l'entrepreneuriat immigrant: revue de la...

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CopyrighJ /Il}1999 - École du Hautes Étudu Commercio~, (HEC) Montréal. Tous droits réservés pour fous pays, Toute trQduction 011 toute reprodllçJion SOIIS quelque forme que ce salt es! inlerdlle. Les textes publiés dans la lIérie des cahiers de reçherche HEC n'engagent que la respon.Yabi/lté de leurs aull!urs. L'entrepreneuriat immigrant: revue de la documentation par Denis Robichaud Cahier de recherche no. 99-05 Avril 1999 ISSN : 0840-853X

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CopyrighJ /Il} 1999 - École du Hautes Étudu Commercio~, (HEC) Montréal.Tous droits réservés pour fous pays, Toute trQduction 011 toute reprodllçJion SOIIS quelque forme que ce salt es! inlerdlle.

Les textes publiés dans la lIérie des cahiers de reçherche HEC n'engagent que la respon.Yabi/lté de leurs aull!urs.

L'entrepreneuriat immigrant:revue de la documentation

par

Denis Robichaud

Cahier de recherche no. 99-05

Avril 1999ISSN : 0840-853X

Résumé

Cette étude a pour cadre une revue de la littérature explorant le processus decréation d'entreprises par les immigrants. En plus de fournir une vued'ensemble des principaux courants de pensée partagés par les chercheurs,l'auteur discute des principaux modèles de création d'entreprises et présenteles différents éléments pouvant influencer le processus de créationd'entreprises ethniques. Les éléments à l'étude sont classés en quatregroupes. Le premier groupe est constitué par les caractéristiques intrinsèquesde l'entrepreneur. Le second groupe comprend la structure institutionnelle etsociale d'accueil divisée en deux parties: (1) la «structure d'opportunités»composée des marchés ethniques et non ethniques; et (2) les«caractéristiques du groupe ethnique» incluant les valeurs individuelles etsociales, les institutions, les ressources disponibles et l'histoire. Un troisièmegroupe d'éléments rassemble les orientations de la société d'accueil enmatière d'immigration. Enfin, le quatrième groupe représente les actionsstratégiques découlant de l'interaction entre les caractéristiques del'entrepreneur, la structure institutionnelle et sociale d'accueil et lesorientations de la société d'accueil.

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Introduction

1. Les théories explicatives de ]'entrepreneuriat immigrant 5

2. Quelques modèles explicatifs de création d'entreprisesethniques ... t... "" ... 7

3. Les variables explicatives de la création d'entreprisesethniques , ,.u. ,... Il

3.1 Structure institutionnelle et sociale d'accueil Il

3.1.1. L'entrepreneur Il3.1.2 La structure d'opportunités u. u. 14

3.1.2.1 Les caractéristiques de la société d'accueil 153.1.2.2 Les marchés ethniques et non ethniques 18

3.1.3. Les caractéristiques du groupe ethnique. 20

3.2. Les actions stratégiques de l'immigrant 26

3.2.1. I..a route du salarié 273.2.2. La route de l'entrepreneuriat 28

Conclusion n 31

Bibliographie ... ...h""",'" 33

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Table des matières

Introduction

La présente revue de littérature s'intéresse aux entrepreneurs immigrants.Cette étude regroupe les principaux auteurs québécois, canadiens etaméricains ayant contribué à élucider le concept d'entrepreneuriat immigrantdans des perspectives régionale, nationale et internationale.

Cette étude est plus qu'une simple revue de littérature. Elle s'étend nonseulement à la littérature savante mais également aux recherches «terrains»réalisées par des organismes privés et publics ainsi qu'aux articles dejournaux ou de revues.

Le présent document se divise en trois parties. La première partie fait étatdes principales théories expliquant rentrepreneuriat immigrant. Cette sectiona pour objectif de fournir une vue d'ensemble des principaux courants depensée partagés par les chercheurs s'intéressant au domaine del'entrepreneuriat immigrant. La seconde partie discute des principauxmodèles de création d'entreprises se retrouvant dans la littérature. Enfin, ladernière partie présente les éléments pouvant influencer le processus decréation d'entreprises ethniques. Une brève conclusion fournit une synthèsedes discussions et propose des avenues de recheches pouvant permettre depousser plus à fond les études SUf l'entrepreneuriat immigrant. On trouveraégalement, en annexe, une bibliographie des ouvrages ayant servi à réaliserla présente étude.

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1. Les théories explicatives de l'entrepre

Les théories expliquant la création d'entreprises par les minorités ethniquesse divisent en trois groupes: l'approche structurelle, l'approche culturelle etrapproche situationnelle.

Le premier groupe est constitué par les théories structurelles mettantl'emphase sur les structures sociales, politiques et économiques de la sociétéd'accueil (Pyong-Gap, 1984). Selon cette perspective, plusieurs occasionsd'affaires seraient créées par l'abandon de petits marchés périphériques parles grandes entreprises de la société d'accueil créant ainsi deux marchésdistincts.

Une autre possibilité serait d'étudier le rôle de «middleman minorities» 1accordé aux immigrants assurant le lien entre les différents groupes de lasociété d'accueil ou servant de distributeurs «bon marché» pour des produitsde consommation de masse fabriqués par les grandes sociétés (Bonacichdans Pyong-Gap, 1984).

Le second groupe de théories fait référence à la notion de culture. Selon cettehypothèse, le milieu culturel et les valeurs s'y rattachant favoriseraient oudéfavoriseraient l'émergence d'entrepreneurs. En identifiant les élémentsculturels ou religieux partagés par une communauté, les chercheurs sontainsi en mesure d'expliquer les raisons poussant les immigrants soit vers lacréation d'entreprises soit vers les emplois salariés. «Un immigrant créeraune entreprise parce que cette activiti est hautement évaluée dans songroupe culturel »(Toulouse et Brenner, 1988,1990).

Le troisième groupe est formé par les théories situationnelles s'intéressantparticulièrement aux relations des immigrants avec d'accueil.Selon cette perspective, les immigrants, se sentant la sociétéd'accueil, créent une entreprise pour acquérir un statut de mieuxs'intégrer dans la société d'accueil (Toulouse et Brenner,

Bonacich et autres (dans Portes et Rumbaut, 1990) font référence à laperception voulant que les immigrants soient considérés et se considèrent

lte concept de «middleman minorities» est issue de la thèse de la société traditionnelleoù les minorités ethniques sont utilisées pour exercer des activités commercialesconsidérées comme dégradantes et menaçantes pour la communauté hôte. De cettemanière, les «middleman minorities» facilitent la transition des valeurs traditionnelles ousacrées dlune société vers des valeurs plus souples ou séculières (Pyong-Gap, 1984).

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immigrantneuriat

la sociétérejetés parpermettant1990).

comme des résidents temporaires ayant peu d'intérêts pour se lancer enaffaires et pour accumuler des profits. En conséquence, les groupesd'immigrants se concentrent dans des emplois temporaires et adoptent uncomportement économique distinct par rapport aux autres groupes de lasociété d'accueil. Toutefois, on trouve des exemples ne permettant pas deconfirmer cette théorie. En effet, les auteurs mentionnent le cas des cubainsde Miami qui, croyant retourner chez eux après les événements de la Baiedes Cochons, ont tout de même créé une micro-société possédant sesinstitutions, ses règles culturelles et son économie.

Un autre théorie situationnelle suppose que le statut d'immigrant suscite un«désavantage social» reléguant «l'étranger» dans des emplois précaires, peuintéressants et peu rémunérateurs. Les groupes d'immigrants ainsidésavantagés se donnent du support mutuels en réunissant leurs ressources eten formant des associations ethniques. En créant des conditions plusfavorables, les immigrants parviennent à survivre économiquement, créantleur propre emploi dans des secteurs souvent périphériques ou marginaux.

