les éclaireurs numéro 1

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Page 1: Les éclaireurs numéro 1
Page 2: Les éclaireurs numéro 1

Ce premier numéro a été conçu avant les évènements du 13 novembre 2015 à Paris.

Page 3: Les éclaireurs numéro 1

Edito

Rédacteur en chef

Aymen Benali

Le magazine qui s’affiche actuellement sur votre écran est le fruit d’une réflexion, développée depuis plusieurs mois. Notre société est sans doute la plus connectée de toute

l’histoire de l’humanité or nous avons toujours autant de mal à être convenablement informés. Face à ce paradoxe nous avons bâti un média différent, avec l’ambition de (re)donner un sens à l’information et des clés de compréhension. La télévision et le web diffusent un flux continu de nouvelles qu’il est difficile de trier. Chez Les Éclaireurs nous pensons qu’un autre journalisme est possible, un journalisme exigeant et ambitieux au service des lecteurs. Sur papier ou sur écran, l’information doit être racontée autrement.

Magazine d’information mais aussi d’opinion, Les Eclaireurs souhaite partager avec ses lecteurs une multitude de regards sur le monde. En tant que “média lent” nos écrits ne peuvent se consommer avec plaisir que dans la concentration. À l’heure du ‘‘multitâche” nous invitons la pleine attention des sens.

Les éclaireurs ce sont ces hommes et ces femmes qui ont accepté d’écrire pour faire voyager leurs idées. Bien qu’ils viennent d’horizons divers, ils ont tous vécu de proche ou de loin les évènements marquants de leur époque. Laissez vous guider par leur regard critique et leur désir de vous raconter le monde.

Page 4: Les éclaireurs numéro 1

L’occupation russe en Syrie

Crise des réfugiés

Fin stratège, chevalier blanc ou encore sauveur de l’équilibre mondial, le chef de la Fédération russe ne mérite pourtant pas tant d’éloges. Si les Russes sont, ou ont été, de brillants joueurs d’échecs, c’est aller vite en besogne que d’annoncer la victoire de la stratégie de Vladimir Poutine dans cette guerre-civile où se joue tout bonnement l’équilibre du

Moyen-Orient.

Depuis la crise des réfugiés, on entend souvent parler de «  valeurs européennes  ».

Mais qu’est-ce qu’une valeur européenne?

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SOMMAIRE

Le nouveau dirigeant du Canada, âgé de 43 ans a

réussi à convaincre les Canadiens qu’il pouvait

apporter un réel changement.

Portrait de ce nouveau Premier ministre.

Justin Trudeau

Page 5: Les éclaireurs numéro 1

Le réalisateur Abbas Fahdel

#OnVousCroit ou la

solidarité 2.0

Homeland plonge les spectateurs au cœur de la vie irakienne. Abbas Fahdel

filme pendant cinq heures trente les conditions de vie des irakiens avant et après l’invation américaine de 2003.

Rencontre.

Cette campagne sur les réseaux sociaux fête sa

première année d’existence.

Mais que s’est-il passé en Chine cet été  ? Toute la presse s’est emballée au sujet d’un krach boursier ou d’une crise économique. Il ne s’est pourtant rien passé de tel. 13

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La Chine (re)devient capitaliste

Page 6: Les éclaireurs numéro 1

Syrie : Poutine est-il un bon joueur d’échec ?

On ne compte plus les articles et éditoriaux vantant Poutine à demi-mot pour avoir envoyé ses troupes dans le bourbier syrien.

Fin stratège, chevalier blanc ou encore sauveur de l’équilibre mondial, le chef

de la Fédération russe ne mérite pourtant pas tant d’éloges. Si les Russes sont, ou ont été, de bril-lants joueurs d’échecs, c’est aller vite en besogne que d’annoncer la victoire de la stratégie de Vladi-mir Poutine dans cette guerre-ci-vile où se joue tout bonnement l’équilibre du Moyen-Orient. Affaiblir les monar-chies pétrolière à travers un conflit sunnite/chiite Depuis le 30 septembre, la Russie apporte un soutien mili-taire au régime de Bachar al-As-

sad, son seul allié dans une zone dominée par les forces améric-aines et celles de l’OTAN. Pour Poutine et son administration, l’intérêt est multiple  : mainte-nir une base navale dans la zone portuaire de Tartous en Médi-terranée, protéger les minorités chrétiennes assyriennes et empêcher le retour des djihad-istes tchétchènes. Mais surtout, en intégrant le conflit, Poutine saisit l’occasion en or d’affaiblir les monarchies pétrolières du Moyen-Orient, notamment les Saoudiens, sunnites, qui ont fi-nancé la révolte des Tchétchènes en Russie entre 1994 et 1996.

POLITIQUE

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Page 7: Les éclaireurs numéro 1

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120 000 Syriens déplacés depuis le début des frappes russes (USA)

Page 8: Les éclaireurs numéro 1

Abandonner Assad revi-endrait alors à laisser le champ libre au retour des sunnites en Syrie, ce qui fermerait la route qui va du port de Tartous, au Nord, à Bagdad et Téhéran, jusqu’au Golfe Persique. Un scénario impensable pour la Russie, dont les intérêts seraient directement mis à mal.

Afin de mener à bien son entreprise d’affaiblisse-ment des monarchies pétrolières, la Russie fait alliance avec les chiites, principalement l’Iran, le Hezbollah libanais, le nou-veau gouvernement d’Irak et, bien sûr, les Alaouites de Syrie, branche du chi-isme. Le but est de pousser à la révolte les populations chiites sous contrôle sun-nite, ce qui implique le be-soin de maintenir la con-

tinuité territoriale allant du Nord de la Syrie jusqu’à l’Iran. Ainsi il sera possible de continuer à envoyer des hommes et des armes vers la côte Est du Golfe Per-sique et vers le Bahreïn, régions à population ma-joritairement chiite. Les Russes et les chiites ont besoin d’Assad. Avec cette alliance, Poutine pourrrait mettre fin à la domination américaine au Moyen-Ori-ent et faire tomber les mon-archies Sunnites en cas de victoire, ce qui pourrait aboutir à une hausse du prix du pétrole. Une bonne chose pour la Russie, qui doit vendre son baril à 107 dollars pour maintenir son équilibre budgétaire alors que la moitié de ses reve-nus proviennent des ex-portations pétrolières.

Preuve de cette coopéra-tion  : le déploiement des troupes iraniennes en Syrie sous le commandement du général Qasem Soleimani, qui avait rencontré Vladi-mir Poutine et son minis-tre de la Défense Sergueï Choïgou en juillet pour planifier un renforcement de l’aide militaire au ré-gime Al-Assad. A l’époque pourtant, le Kremlin avait démenti la rencontre, alors que le département amér-icain protestait auprès de la Russie, qui n’avait pas an-noncé ce voyage malgré les sanctions votées au Conseil de sécurité de l’ONU contre les responsables du pro-gramme nucléaire iranien, dont faisait partie le général Soleimani. Mais avec Pou-tine, nous ne sommes plus à un mensonge près.

POLITIQUE Syrie : Poutine est-il un bon joueur d’échec ?

