l'Épée de vérité

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L'Épée de Vérité Tome 1 : La première leçon du sorcier Terry Goodkind

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l'épée de vérité tome I

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L'pe de VritTome 1 : La premire leon du sorcierTerry Goodkind

Chapitre premier Une trange varit de plante grimpante... Des feuilles panaches bruntres s'enroulaient autour de la liane qui tranglait lentement le tronc lisse d'un sapin baumier. De la sve suintant de son corce blesse, ses branches dessches inclines vers le sol, l'arbre semblait appeler au secours dans l'air frais et humide de la matine. Sur toute la longueur de la liane, intervalles irrguliers, des cosses scrutaient les alentours comme si elles redoutaient que des tmoins surprennent cet assassinat vgtal. voquant une crature dj immonde de son vivant, l'odeur de dcomposition avait attir l'attention de Richard. Il passa une main dans ses cheveux pais pendant que son esprit mergeait des brumes du dsespoir, ramen la ralit par la dcouverte de la plante tueuse. Puis il regarda autour de lui pour voir s'il y en avait d'autres. Rien. Tout semblait normal. Caresss par la brise, les rables du haut plateau de la fort de Ven arboraient firement leur nouveau manteau cramoisi. Avec les nuits plus froides, leurs cousins des bois de Hartland, dans les plaines, se mettraient bientt l'unisson. Derniers succomber aux assauts de l'automne, les chnes conservaient stoquement leur feuillage vert sombre. 13 Pour avoir pass la plus grande partie de sa vie dans les bois, Richard connaissait toutes les plantes, mme si leurs noms lui chappaient parfois. Depuis sa petite

enfance, son ami Zedd l'associait son incessante qute d'herbes spciales . Expliquant pourquoi elles poussaient certains endroits et pas ailleurs, il lui avait montr lesquelles chercher et avait profit de leurs longues promenades pour lui apprendre le nom de tout ce qu'ils voyaient. Souvent, ils s'abandonnaient simplement au plaisir de longues conversations. Le vieil homme, qui traitait Richard comme un gal, posait autant de questions qu'il fournissait de rponses. Ainsi, il avait stimul la soif de connaissances de son protg. Malgr cette formation exhaustive, Richard n'avait vu cette varit de liane qu'une fois... et ce n'tait pas au cur de la nature. Dans la maison paternelle, au fond du vase en argile bleu fabriqu quand il tait enfant, il avait trouv un petit morceau de la plante... Marchand de son mtier, son pre voyageait beaucoup pour se procurer des objets rares ou exotiques. Les puissants de leur communaut lui rendaient de frquentes visites, intresss par ce qu'il avait dnich. Amoureux de la recherche davantage que de la dcouverte - et surtout de la possession - il se sparait sans rechigner de sa dernire trouvaille, trop heureux de se mettre en qute de la suivante. Depuis sa plus tendre enfance, Richard aimait rester prs de Zedd pendant que son pre tait au loin. Michael, son frre an, se dsintressait de la nature, ne supportait pas les bavardages dcousus du vieil homme et prfrait de loin la compagnie des gens importants. Cinq ans plus tt, Richard avait quitt la maison familiale pour vivre seul. Au contraire de son frre, toujours trop occup, il allait souvent voir leur pre. En cas d'absence, un message dpos dans le 14

vase bleu l'informait des dernires nouvelles, rsumait les rumeurs intressantes ou dcrivait la plus rcente merveille vue par son gniteur. Trois semaines plus tt, quand Michael lui avait annonc qu'on venait d'assassiner leur pre, Richard avait aussitt couru jusqu' sa maison. Tant pis si son frre avait insist pour qu'il n'en fasse rien, convaincu que c'tait inutile ! N'avait-il pas depuis longtemps pass l'ge o on obit son an ? Pour lui pargner un choc, on ne lui avait pas laiss voir le cadavre. Mais les flaques de sang noir et sec, sur le plancher, parlaient d'elles-mmes. A son approche, les gens s'taient tus - sauf pour lui manifester une compassion qui attisa son chagrin. Mais plus tard, il avait capt des bribes de conversation au sujet des... cratures... qui franchissaient la frontire. Un mlange d'histoires plausibles et de rumeurs dlirantes. La sorcellerie ! La petite maison de son pre tait ravage comme par une tornade. Parmi les rares objets intacts, le vase bleu reposait toujours sur une tagre. Au fond, il avait dcouvert un petit morceau de la plante tueuse - encore dans sa poche aujourd'hui. Mais le sens de cet ultime message lui chappait... Richard sombra dans le chagrin, puis dans la dpression, et se sentit abandonn bien qu'il et encore son frre. Avoir atteint l'ge d'homme ne le protgea pas du sentiment d'tre orphelin et seul au monde. Un dsespoir qu'il avait dj connu lors du dcs de sa mre, des annes plus tt. Mme si son pre voyageait par monts et par vaux - souvent des semaines entires -, Richard savait qu'il tait quelque part et qu'il reviendrait. A prsent, il ne reviendrait plus.

Et Michael ne le laisserait pas participer la traque 15 du meurtrier ! Les meilleurs pisteurs de l'arme s'en chargeaient. Pour son propre bien, Richard - prtendait-il ! - ne devait pas s'en mler. Dans ces conditions, le jeune homme n'avait pas jug utile de lui montrer le dernier message de leur pre. Mais il tait parti dans la fort tous les jours, dcid trouver la liane. Trois semaines durant, il avait arpent les sentiers des bois de Hartland, y compris ceux qu'il tait seul connatre. En vain ! Alors, malgr ce que lui dictait la logique, il cda aux voix qui murmuraient dans son esprit et monta sur le haut plateau de la fort de Ven, prs de la frontire. Les voix lui rptaient sans cesse qu'il savait quelque chose sur les raisons de la mort de son pre. Elles le dfiaient, lui faisaient entendre l'cho de penses qui dansaient la limite de son conscient et se moquaient de son aveuglement. Mais c'tait srement son chagrin qui lui jouait des tours - rien de rel, en somme. Persuad que trouver la liane lui fournirait un dbut de rponse, il ne savait plus que penser. Les voix ne le harcelaient pas, elles... boudaient. Certain que tout venait de son esprit, il s'ordonna de cesser d'attribuer ces murmures une vie propre. Zedd aurait t navr qu'il s'abandonne ces fantaisies. Richard regarda le grand sapin baumier agonisant et repensa la mort de son pre. La liane tait prsente dans les deux cas, et elle assassinait cet arbre. Il n'y avait rien de bon dans tout a. Et s'il ne pouvait plus sauver son pre, rien ne l'obligeait laisser le vgtal commettre un autre meurtre. Saisissant la tige, il tira, banda ses muscles et arracha de l'corce les vrilles

noueuses. Alors, la plante l'attaqua ! Une cosse frappa le dos de sa main gauche, le forant reculer sous l'effet de la douleur et de la surprise. Quand il inspecta la blessure, il repra une 16 minuscule pine enchsse dans sa chair. Maintenant, il n'y avait plus de doute. La liane tait malfique. Pour extraire l'pine, Richard voulut prendre son couteau, mais il ne le trouva pas sa ceinture. D'abord tonn, il se maudit d'avoir laiss le chagrin lui faire oublier une prcaution aussi lmentaire. Emporter son couteau dans la fort allait pourtant de soi ! Du bout des ongles, il tenta de dloger l'pine. Comme si elle tait vivante, elle s'enfona encore. De plus en plus inquiet, il passa l'ongle de son pouce sur l'entaille en appuyant trs fort. Peine perdue ! Plus il insistait, plus le petit corps tranger s'enfonait. En proie une nause aggrave par ses manuvres inutiles, il renona. L'pine avait disparu dans un cloaque de sang... Richard regarda autour de lui et avisa les feuilles d'automne mordores d'un arbuste lest de baies violettes. Au pied du vgtal, niche dans les replis d'une racine, il trouva ce qu'il cherchait : une fleur d'aum. Soulag, il coupa la tige fragile ras du sol et, la pressant doucement, ft couler sur sa blessure une sve paisse claire comme de l'eau. Mentalement, il remercia Zedd de lui avoir enseign que les fleurs d'aum favorisaient la gurison des plaies. Leurs feuilles denteles lui rappelaient toujours son vieil ami... La sve apaiserait la douleur, mais ne pas pouvoir retirer l'pine l'inquitait. D'autant qu'il la sentait toujours se tortiller comme un ver dans sa chair.

Richard s'accroupit, creusa du bout des doigts un petit trou dans la terre, repiqua la fleur d'aum et entoura la tige de mousse pour qu'elle s'enracine plus facilement. Soudain, un silence de mort tomba sur la fort. Richard leva la tte et cligna des yeux quand une ombre noire, au-dessus de lui, rasa la cime des arbres en mettant un trange sifflement. La taille de cette 17 ombre tait effrayante. Les oiseaux s'envolrent des branches dans un concert de piaillements et s'parpillrent. Richard plissa les yeux pour mieux voir travers les troues de la frondaison verte et rousse et aperut une norme crature rouge. Bien qu'il fut incapable de l'identifier, les rumeurs - et les histoires vraies - sur les monstres qui franchissaient la frontire lui revinrent l'esprit et il se sentit glac de terreur jusqu'aux os. La liane tait malfique, pensa-t-il de nouveau. Et la bte volante n'avait rien lui envier. Il se souvint soudain d'un vieux dicton : Le mal engendre toujours trois enfants. Inutile de rflchir des heures pour conclure qu'il n'avait aucune envie de connatre le troisime ! Ignorant sa peur, il se mit courir. Des radotages de gens superstitieux, voil pour les dictons ! Mieux valait tenter d'en savoir plus sur le monstre. Quelle crature rouge pouvait tre aussi grosse ? Rien d'aussi imposant n'tait capable de voler. Ce devait tre un nuage, ou un jeu de lumire... Non, inutile de se leurrer. Ce n'tait pas un nuage... Richard leva la tte sans ralentir et ne vit rien de plus. Il courait vers le chemin qui serpentait autour de

la colline, offrant une vue dgage sur le ciel. Tandis qu'il sautait au-dessus des troncs d'arbres morts et des ruisseaux, des branches encore lourdes des pluies de la veille lui flanquaient de formidables gifles. Les buissons d'pineux dchiquetaient les jambes de son pantalon. Des flaques irrgulires de lumire l'incitaient lever les yeux, puis l'blouissaient pour mieux l'empcher de voir. Haletant, le front couvert d'une sueur froide, il sentait son cur s'affoler, pouss aux limites de sa rsistance par la vitesse laquelle il dvalait la pente. Manquant de peu s'taler, il mergea enfin du couvert des arbres et dboucha sur le sentier. 18 Il repra aussitt la crature, beaucoup trop loin de lui pour qu'il puisse l'identifier. Il aurait pourtant jur qu'elle avait des ailes. Afin de s'en assurer, il plissa les yeux et mit une main en visire. Mais le monstre disparut derrire une colline, trop vite pour qu'il voie s'il tait vraiment rouge. A bout de souffle, Richard s'assit sur un rocher, au bord du sentier. Cassant machinalement les brindilles mortes d'un arbrisseau, prs de lui, il baissa les yeux sur le lac Trunt, dont les eaux miroitaient au pied de la colline. Devait-il tout raconter Michael ? La liane tueuse et la crature rouge dans le ciel ? Son frre claterait de rire en l'entendant parler du monstre. Comme il s'tait lui-mme esclaff de ce genre de fables... Mieux valait ne rien dire. Sinon, Michael serait furieux qu'il se soit aventur prs de la frontire. Et qu'il ait dsobi l'ordre de ne pas poursuivre le meurtrier. Pour le couver comme a - ce n'tait pas trs loin du harclement - son frre devait beaucoup l'aimer, il

en avait conscience. Devenu adulte, il avait le droit de se moquer des diktats fraternels. Mais a ne l'empcherait pas de devoir supporter les regards dsapprobateurs... Richard cassa une autre brindille. Pour se dfouler, il la jeta sur un rocher plat. Puis il dcida de ne pas se sentir perscut. Michael passait son temps dire aux gens ce qu'ils devaient faire. Mme leur pre n'y avait pas chapp. tait-ce vraiment le moment de critiquer son frre ? Alors qu'un grand jour s'annonait pour lui ? Dans quelques heures, il accepterait la charge de Premier Conseiller. Dsormais, il serait responsable de tout. Pas seulement de la cit de Hartland, mais de toutes les agglomrations, villes ou villages, de Terre d'Ouest. 19 Sans oublier les gens des campagnes ! Oui, responsable de tout et de tous. Michael mritait le soutien de Richard. Et il en avait besoin. Aprs tout, lui aussi avait perdu son pre... L'aprs-midi, il y aurait chez Michael une crmonie puis une grande fte. Des gens importants venus des quatre coins de Terre d'Ouest y assisteraient. Richard aussi tait invit. Tant mieux, car le banquet serait la hauteur de l'vnement, et il avait une faim de loup ! En rflchissant, Richard scrutait la berge oppose du lac Trunt, en contrebas. De cette hauteur, les eaux limpides laissaient voir des alternances de fonds rocheux tapisss d'algues vertes autour de certains grands trous. Au bord du lac, la piste des Fauconniers serpentait entre les arbres, parfois en terrain dcouvert. Richard avait souvent emprunt cette partie du sentier.

