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L’Equipe Mobile Sociale et de Santé (EMS) Rapport d’évaluation Jean Mantovani Dr Françoise Cayla 2002 Rapport réalisé à la demande du CHU de Toulouse OBSERVATOIRE REGIONAL DE LA SANTE DE MIDI-PYRENEES Faculté de Médecine – 37 allées Jules Guesde – 31073 Toulouse cedex – Tél : 05.61.53.11.46 – Fax : 05.62.26.42.40 – Mail : [email protected]

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L’Equipe Mobile Sociale et de Santé (EMS)

Rapport d’évaluation

Jean Mantovani Dr Françoise Cayla

2002

Rapport réalisé à la demande du CHU de Toulouse

OBSERVATOIRE REGIONAL DE LA SANTE DE MIDI-PYRENEES Faculté de Médecine – 37 allées Jules Guesde – 31073 Toulouse cedex – Tél : 05.61.53.11.46 – Fax : 05.62.26.42.40 – Mail : [email protected]

Introduction .......................................................................................... 1 « L’équipe Mobile de Soins » : objectifs et fonctionnement définis au moment du montage du projet ....................................................................... 4

Questions posées à l’évaluation ................................................... 6

Méthodologie de l’évaluation ........................................................ 8

Résultats :................................................................................................ 10

L’EMS : une formule attendue ................................................. 11 Une équipe sociale et une équipe de soins infirmiers :

régulation interne et régulation partenariale....................... 12 L’EMS dans ses fonctions de « médiation » ......................... 13 L’EMS dans sa fonction d’interaction et de

coordination dans le dispositif ................................................ 18 L’EMS dans sa fonction de veille ............................................. 21 Des interrogations plus générales… ..................................... 24

Rapport de synthèse de l’EMS ...................................................... 26

La place des médecins généralistes dans le dispositif d’accès aux soins des plus démunis ........ 32

Annexes ................................................................................................... 37

Sommaire

1

Introduction

2

Afin de favoriser l’accès aux soins des personnes les plus démunies, le Centre Hospitalier Universitaire de Toulouse a développé deux projets : celui de l’Equipe mobile de soins intégrée dans « l’Equipe Mobile Sociale et de Santé », EMS et celui de la Permanence d’accès aux soins de santé intitulée « Consultation générale », qui ont été mis en place entre décembre 2000 et janvier 2001. Ces projets définis en étroite collaboration avec les partenaires institution-nels, associatifs et professionnels intervenant dans le domaine de l’insertion et de la lutte contre l’exclusion sur Toulouse marquent la volonté du CHU d’approfondir un travail de partenariat avec les dispositifs existants, travail initié depuis quelques années dans le cadre d’un plan d’action spécifique consacré la médecine sociale et humanitaire (cf rappel du projet Médecine sociale et humanitaire du CHU). Le choix des actions menées répond à la volonté de l’établissement de susciter des propositions adaptées à l’évolution de la législation [élargisse-ment des missions des établissements de santé -art. 73- dans le cadre de la loi n°98657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions ; mise en place d’une équipe de soins ambulatoires (circulaire du 17 décembre 1998) ; mise en place de Permanence d’Accès aux Soins de Santé (circulaire du 17.12.98)], propositions qui devront également remédier aux dysfonctionnements repérés par les services impliqués dans l’accueil et la prise en charge des plus démunis. Les responsables scientifiques et administratifs de ces deux projets ont souhaité que dès leur mise en place une évaluation accompagne la mise en service des mesures prises et évalue les résultats. Il s’agit donc de fournir un feed back régulier sur le développement, la pertinence, l’efficacité des actions, de restituer régulièrement ces informa-tions aux divers responsables afin de permettre si besoin des ajustements de leur stratégie. Le rapport que nous présentons ici se situe donc dans une démarche d’évaluation pragmatique développée sur plusieurs niveaux :

- l’atteinte des objectifs que se sont fixés l’EMS et la Consultation générale (cf rapport intitulé « La Consultation Générale de La Grave. Rapport d’évaluation de la Permanence d’Accès aux Soins de Santé du CHU de Toulouse »)

- la pertinence des moyens mis en place : o équipe o organisation matérielle et humaine o partenariat

- les adaptations, les évolutions souhaitables et les questionnements encore à résoudre.

3

Bref historique sur le projet «Médecine sociale et humanitaire» du CHU Le projet commence à se développer au CHU à l’initiative d’un comité de pilotage administratif avec la mise en place : - du « Samu social » en 1995 (Pr Virenque, trois vacations médicales, une infirmière) - de l’Accueil hivernal d’urgence à l’Hôtel Dieu - du Point Santé à La Grave - de la création de l’appel social « 115 » Un « Plan d’Actions Prioritaires » (PAP) Médecine sociale et humanitaire est inscrit dans le projet d’établissement du CHU de Toulouse pour les années 1995-2000, dans les contrats d’objectifs et de moyens (1998-2000). Enfin un nouveau PAP est défini pour les années 2001-2005. Dans ce cadre, la Permanence d’accès aux soins de santé (PASS) de La Grave dénommée « Consultation générale » (8 vacations médicales, 0,5 temps d’AS) et l’Equipe de soins ambulatoires (EMS) (6 infirmiers, vacations médicales de médecins généralistes et praticiens hospitaliers) sont des actions de création récente (janvier 2001) consécutives aux nouvelles dispositions réglementaires1. Ces actions viennent compléter les actions de partenariat déjà initiées (convention mettant à disposition des moyens humains et logistiques) dans le cadre du : - Point Santé : lieu d’hygiène, de prévention et d’orientation - Hébergement hivernal d’urgence de l’Hôtel Dieu - Consultation au bénéfice des migrants et des tziganes - Halte santé : structure d’hébergement temporaire médicalisé

1 Circulaire DH/AF1/DGS/SP2/RV3/ n°376 du 17 décembre 1998 relative à la mission de lutte contre l’exclusion sociale des établissements de santé - PS PH Loi relative à la lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998 Circulaire DGS-SP1-SQ/DH ED-AF/98 n°674 du 17 novembre 1998 relative aux priorités de santé publique à prendre en compte pour l’allocation des ressources aux établissements de santé

4

1. « L’Equipe Mobile de Soins »

Objectifs et fonctionnement

définis au moment du montage du projet

5

Rappel des objectifs et du fonctionnement de l’Equipe Mobile de Soins au moment du montage du projet

Ce projet a été mis en place dans le cadre de la définition expérimentale des « Unités mobiles hospitalières » qui doivent « contribuer au développement de la participation de l’hôpital aux réseaux sanitaires et sociaux. L’hôpital doit, au-delà de sa mission de soins, contribuer au dépistage des souffrances sociales et s’attacher à établir un premier contact médical avec des populations qui ne peuvent ou n’osent venir vers lui ». Le groupe de travail, à l’initiative du projet toulousain, n’a pas retenu l’option « d’unité mobile hospitalière » et a défini un projet dont le principe essentiel est de s’adapter au contexte local, d’articuler l’ensemble des actions, de « mettre en réseau » l’ensemble des partenaires intervenant sur ce thème. Ces orientations ont été validées par les instances du CHU, CA et CME, et approuvées par l’ARH. Une « équipe mobile de soins» a été constituée. Ses objectifs généraux sont : - d’améliorer l’accès aux soins et à la santé des personnes à la rue dans le

cadre d’une démarche globale socio-sanitaire, - de rechercher les complémentarités et les synergies des partenaires dans

le CHU et hors du CHU et d’optimiser les moyens à mettre en place. Cette équipe mobile de soins est composée d’une équipe paramédicale et d’une équipe médicale. - L’équipe paramédicale (11 décembre 2000), composée de 6 IDE, est

associée à l’Equipe Mobile Sociale constituant l’Equipe Mobile Sociale et de Santé.

Ses missions s’articulent autour de quatre axes essentiels : o « aller au devant » des populations les plus démunies en sillonnant

Toulouse par la « maraude », o répondre aux signalements, évaluer, traiter ou orienter la demande, o servir de médiateur avec les services de consultation et d’urgences du

CHU, o assurer la continuité des soins à la Halte Santé

- L’équipe médicale (13 médecins libéraux et 1 médecin hospitalier) assure la prise en charge médicale des patients présents à la Halte Santé et répond aux demandes de l’Equipe mobile.

6

2. Questions posées

à l’évaluation

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Le choix de mettre en place sur Toulouse une Equipe Mobile Sociale et de

Santé (EMS) dont l’activité s’appuie sur un travail d’équipe et en particulier

sur des interventions assurées par un(e) travailleur(se) social(e) et un(e)

infirmier(ère) ont amené les responsables des projets et les partenaires

associatifs et institutionnels à poser des questions sur : la place, le rôle,

l’intérêt et les limites de cette équipe EMS dans le dispositif toulousain en

portant une attention particulière au rôle des infirmiers dans cette

dynamique.

Les questions portent tant sur les fonctions de « médiation » et d’accès à la

santé, les publics pour lesquels cette fonction peut ou non s’exercer, la

pertinence des procédures qui sont mises en place en terme d’intervention

mais aussi de fonctionnement interne.

Mais elles concernent aussi les fonctions d’interaction et de coordination

dans le dispositif et la « fonction de veille » que peut assurer cette équipe.

De façon plus spécifique, la place des médecins généralistes qui

complètent ce dispositif doit être interrogée à travers l’objet et le contenu

qu’ils donnent à leurs différents types d’intervention (passage dans l’accueil

hivernal d’urgence, consultations sur demande de l’EMS ou visite sur

demande dans les centres d’hébergement, prise en charge des patients de la

Halte-Santé), les facteurs favorisant ou limitant cette dynamique et ce qu’il

reste à faire.

8

3. Méthodologie

de l’évaluation

9

La démarche de l’évaluation s’est donnée plusieurs dimensions d’analyse

correspondant aux grands points de la problématique :

- Analyse documentaire et rencontres avec les promoteurs et

animateurs de la formule (entretiens et sources documentaires),

ainsi qu’avec les responsables institutionnels DDASS, CHU, CCAS.

- Rencontres avec les principaux partenaires toulousains du secteur

associatif, en vue de préciser les conditions d’inscription de l’équipe

mobile dans le contexte du dispositif spécifique toulousain « grande

précarité » (entretiens enregistrés : Médecins du Monde, équipe

mobile médicale, Boutique Solidarité/Halte Santé, CCAS, Antipoul,

association GAF-Habitat Différent, etc).

- Participation-observation de la vie de l’équipe (réunions initiales et

de restitution, participation à différentes réunions de régulation

interne) et rencontres personnalisées avec une partie de ses

membres.

- Recueil et analyse de données des publics concernés, à partir des

dossiers individuels tenus par l’équipe dans son activité quotidienne

(voir le détail de la méthode dans le texte en annexe : « Equipe

mobile sociale et de santé – analyse des dossiers individuels ».

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4. Résultats

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1 – Une formule attendue

"Aller vers" les publics qui ne se mobilisent pas : origines et définitions

L'Equipe Mobile Sociale et de santé n'est pas une formule plaquée d'essence purement institutionnelle. Sa mise en place renvoie à un questionnement de promotion de la santé en direction des publics les plus marginalisés qui s'inscrit dans une histoire longue à Toulouse. La lecture rétrospective des conditions « historiques » d'émergence de la formule « aller vers » restant malgré tout difficile tant pour l’équipe que pour les partenaires (le défaut de mémoire reste un problème récurrent des dispositifs spécifiques « grande précarité »), l'équipe d'évaluation a été amenée à finaliser un travail de reconstitution historique, sur la base d'entretiens avec les acteurs passés et présents du dispositif. (cf texte « historique » en annexe) La création et le développement de la fonction d'équipe mobile répond à un besoin construit dans le cadre historique de l'action partenariale en direction de ces publics, partant d'un constat largement partagé : les publics les plus marginalisés, publics de "SDF" ou d'"errants", comportent une part importante de personnes qui ne sont pas "demandeuses" de soins, sinon de façon “inadaptée”, qui "ne sont pas en mesure de se mobiliser pour le soin"2, dont l'accès aux soins n'est assuré dans de bonnes conditions ni dans les structures de soins de droit commun, ni dans les formules spécifiques de consultations gratuites. Le principe s'est ainsi imposé selon lequel il est nécessaire de mener un “travail en amont”, d'"aller vers" les publics à la rue, et ceci moins dans une perspective interventionniste que dans la perspective préalable d'établir ou de rétablir des liens avec les personnes les plus isolées et entre ces dernières et les intervenants professionnels. Ainsi, la création d'une équipe mobile sociale a eu dans un premier temps valeur de pérennisation d'une action sociale jusque là dévolue aux associations et donc limitée en moyens. Le développement du projet, en renforçant l'équipe initiale d'une fonction infirmière dotée de moyens significatifs, a permis d'officialiser une démarche qui visait dès ses prémisses à la mise en place d'une intervention mixte, sociale et de santé.

2 - Entretien en 1997 avec un intervenant associatif.

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Un premier questionnement général d'évaluation porte sur l'inscription de l'équipe nouvellement créée dans la continuité évoquée, sur sa capacité à intégrer les définitions et les principes initiaux de l'intervention mobile. Sur ce point, l'équipe semble être parvenue à intégrer rapidement les condi-tions de débat qui ont préfiguré la création de l'équipe, notamment grâce : - à un recrutement adapté (de personnes déjà très sensibilisées à ce type

d'intervention) - à une réflexion d'équipe et à une régulation interne adaptée.

2 – Une équipe sociale et de soins infirmiers : Régulation interne et régulation partenariale

Continuité des modes de régulation de la formule en articulation avec le dispositif préexistant

Que l'EMS se montre en mesure de s'inscrire dans la continuité des actions entreprises apparaît comme un double gage d'inscription réussie dans le paysage toulousain : - au niveau du fonctionnement interne, en tirant profit de l'expérience

acquise dans les actions précédentes, - au niveau d'un partenariat qui a de longue date joué un rôle important

dans la définition et la régulation des actions en ce domaine, et dont on pouvait craindre, en cas de rupture marquée de la nouvelle Équipe Mobile avec la "culture" préexistante, qu'il ne se sente en partie dépossédé.

Équipe Mobile Sociale et de Santé ?

Promouvoir la nécessaire intégration des deux composantes :

- La définition exacte de l'équipe et son affichage institutionnel sont restés flous pendant une période initiale de quelques mois (Équipe mobile de soins ambulatoires ? équipe mobile sociale et de soins infirmiers ? …).

- L'équipe a elle même retenu et fait valider la formule "Équipe Mobile Sociale et de Santé", qui paraît effectivement satisfaire les attendus préalables, moins orientés vers une action de soins à caractère volontariste que vers une action de type promotion de la santé respectueuse des personnes et d'abord préoccupée de la qualité des relations entre publics et intervenants.

- A ces deux niveaux, les choix d'organisation de l'équipe apparaît s'inscrire de façon cohérente : º en faisant une place large en interne aux temps de régulation et de définition des orientations du travail, º en réservant également des plages pour un travail au sein des instan-ces locales de réflexion et de coordination, notamment dans les collectifs inter associatifs des "acteurs de la rue", dans des relations qui ont permis de préserver les acquis de l'expérience du travail de rue.

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Ce type de fonctionnement semble notamment avoir joué favorablement dans l'intégration des infirmiers hospitaliers récemment recrutés, dans le sens de leur acculturation au travail de rue. La recherche et mise en place plus récente d'une instance de régulation croisée entre intervenants sociaux et médico-sociaux de l’EMS et de la structure hospitalière (par l’intermédiaire d’un cadre infirmier et d’un médecin hospitalier) paraît permettre d’optimiser encore l’accompagnement personnalisé des individus les plus marginalisés au sein de l’hôpital.

3 – L'EMS dans ses fonctions de « médiation »

L'EMS entre promotion de la santé auprès des plus marginalisés et urgence sociale

L'officialisation de la fonction d'équipe mobile, le contexte dans lequel celle-ci a été pérennisée, marqué par le net renforcement des problèmes liés à "l'urgence sociale" (accroissement notable du nombre de personnes "à la rue", demande accrue d'hébergement en urgence) n'a pas été sans décalages avec le projet initial « d’aller vers ». L’élargissement le plus notable tient dans la double vocation de l'EMS, telle que définie par ses promoteurs (cf rapports d’activité 2000-2001) : L’action de l’EMS reste prioritairement centrée sur les conditions d'accès à la santé des publics les plus marginalisés. Elle cible en premier lieu les personnes clochardisées, isolées ou "errantes" les moins demandeuses. Mais l'EMS est en outre un partenaire essentiel au sein du dispositif dit de "veille sociale", dispositif qui s'efforce de trouver des solutions pour "mettre à l'abri" les personnes durablement ou ponctuellement à la rue. Soit une action auprès du public plus large de "l'urgence sociale", composé non seulement des SDF de longue date mais aussi de différentes catégories de publics très précaires, jeunes en rupture des deux sexes, personnes relevant d'un suivi psychiatrique en mal de formule d'hébergement, personnes expulsées du logement social ou privé… A ces diverses composantes viennent s'ajouter depuis quelques années et dans des proportions très importantes les personnes solliciteuses d'asile territorial, d'asile politiques et autres situations d'immigrants récents. Cette deuxième dimension du travail de l'EMS se justifie aujourd'hui au nom du rôle privilégié qu'une équipe mobile de rue est la mieux à même de remplir, du fait de sa plus grande capacité à détecter les situations de personnes exclues du logement, et au nom de la prévention de situations qui se définissent comme particulièrement préjudiciables à la santé, le fait pour un individu ou une famille de "se retrouver à la rue" constituant un cas d'intervention de force majeure notamment en période hivernale.

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Quelle définition des publics ?

Au croisement entre politique de l'urgence et politique de la marginalité, l'action de l'EMS demande une attention permanente à la nature des publics en présence. En quoi l'EMS répond-elle aux attendus d'une action auprès des publics cibles prédéfinis ? Son action révèle t-elle ou permet-elle de prendre une mesure plus adaptée des publics en présence et de leurs conditions de vie ? En quoi l'EMS est-elle en mesure de développer une démarche de promotion de la santé auprès de ces différents publics ? Quels sont les risques qu'elle encourt de se voir "noyée" dans les contraintes, toujours plus fortes, liées à l'urgence sociale ?