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Page 9: Les éclaireurs numéro 1

La Russie devait soi-disant intervenir en Syrie pour lutter contre les troupes de Daesh. Pourtant, depuis le début de leur intervention, les Russes ont surtout frap-pé les autres groupes rebelles, notamment le Front Al-Nosra, branche d’Al-Qa-ïda en Syrie, mais aussi Ahrar Al-Cham et, surtout, l’armée syrienne libre, sou-tenue et financée par la France et des Etats-Unis. Tous ces groupes gagnaient du terrain contre l’armée de Bachar Al-Assad depuis le printemps et commençaient à ap-procher de la région du Lattaquié où se trouve… la seule base russe en Méditerranée. On peut ainsi raisonnablement croire que la cible première n’est pas Daesh, mais bien d’acquérir de l’influence dans la région. Depuis le début, la stratégie Poutine repose sur un mensonge. Et après le mensonge vient le bluff. Si l’Histoire se répète, alors on verra que Poutine frappe fort, que Poutine fait éclat, mais que Poutine ne tient pas. Rappelons-nous de ses échecs en Tchétchénie, en Géorgie, en Ukraine et même en Biélorussie. L’objec-tif stratégique de Poutine était de maintenir ces pays dans l’orbite de Moscou. Mais la Tchétchénie, qui fait partie de la Russie, est devenue un territoire indépendant après une guerre sanglante à souhait, qui avait justement pour but de mater la rébellion indépendan-tiste. Poutine a été forcé d’accorder une quasi-souveraineté à son ancien pantin Ramzan Kadyrov, qui se permet maintenant de le menacer de tirer sur sa police si elle pénètre sur son territoire. La Tchétchénie est plus petite que la Bretagne et la Fédération de Russie est le pays le plus étendu du monde. Si c’est une partie d’échec, alors le pion attaque le roi.

En Ukraine, Poutine s’est emparé de la Crimée sans trop de difficultés. Tout le reste du pays devait suivre, mais tout ne s’est pas passé comme prévu. Le peuple ukrainien s’est levé contre l’envahisseur et a court-circuité une armée démotivée, corrompue et gangrénée d’espions des services de renseignements russes. En Géorgie non plus, les autorités ne sont plus en odeur de sainteté auprès de la Fédération de Russie qui a reconnu l’indépendance des séparatistes de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud à l’issue d’une courte guerre en août 2008, et installé ses bases militaires dans ces deux régions. En mars, Moscou a même signé une série d’accords avec l’Ossétie du Sud, lui permettant d’étendre son contrôle sur ce territoire de 50 000 ha-bitants. Tout a changé à force d’agressions militaires, d’invasions et d’annexions larvées.

POLITIQUE Syrie : Poutine est-il un bon joueur d’échec ?

Un mode opératoire : la démonstration de force et le mensonge

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Page 10: Les éclaireurs numéro 1

Par Clément Martinet

Même la Biélorussie du président-dictateur Loukachenko, d’habitude si docile face au Kremlin, se rapproche de plus en plus de l’Union eu-ropéenne depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, de peur de subir le même sort. Partout où Poutine passe, la révolte s’en suit. Contraire-ment à ce que nous chante la propagande du Kremlin et de ses support-ers, le but du président Russe n’est pas de mettre fin à une politique in-ternationale qui ne respecte pas la souveraineté des nations mais, bien au contraire, de faire prévaloir la loi du plus fort au service de la Russie. Bon tacticien, peut-être. Bon stratège, pas sûr. Pou-tine nous a prouvé à maintes reprises qu’il n’était pas champi-on d’échec. Espérons que les Syriens n’en fassent pas les frais.

POLITIQUE Syrie : Poutine est-il un bon joueur d’échec ?

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Page 11: Les éclaireurs numéro 1

De la crise des ré-fugiés aux « valeurs européennes »

S’agit-il d’un principe d’action partagé par tous les états membres ? Une notion immuable voulant définir une éthique européenne en construction  ? De facto, les «  valeurs européennes  » ont été ins-

crites noires sur blanc dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en 2000. Mais l’ambiguïté demeure. Que comprendre dans «  l’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dig-nité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité » ? Le Traité de Lis-bonne en 2007 ne nous aide guère plus. Ce dernier garantit, sans jamais définir, le respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, des droits de l’homme (y compris des minorités)… Les valeurs communes aux Etats-membres seraient «  la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité, l’égalité entre les femmes et les hommes ». Prob-lème : aucun pays européen ne respecte ces valeurs européennes dans leur totalité, leur complexité et leur multiplicité. Ces traités semblent donc à la fois apragmatiques et utopiques  ; incapables de répondre à la question  : «  qu’est-ce qu’une valeur européenne, concrètement  ?  »

Depuis la crise des réfugiés, on entend souvent parler de « valeurs eu-ropéennes  ». Mais personne ne se pose la question pourtant évidente:

qu’est-ce qu’une valeur européenne?

POLITIQUE De la crise des réfugiés aux “valeurs européennes”

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Page 12: Les éclaireurs numéro 1

Le problème est donc sémantique. Le livre de Frank Baasner, directeur du DFI (in-stitut franco-allemand), est une référence à ce sujet. Dans Europe, l’avenir d’une idée, il montre notamment en quoi l’Europe est animée par un «  système de val-eurs dynamique » et non statique. Pour le dire autrement, l’Europe est en construc-tion identitaire et son histoire, si elle influence ses valeurs, ne les fixe pas. Parler des valeurs communes de l’Europe sans référence aucune, ce n’est pas définir ce qu’est l’Europe, mais construire arbitrairement par le langage ce qu’elle devrait être. L’Allemagne prétend ainsi réifier les valeurs européennes via sa politique d’accueil des réfugiés. Et pourtant, ces valeurs ne semblent pas vraiment partagées par des pays mem-bres comme la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie ou la Hongrie. Tous se sont hissés contre la politique des quotas de réfugiés proposés par la Commission européenne.

Dans le discours Allemand, définir l’Europe par des valeurs faussement ab-solues permet de légitimer l’ouverture des frontières aux réfugiés, et a con-trario de rendre illégitime toute politique de fermeture des frontières.

POLITIQUE De la crise des réfugiés aux “valeurs européennes”

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Page 13: Les éclaireurs numéro 1

Les réactions des Etats membres non favorables à l’accueil des réfugiésillustrent simplement, faute de con-sensus clair et défini, les différentes résonnances que les «  valeurs eu-ropéennes  » peuvent avoir dans l’es-prit des représentants. Cela a créé une mésentente fratricide entre les acteurs politiques européens. La poli-tique hongroise, qui assure défendre les « valeurs chrétiennes » de l’histoire européenne, s’oppose ainsi en tous points au gouvernement Allemand qui affirme défendre de son côté des « valeurs européennes ». Quelle est la différence  ? Cela explique-t-il le re-fus des réfugiés d’un côté, et l’accueil massif de l’autre ? Ou avons-nous bel et bien à faire à une appropriation au-toritaire d’un terme indéfini pour jus-tifier des prises de décision politiques? Le contexte actuel de la crise des ré-fugiés donne tout son sens à la ques-tion des «  valeurs européennes  » car elles doivent se manifester explicite-ment. Il n’est plus question de termes flous comme «  respect de la dignité humaine ». La divergence des inter-prétations fait d’ailleurs que la poli-tique appliquée est très différente d’un pays à l’autre. Et il faut pourtant trouver un accord commun, un pa-limpseste des valeurs européennes  ! Cet accord commun définira l’Europe bien plus que le traité de Lisbonne ne définit les valeurs européennes. Mieux :

il explicitera le traité de Lisbonne.

En résumé l’Europe se constru-it sous nos yeux mais ne s’actualise pas. L’existence de l’union ne saurait devancer son essence, dirait Sartre. Les décisions d’aujourd’hui constru-isent l’Europe de demain. Il n’y a pas de modèle à suivre, mais une Union à construire, à renforcer, à définir.

En parallèle de la structure institu-tionnelle de l’Union européenne se construit aussi une citoyenneté eu-ropéenne. Jamais les citoyens eu-ropéens ne se sont senti aussi européens que durant cette crise des réfugiés. Pour la première fois, l’Europe des 28 doit trouver un accord commun qui ne concerne pas seulement le do-maine économique, mais aussi poli-tique, social et éthique. Tout le monde ou presque se sent impliqué dans cette politique générale : de la Lettonie qui diffuse des spots télévisés éducatifs sur la nécessité d’accueillir des réfugiés, à Strasbourg en France qui a mis en place un numéro vert pour que cha-cun puisse apporter sa pierre à l’édi-fice… Les actions citoyennes suiv-ant la ligne de conduite européenne sont possibles et encouragées par les médias des différents pays membres. On se sent d’autant plus citoyen eu-ropéen lorsque nos actions sont en accord avec la politique commune.