Au printemps, les eaux du lac, grossies par les pluies, la transformaient en bourbier. Si tard dans l'anne, la terre serait sche. Plus loin au nord et au sud, travers la fort de Ven, la piste s'approchait dangereusement de la frontire. Prudents, la plupart des gens lui prfraient les sentiers des bois de Hartland. Forestier accompli, Richard y avait accompagn plus d'un voyageur. En majorit des dignitaires en dplacement plus intresss par le prestige d'avoir un guide local que par son sens de l'orientation. Richard sursauta. Il venait de capter un mouvement. Intrigu, il fixa un point, sur la berge la plus loigne du lac. Une ombre passa derrire un mince cran de vgtation. Plus de doute possible : un tre humain suivait la piste. Son ami Chase ? Sans doute... part un gardefrontire, qui s'aventurerait par l ? 20 Richard sauta de son rocher, jeta au loin les brindilles et avana de quelques pas. La silhouette venait d'atteindre la berge du lac et marchait dcouvert. Ce n'tait pas Chase, mais une femme. Et vtue d'une robe, en plus de tout ! Comment pouvait-on tre stupide au point d'errer ainsi accoutre dans les profondeurs de la fort de Ven ? Richard regarda l'inconsciente apparatre et disparatre sa vue au gr des dtours de la piste. Sans se prcipiter, elle avanait d'un bon pas, comme l'et fait un voyageur expriment. Ce qu'elle devait tre, puisque personne ne vivait au bord du lac... D'autres mouvements attirrent l'attention de Richard. Sondant la piste, il constata que la femme tait suivie. Trois hommes - non, quatre ! - habills de

manteaux capuche de forestiers. Passant furtivement de rocher en arbre et d'arbre en rocher, ils restaient bonne distance de la voyageuse - sans jamais la quitter des yeux. Richard se tendit, tous les sens en alerte. Ces hommes traquaient une proie. De toute vidence, il venait de rencontrer le troisime enfant du mal. Chapitre 2 Richard resta un instant immobile, indcis. Comment tre sr - avant qu'il ne soit trop tard - que les quatre hommes traquaient vraiment la femme ? Et en quoi cela le concernait-il ? D'autant plus qu'il n'avait pas son couteau. Contre autant d'adversaires, il n'aurait aucune chance. Il regarda la femme avancer. Puis il observa ses poursuivants. Quelles chances avait la voyageuse ? Il se ramassa sur lui-mme, muscles nous et durcis par l'effort. Que pouvait-il faire ? se demanda-t-il, le cur battant la chamade. Le soleil matinal lui brlait le visage et la peur acclrait sa respiration. Alors, une ide lui vint. Un raccourci donnait sur la piste des Fauconniers, un endroit que la femme atteindrait dans quelques minutes. Mais o tait-il exactement ? La piste principale contournait le lac, gravissait la colline par la gauche et passait l o il se tenait. Si elle ne bifurquait pas, il pouvait attendre la voyageuse et l'avertir du danger. Mais que faire ensuite ? De plus, les hommes l'attaqueraient sans doute avant. Cdant une impulsion, Richard commena dvaler la piste.

S'il rejoignait la femme avant l'attaque - et avant 22 l'embranchement il pourrait lui faire emprunter le raccourci. Ce chemin conduisait hors de la fort, sur un plateau, puis s'loignait de la frontire, vers Hartland. L o ils trouveraient de l'aide. Et s'ils se dcidaient assez vite, il pourrait dissimuler leurs traces et les quatre hommes ne s'apercevraient de rien. Croyant leur proie sur la piste principale, ils comprendraient leur erreur trop tard, quand Richard et sa protge seraient depuis longtemps en ville. Mal remis de sa course prcdente, Richard haleta comme jamais en dvalant la pente raide. La piste s'enfonant de nouveau entre les arbres, il ne risquait pas que les quatre chasseurs le voient. Au pied des antiques pins qui flanquaient le sentier, un tapis d'aiguilles touffait le bruit de ses pas... Richard ralentit un peu et chercha du regard le chemin latral. Il ignorait quelle distance il avait parcourue et la fort ne lui offrait aucun point de repre. O tait ce maudit raccourci ? Passer devant un sentier aussi troit sans le voir tait si facile ! Richard continua avec l'espoir de dcouvrir le raccourci derrire chaque tournant de la piste. Que diraitil la femme quand il la rejoindrait ? Et si elle le prenait pour le complice de ses poursuivants ? Si elle avait peur de lui ? Si elle refusait de le croire ? Il n'aurait pas beaucoup de temps pour la convaincre de ses bonnes intentions... Au sommet d'une petite butte, il chercha de nouveau la bifurcation, ne vit rien et continua courir. Hors d'haleine, chaque inspiration lui tait une torture. Mais s'il n'atteignait pas l'embranchement avant la

voyageuse, ils seraient pigs, leurs seules options restant de courir plus vite que les quatre hommes... ou de les combattre. Dans son tat de fatigue, les deux possibilits n'taient pas envisageables. 23 Cette ide lui redonna un peu de force. De la sueur ruisselait dans son dos et sa chemise lui collait la peau. La tideur matinale semblait avoir cd la place une chaleur touffante, mais c'tait une illusion due l'puisement. Au bord du chemin, les arbres dfilaient si vite qu'il ne les distinguait presque plus... Juste avant un tournant abrupt, vers la droite, il repra au dernier moment l'entre du raccourci. Une rapide inspection du sol lui apprit que la femme n'tait pas encore passe. Soulag, il s'agenouilla, s'assit sur les talons et essaya de reprendre son souffle. La premire partie de son plan tait un succs ! Il avait battu la voyageuse de vitesse. Restait la persuader de le suivre... La main droite comprimant son point de ct, le souffle encore court, il se demanda pour la premire fois s'il n'tait pas en train de se ridiculiser. Et s'il s'agissait d'une jeune fille et de ses frres ? D'un jeu, peut-tre... Ce serait lui, le dindon de la farce ! Et tout le monde rirait gorge dploye. Sauf lui ! Il regarda la blessure, sur le dos de sa main. Rougetre, elle pulsait douloureusement. Il se souvint de la crature rouge, dans le ciel... La femme marchait avec une dtermination qui n'voquait pas un jeu. De plus, c'tait une adulte, pas une jeune fille. Et l'angoisse qu'il avait prouve en voyant ses quatre poursuivants... Le troisime v-

nement trange de la matine. Le dernier enfant du mal... Non, ses yeux ne l'avaient pas tromp. Ces gensl ne s'amusaient pas. Des chasseurs et une proie, voil ce qu'ils taient ! Richard se releva demi, des vagues de chaleur dferlant dans son corps. Pli en deux, les mains autour des genoux, il prit quelques inspirations rapides avant de se redresser compltement 24 La femme dboucha du tournant, juste devant lui. Un instant, il en eut le souffle coup. Ses longs cheveux bruns soyeux dessinaient les contours de son corps. Presque aussi grande que lui, elle devait avoir environ le mme ge. Sa robe ne ressemblait rien qu'il et jamais vu : presque blanche, ras du cou, la taille ceinte d'une lanire de cuir leste d'une bourse. Le tissu, fin, lisse et brillant, n'tait orn d'aucune dentelle ou jabot, contrairement aux atours fminins dont il avait l'habitude. Nulle tache de couleur, pas de motif imprim pour dtourner l'attention de la manire dont le vtement mettait en valeur les formes de la voyageuse. Bref, l'lgance de la simplicit ! Quand elle s'immobilisa, les longs plis gracieux de sa trane s'enroulrent autour de ses jambes. Une silhouette indubitablement rgalienne... Richard fit quelques pas vers elle et s'immobilisa une distance suffisante pour ne pas paratre hostile. Elle ne broncha pas, les bras le long du corps. Ses sourcils, remarqua-t-il, rappelaient la forme lance d'un oiseau de proie en plein vol. Ses yeux verts se rivrent hardiment dans les siens. Un contact si intense qu'il menaa de lui arracher toute conscience de sa propre identit. En un clair, il eut le sentiment d'avoir

toujours connu cette femme. Comme si elle tait depuis sa naissance une part de lui-mme, ses besoins et ses dsirs recoupant les siens. Ce regard qui l'emprisonnait aussi srement qu'une main de fer sondait ses yeux la recherche de son me, en qute d'une nigmatique rponse. Je veux vous aider, dit-il mentalement. Une pense plus lourde de sens que toutes celles qu'il avait jamais eues... Le regard de la femme, moins intense, desserra son emprise sur lui. Dans ses prunelles, il lut une chose qui l'attirait plus que tout. L'intelligence ! Oui, l'intelligence brlait dans ses yeux et dans tout son corps, 25 glorieuse figure de proue de son intgrit. Pour la premire fois de la matine, Richard se sentit en scurit. Une voix, dans sa tte, lui rappela pourquoi il tait l. Il ne fallait pas perdre de temps ! J'tais l-haut, dit-il en tendant un doigt vers la colline, et je vous ai vue... La femme regarda dans la direction qu'il indiquait. Il l'imita et s'aperut qu'il dsignait un entrelacs de branches qui dissimulaient la colline. Il laissa retomber son bras, tent de passer outre sa mprise. Mais elle riva ses yeux sur lui, exigeant des explications. Richard les lui donna voix basse : J'tais sur une hauteur qui surplombe le lac. Je vous ai vue marcher le long de la berge. Des hommes vous suivent... Combien ? demanda la femme, impassible. Richard trouva la question bizarre mais rpondit quand mme : Quatre. Soudain blme, la voyageuse tourna la tte et sonda

les bois, derrire elle. Puis elle le dvisagea de nouveau. Et vous avez dcid de m'aider ? A part sa pleur, rien, sur son superbe visage, ne permettait de deviner ses sentiments. Et que devons-nous faire ? demanda-t-elle, plus amicalement. Un raccourci part de cet endroit. Si nous l'empruntons et que vos poursuivants restent sur la piste, nous les smerons. Et s'ils ne se trompent pas ? S'ils suivent nos traces ? Je les brouillerai, dit Richard pour la rassurer. Ils ne nous traqueront pas. Mais le temps presse, et... Oui. 26 S'ils nous suivent quand mme ? coupa la femme. Quel est votre plan ? Richard la dvisagea son tour. Sont-ils trs dangereux ? Oui. La faon dont elle pronona ce mot banal lui coupa de nouveau le souffle. Une fraction de seconde, il vit une terreur animale passer dans ses yeux. Eh bien... Le sentier est troit et la vgtation s'claircit vite... Ils ne pourront pas nous encercler. Avez-vous une arme ? Richard fit non de la tte, trop furieux d'avoir oubli son couteau pour s'en vanter voix haute. Alors, dpchons-nous ! Une fois la dcision prise, ils ne parlrent plus pour ne pas trahir leur position. Richard dissimula htivement leurs traces et fit signe sa compagne de passer

