les aménagements des bassins fluviaux africains : une
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Les aménagements des bassins fluviaux africains : une gestion partagée ?
Par Pierre Jacquemot
-Laconsommationmondialed’eauétaitquatrefoisinférieurepartêted’habitantily
a un demi-siècle à ce qu’elle est aujourd’hui. Elle augmente nettement plus vite que lapopulationpouraumoinstroisraisonsprincipales.D’abordl’agriculturereprésenteàelleseuleprèsde60%delaconsommationetelleestenprogrèsconstant,ycomprisdanslaplupartdespaysafricains.Ensuite, laconsommationindustriellenecessedecroîtreàunrythmeélevétantquelesdécouplageseauversusproductioneténergieversusproductionnesontinstaurés.Enfin, laconsommationhumaine(eaupotableetusagesanitaire)croîtpromptement, en particulier en ville, du fait de la demande pour une améliorationconstantedesconditionsd’existenceexpriméeparlespopulations.Ajoutonsàcesraisonsque, selon les projections du GIEC, à chaque degré de température supplémentaire,environ7%delapopulationmondialeperd20%desesressourceseneaurenouvelable.
Laconsommationmondialed’eauétaitquatrefoisinférieurepartêted’habitantilyaun demi-siècle à ce qu’elle est aujourd’hui. Elle augmente nettement plus vite que lapopulation pour aumoins trois raisons principales. D’abord l’agriculture représente à elleseuleprèsde60%de laconsommationetelleestenprogrèsconstant,ycomprisdans laplupart des pays africains. Ensuite, la consommation industrielle ne cesse de croître à unrythmeélevétantquelesdécouplageseauvsproductioneténergievsproductionnesontinstaurés. Enfin, la consommation humaine (eau potable et usage sanitaire) croîtpromptement,enparticulierenville,dufaitdelademandepouruneaméliorationconstantedesconditionsd’existenceexpriméepar lespopulations.Ajoutonsàcesraisonsque,selonlesprojectionsduGIEC,àchaquedegrédetempératuresupplémentaire,environ7%delapopulationmondialeperd20%desesressourceseneaurenouvelable.
Lesspécialistessontunanimesàs’accorderàdirequelapressionsurlesressourcesseraincomparablementsupérieuredans20ansàcequ’elleestactuellement.IlenseraainsienAfriquecommeailleurs.L’améliorationescomptéedesconditionsdeviedelapopulationducontinent, lesprogrèsdesÉtatspouratteindre lesObjectifsduDéveloppementdurable(ODD) qu’ils ont adoptés, la croissance des secteurs agricole et agroalimentaire et ledéveloppementmanufacturier,même lent, impliqueront, demanière incontournable, unehaussesignificativedelaconsommationd’eau,maisaussid’énergied’originehydraulique.
Ilestdoncdevenuurgentd’élaborerdesrégimesdegestiondurabledelaressourcedes 25 cours d’eau transfrontaliers que compte la région africaine. De quelle manière?Aprèsavoirprésentéquatrecasafricains,nousexamineronslesperspectivesd’évolutiondesmodesdegestionsousl’inspirationdel’approchecontemporaineparles«Communs».
Lesprincipesd’organisationdesagencesdebassin
Contrairementàune idéerépandue, lespaysafricains,ycomprisceuxduSahel,nemanquentpasd’eau.Seulsdeuxpays(leCapVertetleBurkinaFaso)sesituentendeçàdelanorme internationale de rareté (1700m3 d’eau douce renouvelable par an et parpersonne).L’Afriquedisposedelamêmemanièred’unpotentielconsidérableenressourceshydroélectriques. LepotentielhydroélectriqueenAfriqueest inexploitéà92%,alorsqu'ilexiste des besoins criants non couverts enmatière d'accès à l'électricité. Ce potentiel estlargementsuffisantpoursatisfairetoussesbesoinsenénergie.Lecontinentcomptecertains
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desplusgrandscoursd’eauaumonde–leNil,leCongo,leNiger,laVoltaetleZambèze.LepotentieldeproductionleplussignificatifsetrouveàMadagascar,auNiger,enZambie,auMozambique,enGuinée,enÉthiopieetsurtoutenRDCongo.
Derrière cette richesse virtuelle, des problèmes importants se posent en termes dedisponibilitéetd’accessibilitéauxmomentsetauxlieuxvoulus.Cesproblèmesseposentengrande partie à l’échelle des écosystèmes régionaux. L’essentiel des ressources en eau setrouveeneffetdansdesbassinsfluviauxetdesaquifèrestransfrontaliers.
Unbassinfluvialestunespacegéographiquealimentantuncoursd'eauetdrainéparlui.Ilapouraxelecoursd'eauprincipaletpourlimitelalignedepartagedeseauxleséparantdesbassins-versantsadjacents. Ilconstitueleterritoirepertinentpourtraiter lescausesenamont des problèmes associés aux eaux de surface: qualité et disponibilité de l’eau,pollution, besoin d’irrigation, besoin pour l’énergie, pêche, etc. L’ampleur des servicesécosystémiquesqu’ilrenddépenddesonétendue,desatopographie,desessolsetdeleurcouverturevégétale,desastructuregéologique,del'organisationduréseauhydrographiquequiledraineetbiensûrduclimatquil'affecte.
Lesrisquesquipèsentsursesressourcessontnombreux:ruissellement,érosiondessols,lessivage des intrants agricoles, inondations. Ils sont fortement accentués par desaménagementsinadaptésetdespratiquesàrisques.Ilestenconséquenceessentieldebienapprécier ses services, de les évaluer et de les protéger contre la pression foncière,notamment par une politique d’aménagement appropriée, conciliant préservation de laressourcehydriqueetutilisationdesterresdubassin.
Les bassins fluviaux offrent des terrains privilégiés d’application d’une gestion intégréedesressourceseneau.Celle-cidoitglobalementpermettredefairefaceauxproblèmesliésàl’eauetà l’utilisationdes terres,maiségalementà lagestiondes intérêtsenamontetenavald’unbassin. Elledoitnotamment répondreauxpréoccupationsnéesdudéplacementdes résidents locaux, qui se chiffrent parfois par dizaine de milliers. Or l’on sait que laréinstallationdespopulationsaffectéesetlareconstructiondeleursmoyensdesubsistanceontleplussouventconnudesrésultatsmitigésenAfrique.
