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Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel. LES ANALYSES DU CHANGEMENT ORGANISATIONNEL QUELQUES QUESTIONS THEORIQUES, METHODOLOGIQUES ET EPISTEMOLOGIQUES Karim Ben Kahla article présenté au colloque « La flexibilité: condition de survie? » organisé par l’ISCAE, Tunis, 10-11 mars, 1999. «Lorsque Socrate trouve, en raison de sa bonne santé ou de sa maladie, le vin amer ou doux, faut-il dire que le vin a changé, que Socrate a changé, ou encore ni l’un ni l’autre» Ce travail essaye de passer en revue la littérature concernant le changement de et dans les organisations. Nous proposons pour cela une typologie des analyses et relevons les questions fondamentales qui structurent chacun des axes ainsi développés. En fait, il serait impossible de dresser un panorama complet des recherches sur ce thème tellement les paradigmes différents et les écrits prolifèrent renvoyant à chaque fois à des conceptions différentes des organisations et des approches que l’on peut avoir de celles-ci. Nous avons donc décidé de faire un certain nombre de choix qui devraient nous simplifier cette mise en ordre d’une littérature foisonnante : - tout d’abord, nous nous intéressons au champ particulier des théories des organisations; - ensuite, nous ne retiendrons dans cette analyse que la littérature qui nous a semblé être la plus importante et la plus significative; - enfin, on s’intéressera moins à exposer les détails de la littérature que les antinomies récurrentes, les questions et apories sous-jacente à celle-ci et aux dynamiques du changement. Cette revue des «théories» dominantes et majeures du changement organisationnel permettra dans un deuxième temps d’aborder le volet de l’organisation et de la gestion du changement. Ces deux premières parties mettront ainsi l’accent sur la dialectique de l’organisation et du changement et nous permettront de dégager les dualités et les pôles théoriques qui nous paraissent structurer les analyses du changement organisationnel. Enfin, nous aboutirons à une réflexion méthodologique et épistémologique sur les difficultés de ces analyses et sur les voies qui restent à explorer. 1

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Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

LES ANALYSES DU CHANGEMENT ORGANISATIONNEL

QUELQUES QUESTIONS THEORIQUES, METHODOLOGIQUES ET

EPISTEMOLOGIQUES

Karim Ben Kahla

article présenté au colloque « La flexibilité: condition de survie? » organisé par l’ISCAE, Tunis,10-11 mars, 1999.

«Lorsque Socrate trouve, en raison de sa bonne santé ou de sa maladie, le vin amer ou doux, faut-il dire que le vin a changé, que Socrate a changé, ou encore ni l’un ni l’autre»

Ce travail essaye de passer en revue la littérature concernant le changement de et

dans les organisations. Nous proposons pour cela une typologie des analyses et relevons les

questions fondamentales qui structurent chacun des axes ainsi développés. En fait, il serait

impossible de dresser un panorama complet des recherches sur ce thème tellement les

paradigmes différents et les écrits prolifèrent renvoyant à chaque fois à des conceptions

différentes des organisations et des approches que l’on peut avoir de celles-ci. Nous avons

donc décidé de faire un certain nombre de choix qui devraient nous simplifier cette mise en

ordre d’une littérature foisonnante :

- tout d’abord, nous nous intéressons au champ particulier des théories des

organisations;

- ensuite, nous ne retiendrons dans cette analyse que la littérature qui nous a

semblé être la plus importante et la plus significative;

- enfin, on s’intéressera moins à exposer les détails de la littérature que les

antinomies récurrentes, les questions et apories sous-jacente à celle-ci et aux dynamiques du

changement.

Cette revue des «théories» dominantes et majeures du changement organisationnel

permettra dans un deuxième temps d’aborder le volet de l’organisation et de la gestion du

changement. Ces deux premières parties mettront ainsi l’accent sur la dialectique de

l’organisation et du changement et nous permettront de dégager les dualités et les pôles

théoriques qui nous paraissent structurer les analyses du changement organisationnel.

Enfin, nous aboutirons à une réflexion méthodologique et épistémologique sur les

difficultés de ces analyses et sur les voies qui restent à explorer.

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Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

I. LE CHANGEMENT DE ET DANS LES ORGANISATIONS

Les analyses du changement de et dans les organisations peuvent être regroupées

autour de huit thèmes: les acteurs du changement; les objets du changement; les origines et

sources du changement; les niveaux de celui-ci; les formes du changement; les moteurs et

logique du changement; les étapes, stades et épisodes du changement et, enfin, les finalités

et fonctions du changement.

I.1- Les acteurs du changement

Les analyses du changement et les théories des organisations ont souvent posé la

question des relations entre les acteurs et le ou les systèmes. Cette problématique classique

a été abordée soit en privilégiant un pôle au dépend de l’autre, soit en essayant de relever

les marges de liberté des acteurs, les stratégies d’exploitation de ceux-ci par ces mêmes

acteurs ou, dans d’autres cas, en relevant les opérations de construction ou de structuration

mutuelles entre acteurs et systèmes ou structures. Même si les acteurs du changement sont

souvent anonymes, diffus et difficilement identifiables, il n’en demeure pas moins que trois

groupes d’acteurs dominent la littérature:

- les ingénieurs ou techniciens des structures et des stratégies qui sont souvent des

experts-consultants internes ou externes jouant le rôle de préparateur et/ou de «facilitateur»

du changement;

- les héros et leader du changement (souvent révolutionnaire ou présenté comme

tel) qui se présentent comme des constructeurs de sens et des innovateurs;

- enfin, et par contraste avec ces deux figures «gagnantes», on trouve les

« victimes » du changement qui représentent des individus et/ou des organisations soumises

à l’environnement.

Les théories de la décision et les théories de l’action ont également pensé cette

relation complexe entre acteur individuel ou collectif et système construit ou instruit.

Dans le domaine de la gestion, on a souvent reproché aux analyses les confusions

faites entre l’entreprise et son dirigeant.

Les théories du leadership ont mis l’accent sur la psychologie du dirigeant, sur

l’émergence du leadership et sur le profil de l’innovateur1. D’autres théories de la

motivation mettent également en relation les facteurs individuels avec la cohésion ou

l’éclatement de l’acteur ou des acteurs collectifs. Les figures du leader, de l’entrepreneur et

1L’innovation étant considérée comme la caractéristique dominante de l’entrepreneur.

2

Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

du médiateur ont ainsi fait l’objet de plusieurs écrits. Enfin, le rôle de l’acteur individuel ou

collectif comme initiateur ou comme suiveur du changement a également été analysé en

relation aux régimes de justification ou d’argumentation de celui-ci. L’acteur du changement

est un rhéteur et est tout aussi engagé dans des régimes d’argumentation qu’il l’est dans

ceux de l’action.

II. 2 – Les objets du changement

Plusieurs travaux traitent du « sur quoi et sur qui porte le changement ? ».

Les « objets » que l’on gère (que l’on change) afin de changer (d’autres objets) sont, en

premier lieu les acteurs de l’organisation ou de son environnement. Au-delà de ces facteurs

humains, les « objets » du changement peuvent être soit matériels soit idéels.

Les objets matériels portent généralement sur les structures et les contextes d’action

(exemple passer d’une structure pyramidale à une structure en réseau) ou sur les processus

(exemple: passer de la standardisation à la flexibilité).

Pour leur part, les objets idéels du changement relèvent généralement des orientations

stratégiques des individus ou des organisations, de la culture (exemple passer d’une culture

basée sur le contrôle à une culture valorisant la confiance) et/ou de la connaissance

(exemple les dynamiques entre connaissances tacites et explicites).

Il va sans dire que les changements des aspects idéels sont intimement liés à ceux des

aspects matériels et que les uns peuvent préparer ou découler des autres.

II 3 - Les origines du changement

Les recherches peuvent être regroupées autour de trois axes dominants:

- le premier groupe met l’accent sur les forces exogènes et sur l’impact de

l’environnement. Il s’agit essentiellement du courant de l’écologie des organisations

d’inspiration lamarckienne ou darwinienne avec un déterminisme environnemental plus

ou moins fort (Hannan et Freeman, 1977) et des approches institutionnalistes (Aldrich,

1993, Scott, 1995) qui, contrairement au courant précédant, mettent l’accent sur les

dimensions culturelles, symboliques et imaginaires des organisations.

L’institutionnalisation des organisations présupposerait alors certains mécanismes

d’isomorphisme (Oliver, 1988).

