les betteraves aiment la terre profonde

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sacré coeur Les jours ont passé. Justin regardait trop souvent son téléphone. Lorsque la sonnerie retentissait, son coeur décrochait. Mais c'était un ami qui lui proposait une soirée, ou ses parents qui, à Tours, s'inquiètaient de ne pas recevoir de nouvelles. Puis il s'est repris. Il a transmis le dossier Le livre de mon fils à Ménard, qui lui a donné son accord pour une maquette. Se déchargeant de ses projets en cours sur Kihoro - mi-figue-mi- raisin, poubelle de trop plein mais heureux de passer du court au long métrage -, Justin s'est entièrement tourné vers l'adaptation de ce scenario qui lui colle à la peau. Quelques jours plus tard, Tardieu lui apprend que la Mairie a censuré une bonne partie du documentaire sur les expulsions. France 2 a visionné le film, et a émis des réserves sur son acquisition définitive. L'ambiance, dans les locaux de la Starfilms, est

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sacré coeur

Les jours ont passé. Justin regardait trop souvent son téléphone. Lorsque la sonnerie retentissait, son coeur décrochait. Mais c'était un ami qui lui proposait une soirée, ou ses parents qui, à Tours, s'inquiètaient de ne pas recevoir de nouvelles.

Puis il s'est repris. Il a transmis le dossier Le livre de mon fils à Ménard, qui lui a donné son accord pour une maquette. Se déchargeant de ses projets en cours sur Kihoro - mi-figue-mi-raisin, poubelle de trop plein mais heureux de passer du court au long métrage -, Justin s'est entièrement tourné vers l'adaptation de ce scenario qui lui colle à la peau.

Quelques jours plus tard, Tardieu lui apprend que la Mairie a censuré une bonne partie du documentaire sur les expulsions. France 2 a visionné le film, et a émis des réserves sur son acquisition définitive. L'ambiance, dans les locaux de la Starfilms, est pour le moins morose. Lilly a présenté sa démission. Justin s'est précipité dans le bureau de Ménard, et a déchiré la demande sous ses yeux.

C'est alors que Justin rencontre les Fous de Dieu.

Il précède encore Ralph de deux longueurs à la mi-parcours. Il entend derrière lui le souffle

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bruyant de son ami éditeur, dont le pas lourd s'abat sur les marches à un rythme soutenu. Justin éclate de rire et s'arrête, respiration sifflante et jambes coupées. Ralph passe en un éclair, s'assure de son avantage et achève tranquillement son ascension dans les escaliers qui mènent à la Butte Montmartre, côté Utrillo. Il se retourne, triomphant, vers Justin qui n'en finit pas de monter.

- Tu m'as eu, mon salaud.Ralph éclate de rire, tousse et rit encore. Ils se reposent un instant sur un banc. Justin était pourtant bien parti. Plus vif, il avait monté les premières marches quatre à quatre, tandis que l'éditeur peinait à mettre son grand corps en branle. Mais la montée avait été trop longue. Manque de condition, se dit Justin qui se promet une fois encore de ne plus boire. Oui, trop longue... Comme pour s'en assurer, il jette un coup d'oeil en contrebas. Une vieille dame monte péniblement son cabas. Et, plus bas, deux silhouettes s'évertuent elles aussi à courir dans les escaliers!

- Regarde, Ralph, deux autres fous.Le géant se lève et penche la tête en direction des deux hommes; à sa vue, ils cessent soudainement leur course. Ils s'appuient nonchalamment sur la rambarde, deux paliers avant le sommet, et font mine de s'intéresser à la vue.

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- Tu as vu? On leur a fait peur, dit Ralph en riant.Justin est perplexe.

- Non, c'est toi. C'est quand ils ont vu que tu les regardais qu'ils se sont arrêtés.

- Bon, on y va? Faut penser à travailler un peu, tu ne crois pas? Tu m'écoutes?Ils filent le long du Sacré-Coeur qui suinte le blanc après la pluie. L'air est doux et légèrement humide. Quelques flocons neigeux s'étendent au-dessus du dôme. A dix-huit heures, les touristes sont dans leur chambre d'hôtel. Le parvis est calme. Quelques bandes de pigeons s'approchent et s'enfuient de Justin et Ralph qui marchent à pas soutenu sur les pavés.Ils contournent le bâtiment jusqu'à l'entrée de l'église Saint-Pierre de Montmartre. Ralph déplie un papier froissé.

Le livre de mon fils

Scène 7

Une église (humble, froide - veiller à la lumière, apporter audiomètre)Lionel (costume gris, négligé)Un prêtre (tenue sobre)

Lionel entre dans l'église.

Caméra sur intérieur. Vitraux, icônes.