Telle est la fonctiondes agences debassin (il en existe par exemple 6 en France, 9 auMaroc) et des organisations en charge de la gestion intégrée des ressources en eau auniveaudesbassinstransfrontaliers.
Encadré1.Unetypologiedesorganisationsdebassin
Pouranalyserlesorganisationsdebassin,leClubduSaheletdel’Afriquedel’Ouest(CSAO),une plateforme internationale indépendante dont le secrétariat est hébergé au sein de l’OCDE proposededistinguer:
1.Lesagencesdontl’objetestunfleuvefrontière.LecoursprincipaldufleuveconstituelafrontièreentredeuxÉtats.LeFleuveSénégalparexempleconstituelafrontièreentreleMalietleSénégalsurunepartiedesoncoursetlafrontièreentrelaMauritanieetleSénégalsuruneautrepartiedesoncours.CestroispayssontlesÉtatsmembresdel’OMVS.L’intégrationrécentedelaGuinéemodifiecetteconfigurationetfaitpasserl’OMVSdanslatroisièmecatégoriedécriteci-dessous.
2.Cellesdontl’objetestunfleuvetransfrontalier.CettecatégorieestlaplusfréquenteenAfrique.Ainsi,leFleuveNigertraversesuccessivementlaGuinée,leMali,leNigeretleNigeria.Sonprincipalaffluent,leBénoué,traversesuccessivementleTchad,leCamerounetleNigeria.CesdifférentspaysainsiqueleBurkina,leBénin,laCôted’Ivoired’oùpartentquelquesaffluentsdufleuve,formentlesÉtatsmembresdel’AutoritéduBassindufleuve
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Niger(ABN).LedispositifdelaGambieestsimilaire(OMVG)ainsiqueceluidubassindelaVolta(ABV).
3.Cellesenfin,gérantuncoursd’eauquiestfrontalierdanscertainesdesessectionsettransfrontalierdansd’autres.EnprenantencomptelaGuinée(paysamontetnouveaumembredel’OMVS),leFleuveSénégalpeutêtrerangédanscettecatégoriedecoursd’eau.
Source:CSAO,2006Les questions d’organisation des bassins sont cruciales. Lorsque, par exemple, la
responsabilitédel’eaupotablereposesuruneagence,celledel’eaupourl’irrigationsuruneautreagence,cellepour l’énergiesurunetroisième, lemanquederelationsentre lestroisentitésentraîneinévitablementunegestionpourlemoinshasardeuseetunemiseenvaleursous-optimaledelaressource,avecpourrésultatdugaspillage.C’estlaraisonpourlaquelle,depuisplusieursdécennies,denombreusesinitiativesontétéamorcéesàl’échelledegrandsensembleshydrographiquesdansplusieursrégionsafricaines.
Au cours des décennies qui ont suivi les indépendances africaines, plus de 150 grandsbarrages ont été construits en Afrique de l’Ouest. Bien d’autres l’ont été ailleurs sur lecontinent.D’autresencoresontenphasedeplanificationpourfairefaceauxbesoinsdelarégioneneaumaisaussienénergie.Plusieursexpériencesdegestiontransfrontalièresontétécrééesavecdessuccèsvariés.
Tableau1.LesprincipalesagencesdebassinstransfrontaliersenAfriquesubsaharienne
Date Bassin Membres
AutoritéduBassinduNiger(ABN) 1980 NigerBénin,BurkinaFaso,Cameroun,Côted’Ivoire,Guinée,Mali,Nigeria,Tchad
AutoritéduBassindelaVolta(ABV) 2007 Volta Bénin,BurkinaFaso,Côted’Ivoire,Ghana,Mali,Togo.
Commission du Bassin du Lac Tchad(CBLT) 1964 LacTchad Cameroun,Niger,Nigeria,
Tchad,Centrafrique.Commission internationale du BassinCongo-Oubangui-Sangha(CICOS) 1999 Congo Cameroun,Congo,
Centrafrique,RDC.
InitiativepourleBassinduNil(IBN) 1999 NilBurundi,Égypte,Éthiopie,Kenya,Ouganda,RDC,Rwanda,Soudan,Tanzanie.
ZambeziWaterCommission(ZAMCO) 1974 Zambèze
Angola,Botswana,Malawi,Mozambique,Namibie,Tanzanie,Zambie,Zimbabwe.
Organisation de mise en valeur duFleuveGambie(OMVG) 1978 Gambie Gambie,Guinée,Guinée-
Bissau,Sénégal.Organisation de mise en valeur duFleuveSénégal(OMVS) 1972 Sénégal Mali,Mauritanie,Sénégal.
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Lesrésultatsnuancésdel’OrganisationpourlaMiseenvaleurduSénégal
L’agencetransfrontièreduFleuveSénégalconstituecertainement l’undesexemples lesplus aboutis de gestionpartagéed’unbassin fluvial enAfrique. Elle regroupequatre pays(Guinée où le Fleuve prend sa source, Mali, Mauritanie, Sénégal). L’Organisation pour laMiseenvaleurduSénégal(OMVS)crééeen1972etdontlesiègeestàDakar,adéveloppéunprogrammed’infrastructuresrégionalesaveclaconstruction,danslehautbassinmaliend’un barrage régulateur assorti d’une centrale hydroélectrique (Manantali) et avec laconstruction,dansledelta,d’unbarragequiempêchelaremontéedelamersaléeenamont(Diama). Avant la mise en service de ce deuxième barrage, l'eau demer remontait, enpérioded'étiage, le lit du Fleuve Sénégal jusqu'à 200kmde l'embouchure. Le projet a enoutre permis l’aménagement du Fleuve en voie navigable quasi permanente, entre Saint-LouisetAmbidédi, laconstructiond’escalesportuaires le longduFleuveetdiversesautresinfrastructures.
LebassinduSénégal
Grâceàceséquipementsetsurlabasederèglesprécisesétabliesetadoptéesparles
quatre États, la gestion partagée du système hydraulique permet aujourd’hui de faire unarbitragebienrenseignéetdoncintelligententrelesdiversesutilitésduFleuve:
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1/ fournir les débits nécessaires à l’irrigation de 375000 hectares de terres agricolesaménagéssurlesdeuxrivesduSénégal,
2/ améliorer les conditions de remplissage des lacs alimentés par le Fleuve Sénégal,indispensablespourlesvilles,enparticulierDakaretNouakchott;
3/écrêterlescruesnaturellesetréduirelesimpactsdesinondationssurlescultures;4/approvisionnereneaupotablelescommunesruralesetlescentresurbains;5/empêcherlesremontéesdeseauxsaumâtresdansledeltaenpériodesdebasseseaux,
avecleurseffetspéjoratifssurlescultures;6/permettrelanavigationsurleFleuveenmaintenantuntirantd’eausuffisant;7/enfinproduire800millionsdekWhd’énergie.