- Le deuxième groupe s’intéresse aux forces endogènes et met en avant le

rôle des interactions entre composantes de l’organisation dans le changement. Les

analyses ont alors souvent porté soit sur les relations fonctionnelles (ou

dysfonctionnelles) entre la totalité (du système) et les parties ou composantes de celui-ci

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Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

(Gouldner, 1959) soit sur les mouvements de contradiction et/ ou de renforcement de

forces et/ ou d’impératifs qui finissent par constituer des configurations plus ou moins

stables (Miller, 1987; Mintzberg, 1990). Le premier groupe de recherches analyse les

relations totalités/parties en mettant l’accent sur le fait que le système existe en fonction

de l’intégration de ses parties (de sa cohérence) alors que les unités tendent à bénéficier

et à préserver un minimum d’autonomie fonctionnelle. Pour leur part, les recherches

configurationnelles interprètent le changement comme un résultat d’un manque de

cohérence des choix organisationnels.

- Le troisième groupe remet en cause la distinction interne/externe et

s’interroge sur la notion de frontière de l’organisation et sur les opérations de définition,

redéfinition et construction de l’organisation et de ses changements. L’élément pertinent

de l’analyse devient alors non pas l’unité, ou l’organisation, mais le réseau

d’interdépendances (Quinn et Cameron, 1988: 46).

II.4 - Les niveaux du changement

La littérature organisationnelle est traversée par des analyses portant sur le niveau

de la tâche, de l’acteur, celui du groupe, celui de l’entreprise, celui du groupe d’entreprises

(approches sectorielles, stratégiques ou configurationnelles), celui des populations et enfin,

celui du changement en lui-même (on s’interroge alors sur les possibilités et les conditions

d’un changement du changement).

Les analyses du changement au niveau de l’entreprise ont mis l’accent sur les

évolutions de l’organisation, ceux de la stratégie, ou encore celui d’un niveau plus général

et plus générique: les configurations.

A leur tour les changements de l’organisation peuvent concerner sa culture, sa

structure, ses systèmes et/ou les personnes. Pour sa part, le changement de la stratégie peut

porter sur la vision, le portefeuille d’activités, le positionnement stratégique, les

programmes et/ou les ressources (Mintzberg et Westley, 1995)

Ces configurations ont été présentées comme des construits résultants de

l’imbrication de trois niveaux de structure: l’infrastructure technologique, la socio-structure

relationnelle et politique et la superstructure des cultures et des valeurs (Fombrum,

Desreumaux, 1995). La question devient alors d’analyser les processus d’imbrication, de

structuration et d’évolution de ces différents niveaux. L’approche structurationniste de

Giddens (1987) présente l’une des analyses les plus discutées de ces imbrications.

4

Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

II.5- Les formes de changement

Plusieurs auteurs distinguent entre un changement du type 1 qui serait

reproducteur et évolutionnaire et un changement du type 2 qui serait transformateur ou

révolutionnaire (Watzlawick 1981 et Miller et Friesen, 1984 ont été les auteurs les plus cités

dans cette perspective).

Selon Tushman et Romanelli (1985), la vie des organisations est caractérisée par de

longues périodes stables de convergence, où le changement est restreint à des ajustements

incrémentaux qui consolident les orientations stratégiques déjà choisies suivies par des

changements révolutionnaires dans des périodes courtes et peu fréquentes appelées

réorientations.

Alors que les adaptations/évolutions2 graduelles semblent correspondre à des

environnements évoluant de façon prévisible, les changements radicaux

(révolution/ajustement)3 ont reçu plusieurs explications. Dans certains cas, des ajustements

marginaux successifs seraient susceptibles de conduire à la transformation radicale du

système lui-même. En effet, soit les ajustements partiels et incrémentaux des sous unités

conduisent à une refonte de l’ensemble de l’organisation, soit ces ajustements sont à

l’origine d’une perte progressive et continue d’alignement de l’organisation d’avec son

environnement. Dans cette deuxième situation, les managers risquent d’être incapables de

percevoir la dérive stratégique de l’organisation tant que celle-ci n’a pas conduit à un état

de crise et ce n’est que lorsqu’un tel état est atteint que le changement radical devient

nécessaire. Enfin, les forces perturbatrices internes ou externes peuvent faire évoluer le

système si loin de ses paramètres d’équilibre initiaux que leur rétablissement devient

improbable. A cet instant, un changement infime - qui, normalement, ne provoquerait pas de

transformation majeure - entraîne le système vers une nouvelle configuration (Vandangeon-

Dermez, 1998). Ainsi, plus les composantes d’une organisation seraient fortement

interdépendantes, plus celle-ci résisterait aux changements et plus on aurait du mal à

identifier un élément isolé responsable de la réussite ou de l’échec de celle-ci (Miller et

Friesen, 1984) et plus le changement sera alors retardé jusqu’à ce que le coût de non-

restructuration devienne suffisamment élevé pour justifier un grand mouvement touchant à

un grand nombre d’éléments à la fois4: c’est le changement quantique.

2La théorie de la contingence structurelle privilégie les adaptations, l’écologie des organisations, l’évolution,les théories de l’acteur, l’ajustement.3Révolution peut signifier que tout change en même temps mais aussi et surtout qu’un ou quelques élémentstrès importants changent rapidement.4Coût de non restructuration ou de manque d’adaptation de la situation actuelle coût de changement de lasituation actuelle (pertes des avantages de la situation actuelle) + coûts d’accès à la nouvelle situation

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Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

Par ailleurs, impliquant la modification de plusieurs éléments à la fois, le

changement quantique est généralement coûteux. Il s’ensuit qu’en vue de minimiser la

période de transition, d’éviter au plus vite les coûts supportés à cause de l’inadaptation de

l’ancienne configuration et de bénéficier des avantages de celle nouvelle, ce type de

changement devrait être rare et rapide. Ainsi, le changement quantique au début, à toutes les

chances d’être dramatique et donc révolutionnaire.

Mise à part la situation de crise profonde, trois circonstances paraissent

particulièrement favorables à ce changement révolutionnaire (que l’on pourrait qualifier de

changement du changement) (Gersick, 1991):

- le «vieillissement» du système. En effet, avec le temps, les systèmes humains

tendent à dépasser les «structures profondes» qui gouvernaient leur action. Celles-ci

peuvent avoir été influencées par l’inexpérience des innovateurs (entrepreneurs), leur

empressement à s’engager (un sens démesuré de l’entrepreneuriat ou un optimisme

excessif), ainsi que par des attentes déplacées. Cette «structure profonde» peut également

se révéler caduc du fait de la réalisation des objectifs auxquelles elle était destinée, ou du

fait de son inaptitude à faire face à de nouvelles exigences.

- L’arrivée d’une forte personnalité externe telle qu’un nouveau dirigeant ou un

nouveau consultant. Cette personnalité apporte une nouvelle vision des choses et une

charge psychologique et émotionnelle susceptible de réconforter les membres du système en

crise et de leur faciliter l’acceptation d’un changement de la «structure profonde».

- l’arrivée du système à des «bornes» temporelles importantes qui constituent des

points focaux où on a tendance à faire le bilan de ce qui a été fait et de ce qui reste à faire.

C’est ainsi, par exemple, que les remises en cause tendent à être plus vigoureuses au début

et à la fin d’un projet.

Certaines questions mériteraient davantage de recherches: les révolutions seraient-

elles plus « rentables » que les simples évolutions ? Y aurait-il des situations ou des

contextes organisationnels ou environnementaux associés à un type de changement plutôt

qu’à un autre ? Les types de changements se combinent-ils ? Se suivent-ils ? Etc.

II.6- Les moteurs et logiques de changement

Pour Aristote, le changement peut avoir quatre causes: matérielle (l’airain pour la

statue), formelle (la notion définissant la chose), efficiente (le père pour l’enfant), finale (la

santé pour la promenade) (Popelard et Vernant, 1997).

(efforts nécessaires pour changer).

6

Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

Les moteurs du changement peuvent se situer à l’intérieur ou à l’extérieur de

l’organisation et être plus ou moins maîtrisé par les acteurs internes ou externes de celle-ci.

Généralement, les moteurs renvoient à l’existence d’un déséquilibre, d’incertitude(s), de

tension(s) ou de la recherche d’un ou de plusieurs avantages. Miller (1987) parle

d’impératifs (environnement, structure, leadership et stratégie) dont la dynamique

expliquerait le changement.

Il propose alors de classer les organisations selon leur impératif dominant, avant de

procéder à des recherches plus approfondies sur les relations entre stratégie, structure,

environnement et personnalité du dirigeant.

