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Les conséquences économiques de la croissance démographique : 35 ans de débat entre orthodoxie et relativisme par Eric Rougier Centre d’économie du développement Université Montesquieu-Bordeaux IV Résumé Ce papier reprend les grandes lignes du débat théorique moderne autour des interactions entre la croissance de la population et la progression des niveaux de vie. Il identifie les ruptures et les continuités qui ont conduit à la constitution d’un champ de recherche autonome et intermédiaire entre les corpus de la démographie et de la théorie du développement et de la croissance économique. Ce corpus théorique s’est constitué par la confrontation entre les évolutions empiriques observables et les progrès de la théorie économique de la croissance et du développement. Simultanément, l’environnement politique et idéologique a fortement conditionné l’évolution de ce champ de recherche. Selon la perspective théorique, les conséquences de la forte croissance démographique seront négatives, positives, variables ou non problématique. Abstract This paper recapitulates the broad outlines of the theoretic debate on interelations between population expansion and economic growth. It identifies breakings and continuities that led to the constitution of an independant research field. That field associates population studies and economic growth and development theory. That thoeretical corpus has been built by confronting empirical observations and growth economics progress. In the same time, political and ideological settings have hugely influenced the process of that field. Economic effects of population growth are supposed to be alternatively negative, positive, or non-problematic depending on the theoretical perspective.

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Les conséquences économiquesde la croissance démographique :35 ans de débat entre orthodoxie

et relativisme

par

Eric RougierCentre d’économie du développementUniversité Montesquieu-Bordeaux IV

Résumé

Ce papier reprend les grandes lignes du débat théorique moderne autour des interactions entre la croissance dela population et la progression des niveaux de vie. Il identifie les ruptures et les continuités qui ont conduit à la constitutiond’un champ de recherche autonome et intermédiaire entre les corpus de la démographie et de la théorie du développementet de la croissance économique. Ce corpus théorique s’est constitué par la confrontation entre les évolutions empiriquesobservables et les progrès de la théorie économique de la croissance et du développement. Simultanément, l’environnementpolitique et idéologique a fortement conditionné l’évolution de ce champ de recherche. Selon la perspective théorique, lesconséquences de la forte croissance démographique seront négatives, positives, variables ou non problématique.

Abstract

This paper recapitulates the broad outlines of the theoretic debate on interelations between population expansionand economic growth. It identifies breakings and continuities that led to the constitution of an independant research field.That field associates population studies and economic growth and development theory. That thoeretical corpus has beenbuilt by confronting empirical observations and growth economics progress. In the same time, political and ideologicalsettings have hugely influenced the process of that field. Economic effects of population growth are supposed to bealternatively negative, positive, or non-problematic depending on the theoretical perspective.

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Sommaire

1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

2. Transition démographique et optimisme historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

3. Orthodoxie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

4. Hétérodoxie et relativisme («révisionism») . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

5. Le nouveau consensus des années 1990 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

6. Les faits, l’environnement politique et leur influencesur la théorie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

7. Bilan et synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

Références bibliographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

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1. Introduction

C’est dans un contexte démographique inusité,les taux moyens d’accroissement annuels de lapopulation pouvant s’élever jusqu’à des valeursextrêmes1 — tableau 1 —, que se sont construites lesprincipales théories démo-économiques modernes.L’accélération de la croissance de la populationenregistrée dans les pays en développement, dès lesannées cinquante, est essentiellement imputable à labaisse de la mortalité, les taux de fécondité restantstabilisés à des niveaux élevés. L’originalité de lasituation résidait dans le fait que la tendance à la baissede la mortalité attribuable aux progrès socio-économiques internes aux pays en développement, futsoutenue, voire même amplifiée, par l’intervention despuissances coloniales européennes. Dans le cas de laplupart de ces pays d’Asie et d’Afrique, les conditionsde la baisse de la mortalité furent ainsi partiellement laconséquence des investissements en infrastructures etdes campagnes de développement de la productionalimentaire ou des systèmes sanitaires impulsés par lesmétropoles2. Une part non négligeable desinvestissements nécessaires à la baisse de la mortalitéavait donc une origine non domestique, et ne résultaitpas d’un quelconque surplus de richesses ou de bien-être endogène. Il pouvait donc parfois en résulter uneassociation apparemment contradictoire d’expansiondémographique rapide et d’extension de la pauvreté3.

Comme il est possible de le vérifier dans letableau 1, la période de 1950 à 1980 marque «la phasehistorique de croissance démographique maximale» dumonde peu développé4. Ce furent d’abord et surtout lespays asiatiques, en même temps que certains paysd’Amérique latine, qui virent, dès le début des annéescinquante, leurs taux de croissance démographiqueexploser. Alors que le plafond de croissance se situe enmoyenne dans les années soixante, un légerralentissement du rythme des accroissementsdémographiques commence à s’opérer au cours de ladécennie soixante-dix. L’accélération de la croissancedémographique concerna ensuite les pays du Proche-Orient et du Moyen-Orient, ainsi que les pays africainspour lesquels les taux maxima de croissance

démographique sont atteints sur une période allant dela fin des années soixante-dix, jusqu’à la fin des annéesquatre-vingt, voire le début des années quatre-vingt-dixpour certains pays africains qui entrent juste,aujourd’hui, dans la phase de réduction de la mortalité.

Alors que jusque-là, des taux d’accroissementannuels moyens au-delà de 1,5 pour cent étaientconsidérés comme importants, les nouvellesconfigurations démographiques, impliquant des taux decroissance supérieurs à 3 pour cent, vont lancer denouveaux défis, aussi bien pour les économies peudéveloppées qui les subissent, que pour les théories dudéveloppement et de l’interaction entre population etniveau de vie.

Considérant cette nouvelle configurationdémographique, les démographes et les économistes decette époque en vinrent à douter que les sociétéspauvres et densément peuplées (spécialement en Asie)puissent répéter l’expérience de la modernisation démo-économique européenne. Le déclenchement d’unprocessus auto-entretenu d’expansion économique et deprogrès technologique et social semblait peu probabledans ces régions, nouvellement indépendantes, et auxprises avec une expansion démographique enaccélération constante. L’idée se répandit que lacroissance démographique rapide pouvait inhiber ledéveloppement nécessaire à la réduction endogène de lafécondité. Tout naturellement, s’imposa comme uneévidence l’opinion selon laquelle la modernisationéconomique devait nécessairement être précédée de lamodernisation démographique, et en particulier que labaisse de la fécondité devrait être impulsée par desactions de politique démographique.

Simultanément à la remise en question desmodèles historiques démo-économiques inductifsfondés sur l’expérience européenne, tels que celui de latransition démographique pour lequel c’est lechangement socio-économique qui doit impulser lechangement démographique, une nouvelle générationde travaux, spécifiquement appliqués aux problèmes depopulation des pays en développement, vont venirsoutenir la nouvelle doctrine de l’action politique surles variables démographiques. Cet ensemble de travauxparvenait à identifier des effets nettement négatifs de lacroissance démographique sur les variables del’accumulation, et partant, sur la dynamique decroissance.

Ce sont d’abord les changements observésdans les évolutions empiriques, plus que les progrès dela théorie5,qui vont préparer l’ascension d’une

1 Les taux de croissance annuels moyens se situaientainsi, dans les années soixante, autour 3,70 pour cent en Côted’Ivoire, 3,40 pour cent au Kenya, et de 3,00 pour cent enMalaisie, Philippines et Thaïlande : World Bank [1987, 1994].

2 Certains auteurs parlaient dès la fin de la deuxièmeguerre mondiale, sous la forme de l’expression assez explicite de«Malthusian dilemna of all colonialism», des risquesqu’entraînait cette modernisation socio-démographique partielleimpulsée par la colonisation, pouvant créer les conditions d’unecroissance démographique substantielle, sans que le supportproductif de cette croissance démographique soit suffisammentdéveloppé; Thompson [1946 : 313].

3 Hodgson [1988 : 544].4 Dans les propres termes de Chesnais [1985 : 12]. 5 Hodgson [1988 : 558].

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2 DOCUMENT DE TRAVAIL NO. 33

Tableau 1: Estimations moyennes de quelques variables démographiques par régions mondialesTaux de croissance

démographiqueTaux de fécondité

(pour 1000)Taux de mortalité

(pour 1000)Espérance de vie à la

naissance

50-55 70-75 90-94 1960 1978 1960 1978 1960 1992

Afrique Sub-Saharienne 1,9 2,9 2,7 47,8 46,8 24,8 18,8 40,3 52

Amérique latine 2,6 2,4 2,1 43,4 35,8 14,6 9,7 53,6 68,5

Asie totale 2,3 2,3 2,0 44,3 36,1 19,5 12,7 48,5 63,1

Asie Sud/Sud-Est 2,3 2,1 1,7 43,3 33,5 17,8 11,8 49,8 62,6

Proche/Moyen-Orientet Afrique Nord

2,2 2,9 2,4 48,2 42,5 23,2 14,5 45,4 65,3

Ensemble paysdéveloppement 2,2 2,7 2,4 45,9 41,4 20,9 14,8 45,9 58,8

Source : World Bank World Tables [1995, 1989, 1987].

vision neutre et balancée des conséquences de lacroissance de la population à partir de la fin des annéessoixante-dix6. La tendance au ralentissement desrythmes de croissance de la population des pays endéveloppement au cours des années quatre-vingt,spécialement en Asie du Sud, du Sud-Est et en Chine,fut d’abord confirmée. Dans le même temps, les bonnesperformances en termes de taux de croissanceéconomique et de développement social enregistréesdans de nombreux pays, en particulier des paysasiatiques ayant précédemment subi de fortes pressionsdémographiques, contribuèrent à remettre en questionles résultats pessimistes de la génération précédente detravaux. De la même façon, les progrès considérablesvers l’autosuffisance alimentaire qu’a pu permettre larévolution verte, là encore, essentiellement en Asie,vont alimenter la diffusion d’une nouvelle génération detravaux moins alarmistes quant au périldémographique et plus respectueux des complexitésimpliquées par le processus de développement.

Le constat fort et généralisé7 de l’absence decorrélation statistique entre les taux de croissancedémographique et économique (généralement le produitpar tête) est donc au fondement de la réaction théoriquedes années quatre-vingt. La population reste unevariable importante, mais elle est désormaisappréhendée avec moins de passion, plus de rigueur etd’objectivité, et n’est plus désormais considérée quecomme un élément, complexe, impliquée avec d’autreséléments, eux aussi complexes, dans un ensemble derelations dont il convient de démêler les interactions.Nous préciserons, ultérieurement, la teneur de cespositions et propositions.

2. Transition démographiqueet optimisme historique

Au lendemain de la deuxième guerre mondiale,existait un consensus parmi les démographesaméricains concernant l’influence déterminante deschangements structurels sur les dynamiquesdémographiques. Avec les formulations successives duprocessus de la transition démographique autour de19458, les démographes américains étaient parvenus àproduire une théorie historique unifiée apparemmentcapable d’expliquer les tendances démographiquesobservables dans de nombreuses régions du monde.Tous les changements démographiques, et notammentles baisses de la mortalité et de la fécondité, étaientperçus comme des réponses, décalées dans le temps, àune variété de changements structurels communémentrassemblés sous le mécanisme de «processus de

6 Cette nouvelle perspective est généralement qualifiéepar les auteurs anglo-saxons de «revisionism», définie dans sonopposition raisonnée à l’orthodoxie («orthodoxy ») fondée sur leparadigme néo-classique et sur les fondements analytiques desmodèles de croissance de Solow et Swan. Cette perspectivehétérodoxe a cherché à analyser les interactions entre lacroissance démographique et les variables économiques, hors ducadre restrictif imposé par les hypothèses et les méthodesorthodoxes. Les résultats auxquels sont parvenues ces différentesanalyses hétérodoxes relativisent généralement les résultats assezdéfinitifs des analyses orthodoxes. Dès lors, les analysesrévisionnistes seront successivement qualifiées d’hétérodoxes,par leurs méthodes et leurs hypothèses, et de relativistes, parleurs résultats. Les termes «révisionnisme» et «hétérodoxie»devront donc être entendus par la suite dans ces seulesacceptations.

7 Kuznets [1967], et Easterlin [1967] étaient les seulsà prédire, dès la fin des années soixante, l’absence de corrélationqui se confirmera ensuite au fil des analyses statistiques, et surlaquelle l’accord se fera dès la fin des années quatre-vingt. Voirà ce sujet le panorama des travaux effectué par Didier Blanchet[1991: 50-61] ; et Blanchet [1985].

