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LES CONTRATS DE GESTION EN BELGIQUE, EXEMPLE D’UNE DEJURIDICISATION 1 Maya MARESCHAL Avocate au barreau de Bruxelles La présente contribution vise à apporter quelques éléments de réflexion dans le cadre du séminaire « l’Etat doit-il être efficace ? ». Il s’agira, ici, d’approcher la question de la déjuridicisation du droit public à travers l’exemple de la contractualisation des rapports entre des organismes publics et leur autorité de tutelle ou entre des entités d’une administration et celle-ci. La présente contribution s’attachera, tout d’abord, à présenter la notion de convention de prestation, telle qu’elle est envisagée en management public (I). Il s’agira, ensuite, d’examiner comment l’autorité fédérale et les entités fédérées ont intégré les conventions de prestation dans leur droit respectif au nom de l’efficacité (II). La question de la nature juridique de cet outil de gestion sera enfin abordée (III) avant de conclure (IV). I. DE L’UNILATERALITE A L’HORIZONTALITE DANS L’ACTION DE L’ADMINISTRATION 1. Classiquement, l’on enseigne que l’action de l’administration a toujours été caractérisée par l’unilatéralité. L’acte unilatéral est l’expression juridique d’un pouvoir permettant à l’autorité de prendre des décisions exécutoires qui produisent directement des effets de droit indépendamment du consentement des particuliers auxquels elles s’appliquent. 2 Cette prérogative d’action unilatérale constitue l’un des privilèges exorbitants par rapport au droit commun dont jouit l’autorité publique, et traduit par là même la nature fondamentalement inégalitaire du droit administratif. L’action unilatérale permet d’imposer des obligations aux particuliers en l’absence de leur consentement et implique, de la sorte, une restriction à la liberté des individus. 3 Ce privilège ne peut, cependant, être exercé de manière purement discrétionnaire. Les pouvoirs octroyés à 1 La contribution qui suit est inspirée de l’étude « La contractualisation au sein de la sécurité sociale - Les dimensions juridiques des contrats d’administration » faite par l’auteur à l’ULB dans le cadre d’un programme de recherche IAU- SPF Sécurité sociale, non publiée à ce jour. 2 FLAMME, M.-A., Droit administratif, t. II, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 331 ; DUPUIS, G., « Définition de l’acte unilatéral », in Hommage à Charles Eisenmann, Paris, Cujas, 1975, p. 206. 3 PÂQUES, M., De l’acte unilatéral au contrat dans l’action administrative, Bruxelles, Story-Scientia, 1991, p. 64.

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LES CONTRATS DE GESTION EN BELGIQUE, EXEMPLE D’UNE

DEJURIDICISATION1

Maya MARESCHAL

Avocate au barreau de Bruxelles

La présente contribution vise à apporter quelques éléments de réflexion dans le cadre du séminaire « l’Etat doit-il être efficace ? ». Il s’agira, ici, d’approcher la question de la déjuridicisation du droit public à travers l’exemple de la contractualisation des rapports entre des organismes publics et leur autorité de tutelle ou entre des entités d’une administration et celle-ci. La présente contribution s’attachera, tout d’abord, à présenter la notion de convention de prestation, telle qu’elle est envisagée en management public (I). Il s’agira, ensuite, d’examiner comment l’autorité fédérale et les entités fédérées ont intégré les conventions de prestation dans leur droit respectif au nom de l’efficacité (II). La question de la nature juridique de cet outil de gestion sera enfin abordée (III) avant de conclure (IV).

I. DE L’UNILATERALITE A L’HORIZONTALITE DANS L’ACTION DE

L’ADMINISTRATION

1. Classiquement, l’on enseigne que l’action de l’administration a toujours été caractérisée par l’unilatéralité. L’acte unilatéral est l’expression juridique d’un pouvoir permettant à l’autorité de prendre des décisions exécutoires qui produisent directement des effets de droit indépendamment du consentement des particuliers auxquels elles s’appliquent.2 Cette prérogative d’action unilatérale constitue l’un des privilèges exorbitants par rapport au droit commun dont jouit l’autorité publique, et traduit par là même la nature fondamentalement inégalitaire du droit administratif. L’action unilatérale permet d’imposer des obligations aux particuliers en l’absence de leur consentement et implique, de la sorte, une restriction à la liberté des individus. 3 Ce privilège ne peut, cependant, être exercé de manière purement discrétionnaire. Les pouvoirs octroyés à

1 La contribution qui suit est inspirée de l’étude « La contractualisation au sein de la sécurité sociale - Les dimensions juridiques des contrats d’administration » faite par l’auteur à l’ULB dans le cadre d’un programme de recherche IAU- SPF Sécurité sociale, non publiée à ce jour. 2 FLAMME, M.-A., Droit administratif, t. II, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 331 ; DUPUIS, G., « Définition de l’acte unilatéral », in Hommage à Charles Eisenmann, Paris, Cujas, 1975, p. 206. 3 PÂQUES, M., De l’acte unilatéral au contrat dans l’action administrative, Bruxelles, Story-Scientia, 1991, p. 64.

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l’autorité publique ne sont pas des droits dont elle peut jouir en toute liberté. 4 L’action de l’administration est, partant, soumise au principe de légalité en vertu duquel l’autorité publique ne peut agir que dans les limites que lui assignent la Constitution et les lois prises en vertu de celle-ci. 5 L’administration doit constamment agir en vue de satisfaire l’intérêt général. 6 2. L’unilatéralité dans l’action administrative n’est, cependant, pas exclusive de toute forme de consensualisme. Depuis quelques temps déjà en effet bon nombre de décisions sont prises par les autorités publiques à la suite de procédures qui associent les sujets concernés, en vue de les consulter ou de recueillir leur adhésion. 7 Cette manière de procéder vise à s’assurer l’efficacité de l’action de l’administration. Les particuliers dont les intérêts auront été pris en considération dans un processus décisionnel seront davantage enclins à accepter la décision qui s’impose à eux. Il peut s’agir de situations dans lesquelles l’administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire d’appréciation et où les particuliers concernés peuvent tenter de la convaincre d’agir dans un sens déterminé. Parfois, certains textes légaux ou réglementaires imposent des concertations, lesquelles constituent alors des formalités substantielles. Ces procédures de concertation et de consultation visent à permettre la prise en compte par l’autorité de l’intérêt des sujets concernés, mais elles n’ôtent pas pour autant à la décision son caractère unilatéral. L’autorité garde, juridiquement, le pouvoir du dernier mot. 8 Si dans certaines procédures l’administration peut être tenue de prendre en compte le résultat de consultations préalables, elle n’est pas contrainte de l’intégrer tel quel dans sa décision. Ces procédures ne produisent aucun effet juridique à l’égard des destinataires de l’acte et ne changent pas la nature de l’acte unilatéral. 3. À côté de ces procédés d’action unilatérale de type consensuel, s’est également développé un mouvement de contractualisation dans l’action de l’administration. L’action administrative se manifeste alors par la conclusion de contrats, de conventions, de protocoles entre les autorités publiques ou entre celles-ci et des acteurs du secteur privé. Ces procédés contractuels constituent un mode de gestion administrative qui se démarque de l’action unilatérale en ce sens que l’échange de consentement entre chacune des parties à l’accord est producteur de droits et d’obligations. 9 Le contrat s’est ainsi développé tant comme outil d’action publique que comme outil de gestion de l’administration.

4 CHEVALLIER, J., « Loi et contrat dans l’action publique », Cahier du Conseil constitutionnel, 2004, n°17. 5 L’article 33 de la Constitution énonce en effet que « Tous les pouvoirs émanent de la Nation. Ils sont

exercés de la manière établie par la Constitution » et l’article 105 précise encore que « le Roi n’a d’autres

pouvoirs que ceux que lui attribuent formellement la Constitution et les lois particulières portes en vertu de la

Constitution ». 6 ANDERSEN, R., « Autorité et contrat dans l’administration moderne en Belgique », Annuaire

européen d’administration publique, 1997, p. 35. 7 QUERTAINMONT, Ph., « Les nouveaux instruments contractuels utilisés par l’Administration et la compétence du juge administratif », T.B.P., 2000, 1, p. 39. 8 ANDERSEN, R., op. cit., p. 36 ; PÂQUES, M., o. c., p. 105. 9 PÂQUES, M., o.c., p. 157.

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Comme outil d’action publique, on peut citer à titre d’exemple, les contrats de programme qui, dès les années 1970, ont permis à l’Etat de bénéficier d’un outil de politique économique d’un nouveau genre. Ces conventions qui visent à programmer l’évolution des prix à court terme constituent de véritables contrats générateurs de droits et d’obligations pour chacune des parties. 10 Dans ce cadre, les entreprises s’engagent, pour la durée du contrat, à faire évoluer leurs prix en fonction des paramètres fixés par voie contractuelle. En contrepartie, le ministre compétent soustrait la partie cocontractante au régime autoritaire auquel elle était précédemment soumise et s’interdit, pour la durée du contrat, de la replacer sous un tel régime. Néanmoins, une possibilité est également accordée au ministre de recouvrer, si l’intérêt général le requiert, son pouvoir d’action unilatérale. 11 Un autre exemple, plus récent, est celui des conventions environnementales. Ces conventions passées entre une Région et des organismes représentatifs d’entreprises ont pour objet de prévenir la pollution de l’environnement, d’en limiter ou neutraliser les effets ou de promouvoir une gestion efficace de l’environnement. 12 Ces conventions sont obligatoires pour chacune des parties, mais la Région conserve le droit de modifier certains éléments en cas d’urgence ou lorsque l’intérêt général le requiert ou encore afin de satisfaire à des obligations de droit international ou européen. 13 4. Parallèlement, le contrat s’est également développé comme outil de gestion de l’administration. Le contrat est en effet de plus en plus utilisé dans le cadre des rapports entre l’Etat, les Communautés et les Régions, d’une part, et les organismes d’intérêt public qui en dépendent, d’autre part. Parmi les exemples les plus fréquents, on peut citer les contrats de gestion conclus entre l’Etat et les entreprises publiques autonomes, entre la Communauté française et la R.T.B.F., entre la Région de Bruxelles-capitale et la STIB ou encore entre la Communauté flamande et la VRT …etc. Ce dernier type de contrat se particularise par son origine conceptuelle. Les contrats de gestion sont, en effet, une application des conventions dites de prestation ou de management dont l’utilisation dans les administrations publiques est promue par les tenants de la Nouvelle Gestion Publique (NGP pour la suite). 14 Il se caractérise par l’introduction de techniques de 10 ANDERSEN, R., La réglementation des prix en droit belge, Bruxelles, Larcier, 1977, spéc. pp. 217 et 275 et s. ; PÂQUES, M., op. cit., p. 361-362 ; M.-A. FLAMME y voit par contre une forme d’action unilatérale avec concertation préalable : « De la réglementation des prix à l’économie dirigée », J.T., 1978, pp. 237 et s. 11 ANDERSEN, R., « Le contrat de programme », R.J.D.A., 1975, p. 241. 12 Ordonnance du 29 avril 2004 de la Région de Bruxelles-Capitale relative aux conventions environnementales, M.B. du 27 mai 2004 ; Décret du 20 décembre 2001 de la Région wallonne relatif aux convention environnementales, M.B. du 6 février 2002 ; Décret du 15 juin 1994 du Parlement flamand relatif aux conventions environnementales, M.B. du 8 juillet 1994. 13 DELGRANGE, X. et DETROUX L., « Les limites constitutionnelles à la privatisation », in sous la dir. de LOMBAERT Bruno, Les partenariats public-privé (PPP) : Un défi pour le droit des services publics, La Charte, Bruxelles, 2005, p.33-85 et spéc. p. 67 ; , BOCKEN, H. et TRAEST, I., Milieubeleidsovereenkomsten :

verslagboek van het colloquium gehouden te Brussel op 14 september 1989 = Conventions sectorielles :

instrument de gestion de l'environnement : compte rendu du colloque tenu à Bruxelles le 14 septembre 1989, Story-Scientia, 1991. 14 BOUCKAERT, G., VERHOEST, K. et DE CORTE, J., « Public sector performance contracting in Belgium and Flanders », Performance Contracting : Lessons from Performance Contracting Case-studies & A

framework for Public Sector Performance Contracting, OCDE-PUMA, Paris, 1999 ; CLUZEL, L., « De la responsabilisation à la responsabilité : l’exemple des contrats de service dans les services publics en France »,