Pour leur part Van de ven et Poole (1995) dégagent quatre familles de moteurs du

changement selon que celui-ci est prescrit ou construit, qu’il porte sur un élément isolé ou

sur plusieurs (avec donc le risque de conflits): le cycle de vie (croissance organique);

l’évolution (survie compétitive); dialectique (opposition, conflit); téléologie (coopération

volontaire).

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Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

Famille Cycle de vie.(Croissanceorganique).

Comte; Spencer;Piaget...

Evolution.(Survie compétitive)

Lamarck; Darwin;Mendel...

Dialectique.(Opposition, conflit) Hegel; Marx; Freud...

Téléologie.(Coopérationvolontaire)

Mead; Weber;Simon...

Logique Programmeimmanent;séquencenécessaire,ordonnée;d’adaptationconformiste,unitaire

Sélection naturelle ausein d’une population.

Forces contradictoires:thèse, antithèse,synthèse. Le pouvoirrelatif d’une antithèsepeut mobiliser uneentité organisationnelleà un degré suffisantpour remettre en causela thèse ou l’étatcourant et préparer unesynthèse.

Etat final attendu;construction socialedes buts en fonctiondes actions passées;équifinalité(différentes façond’atteindre unobjectif).

Progressiond’événement

Linéaire etirréversible;séquence d’étapesprescrites(passage d’unpoint de départ àun pointd’arrivée).

Séquence répétitive,cumulative etprobabilistique devariation, sélection, etrétention d’événementsau sein d’entités dansune population donnée.

Séquence récurrente,discontinue deconfrontation, conflit etsynthèse entre desvaleurs et événementscontradictoires.

Séquence/cyclerécurrent, discontinude formulationd’objectifs, mise enoeuvre, évaluation etadaptation/modification des objectifs basésur ce qui a étéappris et sur les étatsfinaux désirés..

Forcegénératrice

Programme(code) naturel,logique ouinstitutionnelprescrit lescontenusspécifiques desétapes.

Pénurie, rareté etcompétition;. On peutprévoir la probabilité dechangement descaractéristiquesdémographiques de lapopulation occupantune niche.

Conflit et confrontationentre des entités, forcesopposées, intérêts ouclasses.

« Enactment»construction socialevolontaire desmembres de l’entité.consensus sur lesmoyens;coopération/symbiose.

conditionsd’expérience

Une entité subit lechangement maismaintient sonidentité. Ellepasse au traversd’étapesdistinguables enforme ou fonction.

Une populationd’entités existantensemble (dans unesituation physique ousociale avec desressources limitées).Des mécanismesidentifiables existentpour la variation,sélection et rétentiondes entités dans lapopulation.

Au moins deux entitésexistent (chacune ayantsa propre identité) quis’oppose ou est encontradiction avecl’autre.

Individu ou groupeagissant commeentité unies’engageant dans uneaction volontaire afinde construiresocialement et departagercognitivement unétat final ou objectif.

Deux pistes de recherches nous paraissent appeler une meilleure exploration : les

complémentarités/oppositions des différents moteurs et l’articulation/combinaison de ceux-

ci (moteurs opérants à différents niveaux de l’organisation et dans différents contextes;

équilibre relatif entre les différents moteurs et possibilités de combiner ceux-ci).

I.7- Les étapes, stades, séquences et épisodes du changement

Les analyses qui se sont intéressées aux étapes, stades et épisodes du changement

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Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

relèvent généralement d’une conception déterministe de la vie des organisations. Deux

grandes tendances traversent la réflexion concernant ceux-ci.

La première découle du courant du développement organisationnel. C’est ainsi, par

exemple, que Dussault (1993) récence plus d’une cinquantaine de modèles de

développement des entreprises5. Ces modèles présentent généralement trois à cinq stades

d’évolution qui peuvent ou non être marqués par des crises administratives ou

organisationnelles et focalisent soit sur les caractéristiques des entrepreneurs soit sur le rôle

des crises. Les recherches de Chandler (1972) de Rumelt (1974) et d’Ansoff (1968) sur

l’articulation des changements de stratégies et des changements de structure peuvent être

rattachées à ce premier courant de réflexion. Ces modèles présentent plusieurs

inconvénients que nous résumons dans le tableau suivant :

confusion entre l’évolution des organisations et celle des êtres humains voire même celle des produits; linéarité des modèles: le développement d’une entreprise ne correspond pas toujours à une progressioncontinue; absence d’informations concernant la période de transition entre les stades; faible vérification empirique des modèles; non réalisme de certains modèles; absence de consensus sur les caractéristiques et le nombre de stades de développement: certainsconsidèrent la croissance comme un stade à part entière, d’autres la considèrent comme le passage d’unstade à l’autre, de même on trouve des modèles à trois, quatre, cinq voir même dix stades (même si lamajorité présentent entre trois et cinq stades); la nature et l’étendue descriptives des stades varient d’un modèle à l’autre; manque d’homogénéité et d’universalité entre les modèles; certains modèles ignorent certains stades; peu de modèles qui parlent de la phase de pré-démarrage; toutes les entreprises ne passent pas nécessairement par tous les stades et dans l’ordre défini; absence de consensus sur les variables qui reflètent le développement d’une entreprise (chiffre d’affaire,taille, effectif, complexité des agencements, Etc.); difficulté de mettre en évidence les seuils critiques de passage d’une étape à l’autre; les modèles proposés sont souvent le résultat d’une analyse rétrospective de l’évolution: le passé nedétermine pas toujours le future (sauf à céder à une forme d’évolutionnisme); toutes les entreprises ne rencontrent pas toutes les crises de façon successive et ordonnée. Celles-cipeuvent être évitées, combinées, répétées, Etc.

Le deuxième courant s’intéresse aux processus concrets du changement au sein des

organisations et des populations. Le modèle le plus récurrent est celui de la variation,

sélection, rétention ou de la cristallisation, decristallisation, recristallisation ( ).

Certains auteurs ont tenté d’amender ce schéma en proposant d’autres formes de séquences.

C’est ainsi que le modèle de Weick (1979) se présente de la façon suivante (Stacey, 1993):

5Parmi les modèles les plus connus citons ceux des théoriciens du cycle de vie de l’organisation et celui de Greiner (1972)

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Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

changement écologique + mise en scène + sélection + rétention

(+, - ) + (+, - )

- le changement écologique: concerne le changement dans les marchés ou dans

l’environnement général;

- La mise en scène des actions des individus de l’organisation6: les acteurs de

l’organisation se basent sur leur perception de l’environnement et peuvent influencer les

caractéristiques de celui-ci. L’organisation «invente» un environnement et le met en oeuvre.

La réalité à laquelle l’organisation répond est socialement construite.

- La rétention: concerne la mémoire partagée par les acteurs de l’organisation

permettant d’entamer ou de freiner une action. La rétention et la mémoire de l’organisation

seraient les équivalents de la culture de celle-ci;

- la sélection: concerne le processus par lequel les acteurs se concentrent

uniquement sur certaines significations ou certaines perceptions de leurs propres actions

ainsi que des actions des autres intervenants. Les prophéties auto-réalisatrices peuvent se

manifester par des cercles vertueux ou vicieux. Les managers s’engagent dans certaines

actions, constatent le résultat de leurs actions , comprennent ce qu’ils ont fait et s’engagent

dans d’autres activités en réponse à ces compréhensions et ces représentations. Les acteurs

créeraient donc une signification pour ce qu’ils fonts de façon rétrospective.

Pour sa part, Vandangeon-Derumez (1998) considère que le changement prescrit

est caractérisé par le fait que la «rétention», résultant de la mise en oeuvre du projet de

changement est suivie d’une activité de «sélection» afin de ne pas perdre le cadre de

cohérence initial. Ce n’est que par la suite que la «variation» vient relancer une dynamique

plus autonome permettant d’éviter de conduire l’organisation vers un nouvel état d’inertie

relative. Dans un processus de changement «construit», l’activité de «variation», résultant

de la mise en oeuvre du projet de changement, est suivie d’une activité de «sélection».

Celle-ci permet de formaliser la nouvelle vision et de capitaliser les expériences vécues

(activité de «rétention»).

Vandangeon-Derumez (1998) présente trois phases de changement:

Phase Activités. Dimensions. Dimensions.Identification d’un stimulus opportunité problème.

6Le terme mise en scène est utilisé à la place de celui d’action pour indiquer que les personnes dansl’organisation ne font pas qu’anticiper, réagir ou s’adapter à ce que les acteurs de l’environnent fontobjectivement.

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Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

Recherche d’information. étude prospective. audit.Maturation Sensibilisation à l’idée du

changement.annonce. implication

Mise en mouvement del’organisation.

contrôlée. non contrôlée.