8 Kirk [1944] ; Notenstein [1945], Davies [1945] ;Thompson [1946]; pour plus de précision voir Chesnais [1986].

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CROISSANCE ÉCONOMIQUE ET CROISSANCE DÉMOGRAPHIQUE : 35 ANS DE DÉBAT 3

modernisation»9. Cette théorie de la transitiondémographique était donc le produit de lasédimentation de nombreuses années de recherchehistorique ayant conduit à expliquer les niveaux et lesbaisses de fécondité observés dans les paysoccidentaux par le jeu des conditions socio-économiques et de leurs modifications. Les ajustementsdes objectifs et des motivations des agents économiqueset des ménages aux changements structurels dusystème socio-économique conduisent à desadaptations des comportements démographiques. Ladiffusion et le développement des techniquescontraceptives de contrôle démographique étaientperçus comme inutiles, voire même pour certainsdéfavorables, à l’ajustement de la fécondité10.L’industrialisation était alors conçue comme levéritable pré-requis pour la diminution de la fécondité: «La solution aux pressions démographiquesexcessives sur les terres n’est pas non plus à trouverdans la réduction de la fécondité. La diminution destaux de natalité peut seulement être espérée dans unenvironnement urbain ou industriel»11.

Avec l’accélération de l’accroissementdémographique dans certains pays d’Amérique latine(Brésil, Mexique, Costa Rica,...) et d’Asie (Inde,Malaisie, Formose,...), une nouvelle perception duproblème de la transition démographique émergeautour de 1955. Alors que les taux d’accroissementdémographique maximaux qu’avait expérimentésl’Europe au cours de son processus de transitiondémographique ne dépassaient par 1,5 pour cent paran, ces taux atteignaient des valeurs jamais vues de 3,7pour cent au Costa Rica, de 3,5 pour cent à Formose,de 3,0 pour cent en Malaisie ou de 2,9 pour cent auMexique de 1950 à 195412. Sous l’effet de cettepression démographique inusitée, la mise en place deprogrammes de contrôle démographique par ladiffusion de la régulation des naissances apparaîtdésormais comme la condition nécessaire et préalableà la transition industrielle urbaine : «L’Inde a unechance d’être le premier pays à réaliser une révolutionmajeure dans la vie humaine : la diffusion planifiée ducontrôle de la fécondité dans une population rurale,antérieurement à et pour le bénéfice de la transitionurbaine et industrielle»13.

Remarquons que le problème des effets de lacroissance démographique, est à cette périodeimproprement présenté comme un problème desurpeuplement statique, exprimé en terme de densités,et dynamique, en terme de taux de croissance,essentiellement localisé dans les zones rurales etagraires. L’action des politiques de contrôledémographique doit alors permettre de ralentir lerythme de l’accroissement démographique naturel dansles campagnes, de façon à diminuer le rythmed’accroissement démographique des villes parmigration rurale-urbaine, saisonnière ou permanente.C’est d’ailleurs à cette époque que certaines analysespurement économiques mettent en évidence l’effet deperturbation du développement capitalistique que peutavoir le surplus de main-d’œuvre rurale14. Le vraiproblème est alors plus celui de l’inadéquation entre lesréserves existantes de main-d’œuvre et les besoins dela structure productive que celui d’une réellepopulation surnuméraire conduisant à la diminutionabsolue des niveaux de vie.

Simultanément, les faits semblent venircontredire la théorie de la transition démographiquetelle qu’elle s’était constituée dix années plus tôt. Dansun premier temps, la remontée importante des taux defécondité dans les pays occidentaux, communémentrésumée par l’expression de baby boom, ne put êtreexpliquée dans les termes déterministes et phasiques duprocessus de transition démographique. Ce dernierimpliquait en effet un état stationnaire pour la féconditéet la mortalité, une fois que ces dernières eussentatteint leurs valeurs basses.

Dans un deuxième temps, la brutale réductionde la mortalité visible dès les années cinquante dans lemonde non industrialisé, et qui avait conduit aux tauxd’accroissement démographique extrêmes que nousévoquions précédemment, ne semblait pas explicablepar les seuls progrès socio-économiques contenus dansla croissance et le développement. Cette baisse de lamortalité s’avéra avoir été partiellement importée(technologie médicale, infrastructures coloniales, etc)des pays industrialisés et non directement induite parun processus de développement local comme leprévoyait la théorie de la transition démographique. Lerésultat de ce «divorce»15 entre déclin de la mortalité etprocessus de développement économique sous-jacentconduisit donc à l’association paradoxale d’unecroissance démographique accélérée par la baisse de lamortalité, et d’un approfondissement apparent de lapauvreté. Les principes de la théorie de la transitiondémographique étaient donc doublement remis en

9 Hodgson [1988 : 542].10 Stix and Notenstein [1940 : 153].11 «Nor is any immediate solution for crowding on the

land to be found in declining fertility. Falling birth rates may onlybe expected in an urban, industrial environment» Moore [1945 :121], rapporté par Hodgson [1988 : 542].

12 Davis [1956 : 58].13 «India has a chance to be the first country to achieve

a major revolution in human life - the planned diffusion offertility control in a peasant population prior to, and for thebenefit of, the urban-industrial transition.» Davis [1954 : 87-88],

cité par Hodgson [1988: 543].14 La contribution séminale est celle de Lewis [1954].15 L’expression est de Hodgson [1988 : 544].

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4 DOCUMENT DE TRAVAIL NO. 33

question, à la fois du côté de la fécondité et du côté dela mortalité.

Cette remise en cause par les faits de la théorieet de ses implications politiques, conduisit alors audéveloppement de recherches plus économiques quiavaient pour objectif d’identifier les mécanismes parlesquels la forte croissance démographique pouvaitlimiter et contraindre les potentialités d’expansionéconomique et de développement. Simultanément auxanalyses dualistes déjà évoquées, se développa unesérie de recherches orientées vers la recherche deseffets de la forte croissance démographique sur lesconditions de l’accumulation de capital physiqueproductif. Le spectre de populations croissantes, vivantau niveau du seuil de subsistance, et rendant de plus enplus improbable toute amorce de développementéconomique, fut alors présenté comme une réellepossibilité16. Le système de représentation malthusiensemble alors être redevenu convaincant. La questioncentrale de la problématique démo-économique revenaitdonc à évaluer si la croissance économique pouvaits’initier dans les pays en développement sans que lafécondité fut préalablement réduite. Corrélativement,un grand nombre de travaux furent orientés vers larecherche d’arguments en faveur de la réduction de lafécondité dans ces pays non industrialisés, et versl’estimation des avantages-coûts de ces politiques assezgénéralement considérées comme incontournables.

Les conditions empiriques, théoriques etidéologiques étaient donc réunies pour la production, ledéveloppement et la réception d’une perspectivenouvelle sur les effets économiques de la croissancedémographique. Cette perspective sera plus tardqualifiée d’orthodoxie17.

3. Orthodoxie

La suite historique des analyses des liaisonsthéoriques et empiriques entre dynamiquesdémographique et économique est souvent organisée endeux groupes de pensée majeurs. Ces deux groupesassez homogènes s’opposent quant à la qualificationqu’ils font des effets économiques de la croissancedémographique rapide. Le premier des deux, bienqu’historiquement précédé par le groupe des analysesde la transition démographique dont nous venons deparler, est généralement appelé orthodoxe, alors que lesecond est qualifié, par contraste de «révisionniste».L’orthodoxie s’organise autour de quelques élémentsthéoriques fondamentaux.

La théorie démo-économique malthusienne etses prolongements contemporains situent, a priori, larelation entre population et richesse dans un universfini, dans lequel la progression de la population estpositivement liée au niveau de vie et se heurte à lacontrainte des ressources qu’elle contribue elle-mêmeà exacerber. Si le modèle malthusien et sesprolongements directs se concentraient sur la relationentre la population et les ressources naturelles etalimentaires, sous l’hypothèse de rendementsmarginaux décroissants de la progressiondémographique18, les modèles néo-malthusiens,intégrant les apports de la théorie macro-économiquedes années cinquante, replacèrent la relation dans lecadre d’un système dans lequel la croissance de lapopulation exerce une pression négative directe surl’accumulation, considérée alors comme le seul facteurde la progression des niveaux de vie19.

En 1958, la liaison dynamique entre croissancedémographique et accumulation de capital est décritepar les analyses pionnières de Coale et Hoover20. Ilsidentifient, sur une double base théorique et empirique,une série d’effets démographiques négatifs sur lesconditions de l’accumulation. L’effet de diversiondétourne l’investissement d’emplois directementproductifs vers des emplois non directement productifs;l’effet de dilution du capital résulte arithmétiquementde la dynamique d’un rapport macroéconomique dontle dénominateur est la taille croissante de la population;et l’effet de dépendance relie négativement la capacitéd’épargne d’un ménage ou de l’économie avec la partdes inactifs par rapport à la population active.

Simultanément, et sous l’influence des modèlesde développement dualistes, certaines analysesinsistaient alternativement sur les capacitésd’absorption d’une force de travail qui suit le rythmede l’accroissement démographique et sur les risques depaupérisation de masse liés au développement du cerclevicieux élargi entre la croissance rapide de lapopulation, la pression sur l’accumulation et lechômage et le sous-emploi. Enfin, les ratios dedépendance importants impliqués par la forte

16 Notamment par Liebenstein [1954], Hodgson [1988: 545].

17 Demeny [1986 : 474].

18 Nous avons démontré ailleurs que cette hypothèsetypiquement malthusienne est non pertinente du point de vue dela logique théorique puisqu’elle constitue une extrapolationmacro d’une relation purement technique entre les évolutionssimultanées du produit et d’un facteur de production variable,tous les autres facteurs de production, y compris la technologie,étant fixes; cette «loi» ne peut donc en être une au niveau macro-historique qu’à la condition intenable de fixer implicitement tousles facteurs de production non démographique.

19 Voir les modèles de trappe néo-malthusienne deLiebenstein [1954, 1957], Nelson [1956, 1960]. Un des premiersapports à cet axe théorique fut le cercle vicieux de la pauvreté,non formalisé, de Nurske [1952].

20 Coale, Hoover [1958].

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CROISSANCE ÉCONOMIQUE ET CROISSANCE DÉMOGRAPHIQUE : 35 ANS DE DÉBAT 5

croissance démographique conduisaient àl’augmentation du besoin en investissementsdémographiques, non directement productifs, etlimitant corrélativement le capital disponible pour lesinvestissements directement productifs. Certainsmodèles21 décrivirent sur ces bases une trapped’équilibre de bas niveau dans laquelle la croissancedémographique engluait la croissance du revenu partête.

Toutefois, et à cette époque (autour de 1960),la base des connaissances empiriques était trop limitée.Comme nous l’avons déjà souligné, l’application del’expérience européenne de la transition démographiqueaux pays en développement était alors ressentie commenon pertinente. De plus, la discussion des conséquencesmacroéconomiques était fondée sur des modèlesconsacrés à d’autres usages, essentiellement desmodèles de croissance économique. Le débat visaitdonc à établir si la nouvelle répartition par âge despopulations rajeunies, associée à la forte fécondité,diminuerait les investissements et les quantités decapital nécessaires pour augmenter la production oupour permettre d’assurer un niveau de vie moyencroissant ou constant à une population croissante.L’important support politique en faveur des mesures deréduction des naissances était donc paradoxalementfondé sur des preuves scientifiques finalementévanescentes. Ces interventions de politiquedémographique étaient toutefois justifiées par lesprétendus bénéfices aux niveaux individuels etcollectifs qu’elles permettraient22.

Il est possible d’identifier, avec Kelley23, unesuite de références théoriques dont la succession a puparticiper à la constitution du corpus des théoriesorthodoxes en un ensemble homogène24.

Dès 1953, un rapport des Nations unies25 asseznuancé et aux champs d’investigation très étendus, bienque peu quantitatifs, remarquait que la croissance et lataille de la population pouvaient exercer des impactspositifs (à travers des effets d’échelle etd’organisation), des impacts négatifs (à travers lesrendements décroissants), et des effets plus incertains(à travers la technologie et le progrès social). Lejugement général, bien que balancé, tendait toutefoisvers le pessimisme. Ce rapport fut révisé en 197326 etle jugement global devint encore un peu pluspessimiste, sous l’effet notamment de l’emphase portéesur les impacts de court terme de la croissance

démographique27. L’intervention de Kuznets dans cerapport venait pourtant nuancer la tonalité orthodoxedominante, puisque ce dernier remarquait, de façon trèspertinente, qu’aucune corrélation statistique entre lestaux de croissance du produit par tête et ceux de lapopulation n’apparaissait sur des échantillonstransversaux ou sur des séries temporelles. Cesrésultats devaient ensuite être confirmés pour ce quiconcerne les périodes antérieures à 1980.

