les crampes musculaires essentielles
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Disponib le en l igne sur www.sc iencedi rec t .com
Revue generale
Les crampes musculaires essentielles
Primary muscle cramps
G. Serratrice
Service de neurologie et maladies neuromusculaires, Pr J. Pouget, hopital la Timone, 264, rue Saint-Pierre, 13385 Marseille cedex 05, France
i n f o a r t i c l e
Historique de l’article :
Recu le 26 octobre 2007
Recu sous la forme revisee le
14 janvier 2008
Accepte le 20 fevrier 2008
Disponible sur Internet le
23 avril 2008
Mots cles :
Crampes musculaires essentielles
Sujet age
Motoneurone
Quinine
Keywords:
Primary muscle cramps
Elderly
Motoneuron
Quinine
r e s u m e
Les crampes musculaires essentielles autrement dit sans cause apparente, symptome en
apparence banal, sont d’une extreme frequence en particulier la nuit chez le sujet age. Elles
sont a separer des crampes secondaires survenant dans des conditions assez diverses. Elles
doivent etre egalement differenciees des nombreuses douleurs musculaires abusivement
etiquetees crampes (n’ayant pas le caractere specifique de contraction musculaire brutale et
involontaire entraınant un durcissement douloureux palpable et accompagne de decharges
repetitives des unites motrices sur l’electromyogramme). La physiopathologie qui a ete
l’objet de nombreuses theories, paraıt logiquement se rattacher a un point de depart dans la
portion distale du motoneurone. Le diagnostic differentiel se pose avec des formes benignes
et surtout malignes comme la sclerose laterale amyotrophique. La therapeutique physique
peut etre adjuvante. Il n’existe pas de traitement medicamenteux efficace autre que la
quinine dont l’action, malgre quelques inconvenients le plus souvent mineurs si on respecte
la posologie, s’avere efficace dans les etudes recemment controlees.
# 2008 Publie par Elsevier Masson SAS.
a b s t r a c t
Primary muscle cramps, without known cause, are very frequent especially in the elderly
and during the night. They are different from secondary cramps. Likewise they are to be
separated from several syndromes erroneously quoted as cramps. The pathophysiological
mechanism seems due to result from an initial dysfunction in the distal part of the
motoneuron. When the cramps are severe, differential diagnosis with amyotrophic lateral
cult. Quinine is the best empiric treatment largely used in spite of
.
sclerosis may be diffi
moderate side effects
# 2008 Publie par Elsevier Masson SAS.
Les crampes musculaires, symptome en apparence d’une
extreme banalite, sont definies cliniquement par une contrac-
tion involontaire brutale et douloureuse d’un segment de
muscle, d’un muscle ou de plusieurs muscles durant quelques
Adresse e-mail [email protected]/$ – see front matter # 2008 Publie par Elsevier Masson SAdoi:10.1016/j.neurol.2008.02.042
secondes a quelques minutes, accompagnee d’un durcisse-
ment intramusculaire focal palpable pouvant entraıner un
raccourcissement. L’etirement du muscle ou la contraction de
son antagoniste amenent souvent un soulagement. La
S.
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traduction electromyographique de la contraction involon-
taire est une decharge repetitive a haute frequence (200 a
300 Hz) de potentiels d’unites motrices. Le nombre d’unites
motrices activees augmente progressivement lors de la
crampe, s’etend a des regions de plus en plus etendues du
muscle, puis est suivie d’une decharge irreguliere precedant la
fin de la crampe et le retour par trace electrique a la normale.
Une crampe essentielle, encore dite benigne ou sans cause
apparente ou commune, doit etre differenciee d’une crampe
secondaire, elle-meme consecutive a des causes variees soit
benignes, soit severes, l’exemple le plus frequent et le plus
grave etant celui de la sclerose laterale amyotrophique. Bien
que les crampes soient un phenomene douloureux en
apparence banal, leur mecanisme reste incertain ou
complexe, leur frequence tres importante en particulier chez
le sujet age (Abdulla et al., 1999 ; Miller et Layzer, 2005), avec
des degres d’intensite variable, leur therapeutique limitee.
Elles sont particulierement observees dans le troisieme
trimestre de la grossesse au cours de laquelle, malgre l’usage,
il est impropre de les considerer comme essentielles (Simchak
et Pascuzzi, 1991).
1. Nomenclature : crampes et etats deraccourcissement musculaire
L’appellation de crampe, phenomene moteur et sensitif doit
etre stricte, correspondant a la definition precedente : cepen-
dant, elle n’est souvent pas respectee et le terme de crampe est
applique a des etats tres differents les uns des autres.
Doivent etre eliminees du cadre des crampes authentiques
(Serratrice et Rowland, 1999) :
� le
s myalgies pures, tres frequentes, de la douleur musculairesimple a la « polymyalgia rheumatica » ou pseudopolyarth-
rite rhizomelique et aux myalgies sans substratum
anatomique ;
� le
s spasmes musculaires, contractions involontaires habi-tuellement dues a une activite nerveuse comme le spasme
hyperalgique du syndrome de l’homme raide ;
� le
s mal nommees « crampes professionnelles », dontl’exemple le plus courant est la crampe des ecrivains, qui
sont des dystonies ;
� le
s crampes d’effort, egalement mal nommees car nes’accompagnant jamais d’activite electrique. Il s’agit en fait
de contractures musculaires liees le plus souvent a un
trouble du metabolisme glycolytique, illustrees par la
maladie de Mac Ardle due a un deficit en phosphorylase
musculaire ;
� le
s contractures antalgiques au cours desquelles la douleurprecede habituellement la rigidite musculaire cette derniere
ayant pour effet de bloquer la douleur par le mecanisme
d’un reflexe nociceptif, les contractures rachidiennes etant
les plus frequentes ;
� e
nfin, les appellations de myogelose, points gachettes,cordons palpables, zones indurees, zones nodulaires,
fibromyosites sont des termes dont l’utilisation n’est pas
justifiee. Ils tendent a definir un etat douloureux des
muscles qui sont cependant normaux cliniquement, mais
aussi du point de vue electromyographique et biopsique. Ces
termes qui ne reposent sur aucun substratum prouve
s’appliquent souvent a des etats psychogeniques et sont
totalement independants des crampes essentielles.