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management en vue de faire évoluer les structures administratives gouvernées par des règles vers un modèle de structures gouvernées par des résultats. 15 Les administrations doivent donc désormais être performantes et être guidées par des objectifs de qualité et d’efficience plus que par le souci de la neutralité et du respect des règles. Dans cette optique, l’organisation administrative wébérienne de l’Etat-providence axée sur le mode centralisé et hiérarchisé est particulièrement condamnée par la NGP. 16 L’obéissance hiérarchique n’est pas considérée comme le meilleur moyen d’atteindre efficacement les objectifs d’une institution. Lorsque le personnel n’adhère pas pleinement au projet de la hiérarchie, il existerait une tendance à la création de pouvoirs parallèles freinant l’exercice du pouvoir hiérarchique officiel. 17 Le seul moyen d’éviter ce phénomène de blocage est l’adhésion du personnel au projet institutionnel. Celui-ci, plutôt que d’être soumis, doit pouvoir participer à la définition de certains objectifs et des moyens pour les atteindre. Il faut ainsi remplacer les relations purement verticales par des liens de types horizontaux permettant la participation. L’évolution vers une administration axée sur les résultats ne peut être réalisée, selon les tenants de la doctrine de la NGP, qu’en instaurant, en outre, une distinction organisationnelle entre, d’une part, la responsabilité politique destinée à fixer les objectifs politiques et, d’autre part, la responsabilité administrative opérationnelle de la réalisation de ces objectifs. 18 En d’autres termes, chacun des acteurs doit voir son rôle précisé et délimité : les acteurs politiques doivent se concentrer sur la détermination de « ce qui doit être fait », tandis que l’administration est chargée de définir « comment cela doit être fait », elle exécute les objectifs stratégiques et gère les décisions opérationnelles. Dans cette optique, l’administration doit se voir accorder une autonomie de gestion tout en étant assurée que le gouvernement n’interfère pas dans ses activités opérationnelles. Cet accroissement d’autonomie peut se faire en interne, par l’instauration d’une déconcentration administrative ou par un renforcement de celle-ci, ou en externe par une décentralisation des services. Afin d’assurer l’effectivité de son autonomie, l’administration doit se voir doter de ressources de gestion et du pouvoir décisionnel nécessaire. En contrepartie, elle devient responsable de la réalisation des objectifs de gestion à atteindre. Les tenants de la NGP insistent sur l’équilibre

P.M.P., vol. 19, mars 2001, n°1, pp. 1 et s. ; POLLIT, Christopher et BOUCKAERT, Geert, Public management

reform. A comparative analysis, Oxford University Press, Oxford, 2000, p. 80 ; REICHARD, Ch., « ‘kontraktmanagement’ Experiences with Internral Management Contracts in German Local Government », Européenan group of public administration, Budapest, 24-28 août 1996 ; TANQUEREL, Th., « Le contrôle du respect des contrats de prestations en Suisse », Contracts, Performance Measurement and Accountability in the

Public Sector, IOS Press, 2005, pp. 115 et s. ; VANCOPPENOLLE, D., LEGRAIN, A., « Le new public management en Belgique : comparaison des réformes en Flandre et en Wallonie », A.P.T., 2003, pp. 112 et s. ; VERHOEST, K., « The Impact of Contractualisation on Control an Accountability in Government-Agency Relations : the case of Flanders (Belgium) », Contracts, Performance Measurement and Accountability in the

Public Sector, IOS Press, 2005, pp. 135 et s. 15 MONKS, J., « La nouvelle gestion publique : boîte à outils ou changement paradigmatique ? », sous la direction de HUFTY, M., La pensée comptable. Etat, néolibéralisme, nouvelle gestion publique, P.U.F., Paris, 1998, pp. 84-85. 16 HUFTY, M., « Aux racines de la pensée comptable », La pensée comptable. Etat, néolibéralisme,

nouvelle gestion publique, P.U.F., Paris, 1998, pp. 19 et 23 et s. 17 MESCHERIAKOFF, A.-S., « Ordre intérieur administratif et contrat », R.F.D.Adm., nov.-déc. 1997, pp. 1133-1134 ; SCHICK, A., « Opportunité, stratégie et tactique pour la réforme de la gestion publique », in OCDE, Construire aujourd’hui l’administration de demain, 2001, pp. 135-165 et spéc. p. 142. 18 Ibidem ; VARONE, F., « De l’irrationalité institutionnelle de la nouvelle gestion publique », sous la direction de HUFTY, M., La pensée comptable. Etat, néolibéralisme, nouvelle gestion publique, P.U.F., Paris, 1998, p. 128.

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entre autonomie et responsabilité : dès lors que les administrations sont responsables de leur travail et de ses conséquences, elles sont supposées travailler avec plus d’efficacité et d’efficience. Le contrat de prestation constitue, selon les tenants de la NGP, la solution permettant d’implémenter les changements préconisés. 19 Cet outil de gestion, établi à la suite d’une négociation entre les responsables politiques et administratifs, permet de mieux définir les missions publiques et les moyens dont disposent l’administration pour atteindre les objectifs fixés par les décideurs politiques. 20 En outre, il permet également d’éviter le danger de la perte de contrôle des unités administratives qui se voient accorder davantage d’autonomie. 21 Plus clairement, la convention de prestation, négociée entre le gouvernement et l’unité administrative, « précise, à l’aide d’indicateurs, la quantité et la qualité de ce que l’unité

s’engage à produire. En retour, elle reçoit un budget global, non plus détaillé poste par

poste, mais forfaitaire. L’unité administrative est libre d’utiliser ce budget comme bon lui

semble pour produire ce à quoi elle s’est engagée de la manière la plus efficiente et efficace

possible ». 22 Le contrat de prestation est ainsi présenté comme un instrument de clarification des rôles de chacun mais aussi comme un outil de contrôle permettant de vérifier la mesure dans laquelle l’administration a atteint les objectifs fixés. Celle-ci devient donc responsable de la réalisation des engagements conventionnels et donc de sa propre performance, soit de son efficacité et de son efficience. Le recours à ce procédé contractuel s’est substitué, dans certains cas, aux procédés classiques de contrôle hiérarchique visant à assurer l’unité de l’appareil étatique. La logique unilatérale et verticale de contrainte fait ainsi place à une logique horizontale et négociée. La contractualisation vise à assouplir les conditions d’exercice des différents contrôles pesant sur les organismes publics 23 et est censée, de la sorte, améliorer la performance de l’action publique, en responsabilisant les exécutants et en leur donnant une plus grande autonomie de gestion.

II. LES CONVENTIONS DE PRESTATION EN DROIT BELGE

5. Les contrat de prestation, ou de performance, peuvent donc être définit succinctement comme des contrats conclus entre, d’une part, une autorité publique, et d’autre part, son administration ou un organisme de droit public qui en dépend en vue de régler leurs rapports réciproques et de trouver un équilibre entre autonomie et contrôle. 24 Une tendance à la

19 MONKS, J., op. cit., p. 85 ; VANCOPPENOLLE, D., LEGRAIN, A., op. cit., p. 114 ; VARONE, F., op. cit., p. 129. 20 VARONE, F., op. cit., p. 129. 21 MONKS, J., op. cit., p. 85. 22 Ibidem. 23 QUERTAINMONT, Ph., « Les objectifs de la loi du 21 mars 1991 : du desserrement de l’étreinte étatique à l’émergence de nouveaux critères de gestion des entreprises publiques », Les entreprises publiques

autonomes – La nouvelle loi du 21 mars 1991, Bruxelles, Bruylant, 1992, p. 65 et s. 24 QUERTAINMONT, Ph., « Les nouveaux instruments contractuels… », op. cit, pp. 40-41.

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généralisation de l’utilisation de tels contrats se dessine très nettement en droit belge avec l’intégration des contrats de gestion, et ce tant au sein des instances fédérales que des entités fédérées. L’aperçu qui suit tend à présenter la manière dont l’autorité fédérale et les entités fédérées ont chacune intégré l’outil du contrat de gestion dans leur arsenal juridique. L’exposé ne prétend nullement faire un inventaire exhaustif de tous les régimes de contrat de gestion existant en droit belge. Seules les grandes tendances au sein de l’autorité fédérale et des entités fédérées seront d’abord présentées (A). Quelques éléments de comparaison seront ensuite abordés (B).

A. Aperçu par entité 1. L’autorité fédérale 6. La loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques 25 a, sans conteste, initié le processus de contractualisation de la tutelle en Belgique. Cette législation a introduit en droit belge un nouveau régime applicable aux organismes d’intérêt public à caractère économique qui étaient anciennement soumis à la loi du 16 mars 1954 relative au contrôle de certains organismes d’intérêt public. Il s’agit plus particulièrement des entreprises du secteur des transports et des télécommunications, à savoir la Régie des télégraphes et des téléphones (devenue « Belgacom ») 26, la Régie des postes (devenue « La Poste »), la Société nationale des chemins de fer belges (devenue Le Groupe SNCB réunissant la « SNCB Holding », « Infrabel », la « Société nationale des Chemins de fer belges » ainsi que le « Fonds des infrastructures ferroviaires ») et la Régie des voies aériennes (devenue Belgocontrol). Le nouveau dispositif a été justifié à l’époque par la nécessité pour les entreprises visées par la loi de faire face au développement rapide de la concurrence du secteur privé et à l’achèvement du grand marché européen. 27 Le législateur de 1991 a donc entendu poursuivre un double objectif : assurer la compétitivité des entreprises publiques agissant désormais dans des secteurs ouverts à la concurrence, d’une part, et améliorer les conditions dans lesquelles elles exercent leurs missions de service public, d’autre part. La réforme a, de la sorte, établi un nouveau régime juridique censé constituer un juste équilibre entre les obligations de contrôle sur les entreprises publiques et en particulier sur la réalisation des missions de

25 M.B. du 27 mars 1991. 26 Il faut, toutefois, noter qu’en ce qui concerne Belgacom, le mécanisme du contrat de gestion a été fortement modifié par la loi du 19 décembre 1997 modifiant la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques afin d’adapter le cadre réglementaire aux obligations en matière de libre concurrence et d’harmonisation sur le marché des télécommunications découlant des décisions de l’Union européenne (M.B. du 30 décembre 1997). 27 Projet, Doc. parl., Chambre, n°1287/1, pp. 2-3.