POLITIQUE De la crise des réfugiés aux “valeurs européennes”

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Page 14: Les éclaireurs numéro 1

Par Jean-Baptiste Roncari

La crise des réfugiés nous rendrait-elle alors individuellement plus européen ?

Un accord permettrait d’optimiser cette «  citoyennisation  ». Mais faut-il que les valeurs européennes instituées soient imposées de force aux pays ne les partageant pas ? Fin juin 2015, la Cour Suprême avait légalisé La crise des réfugiés nous rendrait-elle alors individuellement plus européen ?

Un accord permettrait d’optimiser cette « citoyennisation ». Mais faut-il que les valeurs européennes instituées soient imposées de force aux pays ne les partageant pas ? Fin juin 2015, la Cour Suprême avait légalisé sans préavis le mariage homosexuel dans l’ensemble des Etats-Unis. Un symbole fort qui a contribué à renforcer l’unité nord-américaine. Ce sont peut-être de telles me-sures qui permettraient de définir les « valeurs » dont l’Europe se revendique. L’on voit bien en tout cas l’enjeu de la crise des migrants pour l’Union  : elle possède l’occasion unique de se définir sur la scène internationale. Lorsque le président turc Erdogan évoque à Bruxelles le laxisme des politiques de l’Union européenne quant à l’accueil des migrants, il prouve déjà une chose : l’Union forme un bloc sur cette question. Maintenant, quelles valeurs voulons-nous donner à ce bloc? La page n’est ni tout à fait blanche, ni tout à fait écrite. sans préavis le mariage homosexuel dans l’ensemble des Etats-Unis. Un sym-bole fort qui a contribué à renforcer l’unité nord-américaine. Ce sont peut-être de telles mesures qui permettraient de définir les « valeurs » dont l’Europe se revendique. L’on voit bien en tout cas l’enjeu de la crise des migrants pour l’Union : elle possède l’occasion unique de se définir sur la scène internatio-nale. Lorsque le président turc Erdogan évoque à Bruxelles le laxisme des poli-tiques de l’Union européenne quant à l’accueil des migrants, il prouve déjà une chose : l’Union forme un bloc sur cette question. Maintenant, quelles valeurs vou-lons-nous donner à ce bloc? La page n’est ni tout à fait blanche, ni tout à fait écrite.

POLITIQUE De la crise des réfugiés aux “valeurs européennes”

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Page 15: Les éclaireurs numéro 1

JUSTIN TRUDEAU

Le Canada a changé de gouvernement lors des élec-tions fédérales du 19 octobre 2015. Le conservateur Stephen Harper a cédé la place à Justin Trudeau,

fils de l’ancien premier ministre Pierre Elliott Trudeau. Le nouveau dirigeant du pays, âgé de 43 ans et professeur de formation, a réussi à convaincre les Canadiens qu’il pou-vait apporter un réel changement. Entre espoirs et réalités, portrait de ce nouveau Premier ministre. Le président américain Richard Nixon l’avait prédit dans un discours public, en 1973, le jeune Trudeau dirigerait un jour le Canada. Il ne s’est pas trompé puisque le can-

didat libéral a obtenu 184 sièges à la chambre des Com-munes, soit près de 40% des voix le 19 octobre dernier. Une victoire écrasante pour un homme presque ordinaire.

La politique, une histoire de famille

Fils de Pierre Elliott Trudeau, ancien Premier minis-tre, Justin Trudeau ne se destinait pourtant pas à la politique. Après une enfance sous le feu des project-eurs du fait de la carrière de son père, l’homme s’est tenu à l’écart de la sphère médiatique et politique.

LE CANADACHANGEDE VISAGE

POLITIQUE

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Page 16: Les éclaireurs numéro 1

Marié et père de trois enfants, il était pro-fesseur de mathématiques et de français avant de devenir chef du parti de l’oppo-sition. Ce n’est qu’à la mort de son père en 2000 qu’il s’est fait remarquer pour ses qualités d’orateur lors de ses funérailles. Il est alors approché par les libéraux qui

voient en lui une figure de leader po-tentiel. L’entrée de Justin Trudeau en politique est progressive. Sa première grande victoire est celle de la circon-scription du Papineau en 2008, il devi-ent alors député. Malgré les critiques de ses adversaires, qui lui reprochent son

inexpérience et son manque de prises de positions politiques, le jeune premier prendra la tête du parti libéral en 2013.Ce sont ses mêmes faiblesses qui ont per-mis à Justin Trudeau de remporter les élections canadiennes. Agé de 43 ans, sa jeunesse et son entrain font aussi sa force.

POLITQUE Justin Trudeau : Le Canada change de visage

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Page 17: Les éclaireurs numéro 1

L’homme se veut moderne et proche du peu-ple. Le lendemain de sa victoire électorale, il était vu dans le métro de Montréal, posant pour des selfies.

On l’a aussi vu s’adonner à un strip-tease pour une associa-tion ou boxant contre un sénateur du parti conservateur. Au-tant d’anecdotes qui rappellent l’image populaire de son père. L’ancien Premier ministre Pierre Elliott Trudeau était lui aussi une figure publique aux idées progressistes. Il est connu pour avoir levé des restrictions concernant la con-traception, décriminalisé l’avortement et l’homosexu-alité et pour avoir calmé les séparatistes québécois. La Constitution a été modifiée, l’anglais et le français ont été admis comme langues officielles du gouvernement.

Un vent de changement

Se plaçant dans la lignée de son père, Justin Trudeau est un libéral. Lors de cette campagne électorale, qui a été une des plus longues de l’histoire du pays, il était en op-position avec Stephen Harper. Là où Trudeau faisait les louanges de la diversité et du multiculturalisme canadien, Harper faisait passer des lois pour limiter l’immigration. Le conservateur, Premier ministre depuis 2006 espérait être élu pour un quatrième mandat. Une défaite cuisante et amère. Lui qui avait misé sur l’emploi et la baisse des taxes et de l’impôt sur les sociétés s’est vu rattraper par son im-age, peut-être trop traditionnelle. L’interdiction du port du niqab pour les fonctionnaires a été un de ses arguments de campagne, le rapprochant des plus extrémistes de la droi-te canadienne. Le ralentissement de l’économie et les scan-dales qui ont eu lieu durant son mandat ont eu raison de lui. Les Canadiens, en choisissant le candidat libéral, ont préféré la réduction des impôts pour la classe moyenne, l’ouver-ture des frontières aux immigrants, la légalisation de la marijuana et l’investissement dans des structures vertes. Un changement de bord politique qui montre que l’an-cien gouvernement n’était plus en phase avec son électorat.

Par Claire Tholozan

POLITQUE Justin Trudeau : Le Canada change de visage

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Page 18: Les éclaireurs numéro 1

La Chine (re)devient capitalisteMais que s’est-il passé en Chine

cet été  ? Toute la presse s’est emballée au sujet de la baisse

des marchés chinois, osant même parler de krach boursier de crise économique. Il ne s’est pourtant rien passé de tel. Le pays est simplement en train de laisser le libre marché fixer ses taux d’intérêts et ses taux de change. En d’autres termes, la Chine redevient la puissance capitaliste qu’elle a jadis été et c’est une bonne nouvelle. Reprenons par le début. En avril 2015, les

bourses chinoises se sont envolées, l’in-dice de ses valeurs côtées à Hong-Kong est passé de 12 000 à 15 000 en un mois, pour retomber à 12  000 en juillet, ce qui a provoqué l’affolement et l’embal-lement médiatique. Il n’y a pourtant eu qu’un mois d’euphorie sur les marchés et la situation s’est retrouvée au point de départ, là où elle était en début d’année. Pourquoi cette hausse ? Le gouvernement chinois veut faire entrer sa monnaie, le yuan, dans les Droits de tirages spéciaux

(DTS), le club très fermé des monnaies re-connues et autorisées par le FMI pour sol-der les transactions que les pays peuvent avoir avec lui. Seul le dollar, l’euro, la livre sterling et le yen en font partie aujourd’hui. Le yuan devrait y entrer également d’ici la fin d’année, ou au début de l’année pro-chaine. La demande pour cette monnaie devrait donc fortement augmenter d’ici là et permettre à la Chine de baisser ses taux d’intérêt, ce qui serait une bonne chose pour le marché des obligations chinoises.

