les echos de saint-maurice - digi- .cle pour la bible que nous étudions, mais il est presque...
Post on 14-Sep-2018
212 views
Embed Size (px)
TRANSCRIPT
LES ECHOS DE SAINT-MAURICE
Edition numrique
Georgia GUENZI
La Bible dite de saint Louis
Dans Echos de Saint-Maurice, 2011, tome 106a, p. 58-67
Abbaye de Saint-Maurice 2014
Le 16 avril 2010, au Sminaire dhistoire de
lart mdival de lUniversit de Lausanne, diri-
g par M. Michele Tomasi, Mlle Georgia Guenzi
a prsent sa recherche sur les trois volumes
de notre Bible du XIIIe sicle conserve aux ar-
chives, dite communment Bible de saint Louis.
Elle dmontre quil sagit bien dune bible pro-
duite dans la rgion parisienne au 2e tiers du
XIIIe sicle.
Au treizime sicle, Paris, capitale du royaume
de France depuis la fin du onzime sicle, devient
le centre de production principal des Bibles
pour tout lOccident chrtien. Lorganisation
en ateliers, toujours plus perfectionne, assure
aux manuscrits parisiens une grande qualit,
une ralisation rapide et lassurance dun texte
officiel. Rien dtonnant ds lors si la riche et
rpute Abbaye de Saint-Maurice dAgaune,
en Valais (Suisse), sempresse dacqurir sa
propre Bible glose en plusieurs volumes,
pour complter une bibliothque dj bien
fournie. Il sagira, dans cet essai, de rassembler
les facteurs formels et stylistiques qui font
des trois manuscrits bibliques survivants de
Saint-Maurice les tmoins de la dynamique
production parisienne la moiti du treizime
sicle. Le systme de reprage, lcriture, la
mise en page labore du texte et de la glose
ainsi que le genre denluminures sont les
La Bible dite de saint Louis
LESMANUSCRITSDIV10/0/1,2,3
DELABBAYEDESAINT-MAURICEDAGAUNE,
DEUXIMETIERSDUXIIIeSICLE,VERSPARIS
indices que nous suivrons pour valider cette
hypothse.
Si lAbbaye de Saint-Maurice dAgaune, en
Valais, est aujourdhui encore fameuse pour
son trsor constitu depuis le Ve sicle, elle
ltait encore plus au Moyen Age : le dbut
du XIIe sicle initie en effet un temps de
gloire pour lAbbaye puisque la frquentation
accrue de ce lieu va de pair avec des donations
toujours plus consquentes. Selon la lgende
58
locale, saint Louis (1214/5-1270), roi de France
(1226-1270), aurait ainsi offert lAbbaye une
Bible glose en plusieurs volumes, produit des
rputs ateliers parisiens de lpoque. Louis
IX aurait en fait donn cet ouvrage en guise
de remerciement lAbbaye de Saint-Maurice
qui lui avait fourni des chanoines pour le
prieur de Senlis (Ile-de-France) quil venait
de fonder. La rgle monastique suivie par les
moines de Senlis est en effet la mme que celle
des chanoines de Saint-Maurice. Les archives
de Saint-Maurice tmoignent galement de
provisions des prieurs jusquen
1500 : Acte de la fondation du
prieur de Senlis par saint
Louis, dans lequel ce
saint roi, aprs avoir
rappel la concession
de plusieurs corps
saints faite par labb
Giraud [Giroldus] et
couvent de Saint-Maurice
dAgaune, et leur rcep-
tion solennelle dans lglise
de Senlis, et ensuite dans la petite
chapelle de son palais ddie saint Denis,
et enfin dans une plus grande chapelle quil ve-
noit de faire btir ct et ddie la Sainte
Vierge et saint Maurice et ses compagnons,
il ordonne quil y aura toujours 13 chanoines
rguliers de lordre de saint Augustin et portant
lhabit des chanoines de Saint-Maurice dAgaune
[] (AASM, Copie de lacte de fondation, mars 1264, CHN 59/1/2).
Ce cadeau royal serait en outre li au don par
Louis IX du reliquaire dune des pines de
la couronne de notre Seigneur Jsus-Christ en
reconnaissance des corps des saints martyrs
Thbains, que labb de ce temps-l lui avait
ports pour Senlis , comme le mentionne un
texte de fvrier 1262 (AASM CHA 1/1/7).