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service public, et le degré d’autonomie de gestion qui leur était nécessaire pour réaliser leur objet social de la manière la plus performante possible. 28 Ce faisant, le législateur de 1991 a intégré, pour la première fois en droit belge, le contrat de gestion comme un outil destiné à permettre l’autonomisation de certaines entreprises publiques par rapport à leur autorité de tutelle. Cet instrument de gestion s’inscrit dans le cadre d’un ensemble de mesures destinées à répartir les responsabilités entre l’Etat et les gestionnaires des entreprises publiques, telles que l’allègement de la tutelle, l’installation d’organes propres et indépendants, l’octroi d’une plus grande responsabilité managériale en matière de gestion financière et de gestion du personnel. 29 Le contrat de gestion est, selon la loi, la convention conclue entre l’Etat et l’entreprise publique concernée qui « fixe les règles et conditions spéciales selon lesquelles une entreprise

publique autonome exerce les missions de service public qui lui sont confiées par la loi ». 30 Le contrat de gestion ne concerne que les missions de service public de l’entreprise publique autonome (EPA). Celle-ci peut entreprendre librement toutes autres activités industrielles ou commerciales compatibles avec son objet social. Elle dispose pour les activités non réglées par le contrat d’une large autonomie tarifaire, mais ne bénéficie d’aucun privilège et est soumise à la concurrence normale du secteur privé. 31 La loi fixe le contenu du contrat de gestion et distingue les matières qui doivent obligatoirement être réglées par les parties (tâches de l’EPA en vue de l’exécution de ses missions légales, principes tarifaires, règles de conduite vis-à-vis des usagers, les relations financières entre l’Etat et l’entreprise publique autonome, les sanctions, …etc) des matières qui peuvent facultativement compléter le dispositif (les matières d'intérêt économique stratégique, les objectifs relatifs à la structure financière de l'entreprise publique, la répartition des bénéfices nets et la fixation d'un montant des opérations immobilières que le ministre de tutelle doit approuver, …etc). L’autorité de tutelle sera désormais chargée de contrôler le respect par l’EPA de la loi, des statuts et du contrat de gestion. Dans le cadre des activités non couvertes par le contrat de gestion, le contrôle de tutelle générale est limité au respect de la loi et des statuts. 32 Le contrat de gestion constitue de la sorte un instrument de management visant à assurer la performance, à savoir l’efficience et l’efficacité, de la gestion du service public concerné en agissant sur la conduite de l’entreprise, la manière dont elle doit exercer ses missions légales. 33

28 Pour plus de détails, voy. : Les entreprises publiques autonomes – La nouvelle loi du 21 mars 1991, Actes de la journée d’études organisée à l’Université Libre de Bruxelles le 23 octobre 1991, Bruxelles, Bruylant, 1992 ; MATHIJS, H., « De federale overheidsbedrijven : een analyse van de Wet van 21 maart 1991 », T.B.P., 2000, pp. 425-448 ; NUCHELMANS, D. et PAGANO, G., « Les entreprises publiques autonomes », C.R.I.S.P., n°1321-1322 ; QUERTAINMONT, Ph., « Les entreprises publiques autonomes - Bilan de l’application de la loi du 21 mars 1991 », R.D.C., 1996, p. 501. 29 NUCHELMANS, D. et PAGANO, G., op. cit., p. 14. 30 Article 3 de la loi du 21 mars 1991. 31 PAGANO, G., « Les contrats de gestion des entreprises publiques autonomes », in Les fonctions

collectives dans une économie de marché, Xème Congrès des économistes belges de langue française, Centre interuniversitaire de formation permanente, Mons, 1992, p. 143. 32 Art. 23 de la loi du 21 mars 1991. 33 DRUMAUX, A., « Notes préliminaires sur les contrats de gestion… », op. cit., p. 139-142.

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7. Depuis lors, l’autorité fédérale a multiplié l’utilisation du contrat de gestion avec d’autres organismes d’intérêt public qui n’interviennent cependant pas toujours dans un domaine soumis à la concurrence. La contractualisation intervenue pour les EPA s’est faite de manière la plus extensive en ce sens que l’autonomisation accordée à ces entreprises va au-delà des aspects purement opérationnels ou administratifs. Les EPA sont en effet libres de définir les objectifs de gestions en tant que tels. Chacun de des contrats de gestion établi pour d’autres organismes publics ne s’accompagne donc pas nécessairement de l’ensemble des mesures d’autonomisation adoptées en 1991 pour les entreprises publiques autonomes. Ainsi, le législateur fédéral a, pour l’essentiel, intégré le contrat de gestion pour les Institutions publiques de sécurité sociale (pour lesquelles le législateur a préféré le terme de « contrat d’administration » en raison du fait qu’il ne porte que sur la gestion administrative quotidienne des IPSS sans régler ni les conditions d’octroi des allocations sociales, ni les conditions de perception des cotisations, ces domaines continuant à relever de la compétence exclusive du pouvoir politique) 34, la Coopération Technique Belge, 35 la Loterie Nationale, 36 le Palais de Beaux-Arts, 37 l’agence Apetra, société anonyme de droit public à finalité sociale chargée de la détention et gestion des stocks obligatoires de pétrole et de produits pétroliers 38, et A.S.T.R.I.D., la société anonyme de droit public chargée de la constitution, l'exploitation, l'entretien et les adaptations et élargissements évolutifs d'un réseau de radiocommunications pour la transmission de voix et de données au bénéfice des services belges de secours et de sécurité, de la Sûreté de l'Etat et d'institutions, sociétés ou associations, de droit public ou privé, qui fournissent des services dans le domaine des secours et de la sécurité 39. 2. En Région de Bruxelles-Capitale 8. Le processus de contractualisation a été initié en Région de Bruxelles-Capitale en même temps qu’au niveau fédéral pour les entreprises publiques autonomes. L’ordonnance bruxelloise du 22 novembre 1990 relative à l’organisation des transports en commun dans la 34 Article 47 de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité

des régimes légaux des pensions (M.B. du 1er

août 1996) et l’arrêté royal du 3 avril 1997 portant des mesures en

vue de la responsabilisation des institutions publiques de sécurité sociale (M.B. du 30 avril 1997). 35 Deux lois du 21 décembre 1998 règlent la question et ont été publiées au M.B. du 30 décembre 1998. L’une d’elles règle uniquement la question de la nature juridique du contrat de gestion en précisant qu’il ne constitue pas un acte ou un règlement visé à l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat et que toutes ses clauses sont réputées contractuelles. 36 Loi du 19 avril 2002 relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie

Nationale, article 14 à 17, M.B. du 4 mai 2002. 37 Loi du 7 mai 1999 portant création du Palais des Beaux-Arts sous la forme d'une société anonyme de

droit public à finalité sociale et modifiant la loi du 30 mars 1995 concernant les réseaux de distribution

d'émissions de radiodiffusion et l'exercice d'activités de radiodiffusion dans la région bilingue de Bruxelles-

Capitale, M.B. du 20 août 1999. 38 Loi du 26 janvier 2006 relative à la détention des stocks obligatoires de pétrole et des produits pétroliers

et à la création d'une agence pour la gestion d'une partie de ces stocks et modifiant la loi du 10 juin 1997 relative

au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accises, M.B. du 13 février 2006. 39 Loi du 8 juin 1998 relative aux radiocommunications des services de secours et de sécurité, M.B. du 13 juin 1998.

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Région de Bruxelles-Capitale 40 prévoit qu’un contrat de gestion doit être conclu entre la Région et la Société régionale (la STIB). La loi du 21 mars 1991 et l’ordonnance bruxelloise ne procèdent cependant pas de la même approche. Alors que la démarche fédérale a consisté à accorder une autonomie de gestion aux organismes désignés et à faire sortir ceux-ci du champ d’application de la loi du 16 mars 1954, la démarche bruxelloise a davantage reposé sur la création d’une nouvelle entreprise et sur l’établissement unilatéral par l’autorité des missions de l’entreprise dans un cahier des charges avant la négociation et, ensuite, la conclusion d’un contrat de gestion. 41 42 9. A la suite de l’ordonnance du 22 novembre 1990 propre à la STIB, l’utilisation du contrat de gestion s’est multipliée dans les rapports entre le Gouvernement bruxellois et d’autres organismes d’intérêt public bruxellois, tels que la Société de développement pour la Région de Bruxelles-Capitale (SDRB), 43 l’Office régional bruxellois de l’emploi (l’ORBEM), 44 la Société de logement de la Région de Bruxelles-Capitale (SLRB), 45 la Société bruxelloise pour la gestion de l’eau (SBGE), 46 et le Port de Bruxelles 47. Tout comme la législation fédérale, aucune ordonnance-cadre ne fixe des règles uniformes pour les contrats de gestion. Chacune des ordonnances organiques règle ainsi l’intervention d’un contrat de gestion entre l’organisme public concerné et le Gouvernement bruxellois. De manière générale, ces dispositions se contentent de fixer, à peu de chose près, le contenu minimum du contrat, sa durée et la compétence du Gouvernement pour régler unilatéralement la matière en cas d’absence ou de non-renouvellement du contrat de gestion, voire dans certains cas la communication du contrat au Parlement bruxellois. La procédure particulière de conclusion du contrat de gestion de la STIB impliquant l’existence d’un cahier des charges établi unilatéralement par l’autorité bruxelloise n’a toutefois pas été reprise dans les autres ordonnances. 3. En Communauté française 10. Le législateur de la Communauté française a, pour la première fois, intégré l’outil du contrat de gestion en réglant le statut de la R.T.B.F. Le décret du 14 juillet 1997 portant statut de la Radio Télévision belge de la Communauté française organise un statut spécifique pour 40 M.B. du 28 novembre 1990. 41 DRUMAUX, A., « Notes préliminaires sur les contrats de gestion dans les entreprises publiques », in Liber Amicorum Henry Vander Eycken, 1991, V.U.B., p. 136. 42 Article 2 de l’ordonnance du 22 novembre 1990. 43 Ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 20 mai 1990 relative à la Société de développement pour la Région de Bruxelles-Capitale, M.B. du 29 juillet 1999. 44 Ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 18 janvier 2001 portant organisation et fonctionnement de l’Office régional bruxellois de l’emploi, M.B. du 13 avril 2001. 45 Ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 17 juillet 2003 portant le code du logement, M.B. du 9 septembre 2003. 46 Ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 20 octobre 2006 établissant un cadre pour la politique de l’eau, M.B. du 3 novembre 2006. 47 Ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 3 décembre 1992 relative à l’exploitation et au développement du canal, du port, de l’avant-port et de leurs dépendances dans la Région de Bruxelles-Capitale ; HUYGENS Ch., Les contrats de gestion : un facteur de performance pour les entreprises publiques de la région

de Bruxelles-Capitale ?, Les cahiers des sciences administratives, Bruxelles, Larcier, n°12/2007..

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l’entreprise et la soustrait au régime de la loi du 16 mars 1954 auquel elle était soumise jusqu’alors. Ce faisant, le législateur communautaire s’est directement inspiré de la loi du 21 mars 1991 et a, selon ses propres termes, réellement entendu créer « une entreprise publique

autonome ». 48 L’objectif de cette législation vise, entre autres, à renforcer « l’autonomie de

gestion » de la R.T.B.F. en lui « donnant la capacité d’intervenir plus efficacement dans des

initiatives rentables pour l’entreprise mais limitée par un contrat de gestion fixant les

obligations de service public ». 49 Le processus de contractualisation en Communauté française est marqué par deux tendances distinctes. La première, qui concerne la R.T.B.F., a consisté à sortir l’organisme du champ d’application de la loi du 16 mars 1954 et à le soumettre à un contrat de gestion en vue de créer une sorte d’entreprise publique autonome et de la rendre compétitive dans un secteur également ouvert à la concurrence. La seconde, qui concerne les autres organismes, a maintenu ceux-ci sous le régime de contrôle de la loi du 16 mars 1954 et les a parallèlement soumis à un contrat de gestion en vue d’améliorer leur mode de gestion. Le législateur décrétal a ainsi étendu l’utilisation du contrat de gestion à d’autres paracommunautaires tels que l’ETNIC (Entreprise publique des Technologies Nouvelles de l’Information et de la Communication de la Communauté française), 50 l’ONE (Office de la Naissance et de l’Enfance) 51 ou le Fonds Ecureuil (organisme d’intérêt public créé par le décret du 20 juin 2002). 52 4. En Région wallonne 11. En Région wallonne, le contrat de gestion a, dans un premier temps, été intégré dans des décrets particuliers relatifs à certains « pararégionaux ». Le législateur régional a, ensuite, élaboré une législation cadre. Deux décrets adoptés le 12 février 2004 relatifs au contrat de gestion et aux obligations d’information prévoient la conclusion de contrats de gestion avec certains organismes publics. De manière générale, ces décrets visent à mettre en place un cadre formalisé qui précise les règles et mécanismes de définition des missions, d’évaluation de l’accomplissement de celles-ci, d’autonomie et de contrôle des organismes concernés. L’objectif annoncé tend à garantir un service public plus efficient, transparent tant à l’égard de la Région wallonne en sa qualité d’autorité publique, de pouvoir subsidiant, d’actionnaire ou encore de mandant, qu’à l’égard du bénéficiaire du service public (citoyen, utilisateur, entreprise, etc.). Plus particulièrement, les dispositions relatives aux contrats de gestion visent « à clarifier, non seulement le cadre et le rôle du contrat de gestion, mais également

l’autonomie et la responsabilité des organismes concernés en tenant compte de l’expérience

48 Doc. Cons. Com. fr., 1995-1996, n°104-1, p. 2. 49 Doc. Cons. Com. fr., 1995-1996, n°104-1, p. 2. 50 Décret du 27 mars 2002 portant création de l’Entreprise publique des Technologies Nouvelles de

l’Information et de la Communication de la Communauté française, M.B. du 17 mai 2002. 51 Décret du 17 juillet 2002 portant réforme de l’Office de la Naissance et de l’Enfance, M.B. du 2 août 2002. 52 Organisme d’intérêt public créé par le décret du 20 juin 2002 et soumis au contrat de gestion par le décret du 9 janvier 2003 relatif à la transparence, à l’autonomie et au contrôle des organismes publics, des sociétés de bâtiments scolaires et des sociétés de gestion patrimoniale qui dépendent de la Communauté française, M.B. du 21 février 2003.