Une recherche récente, réalisée à Montréal, approfondie la théorie dudésavantage (Helly et LeDoyen, 1994). On présente les résultats d'une étudemenée auprès de 203 individus immigrés possédant une entreprise ou unemploi autonome depuis 1982-1986. Les auteures explorent les théoriessituationnelles en suivant l'évolution et l'itinéraire occupationoel desimmigrants de Montréal. L'étude permet de mieux connaître les problèmesrencontrés par les immigrants sur le marché du travail, les stratégiespréparatoires et les réseaux nécessaires à la mise sur pied dtune entreprise oud'un emploi autonome. Toutefois, on apprend peu de chose sur le processusde création des entreprises, sur les caractéristiques culturelles etpsychologiques des entrepreneurs, sur leurs relations avec la sociétéd'accueil et sur les stratégies employées pour performer à l'intérieur dumarché montréalais.

Dans leurs conclusionst Helly et LeDoyen mentionnent que la thèse dudésavantage semble être valide dans le cas de la population étudiée.Toutefois, suivant la logique de la théorie du «désavantage», tous lesgroupes ethniques désavantagés sur le plan de remploi devraient démontrer,une forte propension pour la création d1un emploi autonome. Ort aux Etats-Unis, on constate que des groupes ethniques fortement discrinùnés tels lesphillipins, les mexicains et les noirs créent moins d'entreprises que leslibannais, les grecs, les coréens et les cubains n'ayant souffert d'aucunepersécution politique et économique de la part de la société américaine(portes et Rumbaut, 1990; Toulouse et Brenner, 1988).

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Quelques modèles explicatifs de création d'entreprises ethniques2.

Plusieurs auteurs tentent d'expliquer le processus de création d'entreprisespar les immigrants à l'aide de différents modèles. Parmi ceux-ci, nousprésenterons les modèles de Toulouse et Brenner (1988, 1990) et deWaldinger et autres (1990) qui semblent les plus représentatifs de la créationd'entreprises par les immigrants.

Toulouse et Brenner (1988, 1990) mentionnent que certains groupesd'immigrants démontrent une propension plus grande que d'autres à créer desentreprises. Les auteurs observent que les ressources du groupe ethniquesont panni les facteurs de succès des immigrants entrepreneurs et que ceux-ci auraient tendance â créer des entreprises dans des secteurs particuliers(celui des services serait au premier rang). Suite à leurs observations, lesauteurs dégagent cinq points importants dont il faut tenir compte dans l'étudede la création d'entreprises ethniques. Premièrement, l'importance du réseauintra-ethnique (capital, support sodo-émotif, main-d'oeuvre).Deuxièmement, le rôle de la famille et de la parenté immédiate.Troisièmement, le secteur industriel à l'intérieur duquel les immigrantsopèrent (dans ou hors de la communauté). Quatrièmement, le processus suividans la création d'entreprises. Cinquièmement, la valeur de l'activitééconomique générée par les immigrants entrepreneurs.

Les auteurs développent leur modèle à partir de trois théories explicatives: lathéorie basée sur le concept de «désavantage»; la théorie de «la division desmarchés»; et la théorie «culturelle». En conséquence, les motivations pourcréer une entreprise sont issues du désir de l'immigrant d'être intégré dans lasociété d'accueil (désavantage) et de la haute évalution par le groupeethnique de l'activité entrepreneuriale (culture). Les entreprises ainsi crééesse retrouvent majoritairement dans les niches ou les enclaves laisséesvacantes par la société d'acceuil (division des marchés). Le tableau 1 présenteun schéma du modèle.

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Source: TOULOUSE, lM., BRENNER, G., "Immigrants as Entrepreneurs: Developing aResearch Mode]", Montréal, École des Hautes Études Cornmerc~, March 1990.

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Tableau 1Modèle de créat.ion d'entreprises

Toulouse et Brenner (1990)

sectors

Le modèle de Toulouse et Brenner met en relation les motivations del'entrepreneur avec l'action de créer une entreprise. Le désir d'être intégré àla sociêté d'accueil est satisfait en occupant une enclave ou une niche sansdéranger la société d'accueil.

Par ailleurs~ Waldinger et autres (1990), suggèrent que la stratégie ethniqueémerge de l'interaction de deux dimensions: les structures d'opportunités(conditions du marché et processus d'accès à la propriété d'une entreprise) etles caractéristiques du groupe ethnique (circonstances de pré-migration,réactions face à la société d'accueil, mobilisation des ressources intra-ethniques).

Dans la même foulée que Toulouse et Brenner~ Waldinger et autresmentionnent que les entrepreneurs immigrants adaptent les ressourcesdisponibles et se taillent une niche à l'intérieur de la structure d'opportunitésconstituée de deux éléments: (1) les marchés ethniques (alimentation,produits culturels, problèmes d'insertion des membres dans la sociétéd'accueil (aide juridique, voyages etc.), immobiliers) et les marchés nonethniques abandonnés ou non désservis par la société d'accueil; et (2) lesconditions d'accès à la propriété qui dépendent du nombre d'entreprisesdisponibles, de la manière selon laquelle la société d'accueil dispose de cesentreprises (enclave) et des politiques gouvernementales visant à faciliterl'accès des immigrants à celles-ci.

De plus, mettant remphase sur les caractéristiques du groupe ethnique, lesauteurs émettent l'hypothèse que certains immigrants sont prédisposés àcréer des entreprises et qui ils savent compter sur des ressources ethniquesinformelles pour devenir compétitifs (culture). Cette prédisposition seraitégalement influencée par les conditions historiques rencontrées au momentde l'immigration (connaissance de la langue, habiletés, âge, discrimination)limitant la mobilité de l'immigrant sur le plan de remploi (désavantage). Desconsidérations d'ordre psychologique telles le besoin d'indépendance et lesaptitudes à prendre des risques et à s'ajuster aux changements s'ajoutent auxconditions historiques de Pimmigration pour expliquer le phénomène. Enoutre, le réseau social ethnique permet aux entrepreneurs de gérer leurentreprise (accès à des ressources de valeur que l'on ne pourrait obtenir parle réseau fonnel et non-ethnique: main-d'oeuvre, capital, connexion avec lasociété d'accueil, aide juridique, informations générales, etc.). Le tableau IIfournit une représentation du modèle.

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Table-au IIModèle interactif de développement d'entreprises

et autres(1990)

Source: W A LDIN GER, R., ALDRICH, H., WARD, R., and ASSOCIA TES, EthnieEntrepreneurs: Immi~ant Business in Industrial Societies, Newbury Park (California),Sage Publications Ine., 1990.

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Waldingerethniques

Structure d'opportunités

Caractéristiques du groupe

Le modèle de Waldinger et autres, axé sur la création et le développementdes entreprises ethniques, met l'emphase sur les structures externes àl'entrepreneur lui-même. On se préoccupe peu du potentiel entrepreneurial etdes motivations intrinsèques des immigrants pour expliquer la création dluneentreprise De plus~ les actions stratégiques sont davantage étudiées du pointde vue des entreprises plutôt que sous l'angle des individus. En conséquence,les stratégies individuelles consistant à acquérir le capital, les habiletés et lesconnaissances ne sont pas inhérentes au modèle.

3. Les variables explicatives de la création d'entreprises ethniques

Lorsqu'un entrepreneur est transposé d'un contexte à un autre par l'entremisede l'immigration, plusieurs facteurs peuvent intervenir pour expliquer soncomportement. Afin de faciliter l'étude des différents éléments retrouvésdans la littétrature, nous avons choisi de classer les informations en deuxgroupes. Le premier groupe est constitué de la structure institutionnelle etsociale d'accueil divisée en trois éléments: (1) le potentiel entrepreneurial derindividu; (2) la structure dtopportununités composée des marchés ethniques,non ethniques, et des caractéristiques sociales, économiques et politiques dela société d'accueil; et (3) les caractéristiques du groupe ethnique incluant lesvaleurs individuelles et sociales, les institutions, les ressources disponibles etl'histoire.

Le second groupe de facteurs est formé par les actions stratégiques del'entrepreneur. Nous explorons les deux voies possibles offertent auxnouveaux arnvants: la voie du salarié et la voie de l'entrepreneuriat.

