l’enseignement de l’histoire: des représentations naïves des adultes aux connaissances...

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L‘Enseignement de l’Histoire: Des Représentations Naïves des Adultes aux Connaissances Scolaires des Elèves Henri Moniot Université de Paris 7, France 1. Une situation mêlée 1.1 Y a-t-il des représentations naïves qui soient à la fois enfantines et historiques? L‘his- toire, c’est l’aménagement socialement organisé de d’imaginaire rétrospectif». C’est une éla- boration culturelle qui n’est que progressivement apprivoisée, ce n’est pas quelque chose dont la vie courante donne tôt quelque expérience. 1.2 Il n’est pas aisé, alors, d’observer et de conduire le passage de représentations naïves à des connaissances scolaires, si on joue à tant de jeux à la fois. 1.3 En pratique, l’enseignement de l’histoire aux enfants sert les enfants. Dans son prin- cipe et son existence, il sert les besoins des adultes - leurs besoins multiformes d’assurance ... Programmes, intentions directives, inquiétudes ... prennent souvent le tour d’une suite de paris sur les effets de l’histoire. Pour cerner le passage des représentations des enfants à leurs con- naissances scolaires historiques, il nous faut apprécier non pas les enjeux que les adultes y mettent, mais ceux que peuvent y trouver les élèves: deux registres entièrement différents. 1.4 Pouvons-nous au moins nous replier sur cette part de l’enseignement de l’histoire qui procède de l’histoire savante, et examiner le cheminement qui va des représentations qui meublent l’esprit, avant, aux connaissances scolaires construites dans certaines références de principe au savoir savant, dans quelquer homologie avec lui? Le terrain de nouveau se dérobe. La «science» historique n’est pas une science expéri- mentale. C’est une connaissance par traces, indirecte toujours, et c’est une connaissance par «modèle»: un double travail de configuration, narrative et structurelle qui apporte de l’intel- ligibilité en établissant des relations significatives et des enchainements. Mais cette activité modélisante est difficile à transmettre. Les configurations savantes seront plutôt reçues comme des propositions canoniques. Et les usages culturels, identitaires, idéologiques de l’histoire, et son plaisir, veulent qu’on succombe à l’illusion réaliste que secrètent les modèles, qui devien- nent de vrais acteurs historiques. 2. Les figures de la connaissance scolaire en histoire 2.1 La conformité simple. On souhaite que les élèves sachent le programme dans les formes et dans les termes attendus. La question des représentations préalables n’a pas lieu d’être posée. 2.2 La deuxième figure est fondée sur la fréquentation variée des savoirs scolaires. Son trait est le faible contrôle réel des opérations, qui sont abandonnées à l’élève, et largement assurées par des médiations extérieures. La consommation du récit historique suivra l’équi- pement sémantique et cognitif, les pentes affectives de l’élève et les propensions sociales et culturelles de son milieu, de son âge, de son groupe de pairs. L’enseignement de l’histoire nourrit et entretient ses représentations naïves, les accroit et les embellit, leur procure des ((fausses reconnaissances», les fait aussi mûrir et évoluer, et même, pourquoi pas, évoluer du côté du modèle proposé.

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Page 1: L’Enseignement de l’Histoire: Des Représentations Naïves des Adultes aux Connaissances Scolaires des Elèves

L‘Enseignement de l’Histoire: Des Représentations Naïves des Adultes aux Connaissances Scolaires des Elèves

Henri Moniot Université de Paris 7, France

1. Une situation mêlée

1.1 Y a-t-il des représentations naïves qui soient à la fois enfantines et historiques? L‘his- toire, c’est l’aménagement socialement organisé de d’imaginaire rétrospectif». C’est une éla- boration culturelle qui n’est que progressivement apprivoisée, ce n’est pas quelque chose dont la vie courante donne tôt quelque expérience.

1.2 Il n’est pas aisé, alors, d’observer et de conduire le passage de représentations naïves à des connaissances scolaires, si on joue à tant de jeux à la fois.

1.3 En pratique, l’enseignement de l’histoire aux enfants sert les enfants. Dans son prin- cipe et son existence, il sert les besoins des adultes - leurs besoins multiformes d’assurance ... Programmes, intentions directives, inquiétudes ... prennent souvent le tour d’une suite de paris sur les effets de l’histoire. Pour cerner le passage des représentations des enfants à leurs con- naissances scolaires historiques, il nous faut apprécier non pas les enjeux que les adultes y mettent, mais ceux que peuvent y trouver les élèves: deux registres entièrement différents.

