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Bull. Soc. linn. Provence, t. 68, 2017 Les bryophytes du complexe pétrifiant de Saint–Maurin (La Palud–sur–Verdon, Alpes–de–Haute–Provence) Approche conservatoire par Vincent Hugonnot *, Héloïse Vanderpert ** et Laura Granato ** * le bourg, FR — 43380 Blassac ; courriel : [email protected] ** CEN Paca, Pôle Alpes du Sud, appartement n°5, 96 rue droite, FR — 04200 Sisteron ; courriels : heloise. vanderpert@cen–paca.org et laura.granato@cen–paca.org Bull. Soc. linn. Provence, t. 68, 2017 87 ISSN 0373–0875 – Date de parution : 20.12.2017 Résumé : Un inventaire des bryophytes et des communautés bryo- phytiques du complexe pétrifiant de Saint–Maurin (La Palud–sur– Verdon, Alpes–de–Haute–Provence) a été effectué. 34 relevés phy- tosociologiques permettent de distinguer plusieurs communautés dont l’attribution à des syntaxons décrits reste relativement subjective. Plusieurs espèces typiques des systèmes tufeux sont mises en évidence : Cratoneuron filicinum, Didymodon tophaceus, Eucladium verti- cillatum, Hymenostylium recurvirostrum, Palustriella commutata et Pellia endiviifolia. Le tarissement des sources et les modifications climatiques enregistrées (déficit de pluviosité estivale) pourraient avoir des conséquences importantes sur l’accumulation de calcite. Une mise en culture des bryophytes tuficoles montrant des signes de dépérissement permet de constater une mortalité importante de ces dernières et une reprise d’activité suivant des modalités différentes. Le suivi des tufs apparaît déterminant dans l’évaluation de l’état de conservation et leur possibilité de recouvrer une certaine intégrité fonctionnelle suite à des épisodes de contrainte hydrique forte. Mots–clefs : tufs actifs, Hymenostylium recurvirostrum, Palustriella commutata, alimentation hydrique, dessèchement, conservation. Resumo: Inventaro de la briofitoj kaj briofit–kunaĵoj de la petriga komplekso de Saint–Maurin (La Palud–sur–Verdon, Alpes–de– Haute–Provence). 34 briosociologiaj registroj ebligas distingi plurajn kunaĵojn, kies atribuo al priskribitaj sintaksonoj estas relative subjek- tiva. Evidentigo de pluraj specioj tipaj de la tofsistemoj : Cratoneu- ron filicinum, Didymodon tophaceus, Eucladium verticillatum, Hymenostylium recurvirostrum, Palustriella commutata kaj Pellia endiviifolia. La senakviĝado de la fontoj kaj la registritaj klima- taj ŝanĝiĝoj (somera pluvdeficito) povus havi gravajn konsekvencojn koncerne al la akumulado de kalcito. Kultivo de tofbriofitoj, montrantaj signojn de malfortiĝo, ebligas konstati ĉe ili gravan mortokvanton kaj diversmanierajn reakirojn de aktivado. La evolu–observado de la tofoj montriĝas decidiga en la evaluo de ilia konservostato kaj de ilia eblo reakiri ian funkcian integrecon post epizodoj de forta akvostreĉiĝo. Ŝlosilvortoj : aktivaj tofoj, Hymenostylium recurvirostrum, Palus- triella commutata, akvoprovizado, sekiĝo, konservado. Abstract : A survey of bryophytes and bryophytic communities of the petrifying complex of Saint–Maurin (La Palud on Verdon, Alpes–de– Haute–Provence) was carried out. 34 phytosociological relevés allowed the distinction of several communities whose attribution to previously described syntaxa remains relatively subjective. Typical tufa species systems are highlighted: Cratoneuron filicinum, Didymodon topha- ceus, Eucladium verticillatum, Hymenostylium recurvirostrum, Palustriella commutata and Pellia endiviifolia. Source depletion and recorded climatic changes (summer rainfall deficit) could have signifi- cant consequences for calcite accumulation. Bryophytes showing signs of decline in the fied have been cultivated in a greenhouse. ey showed significant mortality and recovery of activity in different ways. e monitoring of tufa appears of prime out relevance in the assessment of the state of conservation and their ability to recover a certain functional integrity following episodes of severe water stress. Keywords : active tufa, Hymenostylium recurvirostrum, Palustriella commutata, water supply, drying out, conservation.

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Bull. Soc. linn. Provence, t. 68, 2017

Les bryophytes du complexe pétrifiant de Saint–Maurin (La Palud–sur–Verdon, Alpes–de–Haute–Provence)

Approche conservatoire

par Vincent Hugonnot *, Héloïse Vanderpert ** et Laura Granato **

* le bourg, FR — 43380 Blassac ; courriel : [email protected]** CEN Paca, Pôle Alpes du Sud, appartement n°5, 96 rue droite, FR — 04200 Sisteron ; courriels : heloise.vanderpert@cen–paca.org et laura.granato@cen–paca.org

Bull. Soc. linn. Provence, t. 68, 2017 87ISSN 0373–0875 – Date de parution : 20.12.2017

