.

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L'Arlequinétaitenchaînépar l'Amour.Mais sesyeuxétaient toujours sansvie.Labelledameouvritprécautionneusementlafiolecontenantseslarmeset,deboutsurlapointedespieds,elleversaleliquidesursesyeux.Aucontactdelapremièregouttequitombasursapupille,l'Arlequinrugitetsedébattit.Mais labelledamepersévéra, lui lavant chaqueœil avec ses larmes.Quand la fiole futvide,ellerecula.Lesyeuxdel'Arlequinavaientretrouvéleurcouleurmarron,etlaflammedelavie.

Winter se réveilla un peu avant l'aube. Isabel dormait toujours contre lui et sarespirationétaitrégulière.Laconversationdelaveilleluirevintenmémoire:«Fairecequiestlemieuxn'estpasforcémentunsacrifice.»Ilétaitpeut-êtretempsqu'ilsuive,luiaussi,cetadage.S'ilvoulaitépouserIsabel,ilfaudraitqu'ilrenonceàêtreleFantômedeSaint-Giles.Carilnepouvaitpasavoirlajeunefemmeetprendrelerisquedelamettreendanger.Il lesavait depuis longtemps. C'était d'ailleurs pour cela qu'il était resté célibataire durant tantd'années.Unhommemariédevait,aussietenpremierlieu,fairepassersafamilleavanttout.LeFantômeluiprenaittoutesonénergie.

Mais avant que ce mystérieux personnage ne disparaisse, il devait clore l'affaire desKidnappeursetdécouvrirl'aristocratequisecachaitderrièrecetesclavagedepetitesfilles.

Pour commencer, il se confronterait à d'Arqué. Soit le vicomte était coupable, soit

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Winterpourraitl'éliminerdesaliste.

Uneautremissionl'attendaitégalement.Plusurgente.

Winterselevasansbruit,s'habillarapidementetglissaquelqueseffetsdanssonsacdevoyage.PuisilregardaIsabel.Lajeunefemmedormaittoujourspaisiblement,unemainsouslajoue,commeunepetitefille.Winterbrûlaitd'enviedel'embrasseravantdepartir,maisilseretintcarilnevoulaitpaslaréveiller.

Dehors, Londres commençait à peine à s'animer. Une femme de ménage aux traitsengourdisparlesommeilnettoyaitleperrondelamaisonvoisine.Elleneseretournamêmepasquandilpassasurletrottoir.Enrevanche,unlivreurdelaitsaluaWinterjoyeusementetcelui-ciluirenditsonsalut.

Le temps qu'il arrive dans Saint-Giles, le soleil était déjà levé, mais le ciel restaitcouvert.La lumière était celled'une finde journée.Winter resserra sonmanteau.Lapluieferaitprobablementsonapparitionavantmidi.

Tout lemonde, à l'orphelinat, était bien sûr déjà debout.Winter frappa à la porte dederrière.

C'estMmeMedinaquiluiouvrit.Elleécarquillalesyeuxenlevoyant.

—Seriez-vousderetour,monsieurMakepeace?

—Non,désolé,madameMedina,réponditWinter.J'aidonnémaparolequejepartaisetje ne reviendrai pas dessus. Mais j'aimerais m'entretenir quelques minutes avec JosephTinbox.Ici,danslaruelle.

—Ah,monsieur,c'estbiendommagequevousnereveniezpas.Dieusait si lamaisonauraitbesoindevous.PourJoseph,jevaisvoir.

EllerefermalaporteavantqueWinteraitpurépliquer.

Puisilentenditdescoupsetdescrisprovenirdederrièrelaporte.Commesilacuisineétaitlelieud'unebataillerangée.

Finalement, Joseph Tinbox finit par sortir. Ses cheveux étaient tout ébouriffés et sachemisearboraitunetachequinedataitmanifestementpasdupetitdéjeuner.

—Vousvoulezquoi?demanda-t-il,regardantsespiedsd'unairbuté.

— Je suis venu te dire au revoir, Joseph, répondit gentimentWinter. Je crois que tuembarquesdemain?

Josephhochalatêtesansunmot.

Winter eut un moment de doute. Peut-être avait-il fait le mauvais choix ? Peut-êtreJosephluireprocherait-iltoutesaviedeluiavoirimposéladureviedemarin?

SaufqueJosephneseraitpasunsimplematelot.Ildeviendraitofficier.C'étaitpourluilachanceinespéréederêveràunecarrière.Etdegagnerassezd'argentpourenvisagerdefinir

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sesvieuxjoursdansuncharmantcottageàlacampagne.Cettecommissionnavalechangeraitsavie.

—J'espèreque tuécriras,Joseph.Sinonàmoi,dumoinsàPeach,àNelletà tous tescamaradesdel'orphelinat

—Oui,monsieur,marmonnaJoseph,leslèvrestremblantes.

—Etpourcela,j'aipenséàuncadeau,repritWinter.Ilposasonsacparterreetensortituneboîteenbois.Lacuriositéavaittoujoursétél'undestraitsdecaractèredeJoseph.

—Qu'est-cequec'est?

Wintersoulevalecouvercledelaboîte.Ellecontenaitunpetitencrier,unassortimentdeplumes,dupapieretmêmeunpetitcanifpourtaillerlesplumes.Letoutrépartidansdescompartimentsastucieusementagencés.

—C'est une écritoire de voyage.Monpère s'en servait quand il partait à la campagneacheterdugrainpoursabrasserie.Tuvois?Toutestprévupourqueriennebouge,mêmesilaboîteestsecouée.

Joseph contemplait la boîte avec des yeux ronds comme des soucoupes. Il ouvrit labouche,maisaucunsonn'ensortit.Wintern'étaitpasmécontentdeluiavoircoupélesifflet.

Finalement,Josephprit laboîtedanssesmains,pourlacaresseret l'examinerplusendétail.

—Merci,monsieur.

Winterhochalatête.Luiaussi,toutàcoup,seretrouvaitsansvoix.Ilseraclalagorge.

—Joseph,j'aimeraisquenousnoussérionslamain.

—D'accord,monsieur,réponditJoseph.Etiltenditsamain.

Winterlapritpourlaserrer.Puisilfitcequ'iln'avaitjamaisfaitavecaucunautreenfantdel'orphelinat:ilenlaçaJosephquitenaittoujoursl'écritoiredanssesbras.Josephpassasamainlibreautourdesoncou.

Winterfinitparlerelâcher.

—Prendssoindetoi,Joseph.

Lesyeuxdugarçonétaientpleinsdelarmes.

—Oui,monsieur.

Ilrentradansl'orphelinat,sonécritoiresouslebras,maisilressortitpresqueaussitôtsatêteparlaporte,pourajouter:

—Etjevousprometsdevousécrire!

Il disparut sur ces mots. Winter resta à regarder la porte close, la gorge serrée, sedemandantquand il reverraitJosephTinbox.Legarçon le remercierait-ilde l'avoirobligéà

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prendrelameroulemaudirait-il?

Winterrenversalatêteenarrière,pourcueillirsursonvisagelespremièresgouttesdepluie.Sic'étaitàrefaire,ilprendraitlamêmedécision.

—Jecroyaisavoirvotrepromessedequitterl'orphelinat,Makepeace?Luidemandalavoixdelordd'Arqué,danssondos.

—Vousl'avez,milord,réponditWinter.Ilseretournalentementetdésignalaportedelacuisine:Vousnoterezquejemetrouveàl'extérieur.

D'Arquéétaitavecsesdeuxamis,lordKershawetM.Seymour.Levicomtegrognad'unairsceptique.

—Veillezànepastroprôderdanslesparages.Jepourraisrevenirsurnotremarché.

—Vousneleferezpas.Vousavezdonnévotreparoledegentleman.Reniez-la,etvouspourrezêtresûrquej'enrépandrailanouvelledanstoutMayfair.

D'ArquéparutsurprisdelasoudainefermetédeWinter.Tantmieux.Levicomtedevaitapprendrequ'ilnepouvaitpasprendrelesgenspourdesjouets.

M.Seymours'éclaircitlavoix.

—Sivousn'êtespasvenuàl'orphelinat,alorsquefaites-vousici,monsieurMakepeace?

— Je pourrais vous retourner la question,monsieur Seymour. Je remarque que vousfréquentezbeaucoupcetendroit.AinsiquelordKershaw.