Une synthèse des résultats et des apports decette perspective orthodoxe fut effectuée dans unrapport sur la population et le développementcommandité en 1971 par la U.S. National Academy ofSciences28. Insistant surtout sur les effets de courtterme de la croissance démographique, la majorité desétudes parvenaient partiellement à justifier les tonalitéslargement pessimistes des conclusions du rapport29,arrivant à la conclusion que la croissancedémographique rapide imposait une barrière sérieuse,voire insurmontable, au développement socio-économique. Les auteurs de cette conclusionrésumèrent ainsi leurs résultats de façon très efficace: «La croissance démographique rapide ralentit lacroissance des revenus par tête dans les pays endéveloppement, et tend à perpétuer les inégalités dansla répartition des revenus. Elle tire vers le bas lesniveaux de l’épargne et de l’investissementcapitalistique dans les facteurs de production, et limitepar conséquent le taux de croissance du PIB. L’offrealimentaire et la production agricole doivent êtrefortement accrues pour satisfaire aux besoins despopulations en croissance rapide, ce qui exerce unecontrainte sur l’allocation des ressources à d’autressecteurs économiques et sociaux. Le nombre desentrants dans la force de travail augmente trèsrapidement. Du fait de l’excès des individus à larecherche d’un emploi sur le nombre d’emploisdisponibles, le chômage et le sous-emploi sont desproblèmes de plus en plus sérieux. Un nombre toujoursplus grand de travailleurs ne peut être absorbé dans lesecteur moderne (industrialisé). Ils se rabattent alorssur des occupations de service non productives ou versle secteur traditionnel (agricole) avec sa productivitéfaible et ses salaires de subsistance... Une pauvreté àgrande échelle, la productivité faible du travail, lademande alimentaire croissante, et la faibleindustrialisation distordent et dégradent les conditions

21 Liebenstein [1954] ; Nelson [1956].22 United Nations [1993 : 38].23 Kelley and Schmidt [1996 : 4].24 Homogénéité artificielle, forcée ou pas, là n’est pas

notre problème présent.25 United Nations [1953].26 United Nations [1973].

27 Kelley and Schmidt [1996 : 4].28 Voir en particulier l’«Executive Summary» du

rapport.29 Voir en particulier l’«Executive Summary» du

rapport.

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6 DOCUMENT DE TRAVAIL NO. 33

de l’échange international pour les pays les moinsdéveloppés»30.

Il semble toutefois que ces conclusionsalarmistes, que l’on peut supposer influencées parl’Agency for International Development, sponsor de cerapport dont les positions antipopulationnistes ontsouvent été dénoncées31, aient quelque peu exagéré lesaspects négatifs des résultats obtenus dans les analysessolides qu’il rassemble. Ces différentes étudesformaient un ensemble méthodologiquement proche desanalyses thématiques partielles du révisionnisme, maisconduisaient tout de même à des résultats modérémentpessimiste32. Une autre étude assez large et exhaustivedes effets économiques de la forte croissancedémographique, placée sous la direction de Tabah etéditée en 1975 par l’IUSSP33, venait confirmer lapertinence de cette orientation vers une méthodologiethématique de type hétérodoxe, tout en produisant desrésultats assez orthodoxes.

Des travaux plus récents, tels que le rapport dela Banque Mondiale de 198434, adoptèrent encore cepoint de vue orthodoxe selon lequel la croissance de lapopulation tend à ralentir le développement. Qualifiéed’analyse orthodoxe sophistiquée et modérée35, avecdes connotations «développementalistes», cette étudefut largement critiquée36 à la fois pour son manqued’objectivité et d’impartialité scientifique, pourl’intention de légitimation des interventions anti-natalistes qui semblait la soutenir, et pour l’oublisélectif des résultats les plus pertinents des analyses

hétérodoxes37. Un rapport encore plus récent del’ONU38 replace les conclusions relativistes dans uneperspective orthodoxe renouvelée, mais encore axée surla théorie néo-classique de la croissance et le court-moyen terme (5 à 15 ans).

Le développement d’un système dereprésentation ne fait pas systématiquement disparaîtrele système précédent, de la même façon que le systèmequi va se développer est contenu en germe ou est encours de constitution pendant la périoded’épanouissement du premier. Ainsi, le survey deCassen39 parvint, dès 1975, à s’élever au delà desrestrictions des analyses orthodoxes pour n’en retenirque les résultats les plus intéressants, et en rejeter leshypothèses les plus critiquables et les plus fragiles.Robert Cassen remarqua dans la conclusion de sonanalyse que les effets de la croissance de la populationdans les pays en développement ont pu être exagéréspar les analyses orthodoxes, spécialement pour leseffets sur le capital et l’épargne. Il concède toutefoisqu’il ne semble y avoir que peu d’argumentsconvaincants pouvant venir contredire la conclusionselon laquelle la croissance démographique rapideralentit l’amélioration des niveaux de vie40. Cassen n’adonc pu trouver aucun argument suffisammentconvaincant pour rejeter des conclusions orthodoxesqu’il semble alors n’accepter que par défaut.

Il souligne ainsi un peu plus loin quel’importance relative de la population parmi les autresfacteurs semble avoir été simultanément surévaluée etsous-évaluée41. Il est, selon lui, difficile d’accepter lavue selon laquelle la pauvreté des pays endéveloppement puisse être majoritairement causée parla croissance démographique, l’ordre économiqueinternational, les performances macroéconomiques oules politiques économiques domestiques ayantcomparativement moins d’importance. Il lui apparaîttoutefois que dans la plupart de ces pays, mêmeéconomiquement prometteurs, l’accroissementdémographique rapide n’aurait permis que des gainsrelativement faibles au niveau de l’individu moyen, età fortiori pour les plus pauvres. Ceci étantpartiellement du à la tendance de la répartition desrevenus, en l’absence de mesures contradictoires, à sedétériorer sous les régimes de forte fécondité. Lesjugements orthodoxes sont donc, dès les annéessoixante-dix, fermement nuancés par une minorité

30 «Rapid population growth slows down the growth ofper capita incomes in less developed countries and tends toperpetuate inequalities of income distribution. It holds down thelevel of savings and capital investment in the means ofproduction and thereby limits the rate of growth of gross domesticproduct. Food supplies and agricultural production must begreatly increased to meet the needs of rapidly growingpopulations, and this constrains the allocation of resources toother economic and social sectors. The number of personsentering the labour force grows very rapidly. Because the numberof people seeking employment is larger than the number ofavailable jobs, unemployment and underemployment areincreasingly serious problems. An ever larger number of workerscannot be absorbed into the modern (industrialized) sector. Theyare forced into unproductive service occupations or back into thetraditional (agricultural) sector with its low productivity and baresubsistence wage levels...Widespread poverty, the lowproductivity of labour, the growing demands for food, and slowindustrialization distort and degrade the international trade of theless developed countries». NAS [1971], cité par UN [1993 : 20].

31 Voir notamment Piotrow et Kasun.32 Kelley [1995 : 5].33 Tabah [1975].34 World Bank [1984].35 Notamment par D. Hodgson [1988 : 559].36 Pour toutes ces critiques (Lee, Clark et Easterlin

notamment), se référer aux recensions de ce rapport réunies dansPopulation and Development Review, 11(1), 1985.

37 Lee [1985 : 128-29].38 United Nations [1992 : 20].39 Cassen [1976].40 Les effets de la forte croissance démographique

semblent surtout jouer au niveau de l’emploi productif de laproduction alimentaire et de la provision de services publics(éducation, santé). Cassen [1976 : 821].

41 Cassen [1976 : 821].

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CROISSANCE ÉCONOMIQUE ET CROISSANCE DÉMOGRAPHIQUE : 35 ANS DE DÉBAT 7

d’auteurs. Ces derniers préfigurent, avec Easterlin(1965), Kuznets (1965, 1967) et Kocher (1973)42, ceque sera la réaction contre l’orthodoxie dominante —«révisionism» — pendant la décennie suivante.

Simultanément, et de façon surprenante, larecherche s’orienta peu, jusqu’à la fin des annéessoixante-dix, vers l’exploration des conséquenceséconomiques de la forte croissance démographique. Lesquelques analyses théoriques développées avaient doncpour but de soutenir les positions anti-natalistes. Faceà ces analyses qui se bornaient à prolonger les modèlescanoniques de croissance par accumulation, les étudesréellement empiriques orientées vers la recherche deliaisons statistiques pertinentes et significatives entre lacroissance de la population et les performances macro-économiques furent relativement rares43. La recherchene s’orienta vers cette démarche empirico-inductivequ’à partir des années quatre-vingt, principalement endivisant le champ des relations démo-économiques enquelques domaines d’interaction séparés les uns desautres et étudiés de façon indépendante — ceterisparibus. C’est ce que McNicoll44 appelle les «topicalstudies», que nous traduirons par études thématiquespartielles. Cette méthodologie sera très liée aurenouvellement de la conception des conséquenceséconomiques de la croissance démographique vers despositions plus neutralistes et relativistes, généralementqualifiée de révisionnistes.

4. Hétérodoxie et relativisme(«revisionism»)

Des changements dans les évolutionsempiriques directement observables contribuèrentlargement à l’épanouissement de la perspectiverévisionniste alternative. La conjonction du maintiendes taux élevés de croissance économique enregistréspendant les années 1970 par la plupart des pays endéveloppement, et d’un fléchissement apparent de lafécondité dans ces mêmes pays, eut pour conséquencede décrédibiliser la perspective orthodoxe. Le secondrapport de la National Academy of Sciences édité en1986 semble alors, dès l’introduction, rejeterglobalement les résultats pessimistes qui fondaient laconclusion de la version précédente45 : «Il est clair quemalgré la croissance démographique rapide, les pays endéveloppement ont atteint des niveaux sans précédent

de revenu par tête, d’alphabétisation, et d’espérance devie sur les 25 dernières années»46.

Il est en effet aisé de se rendre compte de lasimultanéité historique des progrès socio-économiqueset démographiques dans le tableau 2.

Ainsi, la perspective orthodoxe fut attaquéedès la fin des années soixante, sous le double effet del’absence durable de corrélation significativementnégative entre croissances démographique etéconomique, et de la remise en cause théorique etempirique de ses principaux résultats. Mais elle ne vitcependant s’édifier, face à elle, un paradigme alternatifcohérent et robuste qu’à partir des années quatre-vingt.Paul Demeny47 appela alors révisionnisme cetteperspective renouvelée, par opposition à l’orthodoxieque pouvait constituer le corpus néo-classique et néo-malthusien des effets négatifs de court terme. Ladéfinition du révisionnisme est nécessairement critiquepuisque ce mouvement d’analyse se construit sur leséchecs et les apories du système orthodoxe. Leproblème est en substance de vérifier si la croissancedémographique a réellement (révisionnisme extrême)des effets négatifs sur la croissance économique, ou demesurer et relativiser la portée réelle de ces effets(révisionnisme modéré) au cas où ils existeraientréellement48.

Le point essentiel sur lequel tous s’entendentest que les conséquences de la croissancedémographique sur le développement ne peuvent êtreisolées de façon agrégée et monolithique, sans prendreen compte les liaisons multiples qui caractérisent lesystème démo-économique, dans toutes sestemporalités. Au plus, la forte croissancedémographique est un facteur, parmi d’autres, quipeut, selon les circonstances, jouer soit négativement,dans le court terme, soit positivement dans le moyen etlong terme, sur la croissance du niveau de vie. Lesconclusions orthodoxes doivent donc être relativisées,nuancées et contextualisées. Mais, pour certains, cetteperspective hétérodoxe se caractérise plus par saméthode que par ses résultats. Le point essentiel de cesnouveaux résultats est moins la direction de l’éventuelimpact (positif ou négatif) de la croissancedémographique sur les performances économiques, quel’adoption d’une perspective méthodologique originale.A l’inverse de la méthodologie mécanique néo-classique qui fondait l’orthodoxie, celle-ci doit insistersur les effets intermédiaires, du court terme au long

42 Easterlin [1967] ; Kuznets [1965 ;1967] ; Kocher[1973].

43 United Nations [1993 : 38].44 McNicoll [1995].45 NAS-NRC [1973].

46 «(...) it is clear that despite rapid population growth,developing countries have achieved unprecedented levels ofincome per capita, literacy, and life expectancy over the past 25years». National Research Council [1986 : 4].

47 Demeny [1986 : 474].48 La distinction entre révisionnisme modéré et

révisionnisme extrême est reprise de Demeny [1986 : 474]

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terme, sans privilégier aucune des temporalités, et entenant compte simultanément des impacts directs ouindirects, et des interactions dynamiques entrevariables économiques, politiques, sociales etdémographiques49. Le risque de perte d’efficacité ou depertinence, inhérent au type précédent d’analyses quitendaient vers la totalité dynamique et synthétique, estici évité par la méthode originale des analysesthématiques partielles (topical studies). Toutefois, cetteméthode implique que les résultats obtenus danschaque secteur d’interaction arbitrairement identifié —é d u c a t i o n , s a n t é ,

49 Kelley and Schmidt [1994; 1995: 4].

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CROISSANCE ÉCONOMIQUE ET CROISSANCE DÉMOGRAPHIQUE : 35 ANS DE DÉBAT 9

Tableau 2 : Evolution de quelques indicateurs économiques et sociaux sur 25 ansValeurs moyennes PNB par tête (WB 1994)

en $ 1993 PNB par tête

réel (Penn World

Tables)en $ 1992 Espérance de vie à la naissance (WB

1994)

Années 1962 1972 1982 1962 1972 1982 1962 1972 1982

Ens. ped (81) 214 434 896 1088 1534 1753 46 50 55

Afrique-SS 143 252 584 850 1130 1190 40 44 48

Asie Sud-SE 183 530 800 970 1520 2390 50 55 61

Arabo-musul. 196 520 1320 1372 2230 2695 45 50 57

Amér. Latine 400 720 1510 1810 2640 2710 54 58 64

Sources: World Bank, World Tables 1987,1989, 1994; Summers, Heston, Penn World Tables, 1995

ressources naturelles, productivité et travail, pauvretéet bien-être microéconomique, externalitésmicroéconomiques et macroéconomiques,etc.— nesoient valables que sous l’hypothèse toutes choseségales par ailleurs dans chacun des autres secteursd’interaction.