la premire. Ainsi, il se tiendrait entre elle et ses ennemis... La femme n'hsita pas. Les plis de sa robe ondulrent derrire elle quand elle s'engagea sur le sentier. Les arbres feuilles persistantes plants des deux cts du chemin lui confraient des allures de tunnel obscur qui s'enfonait entre des branches basses et des buissons. Impossible de voir ce qui se passait autour d'eux ! Richard jetait de frquents coups d'il en arrire, mais la visibilit tait limite. A cette restriction prs, il n'y avait rien signaler. Et sa compagne avanait un bon rythme sans qu'il doive l'y encourager. La pente devint bientt plus raide et un sol rocheux succda la terre meuble. Les arbres, effectivement moins luxuriants, offraient une vue plus dgage. Le sentier serpentait sur un terrain accident et traversait 27 parfois de petits ravins jonchs de feuilles mortes qui crissaient sous leurs pieds. Les pins et les picas disparurent, remplacs par des bouleaux dont les branches, moins serres, laissaient filtrer la lumire du soleil en une myriade de petites lucioles qui dansaient sur les pierres. Avec leurs troncs blancs constells de points noirs, on aurait cru que des centaines d'yeux observaient les deux fuyards. N'taient les croassements de quelques corbeaux, un silence rassurant les enveloppait. A l'abord de la paroi de granit que longeait le sentier, Richard posa un doigt sur ses lvres pour indiquer la femme de marcher plus prudemment encore. Au moindre craquement, l'cho trahirait leur position. Ds qu'un corbeau croassait, le son se rverbrait dans les

collines. Richard connaissait cet endroit : la falaise rpercutait les bruits des lieues la ronde. Il montra sa compagne les grosses pierres couvertes de mousse qui tapissaient le sol. En marchant dessus, ils viteraient de briser les branches et les brindilles dissimules sous les feuilles mortes. Pour le faire comprendre la femme, il carta quelques feuilles, ramassa des brindilles et fit mine de les briser. Puis il porta une main son oreille. La voyageuse hocha la tte, releva sa robe d'une main et entreprit de passer de pierre en pierre. Richard lui tapota le bras pour qu'elle se retourne et fit semblant de draper pour lui signaler que la mousse tait trs glissante. Avec un sourire, elle hocha de nouveau la tte et reprit sa progression. La voir sourire, une surprise dans ces circonstances, rconforta Richard et dissipa un peu sa peur. Plus optimiste sur l'issue de cette aventure, il posa le pied sur une pierre. A mesure que le chemin montait, les arbres devenaient de plus en plus rares. Dans ce sol rocailleux, 28 ancrer leurs racines tenait de l'exploit. Bientt, ils ne virent plus, rfugis dans des crevasses, que des arbustes malingres et ratatins. Comme s'ils espraient, en se faisant tout petits, offrir moins de prise au vent qui menaait de les arracher de terre... Avec mille prcautions, Richard et la femme continurent d'avancer. Le sentier n'tant pas toujours nettement trac, elle se retournait souvent pour l'interroger du regard sur la direction suivre. Il lui rpondait en tendant le doigt ou en hochant la tte... Il brlait de connatre son nom, mais la terreur que

lui inspiraient les quatre hommes lui imposa le silence. Excellente randonneuse, sa compagne avanait vite et se jouait des difficults du terrain au point qu'il n'eut jamais besoin de ralentir pour ne pas la percuter. Sous sa robe, elle portait le genre de bottes en cuir souple qu'affectionnent les voyageurs aguerris... Voil prs d'une heure qu'ils avaient quitt le couvert des arbres et traversaient le plateau sous un soleil brlant. Pour le moment, ils se dirigeaient vers l'est. Plus tard, le sentier bifurquerait vers l'ouest. Pour l'instant, les quatre hommes - s'ils les suivaient avaient le soleil en face, un handicap visuel non ngligeable. Richard avait indiqu la femme de se pencher autant que possible, comme lui, et il jetait sans cesse des coups d'il derrire eux. Quand il les avait reprs, prs du lac, les chasseurs faisaient tout pour se cacher et un autre que lui les aurait srement manqus. Ici, le terrain tait trop dgag pour qu'on joue ce petit jeu. S'il ne voyait rien, c'tait qu'il n'y avait rien ! Richard se dtendit. Personne ne les traquait. Leurs poursuivants avaient d suivre la piste des Fauconniers et perdre le contact avec leur proie. Sa protge et lui s'loignaient de la frontire et approchaient de la ville. Tout allait pour le mieux. Le plan marchait ! 29 Puisqu'ils avaient sem les quatre hommes, Richard aurait vu d'un bon il qu'ils fassent une pause, car sa main le lanait de plus en plus. Mais la femme ne manifesta ni le besoin ni l'envie de s'arrter. Elle continuait un train d'enfer, comme si ses ennemis la talonnaient. Au souvenir de sa raction, quand il lui avait demand s'ils taient dangereux, Richard renona

se reposer. En ce dbut d'aprs-midi, si tard dans l'anne, la chaleur tait tonnante. Dans le ciel d'un bleu tincelant, quelques nuages blancs drivaient au gr de la brise. L'un d'eux voquait irrsistiblement un serpent - tte en bas et queue en haut. Cette configuration bizarre rappela Richard qu'il avait remarqu le mme nuage dans la matine. Ou tait-ce la veille ? Un dtail qu'il devrait mentionner Zedd ds qu'il le reverrait. Son vieil ami lisait dans les nuages... l'instant mme, il devait regarder le ciel, se demandant si son protg avait aperu le serpent. Si Richard oubliait d'en parler, il aurait droit un sermon d'une heure sur l'interprtation des nuages ! Le sentier les conduisit sur la face sud du mont Dentel, un petit pic qui tenait son nom de sa falaise en dents de scie. La traversant jusqu' mi-hauteur, leur itinraire offrait une vue panoramique du sud de la fort de Ven. Sur la gauche, aurols de brume et demi dissimuls par la falaise, se dcoupaient les pics gants dchiquets qui marquaient la frontire. Richard distingua dans le manteau de verdure les formes marron d'arbres agonisants. Plus on approchait de la frontire, plus ils taient nombreux. La liane tueuse, comprit-il. Ils traversrent la corniche le plus vite possible, inquiets d'tre en pleine vue, sans endroits o se cacher et aussi reprables qu'une mouche sur un mur blanc. 30 Par bonheur, au-del de la falaise, la piste remontait vers les bois de Hartland, puis gagnait la ville. Mme si les quatre hommes s'taient aperus de leur erreur et avaient retrouv leur piste, Richard et sa compagne

disposaient d'une avance suffisante. Au bout de la falaise, tout prs d'eux, maintenant, le sentier, jusque-l troit et tratre, s'largissait assez pour qu'on y marche deux de front. Richard fit les derniers pas en frlant la paroi rocheuse du bout des doigts pour se stabiliser et risqua un regard en bas. Toujours rien ! Idem derrire lui. Quand il se retourna, il vit que la femme s'tait immobilise, les plis de sa robe ondulant autour de ses jambes. Devant eux, sur le chemin libre quelques secondes plus tt, deux poursuivants les attendaient. Et si Richard dpassait d'une bonne tte presque tous les hommes de sa connaissance, ceux-l taient plus grands que lui. Les capuches empchaient de voir leurs visages, mais les muscles qui saillaient sous les manteaux n'auguraient rien de bon. Comment avaient-ils russi les prcder ? Richard et sa compagne firent volte-face, prts dtaler. Mais des cordes tombrent le long de la paroi rocheuse. Les deux autres poursuivants se laissrent glisser jusqu'au sol et leur barrrent la retraite. Aussi costauds que leurs compagnons, leurs manteaux ouverts dvoilaient des bandoulires et des ceinturons lests d'armes... Richard se tourna vers les deux premiers hommes, qui rabattirent lentement leurs capuches. Des cous de taureau, des traits taills la serpe non dpourvus de beaut, des cheveux blonds... Tu peux passer, mon gars. C'est la fille qui nous intresse... 31 La voix grave du type tait presque amicale. Mais la

menace demeurait, tranchante comme une lame. Sans daigner regarder Richard, le type enleva ses gants et les coina dans sa ceinture. A l'vidence, il ne tenait pas le jeune homme pour un obstacle. Les trois autres attendirent respectueusement qu'il reprenne la parole la preuve qu'il tait le chef du groupe. Richard n'avait jamais affront une situation pareille. Dou pour viter les ennuis, il ne s'autorisait pas perdre son calme et ce pacifisme foncier transformait aisment les rictus en sourires. Quand les mots ne suffisaient pas, il tait assez fort et rapide pour calmer le jeu avant que quelqu'un ne soit bless. Au pire, il prenait tout simplement la tangente. Mais ces types-l n'avaient aucune intention de parler et il ne les impressionnait pas. Quant prendre la tangente, c'tait hlas exclu... Richard chercha le regard vert de la femme. Sans qu'elle abdiqut pour autant sa fiert, il y lut un appel au secours. Je ne vous abandonnerai pas... souffla-t-il, pench vers elle. Soulage, elle eut un bref hochement de tte et lui posa une main sur l'avant-bras. Distrayez-les, dit-elle. Empchez-les de m'attaquer tous en mme temps. Et prenez garde ne pas me toucher au moment o ils approcheront... Elle serra plus fort le bras de Richard et sonda son regard pour s'assurer qu'il avait compris ses instructions Mme si leur sens lui chappait, il fit signe que oui. Puissent les esprits du bien tre de notre ct... murmura la femme. Elle lcha Richard. Les bras le long du corps, impassible, elle se tourna vers les deux premiers hommes.

32 Continue ton chemin, mon gars, dit le chef, plus du tout amical. (Ses yeux bleus brillant d'arrogance, il lcha :) C'est la dernire fois que je te le propose... Richard sentit une boule se former dans sa gorge. Nous continuons tous les deux, dit-il avec une assurance qu'il espra bien imite. Pas aujourd'hui... fit le chef en dgainant un couteau lame incurve. Son compagnon tira une pe courte du fourreau fix dans son dos. Avec un sourire de dment, il la passa au creux de son avant-bras, faisant couler le sang. Derrire lui, Richard entendit le crissement de l'acier contre du cuir. La peur le paralysa. Tout se droulait trop vite. Ils n'avaient pas l'ombre d'une chance. Un instant, personne ne bougea. Puis les quatre hommes poussrent le cri de guerre des soldats prts mourir au combat et chargrent. pe courte brandie deux mains, le compagnon du chef fona sur Richard. Derrire lui, un troisime agresseur ceintura la femme... Au moment o la lame s'abattait, il y eut dans l'air comme un roulement de tonnerre silencieux. Secou par l'impact, Richard eut le sentiment que ses articulations explosaient. De la poussire tourbillonna autour d'eux. Le colosse l'pe souffrait aussi. Un instant, il oublia Richard et regarda fixement la femme. Quand il reprit sa charge, le jeune homme s'adossa la paroi rocheuse et lui propulsa ses deux pieds dans la poitrine. Le type dcolla du sol, vola dans les airs, bascula hors du chemin et carquilla les yeux de surprise quand il

se sentit tomber dans le vide, l'arme toujours tenue deux mains. Stupfait, Richard vit un autre guerrier suivre la 33 mme voie, la poitrine dchiquete. Mais il n'eut pas le temps de s'appesantir sur la question, car le chef bondissait sur la femme. Au passage, de sa main libre, il frappa Richard au plexus solaire. Les poumons vids de leur air, le jeune homme s'crasa contre la roche et sa tte percuta une saillie. A demi sonn, il parvint se souvenir de sa mission : empcher le tueur d'atteindre sa compagne ! Puisant dans des ressources qu'il ignorait avoir, il saisit au vol l'norme poignet de l'homme et le fora se retourner. La lame incurve dcrivit un arc de cercle vers lui. Quand il vit une lueur meurtrire dans les yeux de l'homme, Richard eut peur comme jamais dans sa vie. Une raction normale au moment de mourir. Jailli de nulle part, le dernier agresseur enfona une lame dj rouge de sang dans le ventre de son chef. La violence de l'impact les entrana tous les deux dans une chute mortelle. Jusqu' ce que son corps s'crase sur les rochers, le dernier agresseur poussa un atroce hurlement de rage. Toujours sonn, Richard se tourna vers la femme, certain de la dcouvrir gorge dans une flaque de sang. Assise sur le sol, dos appuy la paroi, le regard perdu dans le vide, elle semblait puise mais indemne. Incapable de comprendre ce qui s'tait pass, Richard constata que sa protge et lui taient de nouveau seuls dans un silence de mort.