Lord Kershaw se raidit. Le ton un peu trop familier de Winter lui déplaisaitmanifestement.MaisM.Seymoursourit.

—Unorphelinatestquelquechosedesifascinantpournousautresaristocratesblasés.Parailleurs,nousavonsapprisqueleFantômedeSaint-Gilesavaitamenéplusieursfillettesàl'établissement.Kershawetmoi,nousvoulionssavoircequ'ilenétaitexactement.

— Dans ce cas, votre curiosité n'est pas très différente de la mienne. J'aimeraisbeaucoupdécouvrirquiretenaitcesmalheureuxenfantsprisonniers.D'ailleurs, jecroisquejevaisallerfouillerlegrenieroùleFantômelesatrouvés.

— Vraiment ? fit M. Seymour, dont la curiosité semblait piquée. Vous savez où leFantômelesatrouvés?

Winterhochalatête.Seymoursemblaitêtreleseulàs'intéresseràl'atelierclandestin.Kershawbâillaitetd'Arquéregardaitdanslevide,commes'ilpensaitàautrechose.

— Dans ce cas, j'aimerais vous accompagner, reprit Seymour. Avec votre permission,biensûr.

Winterfronçalessourcils.

—J'avaisprévud'yallerseul.

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—Deuxpairesd'yeuxvalentmieuxqu'une,necroyez-vouspas?demandaM.Seymour.

— C'est vrai, admit Winter, qui s'adressa aux deux autres gentlemen. Désirez-vousparticiper,vousaussi,ànotreinvestigation?

Lordd'Arquésecoualatête.Laperspectiveparaissaitl'ennuyerauplushautpoint.LordKershaweutunemouedédaigneuse.

—Non,merci.

WinterhochalatêteetsetournaversM.Seymour:

—Alors,allons-y.

—Non,décrétaIsabel,avectoutel'autoritéqu'ellepûtmanifester.

Louiseécarquillalesyeux.

—MaisjesuislamèredeChristopher.Ilestnaturelqu'ilsoitavecmoi.

—Oui,c'estcequej'aid'abordpensé,acquiesçaIsabel,tandisqu'elleservaitlethédanssonsalon.Maisj'aireconsidérélaquestionetjesuisarrivéeàlaconclusionquecen'étaitpassouhaitable.

Louiseclignadesyeux.

—Maisjesuissamère!Insista-t-elle.

— Certes, acquiesça Isabel, avant de tendre une tasse à Louise, qui la pritmachinalement.Mais,voyez-vous,Christophervîtavecmoidepuisqu'ilesttoutbébé.Jel'ainourri, logé, je lui ai procuré une nounou et surtout, nous nous sommes habitués à laprésencede l'autre.Alorsquevousne lui rendiezvisitequ'une foisparmois etencore, etquevousn'avezjamaisparticipéauxdépensesleconcernant.

—Je...j'étaisoccupée,marmonnaLouised'unairbuté.

— Je n'en doute pas. Mais c'est justement le problème. Votre vie sociale est bienremplie.Avez-vousvraimentenvied'avoirtouslesjoursunpetitgarçondanslespattes?

Louisefronçalessourcils.

—Jedisposedecettegrandemaisonoùjevisseule,repritIsabel,avecungesteampledelamainpourdésignerlesmursquilesentouraient.Christophers'ysenttrèsbien.Etjemesuisattachéeàlui.

LevisagedeLouises'éclairasoudain.

—Bon.Sivousleprenezcommeça...

—Je leprends commecela, confirma Isabel.Louise contemplaun instant sa tassede

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thé.

—Mais je pourrai continuer à lui rendre visite ? Isabel sourit. Elle était soulagée. Etmême,siheureusequ'ellesesentaits'éleverdesonsiège.

—JesuissûrequeChristopherenseraravi.Quinzeminutesplustard,IsabelregardaitButtermanrefermerlaportederrièreLouise.

—Mavoitureest-elleprête?demanda-t-elleaumajordome.

—Oui,milady.

—Parfait.VeuillezinformerPinkneyquejem'apprêteàsortir.

Elle fit les cent pas, jusqu'à ce que sa camériste la rejoigne, puis les deux femmess'engouffrèrent dans la voiture. Moins d'une demi-heure plus tard, elles arrivaient àl'orphelinat.

IsabeldescenditdevoitureetcherchainstinctivementWinterduregard.Quelleidiote!Cen'étaitpasparcequeWinterétaitpartidechezellesansunmotd'explicationqu'ill'avaitquittée.Certes,ilavaitemmenésonsacavecluimaiscen'étaitpasuneraisonpourpaniquer.Il avait laissé quelques vêtements derrière lui.Or, un homme qui vivait aussi pauvrementqueWinterMakepeacenepouvaitpassepermettred'abandonnerdeprécieuxvêtements.

Enfin,ellevoulaitl'espérer.

Lajeunefemmepritunegrandeinspiration,pours'armerdecourageavantdegravirleperron.Haroldlasuivaitàdistance.

Isabelpensaitavoiratteint,hiersoir,unenouvelleétapedanssarelationavecWinter.Mais peut-être s'était-elle trompée. Sa crise de larmes mélodramatique avait pu inciterWinteràprendresesdistances.Cetteéventualitél'affectaitterriblement.

Elle frappa à la porte d'entrée. Isabel voulait voir où en était l'orphelinat et si ladyPénélopeavaitdécidéd'habiller lesgarçonsdevestesroses,oudefairemarcher lesenfantsencercle.Elleétaitcapabledetouteslesfrivolités,plusimbécileslesunesquelesautres.

D'ordinaire, la porte s'ouvrait toujours dans l'instant.Mais cematin, l'attente fut trèslongue. Isabel tapait impatiemment du pied, quand un grand fracas, à l'intérieur, la fitsursauter.

Puis laporte s'ouvrit brutalement.Une fillette, encore en chemisedenuit, contemplaIsabelensuçantsonpouce.

—Oùsontlesautres,machérie?luidemandaIsabel.

La fillette désigna le fond du couloir, derrière elle. Sans doute voulait-elle parler descuisines?Isabelrelevasesjupes,pourentrer.

—Dois-jeresterdehors,milady?S’enquitHarold,quisemblaitinquiet.

Isabel fronçaun instant les sourcils.Dedrôlesdebruitsprovenaientde l'arrièrede la

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maison.

—Jepensequetuferaismieuxdem'accompagner.Toiaussi,Pinkney.

Lecouloirsemblaitàpeuprèsenétatexceptédestracesvertes,surlesmurs,àhauteurd'enfant.Isabelsepenchapourlesexaminer:lestracesparaissaientavoirétélaisséespardelasoupeauxpois.Lesalonétaitvide maisunbolbriséenmillemorceauxgisaitpar terre.Tout semblait relativement en ordre dans la cuisine aussi. Sauf que Mme Medina étaitvisiblementde trèsmauvaisehumeur.Quelque chose tomba sur leplancherdudessus.Lebruitrésonnaàtraversleplafond.

Isabelsehâtademonteràl'étage.

Ellearrivaitsurlepalier,quandSootluifilaentrelesjambes,suiviparDodoquitraînaitunlongrubanrougeattachéàsoncou.

Lechatetlachiennedévalèrentl'escalier,puisIsabellesentenditsechamaillerdanslacuisine.

DouxJésus.

Isabels'engageadanslecouloiretpoussalaportedelapremièresalledeclasse.Elleeutjusteletempsdepencherlatêtepouréchapperàunmissile.

Haroldnefutpassichanceux.

—Aïe!S’exclama-t-il.

Ilsepenchapourramasserl'objetquil'avaitfrappéaufront.

—Ils se lancentdesnoix, cespetits chenapans !Pinkneyportaunemainà sabouchepourétoufferungloussement.

—Jesuisdésolé,Harold,marmonnaIsabel,d'unevoixdistraite.Carellecontemplaitlasalle de classe avec effarement.Qui aurait pu penser que les enfants si bien élevés qu'elleconnaissaitpouvaientdevenir...ça?

D'uncôtédelasalle,unebataillerangéeopposaitplusieursdesgarçons.Ilss'envoyaientàlafiguretoutcequileurtombaitsouslamain,ycomprisdelanourrituredupetitdéjeuner.Del'autrecôté,lestoutjeunesenfantss'affairaientàrepeindrelesmursdelasalleaveccequisemblaitêtreunmélangedeporridgeetdemarmelade.Acôtéd'eux,desfillettess'amusaientàsautersurlesbancsetlestablesenpoussantdescris.