Relativement aux analyses et résultatsorthodoxes qui étaient conduits dans des cadreshypothétiques encore plus restrictifs, les progrès sontcependant réels, puisque les ressources naturelles etune partie des facteurs de production — progrèstechnologique et de productivité endogènes, capitalhumain — étaient alors supposés fixés. Ceci avaitd’ailleurs pour implication mécanique les rendementsdécroissants d’une population croissante, et l’absencede toute possibilité d’ajustement ou de flexibilitédynamique dans le système démo-économique ainsidéfini.

Le rapport de la National Academy ofSciences publié en 198650 joua un rôle catalytique dansla formation, la légitimation et l’extension de laperspective hétérodoxe. Même si ce rapportreconnaissait que la forte croissance démographiquepouvait causer des problèmes aux pays endéveloppement, l’analyse précautionneuse et nuancéedes preuves et des observations empiriques des effetséconomiques négatifs de la croissance démographiqueà laquelle il se livrait, constituait, en soi, une premièreet importante remise en cause de ce qui constituait leconsensus antérieur. Cassen qualifia d’ailleurs cerapport de «quiétiste» au «ton très dédramatisé et nonurgent»51.

L’une des synthèses les plus efficaces de laperspective révisionniste est donnée par Kelley dansson importante revue de la recherche dans les domainesde la population et du développement: «Dans denombreux pays en développement, la croissanceéconomique (telle qu’elle est mesurée par le produit partête) aurait été plus rapide dans un environnement decroissance démographique plus faible, ceci bien quedans nombre de pays, l’impact de la population futvraisemblablement négligeable, et fut même positif

dans certains d’entre eux.(...). Parce qu’il n’y a pasd’estimation fiable et généralement acceptée de l’effetde la population sur le développement, seule uneappréciation qualitative semble pouvoir être formulée.Cette appréciation, positive ou négative, varie d’unpays à l’autre, à travers le temps, et, potentiellement,avec le taux de croissance démographique. Ce qui estclair est qu’une appréciation de l’impact de lacroissance démographique sur le développementéconomique est très complexe, que des problèmes telsque le chômage, la famine, et la malnutrition sontcausés par des facteurs nombreux — incluant lacroissance démographique rapide —, et qu’insister surles politiques de ralentissement de la croissancedémographique, sans confronter simultanément tous lesautres facteurs fondamentaux de tels problèmes peutconduire à des résultats très décevants»52. Kelleyconfronte ensuite cette appréciation de la perspectiverévisionniste avec une des phrases importantes de laconclusion du rapport de la National Academy ofSciences de 1986 : «Au bilan, nous parvenons à laconclusion qualitative qu’une croissancedémographique plus lente serait bénéfique pour ledéveloppement économique de la plupart des pays endéveloppement»53.

50 National Research Council [1986].51 Cassen and Bates [1994: 1 et 4].

52 «Economic growth (as measured by per capitaoutput) in many developing countries would have been morerapid in an environment of slower population growth, althoughin a number of countries the impact of population was probablynegligible, and in some it may have been positive (...) Becausethere is no believable and generally accepted quantitative estimate of population's effect on development, only aqualitative (a direction-of-impact) assessment can be made. This assessment, positive or negative, varies from country tocountry, over time, and possibly with the rate of populationgrowth. What is clear is that an assessment of the impact ofpopulation growth on economic development is highlycomplex, that problems like unemployment, famine, andmalnutrition are caused by many factors (including rapid population growth), and that an emphasis on policies ofslowing population growth without simultaneously confrontingthe other fundamental causes of such problems may well lead todisappointing results». Kelley [1988 : 1715].

53 «On balance, we reach the qualitative conclusion thatslower population growth would be beneficial to economicdevelopment of developing countries».NAS-NRC [1986 : 90].

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Il peut être utile de faire apparaître les pointsde convergence des divers travaux qui constituent laperspective révisionniste sur les conséquences de laforte croissance démographique dans les pays endéveloppement. En reprenant les arguments de Kelley,nous pouvons mettre quatre caractéristiques de cettedernière proposition en évidence : (i) les effetséconomiques de la croissance démographique sontimportants et simultanément positifs ou négatifs —«On balance», «au bilan» ; (ii) la taille nette etl’importance réelle de ces impacts ne peuvent êtredéterminées sur la seule base des données et preuvesdisponibles — «qualitative» ; (iii) seule la direction del’impact des taux de croissance les plus élevés peut êtreidentifié — «slower» et non «slow», «plus lente» et non«lente» ; (iv) l’effet net varie d’un pays à un autre,négatif dans la plupart des cas, positif dans d’autres etfaible (positif ou négatif) dans les derniers — «mostdeveloping countries», «dans la plupart des pays endéveloppement».

Le rapport de la National Academy ofSciences de 1986 est donc la plus révisionniste desgrandes études commanditées des années 1970-80.Même si à l’aune des études thématiques partiellesprésentées, les conséquences économiques de lacroissance de la population semblaient plus souventnégatives que positives, les économistes responsablesde ces analyses choisirent, de façon significative, denuancer la conclusion collective du rapport enreplaçant l’importance relative des ces impacts dans deplus justes proportions. Selon Kelley54, cette volontécollective de relativisation mérite attention puisqu’ellereprésente vraisemblablement l’évaluation des effetséconomiques de la croissance de la population quiprédomine depuis 1945. La perspective orthodoxesemble donc n’être, pour Kelley, qu’une péripétiethéorique ou idéologique ayant fait diverger larecherche démo-économique de sa tendance dominante.

Le rapport de 1986 constitua donc une étapefondamentale dans le processus d’affirmation de laperspective révisionniste autour de l’impact de lapopulation sur le développement, qui se fonde sur uneformulation réaliste d’un processus de développementdans lequel les rétroactions sont prises en compte. Elleinsiste notamment sur les réponses individuelles etinstitutionnelles aux impacts initiaux directs del’accroissement démographique, comme laconservation en réponse à la rareté des ressourcesnaturelles, la substitution pertinente des facteurs deproduction abondants aux facteurs rares, l’innovationet l’adoption de technologies adaptées à l’exploitation

d’opportunités profitables, autant de réponsesconsidérées comme importantes55.

Compte tenu de l’exemplarité accordée à cesrésultats par un commentateur aussi avisé que Kelley,il est intéressant d’en faire une présentationsynthétique56. La tonalité et les conclusions généralesdu rapport sont révisionnistes, bien que les analysesdéveloppées insistent sur certains aspects dudéveloppement économique qui sembleraient pouvoirbénéficier d’un ralentissement de la croissancedémographique.

Le ralentissement de la croissancedémographique semble avoir un effet net positif sur leratio capital/travail, et un effet probablement positifsur les taux d’épargne. Simultanément, même si leralentissement de la croissance démographique a uneffet d’approfondissement du capital «capitaldeepening», cet effet semble être relativement modeste.

Dans l’industrie, les économies d’échelle sontépuisées pour des tailles urbaines modérées, leralentissement de la croissance démographique n’adonc vraisemblablement pas d’impact négatif sur laproductivité dans le secteur manufacturier urbain.Dans l’agriculture, la relation positive qui existe entrela densité et la productivité (choix des techniques,économies d’échelle, infrastructures) semble setransformer en relation négative (rendementsdécroissants) pour des densités trop importantes(supérieures à 100 habitants au km²).

Dans l’éducation, le ralentissement de lacroissance démographique est associé avec desdépenses par élève supérieures, de même que pour lesdépenses par tête de santé ou de nutrition au sein duménage. Toutefois, la forte croissance démographiquene saurait constituer un obstacle majeur au succès despolitiques sanitaires.

Dans le court terme, une moindre croissancedémographique diminuerait l’inégalité de la répartitiondes revenus, dans le cas toutefois où les politiques depopulation seraient orientées vers les groupes à revenule plus faible. Dans le long terme, l’avantage potentielrésulterait de l’accroissement du prix du facteur travailrelativement aux autres facteurs de production.

Bien que la plupart des problèmes liés audéveloppement urbain (pression sur les services etralentissement du développement du secteur moderne)aient été amplifiés par la forte croissancedémographique, le ralentissement de cette croissance neles réglera vraisemblablement pas. Le biais urbain despolitiques publiques constitue une cause beaucoup plusimportante que la croissance démographique.

54 Kelley, Schmidt [1995a : 4].

55 Kelley, Schmidt [1995a: 3-4] et Kelley [1986 : 566].56 Reprise en partie de United Nations [1993 : 21-22].

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Certaines externalités, comme la congestion, ladégradation rapide des ressources naturelles, les coûtsintergénérationnels, sont le résultat plus ou moinsdirect de la croissance démographique. Les politiquesde population doivent être couplées avec des mesuresplus économiques visant à modifier les structuresd’incitation qui interviennent dans l’apparitiond’externalités nettes négatives liées à la forte fécondité.

L’argumentation révisionniste s’articule doncautour de deux idées fortes. La première est que lacroissance démographique n’est qu’un facteursecondaire du développement économique, et donc, unélément parmi d’autres dans l’explication des retardsde croissance ou de développement potentiels. Laseconde est que les effets délétères de la fortecroissance démographique seront largement (bien quepas nécessairement intégralement) compensés par desréactions de marché, si et seulement si, les mécanismesde marché peuvent fonctionner librement. Cetteseconde caractéristique est importante car elle est aufondement de la perspective révisionniste sur lesproblèmes liant la population aux évolutionséconomiques.

Dans ce cadre de réflexion et de représentation,tout problème de population doit pouvoir se résoudrede lui-même, sans l’aide coercitive de l’interventionpublique, et comme un produit dérivé de la réformelibérale et de la réalisation d’un marché libre. Laposition américaine officielle à la conférenceinternationale sur la population de Mexico en 198457

était donc diamétralement opposée à ce qu’elle avait puêtre lors de la conférence de Bucarest en 1974. Il estd’ailleurs intéressant de souligner que ces conférencesmondiales successives sur la population et ledéveloppement, jouent souvent un rôle de catalyseur etoffrent l’image des rapports de forces politiques etthéoriques autour de la problématique démo-économique. La conférence de 1994, organisée auCaire, présentera les mêmes propriétés caractéristiques,propriétés que nous préciserons plus loin.

Ce thème révisionniste libéral est d’ailleursrécurent dans le rapport de la National Academy ofSciences de 1986 qui suivra la conférence mondiale de1984 de Mexico, au cours de laquelle fut officialisée lanouvelle position non interventionniste américaine58.Dès 1986, Demeny59, fait d’ailleurs de cette

représentation libérale la base fondamentale de laperspective révisionniste sur les problèmes démo-économiques. Sous la surface de l’argumentationrévisionniste, ce dernier identifie une croyance enl’efficacité d’une «main invisible», constituée et muepar les forces du marché, qui modèlerait les processusdémographiques dans des directions qui correspondentaux besoins de la société. Certaines analysesrévisionnistes parviennent ainsi à justifierthéoriquement les tonalités optimistes de leurshypothèses et conclusions, en insistant notamment surla nature bénéfique de nombreux effets réciproquesimpliqués par les changements démographiques etmédiatisés par les mécanismes de marché (ajustementsdes prix)60.

Les implications politiques de ces analysesrévisionnistes sont claires. La plupart des économistesqui ont considéré, du point de vue révisionniste, lacroissance de la population comme un problème parmid’autres, adoptèrent donc une position «agnostique» oude «laissez-faire»61 concernant les problèmesmacroéconomiques, en même temps qu’ils soutinrentcertaines interventions sur la seule base du bien-êtreindividuel. De façon traditionnelle, ces derniersreconnaissaient que la croissance démographiquerapide pouvait aggraver les problèmes liés audéveloppement, mais nuançaient l’importance del’implication de la croissance de la populationrelativement à toutes les autres causes possibles de cesproblèmes. Une partie de ces causes complémentaires(gestion déficiente des ressources, structure desincitations biaisée, etc.), sont d’ailleurs reliées à desdéficiences des marchés, dues notamment à uneinformation trop limitée ou à des externalités. Enconséquence, elles peuvent être directement ciblées pardes interventions publiques visant à les corriger et àaccroître l’efficacité du système démo-économique62.