Il se recueille.

Demande à parler au Père Supérieur.

Méprise: le prêtre pense qu'il va se confesser. Lionel se laisse conduire.

(voir avec Guillaume pour le choix des dialogues. Idées forces: rappel des faits - "Mon fils fauché

7 s

49 s

21 s

35 s

21 s

420 s ?

Visiter la Chapelle Saint Louis (Hôpital Salpêtrière, M° Place d'Italie - quatre nefs, intérieur nu), Abbaye bénédictine Sainte-Marie (3 rue de la Source, chant grégorien et

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par camion, est venu prier ici la veille, pourquoi?" - lien avec le discours du prêtre, discours du prêtre qui a confessé le fils - sc. 8 à 15).

tot 573 s

collection cartes postales), église Saint Pierre de Montmartre (conseil de Guillaume)

- Tu as pensé à l'audiomètre?- Dans la poche.

C'est une petite église. La façade ne comporte ni sculpture, ni rosace; quelques pierres élimées et sales, deux carrés de vitraux grillagés ne laissant rien paraître de leurs couleurs, trois portes de métal cuivré, gravées sans prétention - un travail récent. Justin s'attarde sur leurs motifs, des scènes de la vie du Christ. Un mouvement sur la droite attire son attention. Derrière une grille d'apparence semblable aux ventaux, un homme s'affaire sur un carré de verdure. Le cimetierre.

- Il n'ouvre qu'une fois par an, le 1er Novembre, précise Ralph. Mais on pourra demander au curé de faire une exception pour le tournage. Qu'est-ce que tu en penses?

- Entrons.Justin frissonne en passant la porte. Il longe un Christ en croix posé à même le sol. La sculpture de bois le fixe en contre-plongée. L'endroit est sombre et froid. Le Coeur se perd dans l'obscurité. Un couple de touristes, entré

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peu de temps auparavent, ne s'attarde pas et les laisse seuls dans la nef.

- Guillaume est en retard, annonce Justin.- Tu ne vas pas nous faire un caca mou,

merde. On n'est pas en tournage, calme-toi.Un panneau indique que l'église est un lieu de culte, pas un musée. Justin sourit en voyant la mine renfrognée de Ralph.

- On fait le tour? murmure-t-il.Leurs pas sonnent lourdement sur le sol dallé. L'église est parfaitement entretenue. Sur la gauche, quelques cierges luisent faiblement, résidus de prières à jamais envolées. Des croix rouges, peintes à même les piliers, en renvoient l'éclat. Une plaque leur apprend que les vitraux ont été réalisés par un maître verrier en 1953, en souvenir d'une femme, Marguerite.

- Une femme en ces Saints Lieux! souffle Ralph.Ils passent devant une statue de Saint Pierre. Il se tient assis et porte une clé dans la main gauche. Une inscription latine orne le piedestal:

TU ES PETRUSET SURER HANC PETRAMAEDIFICABO ECCLESIAM

MEAM

Justin cherche silencieusement à traduire ces mots qui lui rappellent vaguement quelque

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chose. Une voix caverneuse s'élève derrière lui.

- Tu es Pierre et sur cette pierre tu bâtiras mon Eglise.Un homme sort de l'ombre d'un pilier. Trente cinq à quarante ans, taille moyenne mais corps robuste, en dépit d'un ventre qui dépasse de son pantalon de costume. Cheveux minces plaqués en arrière, yeux vifs scrutant Justin derrière de petites lunettes rondes, cerclées d'acier. Menton carré, lèvres minces, féminines. Ralph tend la main à sa rencontre.

- Salut, Guillaume! Tu te cachais depuis combien de temps?

- Je ne me cachais pas, je priais. Et toi, tu es Justin, n'est-ce pas?Ils se serrent la main.

- Ralph m'a beaucoup parlé de toi. Je veux croire que mon scenario est en de bonnes mains.Justin sourit. Ils marchent le long du transept. Justin sort l'audiophone, annonce qu'il va faire quelques règlages, et demande à Guillaume de dire quelques mots.

- Que veux-tu que je te dise?L'aiguille s'affole. Justin se déplace, se tourne vers Guillaume.

- Pourquoi ne pas avoir voulu me rencontrer plus tôt?

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- Problèmes personnels. Manque de temps. Superstition. Beaucoup de superstition. Mais une église, c'est un lieu naturel pour chasser la superstition. Tenez, regardez. Il pointe le doigt sur deux mots gravés dans le mur, derrière Saint Pierre: "La Délivrance"...