Etaumilieudetoutcela,ladyPénélope,l'airtotalementperdue,necessaitderépéter:«

Lesenfants!Lesenfants,s'ilvousplaît!»Devant les yeux d'Isabel, une cuillerée de porridge atterrit dans la chevelure de lady

Pénélope,quines'enaperçutmêmepas,tantletumulteétaitgénéral.

Le premiermouvement d'Isabel fut d'intervenir.Mais elle se ravisa bien vite. Si elleaidait lady Pénélope à rétablir l'ordre, il n'y aurait plus besoin de rappeler Winter pourreprendrel'orphelinatenmain.

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— Oh, lady Beckinhall ! s'exclama lady Pénélope, s'apercevant de sa présence. Vousdevezsavoirquoifaireaveclesenfants?J'aienvoyéArtémiseenbas,chercherlordd'Arqué,

ouNell,ou lacuisinière,enfinquelqu'un.Maisellen'est toujourspasremontée.J'espèrequ'ilsnel'ontpascapturéepourlaligoteràunlit!

LadyPénélopeessayaderire,maisonvoyaitbienqu'ellen'étaitpasrassurée.

—J'aipeurden'avoir aucuneexpérienceavec les enfants,milady, répondit Isabel.Detoute façon, jenepensepasque jepourraisvousaider.M.Makepeaceétait le seul capable

d'imposersonautoritéàcesenfants.Auriez-vousoubliéqu'ilsviennentdeSaint-Giles?—Mais...mais...

Lady Pénélope porta une main à ses cheveux. Elle poussa un cri quand ses doigtsrencontrèrentleporridge.Lesenfantss'interrompirentuncourtinstant.

Isabeltournalestalons.

—JevaisessayerdetrouverMlleGreaves,dit-ellepourjustifiersaretraite.

—Attendez!luicrialadyPénélope.

Mais Isabel descendait déjà l'escalier, Harold et Pinkney sur ses talons. Elle regardadanslesalon,aucasoù,puissepressaverslescuisines.

MlleGreavesétait attabléeavec la cuisinièredevantune théière fumante.Elle se levad'unbondenvoyantentrerIsabel.

—Oh,milady,je...je...

—Vousbuviezduthé,apparemment,lacoupaIsabel,avecunsourire.Jeprendraismoi-mêmevolontiersunetasse.Harold,peux-tuessayerdetrouverlordd'Arquédemapartetluidirequejesouhaiteraisluiparler?

Levaletacquiesçaetressortit.

Isabelseservitunetassedethé,avantdedemanderauxdeuxfemmes:

—Maintenant,dites-moidepuiscombiendetempstoutvadetravers.

MlleGreavessoupira.

Lacuisinièregrimaça.

—DepuisqueM.Makepeaceestparti.Si vousvoulezmonavis, c'estune révolte.Cespetitsmonstresneprêtentplusattentionàpersonne.Pasmêmeàlordd'Arqué.Figurez-vousquel'autrejour,ilamêmereçudesprojectilessurlanuque.

MmeMedinaparaissaittrèscontentedepouvoirrapporterl'anecdoteàIsabel.

—LadyPénélopen'arrive pas à s'imposer auprèsdes enfants, complétaMlleGreaves.Maislordd'Arquérefusedecapituleretd'engagerundirecteurqualifié.

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—Maispourquoi?demandaIsabel.

—ParcequeMakepeaceserait tropcontent,répliqua lordd'Arqué,depuis laporte.Parailleurs,enrestantici,j'occupeuneplacestratégiquesurleterraindechasseduFantômedeSaint-Giles.S'ilsemontredanslesparages,jel'apprendraiimmédiatement.

MlleGreaves,mortifiée,s'excusaaussitôt.MmeMedinaselevadetable,maiselleymitunetellelenteurquesonattitudeétaitouvertementinsultante.

Heureusement, lord d'Arqué n'était pas en état de le remarquer. Il s'adossa auchambranle de la porte, d'un air de parfaite nonchalance, mais Isabel n'était pas dupe. Ilcherchaitàmasquerqu'ilavaitbu.

—Mehaïssez-voustoujours?

—Plusquejamais,réponditIsabel,entoutesincérité.Ellenepourraitpasluipardonnerdes'êtresimalcomportéavecWinter.Mais jesuisvenuvousposerunequestion,ajouta-t-elle.

Lordd'Arqués'écartadelaportepourserapprocherprudemmentdelatable.

—Vousavezrenoncéàlui?Vousvoulezunvéritableamant?

Isabelfronçalessourcils.

—Jenevousconnaissaispassigrossier.

Ilselaissachoirlourdementsurunechaise.

—Désolé.

Isabelledévisageaattentivement.Winteravaitpeut-êtreraison.Ced'Arqué-làétaitsansdoutecapabledeselivreràdesactivitésimmorales.

—Jevoudraisvousinterrogersurvotrecocher,dit-elle.

Levicomteclignadesyeux.Detouteévidence,ilnes'attendaitpasàcela.

—Moncocher?Nemeditespasqu'iladesennuis.Jeviensjustedel'engager.

Cefutautourd'Isabeldemanifestersasurprise.

—Jecroyaisqu'ilétaitàvotreservicedepuislongtemps?

—Non,çac'étaitl'ancien.Ilamystérieusementdisparulesoiroùnousétionsàl'opéra.J'aiétéprisdecourt,etcesoir-làj'aidûdemanderàmesvaletsdeconduirelavoiturepourmeramenerchezmoi.

Isabel réfléchit rapidement.Quelqu'un avait-il assassiné le cocher pour l'empêcherderévélercequ'ilsavaitàWinter?Maislordd'Arquépouvaittoujoursêtresuspecté.

Lajeunefemmetiradesapocheleboutdepapierportantlesceauduvicomte.

—C'estàvous?

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D'Arquésepenchapourexaminerlepapier.

—C'estmonsceau,oui.Etjereconnaismonécriture.

Iltournalepapier,etdécouvritlesmotsgriffonnésaurevers.

—Ondiraitquequelqu'un s'est servide cepapierpournoterquelque chose,dit-il, seredressant.Oùvousl’êtes-vousprocuré?

—IlaététrouvédansSaint-Giles.Etj'aimeraisbiencomprendrecequ'ilfaisaitlà.

—Commentpourrais-jelesavoir?

Isabels'impatienta.

—C'estvotrelettre.

—Voussouvenez-vousdetouteslespersonnesàquivousécrivez?

—Oui.Parcequ'engénéral,jen'écrisqu'àmesamis.Ilparutméditerl'argument.

—Faites-moivoir?

Isabelluitenditlemorceaudepapier.Ill'examinaplusendétail.

—C'estdatédu 12octobre,murmura-t-il, avantde lever soudain les yeux sur Isabel :Pourquoivoulez-voussavoiràquij'aiécritcettelettre?

— J'ai mes raisons. Et vous, pourquoi cherchez-vous à me le cacher ? Lui retournaIsabel.

— Je ne vous cache rien du tout. Voyons, à qui ai-je pu écrire, le 12 octobre ? J'écrissouventàmagrand-mère,maisuniquementquandellene se trouvepasàLondres,or elleétaitlàtoutlemoisd'octobre.J'aipuécrireàuneanciennemaîtresse,ou...

Ils'interrompitsoudain,avecunfroncementdesourcils.

—Qui?LepressaIsabel.

—J'aiécritàSeymouràcetteépoque-là,àproposd'uneaffaire.

Lepoulsd'Isabels'accéléra.

—Quelleaffaire?

Ilsecoualatête.

—C'estdélicat.

—Adam.

Ilsourit,etilretrouvadumêmecoupunpeudesoncharmehabituel.

—J'adorequandvousm'appelezparmonprénom.

—Jen'aipasdetempspourcela,répliquaIsabel.

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Ilsoupira.

—Bon,trèsbien.Seymourvoulaitmeproposeruninvestissement.J'aidéclinéparécrit.

—Pourquoi?

—ParcequejenesouhaitaispasconfiermonargentàSeymourpouruninvestissementhasardeux.J'ail'airinsouciant,maisjesurveilledetrèsprèsmesfinances.

—Hmm,fitIsabel,quiréfléchissaitencore.L'investissementdeM.Seymouravait-ilunlienavec l'atelierclandestinous'agissait-ild'unefaussepiste?Quelleétait lanaturedecetinvestissement?poursuivit-elle.