ÉCONOMIE

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Page 19: Les éclaireurs numéro 1

Pas de crise

Or, parler de crise, c’est faire preuve d’une (légère) mau-vaise foi. La Chine est en effet l’un des seuls pays à tenter de créer une monnaie de qualité, avec un régime où les taux d’intérêts et les taux de change seront régis par le marché. En quelques sortes, elle redevient capitaliste, ce qu’elle a presque toujours été dans l’entièreté de son Histoire. Pourquoi maintenant ? Longtemps, la Chine a sous-évalué sa monnaie et a dégagé d’importants excédents pour sortir de son économie « moye n-âgeuse » en construisant des infra-structures, autoroutes et hôpitaux. Mais toutes ces construc-tions, bien que vitales, n’ont aucune rentabilité. On ne gagne pas d’argent en construisant un pont. Les autorités ont donc décidé de créer de la croissance depuis le secteur privé, en maintenant des taux de change et des taux d’intérêt à prix de marché depuis trois ans. Beaucoup ont pris ce choix comme le signe d’une dévaluation de leur monnaie, or ce n’est pas le cas.

La Chine veut en réalité concurrencer le dollar avec le yuan, et concurrencer le FMI et la Banque Mondiale en développant des organismes internationaux qui ne manipulent pas autant les monnaies. La Chine est en train de créer une zone de sta-bilité monétaire émergente. Or, si l’expérience fonctionne, alors de plus en plus de personnes épargneront en yuan et de moins en moins en dollar…Un vrai tremblement de terre que beaucoup ont encore du mal à imaginer se produire.

Pourtant ce serait une bonne nouvelle pour les épargnants du monde entier. Loin d’être en crise, la Chine plutôt est en train de changer de modèle en créant une monnaie saine et à juste valeur.

Par Clément Martinet

ÉCONOMIE La Chine (re)devient capitaliste

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Page 20: Les éclaireurs numéro 1

A quelques jours de la COP21 de Paris, nombres d’acteurs économiques débattent encore sur l’urgence d’une réduction de l’impact sur l’environnement. D’autres préfèrent voir le prob-lème autrement en mesurant leur dépendance à la nature. Une question qui divise.

Le jour où les entreprises mesureront leur dépendance à la planète

Lo r s q u ’ i l cherchait à définir

une loi naturelle régissant l’écon-omie humaine, Adam Smith touchait finale-ment du doigt le fait que la pro-duction et les échanges sont d’abord dépen-dants de leur environnement

naturel. Trois siècles plus tard, il est temps de redonner un peu d’humilité à l’économie mon-diale et cesser de croire qu’elle fonctionne tou-jours comme un cycle mé-canique dans le-quel les ressou-rces utilisées sont déliées de

celles produites par la Terre.Selon un rap-port publié en 2014 par le lab-oratoire d’idée Global Footprint Network, l’hu-manité consom-me l’équivalent des ressourc-es d’une Terre et demie chaque année pour vivre. En d’autres ter-

mes, nous con-sommons trop et trop vite par rapport à ce que la planète est capable de pro-duire. En France, alors que la na-ture régénère a n n u e l l e m e n t près de trois hectares pour un Français, ces derniers en con-sommeraient en

moyenne un peu plus de quatre, creusant chaque année davan-tage le défic-it écologique du t e r r i t o i r e .

De « l’impact » à la « dépen-dance » envi-ronnementale

ÉCOLOGIE

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Page 21: Les éclaireurs numéro 1

Seulement, est-il réellement possible de mesurer ainsi la productivité de la nature, et ce que nous en consom-mons  ? Pour Susan George, présidente d’honneur du mouvement altermondial-iste ATTAC, « la logique selon laquelle il est possible de cal-culer en milliards d’euros ou en milliards de dollars ce que les abeilles apportent à l’hom-me est une façon complète-ment réductrice d’envisager la biosphère ». Selon la mili-tante, la nature est bien trop complexe et aléatoire pour que l’Homme soit capable de la mesurer ou de la prévoir. Reste qu’au niveau des en-treprises, une prise de con-science grandit. Encore faudrait-il qu’elle aille dans le bon sens. En matière d’envi-ronnement, le site officiel des Chambres de Commerce et d’Industrie de France sensi-bilise les consciences à coups de certifications, labels et

autres normes en faveur de « l’amélioration, l’identifica-tion, la gestion et la réduc-tion des impacts d’une entre-prise sur l’environnement ». Seulement les mots ont un sens et révèlent parfois la manière dont les problèmes sont perçus. Focaliser l’atten-tion des entreprises unique-ment sur leur impact envi-ronnemental ne suffit plus  : « On ne peut demander plus à la nature que ce qu’elle est capable de nous donner », es-time à ce titre Susan George. L’impact de l’économie mon-diale sur l’environnement aura donc un retour de bâton : la dépendance croissante des entreprises face à la nature.

Les « services rendus » par la nature

Cette dépendance, c’est ce que souhaite mesurer pour sa part  l’audit sur «  l’Evalu-ation des Services Ecosys-témiques rendus aux entre-

prises  » (ou «  audit ESR  ») développé par trois think tanks : le World Ressource In-stitute (WRI), le World Busi-ness Council for Sustainable Developpement (WBCSD) et le Meridian Institute.

Tests timides, outil manip-ulable

En France, le géant de l’eau Veolia a participé au dével-oppement de l’ESR et en a testé les possibilités il y a cinq ans, sur son site de retraitement des eaux de Wassmanndorf à Berlin. Une partie des eaux retraitées du site est depuis 1994 évacuée sur ce qui est présenté par Veolia comme un vaste es-pace naturel ouvert au pub-lic et protégé depuis 1987.

Le jour où les entreprises mesureront leur dépendance à la planèteÉCOLOGIE

Par Quentin Velluet

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Page 22: Les éclaireurs numéro 1

Avec 50 000 nouveaux cas de cancers chaque année, il était temps de réagir. Octobre Rose, mouvement initié aux

Etats-Unis pour promouvoir le dépistage du cancer du sein, a donc envahi l’hexagone le 30 septembre dernier. La France s’est pavoisée de rose et les associations ont multiplié les initiatives pour sensibiliser le grand public. L’opération s’est achevée ce samedi et les ré-sultats ne seront connus que dans l’année.

Chaque année en France, ce sont 50 000 femmes qui sont touchées par le cancer du sein. Il s’agit du cancer le plus fréquent et de la première cause de décès par can-cer chez la femme avec 12 000 décès par an. Les professionnels de santé sont nombreux à préconiser une mammographie, c’est-à-dire une radiographie des seins pour dé-tecter le cancer à un stade précoce et aug-menter les chances de guérison. C’est aussi l’objectif du grand programme national de dépistage gratuit débuté en 2004 en France. Grâce à cette prise de conscience des poli-tiques est née l’opération « Octobre Rose ». Une couleur unie et un discours unique pour sensibiliser les femmes âgées de 50 et 74 ans au dépistage du cancer du sein. Et les initia-

tives ne manquent pas : des campagnes de sensibilisation, un site internet, des courses, des slogans (« osez montrer vos seins ! »), des marraines célèbres photographiées seins nus, un ruban symbolique, une Tour Eiffel parée de rose, des tables rondes… L’objectif reste de marquer les esprits pour enfin faire enten-dre aux femmes que la mammographie est une étape naturelle dans la vie d’une femme.

Mais alors est-ce que les femmes vont vraiment se faire dépister  ?