1.4 Pouvons-nous au moins nous replier sur cette part de l’enseignement de l’histoire qui procède de l’histoire savante, et examiner le cheminement qui va des représentations qui meublent l’esprit, avant, aux connaissances scolaires construites dans certaines références de principe au savoir savant, dans quelquer homologie avec lui?

Le terrain de nouveau se dérobe. La «science» historique n’est pas une science expéri- mentale. C’est une connaissance par traces, indirecte toujours, et c’est une connaissance par «modèle»: un double travail de configuration, narrative et structurelle qui apporte de l’intel- ligibilité en établissant des relations significatives et des enchainements. Mais cette activité modélisante est difficile à transmettre. Les configurations savantes seront plutôt reçues comme des propositions canoniques. Et les usages culturels, identitaires, idéologiques de l’histoire, et son plaisir, veulent qu’on succombe à l’illusion réaliste que secrètent les modèles, qui devien- nent de vrais acteurs historiques.

2. Les figures de la connaissance scolaire en histoire

2.1 La conformité simple. On souhaite que les élèves sachent le programme dans les formes et dans les termes attendus. La question des représentations préalables n’a pas lieu d’être posée.

2.2 La deuxième figure est fondée sur la fréquentation variée des savoirs scolaires. Son trait est le faible contrôle réel des opérations, qui sont abandonnées à l’élève, et largement assurées par des médiations extérieures. La consommation du récit historique suivra l’équi- pement sémantique et cognitif, les pentes affectives de l’élève et les propensions sociales et culturelles de son milieu, de son âge, de son groupe de pairs. L’enseignement de l’histoire nourrit et entretient ses représentations naïves, les accroit et les embellit, leur procure des ((fausses reconnaissances», les fait aussi mûrir et évoluer, et même, pourquoi pas, évoluer du côté du modèle proposé.

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70 H. MONIOT

2.3 La troisième figure est celle d’une activité scolaire plus soigneusement gérée, organi- sée et vérifiée, qui prend l’histoire pour terrain de manoeuvre, mais qui n’est pas proprement historienne.

Ce sont toutes les occasions que l’histoire donne d’exercer une panoplie intellectuelle: exposer, rédiger, analyser, comparer, classer, observer, mettre en graphique, en tableau, en carte, trouver, puis dominer des informations ...

2.4 La quatrième figure est celle où l’on exerce à penser en histoire. Que peuvent en être les éléments?

- la distinction histoire (réalité)/fiction: exercices sur sa notion, sur ses signes, ses critères ... - l’histoire, une connaissance par traces, contrainte et contraignante: notion de documents, - notion de leur recherche puis de leur critique - l’histoire est récit, une mise en forme narrative - jeux sur les implications et les conditions de celle-ci, sur l’intelligibilité qu’elle apporte et qu’elle induit (effet de causalité). Configuration structurelle aussi, découpage des «faits», tissus de relations. Jeux de constructions et reconstructions,

- l’histoire est un faisceau, extensible, de domestications du temps, à des fins d’intelligence: le descendre, le remonter, le mettre entre parenthèses provisoires, dater pour ranger, met- tre en perspective, périodiser en fabriquant des entités, mesurer les durées différentielles et des ryîhmes, repérer des cycles ... c’est toujours une initiative et non une constatation.

- Apprivoiser des domaines où les idées de cause et d’effet renvoient à des mobiles, des conduites intentionnelles, des libertés, des acteurs ... et d’autres où elles renvoient à des champs de forces, des héritages, des processus sous-jacents aux volontés ... - apprivoiser le passé (et l’ailleurs, et le passé de l’ailleurs) sous les signes alternés du Même, de l’Autre, de l’Analogue. Jeux SUT l’individuel et le générai, le singulier et le répété, I’empa- thie (ie passé comme si on y était) et la distanciation

- jeux sur les valeurs, toujours présentes dans un discours historique, normales donc et non scandaleuses; jeux sur leurs impiications, et sur celles d’une substitution de valeurs

- conscience des deux pôles complices et rivaux d’une histoire critique et d’une histoire affective, identitaire, intériorisée - toutes deux légitimes et nécessaires - entrainer à les reconnaître pour ce qu’elles sont et à en pratiquer les deux parcours.

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