Le cœur de cette perspective libérale est fondésur un raisonnement simple et efficace. La croissancedémographique constitue un élément spécifique d’unensemble de mécanismes autorégulateurs. Alors que lapopulation exerce une pression sur d’autres parts del’économie, les prix relatifs vont s’ajuster, de façon àrendre les familles nombreuses économiquement moinsattrayantes et à induire une transition de la fortefécondité vers des niveaux plus faibles. Cependant, cesraisonnements ne sont valables que si l’on suppose quele motif principal de la fécondité est l’avantageéconomique qu’elle produit. Or, c’est l’hypothèsefondamentale de ces perspectives révisionnisteslibérales. En ceci, elles rejoignent le fonds commun

57 McNicoll [1995 : 20, 44 note 10].58 Certains voient derrière ce retournement radical de

la position officielle américaine qui passe d’une hyper-activitésur le front mondial de la politique démographique (manifestéeen particulier à la conférence mondiale de Bucarest en 1974) àune profession de foi libérale et non interventionniste,l’influence, peut-être exagérée, des groupes de pression anti-avortement dans l’opinion puritaine des années Reagan et Bush.Voir Amalric, Banuri [1994 : 691].

59 Demeny [1986 : 474].

60 NAS-NRC [1986 : 88-89].61 United Nations [1993 : 39-40].62 United Nations [1993 : 40].

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néo-classique de représentation de l’individu rationnel,adaptant son comportement de façon mécanique auxvariations de prix, et élargissent cette perspective auxcomportements démographiques. Cette représentationa notamment pu conduire parallèlement à toute unesérie de travaux qui cherchaient à endogénéiser lafécondité et la croissance démographique dans desmodèles plus ou moins normatifs de croissanceéconomique en supposant que les comportementsreproductifs sont soumis aux mêmes contraintes et à lamême logique de maximisation sous contrainte etd’affectation efficiente de ressources rares que lescomportements d’investissement ou deconsommation63.

La simplification et le réductionnisme de ceshypothèses implicites à certaines formes extrêmes desanalyses révisionnistes viennent alors contredire leparti-pris de réalisme qui fonde la méthoderévisionniste lorsqu’elle tente de prendre en compte leseffets directs et les effets indirects, les boucles derétroaction et les différentes temporalités danslesquelles vont jouer ces relations démo-économiques.Les observations empiriques sont d’ailleurs venuesconfirmer les soupçons que l’on est en droit deformuler quant à la pertinence et à la robustesse detelles hypothèses. Dans de nombreux pays, en effet, latendance manifestée par la fécondité n’a pas étéconforme à celle que laissaient présager les tendanceséconomiques simultanées. Cette simple observationpeut suffire à convaincre de la limite de l’argumentselon lequel le comportement démographique estprincipalement déterminé par les seules variableséconomiques64. Les réductions soudaines et brusquesde la fécondité qui ont pu être observées dans certainspays (comme en Thaïlande) sont difficiles à expliquerpar les seules variations simultanées des prix relatifs.

L’enjeu fréquemment formulé de ces débats estcelui de justifier le développement et l’élargissement del’accès aux moyens de limitation de la fécondité pourdes populations qui n’en manifestent pas directement lebesoin, mais dont de nombreux exemples semblentdémontrer la réelle attirance pour ces services dès lorsqu’ils sont disponibles à faible coût. Dans cesconditions, de demande implicite et latente, nonformulée, il serait alors inutile et vain d’attendre queles seuls mécanismes d’offre et de demande de longterme viennent réduire la fécondité alors même que desinterventions publiques contribueraient à accélérer et àamplifier cet ajustement «de marché»65. Le fondementdes ces politiques démographiques est alors simplementformulé : «Nous notons également que la

reconnaissance des effets négatifs de la croissancedémographique rapide ne signifie pas que la transitionvers des accroissements plus faibles doive, par ellemême, résoudre les problèmes de développement. Aumieux, elle devrait permettre de laisser plus de tempspour résoudre ces problèmes ou éviter qu’ilsn’empirent. La plupart des bénéfices immédiats duralentissement de la croissance de la population permispar un accès accru au planning familial parviennentaux individus à travers les bénéfices en terme de bien-être et d’équité que constituent la possibilité deplanifier et d’espacer plus efficacement les naissances,avec moins de risque sanitaire. Les services deplanning familial devraient également permettre deramener les coûts individuels d’une naissancesupplémentaire au niveau des coûts sociaux de cettemême naissance, et donc de réduire les externalités (lescouts de l’éducation de l’enfant étant supporté par lasociété et non par les familles individuelles). Lorsqueles interventions sont motivées à la fois par desobjectifs individuels et sociaux, le respect des droits dereproduction et de la santé des individus concernésdevrait constituer un point de focalisationsupplémentaire»66.

Au delà des clivages orthodoxie-révisionnisme,c’est donc bien souvent l’intervention publique decontrôle démographique qui semble figurer en ligne demire des analyses des liaisons démo-économiquesthéoriques ou empiriques. Seules les hypothèsesinitiales et les argumentations de ces stratégies delégitimation changent. Remarquons toutefois que lerapport de l’ONU de 1993, plus récent que le rapportde la NAS (1986), définit lui-même le révisionnismerestreint auquel il se réfère dans son évaluation desliens démo-économiques : «La présente revue de larecherche postérieure à 1986, bien que ne suggérantpas de distances radicales par rapport aux résultats durapport de la NAS [de 1986] , conduit à une conclusionquelque peu appuyée concernant les effets négatifs de

63 Nerlove et al. [1987], Razin, Sadka [1995].64 United Nations [1993 : 3-4].65 United Nations [1993 : 4].

66 «We also note that recognition of the adverse effectsof rapid population growth does not mean that acceleration of thetransition to lower growth will by itself solve all developmentalproblems; at best it may buy time to deal with those problems orkeep them from getting even worse. Most of the immediatebenefits to slowing population growth through increasing accessto family planning accrue to individuals through the welfare andequity benefits of being able to time and space births moreeffectively and with less risk to health. Subsidized familyplanning services may also help to bring the individual costs ofan added birth better into line with societal costs thus reducingexternalities (costs of children borne by society at large, but notby individual families). When interventions are motivated byboth individual and societal objectives, respect for thereproductive rights and health of individuals should be an addedfocus of attention». United Nations [1993: 40-41].

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CROISSANCE ÉCONOMIQUE ET CROISSANCE DÉMOGRAPHIQUE : 35 ANS DE DÉBAT 13

la croissance démographique sur les potentialités dedéveloppement des pays en développement»67.

Sans parvenir à remettre totalement enquestion l’idée d’une relation négative entre croissancedémographique et croissance économique, les analysesrévisionnistes ont cependant contribué à mettre enévidence les limites importantes des principauxarguments et résultats théoriques structurant laperspective orthodoxe, dont les deux principaux piliers(au sens le moins contraignant du terme) sont ce quenous avons appelé les analyses CHED (de Coale-Hoover, Enke, Demeny) et le système Loi desRendements Décroissants-Malthus-RessourcesNaturelles. C’est précisément à la remise en questionde ce double fondement théorique que les analysesrévisionnistes ont pu conduire.

Ainsi, un nombre croissant d’étudesempiriques ont mené à ce que des doutes sérieuxs’élèvent au sujet de nombreuses hypothèsesorthodoxes, et en particulier, les hypothèses liées auxdifférents effets négatifs joués par la croissancedémographique sur les conditions de l’accumulation.Alors que la plupart des travaux orthodoxesconsidéraient que les ratios de dépendance élevés, encontribuant à l’accroissement des dépenses d’éducationet de santé, réduiraient simultanément les fondsdisponibles pour les investissements plus directementproductifs, quelques études démontrèrent à partir desannées soixante-dix, mais surtout pendant les annéesquatre-vingt68, qu’il n’existe pas de relation claire entrela part du PIB investie dans l’éducation et la structurepar âge ou le taux de croissance démographique. De lamême façon, alors que l’orthodoxie supposait que laforte fécondité conduisait à des taux d’épargne faibles,certains auteurs69 commencèrent à montrer, dès lesannées soixante-dix, que la relation entre ces variablesétait dans la réalité beaucoup plus complexe et nuancéeque ne le prétendaient les théories CHED. Les enfantssupplémentaires ne constituent pas qu’une chargesupplémentaire pour les parents, puisqu’ils peuventégalement être comme une forme d’assurance contredifférents risques réalisables dans le long terme(vieillesse, infirmité, chômage, etc)70.

De la même façon, un grand nombre detravaux vinrent démontrer que le principe desrendements marginaux décroissants ne s’appliquait pasdans des systèmes de production agricole intégrant les

possibilités d’ajustement technologique et institutionnelà la suite de variations du rapport entre les hommes etles ressources naturelles71. Cette hypothèsed’ajustement, élargie à tous les domaines del’interaction démo-économique, est d’ailleursprécisément un des fondements épistémologiques de laperspective révisionniste.

La démarche commune à une majorité desanalyses constituant cette perspective est d’approfondirla connaissance des mécanismes jouant dans chaquecompartiment du système démo-économique global.Face à l’échec des macro-modèles de simulation72 àsaisir ces relations, et même à dire quoi que ce soit depertinent et de nouveau sur le lien démo-économique,l’activité de recherche a eu tendance à se recentrer surune série de champs d’investigation partiels surlesquels l’influence théorique et réelle de la croissancedémographique était recherchée. Ces champs partielssont typiquement l’épargne, le progrès technologique,l’éducation, les inégalités de répartition, l’alimentationet la production agricole, l’utilisation des ressourcesnaturelles, etc.

La plupart de ces investigations partielles(topical studies) conduisent à des résultats qui semblentcontredire les certitudes et les connaissancesorthodoxes supposées jusque-là conventionnelles ourobustes. Comme nous l’avons déjà évoqué, la seulelimite des résultats de ces études partielles estprécisément liée à la partialité de chaque champd’investigation, arbitrairement isolé du système globaldes interactions, et défini sous des hypothèses ceterisparibus contraignantes. Les modèles issus de cesanalyses sont donc largement déterministes, et lesrésultats finals dépendent bien souvent des hypothèseset des paramètres inscrits à priori dans le modèle73. Lepoint important est cependant que ces études aientpermis de remettre en question les résultats ethypothèses orthodoxes, tout en produisant un ensemblede nouveaux résultats sur la base desquels il estpossible de poser de nouvelles questions.

Remarquons toutefois que la majeure partiedes contributions à la perspective révisionnistedéveloppent essentiellement des arguments qualitatifset ne sont susceptibles de fournir aucune évaluation del’importance des effets nets agrégés de la croissancedémographique sur les évolutions économiques. Ce

67 «The present review of post-1986 research, whilenot suggesting radical departures from the NAS findings, leadsto a somewhat stronger conclusion regarding the negative effectsof population growth on development prospects in developingcountries». UN [1993 : 3-4].

68 Voir en particulier Schultz [1987].69 Kelley [1973] ; Mason [1987 ; 1988].70 Cain [1983] ; Hammer [1984].

71 Boserup [1965]; Bingswanger, Ruttan [1978];Bingswanger, McIntire [1988].

72 Dont l’ambition était d’identifier la plupart desrelations démo-économiques stratégiques sur la base d’un modèlestructurel plus ou moins complexe intégrant largement les acquisthéoriques des travaux orthodoxes. Pour une synthèse critique deces modèles [Tempo (Encke), Bachue (BIT, Rodgers, Wery etal..), etc.] se reporter à l’étude classique de Sanderson [1980] età Arthur, McNicoll [1975 : 251-65].

73 McNicoll [1995 : 12].

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n’est qu’à partir de 1989-90 que les analyses se sontorientées vers la recherche d’évaluations plus agrégéesdes liens démo-économiques. Il est toutefois utile depréciser en substance les principaux résultats desanalyses des conséquences économiques de lacroissance démographique rapide tels qu’ilsapparaissent les plus pertinents et robustes à la fin desannées quatre-vingt.

Dans un premier temps, il convient deremarquer, de façon très révisionniste, que les effets dela croissance économique sont susceptibles de varierconsidérablement selon le contexte national. Parmi lesfacteurs importants d’influence figurent la densité de lapopulation, le degré d’ouverture et l’orientation deséchanges de l’économie, et la nature et le rôle dusecteur agricole et de la base de ressources naturelles.Toutefois, l’élément qui semble, pour les rédacteurs durapport de l’ONU de 1993 qui synthétisent les résultatsde la recherche démo-économique des 15 annéesprécédentes74, le plus important de tous, pourrait êtrela capacité des conditions et des institutions locales àconduire à une allocation des ressources économiquesà travers les mécanismes néo-classiques de marché.

Dans un deuxième temps, il est remarquablequ’aucun des résultats de la recherche démo-économique n’ait pu contredire ni ne peutirrévocablement démontrer que, dans les pays à faiblerevenu avec des retards importants dans ledéveloppement humain, les niveaux de vie etl’infrastructure, une croissance démographiquesupérieure à 2 pour cent annuels soit l’un des facteursstructurels qui inhibent l’achèvement d’un grandnombre d’objectifs du développement. Simultanément,dans de nombreux pays et dans de nombreusescirconstances, les implications de long terme de lacroissance démographique rapide, en particulier àtravers les pressions exercées sur les ressourcesnaturelles renouvelables, semblent assez sévères.