—Jel'ignore.

—Commentcela?

—Nous n'étions pas rentrés dans les détails. J'ai répondu non à Seymour avant qu'iln'aiteuletempsdem'expliquerdequoiils'agissait.

Isabelgrimaça,dépitée.

—Trèsbien.Jeluidemanderaidirectement.Jevaisallerluirendrevisitechezlui.

Elleselevaitdéjàdetable,quandlordd'Arquésecoualatête.

— Il n'y est pas. Nous avons croisé M. Makepeace, en arrivant ici. Seymour etMakepeace sont partis fouiller lamaison où le Fantôme a libéré plusieurs fillettes, l'autrenuit.

Isabelpaniqua,maiselles'efforçaden'enrienmontrer.

—Quelqu'und'autrelesaccompagnait?

—Non,pourquoi?demandalevicomte,quilaregardaitcurieusement.

—Oh,cen'estsansdouterien,réponditIsabel,quivenaitsoudaindepenseràquelquechose.Commentaviez-vousengagévotreanciencocher?Celuiquiadisparu?

—Vousmeposezdebienétrangesquestions,cematin,milady,murmurad'Arqué.Maisjevaisvousrépondre.Enfait,c'estSeymourquimel'avaitrecommandé.

Oh,monDieu!M.Seymourétaitprobablementl'instigateuretleprincipalbénéficiairedel'atelierclandestin.EtWinterétaitpartiaveclui!SijamaisM.SeymouravaitdevinéqueWinterétaitleFantôme,ilchercheraitàletuer.

IsabeldevaitabsolumentprévenirWinterdudanger.Maiscomment?

— Je ne sais même pas où ils ont pu aller ! Se lamenta-t-elle à haute voix. J'ignoretotalementoùsetrouvaitcetatelierclandestin.

—Ah,pourcela,jepeuxvousaider,souritlevicomte.

Lajeunefemmerestauninstantbouchebée.

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—Quoi?

Ilsouritdeplusbelle.

—Makepeacenousadonnél'adresse,avantd'emmenerSeymouraveclui.

Winters'arrêtadevantunefaçaded'immeuble.Quatreétages,plus lescombles.C'étaitlàqu'ilavaittrouvélesenfants,l'autrenuit.

—C'estici,dit-ilàsoncompagnon.

Seymourcontemplaitlafaçaded'unairsceptique.

—Vousêtessûr?

—Jesuissûr.Voulez-vouspasserdevant?

— Oh non, sourit M. Seymour. Après vous, Makepeace. Winter pénétra à l'intérieur.CommelaplupartdesimmeublesdeSaint-Giles,ilavaitétédiviséenunemultitudedepiècesminuscules, toutesà louer.Heureusement, l'escaliersetrouvaitdansl'entréeet ilsn'eurentpasàlechercher.

Winterattaqualesmarches.Seymourlesuivaitdeprès.

—Commejevousledisaistoutàl'heure,repritWinter,jesuistrèssurprisdevousvoirsi souvent dans Saint-Giles, ces derniers temps, monsieur Seymour. Et la remarque vautaussipourlordKershaw.Quefaites-vousdoncdanslequartier?

—Nousaidonsd'Arquéàdémasquerl'assassindeFraser-Burnsby.LeFantômedeSaint-Giles.Vousnesavezvraimentriendelui?

Winters'arrêtapourseretourner.

—Non.

— J'ai remarqué, pendant que nous venions ici, que vous semblez très à l'aise dansSaint-Giles,Makepeace.Vousparaissezconnaîtrelequartiercommevotrepoche.

—C'estnormal,j'habiteicidepuisneufans.Pourautant,jenesaisstrictementrienduFantôme.

—Vousêtessûr?

—Sûretcertain.

Winterrepritsonascension.

Lamaisonétaitancienne,etlesmarchesgrinçaientsousleurspieds.Acetteheuredelajournée,leslogementsétaientdéserts,leurshabitantsétantpartisgagner-ouvoler-dequoisurvivre.

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S'ilsétaientattaqués, ilyavaitfortàparierquepersonnenelesentendraitcrier.Etdetoutefaçon,personnen'interviendrait.DansSaint-Giles,lesgensnes'occupaientquedeleursaffaires.Lavieétaitdéjàbienassezdifficilecommecela.

—Demoncôté,ditSeymour,j'aiétésurprisquevoussachiezdéjàqueleFantômeavaitconduitlesenfantsàl'orphelinat.

—Ahbon?fitWinter,alorsqu'ilsarrivaientenfinsouslescombles.

—Enfait,repritSeymour,onjureraitquevousavezétéprévenuavanttoutlemonde.

—J'aimessources,réponditévasivementWinter.

—VossourcessontapparemmentaussibonnesquecellesduFantôme.

—Peut-être,fitWinter,avantdes'arrêterdevantunepetiteporte.L'atelierestderrière.Voulez-vousentrerlepremier?

—Jevousenprie,monsieurMakepeace.Faitesdonc.

Winterouvritlaporte.Alalumièredujour,legreniersemblaitencoreplusminusculeetplusmisérable.Ettouteslesmachinesavaientétédéménagées.

Winterentenditlaporteserefermerderrièrelui.

Uneintuitionl'alertasoudain.

Malheureusement,c'étaitdéjàtroptard.

Quandilseretourna,Seymouravaitdégainésonépée.

—Jepensequevousferiezmieuxdevousagenouillerdevantmoi,Makepeace.AmoinsquevousnepréfériezquejevousappelleleFantômedeSaint-Giles?

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L'Arlequinavaitdoncrecouvrélavue.Mais ilse tenaitdevant labelledamesansréagir,sansdireunmot.Ellesehaussadenouveausurlapointedespieds,maiscettefoispourl'embrassersurlajoue,avantdeluimurmurer:«Souviens-toiduplaisirquenousavonspartagéensemble,monamour.Souviens-toiquenousavonsétéamantsetquenousavonsrêvéd'unavenircommun.Cetavenirestlà,entrenous.»

Et,luiprenantlamain,ellelaposasursonventre,oùunenouvellevieavaitgermé.Etc'estainsiqu'elleluifîttoucherl'Espoir.

Ellel'avaitrepousséàplusieursreprises,maisellen'avaitjamaisréellementpenséqu'ilpourraitdisparaîtrecomplètementdesavie.Elleétaitpersuadéequ'ilsresteraientaumoinsd'excellentsamis.

Quoi qu'il en soit, Winter Makepeace n'était pas supposé mourir si jeune. Isabel nepouvaittoutsimplementpasconcevoirunetelleidée.Ilétaittropathlétique,tropdébordantdevitalité.Etpuis,Winterluifaisaitdubien.Ilavaitbeauconnaîtretoussesdéfauts et ilsétaientlégion,illuiavaitjuréqu'ill'aimaitdetoutefaçon.Mêmesielledevaitvivremilleans,Isabelneretrouveraitjamaisunhommecommelui.Dureste,ellen'enavaitaucuneenvie.

ElleaimaitWinterMakepeace,etpersonned'autre.

La jeune femme trébucha sur un pavé. Ces ruelles de Saint-Giles étaient très malentretenues.

—Çava,milady?luidemandaHarold,larattrapantàtempsparlebraspourl'empêcherdetomber.

—Oui,oui,merci.Dépêchons-nous.

Ilsavaientdûabandonnerlavoiture.L'adressedonnéeparlordd'Arquésesituaitdansune rue trop étroite pour laisser passer un attelage. De toute façon, comme souvent dansSaint-Giles,lequartierleplustortueuxdelaville,ilsiraientplusviteàpiedqu'envoiture.Ilsavaientabandonnéd'Arquéàl'orphelinatilavaitdécidémenttropbu,maisHaroldmarchaitàcôtéd'Isabel.Elle lui avaitordonnédepartir enéclaireur,mais il avait refusé, arguantqueSaint-Gilesétaittropdangereuxpouruneladytouteseule.

Haroldavaitraison,maiscelanesauveraitpasWintersiCharlesSeymours'apprêtaitàluienfoncerunedaguedansledos.

Unemaisonàl'alluresinistresematérialisadevanteux.

—C'estlà!s'exclamaIsabel.Vite!

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Haroldouvrit laporteet ilssemirentàgravirunescalierquin'enfinissaitpas.Isabeltendaitl'oreille,àl'affûtd'uncri,d'unedétonationoud'unbruitdedispute.

