les dangers de l'ombre de cindy mezni - une romance paranormale

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Les Dangers de l'Ombre, tome 1 de la tétralogie de romance paranormale Le Dernier Espoir de Cindy MezniStatut : réédition du tome 1 en octobre 2013. Disponible sur Amazon et Lulu.Résumé: « Les apparences sont trompeuses... »Au décès de Tess, la femme qui l'a élevée, Deliah Morgan croit vivre les pires instants de son existence. Le deuil est difficile et les cauchemars inexplicables qui hantent ses nuits, aussi. Mais le pire reste à venir lorsque la famille Wates fait son apparition en ville. Et avec eux, des évènements étranges et des révélations sur un monde dont Deliah n'avait jamais soupçonné l'existence. Un monde qui risque bien de lui coûter la vie...

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  • Les Dangers de l'Ombre, tome 1 de la ttralogie de romance paranormale Le Dernier Espoir

    de Cindy Mezni

    Statut : rdition tome 1 sortie en octobre 2013. Disponible sur Amazon et Lulu.

    Rsum: Les apparences sont trompeuses...

    Au dcs de Tess, la femme qui l'a leve, Deliah Morgan croit vivre les pires instants de son

    existence. Le deuil est difficile et les cauchemars inexplicables qui hantent ses nuits, aussi. Mais le

    pire reste venir lorsque la famille Wates fait son apparition en ville. Et avec eux, des vnements

    tranges et des rvlations sur un monde dont Deliah n'avait jamais souponn l'existence. Un

    monde qui risque bien de lui coter la vie...

  • Cindy Mezni

    Les Dangers de lOmbre

    Le Dernier Espoir - 1

  • Les dangers de lombre, Cindy Mezni, 2013

    Tous droits rservs

  • 1. Un trange rve

    Sous mes pieds se dvoilait une terre humide et rougetre. Il y avait du sang partout. Lodeur

    dhmoglobine tait rance et me soulevait lestomac. Mon crne me faisait mal et me donnait

    limpression que quelquun tentait de le briser coups de marteau. Mais ce qui me drangeait le

    plus, ctait le loup noir qui se trouvait devant moi. Du moins, il me semblait que cen tait un,

    mme sil tait dune taille dmesure compar tous ceux que javais dj pu voir. Il tait

    immobile quelques mtres de moi, la taga sombre et menaante derrire lui do provenaient des

    hurlements dchirant le silence. Javais lenvie de fuir toutes jambes, seulement mes membres ne

    voulaient pas mobir. Jtais cloue sur place, confuse et effraye la fois, incapable de lcher le

    regard vert meraude de la bte. Quoique aucune animosit ne transpart de lui, le rouge autour de

    moi et celui qui gouttait doucement de sa gueule navaient absolument rien de rassurant.

    Deliah...

    Un simple murmure port par le vent que jentendis peine mais je reconnus l une voix

    masculine. Je cherchai sa provenance mais je narrivai trouver personne. Avec un temps de retard,

    je compris que l'animal ntait plus ici. Je dcouvris alors la silhouette dun homme lore de la

    fort. Il tait dans lombre et je ne pouvais voir son visage. Immdiatement, je ressentis le besoin

    irrpressible de mapprocher. Je fis un pas vers lui avant de stopper quand sleva une voix

    familire :

    Deliah !

    Rompant cette sorte denchantement entre linconnu et moi, je me retournai et fis face la

    personne qui mavait interpelle. bahie, je dvisageai la femme quelques pas de moi. Tess, ma

    grand-mre, me regardait avec tendresse. Sa main se tendit dans ma direction. Je voulus la saisir

    aussitt mais je ne pus mempcher de jeter un coup dil derrire moi pour apercevoir lhomme

    une dernire fois. Il avait disparu. Occultant de mon esprit cet tranger et le dcor insolite o nous

  • nous trouvions, jallai vers elle et mes doigts s'emparrent des siens. Toutes deux, nous navions

    jamais t du genre avoir des effusions de sentiments, mais ce simple contact suffit me remplir

    de bonheur. Depuis son dcs, ctait le premier rve que je faisais delle et dans lequel je pouvais

    la contempler et la toucher. Habituellement, elle mapparaissait au loin, silencieuse et hors

    datteinte. Je ne ralisai qu cet instant combien son absence me pesait. Dieu que la vie tait dure

    sans elle !

    Je suis si heureuse de te revoir, dit-elle, ses intonations chevrotantes.

    a avait beau ntre que le fruit de mon imaginaire, sa prsence me rconfortait.

    Moi aussi, je suis contente, Tess. Tu ne peux pas savoir quel point.

    Pour une raison inconnue, elle avait toujours tenu ce que je ne lappelle pas grand-mre .

    Je fus soudain mlancolique. Elle ne me reprendrait plus jamais lorsque, par mgarde, je la

    nommerais ainsi.

    Comment vas-tu, Deliah ?

    Cest difficile, avouai-je aprs un moment, les larmes me montant aux yeux. Tu me

    manques.

    Un sourire nigmatique aux lvres, elle caressa doucement ma joue.

    Je sais. Mais a ira, tu verras.

    Jen doute, rpliquai-je, la gorge serre.

    Crois-moi, a ira, renchrit-elle.

    Ces mots apaisants ne matteignirent pas. Ctait mon ct optimiste qui se manifestait l,

    essayant de me convaincre que tout finirait par sarranger. Ce ne serait pas le cas. Tous les gens que

    jaimais mtaient enlevs les uns aprs les autres. Mes parents quand jtais enfant, maintenant

    elle... Il me restait Annabelle, ma sur ane. Le problme tait quelle me dtestait et, force de

    mchancets et coups bas de sa part, le sentiment tait devenu rciproque. Le seul tre cher que

    javais encore tait Hayden, ma meilleure amie. Mais dans moins de deux ans, nous serions

    luniversit et nos chemins se spareraient. Alors je serais vraiment seule.

  • Un grognement sinistre retentit dans mon dos, ce qui me fit sursauter.

    Quest-ce que...?

    Le reste de ma phrase svanouit de mon esprit lorsque je fis volte-face. Le loup noir tait de

    retour, except qu prsent il paraissait monstrueux. Sa taille avait doubl, ses babines taient

    retrousses sur ses crocs et un filet de bave mlang du liquide couleur carmin schappait de sa

    gueule. Il avait lair enrag. Je fus happe par son regard singulier. Ses yeux verts, quelques instants

    auparavant, taient devenus dun noir dencre. Cette fois, il y avait bel et bien une lueur dans ceux-

    ci et elle tait des plus mauvaises. Un frisson glac parcourut mon chine.

    Il est dangereux, dclara Tess derrire moi.

    Comme si je ne mtais pas dj figur a. Manifestement, mon subconscient me pensait

    attarde.

    Tout ce sang est sur tes mains.

    Je restai muette. Non seulement cause des paroles qui venaient de sextirper de la gueule de

    lanimal, mais galement en raison du liquide carmin dont il parlait et qui tait apparu sur mon

    piderme comme par magie.

    Ne laisse pas la bte tattraper, Deliah.

    Avant mme que je neusse rpliqu quoi que ce soit, le dcor changea. Le chemin de terre

    gorg dhmoglobine menant la fort avait laiss place une route droite et un paysage recouvert

    dun pais manteau immacul. La temprature tait brusquement glaciale et la lgre robe blanche

    que je portais ne gardait pas grand-chose au chaud.

    Frappe brutalement par quelque chose, je tombai genoux, la douleur lancinante dans ma tte

    reprenant de plus belle. Jobservai les alentours et cherchai lorigine du coup mais jtais seule. Tess

    et le loup avaient disparu. En essayant de me relever, je me rendis compte que des bris de verre

    reposaient sous mes paumes et les avaient corches. Mon sang se mlangeait doucement celui

    surgi de nulle part se trouvant dj sur ma peau.

    a na aucun sens...

  • a en a, Deliah, massura la voix de Tess, soudainement lointaine. Il faut simplement que tu

    le cherches. Mais sois prudente. Les apparences sont trompeuses et ils sont une relle menace. Ne

    fais confiance qu...

    Sa voix svanouit.

    Quest-ce que a signifie ? Tess ? Quest-ce que tu essaies de me dire ? mcriai-je.

    Je nobtins aucune rponse. Prs de moi, un croassement rsonna. peine eus-je le temps

    dapercevoir le gigantesque loup et un norme corbeau ses cts que ceux-ci mattaqurent

    jusqu ce que le nant engloutisse tout autour de moi.

  • 2. Vert meraude

    Depuis mon rveil, je me repassais en boucle le songe que javais fait cette nuit afin den saisir

    le sens. En vain. Je ne lui trouvais aucune signification, comme tous les autres rves sans queue ni

    tte que javais eus depuis la mort de Tess.

    Cet exercice vou lchec avait au moins eu un point positif jusquici : il mavait vit de me

    remmorer limage de son corps inerte. Seulement voil, ces terribles images taient bien dcides

    envahir nouveau mon esprit. Un mois auparavant, durant les vacances dt, ma grand-mre tait

    dcde dune crise cardiaque fulgurante. Ctait moi qui lavais dcouverte en rentrant dun

    anniversaire. Je lavais trouve tendue sur le sol, en bas des marches du porche, sa tasse de th

    brise sur les escaliers. Sans doute avait-elle guett mon retour comme elle en avait toujours

    lhabitude quand je partais de la maison. Cela avait t un choc brutal pour moi ; je ne mtais pas

    prpare la perspective de la perdre un jour, pensant navement quelle serait toujours mes cts.

    Pourtant elle ntait plus l et le dernier souvenir que jaurais delle serait jamais celui de son

    visage ple, ses yeux grands ouverts mais sans vie et sa peau si froide lorsque je lavais enlace en

    attendant les secours qui ntaient plus daucune utilit.

    Tess avait toujours t la personne la plus importante de mon existence. Elle avait pris le rle de

    sa belle-fille, ma mre, la mort de mes parents dans un tragique accident de voiture lorsque javais

    quatre ans. Je ne men rappelais pas et ne savais pas dire si ctait une bonne ou une mauvaise

    chose. Sans aucun souvenir deux, je ne pouvais les regretter mais, en mme temps, ne pas avoir de

    moments en leur compagnie auxquels me raccrocher me plongeait dans une profonde tristesse

    quand je mautorisais y penser. Tess tant morte, je me retrouvais maintenant avec Annabelle.

    Mon unique sur. Le dernier membre de ma famille, et probablement la personne qui me hassait le

    plus au monde, pour des raisons connues delle seule. Et pour les deux prochaines annes, jallais

    devoir rester coince sous le mme toit quelle.

  • Morose cette ide, je me concentrai sur les dessins que javais machinalement gribouills sur

    un de mes cahiers de cours. Des yeux noirs. Ceux du corbeau et du loup que japercevais dans mes

    rves. Ils taient si expressifs quils paraissaient humains. Le sentiment que jy dcelais navait rien

    de rassurant, et je sentais une crainte sans nom menvahir chaque fois que je les fixais.

    mon ge, c'tait srement risible davoir peur danimaux que je navais croiss que dans mes

    songes. Le problme tait que je ne pouvais pas men empcher. Il y avait quelque chose de

    profondment drangeant chez ces derniers. Leurs yeux noirs et sans fond semblaient annoncer

    souffrance et horreur. Stupidement, chacun de mes rveils, langoisse me tenaillait les tripes et

    mon instinct me soufflait que quelque chose clochait. Aprs quelques minutes, la partie sense de

    mon esprit arrivait me convaincre que ctait ridicule et que ctait sans doute le contrecoup des

    derniers vnements. Pourtant chaque fois que je repensais ces visions, je devais me rpter tel

    un mantra que je navais aucune raison dprouver cette crainte qui prenait place au creux de mon

    estomac.