Résumé  : Un inventaire des bryophytes et des communautés bryo-phytiques du complexe pétrifiant de Saint–Maurin (La Palud–sur–Verdon, Alpes–de–Haute–Provence) a été effectué. 34 relevés phy-tosociologiques permettent de distinguer plusieurs communautés dont l’attribution à des syntaxons décrits reste relativement subjective. Plusieurs espèces typiques des systèmes tufeux sont mises en évidence : Cratoneuron filicinum, Didymodon tophaceus, Eucladium verti-cillatum, Hymenostylium recurvirostrum, Palustriella commutata et Pellia endiviifolia. Le tarissement des sources et les modifications climatiques enregistrées (déficit de pluviosité estivale) pourraient avoir

des conséquences importantes sur l’accumulation de calcite. Une mise en culture des bryophytes tuficoles montrant des signes de dépérissement permet de constater une mortalité importante de ces dernières et une reprise d’activité suivant des modalités différentes. Le suivi des tufs apparaît déterminant dans l’évaluation de l’état de conservation et leur possibilité de recouvrer une certaine intégrité fonctionnelle suite à des épisodes de contrainte hydrique forte.Mots–clefs : tufs actifs, Hymenostylium recurvirostrum, Palustriella commutata, alimentation hydrique, dessèchement, conservation.

Resumo : Inventaro de la briofitoj kaj briofit–kunaĵoj de la petriga komplekso de Saint–Maurin (La Palud–sur–Verdon, Alpes–de–Haute–Provence). 34 briosociologiaj registroj ebligas distingi plurajn kunaĵojn, kies atribuo al priskribitaj sintaksonoj estas relative subjek-tiva. Evidentigo de pluraj specioj tipaj de la tofsistemoj : Cratoneu-ron filicinum, Didymodon tophaceus, Eucladium verticillatum, Hymenostylium recurvirostrum, Palustriella commutata kaj Pellia endiviifolia. La senakviĝado de la fontoj kaj la registritaj klima-

taj ŝanĝiĝoj (somera pluv deficito) povus havi gravajn konsekvencojn koncerne al la akumulado de kalcito. Kultivo de tofbriofitoj, montrantaj signojn de malfortiĝo, ebligas konstati ĉe ili gravan mortokvanton kaj diversmanierajn reakirojn de aktivado. La evolu–observado de la tofoj montriĝas decidiga en la evaluo de ilia konservostato kaj de ilia eblo reakiri ian funkcian integrecon post epizodoj de forta akvostreĉiĝo. Ŝlosilvortoj : aktivaj tofoj, Hymenostylium recurvirostrum, Palus-triella commutata, akvoprovizado, sekiĝo, konservado.

Abstract : A survey of bryophytes and bryophytic communities of the petrifying complex of Saint–Maurin (La Palud on Verdon, Alpes–de–Haute–Provence) was carried out. 34 phytosociological relevés allowed the distinction of several communities whose attribution to previously described syntaxa remains relatively subjective. Typical tufa species systems are highlighted: Cratoneuron filicinum, Didymodon topha-ceus, Eucladium verticillatum, Hymenostylium recurvirostrum, Palustriella commutata and Pellia endiviifolia. Source depletion and recorded climatic changes (summer rainfall deficit) could have signifi-

cant consequences for calcite accumulation. Bryophytes showing signs of decline in the fied have been cultivated in a greenhouse. They showed significant mortality and recovery of activity in different ways. The monitoring of tufa appears of prime out relevance in the assessment of the state of conservation and their ability to recover a certain functional integrity following episodes of severe water stress.Keywords : active tufa, Hymenostylium recurvirostrum, Palustriella commutata, water supply, drying out, conservation.

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Introduction Bien que discrets et encore assez mal connus, les

tufs actifs sont relativement fréquents en Provence. D’importantes accumulations ont été étudiées dans la vallée de l’Argens, du Marruby, de l’Huveaune et de la Bresque (Nicod, 2010). Certaines concrétions sont peuplées par des colonies de bryophytes caractéris-tiques qui ont été décrites par Hébrard (1973) dans le sud–est de la France. Cet auteur considère l’Eucla-dio–Didymodonetum comme très répandu dans tous les massifs littoraux du Sud–Est, dans le Vaucluse, les Bouches–du–Rhône, les Alpes–Maritimes, le Var et les Alpes–de–Haute–Provence. Hébrard (1973) signale d’ailleurs des falaises calcaires suintantes au–dessus de Moustiers–Sainte–Marie. Les tufs ont fait l’objet d’un regain d’intérêt ces dernières années en raison de leur inscription à la directive « Habitats », « 7220 Sources pétrifiantes avec formation de tuf (Cratoneurion) ».

Situé dans le parc naturel régional du Verdon, au débouché aval des Grandes Gorges, le site de Saint–Maurin couvre une superficie de 27 ha. La présence d’un exceptionnel patrimoine archéologique et l’exis-tence de sources pétrifiantes sont connues depuis de nombreuses années et sont à l’origine du classement en 2009 du site en réserve naturelle régionale par la région Paca. Le site a été doté d’un plan de gestion (Chavy, 2003 ; Granato, 2015) qui a permis de réa-liser une première synthèse des enjeux et de proposer des actions visant la préservation de l’ensemble. La végétation des tufs est essentiellement constituée de bryophytes qui caractérisent des communautés dis-tinctes selon les modes d’alimentation, les expositions, la pente… L’inventaire des communautés de mousses et d’hépatiques devait donc permettre d’améliorer à la fois la connaissance des richesses patrimoniales du site et de contribuer à la connaissance du fonctionne-ment écologique des tufs. D’autre part, cet inventaire complète la connaissance des bryophytes de la vallée du Verdon dont la haute vallée a fait l’objet d’inven-taires ciblés (Hébrard, 1995, 2005). Enfin, dans un contexte de modifications climatiques importantes, avec une augmentation de la fréquence des étés secs, les effets potentiels sur les tufs de ces changements peuvent être appréhendés par une observation minu-tieuse des bryophytes.