Maisellen'entendaitriendutout.

Ilsdébouchèrentenfinsurlepalier.Iln'yavaitqu'uneporte.Isabels'yprécipita,malgréHaroldquitentadelaretenirparlamanche.

Lajeunefemmepoussalaporteetfitirruptiondansunepièce.

Aussitôt,deuxbraspuissantsl'immobilisèrent.

—Ah,Makepeace.Jecroisquevotremaîtressenousarejoints.

Winter sentit une goutte de sueur glacée couler le long de son échine. Il avaitcommencéà soupçonnerSeymourdès l'instantoù celui-ci avait insistépour l'accompagnerjusqu'à l'atelier clandestin. Seymour semblait être le seul aristocrate à s'intéresser à cetteaffaire. Et quand Seymour .avait dégainé son épée, Winter s'était félicité de ne pas s'êtretrompé.Maisvoilàqu'Isabels'étaitinvitéedansletableau.

Seymour la tenait à présent contre lui, la lame de son épéemenaçant la gorge de lajeunefemme.

Winteraimaitsebattre.Ilaimaitl'excitationdudanger.

C'étaitlapremièrefoisqu'ilressentaitlapeur.Seymourjetaunœilauvalet,Harold,quihésitaitàlaporte.

—Jetezvotrepistolet, sinon j'égorgevotremaîtresse.Harold jeta lepistoletqu'ilavaitsortidesapoche.PuisSeymoursouritàWinter.

—LeFantômedeSaint-Gilesest réputépourposséderuneépéeetunedague.Jesaisque vous n'êtes pas habillé en Fantôme, ce matin, mais faites-moi plaisir : ouvrez votremanteau.

Winterouvritsonmanteauetécartalespans,sansquitterIsabeldesyeux.Ellesemblaitterrifiée,etcelaseulsuffisaitàscellerledestindeSeymour.

—C'esttrèsaimableàvous,milady,d'avoirvoléunefoisdeplusàmonsecours,dit-il.

—Jet'aime,Winter.Quoiqu'ilarrive,sachequejet'aime.Je...

—Ça suffit, la coupa Seymour, resserrant son bras autour du cou de la jeune femmepour l'obligerà se taire. Ilm'a sembléapercevoirunpommeaudépasserdevotremanteau,Makepeace. Déposez vos deux épées par terre - lentement - puis poussez-les du pied versl'autreboutdelapièce.

Winter était bouleversé par l'amour d'Isabel.Mais il ne pouvait pas y répondre pourl'instant.IlobéitàSeymour.

—Aprésent,agenouillez-vous.Wintersecoualatête.

— Non. Si je m'agenouille, vous allez me tuer, et ensuite tuer lady Beckinhall. Ne

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comptezpassurmoipourvousencourager.

Seymourparutuninstantdécontenancé.Winterenprofitapours'approcher.

—Je...jevaislatuer!MenaçaSeymour.

Wintersecouaencorelatête.

—Sivouslatuez,jevoustue,avecousansmonépée.

—Alors,quesuggérez-vous?

—Battons-nous.D'hommeàhomme.

—Non!SerécriaIsabel.Tun'espasarmé,Winter!Nesoispasinconscient!

Seymoursourit.

—C'estd'accord.

IlpoussaIsabelsiviolemmentdecôtéqu'elles'écroulasurleplancher.PuisilseruasurWinter,l'épéeàlamain,levisantaucœur.

Isabel tomba douloureusement sur sesmains et ses genoux.Winter. Elle se redressaaussi vite qu'elle put, horrifiée à l'idée qu'il ait été tué par le premier coup de lame deM.Seymour.

MaisWinter s'étaitdébarrasséde sonmanteau,qu'il avait enrouléautourde sonbrasgaucheet il sedéfendaitavec, toutenreculantverssonépée.ChaquefoisqueM.Seymourl'attaquait,salames'enfonçaitdansl'épaismanteau.

Maiscettetactiqueavaituncoût,quisevoyaitdéjà.Unetacherouges'élargissaitsurlemanteauenrouléautourdubrasdeWinter.Dieuduciel!Sonbrasseraitpeut-êtreenpiècesavantqu'ilnepuisseatteindresapropreépée.

Isabelregardaautourd'elle,àlarecherchedupistoletd'Harold.Ilgisaitcontrelemur,justederrièreM.Seymour.Elles'enapprochasurlapointedespieds.

Aumêmeinstant,Wintertenditlebrasdroitpoursesaisirdesonépée.

Ilsejetaàterreetrouladecôté,sonarmeàlamain,échappantdejustesseàlalamedeSeymour,quisefichadansleplancher.

Isabel s'empara du pistolet et le brandit à deux mains, visait en direction descombattants. Mais M. Seymour et Winter se trouvaient à présent dans une même ligne,devantelle.Siellerataitsacible,ellerisquaitd'atteindreWinteretdeletuer.

La jeune femme échangea un regard avec Harold. Le valet voulut aussitôt s'avancer,maiselleluifitsignederesterprèsdelaporte.S'ils'approchaittrop,ilseretrouveraitàsontourdanssalignedemire.

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EllegardadoncsonpistoletpointésurM.Seymour,attendantlebonmoment.

SeymourparauncoupdeWinter.

—Vousn'étiezpassupposéêtrearmé,dit-il.Cen'estpasloyal.

— Vous êtes bien tous les mêmes, vous les aristocrates, lui répliqua Winter. Nonseulement vous édictez les règles, mais en plus, il faut toujours qu'elles soient en votrefaveur.

M.Seymours'esclaffa.

—C'est l'ordrenatureldes choses.Lespuissants gouvernent les faibles. Si çane vousplaîtpas,plaignez-vous-enàDieu.

Là-dessus,ilassénaàWinteruncoupd'épéequidéchirasongilet.Isabelneputreteniruncrid'effroi,carunetacherougemaculaimmédiatementlevêtement.Etdusanggouttaitdesonbrassurleplancher!MonDieu!Toutcesangqu'ilperdait...Sileduelneseterminaitpasvite, il seraitbientôt trop faiblepourcontinuerà sebattre.Malheureusement, lesdeuxhommesétaienttoujourstropprochesl'undel'autrepourqu'ellepuissetirer.

— Vous savez vous servir de votre épée, reconnutWinter, se reculant d'un pas pourpareruncoup.Commesouventlesaristocrates.C'estnormal:vousn'avezriend'autreàfairequedevousentraîner.

— Vous avez peut-être appris l'escrime, le railla Seymour, mais vous n'êtes qu'unperroquetqui essaiedeparler : ilne faitque reproduiredes sonsauxquels ilne comprendrien.

Il s'élançaencore,etcette fois,Winterpara l'attaqueavecsonépée.Leursdeux lamess'entrechoquaient bruyamment, tandis que le sang deWinter se répandait sur le plancher,l'obligeantàsurveillersespaspournepasglisserdessus.

M.Seymoursourit.

— C'est beau, tout ce sang d'homme du peuple. Je crois que je m'en servirai pourrepeindrelesmursdecettepièce,quandj'enauraiterminéavecvous.

Winterfaillitriredecettemenaceunpeutropthéâtrale.

—N'imaginezpasquejevouslaisserail'emporter.Vousgagniezdel'argentenexploitantdesenfants.

—Vousn'aurezpasl'occasiondemebattre,assuraSeymour.Etilbonditdecôté.

Enfin!Isabelappuyasurlagâchette.Ladétonationretentitavecungrandbang!Etlerecul fut tel que la jeune femme tomba le derrière sur le plancher. Elle se releva sur-le-champ,effrayéeparlespectaclequis'offraitàelle.

WinteretSeymourétaientcollésl'unàl'autre,commes'ilssedonnaientl'accolade.Dieuduciel!Lesavait-elleatteintstouslesdeux?

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PuisM.Seymours'écroulalentementdanslesbrasdeWinterettombasurleplancher.

Winterregardalajeunefemme.

—Oh,Winter!s'exclamaIsabel.

Et l'instant d'après elle se retrouva, sans savoir trop comment, dans ses bras,l'embrassantavecfougue,tandisquedeslarmesroulaientsursesjoues.Elleavaitbienfaillileperdre.Siellen'avaitpastiréaubonmoment,il...

EllebaissalesyeuxsurM.Seymouretfronçalessourcils.

