les camps de réfugiés et la guerre. du sanctuaire à l'enfermement humanitaire?

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    Les camps de rfugis et la guerreDu sanctuaire lenfermement humanitaire ?

    ______________________________________________________________________

    Marc-Antoine Prouse de MontclosJanvier 2011

    .

    FF oo cc uu ss ss tt rraa tt gg iiqq uu ee nn 22 77

    Centredes tudes de scurit

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    LIfri est, en France, le principal centre indpendant de recherche,dinformation et de dbat sur les grandes questions internationales. Cr en1979 par Thierry de Montbrial, lIfri est une association reconnue dutilitpublique (loi de 1901).Il nest soumis aucune tutelle administrative, dfinit librement ses activits etpublie rgulirement ses travaux.

    LIfri associe, au travers de ses tudes et de ses dbats, dans une dmarcheinterdisciplinaire, dcideurs politiques et experts lchelle internationale.Avec son antenne de Bruxelles (Ifri-Bruxelles), lIfri simpose comme un desrares think tanks franais se positionner au cur mme du dbat europen.

    Les opinions exprimes dans ce texte nengagent que la responsabilit de lauteur.

    ISBN : 978-2-86592-808-8 Ifri 2011 Tous droits rservs

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    Focus stratgique

    Les questions de scurit exigent dsormais une approche intgre, quiprenne en compte la fois les aspects rgionaux et globaux, lesdynamiques technologiques et militaires mais aussi mdiatiques ethumaines, ou encore la dimension nouvelle acquise par le terrorisme ou lastabilisation post-conflit. Dans cette perspective, le Centre des tudes descurit se propose, par la collection Focus stratgique , dclairer par

    des perspectives renouveles toutes les problmatiques actuelles de lascurit.

    Associant les chercheurs du Centre des tudes de scurit de lIfriet des experts extrieurs, Focus stratgique fait alterner travauxgnralistes et analyses plus spcialises, ralises en particulier parlquipe du Laboratoire de Recherche sur la Dfense (LRD).

    Lauteur

    Marc-Antoine Prouse de Montclos, docteur en science politique, estchercheur lInstitut de Recherche sur le Dveloppement (IRD) etenseignant lInstitut dEtudes Politiques de Paris. Il a publi une dizainedouvrages dont Laide humanitaire, aide la guerre ? (Complexe, 2001) etDiaspora et terrorisme (Presses de Sciences Po, 2002).

    Le comit de rdaction

    Rdacteur en chef : Etienne de Durand

    Rdacteur en chef adjoint : Marc Hecker

    Assistante ddition : Alice Pannier

    Comment citer cet article

    Marc-Antoine Prouse de Montclos, Les camps de rfugis et la guerre.

    Du sanctuaire lenfermement humanitaire ? , Focus stratgique , n 27,

    janvier 2011.

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    Sommaire

    Rsum _________________________________________________ 5

    Introduction _____________________________________________ 7

    Les enjeux stratgiques des camps _________________________ 9

    Rfugis et gurillas : un mariage de raison ? _________ 10

    Dplacs et armes gouvernementales :

    des stratgies contre-insurrectionnelles ______________ 13

    Lvolution de la situation des camps

    depuis la fin de la guerre froide ____________________________ 15

    Une guerre des chiffres ____________________________ 16

    Des problmes rcurrents __________________________ 20

    Des dilemmes pour les organisations humanitaires ___________ 23

    De la police des camps et de la responsabilit sociale

    de leurs commanditaires ___________________________ 23

    Le ralisme contre limpratif moral __________________ 26

    Conclusion _____________________________________________ 31

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    Rsum

    Crs pour protger les populations civiles affectes par des conflits oudes catastrophes naturelles, les camps de rfugis et de dplacspossdent une indniable dimension stratgique et leur gestion peut tredterminante pour les sorties de crise. Pendant la guerre froide, les camps,souvent situs la frontire entre deux Etats, servaient de viviers derecrutement, de centres de ressources logistiques et de plateformes

    mdiatiques de propagande. Depuis vingt ans, la fonction stratgique descamps a volu : sils contribuent toujours prolonger les conflits, ilsabritent moins de rfugis, et jouent un rle militaire moins prminent.Autrefois encadrs par des gurillas, les camps sont aujourdhui grs pardes organisations caritatives ce qui ne va pas sans susciter desinterrogations quant la responsabilit juridique et sociale deshumanitaires en matire dorganisation et le ravitaillement des conomiesde guerre.

    * * *

    Refugee and IDP camps, intended to protect civilians affected by conflictsand natural disasters, have an undeniable strategic importance, and theirmanagement can be critical for the resolution of crises. During the ColdWar, camps often located on the border between two states in conflictwith each other made ideal grounds for recruitment, resupply andpropaganda. The strategic function of refugee camps has evolved in thepast twenty years: although they still play a part in the prolongation ofconflicts, they shelter fewer refugees and play a less prominent militaryrole. While they used to be administered by guerillas, camps are nowmanaged by humanitarian organizations a change that raises a numberof issues as regards their judicial and social responsibility for theorganization and supplying of war economies.

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    Introduction

    e regroupement dans des camps est devenu le principal mode degestion humanitaire des flux de populations victimes de guerres ou

    de catastrophes naturelles, quil sagisse de dplacs internes ou derfugis ayant franchi une frontire internationale. Une pareille solution pose cependant de nombreux problmes dont il convient danalyser ladimension stratgique. Comme la prison, le camp est en effet une cole du

    crime qui enferme ses occupants dans des situations de dpendancepropices loisivet et la radicalisation des esprits ; comme la caserne,encore, le camp favorise lembrigadement des jeunes et la militarisationdes luttes politiques.

    Ainsi, on ne compte plus le nombre de guerres asymtriques qui sesont poursuivies depuis des camps de rfugis, linstar des KhmersRouges en Thalande, des moudjahidine afghans au Pakistan, desPalestiniens au Liban ou des Somaliens en Ethiopie dans les annes 1980et 1990. A loccasion, il est mme arriv que des organisations de gurillase montent directement dans les camps. En Ouganda en 1979, une

    association locale daide aux rfugis tutsi du Rwanda, la Rwandese Refugee Welfare Foundation (RRWF), a ainsi donn naissance unmouvement dabord politique, avec la Rwandese Alliance for National Unity (RANU) en 1980, puis militaire, avec le Front patriotique rwandais (FPR) en1988. En Tanzanie, encore, le Parti de libration du peuple hutu(Palipehutu) a t fond sur le site de Mishamo en 1980 ; la fin de ladcennie, une dissidence extrmiste, lUnion du peuple burundais(Ubumwe bwAbarundi), devait par ailleurs prendre le relais avec unebranche arme, le Front de libration nationale (Frolina), qui a galementopr depuis les camps tablis la frontire. En Sierra Leone, l United Liberation Movement for Democracy (ULIMO) sest aussi cr dans lescamps pour combattre les forces de Charles Taylor aprs la chute de la

    dictature Samuel Doe au Libria en 1990 ; malgr la signature dun accordde paix, ses combattants se sont ensuite regroups la frontireguinenne pour repartir lassaut du pouvoir sous les auspices duLiberians United for Reconciliation and Democracy (LURD) partir de1999.

    Le problme nest pas moindre pour les pays daccueil, o lerassemblement de rfugis a pu exacerber les tensions avec lesautochtones et produire des violences entre factions rivales 1

    1

    Sarah Kenyon Lischer, Dangerous Sanctuaries : Refugee Camps, Civil War and the Dilemmas of Humanitarian Aid , New York, Cornell University Press, 2005.

    . Ainsi, leregroupement de Palestiniens en Jordanie a fini par provoquer

    L

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    Les enjeux stratgiquesdes camps

    e regroupement massif des victimes de guerre dans des espaces plusou moins ferms et artificiels est une rvolution somme toute assez

    rcente lchelle de lhistoire de lhumanit. Les premires expriencesdu genre remontent au XIX me sicle et sont le fait des colonisateurs

    espagnols et britanniques avec les reconcentrados Cuba ou les fermiersboers en Afrique du Sud. Dinspiration militaire, elles visaient explicitement contrler la population pour lempcher de soutenir les insurgs. Ducamp de rfugis au camp de concentration, voire au camp de la mort, il ya certes un pas qui, heureusement, est rarement franchi. Toutefois, lanotion denfermement reste centrale dans la gestion contemporaine desmigrations forces : un processus que le dveloppement du droitinternational humanitaire a, en loccurrence, accompagn, encadr etcodifi tout la fois.

    Autrefois, les victimes de la guerre tendaient ainsi se disperser et

    leurs exodes donnaient souvent naissance des diasporas. Parfois, ellescherchaient certes se regrouper lintrieur ou autour des villesexistantes, linstar de Hangzhou dans le sud de la Chine, qui accueillit lesrfugis chasss des steppes du nord par la pousse des BarbaresJurchen partir du XII me sicle. Exceptionnellement, il leur arrivait aussi deformer des agglomrations spontanes comme Ibadan, o convergrent auXIXme sicle les Yorouba fuyant les conflits fratricides de lEmpire dOyodans le sud-ouest de lactuel Nigeria. Au XV me sicle, les Juifs expulssdEspagne furent quant eux rassembls par les autorits dans descampements ruraux le long de la frontire portugaise : la diffrence dughetto vnitien, il ne sagissait cependant pas despaces ferms en milieuurbain. Dune manire gnrale, les victimes des troubles politiques de

    lpoque sefforaient plutt de trouver abri dans des villes fortifies. Lecamp, lui, avait une fonction militaire, scuritaire ou religieuse, mais son butpremier ntait pas daccueillir des rfugis. Cest trs progressivement, aucours du XX me sicle, quil est devenu une solution de facilit pour grer etencadrer les mouvements de population dans des pays en crise.

