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1 LEKO LA RAVINE N° SPECIAL Août 2019 0,50 cts version papier « Lantant Kréol »: 22 rue de la Maternelle—97400 Saint Denis Jo du 04/05/19 N° 01655 « Nous avons subis la déportation et la Transplantation, Il ny a pas dautres mots » Le Récit de Jean Marie

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L’EKO LA RAVINE N° SPECIAL Août 2019 0,50 cts version papier

« Lantant Kréol »: 22 rue de la Maternelle—97400 Saint Denis

Jo du 04/05/19 N° 01655

« Nous avons subis la déportation et la

Transplantation, Il n’y a pas d’autres mots »

Le Récit de

Jean Marie

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Jean Marie, du nom de Jean Philippe, y force l’admiration. In ga la kour kom on dit et bien plus que ça. Pou mwin, lespri maron la projète a li en guerié des temps modernes. Li lé in rézistan de la première heure, in concentré d’énergie. Noute Alain Peters noré dit : « la rozé pran pa su li », mwin mi diré : « malang(*) » y pran pa su li, malgré ke li la fé inpé lo kouyon dan son zèn tan. Son parcours lé à prendre en exemple pou toute lo pèp réyoné, é y transcende nout listwar. Mwin la été frapé bien sûr par son trajectoire. E mi di ke na dé signe ki tromp pa. Jean Marie y habite dan lé O de Sin Dni, inpé an maronaz. Pou ariv son kaz,y fo pass par in santié aksidanté. Dan se landroi, nana la végétation sauvage, la ravine, la falaise, nana payanké, papang.. De son kaz li voit la

ville an ba, li voit la mer à perte de vue, li voit la piste Gillot, ousa li la dékol pou la Frans à l’âge de 11 ans é li voit lavyon ariv toulézour an poundiak. Li noré pu finir dann shemin, sou in pont, buvèr d rak, oublié, rayé des listes, suicidé… kom deutrwa « transplantés ». Son linstin la surrman sov a li. Na dé foi kan la vi lé dur, kan ou gin-ye koud kon-ye, la mèm ou rolèv la tèt. Si zom-fanm la touf son lonèr, listwar va rann a li son dinité.

(*la salté) G. AH-TIANE

PADPORT

l'Histoire de la Réunion prend sa source dans l'esclavage, son aboli-tion et l'engagisme mais pour moi, l'identité réunionnaise s'est créée avec l'arrivée de Michel Debré dans les années 60. Quand Debré arrive à la Réunion pour la députation, il met Mlle Payet et M. Barthe (un Métro) à la tête de sa politique d’émigration. Celui-ci deviendra le DDASS (Directeur Départemental de l’Assistance Sanitaire et Sociale) de la Réu-nion et plus tard en sera celui de la Creuse, ce qui facilitera les « transferts ». Le BUMIDOM (Bureau des Migrations des DOM) enclenchera le transfert de mil-liers d’Enfants, d’individus, et de familles vers la Métropole. Debré est très pris par les élections qui arrivent. Soucieux à la fois de la démographie galopante réu-nionnaise et de la désertification de certains Départements de l’Hexagone, il met-tra toute son énergie dans ces transferts même lorsqu’il subira critiques et foudres du PCR et de certains établissements de Métropole. De fait le Bumidom sera étroitement lié à la DDASS Réunion et le CNARM (Comité National d’Accueil des Réunionnais de métropole), qu’il a aussi crée en 1965 et dont il fût un temps le Président. Les assistantes sociales locales, les établissements spécialisés comme l’APEP et l’APECA, la Préfecture et des DDASS de Métropole seront associés à cette politique. Le Département de la Creuse a concentré la plus grande partie des »Pupilles » de la Réunion, mais de nombreux autres départements ont été «sollicités » et ont accueillis des jeunes réunionnais en Métropole.

L’APEP (Association des Pupilles de l’Ecole Publique)

A 9 ans j’étais un enfant un peu agité. J’habitais ruelle Vauban à Saint Denis dans les cases Apavou. J’étais l’aîné d’une famille de 6 enfants (4 sœurs et un frère) J’ai été initié à la religion Malabar par ma Mère qui était coutu-rière. J’allais à l’Ecole Bellon (actuel Lycée Leconte de Lisle, où je donnais des cours de guitare lorsque j’étais revenu à la Réunion). Un jour, on me vole mon cartable et je ne voulais pas rentrer à la maison car je savais qu’on allait me punir sévèrement. Je me rappelle avoir pris ma petite sœur et partir ensembles au Barachois. On y est resté jusqu’à ce que le garde champêtre qui avait été alerté est venu nous chercher à minuit pour nous ramener à la maison. Un peu après l’assistante sociale vient faire une enquête et commence à sermonner mes parents en me décrivant comme un fu-tur délinquant. Mon Père avait un « camion Berliet » et il était mécanicien. C’était la mode des scoubidous. Je lui avais demandé de l’argent pour en acheter et il a refusé. Un jour qu’il était parti au Port, j’en profites pour monter à l’avant du Berliet et je vois pleins de fils de couleur sous le tableau de bord. Qu’est-ce que je fais ? je prends le gros ciseaux de couture de ma Mère et tchak ! je les coupe pour en faire un scoubidou. A son retour, il a vu rouge et a tout de suite compris que c’était moi le fautif, vous imaginez la suite… Quelques mois après, mon destin va basculer. Ma Mère me demande comme d’habitude d’aller « charoye do lo » pour faire cuire le riz. Je prends le chemin Bois de Nèfles jus-qu’à la fontaine qui se trouvait vers le Jardin de l’Etat avec mes deux « bacs ». Là, le petit Gravina m’attendait et il me lance un galet, paf ! Je me dis que si je ne ramène pas l’eau rapidement à la maison j’allais encore déguster avec ma Mère: à genoux su grain filaos et in gro roche sur la tête. Sans réfléchir, je reprends le galet et le lance vers le petit Gra-vina pour le faire fuir, et là, une vieille dame qui passait se prend le galet à la tête et tombe par terre ! je prends aussitôt la fuite, croyant qu’elle était morte.

UNE ENFANCE DIFFICILE

MA VIE BASCULE EN ALLANT CHERCHER DE L’EAU POUR MA MERE

Jean Marie à 17 ans

Michel Debré en campagne en 1963

(Photo collection privée)

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2CV GRISE ET GARDE CHAMPETRE: L’AUTO ROUGE!

Je rentre vite à la maison et au bout de quelques heures, l’assistante sociale Mme Payet, arrive avec son ti 2CV gris accompagnée du garde champêtre. Mon Père était en prison à cette époque et ils n’ont eu aucun mal de-vant ma Mère pour m’arracher et me placer en foyer à l’APEP à Hell Bourg.