- J'aurais dû choisir Pierre comme prénom, et non pas Lionel, ajoute-t-il. Je me suis toujours laissé emporter par le vécu.Il les guide dans l'église. L'un des vitraux représente Ignace, en robe noire. Lui tient un livre ouvert sur des pages blanches aux trainées vertes. Ses yeux sont morts - des orbites brûmeuses. Son visage est gris et osseux. Mais il est auréolé d'une aube rouge et flamboyante.

- Ne trouvez-vous pas que ce vitrail parle à Lionel? Le rouge et le noir y sont maléfiques, démoniaques.

- Et il s'agit de la représentation d'un Saint, murmure Justin.

- Précisément.

Ils sortent. En face, c'est la Place des Ternes. Stores bleus ou verts, lettres dorées: "Au Clairon du Chasseur", "Cabaret de la Bohème", "Restaurant chez Eugène". Sur les terrasses, les serveurs s'activent à servir le pastis, le café, la bière pression. Il fait encore beau, malgré l'heure tardive, et de nombreux couples déambulent dans la rue Norvins.

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- Hé! Les deux types de tout à l'heure!Justin tourne la tête à l'exclamation de Ralph. Il reconnaît immédiatement les silhouettes qui couraient après eux dans les escaliers. Ils sont adossés à la grille qui ceinture l'église, en face de Justin, et les observent nerveusement. Ils sont de type nord-africain, habillés par Tati ou le Sentier.

- Qu'est-ce qui se passe? demande Guillaume.

- Les deux types à la grille, répond discrètement Ralph. On les a déjà vus tout à l'heure, ils nous suivaient. On dirait qu'ils attendent qu'on sorte, maintenant. Je me demande ce qu'ils nous veulent."Un coup de Biffin?" pense Justin. Deux sbires à lui pour contrôler ses faits et gestes, et deux autres derrière Tardieu, sans doute, pour s'assurer que la Starfilms ne rompra pas leur accord à l'amiable par des scènes à la tire. Improbable. Un: ces deux gaillards ne sont pas le genre de la maison Biffin. Deux: l'enjeu est trop mince pour immobiliser quatre hommes. Trois: la Starfilms a trop à perdre dans un jeu de dupes avec la Mairie.

- Et bien, il n'y a qu'à leur demander! lance joyeusement Guillaume.Sans attendre, il fait les six pas qui le séparent de ses vis à vis. Il n'a que le temps d'ouvrir la bouche. Un éclair blanc, un coup porté au ventre, Guillaume s'affaisse, tombe à

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genoux sans un bruit, coupé en deux par la douleur. Les deux hommes ont déjà tourné les talons et s'enfuient.

- Merde! hurle Ralph.Le laissant s'occuper de Guillaume dont le visage n'est qu'un masque de souffrance, Justin s'élance à la poursuite de ses agresseurs, avec dix secondes de retard. Il dévale la rue Provins jusqu'à l'esplanade du Sacré-Coeur. Plus la moindre trace. Il jette un coup d'oeil dans le jardin qui descend en pente douce jusqu'au pied de la butte. Il n'aperçoit qu'une foule toujours plus nombreuse, des gens calmes qui gravissent ou descendent tranquillement. Il reporte son attention sur la droite, et aperçoit les cables du funiculaire.

- Là!Il se précipite vers la cahute, bouscule deux ou trois touristes, se fraie un chemin jusqu'à l'entrée. Il distingue enfin les deux hommes dans la cabine au moment où la porte se ferme. Elle entame sa descente.Justin se rue vers les escaliers de droite, mais le passage est barré par des travaux de rénovation. Il fait demi-tour vers l'esplanade, descend quatre à quatre les marches qui mènent au jardin. Il glisse sur un rebord glissant, trébuche et tombe dans un massif de begonias. Une touriste crie; il n'en tient pas compte, se relève et reprend sa course en

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bousculant les passants. Son mollet droit lui fait mal. A mi-hauteur, il jette un coup d'oeil rapide sur le funiculaire. La cabine est presque arrivée à destination. Justin accélère encore, dévale sur le gazon. Il entend un coup de sifflet. Il parvient enfin au niveau du carroussel vénitien, traverse comme dans un rêve un groupe d'enfants et fait voler une nuée de pigeons qui partent dans toutes les directions.La cabine du funiculaire est vide. Justin parcourt la rue du Cardinal Dubois, entre dans un magasin de souvenirs, puis dans un restaurant. Dans la rue, un vendeur de frites lui propose un cornet pour dix francs. Pendant qu'il les fait frire, Justin lui demande s'il n'a pas vu deux hommes, de type arabe, plutôt pressés, qui auraient pu passer quelques minutes auparavant.

- C'est eux qui vous ont fait ça?Il désigne le jean de Justin, dont le pantalon droit est déchiré.