LebarragedeManantali
Il est peu contestable que les deux barrages ont permis de sauver la vallée d’unemort programmée. L’extension des surfaces agricoles aménagées est spectaculaire, enparticuliersur larivesénégalaise.Larechargedesnappesphréatiquesest incontestable.A60%de l’eaupotabledakaroiseprovientd’aménagementsde l’OMVSetceratios’élèveà100%concernantlesvillesdeNouakchottetdeSaintLouis(Sénégal).Lesaménagementsdel’OMVSpermettentlaproductionde800GWhparand’énergie,relativementbonmarché,etlepotentieldeterresirrigabless’élèveà375000ha.
Pour autant, les aménagements ont entraîné une modification importante desécosystèmesde la zone avec certains impacts négatifs.Onn’agit pas impunément sur les
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cours d’un fleuve. Aujourd’hui plus de 100000ha sont infestés par le typha, une planteenvahissante,avecdesconséquencesembarrassantessurlemilieuphysique:diminutiondela teneur en oxygène de l'eau avec un impact la population halieutique, colmatage desouvrages d'alimentation et envasement des axes hydrauliques, création de bouchonsempêchant l'écoulement normal de l'eau dans les réseaux d’irrigation. En somme, il enrésulteuneperteenhydraulicité,unblocagedeséchanges indispensablesentre l'eauet lasurface,defortespertesd’eauparévapotranspirationetévapotranspiration(ETPsupérieurede50%àl’évaporationd’unesurfaced’eaulibre).Lebilanestdoncpourlemoinsnuancé.
Avec la mise en eau de Diama, le taux de salinité est devenu important dansl’estuaireensaisonsèche,cequiapoureffetsladégradationdesvégétationsdemangrove,labaissedesproductionsmaraîchèresdansleGondolaisetladifficultéd’approvisionnementeneaupotabledans lamêmezone.Ondoitaussià laprésencedesnouveauxvégétaux ledéveloppement des maladies hydriques. Ils forment un habitat idéal pour les larves demoustiquesvecteursdupaludismeetpourlesmollusquesaquatiqueshôtesintermédiairesde la bilharziose. À ces impacts d’ordre physique, on note, parmi diverses conséquences,l’émergence d’habitats pour les oiseaux granivores, phacochères, insectes,tousdéprédateursdescultures.Sanscompterlabaissedesactivitéstouristiquesconsécutiveà la dégradationde la biodiversité des parcsduD’oud et duDarling.La dégradationde lalanguedebarbarieadesincidencessurleparcdumêmenomsituéà12kmenvironenavalde Saint-Louis, et qui joue un rôle important dans la protection de milliers d'oiseauxnicheurs.
Encadré2.LesimpactsenvironnementauxdesbaragesLechangementdesrégimeshydrauliquesenamontetenavalet lesmodificationsde la
biodiversité, identifiables seulement sur le moyen-long terme, sont au centre de laproblématiqueenvironnementaledesbarrages.Leséquilibresécosystémiquesséculairessontbouleversés. Les conséquences qui peuvent être préjudiciables sur les ressourcesrenouvelablessontaunombredetrois:
1. l’évaporationdeseauxaccumulées:elleseraitde l’ordrede10%desconsommationsnettes totalesmondiales (le LacNasser du barrage d’Assouan consomme par évaporation12%dudébitduNil);
2. l’envasementdes retenuespar lessédimentsqui sontpiégésdans les lacsde retenueréduit leur capacité régulatrice utile et écourte leur durée de fonctionnement (certainsbarragesenrégionméditerranéenne,surleMékongouenChineperdentchaqueannéede2à4%deleurcapacitéinitiale);
3. l’eutrophisation qui résulte de l’enrichissement de l’eau accumulée en substancesfertilisantes (phosphates, nitrates) qui peuvent détériorer leur qualité si elle dépasse lepouvoirautorégulateurdulacrécepteur.
En fin de compte, le bilan de l’OMVS est très nuancé. Pour mitiger les effets des
aménagementssurl’environnement,l’organisationalancéplusieursprogrammescommelacréation de l'Observatoire de l’environnement, qui suit les indicateurs de changement del’environnementetpubliechaqueannéeunrapportsurl'étatdel’environnementdubassinpourlesdécideurs.Laluttecontrelesplantesaquatiquesenvahissantescombinedesétudesetrecherches,desactionsphysiques(luttemécaniquepermettantl’arrachagedesvégétauxdéjà expérimentée), des actions de valorisation sous la forme de charbon-combustible etuneimplicationdespartiesprenanteschargéesdel’entretienetducuragedesaxes.
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Le principal enseignement à tirer de l’OMVS est donc qu’un aménagement de bassin,parce qu’il génère des processus imprévus, impose toujours, ex post, de conduiredesimportantesdecompensation.
Lesatteintesencoreinsatisfaitesdel’AutoritéduBassinduFleuveNiger
UneautreorganisationdebassinestnéeenAfriquedel’Ouesten1980.ElleassocieneufpaysriverainsduFleuveNigeretdesesaffluents.
LebassinduNiger
LeNiger,letroisièmegrandfleuveafricainaprèsleNiletleCongo,apparaîtcomme
uneoasisdansledésert,sursoncoursmoyenavecledeltaintérieurauMalipuisilsecourbeet bascule avant sa traversée auNiger avant de se perdre dans le delta auNigéria et derejoindrelamer.
Sonaménagementrelèvede l’urgence.Ledébitdufleuveabaisséde20à55%aucoursdes40dernièresannées,enraisonprincipalementdudérèglementclimatiqueetdelapressiondémographique.Leconstatglobalestalarmant:étiagessévèresetensablements,navigation et reproduction des poissons quasi impossibles faute de débits suffisants,extrêmepauvretédespopulationsriveraines,risquesdeconflitsautourdespointsd’eaudeplusenplusrares.S’ajoutentàceconstatdesprévisionspeuprometteuses:onescomptenonseulementundoublementdepopulationdanslesvingtannéesàvenir,maisaussiàunaffluxmassifde«réfugiésclimatiques»etdoncàdesoccupations incontrôléesdeterroirsetàrisquedesurexploitationdesressources.