Ces pressions sur l’environnement impliquéespar l’accroissement démographique sont toutefoiscompensées par d’autres facteurs tels que lesajustements institutionnels ou technologiques, lesréductions de fécondité ou les migrations. Malgré tout,le caractère cumulatif de ces déprédations incite àsupposer que la longueur des délais de réduction de lafécondité pourrait avoir des implications plus ou moinssérieuses sur les potentiels de ressources renouvelables.Ce n’est pourtant que dans le cas d’un pays dontl’économie est fortement dépendante de ces ressourcesnaturelles que ce type d’externalités négatives liées à laforte fécondité auront réellement une importancequantitative significative75.

La croissance rapide de la force de travail peuttout de même devenir une source de pression pour leséconomies faiblement dotées en capital. De plus, lalenteur des progrès technologiques et éducatifs, dont laforte croissance démographique est un facteurexplicatif, ne permettent pas à la force de travaild’accéder à des niveaux de productivité et de revenussuffisants pour limiter l’incidence de la pauvreté. Desinvestissements massifs sont donc à effectuer dans lesdomaines de l’éducation et de la santé, ainsi que dansla constitution de potentiels productifs. Ces différentspoints d’accord n’impliquent pas nécessairementqu’une accélération de la transition vers desaccroissements plus faibles résolve par elle-même tousles problèmes de développement. Au mieux, cespolitiques démographiques ne pourraient être efficacesque dans le long terme, et d’une efficacité en outretoute relative76.

Ces dernières réflexions ouvrent justement lavoie à une nouvelle perspective sur la problématiquedes conséquences économiques de la croissancedémographique, en fait très liée à la perspectiverévisionniste dont nous venons de présenter lesrésultats les plus significatifs, et qu’elle prolonge en lasoumettant à de nouvelles hypothèses et à de nouveauxobjectifs privilégiés.

5. Le nouveau consensusdes années 1990

Les recherches postérieures à 1986 n’ont doncfait que prolonger les résultats révisionnistes tout en lesreplaçant dans un contexte de légitimité del’intervention publique en terme de politiquedémographique et de contrôle de la fécondité. Lesrésultats nouveaux viennent confirmer ou qualifier lesrésultats déjà réunis en 1986. Ainsi, le rapport del’ONU de 199377 résume ces différentes évolutions.Cette étude (survey) a ainsi pu identifier un certainnombre de domaines dans lesquels la recherche récentea pu fournir des vérifications approfondies de l’impactnégatif de la croissance démographique sur ledéveloppement économique. Les domaines danslesquels ces effets négatifs semblent les plus importantssont essentiellement l’absorption plus faible d’unemain-d’oeuvre croissante dans les secteurs à forteproductivité, et les effets négatifs au niveau desménages et du bien-être des enfants et de la formationde capital humain. Les auteurs de cette synthèse(Mackellar et Rameshwar) nuancent cependant ceconstat en précisant que des recherches récentes ontdémontré que les magnitudes de ces effets négatifs

74 United Nations [1993 : 23].75 Lee, Miller [1991].

76 U.N.[1993 : 40-41].77 U.N. [1993: 36-37].

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apparaissaient toutefois modestes et que leurs impactsdans le long terme n’étaient pas encore identifiés78. Dela même façon, les effets des pressions exercées par laforte croissance démographique sur les ressourcesnationales pour la santé et l’éducation n’ont pu êtreencore identifiés.

Simultanément, les recherches effectuées dansles domaines de l’épargne et de l’investissement ne sonttoujours pas parvenues à des résultats pertinents, et lesdomaines des économies d’échelle et des progrèstechniques et institutionnels induits ont été encore peuexplorés. Des analyses récentes ont pu suggérer quedes déséconomies externes importantes dues à la fortefécondité (et au coût d’éducation des enfants) peuventse manifester dans des situations caractérisées par desressources naturelles communes, alors qu’elles restenttrès faibles dans les autres régions en développement(la majorité).

Au total, les recherches récentes recensées parce survey de l’ONU n’ont pas contribué à apporter desmodifications importantes aux conclusions du rapportde la NAS de 1986 : (i) La croissance démographiquerapide a sans doute un effet négatif sur ledéveloppement dans de nombreux pays endéveloppement. La plupart des travaux sont conduitsà identifier des effets négatifs surtout au niveau del’emploi et de l’éducation79 ; (ii) Ce rôle est pourtantdifficile à quantifier du fait de la complexité et de lamultiplicité des relations impliquées et de la variabilitédes circonstances locales ; (iii) Cependant, comme ilexiste des possibilités de réponse individuelle, socialeet institutionnelle, d’adaptation et de substitution,l’effet net de la croissance démographique sur ledéveloppement est sans doute modeste. Ce troisièmepoint n’est pourtant encore qu’une hypothèse fragile.

Les économistes ne semblent donc pas, en1993, être en mesure de répondre de façon satisfaisanteau problème de l’évaluation de l’effet négatif de laforte croissance démographique pour ledéveloppement80. C’est dans le cadre de cette relativeméconnaissance que nous situons notre étude dont leprojet est de parvenir à certains résultats quantitatifs etqualitatif intéressants, sur la base d’une approcheessentiellement macro-statistique et économétrique.

Certains auteurs voient cependant se dessinerune nouvelle perspective sur les problèmes démo-économiques à partir de 1990. Le révisionnisme desannées quatre-vingt s’était imposé comme uneperspective neutraliste et libérale sur les problèmesdémo-économiques, la relativisation des conséquenceséconomiques des dynamiques démographiques

conduisant à l’adoption d’une position noninterventionniste concernant les variablesdémographiques stratégiques81, les institutionsaméricaines se retirant de la scène de la politiquedémographique sur laquelle elles s’étaient bruyammenthissées et hégémoniquement imposées pendant toute lapériode précédente.

Le retour à un nouveau consensus sembleraitpourtant caractériser les années quatre-vingt-dixpuisque Cassen82 identifie, dans un certain nombre detravaux récents, une perception nouvelle desconséquences de la croissance démographique, moinsneutraliste et insistant sur un certain nombre demécanismes négatifs. Dans un premier temps, la fortecroissance démographique a ainsi, à moyen terme, etsous des conditions de forte fécondité, des effetsnégatifs évidents aux niveaux des individus et desménages, particulièrement sur la santé et lesopportunités économiques des femmes et des jeunes.Dans un deuxième temps, la forte croissancedémographique constitue également une contrainteimportante pour la provision de services publicsadéquats en éducation et santé, et diminue l’assuranced’opportunités d’emplois pour une force de travailcroissante. De façon à alléger ces pressions quiexacerberont les problèmes dans le long terme, il estnécessaire d’agir rapidement sur les problèmes depopulation83. Nous retrouvons donc bien dans cesarguments une partie des résultats synthétisés parMcKellar et Rameshwar dans le survey de l’ONU(1993) précédemment évoqué.

L’originalité de Cassen et d’une partie descontributeurs à cet ouvrage collectif réside dans le faitque l’existence de tels effets négatifs, identifiablesessentiellement au niveau micro-économique, conduitces auteurs à considérer que l’intervention politiquedans les dynamiques démographiques des pays endéveloppement est à nouveau légitimée par une séried’arguments qui intègrent toutes les critiquesprécédemment opposées, en particulier par les analysesrévisionnistes, à ces justifications jusque-làtypiquement orthodoxes. Ainsi, Cassen abandonne larationalité macro-économique traditionnelle en faveurde la politique démographique, et rejoint la perspectiverévisionniste lorsqu’il affirme «les preuves empiriquesdisponibles ne montrent pas clairement que lacroissance démographique exerce une influencenégative sur le développement»84.

78 U.N. [1993 : 36].79 U.N. [1993 : 7].80 U.N. [1993 : 6].

81 Eberstadt [1995].82 Cassen et al. [1994].83 Cassen, Bates [1994 : 1-2].84 «the available evidence from empirical studies does

not clearly show that population growth exerts a negativeinfluence on development». Cassen et al. [1994 : 2]. Cassenrevient d’ailleurs sur cet argument à la page 15 de Cassen, Bates

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Cassen se sert donc de la critique révisionnisteradicale des analyses orthodoxes pour justifier unretour, sur des bases théoriques plus micro-économiques, à des positions interventionnistesconcernant les dynamiques démographiques. Cettenouvelle primauté de la perspective microéconomiquesur les problèmes démo-économiques, née des leçons del’échec supposé des perspectives macroéconomiques,conduit à des justifications microéconomiques del’intervention publique sur la population, et à ce que«les arguments macroéconomiques occupent désormaisune place en retrait dans le débat sur la population etle développement»85.

Remarquons que les argumentsmicroéconomiques, qui conduisent à la mise enévidence de conséquences économiques négatives de lacroissance démographique rapide, s’appuientgénéralement sur la notion d’externalité économique,notamment sous la forme par exemple de différencesentre coûts privés et sociaux de naissancessupplémentaires. Ils ne sont pas invoqués par lenouveau consensus, et font même l’objet d’uneévaluation critique, puisque leur portée dans lesproblèmes couramment invoqués de dégradationenvironnementale sont largement dépendants des modesde réponses et d’ajustement individuellement etsocialement variables. L’argument fréquemmentinvoqué par les travaux révisionnistes selon lequel lesexternalités alimentent la mécanique des effets négatifsde la croissance démographique et de la forte féconditédoit être relativisé, à la fois d’un point de vuethéorique, et d’un point de vue empirique, puisquecertaines études86 ont précisément montré que, même side telles externalités négatives peuvent exister, lesdifférences entre coûts sociaux et individuels de la fortefécondité apparaissaient minimes dans des sociétéscomme le Bangladesh ou le Kenya.

D’autres études ont encore permis de replacerles enjeux des externalités dans des domainesappropriés. Ainsi, les domaines dans lesquels de fortesexternalités négatives avaient été pronostiquées87 serévèlent peu sensibles à ces mécanismes, alors que lesexternalités qui se manifestent dans les domaines de laprovision de services publics, tels que l’éducation, lasanté ou la défense, peuvent être compensées par dessystèmes de taxes88. En fait, les calculs d’estimation

des externalités négatives liées à la forte féconditéeffectués par Lee89 lui ont permis de parvenir à laconclusion que des externalités négatives fortesn’apparaissent que dans le cas de pays pour lesquelsles ressources minérales ou les ressources en terressont importantes dans le revenu national. L’inclusion,dans les calculs d’estimations, de prélèvements sur lesressources naturelles dont la quantité est fixée, conduit,par un mécanisme proche des rendements marginauxdécroissants, à une surestimation des externalitésnégatives de la population croissante.

Le consensus qui semble caractériser lesannées quatre-vingt-dix, tel qu’il émane des débats etdes travaux de la Conférence mondiale sur lapopulation et le développement du Caire de 1994,s’organise donc autour de plusieurs traitscaractéristiques, fédérés par l’idée dominante selonlaquelle la croissance démographique est un obstaclemajeur à un développement soutenu90. La différenceavec le discours antipopulationniste qui dominapendant des années le champ de la recherche et de lapolitique démo-économique, et tel qu’il était fondé parles analyses orthodoxes, est fondamentale. Elle tient àce que ce nouveau consensus autour de la nécessité destabiliser la population mondiale se base sur destravaux et des perspectives beaucoup plusrespectueuses des problèmes microéconomiques, liésaux discriminations et aux rapports de pouvoir selonles genres, à la santé reproductive des femmes et auxdroits à la procréation. Cette nuanciation estexplicitement formulée dans la proposition préparatoirede plan d’action rédigée avant la conférence de 1994 :«(...) réduire les disparités dans les rythmes decroissance nationaux et régionaux de la population etparvenir à stabiliser aussitôt que possible la populationmondiale, tout en respectant complètement les droitsindividuels, les aspirations et les responsabilités, defaçon à créer les conditions d’un développementsoutenable aux niveaux communautaire, national etglobal»91.

Cette nouvelle perspective consensuelle, dontles implications sont directement orientées versl’intervention politique, affirme que les programmesqui ne sont définis que par des motifs et objectifsdémographiques, et dont l’intention est d’agirdirectement sur la fécondité, sont de façon inhérentecoercitifs et abusent du droit des femmes à choisir lenombre et l’espacement des naissances de leursenfants. De tels programmes devraient donc êtreremplacés par d’autres qui soient en mesure derenforcer le pouvoir des femmes en élevant leurs

[1994].85 «(The) macroeconomic arguments now take a back

seat in the debate about population and development» Cassen,Bates [1994: 16].

86 Voir notamment Lee, Miller [1991 : 275-304].87 Notamment dans les domaines du soutien aux

personnes âgées et des systèmes de sécurité sociale ; voir à cesujet Srinivasan [1988 : 11-17].