- D'une certaine façon.- Vous avez de l'espoir. Des arabes, y a que

ça dans le quartier.

Il rejoint ses deux amis là où ils les avait laissés. Ils sont assis sur un banc, dans la petite cour d'entrée de l'église. Un prêtre et trois curieux les entourent. Le prêtre pousse

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une exclamation: Justin saigne à la tempe, et il boîte.

- Putain, qu'est-ce qui t'est arrivé? demande Ralph.

- C'est rien, laisse tomber. Je les ai ratés.Il se penche sur Guillaume, qui sourit faiblement.

- J'ai eu peur que ce ne soit un coup de couteau, dit Justin. J'ai cru voir un reflet.

- Tu ne t'es pas trompé de beaucoup, souffle Guillaume. Poing américain.

- Tiens, Justin, regarde ça, ils l'ont laissé tomber.Ralph lui tend une enveloppe blanche pliée en deux. A l'intérieur, un billet de cinquante francs, une feuille vraisemblablement arrachée d'un calepin, et un petit objet rond. Il donne le billet à Guillaume, puis déplie la feuille. Quelques caractères arabes y sont griffonés au feutre noir. Suivent 8 chiffres, vraisemblablement un numéro de téléphone. Il le range dans sa poche, et s'intéresse à l'objet. Il s'agit un cylindre métallique de deux centimètres de long, de cinq millimètres de diamètre, percé d'un trou. Justin le scrute attentivement, sans parvenir à le rattacher à une fonction quelconque. Il le montre à Ralph, qui secoue la tête.

- Oui, je me suis posé la question, moi aussi, dit l'éditeur.

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Guillaume n'en sait pas plus. Le prêtre s'approche de Justin, et demande à voir l'objet. Il l'examine longtemps avant de le lui rendre, sans apporter de réponse.

- A tout hasard, mon Père, pourriez vous traduire ceci?Il sort le papier de sa poche.

- Oui. C'est une adresse: 3, passage de la Petite Boucherie.

L'appartement de Guillaume aurait le charme des vieilles demeures bourgeoises, s'il était tenu par une maîtresse de maison. Le parquet usé n'a pas été ciré depuis bien longtemps. La commode Louis VI n'a que trois pieds - elle tient sur une cale de bois. Une bibliothèque vitrée s'étend le long du mur pour en cacher les fissures. S'y cotoient entre autres Fenimore Cooper, SAS "Les fous de Baalbek", Vidéo Mag, l'Histoire du Jazz de Ebehrardt, Cosette et Tintin, une méthode en dix leçons pour apprendre la guitare, un prospectus donnant des réductions sur tout achat d'un hamburger maison, Agatha Christie, la série des Napoléon de Decaux, un superbe ouvrage sur la peinture florentine, et une multitude de livres de poche où dominent les grands formats de 10/18. D'autres piles en désordre s'étalent au hasard de la pièce; pour l'essentiel, des journaux froissés. Un pot de géranium finit lentement sa vie sur le rebord

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de la fenêtre, dont les vitres portent la trace de nombreux doigts. Une odeur d'encens flotte dans le salon, mais Justin y distingue aussi le parfum du carton mouillé.

- Dis donc, il y a comme des relents, ici...Guillaume pose les clés sur le guéridon. Il jette sa veste sur le lit défait de sa chambre, et rejoint Justin dans le salon.

- Tu ne vas pas te plaindre, non plus? C'est mon chien, s'excuse-t-il.

- Ton chien?Guillaume ouvre une porte. Dans la cuisine, un tout jeune épagneul se prélasse sur un coussin moelleux. Il ouvre un oeil, reconnait son maître et jappe en sautant à sa rencontre.

- Brave, brave. Justin, voici Nanard. Dis bonjour, dis bonjour mon chien! Bon chienchien ça. Oooouuuiiii...Sur un pan de mur, près du canapé, Guillaume a scotché des photographies. Images de fête où il pose en compagnie masculine, coiffé d'un chapeau à plumes ou endormi à côté d'une bouteille de gin. Deux cadres sont posés sur le bureau poussiéreux: le cliché noir et blanc d'un homme d'âge mûr, dont les traits féminins rappellent ceux de Guillaume, et celui plus récent d'un jeune homme souriant.

- Eric, R.I.P. 07/12/90, victime d'un ivrogne au volant, dit Guillaume dans son dos. Et le vieux bonhomme, c'est - c'était - mon père.

- Lionel?