    Pour des raisons pratiques autant que juridiques, il convient certesde distinguer les dplacs internes des rfugis qui ont franchi unefrontire internationale. Dans lentendement populaire, on mlange souventles uns et les autres en considrant quil sagit dabord et avant tout degens qui fuient un danger, quoi quil en soit par ailleurs de la nature desperscutions subies et des distances parcourues. La qualification juridiquede rfugi, de demandeur dasile ou de dplac interne nen est pas moins

    L

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    dterminante pour les victimes comme pour les Etats de dpart oudaccueil. En thorie, les rfugis peuvent en effet prtendre des secourshumanitaires et sont protgs par la Convention de Genve de 1951, quiinterdit notamment de les refouler contre leur gr vers leur pays dorigine.Appels IDPs acronyme de Internally Displaced Persons , les dplacsinternes, en revanche, nont pas franchi de frontire internationale etdpendent davantage de la bonne volont de lEtat dont ils sontressortissants, mme si, concrtement, lagence spcialise des NationsUnies, le HCR, a souvent russi contourner lobstacle des souverainetsnationales en ngociant une assistance ad hoc .

    A lanalyse, il savre que les usages en la matire sont trs variscar les statuts des diffrents types de victimes ressortissent pour beaucoup des constructions politiques. Depuis quils ont t chasss de leurs terresau moment de la cration de lEtat dIsral en 1948, par exemple, lesPalestiniens ont largement contribu moderniser la notion de rfugi etbeaucoup dentre eux restent viscralement attachs un statut qui, leurs yeux, garantit un droit au retour, quitte rejeter les propositionsdacquisition de la citoyennet dans des pays voisins comme le Liban et laJordanie 2. Mais il nen a pas toujours t ainsi. Dautres ont pu choisir lavoie de lassimilation, tandis que les Etats eux-mmes nont pas toujoursprt beaucoup dimportance aux statuts de leurs exils ou de leursrapatris 3

    Rfugis et gurillas : un mariage de raison ?

    . Pendant la Premire Guerre mondiale, notamment, les Allis ontparl de territoires envahis plutt qu occups , ceci afin de ne pasentriner les conqutes de lAllemagne en Belgique et dans le Nord-Est dela France. En revanche, ils ne se sont gure proccups de qualifier de rfugis ou de dplacs les habitants vacus des zones decombats une poque o le franchissement dune frontire internationalene constituait pas un critre juridique dterminant pour dcider de la naturede laide apporte des populations sinistres. Aussi tard quen 1940,encore, la France devait crer un service des rfugis pour assister sesressortissants originaires de lAlsace Lorraine. Aujourdhui, une tellednomination reviendrait admettre que les Alsaciens ou les Lorrainsavaient effectivement fui un territoire tranger !

    Dun point de vue stratgique, les distinctions de statuts ne sont pasanodines. Parce quils se trouvent dans des pays trangers ,

    gnralement voisins des terrains de crises, les camps de rfugisbnficient en effet dune protection juridique et extraterritoriale qui lestransforme parfois en vritables sanctuaires humanitaires. Inattaquablessous peine de sattirer lopprobre de la communaut internationale, ils

    jouent alors trois principales fonctions pour les belligrants, essentiellementles gurillas qui font fi des frontires : ils constituent des viviers de

    2 Michael Dumper (dir.), Palestinian refugee repatriation : global perspectives ,Londres, Routledge, 2006. ; Michael Fischbach, Records of dispossession : Palestinian refugee property and the Arab-Israeli conflict , New York, ColumbiaUniversity Press, 2006.3 Marc-Antoine Prouse de Montclos, Rfugi ou dplac ? Les enjeux dune

    requalification : lexemple de la Gorgie aprs la guerre de 2008 , Revue europenne de migrations internationales , vol. 26, n 3, 2011.

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    recrutement de combattants, fournissent des centres de ressourceslogistiques et offrent des plateformes mdiatiques de propagande pourmettre en scne les victimes et diaboliser lennemi 4

    Du temps de la guerre froide, les rfugis cambodgiens amasss lelong de la frontire thalandaise prsentent ainsi un cas exemplaire en lamatire. Aprs linvasion du Cambodge par larme vietnamienne en 1979,chacune des trois factions en lice y dispose en loccurrence de basesarrires sous perfusion humanitaire. A Huay Chan, Natrao, Site 8, Bo Raiet Ta Luan, pour commencer, les camps des Khmers rouges sont lesmieux rpartis tout le long de la frontire thalandaise, mme sils necomptent pas parmi les plus peupls, avec un maximum de 65 000rfugis. A Sok Sann et Site 2, les Rpublicains du Front national delibration du peuple khmer, le KPNLF ( Khmer Peoples National Liberation Front ), regroupent quant eux la majorit des rfugis, environ 165 000personnes sur la priode 1982-1991. Avec 45 000 individus sous leurcontrle Site B, les Royalistes sihanoukistes du Funcinpec (Front uninational pour un Cambodge indpendant, neutre, pacifique et coopratif)apparaissent donc minoritaires. En 1982-1983, ils constituent cependant legroupe dont la population crot le plus rapidement, car ils rcuprent etabritent les nouveaux venus qui ne sont pas encore affilis une desfactions en lice. De fait, le seul camp thoriquement neutre, Khao I Dang,dpend du HCR (Haut commissariat pour les rfugis) et est ferm partirde 1983 aux Cambodgiens qui continuent de franchir la frontire. Ouvert en1979, le camp de Nong Mak Moon disparat pour sa part quand son chef,un trafiquant du nom de Van Saren Von Atichvong , est tu par larmethalandaise en 1980.

    .

    Les rfugis qui sagglutinent le long de la frontire sont ainsi le ferde lance de la lutte arme contre loccupant vietnamien. Selon un sondageralis en 1986, 32% des habitants du camp de Site 2 sont des gurillerosdu KPNLF ; jusqu 50% de ceux de Green Hill combattent pour NorodomSihanouk 5. Les enqutes disponibles ds 1979 ne laissent aucun doute surle rle des secours en la matire : Mak Moon, 89% du riz et 89% delhuile sont dtourns par les hommes de Van Saren ; Nong San, 49% duriz et 46% de leau sont directement ponctionns par les combattantssihanoukistes 6

    4 Marc-Antoine Prouse de Montclos, Laide humanitaire, aide la guerre ? ,Bruxelles, Complexe, 2001.

    . En nourrissant et en soignant les rfugis et les gurillerostout la fois, laide occidentale contribue en fait prolonger le conflit

    jusquau dpart ngoci des troupes vietnamiennes en 1989 et aurapatriement des Cambodgiens sous la supervision des Nations Uniesdans la foule des lections de 1993. Une situation que le pre FranoisPonchaud, seul missionnaire tre rest au Cambodge pendant la priodekhmre rouge, rsume de la manire suivante : En aidant des civils lafrontire, on entretient galement des guerriers. En aidant les autorits dePhnom Penh, on renforce un pouvoir tranger oppresseur. Ne pas aider,

    5 Eva Mysliwiec, Punishing the Poor : The International Isolation of Kampuchea ,Oxford, Oxfam, 1988.6

    Linda Mason et Roger Brown, Rice, Rivalry, and Politics: Managing Cambodian Relief , Notre Dame, University of Notre Dame Press, 1983.

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    cest prcipiter dans la maladie et dans la souffrance des milliers dedshrits. Mais en aidant, dun ct comme de lautre, on entretient laguerre 7

    A la diffrence du Biafra, o lassistance humanitaire tait devenuela dernire et quasiment lunique ressource des scessionnistes aprs1968, les combattants cambodgiens ne dpendent certes pas autant dessecours de la communaut internationale pour continuer la lutte contreloccupant vietnamien. Ils ne sont pas encercls et il leur est toujourspossible de se ravitailler en trafiquant des pierres prcieuses ou du teckavec les Thalandais. De plus, les camps situs la frontire thalandaisene correspondent pas aux sanctuaires humanitaires que dcrit Jean-Christophe Rufin propos des rfugis afghans au Pakistan dans lesannes 1980

    .

    8. En effet, les gurillas en lice ne viennent pas se greffer surdes structures dj existantes. Aprs la chute du rgime de Pol Pot, leursbases militaires ont accueilli les premiers arrivants et sont lorigine descampements que la communaut internationale va ensuite assister. Lesrfugis, quant eux, choisissent daller dans tel ou tel camp pour desraisons de proximit gographique et non daffiliation politique. Lesdiffrents mouvements de lutte arme utilisent donc laide occidentale pourles attirer, grossir les rangs de leurs combattants et disposer dlecteurspotentiels, voire captifs, en cas de rapatriement au Cambodge, tantentendu que les occupants des camps devront les soutenir pour les remercier de les avoir protgs contre les Vietnamiens 9

    Bien entendu, ces fonctions stratgiques ne disparaissent pas avecla fin de la guerre froide. On retrouve une problmatique similaire dans les

    camps de dplacs ou de rfugis qui se construisent la frontire duSoudan et du Tchad pour accueillir les victimes de la crise du Darfour partir de 2003. Tandis que les rebelles instrumentalisent les tensions pouressayer dattirer lattention des humanitaires et des mdias, la communautinternationale rcompense et lgitime les groupes les plus violents en lesinvitant des ngociations de paix au dtriment des autres acteurspolitiques de la rgion

    .

    10

    7 Propos cits par Sabine Trannin, Les ONG occidentales au Cambodge : la ralit derrire le mythe , Paris, L'Harmattan, 2005.