Définition des grands axesdu changement.

vision/cadreorganisationnel.

démarche.

Finalisation du projet dechangement.

projet formalisé. projet peu formalisé.

Communication du projetde changement.

annonce interaction

Mise en oeuvre du projet brutale progressiveGénération de nouvellesidées.

induite autonomie

Développementd’initiatives.

par la hiérarchie par la base

Déracinement Evaluation/sélection. cadrée non-cadréeSuivi de la mise en oeuvre. hiérarchique interhiérarchiqueFormation. axée sur les outils axées sur la réflexionAccompagnement duchangement.

ponctuel structurel

Evaluation-bilan desactions engagées

directive interactive

Mise en cohérence desactivités.

de foisonnement. d’accompagnement

Enracinement Correction des actionsengagées.

réorientation. ajustement

Changement durable. implantation d’un cadre detravail stable

formalisation dela vision

Les recherches devraient donc porter davantage sur les caractéristiques des

différentes phases mais également sur l’articulation de ces phases et de ces étapes : y a t il

un ordre dominant ou une séquence idéale de changement? La réussite d’un projet de

changement dépend-elle de la réussite de l’ensemble des étapes? Etc.

I.8- Les finalités/fonctions du changement:

Plusieurs approches considèrent le changement comme l’une des missions des

dirigeants. Le dirigeant performant serait celui qui serait capable de changer les choses dans

le «bon sens». Le changement serait donc une manifestation de compétence et de pouvoir.

Cette conception est la plus dominante et sert notamment à convaincre les dirigeants actuels

et futurs (encours de formation) de l’utilité de la réflexion sur le changement

organisationnel.

Deux courants traversent la littérature: soit le changement est conçu de façon

technocratique afin d’améliorer ou de (ré) former un système donné; soit ce changement est

abordé à partir d’une approche politique et critique dont la finalité consiste moins à

réformer le système pris en compte qu’à le changer de façon plus ou moins radicale.

La conception technocratique et fonctionnaliste du changement considère celui-ci

comme étant un processus de construction d’une certaine cohérence organisationnelle

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Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

(interne ou externe, intrinsèque ou extrinsèque) ou, alternativement, comme étant lui-même

le produit de la dynamique de la cohérence organisationnelle. Dans le premier cas, on se

concentre sur la notion de convergence, dans le deuxième, la notion mise en avant est celle

de co-évolution.

Pour sa part, la conception politique du changement fait appel à la sociologie des

conflits et à différentes formes d’interactionnisme. Elle considère que la littérature

managériale est non seulement non-critique (ou a-critique) mais encore anti-critique. Cette

conception politique ou critique du changement vise l’émancipation, l’autonomie et la

responsabilisation des individus. Les valeurs et le sens, généralement présentés comme pré-

requis ou résultats d’un bon changement, ne seraient que des transfigurations et des voiles

jetés sur des rapports de pouvoir et de force. Le changement serait à la fois la preuve et le

résultat d’une domination que la littérature managériale (notamment celle portant sur le

changement) ne fait que conforter et occulter.

II. L’ORGANISATION DU CHANGEMENT

L’organisation et la gestion du changement sont intimement liées aux différentes

conceptions de celui-ci. Toute action organisée présuppose une dialogique du changement

et de l’organisation.

Organisation Changement

Figure 1: dialogique organisation/ changement

Il s’agit ici de relever certains des thèmes fondamentaux concernant la gestion du

changement. Schématiquement, la littérature relevant de ce volet part d’un a priori

volontariste et est le plus souvent prescriptive. Des versions plus ou mois contextualités et

relativisées du « one best way » continuent à alimenter une littérature fort abondante qu’il

serait difficile de synthétiser. Notons néanmoins, qu’une grande partie de cette littérature

considère que le « non changement », le refus, ou la résistance au changement constituent

une sorte d’anomalie, un danger, une faiblesse ou, dans d’autres cas, et faute de mieux, un

refuge provisoire, un stade que le leader est supposé remettre en cause.

Pour Bayard et Delobel (1997), la gestion du changement peut focaliser soit sur la

tâche ou la mission, soit sur les individus et les facteurs humains:

Priorité à la mission, l’institution du point de vuedes dirigeants

Priorité donnée à la situation humaine et sociale

12

Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

Conception cybernétique de la transformationorganisationnelle: changement de l’organisation.Prééminence idéologique des objectifs del’organisation, le but est de maintenir un systèmede pouvoirs et les bases de la hiérarchie, latransformation est décidée, planifiée, l’individu estappelé à s’adapter aux situations nouvelles, lesconséquences humaines et sociales sont des outputnon désirés du processus d’innovation.

Conception auto-organisée du changement:changement organisationnel.Prééminence idéologique est donnée auxconsidérations humaines et sociales, le but estd‘accepter une remise en cause éventuelle des rôleset des statuts, de reconsidérer les structureshiérarchiques, la négociation est essentielle, lemanagement est centré sur les buts et attentes desacteurs concernés par la transformation

Deux approches des organisations et du changement (Bayard et Delobel, 1997)

La littérature concernant cette organisation du changement nous semble comporter

cinq thèmes récurrents: l’apprentissage et le désapprentissage du changement, les routines

organisationnelles; les résistances au changement et l’inertie; les outils du changement et,

enfin, la recherche-action.

II.1- L’apprentissage et le désapprentissage du changement

Ce thème recouvre le management des connaissances et des contextes de

l’innovation au sein des organisations. Plusieurs questions pourraient être développées afin

de mieux comprendre ces phénomènes:

- peut-on et comment gérer l’apprentissage? Comment articuler apprentissage et

désapprentissage?

- comment articuler innovation et apprentissage, exploration et exploitation? Quels

sont les mécanismes et les étapes de l’apprentissage?

- comment combiner apprentissage individuel et apprentissage collectif? Comment

se combinent ou s’affrontent différents apprentissages à différents niveaux d’une

organisation?

II.2- les routines organisationnelles

Celles-ci sont pensées au niveau organisationnel mais également au niveau

individuel (modèles mentaux et discursifs). Les routines permettent d’accélérer certains

processus (notamment de remémoration), de se spécialiser dans certaines activités, de

sécuriser (par les certitudes qu’elles apportent) et/ou de coordonner les actions. Il n’en

demeure pas moins que cette unité de base de l’activité organisationnelle reste souvent

méconnue:

- quelles distinctions peut-on faire entre routinisation, programmation et

spécialisation?

- comment combiner routinisation et innovation?

- quels sont les avantages et les inconvénients du recours à des routines? A partir

13

Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

de quel moment peut-on affirmer qu’une routine est devenue dysfonctionnelle?

- quels relations doit-on établir entre routinisation des actions, des représentations

et des rationalisations?

- comment l’acteur s’approprie-t-il les routines et qu’elle est sa marge de liberté

par rapport à celles-ci?

- comment articuler routines au niveau individuel et routines au niveau

organisationnel?

II.3- les résistances au changement et l’inertie organisationnelle

Ces deux derniers points peuvent être abordés à trois niveaux: les causes des

résistances ou de l’inertie, les conséquences de celles-ci et les solutions ou « remèdes »

proposés.

La résistance au changement peut être plus ou moins active et plus ou moins

consciente. Elle peut avoir pour origine des contraintes structurelles trop fortes ou

paradoxales; une incompréhension de la part des acteurs d’injonctions ambiguës,

ambivalentes ou incertaines; d’un sentiment d’injustice face aux changements imposés et/ou

d’un manque de motivation des acteurs à supposer que ces acteurs soient conscients du

besoin de changement. Ceux-ci compareraient alors le coût du statu quo au coût du

changement et peuvent ou non décider d’adhérer à celui-ci en fonction de leur estimation de

ces mêmes coûts pour les autres groupes de l’entreprise.

Carnal (1990) affirme que, face à un changement, il y a généralement

déclenchement d’un processus en cinq étapes:

- étape 1: on renie l’importance, l’utilité ou la pertinence du changement;

- étape 2: l’individu essaye de défendre son territoire;

- étape 3: on écarte la vision passée et on commence à voir que le changement est

à la fois inévitable et/ou nécessaire;

- étape 4: on essaye de s’adapter au changement;

- étape 5: on internalise le changement.

L’élaboration d’un système d’information performant, l’écoute et la communication

permettraient d’accélérer ce processus. De même, la tolérance à l’ambiguïté par les acteurs

permettrait de mettre en place des systèmes organisationnels plus flexibles et plus flous

(Airaudi, 1998; Perret, 1998) permettant d’articuler la structure fonctionnelle du système

14

Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

avec sa structure profonde (Gersick, 1991). C’est cette structure profonde qui fixe des

frontières durables pour la rationalité, les représentations et les significations (Bonami et al,

1993).