Malgre cette recherche d’une nomenclature stricte, restent
des etats de crampes vraies associees a d’autres symptomes, le
plus representatif etant le syndrome crampe – fasciculations
benignes, forme de transition qui ne doit pas conserver sa
place parmi les crampes essentielles.
2. Physiopathologie des crampes musculairesessentielles
La physiopathologie des crampes est mal connue (Rowland,
1985), en particulier leur point de depart topographique. Il est
interessant de rappeler que de longue date (Jansen et al., 1990),
diverses theories ont ete avancees, afin de tenter d’expliquer
ce symptome en apparence banal.
Un desordre psychosomatique a ete initialement suspecte
(Holmes, 1951), incriminant un terrain anxieux, insatisfait
avec sentiment d’humiliation et de menace, la crampe ayant la
signification d’un etat d’alerte et de protection vis-a-vis de
l’environnement et s’installant peu a peu dans un cercle
vicieux. D’autres auteurs avaient suspecte des relations
reciproques entre reves, cauchemars et crampes (Vold,
1921 ; Nacke, 1901) et aussi avec l’hysterie (Kehrer, 1923).
Ces hypotheses ne paraissent pas avoir ete confirmees, encore
qu’un facteur anxieux puisse etre favorisant de meme qu’une
insomnie rebelle.
Une origine vasculaire a egalement ete suggeree : etirement
du perimysium obstruant les vaisseaux perforant les fascia,
creant une acidose lactique (Erben, 1928), l’etirement muscu-
laire retablissant la circulation et eliminant l’acide lactique. La
frequence des crampes nocturnes serait ainsi expliquee par
les habitudes d’extension des pieds pendant la nuit, ce qui
raccourcirait les mollets et etirerait les fascia. La stase
veineuse, (Moss et Herrmann, 1947) ou l’etirement des
dilatations variqueuses (Rivlin, 1973) seraient egalement en
cause dans les crampes nocturnes.
Des anomalies posturales modifiant la statique des
membres inferieurs predisposeraient a une fatigue anormale
et a des crampes (Gonce et Delwaide, 1982 ; Perchuk, 1964).
Dans un autre sens, un reflexe segmentaire a point de depart
squelettique (deformations osseuses, arthrites) creerait des
decharges d’influx sur les jonctions myoneurales (Gootnick,
1943). Cette theorie aurait pour interet de rendre compte d’une
part, de la frequence des crampes chez le sujet age dont les
lesions osseuses degeneratives sont frequentes, en particulier
pour les membres inferieurs et d’autre part, de la predomi-
nance nocturne, la contraction diurne intermittente des
mollets maintenant un certain degre de tonus disparaissant
lors du decubitus (Nicholson et Falk, 1945).
Une origine musculaire pure fut suggeree par Strumpell
(1921) qui comparait les crampes a de violentes coliques issues
non pas des contractions des myofibrilles, mais du sarco-
plasme. Par la suite, des anomalies metaboliques ont ete
invoquees sur la base des frequentes crampes des dialyses
(Chillar et Desforges, 1972). Mais cela ne concerne pas les
crampes essentielles.
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Le tonus musculaire lui-meme, qui normalement disparaıt
pendant le sommeil, ne paraıt pas intervenir directement dans
la production des crampes et l’intervention directe du fuseau
neuromusculaire dans celles-ci n’a pas ete prouvee. Les
fuseaux sont des sortes de ressorts dont les extremites se
contractent sous l’effet des motoneurones gamma ce qui
stimule les terminaisons nerveuses sensitives (fibres IA pour
les fuseaux a sac nucleaire articules avec les neurones alpha
toniques de la moelle, fibres II pour les fuseaux a chaınes
nucleaires articules par voie polysynaptique avec les neurones
alpha toniques qui sont ainsi sous un controle continu et
innervent les fibres musculaires a fonction tonique). Les
motoneurones alphatoniques sont adaptes a la posture. On a
invoque leur bistabilite (Baldissera et al., 1994) par stimulation
des afferences IA (en dessous du seuil des afferences motrices)
creant crampes et myokimies ulterieurement arretees par
stimulation des afferences inhibitrices. L’organe tendineux de
Golgi a un effet inhibiteur par l’intermediaire des fibres IIB qui
modulent les effets precedents ce qui aurait pu expliquer que
l’abolition de la crampe par etirement serait due a la mise en
jeu des afferences inhibitrices nees dans l’organe de Golgi et
venant inhiber le motoneurone. Toutefois, ce systeme
intramusculaire et regulateur, n’a jamais ete prouve comme
intervenant dans les crampes musculaires. En particulier,
l’etirement de l’organe tendineux de Golgi n’a pas ete retenu.