Les enseignements de l’analyse des dossiers (cf annexes)

Derrière la définition première du public cible de l'intervention mobile se profilent des figures de "SDF", personnes caractérisées le plus souvent comme durablement "à la rue" mais tout aussi durablement installées dans la ville (et pour cela définies en tant que "résidents notoires"), la figure du clochard du centre ville, généralement un homme, réputé désocialisé, plus très jeune, avec une longue trajectoire de désinsertion derrière lui ... Ce type de public sommairement défini recouvre une minorité des interventions de l'EMS depuis sa création, mais il représente l'essentiel de l'activité de l'équipe. Il nécessite généralement un travail au long cours, de nombreux contacts et rencontres, avant de déboucher parfois sur un accompagnement personnalisé vers le soin. L'EMS se voit de fait amenée à prendre en compte un éventail bien plus large de publics définis par leur situation de rupture résidentielle, plus ou moins ponctuelle, ensemble de personnes "à la rue" relevant d'une prise en charge en urgence. Cet ensemble large traduit de façon réaliste la diversité des situations de grande précarité. En nombre, les situations des personnes relevant de l'urgence sociale repré-sente une majorité des interventions de l'équipe, interventions la plupart du temps ponctuelles, dans la majorité des cas limitée à la recherche d'une première solution d'hébergement en urgence et d'un relais vers les travail-leurs sociaux. Ces situations représentent toutefois une part secondaire de l'activité de l'équipe mesurée en nombre cumulé d'interventions comme en temps consacré. Dans l'ensemble, le public de l'EMS est constitué de "populations" hétérogè-nes, dont le profil tend à s'éloigner de plus en plus nettement de la figure du SDF clochardisé : - les hommes représentent un peu moins d'une situation sur deux, - les femmes seules représentent plus d’un tiers de l’ensemble, - on compte près de 17% de couples et de familles. Encore cette répartition a-t-elle fortement évolué au cours des deux dernières années : Si l’on en juge sur la base des dossiers ouverts : - en 1999 et avant : 2/3 d'hommes, 1/3 de femmes, - en 2000 : 54% d'hommes, 1/3 de femmes, 13 % de couples et familles,

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- en 2001 : 48% d'hommes et 39% de femmes. De même, si l'ensemble des dossiers ouverts depuis la création concerne 20% de jeunes de 25 ans ou moins, l'évolution est là aussi très sensible : aucun jeune de cette classe en 99 ou avant (la population suivie étant essentiellement composée de "résidents notoires" de longue date), 17 % en 2000 et 25% en 2001).

Les différentes modalités d'expression d'une demande

L'extension de l'activité de l'équipe sur le terrain de la précarité sociale au sens large se traduit par une diversification des problématiques en présence, et en premier lieu en termes d'expression d'une demande. Si le public cible initial de plus "exclus" se caractérisait avant tout comme ensemble de personnes les plus "isolées" et les moins à même de formuler une demande à l'égard des structures existantes, les divers publics de l'urgence et de la précarité se montrent dans des rapports différents à l'offre de service. Certains de ces publics apparaissent beaucoup plus demandeurs et beaucoup mieux à même de mobiliser par eux mêmes les ressources disponibles. Au cours de la période récente, l'équipe a été plus souvent amenée à intervenir sur signalement (et notamment par les services sociaux au sens large, ce qui traduit aussi bien la visibilité acquise de l'EMS que l'émergence de publics d'usagers des services). Et l'augmentation la plus nette concerne les "auto signalements", ensemble des personnes qui contactent elles-mêmes le service.

Dans la mesure où l'existence première de l'équipe mobile se justifie par le fait de publics sans demande, la question de la demande exprimée devient plus que jamais essentielle : - s'agissant des personnes les plus marginalisées, mais stabilisées dans

l'espace toulousain, l'émergence d'une demande résulte généralement d'un travail de l'équipe dans la durée, d'un "lien" entretenu à travers des rencontres multiples (souvent plus de 10 sur une période de quelques mois). L'équipe se situe dans ce cas au plus près de la définition première de sa vocation de médiation auprès des SDF résidents.

- S'agissant des personnes sans logis mais les plus à même de se mobiliser et de mobiliser les ressources existantes (parmi lesquelles nombre de demandeurs d'asile territorial, de personnes en rupture familiale, …), le rôle de l'équipe se limite, les dossiers étudiés le confirment, dans la réponse à l'urgence (mettre les personnes à l'abri) et dans la mobilisation des ressources nécessaires, notamment au plan social, pour "passer le témoin" le plus rapidement possible.

- Mais il est bien plus difficile de caractériser l'entre deux, composé de "publics" mal repérés comme tels, par l'équipe et plus encore par les institutions. Profils de SDF itinérants, de pauvres précarisés, de jeunes plus ou moins mobiles, certains identifiés à la figure du "traveller" ou de l'artiste… Certaines des personnes en présence se montrent deman-deuses, mais la majorité se caractérise par sa faible visibilité, personnes avec lesquelles les membres de l'équipe sont ponctuellement rentrés en

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contact, à un moment de difficulté particulière, et dont les fragilités et les ressources personnelles ou collectives restent difficiles à préciser.

L'équipe mobile participe là à rendre visible des composantes sociales de la précarité qui restent mal connues, en même temps qu'à soulever la question des besoins et des moyens spécifiques à mettre en oeuvre.

Les risques de l'enfermement sur les catégories de l'urgence et de l'errance

Les limites de la psychiatrisation des profils de précaires

Les risques de l'enfermement catégoriel et les limites de l'intervention "palliative"

L'intervention de l'équipe auprès des composantes sociales de la précarité les plus difficiles à cerner se justifie pleinement au titre de la prévention, au nom de la volonté "d'éviter la dégradation physique, médicale ou psychique de la personne". Si elle s'arrête le plus souvent à la recherche d'une solution d'hébergement, elle débouche aussi parfois sur une médiation pour suivi social, et dans quelques cas sur un accompagnement pour soins.

Mais il reste difficile de qualifier les situations personnelles et les profils et phénomènes sociaux qu'elles sous-tendent. Les politiques de l'urgence sociale (et on se situe là à un niveau de considération qui dépasse l'évaluation de l'équipe mobile) participent à entretenir la confusion en uniformisant les situations rencontrées à l'absence de logement et à leur dimension individuelle. Les approches catégorielles qui invoquent les "SDF", les "exclus" les "errants" ne contribuent guère à rendre plus lisibles les phénomènes observés lorsqu'elles les généralisent derrière la figure du clochard. La prise en compte des individus au nom de la souffrance qu'ils expriment ou de celle que décèlent les intervenants (la part entre les deux restant difficile à établir), déplace la compréhension des situations sur le terrain du psychique... L'ensemble traduit surtout la méconnaissance des publics en présence, et le traitement à la marge dont ils font l'objet, la logique de l'urgence restant d'essence essentiellement "palliative" et ne participant en rien à rendre plus visibles les publics en présence.

La difficulté se montre encore plus grande lorsque la définition des profils de publics fait appel à la dimension "psychiatrique". Certaines des personnes prises en compte par l'EMS sont caractérisées comme "psychotiques", parfois suivies de longue date, d'autres comme présentant des troubles du comportement, aigus ou chroniques, ou comme ayant fait l'objet d'un traitement par le passé, d'autres encore comme présentant des troubles dits "états limites", voire des "troubles de la personnalité plus ou moins avérés"… l'ensemble marquant une tendance à considérer que ces "troubles" constituent un caractère essentiel de l'individu. Le fait que les hôpitaux spécialisés aient limité leur fonction asilaire ces dernières années (ce bien avant AZF) participe pour partie à asseoir l'idée que les réponses spécialisées des institutions psychiatriques ne sont pas au niveau des besoins ressentis sur le terrain de l'urgence. Mais, s'il existe un besoin réel d'accompagnement pluriprofessionnel en milieu ouvert des

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personnes qui cumulent problèmes psychiatriques et grande précarité, la logique de l'urgence ne va pas elle-même sans alimenter une tendance à la psychiatrisation des situations de précarité, concernant notamment les personnes, jeunes et moins jeunes, repérables à la fois comme précaires et comme mobiles. Celles-ci sont le plus souvent définies comme "errants", au sens d'une mobilité sans but apparent, mais aussi au sens d'une instabilité essentielle posée comme trouble de la personnalité. La tendance traduit là encore le fait que les intervenants "immobiles" sont peu à même de suivre dans la durée, de "contenir" et de qualifier ces publics qui ne sont ni des SDF "résidents notoires" de la ville, ni les publics les plus enclins à porter leur demande devant les institutions. L'intervention de l'équipe mobile permet d'entrevoir quelques composantes de ces publics émergents, confirmant qu'ils ne sont pas ceux de "l'aller vers" comme type d'action conçue en référence à la figure du clochard du centre ville, qu'ils sont probablement un produit des politiques d'urgence autant qu'ils leur échappent. D'autres types d'action sont à développer en direction de ces nouveaux publics, sans doute moins focalisés sur la personne "isolée" et ses liens qu'attentifs à leurs conditions d'insertion dans l'urbain, conciliant des aspirations à habiter et à rester mobile, proposant des cadres d'activités sans retomber dans l'obsession de l'employabilité tout de suite... formules qui restent largement à inventer quelles que soient les expériences existantes. Au regard des besoins d'insertion, qui demandent d'abord et par définition que l'on porte sur les publics concernés un regard valorisant, les définitions qui renouvellent la figure du précaire comme personne atteinte de déficits psychiques ne contribuent pas à orienter favorablement une politique. En entretenant l'idée que les personnes concernées relèvent d'une prise en charge psychologique préalable, elles participent au contraire à leur stigmatisation. b. L'intervention de l'EMS auprès de la personne :

la place des infirmiers Les entretiens auprès des partenaires ont montré que ceux-ci sont demandeurs d'une intervention infirmière, non pas au service d'une médicali-sation à outrance, mais au service d'une information plus riche croisant les regards et les compétences. On attend de la médiation infirmière, et de l'équipe mobile plus généralement, qu'elle permette "d'y voir plus clair", de "débrouiller des situations" complexes. Les médecins de l'équipe mobile médicale, lorsqu'ils affirment qu'il n'y a guère de place à la rue pour une médecine générale d'intervention directe, en appellent eux-mêmes à une affirmation du "diagnostic infirmier" comme complément d'un "diagnostic" social.

Les pratiques développées par l'équipe répondent globalement aux attendus initiaux d'une médiation à plusieurs niveaux : "faire lien" auprès de la personne, jouer un rôle d'intermédiaire entre celle-ci et les institutions sociales et médicales, conseiller, orienter, intervenir directement dans

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l'hébergement de la personne en urgence, accompagner physiquement celles qui sont le moins à même de réaliser les démarches nécessaires. Les liens de correspondance et de réseau entre professionnels que l'équipe mobile a beaucoup développés dans la prise en compte des situations de personnes au cas par cas, constituent déjà une richesse nouvelle par rapport à la phase précédente, alors que les interventions associatives n'avaient ni les disponibilités nécessaires ni la légitimité suffisante pour mener un tel travail. Le savoir des ressources locales, constitué à base de relations individuelles autant dans le champ institutionnel que dans le milieu associatif semble répondre aux objectifs qui représentaient à terme l'équipe mobile comme jouant un rôle central dans le dispositif spécifique.

On peut également penser, tel qu'en témoignent certains interlocuteurs dans et hors de l'équipe, que l'apport des infirmiers hospitaliers consiste aussi dans les relations de correspondance qu'ils ont rendues possibles avec d'autres hospitaliers, pour une prise en charge personnalisée des situations de précaires qui restaient jusque là difficile à mettre en place dans certains cas. L'équipe semble ainsi tenir une place privilégiée dans le développement des liens de réseau entre la ville et l'hôpital, dans un sens de renforcement des relations personnelles entre intervenants, sur lequel les acteurs du dispositif de ville ont eux-mêmes de longue date axé leur action.

L'analyse statistique semble également montrer que l'articulation entre le travail de maraude qui vise à établir d'établissement des liens durables, la fonction de mise en réseau des interventions et le rôle de l'équipe dans l'accompagnement personnalisé, porte ses fruits en matière d'accès à la santé et aux soins des publics toulousains les plus marginalisés. (cf en annexe l’analyse des dossiers individuels). Quelles que soient les ambiguïtés de la double implication de l'équipe en direction des publics clochardisés et de la "clientèle" de l'urgence, il faut aussi porter au crédit de l'équipe le rôle qu'elle joue auprès des publics précaires dans leur diversité : - dans la détection des problèmes de santé et des situations à risque, - dans l'orientation et le suivi des personnes qui nécessitent des soins, - dans l'accompagnement individuel au sens physique et relationnel du terme.

4 – Fonction d’interaction et de coordination

dans le dispositif Diversification des modes d'intervention de l'équipe

Ce qui précède témoigne d'une diversité des formes d'intervention de l'EMS, qui dépasse déjà les contenus du projet initial. Le renforcement de l'équipe s'est traduit non seulement par une plus grande capacité d'action auprès des publics définis comme cible prioritaire de l'équipe, mais aussi par une nette diversification des interventions de l'équipe, plus particulièrement sur le versant de la promotion de la santé. Celle-ci a été dictée autant par la

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pluralité des publics en présence que par la complexité des dispositifs et leurs insuffisances. Mais la diversification des interventions de l'EMS tient aussi à la place qu'elle a prise sur le terrain de la coordination des actions au sein du dispositif de ville. L'équipe se situe là aussi dans la continuité d'une histoire et d'une culture locale qui ont privilégié très tôt l'action collective (inter associative, en lien entre les associations, les instances de l'Etat et l'Hôpital...)

Cette place prise dans la coordination des actions se joue à différents niveaux d'une articulation avec les autres composantes du dispositif. - La Halte Santé : l'EMS a établi des liens privilégiés avec la Halte Santé qui consiste dans la présence quotidienne de deux des membres de l'équipe dans la structure. La nouvelle articulation EMS/Halte Santé qui en résulte se traduit par une optimisation des lits d’hébergement pour soins dont témoigne l'analyse des dossiers individuels, mais elle n'en met que plus l'accent sur l'indigence du nombre de lits d'hébergement pour soins disponibles à l'échelle d'une ville comme Toulouse. - L'articulation avec le réseau Rivage : les médecins de l'ex Samu social/ Equipe Mobile Médicale ont constitué un réseau de médecins généralistes de ville appelé à devenir un partenaire important de l'EMS, dans une perspective de recentrage de l'intervention pour soins sur la médecine de ville. Les projets Périole et Maison du Jardin : dans le cadre de ses relations partenariales, l'EMS a notamment participé à la formulation de projets expérimentaux d'hébergement, en direction de personnes très marginalisées relevant d'un suivi pour soins (Périole), en direction de femmes en situation précaire y compris au plan de la santé (Maison du Jardin). On se reportera dans les deux cas au récent rapport d'activité de l'équipe. L'intervention dans les structures d'accueil hivernal d'urgence : L'EMS a dès le départ privilégié les structures d'accueil hivernal comme lieux où un travail de "tissage" de la médiation peut trouver à s'inscrire durablement. Avec l’assouplissement des règles limitatives jusque là appliquées dans le cadre de la "régulation" du dispositif spécifique (règle du maximum de 14 nuits, étendue à 30 pour l'hiver 2001-2002) ces structures apparaissent plus que jamais comme lieu d'un ancrage possible pour des personnes jusque là réputées "errantes" essentiellement du fait du turn-over imposé. Ce type d'intervention se justifie d'autant plus que les "nouvelles" formes de précarité que nous évoquons plus haut (celles qui se caractérisent moins par la clochardisation "à la rue" que par la mobilité des personnes, active et/ou subie) appellent à de nouvelles formes d'articulation entre travail de rue, suivi individuel et expérimentations d'habitat collectif (cf. ci-dessous).

Ces exemples (non limitatifs) d'une intervention plurielle de l'équipe se situent à un moment que la plupart des intervenants s'accordent à considérer comme peu favorable à l'expérimentation sociale et à la coordination des actions (faible mobilisation politique, médiatique et institutionnelle). Les attentes des intervenants partenaires à l'égard de la nouvelle équipe n'en sont que plus importantes.

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Diversifier encore les interventions et les formes de médiation ? Considérant la complexité des phénomènes de précarisation, la diversité des publics en présence et les limites des politiques de l'urgence en matière d'insertion des personnes, on peut penser que l'équipe mobile sera amenée dans le futur à se définir d'autres formes d'interventions pour une médiation santé plus adaptée. On a vu notamment que les principes et les méthodes de "l'aller vers", s'ils répondent bien aux besoins d'un public marginalisé de résidents "notoires", et plus largement auprès des personnes établies dans la ville, sont peu adaptés à certains des publics émergents parmi les plus mobiles. La maraude, la relation duelle à la personne, se montrent également en décalage dès lors que l'on considère non plus des publics atomisés composés de personnes isolées (ou réputées comme telles), mais des publics de groupes ou de collectifs, squatters, groupes de jeunes … Or, les publics de l'"errance" s'inscrivent semble-t-il de plus en plus nombreux dans des problématiques collectives. L'EMS sera-t-elle amenée à développer une autre maraude plus axée sur les collectifs ? D'autres types d'intervention articulant fonction mobile, formules d'accueil, lieux de vie plus informels… ? Ce type de questionnement sur l'avenir de l'équipe concerne aussi la nécessaire articulation entre politique d'insertion et politique de promotion de la santé : "aller vers" les personnes isolées répond à la définition première d'une action d'insertion sans le travail. "Faire lien" avec et autour des SDF c'est chercher à les insérer dans un cadre relationnel plus favorable à une démarche de santé, et l'expérience acquise dans l'action spécifique auprès des personnes en situation très précaire a bien montré que plus les personnes et publics sont marginalisés et plus il est nécessaire de faire médiation, de développer les fonctions de passage, de mettre en place des cadres d'insertion. Les formules toulousaines de la rue Job/Riquet, d'Habitat Différent, parmi d'autres, ont ainsi prouvé qu'il n'est d'action de promotion de la santé vraiment efficace auprès des plus marginaux sans préalable d'insertion. L'équipe se montre dès maintenant sensibilisée à ce type de problématique et cherche à poser des jalons en ce sens : lorsqu'elle établit des relations plus étroites avec la formule du GAF-Habitat Différent, lorsqu'elle se questionne sur les conditions dans lesquelles il pourrait être proposé des activités aux SDF, plus largement dans son travail centré sur les lieux d'accueil hivernal d'urgence … Comment l'EMS pourrait-elle mieux articuler un travail de maraude qui privilégie le lien individuel avec une action d'insertion ?