88 Srinivasan [1988].

89 Lee, Miller [1990 : 295].90 Amalric, Banuri [1994 : 691].91 United Nations [1994 : 50].

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niveaux d’éducation, en leur permettant d’accéder àdes emplois satisfaisants, en clarifiant et en mettant envaleur leurs responsabilités domestiques et en élevantleur statut dans la famille et la communauté92. Lespolitiques de planning familial doivent donc être misesau service d’un programme compréhensif de servicesvisant à améliorer le bien-être de certains groupes depopulation vulnérables, et être simultanémentstratégiques du point de vue des dynamiquesdémographiques.

Au delà de ces implications politiques, le pointde convergence et de consensus essentiel qui sembleapparaître au cours de ces années quatre-vingt dix —particulièrement visible autant dans les ouvragesdirigés par Cassen en 1994 que dans les débats et lesconclusions de la Conférence internationale sur lapopulation et le développement du Caire —, est quel’attention des milieux de la recherche et de l’actionpolitique, ainsi que des groupes de pression, sembles’être éloignée de la perception traditionnelle de lapopulation comme un problème macroéconomique93, etrapprochée d’une perception plus microéconomique desproblèmes de population94.

Les pertinences comparées de ces deuxperspectives doivent toutefois être questionnées.McIntosh et Finkle remarquent, de façon très juste95,qu’une politique démographique nuancée etprécautionneuse, qui se donne comme objectifprioritaire de réduire les taux de croissancedémographique là où ils restent élevés, devraitrenforcer les efforts parallèlement réalisés par ces payspour réduire la pauvreté. Une politique de populationqui ignorerait le facteur démographique comme unphénomène agrégé, et qui regarderait la baisse de lafécondité comme un objectif secondaire par rapportaux autres, serait moins susceptible d’aider et decontribuer au processus de développement. Cesqualifications en termes de politique démographique nesont bien évidemment que le reflet des qualificationstrès proches qu’il serait possible d’émettre au sujet desdifférentes approches et perspectives théoriques ouidéologiques qui fondent l’action.

Deux perspectives divergentes etcomplémentaires ont ainsi pu être identifiées96 autourdes analyses les plus récentes du lien entre croissancedémographique et développement, et de la synthèse queconstitue la Conférence internationale sur la populationet le développement du Caire de 1994. Ces deuxperspectives semblant en mesure de résumer le spectre,finalement assez homogène, des diverses positions

contemporaines autour de la problématique du lienentre croissance démographique et développement.

La première, une branche de la théorie de lamodernisation, affirme que la croissancedémographique est un problème à tous les niveauxd’agrégation. Au niveau local, le problème est défini,comme il l’est par les analyses qui alimentent lenouveau consensus des années quatre-vingt-dix, entermes de santé des femmes et des enfants, de capacitésparentales à pourvoir aux besoins de base de leurprogéniture, et, point relativisé par l’ouvrage collectifédité par Cassen, en terme d’externalités. Au niveaunational, le problème se pose plus en termes de liaisonmacroéconomique entre accroissement démographiqueet développement économique, avec des focalisationsparticulières sur les conséquences sur la formation decapital, l’emploi et la capacité des états à pourvoir enservices public (éducation, santé et infrastructures) unepopulation croissante. Or, nous retrouvons là les pointsproblématiques sur lesquels insistaient les analysesrévisionnistes, tout en en relativisant la portéeempirique. Au niveau global, enfin, les effetsintéressants se manifestent essentiellement en terme deliens entre la croissance démographique et lesproblèmes environnementaux globaux. Ce dernier pointest largement sujet à caution puisque le lien entreaccroissement démographique rapide et problèmesnaturels globaux (réchauffement, couche d’ozone, etc.)n’a jamais été ni démontré ni mesuré97.

Cette première perspective, telle que Amalricet Baduri l’identifient, ne nous semble pourtant nicohérente ni homogène, car elle rassemble des travauxstrictement révisionnistes (aux niveaux micro et macro)et des travaux qui s’inscrivent plus dans le nouveaucadre de consensus tel que le définit plusparticulièrement Cassen —c’est-à-dire unenvironnement théorique largement dominé par desanalyses microéconomiques et par la condamnation dela portée analytique et empirique de toute analysemacro-économique des conséquences de la croissancedémographique. Or, nous avons pu remarquer, à lasuite de McIntosh et Finkle, que cette condamnation dela dimension macroéconomique du problème desinteractions démo-économiques, de la même façonqu’elle est susceptible de conduire les politiquesdémographique et économique à une moindre efficacité,est supposée introduire un biais restrictif tropimportant dans le cadre de l’analyse démo-économique.Partant, elle peut conduire à des résultats trop partielsen ne prenant pas en considération les interrelationsréelles qui gouvernent, au niveau agrégé, les

92 McIntosh, Finkle [1995 : 227].93 C’est aussi l’idée de McIntosh, Finkle [1995 : 227].94 Cassen et al [1994].95 McIntosh, Finkle [1995 : 251].96 Amalric, Banuri [1994 : 691-92].

97 Pour une critique, parmi d’autres, de ces argumentsglobaux conduisant au diagnostic de la surpopulation mondiale,voir Le Bras [1994 : 57-115].

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mécanismes des conséquences économiques de la fortecroissance démographique.

De plus, les analyses environnementalesinvocables pour élargir le champ de pertinence auniveau international ne peuvent faire partie d’uneclassification ordonnant des analyses et des résultatsrigoureux et robustes. Sur un plan plus général, et sil’on fait abstraction de ces limites, cette premièreperspective semble supposer qu’existent des intérêtscompatibles, sinon harmonieux, entre tous les acteurset entre tous les niveaux d’agrégation.

La seconde perspective insiste plus, parcontraste, sur l’existence d’un conflit entre intérêts auxdifférents niveaux d’agrégation. Elle nie l’existence detout problème démographique au niveau local et micro,et insiste plutôt sur le conflit potentiel qui existe entreles priorités nationales et les objectifs locaux. Lespossibilités d’action politique agrégée sur la populationet l’économie semblent donc bornées et contraintes parles mécanismes d’externalités qui, sur la base de la nonperception au niveau privé des conséquences sociale del’agrégation de certains comportementsdémographiques (forte fécondité) ou économique(prélèvements sur les ressources naturelles) conduit àla reproduction rationnelle et pérenne de cescomportements. Cette perception de la réalité démo-économique nie donc toute possibilité de signalappréhendable au niveau privé, et susceptibles d’inciterà la modification de certains comportements. Au-delà,il est impossible de définir de façon adéquate lesconséquences de la croissance démographique auniveau national. Toute solution politique au problèmedémographique est donc invalidée par cette doubleimpossibilité micro-macro98.

Bien que cette position soit extrême, ses forcessont évidentes puisqu’elle affirme et pose en principece qui ne constitue qu’un horizon épistémologique ouune limite heuristique à la plupart des travaux sur laquestion, en même temps qu’elle emprunte desmécanismes dont le raffinement théorique estindéniable. En ce qu’il suscite l’inaction politiquedirecte, en démontrant que les effetsmacroéconomiques de la croissance démographiquesont difficilement saisissables, et donc que l’on ne peutpas agir dessus en toute connaissance de cause, cetargument se situe toutefois dans la logiquerévisionniste. Simultanément, en niant que puisseexister un quelconque problème de population auniveau microéconomique, cette perspective s’oppose àcelle qui fonde le nouveau consensus «à la» Cassen,puisqu’elle suppose la toute puissance de mécanismesd’externalités négatives, mécanismes dont la pertinencethéorique et empirique est justement discutée dans une

contribution importante99 de l’ouvrage dirigé par cedernier. Le problème revient alors à celui, purementpolitique et institutionnel, de la définition de modes degouvernance locaux ou/et nationaux permettant d’agiravec le maximum d’information sur les situations debase et les adaptations. Nous ne nous étendons doncsur cette perspective qu’en ce qu’elle nous permet deposer les limites de ces analyses. Il n’existe pas deproblème de population ou on ne peut le saisir lorsqu’ilexiste.

Au delà, il nous semble à la fois incorrect, outout au moins abusif, d’affirmer que la recherchemacro-statistique n’a pu aboutir à aucun résultatintéressant quant à l’identification de tendances, defaits stylisés ou de spécificités spatiales ou temporellesconcernant le lien entre croissance démographique etdéveloppement. Un ensemble de travaux sontprécisément venus récemment enrichir le corpus, déjàconstitué depuis la fin des années soixante, desanalyses macro-statistiques de la liaison entre ces deuxdynamiques imbriquées.

Une fois tracés les traits généraux del’évolution des analyses des conséquences de lacroissance démographique rapide, nous devons nousinterroger sur les raisons et les facteurs explicatifs decette évolution. Ils relèvent à la fois de l’influence desfaits comme nous avons pu le monter à plusieursreprises dans les développements précédents, desprogrès simultanés de l’analyse économique large et dela théorie du développement, et de facteurs pluspolitiques ou idéologiques. Les arrière-plansidéologique et politique de ce débat sont en effetsdéterminants.

6. Les faits, l’environnementpolitique et leur influence sur la théorie

Remarquons au préalable que ce troisièmeensemble de facteurs, bien qu’externes et plus politico-idéologiques, a vraisemblablement eu une importancedéterminante dans le processus de formation desthéories modernes du déséquilibre démo-économique100.Or, cette importance est généralement sous-estimée parles économistes. Elle ne peut cependant pas être écartéecar la population étant une variable dont la dimensionpolitique est évidente101, les réactions occidentales aux

98 Amalric, Banuri [1994 : 692].

99 Celle de Panayotou, in Cassen et al [1994 : 150; 176].100 A ce sujet, voir notamment Hodgson [1988]; Le Bras

[1994]; Finkle, Crane [1975 ; 1985], McIntosh, Finkle [1995].101 Voir, en particulier, Demeny [1988 : 452]; Hodgson

[1983 : 2 ; 1988 : 555-57]; ainsi que l’abondante littératureaméricaine sur ce thème de la dimension politique des problèmesde population.

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évolutions démographiques enregistrées dans les paysen développement aux lendemains de la décolonisation,ont pu influer sur la production théorique. D’autantplus que la recherche démographique appliquée auxpays pauvres fut largement financée par des fondspublics et privés102, et était, à cette époque, quasi-exclusivement le privilège de la communautéscientifique américaine. Les paramètres et donc lesrésultats de ces travaux étaient ainsi, par défaut,acceptés comme tels, sans possibilité de ripostethéorique pour les pays en développement103. Le seulchamp de contestation, et non de réfutation, de cesanalyses, de leurs méthodes et de leurs résultats, étaitpolitique et idéologique104.

Pourtant, le contenu analytique de cetterecherche démographique opérationnelle américainedes années soixante s’est inévitablement affaibli,d’abord à cause des hypothèses «ceteris paribus»massives qui lui sont sous-jacentes, et ensuite par lecaractère souvent tautologique de ses conclusions105.Dès lors, la réfutation a progressivement pris la placede la contestation.

Dans le contexte politique de la guerre froide,l’expansion démographique rapide de nombreux paysnouvellement indépendants, était perçue comme unobstacle à la modernisation économique et un facteurde déstabilisation politique interne (menacecommuniste), puis mondiale (menace sur les niveauxde vie)106. La concurrence du modèle de développementet de croissance socialiste et l’attrait véritable dusystème politique soviétique empêchant touterecommandation de type développementaliste, lesdémographes américains se concentrèrentpresqu’intégralement sur la solution démographique,cherchant à en démontrer l’urgence et la nécessité107.Les financements importants affectés aux USA à larecherche démographique, pourvu que les conclusionsdes travaux aillent dans le sens des intérêts américainspour les politiques de contrôle démographique,amenèrent celle-ci à se soumettre à la finalitéantinatal is te 1 0 8 . L’emprise des travauxantipopulationnistes, soutenue par la persistanceapparente des fortes croissances démographiquestendant à en justifier les conclusions, se diffuse alorségalement hors du champs purement universitaire.

Le consensus des années soixante était basésur la reconnaissance des effets bénéfiques pour les

individus, en termes de santé et de bien-être public, despolitiques de contrôle démographique, ainsi que sur lajustification du développement de l’accès à desméthodes saines et efficaces de contraception par laréthorique des droits de l’homme109. Mais, les argumentjustificateurs les plus importants étaient tout de mêmeque la forte croissance démographique constituait unobstacle de taille à l’accumulation du capital physique,et donc à la croissance et au développement, et que laforce de travail en croissance rapide ne pouvait êtreabsorbée intégralement par le système économique,cette carence conduisant à du sous-emploi et à uncreusement des inégalités.

Le problème de la population s’institue alorsen un véritable problème public dont la presse se faitlargement l’écho110. Le problème se déplace égalementsur la scène des relations internationales au cours desconférences mondiales sur la population de 1964 et1974, donnant lieu à des débats importants entreantipopulationnistes, défenseurs de la solutiondémographique, et développementalistes, revendi-quantun nouvel ordre économique et politique mondial, etenglobant le problème démographique dans laproblématique plus large de la domination et de ladépendance111.