Si le siege intramusculaire de l’origine des crampes paraıt
peu probable, divers arguments sont en faveur de la naissance
des decharges spontanees dans le nerf moteur : experimen-
talement, le declenchement des crampes par stimulation du
motoneurone (Lanari et al., 1973) ; cliniquement, une lesion
musculaire pure, au contraire d’une lesion du nerf periphe-
rique, ne s’accompagne pas de crampes ; du point de vue
electromyographique, les decharges spontanees de potentiels
d’unite motrice a haute frequence sont caracteristiques d’une
activite nerveuse et non musculaire ; il en est de meme pour
les fasciculations de point de depart commun aux crampes qui
sont souvent presentes sur le trace en debut et en fin de
crampes. Il apparaıt ainsi indiscutable que le point de depart
de la crampe se situe dans le motoneurone peripherique.
Reste a determiner si le siege initial se situe dans la portion
proximale, plus specialement dans la corne anterieure de la
moelle epiniere ou au contraire dans la portion distale du
motoneurone. Une origine proximale, dans le perikaryon du
motoneurone, a naguere ete consideree comme possible
(Norris et al., 1957), ne serait ce que par analogie avec les
crampes secondaires de la sclerose laterale amyotrophique ou
du syndrome de Kennedy. Un argument etait que la sedation
obtenue par contraction des antagonistes s’expliquait par un
reflexe spinal inhibiteur. Le role des interneurones GABAergi-
ques a ete soupconne au cours d’atteintes de la corne
anterieure de la moelle (sclerose laterale amyotrophique et
syndrome de Kennedy en raison de la sedation des crampes
sous l’effet des agonistes du GABA A (diazepam) dont les
recepteurs se situent dans les lames I–X de la corne anterieure
et des agonistes du GABA B (baclofene) dont les recepteurs se
situent dans les lames I–IV de la corne anterieure).
Du fait que la crampe persiste pendant le sommeil,
l’anesthesie generale ou spinale et le blocage du tronc
nerveux, une origine peripherique soupconnee de longue date
paraıt plus probable (Layzer, 1980). Cette hypothese fut en effet
initialement proposee par Wernicke, 1904 qui decrit la
« crampus neurosis » survenant au mouvement passif ou
actif, bloquant la respiration. Il invoquait un reflexe spinal
declenche par l’irritation des terminaisons sensitives intra-
musculaires, parfois favorise par des toxiques. L’examen
electrophysiologique de ses patients le conduisit a decrire un
etat « subneuritique ». Bittorf (1910) se rattache egalement a
une atteinte des terminaisons du motoneurone, alors que
Klimke (1936) suggere une stimulation excessive du systeme
nerveux sympathique, hypothese qui n’a jamais fait sa preuve.
Ce sont surtout Denny-Brown et Foley (1985) qui montrent les
relations entre crampes et fasciculations, ces dernieres etant
presentes en debut de crampes et devenant des potentiels de
haute frequence. Ils estiment que l’activite naıt probablement
d’une excitabilite anormale et de la propagation spontanee des
influx a partir des terminaisons distales du motoneurone,
diffusant aux portions adjacentes des muscles. Les fascicu-
lations sont de forme variable selon que leur origine est
proximale ou distale. Ces donnees sont definitives selon
Lambert (1968) qui fait naıtre des crampes par stimulation
distale a un bloc nerveux peripherique, ce qui est ulterieure-
ment confirme par Bertolasi et al. (1993). Ces auteurs
provoquent des crampes par stimulation du nerf a haute
frequence, meme apres bloc distal. La crampe n’est induite
qu’apres un certain seuil de stimulation. Inversement l’etire-
ment musculaire arrete la crampe meme apres bloc, ce qui
elimine un reflexe spinal et montre qu’il s’agit d’un effet
peripherique.
Une activite des terminaisons axonales pouvant creer des
fasciculations peut etre determinee par la deshydratation qui
rapprochant les terminaisons, favoriserait une activite elec-
trique ectopique. De meme, l’ischemie apparaissant lors de la
crampe augmenterait egalement cette activite electrique en
liberant des ions et de l’acetylcholine (Hong et al., 1977).
Inversement cela pourrait rendre compte des effets de
l’etirement qui ameliorerait le flux sanguin et separerait les
foyers ectopiques.
L’explication de la douleur particuliere qui accompagne la
contraction du muscle dans lequel siege la crampe a ete
diversement concue. Les hypotheses anciennes comme
l’irritation des racines anterieures soutenue par Brown
Sequard ou l’excitation des fibres sensitives proposee par
Vulpian ne reposent pas sur des bases precises. L’etude
experimentale des fibres amyeliniques cutanees (Collins et al.,
1960) a montre que la douleur est provoquee par la stimulation
des fibres les plus fines A delta, puis C en particulier. Pour les
afferences amyeliniques musculaires (Serratrice et al., 1980)
deux types de recepteurs sont en presence, les recepteurs
nociceptifs, pour la plupart polymodaux et les recepteurs
« silencieux » dont le role dans le muscle est mal connu. Le flux
sanguin etudie apres injection de Xenon 133 se modifie apres
activation chimique des afferences III et IV musculaires. Cela
s’ajoute a un effet de facilitation des motoneurones par les
afferences de petit calibre. Une application pourrait en
decouler dans l’interpretation de certaines crampes muscu-
laires. Le role des fibres C (fibres IV) paraıt particulierement
important (Tableau 1).
Sous l’effet de la liberation de substances algogenes (KCl,
lactates), les fibres IV stimulees facilitent les motoneurones
homonymes ce qui est a l’origine d’une contraction soutenue.