    Deliah !

    Relevant la tte, je cherchai Hayden en faisant abstraction des nombreux regards scrutateurs de

    lycens dans la cour. Je la trouvai vite, vritable tornade blonde marchant vive allure dans ma

    direction.

    Deliah, rpta-t-elle en sasseyant mes cts sur le banc, lair soulag.

    Elle me serra soudain dans ses bras et, maladroitement, je fis de mme. Pas de doute, je ne suis

    pas doue pour les contacts humains.

    Je remarquai que lattention des tudiants autour de nous navait pas diminu. Je retins un

    soupir. Jtais le principal sujet de conversation ici, ces derniers temps. Et ce ntait pas parce que je

    sortais du lot. Non, moi, Deliah Morgan, avec mes longs cheveux chtain fonc et onduls et mon

    physique passe-partout, je navais rien de particulier. Except peut-tre mes yeux dun gris

    indfinissable. Et ce ntait pas non plus pour mon comportement ennuyeux que jtais sur toutes

    les lvres de Mensen, petite ville perdue en plein Alaska. Non, c'tait cause de ma famille.

  • Moi qui avais t soulage lorsque les gens avaient arrt de m'appeler l'orpheline puis par la

    suite de massimiler Anna la Terrible comme lavait surnomme le chef de police Collins

    cause de toutes les histoires de fugues, de beuveries et de frquentations douteuses de ma sur ,

    voil que a recommenait avec la mort de Tess. Il y avait d'abord eu cette histoire selon laquelle le

    Docteur Langmann aurait trouv son dcs suspect mais qu'il n'aurait pas pu investiguer car Collins

    lui aurait soi-disant mis la pression afin de pouvoir enterrer son amie. Finalement, ces ragots

    s'taient tus mais maintenant, tout le monde parlait de mon avenir. Jimaginais ce qui se disait :

    Pauvre fille... Dabord orpheline et maintenant a. La voil prsent coince avec la fille

    irresponsable et dlure qui lui sert de sur. Je me demande ce quelle va devenir... Mme si

    jexcrais lide que ces gens se mlent de choses qui ne les regardaient pas, je devais avouer que la

    mme interrogation prenait place dans mon esprit.

    Javais lintuition que la situation actuelle ntait quun avant-got dun futur pire encore. De

    quelle faon a pourrait ltre, je ne le voyais pas, cependant.

    Comment vas-tu aujourdhui ? senquit Hayden en se sparant de moi.

    Une expression soucieuse avait pris place sur son visage.

    Jai connu des jours meilleurs...

    Et encore, ctait un euphmisme.

    Hum... Dsole, ctait une question stupide.

    Ce nest pas une question stupide, rpliquai-je aussitt, ne voulant pas quelle se sente mal

    cause de moi. Tu te fais du souci pour moi. Cest... gentil. Jai de la chance de te connatre.

    La gne disparut de ses traits pour laisser place un sourire. Je navais pas beaucoup damis

    proches mis part elle, et je ralisai peu peu quel point ctait une aubaine de lavoir mes

    cts. Sinon jaurais t bien seule dans ces heures sombres. Hayden tait larchtype de lide que

    lon se fait dun ange, que ce soit son visage poupin et innocent, ses beaux cheveux dors ou ses

    doux yeux brun fonc : ctait probablement trs clich, mais ctait vrai. Depuis la disparition de

    Tess, elle avait pass chaque jour des vacances dt avec moi pour me soutenir. Elle avait mme

  • renonc partir quelques semaines auprs de son pre, qui vivait en Floride. De nos jours, qui tait

    prt se sacrifier ainsi pour autrui ?

    Salet de vautours, marmonna mon amie en regardant autour de nous.

    Je saisis vite que sa raction tait due au fait quelle venait de prendre conscience de ma

    soudaine popularit. Tout le monde ou presque nous observait la drobe, voire sans aucune

    discrtion pour certains. Je me demandais si parmi eux, il y en avait qui pensaient la rumeur

    propos du Docteur Langmann vraie et s'imaginaient peut-tre mme que j'avais quelque chose

    voir l-dedans.

    Ignore-les. Ils finiront par se lasser de nous dvisager btement.

    a, jen doute, murmurai-je plus pour moi-mme que pour elle.

    Elle ne mentendit pas de toute manire. Lair absent, son regard tait riv sur quelque chose

    derrire moi.

    Ou alors ils vont trouver un autre sujet de conversation...

    Curieuse de savoir ce qui lui faisait croire une chose aussi improbable il ne se passait jamais

    rien dintressant ici , je me tournai. Tous les yeux taient fixs sur trois personnes. Mme sils

    taient trop loin pour que je les distingue vraiment, je sus que a devait tre les nouveaux arrivants.

    Lors dune de ses visites, cet t, Hayden mavait dit quune famille venait demmnager. Ntant

    pratiquement jamais sortie de chez moi durant les vacances, je navais pas eu loccasion de les

    croiser Mensen ou Palmer, la ville voisine. Je me sentis reconnaissante quils aient dbarqu ici.

    Les projecteurs allaient maintenant tre braqus sur eux. Et vu comme ils discutaient tranquillement

    sans se proccuper des gens autour, ce genre dattention ne devait pas les dranger.

    Cest les nouveaux dont tu mavais parl, nest-ce pas ?

    Oui. Ils sont arrivs quelques jours aprs la crise cardiaque de... (Elle se tut, grimaante.)

    Dsole, ctait...

    Je lui fis signe darrter en levant ma main.

  • Tu ne vas pas continuer pendant des mois encore me prendre avec des pincettes de peur

    que je fonde en larmes. a va, je tassure. Je peux grer.

    Et ctait vrai, du moins en partie. Mme si pendant les premires semaines et quelques

    malencontreuses fois ensuite, javais craqu la mention de la mort de Tess, prsent, jarrivais

    surmonter la souffrance qui mhabitait. Elle ntait plus et le dire voix haute ny changerait rien.

    Je respirai profondment, sentant malgr moi mes remparts contre la douleur se fissurer un peu.

    Je tentai de me blinder, sachant que les condolances et les questions viendraient ds que nous

    serions en classe. Je ne voulais pas meffondrer en public parce que la situation serait des plus

    embarrassantes et les discussions mon sujet reprendraient de plus belle.

    Allez, viens-l, me dit Hayden, avant de me reprendre dans ses bras.

    Cette fois, joubliai ma gne et profitai de son rconfort. Ses encouragements et son amiti

    mtaient vitaux. Ctait tout ce qui me restait en ce bas monde. Et parce que je comptais pour elle

    tout autant quelle comptait pour moi, je voulais tout prix essayer daller mieux. Car bien que Tess

    ne ft plus l et que ma sur ft une vraie harpie goste, Hayden tait toujours mes cts. Elle

    me serra davantage contre elle. Mme si elle tait maladroite quand il sagissait dexprimer ses

    sentiments avec des mots, elle savait avoir les bons gestes aux bons moments.

    Lia ?

    Trouble, je fronai les sourcils en entendant cette voix fminine. Lia ? Peu de personnes

    usaient de ce surnom ; habituellement, ctait toujours Del si ce ntait mon prnom complet. Je me

    dfis de ltreinte dHayden pour regarder qui mavait interpelle. Une fille aux longs cheveux

    teints en blond, des yeux bruns et un physique lanc. Ever Hodgins.

    Pour une surprise, cen tait une. Je ne lui avais pas adress la parole, et rciproquement, depuis

    au moins cinq, voire six annes. Lorsque nous tions enfants, nous tions de grandes amies. Nous

    formions mme une sorte de trio : Hayden, Ever et moi. Problme, Annabelle avait commenc se

    crer une certaine rputation dans le coin. Ses parents lavaient alors loigne de moi et Hayden

    avait t une victime collatrale, Ever ne lui parlant plus parce quelle tranait avec moi.

  • Les Morgan avaient toujours t considrs dans les parages, comme des gens part, tranges

    mme ; les rumeurs allaient bon train sur nous entre le mystrieux accident de voiture de mes

    parents sur une route droite et sans autre vhicule impliqu, ma sur et ses frasques en tout genre et

    mme la disparition de Tess, prsent... Ctaient surtout les histoires sur Annabelle qui avaient

    ruin toute possibilit pour moi davoir une vie normale ici. Aprs tous les soucis avec la police

    quelle avait fait subir ma grand-mre, ctait la seconde raison pour laquelle je la dtestais.

    cause delle, les gens staient mis nous fuir comme la peste, comme si nous arborions une

    pancarte phosphorescente o aurait t inscrit : Ne nous approchez pas, nous sommes lpreux.

    Cest contagieux. Ridicule et faux mais raction comprhensible. Tout le monde cherchait

    garder une bonne rputation et viter les problmes.

    Euh oui ? lui demandai-je, encore abasourdie de son apparition.

    Ever ne sembla pas se formaliser de mon apparent malaise.

    Je voulais te prsenter mes condolances, en mon nom et en celui de toute ma famille.

    Avec un temps de retard, je ralisai quelle stait empare de mes mains durant son discours.

    Un puissant sentiment damertume menvahit. Javais une franche envie denvoyer valser sa fausse

    compassion.

    Je suis sincrement dsole pour Tess, reprit-elle. Ctait une personne formidable. Nous

    aurions souhait tre l, ma famille et moi, mais vu que nous tions en voyage ltranger, nous

    navons pas pu rentrer temps pour la crmonie.

    Ltranger, hein ? Auraient-ils t l quils ne seraient pas venus lenterrement comme la

    plupart des habitants de cette ville. Que croyaient-ils tous ? Que parce quils se rendaient compte

    quils avaient injustement exclu ma grand-mre, une femme honnte et bonne, jallais accepter leurs

    condolances pour quils soient soulags de leur culpabilit ? Ils pouvaient toujours rver ! Si Tess

    navait pas t aussi isole, peut-tre y aurait-il eu quelquun avec elle, ce jour-l, et peut-tre

    aurait-elle pu tre sauve.

  • Avec peine, je me forai refouler ma rancur dans un coin de mon esprit. Quoi que je dise,

    elle tait morte maintenant. Tout ce qui me restait tait de faire honneur sa mmoire en suivant

    lducation quelle mavait donne et en ne laissant aucune occasion ces gens de trouver redire

    mon propos.

    Si tu as besoin de parler, je suis l. Et ma mre tinvite venir dner chez nous, ce week-end,

    si tu veux.

    La dernire chose au monde que je dsirais, ctait me retrouver clotre dans une salle

    manger avec les Hodgins pendant deux heures.

    Je Je vais y rflchir, dclarai-je, feignant dtre submerge par lmotion. Avec ce qui

    sest pass, ma sur et moi avons encore plein de dmarches effectuer.