Après le quasi statu-quo entre les positionsantipopulationniste et développementaliste institué parle Plan d’Action Final de la conférence mondiale de1974, considérant que le développement et le contrôledémographique devaient aller de pair, la positionorthodoxe perd progressivement sa situationdominante. La constatation de faits nouveaux etencourageants (révolution verte en Asie, tendancesdémographiques et économiques favorables), conjuguéeavec un relâchement de la tension dans les relationsinternationales et à d’importantes réorientations desfonds de financement de la recherche démo-économiquese recentrant sur des problématiques moinsidéologiques, contribuèrent à accélérer la réfutation despositions strictement antipopulationnistes en mêmetemps qu’ils en favorisèrent la diffusion de leurstoujours plus nombreuses critiques112. C’est donc dansce cadre idéologique que se constitue la nouvelleperspective révisionniste.

C’est paradoxalement dans un contexte dereconnaissance — assez consensuelle dans les rangs

102 Hodgson [1988 : 551-53].103 Demeny [1988 : 466].104 Notamment au cours des Conférences mondiales sur

la population.105 Demeny [1988 : 452].106 Hodgson [1988 : 547-48].107 Hodgson [1988 : 551].108 Hodgson [1988 : 554].

109 U.N. [1993: 38].110 Voir en particulier Wilmoth, Ball [1992] ; Hodgson

[1988 : 554; 1983].111 Hodgson [1988: 556-557] ; Finkle, Crane [1985 : 1-

3].112 Hodgson [1988 : 557]. Remarquons avec Hodgson

[1988: 560] que les tendances empiriques pouvaient êtreinterprétées dans le sens des thèses de la théorie orthodoxe; c’estce que fait Coale, dans l’ouvrage résolument orthodoxe dirigé parMenken. Menken [1986 : 98-99].

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des pays en développement113 —, de la nécessité et dela pertinence des actions de contrôle de la fécondité114,que la «prise de pouvoir» de la position révisionnistedans le champ de la recherche démo-économique estofficialisée, notamment par déclaration de la délégationaméricaine à la conférence mondiale sur la populationde Mexico, en 1984 : «(...) la croissance de lapopulation est, en elle-même, un phénomène neutre.Elle n’est ni nécessairement bonne, ni nécessairementmauvaise»115.

Bien que la crainte de la surpopulation se soitconsidérablement atténuée, les politiques de contrôledémographique sont désormais considérées par lesgouvernements des pays en développement comme uninstrument d’action stratégique dans la définition deleurs politiques globales de développement.Simultanément et assez paradoxalement, la recherchedémo-économique, américaine en particulier, oriente demoins en moins ses analyses vers la recherche dejustifications de l’intervention publique dans ledomaine démographique.

Cette évolution se retrouve bien évidemment,et comme nous l’avons déjà souligné précédemment,dans des contributions théoriques importantes, tellesque le rapport du Groupe de travail sur la populationet le développement économique de la NationalAcademy of Sciences. L’édition de 1986116 estlargement dominée par le point de vue révisionniste117,alors que le précédent rapport du groupe de travail,édité en 1971, s'inscrivait de façon évidente dans laperspective orthodoxe118. Cependant, le déplacementvers des perspectives plus neutralistes sur la populationn’est pas uniforme et certaines institutions, et non desmoindres, restent encore sur la défensive. Tel est le casde la Banque mondiale qui, dans son rapport annuelsur le développement dans le monde de 1984119,largement consacré aux problèmes démographiques,choisit d’adopter une position orthodoxe «sophistiquée

et modérée», avec cependant des arrière-fondsdéveloppementalistes. Clark parla d’ailleurs à ce sujetde «malthusianisme en retrait»120.

Il en est de même pour le rapport de l’ONUsur la population et le développement qui, en 1993, faitune présentation «en retrait» des travaux révisionnistes: «Malgré les pressions évidentes que fait peser lacroissance démographique rapide sur les ressourcesnaturelles et les services sociaux dans beaucoup depays en développement, de nombreux économistesadoptent une position plutôt «agnostique» au sujet desrelations entre la croissance démographique et ledéveloppement. Beaucoup n’ont pas accordé à lapopulation l’attention qu’elle mérite. Certains laconsidèrent même comme un élément «neutre» ou sansimportance»121.

Le contexte institutionnel et politique, pas plusque les évolutions démographiques, ne suffisent bienévidemment à expliquer, à eux seuls122, la progressiondes théories que l’explication des faits nouveauxsuscite123. Toutefois, bien que les aspects théoriques duproblème nous importent plus, dans cette étude, que lecontexte dans lequel se forment les notions impliquées,ce dernier facteur explicatif ne doit pas être occulté,car toute production intellectuelle s’inscrit dans unenvironnement qui peut la conditionner de la mêmefaçon qu’elle même peut contribuer à le façonner.

La population étant une variable importante duprocessus de développement, elle doit être intégrée auxthéories du développement. Réciproquement, lestravaux démographiques doivent prendre en compte lecontexte et la contrainte du développement. Ainsi, lecorps des analyses démo-économiques s’estprogressivement constitué, à la fois sur la base de laréalité observable dans les pays en développement dansleurs particularités par rapport à l’expériencehistorique (transition démographique et développementéconomique simultanés) des pays aujourd’huiindustrialisés, et sous l’influence de conditionnementsthéoriques hérités à la fois de l’économie politique

113 Voir en particulier Nortman [1985: 8].114 «Dans de nombreux pays, les perceptions politiques

des conséquences de la croissance rapide de la populationchangent. Le sommet du mouvement des Non Alignés à Jakartaa insisté, dans son communiqué final, sur le fait que la populationétait susceptible d’exacerber les problèmes liés audéveloppement socio-économique». «And in many countries,policy makers' perceptions of the impact of rapid population arechanging. The August 1992 Summit Meeting of the Non-AlignedMovement in Jakarta emphasized in its final communiqué thatpopulation growth exacerbates problems of socio-economicdevelopment». U.N [1993 : 6].

115 «Population growth is, of itself, a neutralphenemenom. It is not necessarily good or ill». United States[1984 : 574-579].

116 NAS-NRC [1986].117 Kelley [1986 : 563-568].118 NAS [1971].119 World Bank [1985].

120 «Malthusianism in retreat». Clark [1985: 120].121 «Despite the evident strains that rapid population

growth is putting on natural resources and social services in manydeveloping countries, many economists take an ?agnostic”position regarding the relationship between population growthand economic development. Many have not given population theattention it deserves. Some even consider it "neutral" orunimportant». U.N [1993].

122 Et très souvent aussi, du moins pour les premièrespériodes, des conditionnements idéologiques et politiques; voirà ce sujet Kasun, Bachbach ,Menken , Finkle, Crane, etc.

123 Bien que certains auteurs puissent considérer que leschangements successifs dans l’attitude des gouvernementspuissent être moins basés sur une réelle meilleure compréhensiondes mécanismes démographiques que sur des extrapolationsstatistiques des différentes composantes de la croissancedémographique; Grebenik [1989 : 13].

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classique, et du double mouvement simultané, de lamacro-économie contemporaine, et des théories dudéveloppement et de la croissance propres aux pays endéveloppement.

A l’issue de ce panorama de l’évolution desthéories, des perspectives démo-économiques et deshypothèses politico-idéologiques qui leur sont sous-jacentes, il est nécessaire de synthétiser les principalesétapes de ce processus de formation d’un champ derecherche.

7. Bilan et synthèse

Il est donc possible de schématiser les traitscaractéristiques des principales étapes ou, moinshistoriquement, des principales perspectives théoriquessur le problème des conséquences économiques de lacroissance démographique. A la lumière de cetteprésentation articulée des différentes perspectives surla problématique démo-économique qui se sontsuccédées en même temps qu’elles se sont chevauchéeset survécues, il est possible d’identifier une tendancegénérale à la nuanciation et à la relativisation des effetséconomiques de la forte croissance démographique.

La période orthodoxe correspondrait donc àune exception, d’une taille certaine, à la dynamiquegénérale de mise en perspective des interactions démo-économiques. La force du corpus orthodoxe a résidédans ses fondements théoriques forts, à savoir lesmodèles de croissance de type Harrod-Domar et Solow,qui ont conduit aux modèles de développement baséssur l’accumulation de capital physique, et sur leprincipe élargi des rendements décroissants, maiségalement dans sa perspective de court terme qui estséduisante pour la définition de l’action politique.

L’inventaire des nombreuses analysesempiriques ayant commencé à se développer à partir dela fin des années 1960 a pu conduire à une prise deconscience simultanée des limites de la perspectiveorthodoxe, largement théorique et simplifiante, et de lanécessité de revenir à des interprétations plus nuancéesdu rôle de la population dans le développement. Il estalors tentant de rejoindre l’argument surprenant deKelley et Schmidt124 selon lequel la plupart deséconomistes qui se sont spécialisés dans les problèmesde population ont finalement adopté une positionbalancée et distinctement non-alarmiste quant auxconséquences économiques de la croissancedémographique. L’explication est simple. Alors quebeaucoup tendraient à supposer qu’une croissancedémographique ralentie constituerait un avantage entermes de potentiel de croissance du niveau de vie partête, spécialement dans les pays pauvres qui

connaissent des taux de fécondité et de mortalité élevés,ils ne disposent que de peu de preuves empiriques pourjustifier la conclusion orthodoxe selon laquelle l’impactnégatif est en moyenne très important. Au contraire,beaucoup de résultats tendraient même à prouver quecertains des effets traditionnellement négatifs sontfaibles ou atténués dans le temps125. Les politiquesdémographiques doivent donc naturellement êtrereplacées au second plan, ou tout au moins êtreconsidérées comme une voie d’action parmi d’autres enfaveur du développement économique. Les gains despolitiques purement démographiques sont ainsiprobablement potentiellement modestes en comparaisonavec d’autres politiques orientées vers l’accroissementdirect des niveaux de vie des plus pauvres126.

C’est en fait la sédimentation de résultats plusou moins convergents ou contradictoires dans cedomaine de recherche qui a pu conduire à ce quel’hypothèse malthusienne d’une relation négative dansle long terme entre la croissance démographique rapideet l’évolution des niveaux de vie ait pu êtresérieusement mise en doute. L’articulation de ces

124 Kelley et Schmidt [1995: 2-3].

125 Kelley et Schmidt [1995: 3].126 Kelley et Schmidt [1995: 3].

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22 DOCUMENT DE TRAVAIL NO. 33

Tableau 3 : Evolution des problématiques de la recherche sur les conséquences économiques de lacroissance démographique et sur leur lien avec la politique de population

Niveau désagrégé (micro) Niveau agrégé (macro) Bilan/politique

Historique -TDDes années 40 au débutdes 50

Prise en compte des déterminants dela fécondité et de la mortalité

Processus d’ajustement dynamiquedémo-économique dans lequels’inscrivent des phases decorrélation positives et négatives

Processus historiquesphasiques déterministes→ pas de politiquedémographique, sinond’accompagnement

Orthodoxie Des années 50 à la fin des70

Analyses micro des déterminants dela fécondité, de l’épargne et del’accumulation

Effets négatifs sur accumulation,emploi et ressources naturelles

Effets négatifs→ politique antinatalistejustifiée

RévisionnismeAnnées 80

Existence d’effets négatifs micro(externalités...)

Effets négatifs agrégés relativisés(épargne et ressources naturelles) oumaintenus (travail) prise en comptede la complexité (analysest h é m a t i q u e s p a r t i e l l e s e tinteractions)

Neutralité apparente de lacroissance démographique→ pas de politique depopulation qui soit justifiée

Nouveau consensusAnnées 90

Effets négatifs micro soulignés( f e m m e s , e n f a n t s , s a n t é ,éducation...)

Effets agrégés éliminés du champ del’analyse car indirects ou médiatisés

Effets négatifs possibles auniveau micro→ politique démographiquejustifiée et nécessaire

résultats stratégiques peut se résumer de façon assezconcise. De nombreux économistes en reconnaissant etprenant en compte les rétroactions positives de longterme qui contrebalancent les effets négatifs de courtterme de la croissance démographique, ont insisté surle rôle des institutions (marchés, états, réglementation,etc.) dans la définition de réponses positives auxraretés induites par la population, et ont intégré le rôleimportant que peuvent jouer le capital humain et lechangement technologique comme sources de lacroissance. Les coûts de court terme de la croissancede la population, généralement effectifs et qui peuventêtre importants (coût de l’alimentation, de l’éducationd’une naissance supplémentaire), ne sont cependant passous-estimés, mais ils sont intégrés dans uneperspective plus cohérente de long terme, dans laquelleils sont compensés par des effets positifs qui sedéclarent et se cumulent dans la durée — participationà la force de travail et de production, etc.

La perspective orthodoxe n’est donc qu’unevision tronquée, myope, de la mécanique démo-économique de long terme qui se manifeste tout le longde cycles de vie successifs et superposés. Les analysesrévisionnistes, tout comme les travaux plaçant laproblématique de la population dans le cadredynamique de la transition démographique, ontcontribué à restituer cette épaisseur temporelle desmécanismes démo-économiques.

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