Pour la petite histoire, kosa y lé l’auto rouge et l’auto noir ? C’est une dame qui me la racontée : elle avait envoyé sa petite fille chercher des commissions à la boutique chinois du quartier. En revenant, une assistante so-ciale dans son 2CV, l’arrête : Qu’est que tu viens de faire à la boutique ? « oui, maman la anvoy a moin acheté des commissions ». Et la bouteille rhum là, c’est pour qui? « ça c’est pour Papa », et maman ou papa y tape a ou ? : »oui, des fois y donne a moin des claques ». A ce moment-là, ils enclenchent la procédure, ils raccompagnent l’enfant chez lui, signifient aux parents qu’ils prennent le petit pour le soustraire à leurs maltraitances et les menacent d’en prendre un deuxième s’ils rouspètent. A l’époque on avait une peur bleue des gardes champêtres et des assistantes sociales et les gens qui fantasmaient sur l’auto rouge ne savaient pas toujours ce qui se passait réellement.

L’APEP à Hell Bourg, était prévu pour recevoir 80 marmailles mais ils en prenait jusqu'à 250. Au lendemain de l’arrivée, on nous mettait en rond pour juger de nos capacités physiques et mentales. Moi qui était assez gentil et enrobé-on m’appelait gros Philippe-, je me faisais tabasser par les autres (les cafres surtout). Un jour

j’en ai eu marre, j’ai voulu me faire pousser des « cheveux boulons » (très crépus) comme eux, pour être plus ré-sistant aux coups.

On rigolait parfois, mais la réalité était bien plus triste et cruelle. On s’est fait violer plusieurs fois par tout l’établissement, par les moniteurs, le directeur…On n’avait aucun moyen de se défendre. On ne retrouvera plus au-cune trace de la plupart de ces protagonistes par la suite. Et jamais aucune action n’aura été intentée contre eux.

J’avais appris plus tard, qu’un de mes camarades qui habite à St André actuellement, habitait à quelques cen-taines de mètres de son violeur. Celui-ci n’a jamais été inquiété.

Il m'arrivait de « vol chemin » depuis l'APEP à Hell bourg, pour revenir sur St Denis à pied, j'étais aidé par M. Te-cher (celui qui tient l'Ashram du Por t) et quand j'ar r ivais devant la Maison des Parents, il y avait déjà le garde champêtre qui m'attendait, il me ramenait aussitôt à Hell Bourg.

On était plusieurs à donner notre goûter ou tout ce qu'on avait à Jean Maurice Prudent (un grand gaillard) pour qu'il nous protège parce qu’on avait peur des moniteurs qui « abusaient » de nous. Un autre souvenir qu’on oublie pas, un des moniteurs un jour avait placé le pti Sinaman, un enfant de 9 ans (peut-être

pour rigoler) dans un bassin dlo rempli de nénuphars et de crapeaux avec un « berger allemand ». Celui-là a dû être traumatisé à vie. (voir photo plus bas)

On nous demandait : qui veut aller en France ? Sak té y lèv le doigt, on les emmenait dans la maison créole de M. Boyer qui était un peu à l'écart du bâtiment principal. Là, on nous passait des films sur la France, Bob Morane, la tour Eiffel… C'était un conditionnement moral. On choisissait en priorité des clairs de peau comme moi, les plus foncés venaient en dernier pour com-bler le groupe quand il restait de la place. Et là commençait le mensonge, on nous faisait croire que seuls les Enfants qui travail-laient bien en classe pouvaient partir. Les « agents » du Bumidom allaient voir ensuite nos parents en leur disant que nous étions brillants et donc il fallait qu’on parte apprendre je ne sais quel métier pour devenir quelqu’un d’important en France : Genre doc-teur ou aviateur... Quel parent pouvait résister à l'envie de voir son Enfant réussir et revenir les sauver de la misère ?

La Maman ou le Papa, qu'est qu'ils faisaient ? eh Ben il ou elle mettait « l'empreinte de son pouce » au bas de la feuille. A partir de là, il était impossible de revenir en ar- rière. On prenait l'enfant un point c'est tout. Nous étions devenus Pu- pilles de l’Etat. Et pour les récalci-trants, il y avait « l'auto rouge » qui venait kidnapper l’Enfant, même dans la rue. Ce n'était pas une lé- gende ! Quand on était gamin, on

jouait à se faire peur : l’auto rouge ! l’auto rouge ! On courait dans tous les sens se ca- cher. On nous faisait croire que l'auto rouge venait capturer des enfants et leur arrachait le coeur (version film d'horreur). En fait si les Parents avaient « signés » et se rétractaient en- suite, on enlevait l’enfant de force et on ne le revoyait plus. On était considéré comme de la mauvaise herbe Peï qu'il fallait faire partir. Quand tu faisais une bêtise, tu étais tout de suite cata-logué comme un futur délinquant et tu devenait un candidat au départ, qu'il fallait « lessiver » en France. Tous les moyens étaient bons pour persuader les familles pauvres, qu’il fallait faire partir leurs Enfants et de partir aussi avec eux selon les besoins qui s'exprimaient en main d'oeuvre de l'autre côté de la mer. J’ai donc été « transplanté » en France à l’âge de 11 ans, en Octobre 1966

« Pélérinage « à l’APEP en 2002

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J’étais « affecté » dans la Creuse, non pas dans une famille d’accueil, mais chez la gardienne de cette famille. J’ai été mis dans une boulangerie à travailler tous les jours à partir de 3 heures du matin. Je faisais des tâches ménagères chez la gardienne, préparais la soupe, coupais le bois… je n’ai durant toutes ces années, reçu aucune cor-respondance de ma famille, toutes les lettres étaient interceptées par les assistantes sociales et ça je l’avais appris à mon retour dans l’Ile par ma Mère.

On éparpillait des frères et sœurs de la même famille à des dizaines de kilomètres de distance. Il nous était in-terdit remettre les pieds à la Réunion. Quand vous êtes estampillé « Pupille de l'Etat », vous appar tenez à l’État. Et tous autant que nous sommes, avions subis ce traumatisme

Un jour on m’a demandé si j’étais baptisé, je ne savais trop quoi répondre, je leur ai dit avoir suivi des cérémo-nies « malbar » avec ma Mère. Il me semblait que c’était un peu comme un baptême. Ils n’ont pas cherché plus loin,

ni fait aucune enquête auprès du Diocèse à la Réunion. Du coup je suis en possession maintenant de 2 actes de baptêmes. (Ça, je l’avais découvert dans mon dossier, bien plus tard)

Après je me retrouvait dans des situations qui relevaient de la fiction. J’étais traité comme une mar-chandise, une monnaie d’échange, un passe-partout à tout faire, à satisfaire les maîtres. Même clair de peau j’étais considéré comme un nègre, sans âme, sans aucune personnalité. Comment peut-on construire son enfance, son adolescence ?