    . La plupart des ingrdients du genre sont l :taxation, vol et dtournement de laide ; manipulation de limage desvictimes dans le cadre dune guerre de propagande contre la junte deKhartoum ; utilisation des camps de rfugis comme bases arrires etcentres de ressources pour reconstituer ses forces aprs les combats, fairetransiter des armes, recruter des combattants parmi les civils, etc. Le camp

    8 Jean-Christophe Rufin, Le pige : quand laide humanitaire remplace la guerre .Paris, Latts, 1986.9 Christel Thibault, L'archipel des camps : l'exemple cambodgien , Paris, PUF,2008, pp. 67,88.10 Clea Kahn, Conflict, Arms, and Militarization : The Dynamics of Darfurs IDP

    Camps , Genve, Graduate Institute of International Studies, Small Arms Survey,2008, pp. 13,18.

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    de Djabal, en particulier, sert dannexe au principal mouvement rebelle, laSudan Liberation Army 11

    Dplacs et armes gouvernementales : des stratgies contre- insurrectionnelles

    .

    La guerre du Darfour ne runit certes pas toutes les caractristiques descrises qui lont prcde. A la diffrence du Cambodge ou de lAfghanistandes annes 1980, par exemple, peu de camps sont tenus par une factionen particulier, ne serait-ce qu cause de la fragmentation des groupesrebelles et de limpopularit grandissante quentrane leur comportementprdateur. Mais le schma gnral ne droge pas la rgle : laide est unenjeu conomique qui exacerbe les hostilits, y compris lintrieur duSoudan. Dans les camps de dplacs au Darfour, 9 des 13 incidentsrecenss par les Nations Unies entre juin et septembre 2007 sont ainsiprovoqus par des conflits relatifs la distribution ou au vol de ressources

    humanitaires : soit un motif daffrontement beaucoup plus important que lestensions ethniques ou les combats entre groupes arms 12

    Procd assez classique, le regroupement des dplacs dans descamps relve en loccurrence de stratgies contre-insurrectionnelles qui nesont pas propres au Darfour et qui se retrouvent dans la plupart desguerres asymtriques. A leur manire, les militaires en campagnecherchent en effet suivre le vieil adage de Mao Tse Toung selon lequelune rbellion doit tre aussi laise dans son milieu environnant quunpoisson dans leau. Ils pratiquent donc une politique de la terre brle quiconsiste expulser la paysannerie pour lempcher dentrer en contactavec les rvolutionnaires. Dans cette optique, les populations suspectesde sympathies pour les rebelles sont rinstalles dans des villages de lapaix dment surveills par les militaires. Laide distribue auxncessiteux devient non seulement un moyen de limiter les fluxmigratoires, mais aussi de gagner les curs et les esprits dans lecadre doprations dites WHAM ( Winning the hearts and minds ). Dans saversion la plus extrme, le procd peut alors consister slectionner lesvictimes mritantes au dtriment des mauvaises , laisses leurtriste sort.

    ! Du ctgouvernemental, il sagit moins de piller laide que de lutiliser pourcontrler la population afin disoler les rebelles et dempcher leurapprovisionnement dans le pays profond.

    Dans tous les cas, le regroupement de la population dans descamps est surtout le fait des Etats, tant du Sud que du Nord. Les Franaisen Algrie au moment de la lutte dindpendance, les Britanniques auKenya loccasion de la rvolte Mau Mau, les Amricains pendant laguerre du Vietnam, les Ethiopiens de la dictature Mengistu dans les annes1980 ou les Burundais de la junte Buyoya au cours de la dcenniesuivante : les gouvernements ont souvent uvr ainsi pour isoler lesmouvements insurrectionnels et les priver de tout soutien populaire. De ce

    11 Philippe Bolopion, Au Tchad, les camps de rfugis du Darfour sont un vivier

    pour la rbellion soudanaise , Le Monde , 1er

    juilet 2006, p. 5.12 Clea Kahn, op. cit. , p. 34.

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    point de vue, lutilisation militaire des regroupements de dplacs sedistingue bien de la dynamique des camps de rfugis, qui profite pluttaux gurillas tablies la frontire. En thorie, les armesgouvernementales ne peuvent contrler les mouvements de populationqu lintrieur dun espace national, ou alors en territoire occup. Altranger, elles en sont rduites violer le droit humanitaire internationalen cherchant dtruire et bombarder des sites o il est impossible dedistinguer les combattants des civils, linstar des Franais contre descamps de rfugis algriens en Tunisie en 1958 ou des Sud-Africainscontre des sanctuaires de militants de lANC en Namibie et en Angola en1978. Le procd, notons-le, est toujours dactualit. Le gouvernement deKigali na pas agi autrement lorsquil a dmantel les camps de rfugisrwandais au Congo-Kinshasa en 1996. Il craignait en effet que lesopposants agglutins la frontire ne repartent la conqute du pouvoirquils venaient de perdre : et pour cause, le rgime de Paul Kagam taitlui-mme issu dune insurrection partie de camps de rfugis rwandais en

    Ouganda !

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    Lvolution de la situation des campsdepuis la fin de la guerre froide

    es fonctions stratgiques des camps de rfugis nont pas disparu avecla fin de la guerre froide. Deux thories saffrontent ce propos. Selon

    la premire, les camps de rfugis ont acquis plus dimportance du fait queles belligrants des pays du Sud ont rinvesti les aires rgionales pour

    compenser la perte du soutien des grandes puissances. Enkysts dans ladure, ces sites se prteraient dsormais toutes sortes dextrmisme, commencer par le terrorisme islamiste depuis des campementspalestiniens comme An el-Helweh au Liban. Pour autant, il convient denoter que les camps de rfugis ont toujours t trs violents, y compris dutemps de la guerre froide. Lvolution de la situation nest sans doute pasaussi tranche quon veut bien le croire. A meilleure preuve, le phnomnedes luttes de libration nationale menes depuis des camps na pascompltement disparu. En tmoignent des gurillas telles que le FrontPolisario qui, partir de sa base arrire de Tindouf en Algrie, continue dese battre pour lindpendance du Sahara occidental depuis le retrait ducolonisateur espagnol en 1975.

    A en croire une autre thse, les camps auraient en fait perdu de leurpertinence stratgique. Ils abritent en effet de moins en moins de rfugiset ne jouent plus le mme rle militaire. En vertu de nouvelles rgles,dabord, le HCR sinterdit dapprovisionner et dtablir des camps proximit des frontires, ceci afin de dissocier physiquement les bases degurillas des agglomrations virtuelles que finissent par constituer lesrassemblements de rfugis placs sous protection de la communautinternationale. Les principaux foyers de tensions de cette espce ont ainsidisparu de la surface de la plante, quil sagisse de Hartishek en Ethiopie,de Khao I Dang en Thalande ou de Colomoncagua au Honduras dans les

    annes 1980. La vigilance du HCR nest pas seule en cause. La diminutiondu nombre de guerres recenses dans le monde ny est pas pour rien nonplus, expliquant la baisse des effectifs de rfugis 13

    13

    Andrew Mack et al. , Human Security Report 2009 , Vancouver, Simon FraserUniversity, Human Security Centre, 2010.

    . Pour les spcialistes,la tendance serait dailleurs la mme en ce qui concerne les dplacs quinont pas franchi de frontires internationales. Une hausse du nombredInternally Displaced Persons (IDPs) semble improbable dans un contextemondial de diminution gnrale de la conflictualit guerrire. Le gonflementdes chiffres ce sujet reflterait plutt lamlioration des appareilsstatistiques et limplication grandissante des humanitaires au cur desconflits, de pair avec la prolongation des dplacements forcs lintrieur

    L

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    de frontires nationales au cours des annes 1990 14. Fondamentalement,les chercheurs ne savent pas si une telle tendance est due uneaggravation des conflits arms ou une meilleure recension des flux depopulations en temps de guerre 15 . Dans tous les cas, il nest pas possibledaffirmer que lexplosion de la demande dasile est lie la multiplicationdes crises politiques et des guerres civiles qui ont produit depuis plus devingt ans des rfugis dans des proportions inconnues auparavant 16

    Une guerre des chiffres

    .

    De fait, les statistiques rvlent plutt une diminution du nombre de conflitsarms et de rfugis dans le monde, vidant en quelque sorte les camps deleur substance stratgique. A cet gard, il convient de revenir un momentsur les chiffres disponibles. Port par des effets de loupe, le discoursdominant des humanitaires peut tre trompeur en laissant croire tort quela situation aurait empir. Un premier facteur inflationniste tient en

    loccurrence au dveloppement et lamlioration des appareilsstatistiques qui, dsormais, recensent beaucoup mieux les catastrophes.L o, autrefois, le Comit International de la Croix-Rouge (CICR) taitquasiment le seul intervenir sur les champs de bataille, ce sontaujourdhui des centaines dONG qui se dploient au milieu des crises,avec autant de tmoins susceptibles de rpertorier le nombre de victimes.Ainsi, le HCR a tabli son premier bureau en Afrique en 1960. Cela nesignifie nullement que le continent navait pas de rfugis avant la priodedes indpendances, mais tout simplement que ceux-ci ntaient pascomptabiliss. Depuis la fin de la guerre froide, la multiplication desinterventions humanitaires, conjugue une implication grandissante aucur des conflits, a au contraire facilit une recension de plus en plus fine

    des crises. Des rgions autrefois peu accessibles ont t mieux couvertes,y compris en temps de paix. Dans les campagnes du Niger ravages par lafaim en 2005, par exemple, la mise en place dun traitement ambulatoire dela malnutrition domicile a permis de prendre conscience de lurgencenutritionnelle. De laveu mme dune responsable de MSF (Mdecins SansFrontires), ce sont bien les nouvelles possibilits de prise en charge quiont rvl la crise. Cest pourquoi on peut penser que ce type de crise estpass inaperu plusieurs fois au Niger et lest sans doute actuellementdans dautres pays 17

    Certes, le dveloppement des appareils statistiques ne tient pas

    seulement la capacit de dploiement et la multiplication des agences

    .