3.1 Structure institutionnelle et sociale d'accueil

3.1.1. L'entrepreneur

L'entrepreneur immigrant possède-t-il des caractéristiques particulières parrapport aux autres entrepreneurs? Portes et Rumbaut (1990) mentionnentqu'aux États-Unis, les immigrants ont tendance à travailler davantage poureux-mêmes que la population américaine «de souche». En 1990, lestravailleurs autonomes représentent 7.8 % de la population américaine contre8.5 % chez les immigrants. La différence peut s'expliquer à partir decomposantes psychologiques (Waldinger et autres, 1990). Le besoind'autonomie et d'indépendance des entrepreneurs associé au fait quel'immigration représente en soi un risque, prédispose l'immigrant à prendredes risques plus élevés que les membres de la société d'accueil. De plus, lasituation économique et sociale de la société d'accueil étant, la plupart du

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temps, supérieure à celle du pays d'origine, les immigrants s'accomodentplus facilement de petits profits et d'un faible salaire que les non ethniques.En conséquence, les conditions de l'immigration augmentent la motivation,la proprension à prendre des risques et la capacité à faire face auxchangements chez les immigrants prédisposés à l'entrepreneuriat.

Toutefois, les conditions de l'immigration sont des caractéristiquesextrinsèques à l'entrepreneur. Qu'en est-il des carctéristiques intrinsèques?Drucker (1985) croit à l'universalité des caractéristiques entrepreneuriales. Acet effet, il observe une similarité dans les règles et les pratiques de l'espritd'entreprise peu importe la taille de l'institution et le lieu où s'excercel'entrepreneuriat. Cette hypothèse est confirmée par les recherches deWaldinger et autres, (1990) qui, en étudiant les actions stratégiques de septgroupes d'entrepreneurs en Grande Bretagne, en France, aux États-Unis, enAllemagne de l'ouest, et en Hollande, ont découvert des éléments desimilarité élevée à travers ces groupes indépendants.

Sur le plan des caractéristiques, Drucker qualifie l'entrepreneur comme Wlindividu percevant le changement comme «une norme habituelle et commeun signe de bonne santé». L'esprit d'entreprise est ainsi associé à lapropension à prendre des risques et à l'innovation2 permettant la création derichesses basée sur l'ouverture de nouvelles possibilités aux ressources.

En étudiant l'entrepreneuriat autochtonet Bherer et autres (1989) identifientsept grandes caractéristiques suffisamment constantes pour être considéréescomme des «traits de la personnalité de l'entrepreneur type» chez lesautochtones: l'amour du travail bien fait; rengagement et la souplesse; lebesoin d'indépendance et d'autonomie; la confiance en soi, la capacité deprendre des risques; le besoin de relever des défis et le profond enracinementdans son milieu. Cette dernière caractéristique, appliquée aux immigrants,peut sans doute se traduire par le désir d'intégration dans la société d'accueil.

Dans la même foulé que Drucker et Bherer et autrest Toulouse (1979) définitl'entrepreneur «comme un agent adhérant à un système de valeurs plutôtindividualistes et disposé à asswner un risque personnel élevé en vue d'uneaction orientée plus vers le dévelopement que vers le simple

2Drucker considère l'innovation comme un déplacement du niveau de rendement desressources défini en fonction de la demande. « L'innovation correspondrait en ce cas à unchangement de la satisfaction et de la valeur tirées des ressources par lesconsommateurs. L'innovation systématique repose donc sur la recherche motivée etorganisée du changement et sur l'analyse systématique de perspectives ainsi ouvenespour l'innovation économique et sociale» (p.60).

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fonctionnement». En outre~ Toulouse identifie trois perspectives dans l'étudede l'entrepreneuriat: la perspective socio-culturelle ou économique (axes desvaleurs); la perspective psychologique (axe de l'implication); et laperspective de direction (axe de l'action).

Sur le plan des valeurs~ les entrepreneurs sont des individualistes valorisantl'autonomie et la liberté. Cette particularité expliquerait peut-être le fait quel'on retrouve peu d'entrepreneurs dans les sociétés ou les groupes véhiculantdes valeurs communautaires. À titre d'exemple, dans certaines communautésautochtones~ la notion de partage étant un élément de la culture, lesentrepreneurs ont souvent à faire face à des problèmes de jalousie etd'intégration qui limitent la dimension des entreprises créées (Bherer etautres, 1989).

L'axe de rimplication personnelle réfère à la dimension psychologiquerelative à l'attitude de rindividu face au risque. Cette attitude sera influencéepar trois éléments: les caractéristiques personnelles de l'individu (inné); lemilieu, la famille et l'éducation (acquis); et les expériences de l'individu(vécu). Ainsi, la confiance en soi, la connaissance de la structuresd'opportunités et l'acquisition des habiletés à diriger une entreprise issues deces trois éléments poussera les entrepreneurs à prendre des risques élevés.De plus, certains auteurs semblent croire que «le comportement desminorités face au risque découle directement d'un fort besoind'accomplissement qui primerait dès lors le besoin d'appartenance,renjbrçant en cela leur situation de minoritaires marginaux. Rejetés de la oude leur société, ils choisissent cette voie pour se réhabiliter à leur propreyeux et aux yeux des autres».

L'axe de l'action fait référence à la notion d'innovation; à l'acte de modifieret de faire évoluer la réalité. L'entrepreneur adoptera une attitude axée sur ledéveloppement plutôt que sur le fonctionnement en investissant lesressources nécessaires (les siennes ou celles des autres) dans la réussite deses projets.

Pour compléterl' .econoffilques se(tableau III).

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son modèle, Toulouse identifie les autres agentsdifférenciant des entrepreneurs à l'intérieur des trois axes

Tableau IIICaractéristiques des agents économiques (Toulouse, 1979)

Valeurs

Individualistes Fort Développement EntrepreneursIndividualistes Faible Développement ChercheursIndividualistes Fort Fonctionnement InvestisseursIndividualistes Faible Fonctionnement ArtisansCollectivistes Fort Développement ProphètesCollectivistes Faible Développement MilitantsCollectivistes Fort Fonctionnement ResponsablesCollectivistes Faible Fonctionnement Bureaucrates

Sans donner une définition parfaite, ce modèle permet de détenniner lesattributs des entrepreneurs et de les délimiter de ceux des autres agentséconomiques apparentés.

IndividualistesIndividualistesIndividualistesIndividualistesCollectivistesCollectivistesCollectivistesCollectivistes

En défmitive, le potentiel entrepreneurial des individus aura une influencemarquée sur le processus de création d'entreprises. Cependant, malgré descaractéristiques intrinsèques similaires entre les entrepreneurs ethniques etnon ethniques, les immigrants évoluent dans un environnement différent entermes de ressources disponibles (caractéristiques du groupe) et deconditions du marché (structure d'opportunités). Donc, le désir d'intégrationdans la société d'accueil, les capacités entrepreneuriales de l'individu et laconnaissance des opportunités offertes par le groupe ethnique et la sociétéd'accueil sont des éléments à considérer dans le processus de création d'uneentreprise.

3.1.2 La structure dl

Drucker (1985) décrit la structure d'opportunités comme étant composée desept sources d'innovation divisées en deux groupes. Le premier groupe sesitue à l'intérieur même d'une industrie: (1) «l'imprévu» consitant au succèsimprévu d'un produit ou d'un service, à l'échec inattendu signalant unchangement en profondeur et à l'événement extérieur inopiné ouvrant la voieà de nouvelles opportunités; (2) «les contradictions» entre la réalité et ce quel'on croit qu'elle devrait être. En prenant conscience de l'instabilité créée parles contradictions dans les phénomènes sociaux et économiques d'une

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Type densque

Nature del'action

FortFaibleFortFaibleFortFaibleFortFaible

DéveloppementDéveloppementFonctionnementFonctionnementDéveloppementDéveloppementFonctionnementFonctionnement

opportunités

industrie, l'entrepreneur est en mesure d'exploiter des opportunités demanière simple et efficace; (3) «les besoins structurels» décelables àrintérieur d'une affaire, d'une industrie ou d'un service. La méthode consisteà combler une faiblesse soit en perfectionnant une idée, soit en apportant le«chaînon manquant»; (4) «les structures industrielles et commerciales» àpremière vue stables mais étant en réalité très fragiles. L'entrepreneur saisitles changements structurels d'un secteur et en tire avantage. Il peut être à lafois un agent de changement faisant partie de l'industrie ou un observateur enquête d'opportunités provenant de rextérieur de rindustrie.