Tableau 1 – Role des fibres C dans les crampesmusculaires : le cercle vicieux des crampesRole of C fiber in muscular cramps: the vicious circle ofcramps
Facilitation des motoneurones alpha par les fibres C (fibres IV),
elles-memes stimulees par les polypeptides algogenes (KCl,
lactates)
Contraction musculaire soutenue consommant de l’ATP
L’epuisement de l’ATP cree une contracture silencieuse
L’effet de la contraction musculaire est celui d’un garrot interne a
l’origine d’une ischemie
Liberation des polypeptides algogenes KCl et lactates stimulant les
fibres C, ce qui cree un cercle vicieux
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Celle-ci consomme de l’ATP dont l’epuisement est a l’origine
d’une contracture silencieuse. Mais elle est aussi a l’origine
d’un effet de garrot interne dont la consequence est une
ischemie et la liberation des memes substances (KCI ou
lactates), donc d’une sorte de cercle vicieux pouvant etre a
l’origine des crampes. Ainsi, l’etude des fibres amyeliniques
cutanees et musculaires, si elle confirme leur fonction
nociceptive, apporte cependant quelques nuances a la theorie
de la « porte » et suggere manifestement une fonction non
nociceptive a seuil bas. Cette fonction qui est mieux connue
pour les visceres (Serratrice et al., 1978), s’applique vraisem-
blablement a la peau pour des thermo- et des mecanorecep-
teurs a seuil bas et aussi au muscle dans des regulations
segmentaires a la fois motrices et vasculaires.
3. Semiologie des crampes essentielles
Les crampes essentielles, crampes vraies, sans cause appa-
rente surviennent a tout age, chez les adolescents (Nicholson
et Falk, 1945) et plus particulierement chez les sujets ages
(Abdulla et al., 1999 ; Naylor et Young, 1994 ; Oboler et al., 1991 ;
Butler et al., 2002) chez lesquels il s’agit tres souvent de
crampes nocturnes. Les crampes apparaissent ainsi au repos,
eveillent le patient, siegent sur les muscles du mollet, parfois
des pieds et de la racine des membres inferieurs en particulier
les adducteurs. La douleur est insupportable, a type de
broiement. La contraction violente entraıne un durcissement
du muscle qui se tend et devient d’une durete ligneuse. Cette
diminution de volume se fait sous forme d’un creusage du
muscle, formant une veritable fossette profonde a bords
reguliers ou encore d’une retraction plus ou moins sinueuse de
la peau. L’apparition est soudaine ; si le debut est nocturne, le
muscle peut rester endolori pendant plusieurs heures. Des
crampes violentes peuvent arracher des insertions tendineu-
ses distales et, laissant persister des douleurs permanentes,
sont considerees a tort comme des gonalgies. La palpation des
muscles de la cuisse eveille parfois des douleurs persistantes
et peut evoquer le diagnostic.
Les facteurs de declenchement de la crampe sont mal
connus (Young et al., 1989). Toutefois, certains sont parfois
determines – notamment posturaux. Par exemple une posture
inhabituelle prolongee, accroupissement, abduction des cuis-
ses lors d’un long trajet en motocyclette peuvent etre suivis de
crampes nocturnes dans les territoires etires. Un exercice
nouveau peut egalement declencher des crampes persistant
pendant quelques jours ou quelques semaines. Les crampes
vraies sont a ne pas confondre avec les crampes d’effort
signalees precedemment et imparfaitement nommees puis-
qu’il s’agit de contractures d’exercice sans activite electrique.
Un muscle age peut etre rendu susceptible a des crampes
d’exercice par plusieurs mecanismes : perte moderee de
motoneurones de la corne anterieure de la moelle par le
phenomene anterieurement denomme tephromalacie, dimi-
nution des telomeres, reduction d’activite des cellules
satellites musculaires, rarefaction des capillaires avec ische-
mie, alteration des complexes de la chaıne respiratoire des
mitochondries, foyers ectopiques en relation avec une des-
hydratation locale. Les crampes de la grossesse sont souvent
classees a tort parmi les crampes essentielles puisqu’elles
surviennent dans le troisieme trimestre de la gestation, chez
30 % des femmes et sont dues a une hypo-osmolarite.
Parmi les examens complementaires utiles, le dosage de la
creatine kinase serique doit etre normal ou peu augmente en
cas de crampes essentielles.
L’electromyogramme entrepris lors de la crampe enregistre
la survenue involontaire d’une decharge repetitive de poten-
tiels d’action d’unites motrices pulsant a haute frequence
(superieure a 150 Hz) dans une portion etendue de muscle,
habituellement associee a une contraction musculaire dou-
loureuse. La frequence de la decharge et le nombre de
potentiels d’unite motrice augmentent progressivement lors
du developpement de la crampe, puis se reduisent peu a peu
disparaissant lorsque la crampe cesse. L’electromyogramme
est normal entre les episodes de crampes. Les crampes sont
souvent accompagnees de fasciculations au debut ou dans
leur deroulement.
Une decision delicate, objet de discussions recentes, est
celle de l’indication d’une biopsie musculaire au cours des
myalgies et des crampes. Dans une etude retrospective de 240
patients presentant des douleurs musculaires isolees (dou-
leurs simples, crampes ou les deux), Filosto et al. (2007) ont
releve les chiffres suivants : 19 % de biopsies normales, 80 %
d’anomalies histologiques, mais seulement 20 % aboutissant a
un diagnostic precis et 6 % une myopathie specifique. Cela
montre les limites de la signification de la biopsie musculaire.
Dans le detail, l’etude de Filosto et al. (2007) a montre donc
dans 81 % des cas, des anomalies minimes (variation de taille
des fibres, parfois necrose, noyaux internes, fibres mangees
aux mites), mais parmi celles-ci, des lesions myopathiques
chez huit patients : agregats tubulaires, central core, fibres
lobulees, anomalies des types de fibre. Des anomalies
mitochondriales etaient presentes dans 47 cas. Enfin, un
aspect neurogene (groupement de fibres, fibres anguleuses)
etait constate chez 17 patients. Les auteurs ont separe ces
resultats en quatre groupes : lesions heterogenes dans la
moitie des cas sans anomalie specifique (caveoline, calpaıne,
sarcoglycans notamment) ; anomalies mitochondriales (fibres
rouges dechiquetees, deficit en cytochrome oxydase), mais ne
permettant pas le diagnostic de mitochondriopathie ; aspect
neurogene ; le groupe le plus significatif etant celui des peu
nombreuses myopathies metaboliques.