    14 James Fearon, The rise of emergency relief aid , in Barnett, Michael et Weiss,Thomas (dir.), Humanitarianism in question : politics, power, ethics , Ithaca, CornellUniversity Press, 2008, p. 72.15 Susanne Schmeidl, The Quest for Accuracy in the Estimation of ForcedMigration , in Stephen Lubkemann, Larry Minear et Thomas Weiss (dir.),Humanitarian actions : social science connections , Providence, Institute forInternational Studies, Brown University, 2000, p. 153.16 Catherine Wihtol de Wenden, La question migratoire au XXIe sicle : migrants,rfugis et relations internationales , Paris, Presses de Sciences Po, 2010, p. 24.17 Isabelle Defourny, La prise en charge de la malnutrition par MSF Maradi

    (2001-2007) , in Xavier Cromb et Jean-Herv Jzquel (dir.), Niger 2005, une catastrophe si naturelle , Paris, Mdecins sans frontires, 2007, p. 245.

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    humanitaires ou des organisations de dfense des droits de lhomme quialimentent les bases de donnes sur les guerres ou les famines. Il doitaussi beaucoup lextension du mandat des uns et des autres. En clair : llargissement des catgories qui permettent dapprhender et de mesurerlimpact des crises. Une pareille tendance avait dj t observe proposde la violence criminelle. Au Nigeria, par exemple, la cration en 1945dune catgorie statistique pour les dlinquants juvniles tait revenue crer et quantifier un phnomne qui, auparavant, ntait pas rpertori 18 .Dans le mme ordre dides, certains spcialistes admettent que larecension des violations des droits de lhomme sest affine et prenddsormais en compte des abus moins importants, quitte donnerlimpression dune aggravation l o, en ralit, la situation se serait pluttamliore depuis 1980 19

    Concernant les rfugis , le processus sest nourri deuxsources. Dune part, les juristes ont assoupli les dfinitions de laConvention de Genve de 1951 qui, concrtement, restreignaientlapplication du droit dasile des individus victimes de perscutionspolitiques par des Etats. A linstar des pays dAmrique centrale signatairesde la Dclaration de Carthagne en 1984, les membres de lOUA(Organisation de lUnit Africaine) ont en loccurrence adopt en 1969 uneConvention qui a collectivis la notion de rfugis, de facto admis pargroupes entiers sur une base dite prima facie , sans forcment sarrter auxcritres dune perscution cible nommment

    .

    20. Dautre part, le HCR alargi les catgories de personnes places sous sa protection 21

    Autre effet de loupe, la fermeture de lespace Schengen a enquelque sorte politis les migrations conomiques en incitant lestravailleurs du Sud dposer une demande dasile pour essayer depntrer lintrieur de la forteresse Europe. Les consquences en sontassez paradoxales. Des gens qui, autrefois, venaient pour travailler sur unebase saisonnire, sont dsormais enclins prolonger leur sjour sur placeet entrer dans la clandestinit de peur de ne pas tre autoriss reveniren Europe au cas o ils repartiraient dans leur pays dorigine. Les primo-

    .Dornavant, il se proccupe galement des dplacs internes, et passeulement des rfugis qui ont franchi une frontire internationale.

    18 Laurent Fourchard, Lagos and the invention of juvenile delinquency in Nigeria,

    1920-1960 , Journal of African History, vol. 47, n 1, 2006; pp. 133-5.19 Mack, Andrew et al. , Human Security Brief 2007 , Vancouver, Simon FraserUniversity, 2008, p. 47.20 Aujourdhui, lnumration des rfugis au niveau mondial continue dailleurs deposer de nombreux problmes techniques au vu de la diversit des pratiques dunpays lautre. En effet, chaque Etat a sa propre lgislation en matire dasile, avecdes positions qui voluent au cours du temps. Jusquen 1980, par exemple, lesEtats-Unis naccordaient un statut de rfugi quaux victimes fuyant lesperscutions politiques et individuelles dun Etat, essentiellement les rgimescommunistes et non les pays en dveloppement.21 Louise Aubin, La scurit humaine et le Haut Commissariat des Nations Uniespour les rfugis , in Guillaume Devin (dir.), Faire la paix : La part des institutions internationales , Paris, Pepper, 2005, pp. 115-30 ; Michael Barnett et Martha

    Finnemore, Rules for the world : international organizations in global politics ,Ithaca, Cornell University Press, 2004, pp. 80-95.

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    arrivants, quant eux, doivent davantage faire jouer les procdures derunification familiale ou de demande dasile pour obtenir un visa ou un titrede sjour en bonne et due forme. Il en rsulte une augmentation un peuartificielle du nombre de demandeurs dasile lheure o il devient de plusen plus difficile de distinguer les ressorts politiques ou conomiques desmigrations en provenance dEtats faillis ou fragiles .

    Les enjeux se situent aussi au niveau des pays du Sud. En fonctionde leurs intrts du moment, tant les groupes rebelles que les autorits onten loccurrence pu gonfler les effectifs de rfugis. Les gouvernements despays htes, notamment, ont ainsi cherch amliorer leur imageinternationale et obtenir une aide humanitaire susceptible dtredtourne pour fournir des emplois aux fonctionnaires chargs de grer lesdemandes dasile ou de ravitailler les exils en lutte contre ungouvernement ennemi 22 . Par la mme occasion, lide tait de ternir larputation dun Etat voisin lorigine de lexode et en mauvais termes avecle pays daccueil. Pour tre autorises poursuivre leurs activitshumanitaires dans les camps de rfugis, les organisations internationales,elles, ont d accepter les chiffres officiels , quitte les cautionner et leslgitimer. Le HCR a par exemple t contraint dendosser les statistiquesbidonnes de Kampala sur le nombre de Soudanais rapatris en Ougandaen 1981 ; forc den faire autant par les gouvernements de Khartoum et deKinshasa, il sest alors retrouv tripler artificiellement le nombre rel derfugis pour lesquels il allait demander des financements de lacommunaut internationale 23

    De fait, les organisations humanitaires ont largement contribu accentuer les tendances inflationnistes, ceci pour des raisonsdiplomatiques, pratiques ou conomiques. En Somalie depuis 1991, parexemple, lONG franaise Action Contre la Faim a laiss apparatre dansses rapports une augmentation presque ininterrompue du nombre depersonnes dplaces par le conflit Mogadiscio

    . De telles situations ne sont pas rares. Ladictature Siyad Barre en Somalie dans les annes 1980 ou legouvernement thiopien au cours de la dcennie suivante sen sont faitsune spcialit. Mme sil ntait pas dupe, le HCR sest content dereproduire leurs chiffres dans ses rapports annuels.

    24

    22 Jeff Crisp, Who has counted the Refugees ? UNHCR and the Politics ofNumbers , in Stephen Lubkemann, Larry Minear et Thomas Weiss (dir.), op. cit., p. 49.

    . Un bilan trompeur :faute de pouvoir circuler librement en ville, les conditions de travail nont enralit pas permis de recenser convenablement une populationcaractrise par un fort taux de rotation. Certains camps de dplacsont t comptabiliss plusieurs fois et lONG na jamais ray de sa listeceux qui fermaient. Elle y avait dautant moins intrt que le montant deses subventions de lUnion europenne dpendait du volume de population assister.

    23 Jeff Crisp, Ugandan Refugees in Sudan and Zare : The Problem ofRepatriation , African Affairs , vol. 85, n 339, 1986, pp. 163-80.24

    Marc-Antoine Prouse de Montclos, Villes en guerre en Somalie : Mogadiscioet Hargeisa , Les dossiers du Ceped , n 59, 2000.

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    Dune manire gnrale, les organisations humanitaires nont pastoujours su rsister la tentation du sensationnalisme. Pour financer leursactivits, leur politique de communication vise sduire le grand public etne se proccupe gure de la complexit dune ralit sociale trop difficile expliquer. Il faut frapper les imaginations avec des arguments manichenset sans nuances, au dtriment de toute rigueur scientifique 25 . Certainesorganisations ont ainsi pu vhiculer des chiffres fantaisistes pour rallierlopinion publique leur cause. Au dbut des annes 1970, relvent parexemple les spcialistes, la scheresse du Sahel a vraisemblablement tu100 000 Africains et non plusieurs millions comme annonc dans lesmdias 26 . De mme, la famine thiopienne de 1984-1985 a emport entre300 000 et 500 000 personnes, et non deux millions 27. Aujourdhui encore,des ONG comme Oxfam ou Christian Aid reprennent leur compte lesinquitudes que soulve le rchauffement de la plante pour dvelopper leconcept de rfugi climatique et affirmer que les catastrophesnaturelles seraient plus dvastatrices 28

    Les mdias ont videmment t de la partie, soit pour vendre de lacopie, soit par ignorance, soit encore par manque de temps ou despacerdactionnel. Encore rcemment, par exemple, le journal Le Monde parlaitdun chiffre record propos du nombre de rfugis recenss en 2007dans le rapport du HCR

    .

    29. Mais son dcompte mlangeait les catgories juridiques et ne distinguait pas les rfugis des dplacs internes, desdemandeurs dasile, des apatrides, des rapatris et, plus gnralement,des personnes prises en charge par linstitution onusienne. Au dtour dunephrase, lauteur de larticle devait dailleurs admettre lui-mme que le titreaccrocheur du Monde ne correspondait pas la ralit et que plus desdeux tiers de cette augmentation [entre 2006 et 2007 taient] dus unchangement de mthode statistique . Dans son rapport, le HCR prcisaitpour sa part quil avait modifi ses modes de calcul, quil prenait dsormaisen compte les personnes en situation de rfugis et que les chiffresde 2007 ne [pouvaient donc] pas vraiment tre compars avec ceux desannes prcdentes 30

    25 Marc-Antoine Prouse de Montclos, Du dveloppement lhumanitaire, ou letriomphe de la com , Revue Tiers Monde , n 200, 2009.