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acquise de plus de dix années de contractualisation en Région wallonne ». 53 Les décrets visent donc à redéfinir en profondeur le cadre du contrat de gestion avec pour ambition de rendre plus performante et plus transparente la gestion des organismes qui ont conclu un tel contrat avec le Gouvernement wallon. Selon l’exposé des motifs, le contrat de gestion constitue « un rouage de l’action publique qui se situe entre, d’une part, la décision politique

et son cadre réglementaire, et, d’autre part, la gestion autonome et le responsable d’un

organisme ». 54 Le premier des deux décrets est adopté par le Parlement wallon dans le cadre de l’exercice des compétences régionales et s’applique aux organismes publics repris sur les listes établies aux articles 3 et 4. Seuls ceux visés à l’article 3 se voient appliquer les dispositions relatives aux contrats de gestion. Figurent dans cette liste les organismes publics wallons qui disposent « d’une autonomie véritable et suffisante ». 55 Sont ainsi exclus du champ d’application du décret les organismes personnalisés ne disposant que d’un très faible degré d’autonomie, comme les régies personnalisées et les fonds, pour lesquels le Gouvernement wallon assure directement la gestion et dispose à leur égard d’un pouvoir hiérarchique. Parmi la liste des organismes d’intérêt public concernés, figurent certains organismes soumis au régime de la loi du 16 mars 1954, comme le Port autonome de Charleroi, ceux de Liège et de Namur, ainsi que l’Office Wallon de la Formation Professionnelle et de l’Emploi. D’autres organismes non soumis à la loi de 1954 sont également visés, telle l’Agence wallonne à l’Exportation. Par ailleurs, parmi l’ensemble de ces organismes, certains disposaient déjà, au moment de l’adoption du décret de 2004, d’un contrat de gestion, d’autres pas encore. Le second décret du 12 février 2004 concerne les compétences exercées par la Région wallonne en application de l’article 138 de la Constitution, à savoir celles qui lui ont été transférées par la Communauté française en 1993. 56 Il s’applique dès lors à des organismes compétents en matière culturelle ou personnalisable, tels l’Institut wallon de formation en alternance et des indépendants et des petites et moyennes entreprises ou l’Agence wallonne pour l’intégration des personnes handicapées. 5. En Flandre 12. Le contrat de gestion est également un instrument fort utilisé par les autorités flamandes. C’est sans aucun doute au nord du pays que la contractualisation a été intégrée de la manière la plus aboutie au regard de la doctrine de la NGP. Le décret cadre de politique administrative du 18 juillet 2003 57 58 généralise la conclusion d’un tel contrat entre la Communauté et les organismes qui en dépendent. Il étend ainsi une

53 Doc. parl. Wal., 2003-2004, n°620-1 et 621-1 p. 2. 54 Ibidem. 55 Ibidem, p. 4. 56 V. décret du 7 juillet 1993 du Conseil régional wallon relatif au transfert de l’exercice de certaines compétences de la Communauté française à la Région wallonne, M.B. 10 septembre 1993 et décret du 19 juillet 1993 du Conseil de la Communauté française attribuant l’exercice de certaines compétences de la Communauté française à la Région wallonne et à la Commission communautaire française, M.B. du 10 septembre 1993. 57 M.B. du 22 août 2003.

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pratique de contractualisation que le Gouvernement flamand avait déjà entamée avec plusieurs pararégionaux. 59 Plus particulièrement, ce décret prévoit que des contrats de gestion doivent désormais être conclus entre la Communauté flamande et l’ensemble des agences autonomisées internes et externes. Les agences autonomisées internes sont des services issus de la déconcentration et restent soumis à l’autorité hiérarchique du Gouvernement. 60 Les agences autonomisées externes, par contre, visent toute une série d’organismes ou d’entreprises issus de la décentralisation par service. 61 Il s’agit d’organismes qui, soit sont créés par la Communauté ou la Région flamande en vue de « l’accomplissement de tâches de mise en œuvre de la

politique ou dans laquelle ces autorités participent dans ce but », soit subissent « une

influence déterminante » de la Communauté ou de la Région flamande en raison de leur financement public, de leur soumission au contrôle public ou de la composition de leur actionnariat. 62 Une distinction est établie entre les agences autonomisées externes de droit public et les agences autonomisées externes de droit privé. 63 Seules ces dernières ne doivent pas conclure de contrat de gestion avec la Communauté flamande. La généralisation de l’utilisation du contrat de gestion en Communauté flamande s’est faite de manière relativement novatrice. En effet, jusqu’alors, de tels contrats étaient conclus avec des organismes publics issus de la décentralisation par service, dotés de la personnalité juridique et bénéficiant d’une autonomie de gestion. Le décret du 18 juillet 2003 prévoit que la Communauté flamande conclut des contrats de gestion avec les agences autonomisées internes. Or, bien que bénéficiant d’une certaine autonomie, ces agences restent soumises à l’autorité hiérarchique du ministre. 64 De même, parmi les agences autonomisées internes qui doivent conclure un contrat de gestion, certaines sont dépourvues de la personnalité juridique. 65 Si la contractualisation avec des services administratifs déconcentrés a déjà été mise en œuvre dans des pays comme la France, 66 l’Allemagne 67 ou la Suisse, 68 elle présente un caractère

58 BERCKX, P., « Kroniek – De vlaamse homogene beleidsdomeinen en de opriching van vlaamse IVA’s en EVA’s », T.B.P., 2004, liv 8, p. 488 ; « Kroniek – Statuten overheidsdiensten », T.B.P., 2005, liv 2, p. 95 ; VEROEST, K., « The impact of contractualisation on… », op. cit., pp. 135-153. 59 Il s’agit du Vlaamse Dienst voor Arbeidsbemiddeling en Beroepsopleiding (VDAB), la Vlaamse Vervoersmaatschappij (VVM), le Vlaams Instituut voor Technologische Onderzoek (VITO), la Vlaamse Radio en Televisie (VRT) et le Vlaamse Opera (VLOPERA). L’utilisation d’un contrat de gestion résultait des décrets organiques de chacun de ces para-régionaux, sauf pour le VDAB pour lequel la contractualisation était dépourvue de base légale. 60 Doc. parl. fl., Projet, 2002-2003, n° 1642, p. 17. 61 Ibidem. 62 Article 11 du décret. 63 Selon l’article 29 du décret, les agences autonomisées externes de droit privé sont les personnes morales visées à l’article 11, dont la forme juridique correspond complètement aux dispositions impératives du droit privé des sociétés ou des associations. 64 Articles 7 et 10, § 4, du décret. 65 L’article 10 du décret prévoit que des agences autonomisées internes dotées de la personnalité juridique sont des personnes morales chargées de tâches de mise en œuvre de la politique, qui sont soumises à l'autorité du Gouvernement flamand mais qui disposent d'une autonomie opérationnelle telle que visée à l'article 7. Ces agences sont dotées de la personnalité juridique sont créées par décret. 66 CLUZEL, L., « De la responsabilisation à la responsabilité : l’exemple des contrats de service dans les services publics en France », P.M.P., vol. 19, mars 2001, n°1, pp. 1-23. 67 REICHARD, Chr., « ‘kontraktmanagement’ Experiences with Internral Management Contracts in

German Local Government », Européenan group of public administration, Budapest, 24-28 août 1996, pp. 1-17.

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innovant en Belgique. Cette forme de contractualisation poussée se situe dans la droite ligne des préceptes de la Nouvelle Gestion Publique qui postulent le passage d’une organisation hiérarchique et verticale vers une structure organisationnelle davantage horizontale et axée sur les résultats. 69

B. Quelques éléments de comparaison 13. L’aperçu des quelques régimes de contrat de gestion que l’on vient de donner

démontre que la contractualisation s’est largement généralisée au sein des différentes entités

de la Belgique fédérale.

Parmi ces régimes, certains points communs peuvent être relevés.

Tout d’abord, l’objet de l’ensemble de ces conventions porte sur la manière dont l’organisme

public va exécuter ses missions légales de service public. Les textes fixent avec des degré de

précision variable le contenu des contrats et leur mode de conclusion et de renouvellement.

Tous les textes évoqués plus haut prévoient également qu’en vue d’assurer la continuité du

service public, le gouvernement fixe unilatéralement les mesures provisoires qui valent

comme contrat de gestion à défaut d’accord entre parties sur un nouveau contrat.

Au titre des points communs, l’on relèvera également que la plupart des contrat de gestion

doivent fixer les objectifs quantifiés de gestion et contenir des règles relatives aux rapports

financiers entre les parties à l’accord, des règles de conduite à l’égard des usagers, des

systèmes de sanctions en cas de non-respect des engagements.

Ensuite, les contrats de gestion n’entrent en vigueur qu’après leur approbation par le

gouvernement et à une date fixée par celui-ci. Un mode de publicité doit être organisé pour

chacune d’elles.

En outre, les différents régimes tendent à permettre aux Parlements d’exercer leur mission de

contrôle en prévoyant soit une simple communication des contrats approuvés, soit,

l’évaluation de leur exécution, soit leur association à la procédure d’élaboration des contrats.

Enfin, la plupart des régimes, à l’exception des législations bruxelloises, font référence au

droit commun des contrats civils en précisant que les clauses résolutoires expresses sont

réputées non écrites et que l’article 1184 du Code civil ne s’applique pas au contrat de

gestion. On peut également parfois lire que la partie envers laquelle un engagement n’est pas

respecté ne peut uniquement solliciter l’exécution en nature, ou le cas échéant une

indemnisation, sans préjudice de l’application des sanctions spécifiques prévues dans le

contrat.

68 TANQUEREL, T., « Le contrôle du respect des contrats de prestations en Suisse », Contracts,

Performance Measurement and Accountability in the Public Sector, IOS Press, 2005, pp. 115-133. 69 MONKS, J., op. cit., pp. 84-85 ; MESCHERIAKOFF, A.-S., op. cit., pp. 1130-1138.

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14. Malgré ces similitudes, des dissemblances importantes existent entre chacun des

régimes et peuvent être de nature à influencer la nature des conventions.

Plusieurs différences importantes peuvent, en effet, être relevées.

Tout d’abord, l’utilisation de tels contrats de gestion vise de manière générale à établir un

équilibre entre, d’une part, l’intervention et le contrôle des autorités publiques et, d’autre part,

l’autonomie des organismes publics concernés.

Toutefois, le degré d’autonomie accordé à l’organisme cocontractant varie d’un régime à

l’autre de manière significative.

Ainsi, l’une des innovations importantes de la loi du 21 mars 1991 relative aux EPA consistait

à alléger les modes de contrôle et de tutelle en vue d’assurer l’autonomisation des entreprises

publiques autonomes. La conclusion d’un contrat de gestion par les entreprises publiques

économiques a impliqué leur retrait du champ d’application de la loi du 16 mars 1954 et

l’octroi corrélatif d’une large autonomie par une limitation des pouvoirs de l’autorité de

tutelle qui peut se résumer de la manière suivante.