De mon « séjour » dans la Creuse, je n’y ai fait que 2 années scolaires et à 17 ans je fais un devancement d’appel pour faire mon service militaire, ce qui a été pour moi une délivrance.

les Bumidoms Juniors (une affaire dans l’affaire)

Les Bumidom Ju- niors ont fait partie d’un des volets de la politique migra-toire. Ils étaient as- sez méconnus du public. Il était ques- tion à l’époque de faire partir le maxi- mum de jeunes. Stratégie et prémédi- tation, le subterfuge était d’offrir des bil- lets d'avion aux pa-rents, qui de fait se retrouvaient seuls responsables du dé- part de leurs en-fants. Il s'agissait de mineurs de 15-17 ans. Ces jeunes for- cément n'ont pas été comptabilisés dans les 2500 qu'on a recensé comme fai- sant partie des En-fants déracinés (dans la Creuse et les autres départements). On mesure ici, l'ampleur des dégâts et le mensonge d’État. Ces jeunes, on les appelait les « Bumidom ju- niors ». Mais ça n'a pas concerné que des Jeunes, des familles entières partaient en France en regroupe-ment par ce biais. Il est possible que ces contingents soient plus importants que les nôtres. Il est probable que Calteau et Pitou, des bumidoms juniors de l’association « génération brisée », aient un point de vue différent sur ces « déplacements » forcés. Dans les faits, comment ça se passait ? Les instigateurs mettaient en scène des installations réussies en Métropole. Ils accompa-gnaient avec une attention particulière un certain nombre de familles et s'en servaient comme modèles pour les sceptiques. Il faut distinguer ces contingents de ceux et celles qui partaient de leur plein gré et qui étaient eux aussi pris en charge par le BUMI-DOM.

Mais cette partie de l'histoire a été occultée. Aucun journaliste ni autre personne n'a fait écho à cette affaire dans l'affaire des Enfants déracinés et ceux de la Creuse.

En 1975, Pierre Denoix, Pr de Médecine, Directeur Général de la Santé, proche de Simone Veil, écr it au Préfet de la Réunion. Alerté par des remontées successives d’établissements de santé faisant état de cas de traumatismes d’Enfants ou d’adolescents réunionnais, il demande l’arrêt des « transfert » de ces jeunes vers la Métropole. Ces établissements demandaient depuis quelques années le « rapatriement de certains cas difficiles à la Réunion sans succès. Ils finirent par imposer le retour de certains pupilles. Michel Debré répondra au Pr Denoix directement par lettre lui annonçant une fin de non-recevoir en mettant directement en cause l’equipe de psychiatres qui appuyait ses conclusions et recommandations.

LA CREUSE ET LES BUMIDOMS JUNIORS

Photo d’une classe dans la Creuse où on voit le petit Martial 2è à partir de la droite au premier rang

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LE CHOC DE LA DECOUVERTE DE MON DOSSIER

Je suis rentré en 87 à la Réunion, après que ma sœur m’ait retrouvé. Mon Père est décédé un an après dans l’alcool. je travaillais et me posait souvent la question de savoir ce qui c'était passé. Je n’ai pu faire le lien entre mon histoire personnelle et celle dite des « Enfants de la Creuse », que lorsque je prends connaissance de « mon dossier » à la DDASS. Ni ma Mère, ni mon Père n’étaient au courant des dessous de l'affaire. Ils croyaient depuis toujours, que j'étais aviateur, ou un grand professeur en France. Il y avait une sorte de tabou sur toute cette histoire, on a peu échangé avec ma Mère. Il y a eu beaucoup d’incompréhension au départ, de la méfiance aussi venant de mes Sœurs et Frère. C’est là que j’ai su que mes parents m’avaient écrit, avaient fait des recherches, sollicités les assistantes sociales pour avoir de mes nouvelles, tout ça fût passé sous silence. Mes parents se sont sentis coupables quelque part mais personne ne voulait en parler.

Jean Paul Laborde, me reprochait d’être un peu trop médiatique. Il me dit : oui, on ne voit que toi à la té-lé, pourquoi pas nous? Ce genre de tension a fini par semer la division au sein de mon association, Rasinn Anlèr. Il crée alors son association « Génération brisée » qui plus tar d aura son siège en Métropole, après que 2 dir igeants de cette structure décèdent (José Cotché et Alain Nourry) elle est reprise en Métropole par Jean Charles Pitou qui en est maintenant le Président. Pitou et Calteau, ne comprennent pas non plus pourquoi je suis sous les projecteurs et pas

eux. En 1995, avec d’anciens camarades, on fait un pélérinage à Hell Bourg, revisiter les lieux.

En 1997, je vois par hasard, lors d'une émission de RFO à la télé : Jean Maurice Prudent, un camarade qui faisait par-tie du « cercle des amitiés créoles » dans la Creuse, avec Jean Pierre Moutoulatchimy. A l'époque, ils étaient des personnes à risque pour leurs parents et pour eux-mêmes. Ils étaient placés comme moi à l'APEP Je contacte RFO et on me dit que c'est Jean François Télégone qu'il faut aller voir, un psychologue diligenté par le Conseil Général, qui s’occupe de faire le point sur des Enfants réunionnais qui seraient dans des hôpitaux psychia-trique dans la Creuse. Et qu'il travaille au sein de l'association « lieu-dit ». Je me rends au siège de cette association, et c'est là que je découvre mon histoire !

Jean François Télégone me dit : mais tu as un dossier de l'assistance sociale ! Tu peux aller le demander ! Quinze jours après j'y vais et réclame mon dossier, que j’ai eu finalement en 2002, soit 5 ans après. En fait c’était un peu de ma faute si ça a pris du temps car je craignais découvrir un passé surprenant et honteux. Et nous étions nombreux à

avoir peur. En même temps en 97, je vois à la télé une délégation creusoise qui arrive à Gillot. Leurs voyages étaient financés par le Conseil Général de la Réunion et celui de la Creuse. Ils étaient une centaine venue accompagner un groupe d’Enfants « déracinés ». A l'époque je commençais à remuer les choses, j'étais indésirable pour le cercle des « administratifs ». J'ai été surpris de ne pas avoir été invité à l'Aéroport, certainement parce que je dérangeais. Quand j'ai vu ça, j'ai immédiatement fermé mon restaurant et je suis parti à leur rencontre!

J’ai quand même par la suite contribué à « verser » documents et témoignages à la presse après que Jean Jacques Mar-tial ai révélé l’affaire par son procès contre l’Etat. La plupart des rapports qui ont été rédigés se sont basés sur mes re-cherches et documents. J’ai pu petit à petit, reconstituer notre histoire commune.

