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LES ALPINISTES DANS L'IMPRÉVU Pour une approche naturaliste de la décision ? Yvonne Giordano et Geneviève Musca Lavoisier | Revue française de gestion 2012/6 - N° 225 pages 83 à 107 ISSN 0338-4551 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2012-6-page-83.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Giordano Yvonne et Musca Geneviève, « Les alpinistes dans l'imprévu » Pour une approche naturaliste de la décision ?, Revue française de gestion, 2012/6 N° 225, p. 83-107. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Lavoisier. © Lavoisier. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 193.50.215.87 - 11/09/2013 15h32. © Lavoisier Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Reims Champagne-Ardennes - - 193.50.215.87 - 11/09/2013 15h32. © Lavoisier

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LES ALPINISTES DANS L'IMPRÉVUPour une approche naturaliste de la décision ?Yvonne Giordano et Geneviève Musca Lavoisier | Revue française de gestion 2012/6 - N° 225pages 83 à 107

ISSN 0338-4551

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2012-6-page-83.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Giordano Yvonne et Musca Geneviève, « Les alpinistes dans l'imprévu » Pour une approche naturaliste de la

décision ?,

Revue française de gestion, 2012/6 N° 225, p. 83-107.

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Distribution électronique Cairn.info pour Lavoisier.

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La perspective « naturaliste » de la décision ou « Naturalistic

Decision Making » (NDM) s’est déployée depuis une vingtaine

d’années pour comprendre comment des experts, évoluant

dans des contextes particuliers, prennent des décisions qui

doivent être efficaces, rapides et sûres dans des

environnements hostiles, changeants et à enjeux

potentiellement vitaux. Si ce courant a étudié de très

nombreux terrains, il n’a, en revanche, jamais prêté attention

aux décisions des professionnels de la haute montagne dans

leurs pratiques quotidiennes. L’article1 se propose de montrer

en quoi la NDM constitue un cadre approprié pour rendre

compte de leurs décisions en cours d’action. Il constitue aussi

une incitation à développer des recherches in vivo et souligne

simultanément les défis empiriques et méthodologiques

auxquels les chercheurs sont confrontés.

YVONNE GIORDANOUniversité de Nice Sophia-Antipolis, GREDEG

GENEVIÈVE MUSCAUniversité Paris 10, CEROS

Les alpinistesdans l’imprévu

Pour une approche naturaliste de la décision ?

DOI:10.3166/RFG.225.83-107 © 2012 Lavoisier

D O S S I E R

1. Cet article s’inscrit dans le cadre du Programme ANR DARWIN (ANR-09-BLANC-0341-01). Les auteurestiennent à remercier vivement les deux évaluateurs anonymes pour leurs riches remarques et suggestions ainsi que Bertrand Fauré et Jean-Louis Le Moigne pour leur lecture attentive et critiques constructives. Geneviève Muscadédie ces lignes aux guides de haute montagne Yvan Estienne, Gérard Estienne et Gérard Pailheiret, YvonneGiordano aux guides de haute montagne Raymond Renaud, Bertrand Brouta et Patrick Bérhault (1957-2004) quil’ont gratifiée de merveilleux moments, « encordée mais libre ».

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La perspective dite « naturaliste » dela décision constitue une brancherelativement méconnue en gestion

jusqu’à une date récente. Le numéro spéciald’Organization Studies qui lui a été consa-cré en 2006, appelle à développer ses poten-tialités, afin de produire des enseignementsprometteurs pour sécuriser l’action organi-sée sujette à risques et accidents (Gilbert etal., 2007 ; Koenig, 2007). Étudiée sur unesoixantaine de terrains différents allant desplates-formes offshore, aux combats mili-taires en passant par la médecine d’urgence,la NDM ne s’est jamais penchée sur l’alpi-nisme et, plus précisément, les profession-nels qui en vivent, les guides de haute mon-tagne (GHM). Or, ces experts prennentconstamment des décisions qui correspon-dent à celles auxquelles s’intéresse laNDM, lorsque les enjeux sont élevés, lecontexte mouvant et évolutif, les modalitésd’action complexes ou vitales. L’objectifprincipal de cet article est de montrer com-ment de telles décisions peuvent être avan-tageusement explorées par ce cadre analy-tique. La question-clé soulevée est donc« pourquoi et comment la NDM peut-ellerendre compte des décisions quotidiennesd’alpinistes aguerris que sont les GHM ? ».Toutefois, les défis potentiels que doiventrelever les chercheurs désireux de s’attelerà ce projet ne sont pas minces. Ils suggèrentaussi que, malgré des différences substan-tielles au regard d’organisations plus tradi-tionnelles, une lecture « naturaliste » de ladécision ici, comme ailleurs, privilégie lacapacité à « apprivoiser » les surprises et lesimprévus, plutôt qu’à s’y soumettre et leséviter.L’article est articulé en trois volets. Le pre-mier propose tout d’abord de brosser à

grands traits le portrait d’une profession,celle des guides, ses terrains d’évolution,ses décisions quotidiennes, autant d’élé-ments qui montrent une parenté étonnanteavec les contextes déjà étudiés par le NDM.Le deuxième résume les caractéristiques-clés de cette dernière, ses fondements et sesconditions d’applicabilité. Évoluantconstamment dans l’imprévu, les guidesconstituent une population de « décideurs »particulièrement concernés par cetteapproche. Enfin, le troisième volet soulignequelques-uns des défis empiriques etméthodologiques qui attendent les cher-cheurs désireux de pousser plus loin cetteperspective. Des pistes sont esquissées,pistes qui supposent une certaine créativitéméthodologique mais sans doute aussi l’ap-pui actif de la profession.

I – L’ALPINISME ET SES GUIDES :UN MÉTIER « ENGAGÉ »

L’alpinisme est une dénomination trèsgénérique qui recouvre diverses activités oupratiques aussi variées que les courses deneige, la cascade de glace, le ski-alpinisme,l’escalade, les expéditions en haute altitude,etc. Le vocabulaire, très spécifique de cesactivités, est brièvement abordé. Une courteprésentation de la formation des guides etdes paradoxes qu’ils vivent donneront deséléments permettant de mieux comprendrela nature des décisions propres à ces profes-sionnels. De situations très « engagées » àdes courses plus classiques, ces acteurssont, par essence, confrontés à des déci-sions particulières qui font de la vigilanceet des imprévus une composante continue etnon exceptionnelle de celles-ci.

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1. Petit glossaire introductif à l’alpinisme

En guise de préambule, le bref glossaire ci-dessous permet au néophyte de disposer dequelques rudiments de vocabulaire lié audomaine de l’alpinisme. Bien que liminaire,

il donne des notions élémentaires permet-

tant de mieux comprendre comment les

guides et, plus généralement, les alpinistes

aguerris, élaborent leurs décisions sur leurs

terrains d’évolution.

