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Céline LEFÈVE, Maître de conférences en histoire et philosophie de la médecine Université Paris Diderot (UMR 7219 SPHERE/Centre Georges Canguilhem) « RÉFLEXIONS ÉPISTÉMOLOGIQUES SUR LES SCIENCES HUMAINES, LA MÉDECINE ET LES SCIENCES EN SOINS INFIRMIERS » Les deux articles de « Rencontre » ont fait l’objet d’interventions lors des Journées d’Étude ARSI 2010 RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 102 - SEPTEMBRE 2010 4 En préambule, je me permettrais d’expliciter le lien entre votre questionnement sur la constitution et le développement d’une nouvelle discipline scientifique, les recherches en soins infirmiers, et mon propre parcours. Ma thèse d’histoire et de philosophie des sciences portait sur la question épistémologique de la possi- bilité et de la constitution d’une science de l’indivi- dualité humaine, conçue comme entité indivisible - bio- logique et psychologique -, et comme singularité. La question était de savoir s’il peut y avoir une science de l’homme comme être total et être unique. Dans ce travail, j’ai examiné comment, au XIX e siècle, ces questions avaient été posées par deux philosophes français, Maine de Biran et Bergson. Ils affirmaient, en effet, la nécessité d’inventer des concepts permet- tant de connaître l’être humain dans son unité, à la fois vivant, sentant et pensant; de distinguer, contre la réduction de la psychologie à la biologie, les méthodes et les sciences biologiques et psycholo- giques; et, enfin, de ne pas occulter, en psychologie, l’importance de l’expérience vécue par le sujet. Mais c’est mue par un questionnement sur la méde- cine et par la lecture du philosophe Georges Canguilhem que je suis venue à ce questionnement. En effet,Canguilhem montrait,notamment dans Le nor- mal et le pathologique, que la médecine n’est pas une science mais une technique, parce qu’elle a précisément affaire à des individualités, c’est-à-dire à des entités indi- visibles que l’on ne peut décomposer en cellules, tissus, organes, ni même en corps et âme, et parce qu’elle a affaire à des sujets singuliers qui donnent à la vie et à leur vie un sens qui leur est propre. En affirmant que la médecine n’a à affaire qu’à des individualités dont il faut comprendre et respecter l’expérience et les normes de vie, Canguilhem critiquait l’identification qui datait du XIX e siècle de la médecine à une science. Il rappelait ainsi la primauté de la clinique et de la thé- rapeutique qui instrumentalisent et se subordonnent les sciences, au lieu d’y être subordonnées comme peut le faire croire une vision scientiste de la médecine. Ainsi, je suis venue à l’histoire et la philosophie des sciences pour étudier les racines historiques et épis- témologiques de l’occultation dans les sciences de l’homme nées au XIX e siècle - à l’exception de la psy- chanalyse et de la phénoménologie - de l’individua- lité humaine, considérée à la fois dans sa globalité et dans son expérience subjective. Occultation qui fonde aussi la médecine scientifique du XIX e siècle dont nous sommes les héritiers. Pour illustrer cette occul- tation, consubstantielle de la médecine scientifique, je citerai une conférence de 1966 de Michel Foucault consacrée à la nature de la pensée médicale: « Dans sa pratique, le médecin a affaire non pas à un malade, mais pas non plus à quelqu’un qui souffre, et surtout pas, Dieu merci, à un « être humain ». Il n’a affaire ni au corps ni à l’âme, ni aux deux à la fois, ni à leur mélange. Il a affaire à du bruit.A travers ce bruit, il doit entendre les éléments d’un message. » 1 Mots clés : Science de l’homme, sciences de la vie, santé, médecine, soins, épistémologie, histoire. 1 Michel Foucault, « Message ou bruit ? » (1966), Dits et écrits I, Paris, Gallimard, Quarto, 2001, p. 587. RENCONTRE 004-013 Rencontre LEFEVE_BAT 5/08/10 14:39 Page 4

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Page 1: Lefève, Céline - Réflexions épistémologiques sur les sciences humaines, sur la médecine et les sciences en soins infirmiers

Céline LEFÈVE,Maître de conférences en histoire et philosophie de la médecine Université Paris Diderot (UMR 7219SPHERE/Centre Georges Canguilhem)

« RÉFLEXIONS ÉPISTÉMOLOGIQUES SUR LES SCIENCES HUMAINES,LA MÉDECINE ET LES SCIENCES EN SOINS INFIRMIERS »

Les deux articles de « Rencontre » ont fait l’objet d’interventions lors des Journées d’Étude ARSI 2010

RECHERCHE EN SOINS INFIRMIERS N° 102 - SEPTEMBRE 20104

En préambule, je me permettrais d’expliciter le lienentre votre questionnement sur la constitution et ledéveloppement d’une nouvelle discipline scientifique,les recherches en soins infirmiers, et mon propreparcours.