—Oùestrentréelaballe?

Harolds'éclaircitlavoix.

—Vousl'avezraté,milady,dit-il,désignantuntroudansleplâtredumur.

—Je l'aimanqué ? répliqua Isabel, qui releva les yeux à tempspour voir queWinterfusillaitsonvaletduregard.

Illuisourit.

—Maisdepeu. Je suis sûrque si tu avais eu le tempsde viser, tu l'aurais touché enpleincœur.

—Hmpf.

Ilosaitsemoquerd'elle!Maisvulescirconstances,ellepouvaitdifficilementprotester.

—Alors,commentest-ilmort?

Winterlevasonépée.Lalameétaitrougiedesang.

—Oh!

—Justeciel!s'exclamalordd'Arqué,depuislaporte.Ques'est-ilpassé,ici?

IlregardaitlecadavredeSeymouravechorreur.Isabelsefigea.Silordd'Arquédécidaitd'accuserWinterdemeurtre,elleauraitlesplusgrandespeinesàledéfendre.Iln'étaitqu'unhommedupeuple,quivenaitdetuerunaristocrate.

—VotreamiSeymouravouluagresserladyBeckinhall,réponditWinteravantqu'elleaitpuparler.

D'Arquéblêmit.

—AgresserladyBeckinhall?MonDieu,milady,j'espèrequetoutvabien?

—Oui,confirmaIsabel,portantunemainàsagorge.GrâceàM.Makepeaceetàmonvalet.Ilsonttousdeuxrisquéleurviepourmesauver.

Lordd'ArquébaissaànouveaulesyeuxsurlecadavredeSeymour.

— Quand vous m'avez dit que M. Makepeace était en danger avec M. Seymour, j'ai

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d'abordcruquevotreimaginationvousjouaitdestours.

—Etpourtant,vousm'avezsuivie?

Lordd'Arquéhochalatête.

— Seymour était bizarre, depuis la découverte des fillettes, expliqua-t-il. Et il étaitobsédéparMakepeace. Ilprétendaitquec'était leFantômedeSaint-Giles,etqu'ilavait tuéRoger.

—J'aieulesentimentquevouspensiezlamêmechose,murmuraWinter.

Lordd'Arquésetournaverslui.

— Un moment, oui. Mais ça me paraissait trop invraisemblable. Un simple maîtred'école,leFantômedeSaint-Giles?Etpourquoiaurait-ilassassinéRoger?

— J'ignore qui a tué votre ami,milord, réponditWinter.Mais j'aimerais le découvrirautantquevous.

Lordd'Arquéhochalatête.

—JesupposequeSeymourétaitderrièrecettehistoired'atelierclandestin?C'étaitsansdouteça,l'investissementqu'ilvoulaitmeproposer.

— Oui, acquiesça Isabel. Et il était prêt à nous tuer pour que son secret ne soit pasrévélé.

Levicomtesepassaunemainsurlefront.

—C'est terrible,dit-il.Exploiterdes fillettes,dansunendroitaussisordide, justepourgagnerunpeud'argent!

Illaissaunmomentsonregarderrerdanslemisérablegrenier,avantd'ajouter:

— Je n'éprouve aucune pitié pour Seymour. Il n'a eu que ce qu'il méritait.Mais sonépouseestunefemmecharmante.Lescandalevalatuer.

—Alors, ne révélons riende cette affaire, suggéraWinter. Il n'y auraqu'à dire que leFantômeafaitunenouvellevictime.

Lordd'Arquéhochalatête.

—Jem'encharge.

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L'ArlequinFantômedeSaint-Gileslaissasamainsurleventredelabelledame.Illaregardaitdanslesyeux.Labelledameretintsonsouffle,carc'étaitsadernièrechancederécupérerl'hommequ'elleaimait.S'ilne la reconnaissaitpas,s'ilnerevenaitpasà la lumièredu jour,ellen'auraitpasd'autre occasion de le libérer de son sort. Alors, elle attendit patiemment, tandis que le soleilcommençaitàseleversurSaint-Giles.

Unesemaineplustard...

—J'aiunelettrepourtoi,Peach,annonçaWinter.Illuitenditlalettre.

Peach était assise avec Dodo sur son lit, à filer de la laine. Elle prit la lettre avecrévérenceetlaretournadanssesmains,avantdelarendreàWinter.

—Qu'est-cequeçadit,s'ilvousplaît,monsieur?

Winter ne fut pas surpris. Les professeurs l'avaient informé quand il était redevenudirecteurdel'orphelinat:Peachn'avaitjamaisapprisàlire.

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Ilentendaitbiensûrremédieràcettelacune.Maisdansl'immédiat,Winters'assitsurlelit,àcôtédelafillette.Désormais,elledormaitdansledortoirdesgrandes,caràforcedelaquestionner,Peachavaitfiniparrévélersonâge:elleavaithuitans.

—Peux-tuaumoinsépelerlenomécrit ici? luidemandaWinter,désignantlecôtédel'adresse.

—P.E.A.C.H.

—C'esttrèsbien, lafélicitaWinter.Etilouvrit la lettre.Puisilcommençaàla lire,enpointantchaqueligneavecsondoigt,pourqu'ellepuisselesuivredesyeux.

MachèrePeach,

Jet'écriscettelettrejusteavantquemonbateaunequitteLondres.Ils'appellele«Temer»etilestmagnifique!QuandnousseronsderetouràLondres, je t'emmènerai levoir. Jevaisdevoirdormirdansun litqui sebalance.Lesautresgarçonsm'ontexpliquéqu'ilfaudraitunmomentavantquejenem’yhabitue.

J'espère que tu vas bien, et Dodo aussi. Ecoute bienMme Jones etMmeMedina.EtsijamaisM.Makepeacerevient,obéis-luiaussi.C'est...

Winterduts’éclaircirlavoixàcetendroit.Peachlevalesyeux,intriguée.

—Quedit-il?

C'estlemeilleurdeshommes.

Tonami,

JosephTinboxWinter rendit la lettre à Peach. La fillette contempla l'écriture unmoment, avant de

soupireretdelapliersoigneusement.

—Jeparie que tu seras capable de la lire toute seule d'ici la fin de l'hiver, lui promitWinter.

—C'estvrai?

LevisagedePeachs'éclairauncourtinstant,maisellepritunairsongeur.

—C'estlong,l'hiver,murmura-t-elle.

—Çapasseraplusviteque tune l'imagines, assuraWinter,qui se relevaitdéjà.Mais,prenant lamain de la fillette dans la sienne, il ajouta : Je vais bientôt répondre à Joseph.Voudras-tuyajouterunmotdetapart?

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—Jenesaispasécrire.

—Jet'aiderai.

Peachhochalatête.

—Oui,j'aimeraisbien.

—Ah,tueslà!s'exclamaTempérance,depuislaporte.

Winterseprécipitapourserrersasœurdanssesbras.

—Tuesderetour!Jesuisbiencontentdetevoir.Tempéranceluirenditsonaccolade,avantdesereculer,surprise.

—Winter !Tuneserrais jamaispersonnedans tesbras !Etai-je rêvé,ou tu tenais lamaindecetteenfantdanslatienne?

—Tun'aspasrêvé.

Tempéranceposaunemainsursonfront.

—Tun'espasmalade,aumoins?

—Je suis enpleine forme, répliquaWinter, repoussantgentiment samain.Comments'estpasséevotrepartiedecampagne?

—C'étaithorrible.

—Vraiment?

Ellesoupira.

—Enfin,non,pastoutàfait.Certainesladiesétaienttrèsagréablesàfréquenter.Etilyavaitdebellesruines,danslesparages,quej'aiprisplaisiràvisiter.

Winterlaregardaitenl'écoutant.Tempérancesetouchalenez.

—Qu'est-cequ'ilya?J'aiunbouton?

—Non,maisjetetrouvechangée.Ellerougitlégèrement.

—Oh!Tun'étaispassupposél'apprendresivite.

—Apprendrequoi?

—J'attendsunheureuxévénement.

—C'estvrai?

Sur lecoup,Winterressentitunpetitpincementaucœur.Isabelneconnaîtrait jamaisuntelbonheur.Puisungrandsourireéclairasonvisage.

—C'estmerveilleux!

—Merci.

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Sa sœur se mordit la lèvre, mais elle ne put pas retenir son propre sourire bienlongtemps.