L’aménagementdubassinduNigerestunenjeuvital,surtoutpourlespayssahéliensconcernés. «Toute mère est un fleuve», et inversement dit un proverbe bambara. LaCommission du Fleuve Niger fut créée en 1963, avant de devenir l’Autorité du Bassin duNiger (ABN) en 1980. Le but initial était de promouvoir uneétroite coopération entre les
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Étatsmembresencequiconcerne«l’étudeet l’exécutiondetous lesprojetssusceptiblesd’exercer une influence sensible» sur le régime du Fleuve et de ses affluents, et sur lessecteursquidépendentdece régime (agriculture,énergie, santé,environnementnaturel).Avec lacréationde l’ABN, il futdécidédemettreunaccentparticuliersur l’élaborationetl’exécution de plans de mise en valeur des eaux du bassin. Depuis divers projetsd’aménagementsedistribuentsurlecoursduFleuve.
Comment faire naître un nouvel esprit d’association? En 2004 fut signé à Paris un
engagementdeschefsd’Étatpourune«gestionpartagée»,visantàanticipersurlesconflitspouvant naître de la gestion de l’eau et prévoyant demécanismes de concertation et deprévention.Cetexercicedevaitégalementdébouchersurlaformulationetlamiseenœuvred’unambitieuxprogrammededéveloppementàlongtermedubassin.Lamatérialisationdecesambitionsdevaitdémentirledéterminismegéographiquequi,enraisondesataille(plusde4000kmdelong,prèsde1,5milliondekm2
desuperficiepourl’ensembledubassinet1,1million pour le bassin actif) et sa configuration de «fleuve transfrontalier»,prédisposeraitpeuleFleuveNigeràlacoopérationéconomiqueàl’échelledubassin.Maislaréalités’est imposéedurement: leFleuveNigerseprêtemédiocrementàdesformulesdegestioncommuneoùchacundesÉtatsmembres(delaGuinéeauCameroun)peutidentifier
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des avantages plus importants que ceux qu’il peut obtenir en faisant cavalier seul ou enconcevantdesformulesdecollaborationàpluspetiteéchelle.
Encadré3.LeDeltaintérieurLongde420kmsur125kmdelarge,ledeltaintérieurduFleuve,aucœurduMali,est
unevastezonedeculturesirriguées(riz)oupluviales(mil,sorgho,niébé),demaraîchage,depêcherie et d’élevage. Cinqmillions de têtes de bétail venant duMali et des États voisinspaissent durant la décrue. C’est la zone la plus prometteuse du Mali, avec son important potentiel de superficies irrigables.Des règles coutumières régulentplusoumoins le partagedes terres etleurusage,nonsansconflits.
InstalléaucentreduDelta,l’OfficeduNigerquifutcréédanslesannées1930parlapuissancecolonialeetquirestapendantlongtempsstrictementencadréparl’État,auraitunpotentiel aménageable de 2,5 millions d’hectares, alors qu’actuellement, seuls 98000hectaressontaménagés.Celaenfaitunedeszoneslesplusconvoitéesdupaysetunobjetdepromotion pour attirer les investisseurs étrangers dans le pays. L’Étatmultiplie l’octroi deconcessions de terres du delta à des sociétés privées,maliennes ou étrangères, en vue dedévelopperuneagriculture irriguéeplus intensiveetproductive. Lesprojets sontdenaturevariée,destinésàlaproductiond’oléagineux(États-Unis,Canada,Espagne,Soudan,BurkinaFaso);pour laproductiondeculturesalimentaires (Libye,Chine,ArabieSaoudite) ;pour laproductionderizpourlemarchénationalousousrégional(laCen-Sadetl’UEMOA)oupourêtre ensuite redistribué aux exploitants locaux (Millennium Challenge Corporation, États-Unis).
Surleterrain,cesprojetssontsouventvécusdemanièrenégativeparlespopulations,dont l’existence est niée par les autorités centrales et qui se voient expropriées de leursvillages, sans toujours recevoird’indemnisation.Faceauxaccaparementsdu foncieretauxmenacesd’expulsionsdepaysansqu’ils fontnaître, lesorganisationspaysannesmaliennesonttrèstôtdénoncélasituationdanslazonedel’OfficeduNigeretinterpellél’Étatsursesresponsabilités.Grâceàl’appuifourniparlaViaCampesina,futorganiséle«ForumpaysandeNyeleni»en2010quiapermisd’aboutiràunpland’actioncentrésurlerenforcementdespopulations locales (formation politique et technique, construction d’alliances avec lesmédias,miseenplacedesystèmesd’aidejuridique:les«cliniquesjuridiques»,miseenplacedecellulesdeveille,etc.)etlerenforcementduplaidoyernationalpourinfléchirlapolitiquedel’État.
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Autotal,sur lecoursduFleuveNigeretsursesaffluents,unevingtainedesitesdegrands barrages sont identifiés et se situent à des étapes plus ou moins avancées deplanification. Pour ce qui concerne le Nigeria,mieux doté en ressources hydriques, l’Étatentend surtout poursuivre l’aménagement de son potentiel hydroélectrique tout endéveloppantdenouveauxpérimètresirrigués, lanavigabilitéducoursinférieurduNigeretl’approvisionnementeneaudesvilles.
