les éponymes en coloproctologie… fournier de la gangrène…

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HISTOIRE DE LA MÉDECINE / HISTORY OF MEDICINE Les éponymes en coloproctologieFournier de la gangrèneV. de Parades · P. Sednaoui · J.-D. Zeitoun · J.-F. Contou · N. Lemarchand © Springer-Verlag France 2013 Jean-Alfred Fournier naît le 12 mai 1832 à Paris. Il fréquente lInstitution Jauffret, puis débute des études de médecine et est nommé à lInternat des Hôpitaux de Paris en 1854. Il croise le chemin de Philippe Ricord (1800-1889) qui était connu pour ses travaux sur les maladies sexuellement trans- missibles (MST). Leur rencontre savère fructueuse puisque le jeune dermatologue va épouser la fille du Maître, repren- dre sa clientèle privée et résolument se tourner vers létude des MST. Il soutient sa thèse en 1860. Il est nommé Médecin des Hôpitaux et Professeur Agrégé en 1863, puis chef de service à lHôpital Saint-Louis en 1876 (Fig. 1). Il se consa- cre particulièrement à la syphilis dont il souligne le lien avec le tabès et la paralysie générale, et dont il décrit la forme congénitale. Cest dautant plus remarquable que le trépo- nème pâle ne sera découvert par Fritz Schaudinn (1871- 1906) et Erich Hoffmann (1868-1959) quen 1905 et que le premier test diagnostique ne sera mis au point par Jules Bor- det (1870-1961) et August von Wassermann (1866-1925) quen 1906. Il est en 1879 le premier titulaire de la chaire de clinique des maladies cutanées et syphilitiques de lhôpi- tal Saint-Louis. Il publie en 1899 un « Traité de la syphilis » qui sera traduit en anglais. Et il fonde en 1901 la « Société française de prophylaxie sanitaire et morale » visant à déve- lopper la prévention des MST en cette « Belle Epoque » insouciante. Cependant, ce « syphiligraphe » restera à la pos- térité pour une pathologie nayant rien à voir, en individua- lisant en 1883 un cas de gangrène péno-scrotale à laquelle il laissera son nom. Il meurt le 25 décembre 1914 à Paris. Ses élèves fonderont en 1923 la « Ligue nationale française contre le péril vénérien », doù sortira linstitut Alfred Four- nier (Fig. 2) à Paris qui œuvre toujours pour la prise en charge des infections sexuellement transmissibles [1,2]. La gangrène de Fournier est une cellulite nécrosante des tissus mous. Egalement dénommée fasciite nécrosante non clostridiale, elle est due à une flore bactérienne mixte dont linoculation se fait par une effraction cutanée ou muqueuse. La production locale de diverses enzymes favo- riserait notamment la destruction tissulaire, la croissance bactérienne, la résistance aux antibiotiques. L obésité, le diabète sucré, linsuffisance rénale chronique, la cirrhose, Fig. 1 Alfred Fournier (Coll. Académie de Médecine) V. de Parades (*) · N. Lemarchand Service de Proctologie Médico-Chirurgicale, Groupe hospitalier Paris Saint-Joseph, 185, rue Raymond Losserand, 75014 Paris e-mail : [email protected] P. Sednaoui Laboratoire de Biologie, Institut Alfred Fournier, 25 Boulevard Saint-Jacques, 75014 Paris J.-D. Zeitoun Service de Proctologie Médico-Interventionnelle, Centre hospitalier Diaconesses - Croix Saint-Simon, 18, rue du Sergent Bauchat, 75012 Paris J.-D. Zeitoun · J.-F. Contou Service de Gastroentérologie, Hôpital Saint-Antoine, 184 rue du Faubourg Saint-Antoine, 75012 Paris Colon Rectum (2013) 7:245-246 DOI 10.1007/s11725-013-0488-4

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HISTOIRE DE LA MÉDECINE / HISTORY OF MEDICINE

Les éponymes en coloproctologie…Fournier de la gangrène…

V. de Parades · P. Sednaoui · J.-D. Zeitoun · J.-F. Contou · N. Lemarchand

© Springer-Verlag France 2013

Jean-Alfred Fournier naît le 12 mai 1832 à Paris. Il fréquentel’Institution Jauffret, puis débute des études de médecine etest nommé à l’Internat des Hôpitaux de Paris en 1854. Ilcroise le chemin de Philippe Ricord (1800-1889) qui étaitconnu pour ses travaux sur les maladies sexuellement trans-missibles (MST). Leur rencontre s’avère fructueuse puisquele jeune dermatologue va épouser la fille du Maître, repren-dre sa clientèle privée et résolument se tourner vers l’étudedes MST. Il soutient sa thèse en 1860. Il est nomméMédecindes Hôpitaux et Professeur Agrégé en 1863, puis chef deservice à l’Hôpital Saint-Louis en 1876 (Fig. 1). Il se consa-cre particulièrement à la syphilis dont il souligne le lien avecle tabès et la paralysie générale, et dont il décrit la formecongénitale. C’est d’autant plus remarquable que le trépo-nème pâle ne sera découvert par Fritz Schaudinn (1871-1906) et Erich Hoffmann (1868-1959) qu’en 1905 et que lepremier test diagnostique ne sera mis au point par Jules Bor-det (1870-1961) et August von Wassermann (1866-1925)qu’en 1906. Il est en 1879 le premier titulaire de la chairede clinique des maladies cutanées et syphilitiques de l’hôpi-tal Saint-Louis. Il publie en 1899 un « Traité de la syphilis »qui sera traduit en anglais. Et il fonde en 1901 la « Sociétéfrançaise de prophylaxie sanitaire et morale » visant à déve-lopper la prévention des MST en cette « Belle Epoque »insouciante. Cependant, ce « syphiligraphe » restera à la pos-