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5 – L’EMS dans sa fonction de veille

L'EMS, un outil privilégié pour une veille sociale Avec le Pôle d'Accueil d'information et d'Orientation, Antipoul… l'EMS fait partie intégrante du dispositif toulousain de "Veille Sociale", dispositif suscité par l'Etat à la fin des années 90 dans un but d'observation des phéno-mènes sociaux et d'adaptation des réponses. Au regard de la complexité des processus et des composantes sociales de la précarité, la fonction d'observatoire est plus que jamais nécessaire, et notamment dans des perspectives d'adaptation de politiques moins limitées à pallier les effets les plus visibles des phénomènes de précarisation. Une intervention "généraliste"

La connaissance des publics de la grande précarité reste fortement limitée du fait de l'éclatement des interventions, d'une segmentation des structures et des données qu'elles sont en mesure de fournir, ces dernières reflétant le produit de leur activité et les "clientèles" constituées, mais restant en grande partie impuissante à rendre compte de la globalité des phénomènes. Ceci constituait dans le passé récent une entrave majeure à une connaissance des publics marginalisés, que la mise en place de la Veille Sociale s'est attachée à lever. L'enjeu de la Veille demeure : pour s'adapter, l'action publique a besoin de mieux comprendre les mutations sociales en cours, de qualifier et nommer les composantes sociales en présence, de construire des catégories et des publics pour l'action. Or l'analyse des données d'activité de l'EMS a montré que celle-ci possède des atouts pour l'observation, tenant d'abord au caractère "généraliste" de son intervention. - De par sa mobilité, l'équipe se voit confrontée à l'éventail très large de

situations de personnes qui sont "à la rue" de façon plus ou moins ponctuelle ou durable, en situation de crise ou pas. Elle est en cela un révélateur des manques liés au peu de mobilité des services sociaux et sanitaires classiques.

- présente lorsque les services sociaux ne sont pas opérationnels elle a en outre accès à une part des publics du social.

- elle intervient aussi auprès de diverses structures partenaires - son approche à la fois sociale et de santé et sa vocation à suivre les

personnes dans le temps imposent des outils adaptés et font que l'information réunie est relativement riche.

L'analyse des données recueillies sur dossiers individuels donne un aperçu de l'intérêt que celles-ci peuvent avoir bien eu delà de la simple rédaction annuelle d'un rapport d'activité. La question de l'adaptation des outils d'information n'en revêt que plus d'importance, mais réaliser un travail statistique à des fins d'analyse affinée des publics de l'EMS dépasse à la fois les attributions et les disponibilités de l'équipe et relèverait donc d'une démarche spécifique.

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Quelle adaptation des outils ? Les outils au service de l'information et de la régulation de l'équipe On l'a noté à plusieurs reprises au cours de ce travail, le fonctionnement de l'EMS nécessite des outils d'information adaptés, - pour l'information des situations individuelles, au plan social et médico-social, - pour une observation plus systématique dans le cadre de la Veille Sociale, - au service de la régulation interne de l'équipe. Ceux-ci doivent concilier ces différents impératifs sans pour autant devenir une charge trop démesurée dans le travail au quotidien. Les instruments de recueil de l'information développés par l'équipe se composent aujourd'hui : - d'une fiche d'identification détaillée comportant une trentaine d'items qui couvrent un large éventail de renseignements sur la situation de la personne, du couple ou de la famille (voir l'analyse des dossiers individuels en annexe) - d'un cahier de liaison daté et circonstancié, outil qualitatif destiné à enregistrer toutes informations utiles concernant la situation de la personne, les correspondants ou autres professionnels référents, les interventions de l'équipe et contacts établis. L'ensemble constitue d'ores et déjà un instrument assez satisfaisant, dans les limites qui s'imposent à l'intervention de l'équipe : - l'information de la fiche individuelle reste très inégale dans la mesure où les rencontres et contacts des membres de l'équipe avec les personnes à la rue, très ponctuels ou au contraire très nombreux, produisent plus ou moins d'information, d'autant que les contacts occasionnels ne sauraient prendre la forme d'un interrogatoire systématique. - celle du dossier de liaison est également fonction de la nature du travail engagé au cas par cas, de la plus ou moins grande complexité des démarches… En l'état actuel, la mise en oeuvre de ces instruments constitue une charge de travail importante. Elle témoigne de l'implication des membres de l'équipe dans un travail qui demande souvent un important engagement de temps personnel. Les outils d'information demandent toutefois à être améliorés sur quelques points : a) Concernant la fiche individuelle, quelques renseignements élémentaires

demandent à être plus systématiquement renseignés : l'âge, l'année et date précise d'ouverture du dossier, le lieu de rencontre ...

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b) Plus important, certaines dimensions se sont révélées mériter une attention plus soutenue lors de l'analyse des dossiers :

1 - Préciser la demande : L'analyse des publics de l'EMS demande que soit qualifié plus attentivement les demandes des personnes, plus de précision dans le renseignement du "qui demande quoi et sous quelle forme ?", que les demandes formulées soient clairement distinguées des besoins diagnostiqués par l'équipe.

2- Mieux informer les dimensions psychologiques et psychiatrique : Il s'agirait d'orienter les outils de façon à mieux distinguer les situations de pathologie connue et diagnostiquées (par qui ?), celles qui demandent un complément d'information, les conduites addictives, le comportement des personnes dans la relation aux membres de l'équipe… La réflexion à ce niveau peut être menée comme partie consti-tuante du point suivant.

c) Formaliser plus avant une fiche infirmière

Correspond à une demande et un souci des infirmiers de l'équipe de formalisation d'outils adaptés à l'élaboration du diagnostic infirmier. Voir en annexe ? la proposition de l'équipe d'évaluation.

Les outils au service de la veille sociale et de la régulation interne On notera encore combien cette dimension est primordiale dans la cadre du travail effectué. En amont et en aval du recueil d'informations, l'équipe réalise un travail indispensable :

- de partage de l'information et de coordination interne de l'équipe - de réflexion collective dans un but d'adaptation des interventions.

Celui-ci passe par un aménagement formalisé de différents temps collectifs : - moments quotidiens de transmission de l'information entre les

différents intervenants de terrain - réunions d'équipe régulières

Y participe également le travail collectif important investi plus particulièrement dans la mise en forme des rapports d'activité, dont la qualité des documents fournis apporte témoignage. Celui-ci repré-sente un moyen privilégié au service de l'analyse des évolutions, de l'accumu-lation de l'expérience acquise par l'équipe, des formes d'organisation et de la réflexion sur les moyens et outils à mettre en oeuvre. Ce mode de fonctionnement apparaît effectivement à la fois comme gage essentiel de la qualité de l'intervention et du suivi des personnes, et comme garant d'un bonne observation des phénomènes sociaux auxquels l'équipe est confrontée. S'il serait aujourd'hui illusoire de chercher à le réduire sous la forme d'un recueil d'informations standardisées et à l'aide d'instruments de traitement automatique des données, ce type de démarche apparaît également comme garant de 'adaptation des outils d'observation dans la durée.

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Dans ce sens, l'équipe devrait en outre pouvoir compter, notamment au moment du travail de synthèse de l'activité annuelle, sur un soutien technique à l'analyse des phénomènes considérés. Il faut en outre considérer que la réflexion et la régulation des interventions n'est pas du seul ressort du travail interne de l'équipe. L'EMS prend d'ores et déjà une part active dans la réflexion pluri-partenariale, qui mériterait d'aboutir sur la définition d'outils communs pour la définition des publics en présence et des besoins qui s'y attachent, comme en ce qui concerne la définition de la politique de service.. La complexité du champ de la grande précarité en appelle en effet à un enrichissement permanent des problématiques qui s'y attachent.

F – Des interrogations plus générales

A l'issue de ce tour d'horizon, des questions plus générales demeurent, certaines déjà soulevées ou évoquées, et d'autres qui méritent de l'être. Le risque de "glissement de responsabilité"

(formule empruntée au rapport d'activité 2001-02 de l'EMS).

Revers de la médaille des liens que l'équipe a su développer avec de multiples intervenants dans le champ sanitaire et social, l'EMS a vu sa visibilité et sa crédibilité s'accroître sensiblement. L'étude des dossiers individuels, et notamment de ceux que l'équipe a ouverts au cours de la période récente, semble montrer que certains acteurs sociaux (au sens large incluant par exemple les services de police), certains correspondants hospitaliers, prennent une place grandissante dans le signalement des personnes et dans la mobilisation de l'équipe. On peut aussi y voir la rançon de la définition très large que l'équipe s'est donnée de sa fonction de "veille" : être présente là où les institutions ne sont pas et lorsqu'elles sont absentes, être mobile et intervenir prioritaire-ment lorsque les services sont fermés, le soir et le week-end. Mais le risque n'est pas absent de voir les institutions partenaires interpréter elles-mêmes de façon très large la fonction de l'EMS, et multiplier les sollicitations, dans les domaines multiples où une action mobile fait défaut ou est insuffisante. Différents exemples tirés des dossiers de l'équipe montrent que la tendance existe, par exemple en ce qui concerne le suivi de certaines situations sociales "lourdes", qui conduisent à un certain essoufflement des services sociaux classiques, en ce qui concerne des personnes qui nécessi-tent un accompagnement individualisé que les services ne sont pas en mesu-re de réaliser... On peut également penser que les sollicitations peuvent porter à l'avenir sur des fonctions tout aussi essentielles mais très éloignées de la fonction de l’EMS : médiation dans les conflits entre SDF et habitants, règlement "en douceur" des désordres urbains imputables à des personnes sans logis... Dans le champ de l'urgence, et plus particulièrement des formules d'accueil hivernal, la demande est également forte d'une intervention extérieure

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susceptible d'apporter une aide dans la régulation des conditions de l'accueil. Cette demande s'explique largement par la situation précaire des équipes d'accueillants, en situation souvent inconfortable face à la complexité grandissante des situations de publics en grande précarité. Pour le moment, les capacités d'intervention de l'EMS ne sont pas dépassées. Mais la "demande" institutionnelle ne semble pas devoir manquer de s'accroître, et les perspectives ouvertes sur une réforme de la politique de l'urgence dans le sens de la diversification et de l'annualisation des formules d'accueil et d'hébergement, semblent mériter que l'on anticipe un scénario dans lequel l'intervention de l'équipe mobile serait rapidement confrontée à ses limites. La montée en charge rapide de son activité depuis sa création appelle à le faire.

Les effets induits de la politique de l'urgence

Comme toute action ciblée l'urgence crée ses publics. On ne peut guère penser que le développement de l'offre en formules d'urgence (accueil, information, hébergement…) conduira à terme à l'épuisement de la demande. Au contraire, on voit ces dernières années se manifester une inflation certaine de la demande, qui s'exprime aussi bien dans l'accueil de jour, le pôle d'accueil, les formules d'accueil social… Abstraction faite des personnes solliciteuses d'asile, dont les effectifs grandissants ces dernières années ont eu pour effet d'occulter en partie les évolutions parallèles, diffé-rentes composantes d'une demande se manifestent, concernant notamment des publics de jeunes très mobiles, de femmes en rupture familiale. Il semble que l'urgence s'inscrive ainsi, comme d'autres univers de service, dans une dynamique où l'offre et de la demande se produisent mutuellement. Si ces évolutions concernent moins directement l'EMS que les formules d'accueil et d'orientation, les données d'activité semblent montrer qu'elle n'est pas pour autant préservée de l'accroissement d'une demande des publics de l'urgence sociale. Si l'équipe contient aujourd'hui son intervention auprès de ces publics dans les limites du "mettre à l'abri et orienter", il n'en apparaît pas moins nécessaire d'anticiper une régulation dans un sens qui réaffirme la primauté de la démarche de promotion de la santé. Ces considérations sont également applicables aux publics des solliciteurs d'asile, regroupés sous un terme générique qui cache là aussi des disparités importantes. Dans l'ensemble, la préoccupation porte encore sur le risque inflationniste lié à la confusion entre problématique de promotion de la santé et problématique de l'urgence sociale. On peut notamment craindre que même si la prise en charge des publics de l'urgence sociale par l'EMS continue à constituer une part minime de l'activité de l'équipe, celle-ci ne soit amenée à gagner du terrain au détriment de formes d'action plus essentielles au regard d'une promotion de la santé, et en premier lieu de formules, qui restent pour beaucoup à développer, articulant intervention mobile et action d'insertion.

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Rapport de synthèse de l’EMS

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1 - LE PROJET « EMS » : Le sigle recouvre une définition adoptée par l'équipe au-delà de sa période de gestation : Equipe Mobile Sociale et de Santé. Il s'agit d'une formule attendue - qui résulte d'une réflexion pluri-partenariale ancienne, - portant sur "Aller vers les publics" qui ne sont pas en mesure de se mobili-ser pour le soin, - dans une optique de promotion de la santé impliquant à la fois une inter-vention sociale, visant à "faire lien" autour de ces personnes parmi les plus marginalisées, et une intervention infirmière, l'équipe médico-sociale ainsi constituée s'attachant à établir les conditions d'une médiation. La participation d'infirmiers au "travail de rue" est recherchée de longue date par les intervenants sociaux et associatifs. Ces derniers en attendent qu'elle permette "d'y voir plus clair", de "débrouiller des situations" complexes. La nécessité d'un "diagnostic infirmier" comme complément du "diagnostic" social est clairement affirmé par l'ensemble des intervenants. Le soutien hospitalier a permis de renforcer et de pérenniser une intervention jusque là confinée au volet social du projet et très limitée en moyens. L'accroissement des capacités d'intervention s'est particulièrement porté sur la "maraude", intervention dans la rue. L'équipe a su s'inscrire dans la continuité du dispositif toulousain "grande précarité", grâce notamment à un recrutement adapté et à une régulation interne adaptée (cf. ci-dessous). 2 - REGULATION INTERNE ET PARTENARIAT En cette phase de mise en place et de développement les membres de

l'EMS ont porté une attention particulière à la régulation d'équipe et à la définition de ses orientations du travail (Cf. ci-dessous : Outils d'observation et de régulation).

Elle a également pris une place significative au sein des instances toulousaines de réflexion et de coordination.

Ce nécessaire travail réflexif a permis une intégration des infirmiers à l'équipe préexistante. On notera toutefois l'absence d'instance de régulation horizontale articulant l'EMS et l'hôpital.

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3 – L'EMS DANS SA FONCTION DE MEDIATION POUR LA SANTE

Entre publics de l'urgence et publics les plus marginalisés

Le contexte dans lequel l'EMS a été mise en place, marqué par les problèmes relevant de "l'urgence sociale" (personnes sans abri, grande précarité), au moment où se mettaient en place les dispositifs de "Veille sociale", a concouru à élargir sensiblement le champ d'action de l'équipe au regard du projet initial : - son action prioritaire reste centrée sur les personnes les plus marginalisées, réputées les plus isolées et les moins à même de porter une demande vis à vis des institutions. - mais elle se porte de fait sur le public plus large, composé de l'ensemble des personnes durablement ou ponctuellement "à la rue". La mission de l'équipe consiste également à orienter, accompagner et "mettre à l'abri", les personnes sans logement avec lesquelles l'équipe, du fait de sa vocation de mobilité sur l'espace public urbain, est la mieux à même d'établir le contact. Des publics hétérogènes et différentes modalités d'expression

d'une demande L'analyse des dossiers ouverts montre que le public de l'EMS est large et hétérogène : Le public le plus marginalisé, personnes clochardisées, squatters de

longue date... représente l'essentiel de l'activité de l'équipe, la majorité des interventions, mais une minorité des dossiers ouverts. Ces personnes font l'objet d'un suivi conséquent mesurable au nombre important des rencontres et contacts que l'équipe établit avec elles. Ce suivi a parfois d'ores et déjà débouché sur un accompagnement pour soins, dans lequel les hypothèses qui fondent le projet se trouvent vérifiées. Le public plus divers de "l'urgence" représente une majorité des

dossiers ouverts, le plus souvent lors d'une intervention ponctuelle, mais une part secondaire de l'activité de l'équipe. Il recouvre notamment un ensemble de situations de :

- jeunes mobiles en quête d'insertion - jeunes personnes en ruptures de cohabitation familiale ou d'hébergement

chez un tiers. - problèmes ou ruptures de couples - de personnes en rupture récente de logement, la plupart expulsées de

leur logement - personnes, couples et familles solliciteuses d'asile territorial.

Les personnes connues et définies comme présentant des troubles psychologiques graves, ou des problèmes de toxicomanie. Différentes données, notamment l'augmentation des auto-signalements, semblent montrer que certaines des situations évoquées correspondent moins à un profil de personnes "isolées et marginalisées" qu'à des personnes,

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certes en situation de grande précarité, mais beaucoup mieux à même de mobiliser par elles-mêmes les ressources disponibles L'analyse des dossiers montre cependant que certains "publics" parmi les moins visibles et les moins "demandeurs" restent peu pris en compte par l'équipe : profils de SDF itinérants, de pauvres précarisés, de jeunes définis comme très mobiles et/ou par leurs sociabilités de groupe, certains identifiés à la figure du "traveller" ou de l'artiste. L'équipe a d'ores et déjà engagé une réflexion visant à être plus présente auprès de ces composantes. Des questions demeurent liées au fait qu'il reste difficile de qualifier certaines situations personnelles traitées en "urgence", et à caractériser les profils de publics. Le fonds de dossiers comporte en outre un nombre important de personnes définies comme présentant des troubles ou des problèmes d'ordre psychique. Ces situations demandent à être mieux informées, notamment en faisant appel, comme cela a été déjà initié, à la médiation d'intervenants profession-nels extérieurs à l'équipe (psychologues, psychiatres, intervenants sociaux…) Les relations autour de la personne

Dans l'ensemble, l'intervention de l'EMS recouvre une gamme large qui va du simple contact ponctuel à un suivi de longue haleine avec accompagnement physique de la personne dans certaines démarches (de soins notamment), passant notamment par l'orientation vers les professionnels compétents ou un suivi conjoint avec ces derniers. Les liens de correspondance et de réseau que l'équipe a développé dans son action auprès des personnes constituent déjà une richesse nouvelle par rapport à la phase précédente. De même, l'apport des infirmiers permet aussi dans les relations de correspondance qu'ils ont rendues possibles avec des hospitaliers, une prise en charge personnalisée des situations de personnes précaires qui restait jusque là difficile à mettre en place. Elles demandent cependant à être développée sur la base d'une meilleure articulation entre l'Hôpital et l'EMS.

4 – LE ROLE DE L'EMS AU SEIN DU DISPOSITIF "GRANDE

PRECARITE" Diversification des modes d'intervention de l'équipe

Le renforcement de l'équipe s'est également traduit par une sensible diversification de ses interventions dans le cadre du dispositif de ville et dans sa coordination. L'EMS a notamment : - renforcé les liens privilégiés entre la fonction d'équipe de rue et la Halte Santé, - développé une intervention centrée sur les lieux d'hébergement hivernal d'urgence,

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- participé au montage de projets nouveaux touchant notamment à l'hébergement, Diversifier encore les interventions et les formes de médiation ?