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- Lionel.Justin s'asseoit au sol, dos au mur. Le chiot vient lui renifler les pieds, puis l'entrejambe. Chatouillé, Justin le prend dans ses bras et le laisse lui mordiller les doigts. Guillaume a tiré une pastille d'herbe d'un tiroir. Il déchire une cigarette, humidifie deux feuilles d'OCB qu'il colle l'une contre l'autre en T, et y mélange le tabac et l'herbe. Il roule soigneusement le papier en cône, puis l'allume en prenant garde d'éviter les langues de feu qui tombent sur le plancher. Il en tire deux bouffées et tend le joint à Justin.

- Attends, pas encore.Il perche le chiot sur son épaule et se lève. L'appartement est au troisième étage, il donne sur la rue de Lyon. Au fond, on aperçoit la colonne de la Bastille et les lumières de l'Opéra.

- T'as vu, Pinard?- Nanard! corrige Guillaume.

Justin ne relève pas. Le chiot est absorbé par le mouvement dans la rue. Il tourne la tête dans tous les sens, aux aguets, aboie, et saute des épaule de Justin.

- Il t'a griffé?- Pas grave.

Guillaume lui passe le joint. Sur le trottoir, l'épicier arabe baisse ses rideaux métalliques. Il est plus de dix heures... On est à cette heure de la nuit où les parisiens ont déserté

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les rues; un intervalle de silence gagne la capitale.

- Ralph avait l'air pressé de partir, tout à l'heure, remarque Guillaume.Justin sourit.

- Il avait rendez-vous avec une amie, une certaine Béatrice. Au fait, merci de m'héberger ce soir.Il se penche sur le bureau, soulève quelques papiers et dégage un dossier.

- Paris vu des quais. Qu'est-ce c'est?- Un vieux, vieux projet. Quand je suis monté

à Paris, je ne connaissais personne, je n'avais pas de logement et pas le moindre sou en poche. Depuis, j'ai essayé plusieurs fois d'écrire un livre, un document sur la vision du monde depuis le trottoir.Justin ouvre le dossier: des articles de journaux jaunis et poisseux, quelques photos, des notes éparpillées. Un bout de texte, écrit par une main tremblante qui se rappelle s'être tendue au passage des piétons devant les Galeries Lafayette, une veille de Noël.

- Je vais me coucher, Justin.- Bonne nuit.

Il s'installe sur le canapé et commence à lire Paris vu des quais. Un cheminot raconte l'histoire de la SNCF. Très vite, Justin se désintéresse de sa lecture. Il s'étend mais ne parvient pas à trouver le sommeil. Il sort de sa poche l'enveloppe pliée, examine encore le

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cylindre de métal, puis le billet froissé portant sa propre adresse et un numéro de téléphone qui ne répond pas. Son imagination parcourt divers chemins sans s'arrêter. La piste Biffin est improbable. Seul signe distinctif de ses deux agresseurs: leur type arabe. "Arabe ou maghrébin?". Il n'a aucun contact avec l'une ou l'autre des deux communautés. Leila lui traverse l'esprit. Un ami jaloux? "Non. Trop neuf. Pas le genre à fréquenter de petits malfrats". Sa profession d'avocate pourrait l'amener à rencontrer la pègre; mais elle n'est que stagiaire, et l'activité de Lespinasse est davantage branchée sur l'escroquerie financière de haute volée. Autre piste à envisager: les expulsés. Mouvement de colère? Mais pourquoi? Sa montre indique une heure trente. Son regard se pose sur le manuscrit de Guillaume. Il a mendié, il se drogue, deux bonnes raisons pour un direct dans l'abdomen. Mais c'est l'adresse de Justin qui est écrite sur le billet. Et la seule personne qui pourrait lui en vouloir au point de dépêcher deux types armés de poings américains, c'est Laurence. Laurence qui lui a pardonné, qui ne sait de la violence que ce qu'il lui en a appris. Laurence qui a dû refaire sa vie. Se souvient-elle seulement de lui?Un bruit de pas dans le couloir.

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- Je n'arrive pas à dormir, dit Guillaume en s'asseyant à ses côtés. C'est cette histoire qui te tourmente?

- Entre autres choses.- Ralph m'a parlé d'un type de la Mairie, un

problème d'autorisation de tournage. Tu crois que c'est lui?

- Non. Je ne le vois pas nous faire suivre.Guillaume s'étire.

- Là, mon p'tit bonhomme, tu t'engages. Tu ne sais jamais à quoi t'attendre avec les êtres humains. Tu connais l'expérience de Millgram?