Le second groupe de sources d'innovation concerne les changements qui ontlieu à l'extérieur de l'entreprise ou de l'industrie: (5) « la démographie»permettant de prévoir la nature et la qualité des produits et lescaractéristiques des acheteurs. Parmi les sources d'innovation, il s'agit de laplus facile à saisir et de la plus sûre; (6) «les changements de perception»des individus d'un groupe ou d'une société. L'entrepreneur cherche à prévoirles effets et à être le premier à tirer profit d'un changement de perceptiondurable. Le danger est d'investir de nombreuses ressources dansl'exploitation d'un phénomène éphémère; (7) «les connaissances nouvelles»pouvant être de nature scientifique, technique ou sociale. L'entrepreneur doitassurer la réceptivité et le cycle de vie des innovations issues de cette source.

Les sources d'innovations de Drucker s'appliquent à l'action de créer unproduit ou une entreprise. Cependant, cette liste pennet de situer l'innovationuniquement dans un contexte d'affaires (physiologie de l'entreprise) sanstenir compte des spécificités politiques et sociales de l'environnement.Transposées dans un contexte d'immigration, les septs sources d'innovationne peuvent servir qu'à expliquer l'innovation à l'intérieur dlune entreprise,d'un secteur ou d'un groupe éthnique donné. Une perspective plus globale dela description du processus de création d'entreprises ethniques ne saurait êtrecomplète sans inclure les caractéristiques spécifiques de la société d'accueil,les conditions des marchés ethniques et non ethniques, et les secteurs laissésvacants par la société d'accueil (hypothèse de l'enclave).

3.1.2.1 Les caractéristiques de la société d'accueil

Pour un immigrant, chaque pays possède une structure d'opportunitésdistincte. Souvent, c'est l'attrait des caractéristiques juridiques, économiqueset sociales du pays d'accueil qui motiveront le choix de l'immigrant. À titred'exemple, à la question concernant les facteurs qui attirent les immigrantsaux États-Unis, Portes et Rumbaut (1990) identifient deux éléments majeurs:(1) les États-Unis sont la source de la culture moderne mondiale (le rêveaméricain) et (2) le processus de diffusion de cette culture laisse croire à des

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opportunités ne se retrouvant pas dans le pays dtorigine. Donc, une desraisons pour laquelle une personne immigrera est «la différence entre sesaspirations et ses attentes et les chances de rencontrer celles-ci dans sonpays d'origine».

Normalement, le premier contact de l'immigrant avec sa terre d'accueils'effectue à travers les politiques gouvernementales d'intégration faisantpartie du cadre légal d'immigration. Portes et Rumbaut (1990) identifienttrois options possibles relatives à l'attitude face aux groupes ethniques: (1)l'exclusion, poussant les immigrants vers une existence sou-terraine (2)l'acceptation passive ou (3) l'encouragement actif. On note des différencesmarquées entre les politiques gouvernementales d'un pays à l'autre, surtoutsur le plan de l'assistance économique (Waldinger et autres, 1990). Certainspays comme les États~Unis et la grande Bretagne ont introduit desprogrammes de création d'entreprises pour les immigrants mais leurs impactsse sont avérés négligeables. Des pays comme l'AUemagne de l'ouest, laHollande, la France et beaucoup d'autres pays d'Europe n'auraient aucunprogramme favorisant la création d'entreprises. Par contre, Au Canada, laprovince de Québec tente de jouer un tôle beaucoup plus actif sur le plan del'intégration de ses minorités.

Afin de mieux saisir le rôle des caractéristiques de la société d'accueil,com]?arons le contexte d'immigration québécois avec celui des américains.Les États-Unis ont adopté une attitude passive vis-à-vis leurs immigrants; lespolitiques gouvernementales ne visent pas J'intégration des minorités et lesefforts d'admission se limitent souvent à la sélection des réfugiés politiques.Toutefois, en 1990, les États-Unis ont haussé leur niveau d'immigration dansle but d'augmenter la main-d'oeuvre qualifiée permettant l'accès del'industrie américaine aux nouvelles technologies (Kelly, 1992).

Malgré une politique de drainage des cervaux étrangers~ les programmesaméricains de subventions à l'emploi sont pratiquement inexistants. Lesimmigrants sont donc poussés vers leur propre groupe ethnique pour obtenirles ressources nécessaires pour leur intégration à la vie économique. De cettefaçon, les États.Unis encouragent la création d'institutions ethniquesfournissant l'assistance aux membres de la communauté et assurant lapromotion de leur groupe à l'intérieur de la société américaine. C'est donc àjuste titre que les juifs, les chinois et les arméniens américains représententdes segments de société isolés de la portion supérieure de la populationaméricaine. Ce fossé impose une barrière sociale, renforcée par laségrégation raciale, empêchant la circulation de biens et de services entre lesdifférents segments de la société. C'est la raison pour laquelle est apparu le

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concept de «middlemansocial entre les différents

Les orientations du gouvernement du Québec sont plus actives que celles desaméricains. Les objectifs du Québec se résument en «une langue commune,une pleine participation et des relations intercommunautaireshannonieuses». Cette prise de position a donné lieu à l'entente fédérale~provinciale du 27 décembre 1990 conférant au Québec des pouvoirs accrusen matière d'immigration et visant quatre objectifs: (1) un redressementdémographique; (2) une mise à contribution systématique des immigrantspour garantir la prospérité économique; (3) la pérennité du fait français; et(4) l'ouverture du Québec sur le monde. Ce que désire le Québec, c'est dedévelopper l'usage du français auprès des immigrants en accroissantl'accessibilité aux services dtapprentissage (connaissance et compréhensionde la société québécoise), en soutenant leur insertion socio~économique dansune perspective de régionalisation (intégration sur le marché du travail etégalité à l'emploi) et en tentant un rapprochement avec la majoritéquébécoise et atténuant ainsi les tensions intercommunautaires.

Dans une étude menée auprès de différents intervenants en matièred'immigration au Québec, une majorité de répondants refuse d'accepter ledéclin démographique du Québec prétextant qu'une telle situation aurait deseffets désastreux sur réconomie et sur le pouvoir politique du Québec ausein de la Confédération. En plus d'une forte croissance de l'immigration, cespersonnes préconisent, comme moyen d'accroître la population, la mise surpied d'une politique nataliste, une sélection sévère à l'entrée des nouveauxanivants et une réduction de l'émigration (Kelley, 1992).

L'attitude de la majorité des répondants est d'adopter une politique desélection sévère afin d'attirer les immigrants les plus utiles et éviter unecharge financière pour la collectivité et raugmentation des individusunilingues anglophones.

Sur le plan de la sélection d'immigrants, l'attitude canadienne s'approchesensiblement des résultats de l'enquête de Kelly (1992). Dans son rapport,l'Institut C.D. Howe rejette l'idée d'utiliser l'immigration pour rétablir ladémographie et recommande que le niveau annuel d'admission desimmigrants soit fixé à 150 000 plutôt qu'à 250 000. De plus, on suggère quele Canada soit plus sélectif en encourageant l'entrée de candidats possédantune meilleure instroction et une bonne fonnation. On propose également demoins insister sur des critères basés sur la famille, catégorie représentant40% du total actuel. Sur le plan économique, on affinne que l'immigration a

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minorities»segme

visant à faire le lien économique et:nts de société (Pyong-Gap, 1984).

un impact neutre sur une économie large comme celle du Canada (Stoffman,1993).