Considérant la complexité des phénomènes de précarisation, la diversité des publics en présence et les limites des politiques de l'urgence en matière d'insertion des personnes, on peut penser que l'équipe mobile sera amenée dans le futur à se définir d'autres formes d'interventions pour une « médiation santé » plus adaptée à certains publics. L'équipe participe étroitement à une réflexion en ce sens, à la fois en interne et en partenariat. 5 - DES OUTILS POUR LE SUIVI INDIVIDUEL, LA "VEILLE SOCIALE", ET AU SERVICE

DE LA REGULATION INTERNE DE L'EQUIPE Les dossiers de suivi

Le fonctionnement de l'EMS au quotidien requiert des outils documentaires adaptés. Les instruments de recueil de l'information développés par l'équipe se composent aujourd'hui d'une fiche d'identification détaillée et d'un cahier de liaison daté et circonstancié, l'ensemble constituant d'ores et déjà un instrument relativement satisfaisant, dans les limites qui s'imposent à l'intervention de l'équipe (la rencontre ne saurait se transformer en interrogatoire). La mise en œuvre correcte de ces instruments constitue une charge de travail importante. Deux dimensions restent toutefois à développer : - qualifier plus précisément la nature des demandes qui s'adressent à l'équipe - mieux informer les troubles et problèmes psychiques. L'EMS, un outil privilégié pour une veille sociale

La fonction de Veille Sociale a été développée en vue d'une adaptation de l'action publique fondée sur une meilleure connaissance des publics les plus précaires. Si la Veille sociale n'est pas l’objectif premier de la démarche, l'EMS possède des atouts certains pour l'observation, du fait du caractère "généraliste" de son intervention (auprès d'un éventail large de publics, à la rue et dans de multiples structures...), et du fait de la définition que l'équipe s'est donnée de sa fonction de veille : être présente sur le terrain y compris lorsque les services sociaux ne sont pas opérationnels. Les outils d'analyse au service de la régulation de l'équipe.

Dans l'univers complexe de la "grande précarité", l'information dont se dote l'équipe doit pouvoir participer à orienter la politique de service de l'EMS. Le temps de la régulation apparaît essentiel. On peut difficilement imaginer réduire cette information, nécessairement qualitative, à l'aide d'outils informatiques standardisés.

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Les moyens dont dispose l'EMS aujourd'hui, aussi imparfaits soient-ils, permettent de mener ce nécessaire travail de réflexion et d'orientation de l'action, ce dont témoigne la qualité des rapports d'activité que l'équipe fournit. Les outils au service du diagnostic infirmier demandent toutefois d’être développés plus avant.

6 - DES INTERROGATIONS POUR L'AVENIR A l'issue de ce travail d'évaluation, et sur la base des constats que nous avons pu dresser, des questions restent en suspens qui intéressent le devenir de l'EMS. Le risque de "glissement de responsabilité"

Au cours de ses deux premières années d'exercice, l'EMS a vu sa visibilité et sa crédibilité s'accroître sensiblement. L'étude des dossiers individuels, montre que la demande des partenaires (associatifs, sociaux, hospitaliers) prend une place grandissante dans le signalement des personnes et dans la mobilisation de l'équipe. En tant que rare équipe "mobile" sur le terrain, l'EMS semble confrontée au risque de se voir sollicitée pour tout ce qui concerne les "SDF", au-delà de sa mission de promotion de la santé. Les effets induits des politiques de l'urgence ?

Pour n'évoquer que la mission définie à l'EMS, et comme toute action de service ciblé les politiques de l'urgence produisent leurs propres publics, ou, plus exactement, s'inscrivent dans une dynamique de production mutuelle de l'offre et de la demande. Si l'activité de l'EMS sur le versant de l'intervention en urgence reste limitée, on peut craindre de même que l'action visant à considérer les publics les moins demandeurs ne tourne progressivement au bénéfice de publics mieux à même de formuler une demande.

Aux limites des moyens de l'équipe ? Au regard de ces considérations, la rapide montée en charge de l'activité de l'équipe mobile demande d'ores et déjà à anticiper un scénario dans lequel son intervention serait rapidement confrontée aux limites de ses moyens humains.

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La place des médecins généralistes dans le dispositif

d’accès aux soins des plus démunis :

EMS, AHU, Halte santé, PASS

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Fonctionnement actuel Equipe mobile : organisation d’une garde tous les jours de la semaine et

le week-end pour répondre à l’appel des centres d’accueil et d’hébergement et à l’appel de l’EMS.

11 médecins adhérents à l’association « Rivage » y participent.

Accueil hivernal 1 passage hebdomadaire dans chaque centre d’accueil hivernal d’urgence : d’urgence assuré par 7 médecins. Halte santé : 1 passage quotidien, 5 jours sur 7 assurés par 4

médecins. Des astreintes assurées pour le week-end et les soirées (samedi après-midi/dimanche).

Les médecins interrogés sont pour la plupart ceux qui se sont mobilisés sur ce thème dès la mise en place des actions type « samu social » (1994-1995), formule qui sur Toulouse avait rapidement conduit à assurer un passage régulier des médecins dans les centres d’hébergements hivernaux d’urgence. La place des médecins généralistes et leur articulation avec l’équipe mobile sociale de santé (EMS) Les consultations ou visites sur demande

Les médecins confirment l’idée selon laquelle « les médecins n’ont rien à faire à la rue, il n’y a ni les conditions, ni l’acceptation des gens » sinon dans le cas d’urgences vitales qui nécessitent alors l’intervention du SAMU. Mais le principe d’assurer un appui aux infirmiers de rue dans le cadre de l’EMS (renseignement, régulation) et d’assurer une consultation médicale dans leur cabinet ou à la halte santé, si besoin est, fait consensus. C’est sur cette base que se sont positionnés les médecins, ce qui a également permis d’établir un système de garde pour répondre aux appels dans les centres d’hébergement ou à la halte santé, de 18h à 24h dans le cadre de « visites à domicile » si nécessaire. L’organisation ainsi mise en place permet d’assurer sur la commune de Toulouse « une réponse médicale » à des personnes en situation de grande précarité et présentant des problèmes de santé qui ne relèvent pas de l’urgence. Ces réponses sont apportées par des médecins inscrits dans un dispositif qu’ils connaissent bien, afin de favoriser une approche globale et une continuité des soins, ce qui correspond aux objectifs visés par le « réseau ville-hôpital-santé-précarité ». Mais la « continuité » des soins est, de l’avis des médecins, ce qui reste le plus difficile à organiser (cf. paragraphe suivant).

Entretiens réalisés avec :

Dr GALAUP Dr ALLENOU Dr LAFONTAN Dr CASIMIR Dr MALATERRE Dr MASSERON Dr MARCH

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L’absence actuelle d’un recueil systématique d’informations sur ce type d’intervention ne permet pas d’apprécier leur importance et leur nature. Une réflexion visant à développer ces outils d’information et de liaison a été engagée par les médecins de « Rivage ». L’année 2001-2002 a été l’occasion des tester ces modalités d’intervention et de les adapter. Il faut maintenant pouvoir en préciser le cadre, le conte-nu afin que tous les médecins qui y participent s’accordent et adhèrent à cette démarche qui devrait avoir les moyens d’un temps d’échange et de régulation interne et avec les partenaires, notamment l’EMS. C’est sur ces bases que pourraient être mieux perçue et renforcée la place des médecins généralistes dans le dispositif. Les « passages » de l’équipe médicale dans les centres d’hébergement hivernaux

C’est par cette modalité d’intervention initiée depuis plusieurs années, que les médecins se sont intégrés au dispositif santé-précarité. Depuis 2000-2001, les médecins se sont organisés pour assurer un passage hebdomadaire dans chaque centre. Dans leur rapport d’activité (période 2000-2001) et après entretiens avec ces médecins, il apparaît que ce mode d’intervention constitue pour eux un outil essentiel et un moment privilégié pour favoriser « l’accès à la santé » des personnes accueillies dans les centres.

La régularité du passage, le moment d’intervention (fin de journée), le temps d’intervention sont les trois facteurs essentiels à la mise en place d’une « consultation médicale », dont le contenu fait consensus pour la plupart des médecins. Ce n’est pas une consultation de dépannage et de traitement symptomatique mais c’est un temps pendant lequel le médecin cherche à initier un travail « en décryptant la demande, en parlant santé » et en travaillant sur une démarche santé adaptée au sujet et à son environnement. Ce temps médical a aussi une fonction de soutien, d’ information, de formation auprès des équipes accueillantes. Avec 4 à 5 consultations par passage en moyenne, face à une diversité de situations et des besoins patents de santé des personnes accueillies dans les centres, la principale difficulté soulevée par les médecins en 2000-2001 est celle liée à la « difficulté de créer un relais, un prolongement de ce travail médical ».

La mise en place et la présence régulière de l'EMS dans les centres d'hébergement hivernal d'urgence ont amélioré cet aspect de l'intervention santé et sa continuité. Mais les médecins comme les infirmiers de l'EMS disent les limites et les insuffisances qu'ils ressentent encore en matière de coordination des actions. Ceci témoigne sans doute de ce qu'il reste à faire en matière de réflexion et de régulation commune, associant les différents intervenants à la définition des modalités d'un « accompagnement » pour des publics redevables d'une action santé fonction de la demande qu'ils expriment.

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Il revient à cette réflexion de se donner des objectifs : - de définition et de mise en oeuvre de procédures au service d'une information plus adaptée des situations de personnes et de partage de cette information (dossier médical, études de cas...), - de régulation du rôle de chacun des acteurs au sein d'un réseau de soins formalisé. Car il semble évident que ce type d'intervention associant médecins généralistes, infirmiers et acteurs sociaux est au centre du questionnement portant sur le développement et le fonctionnement d'un « réseau de soins Ville-Hôpital Santé Précarité », et notamment sur les moyens que ce dispositif doit se donner en matière de coordination (définition de la fonction, quelles personnes, missions, outils, lieux ?). La place des médecins à la Halte santé L'intervention quotidienne à la Halte Santé (tous les matins) mobilise 4 médecins. Les astreintes de soirée et les gardes de week-end, qui assurent les entrées dans la structure durant ces plages horaires, font appel pour leur part à 12 médecins.

Il faut rappeler que l'Assurance Maladie ne considère la Halte Santé ni comme structure de soins ni comme domicile temporaire des patients qui y sont hébergés. De façon à assurer l'entrée des patients, une évaluation médicale, un suivi de stratégie thérapeutique et préventive, ainsi que la mise en place des nécessaires relais, cette situation a amené la structure, en partenariat avec le CHU, à proposer des vacations hospitalières aux médecins intervenants. La plupart des personnes accueillies disposent d'une couverture sociale. Leur séjour est pour les autres l'occasion d'une rapide régularisation. La pathologie aiguë, d'origine infectieuse ou traumatique, constitue le premier motif d'entrée à la Halte et le premier besoin de soins. Mais le passage par la Halte Santé révèle bien souvent la complexité des « situations de santé », le cumul de pathologie et des facteurs de risque, qui demande de faire appel à une démarche « globale » de soins, en articulation avec l'équipe d'éducateurs, d'accueillants et d'infirmiers. Les tableaux cliniques comportent ou cumulent des pathologies chroniques (diabète, HTA, problèmes neurologiques), plus souvent des conduites addictives (40% de l'ensemble), des pathologies psychiatriques avérées (4%), une souffrance psychologique déclarée (8%).

Le cadre de la Halte Santé a permis un rapprochement entre les divers intervenants, médecins généralistes et infirmiers de l'EMS, dont chacun s'accorde à dire qu'il a dès aujourd'hui abouti non seulement à établir des relations de qualité entre les uns et les autres, mais aussi à optimiser la qualité de l'intervention auprès des personnes, tout en participant à une amélioration des pratiques professionnelles et à une meilleure connaissance des publics accueillis.

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La place et l’articulation des médecins généralistes à la PASS Certains médecins généralistes sont intervenus ponctuellement à la PASS ou ont été amenés dans le cadre de leurs activités auprès des plus démunis à orienter vers cette structure. A travers leurs expériences, peuvent être identifiés des facteurs qui ont fait obstacle et limitent encore le bon fonctionnement et la place de la PASS dans le dispositif On retiendra : - La difficulté pour le médecin (qu’il soit ou non intervenu dans la structure) de définir et d’identifier avec l’équipe de la PASS, l’objectif et la place de la consultation médicale, et de façon plus générale la place de la PASS dans le dispositif. - Le sentiment pour les médecins que les conditions d’accueil et la logique d’intervention sont trop « hospitalières » pour répondre aux besoins des situations de patients précaires. - L’intérêt d’envisager à la PASS une intervention des médecins généralistes déjà impliqués dans le « réseau » pour assurer un « niveau d’échange » des pratiques communes, une articulation entre les différents intervenants mais à condition de définir les moyens suffisants pour assurer cette participation. En conclusion Des médecins généralistes libéraux se sont ici véritablement impliqués dans le dispositif toulousain en direction des plus démunis. Ils jouent un rôle important qui se mesure d'abord à la diversité de leurs interventions. La complexité des situations qu'ils sont amenés à traiter, comme celle de leur intervention, témoignent des besoins existants. Leur action est porteuse d'une rénovation des pratiques professionnelles, notamment dans le sens d'une plus grande cohérence et « globalité » des réponses. Mais, en l'absence d'instance et de temps consacrés formellement à l'articulation avec les autres acteurs et à la régulation de leur intervention, leurs participation et intervention restent encore perfectible. L’absence d’information sur le niveau et le type d’intervention et les problèmes rencontrés rend difficile aussi l’évaluation et l’adaptation des besoins et des modes d’intervention. La mise en place d’un système d’information et d’une circulation de cette information est un des soucis des médecins de Rivage. Cette réflexion devrait pouvoir se faire avec l’ensemble des médecins du réseau et être facilitée par le coordinateur. Mais à ce stade des expériences toulousaines, les médecins engagés pensent que leur implication dans la durée ne peut passer que par une pérennisation, une structuration du Réseau Ville-Hôpital-Santé-Précarité qui donnera les moyens d’assurer une cohérence et une continuité des réponses.

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Annexes

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ANNEXE 1

ÉLÉMENTS POUR UNE HISTOIRE DES "EQUIPES RUE" A TOULOUSE

L'objectif de ce texte n'est pas de reconstruire une histoire datée du "travail de rue" à Toulouse partant d'une documentation écrite qu'il serait au demeurant très difficile à reconstituer jusqu’aux origines. Nous nous appuyons avant tout sur un ensemble d'entretiens réalisés non seulement à l'occasion de cette évaluation mais aussi dans le cadre d'études et de recherches menées depuis 1994, dans le cadre des activités de l'ORSMIP et de l'Unité de recherche INSERM U 558. L’objectif n'est pas non plus de chercher à retracer l'histoire ancienne du "travail de rue" en tant que modalité du travail social, dont l'origine remonte très loin, aux prémisses des politiques urbaines, du travail social et de la médecine communautaire. Rappelons-nous seulement que l'action de rue s'inscrit de longue date parmi les moyens mis en oeuvre dans le cadre des politiques de normalisation des quartiers de taudis puis des cités populaires... Certains métiers du social sont un héritage direct de programmes de ce type, menés il y a quelques décennies, dont celui d'éducateur de rue (dans le cadre des "Clubs Prévention" par exemple, aujourd'hui sous tutelle des Conseils Généraux), celui d'animateur de PACT3, etc. Comme toute reconstruction historique, ce retour en arrière sur 20 ans de dispositif "grande précarité" à Toulouse n'a pas plus la prétention de faire exhaustif. Nous nous attachons seulement à remémorer les interventions qui nous semblent les plus significatives, celles qui nous apparaissent comme ayant participé à la genèse du principe d'équipe mobile sociale, à la définition du besoin. On notera d'abord que par le passé, le recours au "travail de rue" a toujours répondu à un double souci : de faire face à la présence ou l'émergence de "populations" ou de

groupes sociaux en rupture de ban4, groupes dangereux sur lesquels la question sociale en venait à se focaliser,

de rénover ou réformer l'action des institutions socio-politiques, "dépassées" par les évolutions de la société.

3 - sigle dont on oublie qu'il signifia d’abord : Programme d'Action Contre les Taudis. 4 - la formule archaïque rappelle que le ban représentait autrefois la communauté urbaine, en même temps que ses lois et ses interdits, par opposition à ceux qui se situaient hors ban et/ou hors la loi, des bannis (les exclus d'antan), des forbans et autres habitants des banlieues.

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Comme par le passé, la redécouverte des vertus du "travail de rue" s'inscrit dans un contexte socio-économique particulier et doit se comprendre en considérant les conditions qui lui sont propres. Ces conditions ne sont plus celles des vagabonds du passé, ni celles du sous-prolétariat urbain des taudis et bidonvilles. Elles sont celles de la fin de la période dite des "trente glorieuses" (les années 50-60-70), période qui débute au détour des années 75-80, marquée notamment par : - Le passage rapide d'une ère de quasi plein emploi à une situation de

chômage massif. - Une surtension du marché du logement, préjudiciable aux plus pauvres,

d'autant plus que les formules intermédiaires du passé (du type pensions de famille, meublés, auberges de jeunesse...) n'ont guère survécu aux nouvelles normes du logement.

- Une précarisation du travail et un durcissement de la "guerre des places" (concurrence sociale pour l'emploi), alors que les décennies précédentes, marquées notamment par l'innovation technologique, laissaient entrevoir la "fin du travail aliéné", et que les nouveaux modèles qui en sont issus demeurent bien vivants.

- Le déclin des "filiations" préexistantes, c'est à dire des grands garants de l'intégration sociale que constituaient l'entreprise, la formation, le logement, le local... La famille a quant à elle évolué vers des modèles laissant plus d'autonomie à ses membres, et moins fondés sur les liens d'interdépendance.

- L'affirmation d'un processus d'individuation entamé de longue date. L'individu se doit plus que jamais d'être autonome, sujet autodéterminé, redevable au regard des autres et à ses propres yeux des réussites ou des échecs qu'il rencontre.

- L'affirmation parallèle d'une société "post-moderne" qui privilégie les valeurs du néo libéralisme. Ce basculement, doublé des effets induits du chômage massif, s'accompagne d'un affaiblissement de l'Etat social, centralisé et planificateur. Avec la décentralisation, des pans entiers de l'action sociale passent sous compétence des collectivités locales, celles-ci se voyant assigner mission de définir les moyens et les réformes nécessaires pour faire face aux nouveaux enjeux sociaux.

- Les institutions sociales, dont l'action repose sur un ensemble de segmentations entre services, de principes et de découpages catégoriels directement hérités de la société de plein emploi, ne parviennent que très partiellement à endiguer le phénomène émergent.