Ainsi, la decision d’une biopsie musculaire est
« douloureuse » (a painful decision, Kissel, 2007), car il est
difficile de savoir a l’avance si elle sera informative. Nean-
moins, il paraıt logique d’entreprendre cet examen chez des
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sujets particulierement genes par des crampes qui ne font pas
leur preuve et qui constituent un handicap dans la vie
courante, en sachant qu’en cas de negativite on en reviendra
au diagnostic de crampes essentielles et a un traitement
purement symptomatique.
L’evolution des crampes essentielles est mal connue. Chez
le sujet jeune, chez lequel elles sont souvent secondaires a un
exercice inhabituel de par la position qu’il entraıne ou en
raison de sa duree prolongee, les crampes cessent en general
apres quelques jours de repos. Chez le sujet age, les crampes
surviennent parfois par periodes et sont mal ressenties par le
patient. Le declenchement de ces periodes peut etre favorise
par un desequilibre alimentaire, une fatigue inexpliquee ou un
facteur nerveux, les relations avec le sommeil etant signalees
precedemment.
On ne connaıt pas d’etudes a long terme sur l’evolution des
crampes essentielles, en particulier par l’analyse de cohortes.
D’une maniere generale, les crampes benignes deviennent
rarement invalidantes et permettent une activite physique
normale. Elles n’ont pas de relation avec les contractures
d’effort.
Il va de soi que la severite des crampes est variable et que
cette variabilite doit guider la therapeutique. Des crampes
n’interferant pas avec les activites ou avec le sommeil ne
justifient pas de traitement medicamenteux, de meme que des
crampes a l’exercice n’ayant pas d’autre retentissement. En
revanche, des crampes continues limitant les activites
journalieres et entraınant des troubles du sommeil justifient
des explorations et un traitement.
La rare « maladie des crampes » est un veritable etat de mal
survenant chez les hommes adultes apres un episode de
surmenage. Les crampes a debut insidieux, puis evoluant par
acces subsistants, sont localisees aux membres inferieurs et a
la paroi abdominale et evoluent pendant plusieurs mois ou
plusieurs annees. Elles s’accompagnent parfois de signes
neuropathiques frustes : paresthesies, hyporeflexie.
Le syndrome de Satoyoshi, egalement rare, associe
des spasmes musculaires douloureux (dont le caractere
de crampe est incertain) remontant a l’enfance, des
anomalies osseuses avec destruction epiphysaire, une
diarrhee avec malabsorption intestinale, une amenorrhee
et une alopecie. Les crampes intermittentes sont groupees
en acces, d’abord sur les membres, puis diffus, creant un
opisthotonos. Elles sont declenchees par stimulation elec-
trique, sauf si celle-ci est distale apres bloc nerveux.
L’origine serait une hyperexcitabilite du motoneurone. Le
diazepam est sans effet. L’association de phenytoıne, de
quinine et de chlorpromazine est active. Une origine
immunologique est possible et une amelioration a ete
rapportee chez certains cas traites par tacrolimus et
corticosteroıdes (Endo et al., 2003).
Les formes hereditaires de crampes generalisees de
transmission autosomique dominante (Ricker et Mosley,
1990) sont connues avec des crampes severes debutant dans
l’adolescence (Hanson et Mincy, 1975). Parfois les crampes ont
une predominance distale (Jusic et al., 1972). Le taux de
creatine kinase est moderement eleve. L’electromyogramme
est plutot de type neurogene ; mais, dans une famille, la
biopsie musculaire etait de type myopathique (Hanson et
Mincy, 1975).
4. Diagnostic differentiel : les crampessecondaires
Il est essentiel de reconnaıtre les crampes secondaires, en
particulier celles revelatrices d’affections severes comme la
sclerose laterale amyotrophique au cours de laquelle les
crampes sont souvent inaugurales, souvent diffuses, surtout
chez le sujet age puis disparaissent peu a peu avec l’evolution.
Elles ont ete classees par Eymard (2007).
4.1. Crampes diffuses par atteinte du neurone moteur
Le syndrome crampes-fasciculations benignes entre dans le
cadre des hyperexcitabilites neuromusculaires et, comme la
crampe essentielle, releve d’une origine distale, mais en
differe par un mecanisme dysimmun.
Le syndrome crampes-fasciculations benignes (Recordier
et Serratrice, 1964 ; Hudson et al., 1978 ; Tahmoush et al., 1991 ;
Lagueny, 2005) est fait de douleurs et de crampes, localisees
aux muscles inferieurs, exacerbees par l’exercice avec
fasciculations et myokimies (Denny-Brown et Foley, 1948).
Une hyperexcitabilite nerveuse s’accompagne d’after dischar-
ges sur l’electromyogramme (decharges suivant la stimulation
nerveuse), sans activite veritablement continue des unites
motrices. La carbamazepine les ameliore partiellement. La
benignite de l’evolution est de regle.