En définitive, les caractéristiques de la société d'accueil comprenant le cadrejuridique, les politiques d'immigration, les programmes d'emplois etl'attitude de la population face à l'immigration influencerontsubstantiellement les stratégies adoptées par les entrepreneurs. Il apparaîtévident qu'un entrepreneur immigrant opérant dans un environnementencourageant l'intégration économique des nouveaux arrivants ne profiterapas des mêmes opportunités que celui oeuvrant dans un milieu passif ouindifférent. L'entrepreneur immigrant aura donc avantage à bien étudier lescaractéristiques économiques, politiques et sociales de la société d'accueildans le but d'exploiter le maximum d'opportunités et de ressources offertespar celles-ci. En outre, les orientations prises par la société d'accueil aurontune influence directe sur une autre dimension importante de la structured'opportunités: les marchés ethniques et non ethniques.

3.1.2.2 Les marc~thniques et non eUmiQues

Waldinger et autres (1990) présentent quatre stages d'évolution d'uneentreprise ethnique en expansion: (1) le remplacement de la main-d1oeuvre(une grande concentration de la population ethnique et des petitesentreprises spécialisées offrant des biens et services (ghetto); (2) la nicheethnique (une population résidentielle concentrée et spécialisée dans unlarge éventail d'emplois et de types d)entreprises (ghetto); (3) «middlemanminority» (population résidentielle dispersée dans laquelle les entrepreneursoffrent un éventail étroit de biens et de services à des groupes différent desleurs); et (4) l'assimilation économique (une population ethnique largementdispersée avec des entrepreneurs offrant des produits typiques à la majoritéde la population).

Le premier marché avec lequel l'entrepreneur immigrant entre en contact estla plupart du temps celui de sa propre communauté. La «getthoisation» oul'enclave donne lieu à l'apparition de micro-sociétés possédant des besoinsspécifiques comme l'alimentation, les produits culturels, le logement et tousles services nécessaires à l'insertion des nouveaux membres dans lacommunauté ethnique et dans la société d'accueil.

L'immigration est aujourd'hui un phénomène concentré dans les grandesagglomérations urbaines. Portes et Rumbaut (1990) rapportent qu'en 1987,

;

71 % des 601,516 immigrants aux Etats-Unis se sont installés dans seulement

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six états: Californie (26.8%), New-York (19.0%), Floride (9.1), Texas(7.0%), New Jersey (5.1 %) et Illinois (4.3%). Plus près de nous, la ville deMontréal, de 1987 à 1991, a été le lieu de destination pour 90.4 % desimmigrants du Québec. Les immigrants choississent les grandes villes encroyant trouver des opportunités économiques immédiates et un climatfavorable d'accueil étant donné la présence d'un réseau concentré demembres de leur pays d'origine.

On retrouve donc des quartiers ethniques (ghetto) dans toutes les grandesvilles accueillant des immigrant~. Ces quartiers constituent la premièresource d'opportunités pour l'entrepreneur immigrant. Plusieurs étudesdémontrent que les immigrants ont tendance à s'installer dans les quartiersou des secteurs d'activités délaissés par les membres de la société d'accueil.Le processus est simple. Il se produit, petit à petit, une substitution de lapopulation et des entreprises d'un quartier ou d'un secteur par un groupe denouveaux arrivants. A "ec l'expansion industrielle, les entreprises locales sesont intéressées à un grand nombre de nouveaux secteurs. Délaissant lessecteurs moins rentables, elles ont ainsi favorisé leur substitution par desentreprises fondées par des immigrants. En outre, on observe également quedans plusieurs quartiers, les immigrants achètent des petites entreprises netrouvant pas preneur chez les enfants des propriétaires ayant été tenuséloignés de l'entreprise par leurs parents pour favoriser leur intégration dansune autre couche de la société.

La substitution donne lieu à une concentration de nouvelles entreprisespermettant la mise sur pied d'un réseau financier, la promotion du groupeethnique (Ex. les «Chinatown») et au développement d'une plate-formed'importation et d'exportation permettant une expansion vers les marchésnon ethniques. La subtitution peut également s'effectuer à travers la créationde manufactures embauchant en majorité une main-d'oeuvre ethnique. Ainsi,la localisation de la manufacture favorise la concentration de la populationautour de celle-ci et la création d'entreprises offrant des services de base àcette population (Waldinger et Al, 1990).

L'enclave n'est pas la seule source d'opportunités pour les immigrants.Plusieurs immigrants entrepreneurs, prenant conscience du potentield'expansion limité du marché ethnique, choissisent d'élargir leurs activités enutilisant les habiletés et l'expérience acquises sur le marché ethnique(Brenner et autres~ 1992; Waldinger et Al , 1990). Cette expansion steffectuesouvent en exploitant les besoins de la société d'accueil pour certainsproduits exotiques, les secteurs à faibles revenus laissés vacants par lesentreprises existantes et les marchés abandonnés ou non désservis par lesmembres de la société d'accueil. On assiste alors à l'émergence de

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«middleman minorities» qui sont moins visibles et dispersés dansl'agglomération occupée par la population qu'ils desservent. (Portes etRumbault, 1990). De telles activités peuvent servir de base à une expansionvers des marchés intennédiaires ou non ethniques.

De plus, les «middleman minorities» peuvent jouer un rôle important sur leplan de la stabilité sociale. À titre d'exemple, les services dans les ghettosnoirs de certaines villes américaines sont assurés par de petits commercantscoréens ou arabes. Ces entreprises existent en l'absence et avec labénédiction des grandes chaînes américaines, associées aux blancs, nepouvant opérer dans un quartier à prédominance noire. Ainsi, les entreprisesd'immigrants concentrées dans ces quartiers défavorisés des grandes villesassurent une certaine neutralité et pennettent de faire le pont entre deuxsegments opposés (blancs et noirs) de la société américaine.

Comme nous l'avons mentionné précédemment, la structure institutionnelleet sociale d'accueil est définie par les caractéristiques et les politiques dugouvernement de la société d'accueil et par les conditions du marché.Toutefois, le tableau ne saurait être complet sans y ajouter un dernierélément: les caractéristiques de la communauté ethnique de l'entrepreneurimmigrant.

3.1.3. Les caractéristiques du groupe ethnique

A la structure d'opportunités et aux qualités de l'entrepreneur, s'ajoutent lescaractéristiques du groupe ethnique. Malgré certaines caractéristiquesuniverselles inhérentes à la personnalité de l'entrepreneur, on ne peutescamoter la dimension culturelle rattachée au comportemententrepreneurial.

La mobilité limitée sur le plan de l'emploi, due au manque de connaissancede la langue locale, aux habiletés déficientes et à la discrimination poussesouvent les immigrants vers la création d'un emploi autonome. Enconséquence, les immigrants possédant un potentiel entrepreneurial tenterontdtexploiter au maximum les ressources disponibles dans leur environnement.Une de ces ressources essentielles est la communauté ethnique et lesconditions sociales, économiques et historiques qui s'y rattachent (Waldingeret autres, 1990).

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Pour Brenner et autres (l992)~ la mobilisation des ressources est intimementliée à la dynamique d'identité ethnique se définissant comme la différenceentre les catégories de gens possédant un sentiment d'appartenance à ungroupe ou à une structure sociale. En conséquence, «l'ethnicité est acquiselorsque les connexions des membres du groupe ethnique aident à établir desconcentrations distinctes occupationnelles, industrielles ou spatiales».

Selon les hypothèses avancées par Toulouse et Brenner (1990), la créationd'entreprises est le moyen de s'insérer dans la société d'accueil et uneréponse au sentiment d'isolement ou de rejet provoqué par celle-ci.Toutefois, concevoir le sentiment d'isolement dans une perspective psycho-sociale ne serait pas suffisant pour expliquer les réactions émotivesd'insécurité, d'inutilité sociale et d'ennui. La santé mentale de l'immigrantserait meilleure dans un contexte accueillant offrant soutien affectif, matérielet technique. La création d'entreprises à l'intérieur d'une communautéethnique constitue donc un moyen préliminaire à l'insertion dans la sociétéd'accueil en procurant un lien d'identification et un support. Toutefois, lacommunauté ethnique de référence joue un rôle plus large qu'un simpletremplin vers la société d'accueil. Elle pennet de faire face aux problèmesreliés à l'isolement culturel, socio-économique, psycho-social et politique(réfugiés) de l'immigrant (Bertot et Jacob, 1991). En conséquence, lacréation d'entreprises, réalisée dans un contexte de «gettoïsation», peut êtreégalement un moyen d'insertion dans sa propre communauté culturelle afinde répondre à des besoins de sécurité affective et d'identification ethnique etculturelle.