- De plus, la définition des compétences institutionnelles face à la marginalisation des plus démunis se montrent relativement floues. L'Etat5, les Départements (qui ont largement pris le relais sur le terrain du travail social), et les municipalités, se renvoient bien souvent mutuellement la balle.

5 - auquel il revient, selon les termes mêmes des textes fondateurs de la décentralisation d'intervenir sur les problèmes qui échappent à un traitement social classique, et particulièrement en matière de phénomènes de marginalisation : Par rapport à cette population c'est la DDASS qui est moteur, c'est une compétence de la DDASS. Ça reste compétence Etat tout ce qui est problématique SDF. (Professionnel du social).

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Dans ce contexte, l'Etat, dans son rôle de définition des normes nationales, reste toutefois le principal initiateur de mesures et producteur de modèles d'action (dispositif d'insertion, mise en place du RMI, des PAIO, etc.). Mais à partir du début des années 80, l'initiative revient beaucoup au secteur associatif, dans les deux principales composantes qu'on lui connaît encore aujourd'hui, l'une ancrée dans la tradition de l'action sociale caritative, l'autre inspirée de la médecine communautaire tiers-mondiste des "French doctors". Dénonçant le scandale des personnes à la rue, celles-ci reprennent une place sur la scène publique qu'on ne leur a pas connue depuis le mouvement des "sans logis" des années 506, et en renouvellent les modes d'intervention : "témoignage" de la misère et de la souffrance, interpellation du politique, révélation des lacunes de l'action institutionnelle, mobilisation des médias. Le phénomène SDF ne cessant de se creuser et de révéler les limites des réponses institutionnelles, les associations deviennent rapidement bien plus que de simples adjuvants de l'action publique, de véritables interlocuteurs des pouvoirs publics, participant à la définition des politiques. Elles deviennent notamment co-animatrices d'une controverse alors émergente et toujours d'actualité, qui oppose les tenants de l'option de "service public" aux tenant d'une action "spécifique". Les premiers s'opposent à un traitement à la marge du problème des marginaux, à l'instauration d'un régime de ségrégation des plus démunis qui risquerait de sanctionner plus encore leur marginalité. Il revient aux institutions sociales, à l'offre de soins de droit commun, de répondre seuls aux problèmes, et de se réformer en conséquence. Au nom du principe de pragmatisme (les problèmes sont là et les réponses institutionnelles adéquates se font attendre), les associations militent quant à elles pour le développement de réponses dégagées des normes auxquelles l'action institutionnelle est tenue, pour une "ségrégation positive" des "exclus" de la société, au service de leur ré-inclusion. Elles agissent en ce sens à l'échelle nationale, en mobilisant bénévoles et professionnels militants, par la création de la Mission France de Médecins du Monde, puis des Restos du Cœur... non sans de notables disparités locales. Les deux options ne cessent depuis de se confronter, de se superposer et d'inter agir. L'histoire de la création des équipes mobiles sociales et médico-sociales en est un exemple, comme le développement de l'accueil d'urgence, etc. Dans l'ensemble, l'histoire de ces quinze dernières années de développement des dispositifs spécifiques "grande disparité" tient à cette dynamique complexe action institutionnelle / action non institutionnelle, les frontières entre l'une et l'autre devenant souvent de plus en plus floues.

6 - Notamment contemporain de la création de la Fondation Abbé Pierre, des Compagnons d'Emmaüs, mais également mouvement polymorphe associé à l'émer-gence de formules d'habitat telles que les cités dites "d'urgence", les "cités Jardins", les collectifs ouvriers de construction... qui ont préludé la politique d'Etat de développement du logement social initiée à la fin des années 50.

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Aux origines du dispositif spécifique toulousain Les premiers collectifs d'associations humanitaires

Dès ses origines, et en décalage avec le contexte parisien, le dispositif spécifique toulousain se situe sous le signe de l'action collective des associations. Ce constat s'impose à posteriori au cours des années 907, mais la forme "collectif associatif" s'impose de fait très tôt dans le temps et participe aux toutes premières actions : le collectif existait depuis 84/85, avec le Secours Catholique, L'Entraide Protestante, le Casit, Enfance et Partage, UCJG, St Vincent de Paul…8 La personne citée joue un rôle important dans la réalisation d'un objectif majeur de cette période : élargir le collectif aux autres associations, mettre en réseau l'action en direction des SDF et autres personnes précaires. Dès l'abord, des liens se créent également entre les représentants du collectif associatif et la DDASS, puis avec le CCAS. Les premiers financements institutionnels sont attribués pour la réalisation de diverses actions : si l'on parle encore peu d'action de rue, nous sommes là aux origines des premiers lieux d'accueil (le 95, Grand Rue St Michel, en particulier), mais aussi du PAIO, créé à l'initiative du CCAS en lien avec le collectif, avec un temps d’AS du CCAS et une AS Croix Rouge payée par financement DDASS9, et donc dans le cadre d'une convention tripartite : CCAS, DDASS, Croix Rouge, cette dernière au nom du collectif associatif. A la fin des années 80, une première "commission SDF" se réunit régulièrement pour définir les actions à entreprendre. Entre temps, dès 87, des contacts sont établis entre le collectif et le CHU (avec encore la Croix Rouge comme principale animatrice), autour du projet du Point Santé La Grave (douches de plus en plus fréquentées par le public SDF). Ils aboutissement dans les mois suivants à la mise en place d'une formule spécifique sous l'intitulé "Antenne Santé". Les "trois niveaux de dynamique"10, caractéristiques du contexte toulousain, se sont ainsi mis en place entre 1985 et 1990. L'initiative propre des services municipaux constituera progressivement un quatrième niveau, avec l'entrée en scène du CCAS. Le Projet "Gavroche"

Le Centre Départemental de Prévention de l'Alcoolisme et les SDF

L'ouverture de l'Antenne Santé constitue l'une des premières réponses à une préoccupation formulée dès avant au sein du réseau, portant sur les

7 Il est alors partagé par la plupart des intervenants qui s'accordent à considérer qu'il y a une particularité à Toulouse, c’est qu'il y a beaucoup d’associations qui depuis longtemps ont l’habitude de travailler ensemble sans qu’il y ait trop de querelles de clochers, de couvertures que l’on tire à soi... C’est vrai qu’il y a une habitude de travailler ensemble dans l’inter associatif, il y a le collectif inter associatif qui a 10 ou 15 ans (Ex responsable de la Mission France Toulouse de Médecins du Monde - 1997) 8 - Ex animatrice Croix Rouge. 9 - Id. 10 : Expression empruntée à une étude réalisée par l'ORSMIP et le CREAI (1994) : "Pour la mise en place d'un réseau d'accueil d'urgence et de soutien à des personnes en situation de détresse médico-psycho-sociale sur l'agglomération toulousaine".

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conditions de santé des plus marginalisés. L'expérience de Gavroche, aujour-d'hui largement tombée dans l'oubli, constitua un temps une autre tentative. En 1989, lors de la création du RMI, se fait jour une expérience originale qui, si elle ne se situe pas vraiment dans la perspective « d'aller vers » les populations les plus marginalisées n'en constitue pas moins une des étapes marquantes et va inspirer les initiatives ultérieures du GAF, de Médecins du Monde, etc. A l'initiative d'un travailleur social du CDPA (Centre Départemental de Prévention de l'Alcoolisme), dans des locaux de centre ville (rue des Couteliers) mis à disposition par un particulier, s'ouvre une formule d'accueil des SDF qui se donne rapidement des objectifs ambitieux : accueil et animation de jour, accueil de nuit, associant hébergement individuel et collectif, bar sans alcool, animation de réunions... Le projet d'ensemble voulait que ce soit "les SDF eux-mêmes qui se prenaient en charge, ou des Rmistes qui créaient des commissions dans lesquelles ils réfléchissaient"11. Pendant un temps, la démarche cristallise l'attention au point d'être qualifiée de "mouvement", elle mobilise un large public autant que les politiques et les médias locaux. La chronique de Gavroche s'alimente de faits et méfaits, de prises de position favorables et hostiles, des protestations du voisinage, de l'embarras de la Municipalité et de l'interpellation des élus d'opposition... jusqu'à ce que l'animateur perde le soutien de son institution de rattachement et que les pressions dont l'expérience fait l'objet provoquent la fermeture du lieu. Fermeture accompagnée d'une phase de "nettoyage" des lieux de concentration de SDF en centre ville et suivie de près par le suicide de son promoteur12. Dans un univers qui se caractérise, encore aujourd'hui, par la difficulté à faire mémoire autour des actions entreprises, le "mouvement" Gavroche sombre alors à peu près complètement dans l'oubli. Il a toutefois largement contribué à relancer un débat historique au sein du travail social face aux phénomènes de marginalisation, entre les tenants d'une "requalification" individuelle et individualisante, largement inspirés de psychologie, et les tenants de démarches plus collectives visant à la reconnaissance sociale des groupes constitués. A Toulouse, l'expérience alimente ainsi l'un des principes fondateurs du "travail de rue", qui privilégie le développement du "lien" entre les personnes marginalisées, et entre le public considéré et les institutions, dans un but de "requalification" collective. Les premières "sorties de rue", le Groupe Amitié Fraternité,

le Lien Equipe Extérieure Les associations d'anciens SDF A la fin des années 80, le Secours Catholique assure un accueil jusque là essentiellement destiné aux familles en difficulté. Mais un nouveau public apparaît constitué dans un premier temps de petits groupes de SDF squatters, que deux bénévoles de l'association vont se proposer d'accom-

11 - Animateur du GAF, qui situe volontiers les racines et les principes qui régissent l'actuelle association dans le "mouvement" Gavroche. 12 - C. Thevenet, dont on saluera ici la mémoire.

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pagner dans la mise en place des premiers "ateliers" (peinture, poterie, bibliothèque, sport...) et dans la formalisation de différents projets. Ainsi naît le Groupe Amitié Fraternité, formalisé en 1990 et qui adopte le statut d'association à partir de 1993. Faire lien Le souci premier du groupe est clairement affirmé : faire lien et entretenir les relations entre et avec les gens de la rue, de constituer un collectif générateur de projets propres. Et c'est dans cette perspective que se présente le premier projet de "sortie rue", porté par les bénévoles du Secours Catholique et quelques-uns des membres de la future association. La première expérience toulousaine n'a d'autre objectif que de prolonger les liens tissés au cours de la période hivernale précédente : Dans le mode SDF l’été, ils sont dehors hein, et puis l’hiver ils sont dedans. Et au début donc, certains bénévoles sentaient ça ... un peu difficile, voir que tout d’un coup les accueils étaient désertés. Et une des bénévoles me dit, tiens, plutôt que de rester là, on met 4-5 bénévoles avec quelques SDF, pourquoi on irait pas dans la rue ? () à quelques jours près, certains SDF sont venus pour me dire, “mais tu sais, y a des gars ils sont dans la rue, ils sont vraiment amochés, donc il faudrait peut être aussi penser à eux ”. Je me suis dit “ tiens y a deux demandes qui se regroupent, autant du point de vue bénévole que du public SDF... ” Est arrivé à ce moment là dans l’association JLC. Et ce gars, était très proche du public SDF, il avait vraiment une fibre. Et alors j’ai dit à JL, “ écoute, maintenant je peux plus tout faire seul, quoi, maintenant tu es là, et c’est une bonne occasion, y a une idée d’équipe rue chez les gars et chez les bénévoles, et si toi tu es intéressé, ce serait bien si tu pouvais monter ça. ” Et puis il s’est trouvé qu’il était intéressé et donc il a monté une équipe qui a été très accélérée par l’hiver 92-93...13 La personne évoquée, définie comme "très proche du public SDF" créera rapidement une association propre intitulée : le Lien Equipe Extérieure. Quelques bénévoles de Médecins du Monde rejoignent l'équipe à la fin de l'année 92. On s'arrêtera un moment pour noter que quelques-uns des principes adoptés par les premières interventions restent toujours d'actualité : - Dès l'abord, la préoccupation "santé" est à la fois relativement

secondaire et bien présente. S'il est des gens "amochés" à la rue, il revient d'abord aux groupes constitués d’établir le contact avec eux, et non dans la perspective de les amener à "se soigner" mais de les inscrire dans la relation.

- Dès l'origine les membres du Lien Equipe Extérieure interviennent en couple.

La préoccupation pour la santé des gens de la rue s'inscrit d'abord dans cette perspective. Médecins du monde dans l'équipe rue

Les premiers collectifs associatifs de travail de rue

13 - Animateur GAF.

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Lancée en 1987, l'action de la Mission France Toulouse se cantonne pendant un temps dans la mise en place et le développement de la consultation gratuite, alors ouverte dans un local de l'avenue H. Serres. Mais l'équipe amorce une réflexion aux lendemains de la mise en place de la carte santé, qui l'amène à s'inscrire de façon plus affirmée dans l'action collective. Nous sommes alors en 1990-91, et la démarche de la Mission toulousaine fait suite au récent colloque national de Revel, où les instances nationales ont clairement affirmé à la fois le souci de "passer des alliances" et "d'aller vers" ceux "qui ne se mobilisent pas dans le soin". "C'est à ce moment que nous avons renforcé l'accueil et c'est là que nous avons mis en place aussi la mission rue. En disant que c'était une manière aussi d'aller au devant (). Tout en essayant de ne pas être trop intrusifs et interventionnistes. C'est pour ça qu'on s'était mis d'emblée en réseau avec le GAF. C'est à dire que ce que j'ai fait, c'est que j'ai pris contact avec le réseau."14 De fait, la volonté de rapprochement tient autant aux promoteurs des premières "sorties de rue" qu'à l'équipe de Médecins du Monde. "On a rencontré le GAF qui est une association d’anciens démunis qui imagine des projets, qui les monte et qui les autogére. Ce sont des projets artisanaux, sportifs, culturels et relationnels comme celui-là. C’est la branche ”GAF- Moi Dehors“ qui souhaitait faire le lien avec les gens de la rue. Eux-mêmes avaient repéré des problèmes médicaux assez importants dans la rue et ils ne savaient pas comment les traiter mais on ne savait pas comment y aller. Donc en fait c’est la rencontre de deux désirs qui a fait cette nouvelle action."15 Les rencontres évoquées datent de 1991-1992. On voit donc que la question de la santé a été soulevée très tôt par les promoteurs du projet, lesquels se sont adressés au seul référent "santé" alors présent sur le terrain de l'action spécifique : la Mission France de Médecins du Monde. Le réseau RALI, la création de la Maison Toulousaine Accueil et

Solidarité Le collectif associatif, l'Etat et l'Hôpital La circulaire qui fait obligation aux hôpitaux de développer des formules de mise en réseau de proximité pour l’accès aux soins et à la santé des plus démunis paraît en décembre 1993. Apparaissent également à ce moment les textes qui posent le principe des "lits médicalisés" ou "lits d'hébergement temporaire de santé" et leurs premières expérimentations. Parallèlement, la dynamique associative toulousaine conduit notamment à l'organisation d'une "commission SDF", animée notamment par des membres de MdM, de l'URIOPS, du PAIO, etc. Celle-ci se réunit régulièrement durant l'année 93 et se préoccupe beaucoup de travail social de rue, et de développement de formules nouvelles articulant accueil et "sorties rue".16 Ce travail de commission s'arrête fin 93, relayé par le travail d'une instance collective plus large qui fonctionne déjà depuis plusieurs années et entre en

14 Ex responsable de Médecins du Monde 15 idem 16 - Voir le rapport d'étude : "Pour une action de rue de la Mission France Toulouse. Historique et perspectives de promotion de la santé". ORSMIP-Mission France Toulouse de Médecins du Monde. 2000. p18

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phase opérationnelle : le réseau RALI, promoteur du projet de la Maison Toulousaine Accueil et Solidarité. Le réseau RALI se situe dans la continuité des premiers collectifs inter associatifs, qui se sont renforcés par l'arrivée d'associations intervenant dans le champ du logement et de l'insertion, y compris quelques responsables de CHRS, mais aussi par les représentants du PACT-ARIM. Ces derniers sont en relation avec la Fondation Abbé Pierre, au moment où celle-ci cherche à développer sa formule de “Boutique-solidarité” sur la scène toulousaine. L'association d'associations ainsi constituée en instance de proposition se déclare alors en tant que "réseau", et prend le nom de Réseau des Associations pour le Logement d'Insertion. Sans revenir en détail sur la fondation de la MTAS, il est important de noter que la formule inaugure un mode de coordination et de co-production large, qui amènera l'Hôpital à mettre du personnel et des moyens à la disposition des lits d'hébergement pour soins de la Halte Santé, l'Etat et le CCAS dans la gestion de la Boutique Solidarité, tout en continuant à reposer fortement sur l'initiative associative. Le Samu Social

L'Etat, l'Hôpital et le collectif associatif Le SAMU social est mis en place à Toulouse, à partir de directives et de financements d'Etat, en 1994. L'hiver fait des victimes parmi les SDF, et les médias en font largement écho. Les SAMU sont dénoncés pour ne pas souhaiter intervenir auprès de ces personnes, mais plus encore les pouvoirs publics. Le ministère Emmanuelli répond par la création d'un dispositif de "ramassage" des sans-abri. C’est cette expérience qui est étendue, au début de l’hiver 1994-1995 : sa mise en place, à Toulouse, est confiée par la DDASS à l’hôpital. D'emblée, les membres de la cellule mise en place pour la création d'un SAMU social à Toulouse, constituée, outre des responsables institutionnels (DDASS et hôpital), de représentants des associations et de médecins militants, prend ses distances vis à vis du modèle parisien : il s’agira moins d’opérer comme à Paris (faire le tour des rues pour inviter, au besoin avec insistance, les personnes qui y sont installées à rejoindre un toit) que de fournir des soins à ceux qui sont dans les centres d’accueil hivernal, et qui en font la demande. Le CCAS accepte de faire de son CHRS d’accueil d’urgence le centre du dispositif (numéro vert "précarité", mise à disposition d’un véhicule) ; l’hôpital trouve les personnels infirmiers et demande dans un premier temps à Médecins du Monde de gérer le dispositif. Lors de la première campagne (1994-1995), un équipage médical (médecins-infirmiers) est intervenu essentiellement dans les centres d'hébergement hivernaux d'urgence. Lors de la deuxième campagne (1995-1996), des travailleurs sociaux de la Croix-Rouge se sont joints à l'équipage médical, mais en cours de campagne, l'équipage ainsi constitué se sépare : les assistantes sociales interviennent alors, seules dans la rue, et l'équipage médical intervient uniquement dans les CHU. Ces péripéties, et celles qui suivront, traduisent en fait l'état d'une controverse qui traverse alors aussi bien les équipes du Point Santé La Grave que les équipes rue, polémique réactivée avec l'apparition du SAMU