Le crne douloureux - logique, aprs un choc pareil contre de la pierre - il s'assit prs d'elle sur un rocher chauff par le soleil. La femme n'tant pas blesse, il s'abstint de lui demander comment elle allait. Pour le moment, ils taient tous les deux trop puiss pour parler... 34 Quand elle vit du sang sur le dos de sa main, la voyageuse l'essuya contre la paroi dj macule de tranes rouges. Richard manqua vomir... Comment pouvaient-ils tre encore en vie ? Et ce tonnerre silencieux, d'o venait-il ? La douleur, au moment de l'impact, ne ressemblait rien qu'il et expriment. Assez de questions pour l'instant ! Quoi que fut ce phnomne, sa compagne n'y tait pas trangre... et il lui devait la vie. Mais tout a n'avait rien de naturel. Il n'tait pas sr de vouloir en apprendre davantage. La femme appuya la tte contre la roche et la tourna lentement vers lui. Je ne connais mme pas votre nom... J'aurais voulu vous le demander, mais j'avais peur... (Du menton, elle dsigna le prcipice.) Ces hommes m'effrayaient tellement. Je ne voulais pas qu'ils nous trouvent... Elle semblait sur le point d'clater en sanglots. Richard la regarda et comprit qu'elle ne le ferait pas. Mais ce serait de justesse... Ils me terrorisaient aussi, admit-il. Et je m'appelle Richard Cypher. Alors que la brise faisait voleter de petites mches sur ses joues, la voyageuse sonda de nouveau le regard

de son compagnon. Peu d'hommes auraient choisi de rester avec moi, dit-elle en souriant. Richard trouva sa voix - complment parfait de l'intelligence qui brillait dans ses yeux - aussi attirante que le reste de sa personne. Une fois de plus, il en eut le souffle coup. Vous tes une personne comme on en rencontre rarement, Richard Cypher. 35 Atterr, Richard sentit qu'il s'empourprait. Chassant des mches rebelles de ses yeux, elle se dtourna pour ne pas ajouter son embarras. Je suis... commena-t-elle comme si elle allait dire quelque chose d'important. (Elle se ravisa et tourna la tte vers lui.) Je m'appelle Kahlan. Kahlan Amnell... Vous tes aussi une personne comme on en rencontre rarement, Kahlan Amnell. Peu de femmes auraient fait face de cette manire... Elle ne rougit pas mais sourit encore. Un sourire trange, sans dcouvrir les dents, lvres serres comme pour murmurer des confidences... Mais ses yeux souriaient aussi, exprimant son dsir de... partager ! Richard se tta l'arrire du crne, sentit une norme bosse et regarda ses doigts, certain qu'ils seraient rouges de sang. Mais il n'y avait rien. Plutt tonnant, vu la violence du choc... Il regarda Kahlan et se demanda une nouvelle fois ce qu'elle avait fait et... comment. Aprs le coup de tonnerre silencieux, il avait expdi un des hommes dans le vide. Un des deux autres avait tu son compagnon, puis ventr leur chef...

Kahlan, mon amie, peux-tu me dire pourquoi nous sommes en vie ? Et pourquoi ces quatre tueurs ne le sont plus ? Tu penses ce que tu dis ? demanda la jeune femme, surprise. Quoi donc ? Eh bien... mon amie ... videmment ! Tu l'as dit toi-mme : j'ai choisi de rester avec toi. Le genre de choses qu'on fait pour une amie, non ? Je n'en sais rien, avoua Kahlan. (Elle joua avec la manche de sa robe, les yeux baisss.) Je n'ai jamais eu d'ami, part ma sur... 36 Richard sentit qu'il avait touch un point sensible. Maintenant, tu en as un ! Nous nous sommes tirs ensemble d'une situation terrifiante. En collaborant, nous avons survcu. Kahlan approuva d'un hochement de tte. Richard regarda la fort de Ven, au loin, o il se sentait depuis toujours chez lui. Alors que le soleil faisait scintiller les feuillages, son regard fat attir vers la gauche, sur les taches marron des arbres morts ou agonisants qui ctoyaient des voisins encore sains. Jusqu' ce matin, quand la liane l'avait attaqu, il ignorait qu'une plante tueuse envahissait les bois. Mais il approchait rarement autant de la frontire... Ses concitoyens plus gs en restaient aussi loin que possible. Certains tmraires s'aventuraient plus prs quand ils empruntaient la piste des Fauconniers - ou pour chasser , mais pas au point de voir ce qu'il avait vu. La frontire, c'tait la mort, tout simplement. La traverser, disait-on, ne cotait pas seulement la vie. On

y perdait son me ! Alors, les garde-frontire s'assuraient que les curieux passent leur chemin. Et ma question? demanda-t-il soudain. Tu ne m'as pas dit pourquoi nous sommes toujours vivants. Je suppose que les esprits du bien nous ont protgs... rpondit Kahlan sans croiser son regard. Richard n'en crut pas un mot. Mais il n'tait pas dans sa nature, mme s'il brlait de curiosit, de forcer les gens parler quand ils n'en avaient pas envie. Trs tt, son pre lui avait appris respecter le droit au silence des autres. Un jour, si elle le dsirait, Kahlan lui confierait ses secrets. En attendant, il ne la harclerait pas. Tout le monde avait des secrets, lui compris. Aprs l'assassinat de son pre, et les vnements de la journe, il les sentait frmir dsagrablement au fond de son esprit 37 Kahlan, rien ne te force dire ce que tu veux continuer cacher. Et a ne nous empchera pas de rester amis... Elle ne le regarda toujours pas, mais acquiesa. Richard se leva. Son crne et sa main lui faisaient mal, sa poitrine le lanait, l o le type l'avait frapp. Et pour couronner le tout, il mourait de faim... Michael ! Bon sang, il avait oubli la fte ! Aprs un coup d'il au soleil, il comprit qu'il serait en retard. Pourvu qu'il ne rate pas le discours de son frre ! Il amnerait Kahlan avec lui. A la premire occasion, il raconterait tout Michael et lui demanderait de la protger. Il tendit une main pour aider Kahlan se relever. Quand elle le dvisagea, stupfaite, il ne baissa pas

le bras. Le regardant enfin dans les yeux, elle se laissa faire... Aucun ami ne t'a jamais tendu la main ? Non... Voyant qu'elle se dtournait de nouveau, Richard changea de sujet. Quand as-tu mang pour la dernire fois ? Il y a deux jours... Tu dois tre plus affame que moi ! Viens, nous allons chez mon frre ! (Il dsigna le prcipice.) On lui parlera des cadavres et il saura que faire. Kahlan, qui taient ces hommes ? On appelle ce genre d'quipe un quatuor... Ce sont des tueurs, en quelque sorte. On les charge d'liminer... (une nouvelle fois, elle renona dire ce qui lui brlait les lvres)... des gens. (Abruptement, elle redevint aussi sereine que lors de leur rencontre.) Moins on en sait sur moi, plus je suis en scurit... Richard n'avait jamais rien entendu de tel. Pour se donner une contenance, il se passa une main dans les 38 cheveux et tenta de rflchir. Des ides confuses mais sinistres tourbillonnrent de nouveau dans sa tte. Sans savoir pourquoi, il redoutait la rponse sa question suivante. Pourtant, il ne put s'empcher de la poser. Kahlan, d'o venait ce quatuor ? Cette fois tu dois me dire la vrit. Ces hommes me traquaient depuis mon dpart des Contres du Milieu et ils ont travers la frontire avec moi. Richard en fut glac jusqu'aux os. Un frisson remonta le long de sa colonne vertbrale et les poils de sa nuque se hrissrent.

La colre enfouie au plus profond de lui se rveilla et ses secrets manifestrent de plus belle leur inquitante prsence. Elle mentait ! Personne ne pouvait traverser la frontire ! Personne ! Aucun tre vivant ne sortait des Contres du Milieu. Et nul n'y entrait La frontire avait t rige longtemps avant leur naissance tous les deux. Car la sorcellerie infectait les Contres ! Chapitre 3 La rsidence de Michael, un solide btiment en pierre blanche, se dressait bonne distance de la route. Les lments du toit en ardoise, disposs suivant des inclinaisons et des angles diffrents, s'embotaient selon une gomtrie complexe, une arte compose de petits carreaux de verre laissant entrer la lumire dans le hall central. Le chemin qui menait la maison, ombrag par de grands chnes clairs, serpentait entre des carrs de pelouse avant de traverser un jardin aux deux flancs parfaitement symtriques. Partout, la vgtation tait luxuriante. Si tard dans l'anne, les plantes et les fleurs avaient d tre leves en serre en vue de ce jour prcis... Parmi les invits en habits d'apparat qui dambulaient sur le gazon et dans le jardin, Richard se sentit soudain aussi peu sa place que possible. Dans ses vtements de forestier sales et tremps de sueur, il avait l'air d'un vagabond. Mais passer chez lui pour se laver et se changer aurait t une perte de temps. D'humeur maussade, il se fichait d'ailleurs royalement de son apparence.

Kahlan passait beaucoup mieux que lui dans l'assemble. Sa robe peu conventionnelle, mais superbe, ne laissait pas deviner qu'elle sortait peine de la fort. 40 Avec tout le sang qui avait coul sur le mont Dentel, Richard se demanda comment elle avait russi ne pas en avoir sur elle. D'une manire ou d'une autre, elle tait reste immacule pendant que des hommes s'entre-tuaient... Devant la raction de Richard, quand elle avait mentionn les Contres du Milieu et la frontire, Kahlan n'avait pas ajout un mot sur le sujet. Le jeune homme ayant besoin de temps pour rflchir tout a, il s'tait abstenu de lui poser d'autres questions. Mais il avait rpondu de bonne grce aux siennes sur Terre d'Ouest, ses habitants et l'endroit o il vivait. Aprs avoir dcrit sa maison dans les bois, il lui avait longuement parl de son mtier de guide. Il y a une chemine chez toi? avait-elle demand. Bien sr. Et tu t'en sers ? Tout le temps, pour cuisiner... Pourquoi demandes-tu a ? Le regard perdu dans le lointain, Kahlan avait hauss les paules. Parce que m'asseoir prs d'un bon feu me manque, voil tout... Malgr son chagrin - et les vnements de la journe - Richard s'tait rjoui d'avoir quelqu'un qui parler. Et tant pis si elle ludait toujours ses questions ! Une voix le tira de sa rverie.