    Je saisis trop tard ce que je venais de faire. Utiliser la mort de Tess et ce qui en dcoulait

    comme excuse tait minable de ma part. Jen eus aussitt la gorge serre.

    Je comprends, massura-t-elle dun air faussement conciliant.

    Elle libra enfin mes mains de son emprise. Malgr mes remords, jtais contente que a ait

    fonctionn. Vu la fugace expression de soulagement qui passa sur le visage dEver, je ntais pas la

    seule. Elle non plus ne souhaitait pas se retrouver en ma compagnie. Au moins une chose que nous

    avions encore en commun toutes les deux.

    Elle sen alla, me laissant enfin en paix. Hayden sinstalla de lautre ct de la table, l o tait

    assise Ever, quelques secondes auparavant.

    Et tu sais, si tu veux parler, je suis l, je te soutiens, fit-elle en prenant mes mains dans les

    siennes, ralisant une parfaite imitation de notre ancienne amie. Hypocrite ! La digne fille de sa

    mre !

    Je ne rtorquai rien. Je comprenais sa colre et la trouvais lgitime. Outre le fait quEver lavait

    aussi considre comme persona non grata ds que ses parents lavaient loigne de moi, la mre

    dEver avait colport des rumeurs propos du pre dHayden. a avait dtruit leur foyer. Monsieur

    Mayer tait parti et stait mme remari tandis quencore aujourdhui, quatre annes plus tard, sa

  • mre pleurait toujours le dpart de son mari. Ctait une des raisons qui faisait que je dtestais les

    petites villes. Dans tous ces endroits, les gens avaient si peu de choses faire, si peu de distractions

    possibles, quils soccupaient des affaires des autres et racontaient des histoires rien que pour

    chapper la routine de leur triste existence.

    La sonnerie rsonna, notifiant le dbut des cours. Ma premire journe en tant que Premire

    venait de commencer et elle sannonait dj comme particulirement prouvante.

    ***

    Les heures passrent comme dans un brouillard. Jaurais t incapable de dire quoi que ce soit

    sur les cours que javais suivis. prsent, nous tions la quatrime heure et jtais toujours dans

    le mme tat. Je ne pouvais mempcher de repenser mes rves. Ils diffraient un peu, voire

    compltement les uns des autres, toutefois Tess, le loup et le corbeau revenaient constamment,

    dune manire ou dune autre. Et comme mue par un besoin qui me dpassait, je ne cessais de

    dessiner ces maudits animaux avec leurs yeux noirs et sans fond, comme je lavais fait dans la cour.

    Je ne comprenais pas cette subite obsession. Hayden non plus vu les coups dil frquents et

    proccups quelle me lanait. Elle devait se demander ce qui se passait, moi qui, dhabitude, tais

    toujours attentive en cours. Elle ntait pas la seule se poser des questions. Pourquoi diable faisais-

    je des cauchemars si saugrenus ? Pourquoi tais-je aussi bizarre, dernirement ? Jaurais bien voulu

    mettre a sur le compte du deuil et du chagrin, mais jtais persuade que ce ntait pas a.

    Un coup de coude dans les ctes se chargea de me distraire de mes dysfonctionnements

    mentaux. Mon amie me considrait avec suspicion.

    Del, quest-ce qui te prend ? siffla-t-elle mi-voix.

    Rien, rpliquai-je doucement pour ne pas me faire remarquer.

    Regarde ce que tu dessines. a me fiche la trouille.

  • Ce que je faisais tait ridicule mais pas effrayant. Du moins, pas du point de vue de quelquun

    qui ne savait rien de mes terreurs nocturnes.

    Cest juste un moyen de faire passer le temps, lui dis-je dun ton calme.

    Elle secoua la tte.

    De tels propos venant de toi, llve modle et studieuse, ne sont pas normaux. Et puis, qui

    passe le temps en dessinant une tombe avec son nom grav dessus ?

    Sa dernire phrase tua dans luf toute objection de ma part. Une tombe ? Je la fixai,

    interrogative avant de jeter un il sur ma feuille. Dans le coin droit se trouvait une esquisse de

    pierre tombale portant linscription suivante : Deliah Morgan . Je dglutis pniblement et des

    frmissements me secourent. Je fis une boule avec le papier. Pour viter toute nouvelle tentation

    malsaine, jloignai le bloc de feuilles ainsi que le crayon dont je mtais servie.

    Je sentis la main dHayden semparer de la mienne dans un geste rconfortant. Cette fois, a ne

    servit rien. Je continuai trembler doucement.

    Mademoiselle Morgan ? Vous allez bien ? me demanda Monsieur Miller, soudain proccup

    par mon attitude.

    Il fallait compter sur moi pour attirer lattention alors que je voulais tout prix lviter. Mes

    camarades m'observaient tous sans exception.

    On frappa brusquement. Presque tous les yeux se dtournrent de ma personne pour se poser

    sur la porte de la classe. Je soufflai, soulage.

    Entrez ! sexclama Monsieur Miller en ne me lchant pas du regard.

    Lui qui dtestait quon perturbe son cours, je plaignis davance celui ou celle qui allait entrer. Je

    me tassai plus encore sur mon sige, dsireuse de me faire oublier.

    Bonjour, nona une douce voix depuis le seuil. Nous sommes navrs du retard, mais nous

    avons eu quelques soucis trouver cette salle.

    Je napercevais pas la fille mais, en tout cas, son timbre tait le plus agrable quil mait t

    donn dentendre. Lagacement du professeur fondit comme neige au soleil et ses traits se

  • dtendirent. Apparemment lui aussi tait subjugu, et je me demandai si ctait parce quelle tait

    belle ou cause de ses intonations chantantes. Jeus trs vite la rponse.

    Sa vision me laissa bouche be. Elle tait superbe ! Son visage anglique pouvait rivaliser avec

    celui dHayden. Elle avait des sourcils finement dessins, de longs cils interminables et des joues

    lgrement rosies. Elle paraissait fragile et bienveillante, et nanmoins, elle affichait une assurance

    toute preuve. Ses cheveux auburn scoulaient comme une cascade autour de son corps frle et

    stendaient quasiment jusqu ses reins. Cette fille semblait tre lalliance parfaite entre puret et

    beaut, lincarnation mme de la fminit. Et je ntais pas la seule le penser, comme le rvlaient

    les murmures apprciateurs dans la classe.

    Elle se dcala et laissa passer ses frres, deux garons presque aussi grands que Kyle Finnigan,

    qui avoisinait pourtant le mtre quatre-vingt-dix.

    Je dvisageai le premier sans pouvoir men empcher. Je russis discerner les ressemblances

    entre ces deux-l, ma place ne me permettant pas de voir le troisime. Il avait les cheveux bruns

    coiffs de faon grossire, ce qui tait probablement leffet recherch. Il tait tout en muscles sans

    que a ne soit trop extravagant. Son visage tait anguleux et affichait une moue hautaine qui gchait

    sa beaut selon moi. Il arborait une lgre barbe lui confrant une certaine maturit, alors que son

    regard tait celui dun enfant lhumeur malicieuse. Seulement en y regardant plus attentivement,

    on pouvait voir la lueur espigle laisser subrepticement place la lassitude. Jen dduisis que a ne

    lui plaisait pas dtre ici, mme sil tentait de faire croire le contraire en sexposant firement

    devant cette classe. Tout comme moi, il essayait de jouer avec les apparences. Except que lui y

    parvenait fort bien. Je chassai cette pense, ne voulant pas me morfondre pour continuer les

    examiner. Les yeux de la jeune fille taient dun bleu quasiment translucide. Il en tait de mme

    pour ladolescent que je venais de contempler, constatai-je, sauf que les siens taient dun brun

    extrmement clair. Javais fini par trouver ce qui les rapprochait. Et il fallait le dire, ctaient les iris

    les plus tranges que jaie jamais vus. tranges, mais assurment splendides.

  • Le second garon savana, sortant enfin de lombre de son magnifique frre. Je neus pas le

    temps de voir quoi il ressemblait. Il pouvait porter des vtements rose fluo ou mme tre nu, tout

    ce que je remarquai, ce furent ses yeux lorsquils tombrent sur les miens. Durant un instant, jeus

    la surprenante sensation quil mavait cherche. Toutefois ce sentiment saugrenu disparut aussi vite

    quil tait venu, car son regard me happa totalement. Vert meraude fut la seule chose que

    jenregistrai avant que lenfer ne se dchane sous mon crne. Des bribes de dizaines et de dizaines

    dimages dfilrent dans ma tte. Je ntais plus dans cette classe. Je ntais plus non plus plonge

    dans les prunelles du nouveau venu. Jtais ailleurs. Immerge dans des scnes plus insolites les

    unes que les autres, qui provoquaient en moi un sentiment de familiarit bien que je naie aucun

    souvenir davoir jamais vu tout a auparavant. Et tout dun coup, aussi vite que cela avait

    commenc, tout cessa.

    Je dtournai les yeux enfin. Ma tte me faisait mal. Une envie irrpressible de mchapper de

    cet endroit, le plus loin possible de lui surtout, me submergea. Jobis ce besoin urgent et me

    dpchai de runir mes affaires. Tout en le faisant, un tourbillon de questions menvahissait. Est-ce

    que quelquun avait remarqu notre change troublant ? Mtais-je mise hurler quand la douleur

    avait surgi ? Avais-je dit quelque chose ? Immdiatement, joubliai tout a. tant dj bizarre pour

    toute cette ville, je ntais plus a prs. Tout ce qui comptait, ctait le fuir ainsi que la souffrance

    inexplique quil avait dclenche en moi. Je me levai enfin, mon sac en main, et prtextai une

    subite envie de vomir auprs de Monsieur Miller. Je me ruai hors de la classe, bousculant au

    passage les nouveaux arrivants et vitant tout prix ces maudits yeux verts.

    Aprs avoir couru dans les couloirs, je me rendis auprs de Mary, linfirmire scolaire, qui

    soccupa de moi avec une telle sollicitude que cela me mit mal laise. Je la connaissais depuis ma

    petite enfance, puisquelle tait galement une amie de longue date de ma grand-mre.

    Tu es certaine que tu ne veux pas de mdicaments ? me demanda-t-elle pour la nime fois

    depuis mon arrive.

    Non merci, Madame.

  • Mary, me reprit-elle.

    Non merci, Mary.

    Tout comme Tess, elle tenait ce que jutilise son prnom. Cela me fit repenser ces jours de

    printemps ou dt, o je rentrais de lcole et les trouvais sous le porche en train de discuter et

    boire leur th. Sentant le fantme de la tristesse se rappeler moi, je me forai enfouir tout a

    profondment. Je sautai sur mes deux pieds, plus que jamais prte partir. Mary me fixa alors dun

    air anxieux. Je lui souris, aussi convaincante que possible. Je ne russis pas calmer son inquitude.

    Elle se dirigea vers son bureau et sassit sur sa chaise pour semparer dun stylo et dune feuille. Je

    pris mon sac, pare retourner en cours, malgr langoisse qui tenaillait mon ventre lide de le

    recroiser. Enfin je nallais tout de mme pas mesquiver ds que je le verrais, non ? En particulier

    parce quil navait rien fait et que ctait probablement mon esprit qui me jouait des tours. Et

    galement car dans une ville aussi minuscule, je ne pourrais pas le fuir trs longtemps.