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social. Elle voit la plupart des intervenants sociaux et associatifs s'opposer aux logiques soignantes volontaristes qui mettent en avant l'obligation de soins et d'assistance aux personnes en danger, et prôner une approche moins interventionniste, privilégiant la relation, l'établissement de liens dans la durée. Ce "débat", qui reste d'actualité, ressurgit régulièrement. En 1996, le Comité de pilotage du SAMU Social tire la leçon des difficultés apparues à rencontrer les personnes dans la rue, et les travailleurs sociaux se désengagent du travail de rue. En même temps les médecins assoient l'idée, souvent reprise part la suite, selon laquelle : Les médecins n'avaient rien à faire à la rue, il n'y avait ni les conditions ni l'acceptation des gens () Sinon des urgences vitales qui étaient de diagnostic infirmier et d'intervention de SAMU.17 Cette idée selon laquelle les conditions de la rencontre sont très difficiles à réunir est encore plus largement partagée. Les intervenants sociaux eux-mêmes pointent la nécessité de relations de médiation que le SAMU social ne serait pas en mesure d'établir avec les publics considérés : Le GAF, il entre dans les squats. Le Samu social, il se ferait sortir des squats, on n'y rentre pas comme ça. Faut avoir un ticket d'entrée, là. Il faut avoir des contacts différents, c'est pas en arrivant comme ça, sous prétexte de Samu Social-Croix Rouge, ça marche pas ! ça marche pas !18 Parallèlement aux interventions du Samu Social, le GAF et Médecins du Monde, continuent ces sorties-rues, une fois par semaine, avec une équipe constituée d'un médecin et d'une infirmière de Médecins du Monde et des membres du GAF. • Vers une "équipe mobile sociale" Etat, CCAS et SOLEIL. Professionnalisation et pérennisation L'opinion générale au sein du réseau toulousain d'intervenants est alors que l'offre d'hébergement d'urgence ne suffit pas à répondre aux besoins du dispositif spécifique. Il manquait cette partie importante de la chaîne, d’aller vers ces gens-là.19 La Boutique Solidarité s'implique elle-même rapidement dans l'intervention à la rue : « assez rapidement on a mis en place des sorties rue, donc pour les gens soit qui ne se mobilisent pas du tout vers les structures, soit par rapport un peu dans la même éthique que MDM- GAF »20 L'équipe GAF-MdM, le SAMU social, la Boutique, ...21 Les intervenants à la rue sont nombreux, et en partie coordonnés dans le cadre des collectifs d'intervenants, mais les interventions restent relativement ponctuelles et limitées dans le temps. « Chacun de nous avait des petites équipes qui faisaient

17 : Médecin de l'équipe mobile médicale. 18 : Assistante sociale. 19 : Responsable MTAS 20 : Id. 21 : Il faut y rajouter les interventions ponctuelles ou plus suivies du CCAS, de certaines associations (Crusalys ...)

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des tournées à la rue, mais en fonction chacun de ses moyens, et de ses possibilités, () MDM et nous, on faisait séparément une tournée par semaine »22 Différents projets voient le jour sur la base de ce constat, dans le contexte d'une coordination inter associative renouvelée, mais aussi en rapport avec une implication plus large du CCAS. C'est ainsi que le collectif des intervenants à la rue23 adresse en 98 à la DDASS un projet qui met en avant la nécessité de faire un travail de prévention, d’orientation, de promotion de la santé cherchant à articuler l'action des professionnels, des infirmiers et la médiation des intervenants du GAF. C'est ainsi que le CCAS, articulé avec les précédents, mais aussi avec des opérateurs de la MTAS et du Grand Ramier cherchent de leur côté à mettre sur pied un projet de coordination et de professionnalisation des équipes rue. Ces projets s'accordaient sur la nécessité de professionnaliser l'intervention, mais aussi de lui donner un caractère plus soutenu et continu. Ils apparaissent au moment où l'Etat marque sa volonté de reprendre la main sur le terrain de l'exclusion en incitant fortement à la mise en place d'un dispositif national/localisé dit de "Veille sociale", ce qui va se traduire sur Toulouse par la revitalisation de "l'alliance entre les représentants de l’état et les représentants de l’hôpital", dans un rapport nouveau d'articulation avec l'action sociale municipale.

• Le dispositif de Veille Sociale L'Etat et les collectivités locales. Le retour au « droit commun » Malgré une politique très restrictive, l'immigration (des ressortissants des pays de l'Est, d'Algérie, etc.) ne cesse d'augmenter. Malgré un certain recul du chômage, la part des "exclus" ne diminue pas. Aux yeux des instances d'Etat, les dispositifs locaux restent insuffisants, notamment pour rendre compte des phénomènes en cours. Les circulaires nationales paraissent fin 97. Elles font fortement pression sur les collectivités locales pour une adaptation des procédures à un double objectif : - à l'image de la "veille sanitaire" (soit sur le modèle de l'Institut National

de la Veille Sanitaire, mis en place peu de temps avant), il revient aux instances locales de se doter des moyens nécessaires pour renvoyer vers l'administration centrale une image la plus précise possible des situations. Le premier souci de la Veille Sociale est donc celui de l'observation des phénomènes et de l'adaptation des outils nécessaires à l'observation.

- l'action spécifique reste très segmentée (entre de multiples institutions et associations, services et interventions humanitaires), facteur de fortes disparités territoriales. L'instauration d'une "veille sociale" traduit le souci de réengagement des pouvoirs publics pour un retour au "droit commun" des dispositifs jusque là dévolus pour l'essentiel aux initiatives associatives.

22 : Responsable de la Boutique Solidarité. 23 : renforcé d'associations comme Intermède, l'Amicale du Nid …

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A Toulouse, la démarche est vécue à la fois comme intrusion de l'Etat dans les affaires locales et comme opportunité nouvelle pour une action plus efficace. La démarche mobilise des agents du CCAS et des membres du collectif associatif qui proposent d'articuler le PAIO, la Maison Toulousaine Accueil et Solidarité, l'ex SAMU social, devenu Equipe Mobile Médicale. Sans oublier une Equipe Mobile Sociale qui trouve par là à assurer un statut à ses membres. Le projet se traduit donc par un engagement plus marqué de l'instance municipale.

• L'équipe mobile "médico-sociale" Le CHU et la Veille Sociale. Le dispositif spécifique et le CHU : rappel rapide

Outre la dynamique inter associative, une autre caractéristique toulousaine tient aux relations privilégiées établies de longue date entre les représentants de l'Etat (DASS, Préfecture) et les instances décisionnelles du CHU. Un agent de l'Etat le formulait ainsi il y a encore peu de temps : « Il y a une réalité culturelle de la Haute Garonne où le CHU est la mère matrice. Donc tout ce qu’on va faire en matière de santé-précarité, va tourner autour de ce CHU. Lequel CHU avait bien senti qu’il y avait un certain nombre de besoins sociaux auxquels il allait être appelé à répondre, et qui, dans sa propre stratégie de développement avait créé les bases de différentes conventions avec différentes associations, pour assurer des missions qui maintenant vont être ses missions. »24 De cette convergence entre les instances locales de l'Etat, les associations et l'hôpital (pour ce dernier l'intérêt se comprend y compris en termes de financements d'appoint) ont déjà émergé diverses formules par le passé, dont les plus significatives restent, pour ce qui concerne le dispositif spécifique, l'ouverture du Point Santé La Grave (dès 1990), la création de la Halte Santé25, la mise en place du Samu social et son évolution en Equipe Mobile Médicale. La création de la PASS et le renforcement de l'Equipe Mobile Médicale en Equipe Mobile Médico-sociale s'inscrivent dans cette même dynamique, dans le développement d'un "Pôle humanitaire et social" à l'hôpital, que les directives nationales d'Etat encouragent fortement au cours des années 9026. De nouveaux crédits sont alloués par l'Etat en 1999 pour le développement des liens Ville/Hôpital. La sollicitation a peu d'échos (Dunkerque et Toulouse). A Toulouse, l'administration hospitalière voit là dans un premier temps l'occasion de faire financer une intervention de l'institution hospitalière dans la ville. Elle propose la mise en place d'un "bus" médicalisé, destiné à se déplacer dans les rues de la ville.

24 - Ex chargé de mission DDASS. 25 - Cette dernière mise en place dans le cadre d'une convention CHU-Etat qui a fait appel aux financements d'Etat prévus en 93-94 pour le développement de "lits d'hébergement pour soins" à l'échelle nationale. L'Hôpital a pour sa part mis du personnel et des moyens techniques à disposition de la nouvelle structure. 26 - Voir en introduction du présent rapport.

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Le projet rencontre une opposition consensuelle. Sur proposition des coordinateurs de la Veille sociale et du COPAP, créé peu de temps avant27, le projet consistera dans le renforcement de l'EMS par du personnel infirmier que les représentants de l'hôpital tiendront à voir recrutés parmi le personnel du CHU. Ainsi naît une équipe dont la dénomination reste flottante pendant un temps : Equipe Mobile Sociale ? Médico-sociale ? de Soins Ambulatoires ? L’appellation définitive sera adoptée en 2001 : Equipe Mobile Sociale et de Santé.

27 - Instance de coordination de l’action associative dans le champ de la précarité

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ANNEXE 2

ÉQUIPE MOBILE SOCIALE ET DE SANTE

Analyse des dossiers individuels

L'analyse du fichier manuel, ensemble des dossiers constitués par l'équipe a cherché à apporter des éléments de réponses à quelques unes des interroga-tions principales correspondant aux points I et II de l'évaluation et notamment :

• L'EMS s'est-elle dotée d'un système d'information permettant d'analyser les populations touchées ? Les actions menées ? Les résultats obtenus ?

• Quels sont les profils de personnes prises en compte, et les groupes qui sont éventuellement peu ou pas pris en compte ?

• Quels sont les modes d'intervention de l'équipe au regard des populations prises en compte ? En quoi l'intervention apparaît-elle ou non adaptée ?

• En quoi l'activité de l'équipe permet-elle ou non de répondre aux attentes d'une veille sociale intégrant la dimension santé ?

• En quoi l'activité de l'équipe répond-elle à ses objectifs opérationnels de médiation « santé » et à ses objectifs de qualité d'intervention ?

Un sondage au cinquième L'analyse a porté sur un dossier sur cinq ouverts par les membres de l'équipe. Elle a consisté à relever systématiquement un ensemble de renseignements qui figurent : - pour partie parmi les items compris dans le formulaire mis en oeuvre par

l'EMS elle-même, - pour partie dans les commentaires et annotations apportés à la suite de

chaque intervention, dans la partie plus informelle du dossier (descriptif des situations de personnes et des contextes, contacts pris avec d'autres interve-nants, nature de la demande...).

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La liste ci-dessous représente les variables prises en compte à des fins d'analyse statistique. Variables considérées :

Sexe

Age

Année du premier contact

Intervention de l'EMS suite à ...

Lieu de la première rencontre

Situation matrimoniale

Enfants

Temps d'errance

Date d'arrivée à Toulouse

En provenance de

Nationalité

Statut socio-professionnel

Couverture sociale

Ressources

Situation professionnelle

Logement lors de la 1ère rencontre

Logement lors du dernier contact

Situation de santé

Problème déclaré de santé mentale ?

Comportement, attitude

Problème mentionné de droits non ouverts ?

Problème mentionné de logement ?

Problème familial mentionné ?

Autre problème mentionné ?

Suivi social ? Si oui, par quel service ?

Orientation par l'EMS

Demandes de la personne

Démarches réalisées et contacts établis par l'EMS

auprès d'autres intervenants (sociaux, médico-

sociaux et/ou sanitaires).

Nbre de rencontres mentionnées dans le dossier

Nbre de contacts mentionnés avec autres acteurs

Date de dernière rencontre ou dernier contact

Durée du suivi sur dossier

A noter : le terme de « rencontre » est ici réservé à l'entrevue directe avec la personne (des membres de l'équipe se sont déplacés auprès de la personne). Celui de « contact » désigne les échanges (directs, par téléphone, courrier...) établis avec d'autres intervenants, y compris représentants d'une structure (d'accueil, d'hébergement, de soins). Par la suite, on réservera de même le terme « accompagnement » à l'accompagnement physique des personnes qui implique le déplacement d'un ou plusieurs membres de l'équipe, pour parler de « suivi » en ce qui concerne l'ensemble des démarches effectuées y compris par contact à distance. Chaque situation étudiée a en outre donné lieu à une synthèse (en quelques lignes) :

- du profil social de la personne, du couple ou de la famille. - du type d'intervention de l'EMS, distinguant entre catégories et formes

d'intervention sociale et de santé. Le fonds de données de suivi L'étude a porté sur la grande majorité des dossiers ouverts depuis les débuts de l'équipe mobile sociale (intégrant donc la période antérieure à la mise en place de la composante médico-sociale de l'équipe).

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N'a pas été pris en compte le sous-ensemble désigné sous l'intitulé « sans mention de nom ni de lieu », celui-ci correspondant à des rencontres sans suite, généralement suscitées par les membres de l'équipe dans ses déplacements. L'ensemble représente quelques dizaines de dossiers, rencontres ponctuelles en général très peu informées, pour des raisons qui apparaîtront évidentes. Il n'en constitue pas moins une part non négligeable du travail réalisé dans le cadre de la maraude. Notre choix conduit donc à sous-estimer le volume d'activité réalisé dans ce registre. Il traduit notre souci d'analyser moins les quantités de travail fourni (celles-ci ne sont pas en cause on le verra et les seuls dossiers ouverts ne sauraient en donner une représentation satisfaisante), que les situations dans lesquelles l'équipe a pu exercer effectivement sa fonction de médiation.

L'étude a porté sur 136 dossiers, pour un fonds total d'environ 750. En ce qui concerne les quantités, chaque dossier ouvert a donné lieu en moyenne à 7 rencontres et contacts informés (moitié rencontres « sur le terrain », moitié contacts établis avec les autres intervenants, pour prise en charge, orientation..., non compris les contacts téléphoniques directs avec les personnes). Près de 60% concernent la seule année 2001, ce qui traduit bien la montée en charge de l'activité de l'équipe, alors que celle-ci est encore en gestation. L'outil Chaque dossier comporte une fiche de recueil d'informations qui comprend un nombre important d'items, mais la plupart souvent peu informés, en particulier pour tout ce qui concerne les rencontres ou interventions ponctuelles et sans suite. Celui-ci se double d'une ou plusieurs feuilles de grand format qui constituent un cahier de liaison entre les membres de l'équipe, sur lequel sont notés, souvent de façon très circonstanciée, les renseignements concernant la situation de la personne, les interventions de l'équipe, les contacts, les personnes de référence... Celui-ci constitue bien souvent un véritable outil de travail. Le dossier comporte en outre parfois (notamment dans les cas de suivi-accompa-gnement de personnes pour régularisation administrative, accès au droits, aux soins...) un ensemble de documents personnels et/ou administratifs. L'ensemble constitue un outil de consistance très variable, parfois véritable dossier de suivi social et médico-social, parfois simple compte rendu de contact ponctuel dans des circonstances (maraude, visite sur lieu d'accueil hivernal...) dont on comprendrait effectivement mal qu'elles aient donné lieu à un interrogatoire systématique.

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LE CADRE : QUELS PUBLICS POUR QUELLE ACTION ? Le public de l'intervention mobile de rue : une difficile définition

On a vu avec le rappel « historique » que l'idée d'une intervention mobile à vocation de suivi social et de promotion de la santé auprès des plus démunis remonte assez loin dans le temps de l'action des collectifs inter associatifs. Le besoin d'une intervention mobile à la fois sociale et médico-sociale s'est construit face à un constat partagé : il est des personnes « qui ne se mobilisent pas », qui ne sont pas en mesure de formuler une demande à l'égard des institutions (et notamment des institutions de soins), lorsqu'ils ne sont pas tenus à l'écart par l'institution même. L'ensemble de ces personnes constitue potentiellement des publics qui demeurent mal connus dans leur diversité28, et définis essentiellement « par défaut », comme les « laissés pour compte », « les exclus des exclus » : personnes réputées les plus isolées, seules à la rue au centre ville, personnes « désaffiliées » ou « déstructurées », hébergées dans les centres d'accueil d'urgence pendant la période d'hiver... définis en négatif d'autres composantes repérables de la pauvreté : ceux qui sont demandeurs, qui participent à un collectif, qui formulent des projets, qui s'organisent... Ce prototype se réduit souvent à un prototype urbain, celui du SDF clochardisé, généralement un homme, d'un certain âge, alcoolisé... Ces définitions ont été et restent indispensables à l'action, mais elles font souvent l'économie d'une connaissance de la réalité des situations de précarité réunies sous la rubrique des « SDF ». Ce qui ne va pas sans être préjudiciable à l'action et à la qualité de l'intervention. Mettre à l'abri, accompagner, faire lien.

S'il est des personnes et des publics qui n'ont pas accès à l'offre des services de droit commun, notamment en matière de soins, ou qui n'y accèdent pas dans de bonnes conditions (recours retardé, uniquement en cas de pathologie aiguë déclarée), le principe s'impose d'une action qui s'attache à « aller vers » ces personnes. « Aller vers » dans quel but ? Les principes qui préfigurent l'idée d'une intervention mobile sont également hérités des débats qui ont animé l'action spécifique préexistante : intervention dans le respect de la personne, refusant l'interventionnisme (et l'intervention-nisme médical en particulier) autant que la pure charité, privilégiant l'idée de « faire lien », de rétablir des ponts, de rétablir le contact nécessaire à une requalification des individus, de développer un suivi, un accompagnement dans la durée...

28 - D'une part, toutes les recherches mettent l'accent sur l'inadéquation des grandes catégories d'usage courant : les SDF, les exclus, les errants, les marginaux… et sur la grande diversité qu'elles cachent, disparités de situations, de parcours, de cultures… D'autre part, l'information de ces situations par et dans l'action en dit plus sur les logiques des services et sur les critères administratifs qu'ils se donnent que sur la personne, sa logique propre, comment elle fait avec (sa pauvreté, sa précarité), ses aspirations, son rapport aux corps et aux institutions.

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Si les publics restent difficiles à définir, les objectifs que se donne l'intervention « mobile » restent également flous et empruntent à des registres divers qui vont de l'action humanitaire au travail d'accompagnement personnalisé, de l'éducation sanitaire et de la promotion de la santé à l'action d'insertion, autant de formules qui se traduisent en interventions concrètes auprès des publics de demandeurs, mais dont les modalités restent largement à inventer concernant les plus marginalisés. En ce qui concerne ces derniers, une logique domine toutes les autres et fonde l'essentiel de l'action publique et para publique, celle de l'urgence : protéger les personnes, les accueillir et les mettre à l'abri du danger immédiat que constitue notamment le fait d'être à la rue par grand froid, préalable à toute action sociale comme à toute action de santé. Cette logique s'est imposée au rang de politique « palliative » au cours des années 90, suite au scandale suscité par les morts à la rue, elle n'en reste pas moins un cadre insuffisant pour une action visant à améliorer les conditions de santé des « exclus ».