Tableau2.BarragessurleFleuveNigeretsesaffluents
Barrages Pays
concernésFleuveou
affluentsduNiger
Nomdubarrage
Miseenexploitation
Existants MaliMaliMaliMaliMali
CamerounNigeriaNigeriaNigeria
SankaraniBaniBaniNigerNigerBénouéNigerNiger
Gongola
SélinguéTalo
DjennéSotubaMarkalaLagdoJebbaKainji
DadinKowa
198220072016192919471983198419681988
Encours GuinéeMaliNiger
NiandanNigerNiger
FomiTouassaKandadji
2020Incertaine
2020
L’ambitionaménagistesanscesseréaffirméeparlesÉtatspasseraenpartieparlamiseen
exploitationsd’ouvragesderégénérationdesécosystèmes,demiseenvaleurdelavalléeetdeproductiond’énergiehydroélectrique.Troissontmajeurs:
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• Fomi en Guinée. Initialement prévu comme barrage à vocation exclusivementhydroélectrique, ildevrafinalementêtregéréavecundoubleobjectifdesoutienà l’étiagedu Fleuve en aval et de production d’énergie d’une capacité de 90MWet d’un potentielirrigablede10000ha,• Taoussa au Mali. Situé à130kmà l'ouestGao, avec une zone d'influence de sa
retenuejusqu'àKoryoumédanslarégiondeTombouctou,saconstructionacommencé2010, avant d’être interrompue en 2012-2013. Il comprend un barrage hydroélectrique d’unepuissance de 25MW, une route goudronnée de 130km de Gao à Taoussa, desaménagements foncierssur139,000ha, laconstitutiond’un réservoirde3milliardsdem3pourpromouvoirlapêcheetl’élevageetaméliorerlerégimeduFleuveenavalavecundébitgarantide75m3/s.• Kandadji au Niger. Lancés en 2008, les travaux du programme Kandadji ont
effectivementdémarréen2011.Leprojetestdemettreenplaceunbarragehydroélectriquecapable notamment d’assurer la sécurité alimentaire par la fourniture d’eau potable, deproduire de l’électricité avec une puissance de 125MW (soit un bond de 55% de laproductionnationale),d’assurerundébitd’étiagesurleFleuveNiger.Lesobjectifssontausside sécuriser l’alimentation en eau potable de l’agglomération de Niamey, de mettre envaleurparl’irrigationenviron45000ha.Plusde60,000personnesdevrontêtredéplacées.
Ondoitàl’ABNdesactionspourlaprotectiondesberges,laluttecontrelajacinthed’eau,desactionsdesensibilisationà laqualitéde laressourceeneau,desétudessur lesmécanismesdel’ensablementdanslavalléeduFleuve,etbiend’autrestravaux.Au-delàdecesactions, lebilande l’ABNresteencoremédiocre.LeniveaudecoopérationentreÉtatsest demeuré faible et les réalisations économiques discrètes. Nonobstant, de périodiquesrelances,l’ABNdonnel’impressiond’uneinstitutionquichercheencoresesrepères.
Derrière,uneunitédefaçade,lessourcespotentiellesdeconflitssontmultiples.Lespays membres du bassin du Niger situés en aval du Fleuve, principalement le Nigeria,s’inquiètent des impacts sur la ressource qu’auront la construction des trois barrages enamontetl’extensiondessurfacesirriguées.Certainesréalitéspeuventalimenterlestensionsetéchapperauxdispositifsderégulation.Avecsespérimètresirriguésdudeltaintérieur,leMali prélève huit fois plus d’eau pour l’agriculture que le Niger, pays voisin. Quel sera lesystèmede compensation adoptéquand les exploitations seront à leur plein régime? Lesprévisibles conflits d’usage entre l’agriculture et l’énergie (période de remplissage de laretenue, durée de pompage par la centrale, niveauminimal à préserver dans la retenue,périodesdevidangedelaretenue…)trouveront-ilsdessolutionséquitablesàl’amiable?
Formellement,pouréviterdesconflitsd’intérêtsentre lesÉtats, tous lesprojetsdebarrages doivent être soumis à l’examen et à la décision de l’ABN, ce cadre de dialoguerégionalpermettantseuldemettreenplacedesdispositifsformalisésenmatièredegestiondes impacts en aval des projets de barrages. Il est vrai que parmi les nombreux projetsinventoriés, le dialogue sur les grands barrages a jusqu’à présent permis d'identifiercollectivementàl'échelledelasous-régionquelsétaientlesouvragesprioritairesetceuxquil'étaientmoins.Maislesannéesrécentesontvularelancedesprojetsdebarrages,soutenuspardesinvestisseursoupardesbailleursquisemblentmoinsrespectueuxdespolitiquesdesauvegarde environnementale et sociale. Le cadre de gouvernance régionale patiemmentmisenplacecourtdonc lerisqued'unéclatement,et lesconflitspourraientsemultiplier :entre secteursau seind'unmêmepays,entrepays,entre investisseursprivésetautoritéslocalesounationales,etc.
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LepharaoniqueprojetderechargeduLacTchad
Comment éviter la disparition du Lac Tchad, la troisième réserve d’eau douce dumonde? Sa taille varie suivant l’importance des pluies et des crues des fleuvesChari etLogone, alimentés depuis la Centrafrique et le Cameroun.Le Lac est une cuvette ferméedotée d’une nappe d’eau peu profonde, ce qui le rend particulièrement vulnérable àl’évaporationetà lasécheresse.Sonalimentationeneauétaitprincipalementassuréepardescoursd’eau,aujourd’huiasséchés,issusdesmassifsmontagneuxdel’Aïr,duTibesti,etdel’Ennedi.Ilauraitperdu90%desasuperficieen40ans.
Les quelque 40millions de personnes vivant autour et sur le Lac sont parmi les pluspauvresaumonde,l’ONUestimantqu’unquartd’entreellesontunbesoinchroniqued’aidealimentairepoursurvivre.2millionsdepersonnesontdûquitterleurfoyerdanslarégion.
Faceàceproblème,périodiquementestexhuméTransaqua,unmégaprojetdetransfertd’eau imaginédans les années1980qui capterait une partie des eaux de l'Oubangui pour déverser via le Chari dans le Lac Tchad de façon à réapprovisionner l’immense oasis asséchée. Uncanalde2,600kmseraitcreusédepuislaRDC,puisàtraverslaCentrafrique,jusqu’au Lac.Ce projet représente des coûts de l'ordre de dizaines de milliards de dollars. Lespaysmembresde laCommissiondubassinduLacTchad (CBLT),dont leCameroun, leTchad,leNiger,leNigeriaetlaRépubliqueCentrafricaine,mènentleurplaidoyerpourqueleLac Tchad soit alimenté à partir du bassin du Congo. En juin2017, un accord a été signé
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entrelegéantchinoisdelaconstruction,PowerChina,etl’entrepriseitalienneBonificaSpapourlesétudesdefaisabilitédeceprojet.