Glossaire introductif

– Les écoles d’escalade ont pour caractéristique d’être sécurisées c’est-à-dire d’avoir, pourchaque voie (itinéraire prédéfini), des points d’assurage (ou d’assurance) déjà placés demanière à ce que le grimpeur (la grimpeuse) de tête ait seulement à placer des protectionsqui lui permettent de progresser avec un minimum de risque de chute. – En montagne, les voies sont le plus souvent peu équipées de tels points d’assurage et l’alpi-niste doit apprécier la nécessité de s’assurer lui-même en posant des protections aux endroitsqu’il juge nécessaires… lorsque c’est possible. Ce sont des terrains dits « d’aventure » dans les-quels le degré d’engagement (voir infra) du grimpeur de tête peut être très important.– Faire une voie « à vue » signifie que le grimpeur ou la grimpeuse ne connaît pas la voie :il/elle ne l’a jamais entreprise ou « travaillée » avant. – L’escalade mixte se pratique en terrain où alternent rocher, neige et glace. Elle se pratiquehiver comme été et fait appel à des compétences variées en lien avec la nature du terrain, lui-même varié. Dans tous les cas, et contrairement aux écoles, les points d’assurage sont engénéral très peu nombreux (limités à des relais fixes mais pas toujours) et, sur la glace, l’al-piniste place ses points d’assurage (broches à glace) en jugeant de sa propre sécurité et decelle de son second de cordée.– La notion d’« engagement », spécifique au contexte de la montagne, peut se définircomme le fait de décider d’un cours d’action en dépit de divers critères de dangerosité (mau-vaise qualité du rocher, pas de protection possible, chute interdite, etc.). Il s’agit d’une prisede risque « calculée ». Fausse évidence, l’engagement est très relatif selon le niveau d’exper-tise du pratiquant. En effet, un pratiquant très expérimenté jugera peut-être un passage« exposé » comme moins engagé qu’un pratiquant plus modeste. – Les risques dits « objectifs » c’est-à-dire indépendants du pratiquant (ex. risque d’ava-lanche) qui sont les mêmes pour tout le monde peuvent être perçus très différemment d’unpratiquant à l’autre. Le jugement associé fait partie de l’expertise mais ne peut que rarementdonner lieu à un consensus général car chaque alpiniste a une notion de l’engagement qui luiest propre, ce qui est source de débats, notamment lorsqu’il s’agit d’apprécier la difficultéd’un itinéraire à l’aide de « cotations » (codification des difficultés).– Un topo (ou topo-guide) est un document technique constitué par des croquis d’itinéraires(en falaise, montagne, cascades de glace) qui permettent aux pratiquants de situer plus oumoins précisément celui suivi par celle ou celui qui l’a « ouvert » pour la première fois. Ilest donc un document utile pour la répétition car il indique le nombre de longueurs, lesniveaux de difficultés, les passages exposés.

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2. Apprentissage et modalités de formation au métier

En France, comme dans les autres payseuropéens, la formation au métier de guidecomprend plusieurs étapes. Les candidatsdoivent tout d’abord se présenter à un exa-men très sélectif appelé « probatoire »2 danslequel est exigée une liste antérieure decourses conséquentes effectuées en amateur.Pour se présenter, il faut donc déjà avoir unebelle expérience de la montagne ainsi qu’unbon niveau technique sur plusieurs types de« terrains » : escalade sportive, glace, terrainvarié, ski. Si les candidats réussissent le pro-batoire, ils sont alors autorisés à poursuivreleur formation au sein de l’ENSA-ENSM(École nationale de ski et d’alpinisme deve-nue École nationale des sports de mon-tagne3) à Chamonix (trois à cinq ans de for-mation pour être aspirant-guide puis guide).Le diplôme final de guide sanctionne desconnaissances générales théoriques valablespour l’ensemble des métiers de l’encadre-ment sportif ainsi qu’une formation spéci-fique de très haut niveau. Très récemment, la règlementation dudiplôme de guide a changé en instaurantun « tutorat » (Arrêté du 11 janvier 2010 ;Crabières, 2010). Cette nouvelle règle,assortie de modifications dans le cursuspréparatoire qui avait peu changé depuis sacréation (1948), « poursuit deux objectifs :faciliter l’échange d’expérience et de com-pétence entre les générations de guides ;permettre une insertion plus progressive etharmonieuse du futur guide dans le métier.[…]. C’est peut-être en référence à [l’espritdu compagnonnage] que la profession a

tenu à se l’approprier avec un certainenthousiasme » (Comité de rédaction duSyndicat national des guides de montagne(SNGM), 2011, p. 50). Ainsi, munis de leurdiplôme, les nouveaux professionnels de lamontagne sont riches d’une grande variétéde pratiques qu’ils devront toutefois exercerassidument pour que leurs expériencesdeviennent véritablement une « expertise ».Cette dernière peut être qualifiée de largecar touchant à tous les contextes, de l’esca-lade en rocher jusqu’à la haute altitude. Leshabiletés requises pendant la formation puisla pratique des activités seront ensuite« remises à niveau » – selon la terminolo-gie consacrée – tous les six ans par l’obliga-tion d’assister pendant trois jours à une ses-sion dite « de recyclage ». Mais si cerecyclage est obligatoire, il ne comportepas, pour l’heure, d’épreuves à valider ni desimulation, ni même encore de mise ensituation réelle. Il n’y a pas de procéduresd’évaluation au cours de la carrière.

3. Une conscience réflexive aiguë desprofessionnels en proie à des paradoxes

Par nature, les professionnels de la mon-tagne sont très concernés par les problèmesde risques et de prévention d’accidents4. Lapression des assurances et la judiciarisationcroissante liée à l’augmentation du nombrede pratiquants peu préparés à ces terrainspérilleux en ont augmenté la sensibilité.Groupes et institutions spécialisés dévelop-pent ainsi un intense travail réflexif surleurs pratiques. Ils ont une conscience aiguëdes modifications contemporaines de leurmétier ainsi que des comportements de

2. http://www.ensa.jeunesse-sports.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=130&Itemid=2723. www.ensm.sports.gouv.fr4. Voir, par exemple : GUIDES. La Revue, n° 75, août 2010.

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clients davantage portés vers des loisirs. Parexemple, le SNGM, l’ENSM et même certains professionnels à l’aide de blogs,militent pour systématiser les retours d’ex-périence (RETEX) d’incidents et quasi-accidents comme cela se pratique dansd’autres contextes tels les services d’incen-die (Gautier, 2010) et les secours (PGHMde Chamonix, document interne). Si, en casd’accident, la procédure judiciaire exigeune enquête, les quasi-accidents et inci-dents ne sont, la plupart du temps, jamaisrendus publics : ils sont évoqués dans lepérimètre de proches et de manière plus oumoins confidentielle. Des initiatives sontnées récemment comme le REC (recueild’évènements confidentiels), « système decompte rendu volontaire d’évènements enapparence mineurs » dont l’objectif est lepartage des expériences de chacun (Recy-clage GHM, 4e éd., p. 62). Cette quasi-absence de procédures systématiques deRETEX hors accidents est d’autant plussurprenante qu’elle heurte le sens commun,qu’elle semble en contradiction flagranteavec la dangerosité des activités et que lefeedback systématique est supposé fairepartie intégrante du maintien et du dévelop-pement de l’expertise (Salas et al., 2010).Cet apparent paradoxe peut se comprendrepar la combinaison de divers facteurs dontquelques-uns sont évoqués ci-dessous. Une première raison tient tout d’abord aupoids de l’histoire ayant produit une certainemythologie du guide, emblème d’une pro-fession qui, au cours des âges, a compté(principalement) des hommes considéréscomme des héros pour le commun des mor-tels (Ballu, 1997). Liée à la conquête desplus grands sommets de la planète, la pro-fession, bien qu’ayant considérablementévolué, est encore associée à une forme

d’héroïsme. Cette mythologie de l’exploitest liée à un second facteur connexe, parti-culièrement actif dans la communauté desalpinistes que Goffman (1967) a appelé« face-work » (« préservation de la face »).L’auteur montre que dans le cadre de nosinteractions avec autrui, nous cherchons àprésenter une image de nous-mêmes, une« face » la plus favorable possible. Patriottaet Spedale (2009, p.1231) rajoutent qu’unleader en acte (atwork) est essentiellementun (sense-giver), selon la terminologie deGioia et Chittipedi (1991), tout particulière-ment lorsque les situations sont hautementambiguës et variables. L’univers de la mon-tagne est peuplé de leaders – à peu prèsautant que de GHM – qui, les uns et lesautres produisent (doivent produire ?) une« face » en accord avec l’image plus oumoins héroïque qu’ils portent. Comme toutun chacun, ils doivent « manager les impres-sions » en permanence (Giacalone etRosensfeld, 1989) dans un métier où « l’er-reur est interdite » (W. Munter, formation deguides suisses, 2003). Un troisième élément tient au fait que lesRETEX peuvent être vécus comme unedivulgation publique d’erreurs dans unecommunauté initialement tournée vers laliberté comme valeur dominante (free clim-bing). Des procédures perçues comme rele-vant du contrôle et, potentiellement de lasanction (au mieux symbolique, au pirejudiciaire), ne font pas partie des valeursfondatrices de l’alpinisme. Or, cette mytho-logie et ces valeurs font face aujourd’hui audéveloppement intensif de pratiques liéesaux loisirs qui « démocratisent la mon-tagne ». Simultanément, cette « démocrati-sation » va de pair avec une modification declientèle qui tend à perdre conscience de ladangerosité intrinsèque de ces milieux ;