Alors que la résistance aux changements relève du niveau de l’acteur ou du niveau

du groupe, l’inertie concerne le niveau de l’entreprise. Plusieurs contraintes pèsent sur

l’adaptation organisationnelle (Haveman, 1992; Desreumaux, 1994):

15

Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

Contraintes «internes» Contraintes «externes»- investissements dans des immobilisations, équipements etpersonnel spécialisé; investissements et coûts enfouis sousforme d’investissements initiaux de toute nature (affectifs ouéconomiques),- limites des informations internes reçues par les décideurs;information traitée par la structure interne et tendance dusystème d’information à perpétuer les mêmes représentationsde la réalité: n’étant pas informé sur son manqued’information, l’ignorance s’ignore elle-même etl’organisation en vient, sans s’en douter, à se couper de saréalité,- contraintes politiques internes en faveur des intérêtsinvestis;- l’histoire organisationnelle qui justifie les actions passées etempêche de considérer des alternatives- résistances au changement et aux réallocations desressources- coûts du changement de procédures,- institutionnalisation des buts (afin de répondre aux besoinsde fiabilité et de prévisibilité des différents groupesd’intérêts),- forte interdépendance et complémentarité entre lescomposantes d’une organisation, (un changement touchant àquelques éléments risque de provoquer une absence decohérence d’autant plus coûteuses, qu’il est difficile dedéterminer avec certitude quelle partie ou processus sontresponsables du succès ou de l’échec de l’organisation.)- existence de ressources en réserve (slack-resources)(permettant de différer le changement),- planification ou programmation trop rigide des opérations(souci élevé de rationalisation domination d’un groupe chargéde la planification),

- barrières légales, fiscales etéconomiques à l’entrée dans denouvelles aires d’activité;- contraintes sur l’information externerecueillie par les décideurs;- considérations de légitimité;- problème de la rationalité collective etde l’équilibre général- fragmentation de la coalition politiqueet de ses objectifs,- neutralisation mutuelle des différentsgroupes d’intérêts,- domination d’un groupe qui n’a pasintérêt à ce que les choses changent,- état du marché et des barrières auxredéploiements,- barrières à l’entrée ou à la sortie,- contraintes de légitimité oud’institutionnalisation quel’environnement impose; - sélection environnementale favorisantles entreprises capables de se stabiliser etde routiniser leurs actions,- accords et engagements pris et que l’onne peut remettre en cause; Etc.

L’inertie a été analysée en termes d’interactions entre des variables

organisationnelles (Miller, 1990, Labourdette, 1992), de systèmes sous ou sur-organisés

(Harlé et Jouanneault, 1983), de degré de couplage entre groupes (Weick, 1979) et de

cercles vicieux bureaucratiques (Crozier et Friedberg, 1977). Ces analyses ont montré que

l’inertie peut avoir un rôle fonctionnel, qu’elle peut dans certains cas être utile et qu’il s’agit

le plus souvent d’un problème de changement du changement (changement à boucle double)

et non de changement à boucle simple.

II.5- les outils de mise en oeuvre du changement

Il s’agit des outils susceptibles de gérer aussi bien les apprentissages, les routines,

les résistances que l’inertie.

Plusieurs techniques et modes se sont développées autour de l’objectif d’une

gestion efficace du changement. Souvent inspirées du management japonais, ces techniques

constituent ce que l’on pourrait appeler la famille des « ing »: reingeneering, benchmarking,

coaching, downsizing, Etc.

16

Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

Afin que ces outils ne se réduisent pas à un ensemble de recettes éludant ou

étouffant toute forme de conflit ou prétendant le canaliser en tant que source d’«énergie

positive», il faudrait éviter de les considérer comme des systèmes fermés, indépendants de

l’organisation. Il y aurait en effet une co-construction de l’organisation et des outils (David,

1998). Cette dialectique organisation-outils conduit à des exigences paradoxales puisque les

quatre éléments déjà cités (apprentissage, routines, résistance, inertie) peuvent se renforcer

mutuellement ou être indépendants les uns des autres et que, faute d’une progression

linéaire, on est souvent obligé d’avoir recours et des grilles de lectures privilégiant le

fonctionnement spiralé et dialectisé.

II.6- la recherche-action

Le dernier thème générique relevant de la gestion du changement, pose de façon

beaucoup plus directe la question de l’implication du chercheur dans cette gestion.

Il s’agit ici des différentes formes de recherche action qui relève chacune d’une

conception différente de la réalité organisationnelle et sociale et de la relation que le

chercheur peut et doit avoir ou construire avec son terrain.

Quatre types de recherche-action peuvent être proposés : la recherche

expérimentale, diagnostic, critique et appréciative.

17

Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

Expérimentale Diagnostic Critique AppréciativeInspiration Positivisme Interactionnisme Théorie critique7 ConstructivismeNature de laréalité

Donnéedécomposable,répétitive

Construite, par lesacteurs, systémiqueet ouverte auchangement

Expression d’unestructuresociopolitiquealiénante

Construite,imaginée

Problème Défini a priori Défini en situationdans l’interaction estune co-élaboration ducollectif de recherche

Défini en situationcomme l’expression demécanismesfondamentaux dont lesagents ne sont pas toutà fait conscients

Non défini,seules les« images » fortesou positives sontrecherchées

Contexte del’intervention

Contrôlé par lechercheur,artificiel

La situation naturelleredéfinie dansl’interaction.Contexte en partienégocié au sein ducollectif de recherche

La société. Larecherche est exposéeaux déterminationssociales

Contrôle, lelangage, lesimages du groupe

Rapport duchercheur à sonobjet

Extériorité,séparation(positivisme)

Interactiondynamique entresavoirs et pratiques

Solidarité duchercheur et de son« terrain » (co-déterminationstructurelle, objectif derompre ensembled’avec le réseauidéologique aliénant)

Interactiondynamique,optimiste

Démarcheépistémologique

Traduction d’unethéorie en undispositif adéquatpermettant detester la théorie dedépart

Elaboration spiraléede la théorie et descontenus empiriques

Dévoilement Elaborationspiralée sélective

Visée théorique Développement,mise à l’épreuve

Génération, mise àl’épreuve

Développement,illustration

Progrès desreprésentations

Type deconnaissance

Explicative,prédictive

Explicative,prédictive

Interprétative,émancipatrice

Interprétative,sélective,manipulatrice

Modèle Newton Darwin Freud Watzlawick

Typologie des recherches-action (à partir de Koenig, 1998)

La recherche-action appréciative constitue une tentative de manager la culture du

et pour le changement. Elle repose sur l’hypothèse que c’est en changeant les images, les

représentations et les discours que l’on change la réalité. Le rôle du chercheur consisterait

alors à « fouiller », à mettre en avant et à dégager les images et les discours « positifs », qui

vont dans le « bon sens », dans la direction du changement prôné (Bushe, 1998). On met en

avant les meilleurs intentions des individus et leurs aspirations les plus nobles tout en

laissant de coté voire en occultant les éléments « négatifs ». La mission du chercheur

consistera alors à créer une situations ou les acteurs partageront les mêmes « rêves » à

partir d’images significatives et fortes. Les prophéties auto-réalisatrices permettent de

7La théorie critique se caractérise par une épistémologie qui dialectise le rapport entre théorie et pratique par une visée révolutionnaire.

18

Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

penser qu’il est possible de créer un changement en accordant plus d’attention à ce que l’on

préfère plutôt qu’en accordant de l’attention aux problèmes et aux difficultés.

L’amplification par le chercheur de ces points positifs passe par le dialogue optimiste.

III. LES DIMENSIONS STRUCTURANTES DES ANALYSES DU CHANGEMENT

ORGANISATIONNEL

Les analyses descriptives et typologiques du changement de et dans les

organisations ainsi que celles normatives de l’organisation et de la gestion des changements

nous semblent être structurées par certaines dualités fondamentales: volontarisme /

déterminisme; changement construit / prescrit; changement simple / complexe.