    . Le nombre de rfugis proprement parler avaiten fait diminu au cours de la dcennie passe. En incluant la catgorie un

    26 Alex De Waal et Rakiya Omaar, Can Military Intervention Be"Humanitarian"? , Middle East Report , n 187/188, 1994.27

    Ibid. , p. 7.28 En ralit, sur les 61,6 millions de morts recenss au cours des 100catastrophes naturelles les plus meurtrires du XX me sicle, 87% ont tenregistrs dans la premire moiti du sicle et moins de 2% entre 1980 et2000, essentiellement cause de la famine thiopienne de 1984-1985. A en croireles chiffres du rassureur allemand Munich Re , la premire dcennie du XXI me sicle a cependant t trs meurtrire du fait du tsunami asiatique de 2004, dusisme pakistanais de 2005, du cyclone birman de 2008 et du tremblement deterre hatien de 2010. Voir Le Monde du 5 janvier 2011 et la base de donnesaccessible ladresse : http://www.disastercenter.com/disaster/TOP100K.html . 29 Philippe Bolopion, 25 millions de rfugis dans le monde : un chiffre record,selon lONU , Le Monde , 18 juin 2007, p. 8.30 UNHCR, 2007 Global Trends : Refugees, Asylum-seekers, Returnees, Internally

    Displaced and Stateless Persons , Genve, United Nations High Commission forRefugees, 2008, p. 3.

    http://www.disastercenter.com/disaster/TOP100K.htmlhttp://www.disastercenter.com/disaster/TOP100K.htmlhttp://www.disastercenter.com/disaster/TOP100K.htmlhttp://www.disastercenter.com/disaster/TOP100K.html
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    peu part des Palestiniens, il atteignait 16 millions dindividus en 2007,contre 14,3 en 2006 mais 16,4 en 1995. Mme le nombre total depersonnes prises en charge par le HCR avait baiss entre 2006 et 2007,passant de 32,9 31,7 millions, soit une diminution de 3% 31

    Des problmes rcurrents

    .

    Bien entendu, une simple variation du nombre de rfugis ou de guerres nesuffit pas dsamorcer tous les problmes stratgiques que posent lescamps. Dans un monde globalis, les exils jouent toujours un rleimportant dans la fabrication et lalimentation des processus de lutte arme.Il convient en outre de noter que les imprcisions des recensements desvictimes de la guerre peuvent aussi jouer la baisse. Ainsi, les puissancesoccidentales ont parfois essay de minimiser le nombre de rfugiscomptabiliss dans les pays en dveloppement, soit pour rduire leursniveaux daide humanitaire, soit pour viter des demandes dasile sur leur

    propre territoire, soit encore pour ne pas ternir la rputation dungouvernement alli lorigine de lexode. De leur ct, les gouvernementsdu Sud nont pas t les derniers essayer de masquer lampleur descrises dont ils taient plus ou moins directement responsables, linstar delEthiopie du Ngus ou du Soudan de Nimeiry face aux famines de 1974 et1984 respectivement. Rsultat, il est possible que les effets inflationnistesou rductionnistes finissent par se neutraliser lorsquon essaie decomptabiliser les rfugis travers le monde.

    Surtout, les camps tendent se prenniser car ils sont devenus lasolution tout faire des organisations humanitaires, au risque dentretenirdes dynamiques conflictuelles qui retardent les sorties de crises. Tant lespays en dveloppement que les bailleurs de fonds de laide internationalesoutiennent en loccurrence des logiques dendiguement pour rguler lesdplacements forcs de populations : les premiers pour contenir une invasion massive dimmigrants perus comme porteurs de troubles ; lesseconds pour viter que des hordes de misreux ne soient tentesdaller demander lasile outre-mer. Anticipant la demande des puissancesoccidentales, le HCR est mme all encore plus loin en participant aurapatriement forc de rfugis dont les pays htes voulaient sedbarrasser. Sous la pression des autorits locales, cela a notamment tle cas des rfugis thiopiens Djibouti en 1986, rwandais et burundais enTanzanie en 1996, ou afghans en Iran partir de 2004. On peut

    comprendre le dilemme des humanitaires en la matire : soit ils doiventlaisser les victimes leur triste sort et courent le risque dtre expulss endnonant les violations de la Convention de Genve de 1951, qui pose leprincipe du non-refoulement ; soit ils acceptent de participer desprogrammes de rapatriement coercitifs afin dessayer den attnuer labrutalit. Dans le cas du HCR, relve Michael Barnett, il se trouve en outreque, demble, lagence onusienne avait considr que le retour tait lameilleure solution pour rsoudre la crise des rfugis 32

    31 Ibid.

    . Sa participationcontroverse des procdures de refoulement devrait donc peu aux

    32

    Michael Barnett, The International Humanitarian Order , New York, Routledge,2010, pp. 140-7.

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    pressions des Etats htes ou bailleurs : elle serait en quelque sorteconstitutive de la gense dune institution hrite de la guerre froide.

    De leur ct, les gouvernements des pays du Sud ont galement

    restreint le droit dasile. Parce quelle produit et accueille environ un tiersdes rfugis recenss dans le monde (30% en 2004, contre 33% en 1964),lAfrique est emblmatique dans ce domaine 33

    Un pareil phnomne ne rsulte srement pas des seules pressionsdes bailleurs de fonds occidentaux de laide internationale. Il ne doitdailleurs pas faire oublier que les rfugis ne passent pas tous par descamps. Dune manire gnrale, un bon nombre dentre eux svapore

    dans la nature et la clandestinit, linstar des Nord-Corens disperss enChine. Dautres chouent dans les quartiers ethniques des grandes villesmondialises comme Toronto, Londres ou Sydney. De plus, certainscamps finissent en quelque sorte par se diluer dans le tissu urbain, linstar des Muhajir de Karachi la suite de la partition de lInde en 1947,des Palestiniens de Gaza depuis la cration de lEtat dIsral en 1948, oudes Afghans de Peshawar aprs linvasion de leur pays par lArme Rougeen 1980. De telles volutions ont videmment des rpercussions directessur les modes de mobilisation des groupes arms. Dans le cas delAfghanistan du temps de loccupation sovitique, par exemple, lesrfugis accueillis dans des camps au Pakistan sont davantage repartis aucombat que leurs compatriotes en Iran qui, mieux intgrs en ville, ontrefait leur vie en exil. Une sorte de division transnationale du travailapparat ainsi entre le fantassin rural qui agit directement sur les thtresdopration proximit desquels il sest tabli, dune part, et lexil urbainqui, distance, finance ou commandite les luttes armes, dautre part.

    . Selon James Milner, elle asuivi le modle de Schengen pour des raisons peu prs inverses cellesde lUnion europenne, savoir labandon de ses idaux panafricanistes etle blocage de ses processus dintgration rgionale. La fin de la guerrefroide a accentu le phnomne en prcipitant le dclin des rgimes departi unique qui, en fonction de leurs intrts politiques, accueillaient desrfugis en masse sans en rendre compte la moindre oppositionnationale. Depuis lors, les proclamations de solidarit entre les peuples ontlaiss la place des discours xnophobes que les processus de transitiondmocratique ont exacerbs en faisant des immigrs un enjeu lectoral. Depair avec la libralisation des conomies africaines et les plansdajustement structurel de la Banque mondiale, la pauprisation de lapopulation, la rarfaction des ressources et le dmantlement des Etatsauraient galement envenim la comptition entre les autochtones etles trangers . Rsultat, lAfrique aussi enferme ses rfugis dans descamps qui jouent le rle de centres de rtention administrative.

    33

    James Milner, Refugees, The State And The Politics Of Asylum In Africa , NewYork, Palgrave, 2009, p. 42.

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    Des dilemmes pour lesorganisations humanitaires

    ien entendu, lventualit dune participation directe des rfugis auxhostilits nest pas sans poser des problmes thiques et juridiques

    aux organisations humanitaires qui se proccupent daider les victimes,quoiquil en soit par ailleurs de leur positionnement dans les conflits en

    cours. Aujourdhui, des lieux comme Djabal au Tchad, Kakuma/Lokichokioau Kenya, Jnine en Cisjordanie ou Maela en Thalande sontemblmatiques des tensions qui peuvent se cristalliser autour desprincipaux sites de regroupement de rfugis dans le monde. Or, leurgestion pose clairement un problme de maintien de lordre pour lesorganisations de secours qui les ravitaillent. Dans bien des cas, celles-cirecourent aux polices locales, aux milices du cru ou des socits descurit prive. Elles nattendent videmment pas que la communautinternationale se dcide ventuellement monter une opration de la paix.Cependant, le remde est parfois pire que le mal. En effet, les forces delordre des pays en dveloppement sont rarement respectueuses du droithumanitaire. Les quelques expriences du genre nont gure tprobantes.