Les risques sont d’envergure. Le gigantesque canal devrait traverser plusieurs paysempêtrés actuellement dans une instabilité chronique. Outre les combattants de BokoHaramétablisautourduLacTchad-àchevalsurleCameroun,leNiger,leNigeriaetleTchad-,laCentrafrique,estdévastéepardesannéesdeguerrecivileetlesexactionsdesgroupesarmésquicontrôlentdevastesrégions.
Leprélèvementde la ressourceseraitaussi trèsmalacceptépar les riverainsduFleuve
Congo. «Le transfert des eaux congolaises vers le Lac Tchad est inacceptable», écrit paranticipationlesénateurModesteMutinga,auteurdulivreautitreaccrocheur:«Laguerredel’eauàlaportedelaRDC».Commeonlevoit,onestloind’uneconceptioninspiréeparlesprincipesdecoopérationetdegestionpartagée.PourcetteraisonleprojetTransaquaatrèspeudechanced’êtreréaliséunjour.
Inga,leplusgrandbarragedumonde,àl’étatdeprojetlointain
Toutaussi incertainqueTransaquaest Inga.Maispasexactementpour lesmêmesraisons. Sur le Fleuve Congo, le projet de Grande Inga, d’une puissance équivalente à 24centrales nucléaires, pourrait satisfaire 40% des besoins énergétiques du continent. Saconception reproduit le mythe des grands travaux. À une échéance encore imprécise, saréalisationestprévueà380kmdeKinshasa sur le FleuveCongo, làoùexistentdéjàdeuxbarrages,IngaIetIngaII,construitsdanslesdécennies1970et1980,etfonctionnanttrèsendeçà de leurs capacités. Leur production stagne aujourd’hui à moins de 500MW. Ilstournentauralenti,obérésparlamauvaisegestionetledéficitdelamaintenance.
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GrandIngaestprésentéparsespromoteurscommelemoyenpour«illuminertoutel’Afrique». S’il venait à être réalisé dans son intégralité, à la condition de mobiliser unfinancementde50à80milliardsdedollars,cegigantesqueprojet,composédesixbarrages,installésurlesiteexceptionneldeschutesd’Ingaquidébiteselonlessaisonsentre30000et60000m3d’eauparseconde,pourraitproduirejusqu’à40gigawattsd’électricité,soitdeuxfoisplusd’énergiequelebarragedesTroisGorgesenChine.Dequoibouleverserladonneénergétiquerégionale,puisquel’énergiedevraitêtreexportéejusqu’enAfriqueduSud,maisaussiversleNigeriavoireplusauNordversl’Égypte.
GrandIngafigureparmilesprojetsprioritairesdelaCommunautédeDéveloppement
d’Afrique Australe (SADC), du New Partnership for African Development (NEPAD) et duConseilMondialdel’Énergie(CME).Inscritdansletrèslongterme,saréalisationestprévueenplusieurs phases.Dans la première, 22000hectares de terres seront submergés par larivière Bundi, un affluent du Fleuve Congo, pour alimenter les onze turbines du premierfuturmégabarragedit«IngaIII»etproduire4800mégawattspuis,dansunsecondtemps,7800MW.Desturbinespourrontensuiteêtreajoutéespourrépondreàlademande,cequipourraitporter lapuissancetotaledubarrageà12,8GW(Hydroworld).Ceneseraitqu’undébut. Les cinq autres barrages (de Inga IV à Inga VIII) sont ensuite prévus pour acheverGrandInga,etainsiproduireles40000MWescomptés.
Engestationdepuisplusdedixans,IngaIII–d’uncoûttotalestiméà12milliardsdedollars–aétéressuscitéen2013aveclapromessefaiteparl’AfriqueduSudd’acheterplusde la moitié de la production d’électricité du futur barrage, garantissant de la sorte uneviabilité financière auprojet.Deux consortiumsétrangers ont été sélectionnés: d’un côtéThreeGorgesCorpquiaconstruitleplusgrandbarragedumondeàcejoursurleYangtze,associéàSinoHydroetàd'autressociétéschinoisesdemoindreenvergureet,del’autreunconsortium espagnol autour de deux chefs de file, ACS (Actividades de Construcción yServicios) et AEE Power. Ce consortium espagnol s'est engagé à respecter l'Hydropower
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Sustainability Assessment Protocol, qui liste les "bonnes pratiques" en matière deconstructiondebarrage.
L'AfriqueduSudresteraunclientmajeur,demêmequeleNigeriaunpeuplustard.Le consortium a proposé d'installer une ligne sur 2000km entre Inga et Kolwezi. Celapermettrait aux villes situées à proximité d'avoir accès au réseau électrique national,notamment dans les provinces du Kasaï, où 1% de la population seulement a accès àl'électricité.Cettepropositioncontribueraitàrenforcerl'acceptationsocialedubarrage,quin'apparaîtraitpluscommeprofitantseulementauxpaysetauxinvestisseursétrangers.
Laréussited’untelprojetsupposequelesproblèmesinstitutionnelsquiaffectentlaplupart des systèmes de distribution d’électricité soient résolus. La réussite d’Inga III nedépendradoncpasuniquementdelaréalisationd’unbarrage,maisaussidel’évolutiondetous les secteurs électriques des pays potentiellement clients (et aussi de la coopérationentrepayspourgérerleslignes).
L’objectif d’Inga concerne avant tout la production d'électricité ; la capacité de fournir de l'eau d'irrigation n'intervenant que comme un complément, mais avec tout le poids symbolique de la sécurité alimentaire. Dans de nombreux cas, les périmètres irrigués qui pourraient être associés aux grands barrages ne pourront bénéficier qu'à un nombre réduit d'agriculteurs, situés à proximité de ces ouvrages.
La géopolitique énergétique va donc jouer un rôle important dans ce projet. LaBanqueafricainededéveloppements’estimposéecommechefdefileducôtédesbailleursde fonds, avec une attitude pour le moins flexible envers un État jugé particulièrementfragileetdoncà fort risque.Desoncôté, laBanquemondiale, insatisfaitepar lemontageinstitutionnel et opérationnel du projet, et s’interrogeant aussi sur la faisabilité de laconstruction du «plus grand barrage du monde dans l’un des pays les plus instables dumonde»(Novethic,2017),adécidéfin2016d’interrompresesfinancementsà l’assistancetechniquedetouslesprojetsd’Inga.Ilestprobablequeraresserontlesbailleursdefondsàvouloirvraiment s’engagerdansuneopérationaussi coûteuseetcomplexe,notammentsilesperspectivesdestabilitépolitiqueenRDCongones'éclaircissentpas.