Méthodes Les pelouses, les fruticées et matorrals, les forêts n’ont pas été

prospectés. L’inventaire des bryophytes concerne exclusivement les

habitats tufeux, que ces derniers soient actifs (concrétionnement de calcite effectif de nos jours) ou inactifs (masse de travertin). Nous avons volontairement opté pour une définition structurale stricte de ces deux termes désignant des accumulations carbo-natées. Un tuf, ou bryolithe, est une roche poreuse, friable, non indurée alors qu’un travertin est une roche indurée, peu poreuse (Pentecost, 1981 ; Vaudour, 1986a). Le travertin résulte géné-ralement d’une évolution du tuf par recristallisation et bouchage plus ou moins complet des pores. Les deux types d’accumulations coexistent dans la réserve naturelle régionale de Saint–Maurin.

34 relevés phytosociologiques sigmatistes ont été effectués sur des portions de systèmes tufeux portant une végétation homogène. Une attention particulière a été apportée à la délimitation des commu-nautés en suivant le critère de double homogénéité, à la fois structu-rale et écologique. Les prospections de terrain ont été effectuées en avril 2009 et en novembre 2017. Les relevés phytosociologiques ont été réalisés en avril 2009. La nomenclature des bryophytes utilisée repose sur TaxRef (Hugonnot et Celle, 2015).

Sur le terrain, un brunissement des bryophytes, peut–être asso-cié à la mort des parties décolorées, a été constaté en novembre 2017. Les tufs sont généralement alimentés de manière constante tout au long de l’année et ne subissent pas de rupture de l’appro-visionnement de cette ressource, absolument indispensable à la vie des bryophytes (Vaudour, 1986b ; Nicod, 2010). Une mise en culture de colonies brunies et dépérissantes a donc été effectuée en serre le 11 novembre 2017 afin de tester leur potentialité de régénération. Les quatre espèces mises en bac de culture sont Brachythecium rivulare Schimp., Cratoneuron filicinum (Hedw.) Spruce, Hymenostylium recurvirostrum (Hedw.) Dixon et Palus-triella commutata (Hedw.) Ochyra. Elles sont isolées dans des bacs, à mi–ombre, et sont mises à baigner dans de l’eau de source en veillant à ce qu’elles bénéficient d’une alimentation permanente. Des observations de reprise de croissance des colonies cultivées ont été réalisées le 18 janvier et le 22 février 2018.

Site d’étude : milieu physique Le site de Saint–Maurin, situé sur la commune de

La Palud–sur–Verdon, est un espace naturel sensible (ens) du département des Alpes–de–Haute–Provence, site classé des « gorges du Verdon » et labellisé réserve naturelle régionale en octobre 2009 par le Conseil régional de la Paca. La principale justification de ce classement est la conservation des sources pétrifiantes, avec formation de travertins. C’est aussi pour son caractère historique et son patrimoine archéologique que ce site est reconnu comme remarquable. Outre ses zones humides qui donnent à la réserve naturelle régionale de Saint–Maurin un caractère unique dans les gorges du Verdon, le site se caractérise par une mosaïque de milieux tels que des pelouses sèches, des landes et fruticées, des milieux forestiers et des habitats rupestres qui lui confèrent une valeur paysagère indé-niable et contribuent à la grande diversité biologique du site. Plusieurs espèces à forte valeur patrimoniale ou protégées sont présentes, de l’endémique doradille

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du Verdon, des colonies de petit rhinolophe dans les grottes à l’azuré des orpins sur les dalles rocheuses en passant par le discret seps strié dans les pelouses sèches. C’est ainsi, de la combinaison de ces patrimoines natu-rel et archéologique, que le site de Saint–Maurin tire son originalité.

La réserve naturelle régionale de Saint–Maurin (fig. 1) occupe une surface de 27 ha et se trouve limi-tée à l’ouest par un ruisseau temporaire (le Lignan), au nord par le sommet de la falaise inférieure de Barbin, au sud par la rive droite du Verdon et à l’est par un virage de la route d952 (Chavy, 2003). L’exposition du site est globalement sud–ouest mais, à l’échelle des bryophytes, grâce à l’omniprésence de l’élément

Fig. 1. Localisation de la réserve naturelle régionale de Saint-Maurin (Alpes-de-Haute-Provence).

Fig. 2. Vue générale du site de Saint-Maurin (Alpes-de-Haute-Provence). Cliché Laura Granato.

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rocheux (fig. 2), de nombreuses expositions distinctes permettent l’expression de conditions assez tranchées. Le site se présente sous forme de terrasses modelées sur des dépôts de tufs, sur 284 m de dénivelée. L’éta-gement altitudinal du site varie entre 500 et 784 m.

Le climat régnant sur le site est de type méditer-ranéen, caractérisé par un été sec avec un maximum absolu des précipitations en automne (et un maximum secondaire au printemps). L’hiver est doux et humide. L’altitude et l’influence du relief sur la circulation des masses d’air humide en provenance du sud, expliquent un certain caractère montagnard, notamment visible dans l’abondance des précipitations (proches de 1000 mm/an) (Archiloque et al., 1969).