Tout d’abord, les entreprises publiques autonomes sont soumises au contrôle de leur ministre

de tutelle, lequel est exercé à l’intervention d’un commissaire de gouvernement. Les

entreprises ne sont ainsi plus soumises au lien hiérarchique qui caractérisait, pour certaines,

leurs rapports avec l’Etat et qui avait pour conséquence de les placer dans un lien de

dépendance directe avec l’Etat en matière d’investissements, de tarifs et de politique du

personnel. 70

Le rapport hiérarchique a de la sorte été remplacé par « un lien contractuel

concrétisé par un contrat de gestion négocié ». 71

Ensuite, la loi du 21 mars 1991 a supprimé, comme critère justifiant l’exercice de la tutelle, le

contrôle de la conformité à l’intérêt général et l’a remplacé, pour ce qui concerne les activités

de service public, 72

par le contrôle de la conformité au contrat de gestion. Les commissaires

de gouvernement ne peuvent, pour ces activités là, exercer un contrôle sur les décisions de

l’entreprise qu’au regard de leur conformité à la loi, aux statuts organiques de l’entreprise et

au contrat de gestion. 73

Le champ du contrôle de tutelle est ainsi plus restreint. Le

commissaire du gouvernement ne peut intervenir sur ce qui est étranger au contrat de gestion

et donc au service public. Le contrôle ne pourra s’exercer sur le choix des moyens à mettre en

œuvre pour réaliser les missions de service public ou sur la fixation des moyens et objectifs

dans la sphère commerciale. 74

Mais surtout, le contrôle est objectivé. Les aléas d’une

appréciation purement discrétionnaire de l’intérêt général, et donc variable en fonction des

fluctuations politiques, sont censés ne plus peser sur l’entreprise publique. 75

70 La Poste et Belgacom étaient, antérieurement, rangées parmi les parastataux de type A et, bien que disposant de la personnalité juridique, ces organismes étaient soumis au pouvoir hiérarchique du ministre dont il relèvaient et étaient logiquement gérés par ce ministre. 71 QUERTAINMONT, Ph., « Les entreprises publiques autonomes – Bilan… », op. cit., p. 504. 72 Pour rappel, le contrôle de l’autorité de tutelle sur les activités étrangères au service public est limité au respect de la loi et des statuts. 73 Articles 23 et 24 de la loi. 74 MEUNIER, B., « Le contenu et les objectifs de la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques », in Les entreprises publiques autonomes, op. cit., p. 59 ; voir, toutefois, les nuances apportées sur ce point par DEOM, D. : « Les contraintes… », op. cit., pp. 149-150. 75 DEOM, D., « Les contraintes… », op. cit. p. 149.

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De plus, la troisième innovation consiste dans la suppression de la tutelle de substitution. Si le

Ministre de tutelle ou le commissaire du gouvernement peut encore requérir l’entreprise

publique de délibérer sur toute question que l’un ou l’autre détermine, il ne peut plus délibérer

en lieu et place de l’entreprise lorsque celle-ci n’obtempère pas.

Les entreprises publiques autonomes disposent, enfin, d’une large autonomie budgétaire.

Elles échappent à l’organisation budgétaire relevant du système de la comptabilité publique 76

et décident librement de l’étendue, des techniques et des conditions de leur financement, sous

réserve de ce qui est éventuellement prévu dans le contrat de gestion. 77

Si ce régime de tutelle a sans conteste inspiré les modes de contrôle des autres organismes

fédéraux concernés par un contrat de gestion, il n’a toutefois pas été repris dans sa globalité.

A titre d’exemple, l’on peut citer le cas des contrats d’administration des IPSS (Institutions

publiques de sécurité sociale). Alors que le contrat d’administration est devenu un critère de

contrôle de l’autorité de tutelle, celle-ci continue à vérifier si les actes des IPSS sont

conformes à l’intérêt général. De même, le contrôle de substitution de l’article 23 de la loi 16

mars 1954 a été repris tel quel dans la réglementation relative à ces institutions. 78

15. D’autres organismes qui concluent un contrat de gestion, tels la STIB à Bruxelles ou

encore l’ONE ou l’ETNIC en Communauté française, ne bénéficient pas d’un allègement des

contrôles de tutelle. En effet, soit ceux-ci continuent à relever du champ d’application de la

loi du 16 mars 1954, soit leur statut propre maintient la tutelle d’opportunité portant sur le

respect de l’intérêt général79

, voire ajoute d’autres critères permettant une intervention

discrétionnaire de l’autorité de tutelle, tel le respect « des principes de bonne gestion » prévu

par le décret relatif à l’Agence wallonne à l’exportation. 80

Le décret flamand du 18 juillet

2003 prévoit également que les délégués du Gouvernement contrôle le respect de « l’intérêt

public ». 81

16. Ensuite, il est généralement prévu que les contrats de gestion sont conclus à la suite

d’une négociation entre l’autorité et l’organisme concerné.82

Toutefois, tel n’était pas le cas pour les organismes relevant de la Région wallonne, laquelle a

organisé un mode d’élaboration unilatérale du contrat de gestion.

La particularité des contrats de gestion régis par les décrets du 12 février 2004 réside dans

l’unilatéralisme qui caractérise la procédure de conclusion. Le contrat de gestion wallon ne

résulte pas d’une réelle négociation entre la Région et l’organisme concerné.

76 NUCHELMANS, D. et PAGANO, G., op. cit., p ; 48. 77 QUERTAINMONT, Ph., « Les entreprises publiques autonomes – Bilan… », op. cit., p. 504. 78 Arrêté royal du 3 avril 1997 précité, articles 23, 24 et 28. 79 Il en va ainsi des organismes soumis au décret cadre wallon du 12 février 2002 précité. 80 Décret du 2 avril 1998 portant création de l’Agence wallonne à l’exportation, M.B. du 10 avril 1998, article 22. 81 Article 23 du décret. 82 À titre d’exemple, voy. l’article 4 de la loi du 21 mars 1991 pour les EPA, l’article 7 de l’arrêté royal du 23 avril 1997 pour les IPSS, l’article 16 de la loi du 21 décembre 1998 pour la CTB, l’article 9, §3bis, du décret du 14 juillet 1997 pour la RTBF, l’article 26 du décret du 17 juillet 2002 pour l’ONE.

16

Il est en effet prévu que préalablement à la rédaction du projet de contrat de gestion, le Gouvernement, en concertation avec l'organisme, à l'intervention de son organe de gestion, procède à l'évaluation du fonctionnement et de l'état du service public dont est chargé l'organisme. Cette évaluation doit comporter les aspects relatifs au contexte économique, social et environnemental dans lequel travaille l'organisme, aux perspectives d'avenir du secteur d'activité, à la satisfaction des usagers et, le cas échéant, une analyse des effets du contrat de gestion précédent. Il est, également précisé à ce propos, que lors du renouvellement du contrat de gestion, le Gouvernement procède lui-même, en concertation avec l'organisme l'intervention de son organe de gestion, à l'évaluation du fonctionnement du service public.

Le Gouvernement doit ensuite adopter, sur proposition du Ministre de tutelle, une note d'orientation déterminant les lignes directrices du projet de contrat de gestion. Dans le respect de cette note d'orientation, le Ministre de tutelle établit un projet de contrat de gestion en tenant compte de l'évaluation précitée. Ce projet est soumis pour concertation à l'organisme, à l'intervention de son organe de gestion. Le contrat de gestion est, ensuite, approuvé par le Gouvernement et par l'organe de gestion. Dans le mois de sa conclusion, le Gouvernement transmet le contrat de gestion au Conseil régional wallon et le publie au Moniteur belge.

Cette procédure maintient le pouvoir d’établissement du contenu du contrat dans les mains du

Gouvernement. C’est, en effet, ce dernier qui établit le projet de contrat de gestion, lequel sera

soumis, ensuite, pour concertation, et non pour négociation, à l’organisme concerné. 83

17. Toujours au sujet de la formation du contrat, la Communauté flamande a prévu de

conclure des contrats de gestion avec les agences autonomisées internes dénuées de la

personnalité juridique et soumises à l’autorité hiérarchique de leur ministre et ce même alors

que le projet de décret définit le contrat de gestion comme un « contrat synallagmatique » qui

fixe des règles spécifiques et des conditions suivants lesquelles l’agence remplit ses tâches. 84

.

L’on s’interroge, ici, sur l’admissibilité en droit d’un processus de création bilatérale de

normes dans un tel contexte. L’absence de personnalité juridique empêche, en principe, toute

personne ou service de s’engager juridiquement.

18. Pour conclure, trois types d’actes peuvent être distingués. Le premier vise les

conventions négociées entre une autorité publique et un organisme doté de la personnalité

juridique. Ces conventions se rapprochent le plus de ce que l’on qualifie de contrat, même si

cette qualification doit être examinée au regard des spécificités de ces accords de gestion. Le

deuxième concerne les contrats de gestion qui sont, en fait, adoptés unilatéralement par un

gouvernement après concertation de l’organisme public concerné, tel en Région wallonne.

Enfin, le troisième type de conventions vise celles conclues entre un ministre et le chef d’une

unité administrative bénéficiant, certes, d’une certaine autonomie de gestion mais qui reste

malgré tout soumis à l’autorité hiérarchique de ce ministre et qui représente un service

dépourvu de la personnalité juridique. De tels accords ne peuvent être qualifiés de contrat au

sens juridique du terme mais constitueraient davantage des plans de management.

83 La section de législation du Conseil d’Etat n’a pas manqué de relever cet aspect de la procédure dans

l’avis rendu sur l’avant-projet de décret. Le contrat étant une convention, il doit recueillir le consentement des

deux parties. La section de législation a, en conséquence, invité l’auteur de l’avant-projet à le préciser

expressément (Doc.parl. R.W., op. cit., p. 13). Aucune modification n’a, toutefois, été insérée sur ce point. 84 Projet, Doc. parl. fl., 2002-2003, n° 1642, p. 29.

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Dans tous les cas de figure, le contrat de gestion constitue un outil de contrôle de l’autorité,

hiérarchique ou de tutelle, qui vient soit s’ajouter aux critères existants de contrôle que sont la

loi et l’intérêt général, soit est supposé objectiver le contrôle de l’autorité en se substituant au

contrôle du respect de l’intérêt général.

III. EXAMEN DE LA NATURE JURIDIQUE DES CONVENTIONS DE PRESTATION

A. La question de la nature juridique 19. La contractualisation pose la question de la nature véritablement contractuelle de ces accords. Ils revêtent un caractère particulier en raison de la qualité des parties et des rapports qu’elles entretiennent, des contrôles effectués par l’autorité sur son cocontractant, des dérogations prévues au droit commun des contrats, et des régimes de sanctions spécifiques. Ces particularités sont-elles de nature à permettre la requalification de ces accords en actes unilatéraux ou, à l’inverse, en déclarations d’intention dénuées de force contraignante ? La doctrine de la NGP ne dit rien quant à la nature juridique, voire quant à la valeur juridique des contrats de prestation. Ce silence n’est en soi pas étonnant dès lors que les principes de la NGP et de la « gouvernance moderne » ont été élaborés en réaction à l’organisation bureaucratique de l’administration qui se caractérise par la prédominance de la rationalité juridique. Dans ce type d’organisation, la légitimité de l’action publique est fondée sur la régularité des procédures et sur la conformité à la loi des conduites et des comportements. Selon les adeptes du New public management et de la nouvelle gouvernance, les réglementations sont particulièrement défavorables à une administration publique axée sur les résultats. 85 Ils proposent un système de « gouvernance non-impérative », fondé sur une approche non juridique, accommodante, 86 et suggèrent l’utilisation d’outils efficaces, c’est-à-dire souples et évolutifs. Les préceptes managériaux sont par essence considérés comme non formels et fixés dans une norme juridique, ils perdent leur caractère « plastique et

adaptable ». 87 Le droit ne doit, toutefois, pas être compris comme un phénomène statique. 88 Il reste un instrument indispensable à la modernisation de l’administration, l’essentiel étant de bien percevoir la complémentarité entre le droit public et la gestion publique. 89 Au-delà de son rôle classique visant à la mise en place d’un cadre légal d’autorité, le droit joue aussi un rôle fondamental dans la mise en oeuvre d’un cadre de responsabilité. 90 Or, cette même

85 HARLOW, C., « Le droit et l’administration publique : rivalité et symbiose », Rev. Int. Sc. Adm., vol. 71, juin 2005, n°2, p. 301. 86 Ibidem, p. 307 ; SCHICK, A., op. cit. pp. 141-142... 87 CHEVALLIER, J., « La juridicisation des préceptes managériaux », P.M.P., vol. 11, décembre 1993, n° 4, p. 130. 88 HARLOW, C., op. cit., p. 307. 89 ZILLER, J., « Le droit public, un outil de gestion public moderne et non un frein à la réforme », Rev.