Vous avez une invitation, messire ? Une invitation, lui ? Irrit, Richard se retourna et... dcouvrit le sourire malicieux de son ami Chase. Ravi, il tapa joyeusement dans les mains du garde-frontire. Trs grand, soigneusement ras, Chase arborait une tignasse de cheveux chtains que l'ge ne parvenait pas attaquer, mme s'ils grisonnaient sur les tempes. 41 Sous ses sourcils pais, ses yeux marron, toujours en mouvement, mme quand il parlait, voyaient absolument tout. A cause de cette habitude - ou plutt de ce rflexe - les gens pensaient souvent qu'il manquait de concentration. Une erreur phnomnale ! Malgr sa taille, il pouvait tre vif comme l'clair quand a s'imposait. Plusieurs couteaux pendaient un ct de sa ceinture et une masse d'armes six piques tait accroche l'autre. La garde d'une pe courte dpassait de son paule droite. Sur la gauche, il portait une arbalte et une bandoulire garnie de carreaux pointe d'acier barbele. On dirait que tu as l'intention de dfendre jusqu' la mort ta part du festin ! lana Richard. Le sourire de Chase s'effaa. Je ne suis pas l en tant qu'invit, dit-il avec un regard vaguement souponneux pour Kahlan. Richard prit la jeune femme par le bras et la tira en avant. Elle ne rsista pas, confiante. Chase, je te prsente mon amie Kahlan... Kahlan, voil Dell Brandstone. Mais tout le monde le surnomme Chase ! Je le connais et l'apprcie depuis toujours. Avec lui, nous n'avons rien craindre. (Il se tourna vers le garde-frontire.) Tu peux te fier elle,

mon vieux... Kahlan sourit et salua le colosse de la tte. Chase lui rendit la pareille. Pour lui, la question tait rgle, car un mot de Richard suffisait le rassurer. Il sonda de nouveau la foule et dcouragea d'un froncement de sourcils les invits qui les dvisageaient avec trop d'insistance son got. Puis il entrana ses deux amis un peu l'cart. Ton frre a convoqu tous les garde-frontire. (Il jeta un autre regard autour de lui.) Pour le protger... 42 Quoi ? s'exclama Richard. C'est absurde ! Il a les Volontaires Rgionaux et l'arme. Pourquoi ajouter une poigne de garde-frontire ? Chase posa la main sur le manche en corne d'un de ses couteaux. Bonne question, dit-il avec son impassibilit coutumire. Peut-tre pour impressionner le peuple. Tu sais, on a peur de nous... Richard, depuis la mort de ton pre, tu as pass ton temps dans les bois. ta place, j'aurais fait pareil, mais pendant ton absence, des choses bizarres sont arrives. Des gens viennent ici le jour et la nuit. Michael les appelle des citoyens responsables . Depuis qu'il parle tort et travers d'un complot contre le gouvernement, il veut nous avoir autour de lui. Richard regarda alentour et ne repra pas un seul homme de Chase. Mais a ne voulait rien dire. Quand un de ces gaillards dcidait de passer inaperu, il pouvait vous marcher sur les pieds sans qu'on le repre. Chase pianota nerveusement sur le manche de son couteau. Mes gars sont l, tu peux me croire.

D'accord... Mais comment peux-tu affirmer que Michael a tort ? Aprs tout, on vient d'assassiner le pre du Premier Conseiller. Je connais fond la vermine du pays, rpondit Chase, l'air dgot. Il n'y a pas de complot ! S'il y en avait un, je m'amuserais peut-tre un peu, au lieu de jouer les pouvantails. Michael a insist pour qu'on me voie bien. (Son expression se durcit.) Quant la mort de ton pre... Petit, mon amiti avec George Cypher remonte des lustres, bien avant ta naissance et cette histoire de frontire. C'tait un brave homme et je me flattais de le compter au nombre de mes intimes. (Il renona contenir sa colre.) J'ai tordu 43 quelques doigts, mon garon. Assez fort pour que leurs propritaires dnoncent leur mre, si elle tait coupable. Aucun de ces types ne savait rien. Sinon, ils se seraient empresss d'courter notre conversation , fais-moi confiance ! C'est la premire fois que je reviens bredouille d'une chasse... (Il croisa les bras et tudia Richard de pied en cap.) A propos de vermine, d'o sors-tu ? Tu ressembles un de mes clients ... Richard regarda Kahlan, puis se concentra de nouveau sur Chase. Nous tions dans les hauteurs de la fort de Ven... Quatre hommes nous ont attaqus... Des sales types de ma connaissance ? Non. Et qu'ont fait ces importuns aprs vous tre tombs dessus ? Tu connais le chemin qui traverse la falaise du mont Dentel ? Comme ma poche !

Ils sont sur les rochers, au fond du prcipice. Il faudra qu'on reparle de tout a... Chase dcroisa les bras, pensif. Comment avez-vous russi a ? Richard changea un bref regard avec Kahlan et rpondit : Je suppose que les esprits du bien nous ont protgs... Si tu le dis... lcha Chase sans insister. Pour le moment, il vaut mieux ne pas parler de a Michael. Je crains qu'il ne croie pas aux esprits du bien... Si vous pensez que a s'impose, venez habiter chez moi tous les deux. Personne ne vous embtera... Pensant aux nombreux enfants de son ami, Richard frissonna l'ide de les mettre en danger. Pour ne pas contredire Chase, il hocha vaguement la tte. 44 On devrait entrer... Michael doit tre impatient de me voir. Encore une chose... ajouta Chase. Zedd veut te parler. Il fait tout un foin autour de je ne sais trop quoi. Mais il parat que c'est important. Richard leva les yeux et aperut le nuage-serpent. Moi aussi, il faut que je lui parle... Il se dtourna et voulut s'loigner. Richard, lana Chase d'une voix qui aurait ptrifi toute autre personne que son jeune ami, que faisaistu dans les hauteurs de la fort de Ven ? La mme chose que toi, rpondit Richard sans se dmonter. Je cherchais un indice. Et tu en as trouv un ? Le jeune homme leva sa main gauche blesse. Oui. Et il pique !

Kahlan et Richard se mlrent la foule qui entrait dans la maison et remontrent un couloir au sol en mosaque jusqu'au hall central. Les colonnes et les murs de marbre, caresss par les rayons du soleil, mettaient une lueur froide presque surnaturelle. Si Richard prfrait de loin la chaleur du bois, Michael tait catgorique. Selon lui, n'importe qui pouvait aller dans la fort, se procurer du bois et construire sa maison. Pour le marbre, en revanche, il fallait engager les habitants de ces cabanes et les charger de faire le travail votre place. Jadis, avant la mort de leur mre, Richard et Michael jouaient souvent dans la poussire, o ils btissaient des maisons et des chteaux forts avec des btons. A cette poque, Michael aidait son frre. Il espra qu'il en serait de mme aujourd'hui... Des connaissances du jeune homme le salurent et obtinrent en retour une vague poigne de main ou un sourire distrait. Richard fut surpris que Kahlan, une 45 trangre, soit aussi a l'aise avec le gratin de son pays. Mais l'ide qu'elle appartenait galement la classe dirigeante lui avait dj travers l'esprit. En gnral, les tueurs ne traquaient pas les petites gens... Richard eut du mal sourire tous azimuts. Si les histoires sur les cratures qui traversaient la frontire taient davantage que des rumeurs, les choses risquaient de mal tourner pour Terre d'Ouest. Dans les campagnes, autour de Hartland, les paysans, terrifis l'ide de sortir la nuit, lui parlaient souvent de malheureux dcouverts demi dvors. Des personnes dcdes de mort naturelle et victimes d'animaux sauvages, assurait-il. Ce genre de choses arrivait tout le temps...

Non, c'tait la bte volante ! insistaient les fermiers. Richard n'avait jamais pris ces superstitions au srieux... ...Jusqu' aujourd'hui ! Malgr la foule, il se sentait terriblement isol. Perturb, il ne savait que faire, ni vers qui se tourner. Seule Kahlan le rassurait un peu. En mme temps, elle l'effrayait autant que les hommes qu'ils avaient combattus sur la corniche. Il voulait partir d'ici au plus vite et emmener son amie ! Zedd rpondrait toutes ces questions. Mme s'il n'en parlait jamais, avant l'poque de la frontire, il vivait dans les Contres du Milieu. Mais que pourraitil contre ce qui torturait Richard ? L'inquitante intuition que tout cela avait un rapport avec la mort de son pre, elle-mme lie aux secrets que George Cypher avait dissimuls en lui et en lui seul... Richard, je suis navre, pour ton pre, dit Kahlan, une main pose sur son bras. Je ne savais pas... Avec les horreurs de la journe, il avait presque oubli ce drame jusqu' ce que Chase en reparle. Presque... 46 Merci... dit-il. Il se tut pendant qu'une femme en robe de soie bleue surcharge de dentelle passait devant eux. Pour ne pas avoir lui rendre un sourire mielleux, il baissa ostensiblement les yeux. a remonte trois semaines, reprit-il. Incarnation de la compassion, Kahlan l'couta raconter une partie de l'histoire. Je comprends ton chagrin, Richard, dit-elle quand il eut fini. Tu prfrerais peut-tre que je te

laisse... Non, j'ai t seul assez longtemps. Avoir quelqu'un qui parler m'est d'un grand rconfort. Kahlan lui sourit. Ils recommencrent se frayer un chemin dans la foule. Mais o tait donc Michael ? se demanda Richard. Pourquoi se cachait-il comme a ? Bien qu'il et perdu son apptit, il n'avait pas oubli que Kahlan jenait depuis deux jours. Avec tous les mets dlicieux proposs aux invits, sa retenue tait admirable. D'autant plus que les odeurs allchantes commenaient faire changer d'avis son propre estomac ! Tu as faim ? demanda-t-il. Je meurs de faim ! Richard entrana sa compagne vers une longue table leste de merveilles gastronomiques. Des plats fumants de saucisses et de viande rouge, des pommes de terre en robe des champs, du poisson fum et grill, du poulet, de la dinde, des lgumes crus coups en btonnets, de la soupe l'oignon, au chou, aux pices... Sans oublier les diverses varits de pain, les plateaux de fromage, les fruits, les tartes et les gteaux... Quant au vin et la bire, ils coulaient flots ! 47 Discrets mais efficaces, les serviteurs s'affairaient pour que rien ne vienne manquer. Kahlan tira doucement Richard par la manche. Certaines domestiques portent les cheveux longs. C'est permis ? Bien sr... Chacune adopte la coiffure qui lui chante. Regarde par l... (Il dsigna discrtement un

groupe d'invites.) Ce sont des conseillres. Certaines ont les cheveux courts, d'autres les laissent pousser... C'est comme elles veulent ! (Il regarda Kahlan du coin de l'il.) Quelqu'un t'a ordonn de couper les tiens ? Non. Personne ne me l'a jamais demand. Mais chez moi, la longueur des cheveux d'une femme est un signe de reconnaissance sociale... Dois-je comprendre que tu es quelqu'un d'important ? lana Richard, un sourire amical adoucissant cette question indiscrte. Quand on voit la longueur de ta crinire, on s'interroge... Kahlan lui rendit son sourire, mais il la vit se rembrunir. Certains me jugent importante... Mais aprs les vnements d'aujourd'hui, j'esprais que tu aurais retenu la leon : nous sommes seulement ce que nous sommes, rien de plus ou de moins ! Compris ! Si je pose une question qu'un ami ne devrait pas poser, botte-moi les fesses ! Kahlan fit de nouveau le sourire lvres serres qui voquait pour lui un dsir de partage. Du baume sur son cur ! Richard approcha de la table, repra un de ses plats prfrs - des travers de porc la sauce forte en remplit une assiette et la tendit Kahlan. Gote-moi a ! J'en fais des folies... La jeune femme tint l'assiette bout de bras, comme si elle risquait de la mordre. 48 C'est la viande de quel animal ? Du cochon... rpondit Richard, un peu surpris. Vas-y, c'est ce qu'il y a de meilleur sur cette table ! Kahlan se dtendit, cessa de lorgner dubitativement

l'assiette et commena manger. Richard dvora les travers avec elle puis leur prpara un assortiment de saucisses. Essaye a aussi ! Qu'y a-t-il dedans ? Du porc, du buf et des pices. Je ne sais pas lesquelles... Pourquoi ? Tu refuses de consommer certaines choses ? Certaines, oui, luda Kahlan. (Mais elle se rgala d'une saucisse.) Je peux avoir de la soupe aux pices ? Richard lui en servit un petit bol. Le rcipient tenu deux mains, elle gota du bout des lvres... ...Et sourit. Trs bonne, comme la mienne... Je crois que nos deux pays sont moins diffrents que tu ne le redoutes. Quand elle eut fini sa soupe, Richard, de bien meilleure humeur qu'au dbut, prit une paisse tranche de pain, la couvrit d'un morceau de blanc de poulet et la lui tendit en change du bol vide. Kahlan continua manger en s'loignant de la table. Aprs avoir remis le bol sa place, Richard la suivit. Il serra quelques mains au passage sans s'offusquer des regards dsapprobateurs que lui valait sa tenue. Kahlan s'arrta prs d'une colonne, l'cart de la foule. Tu m'apporterais du fromage ? Bien sr ! Lequel ? Aucune importance... Richard se fraya de nouveau un chemin jusqu' la table, choisit deux parts de chvre et en grignota une en retournant vers la colonne. 49