Ces formes different des fasciculations isolees avec electro-
myogramme normal, evoluant sur un terrain anxieux, plus
souvent chez l’homme adulte, (11 fois sur 12) a un age moyen de
46,3 ans (Serratrice et al., 2004). Elles doivent surtout etre
distinguees de la sclerose laterale amyotrophique debutante
d’evolutionulterieure gravissime(Eisenetal., 1992 ;DeCarvalho
et Swash, 2004). Le diagnostic est ainsi primordial et diverses
methodesanalysees par Lagueny (2005) tententd’aboutir a cette
separation. Notamment la frequence de decharges elevees et la
forme stable des potentiels s’opposent a la frequence moindre
et a l’instabilite des potentiels dans les muscles deficitaires de la
sclerose laterale amyotrophique. Recemment encore, plusieurs
travaux methodologiques ont ete publies dans ce sens : Miller et
Kenneth, 2007 soulignent la valeur de la stimulation electrique
et proposent un protocole reduisant les douleurs provoquees
par l’examen ; Harrison et Benatar, 2007 utilisent egalement la
stimulationnerveuse repetitive dunerf tibial ; Kleine et al. (2007)
preconisent l’electromyographie de surface a haute densite, en
analysant les intervalles entre les diverses decharges, poten-
tiels et fasciculations, doublets, multiplets.
Le syndrome crampes-fasciculations benignes est a ratta-
cher a une canalopathie potassique. Il est le degre le plus benin
des hyperexcitabilites neuromusculaires improprement
denommees neuromyotonies dont les varietes d’intensite
progressive sont les formes pseudomyotoniques avec contrac-
tures distales paroxystiques (tetanie normo calcemique avec
spasmes carpopedieux et meme larynges), les formes rigides
avec contracture permanente (chevalier en armure) et surtout,
celles avec manifestations centrales (insomnie majeure,
hallucinations, confusions, delire, dysautonomie evoluant
vers la mort) correspondant a la choree fibrillaire de Morvan.
La physiopathologie commune a ces formes d’hyperexcitabi-
lite neuromusculaire est une canalopathie potassique
auto-immune due a un blocage des canaux potassium
r e v u e n e u r o l o g i q u e 1 6 4 ( 2 0 0 8 ) 4 1 6 – 4 2 5 421
voltage-dependant par des autoanticorps (Newsom-Davis et
Mills, 1993).
Ainsi, le syndrome crampes-fasciculations benignes
occupe une place strategique, parfois difficile a determiner,
en etant soit d’evolution benigne, soit en s’integrant dans des
formes plus importantes d’hyperexcitabilite neuromusculaire
et de neuromyotonie, soit en marquant le debut d’une sclerose
laterale amyotrophique d’issue rapidement fatale.
Soupconner une sclerose laterale amyotrophique devant
un tableau de crampes musculaires est un acte grave. Les
elements pouvant attirer l’attention sont l’importance des
crampes qui s’attenueront peu a peu avec l’evolution, la
diffusion des fasciculations notamment a la langue et
progressivement une faiblesse et une amyotrophie d’un
membre superieur, une participation bulbaire, la rapidite de
l’aggravation. L’electromyogramme montre la diffusion des
traces de denervation au moins dans trois territoires bulbaires
et spinaux.
Une autre forme, bulbospinale beaucoup moins grave, le
syndrome de Kennedy lie a l’X comporte des crampes,
d’importantes fasciculations, un tremblement d’attitude,
une gynecomastie et un deficit proximal. Il est en rapport
avec une mutation du gene des recepteurs aux androgenes.
Le syndrome postpolio comporte parfois des crampes et
des fasciculations sans gravite par dysfonctionnement mineur
du motoneurone.
4.2. Crampes localisees a un territoire radiculaire ouplexique
Ces crampes localisees a un territoire radiculaire (sciatique,
nevralgies cervico-brachiales) sont associees a des douleurs a
type de decharge electrique, troubles sensitifs, areflexie,
parfois fasciculations. Les crampes d’origine plexique, surtout
mecaniques ou postradiques, s’accompagnent souvent de
myokimies.
4.3. Crampes des neuropathies peripheriques
Carentielles ou diabetiques, elles portent sur les mollets et
s’accompagnent de troubles sensitifs et reflexes.
4.4. Crampes localisees et isolees
Frequentes, elles ne sont pas pathologiques et portent surtout
sur les mollets sans atteinte du motoneurone ; elles sont
souvent declenchees par la grossesse, la fatigue en particulier
la natation, la deshydratation, le froid et certaines postures.
Les derives quininiques les ameliorent (Eymard, 2007).
4.5. Crampes d’origine medicamenteuse ou toxique
Les anticholinesterasiques et la 3-4 diaminopyridine, creent
une hyperexcitabilite de l’unite motrice par accumulation
d’acetylcholine dans la jonction neuromusculaire. Les
modifications sodique et potassique des diuretiques, des
laxatifs, des corticoıdes sont egalement en cause de meme
que les organophosphores inhibant l’acetylcholinesterase et
certains venins de serpent declenchant des crampes avec
fasciculations.
4.6. Crampes des affections endocriniennes
Il s’agit surtout de l’hypothyroıdie avec crampes et elevation
du taux de creatine kinase serique, souvent enraidissement
douloureux, myo-œdeme. Les crampes sont frequentes
egalement dans l’insuffisance surrenale avec hyperkaliemie
et hyponatremie.
La maladie de Flier, de transmission autosomique reces-
sive, est caracterisee par des crampes et des myalgies de
longue duree associees a un acanthosis nigricans et a une
hypertrophie des extremites. La maladie est due a un
hyperinsulinisme par anomalie des recepteurs.