Int. Sc. Adm., vol. 71, juin 2005, n°2, pp. 290-291. 90 MOLITOR, A., op. cit., pp. 95-96 et 101-102.

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responsabilité est aujourd’hui exigée des administrations. Il est, en outre, désormais reconnu que l’application aveugle des préceptes managériaux, prônés par les travaux relatifs à la gouvernance publique de l’OCDE, dans le cadre de réformes administratives s’est accompagnée d’effets négatifs non prévus. Ainsi, l’accroissement de l’autonomie par la décentralisation a pu entraîner l’aggravation des problèmes de gestion financière et de corruption. 91 Par ailleurs, l’examen de l’impact de la mise en œuvre de certains préceptes managériaux à l’occasion de réformes administratives entreprises dans différents Etats a pu démontrer que même si le droit public, y compris le droit administratif est de plus en plus, dans les affaires publiques, complété par le droit civil, droit par essence horizontal, il reste l’instrument principal du fonctionnement de l’Etat de droit et des relations entre l’Etat et les citoyens. 92 Le droit ne peut donc pas purement et simplement être évité au profit d’une gestion qui se veut souple et performante et fondée essentiellement sur des relations de confiance. L’objectif doit donc consister à trouver un équilibre entre l’Etat de droit et l’efficacité administrative. 20. Par ailleurs, il n’est pas inutile de se rappeler à l’esprit que l’objectif de « performance » de l’administration n’est qu’une nouvelle facette d’un concept déjà existant en droit administratif belge, à savoir le bon fonctionnement du service. En vue d’assurer le bon fonctionnement des services qu’ils dirigent, les agents investis d’un pouvoir hiérarchique peuvent prendre des mesures d’ordre intérieur. Il est intéressant ici d’indiquer que ces mesures sont prises en vue d’organiser le fonctionnement de l’administration mais ne sont normalement pas susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation parce qu’elles sont sans incidence sur la situation juridique des agents qui y sont soumis. 93 Ceci ne signifie pas pour autant que les mesures d’ordre intérieur sont dépourvues d’effet contraignant. Au contraire, elles sont l’expression du pouvoir hiérarchique et leurs violations par les agents subalternes entraînent pour l’essentiel des conséquences d’ordre disciplinaire. Il en va de même des circulaires administratives qui, si elles ont une vocation plus globale que les mesures d’ordre intérieur et visent à aménager l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’administration, ne constituent pas des règles de droit obligatoires au même titre qu’une norme juridique. Selon le Conseil d’Etat, une directive se distingue précisément d’une règle de droit en cela qu’elle se réfère à une règle de conduite générale par laquelle l’autorité se laissera guider ou du moins de laquelle elle s’inspirera, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, à l’occasion de cas concrets. L’autorité ne sera pas liée par le respect de la directive comme elle le serait par une règle de droit. On peut concevoir qu’une règle de droit soit assortie de possibilités d’exception mais cette possibilité doit elle-même faire l’objet d’une règle ; ce qui n’est pas le cas d’une directive, la notion de directive contenant en elle-même la possibilité d’exception, 94 même si celle-ci doit reposer sur de justes motifs.

91 DRUMAUX, A., « Celle qui croyait… », op. cit., p. 115, l’auteur cite un article collectif « La modernisation du secteur public », publié dans la revue Synthèse de l’OCDE, novembre 2003, pp. 2-3 ; GURRIA, A., « Les travaux actuels de l’OCDE contre la corruption », discours prononcé le 5 décembre 2006, http://www.oecd.org/document/31/0,2340,fr_2649_37447_37808543_1_1_1_37447,00.html. 92 BOUCKAERT, G., « La réforme de la gestion publique change-t-elle les systèmes administratifs ? », Rev. fr. adm. pub., 2003, p. 54. 93 LEROY, M., Contentieux administratif, op. cit., p. 203. 94 Notamment, C.E., 20 juin 1984, Beheyt, n° 24.467.

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Il existe donc déjà en droit administratif des actes qui influencent la vie quotidienne d’une administration mais qui sont considérés comme des « pseudo règles de droit ». 95 Leur utilisation était déjà justifiée par la nécessité de répondre aux besoins impérieux d’efficacité, d’efficience et de souplesse pour l’autorité, de protection contre l’arbitraire et partant, de sécurité juridique pour les citoyens mais aussi pour permettre à l’administration de s’organiser sur un mode plus opérationnel que normatif. 96 Ces actes demeurent toutefois unilatéraux et émanent d’une autorité compétente en vertu du pouvoir hiérarchique. Ceci n’est pas satisfaisant pour les tenants de la NGP qui partent du principe qu’il faut passer d’un mode d’organisation hiérarchique et vertical vers un système davantage horizontal centré sur l’égalité des partenaires entre lesquels se nouent des accords, qui ne sont pas nécessairement juridiquement obligatoires, sur la livraison d’un certain service en échange d’un certain niveau d’autonomie managériale et d’un budget stable. 97 21. Lorsqu’en 1991 le législateur fédéral créa le nouveau régime des EPA en intégrant pour la première fois le contrat de gestion en droit belge, cette tendance à la flexibilité n’a pas été intégralement suivie. Le législateur a en effet estimé nécessaire de fixer la nature juridique des contrats de gestion liant les EPA. Ainsi, l’article 3 de la loi du 21 mars 1991 précise que les clauses du contrat de gestion sont réputées contractuelles. Le contrat de gestion n’est pas, selon cette même disposition, un acte ou un règlement au sens de l’article 14 des lois sur le Conseil d’Etat, coordonnées le 12 janvier 1973.

Le contrat de gestion doit donc être considéré comme un contrat et non comme un acte administratif. Tous litiges résultant de l’exécution du contrat de gestion relèvent donc de la compétence des cours et tribunaux judicaires et sont soumis au droit commun des contrats. Certaines exceptions sont néanmoins prévues pour assurer la continuité du service public. Il est, ainsi, précisé que toute clause résolutoire expresse dans le contrat de gestion est réputée non écrite. L'article 1184 du Code Civil n'est pas applicable au contrat de gestion. 98 La partie envers laquelle une obligation dans le contrat de gestion n'est pas exécutée, ne peut poursuivre que l'exécution de l'obligation, et, le cas échéant, demander des dommages-intérêts, sans préjudice de l'application de toute sanction spéciale prévue dans le contrat de gestion. 99 La résolution conventionnelle ou judiciaire du contrat de gestion est ainsi exclue. 22. Cette disposition va influencer bon nombre de législations relatives aux contrats de gestion. Si la référence aux compétences du Conseil d’Etat est une matière fédérale et ne peut

95 FLAMME, M.-A., Droit administratif, op. cit., p. 401, n° 168ter. 96 Ibidem. 97 POLLIT, Ch. et BOUCKAERT, G., Public management reform. A comparative analysis, Oxford University Press, Oxford, 2000, p. 80 ; VERHOEST, K., « The impact… », op. cit., pp. 137-138. 98 Pour rappel, l’article 1184 du code civile prévoit que « La condition résolutoire est toujours sous-

entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son

engagement.

Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été

exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible ou d'en demander

la résolution avec dommages et intérêts.

La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les

circonstances ». 99 Article 3, § 3, de la loi.

20

être réglée par les entités fédérées, la référence à l’inapplicabilité de l’article 1184 du Code civil se retrouve par contre dans la majorité des textes relatifs aux contrats de gestion, mis à part à Bruxelles.

Certaines législations cependant ne fixent rien, directement ou indirectement, quant à la

nature juridique des contrats de gestion, tel est le cas pour bon nombre de textes bruxellois ou

pour certains textes fédéraux. 100

23. Il semble illusoire de rechercher une qualification juridique unique qui s’appliquerait indistinctement à l’ensemble des conventions de prestation. En effet, les réglementations présentées plus haut démontrent que l’intégration de cet outil de gestion par les différentes autorités publiques belges s’est faite selon des modalités propres et distinctes. Pour ne citer qu’un exemple, le contrat de gestion, en Région wallonne, est principalement utilisé dans les rapports entre le gouvernement et des organismes décentralisés et par un mode qui reste encore fort empreint d’unilatéralité, alors que la Flandre l’utilise désormais également pour organiser ses services administratifs dénués d’une personnalité juridique propre et de manière davantage bilatéralisée. Ces différences de régimes constituent la conséquence logique de l’origine de la convention de prestation qui a précisément été conçue comme un outil non formel faisant partie de la « boîte à outils » destinée à s’intégrer dans toutes les administrations, indépendamment de leurs caractéristiques politiques et culturelles. 101 Il en résulte que chaque autorité publique intègre l’outil selon des modalités qui répondent aux objectifs politiques qu’elle s’est assignée. Ces modalités influencent directement la nature juridique de ces conventions. Pour reprendre l’exemple cité, une convention conclue entre deux institutions dotées de la personnalité juridique pourra présenter une nature juridique différente de celle conclue entre deux organes, dénués en tant que tels de la personnalité juridique, d’une seule personne morale. L’examen de la nature juridique d’une convention de prestation doit donc se fonder sur le cadre juridique dans lequel elle s’insère. Ce constat n’empêche cependant pas de formuler quelques réflexions générales qui peuvent guider l’examen au cas par cas.

B. Les contrats de gestion sont-ils de simples déclarations d’intention ? 24. Peut on affirmer, à l’instar des tenants de la NGP, que les contrats de gestion constitueraient de simples déclarations d’intention, sorte de « gentlemen’s agreements » dénués de force contraignante ou faut-il les considérer comme de réels contrats ? Le contrat consiste essentiellement en un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes au moins qui exige pour pouvoir produire des effets en droit, l’animus

contrahendae obligationis, c’est-à-dire l’intention de produire des effets juridiques. 102 103 Si

100 On peut citer pour exemple les ordonnances précitées relatives à la STIB (du 22 novembre 1990), à la SDRB (du 20 mai 1999) ou la SLRB (du 17 juillet 2003) et les lois prévoyant un contrat de gestion pour l’agence APETRA (du 26 janvier 2006 précitée) ou encore pour les Beaux-Arts (du 7 mai 1999). 101 DRUMAUX, A. op. cit., pp.115-117 ; MONKS, J., op. cit., p. 85 ; VARONE, F., op. cit., p. 129. 102 Cass., 2 décembre 1875, Pas, I, 1976, I, 37. 103 COIPEL, M., Eléments de théorie générale des contrats, Kluwer, Story-Scientia, 1999, p. 3.

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l’intention de s’engager juridiquement n’existe pas chez les parties contractantes, le contrat ne saurait prendre naissance. 104 Les parties peuvent s’engager en honneur et conscience et conclure ainsi des accords dénués de toute force contraignante. Elles concluent alors un gentlemen’s agreement ou une déclaration d’intention. Le caractère principal de tels accords réside donc dans le fait que les parties se sont liées uniquement par leurs honneur et conscience et « qu’elles ont exclu toute contrainte de l’ordre juridique pour les faire

honorer ». 105 Selon la jurisprudence, « le gentlemen’s agreement est par définition un accord qui n’est

revêtu que d’une autorité morale et qui n’est pas contraignant en droit, parce que les parties

à un tel accord n’avaient clairement pas eu l’intention de s’engager juridiquement, de sorte

que le juge est tenu de respecter cela pour autant qu’aucune règle de droit public ou relative

aux bonnes mœurs ni aucune règle juridique impérative destinée à la protection des parties

faibles ne soit violée. Aucune indemnisation ne peut dès lors être accordée pour cause d’un

prétendu non respect d’un tel accord ». 106 Il n’y a de déclaration d’intention ou de gentlemen’s agreement que lorsque les parties n’ont pas entendu prendre des engagements fermes, précis et juridiquement contraignants. La question de savoir si un accord entre parties constitue une déclaration d’intention ou un contrat ne peut être résolue qu’à la suite d’un examen concret de l’accord, fondé sur l’intention des parties de s’engager de manière contraignante et, à défaut d’indication claire à ce sujet, au moyen d’un faisceau d’indices. Il s’agit d’une question de fait qui ne peut trouver de réponse qu’à l’issue d’un examen au cas par cas. Dès lors, si une réglementation se contente d’imposer la conclusion d’un contrat de gestion sans autres précisions, que la convention conclue sur cette base est formulée en des termes vagues et non précis et que le non respect des engagements mutuels ne sera suivi d’aucune sanction, l’on peut difficilement dénier à ce type d’accords la qualification de déclaration d’intention. Par contre, il apparaît peu probable qu’un contrat de gestion puisse constituer une simple déclaration d’intention lorsque la législation qui l’impose fixe son contenu, la procédure de négociation, de conclusion, de renouvellement du contrat, une publication au Moniteur belge avant son entrée en vigueur, et l’existence de sanctions – judiciaires ou autres – en cas de non-respect des engagements, d’une part, et si le contrat en question est libellé en des termes précis et que les engagements pris sont chiffrés et quantifiables. 107 A propos des sanctions, il faut insister sur ce qu’en règle, le contrat de gestion constitue un critère de contrôle de l’autorité de tutelle et que son non-respect par l’organisme contrôlé peut entrainer, outre l’application de sanctions spécifiques prévue par le contrat, la suspension ou l’annulation de ses décisions.