    De la police des camps et de la responsabilit sociale de leurs commanditaires

    Ainsi, la communaut internationale a essay plusieurs reprises deformer des contingents spcialiss pour rtablir la scurit dans les camps.En vertu dun mmorandum de janvier 1995 concernant les rfugisrwandais dans la rgion de Goma, le HCR a par exemple commenc financer une unit de larme congolaise, le CZSC (Contingent zaroischarg de la scurit des camps), qui devait savrer particulirementindiscipline et qui, non contente de racketter la population, finit parparticiper aux combats des gnocideurs hutu contre leur ennemi tutsi la frontire. Pas dcourage pour autant, lagence onusienne a ensuiteentrepris de policer les camps de rfugis burundais par lintermdiaire desforces de lordre tanzaniennes, sengageant leur verser deux millions dedollars par an dans le cadre dun accord sign en janvier 1998. Sur desimples prsomptions, des suspects ont alors t arrts, racketts,torturs ou viols, quand ils ne sont pas rests croupir dans les prisonssurpeuples de la rgion parce quils navaient pas les moyens de payerune caution ou un avocat. Rsultat, les rfugis burundais se sont encoreplus mfis de la police tanzanienne, refusant mme de lui remettre les

    B

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    voleurs quils pouvaient identifier 34 . Le HCR nen a pas moins continu travailler avec les forces de lordre des pays en dveloppement. En avril2008, les Nations Unies ont commenc former une unit de la policetchadienne, le DIS (Dtachement intgr de scurit), afin dassurer lascurit des camps de rfugis en provenance du Darfour. Au Kenya,encore, le HCR a prvu en septembre 2009 daugmenter les effectifs depolice chargs de surveiller les demandeurs dasile somaliens enfermsdans les camps de Dadaab, ceci en dpit des exactions rptition qui ontpu tre observes sur un site ouvert depuis fvrier 1991 35

    Evidemment, la participation des oprations de maintien de lordrepeut sembler assez paradoxale pour des organisations humanitaires etcaritatives qui, a priori , ne souhaitent pas jouer de fonction coercitive. Depareils dfis interrogent en loccurrence leur responsabilit sociale et

    juridique vis--vis des populations quelles disent aider

    .

    36. On reproche eneffet aux Casques bleus de ravitailler et de travailler de concert avec desarmes nationales qui massacrent les civils et ne respectent pas le droithumanitaire, par exemple au cours doprations anti-gurilla dans lEst duCongo-Kinshasa fin 2009. Les militants des droits de lhomme vilipendentgalement les compagnies ptrolires qui, par leurs impts ou leurscontrats, financent lappareil coercitif des dictatures sans pouvoir empcherdes actes rprhensibles. Or, les organisations humanitaires nchappentpas aux problmes de scurit et de corruption que connaissent lesmultinationales sur les terrains de crise 37

    On retrouve aussi certaines similitudes dans les stratgies dactiondes uns et des autres. A loccasion, les ONG recourent ainsi aux mmesservices de scurit prive que les entreprises, prcisment parce quellesrechignent davantage demander lintervention des armes ou des policesnationales. De plus, les humanitaires vitent gnralement de sassocier une des parties au conflit afin de sauvegarder leur neutralit, linstar desmultinationales qui cherchent prserver leurs intrts auprs de tous lescamps en prsence. Sur le plan pnal, en outre, les dirigeants des deuxtypes dorganisations font parfois face aux mmes responsabilits, parexemple dans le domaine financier en vertu de la loi du 25 janvier 1985 en

    . Leurs tentatives daccs auxvictimes, notamment, rencontrent des difficults qui ne sont pas sansrappeler celles des entreprises quand elles tentent de mettre la main surdes gisements ou des marchs dans des pays en proie des troublespolitiques.

    34 Loren Landau, The Humanitarian Hangover : Displacement, Aid and Transformation in Western Tanzania , Johannesbourg, Witwatersrand UniversityPress, 2008, pp. 111-2. Voir aussi : Simon Turner, Politics of Innocence : Hutu identity, conflict, and camp life , New York, Berghahn Books, 2010.35 Gerry Simpson et al. , "Welcome to Kenya". Police Abuse of Somali Refugees ,New York, Human Rights Watch, 2010, p. 21.36 Andrew Clapham, Human rights obligations of non-state actors , Oxford, OxfordUniversity Press, 2006, pp. 312-6.37 Roslyn Hees et al. , Preventing Corruption in Humanitarian Assistance : Final Research Report , Berlin, Transparency International, 2008 ; Deborah Avant,

    NGOs, Corporations and Security Transformation in Africa , International Relations , vol. 21, n 2, 2007, pp. 143-61.

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    France 38 . Enfin et surtout, la professionnalisation et la marchandisation desoprateurs humanitaires ont entran ladoption des techniques de gestionet de communication du monde de lentreprise 39

    Aussi nest-il pas draisonnable danalyser la responsabilit socialedes organisations de secours. La remarque vaut videmment pour leurscommanditaires, leurs fournisseurs et leurs partenaires. Passer le relais des associations locales ne diminue en effet en rien la responsabilit desONG internationales lorsquelles endossent le rle de bailleurs plutt quedoprateurs. A priori , le renforcement des capacits de la socitcivile , pour reprendre la formule en usage, permet certes de dpasser leslimites dune coopration de substitution qui enfonce les victimes dans unelogique de dpendance et dassistance. Mais il convient alors dvalueraussi lapport et les dfaillances des partenaires des agences daide dansles pays en dveloppement

    .

    40 . La difficult est que les ONG du Sud et duNord se retranchent derrire le caractre altruiste, non-lucratif et volontairede leur engagement humanitaire pour rclamer une exemption de fait. Lecaractre international de leurs actions ne facilite pas non plus les vellitsde contrle des lgislateurs nationaux. Pour linstitution humanitaire,explique ainsi Rony Brauman, une souffrance humaine en vaut une autreo quelle se produise, car elle est par dfinition dterritorialiseAutrement dit, il ny a pas de gographie de la responsabilit humanitairealors quil existe une gographie de la responsabilit politique 41

    Aux Nations Unies, il a dailleurs t question daccorder uneimmunit diplomatique au personnel humanitaire, et pas seulementonusien

    .

    42 . Dbattu partir de 1965 et soumis au Conseil conomique et

    social de lONU en 1984, un projet de Convention en ce sens devaitfinalement dboucher sur une version minimaliste qui, rduite de simplesvux pieux, a essentiellement cherch acclrer les procdures deddouanement de lassistance internationale dans des pays en crise 43

    38 En tant que personnes physiques et pas seulement morales, employs etdirigeants associatifs sont ainsi susceptibles dtre poursuivis devant les tribunauxfranais. Au nom dune sorte de principe de prcaution qui punit limprudenceconsciente , la loi du 10 juillet 2000 a mme largi le dispositif aux auteurs indirects de dlits non intentionnels, sanctionns pour avoir jou un rle

    prpondrant dans linfraction en omettant de faon manifestement dlibre deprendre les mesures permettant de lviter . Cf. Jean-Franois Haudebourg, Lareponsabilit pnale des associations , in Lionel Prouteau (dir.), Les associations entre bnvolat et logique d'entreprise , Rennes, Presses universitaires de Rennes,2003, p. 161.

    . Lesinstitutions humanitaires nen ont pas moins continu de revendiquer une

    39 Marc-Antoine Prouse de Montclos, Du dveloppement lhumanitaire, ou letriomphe de la com , op. cit. .40 Judith Tendler, Inside foreign aid , Baltimore, Johns Hopkins University Press,1975, p. 42.41 Rony Brauman, Penser dans l'urgence : parcours critique d'un humanitaire,entretiens avec Catherine Portevin , Paris, Seuil, 2006, pp. 215-6.42 Peter Macalister-Smith, International humanitarian assistance : disaster relief actions in international law and organizations , Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1985,

    p. 150.43 Ibid.

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    sorte dirresponsabilit juridique. Pour chapper au contrle liberticide des Etats, les ONG anglo-saxonnes, notamment, ont prfr sautorguleret monter un organisme bas Genve, le HAP ( Humanitarian Accountability Project ), qui prtend remplir une fonction dombudsman sansrpondre aux principes de sparation des pouvoirs en dmocratie. Trsrestreints, les mcanismes de plainte et de saisine se droulent enloccurrence sur la base de procdures en huis clos o les mdiateurs sont la fois juges et parties. Rsultat, les organisations membres du HAP ontdonn le sentiment de chercher laver leur linge sale en famille . Apreuve, les scandales dabus sexuels ou de corruption ont plutt trvls par des acteurs extrieurs au mouvement, linstar de la FondationAkha au Laos 44

    Il est pourtant trois domaines au moins o la responsabilit socialedes humanitaires sexerce avec une acuit particulire : la gestion dupersonnel, la logistique et la relation avec les communauts locales.Souvent accuses de privilgier les expatris, les agences daide sont bienvidemment responsables du comportement et de la scurit de tous leursemploys. Il ne sagit pas seulement de rprimer les dviances, mais ausside respecter le droit du travail et de protger le personnel local enenvisageant son vacuation en cas de crise, plutt que de labandonner son triste sort lors des massacres de Kigali au Rwanda en 1994 ou deMuttur au Sri Lanka en 2006. Comme les entreprises, en outre, les ONGsont partiellement responsables des fournisseurs et des prestataires quiravitaillent leur chane logistique. Enfin, elles sont thoriquementredevables de leurs actions vis--vis des destinataires de leur aide,rfugis inclus.

    .