Les falaises dominant le site datent du jurassique. Le fonctionnement hydrologique des tufs est de type karstique. L’alimentation est essentiellement due aux exsurgences qui sourdent au bas de la falaise supé-rieure. Le site est caractérisé par une succession de terrasses travertineuses de différents types en fonction de leur lieu de développement et de la précocité de la précipitation du CaCO3 dissous dans l’eau. Le site se caractérise par une succession de terrasses étagées qui résultent de la présence de formations travertineuses depuis la source du Lignan jusqu’au lit mineur du Ver-don. Il s’agit essentiellement de tufs de source au sens de Casanova (1981). Il est également important de rappeler à ce stade que l’alimentation en eau des tufs a été largement perturbée, et sans doute amoindrie, par la déviation d’une partie du cours du Lignan qui alimentait la partie haute des terrasses il y a encore environ 15 ans. Les tufs du site présentent une sensi-bilité particulièrement forte par rapport à cet apport en eau car ils dépendent tous de la même source en haut de versant et de la redistribution du volume d’eau par ruissellement sur les pentes, infiltration à travers le tuf et les autres couches géologiques superficielles. Le tarissement de la source du Lignan peut donc avoir des conséquences sur l’ensemble des tufs du site.

Bien qu’ayant été utilisés depuis des siècles pour les activités pastorales, probablement comme inter–par-cours automnal et printanier, les prés de Saint–Maurin ont été délaissés par les activités agro–sylvo–pasto-rales dans le contexte général de déprise agricole et d’exode rural que connaissent les gorges du Verdon dans le courant de la deuxième moitié du xxe siècle. Leur retour a été motivé dans le cadre de la mise en œuvre du premier plan de gestion pour l’entretien des milieux ouverts face à la dynamique d’embroussail-

lement des prés. Depuis 2011, un cheptel d’ânes de race provençale, appartenant à un éleveur de Mous-tiers–Sainte–Marie, pâture les prés bas de la Réserve en hiver. Le pâturage sur la réserve de Saint–Maurin, constitue une étape dans un parcours de transhumance pour une dizaine d’ânes qui reste sur le site d’une quin-zaine de jour à un mois (selon le chargement et la ressource disponible), entre les mois de novembre et de février. Depuis 2013, un suivi floristique du pré (deux transects de végétation avec des points contacts) a été mis en place pour évaluer les effets du pâturage sur les cortèges floristiques.

Résultats

Systèmes tufeuxÀ Saint–Maurin, deux grands types de systèmes

tufeux ont pu être observés. Le système en cascade est le plus spectaculaire car il est associé à des chutes d’eau de presque 10 m de haut et d’importantes concrétions tufeuses laminaires, constituant des draperies pen-dantes caractéristiques. Le système en gradins est plus discret, mais occupe des surfaces tout à fait significa-tives dans le site et il est le siège d’une intense accumu-lation. Ces gradins sur pentes douces sont constitués d’une succession de mini barrages associés à la création de vasques en amont.

Dans le lit du Lignan, on peut observer une commu-nauté tufigène formant un revêtement qui encroûte les pierres du ruisseau (fig. 3). Cette communauté active est soit dépourvue de bryophytes soit peuplée de colo-nies éparses de Gymnostomum calcareum, Fissidens gra-cilifolius, etc.

L’alimentation en eau de l’ensemble des tufs du site est due à la résurgence de Saint–Maurin qui coule en se dispersant sur des gradins tufeux et sur de faibles pentes jusqu’au Verdon. Les tufs drapent en vastes gradins le flanc du versant. La plupart de ces systèmes sont dominés par de puissantes accumulations traver-tineuses anciennes, inactives et qui n’ont pas fait l’objet de datations.

Communautés bryologiques tuficoles34 relevés phytosociologiques figurent dans le

tableau 1. Plusieurs communautés mal définies au plan floristique semblent s’individualiser. Les cavités et encorbellements humides ou secs sont colonisés par un groupement pauvre structuré autour d’Eucladium verti-cillatum (relevés 29 à 34). Les vasques ruisselantes, sur

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des pentes faibles sont colonisées par un autre groupe-ment paucispécifique, à Brachythecium rivulare (relevés 25 à 28) (fig. 4). Les autres relevés sont plus difficiles à rattacher à des unités bien définies. Palustriella com-mutata est l’espèce la plus fréquente et le plus souvent dominante. Pellia endiviifolia (uniquement à l’ombre) ou Cratoneuron filicinum forment des colonies parfois dominantes. Cet ensemble se développe à la fois sur les cascades (fig. 5) ou au bord des vasques.

Inventaire bryologique La liste des taxons observés est présentée ci–dessous.

Au total, 14 taxons (9 mousses et 5 hépatiques, ces der-nières en semi–gras) sont signalés dans le système actif.

Système actifBrachythecium rivulare Schimp.Bryum gemmiparum De Not.Conocephalum conicum (L.) Dumort.Cratoneuron filicinum (Hedw.) SpruceDidymodon tophaceus (Brid.) LisaEucladium verticillatum (Hedw. ex Brid.) Bruch et Schimp.Hymenostylium recurvirostrum (Hedw.) DixonJungermannia atrovirens Dumort.Mesoptychia collaris (Nees) L. Söderstr. et VáňaMesoptychia turbinata (Raddi) L. Söderstr. et VáňaPalustriella commutata (Hedw.) OchyraPellia endiviifolia (Dicks.) Dumort.Ptychostomum pseudotriquetrum (Hedw.) J. R. Spence et H. P.

Ramsay ex Holyoak et N. PedersenRhynchostegium riparioides (Hedw.) CardotLes espèces du système actif sont des hygrophiles

strictes tandis que les espèces du système inactif ne sont plus liées à une alimentation en eau permanente. Certaines sont mésophiles (Didymodon sinuosus, Rhyn-chostegiella tenella, etc.), d’autres xérophiles (Crossidium squamiferum, Pseudocrossidium revolutum, etc.) et enfin certaines sont plastiques au point de vue de leurs exi-gences hydriques (Barbula unguiculata, Brachythecium rutabulum, etc.).