Chaque immigrant fait partie d'un groupe ethnique particulier. Aux Êtats-Unis par exemple, on retrouvera des concentrations ethniques supérieures àcelles du pays d'origine. La population mexicaine de Los Angeles est la plusélevée après celle des villes de Mexico, Monterrey et Guadalajara. LittleHavana de Miami est de la même dimension que son homonyme de Cuba etSanto Domingo est à peine plus importante que la communauté dominicainede New York. Toutefois, ce n'est pas le cas de toutes les communautésethniques. D'autres groupes tels les Européens de l'Ouest, les Indiens d'Asie,les Laotiens, les Argentins et les Brésiliens se retrouvent dispersés à traversle pays (portes et Rumbaut, 1990).

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Les immigrants s'installent donc dans les grandes agglomérations urbaines,et particulèrement dans les concentrations de leur groupe ethnique afin deprofiter des opportunités offertes par les marchés ethniques et non ethniques.Pour l'entreprise manufacturière, le quartier ethnique permet d'avoir unemain-d'oeuvre qualifiée et disponible à proximité de l'usine (Waldinger etautres, 1990). Pour l'entrepreneur, le quartier ethnique et en particulier leréseau familial permettra la création d'avantages compétitifs en exploitant lesressources offertes par une main-d'oeuvre bon marché et par l'accès au créditethnique.

Certaines études font état de différences entre les entrepreneurs immigrantsen milieu urbain et rural. On remarque que les entrepreneurs opérant dans lesagglomérations urbaines se concentrent dans le secteur des services,participent activement dans leur communauté ethnique et connaissent peu les

..services d'aide offerts par la société d'accueil. A l'inverse, les entrepreneursen milieu ruraux participent davantage à la vie communautaire de la sociétéd'accueil, sont plus informés des services d'aide et se retrouvent plus souventdans les secteurs manufacturier et commercial (Burgess,1986).

Toutefois~ peu importe l'endroit de résidence~ le réseau familial est à la basede la création de la majorité des petites entreprises ethniques. Centreprisepermet de maintenir des liens familiaux étroits~ de subvenir aux besoins desmembres de la famille et d'avoir accès à une main-d'oeuvre sûre et bonmarché et à du financement à un taux d'intérêts avantageux (Gold, S.d.).

Un autre élément à considérer dans l'étude des communautés ethniques estl'aspect historique rattaché à chacune. Les communautés établies depuislongtemps risquent de posséder des institutions et des liens sociaux mieuxstructurés que les communautés plus jeunes. À titre d'exemple, les sociétésjuives de prêts sans intérêt ont été fondées dans les années 1880. Cessociétés sont basées sur un concept religieux visant à favoriser les membresde la communauté aux prises avec des problèmes de pauvreté. Aujourd'hui,ces sociétés existent toujours et des programmes innovateurs fournissent deraide aux institutions, aux collèges, aux acheteurs de maison ou auxmembres de la communauté ayant besoin de fonds pour traverser despériodes difficiles (Tenenbaum, 1986).

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23

La communauté haitienne de Montréal présente une histoire différente.L'origine de la diaspora haïtienne de Montréal se situe dans les années 60.Les études mentionnent l'arrivée de deux vagues successives d'immigrants:une première vague d'avant 1970 composée d'une classe instruited'individus; et une deuxième vague d1après 1970 composée de gens pauvresmontrant des difficultés d'adaptation. Ces deux vagues ont donné lieu à unedichotomie provoquant de la suspiscion entre les membres de lacommunauté et un effet négatif sur la création d'un réseau ethnique d'aideefficace (Brenner et autres, 1992).

En conséquence, un réseau ethnique établi de longue date favorisera lamobilité de l'emploi, renforcera les liens entres les intervenants ethniques ounon ethniques, facilitera l'ascension de membres de la communauté vers leshautes sphères de la société d'accueil et permettra aux entrepreneurs d'avoiraccès à des ressources de valeur impossibles à obtenir à l'intérieur du réseauformel d'accueil.

Plusieurs études reconnaissent l'importance du contexte historique del'immigration dans le processus de création d1entreprises. Toutefois, on nesaurait négliger l'aspect culturel du groupe ethnique en termes de valeursindividuelles et sociales. En effet, un des avantages du réseau ethnique est depermettre à l'entrepreneur d'avoir accès à une main-d'oeuvre partageant lesmêmes valeurs que les siennes. De cette manière, on évite la création d'unedistance sociale entre les membres de l'organisation. Les schèmes de penséeétant partagés, l'administration ou l'entrepreneur est en mesure de prédire lesréactions des employés face aux décisions et aux politiques de l'entreprise(Waldinger et autres, 1990).

Les caractéristiques culturelles auront également une influence sur leprocessus de création dl entreprises d'une ethnie à l'autre. Conformément auxtravaux de Weber (1967), il Y a lieu de supposer que les croyances et lesvaleurs de chaque communauté ethnique donneront lieu à l'émergence d'un«idéal type» à connotation culturelle pouvant influencer le comportement decréation d'entreprises.

Des différences substantielles apparaissent relativement au taux de créationd'entreprises d'une ethnie à l'autre. Le tableau IV présente la proportion detravailleurs indépendants dans les divers groupes ethniques au Canada et auxÉtats-Unis. On remarquera qu'au Canada, les grecs et les juifs sont lesgroupes les plus entreprenants et possèdent un taux approximativement dehuit fois celui des phillipins (Dana, 1993).

Le succès d'un groupe ethnique dépendra des ressources fournies par lacommunauté (Toulouse et Brenner, 1988). Toutefois, certainescaractéristiques culturelles peuvent également influencer la proportion desentrepreneurs potentiels d'une communauté. À titre d'exemple~ chez leshaïtiens de Montréal, la création d'entreprises est valorisée uniquement pourles personnes incapables de se trouver ml emploi: «la création d'entreprisessignifie un avancement économique réservé principalement aux immigrantsnon~professionnels et il y a trop de risque pour un professionnel immigrantsde laisser son emploi pour créer une entreprise». En effet, les professionnelshaïtiens de la première vague (les années 1960 à 1970) ne rencontrent pas deproblèmes sur le marché de l'emploi. Par contre, leurs compatriotes de ladeuxième vague (les années post~ 1970), moins instruits, font davantage faceà des difficultés d'adaptation et ont recours à la création d'entreprises pouraméliorer leur sort. Même les croyances et les superstitions religieusespeuvent influer sur les comportements entrepreneuriaux. «L 'inlluence duvaudou peut également créer une méfiance des entrepreneurs. En effet, cesderniers ayant transporté leur croyances religieuse au pays, craignent queleurs compatriotes puissent utiliser la magie contre eux.» (Brenner etautres, 1992).

D'autre part, les traditions entrepreneuriales de certaines communautésfavorisent aussi la création d'entreprises. Dans l'étude de Brenner et Al(1992), les chinois faisant partie de réchantillon provenaient de milieuxculturels et de familles valorisant l'entrepreneuriat. Ce phénomèneexpliquerait l'utilisation des réseaux familiaux et ethniques comme sourcesde fmancement et de main-d'oeuvre par plusieurs entreprises.

En définitive, les caractéristiques entrepreneuriales des individus supposentque les entrepreneurs immigrants tireront le maximum de la structured'opportunités du pays d'accueil et des caractéristiques de leur communautéethnique. L'action ou la stratégie de l'immigrant émergera donc del'interaction entre les dimensions individuelle~ structurelle et culturelle.