Les enseignements de l'étude

Au regard du « prototype » que nous évoquions en encadré, l'intervention de l'équipe mobile touche une population bien plus hétérogène : • dans laquelle les hommes seuls ne constituent pas une majorité :

Noter : « Famille » résume la formule « Couple avec enfant(s) »

Dossiers ouverts : situation personnelle

Homme49%

Femme34%

Couple11%

Famille6%

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• dont la répartition selon l'âge se montre très étendue (de 16 à plus de 70 ans, avec un « pic » principal entre 25 et 34 ans et un « pic » secondaire entre 45 et 54 ans).

Noter : - dans les cas de couples ou de familles, l'âge considéré est celui du premier adulte mentionné. - l'âge de la personne reste indéterminé dans 20% des cas, limite qui concerne surtout des dossiers ouverts suite à rencontre ponctuelle et sans suite. Les proportions affichées portent sur les 80% de l'échantillon où l'âge est indiqué.

Nous reviendrons plus loin sur les conditions d'intervention de l'équipe, mais non sans noter tout de suite que l'hétérogénéité mesurée des publics n'est pas indépendante de la diversité des contextes d'intervention, entre travail de maraude, signalement direct à l'équipe, appels au 115, visites dans les différents centres d'accueil du dispositif d'urgence.

Intervention de l’EMS suite à…

Part des interventions

Maraude 17% Signalement par tiers non pro. 16% Signalement par professionnel 18% Appel au 115 par tiers 7% Appel au 115 par la personne 11% Visite en CHHU 29%

En ce qui concerne l'ensemble des appels, la variabilité est liée à la nature des personnes qui sollicitent le service : tierces personnes non professionnelles, professionnels, voire la personne elle-même.

Age des personnes

8%16%

34%

15%19%

8%

0%

10%

20%

30%

40%

50%20

ans

& <

21-2

5

25-3

4

35-4

4

45-5

4

55 a

ns&

+

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Des profils type

Au-delà des données d'âge, de sexe et de situation matrimoniale, nous avons cherché non pas à poursuivre un descriptif variable par variable, mais à mettre l'ensemble des renseignements dont nous disposions sur la personne ou le couple au service d'une analyse en profils sociaux type.

Cette démarche cherche à préciser d'éventuelles catégories pertinentes pour une action sociale, en même temps qu’à tester en quoi les profils sociaux qui apparaissent correspondent ou non à des catégories préexistan-tes du travail social. Elle part du principe que si aucune construction catégo-rielle n'est vraiment en mesure de rendre compte de la complexité des con-textes et des parcours individuels, toute action sociale a besoin de catégo-ries pour engager une action systématique. Elle est donc résolument orien-tée vers l'action (plus que dans une analyse sociologique), dans une pers-pective d'adaptation éventuelle de l’intervention et des outils de l'équipe.

Participent à cet essai de typologie :

• les items compris dans la fiche de recueil : Temps d'errance Date d'arrivée à Toulouse En provenance de Nationalité Statut socio-professionnel Couverture sociale Ressources Situation professionnelle

Logement lors de la première rencontre Situation de santé Problème déclaré de santé mentale ? Comportement, attitude Problème mentionné de droits non ouverts ? de logement ? Problème familial ? Ou autre ? Suivi social ? Si oui, par quel type de service ?

• le résumé de situation que nous avons rédigé à la fin de chaque étude de dossier.

Le résultat ne peut prétendre à épuiser la complexité des situations et leurs évolutions dans le temps, pas plus qu'il ne peut résoudre toutes les incertitudes, liées notamment au manque d'information des situations de contact ponctuel. Il n'en apporte pas moins un éclairage qui permet de préciser les situations rencontrées et d'entrevoir les phénomènes sociaux qui y participent.

Neuf profils type ont été dégagés :

1 - Les personnes, couples et familles demandeuses (ou solliciteuses d'asile territorial (DAT arrivants) :

Ils sont seuls plus d'une fois sur deux, autant des femmes (sinon plus) que des hommes, mais presque aussi souvent en couple ou en famille. Ce sont toujours des adultes, de 20 à 40 ans pour la plupart, avec un âge moyen de l'ordre de 30 ans. Sauf cas particulier29, ils sont arrivés à Toulouse depuis quelques jours, en

29 - Personne dont l'équipe prend connaissance à la suite d'une hospitalisation par exemple.

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provenance d'Europe de l'est (1/2), d'Algérie (1/4), d'Afrique noire (1/4). L'équipe prend contact avec eux, soit directement à la rue, soit plus souvent, par l'entremise d'un service (y compris la Police) ou d'une association. La majorité d’entre eux ne parle pas le français.

2 - Autres situations de personnes de nationalité étrangère

Sans doute l'une des catégories la moins homogène et des plus discutables. Son unité tient au fait qu'elle regroupe des personnes installées à Toulouse depuis des mois à des années, dont la situation de pauvreté-précarité se complique de leur statut d'étrangers, le plus souvent en mal de régularisation. Ils sont en moyenne plus âgés que les nouveaux arrivants. Pour le reste, bien des traits les rapprochent des catégories que nous verrons plus loin. A égalité : - des femmes seules, toutes à la suite de ruptures, de couple ou de réseau familial. - des hommes également seuls,

- 1/3 installés à Toulouse avec un contrat de travail et qui ont vu celui-ci rompu et leur statut de résident remis en cause.

- 1/3 engagés dans un parcours d'insertion avec perspectives de travail. - 1/3 très marginalisés, résidents en situation de squat.

Toutes les personnes sont seules.

3 - Problèmes ou ruptures de couples

Ensemble homogène composé de femmes en situation de rupture ou de difficultés relationnelles avec leur conjoint. Problématique de violence conjugale déclarée dans plus de la moitié des cas. Dans tous les cas, la femme quitte le domicile conjugal. Six fois sur dix, la rupture semble définitivement consommée (?), sinon, le couple perdure à distance, se reforme, parfois pour éclater de nouveau... Une fois sur deux entre 26 et 34 ans, mais jusqu'à plus de 55 ans.

4 - Ruptures de cohabitation

Ensemble à deux composantes regroupées pour des raisons purement statistiques (effectifs trop faibles). - La composante majeure est constituée de jeunes voire de très jeunes person-nes, essentiellement de sexe féminin, le plus souvent originaires de la proche banlieue, qui rompent avec le milieu familial et arrivent à Toulouse sans solution d'hébergement. Rencontrés parfois en maraude mais le plus souvent suite à signalement. - La composante secondaire est faite de personnes qui cohabitaient jusque là avec des amis à Toulouse et se voient confrontées à une situation de rupture non anticipée, également une majorité de femmes, mais en moyenne un peu plus âgées. La problématique de l’intervention est souvent la même, centrée sur la quête de solution immédiate d'hébergement.

5 - Mobilité de jeunes

L'ensemble n'est pas homogène mais concerne un modèle de vie très valorisé aujourd'hui : la mobilité. Ils arrivent de Rouen, de Nice, de Chaumont, d'Auxerre

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ou d'ailleurs. Ils sont jeunes (plus de la moitié a moins de 25 ans, 9 sur 10 moins de 35). Il s'agit 4 fois sur 10 d'hommes seuls, 2 fois sur 10 de femmes seules, et 4 fois sur 10 de jeunes couples ou familles. L'EMS a dans la plupart des cas un contact ponctuel avec eux, puis ils disparaissent (ce qui ne veut pas dire qu'ils ont quitté la ville). Leur point commun : ils sont mobiles, et rien ne dit qu'ils connaissent une situation de fragilité particulière, ni de rupture. Certains sont clairement demandeurs : ils affichent pour la moitié d'entre eux leur intention de trouver à s'insérer à Toulouse, et la plupart parmi eux font état de trajectoire de travail ou de formation. D'autres se disent plutôt « de passage » (parmi eux quelques jeunes RMIstes) et certains sont encore moins explicites (sinon plutôt méfiants). Cette seconde composante est parfois qualifiée de « jeunes errants », même s'ils donnent généralement plutôt l'impression de savoir où ils vont.

6 - L'équation pauvreté/précarité du logement

C'est également une catégorie peu homogène, bien qu'elle recouvre des situations et surtout des processus bien connus. Elle regroupe des personnes qui font l'objet d'un suivi social ou qui répondent à un profil de personnes « très démunies » sans pour autant être SDF au sens d’une clochardisation-marginalisation dans la durée. Pauvreté et précarité, parfois extrêmes, caractérisent l'ensemble de ces situations, dont on ne peut manquer de noter le caractère parfois paradoxal au regard des cadres sociaux existants : • dans près d'1/3 des cas, il s'agit d'expulsés récents de leur logement (y compris du logement social). Notre échantillonnage a fait que les cas rencontrés sont pour moitié des familles, et pour moitié des personnes âgées... • les autres situations apparaissent de façon plus ponctuelle : - sorties de prison (préparation ?) - ils ont un travail, mais pas les moyens du logement. - ils ont un logement, mais font la manche - en quête de travail ou de prise en charge COTOREP, à la rue. - personnes suivies par un travailleur social (non CCAS), mais extrêmement précaires. Une petite majorité d'hommes seuls, une certaine sur représentation de la classe d'âge des 26-34 ans, mais aussi des femmes, des familles, et des personnes plus âgées.

7 - Personnes définies comme suivies pour troubles psychologiques graves, toxicomanie

Constitue une catégorie à part du fait d'un contexte ancien de prise en charge par l'institution psychiatrique. Personnes déclarées « évadées » de l'institution, plus souvent personnes en rupture de suivi ou personnes suivies hors institution, dont la plupart sans logement... 8 - Personnes « SDF » résidentes

La formule peut encore apparaître paradoxale, mais elle résume bien la situation de l'ensemble homogène considéré ici. Elle a acquis sa pleine légitimité suite à la dynamique impulsée à Toulouse autour des « résidents notoires » SDF toulousains accueillis dans les locaux de la rue Deville à partir de l'hiver 1994, puis dans ceux

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de la rue Job et du boulevard Riquet. L'ensemble regroupe des personnes installées à Toulouse pour la plupart de longue date (au moins un an, et parfois beaucoup plus), dont la grande majorité sont dits avoir un statut de squatters, soit seuls, soit en squat organisé, d’habitants sans titre. Ces personnes sont connues de longue date par l'équipe, leur histoire personnelle est souvent circonstanciée. Les trois quarts ont plus de 35 ans, en grande majorité des hommes, mais on note quelques femmes.

9- Autres situations de SDF

Elles concernent des situations qui restent en majorité indécidables faute d'information, ce qui laisse penser qu'il s'agit la plupart du temps de personnes SDF de passage à Toulouse (« routards » ?). Ils sont généralement plus jeunes que ceux de la catégorie précédente (8/10 ont moins de 35 ans), et parmi eux quelques personnes de moins de 25 ans dont il est dit qu'elles s'inscrivent dans la mouvance des groupes de « jeunes errants ». (On notera la sous représentation de ces derniers, au regard d'une population de jeunes marginalisés que diverses études montrent beaucoup plus nombreuse). S'y ajoutent quelques cas particuliers de personnes à mi-chemin entre situations avérées de « SDF » et situations de pauvreté-précarité. En résumé, les neuf ensembles recouvrent 133 des 136 dossiers de l'échantillon (98%). Trois y échappent, à la fois par manque d'information et du fait de leur caractère insolite, sinon totalement étrangers à la vocation de l'équipe mobile30. Leurs effectifs se répartissent de façon assez homogène, chaque groupe représentant entre 10 et 15% de l’ensemble.

Répartition des neuf composantes (effectifs relatifs)

30 - Exemple : un homme déambule nu un soir dans les rues d'un quartier excentré de la ville. Un riverain le signale au 115, qui répercute sur l'équipe mobile... L'homme habite dans le quartier.

DAT

Autres Etr.

Pb couples

Décohab.

Mobilité

Pauvreté

Suivi psy

SDF résidents

Autres SDF

0% 5% 10% 15% 20% 25%

DAT

Autres Etr.

Pb couples

Décohab.

Mobilité

Pauvreté

Suivi psy

SDF résidents

Autres SDF

Profils de publics

60

Descriptif par situation personnelle et classes d'âge

Les évolutions, entre montée en charge de l'équipe et évolutions sociales

L'échantillonnage porte sur l'ensemble des dossiers ouverts par l'équipe mobile depuis ses débuts en 1997-98. Or, le renforcement progressif de l'équipe mobile sociale, à partir de 2000, et son évolution en équipe mobile de soins ambulatoire s'est traduit par une très nette augmentation de la capacité d'intervention. Au point que près des 3/4 des dossiers ouverts portent sur les années 2000-2001.

DAT

Autres Etr.

Pb couples

Décohab.

Mobilité

Pauvreté

Suivi psy

SDF résidents

Autres SDF

0% 20% 40% 60% 80% 100%

DAT

Autres Etr.

Pb couples

Décohab.

Mobilité

Pauvreté

Suivi psy

SDF résidents

Autres SDF

FamilleCoupleFemme seuleHomme seul

Profils et situation personnelle

DAT

Autres Etr.

Pb couples

Décohab.

Mobilité

Pauvreté

Suivi psy

SDF résidents

Autres SDF

0% 20% 40% 60% 80% 100%

DAT

Autres Etr.

Pb couples

Décohab.

Mobilité

Pauvreté

Suivi psy

SDF résidents

Autres SDF

55 ans & >45-54 ans35-44 ans26-34 ans21-25 ans20 ans & <

Profils et classes d’âge

61

On notera toutefois une limite importante en l'état actuel de l'information des dossiers : l'année du premier contact reste indéterminée dans 30% des dossiers ouverts, parfois alors même que les dates détaillées de chaque intervention (jour et mois) sont clairement indiquées. L'analyse des dossiers non annualisés, semble montrer que la plupart de ces derniers, concernant essentiellement des interventions ponctuelles de l'équipe, se répartissent sur les deux derniers exercices, il semble toutefois que ce manque d'information n'invalide pas sérieusement la répartition qui suit :

Cette répartition traduit en fait une triple évolution : - l'évolution des moyens humains de l'équipe et plus encore l'efficacité de sa

régulation interne, résultat des premières années de travail. - la diversification de son intervention dans le cadre du dispositif de veille sociale

et de l’urgence. - les évolutions récentes concernant le phénomène global des « sans abris »,

marquées notamment par l'augmentation des situations de solliciteurs d'asile, le renforcement et la visibilité accrue de processus de longue date : individuation, décohabitation familiale des jeunes, crises de ménages... sur fonds de précarité accrue et de plus grande efficacité-visibilité des dispositifs de prévention (accueil d'urgence, numéro vert, PAIO, dispositif d'insertion...)

Dans le contexte qui caractérise la mise en place de l'équipe, il reste encore aujourd'hui difficile de juger de ce qui relève de l'une ou l'autre des dimensions évoquées. On notera toutefois quelques faits majeurs : • En 1999, l'activité en direction des personnes SDF (résidentes et de passage), constitue a elle seule 40 % de l'ensemble, et plus si on considère que les étrangers rencontrés présentent des profils très comparables. S'y ajoutent des situations de ruptures de logement liées à la pauvreté, à la mobilité des plus jeunes. Les deux tiers des personnes suivies sont des hommes isolés. On ne note aucune situation de couple ou de famille. Soit une activité au plus près des définitions premières de la fonction d'une équipe mobile sociale qui mène une action en direction des plus marginalisés.

1999 & < 2000 20010

10

20

30

40

50

60

1999 & < 2000 2001

Année d'ouverture du dossier

62

• L'activité se diversifie nettement à partir de l'an 2000, avec notamment l'appari-tion des solliciteurs d'asile, et celle des ruptures et violences conjugales. L'interven-tion en direction des résidents sans titre ou « SDF » de passage devient relative-ment moins importante, sans cesser de représenter l’essentiel de l’activité de l’équipe, alors que s'imposent des situations de précarité-pauvreté jusque là peu prises en compte. Parallèlement, apparaissent des situations de grande précarité de couples ou familles (qui représentent déjà plus de 12% de l'activité), alors que se renforce le volume d'intervention auprès des femmes isolées. La part des dossiers ouverts pour des hommes seuls s'établit maintenant aux alentours d'un cas sur deux.

• En 2001, le nombre de situations de solliciteurs d'asile augmente encore nettement (alors que ceux-ci représentent jusqu'à 70% des personnes hébergées en urgence dans certaines structures). Dans le même temps : - les situations de personnes en rupture (décohabitation et mobilité des jeunes,

problèmes de violences conjugales, de précarité-pauvreté) sont également plus nombreuses.

1999 & <

0% 20% 40% 60% 80% 100%

1999 & <

Activité en 1999 & avant

Autres SDFSDF résidentsPauvretéMobilitéDécohab.Autres Etr.

2000

0% 20% 40% 60% 80% 100%

2000

Activité en 2000

Autres SDFSDF résidentsSuivi psyPauvretéMobilitéDécohab.Pb couplesAutres Etr.DAT

63

- sans doute doit-on à l'arrivée des infirmiers une lecture plus attentive des situations de souffrance psychique et de suivi psychiatrique, leur nombre devenant plus significatif.

- on note en outre une nette reprise de l'activité de l'équipe en direction des personnes « SDF », résidents sans titre, mais aussi personnes plus mobiles rencontrées en maraude.

La question de la demande Les données analysées semblent donc confirmer ce que les membres de l'équipe affirment eux-mêmes dans leur rapport d'activité, à savoir que le renfort des infir-miers a permis de relancer l'activité de maraude, et plus largement de recentrer son intervention sur les publics cible les plus marginalisés et les moins « demandeurs ». Avant même d'étudier les modes d'intervention de l'équipe, la question de la « demande » mérite une attention particulière. Celle-ci se décline en différentes sous questions :

• on a vu que la mise en place de l'équipe mobile mixte (sociale et infirmière) se justifie du fait des obstacles que rencontrent certaines composantes sociales de la grande précarité dans leur rapport aux institutions (de soins en particulier). L'équipe est-elle effectivement confrontée à des publics pas ou peu demandeurs ?

• voit-elle au contraire s'exprimer une demande de certains publics à son égard ? Si oui quels publics, porteurs de quels types de demande ?