Les dossiers de la DASS

Pendant longtemps nos dossiers conservés aux archives départementales, étaient inaccessibles. Certains d’ailleurs étaient à moitié brûlés, on nous avait dit que c'était suite à un incendie dans des bureaux en bas de St François. En 2002, j'avais persuadé des camarades (une dizaine, dont Alain Nourry, Jean Paul Laborde…) d'aller retirer nos dos-siers aux archives et là, toute la presse était venue. Il y avait Christian Anicet de RFO, Radio Freedom, Témoi-gnages… le Conseil Général était paniqué.

Dans le dossier d'Alain Nourry, il est mentionné : « il est mis à l'écart parce qu'il ne participe pas aux ébats homosexuels de ses camarades »

Dans mon dossier, j’ai pu relever certaines anomalies et non des moindres. J’ai appris que ma Mère travaillait bien et qu’elle avait un bon salaire (ce qui était faux). J’avais un N° de matricule. Il était écrit de moi : « adaptation facile en Métropole, très attaché à la gardienne » certains documents ne sont pas signés, ce sont des dactylographies sans entête ni signature, ni cachet. Sur un des documents, figure la signature de ma Mère alors qu’elle ne savait pas écrire et n’avait jamais signé, sur un autre document daté de 1966, figurait la signature de mon Père qui était en prison… ces documents pour la plupart pour moi étaient des faux.

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RESPONSABILITE DE L’ETAT, DEMANDES DE REPARATIONS

Constitution des associations et de la Fédération

Mon association s'appelle « Rasinn Anlèr « (crée en 2001) et « Rasine Kaf », depuis 1997, est venue nous épauler. Depuis nous travaillons en collaboration.

Ça a créé quelques incompréhensions au début dans la tête des « déracinés » que nous étions. L'absence de communication entre nous durant ces longues années a fait que chacun avait un point de vue différent de notre histoire commune. Je crois aussi que certaines personnes sont parvenues à oublier et à faire la paix avec elles-mêmes. Mais la plupart pensaient avoir souffert plus que les autres, il y avait un certain rejet entre nous.

A partir de là, on m'a reproché de m'associer avec Rasine Kaf en disant que notre histoire ne pouvait pas être comprise par quiconque venant de l'extérieur. Il y avait une fracture et une méfiance envers les réunionnais restés dans l'île, ce qui était compréhensible par ailleurs. Il nous man-quait les clés pour comprendre : aucune vi-sibilité sur notre affiliation dans nos fa-milles d'accueil, nous étions « pupilles de l'Etat », non seulement déracinés mais transplantés en milieu hostile comme de la mauvaise herbe, pour la plupart.

Nous avons depuis, crée une Fédéra-tion en Métropole qui regroupe 4 associa-tions qui pour moi ne s'entendent pas vrai-ment.

La FEDD (Fédération des Déracinés des Doms) dont la Présidente est Mireille Ju-glaret est composée de « Génération Bri-sée », des « Réunionnais de la Creuse » dont le Président est Simon Ah Poi, de « Piment créole » et de « Rasine Anlèr ». Il y a eu une polémique sur cette présidente qui était une métro. En fait il était préférable que ça soit comme ça de notre point de vue pour éviter les tensions. Mireille Juglaret avait suc-cédé à Wilfrid Bertile. La FEDD a pour mission de représenter ses membres unitairement devant les autorités, mais elle n'avait pas les 5 ans d’existence requises pour « ester » en justice. Mon association, Racine Anlèr, qui est plus an-cienne, a cette capacité et s'est donnée comme objectif d'aller en justice au nom des membres de la Fédération. Nous demandons réparation à l’État français. On vient de mettre en place une cellule juridique, avec Maître Goburdhun.

Les actions et procédures

Jean Jacques Martial fût le premier à por ter plainte contre l’État en 2002 en demandant 1 Milliard d’€ de dommages pour "enlèvement et séquestration de mineur" et pour "rafle et déportation" . Il demandait aussi de re-prendre son Patronyme d’origine. Il a été débouté définitivement de sa demande mais a pu retrouver son nom de fa-mille original. Car on lui avait donné le nom de Barbey (nom de ses adoptants, dont le Père le violera par la suite) à l’âge de 3 ans. D’autres plaintes d’autres camarades ont suivies mais toutes seront classées sans suite.

On a entamé de notre côté après Jean Jacques, des procédures juridiques contre l’État mais il y a eu prescrip-tion quadriennale. Quand Jacques Chirac était Président de la République, il m'envoie en réponse une lettre, en me di-sant : Je ne connais pas cette affaire mais je vais diligenter deux inspecteurs là-dessus. En France quand une affaire comme celle-là est révélée, on a 4 ans pour déposer une plainte. Or, nous n'avons pas pu le faire dans les temps, puisque nos dossiers étaient bloqués par l’administration. De plus le rapport des 2 inspecteurs diligentés par le sommet de l’État aurait dû casser cette prescription. On s'est donc vu signifier une fin de non-recevoir auprès de la Cour de cassation qui maintenait la prescription quadriennale.

Quand on est parti devant la Cour européenne en 2008 (Nicolas Sarkozy était Président du Conseil européen), notre requête a été déboutée car ça allait faire jurisprudence pour tous les pays européens. Ainsi l’Espagne, l’Alle-magne et d’autres Pays de l’Union, avaient connus et cachaient aussi des faits de « mobilité forcée » condamnables, subies par leurs populations.

Délégation creusoise à Gillot en 1997—photo Journal de l’Ile Oct 97

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RESOLUTION MEMORIELLE, FÉVRIER 2014

Mais on repart au combat devant la cour européenne, cette fois-ci en tant qu'asso-ciation et avec de nouveaux éléments. Nous avons maintenant une lettre de soutien du Pré-sident Macron, nous avons les conclusions (en notre faveur) de la résolution présentée par Ericka Bareigts, députée socialiste qui nous a accompagné au niveau politique. Ce fût un travail gagnant-gagnant pour elle et pour nous. . Cette résolution mémorielle, a été votée en Fév 2014 à l’assemblée Nationale (présidée par Claude Bartolone). Elle mentionne que 1600 « pupilles » réunionnais ont été victimes d’une migration forcée par le Bumidom, orchestrée par Michel Debré.

« L'Assemblée nationale, [...] considérant que l'État se doit d'assurer à chacun, dans le res-pect de la vie privée des individus, l'accès à la mémoire ; Considérant que les enfants, tout particulièrement, doivent se voir garantir ce droit pour pouvoir se constituer en tant qu'adultes ; Considérant que dans le cas du placement des enfants réunionnais en métro-pole entre 1963 et 1982 ce droit a été insuffisamment protégé ;

1. Demande à ce que la connaissance historique de cette affaire soit approfondie et diffu-sée ;

2. Considère que l'État a manqué à sa responsabilité morale envers ces pupilles ;

3. Demande à ce que tout soit mis en oeuvre pour permettre aux ex-pupilles de reconstituer leur histoire personnelle. » (18 février 2014)

A ce moment-là, fait rare, les soutiens de Michel Debré qui étaient présents, nous ont ova-tionnés. Ce fût l’euphorie !