Système inactifBarbula unguiculata Hedw.Brachythecium rutabulum (Hedw.) Schimp.Cephaloziella baumgartneri Schiffn.Crossidium squamiferum (Viv.) Jur. var. pottioideum (De Not.)

Mönk.Didymodon fallax (Hedw.) R. H. ZanderDidymodon sinuosus (Mitt.) DelogneEncalypta vulgaris Hedw.Fissidens gracilifolius Brugg.–Nann. et NyholmGymnostomum calcareum Nees et Hornsch.Gymnostomum viridulum Brid.Homalothecium lutescens (Hedw.) H. Rob.Lunularia cruciata (L.) Lindb.

Mannia triandra (Scop.) Grolle (découvert dans le site par Luc Garraud)

Oxyrrhynchium hians (Hedw.) LoeskePlagiomnium undulatum (Hedw.) T. J. Kop.Pseudocrossidium revolutum (Brid.) R. H. ZanderRhynchostegiella tenella (Dicks.) Limpr.Seligeria trifaria (Brid.) Lindb.Tortella inflexa (Bruch) Broth.Southbya nigrella (De Not.) Henriq.Southbya tophacea (Spruce) SpruceD’autres taxons sont présents dans le site de Saint–

Maurin. Les plus notables sont : Cinclidotus fontinaloides (Hedw.) P. Beauv.Cinclidotus aquaticus (Hedw.) Bruch. et Schimp.Rhynchostegiella curviseta (Brid.) Limpr.Neckera besseri (Lobarz.) Jur.Orthotrichum cupulatum Hoffm. ex Brid. var. bistratosum

Schiffn.Orthotrichum cupulatum Hoffm. ex Brid. var. riparium HuebenerLes résultats de la mise en culture varient suivant les

espèces considérées : • La reprise de croissance de Brachythecium rivulare

n’a pas été constatée au 22 février 2018.• Toutes les colonies de Hymenostylium recurviros-

trum ont repris une activité à partir du 20 décembre 2017, soit au moyen d’une croissance apicale soit par des innovations situées sous les inflorescences femelles.

• Cratoneuron filicinum a repris une activité par crois-sance de bourgeons secondaires latéraux dormants, nombreux (environ 5 par axe primaire reconnaissable), disposés le long de l’axe primaire ; ces axes se transfor-ment en nouveaux axes primaires qui se ramifient à leur tour ; à la date du 22 février, ces axes mesuraient approximativement 1 cm de longueur en moyenne.

• De nombreux individus de Palustriella commutata n’ont pas poursuivi leur développement ; quelques individus ont cependant repris une activité par crois-sance de bourgeons secondaires latéraux dormants, mais ces derniers sont beaucoup moins nombreux que chez Cratoneuron filicinum. D’autre part, ces axes pré-sentent des caractéristiques d’axes secondaires et non primaires comme chez Cratoneuron filicinum. Enfin, ces bourgeons latéraux qui reprennent une activité sont très majoritairement situés en position latérale–ventrale, alors que les rameaux secondaires dont la croissance s’est arrêtée sont situés majoritairement en position latérale–dorsale ; à la date du 22 février ces axes mesuraient approximativement 3 mm.

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Fig. 3. Communautés encroû-tantes à Gymnostomum calcareum dans le lit du Lignan. Cliché David Allemand).

Fig. 4. Communauté tufigène à Brachythecium rivulare. Cliché Laura Granato).

Fig. 5. Communauté en cascade à Palustriella commutata. Cliché William Bernard.

Fig. 6. Mannia triandra fertile. Cliché Héloïse Vanderpert.

3 4

Numéro du relevé 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34

Bourrelet

Bourrelet

Bord de vasque ombragée

Bord de vasque ombragée

Bord de vasque ombragée

Bord de vasque

Bord de vasque

Bord de vasque

Bord de vasque

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Cascade

Cascade

Cascade

Cascade

Cascade

Cascade

Bord de vasque

Bord de vasque

Bord de vasque

Bord de vasque

Bord de vasque

Bord de vasque

Bord de vasque

Bord de vasque

Vasque

Vasque

Vasque

Vasque

Toit d’une cavité ruisselante

Toit d’une cavité ruisselante

Toit d’une cavité ruisselante

Toit d’une cavité sèche

Toit d’une cavité sèche

Toit d’une cavité ruisselante

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20 ×40

Recouvrement (%) 100 100 95 90 90 100 100 100 100 95 95 99 100 99 100 100 100 80 95 40 50 100 45 100 95 80 70 80 55 100 100 80 95 90Exposition SO NO SO O O SO O S S SO O SO S S O O O S O SO O S OSO SO O S OSO SO SO O O SO O O