• si ce n'est pas par les personnes précaires elles-mêmes, par qui l'équipe est-elle sollicitée ? Quels sont les informateurs relais et médiateurs d'une demande qui participent à l'intervention de l'équipe ? Qu'en est-il en particulier de la demande des intervenants professionnels et associatifs avec lesquels l'équipe a établi des liens de réseau ?

2001

0% 20% 40% 60% 80% 100%

2001

Activité en 2001

Autres SDFSDF résidentsSuivi psyPauvretéMobilitéDécohab.Pb couplesAutres Etr.DAT

64

Pour commencer par cette dernière dimension, quelques éléments de réponse résident dans l'analyse des déterminants de l'ouverture d'un dossier, rencontre initiale suscitée :

• soit par l'équipe dans son travail de maraude.

• soit par l'équipe au cours de ses visites dans les structures d'accueil d'urgence, en lien avec les animateurs de ces dernières.

• soit à la suite d'un signalement : - par une tierce personne non intervenante (commerçant, riverain...) - par un intervenant associatif ou professionnel.

• soit à la suite d'un appel de la personne elle-même. Les évolutions constatées au cours des premières années de fonctionnement méritent d'être notées :

En 1999 et avant, la plupart des dossiers ouverts font suite à une rencontre suscitée par l'équipe, dans son travail de maraude31, et surtout au cours de ses visites dans les lieux d'accueil hivernal d'urgence. Les interventions suite à signalement ou appel au 115 demeurent peu nombreuses. La part que prennent les autres intervenants dans la mobilisation de l'équipe reste anecdotique. On ne note aucune sollicitation directe de l'équipe par les personnes précaires elles-mêmes. A partir de 2000, alors que l'équipe acquiert rapidement une visibilité, une représentativité et une capacité d'intervention plus grandes, se font jour différentes évolutions :

• si le volume des dossiers ouverts dans le cadre de la maraude et des visites ne diminue pas, le poids relatif des signalements devient sensiblement plus important, et en premier lieu celui du signalement par les autres intervenants. La demande des travailleurs sociaux (professionnels ou non) s'affirme fortement.

31 - on verra que le nombre de dossiers ouverts n'est pas un indicateur suffisant pour rendre compte du volume d'activité que représente la maraude.

1999 & <

2000

2001

0% 20% 40% 60% 80% 100%

1999 & <

2000

2001

Intervention suite à ... selon l'année

115 perso.115 tierspar prof.SignalementVisite CHHUMaraude

65

• apparaît en outre une demande explicite de certaines personnes précaires qui s'adressent directement à l'équipe, ou au 115, pour résoudre leurs difficultés d'accès à un logement, à des soins...

En 2001, le renforcement de l'équipe se traduit effectivement par un accroissement sensible du nombre de dossiers ouverts dans le cadre de l'activité de maraude. Parallèlement, le nombre de dossiers ouverts suite aux visites dans les structures d'accueil ne diminue pas, mais leur poids devient moins important face à la confirmation des tendances nées l'année précédente : rôle accru des signalements, et notamment par les intervenants, demande directe accrue.

Dossier ouvert suite à ... 1999 2000 2001

Signalement par tiers 15 10 65 Signalement par intervenants 5 25 60 Appel direct au 115 0 25 40

Nombre approximatif de dossiers ouverts au cours de l'exercice. En 2001, le total de ces trois postes représente environ les 2/3 des dossiers ouverts.

Malgré le recentrage opéré par l'équipe en direction d'un public conforme à ses objectifs initiaux, des demandes d'origine diverse tendent à s'exprimer - par l'intermédiaire des signalements, - du fait des professionnels et autres intervenants, - à travers les appels directs au 115.

Ces demandes concernent en partie les publics SDF (c'est particulièrement vrai en ce qui concerne les signalements par tiers non professionnels). Mais elles relaient ou expriment le plus souvent d'autres attentes : - celles des personnes solliciteuses d'asile - celles des personnes en situation de rupture familiale ou de mobilité précaire. - celles de personnes en situation de pauvreté-précarité, de souffrance psychique

Soit une palette large de situations qui participent à la diversification des publics pris en compte par l'EMS.

Origine de la demande et profils de publics

Signalements (par tiers ou non précisés)

Signalements par

intervenants

Appels au 115 (par la pers. ou indéterminés)

DAT, autres étrangers 24% 22% 21%

Pb de couples, décohabitat., mobilité 14% 26% 54%

Pauvreté, fragilité psy. 19% 26% 25%

Personnes SDF 43% 26% 0%

Ensemble 100% 100% 100%

66

Profils de publics et expression d'une demande On notera en outre dans le tableau qui précède la part prépondérante que représentent parmi celles qui s'adressent directement au 115 les personnes en situation de rupture familiale ou les jeunes « mobiles ». S'exprime là une capacité à se mobiliser et à mobiliser l'existant qui ne correspond que de très loin aux définitions des objectifs premiers de l'EMS, centrés sur les publics « qui ne sont pas en mesure de formuler une demande ». Par ailleurs, le dossier individuel, au niveau de la fiche et surtout dans sa partie qualitative, s'attache à préciser l'attitude de la personne et la ou les demandes qu'elle exprime. On peut ainsi, sous réserve de la qualité inégale du renseigne-ment, préciser si la personne se montre : - réticente - sans demande explicite ou avec une demande très limitée (nourriture, somme

d'argent, vêtements) - seulement en demande de solution d'hébergement (chambre d'hôtel, lieu

d'accueil...) - porteuse d'une demande plus large (logement et suivi social, ouverture de

droits, etc.) - très demandeuse, multipliant les sollicitations. Les résultats de cette répartition montrent que la réticence ou l'absence de demande sont bien les traits majeurs de ceux que l'on désigne sous l'étiquette de SDF :

Avec près de 80% de personnes sans demande exprimée, sinon réticentes face à l’intervention de l’équipe, les catégories considérées (« SDF résidents » et « autres SDF ») se distinguent nettement de tous les autres ensembles constitués. Encore faut-il tenir la demande exprimée par les personnes de ce groupe comme le résultat d’un travail de construction réalisé dans la relation entre la personne et les membres de l’équipe (voir plus loin).

PersonnesSDF

Ensembledes dossiers

0% 20% 40% 60% 80% 100%

PersonnesSDF

Ensembledes dossiers

Réticence et demande exprimée chez les personnes "SDF"

Désignées comme trèsdemandeusesDemande explicite pluslargeDemande d'hébergement enurgenceDemande faible ou nulle

Réticence marquée

67

Les autres composantes du public se montrent plus à même de formuler une demande : • Les personnes solliciteuses d'asile et les autres personnes de nationalité étrangère, se partagent entre personnes peu demandeuses et personnes en quête de solutions rapides de logement et de soutien social :

• Les personnes confrontées à des problèmes de couple et les jeunes décohabitants (ces deux ensembles réunis parce qu'ils se répartissent de façon assez analogue en matière d'expression d'une demande) se montrent avant tout demandeuses de solutions d'hébergement en urgence. Et on n'y trouve plus de personnes dites réticentes.

• les autres entités se montrent assez disparates, entre :

- les jeunes mobiles, groupe que nous avons décrit comme hétérogène mais où les personnes en quête d'insertion professionnelle sont les plus nombreuses.

- les personnes définies comme relevant d'un suivi psychologique, en général plus « demandeuses » que la moyenne.

- l'ensemble peu homogène des personnes en situation de pauvreté-précarité, partagé entre faible et forte demande.

DAT etautres

0% 20% 40% 60% 80% 100%

DAT etautres

Personnes solliciteuses d'asile et autres personnes de nationalité étrangère

Désignées comme trèsdemandeusesDemande explicite pluslargeDemande d'hébergement enurgenceDemande faible ou nulle

Réticence marquée

Mobilité

Pauvreté

Suivi psy

0% 20% 40% 60% 80% 100%

Mobilité

Pauvreté

Suivi psy

Désignées comme trèsdemandeusesDemande explicite pluslargeDemande d'hébergement enurgenceDemande faible ou nulle

Réticence marquée

68

L’intervention de l’EMS Celle-ci se mesure à un ensemble large de variables (voir en introduction) généralement bien informées. On insistera d'abord sur la grande disparité des dossiers, mesurable en nombre de rencontres avec la même personne, de démarches et de contacts que la situation a nécessités :

Aucune Une seule 2 à 4 5 à 9 10 à 15 Plus de 15

Nbre de rencontres(1) 5% 46% 33% 7% 4% 5%

Aucun Un seul 2 à 4 5 à 9 10 à 15 Plus de 15

Nbre de contacts(2) 15% 31% 37% 8% 4% 4% (1) Rencontre = Entrevue directe avec la personne. (2) Contact = Entrevue, ou plus souvent échange téléphonique avec une tierce personne, proche ou (plus souvent) intervenant social ou médical.

L'ensemble représente une moyenne (mais la moyenne est ici peu indicative de la répartition et des écarts) de 7 interventions par dossier. Interventions qui s'inscrivent dans une durée elle aussi extrêmement variable.

Durée de l'intervention

1 jour < 1 semaine 1 sem. à 1 mois 1 à 6 mois > 6 mois Total

% 37% 26% 10% 18% 9% 100% Données qui incluent les dossiers en cours au moment de l'enquête et sous estiment donc les durées de suivi supérieures à 2 mois. La durée du suivi étant proportionnelle aux nombres de contacts et de rencontres, ces disparités traduisent les différences très marquées dans l'intervention de l'équipe en fonction des profils de publics pris en compte :

• Les dossiers ouverts pour ceux qui présentent un profil de SDF résidents (ou résidents notoires sans titre de résidence) s'avèrent souvent très différents des autres, avec des durées de suivi souvent très longues (4 sur 10 supérieures à 6 mois), un nombre de rencontres et de contacts deux fois plus important que la moyenne générale. L'intervention de l'équipe se situe ici au plus près des attendus initiaux.

• Dans tous les autres cas de figure, ce sont les interventions ponctuelles ou de courte durée qui dominent, bien que de façon plus ou moins marquée. C'est particulièrement le cas en ce qui concerne les situations de jeunes :

- jeunes « décohabitants » (la plupart en rupture de milieu familial), qui occasionnent 9 fois sur 10 une intervention de l'équipe ponctuelle et unique dont on verra qu'elle s'arrête généralement à « mettre les personnes à l'abri » et à enclencher un accompagnement par les professionnels du social.

- jeunes « mobiles », néo-arrivants à Toulouse en quête d'insertion profes-sionnelle et/ou résidentielle.

69

Durée du suivi

< 1 semaine > 6 mois

DAT 71% 7% Autres Etr. 57% 0% Pb couples 55% 0% Décohab. 92% 8% Mobilité 76% 0% Pauvreté 74% 16% Suivi psy 53% 0% SDF résidents 33% 39% Autres SDF 50% 0%

Hors des « résidents notoires », quelques situations peu nombreuses débou-chent sur un suivi à long terme, essentiellement parmi les personnes dont la situation de pauvreté se traduit par la remise en cause de leurs conditions antérieures de résidence. Dans d'autres cas de figure (ruptures de couple, personnes relevant d'un suivi psychiatrique, « routards » qui « se posent » un temps à Toulouse), l'équipe est amenée à intervenir dans la moyenne durée (de l'ordre de quelques semaines à quelques mois), non seulement pour parer au plus pressé sur le plan de l'hébergement, mais aussi pour participer à un véritable travail social de dépassement de l'urgence. Intervention « sociale » et intervention « santé » On a déjà noté que face à la précarité, lorsque celle-ci conduit les personnes « à la rue », la frontière est difficile à établir, sinon injustifiable, entre ce qui relèverait strictement du social et ce qui relèverait proprement de la santé. Nous nous bornerons à distinguer ici entre des interventions qui impliquent ou non le recours à une démarche de soins. Nous n'avons pas cherché à caractériser chacune des interventions de l'équipe prises séparément, mais plutôt à préciser « l'état d'avancement » du dossier, les interventions auxquelles il a donné lieu, selon une logique hiérar-chique allant d'un minimum à un maximum. - Au minimum, l'équipe a rencontré la personne, a établi ou entre-tient un contact avec elle, lui a fourni quelques informations, sollicitées ou non, mais elle n'a engagé aucune démarche. Son intervention se limite jusque là à entretenir un lien-information (Lien-info). - Au maximum, l'équipe a engagé une ou plusieurs démarches d'accompagnement au sens physique : un ou plusieurs membres de l'équipe accompagnent la personne dans une démarche de soins, de recouvrement de droits sociaux, d'insertion... (accompagne). - Entre les deux, le travail de l'équipe peut s'être cantonné a fournir une solution ponctuelle d'hébergement ou à faire entrer la personne dans un circuit de logement à plus long terme (hébergement). Il est parfois allé plus

70

loin, au-delà d'une démarche initiale consistant à « mettre la personne à l'abri », dans une médiation-orientation des personnes vers un travail social (prises de contacts avec des professionnels, une ou des associations), ou vers des soins (orientation, prise de contact avec un ou des soignants) - (orientation). Au plan social (hors démarches pour soins), l'intervention de l'équipe se focalise beaucoup sur l'accès à un hébergement et sur la médiation-orientation visant à mettre en place ou à renouer les fils d'un suivi social :

Cette intervention est bien sur très variable selon les profils en présence, avec une problématique hébergement d'urgence qui se montre prépondé-rante auprès des personnes « DAT » arrivant à Toulouse, ainsi qu'auprès des plus jeunes en rupture de cohabitation familiale ou « mobiles ».

Les relations que l'équipe entretient sans pour autant participer à une démarche à caractère social se concentrent autour des personnes SDF, parmi lesquelles ces relations ont parfois débouché sur un accompagnement pour démarches sociales.

Interv. sociale

0% 20% 40% 60% 80% 100%

Interv. sociale

Intervention "sociale" de l'équipe

AccompagneOrientationHébergementLien-info

DAT

Autres Etr.

Pb couples

Décohab.

Mobilité

Pauvreté

Suivi psy

SDF résidents

Autres SDF

0% 20% 40% 60% 80% 100%

DAT

Autres Etr.

Pb couples

Décohab.

Mobilité

Pauvreté

Suivi psy

SDF résidents

Autres SDF

Profils de publics et intervention sociale

AccompagneOrientationHébergementLien-info

71

On notera en outre que l'équipe joue dans plus d'un cas sur trois (36%), un rôle effectif de médiation dans l'accès de la personne à une prise en charge sociale. Dans 37% des cas, l'intervention sociale se double d'une interven-tion à visée de soins.

Intervention sociale Intervention pour soin Lien-Info Hébergement Orientation-

médiation Accomp. Ensemble

Conseil-orientation(1) 3% 9% 11% 0% 7% Médiation(1) 6% 11% 11% 0% 10% Accompagnement 17% 18% 16% 50% 20%

Ensemble 29% 39% 38% 50% 37% (1) Nous distinguons ici entre le simple conseil-orientation (allez voir un tel), et la médiation active dans laquelle les membres de l'équipe mobilisent la personne et des soignants, prennent rendez-vous...

On notera au passage que la fréquence des interventions pour soins n'est pas étrangère à la nature de l'intervention sociale, plus forte lorsqu'une démarche à caractère social a pu susciter une intervention santé. On notera également que malgré les évolutions récentes mentionnées, marquées notamment par la part croissante que représentent dans l’activité de l'équipe les situations de jeunes mobiles, les situations d'arrivants récents prétendants à l'insertion ou à un asile territorial (les uns et les autres plutôt en bonne santé), la proportion des personnes prises en compte en matière de soins n'a guère varié depuis la création de l'équipe, tendant même à augmenter au cours de la période récente (plus de 40% pour le seul exercice 2001). Ce constat semble traduire la capacité acquise par l'équipe, lors de l'intégration de sa composante infirmière, dans le diagnostic infirmier et la prise en compte des problèmes de santé, ainsi que son potentiel accru d'intervention dans ce domaine. Ce que les données qui suivent semblent confirmer. Les résultats descriptifs qui précèdent recouvrent deux ordres de données qui se chevauchent en grande partie, l'un concernant l'intervention pour soins hors problèmes de santé mentale, l'autre concernant les problèmes diagnostiqués de souffrance et de pathologie mentale. En ce qui concerne les premiers, on constatera notamment que les taux d'intervention sont au plus bas parmi les ensembles de très jeunes ( jeunes en rupture de cohabitation familiale, jeunes arrivants à Toulouse sur des trajectoires d'insertion). De même en ce qui concerne les « autres SDF », personnes également mobiles auprès desquelles aucun suivi relationnel n'a généralement pu être mis en place.

DAT Autres Etr. Pb couples

Décohab. Mobilité Pauvreté

Suivi psy SDF résidents

Autres SDF

0% 20% 40% 60% 80% 100%

DAT Autres Etr. Pb couples

Décohab. Mobilité Pauvreté

Suivi psy SDF résidents

Autres SDF

Intervention pour soins hors problèmes mentaux

Accompagne. Médiation Conseil - Orientation Aucune intervention

72

A l'opposé, les « SDF résidents », entité regroupant, on l'a vu, les personnes parmi les moins « demandeuses » (voir plus haut), ont dans plus de 50% des cas fait l'objet d'une intervention pour soins. Il faudra y voir le résultat d'une démarche volontariste de l'équipe, en même temps qu'une démonstration de l'efficience de la démarche de médiation santé auprès des plus marginalisés selon les principes qu'elle s'est donnés. S'ils ne portent pas sur des effectifs très importants, ces chiffres sont confirmés par les données relatives à l'intervention dans le champ de la santé mentale. Dans l'ensemble ce type d'intervention concerne un petit nombre de personnes :

Deux entités font toutefois plus souvent l'objet d'une intervention en ce sens : en premier lieu les personnes définies comme faisant l'objet d'un suivi pour troubles psychologiques, en second lieu les « SDF résidents », plus souvent objets d'un accompagnement spécifique.

Total

0% 20% 40% 60% 80% 100%

Total

Intervention dans le champ de la santé mentale

Accompagne.MédiationConseil - OrientationAucune intervention

DAT Autres Etr. Pb couples

Décohab. Mobilité Pauvreté

Suivi psy SDF résidents

Autres SDF

0% 20% 40% 60% 80% 100%

DAT Autres Etr. Pb couples

Décohab. Mobilité Pauvreté

Suivi psy SDF résidents

Autres SDF

Intervention pour soins hors problèmes mentaux

Accompagne.MédiationConseil - Orientation Aucune intervention

Suivi psy

SDF résidents

0% 20% 40% 60% 80% 100%

Suivi psy

SDF résidents

Personnes SDF et personnes suivies pour trouble psychiatriques - Intervention pour soins de troubles mentaux.

Accompagne.MédiationConseil - Orientation Aucune intervention