—Oh,jesuissiexcitée,Winter!Tunepeuxpassavoir!

—EtCaire?

Ellesoupira.

— Il est sur les nerfs. C'est à croire que c'est lui qui porte le bébé. C'est d'ailleurs enpartiepourcelaquejesuisici.J'aiunefaveuràtedemander.

Winterhaussaunsourcil.

—JemedemandaissijenepourraispasprendreMaryPentecôteavecmoi?Caireveutquelqu'unpourm'aider.Etquandlebébéserané,ilnousfaudraunenounou.MaryPentecôteseraitparfaite.Etpuis,ellememanqueterriblement,depuisquej'aiquittél'orphelinat.S'ilteplaît?

—Biensûr,approuvaWinter,enchanté.JesuissûrqueMaryPentecôteseraravie.

—Oh,magnifique!Puisquel'affaireestentendue,j'yretourne.

Winterclignadesyeux.

—Oùcela?

—A la réunionducomitéde soutienà l'hospicedeSaint-Giles ! Ignorais-tuquenousétionsrassembléesdanslesalon?

—Encemomentmême?

Winter ressentit un élan vital parcourir ses veines. Si le comité se réunissait, alorsIsabel serait là. Il n'avait pas revu la jeune femmedepuis une semaine depuis lamort deSeymour,trèsexactement.Duranttoutcetemps,ilavaitététrèsoccupéàremettredel'ordreà l'orphelinatetàconsoler les fillettesencoretraumatiséespar leuremprisonnement.Maiscen'étaitpaslaseuleraisonquil'avaittenuàdistanced'Isabel.

Il avait tué un homme ce qui ne lui était jamais arrivé auparavant. Oter la vie àquelqu'unn'étaitpasungesteanodin.Winteravaitlesentimentd'avoirdéfinitivementlibéréla bête tapie en lui. Mais ce changement avait un corollaire. Désormais, il se sentaitégalementlibredeserrerTempérancedanssesbras,oudeprendrelamaind'unefillettedansla sienne. Ilne seraitplus jamais ledirecteurqu'avait été sonpèreetqu'il avait longtempsimité,attentionné,maisdistantetréservé.

De toute façon, il sentait que cette évolution était irréversible.Mieux valait donc s'enaccommoder.Etvivreavec.

De même qu'il ne pouvait pas vivre sans une certaine personne. Une personneravissante,maisdiablemententêtée,quisetrouvaitapparemmentàl'étagedudessous.

Unesemaine,c'étaitbientroplong.

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—Excuse-moi,dit-ilàsasœur.

—Oùvas-tu?luidemandaTempérance,alorsqu'ilpartaitdéjàversl'escalier.

—Alarencontredemondestin.

— Enfin, qu'est-ce qui vous a pris ? demanda Amelia Caire, d'un ton sévère, à ladyPénélope.

Isabel suivait la scène avec amusement. Lady Caire était rentrée la veille au soir àLondres,alertéeparunelettredeladyMargaret.

— Je n'avais que les intérêts des enfants à l'esprit, plaida lady Pénélope. Et Artémisetrouvaitquec'étaitunebonneidée.

MlleGreaves,quivenaitjustedeboireunegorgéedethé,faillits'étrangleravec.

— J'ai cru comprendre que M. Makepeace avait confisqué trente-trois lance-pierres,intervintladyHero.Jen'enavaispasvuunseulauparavant.

—Ilafallurepeindrelessallesdeclasse,pointaAmelia.Etchangerquatrelits!

—Jecontinueàpenserquel'expérienceméritaitd'êtretentée,insistaladyPénélope.Aumoins,nousavonsvuleslimitesdecesenfants.

Elle laissa son regard courir autour de la pièce, comme si elle venait demarquer unpointdécisif.

AmeliasoupiraetIsabeldevinacequ'ellepensait.LadyPénélopen'avaitpasdecervelle,maiselledisposaitdelabourselamieuxrempliedetoutlecomitédesoutien.Mieuxvalaitnepasseséparerd'elle.

—Jepensequenousdevrionsstipuler,dansnosstatuts,queM.Makepeacedoitêtreleseuletuniquedirecteurdel'établissement,suggéraAmelia.Toutescellesquisontpour,levezlamain.

Septmainsselevèrent.LadyPénélopehissalasienneàhauteurd'épaule,cequipassaitquandmêmepourunacquiescement.LadyMargaret,enrevanche,gardaitlesyeuxbaissésetcela,depuisledébutdelaréunion.

—Meg?murmuragentimentladyHero.

—Quoi?fitladyMargaret,relevantlesyeux.Ahoui,pardon.

Ellelevaàsontoursamain,cequipermitd'obtenirunvoteunanime.MaisIsabelétaitàpeuprèscertainequeladyMargaretignoraitpourquoielleavaitvoté.

Ameliahochalatête,satisfaite,etentrepritdeservirunedeuxièmetassedethéàtouteslesdames.

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IsabelenprofitapoursetournerversladyHero,assisejusteàcôtéd'elle.

—Jesuisraviedevoussavoirdenouveauenville,milady.

LadyHeroluisourit.

—Nouscommencionsànousfatiguerdelacampagne.

—Votremariestdoncvenuavecvous?

—Oui.Desaffairesurgentesl'appelaientàLondres,expliqualadyHero,avecunregardendirectiondeladyMargaret.

Isabelacquiesça.

—J'espèrequ'ilseracouronnédesuccès.

LadyHerosouritencore.

—LordGriffindétestel'échec.

Laportedusalons'ouvritsurcesentrefaites.

Isabeltournalatêteetretintsonsouffle.Wintervenaitd'entrer.Lajeunefemmeavaitprévu d'aller le trouver après la réunion : il avait passé la semaine à l'éviter, et elle ne lesupportaitplus.

Maisapparemment,ilavaitchangéd'attitude.

Ilsaluapolimenttoutlemonde,maisilneregardaitqu'Isabel.

—Pourrais-jem'entreteniruneminuteavectoi,enprivé?

—Je...je...balbutiaIsabel.Quandlaréunionseraterminée.

—Maintenant,Isabel.

Bontédivine. Isabel, le feu aux joues, s'empressade se leverde chaise, avant qu'iln'ajoutequelquechosedepluscompromettant.Lesautresdamesducomitéétaientdevenuesétrangementsilencieuses.

Ellelesuivitdanslehall.

—Qu'ya-t-il?

Winterlaissaàdesseinlaportedusalonouverte.PuisilsecontentaderegarderIsabel.Ellecompritsonintentiondanssesyeux.

Isabelenavalasasalive.Maintenant?Ilvoulaitréglercelamaintenant?Lapanique-unepaniquededernièreminute-s'emparad'elle.

—Jenepourraijamaisavoird'enfant,dit-elleàvoixbasse,carçadevaitêtrel'heuredelapause: tous lesenfantsétaientagglutinésaubasde l'escalier.Jesuisvieille.Riche.Trop

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au-dessusdetacondition.Je...

Winterlaréduisitausilenceparlepluscourtdesexpédients:ill'embrassa.Là,danslecouloirdel'orphelinat.Alavuedesdamesducomitédesoutien,etenprésencedelaplupart

desenfantsdel'établissement.Non,paslaplupart:tous.Carceuxquin'étaientpasencorelàsefaisaientconvoquerd'urgenceparlesautres.

Mais Isabel s'aperçut qu'elle s'enmoquait éperdument. Elle noua ses bras au cou deWinteretluirenditsonbaiser.

Ilrelâchasonétreinte.

—Cette fois, ladyBeckinhall, vousm'avezdéfinitivement compromis. Ilnevous resteplusqu'àsauvermaréputationenm'épousant.

Là-dessus, il lui prit la main, et il se retourna vers l'escalier, désormais encombréd'enfantsdetoutestailles.

—ChèreIsabel,jeteprésentemesenfants.Lesenfantsdemoncœur.Lesenfantsdemavie. Je suis déjà père de dizaines d'enfants, et j'espère en avoir des centaines d'autres àl'avenir.Dis-moioui.Acceptedem'épouser,pourquenouspuissionsleséleverensemble.

—Oui,murmura-t-elle. Et voyant que les enfants tendaient l'oreille, elle répéta, bienfort:Oui!

Wintersouritetl'embrassasurleslèvres.

—Lesenfants,j'ailajoieetl'honneurdevousannoncerqueladyBeckinhallconsentàm'épouser.