    Attends deux secondes, sil te plat, mintima Mary alors que je mapprtais quitter la

    pice.

    Je stoppai net et lui lanai un regard interrogateur.

    Amne ceci au secrtariat, me pria-t-elle en me tendant un bout de papier.

    Quest-ce que cest ?

    Jy jetai un il et compris avant mme quelle ne me rponde.

    Cest une dispense de cours pour aujourdhui.

    Ce nest pas la peine, commenai-je, gne par sa prvenance. Je peux trs bien retourner en

    classe.

    Je prfre que tu rentres chez toi.

    tous les coups, a allait jaser sur mon compte suite ma dsertion du lyce. Comme si javais

    besoin de a, en plus

    Mary, je vous assure que tout va bien. Je peux

  • Plus un mot, trancha-t-elle fermement, coupant court toute discussion. Tu rentres chez toi,

    un point cest tout.

    Je retins un soupir.

    Daccord, abdiquai-je.

    Ses traits sadoucirent un peu suite ma reddition.

    Tu veux que je te raccompagne ou tu prfres que jappelle Annabelle ?

    La perspective de ma sur venant me chercher aprs le coup de fil alarmant de linfirmire

    scolaire mapparaissait comme hautement improbable. Quant me faire ramener par elle, hors de

    question. Je navais pas besoin de son aide et marcher me ferait le plus grand bien. Il fallait que

    joublie toutes ces effroyables images. Et avec de la chance, la fatigue et le froid engourdiraient

    assez mon cerveau pour que mon imagination trop fertile me laisse un peu tranquille.

    Je me dbrouillerai.

    Cette expression sembla la choquer.

    Tu ne crois tout de mme pas que je vais tautoriser rentrer pied alors que tu habites loin

    dici et que tu te sentais mal il y a seulement quelques minutes ?

    Je vous assure que jarriverai rentrer par mes propres moyens. Je vais dposer le mot

    dexcuse, prvenir Hayden que je men vais. Ensuite, je me rendrai chez moi pour me reposer.

    Elle parut songeuse.

    Tu veux que je fasse un mot pour Hayden afin quelle puisse te raccompagner ?

    Cette dernire aurait probablement t ravie, ntant pas une fervente adoratrice du lyce mais

    un lger, que dis-je, un gros obstacle mempcha de dire oui.

    Sa mre ne va pas apprcier si elle manque des cours, le jour de la rentre qui plus est,

    annonai-je, connaissant assez bien Madame Mayer pour affirmer cela.

    Mary soupira lourdement.

    Bon, daccord, mais alors tu te dpches de rentrer, dcrta-t-elle, son visage dmontrant

    quel point il lui tait difficile de cder. Tu ne tranes pas en chemin et tu me tlphones ds ton

  • arrive. Sans faute ! Et je te prviens, si je nai pas de tes nouvelles dici, disons une heure et demie,

    je pars ta recherche.

    Je souris. Quelle soit rassure, jtais bien dcide lappeler pour quelle ne sinquite pas et

    me terrer chez moi afin doublier la compassion et la piti que maccordait tout le monde. Et

    surtout, loin de ces tranges yeux faisant surgir des visions qui meffrayaient et me faisaient dire

    que je devenais rellement folle...

    Aprs un rapide dtour par le secrtariat pour dposer mon excuse, je me postai dans le couloir

    o se trouvait la salle dhistoire. Jattendais Hayden pour lavertir de mon dpart mais lcart,

    pour ne pas rencontrer le garon aux iris verts. Il mavait dvoil des choses que je ne savais pas

    avoir dans ma mmoire jusque-l. Mais puisque la seule image que javais reconnue, tait la bte de

    mon cauchemar, cela ne pouvait tre que le fruit de mon me tourmente. Je lavais dj vue, se

    dressant devant moi, prte me dchiqueter, seulement cette fois, tout a avait t diffrent : c'tait

    le mme animal, toutefois, il s'tait trouv dans des endroits que je ne reconnaissais pas.

    Tellement absorbe par mes penses qui mauraient men droit chez un psy, voire lasile si

    quelquun en avait eu connaissance, je ralisai avec retard que la sonnerie de ltablissement

    retentissait. Je portai attention aux personnes sortant de la salle de classe et remarquai le frre de la

    nouvelle, celui que javais eu le temps dobserver. Il tourna la tte dans ma direction et madressa

    un regard... glacial, fus-je oblige de constater. La seconde daprs, il sloignait dj dans le

    couloir, sans plus se soucier de ma prsence, ni paratre se rappeler mavoir fusille des yeux alors

    que rien ne nous liait. Jtais certaine de ber de stupeur. Son frre, maintenant lui. Il ny avait pas

    dire, le courant ne passait pas entre eux et moi. Et avec tout ce qui venait de se passer, javais tout

    dun coup un mauvais pressentiment les concernant. Ces deux-l sentaient les problmes. Ce qui me

    faisait dire que jallais devoir les viter le plus possible. Javais assez dennuis grer.

    Je retins un rire amer. Pourquoi me prenais-je la tte avec eux ? Aprs tout, jamais ils

    nprouveraient lenvie de me connatre ou de se coltiner ma compagnie. Jtais la fille la famille

  • mystrieuse et bizarre de Mensen, aprs tout, et ils nallaient pas tarder le savoir. Pas la peine

    donc de men faire leur sujet, ils ne mapprocheraient pas comme la majorit des lves.

    Salut ! Deliah, cest a ? dit une voix si particulire quil me fut impossible de douter de sa

    propritaire.

    Je me retournai. Autant pour ma certitude quils allaient me fuir comme la peste... Je la

    dvisageai, partage entre jalousie, merveillement et incomprhension. Elle tait rellement

    magnifique... et je ne voyais pas ce qu'elle faisait devant moi.

    Je Je Cest moi, balbutiai-je, piteusement.

    En plus de faire ple figure ses cts, je me ridiculisais devant elle. Malgr cela, elle neut pas

    lair de rire de moi. Au contraire, elle tait ravie.

    Enchante, dclara-t-elle joyeusement, sa main tendue telle une invitation faire

    connaissance.

    Je la regardai btement, certaine quelle devait tre en train de se moquer de moi. Pourtant, ses

    yeux recelaient uniquement une franche curiosit mon gard, mle une extrme gentillesse. Je

    la serrai, confuse de lintrt quelle me portait.

    De mme.

    Quelle idiote je fais ! sexclama-t-elle en faisant un geste dans le vague, je ne me suis mme

    pas prsente. Je mappelle Leighton.

    Je restai immobile, ne sachant que dire ou faire. Mal laise et souhaitant fuir cette

    conversation, je jetai des coups dil autour de nous pour reprer Hayden. Et accessoirement, pour

    guetter son second frre que je ne dsirais pas le moins du monde croiser.

    Est-ce que a va ? me demanda-t-elle en suivant mon regard.

    Pardon ?

    ce stade, elle devait rellement me prendre pour une demeure.

    Ne tinquite pas, Garreth ne viendra pas.

    De quoi ou plutt de qui parlait-elle ?

  • Quoi ?

    Mon attention tait pleinement focalise sur elle maintenant. Avec un air satisfait, elle sempara

    de mes paules, mincitant je ne sais comment au calme, par la mme occasion. Sa srnit semblait

    contagieuse. Ses prunelles bleues, presque transparentes, plongrent dans les miennes. Je fus prise

    au pige de leur particularit sans aucune possibilit den rchapper.

    Garreth, mon frre, mexpliqua-t-elle sur un ton toujours aussi plaisant. Celui qui ta...

    comment puis-je le formuler perturbe ? Oui, cest le bon terme. Cesse de te soucier de lui. Tu ne

    risques pas de le rencontrer nouveau.

    Jtais tellement accapare par elle et ses prunelles hypnotiques que je narrivais plus penser

    correctement. Elle avait remarqu notre change ? Comment... Comment savait-elle que je craignais

    de le revoir ?

    De quoi tu parles ?

    Soudain ce fut le nant dans mon esprit. Je la fixai en qute du sujet de notre conversation.

    Impossible de me remmorer ce quelle et moi avions dit. Jtais trouble au plus haut point. Son

    sourire saccentua. L, jtais vraiment paume. Pourquoi tait-elle ainsi ?

    Ce fut un plaisir de te rencontrer, Deliah. Oh, et ne ten fais pas, je transmettrai le message

    Hayden.

    Je fus contamine par sa bonne humeur, bien que la gne provoque par mon subit trou de

    mmoire ft toujours prsente. Cette fille tait tout ce quil y avait de plus sympathique. Rien voir

    avec ses frres. Enfin, quoique ceux-ci ne meussent fait aucun mal, au final. Je mtais mont la

    tte toute seule pour une fantaisie de mon esprit et un petit regard de travers de rien du tout.

    Merci, lui dis-je avant quelle ne sen aille, mme si je ne me souvenais pas de lui avoir

    demand ce service.

    Elle madressa un clin dil et disparut en quelques secondes lautre extrmit du couloir.

    Le cur on ne peut plus lger, je pris le chemin de la maison. Je ne savais pas vraiment

    pourquoi, mais jtais heureuse que Leighton mait aborde. Cette conversation avait relgu les

  • rminiscences de mon cauchemar trs loin dans le maelstrm de mes proccupations. Ahurissant

    quand on pensait que javais ressass ces images durant toute la matine. prsent, elles taient

    floues, comme si ces songes mchappaient peu peu. Enfin, je nallais pas me plaindre, a faisait

    du bien de ne plus tre tourmente.

    Jaurais pu rester encore longtemps dans cette quitude mentale si je navais pas entendu un

    chien japper. Surprise, je me retournai sa recherche mais naperus rien. Jempruntais souvent le

    long chemin de terre bord de chaque ct par la fort, au bout duquel se trouvait ma maison, et je

    savais que les quelques personnes habitant proximit nen avaient pas. Javais d avoir une

    hallucination auditive. Secouant la tte, je me remis en route. Un nouvel aboiement rsonna. Encore

    une fois, je ne discernai rien autour de moi. Cependant ce son paraissait plus proche et ressemblait

    celui dun gros canid de mauvaise humeur. Lentement mais srement, je sentais poindre la peur en

    moi. Je regardai nouveau aux alentours mais aucune bte napparut dans mon champ de vision.

    Malgr moi, je me mis marcher plus vite et, quelques instants plus tard, les jappements reprirent,

    se faisant de plus en plus prsents. Franchement effraye, je pressai le pas, ayant hte de retrouver

    ma maison, qui ntait qu quelques minutes de l. Je pouvais y arriver sans quaucun incident ne

    survienne.

    Mes espoirs furent rduits nant lorsquun autre animal noir surgit prs de moi. Je marrtai

    juste temps pour viter une collision avec lui. Mon cur se mit battre tout rompre quand je

    ralisai quil ressemblait plus un loup qu un chien. Limage de mon rve me revint brusquement.