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TableauProportion de travailleurs indépen

ethnoculturels (Auto-iden

AllemandsAsiatiques de l'Ouest/ArabesBritaniquesCanadiensChinoisColombiensCubainsDominicainsEquatoriensEspagnolsFinlandaisFrançaisGrecsHaitiensHollandaisHongroisIndo- PakistanaisIraniensItaliensJ amaicainsJaponais et CoréensJaponaisCoréensJuifsLatino-AméricainsLibanaisMexicainsNoirsPhilippinsPortuguaisPolonaisRussesScandinavesSyriensThèques/SlovaquesUkrainiensVietnamiensYougoslaves

Vietnamiens 10."Yougoslaves 71.4

Sources: Les travailleurs indépendants chez les ~rol.Q>es ethnoculturels du Canada: Faitssaillants, 1er rapport (Multiculturalisme Canada, mars 1986) et Frank A. Fratoe andRonald L. Meeks, usin .. lion s of U.S es o:r

Preliminary Report (Washington, .C.: Minority Business Development Agency, v.S.department of Commerce, june 1985, mimeographed), table 1,

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Tableau IVlrs indépendants dans les divers(Auto-identification p-dr 1,000)

groupes

Canada État-Unis

103.099.959.1

49.260.230.147.914.622.7

72.9

48.464.148.6

124.2 94.915.5

107.995.150.7 47.1

66.464.5

109.721.5

64.869.2

149.634.3

106.618.6

26.517.030.869.081.0

103.1

22.442.9

117.4

92.791.388.1

3.2. Les actions stratégiques de l'immigrant

Nous constatons que les entrepreneurs immigrants opèrent à l'intérieur d'unestructure d'opportunités et menaces constituée des caractéristiques de lasociété d'accueil, des marchés ethniques et nOD ethniques et descaractéristiques de leur groupe ethnique respectif. La question nousintéressant dans le présent chapitre concerne les décisions stratégiques prisesà l'intérieur de la structure institutionnelle et sociale d'accueil par unimmigrant possédant des caractéristiques personnelles le prédisposant à lacréation d'une entreprise.

Toutefois, avant d'aller plus loin, il y lieu de se demander s'il faut abordercette question de manière générale ou s'il serait préférable de dégager lesactions stratégiques des immigrants en tenant compte de la spécificité de

..chaque groupe ethnique. A cet effet, Walinger et Al (1990) mentionnent queles groupes ethniques semblent utiliser les mêmes stratégies et les mêmesressources socio-culturelles dans la résolution des problèmes d'entreprises.C'est ce qui ressort de plusieurs études indépendantes menées auprès de sept" .groupes d'entrepreneurs en Grande Bretagne, en France, aux Etats-Ums, enAllemagne de l'ouest, et en Hollande.

L'immigrant entrepreneur débarquant en sol étranger se trouve confronté àdeux défis majeurs (Walinger et Al, 1990). Le premier défi concernel'acquisition de l'information nécessaire à la survie et à Pintégration ennouvelle tetre d'accueil. Ce défi est d'autant plus difficile à relever pour lespersonnes ne parlant pas la langue locale. A cet effet, le réseau ethniquejouera un rôle de premier plan pour faciliter la communication entrel'immigrant et la société d'accueil. De plus, le réseau permettra au nouvelarrivant d'acquérir les connaissances et les habiletés nécessaires à la gestiond'une entreprise dans l'éventualité où celui-ci désire créer son propre emploi.

Le second défi touche directement la création d'une entreprise: obtention ducapital nécessaire à la création et à la survie de l'entreprise; recrutement de lamain-d'oeuvre; gestion des relations de l'entreprise avec les clients et lesfournisseurs; actions à prendre vis-à-vis la compétition; et protection contrel'action politique d'agents hostiles à leur groupe ethnique et à leur entreprise.

Pour relever ces défis, la littérature identifie deux routes possibles sloffTant àrimmigrant désirant s'intégrer dans la vie sociale, économique et politique dela société d'accueil: la route du salarié et la route de l'entrepreneuriatindépendant. En fonction de ses motivations, de ses connaissances et de ses

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ressources, l'immigrant choisira parmi ces deux voies celle qui lui pennettrad'atteindre ses objectifs personnels (Portes et Rumbaut, 1990).

3.2.1. La route du salarié

La route du salarié représente une avenue importante permettant auximmigrants d'acquérir un capital de départ et les habiletés nécessaires à lacréation d'une entreprise. Burgess (1986) souligne que les difficultéslinguistiques et financières sont des problèmes universels à chaque groupeethnique. De plus, citant le sociologue Franklin Frazier, Portes et Rumbaut(1990) affirment que « the art of buying and selling» est probablementl'obstacle majeur à l'entrepreneuriat. Les immigrants, ne possédant pas lesconnaissances nécessaires même s'ils détiennent le capital de départ pourfonder une entreprise, auront tendance à demeurer à salaire tant et aussilongtemps qu'ils nlauront pas acquis cette connaissance. Le travail dans uneentreprise existante permet ainsi de prendre contact avec les règles fonnelleset informelles d'affaires de la communauté dlaccueil et de créergraduellement un réseau à l'intérieur et à l'extérieur de leur communautéethnique.

En effet, on constate qu'une très forte proportion d'entrepreneurs travaillentdans des entreprises similaires ou dans l'entreprise familiale avant de créerleur propre entreprise (Burgess, 1986). En outre, une recherche québécoisemenée dans la région de l'Outaouais mentionne que la plupart des gensd'affaires participant à l'étude n'avaient pas de projet de création d'entreprisesà leur arrivée dans la région. Pour la moitié des répondants, il s'est écoulé enmoyenne huit (8) années entre leur arrivée et l'année de fondation de leurentreprise. On signale que le manque de ressources financières et laconnaissance insuffisante de la langue et du marché sont les éléments ayantconfiné temporairement les immigrants dans des emplois salariés (Québec,1993).

Les nouveaux arrivants étant une source de main-d'oeuvre bon marchélargement utilisée par les entreprises ethniques existantes, il n'est pasétonnant de constater que la communauté ethnique soit la pemière sourced'emplois pour ces individus. Les institutions ethniques en place et lesinfonnations véhiculées au cours des cérémonies ethniques (servicesreligieux, mariages, funérailles, etc.), constituent des sources qui pennettentà rimmigrant de se trouver un emploi dans sa communauté. En outre,l'immigrant travaillant dans une entreprise appartenant à un membre de songroupe ethnique sera en mesure de se donner une ligne de carrière et les

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connexions sociales nécessaire(Walinger et Al~ 1990).

Un hypothèse est avancée à l'effet que les échecs rencontrés par lesimmigrants sur le maché des salariés peuvent être les éléments déclencheursà la création d'une entreprise. À titre d'exemple, Brenner et autres (1992)soulignent que «timmigrant haïtien de seconde vague, pauvrement instruitet trouvant du travail dans des conditions précaires de l'industrie duvêtement et les industries légères, se dirigent vers l'entreprise pouraméliorer leur situation et pour rencontrer leur rêve d'une vie meilleure».Toutefois, nous croyons que l'immigrant cherchant à fuir l'exploitation et ladiscrimination devra préalablement posséder un potentiel entrepreneurial,une connaissance suffisante de la structure d'opportunités et une connexionsur un reseau d'affaires pour accéder à un emploi autonome.

En définitive, en fonction de ses capacités personnelles, de la structured1opportunités et des caractéristiques de son groupe ethnique, lesentrepreneurs effectueront des allers et retours entre le marché de l'emploisalarié et la création d'entreprises.

3.2.2. La route de l'entrepreneuriat

La plupart des recherches démontrent que la création d'entreprises ethniquesest centrée sur le réseau familial et intra-ethnique. «Le réseau de familleélargie ou le réseau ethnique est avantageux pour les raisons suivantes:nombre élevé d'investisseurs potentiels, source de main-d'oeuvre à un prixraisonnable~ source de support sodo-émotionnel, possibilité de travaillerdans sa langue maternelle» (Toulouse et Brenner, 1990). La présence d'unréseau familial sera également déterminante pour les immigrants désirantcréer une entreprise à rextérieur des grandes agglomérations urbaines(Québec, 1993). Les réseaux et les services d'aide gouvernementaux seronttrès peu utilisés par les entrepreneurs (Brenner, et autres, 1992) et onobservera une faible participation des entrepreneurs immigrants dans lesactivités des diverses associations de gens d'affaires de la société d'accueil(Québec, 1993).