    Le ralisme contre limpratif moral

    Le camp est loin dtre une solution idale cet gard. Certes, il prsentelavantage de faciliter les conomies dchelle qui permettent de ravitaillerles victimes moindre cot : les dpenses daide per capita seraientindniablement plus leves sil fallait fournir des services au porte porte des rfugis disperss dans la nature. Mais le camp est aussi contre-productif sur le plan humanitaire car il favorise la transmission desmaladies en regroupant la population dans des espaces plus ou moinsrestreints, par exemple au moment de la famine somalienne de 1991-1992 45. Le problme concerne galement les victimes de catastrophes

    naturelles qui, en tant que telles, nentranent pas dpidmies,contrairement ce quon entend souvent dire 46

    44

    . Dans le cas des guerresasymtriques, en outre, le regroupement de la population dans desespaces ferms brouille les distinctions entre civils et combattants, quibnficient ensemble de laide internationale.

    http://www.observatoire-humanitaire.org/fusion.php?l=FRetid=1 . 45 Steven Hansch et al. , Lives lost, lives saved: Excess mortality and the impact of health interventions in the Somalia emergency , Washington, Refugee PolicyGroup, 1994, p. 28.46 Michael Toole, Communicable Diseases and Disease Control , in Noji,

    Eric (dir.), The public health consequences of disasters , New York, OxfordUniversity Press, 1997, pp. 79-100.

    http://www.observatoire-humanitaire.org/fusion.php?l=FRetid=1http://www.observatoire-humanitaire.org/fusion.php?l=FRetid=1http://www.observatoire-humanitaire.org/fusion.php?l=FRetid=1http://www.observatoire-humanitaire.org/fusion.php?l=FRetid=1
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    Quil sagisse des camps de rfugis tenus par les Khmers Rougesen Thalande en 1979, des moudjahiddines afghans au Pakistan partir de1980 ou des gnocidaires rwandais au Zare en 1994, les humanitairesont ainsi ravitaill des criminels de guerre qui sont pourtant exclus dudispositif de protection de la Convention de Genve de 1951. A lintrieurde frontires dites nationales, le problme na pas non plus pargn lesdplacs recruts par des mouvements rebelles ou des milicesparagouvernementales. Pire, les humanitaires ont alors pu se retrouver faciliter des procdures de nettoyage ethnique. Pour reprendre laterminologie en usage au Burundi partir du coup dEtat militaire de 1996,ils ont en loccurrence d privilgier les dplacs tutsi rinstalls dansdes sites protgs par larme, la diffrence des disperss hutu quise mfiaient des soldats gouvernementaux et prfraient se cacher enbrousse. Au Darfour partir de 2003, encore, les organisations de secoursont contribu fixer les cultivateurs africains dans des camps, tandisque les nomades fidles au rgime de Khartoum en profitaient pour

    semparer des terres laisses vacantes.

    La gestion des camps pose ainsi de nombreux problmes thiques, juridiques et pratiques qui montrent bien les limites de laide internationaleet invitent multiplier les tudes de faisabilit avant de poursuivre desoprations humanitaires. Faut-il par exemple intervenir dans des campsferms au risque de jouer le rle dun garde-chiourme pour le compte duHCR et des Etats qui le financent ou qui laccueillent en esprant contrlerles flux migratoires ? Dans des pays en crise, faut-il par ailleurs aider lesdplacs que les armes regroupent sur des sites surveills afin disoler lesmouvements de gurilla, quitte fournir un soutien logistique desstratgies militaires ? Enfin, faut-il poursuivre des programmes dassistancedans des rgions o les secours sont dtourns par les combattants etcontribuent prolonger les conflits en permettant aux tortionnaires decontinuer acheter armes et munitions ?

    Aucune de ces questions na videmment de rponse simple. Lafiabilit (plus que lefficacit) des humanitaires sapprcie surtout launede leur lucidit et de leur capacit danalyse, quitte se dsengager desterrains o les dgts collatraux de laide lemportent sur les effetsbnfiques. Concrtement, les secouristes sont partags entre despositions ralistes ou morales difficilement rconciliables 47. Dite consquentialiste , la premire consiste mettre en balance les effetspositifs et ngatifs de laide pour introduire un seuil de dtournement partir duquel il vaut mieux sarrter 48

    47 Desmond Gasper, Drawing a Line : Ethical and Political Strategies inComplex Emergency Assistance , European Journal of Development Research ,vol. 11, n 2, 1999, pp. 87-114.

    . Elle est toutefois rarement mise enuvre et se heurte des problmes de mesure et danticipation quintablissent pas toujours des liens de causalit trs clairs entrelassistance internationale et la prolongation des conflits. Pour lessecouristes qui se rclament de la philosophie des mdecins sans

    48 Hugo Slim, Doing the right thing : relief agencies, moral dilemmas and moral

    responsability in political emergencies and war , Disasters , vol. 21, n 3, 1997,pp. 244-57.

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    frontires, la vraie question est plutt de savoir sil existe un espacehumanitaire qui permette daccder librement aux victimes et desuperviser directement laide sans passer par lintermdiaire dunestructure infode lun des belligrants.

    Justifie par limpratif moral de lassistance des personnes endanger, la deuxime position revient au contraire limiter le champ deresponsabilit des humanitaires, quitte les ddouaner des dgtscollatraux dont ils ne seraient pas directement les auteurs. Sur le plandontologique, le sens du devoir commande en effet de poursuivre laide tout prix, notamment en situation durgence. Mais un tel raisonnement nersout videmment pas le dilemme du mdecin appel par les bourreaux ranimer une victime pour pouvoir continuer la torturer 49 . Limpratif moralde lassistance des personnes en danger nexcuse pas non plus lesmaladresses des humanitaires : transpose dans le monde moderne, laparabole du Bon Samaritain souligne tous les effets pervers dun enferpav de bonnes intentions 50

    On se rappelle sans doute la controverse quavait suscite lesilence du CICR pendant la Seconde Guerre mondiale. A lpoque,linstitution genevoise connaissait de visu lexistence des campsdextermination. Cependant, fidle sa politique de confidentialit, elleavait dlibrment choisi de nen rien dire afin de ne pas compromettre lapoursuite de ses activits auprs des prisonniers de guerre aux mains de

    lAllemagne nazie

    . Il ne sagit pas seulement de sinterroger surle rle des secours dans la prolongation des conflits et des souffrances. Ilfaut aussi rflchir la faon dont les humanitaires peuvent malgr euxcontribuer lgitimer ou masquer des exactions.

    51

    49 Valrie Marange, Mdecins tortionnaires, mdecins rsistants : les professions de sant face aux violations des droits de l'homme. Contributions prsentes un sminaire international organis par la Commission mdicale de la Section franaise d'Amnesty International , Paris, Dcouverte, 1989.

    . Le dilemme est bien connu. Soit les humanitairesdnoncent les abus dont ils sont tmoins, au risque dtre expulss par lesbelligrants et de ne plus pouvoir aider les victimes. Soit ils se taisent et seretrouvent, non pas nier, mais dissimuler des crimes contre lhumanit.Cette dernire option a dvidentes implications juridiques. Si la Courpnale internationale se dveloppe convenablement, il se pourrait ainsique, dici une vingtaine dannes, des humanitaires soient jugs pourcomplicit avec des seigneurs de guerre responsables de crimes contrelhumanit. A la barre des accuss, on retrouverait alors les compagniesextractives ou les organisations de secours qui, dlibrment ou non,financent des dynamiques conflictuelles.

    50 Marc-Antoine Prouse de Montclos, Les ONG, quoi bon ? , in AlainHouziaux (dir.), Laide au tiers-monde, quoi bon ? , Paris, Atelier, 2005, pp.85-110.51

    Jean-Claude Favez, Une mission impossible ? Le CICR, les dportations et les camps de concentration nazis , Lausanne, Payot, 1988.

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    Une pareille ventualit nest pas aussi saugrenue quelle en alair52 . Des chercheurs ont dailleurs dvelopp le scnario en lillustrantconcrtement avec le cas de lOuganda 53

    Pour Adam Branch, une telle politique de regroupement nauraitsrement pas t possible sans lassistance des humanitaires

    . Dans le nord du pays, lesorganisations de secours sont en effet accuses davoir facilit partir deseptembre 1996 le regroupement forc de la population Acholi lintrieurde camps ravitaills par les humanitaires et protgs par larme envue de vider les campagnes et disoler les rebelles de la LRA ( Lord Resistance Army ). Ainsi, les agences daide ont contribu prenniser etcontrler des sites qui, sans elles, nauraient pu perdurer sans provoquerdes meutes locales ou des protestations jusque dans la capitale Kampala.Partant, elles ont perptu une crise humanitaire qui naurait pas eu lieudtre si les paysans avaient t autoriss retourner chez eux cultiverleurs terres. Elles ont galement lgitim la stratgie de larmeougandaise dans un pays trs bien cot par la Banque mondiale et, dunemanire gnrale, la communaut internationale. Certaines dentre ellesont mme fini par nier que les Acholi avaient t contraints daller vivre

    dans des camps, prtendant quils avaient fui deux-mmes.

    54 .Relativement aux obligations des Conventions de Genve de 1949, il sagitpourtant dun crime de guerre : des civils ont t placs dans des campscontre leur volont, ils ny ont pas t protgs et leur enfermement nerpondait aucune ncessit militaire, par exemple au moment duneoffensive de larme ougandaise. Sur le plan sanitaire, les conditions de vie lintrieur de ces sites taient si mauvaises quelles ont provoqudavantage de victimes que les combats, avec des taux de mortalit allant

    jusqu 1 000 morts par semaine 55

    En pratique, toute la difficult sur le plan juridique sera videmmentde dterminer les niveaux de responsabilit des bailleurs institutionnels etdes organisations humanitaires quils financent. Concernant les organismesmultilatraux, notamment, il parat peu probable que des reprsentantsdagences onusiennes comme le PAM ou lUNICEF soient un jour traduitsen justice devant la Cour pnale internationale. Pour ce qui est des ONG,

    . Dans un pays o, prcisment, la Courpnale internationale a engag une procdure contre la LRA, leshumanitaires devraient donc rpondre de leurs actes. Leur complicit paratdautant plus vidente que leurs convois sont escorts par larme et quelaccs aux camps est dment rgent par des reprsentants du pouvoirqui menacent de couper les vivres si les Acholi ne votent pas en faveur dugouvernement.