    Sil navait pas eu les iris dun jaune incandescent si diffrent de celui de mon cauchemar, jaurais

    pu croire que ce dernier stait matrialis devant moi. Dieu, je navais jamais vu de pareils yeux

    chez une bte ! Il se mit grogner sans raison apparente, et un frisson glac remonta le long de mon

    chine. On disait quil fallait rester calme, immobile et dissimuler sa peur face un prdateur. Pas

    facile mettre en pratique, me dis-je intrieurement alors que mon instinct me hurlait de me sauver

    toutes jambes.

  • Je considrai loption pendant quelques secondes. Comme sil lavait senti, il agrippa le bas de

    mon jean avec ses crocs et se mit tirer dessus pour empcher toute fuite. Alarme, jessayai de

    dgager ma jambe de sa prise.

    Lche-moi !

    La ralit se superposait au songe. Je comprenais peu peu que mon cauchemar avait peut-tre

    t prmonitoire.

    Mais lche-moi, bon sang ! mcriai-je.

    Dsespre, je tentai de lui mettre un coup avec la jambe quil tenait dans sa gueule. Jy parvins

    mais cela me fit perdre lquilibre. Ma tte percuta douloureusement le sol et je laissai chapper une

    plainte. Me remettant vite du choc, je mapprtai me dbattre nouveau quand je pris conscience

    quil mavait lche. Jaurais pu soupirer de soulagement sil ntait pas rest l, sans esquisser le

    moindre mouvement, toujours gronder aussi frocement et comme par attaquer tout instant.

    Je me redressai aussitt et voulus courir, mais quelque chose men empcha. En le regardant un

    dclic se produisit subitement : je ntais pas sa cible. Quelque chose se trouvait derrire moi et

    lhrissait.

    Morte de peur, je fis lentement volte-face et distinguai une masse gigantesque, un second loup

    si cen tait bien un, vu sa taille non loin de moi. Le premier animal tait minuscule compar

    celui-ci. Son poil tait tout aussi sombre, mais au contraire de lautre, ses iris taient de la mme

    teinte que son pelage. Menaant comme jamais, il avait les crocs retrousss et un filet de bave

    scoulait de sa gueule.

    Jtais horrifie. Ctait le loup qui terrorisait mes nuits, me faisait me rveiller haletante et me

    hantait tout le jour durant.

    Mes jambes se mirent flageoler. Mon corps tait secou de spasmes. Les craintes que javais

    crues sans fondement avaient finalement une raison dtre. Ce monstre existait bel et bien. Et

    jallais mourir. Aujourdhui. Maintenant.

  • Trop rapidement pour mes yeux apeurs, il se jeta sur moi. Je mcroulai sous son poids. Un cri

    schappa de mes lvres lorsque ma tte heurta nouveau le sol dur. Le son des grognements parut

    samplifier, et les deux btes se mirent livrer combat prs de moi. Je dsirais ardemment me

    relever mais, sans savoir pourquoi, jen tais incapable. Je ressayai plusieurs fois. En vain car je

    retombais toujours lamentablement par terre. Lun des loups subissait beaucoup de blessures, vu les

    gmissements que je percevais.

    Peut-tre que le chien ayant tent de me sauver allait mourir. Peut-tre que lorsque ce monstre

    en aurait fini avec son adversaire, je me retrouverais dchiquete par son norme gueule cumeuse.

    cette image, le dgot me submergea, quoique mes penses fussent de plus en plus brumeuses.

    Les couinements devinrent plus nombreux. Je me surpris sentir des larmes me monter aux yeux.

    Ma stupidit avait conduit cet animal subir ce terrible sort. Et mes paupires qui dsiraient tant se

    fermer ! Comme un rflexe pour chapper lhorreur qui mattendait. Je luttais pourtant contre ce

    besoin grandissant, bien que ce ne ft pas lenvie qui me manquait. Mes efforts taient inutiles, je le

    saisissais parfaitement. Mes forces me quittaient une vitesse fulgurante.

    Je ne comprenais pas pourquoi. Je navais fait que tomber.

    Je sentis alors un liquide dgouliner le long de mon visage. Quelque chose de chaud et

    poisseux. Mon cerveau sembla enfin raliser ce qui tait en train de se produire. Ctait du sang.

    Jtais blesse.

    Quelques secondes ou peut-tre quelques minutes passrent, mon esprit tant bien trop gar

    pour tout assimiler. Le tumulte cessa dun coup et je ne sus si cela venait de moi, de mon tat, ou

    des deux btes car leur combat tait termin. Un voile obscur prit place devant mes yeux dj

    presque clos. Je sombrai dans linconscience.

  • 3. Visions

    Des images passaient devant mes yeux. Rapides. Trs rapides. Lensemble formait un film

    nbuleux et trange o joie et douleur se ctoyaient, et o une multitude de couleurs vives et

    sombres se mlangeaient. Tout dfilait une allure folle, les souvenirs devenant insaisissables,

    comme de leau glissant entre les doigts. Le tourbillon de scnes et de sentiments laissa soudain

    place la bte noire qui peuplait toutes mes nuits. Limage tait claire et effrayante. Lanimal ntait

    que rage, crocs ensanglants et bave dgoulinant de sa gueule. Puis sans crier gare, tout sassombrit

    et une souffrance sans nom fit son apparition.

    Je me rveillai, la tte affreusement douloureuse. Je jetai des coups dil autour de moi et

    ralisai que jtais dans ma chambre, en scurit, quoi quil soit advenu dans mon cauchemar.

    Cependant je subissais encore les effets de mon rve, mon cur cognant lintrieur et une

    pellicule de sueur recouvrant mon front. Je grimaai alors quun pic de douleur se faisait ressentir

    sous mon crne. Depuis quand avais-je des migraines au rveil ? tait-ce cause de mon songe ?

    a me semblait peu probable mais avec moi, savait-on jamais. Je fouillai dans ma mmoire en qute

    dun infime segment de celui-ci. Rien. Dhabitude je me rappelais au moins un lment, aussi

    minime soit-il. Dernirement mes souvenirs taient bien plus vivaces.

    Enfin ctait tant mieux. Aujourdhui sera peut-tre plus calme quhier... Je m'extirpai de mes

    draps et me mis debout. Trop vite, manifestement, car un vertige me prit de court.

    Dsquilibre et sans possibilit de me rattraper un meuble, je meffondrai sur le lit, des

    taches lumineuses plein la vue. Aprs quelques minutes dattente, je me levai pour de bon,

    tranquillement cette fois puis filai faire ma toilette et me changer.

    Lorsque jeus fini, je sortis de ma chambre, affame comme jamais. Javais le sentiment de ne

    pas avoir aval quelque chose de consistant depuis des sicles. Ce genre dapptit froce ne me

    prenait quoccasionnellement, quand je sautais un repas. Il me semblait avoir bien mang, pourtant.

  • En y repensant, la soire dhier tait tout de mme un peu floue dans mon esprit, quand jy

    repensais. Je savais que javais mang, que javais survol quelques pages du livre qui tait pos sur

    ma table de chevet, que javais pris une douche mais je narrivais pas visualiser les images.

    Ctait droutant.

    Ayant atteint le bout du couloir, jentamai la descente des escaliers. Ma mmoire ayant

    visiblement pris des vacances, je me souvins trop tard de la marche instable et me sentis tomber en

    avant. Je guettai le choc et la douleur fulgurante qui laccompagnerait. Coup de (mal)chance, ma

    sur se trouvait en bas, prs du portemanteau, ce qui fit quelle russit me rattraper in extremis

    avant que je naille mtaler par terre. Elle me mit sur mes pieds et sloigna de moi promptement,

    comme si mon contact la rvulsait. Ce qui tait le cas vu son visage. Elle devait dj regretter de

    mavoir pargn un aller pour lhpital. Ne pas me voir pendant trois jours, a aurait t une

    aubaine pour elle.

    a prtend tre une grande fille et a nest mme pas capable de tenir sur ses jambes,

    sexaspra-t-elle.

    Moi qui avais, lespace dune seconde, envisag de la remercier, prsent il tait certain que

    jallais men abstenir. Elle faisait vraiment tout pour me faire flancher, comme toujours. Elle adorait

    ce petit jeu stupide quelle avait instaur entre nous et se dlectait de me voir rpondre ses

    attaques. Malgr tout, je finissais toujours par ne pouvoir en supporter plus. Cette fois, cependant, je

    me refusais lui faire ce plaisir. Je voulais tre tranquille aujourd'hui.

    Jai laiss le paquet de crales et le lait sur la table, me prvint-elle de ce ton glacial si

    caractristique de sa personne. Fais attention ne pas te noyer dedans. Te connaissant, tu en es

    capable.

    Je lui souris hypocritement. a ne volait pas haut. Malheureusement, quand bien mme

    naurais-je pas voulu tre affecte par son attitude, ctait peine perdue.

    Ne tinquite pas, Anna, je me retiendrai de plonger ma tte dans le bol.

  • Javais conscience que ce diminutif lhorripilait au plus haut point. Ctait ainsi que ma grand-

    mre lappelait lorsquelle tait en colre contre elle, voil pourquoi jusais abondamment de son

    surnom. Quand je le faisais, javais presque limpression de retrouver les intonations et la prsence

    de Tess dans cette maison. Je chassai demble cette dernire pense pour viter de devenir

    mlancolique.

    Annabelle arborait un air absolument ravi, signe quelle tait satisfaite de mavoir fait sortir un

    tant soit peu de mes gonds. Sa vie tait bien pitoyable si elle devait se mesurer la gamine que

    jtais pour gayer ses journes. Elle se tourna, prte partir, puis sans crier gare, fit volte-face.

    Au fait, ne ferme plus ta chambre cl, me conseilla-t-elle, mme si a relevait plus de

    lordre que dautre chose. Tu as braill comme une demeure durant toute la nuit. Je tai appele, tu

    ne mas pas rpondu. Jaurais pu remdier ta crise si ta porte avait t ouverte, au lieu de quoi, jai

    d ignorer tes hurlements pour tenter de me reposer un minimum.

    Jimaginais trs bien son remde la crise : une bonne gifle quelle maurait assne avec joie.

    Navre, mexcusai-je, pas le moins du monde sincre, et elle en avait conscience. Je le ne le

    ferai plus lavenir.

    Jignorais pourquoi je lavais ferme la veille, ne le faisant jamais dordinaire.

    Bien, me dit-elle en souriant, et je pressentis larrive dune nouvelle attaque mon

    encontre. De toute manire, ce nest pas comme si tu avais besoin dintimit, ma gentille petite

    sur. Tu nas ni copain, ni quelque chose qui sen approche de prs ou de loin. Je doute mme que

    tu aies dj entendu parler du mot sexe. Du reste, avec une grand-mre aussi prude que ltait la

    ntre, comment aurait-il pu en tre autrement ?

    Je retins grand-peine les insanits que jtais sur le point de lui cracher la figure. Je hassais

    ma sur, ctait vridique. Elle pouvait tout me dire mais elle navait pas le droit de sen prendre

    Tess. Si elle ne partait pas vite, je ne rpondrais plus de moi.

    Je ne voudrais pas te retarder, lui indiquai-je en dsignant la sortie dun signe de tte.

  • Elle me sourit de cette manire si fausse et ironique nappartenant qu elle. Elle avait gagn et

    elle le savait. Elle avait toujours le dernier mot.