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dangerosité qui exige pourtant entraîne-ment et préparation assidus. Enfin, le juge-ment des pairs eux-mêmes n’est pas néces-sairement empli de compassion, commenous l’a livré ce guide : « les collègues peu-vent être bien pires que les juges ! » (Nico-las, 38 ans)5.Les guides apparaissent ainsi pris entenailles entre des attentes de clientèle pourle « risque zéro » (« on veut zéro risqueavec le guide ; on le paie et on veut faire lesommet », Karine, cliente, 30 ans) et lenombre croissant de procès qui déstabili-sent la profession tout en faisant peser surelle un poids assurantiel de plus en plusélevé. La recherche d’un travail sur les pra-tiques hors accidents devient ainsi une prio-rité. Elle est déjà intégrée dans le cursus deformation mais pourrait encore se déployerafin de mieux comprendre, en travaillant auplus près de ces acteurs, comment s’exerceconcrètement leur expertise. Toutefois,l’étude d’autres contextes, comme l’avia-tion civile ou militaire, montre que l’usagedes debriefings n’est possible et recevableque s’il existe une culture de la tolérance àl’erreur, voire de l’apprentissage par l’er-reur (Catino et Patriotta, 2009 ; SoulezLarivière, 20116). En contrepoint de Goffman (1967), Sagan (1993) parle de« culture of safe-face » et de « no blameculture », montrant qu’en l’absence d’un telclimat, il est impossible de produire desretours d’expérience permettant un appren-tissage partagé.

4. Décider dans diverses situations : des itinéraires très engagés aux coursesplus sereines

Sur leurs divers terrains d’évolution, lesprofessionnels de la montagne prennent desdécisions nombreuses et variées. Bien quel’imaginaire du grand public soit focalisésur des situations « extrêmes », symboliséespar des images exceptionnelles et la mytho-logie évoquée précédemment, les profes-sionnels peuvent, tout à la fois, ouvrir ourépéter des itinéraires très difficiles, sou-vent entre pairs mais aussi, plus classique-ment, évoluer avec des clients sur descourses de difficultés plus modestes. Si,intuitivement, on peut penser que ces deuxcatégories sont radicalement différentes entermes de décisions, elles contiennent pour-tant toutes deux les mêmes « ingrédients »en termes d’imprévus potentiels, de vigi-lance permanente, de risque vital.

L’archétype de la progression à vue engagée

L’encadré ci-après évoque le déroulementde la progression à vue, progression quiconstitue une adaptation constante à l’in-connu. Lors de la progression à vue, chaque paspeut donc être (très) engagé, la communica-tion impossible, les possibilités de redes-cente peuvent être inexistantes (les voies dedescente sont ailleurs, les relais indiquéssur le topo n’y sont plus, la visibilité estnulle, etc.). Pour l’alpiniste, l’« inscriptioncorporelle » de la progression et les déci-sions sont en partie non explicitables parce

5. Les verbatim inclus dans ce texte proviennent tous d’entretiens avec des alpinistes aguerris, guides ou non-guides.Les prénoms sont d’emprunt.6. Nous remercions Gérard Koenig de nous avoir suggéré cette référence. La terminologie de Sagan y est reprisedans la « culture » officielle.

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La progression à vue engagée

La progression à vue en rocher, en glace ou en mixte comporte toujours une bonne dosed’engagement et de sang-froid après une préparation minutieuse. Une fois au pied de la voie,les grimpeurs vont opérer en relative incertitude, possiblement sans points de protection ins-tallés et avec une concentration extrême : évaluation de l’itinéraire (mémorisation par rapportà l’éventuel topo), recherche des prises suivantes (en rocher), placements, sensations, etc. etce, en même temps qu’ils découvrent la voie. Dans le cas où un topo existe, ce dernier donnedes repères directionnels, les difficultés, la cotation des différentes longueurs et les pointsd’ancrages de la voie (l’« équipement »). Toutefois, même si la voie a déjà été ouverte, certains équipeurs peuvent avoir placé lespoints très loin les uns des autres. Ils peuvent même être inexistants à l’exception des relais,lesquels peuvent être distants de 15 à 50 mètres. Dans le cas où les points de protection sonttrès distants, voire limités aux seuls relais, les protections que le second de cordée enlèveraaprès son passage sont placées par le grimpeur de tête qui juge de l’endroit le plus propice(lorsque le rocher le permet). Au cours du temps, les relais peuvent avoir été modifiés oubien avoir disparu (endommagés par les précipitations, par des chutes de pans entiers derochers) qu’une mise à jour du topo doit signaler.

que « embodied » (Varela et al., 1993 ;Marshall, 2008 ; Yakhlef, 2010 ; Faÿ,2010) : elles sont ancrées dans la mémoireà long terme du corps ayant expérimentéune pluralité de situations analogues. Dansla littérature sur l’expertise (Ericsson et al.,2006), on sait aujourd’hui que, tout commepour les habiletés plus « intellectuelles »,les connaissances motrices (motorskills)7

deviennent de plus en plus automatisées ettacites à mesure que l’expertise s’accroît.Par ailleurs, quand les éléments environne-mentaux empêchent la discussion dans lacordée (difficultés très élevées, éloigne-ment au fur et à mesure de la progression,vent fort, etc.), il est quasiment impossiblede discuter sur la stratégie à adopter,excepté aux relais lorsque les grimpeurs se

retrouvent côté à côte, relais qui peuventêtre très inconfortables. Dans une voie où les alpinistes peuvent nepas se voir ni se parler, la coordinationtacite est ainsi la modalité principale de laprogression. Elle est d’autant plus efficaceque l’interconnaissance est élevée. Maismême si ce n’est pas le cas, l’apprentissageantérieur par la pratique intense des activi-tés et/ou par la formation commune déli-vrée à l’ENSM sur les terrains passe par lessens et le comportement du partenaire est« ressenti » à travers la corde. Celle-ci « aun comportement qui en dit long » surcelle/celui qui la partage (Bérhault, 2001).Ainsi, les courses engagées (premières,répétitions de voies difficiles) cumulentpression temporelle, objectifs ambitieux,

7. Nous utilisons de temps à autre des expressions entre parenthèses avec les termes de l’article d’origine, considé-rant que, dans un certain nombre de cas, les termes initiaux non traduits en français rendent mieux compte de lasignification.

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forte exposition. Chaque centimètre peutêtre de l’ordre de la décision « stratégique »et l’enchaînement constant de ces micro -décisions peut se dérouler sans que les alpi-nistes ne puissent se parler. Ce type desituation « limite » n’est bien évidemmentpas le plus répandu car il concerne princi-palement les pratiquants très aguerris et lescourses difficiles, souvent effectuées entrepairs. Toutefois, comme nous allons le voir,il peut aussi concerner des situations plusabordables avec les clients.

L’importance du « facteur humain »

Pour le plus grand bonheur de pratiquantsmodestes, l’alpinisme se déploie aussi dansdes conditions beaucoup plus « sereines ».C’est le cas de la plupart des courses avecclients dont le niveau est très inférieur àcelui du guide et qui mettent les profession-nels en situation plus sécuritaire sans que le« risque zéro » ne soit jamais pensable,compte tenu des aléas du terrain mais ausside la nature de la cordée. Dans la configu-ration [guide-clients], les choix d’itinérairessont souvent le fait de demandes de clientsdésireux de faire une voie ou une coursequ’ils convoitent. Le choix peut aussi pro-venir du guide lui-même. La concertationest fréquente, tout particulièrement quandla relation est ancienne et la confiance éta-blie de longue date. Une connaissancemutuelle élevée facilite beaucoup leschoses puisque le guide connaît les capaci-tés des clients qu’il emmène. Inversement,lorsque le guide ne connaît pas les clients, ilest difficile d’apprécier leur niveau par voiedéclarative. Par exemple, un client qui auraessentiellement grimpé « à l’aise » sur durocher calcaire risque de se trouver en diffi-culté sur du granit, alors que sur le topo, leniveau de difficulté (cotation) est le même.