III.1- Le débat volontarisme/ déterminisme

Ce débat structure une grande partie des recherches en théorie des organisations

(Astley et Van de ven, 1983; Mbengué, 1998; Guilhon, 1998). Alors que certains

considèrent que le volontarisme et le déterminisme s’opposent, sont mutuellement exclusifs

et prennent partie plus ou moins ouvertement pour l’une de ces conceptions de l’action des

organisations (Astley et Van de ven, 1983), d’autres auteurs sont plus nuancés et relativisent

la ligne de démarcation entre volontarisme et déterminisme. C’est ainsi, par exemple, que

selon Hrebiniack et Joyce (1985) ces deux conceptions de l’action ne constituent pas deux

alternatives contradictoires, mais deux dimensions indépendantes qui peuvent donc se

combiner et se superposer. Pour leur part, Quinn et Cameron (1988) considèrent que le

déterminisme et le volontarisme dépendent eux-mêmes de différentes contingences (exemple

de l’étape du cycle de vie de l’entreprise). De même, en affirmant affirme que c’est

l’entreprise qui enacte sont environnement, Weick (1979) renvoi aux co-déterminations, co-

évolutions et co-naissances d’une organisation caractérisée par un « volontarisme

déterminé » ou encore un « déterminisme volontaire ». Enfin, Perret et Ramantsoa (1996)

présentent un modèle de « démarcation/appui » qui met l’accent sur la nature duale du

changement. L’idée principale est que si le changement ne se décrète pas, le décret reste une

dimension essentielle de celui-ci (Dion, 1994).

La combinaison du volontarisme et du déterminisme relève soit de la complexité

des micro-interactions qui se cristallisent en des orientations relativement nettes à un niveau

plus général, soit de la logique politique, voire même politicienne du recours à la

justification et de la recherche de l’alibi. Le choix ou la détermination (environnementale)

relèveraient alors du pouvoir et du jeu des démonstrations de forces et/ou de faiblesses.

Dans le premier cas de figure, il s’agirait de (dé)montrer sa capacité (et son pouvoir) à

19

Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

imposer sa propre volonté. L’acteur (le dirigeant) serait alors le héros du changement. Dans

le deuxième cas de figure, le déterminisme permettrait d’invoquer son impuissance afin de

justifier des actions contestées. Ainsi, au-delà de l’affirmation que l’environnement est une

construction d’acteurs, il s’agira de montrer que tous les acteurs ne disposent pas des

mêmes ressources pour construire celui-ci et, surtout, qu’ils ne disposent pas des mêmes

ressources pour imposer leurs propres constructions. L’impuissance et le déterminisme

seraient donc l’un des registres discursifs stratégiques des puissants, de ceux dont la volonté

s’impose aux autres et qui monopolisent alors les débats autour du volontarisme et du

déterminisme.

III.2- Changement prescrit / construit

Les recherches positivistes et structuro-fonctionnalistes s’attachent à analyser un

changement prescrit existant en tant qu’objet de recherche concret, indépendant et

décomposable. Ces recherches postulent qu’il est possible d’avoir une vision claire de

l’avenir de l’organisation, qu’il suffit de mettre en oeuvre une certaine rationalité (limitée,

procédurale ou substantive) afin de minimiser les incertitudes et, dans le meilleur des cas,

d’aboutir à une certaine planification (et « applanification ») de l’avenir de l’entreprise. Ce

changement prescrit peut être soit volontariste (on met alors l’accent sur la main visible du

dirigeant), soit imposé par une main invisible, une force transcendante pouvant être

l’expression de contraintes concurrentielles ou de déterminations propres à l’entreprise lui

imposant des « lois », « un destin » du changement. Deux dérives véhiculant une conception

organiciste et déterministe de l’organisation menacent cette approche du changement:

l’évolutionnisme et l’historicisme.

L’évolutionnisme s’inspire de la biologie et met l’accent sur des états et des étapes

irréversibles par lesquels les organisations passeraient.

Pour sa part, l’historicisme recherche des lois universelles du changement

permettant ainsi la prévision.

Ces déterminismes considèrent que l’histoire a une logique immanente qui

détermine la trajectoire et le résultat du développement social.

Pour sa part, le changement construit relève des conceptions constructivistes des

organisations. La littérature comporte trois variantes de ce constructivisme.

- Un constructivisme que l’on pourrait qualifier d’interactionniste révélant

et relevant des interactions entre acteurs et entre acteurs et structures (il s’agit alors

20

Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

d’un constructivisme structurationniste au sens de Piaget).

Contrairement à la conception du changement prescrit, ces acteurs n’ont pas

une vision claire de l’avenir et mettent en oeuvre des interactions caractérisées par le

flou et l’ambiguïté. Ceux-ci permettent de maintenir des zones potentielles de liberté et

de pouvoir. Les modes de structurations des champs d’action et de connaissance des

acteurs permettent la co-construction et la co-diffusion du changement;

- Un constructivisme que l’on pourrait qualifier d’interprétatif ou de

cognitif mettant en action les effets des positions et des prédispositions des acteurs

(Friedberg, 1993) mais, également, des chercheurs qui construisent le changement à

partir de processus cognitifs plus ou moins conscients et aboutissent à une co-naissance

de celui-ci et du savoir y affairant. L’« invention de la réalité » passe alors par des

processus de « simplification », « remplissage » (maquillage) et « interaction » (Reger et

Huff, 1993);

- Un constructivisme que l’on pourrait qualifier de discursif et qui met

l’accent sur le rôle des conversations, des récits et de la communication dans la

construction de la réalité organisationnelle. Le changement résulterait des liens qui

s’établissent entre différents discours et différents jeux de langage en changeant ce qui

est en train être décrit (Ford, 1998). La description n’est plus qu’une simple

transcription, elle est également création. L’ordre (et le désordre) de la rationalisation

prend alors le pas sur celui de la rationalité et la structure du réel se dédouble d’une

« toile », d’un réseau de conversations. Il devient alors important de relever les modes

de construction des discours, les « routines narratives » (Christian et Boudes, 1998) et

les structures des récits fondateurs de la communication et de réfléchir ainsi à nos

propres modes de construction du réel. C’est un peut cette stratégie qui sera mise en

œuvre dans les recherches sur la différance derridiènne relevant du courant post-

moderne de déconstruction des récits. La dialogique au sens de Bakhtine et la théorie de

l’agir communicationnel de Habermas constituent les oeuvres majeures de ce

constructivisme discursif plus ou moins critique.

Signalons, enfin, que la construction du changement présuppose une

participation plus ou moins ouverte et plus ou moins volontaire des acteurs. Il s’agirait

alors d’analyser les conditions concrètes, les contraintes et les limites de cette

participation.

21

Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

III.3- Changement simple / complexe

C’est par leur conception de l’unité et du changement que les théories de la

complexité diffèrent des théories plus classiques de l’écologie des organisations ou des

théories de la contingence.

Adaptation par «choix» Adaptation par sélectioncompétitive

Approche alternative

liens de cause à effet clairs etdistincts ; prévisibilité.( variables, construits,participants, etc.; identifiablesmême si c’est partiellement ).

liens de cause à effet clairs etdistincts . prévisibilité.( variables, construits,participants, etc.; identifiablesmais de façon partielle).

liens de cause à effet circulaires, ettrop nombreux menant à des résultatsimprévus.

les résultats à long terme sontvoulus par la coalitiondominante.

les résultats à long terme sontdéterminés par sélectioncompétitive: parl’environnement et l’inertie del’organisation.

les résultats à long terme émergent àla fois de l’auto-organisationspontanée et de la sélectioncompétitive: partiellementémergeants et partiellementintentionnels.

les organisations cherchentintentionnellement unéquilibre adaptatif, unprocessus transformationnel.

les organisations sontsélectionnées selon des critèresd’adaptation équilibrée;processus évolutionnaire.

les organisations sont des systèmesnon équilibrés avec des dynamiquesdésordonnées

le désordre vient del’extérieur.

le désordre vient de l’extérieur. le désordre n’est pas simplement lerésultat de l’inertie, del’incompétence ou de l’ignorancemais est une propriété vitale etfondamentale des systèmes créatif.

feed-back négatif quigouverne le système(l’organisation individuelle).

feed-back négatif guide lesystème (les populationsd’organisations).

systèmes non linéaires complexesayant des feed-back négatifs etpositifs; auto-organisation spontanéeet destruction créative.

Tableau : Le problème de l’adaptation dans les théories «classiques » et dans les théories dela complexité (Stacey, 1995).

Les théories de la complexité reposent sur un certain nombre de principes dont,

notamment (Morin, 1991):

- le principe dialogique: toute unité est constituée de dualités, de termes à la fois

complémentaires et opposés (l’ordre et le désordre, la vie et la mort, la différenciation et

l’intégration, etc.).