Actuellement un nouveau dossier porté par 54 individus est en cours.

Aujourd’hui, j’attends le dénouement, je sais que je n’aurai la paix que lorsque réparation aura été faite. Toute ma vie,

mon passé, tient dans les documents et les photos que j’ai récupéré.

Il appartient à l’histoire de me rendre ma dignité d’Homme.

Philippe Bessière est Prof d’Histoire-Géo à la retraite. Il a enseigné au Collège Albany à Ste Thérèse à la Possession, au lycée

Jean Hinglo au Port, et au Lycée Bellepierre. Il a co-écrit « Rasine anlèr, des enfants réunionnais déracinés » avec Jean Ma-

rie Jean Philippe – Ed. Rasine Kaf

Tout a démarré à l'initiative de Mme Hilaric qui a monté un projet pédagogique avec Jean-Philippe. Là avec ces élèves

de CAP, on étaient dans le dur de la disqualification et de la désespérance. Jean-Philippe a raconté son enfance et sa déportation.

Moi je complétais, pour une meilleure compréhension, les éléments du contexte et de l'histoire qu'ils n'avaient pas forcément,

tout en ayant le souci de ne pas couper son récit. Ensuite ils ont travaillé sur leur projet en notre absence. L'idée des deux ensei-

gnantes était de les persuader qu'ils avaient une chance d'étudier que n'avait pas eu Jean-Philippe.

Mais voilà ce qu'il s'est passé, que personne n'avait prévu, et à la seule initiative de Jean-Philippe. Lors de notre première

visite il avait apporté une guitare et il avait chanté "Ra-ra-ra-Rasine Kaf- Rasinn Anlèr". C'était poignant. Et puis on a été invité

au moment fatidique du dévoilement des résultats. Sur les 20 du groupe avec lequel nous avions travaillé, tous étaient reçus alors

que cette classe avait été précédemment stigmatisée. Il s'était passé quelque chose. Les enseignantes ont voulu faire témoigner

des élèves et des parents sur une vidéo.

Ce jour-là Jean-Philippe n'avait pas apporté sa guitare mais il avait préparé un poème. Avant de l'interpréter il demanda

si l'on savait ce que c'est un fonnkér. Personne ne le savait, même pas les enseignantes. Et il s'est mis à déclamer : "lavyon la té

volèr..." avant de chanter à toute voix sur l'air de la Marseillaise "Allons enfants de La Rényon ! "

J'espère qu'il restera des traces vidéos de tout ça. Pour moi c'est une preuve patente de la nécessité de mettre de toute ur-

gence du cœur dans l'école et avec lui du sens, du projet, de l'identité, bref du désir. Ces enfants ne sont pas désirés par l'Éduca-

tion Nationale, ils sont considérés comme des surnuméraires comme au temps de Jean-Philippe. Ils ne le sentent que trop.

Je reste admiratif de l'évolution de Jean-Philippe qui ne veut plus aujourd'hui susciter la pitié mais qui, toujours revendi-

catif, en appelle à la création, à la mobilisation de tous pour la défense de notre identité et de notre légitimité dans notre île. Il a

encore beaucoup à dire et à nous surprendre. J'espère que nous saurons le mettre en scène pour le meilleur.

INTERVENTION AU LYCEE PROFESSIONNEL LEPERVENCHE AU PORT

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BUMIDOM-ANT-CNARM

HISTORIQUE DE LA POLITIQUE MIGRATOIRE A LA REUNION

Le BUMIDOM (Bureau pour le développement des Migrations dans les DOM) crée en 1963 sous Michel Debré, sera

l’outil régulateur de la démographie galopante dans les Dom. Déjà en 1960, le Géographe architecte Defos Du Rau préconisait

pour la Réunion, une émigration « massive ». Tout d’abord, expédier 100000 réunionnais à Madagascar, envoyer des petits

blancs en Métropole pour repeupler les départements qui se vident et faire partir les jeunes, par le service militaire, la forma-

tion… Debré s’en inspirera et mettra sa politique en œuvre qui servira du coup à combler nombre de postes subalternes (boudés

par les français) dans les services publics ( hopitaux, la poste, Sncf, RATP…) des années 60 à nos jours. si aujourd’hui les postes

de la fonction publique attirent du monde, y compris les français de souche, à l’époque où il y avait pratiquement le plein emploi,

personne ne voulait entrer dans la fonction publique, du moins pas grand monde. Ce fût le destin de nombreux originaires des

DOM incités à partir. Et bien souvent ces personnes restèrent pour la plupart au bas de l’échelle de la fonction public tout

comme dans la société. Ce ne fût pas très difficile à mettre en œuvre. Michel Debré sous la coupe du Général De Gaulle, fût un

grand artisan et un bon communiquant de cette politique quitte à mentir aux réunionnais. De Gaulle pour sa venue à la Réunion

en 59 accompagné par son 1er Ministre, Michel Debré avait marqué les esprits malgré le succès grandissant du PCR. Devant une

foule en liesse à la Redoute, il avait déclaré : » vous êtes français par excellence, vous êtes français passionnément » et de

surcroit il a tué dans l’œuf, la révolution qui couvait, conduite par Paul Vergès. C’était la ferveur populaire, et la 1ère fois qu’un

chef de l’Etat venait à la rencontre des réunionnais. On était sur la fin de la Guerre d’Algérie et De Gaulle voulait mettr e un

terme à toute velléité venant des anciennes colonies, notamment envers les mouvements autonomistes et indépendantistes. Bien

sûr, La mission officielle du Bumidom à partir de 63 et de l’intelligentsia de l’époque était de répondre au chômage grandissant

et d’éviter les conflits sociaux. Le nombre de départs n’a cessé d’être important et régulier depuis les années 60 à nos jours (de

2000 à 4000 départs par an), sauf de 1982 à 1990 où la tendance fut for tement ralentie avec l’arrivée de la gauche au pou-

voir. le flux migratoire fût au plus bas à ce moment là. Il était question d’inciter le retour au pays et que l’émigration soit plu-

tôt choisie que d’être une volonté des Elus en place. De 2900 réunionnais arrivés en Métropole en 1982, ils passent à 540 l’année

suivante (sous François Mitterrand). Mais le retour de la droite en 1986 (Chirac 1er Ministre de 86 à 88 par la cohabitation) va

réamorcer les flux, toujours en réponse à la démographie et au fort taux de chômage dans l’île.