    Tu as raison. Ce nest pas comme si je navais pas mieux faire que de discuter avec une

    enfant. ce soir.

    Cest a, marmonnai-je en claquant la porte sitt quelle leut passe.

    Je la dtestais un tel point que mme si elle avait une voiture et pouvait donc me dposer en

    cours, je prfrais mille fois me coltiner une demi-heure trois quarts dheure de marche, plutt que

    dtre dans le mme habitacle quelle.

    Vraiment, je pouvais la remercier pour lhumeur massacrante dans laquelle jtais. Mon

    deuxime jour de classe sannonait tout aussi horrible que le premier. Je partis dans la cuisine pour

    manger un peu avant de prendre la route. Aprs avoir englouti mon petit-djeuner, qui ntait bien

    sr pas constitu de crales puisque je naimais pas a, jembarquai mon sac qui mattendait dans

    lentre et sortis en fermant cl derrire moi.

    Lesprit obnubil par les noms doiseaux que jadressais mentalement Annabelle, je fus

    surprise dentendre un bruit de moteur derrire moi. Je rejoignis le bas-ct pour cder la place au

    vhicule. Nanmoins la voiture rouge bandes blanches, une Ford Mustang Shelby, si ma vue ne

    me trompait pas, ne fila pas comme je lavais suppos. Au contraire, elle freina quelques mtres

    aprs mavoir dpasse. Je me demandai pourquoi le conducteur stait arrt et surtout, qui elle

    appartenait. Ctait forcment un habitant de Mensen attendu quaucun tranger la rgion navait

    connaissance de cette partie de la ville.

    Interloque, je finis par men rapprocher. Quand je fus assez prs pour discerner de qui il

    sagissait, un sentiment de malaise se propagea en moi. Quelque chose me cria brusquement de fuir

    toutes jambes pour mloigner des nouveaux venus. Pourquoi ragissais-je tellement

    violemment ? Aucune ide. Je savais juste, en posant les yeux sur le conducteur, Monsieur Yeux-

    meraude, quil affolait ma personne tout entire et pas de manire positive. Et ce, mme sil tait

    tout aussi beau que son frre avec ses cheveux noirs, ses iris verts et son air tnbreux. Non, ctait

  • comme sil tait li un terrible vnement que javais inconsciemment refoul. Mais bon sang,

    comment aurais-je pu avoir un souvenir en commun avec ce garon alors que je ne lavais crois

    quune seule et unique fois ? Tout cela navait aucun sens. Relguant mon trouble dans un coin

    confin de mon esprit, je tentai de me conduire comme nimporte quelle personne normale. Jtais

    dores et dj persuade que la tche allait tre complique avec eux.

    Bonjour, sexclama gaiement la nouvelle depuis le sige passager avant, aprs que son frre

    eut baiss sa vitre pour lui permettre de me parler.

    Dire quelle exultait de joie et t un euphmisme. Ntant pas habitue ce genre de

    comportements, son attitude me dstabilisa quelque peu.

    Salut euh Leighton, nest-ce pas ? demandai-je, certaine enfin presque quelle

    sappelait ainsi.

    Contente que tu ten souviennes. Alors comme a, tu habites galement dans ce coin-l ?

    Un sourire se dessina sur mes lvres ; je ne mtais pas trompe. Puis il saffaissa quand je pris

    conscience de ce quelle venait de dire. Quoi ? Ils rsidaient aussi dans le secteur ? Je ne les avais

    mme pas vus emmnager ou passer ici. Je navais jamais crois leur voiture, qui pourtant ne

    pouvait passer inaperue.

    Oui, rpondis-je. Jhabite la maison que vous venez tout juste de dpasser.

    Vraiment ? Cest gnial, nous sommes pratiquement voisins alors. Au passage, jadore ta

    maison.

    Merci, lui dis-je, un peu gne. Votre voiture nest pas mal du tout, ajoutai-je pour

    dtourner lattention de moi, sortant la premire chose qui me venait lesprit.

    Tu parles dune diversion peu subtile. Leighton madressa un sourire avant de passer un bras

    autour des paules de celui qui me bouleversait pour une raison inconnue. Ce dernier, dailleurs,

    avait les yeux rivs sur le pare-brise. Ctait peine sil avait lair de remarquer ma prsence. Jen

    fus vaguement soulage tout en me sentant imperceptiblement vexe quil mignore. Face ces

  • sentiments contradictoires, jeus envie de me secouer un bon coup pour me remettre les ides en

    place.

    Cest la voiture de Garreth. Il la achete rcemment. Elle en jette, nest-ce pas ?

    Garreth, me rptai-je mentalement comme pour me le rappeler. Je ne pus qu'acquiescer sa

    question.

    Cest une Ford Mustang Shelby ? menquis-je, mme si je connaissais dj la rponse.

    Le propritaire de ce fantastique vhicule maccorda enfin un regard et sembla sen amuser. Il

    aurait peut-tre mieux valu quil continue faire comme si je nexistais pas, me dis-je lorsque je

    croisai fugitivement ses yeux verts. Dieu merci, rien ne se passa et je ne vis aucune image trange,

    ce qui tendait confirmer le fait que javais imagin notre change de la veille. Par contre,

    Leighton parut tonne que je connaisse une telle chose mme si son sourire demeura clatant,

    linstar de son frre.

    Exact. Une GT 500, plus prcisment. (Elle se tut un instant.) Comment as-tu su ? Par le

    plus grand des hasards, serions-nous face une experte ?

    Je me contentai de secouer la tte pour lui signifier que non. Je savais cela parce quun jour,

    Hayden et moi avions vu un film o cette automobile apparaissait et que je lavais tout simplement

    adore. une ou deux diffrences prs, comme la couleur que jaurais plutt choisie bleu mtallis

    avec des bandes blanches, tandis que Garreth avait opt pour un rouge bandes blanches.

    Apparemment mon voisin avait les mmes gots que moi dans ce domaine. Quoique, dans mon cas,

    jaie prfr ce modle car il en jetait , comme disait Leighton.

    Un raclement de gorge me fit cesser de me pmer devant cette merveille de lindustrie

    automobile.

    Ce nest pas que vos babillages sur la mcanique, la pluie et le beau temps mexasprent

    Enfin si, cest a. Mais on va tre en retard si vous continuez, et a, a magacerait profondment,

    dclara alors ladolescent, dont le nom mtait encore inconnu, tout en me jetant un regard semblant

    dire quil me le ferait payer sils narrivaient pas lheure au lyce.

  • Leighton soupira ostensiblement ses remarques. Autant elle tait charmante et accueillante,

    autant les deux autres taient effrayants, car mme si Garreth mavait souri, il nen restait pas moins

    intimidant. Comment diable pouvaient-ils appartenir la mme famille ? part la beaut, ils

    navaient rien en commun et ce, mme sils devaient tre des tripls puisqu'ils taient tous dans ma

    classe. Enfin Annabelle et moi tions totalement dissemblables en dpit de notre ADN, alors...

    Tu montes ? proposa Garreth.

    Sa voix me parut aussitt familire, comme si je lavais dj entendue un millier de fois

    auparavant. Or, ctait parfaitement impossible, puisque la veille au matin, je ne connaissais pas ce

    garon. Un simple sentiment de dj-vu, me raisonnai-je. Cela arrivait. a ne voulait absolument

    rien dire. Rien du tout.

    Euh je je ne sais pas. Je ne voudrais pas dranger, finis-je par leur confier, encore

    trouble.

    Sil te le propose, cest que a ne le drange pas, me fit remarquer le frre au prnom

    mchappant encore.

    Mme sil navait pas tort, Grincheux commenait franchement mhorripiler. Son ton

    indiquait que la seule pense que je monte larrire avec lui le dgotait au plus haut point.

    Comme sil parlait dune bestiole quil aurait d craser laide de sa nouvelle paire de chaussures

    cotant une fortune. Belle image, Deliah. Quil soit rassur, lide de faire un trajet auprs de lui ne

    me plaisait pas davantage.

    Tu nes quun abruti, Travis ! sexclama Leighton, visiblement agace. Excuse-le,

    poursuivit-elle mon intention. Il est trs grossier quand il sy met et peut tre vraiment difficile

    supporter ds quil dcide dtre pnible.

    Travis, alias Grincheux, ne parut pas le moins du monde drang par ces propos.

    a nest rien.

    Et cette phrase ne sadressait qu laimable sur. Aprs tout, elle navait pas se sentir

    coupable et demander pardon pour cet idiot. Il tait assez grand pour sexcuser lui-mme.

  • cet instant, je vis le regard inquiet de Leighton faire la navette entre les mains crispes de

    Garreth, poses sur le volant, et lair absolument ravi de Travis quil arborait inopinment. Je ne

    savais pas ce qui tait en train de se drouler dans cet habitacle, cependant vu la tension en manant,

    a naugurait rien de bon.

    Travis ! scria-t-elle sur un ton rprobateur.

    Daccord Je ny comprenais rien, mais alors rien du tout. Je les observai tour de rle, afin

    de mieux saisir cette scne dconcertante. Mis part le fait que les yeux de Travis taient braqus

    droit sur le rtroviseur, l o son frre regardait lui aussi, il ne bougeait pas.

    Quoi ? Je nai rien fait, rpondit laccus, feignant linnocence, au point quon lui aurait

    presque donn le bon Dieu sans confession. Ai-je fait quelque chose ?

    La question sadressait moi. Mal laise, je me dpchai de dclarer :

    Je vais marcher mais merci de la proposition.

    Je nattendis aucune raction de leur part et repris mon chemin. Je navais pas fait deux pas que

    la Mustang tait nouveau mes cts et que Garreth sexclamait sur un ton autoritaire et sans

    appel :

    Monte dans la voiture.

    Pardon ?

    Subitement, Grincheux paraissait bien plus sympathique que lui. De quel droit se permettait-il

    de me donner des ordres ? On ne se connaissait mme pas !

    Grimpe, Deliah. Leighton, va larrire avec elle. Toi, tu sors. Immdiatement.

    Je tressaillis en entendant mon prnom. Comment lavait-il appris ? Ah oui, on avait dj d lui

    parler de ma famille et moi. Ou sa sur le lui avait rvl. tonnamment, Garreth navait pas besoin

    de hausser le ton pour tre menaant, et en loccurrence, pour me convaincre d'aller dans l'habitacle.

    Je mexcutai sans un mot tandis que Travis sextirpait du vhicule par le ct oppos au mien. Il

    sloigna, non sans mavoir auparavant dvisage dun air peu affable.

  • Je ne voulais pas crer de problmes, mexcusai-je lorsque Leighton sinstalla prs de moi,

    pendant que ses frres partaient plus lcart.

    Mme si je ne lavais pas cherch, jtais gne davoir indirectement caus cette dissension.

    Ne te sens pas coupable. Travis aime bien mettre du piment dans chaque situation qui

    manque daction selon lui, dois-je prciser. Force mest de reconnatre quil est dou pour mettre

    la pagaille l o il souhaite le faire, soupira-t-elle, avec accablement.

    Je ne rpliquai rien et, la place, je les observai en train de converser. Contrairement ce que

    javais cru, ils nen vinrent pas aux mains. Ils discutaient calmement. Ils taient peut-tre plus

    ordinaires que je ne le pensais, au final.

    a va mieux ?