Kahlan prit le bout de fromage mais ne le porta pas ses lvres. Son bras glissa le long de son corps et elle le laissa tomber sur le sol. Tu as quelque chose contre le chvre ? Je dteste tous les fromages... souffla Kahlan, les yeux rivs sur un point, derrire Richard. Alors, pourquoi m'en as-tu demand ? Continue de me regarder... Derrire toi, au fond de la salle, deux hommes nous observent depuis un moment. J'ai voulu savoir lequel de nous deux ils espionnaient. C'est toi qu'ils ont suivi des yeux. Moi, je ne les intresse pas. Richard tourna discrtement la tte. Ce sont deux assistants de Michael. Ils me connaissent bien... Ma tenue doit les surprendre. (Il baissa la voix.) Tout va bien, Kahlan. Dtends-toi ! Les types de ce matin sont morts. Tu es en scurit... D'autres tueurs viendront. Il faut que je m'loigne de toi. Sinon, ta vie sera de nouveau en danger. Maintenant que tu es en ville, aucun quatuor ne pourra te traquer. C'est impossible ! Il en savait assez long sur l'art de pister une proie pour tre sr de ne pas se tromper. Kahlan passa un doigt dans le col de sa robe et approcha du jeune homme. Pour la premire fois, il lut de la colre dans ses yeux. Quand j'ai quitt mon pays, cinq sorciers ont jet des sorts censs dissimuler mes traces. Ensuite, ils se sont suicids pour ne pas risquer de parler sous la torture... Les larmes aux yeux, les dents serres, Kahlan tremblait de la tte aux pieds. Des sorciers ! Richard se ptrifia. Au prix d'un

violent effort, il se reprit, tira doucement la main de Kahlan hors de sa robe et la rchauffa entre les siennes. 50 Excuse-moi... souffla-t-il. Richard, je vis dans la peur ! Sans ton intervention, tu n'as pas ide de ce que j'aurais subi. Mourir aurait t le plus facile. Ces hommes sont capables des pires horreurs ! Elle tremblait comme une feuille, submerge par la terreur. Richard la tira derrire la colonne, o personne ne pourrait les pier. Je suis dsol, Kahlan. Mais je ne comprends rien tout a ! Toi, tu sais certaines choses... Moi, j'avance dans le noir et j'ai aussi peur que toi. Ce matin, sur la corniche... La trouille de ma vie ! Et malgr ce que tu dis, je n'ai pas fait grand-chose pour nous sauver... C'tait suffisant pour qu'on s'en sorte... Assez pour nous tirer d'affaire ! Si tu ne m'avais pas aide... Mais je refuse que ma prsence ici te mette en danger ! Richard serra plus fort la main dlicate qu'il tenait entre les siennes. Pas de risque que a arrive ! Un ami moi appel Zedd nous dira comment faire pour que tu sois en scurit. Il est un peu excentrique, mais c'est l'homme le plus intelligent que je connaisse. Si quelqu'un est capable de nous aider, c'est lui. Puisqu'on peut te suivre partout o tu vas, fuir ne sert rien, car tes ennemis te rattraperont toujours. Tu dois parler Zedd ! Ds que Michael aura fini son discours, je t'emmnerai chez moi. Tu t'assiras prs du feu... Au matin, nous irons chez Zedd. (Il sourit et dsigna

quelque chose du menton.) Regarde plutt par l ! Kahlan obit et dcouvrit Chase, solidement camp devant une haute fentre. Il tourna la tte, leur sourit et reprit sa surveillance. Pour lui, un quatuor serait l'occasion de s'amuser un peu... Pendant qu'il s'occuperait de ces tueurs, 51 j'aurais tout le temps de te parler des vrais problmes ! Depuis qu'on lui a racont notre combat sur la corniche, il joue les guetteurs pour ta scurit. Kahlan eut un ple sourire qui s'effaa trs vite. C'est trs grave, Richard. Je pensais me mettre l'abri en venant ici. Et a aurait d tre le cas. Si j'ai pu traverser la frontire, c'est grce la sorcellerie. (Elle tremblait toujours, mais sembla se reprendre un peu, comme si elle puisait de la force chez son compagnon.) J'ignore comment ces hommes ont fait pour passer aussi. Ils n'auraient mme pas d savoir que j'tais partie ! Mais toutes les rgles ont chang... On s'occupera de a demain. Pour l'instant, tu ne risques rien. Si un autre quatuor doit venir, ce ne sera pas avant des jours. a nous laisse le temps d'imaginer un plan. Tu as raison... Merci, Richard Cypher, mon cher ami... Mais si je mets ta vie en danger, je partirai avant qu'il ne t'arrive malheur. (Elle dgagea sa main et se scha les yeux.) Mon estomac n'est toujours pas plein ! Je peux avoir autre chose ? Bien sr ! Qu'est-ce qui te tente ? Tes dlicieux travers de porc... Ils retournrent prs de la table et mangrent en attendant Michael. Richard tait satisfait d'avoir rassur son amie et soulag d'en savoir un peu plus long.

D'une manire ou d'une autre, il trouverait une solution aux problmes de Kahlan. Puis il dcouvrirait ce qui se passait sur la frontire. Mme si les rponses ses questions le terrifiaient, il les obtiendrait ! Des murmures coururent dans l'assistance. Toutes les ttes se tournrent vers l'entre de la salle. Michael arrivait enfin. Richard prit la main de Kahlan et approcha pour ne rien manquer du spectacle. 52 En voyant son frre monter sur une estrade, il comprit pourquoi Michael avait attendu si longtemps pour faire son entre. Il guettait le moment o le soleil couchant illuminerait cet endroit prcis, histoire d'apparatre dans toute sa gloire. Plus petit que Richard - et plus envelopp -, la tignasse en bataille, il arborait firement une magnifique moustache. Au-dessus de ses braies blanches, sa tunique aux manches bouffantes, galement blanche, tait serre la taille par une ceinture en or. Sous la lumire vesprale, devant une assistance plonge dans la pnombre, le nouveau Premier Conseiller irradiait la mme lueur surnaturelle que les colonnes de marbre. Richard agita une main pour signaler sa prsence. Michael le repra, lui sourit et le regarda un moment dans les yeux avant de parler. Mes dames et messires, aujourd'hui, j'ai accept la charge de Premier Conseiller de Terre d'Ouest. Des vivats montrent de l'assistance. Michael leva les bras et attendit que le silence revienne. En ces temps difficiles, les conseillers de notre pays m'ont choisi parce que j'ai le courage et l'indpendance d'esprit ncessaires pour nous guider vers un

nouvel ge. Mes amis, nous avons trop longtemps vcu le regard riv sur le pass et non sur l'avenir. Il est temps de ne plus chasser les vieux fantmes et de s'attaquer aux dfis de demain. Cessons d'couter les appels aux armes ! Et prtons enfin l'oreille aux voix qui veulent nous entraner sur le chemin de la paix ! L'assistance hurla son assentiment. Sidr, Richard se demanda de quoi parlait son frre. Quelle guerre ? Le pays n'avait pas d'ennemi... Michael leva de nouveau les bras et continua sans attendre que la foule se taise ; Je ne resterai pas inactif au moment o Terre d'Ouest est menace par des tratres ! 53 Michael s'tait empourpr, ivre de fureur. Son public hurla de nouveau, certains hommes levant le, poing. Michael ! Michael ! scandrent-ils. Interloqus, Kahlan et Richard se regardrent... Des citoyens responsables sont venus me livrer les noms de ces lches. A l'instant mme, alors que nos curs battent l'unisson pour un idal commun, les garde-frontire nous protgent et l'arme arrte les conspirateurs qui prtendaient renverser le gouvernement. Et il ne s'agit pas d'une bande de criminels, mais d'hommes respects qui exercent les plus hautes fonctions ! Des murmures coururent dans l'assemble. Boulevers, Richard n'y comprenait plus rien. Une conspiration, vraiment ? Dans sa position, son frre devait savoir de quoi il parlait. Et si les coupables appartenaient aux hautes sphres, a expliquait pourquoi Chase n'avait rien dcouvert...

Sous son rayon de soleil, Michael attendit que les murmures se taisent. Mais c'est de l'histoire ancienne ! Aujourd'hui, nous changeons de cap ! Si on m'a nomm Premier Conseiller, c'est aussi parce que je vis depuis toujours dans cette ville, l'ombre de la frontire. Une ombre, mes amis, qui s'est abattue sur nos vies ! Mais dire cela, c'est encore tourner son regard vers le pass. Par bonheur, la lumire d'une nouvelle aube chasse toujours les ombres de la nuit. Ainsi, nous dcouvrons que les silhouettes qui nous terrifiaient taient des fantmes ns de notre imagination. Nous devons penser au jour o la frontire n'existera plus, car rien ne survit ternellement Quand ce moment viendra, il faudra savoir tendre une main amicale, pas une pe, comme certains le voudraient. 54 Sinon, nous subirons les ravages d'une guerre absurde, avec son cortge de morts inutiles. Allons-nous gaspiller nos richesses prparer un conflit contre un peuple dont nous avons si longtemps t spars ? Un peuple, ne l'oubliez pas, dont taient issus les anctres de beaucoup d'entre nous. Faut-il nuire nos frres et nos surs, simplement parce que nous ne les connaissons pas ? Quel gchis ! Nos richesses, mes amis, doivent servir liminer la souffrance qui nous entoure. Quand le jour viendra - peuttre pas de notre vivant, mais il viendra, je vous l'assure -, nous devrons tre prts accueillir nos frres et surs depuis si longtemps perdus. Le but n'est pas d'unir deux pays, mais trois ! Tt ou tard, comme celle qui nous spare des Contres du Milieu, la frontire entre Terre d'Ouest et D'Hara disparatra aussi. Alors,

ces trois contres n'en feront plus qu'une. Si notre dtermination ne faiblit pas, nous connatrons la joie de la runion. Et cette formidable liesse sera ne aujourd'hui, au cur de notre ville ! Voil pourquoi j'ai frapp ceux qui voudraient nous forcer combattre quand les frontires tomberont Bien sr, cela ne signifie pas qu'avoir une arme est inutile. Qui sait quels obstacles se dressent sur le chemin de la paix ? Ou quelles menaces nous guettent ? Mais nous devons nous interdire d'en inventer ! Michael tendit un bras et le passa lentement au-dessus de la foule. Tous ceux qui sont ici incarnent l'avenir ! Conseillers de Terre d'Ouest, votre mission est de rpandre la bonne parole dans tout le pays. Dlivrez un message de paix aux hommes de bonne volont. Ils liront dans vos yeux et dans vos curs que vous dites la vrit. Je vous en supplie, aidez-moi ! Il faut que nos enfants et nos petits-enfants cueillent les fruits des 55 arbres que nous plantons aujourd'hui. Ainsi, les gnrations venir nous seront reconnaissantes jusqu' la fin des temps. Aurol par la lumire du couchant, Michael plaqua les poings sur sa poitrine et inclina la tte. Trop remue, l'assistance n'mit plus un son. Richard vit des hommes aux yeux embus et des femmes en larmes. Tous les regards convergeaient sur le Premier Conseiller, aussi immobile qu'une statue. Richard ne l'avait jamais entendu parler avec une loquence et une conviction pareilles. Et son propos tait pertinent. Aprs tout, Kahlan, dsormais son amie, ne venait-elle pas de l'autre ct de la frontire ?