104 DE PAGE, H., op. cit., t. I, 3ème éd., p. 36; Théorie générale des obligations, LES NOVELLES, Droit civil, Bruxelles, Larcier, 1957, t. IV, p. 74, n° 26 ; VAN OMMESLAGHE, P., « Examen de jurisprudence (1974 à 1982) Les obligations », R.C.J.B., 1986, p. 33. 105 DIRIX, E., « Le « gentlemen’s agreement » dans la théorie du droit et la pratique contemporaine », R.D.I.C., 1999, pp. 223-245 et spéc. 237. 106 Comm. Malines, 27 février 1998, R.W., 1999-2000, 157. 107 Pour un exemple de réglementation détaillée, voy. l’arrêté royal précité du 3 avril 1997 portant des mesures en vue de la responsabilisation des institutions publiques de sécurité sociale.

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C. Les contrats de gestion sont-ils des contrats ?

25. Il n’apparaît donc pas raisonnable de considérer ces derniers contrats de gestion comme des déclarations sur l’honneur dénuées d’effet juridique. Doit-on en conclure qu’ils constituent partant de contrats de droit commun régis par le Code civil ? Parmi les commentaires de doctrine établis à propos de la loi du 21 mars 1991 relative aux EPA, certains auteurs ont estimé que les contrats de gestion sont des contrats soumis au droit commun du Code civil. En excluant la nature réglementaire des contrats de gestion, le législateur aurait voulu délibérément placer la relation entre l’Etat et l’entreprise publique dans le champ du droit privé, et ainsi exclure les prérogatives exorbitantes de la puissance publique dans le cadre du droit des contrats administratifs et, en cas de conflit, se référer à l’arbitrage du juge civil ou du juge commercial. 108 D’autres ont considéré que le déséquilibre existant entre parties contractantes n’entrait pas en contradiction avec la nature contractuelle du contrat de gestion. L’Etat est seul compétent pour décider de l’entrée en vigueur du contrat ou pour fixer les règles provisoires lorsque les parties n’ont pu trouver un accord sur le nouveau contrat de gestion. Les parties au contrat ne se trouveraient donc pas dans une réelle situation d’égalité. Toutefois, si ce déséquilibre entre parties pèse, certes, sur les négociations du contrat, il ne serait « nullement en contradiction

avec la théorie générale des contrats ». 109 Le contrat de gestion constituerait un contrat de droit commun et ne pourrait être qualifié de contrat administratif en raison de l’absence de droit discrétionnaire ou résiliatoire ou encore des autres prérogatives exorbitantes du droit commun dont dispose l’Etat dans ce genre de convention. Le contrat de gestion serait directement inspiré de l’expérience française des contrats de plan et postulerait l’égalité des parties au contrat. 110

La Cour de cassation ne s’est pas directement prononcée sur la question. Elle a toutefois eu

l’occasion d’examiner si le contrat de gestion, en l’occurrence celui liant la Communauté

française et la RTBF, constituait une loi au sens de l’article 608 du Code judiciaire afin de

déterminer si un tiers au contrat, en l’espèce la s.a. TVI, pouvait se prévaloir du non respect

de ses dispositions par la RTBF. 111

La Cour a jugé que la notion du contrat de gestion telle

qu’elle est consacrée par le décret portant statut de la RTBF « est inspirée de la loi du 21

mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques ; qu’un tel

contrat n’est pas un acte ou un règlement d’une autorité administrative ; Que, dès lors,

comme le soutient la défenderesse, le contrat de gestion n’est pas une loi, au sens de l’article

608 du Code judiciaire ».

108 VERKAEREN, P., « Tendances récentes en matière de contrôle de certains organismes d’intérêt public », Ann. dr., 1991, pp. 67 et s., spécial. p. 74. 109 NUCHELMANS, D. et PAGANO, G., op. cit., p. 41 ; NUCHELMANS, D., « Essai de définition des éléments communs aux nouvelles techniques d’inspiration contractuelle de contrôle des entreprises publiques en Belgique », in Les fonctions collectives dans une économie de marché, Xè congrès des économistes belges de

langue française, Mons, Centre interuniversitaire de formation permanente, 1992, pp. 212-213.

110 NUCHELMANS, D. et PAGANO, G., op. cit., p. 41. 111 Cass. 21 déc. 2000, aff. C.99.0096.F, Pas., 2000, I, n°716 ; DE ROY, D, « La nature juridique des contrats de gestion d’entreprises publiques : à la recherche de l’introuvable ? », J.T., 2002, p. 393 et s. et plus spécialement pp. 399 et s.

23

Dans ses conclusions, l’avocat général Werquin avait également rappelé la filiation entre les

deux textes. Il a, également, fondé son appréciation sur l’examen de la volonté du législateur décrétal, d’une part, ainsi que sur l’examen concret du contenu du contrat de gestion en cause, d’autre part. Concernant ce second point, M. Werquin a précisé que les « contrats de gestion

ne sont pas non plus des « contrats » qualifiés comme tel par le législateur parce qu’issus de

négociations, tout en produisant les effets juridiques des règlements à l’égard de catégories

de personnes dont certaines n’ont ni consenti ni participé à leur élaboration. Il s’agit bien de

conventions légalement formées au sens de l’article 1134 du Code civil ». Et l’Avocat général d’ajouter que « le contrat de gestion comporte en effet une série de dispositions mettant à

charge de l’entreprise des obligations précises ayant comme finalité l’exécution de sa mission

de service public (…) et d’autres dispositions comportant des obligations détaillées relatives

aux subventions dues par la Communauté française à l’entreprise en contrepartie de la

réalisation de sa mission de service public, sans que la portée de ces clauses dépasse les

parties contractantes ». 112 Pour l’avocat général, le contrat de gestion conclut entre la Communauté française et la RTBF constitue donc bien une convention légalement formée au sens de l’article 1134 du code civil. 26. Une chose est de rapprocher le contrat de gestion de la forme contractuelle pour lui dénier la qualification réglementaire, une autre est d’y déceler un réel contrat de droit commun. L’examen des contrats de gestion au regard des grands principes du régime contractuel ainsi que des conditions de validité des contrats, tels que fixés dans le Code civil, suffit à démontrer que cette qualification, légale dans certains cas, répond essentiellement à un souci de facilité et de clarté artificielle. Un tel examen met, en effet, en évidence plusieurs entorses aux règles de droit commun. Tel est notamment le cas des dérogations aux principes du consensualisme ou à la liberté contractuelle. Les organismes qui doivent conclure des contrats de gestion ne sont pas libres de le faire, il s’agit d’une obligation légale. Le contenu du contrat est également imposé par le législateur. De même, il n’existe pas d’égalité entre les parties contractantes dès lors que l’une, l’autorité de tutelle, exerce un contrôle sur l’autre. David De Roy estime à ce propos que le lien qui existe entre l’Etat et l’organisme cocontractant « suggère combien le jeu

contractuel est factice ». 113 Toutefois, chacune de ces dérogations au droit commun des contrats ne semble pas pouvoir, en soi, suffire à invalider la qualification. Il est, par exemple, généralement reconnu que les contrats d’adhésion forme de réels contrats soumis aux règles du code civil. De même, au sujet du déséquilibre entre les parties contractantes, Jean Sarot avait déjà relevé l’objection dans son étude sur les contrats dans l’organisation des services publics. Selon lui le contrat devrait être absent des relations entre l’Etat et les organismes décentralisés, puisque le premier dispose sur les seconds d’un pouvoir de tutelle générale et a donc les moyens d’imposer sa volonté. Il relève toutefois qu’il convient de faire, à propos des relations de droit public, la constatation que Henri De Page fait à propos des relations de droit privé, à savoir que l’égalité des cocontractants existe rarement. 114 Ne voit-on pas, en effet, des contrats se conclure, en droit privé, entre des sociétés mères et leurs filiales. Le contrôle que les unes exercent sur les autres ne devrait pas en soi être de nature à disqualifier les contrats conclus. 112 Nous soulignons. 113 DE ROY, D., op. cit., p. 400. 114 SAROT, Jean, « Le contrat, instrument d’organisation des services publics », A.P.T., 1977, p. 100 et s. et spéc. p. 117.

24

La qualité des parties et l’objet des contrats de gestion nous semblent cependant poser sérieusement question. Par le contrat de gestion, l’autorité publique et l’OIP concluent, en règle, des engagements portant sur les conditions selon lesquelles les missions de service public seront exercées. Ils modalisent ainsi l’exercice du contrôle de tutelle en vue de le rendre moins aléatoire. La logique contractuelle du droit commun exigerait que l’autorité publique, partie contractante, ne puisse modifier l’équilibre des engagements contractuels fixés. Ceci revient en définitive à la considérer comme une partie contractante liée par des engagements contractuels qu’elle ne pourrait modifier unilatéralement même si la satisfaction de l’intérêt général l’exigeait. Or, empêcher l’Etat de modifier le contrat en toute circonstance revient à limiter ses pouvoirs constitutionnellement organisés. En effet, en vertu des articles 33, 105 et 108 de la Constitution et 20 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, les pouvoirs sont indisponibles et le Roi et les gouvernements communautaires et régionaux sont chargés respectivement du pouvoir d’exécution des lois, des décrets et des ordonnances. En d’autres termes, ces derniers doivent être en mesure d’intervenir réglementairement lorsque l’intérêt général le requiert et ce même si cela suppose le non-respect des engagements contractuels. Le gouvernement ne peut disposer par voie conventionnelle de son pouvoir réglementaire et le Parlement ne saurait l’y autoriser. 115 Par ailleurs, il est difficilement concevable que les conventions de gestion concluent entre un ministre et un chef de département ministériel, comme les prévoient la législation flamande, puissent être considérées comme de réels contrats à défaut d’être conclues entre deux sujets de droit distincts disposant de la capacité juridique requise… même s’il faut reconnaître que les syndicats, dénués de la personnalité morale, peuvent s’engager juridiquement. 27. Prise individuellement, chacune des objections soulevées peut trouver, il est vrai, des justifications parmi d’autres exemples existants empêchant une remise en question de la qualification contractuelle de droit commun. Toutefois, cumulées, l’ensemble de ces dérogations au régime de droit commun des contrats amène malgré tout à penser que la forme juridique du contrat telle que réglée par le Code civil n’apparaît pas correspondre à la réalité des rapports qui se nouent à l’occasion d’une convention de gestion. De plus, la possibilité pour un juge judiciaire de condamner l’une des parties à l’exécution en nature de ces conventions ou à un payement de dommages et intérêts semble si peu adaptée à la réalité des besoins en présence. Ceci ne signifie pas pour autant que toute forme de contractualisation des rapports entre une autorité de tutelle et l’organisme qui en dépend ne pourrait engendrer des droits et obligations contraignantes en droit. Ne pourrait-on pas rapprocher les contrats de gestion des contrats administratifs de droit français ? Ces contrats pour lesquels l’administration conserve et se réserve le droit d’exercer ses prérogatives de puissance publique dans le cadre contractuel, se caractérisent par l’inégalité entre cocontractants et sont, en conséquence soumis à un régime particulier de droit 115 Voir à ce propos les avis de la section de législation du Conseil d’Etat sur les avant-projets de décrets relatifs aux conventions environnementales : Avis 22285/8 du 1 juin 1993 sur l’avant-projet devenu le décret flamand du 15 juin 1994, Doc. VI.R., 1992-1993, n°401/1, pp. 57-583 ; Avis 24.240/9 du 20 mars 1995 sur l’avant-projet devenu le décret wallon du 27 juin 1996 relatif aux déchets, Doc. C.R.W., 1994-1995, n°344/1.