- le principe de récusions organisationnelles ou d’auto-organisation: l’effet produit

sa cause. Il s’agit d’une boucle de feed-back généralisée et qui aboutit à une causalité

complexe où c’est moins la direction de la causalité qui compte que l’auto-organisation de

l’unité duale (l’acteur produit le système qui l’a produit, la règle produit le comportement

qui l’a reproduit, l’idée produit l’action qui l’a produit, etc.).

- le principe « hologrammatique »: les parties sont dans le tout et vice versa. La

totalité et les parties ne peuvent se concevoir indépendamment (la cellule compose

l’individu mais l’individu se retrouve dans la cellule; l’individu est une partie de

22

Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

l’organisation mais l’organisation est une partie de l’individu; l’organisation est une partie

de la société mais la société est dans l’organisation, etc.).

IV. LES ANALYSES DU CHANGEMENT ORGANISATIONNEL: QUELQUES

DIFFICULTÉS MÉTHODOLOGIQUES

Les analyses du changement organisationnel font face à un certain nombre de

difficultés méthodologiques dont, notamment, celles qui concernent la construction de

l’objet de recherche et les interactions chercheurs/acteurs; les approches diachroniques ou

synchroniques que les chercheurs devraient privilégier et, enfin, la difficulté de prise en

compte de la temporalité du changement ou encore ce que nous allons qualifier de « la

recherche du temps vécu ».

IV.1- La construction de l’«objet» de recherche

Cette construction passe le plus souvent par une hypothèse plus ou moins

implicite: «toute chose est égale par ailleurs». En effet, c’est au prix de ce reniement du

changement que le chercheur peut mobiliser des méthodes autour d’un ou de plusieurs

objets afin d’espérer aboutir à des conclusions relativement stables et contextualisées.

La construction de l’objet de recherche fait face à plusieurs difficultés dont

notamment:

les changements que celui-ci subit;

la pureté des classifications et des distinctions;

le degré de distanciation de l’analyse et l’articulation des niveaux d’analyse (local/global,particulier/général, etc.);

l’impact de l’échelle du temps et de la granularité sur la perception des discontinuités;

les différences de sensibilité à l’écoulement du temps des différents éléments intégrés dans les analyses(il faudrait comparer du processus ou des variables dont les sensibilités seraient proches);

les boucles de feed-back et les décalages entre actions et réactions;

le compromis entre généralité, simplicité et précision (Weick, 1979)

l’accès aux entreprises en cas de crise (c’est en ces périodes que l’étude du changement serait la pluspertinente);

le décalage entre actions et discours et, plus fondamentalement, entre intentions, motivations, actions (intentionnelles ou non intentionnelles), les rationalisations de l’action, les conséquences intentionnelles ou non de celles-ci et les rationalisations de ces conséquences par les acteurs (Giddens, 1987).

IV.2 – Approches diachroniques ou synchroniques

Dans le domaine des méthodes, tout comme dans celui des théories, il n’y a pas de

« one best way »: toute recherche est, d’une façon ou d’une autre, et plus ou moins

23

Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

manifestement, « opportuniste » et « éclectique ». La préférence pour les méthodes

qualitatives ou quantitatives, diachroniques ou synchroniques ne peut donc être absolue.

Synchronie Diachronie- favorise une conception cohérente et stable del’organisation;- certaines variables peuvent être considérées commeplus ou moins stables à court terme (routinisées);- identifier s’il y a eu des changements;- identifier le moment du changement (lorsqu’il y adysfonctionnement);- identifier la direction du changement (évolutionvers l’équilibre);- favorisée par les conceptions fonctionnalistes etstructuralistes des organisations.

- favorise une vision hétérogène et permet de saisirles ambivalences et paradoxes;- vocation dynamique et généalogique;- identifier les variables les plus importantes;- risque élevé de prophéties auto-réalisatrices;- comprendre comment les changements ont lieu;- temps construit par le chercheur et dépendant duprotocole de recherche plutôt que temporalité propreà l’entreprise;- favorisée par les conceptions dialectiques,historiques et interprétatives des organisations.

Le choix d’une approche dépend du problème posé, du niveau de la recherche, du

contexte, des moyens et des finalités de celle-ci, etc.

Selon Tort (1989) il y aurait même une alternance entre périodes ou dominerait

l’interprétation systématique (synchronique) et périodes ou dominerait l’interprétation

généalogique (diachronique).

Pour Granger (1960) la science est dans un premier temps naïvement diachronique,

elle décrit et explique les phénomènes comme déroulements temporels. Dans un second

moment, elle passe à la description synchronique purement et simplement statique: la

science se débarrasse de l’élément idéologique inhérent à toute vision historique mais elle

rejette en même temps ce par quoi le fait humain peut faire l’objet d’une praxis rationnelle.

Le troisième et dernier moment consiste en un retour à la diachronie par le biais d’une

élaboration difficile de concepts statiques antérieurement développés. La visée scientifique

fondamentale de l’explication par des modèles est alors conservée. Si l’on peut penser que

les sciences des organisations ont dépassé le premier stade, il nous semble qu’elles ne sont

pas encore tout à fait à celui troisième.

IV.3 – La recherche du «temps vécu»

Si les savoirs prétendument universels et transversaux ont comme logique

d’essayer d’éliminer ou du moins de maîtriser le temps, les savoirs plus modestement relatifs

construisent une temporalité artificielle limitée tant par la précarité des phénomènes, de la

mémoire et de la cognition, que par les possibilités restreintes d’accéder au « réel » ou de

construire celui-ci. Le temps n’est pas une variable neutre. Au-delà du fait qu’il soit un

construit social, il s’agit d’un enjeu. La connaissance, l’action, l’organisation et la stratégie

sont des tentatives de maîtriser le temps, d’imposer sa propre temporalité ou d’installer un

« présent permanent » (Borella, 1990). Le dirigeant est celui qui « synchronise les

24

Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

différentes pendules » et fait passer de la chronométrie à la chronologie en fixant des bornes

et des repères qui font que l’histoire soit autre chose qu’un cafouillage, un véritable récit à

épisodes. C’est ainsi, par exemple, que Mintzberg (1987) affirme que la stratégie consiste en

une tentative de gérer la stabilité et non pas le changement.

Le temps, ressource rare dans toute organisation « bien » gérée, acheté ou vendu,

investi ou perdu, reste absent de la plupart des recherches sur le changement. Le temps

implique et comporte, bien évidemment, une dimension financière. Celle-ci est d’autant plus

difficile à évaluer que le temps est également un élément de renforcement du sentiment

d’appartenance et qu’il est indissociable du contrôle d’autrui (Busino, 1993). En effet, le

contrôle et le « quadrillage » disciplinaire de l’espace-temps constituent un des piliers de la

modernité bureaucratique. Ce quadrillage correspond à deux fonctions: en premier lieu il

permet d’éviter la formation de grands groupes qui pourraient favoriser le développement

d’une volonté indépendante ou d’une opposition; en second lieu, il permet de manipuler

directement les activités des personnes et ce faisant d’éviter l’imprécision et

l’indétermination qui accompagnent souvent des rencontres plus fortuites. Selon Foucault, il

se créerait alors un « espace analytique » dans lequel il serait possible de surveiller,

d’évaluer, de mesurer, de rationaliser les qualités des personnes qui s’y trouvent (Giddens,

1987).

Toute recherche se doit de faire face au problème de l’intégration du « temps

vécu » et d’échapper aux conceptions simplistes ou linéarisantes de celui-ci en réfléchissant

aux moyens de prendre en compte ses fonctions économiques, politiques, symboliques,

culturelles et psychologiques.

V. LES ANALYSES DU CHANGEMENT ORGANISATIONNEL: QUELQUES REPÈRES

ÉPISTÉMOLOGIQUES

On peut se demander si les théories du changement changent de façon récursive le

changement, si elles justifient le statu quo ou si elles n’ont aucun impact sur le cours réel

des choses.

Au-delà de la recherche d’une épistémologie autre que celle positiviste, le

problème du changement soulève des apories de fond: Comment penser le changement à

partir de notions ou de concepts dont la signification serait fixe ou stabilisée? Comment

penser l’être et le devenant? Comment comprendre ou maîtriser un changement lui-même en

perpétuel changement?

On se rend compte, en posant ces questions, que les analyses du changement

25

Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

concernent moins le mouvement, la dynamique et l’action que la volonté plus ou moins

explicite de stabiliser des représentations, des explications ou des compréhensions de tenter

de construire des « zones de certitude », des « îlots d’ordre ».