Pente (°) 80 80 45 20 15 85 75 45 60 80 90 90 90 90 10 80 45 5 80 3 80 45 5 0 0 0 0 0 90 90 90 90 90 50Nombre de taxons 3 2 2 2 3 5 6 4 4 2 3 2 2 3 4 2 1 4 2 2 4 3 2 3 1 1 1 2 1 3 2 1 2 4Pellia endiviifolia (Dicks.) Dumort. 3.4 3.4 3.4 2.3Palustriella commutata (Hedw.) Ochyra 4.5 3.5 3.4 3.4 2.3 3.4 5.5 5.5 5.5 5.5 4.5 4.5 5.5 5.5 4.5 5.5 5.5 4.4 5.5 3.3 1.3 1.3 + +Bryum pseudotriquetrum (Hedw.) P. Gaertn., B. Mey et Scherb. 2.4 1.3 1.3 2.4 3.5 1.3 2.2 +Hymenostylium recurvirostrum (Hedw.) Dixon 2.3 2.3 + 1.2 1.2 2.3Brachythecium rivulare Schimp. + 3.5 + + +.2 + 3.4 + 1.3 1.3 5.5 5.5 4.5 4.5Cratoneuron filicinum (Hedw.) Spruce 3.4 1.1 4.4 + + + 4.4 3.3 2.3 5.5 3.3 5.5Eucladium verticillatum (Hedw. ex Brid.) Bruch et Schimp. +.3 + 2.3 3.4 5.5 5.5 4.4 5.5 4.5Oxyrrhynchium hians (Hedw.) Loeske 3.4 2.3 1.3 +Didymodon tophaceus (Brid.) Lisa + 1.2 +Plagiomnium undulatum (Hedw.) T. J. Kop. 3.3 +Jungermannia atrovirens Dumort. 1.4Platyhypnidium riparioides (Hedw.) Dixon +Trichostomum crispulum Bruch +Cephaloziella baumgartneri Schiffn. +Homalothecium lutescens (Hedw.) H. Rob. +Plasteurhynchium striatulum (Spruce) M. Fleisch. +

Tab. 1. Relevés phytosociologiques (effectués selon la méthode sigmatiste).

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Numéro du relevé 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34

Bourrelet

Bourrelet

Bord de vasque ombragée

Bord de vasque ombragée

Bord de vasque ombragée

Bord de vasque

Bord de vasque

Bord de vasque

Bord de vasque

Bord de vasque

Cascade

Cascade

Cascade

Cascade

Cascade

Cascade

Bord de vasque

Bord de vasque

Bord de vasque

Bord de vasque

Bord de vasque

Bord de vasque

Bord de vasque

Bord de vasque

Vasque

Vasque

Vasque

Vasque

Toit d’une cavité ruisselante

Toit d’une cavité ruisselante

Toit d’une cavité ruisselante

Toit d’une cavité sèche

Toit d’une cavité sèche

Toit d’une cavité ruisselante

Surface (cm²) 60 ×40

50 ×40

30 ×40

50 ×30

40 ×20

60 ×50

90 ×50

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30 ×70

90 ×20

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40 ×50

30 ×100

30 ×80

100 ×100

30 ×30

60 ×30

60 ×50

40 ×40

100 ×100

50 ×50

80 ×20

20 ×60

100 ×30

30 ×80

50 ×60

150 ×80

20 ×60

5 ×10

40 ×20

30 ×30

40 ×30

20 ×40

20 ×40

Recouvrement (%) 100 100 95 90 90 100 100 100 100 95 95 99 100 99 100 100 100 80 95 40 50 100 45 100 95 80 70 80 55 100 100 80 95 90Exposition SO NO SO O O SO O S S SO O SO S S O O O S O SO O S OSO SO O S OSO SO SO O O SO O O

Pente (°) 80 80 45 20 15 85 75 45 60 80 90 90 90 90 10 80 45 5 80 3 80 45 5 0 0 0 0 0 90 90 90 90 90 50Nombre de taxons 3 2 2 2 3 5 6 4 4 2 3 2 2 3 4 2 1 4 2 2 4 3 2 3 1 1 1 2 1 3 2 1 2 4Pellia endiviifolia (Dicks.) Dumort. 3.4 3.4 3.4 2.3Palustriella commutata (Hedw.) Ochyra 4.5 3.5 3.4 3.4 2.3 3.4 5.5 5.5 5.5 5.5 4.5 4.5 5.5 5.5 4.5 5.5 5.5 4.4 5.5 3.3 1.3 1.3 + +Bryum pseudotriquetrum (Hedw.) P. Gaertn., B. Mey et Scherb. 2.4 1.3 1.3 2.4 3.5 1.3 2.2 +Hymenostylium recurvirostrum (Hedw.) Dixon 2.3 2.3 + 1.2 1.2 2.3Brachythecium rivulare Schimp. + 3.5 + + +.2 + 3.4 + 1.3 1.3 5.5 5.5 4.5 4.5Cratoneuron filicinum (Hedw.) Spruce 3.4 1.1 4.4 + + + 4.4 3.3 2.3 5.5 3.3 5.5Eucladium verticillatum (Hedw. ex Brid.) Bruch et Schimp. +.3 + 2.3 3.4 5.5 5.5 4.4 5.5 4.5Oxyrrhynchium hians (Hedw.) Loeske 3.4 2.3 1.3 +Didymodon tophaceus (Brid.) Lisa + 1.2 +Plagiomnium undulatum (Hedw.) T. J. Kop. 3.3 +Jungermannia atrovirens Dumort. 1.4Platyhypnidium riparioides (Hedw.) Dixon +Trichostomum crispulum Bruch +Cephaloziella baumgartneri Schiffn. +Homalothecium lutescens (Hedw.) H. Rob. +Plasteurhynchium striatulum (Spruce) M. Fleisch. +

Tab. 1. Relevés phytosociologiques (effectués selon la méthode sigmatiste).

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DiscussionLes bryophytes les plus abondantes et les plus fré-

quentes en Europe de l’ouest (Pentecost, 2005) dans les systèmes de tufs actifs sont toutes recensées à Saint–Maurin. Il s’agit notamment de Cratoneuron filicinum, Didymodon tophaceus, Eucladium verticillatum, Hyme-nostylium recurvirostrum, Palustriella commutata et Pellia endiviifolia. Ces assemblages floristiques locaux sont donc hautement représentatifs des tufs d’Europe tempérée.