- Non.- Ah, je vais te raconter l'expérience de

Millgram... Très intéressante, cette expérience. Ecoute bien. Tout débute au début des années 60, quelque part aux fins fonds des Etats-Unis. Le professeur Millgram, sociologue de renom, est en quête d'un bon sujet de thèse. Un jour, en rentrant de déjeuner, un monsieur l'aborde et lui demande de signer une pétition en faveur de l'euthanasie des vieux incapables de subvenir à leurs besoins. Millgram ne réfléchit pas, le monsieur l'impressionne, il signe. Ne ris pas, c'est très sérieux! De retour au laboratoire, il analyse son geste. Un peu surpris de s'être fait manipuler aussi aisément, il décide d'explorer le problème plus à fond. Ce qui l'intéresse, c'est d'étudier le comportement des gens quand ils sont soumis à des

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situations stressantes. Il sélectionne un bon millier d'américains de tous âges, toutes origines géographiques et sociales, de sorte à disposer d'un échantillon représentatif et sain de la population américaine. Ce sont tous des volontaires. En revanche, pour la bonne marche des opérations, Millgram leur a caché la nature de l'expérience. Ils savent seulement qu'ils participent à un programme fondamental pour la recherche de leur pays. Ils seront défrayés et recevront une petite compensation (environ cent francs) en remerciement de leur bonne volonté. L'expérience peut alors commencer.Guillaume leur sert un verre de whisky, puis il reprend.

- Millgram introduit son premier cobaye (nous l'appellerons Adolf, tu vas comprendre pourquoi) dans une salle de laboratoire assez impressionnante. Murs blancs, néons, la pièce est presque vide. Il lui présente un monsieur, appelons-le Joker. Monsieur Joker, dit Millgram, va tout comme vous participer à notre expérience, mais dans un autre rôle que le vôtre. Ce que Millgram ne dit pas, c'est qu'en réalité Joker est un comédien. Millgram installe Joker sur un fauteuil de bloc opératoire, l'y sangle de pied en cap de telle façon que Joker ne puisse bouger, même au prix d'un effort violent. Joker affecte un air peu rassuré, Millgram ne manifeste aucune

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émotion. Il lui branche des électrodes sur de nombreuses parties découvertes du corps. Les électrodes sont reliées à une machine volumineuse, couverte de boutons clignotants... De l'énorme machine part un très gros cable électrique noir, qui serpente dans toute la pièce jusqu'à une console. Millgram conduit alors Adolf derrière la console: elle est graduée de zéro à quatre cent quarante volts. Il y a également une manette qui peut se déplacer sur cette échelle. Et un gros bouton rouge qui commande une décharge électrique correspondant à la position de la manette. Bien sûr, tout cela est fictif: la console ne commande, en réalité, aucune décharge.

- C'est quoi cette horreur?- Laisse-moi finir, dit Guillaume. Millgram

tend un questionnaire de questions-réponses à Adolf. Celui-ci apprend la nature de son rôle: il doit poser les questions, une à une, à Joker. Quand celui-ci répond bien, on passe à la question suivante, et ce jusqu'à la fin du questionnaire. S'il répond faux, Adolf doit déplacer la manette sur le cran supérieur (dix ou vingt volts de plus, je ne sais plus), et appuyer sur le bouton rouge. Ah, j'oubliais: pour s'assurer qu'Adolph a une idée de la douleur infligée par une décharge électrique, Millgram lui en envoit un exemplaire de cinquante volts, de quoi le secouer un peu.

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- Attends! Cette histoire me rappelle quelque chose...

- I comme Icare: si tu as vu le film, tu dois t'en souvenir.

- Oui... raconte quand même.- Adolf jette un oeil sur la console: au-dessus

des graduations en volts, une couleur. Cela part du jaune clair pour dix volts, jusqu'à un brun violacé pour quatre cent quarante. De temps à autre, un témoin de douleur: "léger picotement" au-dessus de vingt, "douleur vive" au-dessus de deux cents, etc... Au maximum, le témoin indique "hasardous", difficilement traduisible en français...Guillaume se lève et marche en rond dans la pièce. Sous ses pas, le plancher gémit. Inconsciemment, il assouplit sa démarche.

- Mille personnes ont participé à l'expérience. D'après toi, celle qui a été le plus loin a été jusqu'à quel stade?

- Attends... Ils pouvaient arrêter quand ils voulaient?

- Tout à fait. Si Adolf, au milieu de l'expérience, et s'apercevant qu'il faisait souffrir quelqu'un, se tournait vers le sociologue pour lui demander d'arrêter, Millgram se contentait de répondre: "Vous savez ce que vous avez à faire". Alors?

- Deux cent vingt volts, ça a été fatal à Claude François. Les Américains ne connaissent pas Claude François mais ils

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savent ce que c'est qu'une décharge de deux cent vingt. Bon, disons trois cents.

- Quatre cent quarante. Quel pourcentage des cobayes a été jusqu'au bout?

- Quatre cent quar... Ecoute, je ne sais pas... Ca me parait insensé...