Principal « décideur » en situation de clien-tèle, le guide est ainsi toujours en état devigilance active (Ocasio, 1997 ; Weick etSutcliffe, 2007) car il doit « gérer » en per-manence une progression constammentmouvante : qualité du rocher ou de la glace,évolution du manteau neigeux, état psycho-logique du/des clients en progression,fatigue, stress. Ces éléments, qui relèvent àla fois du terrain et de la cordée elle-même,peuvent entraîner du retard sur les horairesestimés, l’éventuelle nécessité de bivoua-quer alors que rien n’était prévu, ce quicontribue à la dangerosité du « système »formé par l’ensemble [guide-clients-terrain]. En montagne, tous les terrainsd’évolution sont, par nature, dangereux. Ilsexigent de la part des professionnels uneattention constante qui ne relève pas seule-ment de risques dits « objectifs » liés auxterrains naturels. Les risques sont égale-ment intrinsèques à la cordée. Les dangerssont donc aussi relatifs au « facteurhumain » (Amalberti, 2001), terminologieemployée systématiquement dans l’aviationcivile ou militaire tout comme dans la docu-mentation juridique liée à l’univers de lamontagne (Pérès, 2006).Ainsi, l’alpinisme ne se déploie pas exclusi-vement dans des situations d’engagementtrès élevé in abstracto : pour la grandemajorité, les courses sont d’une difficultémodérée et les professionnels, très sensibi-lisés aux accidents, refusent les sorties lorsde risques marqués (dangers d’avalanche,redoux brutal, chutes de rochers aprèsfortes précipitations, etc.). Toutefois, mêmedes courses en apparence « faciles » peu-vent prendre une tournure « extrême »lorsque le mauvais temps s’installe brutale-ment, que les conditions de neige ou derocher estimées sont totalement différentes,

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rendant ainsi la course d’un tout autreniveau. Même un pratiquant aguerri peutrapidement être confronté au drame lié à unimprévu radical (Sauvy, 1998 ; Perret,2001 ; Agresti, 2006). Le basculement bru-tal d’une course réputée facile en situationproblématique met en jeu la responsabilitédu guide en cas de course avec clients, celledu plus expérimenté, en cas de course entre« copains »8. Les développements précédents ont suggéréque la nature même des décisions prises parles guides en situation recèlent quantité de« paramètres » constamment changeants.Ce vocable un peu surprenant dans cecontexte, dénote les difficultés à dire ce quirelève souvent du « feeling » et de « l’expé-rience incommunicable », comme l’expri-ment volontiers les professionnels à qui l’ondemande de décrire de telles décisions.Avant de nous interroger sur la manière dontil est possible de mieux étudier ces der-nières, voyons tout d’abord quels sont lesfondements de la NDM, mouvance théo-rique qui semble étonnamment appropriéepour en rendre compte.

II – L’APPROCHE NATURALISTE DELA DÉCISION : DES FONDEMENTSÀ SA « FABRIQUE »

Pour Kahneman et Klein (2009, p. 516), « lemouvement de la “Naturalistic DecisionMaking” (NDM) se focalise sur les prati-ciens qui opèrent dans le “monde réel” […],qui prennent des décisions dans des condi-tions complexes qu’il serait impossible derecréer en laboratoire. On attend de cesexperts qu’ils atteignent avec succès des

objectifs flous ou multiples, dans des situa-tions incertaines, sous la pression tempo-relle et à enjeux élevés ». En management,la relative ignorance à l’égard de la NDMprovient de la spécificité de celle-ci : sanaissance, les terrains sur lesquels elle s’estdéployée, les « sponsors » qui ont permisson développement, en particulier lesarmées. Précisons tout d’abord les pré-misses de ce courant qui met au centre de saconstruction l’expertise. Cette capacité émi-nemment contextuelle constitue le fonde-ment de la décision naturaliste et les impré-vus sont consubstantiels aux pratiqueselles-mêmes.

1. La NDM, loin de l’approchetraditionnelle de la décision

Initialement conçu à la fin des années 1980pour étudier les processus de décision dansle domaine militaire et paramilitaire(Elliott, 2005 ; Lipshitz et al., 2001, p. 917),le courant de la NDM s’est étendu dansdiverses directions : médecine d’urgence etanesthésiologie (De Keyser et Nyssen,2009), plates formes offshore (Flin et al.,1996), organismes financiers (Biggs etWild, 1985). Ces « environnements natura-listes » – terminologie utilisée par ce cou-rant – sont considérés comme très spéci-fiques. Ils sont caractérisés par deschangements continus, fréquents et/ou bru-taux (Eisenhardt, 1993) tels qu’ils rendentinappropriés les modèles analytiques tradi-tionnels fondés sur l’évaluation de diffé-rentes options en un laps de temps très court(Elliott, 2005). En effet, ces modèles suppo-sent la production d’un large éventail d’al-ternatives entre lesquelles le décideur devra

8. Cette règle explique pourquoi certains alpinistes amateurs aguerris refusent de partir avec des personnes moinsexpérimentées car, en cas d’accident, la présomption de faute leur incombera nécessairement.

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choisir en mode « délibératif », vocable quidoit être entendu dans l’acception ordinairede capacité à discuter de ces options. Or, dans les configurations de changementscontinus et/ou brutaux, d’objectifs mou-vants, mal définis, le choix raisonné entreplusieurs alternatives n’est ni concevable, niobservé. Dans le droit fil des argumentsdéveloppés par H.A. Simon (1976), laNDM défend une vision avant tout positiveet non normative de la décision. Celle-ciétudie des contextes réels et non expéri-mentaux – d’où le terme de « naturalistic »(Zsambok et Klein, 1997, p. 6). Ces carac-téristiques contextuelles exercent une pres-sion dynamique telle qu’elles ne peuventêtre tenues pour des contraintes statiques etcontrôlables. Une vision balistique et calcu-latoire de la décision ne convient pas carmoyens et objectifs évoluent sans cesse,sous l’effet du cheminement antérieur – à lamanière d’une dépendance de sentier –mais aussi des changements environnemen-taux permanents. Ces derniers requièrentun jugement continu, incompatible avec lesmodèles décisionnels qui appréhendent leschoix comme des moments discrets consé-cutifs à des processus de « délibération ».Pour assurer la sécurité dans ce type decontextes où surprises et imprévus sontlégion, on conçoit aisément que les déci-sions pertinentes doivent être le fait d’ac-teurs considérés comme des expertscapables de prendre des décisions fiables etefficaces en un laps de temps bref, voiretrès bref, par exemple, dans le cas d’incen-dies (Gautier, 2010) et de secours (Perret,2001 ; Agresti, 2006). Les liens étroits quela littérature sur la NDM entretient aveccelle de l’expertise sont donc très forts carcette dernière en constitue le fondementmême (Salas et Klein, 2008).

2. « S’il te plaît : dessine-moi un expert »

La littérature consacrée à l’expertise estconsidérable (Ericsson et al., 2006). Elle abeaucoup discuté de sa nature, de son éva-luation et des domaines d’exercice – y com-pris le pilotage, les sports et les arts. Si lesconceptions sont loin d’être unifiées (Chi,2006), il est toutefois possible de délimiterles bases communes sur lesquelles unacteur peut être qualifié d’expert et quelssont les processus d’acquisition, de déve-loppement et de préservation de son exper-tise. Le cas de l’alpinisme permet d’illustrersa nature éminemment contextuelle ce quiconfère à la décision une dimension située.