La Bible quaurait offerte saint Louis lAb-
baye de Saint-Maurice contenait initialement
entre 15 et 20 volumes, selon les estimations
dAlbert Brckner (1). Toutefois, dans lincen-
die qui ravagea lAbbaye et sa bibliothque, le
23 fvrier 1693, une grande partie des archives
prit. Plus de manuscrits que ceux qui subsis-
tent aujourdhui ont potentiellement survcu
aux flammes, mais ils auraient t revendus
pour financer la reconstruction de lAbbaye
et de la bibliothque dtruites. Dautre part,
le chanoine Olivier Roduit a pu dmontrer
que cet ouvrage en plusieurs volumes
a souffert dun second incendie,
le 20 aot 1800 (2). Monsieur
Roduit cite le chanoine
Boccard, expliquant qu
cette date, les prcieux
manuscrits taient
conservs au village de
Vionnaz o ils avaient
t transports pour les
soustraire la fureur r-
volutionnaire. Le chanoine
Boccard poursuit : Au nombre
de ces manuscrits, se trouvoit une bible
du XIIe sicle du plus grand prix quoiquelle
et t notablement dtriore par la curiosit
aussi sotte que coupable de certaines gens qui
samusaient dcouper les superbes vignettes
quon y retrouvait. Elle prit dans lincendie
gnral du dit village peu aprs quon ly eut
dpose. Nous dvelopperons plus bas lhy-
pothse dune datation postrieure au XIIe si-
cle pour la Bible que nous tudions, mais il est
presque certain que ce soit cet ouvrage que
le chanoine Boccard fasse rfrence. Le ma-
nuscrit DIV 10/0/3, sur lequel nous ne nous ar-
rterons pas dans cet essai, prsente en effet,
quelques endroits, les dcoupages dplors
par le chanoine Boccard.
59
Les regrettables incendies de 1693 et 1800
dont les manuscrits de Saint-Maurice ont t
les victimes ne nous ont laiss que trois volu-
mes de la grande Bible glose originale :
ms DIV 10/0/1 rassemblant Job et les douze
petits prophtes (Ancien Testament), constitu
de 242 folios runis en 12 cahiers, mesurant
260 270 mm de large sur 370 mm de haut,
pour une paisseur de 80 mm.
ms DIV 10/0/2 enfermant les Eptres Pau-
liniennes (Nouveau Testament), de 236 folios
rassembls en 20 cahiers, larges de 335 mm,
hauts de 470 mm et pais de 70 mm.
ms DIV/10/0/3 contenant 14 cahiers de 128
folios drelis des Psaumes (incomplets : de 1
118 sur un total de 150). Ce manuscrit, de
260 mm de large sur 400 mm de haut et 60
mm dpais, nous intressera moins car les
quelques enluminures qui lornaient ont t
dcoupes.
Au-del de la lgende qui lie ces manuscrits
au sicle et la capitale de saint Louis, une
analyse formelle des volumes DIV 10/0/1 et
DIV 10/0/2 toffe lhypothse dune produc-
tion du treizime sicle parisien.
Si les folios ne sont pas numrots la folio-
tation au crayon papier est plus tardive ,
le reprage dans chacun des livres est toute-
fois garanti par lenluminure, les titres et la
numrotation des chapitres. Lenluminure
premirement, dcoration colore qui frappe
lil de celui qui consulte le manuscrit, per-
met assurment de reprer le dbut de chacun
des livres. Ainsi, le livre dOse commence-t-il
par une initiale dcore dun dragon (f. 106v).
Deuximement, le titre, en bleu et rouge, en
haut de la page pour notre exemple, O et SEE
sur le folio suivant (f. 107r) a la mme fonc-
tion. Christopher De Hamel, dans son ouvrage
La Bible. Histoire du Livre, explique que des
lettres bleues et rouges apparurent dans les
marges hautes des bibles du XIIIe sicle. Il
sagissait des titres courants des livres, une
partie du titre sur la page de gauche, lautre
sur celle de droite. Les titres courants sont
extrmement pratiques pour se situer dans
un manuscrit. (3) Les titres permettent donc
une premire estimation pour la datation de
ces manuscrits : le treizime sicle. La numro-
tation des chapitres, troisime moyen de rep-
rage, apporte une indication supplmentaire
quant la date de la Bible de Saint-Maurice.
Des chiffres romains, dans la marge intrieure,
indiquent la ligne laquelle dbute le chapi-
tre, sans que celui-ci ne soit dcal de ce qui
prcde par un alina. Or, selon De Hamel,
durant la premire moiti du [XIIIe] sicle, un
chapitre pouvait fort bien commencer au beau
milieu dune ligne de texte. On inscrivait alors
son numro dans la marge, hauteur de la li-
gne. Vers 1240, [] les scribes commenaient
chaque nouveau chapitre en dbut de ligne.
(4) Puisque les chapitres se succdent sans re-
tour la ligne, les manuscrits de Saint-Maurice
ne seraient donc pas postrieurs 1240. Cette
anne limite doit pourtant tre considre avec
Premires pages du livre dOse. Le nom du livre bibli-que est indiqu dans les marges suprieures.
60
prcaution : il serait probable que des scribes
travaillant aprs cette date fatidique poursui-
vent la tradition du non-retour la ligne. Les
comparaisons qui suivront tendront dailleurs
situer les manuscrits agaunois plus proche
de 1240 que de 1200 Les trois systmes de re-
prage permettent donc de situer la ralisation
de la Bible de Saint-Maurice au XIIIe sicle.
Cette estimation semble confirme par le type
dcriture employe : la gothique textura, plus
prcisment, la littera textualis. La littera tex-