Selon l’Institut National du Cancer (INca), en 2014, plus de 2 520 000 femmes ont participé au dépistage dans le cadre du programme national, soit un taux de participation de la population-cible de 52 %. « On peut rajouter à ce taux de participation les femmes de 50 à 74 ans se faisant dépister dans le cadre d’une démarche de détection individuelle», analyse Nathalie Ducongé de l’association Le Cancer du sein, Parlons-en!. «Mais les femmes contin-uent d’avoir peur du diagnostic et se refusent souvent à aller consulter  », précise-t-elle.

Cancer du sein : une cam-pagne ni toute rose, ni toute noire

SOCIÉTÉ

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Page 23: Les éclaireurs numéro 1

L’INca fait remarquer que la progression des dépistages a été forte les premières an-nées de campagne (de 42,5 % en 2004-2005 jusqu’à 52,7 % en 2011-2012) et qu’on stagne à un pallier d’environ 52 % depuis 2008. «Pour les chiffres de cette année, il faudra atten-dre plusieurs mois car il y a un laps de temps entre le moment où les femmes entendent parler du dépistage et où elles y vont vrai-ment», explique Nathalie Ducongé. L’asso-ciation rappelle qu’«  une femme sur huit risque de développer un cancer du sein » et que, « chaque année, le dépistage pré-coce permet de sauver des milliers de vie ».

Avancées thérapeutiques

Octobre Rose c’est aussi l’occasion pour les associations de récolter des fonds pour financer la Recherche. Cette année, l’as-sociation Le Cancer du sein, Parlons-en! a réalisé un don de plus 250 000 euros consacré à la Recherche. Le cancer du sein est celui qui mobilise le plus de chercheurs. Il existe désormais plusieurs manières de le guérir. Ainsi, une femme atteinte d’un cancer du sein a le choix entre la chirurgie, la radiothérapie, la chimiothérapie, l’hor-monothérapie et des thérapies ciblées di-versement combinées. « L’avancée théra-peutique ne repose actuellement pas sur une technique ou un médicament donné mais plutôt la façon dont on va organiser le traitement et les séquences thérapeu-tiques qui vont donner les meilleurs résul-tats pour le moins d’effets secondaires »,

nous explique Sylvie Demolombe, mé-decin interniste à la clinique Protestante de Lyon. De son côté, la Fondation ARC estime qu’on guérira 2 cancers sur 3 dans dix ans.

Des critiques fusent

Constatant une stagnation du taux de par-ticipation, mais aussi les préoccupations croissantes autour du problème du sur di-agnostic, l’INCa révèle que “Le taux de par-ticipation au dépistage s’est stabilisé depuis 2008 autour de 52% de la population invitée et connait d’importantes disparités sel-on les territoires, signalant des inégalités d’accès et de recours au dispositif”. De plus, “si ce dépistage permet de diagnostiquer des cancers du sein à un stade précoce […], il conduit également à diagnostiquer des cancers qui n’auraient pas, ou auraient très peu évolué.” Une partie des professionnels de santé va même jusqu’à évoquer «  le sur dépistage et le surdiagnostic ». «Je ne crois pas qu’on puisse parler de sur dépistage, on ne fait jamais suffisamment de préven-tion», nous confie le Docteur Demolombe.

Enfin, Octobre Rose montre aussi que les mentalités ont changées. En 2015, on a désormais une approche sociétale de cette maladie, la mobilisation se fait tous azimuts, des célébrités aux pa-tients, signe que la société se transforme.

Par Pauline Ragué

SOCIÉTÉ Cancer du sein : une campagne ni toute rose, ni toute noire

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Page 24: Les éclaireurs numéro 1

SOCIÉTÉ

#OnVousCroit ou la solidarité 2.0

Lors de chaque numéro, nous nous penchons sur un phénomène de société international

Le 21 octobre dernier, le Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte aux agressions à caractère sexuel (RQCALACS) lançait la campagne #OnVousCroit. Cette campagne sur les réseaux sociaux fait écho à la campagne #AgressionNonDénon-cée, qui célèbre ce mois-ci un an d’existence, et se veut «  un tremplin pour envoyer un message clair et sans équivoque aux victimes : vous êtes crues et aux proches et à l’entourage : croyez-les » explique Mélanie Sarroino, agente de liaison du RQCALACS.

Retour en arrière. Il y a un an, l’affaire Jian Gomeshi bat son

plein au Canada. L’anima-teur vedette est remercié par la CBC et le quotidien torontois The Star publie le lendemain, le témoignage

de trois femmes qui affir-ment avoir été agressées par l’animateur et d’une quatrième qui l’accuse de harcèlement sexuel au tra-vail. Les quatre femmes, in-terviewées à de nombreus-es reprises par le quotidien,

refusent obstinément de porter plainte à la police et que leur nom soit dévoilé. La raison ? La crainte de faire l’objet de poursuites ou de représailles sur internet.

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Page 25: Les éclaireurs numéro 1

Cette crainte se fonde sur l’expérience de Carla Cic-cone qui a publié, l’année précédente, un article sur le site XO Jane à propos d’un rendez-vous déplai-sant qu’elle a eu avec un animateur de radio très populaire, présumé être Gomeshi. Suite à la publi-cation de son article, Cic-cone a été victime d’un terrible ressac et la cible de nombreux messag-es haineux et de menaces.

#BeenRapedNeverRe-ported

Malgré les craintes lég-itimes des victimes de Gomeshi, de nombreus-es personnes critiquent leur choix de ne pas por-ter plainte. La journal-iste judiciaire du quotidi-en Montreal Gazette Sue Montgomery, qui suit l’af-faire, comprend, elle, la peur des victimes. Ayant été agressée sexuelle-ment par son grand-père alors qu’elle était enfant, puis par un collègue à l’âge

adulte, elle connait bien les sentiments de culpabil-ité, de crainte et de doute qui peuvent pousser les femmes à se taire devant l’horreur des agressions. Décidée à briser le si-lence, en solidarité avec les victimes de Gomeshi, elle contacte la journal-iste Antonia Zerbisias du Toronto Star qui crée le mot-clic #BeenRapedNev-erReported (j’ai été violée, je ne l’ai jamais dénoncé).

Toutes deux partagent leurs agressions sex-uelles sur Twitter, disant qu’elles ne les ont jamais dénoncées. Elles non plus.

La réaction est instantanée. Des millions de messages et de témoignages contenant le mot-clic déferlent sur les réseaux sociaux en prove-nance des quatre coins du monde. Pendant quelques jours, le mot-clic est par-mi les plus populaires aux Etats-Unis et au Canada. Au Québec, le mouvement est repris par la Fédération

des femmes du Québec (FFQ) et le blogue Je suis indestructible qui lancent le mot-clic #Agression-NonDénoncée. Inspirées par le courage des jour-nalistes et des millions de femmes qui les ont imité, de nombreuses personnalités québécoises dénoncent elles aussi les agressions qu’elles ont subi. C’est le cas des présidentes de la FFQ, Alexa Conradi, et du Con-seil du Statut de la femme, Julie Miville-Dechêne, de la journaliste au quotidi-en La Presse Michèle Oui-met et de l’ancienne min-istre libérale Sheila Cops.

Et après ?

L’onde de choc causée par les millions de dénoncia-tions provoque la réflex-ion et propulse la ques-tion de la culture du viol à l’avant scène. Le sujet envahi des espaces où il était auparavant ignoré.

#OnVousCroit ou la solidarité 2.0SOCIÉTÉ

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Page 26: Les éclaireurs numéro 1

SOCIÉTÉ #OnVousCroit ou la solidarité 2.0

Magazines culturels, blogueurs, émissions de télévision popu-laires, tous se sentent interpellés à traiter de la question. Quant aux victimes, leur témoi-gnage – souvent une révélation pour leur en-tourage – est un premier pas vers la recherche de soutien et la guérison.