En fait, tout changement implique une relation à soi et à l’autre. Relation à soi qui

assure le maintien de ce qui change car s’il devenait radicalement différent, radicalement

autre, ce « soi » ne changerait plus (car il n’existerait plus). Relation à autre chose: le

changement serait donc un rapport à soi de ce qui change par rapport à tout ce qui ne

change pas.

En tant que tel, le changement est source d’anxiété et cela explique peut être le

besoin de penser celui-ci comme une étape entre deux états stables, un épisode enserré entre

un début et une fin.

C’est justement cette conception qui est la plus remise en cause par les approches

post modernes qui proposent de sortir des approches de l’être à celles du devenant.

Pour certains tenants de ce courant, notre vocabulaire, en dissociant les noms des

verbes, les états des actions, ne refléterait pas suffisamment les tensions et les dynamiques

du réel, on propose alors des notions tel que « organisaction », « observacteur »,

« réflaction » et « glocal » afin de mettre l’accent sur la complexité du réel et sur les

continuités, les tensions et les relations dialogiques qui unissent les couples et les pôles

permettant de l’analyser.

Une autre voie a explorer consisterait à repenser le rôle du chercheur.

Malheureusement le courant post-moderne risque de voiler une sorte de démission, un

scepticisme voire même le nihilisme. Au-delà de l’inertie des organisations, c’est le risque

d’une forme d’inertie des idées qui guette les recherches sur le changement.

La conception constructiviste du changement par le chercheur ou, du moins

l’observateur (qui est ainsi observacteur) permet d’envisager un nouveau rôle pour le

chercheur : celui de partenaire du changement. Pour sa part, la conception complexe nous

invite non seulement à relativiser les objets, phénomènes et concepts par rapport au temps

et à l’espace mais, également, à prendre ce temps et cet espace eux-mêmes comme des

concepts relatifs.

Rao et Pasmore (1989) (cités dans Thiétart et coll, 1999) montrent que les études

portant sur les organisations peuvent être conçues soit comme un savoir instrumental, un

outil et un moyen, soit comme un dialogue entre chercheurs (Kuhn, 1983). Les théories qui

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Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

se veulent opératoires confrontent donc la théorie aux faits et risquent alors de dévier vers

l’hyperempirisme, d’un autre côté, si on conçoit les études sur l’organisation comme des

dialogues entre chercheurs et que le progrès passe par la confrontation des théories issues

de ces études, on risque alors de considérer la connaissance comme le produit d’une

communauté d’interprétations et, tout en se dispersant entre des pôles divergents

d’interprétation, de privilégier la théorie au dépend de son aspect opératoire (Thiétart et

coll, 1999, p 27). En fait, ni la théorie ni la réalité n’existent en tant que tels, il n’y a que des

discours et des échos de discours qui se confrontent, s’opposent se complètent et « disent »

la théorie ou la pratique. Cela conduit à l’élaboration d’une méthodologie

configurationnelle. Le chercheur devient ici médiateur/animateur d’un débat entre tous ceux

qui sont susceptibles de « faire » la théorie. Il s’agit d’une méthodologie configurationnelle

ou en essaye de « prendre » « tout en en même temps », de confronter plusieurs discours et

présentations de la réalité. Cette « totalité » est à la fois qualitative et quantitative, elle

relève d’une phénoménologie de la connaissance plutôt que d’une conception analytique de

celle-ci. La méthodologie configurationnelle concerne la démarche, la dynamique de la

recherche plutôt qu’une état fini, une «totalité» figée.

experts/spécialistes

théorie et chercheurs chercheur acteurs/dirigeants

autres acteurs concernés par la question de recherche

La méthodologie configurationnelle.

Enfin, on peut s’interroger sur les modes même de connaissance du changement,

sur notre logique et notre façon d’accéder à la « vérité » de celui-ci.

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Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

Il s’agit ici de réfléchir à la logique et d’analyser en quoi une logique qui serait

Trialectique pourrait, en tant que logique des processus, compléter ou remplacer la

dialectique et la logique formelle qui seraient des logiques du temps ou de l’espace.

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Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

Logique formelle Dialectique Trialectique ComplexitéLoi de l’identité:une chose estidentique à elle-même (exemple: lesens d’uneproposition est lemême).

Loi du changement: lechangement quantitatifaboutit à unchangement qualitatif(exemple: la chenille setransforme en papillon,la société capitaliste setransforme en sociétésocialiste).

Loi de mutation: lechangement résulte deruptures, de « bonds »d’un état d’équilibre à unautre (exemple:l’apparition soudaine dela forme fractale;l’ébullition de l’eau).

Principe dialogique: touteunité est constituée dedualités, de termes à la foiscomplémentaires et opposés(l’ordre et le désordre, la vieet la mort, etc.).

Loi decontradiction: unechose ne peut êtrele contraire de cequ’elle est(exemple: deuxpropositionsopposées nepeuvent être enmême temps vraies)

Loi des opposés: leschoses changent parcequ’elles contiennent enelle-même lacontradiction. Lechangement résulte descontradictions et desconflits entre des forcesopposées.

Loi de circulation entredes pôles apparemmentopposés maiscomplémentaires. (Lacontradiction est uneapparence) (exemple: lejour et la nuit).

Principe de récusionsorganisationnelles, de feed-back généralisé ou d’auto-organisation: (l’effet produitsa cause) l’auto-organisationde l’unité duale est plusimportante que la directionde la causalité (l’acteurproduit le système qui l’aproduit).

Loi du tiers exclu:une chose ne peutavoir en mêmetemps deuxpropriétésexclusives(exemple: uneproposition estnécessairement soitvraie soit fausse).

Loi de la négation de lanégation: le nouveauimplique la destructionde l’ancien. Toute thèsesuscite une antithèse etde leur conflit varésulter quelque chosede nouveau: unesynthèse qui reprend lapart de vérité dans lathèse et dansl’antithèse.

Loi d’attractionascendante oudescendante. Lemouvement est dû àl’échange d’énergie entredifférents étatsd’équilibre. Une forceactive entre en actionparce qu’il y a une forceattractive qui l’appelle.(exemple: les germes quipoussent dans un effortd’atteindre la lumière dusoleil).

Principe« hologrammatique »: lesparties sont dans le tout etvice versa. (la cellulecompose l’individu maisl’individu se retrouve dansla cellule; l’individu est unepartie de l’organisation maisl’organisation est une partiede l’individu).

Logique del’espace, declassification,d’ordonnancement,d’hiérarchisations,d’analyse.

Logique du temps, de lanouveauté, de lacritique, du doute, de lacontradiction, del’exclusion, de la lutte,du progrès.

Logique des processus, del’inclusion, desinteractions, de lacoopération, de l’unité, dela totalité.

Logique du désordre, del’incertain, de l’ouverture,des formes de la destructioncréatrice, de l’irréversibilité.

Ces différentes logiques fondent différentes conceptions et approches du

changement organisationnel. Le trialectique et la complexité viennent formaliser une logique

qui nous semble sous-jacente au courant de la complexité et, d’une certaine façon à celui de

la postmodernité. Là aussi, le risque est d’aborder la « jungle » des relations de pouvoir

avec une théorie de la « bergerie ». Le raisonnement risque non de procéder en spirales mais

de s’enfermer en des raisonnements circulaires sans réelle substance. La remise en cause de

l’identité et de la causalité est, de fait, une remise en cause du sens de la causalité et risque

alors d’aboutir à une pure et simple perte du sens, du sens du changement.

CONCLUSION

Cette recherche avait pour but de proposer une typologie qui permette de

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Karim Ben Kahla, Les analyses du changement organisationnel.

synthétiser la littérature descriptive et normative concernant le changement des et dans les

organisations. Le premier volet (que nous avons appelé le changement de et dans les

organisations) ainsi que le second (qui portait sur la gestion du changement des

organisations) renvoient à des théories véhiculant des choix particuliers par rapport à

certaines questions de fond qui reviennent en filigrane de toutes les recherches : changement

volontaire et/ou déterminé, prescrit et/ou construit, simple et/ou complexe.

Nous avons complété cette revue de la littérature théorique par une discussion des

aspects méthodologiques et épistémologiques qui, au-delà des débats conceptuels, fondent

les recherches sur le changement organisationnel. Ceci nous a permis de relever la nécessité

de renoncer à rechercher des lois du développement ou du changement des organisations et

de se contenter de l’objectif d’élaborer des théories de moyenne portée. Par ailleurs, cette

première «concession» théorique est doublée d’une aporie qui, au-delà des logiques du

raisonnement et du changement que nous avons présentées, nous semble être

fondamentale : comment penser le changement à partir du changement et non à partir

d’éléments matériels et conceptuels en équilibre ?

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