    52 Marc-Antoine Prouse de Montclos, Lasile dans les pays du Sud : les ONGhumanitaires lpreuve de la guerre , ProAsile, la revue de France Terre dAsile n 15, 2007, pp. 23-5.53 Adam Branch, Against Humanitarian Impunity: Rethinking Responsibility forDisplacement and Disaster in Northern Uganda , Journal of Intervention and Statebuilding , vol. 2, n 2, 2008, pp. 151-73.54 Adam Branch, Against Humanitarian Impunity: Rethinking Responsibility forDisplacement and Disaster in Northern Uganda , op. cit. , p. 161.55 Andrew Mwenda, Uganda's politics of foreign aid and violent conflict: The

    political uses of the LRA rebellion , in Allen, Tim et Vlassenroot, Koen, The Lord's Resistance Army : Myth and Reality , Londres, Zed Books, 2010, p. 56.

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    les Etats nen sont pas moins mfiants et ils ont parfois cherch rgulerles agissements de leur secteur associatif sur la scne internationale. EnBelgique, par exemple, larrt royal du 1er mars 1991, qui encadre lestatut des bnvoles envoys ltranger, interdit explicitement auxhumanitaires de participer un conflit arm dans un pays endveloppement. Lobjectif est en loccurrence dviter des scandales qui, partir dinitiatives prives, entraneraient les Etats dans de graves crisesdiplomatiques. En Amrique, la lgislation interdit ainsi le mercenariat parsouci de prserver la neutralit des Etats-Unis dans les conflits dont ils nesont pas parties 56 . Du ct gouvernemental comme rebelle, cestfinalement la notion de participation des activits militaires qui poseproblme 57

    En Afrique du Sud, par exemple, une loi de 2006, le Prohibition of Mercenary Activities in Country of Armed Conflict Act , interdit auxressortissants du pays de vendre leurs services pour recruter, quiper ouformer des combattants ltranger, ceci sans mme parler de leurparticipation directe des activits militaires. Un pareil dispositif, dont lesdcrets dapplication devaient tre arrts courant 2009, vise surtout lescompagnies de scurit prive, notamment les socits engages auxcts des Amricains en Irak. Il concerne toutefois galement lesorganisations humanitaires sud-africaines, qui doivent dsormaisdemander des autorisations lorganisme charg de rguler lesexportations darmes, le NCACC ( National Conventional Arms Control Committee ), avant de se dployer dans un pays en guerre. Si lAfrique duSud fait figure de pionnier en la matire, il nest pas interdit de penser quedautres lgislations nationales contre le mercenariat finiront leur tour parrestreindre les possibilits denvoyer des secours dans les situations olaide a toutes les chances de nourrir les conflits.

    . A loccasion, elle peut en effet inclure des humanitaireslorsquils soignent des blesss de guerre ou facilitent la logistique degroupes arms.

    Bien quelles fassent moins souvent lobjet dactions en justice queles entreprises, les institutions humanitaires associations incluses sont en effet astreintes un principe de responsabilit sociale lorsquellesse retrouvent malgr elles ravitailler des rgimes ou des groupes quiviolent massivement les droits de lhomme. Fondamentalement, lescritiques leur encontre sont du mme ordre que celles portes contre lesmultinationales et les industries extractives qui financent des dictatures. Alargument moral de lassistance des personnes en danger sen opposeun autre : la lutte contre limpunit et llucidation des complicits dans lescrimes de guerre. De ce point de vue, loption dun retrait des organisationshumanitaires ne doit pas seulement senvisager dans une optiqueutilitariste ou politique, mais aussi juridique. Dans tous les cas, lessecouristes qui travaillent dans des camps de rfugis nont certainementplus le droit dignorer les consquences nfastes de leurs actions.

    56 Il sagit de rprimer les initiatives individuelles. Les socits prives, elles, fontlobjet dautorisations spcifiques du moment que leurs interventions necontreviennent pas aux objectifs de la politique trangre des Etats-Unis.57

    Nils Melzer, Guide interprtatif sur la notion de participation directe aux hostilits en droit international humanitaire , Genve, CICR, 2010.

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    Conclusion

    n somme, il convient dintgrer cette notion de responsabilit socialehumanitaire pour amliorer la gestion des migrations forces en

    temps de crise. A dfaut de couvrir tous les aspects de la question, on peutnotamment insister sur quatre points.

    Il parat tout dabord ncessaire de mener des tudes pluspousses sur le contexte politique, social et conomique dans lequeltravaillent les agences de secours lorsquelles crent et entretiennent descamps. La question, dj ressasse maintes fois, revient sinterroger surla capacit danalyse stratgique des organisations humanitaires.Aujourdhui, on assiste une routinisation des valuations de laideinternationale : le HCR, par exemple, en a commandit 17 de la sorte en2004, contre 8 en 2000 58

    Il faut ensuite prendre conscience du fait que les effets pervers delaide sont directement imputables aux agences de secours et peuventavoir des consquences pnales. Plus que dventuelles sanctions oumenaces de sanctions, lobjectif est bien de mettre en place desmcanismes correctifs pour essayer de rduire les possibilitsdinstrumentalisation politique et militaire de la prsence humanitaire parles belligrants et les bailleurs de fonds. Sur le plan diplomatique, ladifficult est quun pareil dispositif viserait non seulement les pays du Sud,mais aussi du Nord lorsquils assignent laide des fonctions stratgiquesqui visent promouvoir leur intrt national et pas seulement sauver desvies ;

    . Encore faudrait-il que ces rapports soient publiset quils ne servent pas seulement cautionner des dcisions qui ont djt prises par ailleurs ;

    Revoir le modle du regroupement des sinistrs dans des campsgigantesques et dstructurants sur le plan social est une autre ncessit.La rpartition et lparpillement des victimes dans des sites rduits, plusadapts aux conomies locales et chelle humaine, paraissent plussatisfaisants. Si les conditions le permettent, la libert de circulation autourdes camps est galement souhaitable. En tmoigne le relatif succs dessites de rinstallation de rfugis soudanais dans le Nord de lOuganda, qui

    58

    Roger Riddell, Does foreign aid really work? , Oxford, Oxford University Press,2007, p. 449.

    E

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    ne dpassaient pas les 5 000 habitants et qui permettaient leursoccupants de cultiver et mettre en valeur les terres environnantes 59

    Enfin, concernant les rfugis, il faut appliquer plus strictement les

    textes conventionnels qui interdisent de refouler les victimes et neprconisent nullement de recourir systmatiquement des camps pourgrer les migrations forces de populations. Une telle lecture permettraitaussi dcarter des bnfices de laide les criminels de guerre qui,

    juridiquement, ne peuvent prtendre un droit dasile. De ce point de vue,une rvision de la Convention de Genve de 1951, rclame par certains

    juristes, parat risque car elle pourrait entriner les restrictions dun droitdasile que, trs concrtement, les Etats occidentaux ont dores et djcommenc rogner.

    ;

    59 Marc-Antoine Prouse de Montclos, Les dplacements forcs de populationsen Afrique de lEst (Kenya, Tanzanie, Ouganda) in Franois Grignon et Herv

    Maupeu (dir.), LAfrique Orientale : Annuaire 2000 , Paris, LHarmattan-CREPAO,2000, pp. 191-235.

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    Les derniers numros publis de la collection Focus Stratgique sont :

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    Amaury de Fligonde, Caveats to Civilian Aid Programs inCounterinsurgency. The French Experience in Afghanistan , Focus stratgique, n 24 bis , dcembre 2010.http://www.ifri.org/downloads/fs24bisdefeligonde.pdf

    Dominique Lecompte, LONU, Pygmalion malhabile. La fragilit dunation building au Timor , Focus stratgique , n 26, novembre 2010.http://www.ifri.org/downloads/fs26lecompte.pdf

    Anne-Henry de Russ, Frances return into NATO : French militaryculture and strategic identity in question , Focus stratgique, n 22 bis ,octobre 2010.http://www.ifri.org/downloads/fs22bisderusse.pdf

    Franois Gr, Contre-insurrection et action psychologique. Traditionet modernit , Focus stratgique , n 25, septembre 2010.http://www.ifri.org/downloads/fs25gere.pdf

    Amaury de Fligonde, La coopration civile en Afghanistan. Unecoteuse illusion ? , Focus stratgique, n 24, aot 2010.http://www.ifri.org/downloads/fs24defeligonde.pdf

    Pierre Chareyron, Les armes britanniques. Un modle en crise ,Focus stratgique , n 23, juillet 2010.http://www.ifri.org/downloads/fs23chareyron.pdf

    Anne-Henry de Russ, La France dans lOTAN. La culture militairefranaise et lidentit stratgique en question , Focus stratgique ,n 22, juin 2010.http://www.ifri.org/downloads/fs22derusse.pdf

    http://www.ifri.org/http://www.ifri.org/downloads/fs24bisdefeligonde.pdfhttp://www.ifri.org/downloads/fs24bisdefeligonde.pdfhttp://www.ifri.org/downloads/fs26lecompte.pdfhttp://www.ifri.org/downloads/fs26lecompte.pdfhttp://www.ifri.org/downloads/fs22bisderusse.pdfhttp://www.ifri.org/downloads/fs25gere.pdfhttp://www.ifri.org/downloads/fs25gere.pdfhttp://www.ifri.org/downloads/fs24defeligonde.pdfhttp://www.ifri.org/downloads/fs24defeligonde.pdfhttp://www.ifri.org/downloads/fs23chareyron.pdfhttp://www.ifri.org/downloads/fs23chareyron.pdfhttp://www.ifri.org/downloads/fs22derusse.pdfhttp://www.ifri.org/downloads/fs22derusse.pdfhttp://www.ifri.org/downloads/fs22derusse.pdfhttp://www.ifri.org/downloads/fs23chareyron.pdfhttp://www.ifri.org/downloads/fs24defeligonde.pdfhttp://www.ifri.org/downloads/fs25gere.pdfhttp://www.ifri.org/downloads/fs22bisderusse.pdfhttp://www.ifri.org/downloads/fs26lecompte.pdfhttp://www.ifri.org/downloads/fs24bisdefeligonde.pdfhttp://www.ifri.org/