Organisation, acquisition et développement de l’expertise

En termes généraux, l’expertise peut sedéfinir comme un (très) haut degré deconnaissances et d’habiletés (skills) dans undomaine spécialisé : l’expertise est donccontextuellement dépendante (par exemple,les échecs, le judo, la guitare classique, etc.).Elle trouve sa source dans la profondeur,l’intensité et la qualité de l’expérience anté-rieure (Salas et al., 2010, p. 946). Hoffman(1998, in : Chi, 2006, p. 22) propose unegradation : « naïve, novice, initiate, appren-tice, journeyman, expert, master » mais laplupart des travaux typifient des extrêmes :experts et novices alors qu’il s’agit plutôtd’un continuum (cf. encadré ci-après). Si lesindividus moins qualifiés ne sont certes pasdémunis de connaissances, ces dernièressont le plus souvent fragmentaires, organi-sées autour de traits de surface, tandis quel’expert recourt à des schémas plus abstraitset complexes, des « patterns » stockés danssa mémoire à long terme. Au-delà des divergences, les auteurs s’ac-cordent aisément sur la définition de ce

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qu’est un expert et reconnaissent qu’il pro-cède de manière spécifique, sans pourautant échapper aux risques de ne pasexceller du tout. Outre l’existence de sché-mas organisés, un expert est capable d’éta-blir des liens complexes et abstraits entreses différentes connaissances et de produiredes inférences fines. Comme le soulignentKlein et Hoffman (1993), l’expert possèdeun « avantage perceptuel » qui lui permet de« voir », de repérer des « formes » signi-fiantes (chunks, patterns) à partir de sonrépertoire d’expériences. En termes d’habiletés, on considère habituel-lement que deux types sont mobilisables dansla décision : les capacités cognitives et lescapacités motrices (motorskills) (Elliott,2005, p. 25 ; Ericsson et al., 2006 ). À l’ex-ception des activités à fortes composantesmotrices (sports, pilotage, etc.), les capacitésmotrices ne sont habituellement que peumises en relation avec la décision, tout parti-culièrement dans la littérature managériale etorganisationnelle. Même si la littératuredédiée aux connaissances reconnaît l’impor-tance de celles qui sont tacites, la décision asurtout puisé dans l’expertise privilégiant lesdomaines « intellectuels » (mathématiques,échecs). Le postulat implicite de la traditionscientiste est que la dimension corporelle(embodied) est soit secondaire, soit subor-

donnée aux connaissances « élevées » : ledécideur est un « pur esprit ». Or, aujour-d’hui, de plus en plus de travaux montrentqu’une telle partition est simpliste, en parti-culier par les fondements émotionnels quesupposent certaines décisions dites « intui-tives » (Damasio, 1999 ; Zeelenberg et al.,2008). Dans le cas de l’alpinisme qui cons -titue le domaine abordé dans cet article, les connaissances – et donc les décisions –sont autant « embrained » qu’« embodied »(Marshall, 2008 ; Harquail et Wilcox King,2010 ; Yaklhef, 2010). Il est donc impossible(hormis d’un point de vue analytique) de dis-socier ces deux composantes et c’est bienleur articulation mutuelle qui est à la sourcede l’expertise. Par ailleurs, l’expertise, comme toute autrecapacité, peut se déployer, se maintenir ou seperdre (Elliott, 2005, p. 25) et la littératureinsiste sur la nécessité d’entraînements sys-tématiques (deliberate practice) ; entraîne-ments intégrés de longue date dans les acti-vités militaires et sportives de compétition(Elliott, 2005 ; Ericsson et al., 2006 ;Lebraty, 2007; Bar-Eli et al., 2011). Il estclairement acquis que le maintien du niveaud’expertise est directement lié à l’entraîne-ment dans le domaine, autant dans des activi -tés « embrained » qu’« embodied » (Erics-son et al., 2006). Les secours en montagne,

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le continuum novice – expert

SA fréquemment incomplète SA rapide, possiblement sans effort et erronée Automaticité, modèles mentaux du domaineAttention limitée, mémoire de travail limitée Projection

NOVICE EXPERT

Source : d’après Endsley (2006, p. 637).

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par exemple, constituent un exemple éclai-rant de l’importance accordée à l’entraîne-ment régulier (Agresti, 2006). Enfin, et cepoint est tout particulièrement important, larecherche de feedback systématique est éga-lement un trait distinctif propre aux expertsque l’on ne retrouve pas chez les moinsexpérimentés (Salas et al., 2010, p. 960).

Domaine, contexte et situation : le cas de l’alpinisme

La littérature sur la NDM met l’accent surla dimension éminemment située de la déci-sion : il faut décentrer la décision de l’indi-vidu isolé pour l’inscrire dans un« contexte », système plus vaste qui l’en-globe et rend contingentes ses capacitéscognitives et la pertinence de ses décisions(Elliott, 2005). L’argument central est que,par nature, l’unité d’analyse pour les cher-cheurs en NDM inclut à la fois l’expertdans son domaine et la situation danslaquelle il intervient (Shattuck et LewisMiller, 2006), l’expertise étant d’autant

plus nécessaire que le jugement s’exercesur des situations non routinières. Dans la littérature générale en management,les vocables de « contexte » et de « situa-tion » sont souvent interchangeables (Journéet Raulet-Crozet, 2008). Le sens communpenche intuitivement pour une conceptionqui pourrait se résumer ainsi. Un contexte,assez trivialement, est constitué d’unensemble d’éléments « donnés » antérieursà l’action, à la manière d’une liste d’antécé-dents qui, simultanément, autorisent et limi-tent la liberté d’agir. Très différemment, ilpeut aussi se concevoir comme un cadre quiconstitue tout à la fois une donnée (exogèneà l’action) et un construit, un « étiquetage »apposé par les acteurs (Goffman, 1974). Aucours de leurs interactions avec l’environne-ment, les acteurs agissent en se référant à la« situation » mais, de manière récursive, parleur action, ils la modifient constamment. Ils’agit alors davantage d’une co-constructionpermanente (ibidem) d’acteurs « compé-

Figure 1 – Domaine, contexte et situation appliqués à l’alpinisme

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tents » plutôt que d’un préalable fixe, définiex ante, comme l’avait déjà signifié Giddens(Giordano, 1998, p. 30-31).Une telle lecture de la notion de situationsouligne ainsi davantage le caractère sub-jectif de cette construction, à l’inversed’une acception ordinaire qui privilégiel’idée d’une enveloppe s’imposant sansambiguïté à tout individu qui la vit. L’« éti-quetage » de la situation est donc uncadrage, processus sur lequel prend appuitoute décision (Journé et Raulet-Crozet,2008). La littérature sur l’expertise, quant àelle, opère une hiérarchisation en lien avecla définition même de l’expertise, cette der-nière étant spécifique à un « domaine ». Enl’appliquant à l’alpinisme, on peut proposerl’« encastrement » suivant pour domaine,contexte et situation (figure 1) :– Domaine : alpinisme,– Contextes : cascade de glace, expéditionen haute altitude, course de neige, etc.,– Situation : une cordée formée par deuxprofessionnels au jour j, dans la face sudde l’Annapur na à 10h30 avec une météoexécrable (contexte d’expédition en hautealtitude).Dans le cas des pratiques « alpinistiques »,contexte et situation sont en constantemodification et sont porteurs de risques etd’imprévus permanents : ces derniers doi-vent être très vite « reconnus » et les déci-sions souvent rapides.

3. Comment un expert en situation décide-t-il ?

La décision naturaliste est fondée sur le prin-cipe du « pattern matching » (Salas et al.,2010), principe qui consiste à confronter lasituation vécue avec les configurations anté-rieurement expérimentées, puis, à partir d’unprocessus de simulation mentale extrême-

ment rapide et « frugal » (Katsikopoulos,2009), agir rapidement. L’un des modèles lesplus connus est celui de Klein (1993) appelé« Recognition Primed Decision » (RPD)(Lebraty, 2007) ; modèle parmi d’autres qui aété ultérieurement discuté, amendé et raffinépar Klein lui-même (Elliott, 2005). La « fabrique » de la décision qui s’appa-rente plutôt à un processus itératif très court,peut se résumer de la manière suivante(Elliott, 2005, p. 11 sq ; Endsley, 2006).Devant une situation qui peut être inédite,l’expert cherche à « reconnaître la situation »(situation awareness) (SA) par comparaisonavec ses expériences antérieures organiséesen « patterns » (pattern matching), configu-rations qui lui sont familières et qui sontstockées dans sa mémoire à long terme. Pource faire, il réunit de l’information pertinente(situation assessment) et génère une ou deuxoptions plausibles sans examiner un largeéventail d’alternatives (Lebraty, 2007). Ilévalue ces options une à une au lieu de com-parer avantages et inconvénients de toutesles options (comme le ferait un novice). Si lacomparaison ne révèle pas de similitude,l’expert recherche d’autres informations etrecommence le processus. Lorsque la situa-tion « colle » (fit) avec une configurationconnue, il simule un cours d’action eu égardà l’objectif projeté, autrement dit, il imagineles conséquences possibles en cherchant àéviter les problèmes pouvant en découler. Ilagit rapidement sans prolonger l’analyse.Cette « fabrique » ne ressemble donc en rienà des moments discrets de choix séparés lesuns des autres car le décideur doit, en per-manence, réévaluer la situation qui évolueconstamment (continual situation assess-ment). Endsley (2006, p. 634) définit la« reconnaissance de la situation (SA)