- Les deux tiers sont allés jusqu'à quatre cent quarante volts.

- Ben merde...- C'est pas tout. Après l'expérience, Millgram

a fait passer un entretien à chacun de ses cobayes, sans leur dire que Joker était un acteur. Ceux qui avaient été jusqu'à la dernière graduation ont donné des arguments divers pour expliquer leur comportement. La plupart disaient: "Je ne faisais qu'exécuter un ordre". Faux: Millgram expliquait mais ne donnait pas d'ordre, et à tout moment ils pouvaient arrêter. D'autres, c'est plus cocasse, disaient: "C'est vrai, il hurlait dans son fauteuil. Mais est-ce que vous croyez que c'était facile pour moi? Moi aussi, je souffrais, figurez-vous!". Certains s'appuyaient sur une argumentation scientifique du type: "Le choc électrique, n'est-ce pas, n'est pas seulement fonction de l'intensité mais aussi de l'ampérage". Vrai, dans le fond: au Palais des Sciences de Paris, tu peux recevoir une décharge de plusieurs milliers de volts sans rien ressentir. Tu es environné d'éclairs, c'est assez impressionnant. Cela étant, Joker hurlait

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dans son fauteuil: alors cet argument ne tenait pas debout...

- Et ceux qui n'ont pas été jusqu'au bout?- Tous, tous sans exception se sont excusés

auprès de Millgram pour n'avoir pas pu finir l'expérience... Quelques uns ont été jusqu'à lui écrire deux semaines plus tard pour lui demander de participer à une autre expérience du même type, "Et cette fois docteur, je ne flancherai pas"...Justin est sidéré:

- C'est abominable.- Si on était trois dans cette pièce, deux

d'entre nous auraient tué un homme sans éprouver de remords apparent, et l'autre aurait été désolé de ne pas l'avoir fait...

Silence.- Qu'est-ce qui s'est passé quand les

cobayes ont appris que Joker était un comédien?

- Il y a eu quelques cas de suicide... L'expérience a provoqué un tollé dans le monde scientifique. Mais elle a eu le mérite de montrer que dans une situation qui le dépasse, l'homme n'est plus guidé par sa conscience, mais par quelque chose en lui qu'il ne maîtrise pas. Ce qui s'est passé, en fait, dans la tête d'Adolf, c'est qu'il arrive dans une salle impressionnante puisque dédiée à la recherche (murs blancs, etc...), que son

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interlocuteur principal, Millgram, est en blouse blanche - uniforme porteur d'autorité. C'est pour lui une cause suffisante de stress pour qu'il ne réfléchisse pas vraiment à ce qu'on lui demande de faire. Donc il commence l'expérience, alors qu'il aurait dû immédiatement refuser d'y participer. A partir du moment où il commence l'expérience, il est foutu: au fur et à mesure que la décharge électrique s'accroit, il fait souffrir Joker, il le voit souffrir. Il y a un point de rupture: à un moment donné, il se dit inconsciemment que stopper, ce serait reconnaître qu'il a participé à une horreur. Il lui faudrait reconnaître cette vérité vis à vis des autres, mais surtout se le dire à soi-même, et c'est autrement plus difficile. S'il stoppe, il porte le poids de son choix... Il y a de quoi se suicider. Alors il continue. Jusqu'à la fin.

Guillaume se tait. Il s'asseoit, allonge les jambes et conclut:

- Tu vois bien qu'on ne connaît jamais les autres, puisqu'on ne se connaît pas soi-même. Biffin te paraît incapable de commanditer une agression? Mais regarde autour de toi! Les faits divers sont remplis d'actes invraisemblables, commis par de braves gens que leurs voisins n'auraient jamais soupçonné de crime plus affreux que de cacher leurs revenus. Oui, des quidams comme les autres,

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jusqu'au jour où un évènement d'origine extérieure vient dynamiter les murs de leur belle petite prison, tout au chaud volets clos, comme dit Sartre. Comme un skieur qui laisse sa trace sur une pente enneigée... Et qui sait si la prochaine chute de flocons suffira à couvrir son sillon? Le hasard... C'est la seule valeur à laquelle je croie.

- Pourtant, tu crois en toi.- Je ne crois à rien d'autre qu'en ce que je

suis maintenant. J'ignore et je veux ignorer ce que je serai plus tard. Je t'ai dit avoir galéré autrefois. Ce que je ne t'ai pas dit, c'est que je suis homosexuel. Et tu sais pourquoi? Un jour, j'en avais assez de me poser des questions sur mes préférences, garçons ou filles. Je me suis posté dans une rue passante mais discrète, et j'ai attendu que quelqu'un vienne me chercher. Comme personne ne s'intéressait à moi, j'ai abordé une fille superbe qui passait là, et je lui ai demandé si elle voulait coucher avec moi. Tiens, tu ne ris plus... Elle m'a flanqué une gifle monumentale. J'ai reçu encore quelques baffes, de garçons et de filles qui ont dû ne plus jamais passer par là, et j'ai enfin rencontré quelqu'un qui a accepté. C'était Eric, le héros malheureux du Livre de mon fils, dont tu regardais le portrait sur la table, tout à l'heure.