Plusieurs espèces spécialisées au plan écologique sont relativement peu fréquentes en Provence. On peut retenir la présence de Bryum gemmiparum, Cephalo-ziella baumgartneri, Seligeria trifaria, Southbya nigrella et S. tophacea. Mannia triandra (observée en mai 2012 par Luc Garraud) (fig 6) est de surcroît une espèce protégée au niveau national, rare en France. Dans le site de Saint–Maurin, Mannia triandra s’observe sur des travertins ombragés, frais et peu colonisés par la végétation vasculaire. Cette position stationnelle mérite d’être soulignée car, en France, les stations de cette espèce sont assez différentes (Hugonnot et Offerhaus, 2005). La réserve naturelle régionale de Saint–Maurin présente donc un intérêt bryologique certain.

L’individualisation de communautés bryologiques discrètes liées aux accumulations tufeuses a posé d’importants problèmes. Selon Hébrard (1973), les communautés tuficoles du sud–est de la France sont regroupées au sein de deux associations distinctes, l’une montagnarde cryophile, l’Hymenostylietum recurviros-tris, et l’autre des étages méditerranéens inférieurs, l’Eucladio–Dydimodonetum. Nos relevés combinent des caractéristiques des deux communautés rendant toute attribution formelle assez subjective. Il est à la fois pos-sible de considérer nos relevés comme représentatifs de l’Hymenostylietum recurvirostris avec une certaine imprégnation méditerranéenne ou bien de l’Eucladio–Dydimodonetum sous influence montagnarde modérée. Dans un contexte géographique différent, en Touraine, Couderc (1977) décrit deux associations dont l’une, à Palustriella commutata, est typique des cascades à courant d’eau, et l’autre, à Eucladium, est inféodée aux pentes fortes suintantes. Cela ne correspond pas tout à fait à nos observations. Des relevés typiques de la communauté à Palustriella commutata ont été effectués en dehors des zones de cascades à Saint–Maurin. La corrélation semble meilleure entre les encorbellements,

les cavités et la présence de colonies d’Eucladium verti-cillatum. Les groupements bryophytiques ne répondent que partiellement à un déterminisme morpholo-gique. Des groupements floristiquement similaires, donc intégrés dans la même unité bryosociologique, peuvent se développer sur des masses de structure fort différente. Les communautés bryophytiques répondent essentiellement au mode d’alimentation en eau (régime hydrique), à la permanence de ce dernier (Grunin-ger, 1965) (donc à la vitesse d’accrétion) et, dans une moindre mesure, à l’éclairement (Pavletić, 1955 ; Matonickin et Pavletić, 1962). Il n’y a donc pas une correspondance parfaite entre le type d’accumula-tion tufeuse, l’alimentation en eau et les communautés bryophytiques. Les facteurs explicatifs tels que les rela-tions hydriques et la pente (Pentecost et Zhaohui, 2006) s’expriment à une échelle plus fine que celle de la masse de tuf présentant une forme marquante. La perception des discontinuités écologiques au sein d’un même système tufeux est extrêmement délicate en rai-son d’une grande complexité des modes d’alimentation hydrique correspondant globalement à l’échelle des colonies de bryophytes.

Des signes d’assèchement des tufs ont pu être constatés dans la totalité des systèmes actifs de la réserve naturelle régionale de Saint–Maurin. La plu-part des systèmes tufeux n’étaient pas alimentés par des écoulements de surface en novembre 2017. Il est difficile de savoir, en l’absence d’étude hydrologique précise, s’il s’agit d’un phénomène exceptionnel, lié à une année particulièrement sèche, d’un phéno-mène cyclique ou le signe d’une sévère dégradation. La pluviométrie de 2017 présente un gros déficit, puisque 412 mm seulement (station météorologique de Château–Arnoux–Saint–Auban) sont tombés sur Saint–Maurin alors que la moyenne annuelle (sur la période 1981–2000) s’élève à 694,9 mm (Infoclimat, MétéoFrance, 2018). La mise en culture des colonies dépérissantes permet de préciser certains aspects en lien direct avec la potentialité de régénération de tufs subissant une diminution drastique de leur alimenta-tion en eau. L’espèce la plus hygrophile du site, Bra-chythecium rivulare (Dierssen, 2001) n’a probablement pas supporté le dessèchement auquel elle a été soumise en 2017 ce qui a entrainé sa mort. Il conviendrait de vérifier ce résultat en situation réelle, sur le terrain, car nous n’avons mis en culture qu’un faible nombre d’individus. Hymenostylium recurvirostrum semble sup-porter mieux que les autres espèces le dessèchement

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extrême, ce qui n’est pas surprenant au vu des habitats qu’elle fréquente habituellement, qui sont essentielle-ment des parois et des balmes suintantes, soumises à des contraintes hydriques récurrentes (De Sloover et Goossens, 1984). La mortalité des modules (axes i ou ii) de Cratoneuron filicinum et Palustriella commutata ayant été soumis au stress hydrique de 2017 est totale. Seuls des bourgeons latéraux dormants ont été capables de reprendre une activité apicale. Cratoneuron filicinum semble toutefois mieux supporter le dessèchement que Palustriella commutata, avec une reprise d’activité de bourgeons dormants supérieure au plan quantitatif et plus rapide. Bien que Pentecost et Zhaohui (2006) n’aient pas décelé de différences de comportement par rapport au facteur eau, Cratoneuron filicinum est réputé plus plastique au plan écologique et moins hygrophile que Palustriella commutata (Couderc, 1977), ce qui pourrait expliquer cette différence de comportement en culture. La position des bourgeons latéraux ayant repris une activité présente vraisemblablement une grande importance, mais reste difficile à interpréter dans le cadre de nos expériences limitées. Il est possible que les bourgeons en position ventrale soient moins soumis au stress hydrique extrême dans les conditions naturelles (puisque plus en contact avec un éventuel film d’eau résiduel et protégés du rayonnement solaire direct) et donc plus susceptibles de régénération.