Politiquement, le séisme #AgressionNonDénon-cée se fait ressentir jusqu’à l’Assemblée na-tionale où, le 25 novem-bre 2014, une motion pour lutter contre la vio-lence faite aux femmes, améliorer les services d’aide aux victimes et élaborer un troisième Plan d’action gouver-nemental en matière d’agression sexuelle est adoptée à l’unanim-ité. En mars de l’année suivante, une vingtaine d’organismes partici-pent à une Commission parlementaire visant à

documenter la question des agressions sexuelles commises notamment sur les personnes vul-nérables. De juin à sep-tembre 2015, un fo-rum itinérant poursuit la discussion amorcée par les parlementaires avec une centaine d’or-ganismes. Un an après la motion, le plan d’ac-tion se fait attendre.

#OnVousCroit

La campagne #Agres-s i o n N o n D é n o n c é e célèbrera le 5 novem-bre un an d’existence. Malheureusement, de nombreuses personnes remettent encore en doute les dévoilements d’agressions sexuelles. «  Le discours ambiant alimenté par les mythes et préjugés met de l’avant la croyance que les vic-times ont contribué d’une certaine manière à l’agression sexuelle qu’elles ont vécues »

déplore Mélanie Sar-roino du RQCALACS. C’est pourquoi l’organ-isme a lancé la cam-pagne #OnVousCroit.

« Il faut mettre les cho-ses au clair, le taux de fausses allégations en matière d’agression sexuelle est le même que pour tout autre crime, il n’est pas plus élevé. Dans les CALACS, les femmes attendent en moyenne 13 ans avant de venir chercher de l’aide.Elles attendent aussi longtemps parce qu’elles ont peur de ne pas être crues  ! Donc oui, les CALACS croient toutes les femmes et les filles qui vont chercher de l’aide dans leur cen-tre. C’est le premier pas vers la reprise de pou-voir sur leur vie » ex-plique la jeune femme avant de préciser « No-tre campagne ne par-le pas d’accusation ni de condamnation  ».

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Par Éliane Cheshire

Une précision pertinente, à la lecture de certaines critiques qui semblent con-fondre l’appel du RQCALACS à « croire  la victime  » avec une imprécation à «  condamner l’accusé sans procès »…

Le RQCALACS espère, avec sa campagne encourager les gens à faire montre de davantage d’accueil, d’écoute et d’empa-thie envers les victimes qui témoignent de leur vécu mais également à faire con-naître les ressources qui peuvent épauler proches et victimes après un dévoilement.  « Nous voulons également que le gouver-nement lance une vaste campagne d’éd-ucation populaire qui traite première-ment de la notion du consentement.

SOCIÉTÉ Retour sur un phénomène de société international

Une campagne qui responsabilise les agresseurs et qui ne re-victimise pas les survivantes ». Une demande appuyée et ré-clamée par tous les acteurs invités au fo-rum itinérant  sur les agressions sexuelles.En attendant les mesures gouvernementales, chacun est invité à témoigner de sa solidar-ité avec les victimes d’agressions sexuelles, hommes ou femmes, ayant dénoncé à la police ou non, en disant simplement #OnVousCroit.

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Homeland plonge les spectateurs au cœur de la vie irakienne. Abbas Fahdel filme pendant cinq heures trente les conditions de vie sous Saddam Hussein, la propagande du régime ou encore la peur de la guerre, quasiment imminente.

Le réalisateur sort à nouveau sa caméra pour nous faire part de l’état du pays après l’invasion américaine de 2003. Tout est filmé : les ruines, les américains sur leur char, les discussions familiales, la peur des brig-ands.. Ce film aux allures de documentaire dévoile le vrai visage des irakiens.

Le réalisateur d’Homeland : Abbas Fahdel au Festival International du Film de La Roche-sur-Yon

CULTURE

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Page 29: Les éclaireurs numéro 1

Quelqu’un m’a dit qu’il avait en-vie de faire son premier film en voy-ant Homeland. C’est flatteur et j’en-courage toute personne à se lancer »

G. L : »Une personne apparaît souvent dans votre film. Il s’agit de votre neveu : Haïdar. On ressent une forte complic-ité entre vous. On a l’impression qu’il a envie de tout dire, de tout dévoiler. »

A . F : « Je l’ai découvert en même temps que les spectateurs du film.

Je l’ai connu, il avait trois ans et je le redécouvre à mon retour en Irak : il en avait onze.. On devient rapidement inséparable, il s’attache à moi et in-versement. Dans les séquences où il n’apparaît pas, il était à côté de moi. Ce qui est formidable chez lui c’est son intelligence, sa vitalité, il est très ma-ture comme tous les enfants irakiens. Dans les pays où on devine la guerre, les enfants grandissent rapidement. Ils s’opposent même au discours des adultes et connaissent parfaite-ment la situation politique du pays »

« Homeland, c’est l’histoire de ma vie,

de ma famille, de mon pays »

Géraud Lefebvre : « Quelle est votre émotion quand vous revoyez le film? »

Abbas Fahdel : « J ‘ai toujours du mal à revoir Homeland. Ça n’est pas un film pour moi : c’est l’histoire de ma vie, de ma famille, de mon pays. C’est douloureux et je préfère éviter de le regarder. En réalité, je ne l’ai vu que deux fois : la première pour des rai-sons techniques, la seconde avec le public pour vérifier les sous-titres. Après je n’ai plus su le regarder. »

G.L : « Vous avez reçu le prix du meilleur long métrage au festi-val Vision du réel à Nyons en Su-isse. Quel effet cela vous fait ? »

Abbas Fahdel : « Cela fait plaisir, c’est de la reconnaissance. Au départ, per-sonne ne croyait en mon film. Un fes-tival se prive de 3 ou 4 films en sélec-tionnant mon documentaire. Pourtant il a été visionné un peu partout dans le monde. C’est rassurant pour tout cinéaste qui aime faire des films non formatés : je n’ai aucune contrainte au niveau de la longueur et de la forme.

CULTURE Abbas Fahdel au festival international du film de La Roche-sur-Yon

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Page 30: Les éclaireurs numéro 1

G.L «Vous filmez les événements qui ont lieu avant et après l’inva-sion américaine de 2003. est-ce un choix de se focaliser sur la vie des irakiens et non sur la guerre ? »

A.F « Je vivais en France et j’étais irrité de ce qu’il se disait de l’Irak. On voyait Saddam Hussein ou des clichés sur le pays. Ce n’est pas du tout irakien. J’ai donc décidé de prendre ma caméra et de partir filmer dans mon pays. Si je ne le faisais pas, personne ne l’aurait fait. Surtout pas les reporters étrangers, ils n’avaient pas la volonté et la possibil-ité de faire ça. J’ai montré le vrai visage des irakiens avec ce documentaire. »

G.L « Vous a-t-on déjà interdit de filmer ? »

A.F « Sous Saddam Hussein oui : c’était quasiment interdit, j’ai tourné clandes-tinement. 80% des plans sont filmés dans la maison, ça ne posait pas de problème. En revanche dehors, il fallait être vigilant. Après la guerre, le risque était d’attirer l’attention des américains, des insurgés ou des pillards. Les irakiens ont des cho-ses à raconter et sont contents d’être filmés. Quant aux enfants, ils aiment la caméra, c’est leur allié. Ils m’appelaient « oncle, oncle » c’est comme ça qu’on nom-

me l’homme en Irak. « Oncle, moi tu ne m’as pas filmé ». A chaque fois je ponctuais les scènes du film par des plans séquenc-es sur les enfants. J’aime beaucoup leur sourire, ils sont très beaux. Ça me fait aussi penser à ma fille. En plus, l’Irak est un pays jeune, beaucoup de personnes sont mortes dans les guerres. Je voulais montrer la jeunesse dans mon film. »

G.L « On sent cette volonté de vou-loir tout filmer, avez-vous eu la vo-lonté de faire du tournez montez et de ne rien couper au montage ? »

A.F « Je suis adepte de plans séquence. En l’occurrence, Je filme la vie quotidienne et elle ne se coupe pas à l’inverse du film d’action. Les actes de la vie : manger, parl-er et même se chamailler prend du temps à filmer. C’est un principe de mise en scène qui s’impose par le sujet lui-même.D’ailleurs, quand je tourne, j’imag-ine ce qu’il y a autour du cadre pour préparer mon panorama. J’ai cette ca-pacité quand je tourne et non dans la vrai vie. Ma perception est doublée quand j’ai la caméra entre mes mains. »

Par Géraud Lefebvre

CULTURE Abbas Fahdel au festival international du film de La Roche-sur-Yon

Retrouvez l’interview audio sur notre site internet

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Page 31: Les éclaireurs numéro 1

Un thriller irrespirable et magnifique

SICARIO

Le dernier film de Villeneuve, Sicario, met en scène une Amérique pas si héroïque et un Mex-ique gangrené dans un thriller coup de poing.