Nous avons vu, dans la section précédente, que la route de remploi salariéest souvent une étape transitoire permettant racquisition du capital et desconnaissances nécessaires à la création d'une entreprise. Toutefois, ce n'estpas le cas de tous les individus. Certains immigrants, possèdent le capital et

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s à son ascention dans la hiérarchie sociale

le potentiel entrepreneurial avant leur migration3. D'autres obtiendront dufinancement grâce à des prêts obtenus à l'intérieur de leur communauté parl'intennédiaire d'institutions, de relations ou de la famille.

Le succès de plusieurs entreprises ethniques étant relié à de longues heuresde travail peu rémunérées, la principale source de main-d'oeuvre serasouvent constituée de la famille immédiate de l'entrepreneur (femme,enfants, famille élargie). Les autres sources disponibles seront lacommunauté elle-même et, pour l'entreprise se dirigeant vers les marchésnon-ethniques ( «middleman minorities»), les membres de la société d'accueil(Waldinger et autres, 1990; Toulouse et Brenner, 1990; Québec~ 1993).

Sur le plan stratégiquet l'entrepreneur ethnique utilisera sa personnalité afind'assurer une image publique permettant des relations efficaces avec lesautorités de la société d'accueil et les clients ethniques et Don ethniques. Deplust pour faire face à la compétition jntta-ethnique, certains entrepreneursutiliseront le mariage pour réaliser des alliances avec les famillescompétitives (Waldinger et autres, 1990).

Les activivités privilégiées par les entrepreneurs immigrants se retrouventprincipalement dans le secteur des services et du commerce de détail(Burgess, 1986; Québec 1993). Cette concentration serait due àl'investissement et aux exigences professionnelles peu élevées nécessaires àce genre d'entreprises. Ainsi, dans son action entrepreneuriale, l'entrepreneuraura tendance à donner la priorité au secteur d1activité plutôt qu'àl'emplacement de son entreprise (Toulouse et Brenner, 1990).

En outre, conformément à l'hypothèse de l'enclave, l'immigrant auratendance à se positionner dans les niches laissées vacantes par la sociétédtaccueil. À titre dt~xemple, la présence à Montréal d'une forte concentrationd'immigrants dans les secteurs du vêtement, de la bonneterie et du cuir

3 Au Canada~ les autorités ont mis sur pied un programme d'immigrants investisseursvisant la sélection d'immigrants potentiels sur ]a base de leur habilité à fournir un capitalde risque et humain à l'économie canadienne.

En vertu de ce programme, l'immigrant doit fournir un emploi à au moins un canadien(autre que lui-même ou un membre de sa famille) et être activement engagé dansl'administration au jour le jour de son entreprise. L'investisseur: l'immigrant doit investirun minimum de 250~OOO$-500,OOO$ bloqué pour une période de 3 à 5 ans. Lesspécifications relatives à la période varient pour encourager l'investissement dans lesprovinces désavantagées. ( Cariada, Kunin, 1991)

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s'expliquerait par la faible représentation des francophones dans ces secteurs.(Toulouse, 1979). Aux États-Unis, on retrouve de fortes concentrations degrecs dans le secteur des pizzeria, de coréens dans le commerce des fruits etlégumes, de soviétiques dans le taxi et d'arabes dans les épiceries(Tenenbaum, 1986).

On est souvent porté à croire que les entrepreneurs immigrants créentuniquement de petites entreprises dans des secteurs périphériques ou peuintéressants. Au contraire, on retrouvent, dans la littérature~ des tracesd'entreprises ethniques de toutes dimensions, dans tous les secteurs et danstous les marchés (Brenner et autres,1992; Waldinger et autres, 1990; Porteset Rumbaut~1990; Québec 1993).

On assiste donc à l'émergence d'entreprises ethniques adoptant soit un profilfamilial soit un profil PME. D'autre part, on retrouve, chez les autochtonesdu Canada des entreprises s.identifiant davantage à la communauté et servantde «véhicule prévilégié des synthèses culturelles nécessaires audéveloppement de la communauté, de moyen de préserver la spécificité et delutter contre l'assimilation à la culture blanche» (Bherer et autres, 1989).Dans ce genre d'organisation, les institutions communautaires tiennent unrôle principal dans le processus de développement économique etentrepreneurial. Chez les immigrants, on ne retrouve aucune trace de cettecatégorie d'entreprises dans la littérature. La question soulevée ici est desavoir si, en réalité, ce type d'entreprises est inexistant chez les groupesethniques ou si cette dimension aurait pu échapper ou être ignorée par leschercheurs.

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Conclusion

La revue de littérature a pennis d'explorer les principaux facteurs intervenantdans le phénomène de création d'entreprises ethniques. Le princiJ?al défi futde classer toutes les informations recueillies en cours d'analyse. A cet effet,les modèles de Toulouse et Brenner (1990) et de Waldinger (1990) ontfacilité le classement des différents éléments.

Nous constatons que toutes les études et tous les modèles répertoriés dans laprésente recherche s'inspirent principalement de trois approches de base: lesthéories structurelles mettant l'emphase sur les structures sociales, politiqueset économiques de la société d'accueil; les théories culturelles selon lequellesle milieu culturel et les valeurs s'y rattachant favorisent ou défavorisentl'émergence d'entrepreneurs. et les théories situationnelles s'intéressantparticulièrement aux relations des immigrants avec la société d'accueil(désavantage social). Deux groupes d'éléments majeurs ont été identifiésdans le processus de création d'entreprise par les immigrants: la structureinstitutionnelle et sociale d'accueil et les actions stratégiques.

Dlautre part, la revue de littérature montre que les recherches sur lesentrepreneurs immigrants ont pour la plupart été réalisées dans les grandesagglomérations métropolitaines. Malgré certains efforts de la part desorganismes gouvernementaux québécois pour contrer cette lacune, il seraitavantageux, pour l'avancement des connaissances, que l'on s'intéressentdavantage au phénomène de création d'entreprises en milieu régional...A cet effet, il y aurait lieu de vérifier certains éléments identifiés par lesauteurs ayant réalisé des recherches en milieu urbain. Dans plusieursrecherches, on dénote que les immigrants sont très peu branchés sur lesendroits pour obtenir l'information ou l'aide nécessaire au démarraged'entreprises. À titre d'exemple, dans leurs études sur les Chinois et lesHaïtiens de Montréal, Brenner Célas et Toulouse (1992) mentionnent que lesoctrois gouvernementaux pour la création d'entreprises ont été utilisés parseulement cinq Haïtiens et qu'aucun Chinois n'a profité de ces programmes.Il semblerait donc que les programmes pour la petite entreprises,

..spécialement en financement, n'atteignent pas la population immigrante. Acet effet, ils recommandent de reformuler ces programmes et posent desquestions sur l'utilité des programmes existants.

Sur le plan de la taille des entreprises, plusieurs études démontrent que lesimmigrants ne sont pas concentrés uniquement dans le secteur des petites

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entreprises. On trouve des entreprises de toutes dimensions dont plusieurs àl'extérieur de leur propre communauté. Il serait donc intéressant de connaîtrela taille et le marché des entreprises opérant en région.

En dernière analyse, afin d'aligner efficacement les résultats d'éventuellesrecherches sur le développement de programmes gouvernementaux decréation d'entreprises, certains auteurs recommandent d'utiliser desdéfinitions opérationnelles et conceptuelles partagées par les chercheurs etles intervenants gouvernementaux. On suggère également de définir lesfacteurs qui inflencent le succès dtun entrepreneur (succès défmit en termesd'événements spécifiques et mesurables comme les ventes brutes, le profitnet, les années en affaires, les parts de marché, les retour sur investissementou sur l'équité). En définitive, on croit que l'absence de consensus surl'identité de l'entrepreneur immigrant et sur ses fonctions peut donner lieu àdes politiques s'adressant à des individus autres que ceux ayant servi àalimenter leur élaboration. En conséquence, ces politiques risquent de ne pasatteindre les objectifs et les populations pour lesquels elles auront étéimplantées.

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