L’ANT (Agence Nationale pour l’insertion des Travailleurs d’Outre Mer) a été crée en 1982 avec l’arrivée de la gauche au pou-

voir pour remplacer le BUMIDOM. Elle avait pour but l’insertion sociale et professionnelle des migrants ultra marins déjà

installés en Métropole et intervenait sur la formation, l’emploi et le logement de ceux-ci. Elle avait pour mission d’inciter et fa-

voriser le retour au pays. Mais les dotations de l’Etat au bout d’un moment s’amenuisent et son déclin est amorcé à partir des

années 1992-93, par la fermeture successive de ses centres d’hébergement et l’arrêt de ses activités dans l’Hexagone. En 2006

elle devient LADOM (l’Agence de la mobilité pour l’outre mer) placée sous la compétence de la Région. (aides aux étudiants,

sportifs, continuité territoriale…)

A la Réunion, avec le retour de la gauche au pouvoir en 88 (2è élection de F. Mitterrand) le volume des migrations revient à la

baisse mais en 1991 avec les évènements du Chaudron, ça regrimpe. le CNARM commence sa fusion avec l’ANT qui est sur le

déclin, par le guichet unique de la mobilité.

Le CNARM (Comité National d’Accueil des Réunionnais en Métropole) lui, est crée pratiquement en même temps que le Bu-

midom toujours par Michel Debré. Il est composé de parlementaires, d’administrateurs, et de représentants religieux. Sa mission

officielle est de favoriser l’insertion professionnelle et l’accueil des réunionnais dans l’Hexagone. Il a toujours été le rival de

l’ANT. Sa représentation se trouve à la Maison de la Réunion rue Gauthey à Par is. Présidé par Michel Debré jusqu’en

1991, où Paul Moreau Sénateur Maire de Bras Panon lui succède. La Maison de la Réunion, ex « foyer Debré » sera dirigé par un

ancien responsable des services de renseignements généraux de la Réunion et sera le théâtre de nombreuses réceptions politico-

mondaines. Le président actuel du CNARM est Ibrahim Dindar. De mon point de vue, le CNARM a toujours été la colonne ver-

tébrale du Bumidom, qui était le bras armé de cette politique. sa vocation première a toujours été de faire partir les jeunes de la

Réunion vers ailleurs. Surtout pour ceux et celles qui sont en situation précaire. Il est vrai que de nos jours, avec de bonnes cam-

pagnes de communication, l’exil prend la forme d’un exutoire peu à peu évident et consenti. Quelles sont les raisons qui poussent

à une telle politique ? le spectre du chômage à mon avis n’est pas le seul élément à prendre en compte mais tant que ce sujet ne

sera pas débattu sur la place publique, le flou sera entretenu. Il est donc permis à chacun de donner son interprétation sur la poli-

tique du CNARM et du bien fondé des incitations au départ. De toute évidence les moyens alloués sont conséquents au jour d’au-

jourd’hui pour faciliter l’émigration. Même si le slogan est : partir pour mieux revenir, même si le dispositif s’est amélioré tout

comme les aides financières pour l’installation… On sait très bien que le retour reste hypothétique et que si retour il y a ça aura

été une opération en blanc qui au final aura donné bonne conscience au pouvoir en place et fait dépenser beaucoup d’argent. Je

n’ose pas évoquer ici un de fond de commerce bien organisé. G. Ah-Tiane (sources personnelles et Mémorial de la Réunion)

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CONSEIL GENERAL DE LA REUNION ET CNARM

Mais il n’y a pas eu que cela. Les réunionnais ont subi mensonges et intimidations, ils ont été trompés à des fins de dé-

portation. En cela, l’Art 7 du Traité de Rome est sans appel: la Déportation ou le transfert forcé de population, est bien un

crime contre l’Humanité. Idem pour la stérilisation forcées de femmes, violences sexuels... En 1960, l’ordonnance Debré con-

damne à l’exil 13 fonctionnaires réunionnais (dont fera partie Boris Gamaleya) jugés trop communistes et présentant soi disant

un risque pour la sécurité du Pays. Quand on sait que cela a été fait en violation de la constitution française et que cette ordon-

nance a été condamnée par les tribunaux et le conseil d’Etat, et que cette condamnation a été ignorée par le pouvoir de

l’époque… Aujourd’hui, presque 60 ans après, on se demande ce qui a changé ?

Dans ce système migratoire, il y a eu l’affaire des Enfants de la Creuse qui a concerné + de 2100 enfants + ceux du

Bumidom Junior, qui n ’ont pas été comptabilisés. les avortements forcés à la clinique de St Benoît, toute la propagande sur

l’attrait de la France… Sommes nous condamnés à partir alors que d’autres rentrent allègrement ? Pendant toutes ces années

en France, combien ont connus l’isolement, le racisme, l’impossible retour, les traumatismes, la peur, la soumis-

sion ? Certains ont réussis oui, m ais com bien sont restés sur le carreau ? Combien ont été pris pour des étrangers ?

Albert Weber, journaliste, dans son ouvrage «l’Emigration réunionnaise en Métropole« a interviewé plus de

200 réunionnais allant du parcours chaotique aux tentatives suicide, en passant par la rue… Mais revenons aux opérateurs Mobi-

lité.

A partir des années 90 (suite aux évènements du Chaudron), le Conseil Général de la Réunion avec l’aide de son an-

tenne de Paris et le CNARM, viennent solliciter régulièrement les associations de l ’Hexagone, sur la problématique de la

Mobilité des jeunes réunionnais. les rassemblements étaient formidablement organisées. On y mettait les moyens. Chaque asso-

ciation dans toute la France, disposait d’un ou de deux aller retours SNCF, d’une nuit d’hôtel, des repas et animations… Afin de

prêter une oreille attentive aux dispositifs en place. Il ressortait de ces rencontres, la ferveur patriotique qui était la nôtre, devant

les discours solennels des Elus et des dirigeants du CG et du CNARM. Il y avait régulièrement une centaine

d’associations qui venaient de toute la France, voire plus à chaque invitation et les soirées spectacles dans les

salles prestigieuses de paris n’étaient pas pour déplaire… Des subventions étaient allouées à ceux qui voulaient accom-

pagner cette politique. A cette époque, ils affichaient bien la volonté de préparer une meilleure insertion aux candidats au départ,

mais sur le terrain c’était tout autre chose. Dans le même temps, la FNARM, Fédération Nationale des Associations Réunion-

naises de Métropole (120 associations), tout comme l’ARCC (Association Réunionnaise Comm unication et Culture,

étaient opérateurs du CGR, subventionnées par celui-ci.