D'autresincertitudessontprisesencompte,commecellesconcernantlechangementclimatique. Ses impacts futurs se traduiront à la fois par une variabilité accrue desprécipitations impactant le remplissage des réservoirs et par l'augmentation desévénements extrêmes pouvant mettre en péril la sécurité des ouvrages. La capacité destockerl'eauetdeprotégerleszonesavalcontrelesinondationsapparaîtdonccommeundesélémentsessentielsd'unestratégied'adaptationauximpactsduchangementclimatique.La prévision en lamatière est difficile. Un barrage étant construit pour durer des siècles,comment le concevoir pour intégrer les effets du changement climatique, quand certainsscénariosd'émissionsdegazàeffetdeserreprévoientunréchauffementde+4ou+6°Cen2100parrapportauxniveauxpréindustriels ?
Perspectivesd’évolutiondesmodèlesd’organisation
Lesjugementssontsouventextrêmes.Selonl’ONGLesAmisdelaTerre,lesgrandsbarrages constituent «un choix calamiteuxpour le climat et pour l’environnement». Loind’aideràluttercontrelechangementclimatique,leurconstructionl’accélère.Ilsconstituentun bouleversement majeur du fonctionnement des cours d’eau et des écosystèmes. Ilsparticipentà ladisparitiondenombreusesespècesanimalesetvégétales.A l’inverse,pour
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leurs promoteurs, les barrages sont présentés commedes projets «verts» de productiond’eauetd’énergierenouvelable,àl’échelledesbesoinscroissants.
Qu’ils soient destinés à accroître la disponibilité en eau, à développer l’agricultureirriguée,àproduiredel’énergie,àrégulerledébitdesfleuvesouàprotégercontrelescrues,laconceptionetlesuividesbarragesenAfriquenécessitentdetirerlesleçonsdupassé.Orlestravauxsolidesd’évaluationexpostquiontétéréalisésenAfriquepourfaire l’étatdeslieuxsurlalongueduréeaprèsl’aménagementdesbassinsfluviauxsontpeunombreux.Onsait par exempleque ce sont lesbarrages àbutsmultiplesqui rentabilisentpratiquementtoujours le mieux les lourds investissements (Bazin et al, 2017). La production d’énergiepermetderentabiliserlesinfrastructuresenproduisantdesrevenusréguliersetimmédiats.En même temps, la production agricole et, dans une moindre mesure, la productionhalieutiquesonttoujourstrèsimportantespourlacompensationdespopulationsaffectéespar leprojetet,parailleurs,viabilise lescoûtsadditionnelsnécessairesaudéveloppementdel’irrigation(canaux,drains,préparationdesparcelles,ouvrageshydrauliques,etc.).
Ilfautadmettrequeladifficultédel’évaluationestdetaille.Lesrépercussionsdelaconstruction de barrages et des aménagements fonciers qui doivent être prises enconsidérationsontmultiples.Quelssontleursimpactséconomiquesàmoyentermeetavecquelsbénéficesinduitssouslesdiversaspectsconcernés:électricitéproduiteenquantitéeten continuité, eau potable disponible et accessible, surfaces des cultures effectivementmises en irrigation, production durable en matière de pêche, croissance des flux de lanavigation? Quelles sont par ailleurs les incidences sociales, notamment celles liées audéplacementetàlaréinstallationdespopulationsdirectementconcernées?Àcetégard,onobserve dans beaucoup de cas que la réinstallation des populations affectées et lareconstructionde leursmoyensdesubsistanceontconnuunsuccèsmitigédans la région.Commentsontpartagéeslesmultiplesconséquencespositivesdel’utilisationdel’eauentrelesdifférentsacteurs?Enfin,autrequestioncruciale,quelsimpactsinscritsdansladuréesurleséquilibresdesécosystèmes?
Ladécennie2000s’estouverteavecuneapprocheplusmesuréequedans lepasséafin d’apaiser nombre de controverses sur les impacts et les bénéfices des barrages,alimentéesenparticulierparlesorganisationsdelasociétécivile.La plupart des bailleurs de l'aide au développement ont mis en place des processus stricts d'évaluation et d'encadrement des projets de grands barrages, pour en questionner l'opportunité, identifier leurs impacts sociaux et environnementaux et garantir leur minimisation, ou leur compensation, durant la réalisation du projet. Plusieursprogrèssignificatifssontencours.L’Association internationaled'hydroélectricitétravailleàl'établissementd'un«protocolededurabilitéde l'hydroélectricité» unoutil d'évaluationdes pratiques des projets en matière de traitement des impacts environnementaux etsociaux,destinéauxopérateursdeprojet.
Le principe de précaution a permis de relancer un certain nombre de projets de barrages dans une approche intégrée des risques environnementaux et sociaux, après dix années d'arrêt des financements de la Banque mondiale (de 1993 à 2003). Les promoteurs des barrages hydroélectriques ont de leur côté cherché à démontrer la pertinence et la faisabilité de l'application d'un corpus de « diligences environnementales et sociales raisonnables », tant pour montrer qu'elles n'étaient pas un obstacle dirimant à la réalisation de nouveaux projets
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que pour faire la preuve qu'elles pouvaient maîtriser les principaux risques environnementaux et sociaux.
Avant de relancer un de nouveaux projets, de petite commede grande taille, unequestionetnondesmoindresestposée:quelmodedegouvernanceefficaceàl’échelleduterritoireconcernémettreenplacepourtraiterlaquestiondupartagedesresponsabilitésetdesavantagesgénérésparlesbarragesetlesaménagements?
Du modèle des Agences de bassin examiné plus haut (OMVS et ABN), certainesleçons sont tirées. Il semble désormais acquis que, devant les divers risques rencontrés,parmilesquelsnombreuxsontceuxquinepeuventpasêtreanticipés,desrèglesdegestiondoiventêtreinstauréesentretouteslespartiesprenantesrégionalesmaisaussilocalespourun usage le plus équitable et durable possible des ressources générées par le barrage etl’aménagementfoncierquiluisuccède.