Il est délicat de transposer des résultats de cultures contrôlées à l’échelle du fonctionnement d’écosys-tèmes aussi complexes que les tufs. Toutefois, les conséquences de ces observations sur l’intégrité des tufs peuvent faire l’objet d’hypothèses qu’il sera néces-saire de confirmer par des suivis diachroniques sur le terrain. Les différentes communautés dominées par les bryophytes ne subiront pas toutes avec la même intensité les effets de sécheresses répétées. Certains groupements, comme celui à Hymenostylium recurvi-rostrum, pourraient s’accommoder d’une alimentation en eau réduite. En revanche, les autres communautés pourraient en être gravement affectées. Les tufs domi-nés par Cratoneuron filicinum ou Palustriella commutata sont marqués par des mortalités de l’ensemble des axes chlorophylliens, la reprise de croissance s’effectuant, de manière plus ou moins efficace, par des bourgeons latéraux dormants. Les processus de dépôt de cris-taux de calcite sont liés principalement au dégage-ment de CO2 et à l’évaporation, largement favorisés par la présence des bryophytes (Emig, 1917), ainsi que par l’activité photosynthétique de ces dernières (Pen-

tecost, 1996, 2005). Le dépérissement des colonies de bryophytes peut donc avoir, à plusieurs niveaux, des conséquences significatives sur les vitesses d’accumula-tion des cristaux. D’autre part, la répétition, plusieurs années successives, d’épisodes stressants peut conduire à une dérive du système et une évolution défavorable du tuf. Il est donc absolument indispensable de suivre convenablement le devenir des colonies de bryophytes dans les différents systèmes tufeux. L’état de conser-vation des tufs du site de Saint–Maurin est préoccu-pant et des études scientifiques complémentaires sont nécessaires pour progresser dans la réflexion. Le but est de pouvoir agir suffisamment tôt afin de contrecarrer une dynamique défavorable. L’étude de la chronologie annuelle de l’accroissement des masses de tufs permet-trait d’y voir plus clair. En effet, en présence de débits soutenus au cours de l’été (cas des années pluvieuses), la précipitation de calcite est–elle importante ? Cette hypothèse impliquerait que la croissance des masses de tufs est plus ou moins épisodique. À l’avenir la mise en place de repères permanents serait à envisager.

Certains tufs de la partie aval du site (celle située sous la route) sont situés dans un enclos à l’intérieur duquel des ânes pâturent librement (8 à 15 animaux selon les années). Il s’agit d’un vaste complexe de tuf horizontal ou peu pentu, essentiellement constitué de mini barrages et de vasques, avec comme espèces prin-cipales Cratoneuron filicinum, Brachythecium rivulare, Palustriella commutata et Didymodon tophaceus. Le pié-tinement des ânes entraîne la destruction mécanique des tufs qui conduit à une érosion qui elle même finit par entraîner la disparition des reliefs dus à l’accré-tion tufeuse (barrages notamment). Ce gommage de la structure tridimensionnelle du tuf a pour conséquence une modification des écoulements naturels et donc des changements dans l’accumulation de calcite. Le piétinement des masses de tuf est également problé-matique car il provoque en outre l’affaiblissement ou la mort des bryophytes tufigènes, ce qui affaiblit d’autant le pouvoir de concrétion. Les effets délétères du pâtu-rage sur la structure fragile des tufs ont été signalés en Angleterre par Pentecost (2005). Enfin le station-nement des ânes présente un inconvénient majeur car leurs excréments peuvent entrainer une dégradation des paramètres physico–chimiques de l’eau d’alimenta-tion des tufs et une eutrophisation. Les possibilités de régénération des tufs détériorés sont à l’étude actuelle-ment par la mise en place d’un suivi dans des secteurs pâturés et non pâturés comparables. En conclusion,

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par mesure de prudence, il conviendrait de soustraire complétement les tufs à l’action néfaste des animaux domestiques.

Le rôle de la lumière est souvent mis en avant dans le fonctionnement des tufs. Dans certains cas, il sem-blerait que les ligneux puissent entraîner une baisse de l’incrustation et une diminution de la vitesse de crois-sance des bryophytes. Nous avons toutefois montré que le boisement n’entraînait aucune conséquence néfaste sur le fonctionnement des tufs dans des systèmes en tous points comparables de la basse vallée de l’Isère (Hugonnot, 2017). D’autre part, les ligneux ont géné-ralement du mal à s’installer durablement sur des tufs véritablement actifs. Nicod (2010) souligne également l’importance du maintien d’une ripisylve pour un fonc-tionnement correct des tufs. Les suivis permettront de mieux comprendre le rôle de ce facteur à l’avenir.

Remerciements La donnée sur Mannia triandra nous a été communiquée par

Luc Garraud (CBN alpin) que nous remercions sincèrement. Jean–Pierre Hébrard nous a fait part de remarques critiques à l’occasion de la relecture du manuscrit, ce dont nous lui sommes reconnaissants.

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