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public. 116 Sont qualifiés de contrats administratifs par la jurisprudence française, les contrats ou qui ont un lien suffisant avec le service public ou qui comportent au moins une clause exorbitante du droit commun qui traduit des prérogatives de puissance publique ou qui est manifestement inspirée par un souci d’intérêt général. 117 Même s’ils n’entraîneraient pas en Belgique les mêmes conséquences juridiques qu’en France, ce type de contrats a le mérite de refléter avec plus de justesse les rapports qui se nouent entre les parties au contrat. Ils ont en effet l’avantage de reconnaître l’inégalité des parties contractantes et de permettre le cas échéant à l’autorité de tutelle de modifier unilatéralement le contrat lorsque l’intérêt général le requiert uniquement, moyennant le cas échéant indemnisation.

116 En France, la doctrine établit une distinction, acquise de longue date, entre les contrats de l’administration et les contrats administratifs. Les premiers concernent des contrats d’achat, de vente, de location, dans le cadre desquels l’administration intervient au même titre que les particuliers. L’égalité des parties reste la règle. Ces contrats sont considérés comme des contrats de droit privé auxquels s’appliquent les règles de droit commun édictées par le Code civil. Les seconds sont des contrats pour lesquels l’administration conserve et se réserve le droit d’exercer ses prérogatives de la puissance publique dans le cadre contractuel. Ils se caractérisent, partant, par l’inégalité entre cocontractants et sont, en conséquence soumis à un régime particulier de droit public. Sont qualifiés de contrats administratifs par la jurisprudence française, les contrats ou qui ont un lien suffisant avec le service public ou qui comportent au moins une clause exorbitante du droit commun qui traduit des prérogatives de puissance publique ou qui est manifestement inspirée par un souci d’intérêt général. Cette distinction est destinée à déterminer le juge compétent. Le juge judiciaire est compétent pour connaître des litiges relatifs aux contrats de l’administration alors que le juge administratif, qui n’est pas tenu par le droit civil, peut seul connaître des contrats administratifs. Voy. de LAUBADERE, André, MODERNE, Franck et DELVOLVE Pierre, Traité des contrats administratifs, L.G.D.J., 2ème édition, 1983, pp. 125-235 ; RICHER, L., Droit des contrats administratifs, Paris, L.G.D.J., 2002, 3ème éd., pp. 84-85, n°108 ; MAST, A., ALEN, A., DUJARDIN, J., Précis de droit administratif belge, Story-Scientia, Bruxelles, 1989, p. 110, n°112 ; FLAMME, M.-A., op. cit., t. II, p. 778 ; CAMBIER, C., Droit administratif, Bruxelles, Larcier, 1968 , p. 272. En Belgique, la répartition des compétences entre les juridictions judiciaires et les juridictions administratives se fonde sur un critère indépendant du droit applicable à l’objet du litige. C’est la nature du droit, objet du litige, qui est pris en compte. En vertu des articles 144 et 145 de la Constitution, les juridictions judiciaires sont exclusivement compétentes pour connaître des litiges qui ont pour objet des droits civils. Les contestations ayant pour objet des droits politiques sont du ressort des tribunaux, sauf les exceptions établies par la loi. Les juridictions administratives connaissent, lorsqu’une loi le prévoit expressément, des litiges relatifs à des droits politiques. Si les juridictions judiciaires sont seules compétentes pour connaître des litiges relatifs à tous les types de contrats conclus par l’administration, l’on ne peut conclure qu’il n’existe pas, en droit belge, de contrats administratifs soumis à un régime juridique particulier. Les administrations concluent le plus souvent des contrats afin de se procurer les biens et services dont elles ont besoin en vue de remplir leurs missions (achats, ventes, baux, assurances, etc.). Ces contrats sont soumis au régime de droit commun tel que fixé par le Code civil. En outre, l’administration conclut également des conventions dont le régime s’écarte du droit commun. Ces conventions revêtent un caractère administratif qui n’est pas contesté comme les marchés publics, les contrats entre pouvoirs publics (contrat d’association intercommunale), les concessions domaniales ou les concessions de service public. 117 de LAUBADERE, André, MODERNE, Franck et DELVOLVE Pierre, op. cit., pp. 125-235 ; RICHER, L., op. cit., pp. 84-85, n°108.

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D. Qu’en est-il des effets réglementaires ?

28. Enfin, certaines législations fédérales précisent que le contrat de gestion n’est pas un acte un ou un règlement visé à l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat. Ce faisant, en affirmant le caractère non réglementaire du contrat, le législateur empêche la Haute juridiction administrative de connaître des recours contre des contrat de gestion qui auraient potentiellement des effets réglementaires. 118 Les contrats de gestion doivent en règle contenir des dispositions fixant les règles de conduite vis-à-vis des tiers. La question de savoir si en établissant ces règles, les parties contractantes créent des droits et des obligations dans le chef des usagers doit être examinée au cas par cas sur base d’une disposition particulière. L’objectif des ces règles de conduite vise, certes, la performance de l’action administrative et non la création de droits ou d’obligation dans le chef des tiers, comme par exemple s’assurer que chaque plainte introduite auprès du service par un usager reçoive immédiatement un accusé de réception. Ce régime semble cependant excessif dès lors qu’il n’empêche pas les contrats d’administration de pouvoir, en fait, à l’instar des circulaires réglementaires119, sortir de tels effets, et rend impossible un contrôle de ces contrats en tant que source du droit objectif. Il semblerait plus juste de se contenter de reconnaître que les contrats d’administration ne peuvent revêtir de caractère réglementaire tout en laissant le soin à la Haute juridiction administrative de sanctionner les éventuels excès de pouvoir en la matière. Ainsi le justiciable conserverait une garantie juridictionnelle fondamentale.

118 Voy. à ce propos l’avis défavorable rendu par la Section de législation Conseil d’Etat sur l’avant-projet de décret portant réforme de la société wallonne de distribution d’eau et instituant une société wallonne des eaux, Projet, Doc. Parl., Chambre, 1996-1997, n° 1185/1. 119 Pour rappel, de telles circulaires sont illégales. Il arrive en effet que certaines autorités édictent, sous la forme de circulaires, des directives contraignantes qui doivent être respectées par ceux à qui la circulaire est adressée. Il s’agit alors de ce que l’on qualifie de circulaires « réglementaires » qui ont vocation à édicter des règles de droit obligatoires. Ces circulaires sont, en conséquence, susceptibles d’être annulées par le Conseil d’Etat. En vertu de la jurisprudence du Conseil d’Etat, pour être qualifiée de réglementaire, une circulaire doit satisfaire aux cinq conditions suivantes : 1) elle doit ajouter quelque chose à la loi, c'est-à-dire ajouter de nouvelles règles à celles en vigueur, 2) elle doit formuler des règles suffisamment abstraites et générales, 3) elle doit comprendre des règles présentant un caractère contraignant aux yeux de ses auteurs, ce qui peut ressortir de la manière dont elle est rédigée, 4) elle doit être établie et publiée par une autorité habilitée à imposer, en cas de litige, le respect des normes qu'elle a édictées, 5) elle doit s'adresser à des personnes ou à des services qui assistent l'autorité normative dans l'exécution de la loi : C.E., 1er mars 2005, S.A. Mobistar, n°141.414 ; C.E., 17 mai 2001, a.s.b.l. Vlaamse Federatie der Persverspreiders en Aanverwante Produkten, n° 95.575 ; C.E., 6 juin 2000, Van Mael, n°87.855.

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IV. CONCLUSION

29. La contractualisation examinée dans le cadre de la présente note illustre une des mutations importantes auxquelles sont confrontées les administrations publiques. La question ne porte plus tellement sur le point de savoir s’il faut accepter ou refuser ces tendances tellement les préceptes de la NGP semblent déjà s’être distillés dans les réglementations qui les encadrent. On a vu en effet que la convention de management ou de prestation, produit de la doctrine de la NGP, est en effet largement utilisée par les autorités publiques belges de tous bords dans leurs rapports de tutelle avec les organismes d’intérêt public dont elles ont la responsabilité, voir même, pour certaines, avec les entités administratives qui demeurent sous leur pouvoir hiérarchique. En conséquence, la question à poser ne devrait pas tant porter sur le point de savoir si l’Etat doit ou non être efficace, mais devrait davantage interroger les conditions auxquelles cette efficacité doit/peut être poursuivie. L’approche juridique du phénomène de contractualisation force à s’interroger sur sa constitutionnalité. Il convient, en la matière, d’insister sur la nécessité pour l’autorité publique qui se lie par contrat de ne pas se mettre dans une position juridique qui l’empêcherait d’exercer les missions que la Nation lui a confiées en vertu de la Constitution ou des lois prises en vertu celle-ci. L’administration doit continuer à pouvoir servir l’intérêt général. Dès lors que le contrat par lequel elle s’engage, ou le contexte juridique dans lequel ce contrat s’inscrit, lui réserve cette faculté en lui reconnaissant un certain nombre de prérogatives, dérogatoires par rapport au droit commun, le procédé contractuel ne semble pas présenter de problème de constitutionnalité. 120 L’intégration des conventions de prestation dans les administrations belges interroge, également, la pertinence de l’approche « non-juridique » et « déformalisée » des nouveaux modes de gestion administrative. Dans la quête de l’efficacité administrative, le droit ne doit pas être envisagé comme contre productif. Au contraire, il permet d’instaurer un cadre de responsabilité, nécessaire dans tout Etat de droit, alors même que la responsabilisation des administrations est un des objectifs essentiels des réformes contemporaines. Considérer les contrats de gestion comme de simples déclarations d’intention dénuées de tout effet juridiquement contraignant n’apparaît pas en outre refléter la juste nature de ces instruments qui peuvent être conclus à la suite de longues négociations et aboutir à des

120 A ce sujet, voy. ANDERSEN, R., « Autorité et contrat dans l’administration moderne en Belgique »,

Annuaire européen d’administration publique, 1997, p. 40 ; D’HOOGHE, D., « De mogelijkheden voor openbare besturen om beleidsovereenkomsten te sluiten en deel te nemen aan de oprichting van rechtspersonen », T.G.E.M., 95/2, pp. 75 et s., VAN GERVEN, W, Beleidsconvenanten, Academiae Analecta, 1985, p. 38 ; PÂQUES, o. c., p. 423 ; QUERTAINMONT, Ph., « Les nouveaux instruments contractuels utilisés par l’Administration et la compétence du juge administratif », T.B.P., 2000, 1, p. 43.

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engagements précis et quantifiés et dont le non-respect est susceptible d’entraîner des sanctions particulières. La figure du contrat de droit commun n’apparaît pas entièrement adaptée à ce nouvel outil de gestion. L’inégalité des parties, les dérogations au droit commun imposées par la règle de la continuité du service public, l’existence de sanctions spécifiques et l’inadéquation du contrôle judiciaire amènent à penser que si engagements mutuels contraignants il y a, ceux-ci ne sont pas coulés dans un contrat de droit commun régis par le Code civil dont les règles sont si peu adaptées aux relations en cause. Il conviendrait dès lors de considérer ces instruments de gestion comme créateurs de normes juridiques contraignantes mais dont la nature ne peut être rangée dans une catégorie d’acte juridique classique. Il s’agirait en quelque sorte d’un contrat – car les normes qu’ils contiennent sont censées naître, dans la majeure partie des cas, d’une négociation – mais de type administratif – en raison de la qualité des parties, de l’inégalité existante entre elles et de l’objet sur lequel il porte – et dont les sanctions en cas de non-respect de ses clauses ne sont pas forcément judiciaires mais administratives et/ou financières.

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