Est-ce la fin du thriller américain sur fond de cartel de drogue mexicain ? Le 7 octobre sortaitSicario, le dernier film de Denis Villeneuve. Sicario, c’est d’abord un fond noir, sobre, où l’onapprend que “sicaire” signifie “tueur à gage”. Sicario c’est ensuite une bande originaleoppressante, digne d’un trailer d’un film de Christopher Nolan, hyperprésente tout au long desdeux heures. Emily Blunt campe le personnage de Kate, enquêtrice du FBI qui s’engage dans uneaffaire de drogue entre l’Arizona, le Texas, et Juarez au Mexique. Blunt incarne l’Amérique héroïque et ses idéaux de justice et de liberté. Le thriller dénonce cetimmobilisme que rencontre les agences de sécurité face aux délits commis à la frontière, face à lafuite de ses criminels vers des terres où la juridiction américaine ne s’applique pas. Cette pépite duréalisateur canadien a été nommée dans huit catégories au Festival de Cannes mais est repartiebredouille.

Des faiblesses pardonnées

L’intrigue est difficile à saisir, la psychologie de certains personnages est parfois négligée, l’ennemidu bon héros américain est encore une fois le sanguinaire mexicain. On en revient à ce premierquestionnement. A-t-on déjà trop exploité le thème des cartels? Particulièrement avec Benicio DelToro (Traffic, Paradise Lost, Savages).

CINÉMA

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Page 32: Les éclaireurs numéro 1

On sort pourtant de la salle à bout de souffle, presqueépuisé par ce vision-nage. Sicario est d’une in-croyable efficacité, dès sa première scène coup depoing. Une scène suffo-cante qui donne le ton de ce thriller formidable-ment bien mis en scène.Sicario est beau, désertique et anxiogène, tout en nu-ances de jaune et de kaki.

Les acteurs principaux sig-nent une performance mais ce sont les person-nages secondaires qui sefont particulièrement re-marquer. Josh Brolin, ou-blié par les critiques au profit des têtes d’affiche, sedémarque par un jeu tout en finesse. On regrette les scènes de nuit où Villeneuve se laisseemporté sur les effet spé-ciaux impression jeux vi-

déos et les bande annon-ces qui ne laissent quetrès peu de mystère. L’atmosphère malsaine et ir-respirable de Sicario prend cependant le pas sur tout le reste et laisse une impres-sion de claque monumentale. À croire qu’on peut encore inventer sur un sujet préten-dument épuisé.

Par Sixtine Lys

CINÉMA Sicario : un thriller irrespirable et magnifique

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Page 33: Les éclaireurs numéro 1

9000

Un Perrier rondelle de citron avec French Tobacco« Rester soi-même » c’est le maître mot du chanteur French Tobacco alias Sacha Page qui s’est fait connaître en 2010 par la Nouvelle Star sur M6. Connaître ? Pas si sûr. Il lui a fallu un voyage en Angleterre et cinq années de travail pour revenir avec un album haut en couleurs « Straight Ahead ».

Sacha Page commande un Perrier rondelle de citron pour re-

poser sa voix qu’il a usé la veille où il jouait en prem-ière partie de Mélodie Gardot à l’Olympia. Rien que ça. Mais il n’en a pas perdu sa bonne humeur pour autant. S’inspirant de Jeff Buckley, Radiohead ou encore le groupe The Staves, il nous propose un album aux tons folk rock qui sonne juste du début à la fin. Entre « Little Owl

» et « cry » le single fard de l’album, en passant par « Mexico » titre inédit, on se laisse bercer par un voyage musical em-prunt de ceux de l’artiste. Quelques traits d’humour avec sa manageuse, petite tape dans le dos. « Rester soi-même » pour le chan-teur c’est blaguer, pren-dre l’accent du sud et im-proviser un petit rythme sur la table. J’en oublierais presque mes questions. Plus sérieux mais toujours

aussi léger il m’explique que ces cinq années d’absence lui ont permis de « de prendre le temps de bien faire les choses, de se trouver, et de s’entourer des bonnes personnes ». Pour lui l’important « ce n’est pas ce qu’on te dit d’être ou ce que tu dois être, c’est ce que tu veux être, toi, ce que tu veux montrer. » Sacha Page a appris à garder la tête sur les épaules : « J’ai com-mencé dans les bars et

CULTURE

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après la nouvelle star je suis retourné dans les bars où personne ne me con-naissait et quand je suis rentré à Paris personne ne me reconnaissait non plus. » « J’ai appris à vite redescendre. » Et en effet, c‘est ce qui ressort du per-sonnage, de la modestie et une bonne dose d’humour et d’autodérision.Mais French Tobacco ce n’est pas simplement une voix et une belle gueule, c’est aussi de la matière grise. Le jeune chanteur n’est pas né de la dernière pluie et les études qu’il a suivi en Angleterre sur l’industrie de la musique lui ont permis de mieux appréhender cet univers parfois intransigeant : « On m’a appris à toujours tester de nouvelles technologies parce que la musique ça a été le premier marché qui a été forcé d’évoluer très rapidement. »

Lucide il n’en est pas moins optimiste et voit dans cette mutation un facteur d’innovation : « c’est un marché ou tout est à refaire c’est ça qui est génial et en même temps intéressant. »Pour Sacha Page tout est « incroyable » et on aurait bien envie de faire par-ti de son univers poétique même si quelque fois utopiste qui lui sied si bien. De son expérience télévisuelle il en garde un souvenir, encore une fois, « incroyable » tout comme « la portée de ces émissions » qu’il voit comme « un super tremplin ». Mais le chan-teur en herbe et chemise blanche n’en oublie pas l’importance du travail acharné, « des heu-res et des heures, des journées et des journées, des années entières de guitare derrière soi. »

CULTURE Un Perrier rondelle de citron avec French Tobacco

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Conscient du marché actuel de la musique et ne se laissant pas berner par la poudre de per-limpinpin médiatique, il a rapidement pris conscience de l’effervescence de ce milieu. « C’est tellement rapide aujourd’hui y a tellement d’informations que les gens te zappent comme ça. Geste de la main à l’appuie, il poursuit à juste titre, l’important de savoir durer et de met-tre toutes les chances de ton côté pour en fait te rapprocher de ton public un maximum. »

L’artiste a en effet instauré un véritable lien avec son public grâce au réseau so-ciaux qui lui permettent d’assurer sa communication. Mais pas que. Il s’atta-che à mettre des visages sur les noms des fans qui le suivent, de plus en plus nom-breux. « Le plus important c’est d’avoir une aventure humaine parce que si t’es là pour passer à la télé et dans les magasines tu ne vas pas aller très loin je pense ».