    Je dtournai le regard pour accorder toute mon attention Leighton.

    Euh oui.

    Je ne voyais pas du tout de quoi elle voulait parler. Avais-je eu lair daller mal un moment ?

    Certes je ne mtais pas conduite normalement depuis que jtais en leur compagnie mais pas ce

    point-l

    Tu sembles perdue. Je parlais dhier. Tu sais, quand tu es partie de la classe aprs notre

    arrive, Hayden ma dit que tu nallais pas trs bien ces derniers temps cause de ta grand-mre.

    Je fus surprise en entendant que ma meilleure amie leur avait parl de ma situation. Ils

    lauraient appris tt ou tard, de toute manire, mais j'tais tout de mme tonne. Si elle savait que

    mon dpart prcipit de la veille navait rien voir avec le dcs de Tess. Ctait plutt son frre le

    responsable. Mieux valait taire cela cependant. Jtais face sa sur aprs tout et je ne voulais pas

    passer pour une folle.

    Je compatis, continua-t-elle face mon mutisme. Nous avons aussi perdu des membres de

    notre famille.

    Je suis navre, chuchotai-je, comprhensive.

  • Tu nas pas tre dsole. Finalement... nous nous y sommes faits. Tu ty feras aussi, mme

    si cela te parat impossible pour linstant. Tu trouveras des gens qui remplaceront les tres disparus

    ou du moins, qui soigneront les plaies de ton cur et apaiseront la douleur.

    Elle me dit cela avec tant de conviction que je fus tente de la croire. Seulement, j'tais

    persuade que cette souffrance-l ne sen irait jamais.

    Ah ! Garreth revient.

    Je jetai un il au-dehors et remarquai avec bahissement que Travis stait volatilis. Il reprit sa

    place derrire le volant et dmarra sans rien dire. Le moteur vrombit sous le capot.

    O est pass ton frre ?

    Ne tinquite pas pour lui, me dit-il, sa voix me faisant lgrement frissonner. Il saura trs

    bien se dbrouiller pour arriver lheure. Je parie mme quil y sera avant nous.

    Je regardai ses yeux dun vert tincelant se refltant dans le rtroviseur. Son regard meraude,

    presque diaphane tout comme celui des autres membres de sa famille, me tordit lestomac. Une

    seconde avant, il me faisait frmir, et la seconde suivante, il me faisait peur. Et ce, alors quil navait

    rien fait. Je ne comprenais rien mes ractions mais il tait certain quil y avait un problme. Car l

    o ma raison massurait que jimaginais des choses et quil ntait pas dangereux, mon instinct, lui,

    ne cessait de hurler quil me fallait fuir loin de lui, et vite !

    Le trajet en voiture se fit en silence, et l o jaurais march au moins une demi-heure, nous

    arrivmes en moins de quinze minutes. Et contrairement ce quavait affirm Garreth, Travis

    ntait pas prsent quand nous dbarqumes sur le parking du lyce. Lorsque je fis remarquer cette

    absence et quil faudrait peut-tre aller le chercher pour ne pas quil se perde ou soit en retard, ni

    lun ni lautre ne me rpondirent.

    Je sortis de lhabitacle sans ajouter un seul mot, et ils firent de mme. Dehors, je ne fus pas

    tonne de voir des regards curieux se poser sur nous. La voiture, qui dtonnait sur le parking,

    devait en tre la principale raison, mme si ma venue en compagnie des nouveaux y tait

    probablement pour quelque chose aussi.

  • Bonjour tout le monde ! scria Hayden tandis que javanais dans sa direction, Leighton et

    Garreth ma suite.

    Ma meilleure amie vint me prendre dans ltau de ses bras. Rien dinhabituel cela.

    Nanmoins, je la fixai avec bahissement lorsquelle prit aussi Leighton dans ses bras. Elles

    navaient probablement parl que quelques minutes la veille, et pourtant elles agissaient comme si

    elles se connaissaient depuis toujours. Il ny avait pas se mprendre : japprciais beaucoup

    Leighton. Elle avait lair dune fille sympathique, bien quun peu excentrique, et je pensais pouvoir

    bientt la compter parmi mes proches. Une amie fidle et sincre linstar dHayden. Toutefois, ce

    qui faisait natre une pointe de jalousie en moi tait le fait que cette dernire se comportait avec elle

    comme elle le faisait avec moi. Except quavec moi, il lui avait fallu des mois et non pas un seul

    jour pour instaurer une relle complicit et une certaine confiance. a, je le prenais beaucoup moins

    bien. Dans le mme temps, Leighton semblait beaucoup plus ouverte et agrable que je ne lavais

    jamais t et ne le serais jamais.

    Deliah !

    Priant pour que ce ne soit pas ce que je croyais, je me retournai contrecur et considrai celui

    que je ne voulais pas voir, Spencer. De justesse, je retins une grimace. Spencer West tait un garon

    de Premire de Terminale prsent , qui javais accept de venir en aide pour des cours de

    soutien en histoire. Il tait gentil, serviable, plutt marrant et assez mignon avec ses cheveux blonds

    et ses yeux bleus, cependant je ne le voyais pas autrement que comme un copain. Lui,

    apparemment, ne lavait toujours pas compris, mme aprs que jeus refus ses innombrables

    invitations au cinma, au restaurant et mme la Foire de ltat.

    Salut ! Comment vas-tu ? senquit mon camarade, enthousiaste.

    Au moins je navais pas encore eu droit aux condolances puisque je lavais rencontr cet t et

    quil me les avait alors prsentes. Ctait dj a, mme sil tait trop proche et que sa main pose

    sur mon bras me mettait mal laise. Je navais jamais t tactile, et encore moins avec la gent

    masculine.

  • a va, rpondis-je, peu dsireuse dengager une longue conversation avec lui.

    Moi, a va trs bien. Surtout depuis que je tai vue, me confia-t-il un peu plus bas, lorsquil

    saperut que tous les autres taient attentifs notre change.

    Je me mordis la lvre. Javais conscience de lui envoyer des signaux contradictoires mais je ne

    pouvais pas agir autrement. Les compliments me mettaient mal l'aise.

    Dis

    Oh non ! me dis-je aussitt. Dommage quil nentende pas ma raction. Je ladmettais, ctait

    mchant de ma part. Seulement, je navais aucune envie de sortir avec lui. Ni avec quelquun

    dautre, d'ailleurs.

    avec moi ?

    L, a devenait franchement problmatique. Je navais absolument rien cout de ce quil

    mavait confi. En pleine confusion, je me mordillai davantage la lvre encore, tout en remettant

    une mche de cheveux derrire mon oreille. Mes gestes le firent sourire ; il croyait trs certainement

    que jagissais ainsi parce quil me plaisait et que jtais gne de me trouver face lui. Certes, je

    ltais mais pas pour les raisons auxquelles il pensait.

    Elle ne pourra pas taccompagner au cinma, samedi, rpondit quelquun ma place.

    Une voix si sarcastique et irritante, bien que le timbre ft agrable la base, quil me fut

    impossible de douter de lidentit de ce quelquun . Comme si je navais dj pas assez faire

    avec Spencer Travis avait somme toute fini par arriver au lyce. Spencer ayant cess de me

    toucher, il en profita pour passer un bras autour de mes frles paules. Je tentai de le repousser, mais

    il ragit aussitt en me serrant plus encore, mempchant ainsi de bouger. Spencer suivit son geste,

    contenant difficilement la fureur qui lanimait tout entier. Moi, la seule chose que je retenais de

    toute cette scne, ctait que le contact de Grincheux me dplaisait fortement.

    Ah oui Et est-ce que je pourrais savoir ce qui loccupera ?

    Jtais toujours prsente mais apparemment, personne ne sen souciait. Les intonations de

    Spencer dissimulaient peine sa frustration et sa rage. Si la situation navait pas t aussi

  • ridiculement dsagrable et embarrassante et si je nen avais pas t lun des protagonistes, jaurais

    ri.

    Mon frre, Garreth. Elle lui donne des cours de soutien. Cest une vritable calamit en

    physique, ajouta-t-il avec une moue hautement moqueuse. Crois-moi, notre jolie Deliah aura bien

    besoin de tout son week-end pour soccuper de lui comme il faut.

    Dieu Tout-Puissant, tout a sonne affreusement... sexuel. J'tais mortifie au possible.

    Manifestement, je ntais pas la seule penser ainsi. Spencer tait irrit comme jamais, Hayden

    tait bouche be, Leighton semblait surprise et un peu amuse, tandis que Garreth arborait un air

    franchement agac qui me fit frmir. Ce dernier sefforait visiblement de se contenir face aux

    absurdits de son frre, ce qui augmenta mon malaise.

    Je me dfis abruptement de ltreinte de Travis et mavanai vers Spencer. Je navais rien de

    prvu, contrairement ce qui venait dtre insinu, et une soire avec lui nallait pas me tuer, aprs

    tout. Il suffirait que je mette les choses au clair ds le dbut de notre rendez-vous et tout irait pour le

    mieux. Cela pourrait mme tre sympa, au final.

    coute, Spencer, ce quil a dit, cest

    La stricte vrit, me coupa demble Leighton, et je crus ber de stupfaction son

    intervention. Mon frre aurait vraiment besoin daide en histoire et en sciences, prcisa-t-elle avec

    insistance tout en fusillant Travis du regard, et le plus tt sera le mieux sil veut russir son anne.

    Ce serait trs... gentil de ta part de laisser Deliah libre de toute obligation.

    Je napprciais pas les mensonges mais, en fin de compte, celui-l ntait pas si terrible, et

    Leighton avait rectifi le tir concernant Garreth et moi. Ses intonations avaient t tellement

    enjleuses que cela ne mtonna mme pas quand Spencer bgaya, charm :

    Bien... Bien sr.

    Mon ex-soupirant la dvisagea comme sil sagissait dune apparition divine avant de sen aller,

    juste aprs mavoir adress un vague signe de la main. Charm ? Il avait carrment t envoy sur

    une autre plante, oui ! Je le regardai sloigner, partage entre un sentiment dintense libration et

  • une pointe de jalousie envers Leighton, la fille serviable qui navait fait que me sortir de mon

    embarrassante dtresse. Franchement, quel tait mon problme ? Elle navait fait que maider !

    Aprs tout, ce ntait pas sa faute si elle tait plus aimable, plus jolie et plus doue que moi.

    La voix de Garreth coupa court mes tergiversations.

    Quand vous aurez fini de me faire passer pour le pire des arrirs, vous mappellerez. Et toi,

    Travis, je te jure que tu ne perds rien pour attendre, le prvint-il dune voix si pleine de menaces que

    lincident de la voiture tait de la pacotille ct.

    Je voulus dire quelque chose mais peine eus-je ouvert la bouche que Garreth sen allait dj.

    ***

    la pause djeuner, lorsque Hayden et moi dbarqumes la cantine, je remarquai avec

    ahurissement que notre table tait occupe. Je clignai des yeux maintes reprises, certaine dtre en

    pleine hallucination. Non, ce ntait pas cela : ils taient bel et bien installs notre endroit habituel

    dans la caftria. Sil ny avait eu que Leighton, jaurais volontiers accept sa prsence. Mais ses

    frres taient avec elle... Or Travis me donnait des envies de meurtre rien quen songeant son

    nom, tandis que Garreth me mettait mal laise de bien des faons. Sans oublier la priptie du

    matin mme, dont javais t indirectement responsable et qui lavait rendu dune humeur

    massacrante, bien que maintenant, il et lair calme.