- Et aujourd'hui?

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- Rien.Ils se regardent. Guillaume se rapproche de Justin, lui caresse la joue, mais Justin lui bloque le bras et l'écarte.

- - -

petit lexique des mots d'antan

Dieu (religion, Christ, Allah, intégrisme) : Etre imaginaire, créateur du monde. Les contemporains de Justin n'ayant pas encore atteint la maturité psycho-mentale, en dépit d'une intelligence technologique brouillonne mais remarquable, croyaient en l'existence d'un Père invisible et tout-puissant nommé Dieu. Il était dit qu'à l'origine du monde, Dieu avait créé les éléments et toute chose sur terre, y compris les hommes. Bien que Darwin, à la fin du XIXe siècle, puis Rosenthal en 2005, aient prouvé scientifiquement l'absurdité du mythe originel, une bonne partie de la population continuait à prier (envoyer des messages silencieux à l'attention de Dieu) et à croire en l'existence divine.Comme toute idéologie solide et cohérente, la Foi en Dieu fut reprise par des groupes d'individus qui l'interprétèrent à leur façon. Gardant pour base un

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texte unique (la Bible), ils se constituèrent en sectes dites religions, chaque religion se séparant nettement des autres par sa compréhension du message divin et ce qu'elle souhaitait en tirer. Le phénomène prit une telle ampleur que leurs principaux représentants eurent accès au pouvoir temporel, jusqu'à devenir aussi puissants que des rois. De nombreuses guerres de religions ensanglantèrent l'Europe au Moyen-Age.Les croyants avaient bâti des monuments magnifiques à la gloire de Dieu. En fonction de la religion, ils les appelaient temples, sanctuaires, mosquées ou églises. Certains d'entre eux figurent parmi les plus belles oeuvres jamais érigées par l'humanité. L'on pense en particulier au Temple d'Or, dans la 16e Zone, demeure du Prince Ezgoleth. L'on pourrait en citer bien d'autres, et de plus étranges, comme cette structure pyramidale découverte il y a peu dans les déserts de la 5e Zone (l'antique Egypte), qui a tant fait parler d'elle depuis que les explorateurs associés à sa découverte ont été frappés de maux étranges. Quant à la vieille Cathédrale qui me fait face tandis que j'écris ces lignes, avec sa sublime statue d'ange à l'aile coupée, elle est la preuve éclatante de l'amour porté à Dieu par les hommes.

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A l'époque de Justin, la Foi avait considérablement perdu de son influence en France. En revanche, elle prenait un nouvel essor dans les pays de la religion Islam.

Arabe (maghrébin, nord-africain, Islam, Algérie) : peuple. L'histoire des arabes est assez étonnante. D'aussi loin que l'on puisse remonter, ils vivaient en nomade dans une petite région désertique de l'actuelle 6e zone. La foi en Allah, leur Dieu, et en Mahomet son prophète, en firent un peuple conquérant qui s'étendit bientôt sur plusieurs zones. Avec eux, l'humanité atteignit son apogée culturelle pré-dékienne (les empires matérialistes qui suivirent détruisirent malheureusement les plus beaux ouvrages de cette civilisation magnifique). L'influence arabe perdura plusieurs siècles, et ce jusqu'à l'aube du dékianisme, par la force de la foi qu'ils avaient transmise de génération en génération: l'Islam. A l'époque de Justin, l'Islam est une religion de pays pauvres.

Tati : cinéaste (voir audiovisuel). Nous apprenons ici que Monsieur Tati, auteur de films au milieu du Xxe siècle, était également couturier.

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Frites : pommes de terre frites dans l'huile. Quelque étrange que cela puisse paraître, nos ancêtres cuisinaient les mêmes pommes de terre qui font le régal de nos porcs.

Herbe (shit, joint) : drogue autorisée. La légalisation de la consommation de canabis est un apport post-dékien. Avant la Révolution pacifique, les hommes ne disposaient pas d'une volonté suffisante pour s'affranchir du besoin. Toute drogue était donc interdite, et le commerce illégal de cokaine ou d'héroïne violemment réprimé. En 1968, un mouvement de jeunes tenta vainement d'apprivoiser les effets des substances hallucinogènes.