Mais quatre hommes des Contres du Milieu avaient essay de le tuer... Non, pas lui mais elle, corrigea-t-il. Il s'tait seulement dress sur leur chemin. Ils lui avaient propos de partir et c'tait lui qui avait dcid de combattre. Depuis toujours, il se mfiait des gens qui vivaient de l'autre ct de la frontire. Aujourd'hui, Kahlan tait son amie... Exactement ce que disait Michael ! Richard commena voir son frre sous un nouveau jour. Pour mouvoir une foule ce point, il fallait une force de caractre inoue. Et Michael militait pour la paix et la fraternit ! Quel mal pouvait-il y avoir a ? Aucun... Alors, pourquoi Richard tait-il si troubl ? A prsent, continua Michael, revenons la souffrance qui nous entoure. Alors que nous tremblions cause des frontires, d'o aucun danger n'est jamais venu, nos parents, nos amis et nos voisins ont connu la douleur ou sont morts. Des accidents absurdes et tragiques dus au feu. Oui, vous m'entendez bien : au feu ! Des murmures interloqus coururent dans la foule, soudain libre de l'emprise hypnotique de Michael. 56 Mais cette raction ne parut pas le surprendre. Il dvisagea ses auditeurs les uns aprs les autres, laissant la confusion grandir. Puis, sans crier gare, il tendit une main, dsignant... ...Richard ! Regardez cet homme ! cria-t-il. (Toutes les ttes se tournrent vers le compagnon de Kahlan.) Regardez mon frre ador ! (Richard essaya en vain de se faire tout petit.) Ce frre chri qui partage avec moi la douleur d'avoir perdu sa mre cause du feu ! Les

flammes nous l'ont arrache quand nous tions trs jeunes, et nous avons d grandir sans son amour, ses soins et ses conseils. Ce n'est pas un ennemi imaginaire venu de la frontire qui nous l'a prise, mais le feu ! Quand nous tions en larmes, la nuit, elle ne pouvait plus nous consoler ! Le plus terrible, c'est que cela aurait d tre vit... Des larmes ruisselrent sur les joues de Michael. Je suis dsol, mes amis, veuillez me pardonner... (Il tira un mouchoir de sa manche et scha ses yeux.) Mais ce matin, j'ai appris qu'un autre incendie avait tu un jeune couple de parents, laissant leur fille orpheline. Cela a rveill mon chagrin et je n'ai pas pu me taire... De nouveau corps et me avec lui, les hommes et les femmes qui l'coutaient sanglotaient sans retenue. Une vieille dame posa la main sur l'paule de Richard, ttanis, et lui souffla ses condolances l'oreille. Je me demande, continua Michael, combien d'entre vous ont connu le mme drame que mon frre et moi. S'il vous plat, tous ceux qui ont eu un parent ou un ami bless ou tu par le feu, identifiez-vous ! Quelques mains se levrent et on entendit des gmissements. Et voil, mes amis, lana Michael en cartant les 57 bras, la souffrance qui nous entoure ! Inutile de sortir de cette salle pour la trouver ! Richard serra les poings quand des souvenirs longtemps refouls dferlrent en lui. Persuad d'avoir t escroqu par George Cypher, un homme avait perdu son calme et bris une lampe huile sur la table de la maison familiale. Pendant que

le type tirait George dehors, le rouant de coups, leur mre avait secouru Michael et Richard, endormis dans leur chambre. Aprs les avoir mis en scurit, elle tait retourne prendre quelque chose dans la maison (ils n'avaient jamais su quoi), o elle avait brl vive. Ramen la raison par ses cris, l'homme avait essay d'aider George la tirer du brasier. En vain. Fou de culpabilit et d'horreur, le type avait clat en sanglots, criant qui voulait l'entendre qu'il tait dsol. Voil ce qui arrivait, lui avait rpt mille fois son pre, quand on perdait son calme. Si Michael ngligeait la leon, Richard s'y tenait au pied de la lettre. Terrifi par les consquences possibles de sa colre, il l'touffait ds qu'elle montrait le bout du nez. Michael se trompait du tout au tout. Ce n'tait pas le feu qui avait tu leur mre, mais la colre ! Bras le long du corps, tte incline, comme vid de son nergie, Michael conclut d'une voix blanche : Que pouvons-nous faire pour protger nos familles du feu ? (Il secoua tristement la tte.) Je n'en sais rien, mes amis... Mais je chargerai une commission de se pencher sur le problme, et toutes les suggestions des citoyens responsables seront bienvenues. Ma porte leur sera toujours ouverte. Ensemble, nous pouvons agir. Ensemble, nous russirons ! Et maintenant, mes amis, permettez-moi d'aller rconforter mon frre. Il a souffert que je parle de notre tragdie familiale et je dois lui demander pardon... 58 Il sauta de l'estrade. Quand la foule s'carta devant lui, quelques mains se tendirent pour le toucher, mais il ne s'attarda pas. Richard le regarda approcher.

L'assistance se dispersa et Kahlan seule resta prs de lui, une main pose sur son bras. Masss autour de la table, les convives se lancrent dans des conversations animes et ne s'intressrent plus eux. Richard bomba le torse et touffa sa colre. Rayonnant, Michael lui tapota joyeusement l'paule. Un grand discours ! se congratula-t-il. Qu'en penses-tu ? Richard baissa les yeux sur la mosaque du sol. Pourquoi as-tu parl de sa mort ? Raconter ces horreurs tout le monde... Utiliser notre mre comme a ! Michael passa un bras autour des paules de son frre. Je sais que a t'a secou et je m'excuse, mais c'tait pour la bonne cause. Tu as vu les larmes dans leurs yeux ? Mon grand projet amliorera la vie de tous et Terre d'Ouest sera plus puissante que jamais. J'tais sincre : nous devons relever les dfis de l'avenir avec enthousiasme, pas en tremblant de peur ! Et que voulais-tu dire exactement propos des frontires ? Les choses changent, Richard... Je dois nous ouvrir la route. (Le sourire de Michael s'effaa.) C'est le fond de ma pense. Les frontires ne tiendront pas ternellement. Selon moi, elles n'ont pas t conues pour a. Il faut nous y prparer... O en est l'enqute sur la mort de notre pre ? demanda Richard, press de changer de sujet. Les pisteurs ont dcouvert quelque chose ? 59 Michael retira son bras des paules de Richard.

Quand grandiras-tu enfin ? George tait un vieux fou qui passait son temps s'approprier des choses qui ne lui appartenaient pas. Il est srement tomb sur un propritaire mal lun arm d'un grand couteau. C'est faux et tu le sais ! cria Richard, qui dtestait entendre Michael dire George sur ce ton. Il n'a jamais rien vol ! Dtrousser les vieux morts n'est pas plus permis que le reste ! Une tierce personne a d vouloir faire justice et rcuprer un bien quelconque. Et comment le sais-tu ? Qu'as-tu dcouvert ? Rien du tout ! Mais c'est vident. La maison tait sens dessus dessous. Quelqu'un cherchait quelque chose et ne l'a pas trouv. George ayant refus de parler, on l'a tu. C'est tout ce qu'on peut dire. Les claireurs n'ont pas repr de piste. Nous ne connatrons jamais le ou les coupables. Tu devrais t'y rsigner... La thorie se tenait : quelqu'un avait voulu rcuprer un objet. Richard ne pouvait pas blmer Michael de ne pas avoir dcouvert de qui il s'agissait. Mais comment expliquer l'absence de traces ? Dsol, tu as peut-tre raison... Alors, a n'tait pas li la conspiration contre toi. Tes ennemis n'y sont pour rien ? Non, non... Aucun rapport... Ce problme est rgl ! Ne t'en fais pas pour moi. Je ne risque rien et tout va pour le mieux. (Michael se rembrunit.) Dismoi, petit frre, pourquoi es-tu venu dans cette tenue ? Tu aurais pu faire un effort, cette fte est prvue depuis des semaines ! Kahlan rpondit la place de Richard, qui avait presque oubli sa prsence. Veuillez pardonner votre frre, ce n'est pas sa faute. Il devait me servir de guide jusqu' Hartland et

60 je suis arrive en retard notre rendez-vous. Je vous implore de ne pas le juger mal cause de moi. Michael examina attentivement la jeune femme. Et qui ai-je l'honneur ? Kahlan Amnell... Ainsi, fit le Premier Conseiller en la saluant de la tte, vous n'tes pas sa cavalire, comme je le croyais. Et d'o veniez-vous ? Un petit village, loin d'ici. Je suis sure que vous n'en avez jamais entendu parler. Michael ne releva pas et se tourna vers son frre. Tu passes la nuit ici ? Non. Je dois aller voir Zedd. Il veut me parler. Hum... Richard, tu devrais mieux choisir tes amis. Tu perds ton temps avec ce vieil idiot ! (Il regarda Kahlan.) Et vous, ma chre, resterez-vous pour la nuit ? Dsole, mais j'ai d'autres engagements... Michael tendit les bras, posa les mains sur la croupe de la jeune femme, l'attira vers lui et logea une jambe entre ses cuisses. Changez-en ! lana-t-il avec un sourire glacial. Retirez... vos... mains... dit lentement Kahlan, menaante. Michael et elle se dfirent du regard. Michael, arrte a ! cria Richard, qui n'en croyait pas ses yeux. Son frre, se comporter comme un mufle de la pire espce ! Ils l'ignorrent, continuant leur duel silencieux. Richard hsita, conscient qu'ils dsiraient le voir rester en dehors de a. Il se raidit nanmoins, prt

passer outre... Un contact agrable... souffla Michael. Je pourrais tomber amoureux de toi... 61 Et tu n'as encore rien vu ! lana Kahlan. Maintenant, retire tes mains ! Voyant que Michael ne ragissait pas, elle posa doucement l'ongle de son pouce sur sa poitrine, juste sous la gorge. Leurs regards croisant toujours le fer, elle laissa sa main descendre lentement et entailla la chair. Un filet de sang perla de la blessure. Michael tenta de ne pas bouger, mais Richard lut dans ses yeux que l'exprience tait trs douloureuse. N'y tenant plus, son frre lcha Kahlan et recula. Sans daigner lui jeter un coup d'il, elle traversa la salle et sortit. Richard foudroya Michael du regard, incapable d'touffer vraiment sa colre. Puis il suivit son amie. Chapitre 4 Richard repra Kahlan dans le jardin. Sa robe et ses longs cheveux voletaient derrire elle sous la lumire du couchant. Arrive prs d'un arbre, elle s'arrta. En l'attendant, elle essuya pour la deuxime fois de la journe le sang qui maculait sa main. Quand il lui tapota l'paule, elle se retourna, parfaitement impassible. Kahlan, je suis navr, et... Ne t'excuse pas ! Ton frre ne s'en prenait pas moi, c'est toi qu'il visait Que veux-tu dire ?