Je me souviens particulièrement de l’intervention de Pierre Heidegger, Elu du CGR au service Mobilité et Maire

de Trois Bassins à l’époque, qui disait à peu près ceci devant toute l’assemblée associative :

« Il devient nécessaire d’accompagner ces jeunes (réunionnais) pour une meilleure insertion dans l’Hexagone, parce que du tra-

vail il y en aura de moins en moins à la Réunion. Moi j’ai découvert cette île, où il ya une diversité, un metissage… ex-

traordinaire, je compte y rester jusqu’à la fin de mes jours ». On avait tous pratiquement pris une claque mais personne n’a

rien dit. Peut être qu’à l’époque on prenait vraiment le problème à cœur et que la solidarité primait avant tout.

La construction de ce vaste réseau d’accueil ou de soutien, de notre point de vue était plutôt une bonne chose car on

se rendait bien compte que les jeunes souvent, étaient largués dès le pied posé sur le sol métropolitain. Le sketch de Thierry Jar-

dinot sur le débarquem ent des jeunes à Orly est plein de vér ité. le choc à l ’arrivée (et l’abandon parfois) pouvait frap-

per les esprit et provoquer des traumatisme pour les plus fragiles. Je précise par ailleurs que ça n ’avait rien à voir avec la venue

des étudiants qui était beaucoup mieux appréhendé et préparé.

Notre association, « Soleil de Bourbon », avait déjà la fibre sociale et s’est investie comme beaucoup d’autres

dans ce créneau. D’années en année, avec l’expérience, nous avions fini par obtenir un contrat d’objectif qui nous liait au

conseil Général de la Réunion sous la forme d’un financement de local permanent qui pouvait être un point de rencontre pour ces

jeunes. Le local tenait lieu aussi de vitr ine culturelle de la Réunion. C ’était feu Alain Lorraine, poète, écrivain, un

temps VRP du CGR qui avait fait aboutir ce partenariat. On a baptisé le local : « Point Info Réunion », à Marseille. En con-

trepartie de ce financement on devait répondre à un certain cahier des charges concernant les jeunes de la mobilité et constituer

une base d’accueil, un relais et une logistique pour toutes sorte d’opérations demandées par le CTR (Comité du Tourisme Réu-

nionnais), des groupements d’Artisans par le biais des institutions pour les salons, , le Pôle Régional des Musiques Actuelles, des

groupes de musiciens, Artistes… ça a duré de 1998 à 2002, date à laquelle j’avais arrêté toute activité suite à des problèmes

familiaux. G. Ah-Tiane (ex Association Soleil de Bourbon)

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SOUTIEN AUX JEUNES DE LA MOBILITÉ

Je reviens sur Albert Weber, journaliste écrivain qui dans les années 90, avait réalisé une grande enquête sur

environ 200 réunionnais(es) issu(e)s de l’immigration des années 60. Son recueil est sorti en 1994 et reste une référence

en la matière. Pendant longtemps on a parlé de la diaspora réunionnaise, comme étant une « communauté invi-

sible ». Il y avait comme un tabou à évoquer certains accidents de parcours, et ils étaient relativement fréquents. Au-

jourd’hui, les langues se délient, il y a de plus en plus de reportages, et documentaires dont celui de Michaël Gence

« Rasine Momon Papa, ce passé qui ne passe pas » et plus récemment « Bumidom, des français venus d’outre-mer »

qui font état de ce qu’a été cette période de déportation sous Michel Debré.

Nous, dès le départ, on savait déjà qu’il y aurait du grain à moudre. Tout le monde connaissait ces quartiers et

rues où on retrouvait souvent des anciens jeunes devenus adultes, trainant leurs canettes de bière dans une totale in-

différence. Ils n’avaient pas d’autres choix que de vivoter, lutter quotidiennement, vivre le désespoir, les frustrations,

conjugués à l’alcoolisme. On les voyait souvent à Noailles, un quartier très populaire du centre ville de Marseille.

Du point de vue de notre action au sein de « Soleil de Bourbon », il faut distinguer deux phases : Celle

où on a travaillé en collaboration avec l’ANT (Agence Nationale pour l ’insertion des travailleurs d’Outre Mer) et

ensuite avec le CNARM qui avait fini par suppléer à l’ANT en ce qui concerne l ’accueil et la formation de ces

jeunes.

Avec l’ANT auprès de qui nous avions aussi un contrat d ’objectif, nous avions établi un partenariat

qui consistait à rendre visite régulièrement au public visé au sein même du foyer ANT de Marseille et dans d’autre

foyers partenaires de l’ANT comme celui de l’ACPM au quartier de la Rose avec qui nous avions de très

bonnes relations. Des questions et interrogations soulevées par plusieurs contingents de jeunes arrivants pendant

quelques années, nous avait amené à provoquer des réunions tri ou quadripartites entre eux (les jeunes), l’ANT, les

organismes de formation, les responsables de foyers aussi parfois. On a donc pu mesurer et faire remonter certains

dysfonctionnements

On s’est rendu compte à quel point il y avait un écart entre les discours officiels et la réalité du terrain en mé-

tropole. et nous ne manquions pas de faire remonter ces problèmes. Souvent la formation que le jeune avait choisi au

départ, ne correspondait pas à celle qu’on lui attribuait sur place. Il y avait un certain malaise et au final la structure

de formation décidait un peu ce quelle voulait. Nos interventions consistaient aussi faire se régler

certaines situations difficiles : retour précipité de quelques-uns, prise en charge financière en cas de diffi-

cultés, permettre à ceux qui n’avait plus d’argent d’appeler leurs familles à la Réunion, rompre leur isole-

ment en proposant des sorties, et des activités au sein de l ’amicale. Inviter quelques-uns le WE dans des fa-

milles d’accueil… Parallèlement on répondait aussi à des sollicitations de particuliers (hors mobilité) qui venaient su-

bir une opération délicate en hôpital, des urgences à traiter concernant des personnes arrivant en catastrophe. Nous

rendions visites à certains malades isolés, cherchions un logem ent d ’urgence pour des jeunes à la rue

parce que le foyer d’accueil n’était pas au courant de leur arrivée… Nous n’avions qu’une petite équipe de bénévoles et

ne pouvions être efficace à 100%. Malgré tout, un climat de confiance s’installait petit à petit, de temps en temps on

arrivait à régler certains conflits entre eux et vis-à-vis d’autres publics dans certains centres qui hébergaient des

étrangers comme à la Sonacotra. Il faut savoir que lorsque l’ANT a fermé, cer tains jeunes se sont re-

trouvés un temps dans des structures d’accueils disséminés sur le territoire, notamment à la Sonacotra (Société Na-

tionale de construction de logement pour des travailleurs) qui concentrait algér iens et afr icains . Le

CNARM a aussi eu recours à la Sonacotra. Ce n ’était plus les mêmes conditions d’hébergement. Considérés de

fait comme des étrangers, les réunionnais se sont retrouvés constamment en conflit avec leurs voisins de chambre.