térité pour une pathologie n’ayant rien à voir, en individua-lisant en 1883 un cas de gangrène péno-scrotale à laquelle illaissera son nom. Il meurt le 25 décembre 1914 à Paris. Sesélèves fonderont en 1923 la « Ligue nationale françaisecontre le péril vénérien », d’où sortira l’institut Alfred Four-nier (Fig. 2) à Paris qui œuvre toujours pour la prise encharge des infections sexuellement transmissibles [1,2].

La gangrène de Fournier est une cellulite nécrosantedes tissus mous. Egalement dénommée fasciite nécrosantenon clostridiale, elle est due à une flore bactérienne mixtedont l’inoculation se fait par une effraction cutanée oumuqueuse. La production locale de diverses enzymes favo-riserait notamment la destruction tissulaire, la croissancebactérienne, la résistance aux antibiotiques. L’obésité, lediabète sucré, l’insuffisance rénale chronique, la cirrhose,

Fig. 1 Alfred Fournier (Coll. Académie de Médecine)

V. de Parades (*) · N. LemarchandService de Proctologie Médico-Chirurgicale,Groupe hospitalier Paris Saint-Joseph,185, rue Raymond Losserand, 75014 Parise-mail : [email protected]

P. SednaouiLaboratoire de Biologie, Institut Alfred Fournier,25 Boulevard Saint-Jacques, 75014 Paris

J.-D. ZeitounService de Proctologie Médico-Interventionnelle,Centre hospitalier Diaconesses - Croix Saint-Simon,18, rue du Sergent Bauchat, 75012 Paris

J.-D. Zeitoun · J.-F. ContouService de Gastroentérologie, Hôpital Saint-Antoine,184 rue du Faubourg Saint-Antoine, 75012 Paris

Colon Rectum (2013) 7:245-246DOI 10.1007/s11725-013-0488-4

la prise d’immuno-suppresseurs, d’une chimiothérapieanti-tumorale, voire d’anti-inflammatoires non stéroïdiens(AINS), font partie des facteurs favorisants classiques. Lesportes d’entrée sont proctologiques (abcès, traitements ins-trumentaux des hémorroïdes, chirurgie anale, divers trau-matismes ano-rectaux, etc…), génito-urinaires ou cutanées.La maladie se présente d’abord de façon peu spécifiquesous la forme d’un érythème cutané douloureux. Elle prendensuite l’aspect d’un placard œdématié qui s’étend à toutle périnée, aux fesses, aux creux inguinaux, aux cuisseset/ou à la paroi abdominale, mais qui épargne les testiculesen raison de leur vascularisation propre indépendante.L’apparition brutale, les douleurs intenses contrastant avecl’aspect initial peu alarmant, l’absence de limite nette et depus franc, l’extension rapide en quelques heures et le nonrespect des barrières anatomiques doivent faire évoquer lediagnostic avant que ne surviennent le crépitement et lesuintement verdâtre fétide caractéristiques, puis le chocseptique. En effet, cette infection est redoutable et son diag-

nostic précoce est essentiel pour en améliorer le pronostic.La prise en charge thérapeutique est urgente et associenotamment la réanimation médicale, l’antibiothérapie àlarge spectre, la mise à plat chirurgicale large (Fig. 3) etles pansements itératifs. Malgré cela, la mortalité reste éle-vée. La prévention est fondamentale. Elle repose sur uneantibioprophylaxie en cas de geste à risque et certainsdéconseillent le recours aux AINS en cas de suppuration[3,4].

Références

1. Waugh MA (1974) Alfred Fournier, 1832-1914. His influence onvenereology. Br J Vener Dis 50:232–6

2. Heffernan JC (1979) Alfred Fournier (1832--1914). Invest Urol17:262–3

3. Bouilland O, Barbe O, Le Goudeveze S, Gadsaud G, Cadot P(2013) Gangrène de Fournier. Presse Med 42:245–7

4. Mallikarjuna MN, Vijayakumar A, Patil VS, Shivswamy BS (2012)Fournier’s gangrene : current practices. ISRN Surg 2012:942437

Fig. 2 Façade de l’Institut Alfred Fournier à Paris

Fig. 3 Gangrène de Fournier après mise à plat chirurgicale large

(Coll. Jean-David Zeitoun)

246 Colon Rectum (2013) 7:245-246