Peut-on aller plus loin? C’est un fait d’observation: la coopération enmatière degestiondesespacesnaturelspardescommunautésdontlesmodesdeviesontrespectueuxdes équilibres naturels permet le mieux leur préservation. Elle est unmoyen d’éviter detomber dans la «tragédie des Communs», c’est-à-dire de surmonter l’impuissancecollective née des comportements individualistes et qui entraînent l'épuisement desressources limitées, leur pollution, voire leur destruction définitive. Exprimée par leséconomistes institutionnalistes, la règle est la suivante: la coopération est toujours plusefficacequelesdeuxautresformesdegestion,privéeouétatique,parcequelesexternalitéspositivessontalorsmaximales.
Sur un bassin fluvial, de multiples configurations de pouvoirs y siègent entredifférentsacteursrégionauxetlocauxquidéfinissentchacunleursstratégiesetdéterminentleurpositionnement.Autrementdit,unbassinaménagéestun«construitsocial»,avecunmoded’organisationparticulier.Lerecoursàl’analyseécosystémiques,laquelleestdeplusenpluspréconiséetantpar leschercheursquepar lespraticiens (parexempleP.Caronetal.,2018),change ladonneetcontribueàpenser lagestiondesbassinsautourdesenjeuxprioritaires àpartager au seinde la communautédes acteurs etdesdécideurs (assurer lasécuritéalimentaire,donnerl’accèsauxressources,préserverlabiodiversité,etc.).
Encadré4.Quedisentlesnormesinternationalestouchantàlagestiondesbassins
transfrontaliers?LaConventiondesNationsUniesde1997surl’utilisationdescoursd’eaupartagésà
des finsautresque lanavigationest leproduitdeprèsdetrenteannéesderéflexionetdedébats d’experts. Elle énonce de grands principes portant notamment sur l’utilisation«équitableetraisonnable»descoursd’eautransfrontaliers,l’obligationdenepascauserdedommagessignificatifsàdespaystiers,lanotificationpréalable,lepartagedesinformationsentreÉtats,laconcertationentreÉtatsriverains,etc.
La Convention sur la diversité biologique (1992), ratifiée par les États africains vise«laconservationetl’utilisationdurabledesressourcesbiologiques»etchercheà«atténuerouéviterleseffetsdéfavorablesàladiversitébiologique»età«prévenirtoutemenacesurlabiodiversitébiologique».Cetteconventioninsisteenparticuliersurlanécessitédemenerdes études d’impacts environnementaux en vue de minimiser les dommages sur lesécosystèmes,fluviauxenl’occurrence.
LaCommissionMondialedesGrandsBarrages(CMBouWCD:WorldCommissiononDams)aétémiseenplaceen1997pourmeneruneévaluationindépendantedel’expériencemondialedansledomainedelaplanification,delaconstructionetdelagestiondesgrands
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barrages,d’en tirer les leçonsetde fairedes recommandationspour le futur. En 2000, la publication de son rapport a mis en exergue les principaux enjeux, défis et risques liés aux projets de grands barrages : reconnaissance des bénéfices des grands barrages en termes de développement humain, mais aussi des coûts environnementaux et sociaux parfois démesurés, et des inégalités dans la répartition des bénéfices, remettant en cause l'opportunité de certains grands barrages par rapport à d'autres options.
En ce qui concerne les barrages prévus dans les bassins transfrontaliers, la CMBrecommandequelespolitiquesnationalesdel’eauintègrentexplicitementdesmécanismesde négociation avec les autres États concernés fondés sur le principe de l’utilisation«équitableetraisonnable»,delapréventiondesdommagesimportantsetdel’informationpréalable.LaCMBdemandeauxbailleursdefondsdes’abstenirdesoutenirdesprojetsdebarrages surdes coursd’eau transfrontaliers si desÉtats riverains soulèventuneobjectionconsidéréecommefondéeparungrouped’expertsindépendants.
On peut définir les Communs non seulement par leur nature mais aussi par leur
usage, comme un ensemble de «pratiques instituantes» associant autour de la gestiond’uneouplusieursressourcescollectivesdesacteurssedonnant(ouhéritant)desprincipesde gestion. Quatre éléments doivent être réunis: des ressources naturelles (ouintellectuelles) + une communauté délimitée par un territoire + des règles d’usage«équitableetraisonnable»+unmodedegouvernanceapproprié.
Leregaind’intérêtrencontrédepuisquelquesannéessur laquestiondesCommuns(commeàl’Agencefrançaisededéveloppementquienfaitdésormaissonconceptpolitiqueetopérationnelcentral)estétroitementliéàlaprisedeconsciencedelafinitudedelaTerreetde la raréfactionde ses ressources. En réponseauxmenacesvitales, l’approchepar lesCommuns s’ouvre sur des options alternatives portées par des communautés en ruptureavecl’appropriationprivative,cherchantetpromouvantunautrerapportauxautresetauxchoses.Lepartageestrégulé,maisniparlemarché,niparuneadministrationcentrale.
Delasortesontproduitesdesressourcesinformationnelles,parexempleautourd’unObservatoirecommundédiéàlacompréhensionetàlaprédiction,largementutilisablesetpartageables,avecdesrèglesacceptéesdeproduction(formatimposé,contrôlequalitégérécollectivement). Sont intensifiées les synergies, en particulier entre d’un côté les acteurschargés de la gestion de l’écosystème et de l’autre ceux qui bénéficient de ses services(usagersdel’eauparexemple).Leprinciped’équité,corollairedeceluidecoopération,peutparexempledébouchersurl’instaurationdemécanismespréférentielsd’accèsàl’irrigationetà l’électricité,encréantparexempleunfondsdedéveloppement localalimentépar lesretombéesfinancièresdesactivitéséconomiquesdubarrage.
Revenir à l’idée fondamentale du bassin fluvial reconnu comme un «Commun»,c’est-à-direcommeuncadred’actioncollectiveauseinduquels’identifieunecommunautéd’intérêts et d’actions autour d’un ensemble de services écosystémiques (ce qui estconcevable pour l’OMVS ou l’ABN, à l’évidence beaucoup plus difficilement pour Inga ouTransaqua),permetde l’envisagercommevecteurdedéveloppement,espaced’innovationet arène de régulation au regard des impératifs du développement durable. Un bassindevientalorsuncreusetpourdesdémarchesparticipatives,unlaboratoireoùdenouvellesformes de gouvernance sont inventées et expérimentés. Une telle approche coopérative
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permettraitderaisonner«enopportunitésàsaisirplutôtqu’enproblèmesàrésoudre»,etdetrouverainsidescompromisacceptables.
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