Rigolard, Sacha s’imagine dans deux ans commentant la photo du fils d’une de ses fans sur facebook : « je pourrai lui envoyer un message en lui disant tiens il a grandi ton en-fant, trop drôle ». Et le social network, l’artiste l’utilise a plein régime publiant sur son mur chaque semaine une vidéo en live de mini concerts improvisés dans sa chambre. On le voit découvrir, avec plus ou moins de succès, de nouvelles applications telle que Periscope, support privilégié par l’artiste pour partager sa musique ; on découvre la vue de sa fenêtre et l’univers dans lequel il compose. Tout est fait pour qu’on se rapproche de lui et qu’on ait ne serait-ce que le temps d’une vidéo, de tout de même trente min-utes, l’impression qu’il joue pour nous, dans notre salon. Sans compter que ces lives permettent à ses followers de réagir en direct et lui, de répondre à leurs demandes. « Ça créait un dialogue nous explique-t-il, je pense qu’aussi les gens ont envie de savoir, de voir que parfois je me fais chier dans ma chambre et je me dis bon bah là je n’ai rien à faire pendant environ 2h, je vais mettre une vidéo live. » Rien de plus simple dans l’es-prit de Sacha qui nous livre ses pensées comme elles lui viennent, sans calcul marketing.

Espérons que French Tobacco restera fidèle à ses principes qui en font un person-nage touchant et attachant, en témoignent les nombreux commentaires sur Face-book. En attendant vous pouvez le retrouver le mercredi 25 Novembre au Di-van du Monde, pour concrétiser le lien autour d’une bière et d’une jolie chanson.

CULTURE Un Perrier rondelle de citron avec French Tobacco

Par Coline Vazquez

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Le foot-fauteuil est l’une des pratiques handisport les plus populaires, mais manque d’une couverture médiatique à la hauteur.

Une pizza, une bière (avec modération bien sûr), un bon canapé. Voilà à quoi se résume le week-end de bon nom-bre de fans de sport. Voir courir les autres plutôt que soi, il n’y a rien de plus jouissif. Tout y passe durant deux jours : rugby, formule 1, et évidemment, le meilleur sport de tous les temps (on ne m’a pas demandé d’être objectif), le foot-ball. Le ballon rond est omniprésent de nos jours, et avec la multiplication des chaînes, difficile de ne pas être sat-isfait de la programmation. Pourtant, certaines pratiques continuent à rester dans l’ombre des incontournables. Les sports féminins par exemple ont la côte à chaque retrans-mission, les matchs de l’Équipe de France en particulier, mais n’arrive toujours pas à se faire une réelle place dans le paysage audiovisuel. Et qu’en est-il vraiment des pra-tiques handisport, notamment celle du foot fauteuil, une des références dans le domaine ?

Carton jaune pour la France

SPORT

FOOT FAUTEUIL

La France en précurseur, mais…

Si il y a bien un sport dont nous pouvons nous vanter de l’avoir inventé, c’est bien ce dernier. En effet c’est dans les villes de Lyon et Paris qu’est créé en 1978 le football en fauteuil pour les personnes en situation de handicap (en particulier moteurs).De là plusieurs déclinaisons naissent un peu partout sur le globe. La Powerchair Football Association, que l’on peut comparer à un organisme tel que la FIFA, voit le jour en juillet 2006, et regroupe 8 pays, dont la France (le siège social de la fédération se situe d’ailleurs à Paris). On pen-sait donc bien que le football-fauteuil était promis à un bel avenir sur le plan médiatique. Et pourtant rien. Une Coupe du Monde passée quasiment inaperçue en 2011, pourtant organisée… à Paris (décidemment), des compé-titions européennes calquées sur le format de la Ligue des Champions, et pas une seule diffusion d’un match à la télévision. La Coupe du Monde a elle été retransmise sur le site officiel de la compétition. Trop peu pour cette pratique handisport qui compte le plus de licenciés en France avec 750 adeptes. Alors pourquoi n’y a-t-il toujo-urs pas de retransmission d’un match de foot-fauteuil ?Pour Adrien Vigouroux, joueur à l’Association Sportive Talençaise Foot-Fauteuil Club, la réponse est simple : « Je dirais que ce sport est vu par le public comme une ac-tivité ludique donnant la possibilité à des « personnes à mobilité réduite » de « s’amuser ».

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Les gens ne se reconnaissent pas dans ce sport. Tout le monde peut s’imaginer être Zlatan foulant la pelouse pour marquer un but. Mais si je vous dis Morgan Lafitte ? Vous le connais-sez ? Je ne pense pas, et pourtant il a dominé le championnat français durant dix ans… ». Il est clair que le foot-fauteuil a du mal à se créer un réel public, au-delà des personnes qui sont, de près ou de loin, concernées par le handisport.

Alors les chaînes de télévision préfèrent passer leur tour plutôt que de se décider à passer un match (qui ne dure que 2 fois 15 minutes qui plus est). Ce n’est pas comme ça que le foot-fauteuil risque de se démocratiser, à l’image d’autres pays.

Les Etats-Unis, exemple à suivre

Outre-Atlantique, la question ne se pose pas. Aux Etats-Unis, le foot fauteuil est en pleine expansion, à l’image des deux premiers mondiaux remportés par les américains, en 2007 et 2011. Mais pourquoi les américains nous devancent dans ce sport ? Adrien à son avis sur la question : « Aux Etats-Unis, le handicap est devenu banal, tout est accessible ». La banalisation du handicap, voilà ce qui manque à la France pour devenir LA référence mondiale du foot-fauteuil, mais aussi un modèle d’acceptation des personnes en situation de handicap : « Je pense aussi que c’est lié à l’histoire. Ici, si un commerce n’est pas accessible, il y aura une dérogation à la loi de 2005 invoquant telles ou telles raisons architectura-les ou autre… Là-bas, un procès contre ce commerce serait fait et ce dernier devra adapter ses locaux. La France n’a pas cette mentalité procédurale. », explique celui qui pratique ce sport depuis ses 7 ans. Un pays trop ancré dans son passé,

qui a du mal à s’adapter aux besoins des personnes en situ-ation de handicap : « Aux Etats-Unis nous pouvons réserver des véhicules adaptés de location n’importe où ! En France, rare sont les concessionnaires disposant de ce type de voiture même à l’achat ». Le coût financier, voilà une grosse épine dans le pied de la FIPFA. Il faut compter environ 8000€ pour un fauteuil adapté à cette discipline, plus 700€ afin d’installer un pare choc avec attaches, indispensable pour la compéti-tion. Malheureusement les dons se font au compte-goutte, et même si la Coupe du Monde attire de gros sponsors, l’arrivée de droits télévisés serait un véritable plus. Malheureusement Adrien reste fataliste : « Peut-être que l’on pourra voir du foot-fauteuil sur une chaîne spécialisée dans le handisport, au milieu de plusieurs pratiques peu connues, mais pas sur les grandes chaînes. Nous commençons à peine à diffuser des live sur internet. C’est déjà un grand pas pour nous. Il a fallu attendre 25 ans pour cela… ».

Bientôt les Jeux Paralympiques?

En parlant de droits télévisés, l’été prochain va être chargé en sport. Roland-Garros, le Tour de France, l’Euro 2016, mais surtout les Jeux Olympiques de Rio. Ces derniers, organisés du 5 au 21 août, laisseront place plus tard aux Jeux Paralym-piques qui se dérouleront eux du 7 au 18 septembre. Là encore, on est loin d’une grande égalité entre l’événement handisport et celui réservé aux valides. 16 heures de direct par jour pour les Jeux Olympiques de Londres, contre un simple résumé de 52 minutes diffusé sur le service public (qui possède les droits des deux compétitions) en troisième partie de soirée.

SPORT Foot fauteuil : carton jaune pour la France

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SPORT Foot fauteuil : carton jaune pour la France

Par Anthony Gonzalez

Un gouffre par rapport à nos voisins anglais cette fois-ci, qui, lors des Jeux organisés sur leur territoire en 2012, ont proposé de nombreux directs et même des prime-time. Seul problème : le foot-fauteuil n’est pas encore un sport paralympique. La candidature pour l’intégration de la discipline dans l’optique des jeux de 2024 a été refusée. Espérons d’ici là qu’Adrien et ses coéquipiers auront le privilège de disputer une rencontre dans une salle comble, sous les yeux de milliers de téléspec-tateurs, qui, une fois n’est pas coutume, ne se poseront pas dans leur canapé, mais plutôt dans leur fauteuil…

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