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comme la perception, la compréhension dusens de celle-ci ainsi que la projection deson statut dans le futur ». Les dimensionscognitive et projective sont donc essen-tielles. Le « pattern matching » et la simula-tion mentale constituent les mécanismescentraux de la NDM : ils sont le fondementde l’action (Salas et al., 2010, p. 958),laquelle est le plus souvent rapide et sansretours en arrière possibles. La « fabrique »de la décision est donc dépendante de l’ex-pertise dans le double sens où la qualité du« pattern matching » et celle de la simula-tion mentale sont à la source de l’action.Les cas les plus intéressants à étudier sontceux pour lesquels la reconnaissance dessituations est complexe et problématique carne correspondant pas à une configurationdéjà rencontrée, autrement dit, quand le« pattern matching » est difficile et que l’au-tomaticité ne fonctionne pas. Ce processusconsiste alors à chercher à interpréter unesituation perçue comme nouvelle puis simu-ler un cours d’action plausible en cas d’im-prévu, de surprise, de situation « non recon-nue » (Salas et al., 2010, p. 957). Or, commenous l’avons déjà suggéré, les imprévus sontl’essence même de l’alpinisme ; un ensembled’activités fondées sur la gestion de ceux-ci.Consubstantiel aux processus de « recon-naissance », donc de décision, l’imprévu,notion apparemment triviale, mérite égale-ment d’être examiné plus attentivement.

4. L’imprévu : de l’improbable à l’impensable

Dans la littérature organisationnelle, l’idéed’imprévu ou d’inattendu (unexpected) estdevenue omniprésente, tout particulièrementdans celle qui s’intéresse aux High ReliabilityOrganizations (HROs) (Bigley et Roberts,2001 ; Weick et Sutcliffe, 2007 ; Koenig,

2007). Écart par rapport à un plan prédéfini,l’imprévu est le plus souvent considéré néga-tivement car non contrôlable ex ante et pou-vant avoir des conséquences préjudiciablespour l’action. Deux lectures, parmi d’autres,peuvent en être faites, lectures qui recoupentla manière dont, empiriquement, les alpi-nistes en rendent compte eux-mêmes. L’imprévu est, tout d’abord, ce qui est peuprobable : c’est un évènement possible,connu grâce à l’expérience antérieure et/oules récits d’autres acteurs. Par analogie avecla terminologie de Watlawick et al. (1975),on pourrait le qualifier d’imprévu « de pre-mier ordre ». Même si elle n’a pas été éva-luée, la surprise est de l’ordre du connu, dupensable. Son ampleur peut néanmoinscontrarier fortement les projets de l’acteur,voire faire peser sur lui un risque vitalcomme pour ce guide surpris par la gros-seur d’une avalanche : « ce qui m’a le plussurpris, l’ampleur du truc ! Je savais que çapouvait me partir dans les pattes et j’avaisanticipé, mais pas si gros, pas d’en haut !La montagne qui t’arrive sur la gueule,quoi ! » (Duclos, 2011, p. 11). Cet autrebref extrait de récit d’un guide (ErikDecamp, traversée de la Meije, 2008)montre que de tels imprévus nécessitent unedécision extrêmement rapide : « ma seuleinquiétude est la relative lenteur [de monclient]. […] L’ascension se passe bien […].La remontée à la brèche Zsygmondy estlaborieuse pour mon compagnon qui accusedes signes de fatigue. […] Plus tard, nousprogressons ensemble […]. Je suis vigilantmais nous évoluons dans des terrains moinsdélicats que les heures précédentes. […]C’est là qu’il tombe en face nord ; surpris,je dois m’arc-bouter de toutes mes forcespour enrayer sa chute pendulaire afin qu’ilne nous précipite pas tous les deux en bas ».

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Mais l’imprévu peut aussi être un évène-ment, une configuration inédit(e) radicale-ment étranger(ère) au(x) situation(s)connu(es) et qui échappe totalement à l’uni-vers des possibles de l’acteur. Ici, l’imprévun’est pas im/probable mais non pensé/pen-sable, il est hors de ses modèles mentaux :« ils ont découvert, à proximité de l’itiné-raire, un bon bivouac, aménagé sous un sur-plomb et, de ce fait, protégé de toute chutede pierres venant d’en haut. […] Rien n’au-rait dû les atteindre. Pas là. Rien sauf […]un éboulement gigantesque à une trentainede mètres d’eux. Si énorme, si fort que lesrochers ont rebondi sur les dalles, partout.[…]. Ils furent atteints, ils ne pouvaient pasne pas l’être. […] Elena avait cessé devivre » (Sauvy, 1998, p. 306-307). Ouencore, beaucoup moins dramatique : « j’ail’impression que rien ne peut aller. C’estincroyable, incroyable une chose pareille[…]. Rien, rien, rien [en se tenant la tête],rien de ce qu’on prévoyait ne marche ; c’estcomplètement ahurissant […]. J’ai vécu desquantités d’expéditions compliquées maisalors là… C’est stressant, c’est… [silence]incroyable ! » (Hugo, 59 ans, chef d’expé-dition, 2009). Ainsi, ce type d’imprévu « n’existait pas »jusqu’à ce que cette « réalité » se présente àcelui/celle qui ne peut la « reconnaître » dansson répertoire. « Réalité » (pour Watzlawick)et imprévu « de second ordre » se partagentl’impensable : l’imprévu est radical, il n’ajamais pris forme « avant » ; il est inédit dansl’expérience vécue de l’acteur et dans sesreprésentations. Aussi, devant une nouveautéqui interrompt le cours d’action, un acteur,expert ou non, va-t-il mettre en œuvre, le plussouvent, très rapidement, un processus de « reconnaissance » qui semble être l’ana-logue du sensemaking de Weick (Weick,

2008 ; Lipshitz, 2008) : « c’est quand l’indi-vidu s’aperçoit que le schéma ne “colle” (fit)pas que le sensemaking commence, proces-sus qui consiste à modifier le cadre pour trou-ver une meilleure solution » (Salas et al.,2010, p. 956). Dans des situations à risquevital, il est clair que ce processus prend unedimension particulièrement cruciale.En puisant dans les termes de Simon lui-même (1976), les imprévus peuvent doncaussi survenir non seulement dans l’environ-nement externe du décideur, mais égalementprovenir de son « environnement interne »,autrement dit de ce qui relève de ses habile-tés et de ses modèles mentaux. Ces derniersfonctionnent comme « une table de vérité »(Elliott, 2005, p. 38) appropriée pour lareconnaissance de situations familières.Toute fois, quand la complexité augmente, lerisque d’erreur – voire de catastrophe – s’ac-croît considérablement ainsi que le martèlentles auteurs travaillant sur les systèmes « àrisques » et les HRO (Amalberti, 2001 ;Bouzon, 2004 ; Gilbert et al., 2007 ; Koenig,2007). Même si, fort heureusement, toutesles situations vécues en montagne ne relè-vent pas de tels inédits, les acteurs font fré-quemment face à des situations en modifica-tion permanente sur lesquelles il faut porterun jugement continu et sûr (évolution dumanteau neigeux, estimation des risquesd’avalanches, qualité du rocher et/ou de laglace, progression des clients, etc.). Cesmodifications liées à la progression et à l’en-vironnement dans lequel ils évoluent,demandent une gestion constante de l’atten-tion (Ocasio, 1997) : « les experts s’enga-gent dans la pensée anticipatoire, identifiantdes explications […] qui incluent le maintiende la compréhension de l’ensemble du“tableau” […] ainsi que la projection dufutur » (Salas et al. (2010, p. 952).