Un autre choc de culture, une proximité difficile à vivre.

Nous avons donc assisté progressivement à une sorte de transfert des compétences et prise en charge de cette

mobilité par le CNARM qui n ’avait certainement pas le professionnalisme nécessaire dans le domaine de l’ac-

cueil ni du suivi de la formation. On a très vite com pris que le souci prem ier des élus de la Réunion

était de se débarrasser de bon nombre de jeunes et les envoyer vers la Métropole (4000 environ chaque année) sans

trop se soucier de leurs avenir ni de leur donner suffisamment d’informations au départ.

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LA LETTRE DE PIERRE MESSMER À XAVIER DENIAU

Si notre partenariat avec l’ANT s’était avéré plutôt efficace par la qualité de nos relations, du suivi

et des résultats, il n’en fût pas de même avec le CNARM. Nous avions pu constater le peu de cas que la structure faisait

avec les problèmes de ce jeune public arrivé fraîchement sur le territoire, l’action qui était dem andée aux asso-

ciations sur le terrain s’est vite retrouvée insuffisante face au nombre de cas de difficultés rencontrées. Beaucoup de

jeunes se plaignaient de ne pas avoir la formation demandée au départ, d’être hébergé dans de mau-

vaises conditions, cer tains se retrouvaient dans une autre région que celle prévue. J ’ai dû monter au

créneau plusieurs fois et suis devenu indésirable auprès du CNARM. J’ai eu même des associations amies qui m’ont

carrément tourné le dos, j’étais devenu infréquentable dans certains milieux. Et ça m’a couté assez cher. Je me rap-

pelles aussi qu’à l’ANT Marseille, une certaine Margie SUDRE, y était venue et nous avait traité d’assistés parce

qu’on râlait.

Pour conclure je dirais qu’ il nous a été difficile d’évaluer avec justesse les échecs de cette mobilité mal prépa-

rée sur le terrain. Parce que, et ceci est caractéristique chez les créoles, de ne pas montrer son désarroi ou l’échec de

son parcours. Beaucoup avaient honte d’avouer leurs problèmes. Je m’en suis rendu compte sur le tard, combien on

sous estimait l’ampleur les dégâts sur ces jeunes. Je suis intimement persuadé qu’il y en a encore beaucoup qui discrè-

tement marchent dans l’ombre depuis longtemps. Triste sort.

G. Ah-Tiane

Pierre Messmer et la Nouvelle Calédonie

Alors Premier ministre sous Pompidou, il écrit le 19 juillet 1972 à son secrétaire d ’État aux DOM-

TOM, Xavier Deniau, car il veut, coloniser la Nouvelle-Calédonie. Pour lui, les Kanaks, qui peuplent cet archipel de-

puis près de 5 000 ans, sont moins que rien, ils n’existent pas. Ou plutôt ils ne sont là que pour se révolter. C’est une

justification terrible de l’apartheid, du racism e, de la spoliation, du pillage, de la répression.

Dans cette lettre à Xavier Deniau il dit :

« La Nouvelle-Calédonie, colonie de peuplement, bien que vouée à la bigarrure multiraciale, est probablement

le dernier territoire tropical non indépendant au monde où un pays développé (la France) puisse faire émigrer ses res-

sortissants.

Il faut donc saisir cette chance ultime de créer un pays francophone supplémentaire. La présence française en

Calédonie ne peut être menacée, sauf guerre mondiale, que par une revendication nationaliste des populations au-

tochtones appuyées par quelques alliés éventuels dans d’autres communautés ethniques venant du Pacifique.

À court et moyen terme, l’immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements

d’outre-mer (Réunion) devrait permettre d’éviter ce danger en maintenant et en améliorant le rapport numérique des

communautés.

À long terme, la revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires

du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire. Il va de soi qu’on n’obtiendra aucun effet démogra-

phique à long terme sans immigration systématique de femmes et d’enfants.

Afin de corriger le déséquilibre des sexes dans la population non autochtone, il conviendrait sans doute de faire réser-

ver des emplois aux immigrants dans les entreprises privées. Le principe idéal serait que tout emploi pouvant être oc-

cupé par une femme soit réservé aux femmes (secrétariat, commerce, mécanographie).

Sans qu’il soit besoin de textes, l’administration peut y veiller.

Les conditions sont réunies pour que la Calédonie soit dans vingt ans un petit territoire français prospère com-

parable au Luxembourg et représentant évidemment, dans le vide du Pacifique, bien plus que le Luxembourg en Eu-

rope.

Le succès de cette entreprise indispensable au maintien de positions françaises à l’est de Suez dépend, entre

autres conditions, de notre aptitude à réussir enfin, après tant d’échecs dans notre Histoire, une opération de peuple-

ment outre-mer.

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« L’Eko La Ravine « lé un m ensuel de 6 à 12 pages.

Edité par « Lantant Kréol » association Loi de 1901.

Le format électronique .pdf lé envoyé gratuitement par mail. Le for-

mat papier lé soumis à une participation de 0,50cts.

Conception—réalisation

Directeur de la publication: Georges AH-TIANE

0693 421684 ISSN 2677-7940

[email protected]

SALON DE LA CULTURE ET DE L’IDENTITE REUNIONNAISE

6 au 11 Déc 2019 à la NORDEV—Saint Denis

Clôture des inscriptions : 15 août 2019

Si vous n’avez pas encore déposé votre dossier d’inscription vous pou-

vez contacter d'urgence le service commercial

au 06 92 33 00 40 / 06 92 60 73 02.(Agence KOMKIFO)

https://koz.ronkoze.info/

Bibliographie:

« Enfants en Exil », transfert des Pupilles réunionnais en Métropole (1963 -1982) de Ivan JABLONKA« L’univers

historique. Seuil—2007.

« Rasinn Anlèr » Des Enfants réunionnais déracinés, Jean Marie JEAN PHILIPPE, Philippe BESSIERE. Ed.

Rasine Kaf 2016

Vidéos:

« Bumidom, des français venus d’Outre mer » sur Y outube (production temps noir) 54’11: https://

www.youtube.com/watch?v=Ew8H1z2ldok

« Le vol d’identité des Enfants de la Creuse » Le témoignage de Valérie ANDANSON 1h29’14: https://

www.youtube.com/watch?v=hRdiZGiapoU

« Les Enfants de la Réunion » un scandale d’Etat oublié 2018. Produit par Christophe Février, Laurent Ramamon-

jiarisoa et Guillaume Roy, 54’07: https://www.youtube.com/watch?v=pRRzeWyiAF0