4.7. Crampes de l’intolerance a l’effort
Elles constituent un groupe particulier (Ziltener et Leal, 2006)
deja ecartees du cadre des crampes vraies dans le paragraphe
de nomenclature. Les plus connues sont les crampes des
glycogenoses musculaires au premier rang desquelles, le
deficit en phosphorylase (maladie de Mc Ardle). Debutant dans
l’enfance ou l’adolescence lors d’un effort bref, precedees de
douleurs, elles sont dues a un blocage energetique secondaire
a l’absence de degradation du glycogene. Le phenomene du
second souffle est classique, mais relativement rare, du au
relais metabolique qui constitue l’oxydation des graisses. Le
taux de creatine kinase serique est eleve. L’acide lactique ne
s’eleve pas a l’effort. La biopsie musculaire montre une
accumulation de glycogene et l’absence de phosphorylase.
Certaines dystrophies musculaires genetiques a forme pseudo
metabolique sont revelees par des crampes d’effort, en
particulier les dystrophinopathies, par une elevation du taux
de creatine kinase, associee a des discrets signes cliniques et
surtout a des anomalies de la biopsie musculaire. Des crampes
peuvent egalement survenir au cours de certaines formes de
myopathies avec agregats tubulaires, du syndrome de Brody et
dans une forme localisee de certains syndromes de loge.
4.8. Crampes survenant dans un tableau de contracturesmusculaires
Elles surviennent notamment lors du retard de relaxation
myotonique, dans certaines canalopathies sodium (paramyo-
tonie congenitale) ou du chlore (myotonie congenitale), dans le
syndrome de l’homme raide (spasmes et crampes hyper-
douloureuses sur un fond de contracture permanente par
hyperexcitabilite neuronale induite par des anticorps anti-
GAD) et aussi dans le tetanos ou des crampes douloureuses du
dos et de l’abdomen precedent une contracture diffuse avec
trismus.
Le rippling muscle syndrome qui pourrait se traduire par
« ondulations musculaires », comporte des crampes et des
myalgies, mais est surtout caracterise par des sortes d’inden-
tations declenchees par la percussion et traversant le muscle.
Le silence electrique est habituel. La transmission, auto-
somique dominante, est liee a une mutation du gene de la
caveoline-3.
Ainsi, si la crampe est un symptome tres banal, le plus
souvent sans signification pathologique (Eymard, 2007), elle
peut reveler une affection neuromusculaire grave qu’il est
indispensable de diagnostiquer.
Tableau 2 – Therapeutique des crampes essentiellesTreatment of primary muscle cramps
Symptomatique
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Les donnees precedentes sont schematisees dans un arbre
decisionnel simple (Fig. 1) resumant les situations les plus
frequentes et la conduite a tenir devant des crampes.
Etirement du muscleQuinine
Principe actif ayant fait l’objet du plus grand nombre d’etudes
dans les crampes essentielles
Posologie recommandee : 160 a 480 mg par jour, a reduire ou
arreter selon l’amelioration
Efficacite superieure au placebo
Autres traitements pharmacologiques
Anticonvulsivants, toxine botulique, verapamil. . .
Une crampe isolee ne justifie pas de traitement
5. Traitement des crampes essentielles
5.1. Traitement symptomatique
Il est surtout fait de methodes physiques empiriques etirant
le muscle et activant les antagonistes (Daniell, 1979). La
station debout est parfois utile pour calmer une crampe
nocturne. Parfois, l’etirement preventif des mollets dans la
journee previent les crampes du coucher. L’utilisation de
gouttieres pendant la nuit peut empecher l’extension passive
des mollets. Ces methodes simples sont preconisees par
certains, afin de retarder le traitement medicamenteux
(Tableau 2).
5.2. La quinine
Les premiers benefices de la quinine sur les crampes
musculaires ont ete mis en evidence au cours des annees
1930 par Wolf (1936) qui avait constate un soulagement de la
douleur sous quinine chez des patients atteints de dystrophie
myotonique. Se basant sur ces observations, Moss et Herr-
mann en 1940 ont ete les premiers a mettre en evidence le
benefice de la quinine chez des patients presentant des
crampes musculaires nocturnes. Par la suite, de nombreuses
etudes cliniques ont permis de conforter l’interet de la quinine
dans les crampes musculaires essentielles.
La quinine a pour effet de diminuer l’excitabilite de la
plaque motrice apres stimulation nerveuse et son action est
apparue efficace des les premiers essais (Moss et Herrmann,
1940). La quinine est rapidement absorbee par voie digestive.
Le pic de concentration est obtenu en une a trois heures. La
quinine plasmatique est presque entierement liee aux pro-
teines. Elle est transformee par le foie en metabolite inactif,
Fig. 1 – Demarche diagnostique devant une crampe.
Diagnostic approach in patients with cramps.
puis est eliminee par les urines et disparaıt en 24 heures apres
arret du traitement.
Deux meta-analyses ont evalue l’efficacite de la quinine
dans les crampes nocturnes des sujets ages. La premiere
(Man-Son-Hing et Wells, 1995) a reuni 107 patients ambu-
latoires a partir de six etudes randomisees en double insu,
avec le but de determiner si la quinine etait superieure au
placebo, ce qui n’avait pas ete etabli anterieurement. Il
est apparu que la quinine diminuait le nombre des crampes
nocturnes des membres inferieurs et reduisait egalement le
nombre de nuits pendant lesquelles surviennent les cram-
pes. En revanche, il n’etait pas observe d’effet sur la duree
ou l’intensite d’une crampe constituee. Dans une meta-
analyse ulterieure, Man-Son-Hing et al. (1998) ont reuni
659 patients ambulatoires, presentant regulierement des
crampes des membres inferieurs. Ils ont confirme l’efficacite
de la quinine dans la prevention des crampes essentielles,
avec toutefois une relative moindre frequence que dans la
premiere etude. Par ailleurs, ils ont signale l’eventualite de
bourdonnements d’oreille desagreables pour le patient.