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En gestion, et d’un point de vue acadé-mique, l’étude de tels contextes décision-nels inhérents aux pratiques de la montagneest, à ce jour, quasiment inexistante alorsqu’il existe de très nombreux travaux portéspar d’autres disciplines (Hoibian etDefrance, 2002). La décision y est présentevia les récits de professionnels, de prati-quants de la montagne, de sociologues oubien encore d’historiens. Ces récits font lapart belle aux frissons d’aventure maisaussi à leur revers : les accidents, classique-ment utilisés dans notre discipline pourreconstituer a posteriori les processus dedécision qui y ont conduit. En contrepointde cette posture, les lignes qui suivent seproposent d’esquisser des pistes derecherches possibles pour passer de travauxpost mortem à des travaux in vivo, avec lesdifficultés qui y sont associées.

III – COMPRENDRE LES DÉCISIONSDES EXPERTS EN MONTAGNE :DÉFIS EMPIRIQUE ETMÉTHODOLOGIQUE POUR LESCHERCHEURS

Dans les travaux sur les organisations, onpeut distinguer deux familles de travauxacadémiques sur la décision en montagne :la première est constituée d’analysesreconstituées ex post, la seconde, encoreplus limitée, se fonde sur l’étude de situa-tions dans lesquelles une dose marquéed’immersion est nécessaire ; immersionqui, en retour, soulève des difficultés maisaussi des potentialités intéressantes.

1. Le prisme de l’accident comme source de données

Les comptes rendus d’acteurs impliquésdans les ascensions mais ayant survécuainsi que les témoignages issus d’entretiens

et de sources secondaires (familles, col-lègues, médias) constituent une premièresource pour les travaux post mortem sur lesaccidents. Les chercheurs en managementanalysent a posteriori les processus de déci-sion qui ont conduit au drame, dans lamême inspiration que l’accident de lanavette Challenger ou bien l’incendie deMann Gulch. À ce jour, l’ouvrage de Krakauer (1997) qui relate le drame de latentative de l’Everest en 1996, est le seul àavoir été utilisé par des universitaires, à lafois pour leurs recherches et en tant quesupports pédagogiques destinés aux forma-teurs (en l’occurrence à Harvard). L’utilisa-tion de tels cas en formation est classique,comme, par exemple, celui de l’accident deTenerife pour les pilotes de l’aviation civile.Pour les avalanches, le site de l’Anena(www.anena.org) et la revue associée don-nent d’excellents exemples de reconstitu-tion d’accidents meurtriers. Les auteursayant recueilli les récits des survivants met-tent en exergue les processus d’« escalade àl’engagement » et de « poursuite de butsdestructeurs » qui, selon eux, caractérisentnombre d’expéditions en haute altitude(Roberto, 2002 ; Kayes, 2006 ; Tempest etal., 2007) Pour les analystes, emportées parl’obsession du sommet, ces tentatives sontsouvent traversées de processus d’engage-ment excessif qui, associés à la dégradationdes organismes (hypoxie, mal aigu desmontagnes) et à la pression médiatique,peuvent conduire à des accidents mortels. La production de tels travaux se comprendaisément du fait des difficultés liées à lanature des terrains, du caractère très sen-sible des évènements mais aussi parce queles chercheurs ne peuvent accompagnerphysiquement les acteurs sur des itinéraires

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qui leur sont inaccessibles. Avec, de sur-croît, la question éthique majeure que l’onne peut attendre d’un projet d’expéditionqu’il tourne au drame pour en faire un sujetd’étude pertinent. L’étude des décisions deprofessionnels en situation réelle reste doncl’exception, alors que l’appréhension invivo des pratiques est nécessaire pour com-prendre comment ils prennent leurs déci-sions pendant l’action. La difficulté d’accèsaux données constitue ainsi un frein consi-dérable à la conduite de ce type derecherches. Le défi est donc de taille : com-ment aborder les décisions en pratique alorsmême que les limites physiques de la plu-part des chercheurs leur en interdisent l’ob-servation directe ?

2. L’immersion pour travailler au plus près de l’action ?

L’observation de pratiques in vivo constitueune modalité de recherche qui se positionneen amont des accidents et se focalise sur lespratiques en situation, dans la mouvance ducourant « practice-based » qui se déploie lar-gement aujourd’hui (Gherardi, 2009). Dansun contexte parent, celui des expéditionspolaires, des travaux ont déjà été menés parune équipe de chercheurs travaillant autourde Rix et Lièvre (2010). Les auteurs propo-sent d’appréhender les dynamiques d’actiond’un point de vue microprocessuel enaccompagnant eux-mêmes les acteurs et enutilisant des méthodologies originales pourrendre compte de leurs pratiques. Cesméthodologies sont centrées sur le « faire »et sur le « dire » (pendant et après l’action),la restitution du vécu et des pratiques se fai-sant, par exemple, grâce à l’entretien en re-situ subjectif. Ces méthodologies ont été enpartie empruntées à l’ergonomie et notam-ment aux travaux de Bationo-Tillon

(Bationo-Tillon et al., 2010). Ces contextesoffrent des similitudes fortes avec la hautemontagne (froid extrême, vent, solitude,risques vitaux, etc.), mais ne prennent pas encompte « la troisième dimension » qu’estl’altitude et la grande variabilité du terrain(Giezendanner et Guais, 2007). Dans la tradition des Workplace Studies,Clansey (2006) montre combien « l’observa-tion naturelle » s’est déployée dans les tra-vaux liés à l’expertise, à côté d’autresméthodes plus classiques, comme la simula-tion ou encore l’analyse cognitive de tâches(CTA : Cognitive Task Analysis). Les étudesethnographiques sont particulièrement inté-ressantes car « l’expertise comporte unaspect subjectif et improvisé dont la formechange avec le contexte qui, lui-même estconstamment mouvant » (Clansey, 2006,p. 141). Lipshitz et al. (2001, p. 343-346)décrivent et discutent l’éventail desméthodes envisageables pour étudier lesdécisions en situation selon la problématiquechoisie. Selon ces auteurs, il est important,dans la mesure du possible, d’utiliser plu-sieurs méthodes simultanément, dont cer-taines sont clairement inspirées de l’anthro-pologie, de l’ethnographie, des sciencescognitives et de l’analyse des interactions(Fauré, 2009). Vouloir travailler au plus prèsde l’action avec ces experts réclame sansdoute l’utilisation conjointe de plusieursoutils et dispositifs, conformément au prin-cipe classique de triangulation (Jick, 1979).Le cas du projet « Un Rêve de Darwin » évo-qué ci-après relève clairement de l’immer-sion ethnographique complète.Ce type d’étude en immersion peut effecti-vement permettre une observation en grosplan d’une partie des pratiques décision-nelles des experts. Mais l’immersion, au

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milieu d’experts, de chercheurs insuffisam-ment expérimentés en alpinisme menacedirectement la progression des premiers. Cerisque croît avec les difficultés rencontréeset la responsabilité que les alpinistes ressen-tent à l’égard du chercheur. De ce fait, saprésence n’est jamais acquise ni même pos-sible. Le chercheur doit lui aussi, commeceux qu’il observe, faire face aux imprévus,gérer sa propre fatigue, s’adapter pour res-ter sur le terrain ou bien en sortir avec lerisque associé de provoquer des bouleverse-ments dans la progression, bouleversementsqui peuvent se révéler accidentogènes.L’exemple de l’expédition Darwin a claire-ment montré les limites d’un dispositifd’immersion complète lorsque les aléas et

les changements continus qui s’imposaientrendaient potentiellement difficile la pré-sence des chercheurs (par exemple, pourenvisager une éventuelle évacuation en casd’accident dans une région qui ne comporteaucun secours autre que par voie maritime). Ainsi, l’immersion permet d’observer engros plan les pratiques, elle les modifie éga-lement, notamment à cause du phénomènede « management des impressions » évoquéci-dessus mais encore, plus fondamentale-ment, par le fait que les chercheurs ne sontpas eux-mêmes des experts dans le domaine.Le « management des impressions » vis-à-vis des chercheurs est particulièrement actiflorsque les conditions de progression ne sui-vent pas le plan établi par les professionnels

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l’immersion des chercheurs au cours de l’expédition

« un rêve de darwin »

– L’objectif de l’expédition (www.unrevededarwin.com) qui s’est déroulée à l’automne 2009était de réaliser la première traversée de la cordillère de Darwin en Terre de Feu (extrême sudde la Patagonie). Cette chaîne de montagnes quasiment inexplorée, n’avait jamais été traver-sée dans sa longueur (environ 150 km à vol d’oiseau). Le facteur climatique (vents de typecatabatique très violents, précipitations considérables de pluie et neige de très mauvaiseconsistance) associé à un terrain extrêmement tourmenté en constituent la principale expli-cation. Les « premières » étant toujours considérées par les alpinistes comme la quintessencede leur activité, le bicentenaire de la naissance de Charles Darwin en 2009 constituait unedate symbolique idéale pour tenter une telle aventure.– Une équipe de chercheurs (Musca et al., 2010) a choisi d’étudier cette expédition toutd’abord parce qu’elle se déroulait dans un cadre spatiotemporel délimité : un groupe deGHM poursuivant un objectif spécifique, confiné pendant six semaines (bateau, camps debase, cordées) et isolé du reste du monde hormis par voie satellitaire (lorsque les liaisonsfonctionnaient !) L’immersion des chercheurs (par binôme sur trois semaines chacun) étaitpermanente, configuration qui leur permettait d’observer in situ et en temps réel commentces acteurs agissaient et prenaient des décisions face à des situations constamment chan-geantes et dans un environnement qui leur était totalement inconnu (ils avaient principale-ment effectué des expéditions en Himalaya et dans les Andes mais sous des latitudes très dif-férentes et surtout, sans « facteur maritime »).