    Tu leur as dit o on se posait midi ? murmura Hayden.

    Rsigne, je mavanai vers eux, en compagnie de mon amie qui paraissait tout aussi perturbe

    que moi de les voir assis nos places.

    Je te retourne la question.

    Sans men rendre compte, et surtout sans avoir eu le temps dy rflchir, je lchai :

    Cest peut-tre toi qui

    Je ne terminai pas ma phrase et la laissai en suspens. Elle me fusilla de ses grands yeux marron.

  • Je sais ce que je dis ou ne dis pas. Je ne leur ai jamais parl de a, sexclama-t-elle, agace

    par mes sous-entendus.

    Hayden pouvait tre une vraie tte en lair quelquefois et laisser chapper des choses quelle

    aurait mieux fait de taire mais si elle massurait quelle nen avait pas parl, je la croyais.

    Je jetai un coup dil la table et les surpris en train de nous fixer. Nous franchmes les

    derniers mtres nous sparant deux et nous assmes sur les deux chaises restantes. Javais cette

    vague impression quils souhaitaient nous ctoyer tout en mettant certaines limites ce

    rapprochement, invisibles mais trs claires en mme temps. Je me ramenai l'ordre aussitt. Sans

    nul doute, j'tais nouveau en train de minventer un scnario fantasque.

    a va ? sexclama Leighton avant de mordre dans une frite.

    Bien, rpondmes-nous lunisson.

    Jtais effare de la voir toujours de si bonne humeur. Cette fille ntait-elle jamais nerve ou

    contrarie ? Personne ne pouvait rester joyeux toute la sainte journe, sans mettre une fois des

    ondes ngatives. moins que quelque chose ne cloche chez elle. a paraissait plausible quand on

    pensait quils staient installs ici. Les gens avaient tendance fuir cette ville (ce que jesprais

    faire un jour dailleurs) plutt que venir y habiter. Sans compter quils restaient en notre

    compagnie ; non pas que celle dHayden soit dsagrable mais la mienne, on avait dj connu

    mieux. Enfin, je me faisais srement des ides. Leighton lapprciait, peut-tre moi la rigueur, et

    ses frres la suivaient, voil tout.

    Heureusement que tu nous as dit o vous mangiez, indiqua Leighton Hayden, lair

    reconnaissante. Grce toi, nous navons pas eu besoin de vous attendre devant votre classe pour

    savoir o nous allions nous mettre. Dailleurs, comment sest pass votre classe de franais ?

    Je ne rpondis pas, trop occupe que jtais dvisager ma meilleure amie, les yeux ronds

    comme des billes. Je me repris et dtournai le regard. Elle navait probablement pas pens mal,

    mais a me blessait quand mme. Nous connaissions peine ces personnes et dj, elles venaient

    chambouler lordre tabli dans nos existences. Il ny avait plus rien de normal dans ma vie alors

  • javais espr quau moins au lyce, avec elle, les choses seraient restes telles quelles taient.

    Apparemment non. Mme ma routine ici devait tre mise sens dessus dessous.

    Eh bien, vous tes drlement courageuses davoir pris ce cours, entendis-je Leighton

    rpliquer aux paroles d'Hayden. Personnellement, je

    Je ncoutais plus. Ces dbats tellement normaux pour des adolescents de notre ge, me

    paraissaient insignifiants. Comme si jtais devenue une autre. Et l, en voyant cette nouvelle

    famille nos cts, cette impression se renforait encore. Jen avais assez des changements. Je

    voulais simplement un peu de rpit et de stabilit. tait-ce vraiment trop demander ?

    Le souvenir de Tess revenait plus fort que jamais. Ctait elle qui mavait pousse apprendre

    le franais, elle qui le parlait trs bien et massurait que ctait lune des plus belles langues au

    monde. Elle mavait dit que a me serait utile lorsque nous irions au Canada. Au Qubec, plus

    exactement, o ils sexprimaient en anglais et en franais. Tess avait conomis durant toute mon

    enfance et mon adolescence afin que nous puissions nous y rendre aprs mon diplme. Mais avec sa

    disparition, ctait fini. Plus de projets, plus de futur, plus rien...

    Sentant la douleur se rveiller en moi, je tentai de chasser tout a de mon esprit. Mes yeux

    finirent rivs ceux de Garreth. Visiblement, lui me fixait depuis un bout de temps dj. Je crus

    dabord quil attendait que je mexcuse pour lincident de ce matin mais je ralisai bien vite quil

    ny avait aucun reproche dans ses prunelles. Ctait le contraire mme, il avait lair intrigu. Son

    attitude tait franchement troublante, ce garon soufflant le chaud et le froid, mais en cet instant, ce

    ntait pas ce qui me drangeait. Non, ce regard si particulier, je lavais dj vu, il y avait fort

    longtemps. Je fouillai dans ma mmoire, cherchant savoir do venait ce sentiment.

    Un vertige me prit tout dun coup. La souffrance sous mon crne, qui stait attnue durant la

    matine, se manifesta nouveau. Quest-ce quil me faisait ? Quest-ce qui stait produit ? Je nen

    avais aucune ide mais a ne pouvait pas tre une divagation de mon imagination. Pas une nouvelle

    fois. Il y avait un vrai problme avec lui. Je me cramponnai la table, me sentant sur le point de

    mvanouir. Je dsirais ardemment rompre le contact visuel, toutefois je ny arrivais pas. Des

  • images ne cessaient de passer devant mes yeux. Comme la veille. Mais l, ctait pire encore car ce

    ntaient pas des bribes que je voyais, ctait quelque chose de flou comme un souvenir presque

    totalement oubli. Une voiture aux vitres brises. Cette scne stait droule dans un habitacle. Des

    cris atroces et dchirants. Le sang. Tout ce sang... Et ses iris. Cen tait trop pour moi.

    Deliah ? Deliah, tu mentends ?

    La voix de Garreth. Je ne lavais que peu entendue et pourtant, mme dans un tat second, je

    lidentifiai. Ses paroles rsonnrent en cho dans mon esprit. Je l'avais dj entendu dire a. Les

    visions se faisaient de moins en moins nettes et dfilaient de plus en plus vite, tandis que les

    hurlements devenaient assourdissants.

    Deliah, mappela posment Leighton.

    a tourne..., dclarai-je.

    Javais limpression dtre sur un grand huit et de voir le monde en vitesse acclre tout en

    ressentant la nause caractristique de ce genre de mange. Lhmoglobine ruisselait comme une

    rivire de couleur pourpre. La ralit de la cantine se mlangeait celle de mon esprit. Des visages

    ensanglants. Pas une mais des btes noires. Tout tourbillonnait autour de moi sans me laisser un

    instant de rpit. Javais le vertige. Mon pouls battait dans mes tempes de manire effrne. Jallais

    vomir dans peu de temps si a continuait comme a.

    Deliah, regarde-moi.

    Jobis et fixai les pupilles bleues presque limpides. Alors dans la seconde, les monstrueuses

    visions svanouirent et je revins dans le monde rel. Mon regard vagabonda sur les figures

    inquites qui mentouraient. Des iris marron des yeux d'un bleu clair saisissant deux autres

    d'une couleur ambre comme je nen avais jamais vu auparavant et deux iris semblables aux

    meraudes.

    Jtais trop puise pour tenter de me remmorer leur nom tous. Je ne savais pas comment je

    mtais retrouve debout au beau milieu de la cantine, mais mes jambes me parurent subitement en

    coton. Incapable de rester consciente plus longtemps, je meffondrai sur le sol.

  • 4. La fuite

    Lorsque je mveillai, je crus tre en pleine divagation, et pour cause, la vision que javais en

    face de moi tait absolument dlirante. Jtais dans ma chambre. Jusque-l, tout tait normal. Ce qui

    ltait moins en revanche, ctait que je ny tais pas seule. Garreth tait l, assis paresseusement

    sur ma chaise de bureau, bras croiss, non loin de mon lit. Autre lment, certes secondaire mais qui

    avait tout de mme son importance, il me dvisageait intensment. a, ctait trange et a me

    mettait extrmement mal laise. Par chance, cette fois, je ne mvanouis pas lorsque nous nous

    observmes. Je me redressai, tout en lui jetant quelques illades. Pour lamour de Dieu, que faisait-

    il chez moi pendant que jtais inconsciente alors quon ne se connaissait que depuis deux jours ?

    a doit tre le contrecoup de lvanouissement, mexpliquai-je moi-mme, sans prendre en

    considration mon visiteur onirique. Ou alors, je dors encore.

    Je ne m'tais pas vanouie, preuve qu'il ntait donc vraiment pas l, et que je devais encore tre

    dans les bras de Morphe. Il tait inconcevable quil ft ici, de toute manire. Il me lana un sourire

    clatant et droutant comme celui que le vrai Garreth mavait adress ce matin quand javais parl

    de sa voiture.

    Apparemment, tu es en train de te persuader que je suis le fruit de ton imagination.

    Pourquoi ? Mystre.

    Je soupirai. Comment avais-je emmagasin autant de dtails sur lui en si peu de temps ? tais-

    je ce point porte sur ce garon ? Je refusais de croire que je mtais laiss charmer par son

    physique irrprochable. Je ne savais rien de lui, bon sang ! Et le problme tait quil me provoquait

    des malaises chaque fois que mon regard plongeait dans le sien. Ctait certain, il y avait vraiment

    quelque chose qui ne fonctionnait pas correctement chez moi.

    Le contrecoup, me serinai-je.

  • Je me le reprsentais dans mon songe simplement parce quil tait lune des dernires personnes

    que javais aperues avant de meffondrer. Rien de plus, rien de moins.

    Je suis bien l.

    Voil que mon subconscient me prenait nouveau pour une idiote.

    Et moi, je viens dentrer au couvent, ajoutai-je sans rflchir. Non, srieusement, il faut que

    ce dlire cesse.

    Elle ne me croit pas.

    Et maintenant mon illusion qui se parlait elle-mme. Quitte rester dans labsurde

    Remarque, tout a est plutt flatteur, dis-je. Je ne savais pas que javais une si bonne

    mmoire photographique et que jtais capable de reproduire la copie exacte du magnifique

    original.

    Il rigola. Mon cur loupa un battement. Seigneur, ctait dun dconcertant. Voil que je me

    laissais sduire par mon propre fantasme. Rveille-toi, ce nest pas Garreth. Le vrai est un

    lunatique, dsagrable de surcrot. Ce que tu vois l est loppos de lui.

    Je crois que c'est moi qui devrait me sentir flatt.

    Ce fut sur ces paroles que jentrevis la possibilit que cette conversation sans queue ni tte

    puisse ne pas tre une aberration de mon esprit. Je ralisai tout dun coup que ce ntait pas un rve

    et que j'tais bel et bien rveille. Seigneur... Je mempourprai, horrifie de tout ce que javais dit.

    Comment passer pour une idiote, scne 2, acte III... Je cachai mon visage en