Dans leur conclusion, ils conseillent d’entreprendre en
premiere intention un etirement passif regulier des muscles
siege de crampes (Daniell, 1979) et, si la qualite de vie reste
r e v u e n e u r o l o g i q u e 1 6 4 ( 2 0 0 8 ) 4 1 6 – 4 2 5 423
affectee, d’utiliser alors la quinine pendant au moins quatre
semaines.
Une etude controlee en double insu de Jansen et al. (1997) a
ete menee aupres de 102 patients recevant soit 300 mg
d’hydroquinine (n = 49), soit un placebo (n = 53). Soixante-cinq
pourcent des patients du groupe traite pendant deux semaines
ont presente une reduction d’au moins 50 % du nombre de
crampes contre seulement 19 % dans le groupe placebo. Ici
encore il n’a pas ete observe d’action sur la duree ou la severite
de la crampe constituee. De plus, existait un after effect apres
arret du traitement pouvant durer plusieurs mois. Les effets
secondaires etaient mineurs. Ces auteurs ont conclu a l’utilite
du traitement preventif et curatif des crampes essentielles par
la quinine.
Plus recemment, l’etude de Diener et al. (2002) a inclus 98
patients, ages de 18 a 70 ans, ayant presente plus de six
crampes au cours des deux semaines precedant l’entree dans
l’etude. Une superiorite de la quinine (400 mg par jour) par
rapport au placebo a ete mise en evidence sur la diminution du
nombre de crampes et le nombre de jours sans crampes.
Au total l’efficacite de la quinine sur les crampes
essentielles apparaıt indiscutable, meme si des inconvenients
moderes sont possibles, comme la survenue d’acouphenes.
En pratique, les doses de quinine recommandees dans la
prise en charge des crampes musculaires (Beyens et al., 1999)
se situent entre 160 et 480 mg par jour, sans depasser
environ un quart de la dose utilisee dans le traitement du
paludisme.
Certains effets indesirables des traitements a base de
quinine (Beyens et al., 1999) sont des reactions d’hypersensi-
bilite independantes du dosage : reactions cutanees (prurit,
erytheme, purpura, photosensibilisation et parfois reactions
anaphylactiques), reactions hematologiques (thrombopenies
favorisees par les boissons « toniques » et exceptionnellement
pancytopenies), coagulation intravasculaire disseminee rare-
ment hepatite granulomateuse ou hypoglycemie. Des troubles
psychotiques ont egalement ete rapportes.
Le cinchonisme est la denomination des effets toxiques du
sulfate de quinine (du nom de l’arbre « cinchona » dont la
quinine est derivee). Les signes apparaissent surtout au-dela
de 500 mg par jour. Les symptomes sont des troubles visuels
(amblyopie, diplopie, hemeralopie transitoire) et auditifs
egalement transitoires (hypoacousie, bourdonnement), des
vertiges, des troubles digestifs (nausees, vomissements,
diarrhee), de la fievre. A tres fortes doses, au-dela de
10 mg/l, des spasmes de l’artere centrale de la retine, une
cecite permanente ont ete signalees (Boland et al., 1985 ;
Prasad et al., 2003). Une thrombocytopenie a ete observee
(Reddy et al., 2004), ainsi qu’une interaction avec la warfarine.
Au-dela de 3 g par voie orale en une seule prise, une
depression centrale et des crises convulsives d’evolution
fatale peuvent se produire.
Malgre leur faible frequence, ces effets ont amene la FDA a
deconseiller en 1995 l’automedication par le sulfate de quinine
dans les crampes musculaires. En France, d’apres une enquete
nationale de pharmacovigilance (menee entre 1985 et 1996),
les patients traites par la quinine pour des crampes muscu-
laires et ayant presente des effets indesirables ont tous connu
une evolution favorable (Beyens et al., 1999). En effet, le
benzoate de quinine commercialise en France dans l’indica-
tion « crampes musculaires essentielles » sous differents noms
de marques, n’est pas accessible en automedication mais
uniquement sur prescription.
5.3. Autres traitements pharmacologiques
Les anticonvulsivants tels que carbamazepine et phenytoıne
sont sans action.
La gabapentine aurait ete efficace chez 30 patients dans un
essai ouvert (Serrao et al., 2000).
La toxine botulique injectee dans le mollet, diminuant la
liberation d’acetylcholine, aurait ete utile dans des cas
familiaux (Bertolasi et al., 1997), mais reste une therapeutique
agressive.
Le verapamil, bloqueur calcique, serait efficace dans les
crampes nocturnes du sujet age (Baltodano et al., 1988).
Les vitamines B et C, le calcium ou le magnesium, n’ont
aucun effet sur les crampes musculaires essentielles.
6. Conclusion
Les crampes musculaires essentielles sont un symptome
frequent, parfois invalidant, particulierement observe chez
le sujet age. Elles ne doivent pas etre confondues avec les
crampes secondaires, surtout dans leurs formes severes
comme la sclerose laterale amyotrophique. Leur physiopa-
thologie, mal connue, pourrait s’expliquer par une sorte de
cercle vicieux faisant intervenir la stimulation des afferences
de type IV par le KCl et les lactates. Leur semiologie doit etre
l’objet d’une etude precise pour laquelle les resultats des
examens complementaires apportent rarement des donnees
utiles. La therapeutique des crampes est limitee : les
etirements musculaires ont leur place, le seul traitement
medicamenteux actif actuellement reconnu etant les sels de
quinine. Du fait de leur frequence et de leur caractere
souvent invalidant, les crampes musculaires essentielles
doivent etre prises en consideration en sante publique et
justifient la poursuite d’etudes physiopathologiques et
therapeutiques.
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