Cet homme est jaloux. Il n'est pas idiot. Il a vu que j'tais avec toi, et a l'a irrit. Richard prit Kahlan par le bras et l'entrana loin de la maison. Furieux contre Michael, il avait honte de sa raction. Comme s'il avait trahi son pre... a n'explique rien... Le Premier Conseiller peut avoir tout ce qu'il dsire. J'aurais d intervenir. Je ne voulais pas que tu t'en mles... Richard, il convoite tout ce que tu possdes. Si tu l'avais arrt, il se sentirait oblig de me conqurir. Dsormais, je ne l'intresse plus. Ce qu'il a fait au sujet de votre mre tait pire. Mais aurais-tu voulu que je parle ta place ? 63 Non, ce n'tait pas toi de t'en charger, concda Richard, sa colre enfin touffe. Autour d'eux, les maisons, plus modestes, restaient coquettes et bien entretenues. Certains propritaires profitaient de la clmence du temps pour faire des rparations avant l'arrive de l'hiver. Sentant l'air vif et piquant, Richard devina que la nuit serait froide. Une soire idale pour un bon feu de chemine qui embaumerait l'atmosphre. A mesure qu'ils marchaient, les palissades blanches cdaient la place aux grands carrs de pelouse des manoirs rigs en retrait de la route. Sans s'arrter, Richard arracha une feuille la branche d'un chne qui bordait le chemin. Tu sembles en savoir long sur les gens, dit-il. Leurs motivations ne t'chappent pas... Possible... C'est cause de a qu'on te poursuit ? demanda Richard en dchiquetant soigneusement sa feuille. Kahlan tourna la tte vers lui et chercha son regard.

Ces gens me traquent parce qu'ils ont peur de la vrit. Toi, elle ne t'effraie pas. C'est pour a que je te fais confiance. Il sourit du compliment, content de la rponse, mme s'il n'tait pas sr de la comprendre. Alors, tu ne vas pas me botter les fesses ? Non, mais a n'est pas pass loin ! (Elle se tut un instant, mlancolique.) Navre, Richard, mais pour l'instant, il faut me croire aveuglment. Plus je t'en dirai, plus nous serons en danger tous les deux. Toujours amis ? Toujours amis ! confirma Richard en jetant les restes de la feuille. Un jour, tu me raconteras tout ? Si je peux, c'est promis... Parfait... Aprs tout, je suis un sourcier en qute de vrit . 64 Kahlan s'arrta net, le prit par la manche et le fora se tourner vers elle. Pourquoi as-tu dit a ? Quoi ? Sourcier en qute de vrit ? Zedd me donne ce surnom depuis mon enfance... Parce que je veux toujours aller au fond des choses, selon lui. Pourquoi cette raction ? Oublie a... souffla Kahlan en reprenant son chemin. Richard avait encore touch un point sensible. Mais cette fois, il tenait un dbut d'explication. Les ennemis de Kahlan la traquaient parce qu'ils redoutaient la vrit. En l'entendant annoncer qu'il tait un sourcier en qute de vrit , elle avait d avoir peur qu'ils s'en prennent aussi lui. Peux-tu au moins me dire qui sont les gens qui

te poursuivent ? Kahlan se rapprocha de lui sans cesser de surveiller la route. Ce sont les adeptes d'un homme malfique appel Darken Rahl. S'il te plat, ne me pose plus de questions ! Je n'ai pas envie de penser lui. Darken Rahl. Au moins, maintenant, il connaissait le nom de leur adversaire... Une fois le soleil disparu derrire les collines des bois de Hartland, l'air se rafrachit sensiblement Richard et Kahlan marchaient en silence. Cela ne gnait pas le jeune homme, car il avait trs mal la main et se sentait un peu nauseux. Un bon bain et un lit douillet, voil ce qu'il lui fallait ! Non, rectifia-t-il. Il serait plus galant de laisser le lit son amie. Il dormirait sur son fauteuil prfr, celui qui grinait un peu. Un bon programme. La journe avait t longue et il n'tait plus trs vaillant. 65 Prs d'un bosquet de bouleaux, il fit signe Kahlan de s'engager sur le sentier qui conduisait sa maison. Elle avana et brisa au passage des toiles d'araigne, chassant du dos de la main les fils qui se dposaient sur son visage et ses bras. Richard avait hte d'tre chez lui. En plus du couteau et des autres choses utiles qu'il avait oubli d'emporter, il tait press de retrouver un objet trs important qu'il tenait de son pre... George avait fait de lui le gardien d'un secret et d'un grimoire tout aussi secret. Afin de prouver que l'ouvrage n'avait pas t vol, mais simplement mis l'abri, il avait donn son fils un moyen de dmontrer sa bonne foi. Un croc triangulaire long de trois doigts...

Richard y avait attach une lanire de cuir pour le porter autour du cou. Mais comme son couteau et son sac dos, il avait laiss le pendentif chez lui. Comment pouvait-on tre aussi stupide ? Sans le croc, son pre risquerait de passer pour un vulgaire voleur, ainsi que Michael l'avait insinu. Plus haut sur le sentier, aprs une zone rocheuse dcouvert, les chnes, les rables et les bouleaux cdaient la place des picas. Le sol, jusque-l couvert de feuilles vertes, droulait sous les pieds des promeneurs un tapis d'aiguilles marron. Soudain, Richard eut un mauvais pressentiment. Prenant dlicatement la manche de Kahlan entre le pouce et l'index, il la tira en arrire. le vais passer le premier, dit-il calmement. Elle obit sans poser de question. La demi-heure suivante, avanant plus lentement, il tudia le sol et examina toutes les branches qui pendaient au bord du chemin. Puis il s'arrta au pied de la dernire butte avant sa maison et fit signe Kahlan de s'accroupir avec lui derrire un buisson de fougres. 66 Un problme ? demanda la jeune femme. Je m'inquite peut-tre pour rien. Mais quelqu'un a emprunt ce chemin dans l'aprs-midi... Il ramassa une pomme de pin crase et ('tudia avant de la reposer. Comment le sais-tu ? A cause des toiles d'araigne... (Il regarda vers le sommet de la butte.) Il n'y en a plus depuis un moment. Quelqu'un est pass et les a dtruites. Les araignes n'ont pas eu le temps d'en tisser de nou-

velles... Quelqu'un habite dans les environs ? Non. Il peut s'agir d'un voyageur, mais ce chemin n'est pas trs frquent. Quand je marchais devant, il y avait des toiles d'araigne partout. Je les enlevais de mon visage tous les dix pas... C'est bien ce qui m'ennuie... Personne n'a suivi cette partie-l du chemin aujourd'hui. Mais depuis la zone dcouvert, il n'y a plus de toiles. Comment est-ce possible ? Je n'en sais rien... Quelqu'un a peut-tre travers les bois jusqu' la clairire, et rejoint le chemin cet endroit. Mais c'est un itinraire trs accident. Ou alors, mon visiteur est tomb du ciel ! Ma maison est juste aprs cette butte. Restons vigilants... Richard passa le premier. Kahlan le suivit, tous les sens en alerte, comme lui. Le jeune homme aurait voulu faire demi-tour, mais il ne parvenait pas s'y rsoudre. Impossible de repartir sans le croc que son pre lui avait remis en guise de sauf-conduit ! Au sommet de la butte, ils s'accroupirent derrire un grand pin et examinrent la maison. La porte tait ouverte, alors qu'il la fermait toujours, et les fentres 67 avaient t casses. Toutes ses possessions jonchaient le sol. Richard se releva. Mise sac, comme la maison de mon pre ! Kahlan le saisit par la chemise et l'empcha de courir. Richard ! souffla-t-elle, furieuse. Ton pre est peut-tre rentr chez lui exactement comme a. Et s'il

avait fonc tte baisse, comme tu t'apprtais le faire, alors que ses ennemis le guettaient l'intrieur ? Elle avait raison, bien entendu. Richard se passa une main dans les cheveux pour s'aider rflchir. Puis il regarda de nouveau sa demeure. La cloison arrire tait adosse aux bois et la porte d'entre donnait sur la clairire. Comme il n'y avait pas d'autre issue, toute personne cache l'intrieur s'attendrait ce qu'il passe par l. D'accord... murmura-t-il. Mais il y a chez moi un objet que je ne peux pas laisser. Ds que je l'aurai rcupr, on filera d'ici. S'il aurait prfr y aller seul, abandonner Kahlan sur le chemin ne lui disait rien qui vaille. Ils s'enfoncrent dans les bois et dcrivirent un grand cercle pour contourner la maison. Quand ils atteignirent l'endroit d'o Richard pourrait approcher du btiment par l'arrire, il fit signe son amie de l'attendre. Elle en fut contrarie, mais ce n'tait pas ngociable. Si quelqu'un avait tendu un pige, il ne voulait pas qu'elle tombe dedans avec lui. Il la laissa sous un pica, avana lentement et fit un grand dtour pour rester sur le tapis d'aiguilles et viter les zones jonches de feuilles. Quand il aperut la fentre de derrire, il s'immobilisa. Pas un bruit. Pli en deux, le cur battant tout rompre, il reprit sa progression. Lorsqu'un serpent traversa son chemin, il le laissa passer sans esquisser un geste. 68 Arriv devant la maison en rondins patins par les intempries, il posa doucement une main sur le rebord de la fentre et leva la tte pour jeter un regard l'intrieur. Tous les carreaux taient casss et il ne restait

rien d'intact dans sa chambre. Autour du lit ventr gisaient des livres prcieux aux pages dchires. La porte qui donnait sur l'autre pice tait entrebille, mais pas assez pour voir ce qu'il y avait derrire. Si on ne la calait pas avec un morceau de bois, c'tait la position qu'elle adoptait naturellement... Richard passa la tte par la fentre et baissa les yeux sur son lit. Son sac dos et le pendentif taient accrochs la colonne du lit, l'aplomb de la fentre, l o il les avait laisss. Il tendit lentement le bras... Dans la pice de devant retentit un grincement familier. Richard se ptrifia. Le craquement de son fauteuil, tellement li ce vieux meuble qu'il n'avait jamais pu se rsoudre le supprimer. Richard recula sans un bruit. Quelqu'un l'attendait dans l'autre pice, assis sur son cher fauteuil. Il capta du coin de l'il un mouvement qui le fora tourner la tte vers la droite. Perch sur une souche pourrie, un cureuil le regardait. S'il te plat, pensa Richard, ne commence pas babiller pour m'ordonner de quitter ton territoire ! L'cureuil continua l'observer un long moment, puis sauta sur un arbre, l'escalada et disparut. Richard releva la tte pour regarder de nouveau par la fentre. La porte tait toujours dans la mme position. Sans la quitter des yeux, attentif au moindre bruit venant de l'autre pice, le jeune homme tendit le bras et saisit son sac et son pendentif. Le couteau reposait sur une petite table, de l'autre ct du lit. Pas moyen de le prendre ! Il ramena lentement son bras et fit passer le sac par la fentre sans heurter les chardes de la vitre brise. 69

Son butin dans les mains, il rebroussa chemin et rsista de justesse l'envie de courir. Un coup d'il par-dessus son paule lui apprit que personne ne le suivait. Passant la tte travers la lanire de cuir, il fit glisser le croc sous sa chemise. Personne ne devait le voir, part le gardien du grimoire secret. Kahlan attendait l o il l'avait laisse. Quand elle le vit, elle se leva d'un bond, mais il posa un doigt sur ses lvres pour lui indiquer de ne pas parler. Le sac sur son paule gauche, il tapota gentiment le dos de son amie, qui se mit aussitt en mouvement. Pas question de revenir par le mme chemin ! Richard guida Kahlan travers bois et ils rejoignirent le sentier, au-del de la maison. Tous les deux soupirrent de soulagement devant les magnifiques toiles d'araigne qui leur barraient le chemin sous les derniers rayons du soleil. Ce sentier tait plus difficile et trs long, mais il les conduirait destination. Chez Zedd ! La maison du vieil homme tait trop lo