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aux prises avec des imprévus déstabilisants.Lors de l’expédition Darwin, dans certainessituations de tension liées à la nécessité deprendre des décisions cruciales pour la suite,les enregistrements audio ou vidéo, tropintrusifs, étaient impossibles. Les tactiquesde contournement comme « aller dehors »pour discuter sans enregistreur ou loin deschercheurs, étaient présentes. Il est doncnécessaire de multiplier les angles de vue enutilisant conjointement mais de façon subtiledivers dispositifs simultanément : enregistre-ments audio et vidéo de micro-interactions(Lallier, 2009 ; Llewellyn et Hindmarsh,2010), vidéos et enregistrements embarquéspour une « enquête mobile » (Büscher etUrry, 2009) en ascension, observation ethno-graphique classique de tâches quotidiennespeu techniques mais liées aux routines éta-blies, etc. Il est également nécessaire de réfléchir àl’organisation de la recherche elle-même caril est quasiment impossible pour un néophytecomplet de comprendre cet univers et lescommunautés de pratiques qui s’y rattachent(Lave et Wenger, 1991). À l’inverse, une tropgrande familiarité du chercheur avec l’uni-vers étudié constitue une « trappe cogni-tive » : il connaît si bien les activités qu’il neparvient plus à réfléchir sur l’action car il estlui-même familier de l’action ; « la familia-rité distante », chère à Claude Riveline(1991) relève ici d’un dosage particulière-ment délicat. Dans certains dispositifs, les alpinistes sonteux-mêmes des cochercheurs : par exemple,au cours de travaux menés par des glacio-logues grenoblois où François Damilano,guide et spécialiste des cascades de glace, atravaillé sur le terrain avec eux (Montagnat et al., 2010). Ce double statut paraît plusfacile à assumer lorsqu’il s’agit d’effectuer

des carottages de glace « qui ne parlent pas »que pour étudier des décisions humaines deprogression complexe, le guide étant lui aussidans l’action et partie prenante de la décision.Les avis sur ce point sont très partagés parmiles professionnels qu’il faut convaincre – surtoute la durée de l’étude – de l’intérêt d’unerecherche in vivo. Pour certains, « on ne peutpas faire de la recherche sur les décisions enalpinisme si on n’est pas alpiniste soi-même »(Yves, GHM, 35 ans). Pour d’autres, « larecherche ne peut être menée en même tempsque l’action, surtout sur des terrains commela haute montagne » (Brice, GHM, 40 ans).Pour d’autres encore, « il faut que le cher-cheur soit à la fois un peu alpiniste pour nouscomprendre mais qu’il ait une distance suf -fisante pour savoir nous renvoyer à nospropres erreurs » (Maud, aspirant-guide,26 ans). La coopération des acteurs n’est pasnécessairement aisée sur la durée d’autantque la légitimité de la recherche n’est jamaisacquise dès lors que les situations prennentdes tournures complexes ou dangereuses. Cetype de contexte offre donc des potentialitéstrès intéressantes mais pose, simultanément,des difficultés amplifiées par la nature mêmedu terrain, la culture de la profession et lesactivités à haut risque.

CONCLUSION

La NDM constitue un cadre d’analyse pro-metteur mais encore inutilisé pour appré-hender la façon dont les experts de la mon-tagne décident dans des situationsfondamentalement imprévisibles et danslesquelles les enjeux sont vitaux. En ce sens,les recherches futures pourraient constituerune modalité de validation externe pour lathéorie mais aussi être un cadre exemplairepour apprendre des surprises et des impré-

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vus dans des contextes organisationnels plusclassiques, à l’instar des arguments de Wolfeet al. (2005). Toutefois, les défis pour leschercheurs sont importants et appellent audéveloppement de dispositifs innovants,combinant diverses méthodes et outils demanière à travailler au plus près des expertset aussi, très largement, en mobilité.La compréhension de tels processus inviteaussi probablement à conjoindre des littéra-tures et des univers différents qui s’ignorentlargement aujourd’hui. Celui portant surl’expertise, fondement de la NDM, n’entre-tient quasiment aucun dialogue avec celuiqui s’intéresse au management, en tout cas,jusqu’à une date très récente (Salas et al.,2010). Quant à la NDM, elle a surtout traitéd’organisations complexes à fort contenutechnologique et dans lesquelles il existedes procédures, des codes, des manuels deprescriptions très élaborés (Elliott, 2005).La montagne, quant à elle, met en jeu desexperts confrontés à des situations com-plexes et périlleuses avec pour ressourcesprincipales leur corps, leur jugement, desrègles de sécurité draconiennes certes, maisaussi une bonne dose d’improvisation et derapidité d’exécution en cas de risque vital.La littérature sur l’apprentissage est directe-ment liée à celle traitant de l’expertise, quecette dernière traite de compétences« embrained » ou plus « embodied » maisces deux univers se connaissent encore mal.Enfin, la mouvance du « practice turn »,très en vogue aujourd’hui, aborde encoretimidement les liens entre connaissances« élevées » qui ne seraient élaborées quepar de purs esprits (mind) et l’ancrage expé-rientiel dans le corps (Strati, 2007 ; Faÿ,2010 ; Harquail et Wilcox King, 2010 ;Yakhlef, 2010). Ce que les auteurs appellent

« the human body » n’est pas la seule consi-dération d’un corps détaché de l’esprit maisbien, comme l’avait esquissé le regrettéFrancesco Varela (Varela et al., 1993), une« inscription corporelle de l’esprit » sansdualité, posture qui ouvre de redoutablesdéfis méthodologiques pour le chercheur.Enfin, le lecteur aura remarqué que cettecontribution a constitué une « terrible sim-plification » que Watzlawick lui-mêmeaurait dénoncée : elle considère principale-ment l’expertise comme celle d’un seulhomme (ou femme), comme si le guide étaitle seul décideur omnipotent dans une cor-dée. Or, les situations réelles sont bien évi-demment plus complexes puisqu’une cordéeet, a fortiori, une expédition, sont forméesde plusieurs acteurs. Impossible donc des’en tenir aux décisions individuelles : lesreprésentations, les apprentissages, les expé-riences antérieures, le genre, les rôles, etc.produisent avant et en cours d’action del’hétérogénéité si grande que la littératuresur la NDM poursuit aujourd’hui un chemi-nement analogue à celui sur les organisa-tions. Elle se pose les mêmes questionsautour du « partage » (cognition, émotions,modèles mentaux, coordination, coopéra-tion, etc.) ; questions qui sont, elles aussi, aucentre des travaux consacrés aux équipesd’experts (Elliott, 2005 ; Kayes, 2006 ;Lebraty, 2007 ; Salas et al., 2010). Il n’estpas possible d’aborder ici ces débats quiconstituent un axe central traversant autantla NDM (Roth et al., 2006) que les équipesou les organisations en général. Mais le casdes organisations temporaires que sont lesexpéditions, est, à n’en pas douter, potentiel-lement exemplaire à développer, toutcomme celui d’autres types d’organisationsplus stables comme les services de secours.

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