Ilyeutd'abordunsilencestupéfait.Puisunrugissementéclatasoudain.

—Hourrah!Crièrentdesdizainesdevoixenmêmetemps.

Winteréclataderireet,saisissantIsabelàlataille,illasoulevadanslesairs.

—Hourrah!crièrentencorelesenfants.

—Nell!lançaWinteràlaservante,quisetenaitaumilieud'eux.Jecroisqueçaméritedessconespourtoutlemonde.

Sapropositiondéclenchauntroisième«Hourrah!»encoreplusenthousiastequelesprécédents.

MmeMedina,quiétaitlàaussi,s'essuyalesyeuxaveclecoindesontablier.

—Machère,jevoussouhaitetoutlebonheurpossible,dit-elleàIsabel.

—Merci,madameMedina.

La cuisinière fila vers son domaine, préparer les scones. Isabel reçut ensuite lescongratulations de chacune des dames du comité. Même de lady Pénélope, qui semblaitabasourdieparcedénouement.

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— Laisse-moi te raccompagner à ta voiture, murmura Winter à l'oreille de la jeunefemme.

Elle acquiesça sanshésiter, car elle voulait savourerquelquesminutesd'intimité aveclui. Mais alors qu'ils atteignaient la porte, ils entendirent quelqu'un se hâter pour lesrattraper.

Ilsseretournèrent.MmeMedinatenditàWinterunepetitecléattachéeàunruban.

—J'aifaillioublierdevouslarendre,avectoutelaprécipitationdecesderniersjours.Ilnefaudraitpasqueceslance-pierresretournentdanslacirculation.

Dehors, le soir commençait à tomber. Isabel attendit que la porte se soit referméederrièreeuxpourassouvirsacuriosité.

—Qu'est-cequec'estquecettehistoire?

Winterpritunairvaguementcontrit.

—Etbien,quandj'aiquitté l'orphelinatsur lesordresded'Arqué, j'airemiscettecléàMmeMedina.

Isabelcontemplalapetitecléquiparaissaitbieninnocente.Ellecroyaitdeviner.

—Et...?

—Ellepermetd'ouvrirleplacardoùj'avaisenfermétousleslance-pierresquej'avaispuconfisquerauxgarçons.(Ilsourit).J'enavaistouteunecollection.C'estnormal:auboutdeneufans...

Isabelpouffaà l'idéedeMmeMedinaarmant tous lesgarçonsde l'orphelinat.PauvreladyPénélope!Ellen'avaiteuaucunechance.

Winterresserralemanteaudelajeunefemmesurelle.

—Es-tuheureuse?

—Au-delàdetout,réponditIsabel.Etc'étaitlapurevérité:elleavaitlesentimentqu'ungrandpoidss'étaitsoudainôtédesesépaules.Nosfiançaillesserontcourtes,ajouta-t-elle.J'aihâted'emménagerdansl'orphelinat,aussitôtquej'auraiterminésadécoration.

Winter,amusé,haussalessourcils.

—Sadécoration?

—Sadécoration, confirma Isabel. C'est beaucoup trop austère pourdes enfants.Et jeveuxylogerM.etMmeButterman,ainsiquemesdeuxvaletsetPinkney.Mêmesielleauraune commotion quand je vais lui annoncer que nous vivrons tous dans un orphelinat.ChristopheretCarruthersserontévidemmenteuxaussidudéménagement.

—Christophern'estpaspartichezsamère?

Ilsn'avaientpaseul'occasiondefairelepointdepuislesoiroùtouts'étaitprécipité.

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—Non.J'aisuivitonconseiletditàLouisequejevoulaisgarderChristopher.Enfait,jecrois qu'elle n'attendait que cela. Avec la vie qu'elle mène, un enfant n'aurait fait que luicompliquerl'existence.

Winter lui sourit, avant de s'emparer à nouveau de ses lèvres, avec une telle fouguequ'Isabelenoubliaoùelleétait,pourluirendresonbaiserpassionné.

—Jet'aime,murmura-t-ellequandillarelâcha.Pourtoujours.Jel'airéaliséquandj'aibiencruqueSeymourallaittetuer.

—Iln'auraitpaspumetuer.J'avaisunetropbonneraisondevivre.Toi.

— Mais... commença Isabel, avant de s'interrompre brusquement et d'écarquiller lesyeux.

Elleregardaitquelquechosepar-dessussonépaule.Winterseretourna.

Unhommevêtud'unecombinaisond'Arlequinetd'unmasqueaugrandnezrecourbésetenaitàquelquedistance,sur letrottoir.Ilsoulevauninstantsonchapeau,pourlessaluer,avantd'escaladerlafaçaded'unimmeubleetdedisparaîtresurlestoits.

IsabelsetournaversWinter.

—Mais...?Comment...?Qui...?Illuisourit,avantdedéposerunbaisersursonnez.

—Jet'aiditquej’étaisleFantômedeSaint-Giles,maisjenet'aijamaisditquej'étaisleseul.

Épilogue

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Leciels'éclairaitdéjàducôtédulevant.L'ArlequinfantômedeSaint-Gilesfrissonna.Quandlepremierrayondusoleiltouchasonvisage,ilfrissonnaencoreplusfort.Etquandlecielfuttoutbleu,ils'effondraenlarmes.

«Pardonnez-moi,milady»,sanglota-t-il,s'agenouillantdevantlabelledame.«J'étaisdansuntrounoiretj'avaisoubliénonseulementquij'étais,maisaussitoutcequevousreprésentiezpourmoi.»

« Je te pardonne », répondit la belle dame, avant de lui embrasser les lèvres. «Car tu es lalumièredemavie.Jet'aime».

«Moi aussi, je vous aime», répliqua l'Arlequin.Et, posant samain sur le ventre de la belledame,ilajouta:«Quittonscetendroitetmarions-nous.»

C'estcequ'ilsfirent.L'ArlequinetsabelledamequittèrentSaint-Giles,semarièrentetvécurentheureux...

Mais attention. Même dans cette nouvelle existence, l'Arlequin ne pouvait pas trouver lesommeil lesnuits depleine lune.Certainsprétendaient qu'il revenait hanter les ruesdeSaint-Gilesdanssatenuedefantôme.Etalors,lesméchantsn'avaientqu'àbiensetenir!

GodricSaint-Johnatterritensouplessedanslejardindesamaisonlondoniennepuisilsetapitsousunbuissonpourattendreunpeu.Laprécautionétaitinutile,cardepuislamortdeClara,pluspersonneneprêtaitattentionàsesalléesetvenues.

Toutefois,ilétaitpréférabledetoujoursrestersursesgardes.

Comme rien ne bougeait, Godric se redressa et, se faufilant d'ombre en ombre, ilatteignituneportequidonnaitdirectementsursabibliothèque.

Sa soirée n'avait pas rapporté grand-chose. Il avait d'abord pris en chasse uncambrioleur,mais il l'avaitperdudans ledédaledes ruellesdeSaint-Giles.Ensuite, il avaiteffrayéunvide-goussetquis'apprêtaitàdévaliserunpassant-lequelpassantnes'étaitrenducompte de rien. Pour finir, il avait aperçu Winter Makepeace et lady Beckinhall quis'embrassaient dans Maiden Lane. C'était là un couple pour le moins inattendu, mais cebaiserlaissaitaugurerd'unmariage.CequivoudraitdirequeWinterprendraitsaretraite.

Godricouvritlaportedesabibliothèqueavecungrognementdemauvaisehumeur.UnFantômedemoinssignifiait...

—Bonsoir,monsieurSaint-John,ditunevoixdansl'obscuritédelapièce.

Elle provenait du fauteuil en cuir devant la cheminée. Godric se dirigea dans cettedirection,sonépéedéjàdégainée.

—Non,non,dit lavoix.Jevousassurequetouteviolenceest inutile,monsieurSaint-John.

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—Quiêtes-vous?demandaGodric.

Lasilhouettedel'hommesedétachadanslafaiblelumièreprodiguéeparlesbraisesdufeu.

—Jem'appelleGriffinReading.

Godricremarquaqu'il tenaitunobjetà lamain. Il s'approchaencorepourmieuxvoir.C'était un masque, affublé d'un grand nez recourbé. Exactement semblable à celui qu'ilportait.

GodricinterrogealordGriffinduregard.

Celui-ciluisourit.

—J'aiunepropositionàvousfaire.

Fin