Ma thèse d’histoire et de philosophie des sciencesportait sur la question épistémologique de la possi-bilité et de la constitution d’une science de l’indivi-dualité humaine,conçue comme entité indivisible - bio-logique et psychologique -, et comme singularité. Laquestion était de savoir s’il peut y avoir une sciencede l’homme comme être total et être unique. Dansce travail, j’ai examiné comment, au XIXe siècle, cesquestions avaient été posées par deux philosophesfrançais,Maine de Biran et Bergson. Ils affirmaient,eneffet, la nécessité d’inventer des concepts permet-tant de connaître l’être humain dans son unité, à lafois vivant, sentant et pensant; de distinguer, contrela réduction de la psychologie à la biologie, lesméthodes et les sciences biologiques et psycholo-giques; et, enfin, de ne pas occulter, en psychologie,l’importance de l’expérience vécue par le sujet.

Mais c’est mue par un questionnement sur la méde-cine et par la lecture du philosophe GeorgesCanguilhem que je suis venue à ce questionnement.En effet,Canguilhem montrait,notamment dans Le nor-mal et le pathologique, que la médecine n’est pas unescience mais une technique,parce qu’elle a précisémentaffaire à des individualités,c’est-à-dire à des entités indi-

visibles que l’on ne peut décomposer en cellules,tissus,organes, ni même en corps et âme, et parce qu’elle aaffaire à des sujets singuliers qui donnent à la vie et à leurvie un sens qui leur est propre. En affirmant que lamédecine n’a à affaire qu’à des individualités dont ilfaut comprendre et respecter l’expérience et lesnormes de vie, Canguilhem critiquait l’identificationqui datait du XIXe siècle de la médecine à une science.Il rappelait ainsi la primauté de la clinique et de la thé-rapeutique qui instrumentalisent et se subordonnentles sciences, au lieu d’y être subordonnées commepeut le faire croire une vision scientiste de la médecine.

Ainsi, je suis venue à l’histoire et la philosophie dessciences pour étudier les racines historiques et épis-témologiques de l’occultation dans les sciences del’homme nées au XIXe siècle - à l’exception de la psy-chanalyse et de la phénoménologie - de l’individua-lité humaine, considérée à la fois dans sa globalité etdans son expérience subjective.Occultation qui fondeaussi la médecine scientifique du XIXe siècle dontnous sommes les héritiers.Pour illustrer cette occul-tation,consubstantielle de la médecine scientifique, jeciterai une conférence de 1966 de Michel Foucaultconsacrée à la nature de la pensée médicale:« Dans sa pratique, le médecin a affaire non pas à unmalade,mais pas non plus à quelqu’un qui souffre, etsurtout pas, Dieu merci, à un « être humain ». Il n’aaffaire ni au corps ni à l’âme, ni aux deux à la fois, nià leur mélange. Il a affaire à du bruit.A travers cebruit, il doit entendre les éléments d’un message. »1

Mots clés :Science de l’homme, sciences de la vie, santé, médecine, soins, épistémologie, histoire.

1 Michel Foucault, « Message ou bruit? » (1966), Dits et écrits I, Paris, Gallimard, Quarto, 2001, p. 587.

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Mes recherches en histoire et de philosophie des sciencestrouvent ainsi leur motivation dans un questionnementindissociablement épistémologique et éthique sur lamédecine que je conçois comme fondée sur le soin, si l’ondéfinit le soin précisément comme le souci de l’individua-lité malade. Il me semble essentiel d’affirmer que la méde-cine n’est pas une science, mais un art ou une techniquesoignante car sa visée est individuelle et non générale -même si elle utilise,de manière indispensable, les sciencesbiomédicales.A partir d’une telle affirmation, on com-prend qu’il est essentiel d’asseoir la médecine non seule-ment sur les sciences biomédicales mais aussi sur desrecherches sur l’individualité humaine et sur l’expériencesubjective de la maladie et du soin dans ses multiplesformes et significations.

Mon propos se composera de deux réflexions sur l’épis-témologie des sciences humaines.Dans une première partie, je partirai de la question :« Peut-il y avoir une science de l’individualité humainecomme entité totale, indivisible? » Je montrerai que laconstitution de toute science humaine est liée, depuis leXIXe siècle, à la question de sa distinction et de son arti-culation avec les sciences biologiques.

Dans une deuxième partie, je montrerai, en suivant cer-taines réflexions de G.Canguilhem,que toute science del’homme - qu’elle porte sur l’homme comme être vivantou comme sujet pensant, parlant, etc. - possède un sens,véhicule une conception de l’homme, porte un projet anthro-pologique. En un mot, elle possède et affirme des valeursà partir desquelles elle constitue ses questions et sesobjets. Dans cette perspective, j’avancerai qu’il est indis-pensable de mener une réflexion, elle aussi à la fois épis-témologique et éthique, sur la conception de l’hommeque nourrissent la médecine et les sciences qu’elle uti-lise. Il faut se demander si la médecine se conçoit elle-même comme une science ou comme l’application desciences, en particulier de sciences biologiques, ou biensi elle se conçoit plutôt comme un « art ou [une] tech-nique au carrefour de plusieurs sciences », selon une for-mule de Georges Canguilhem.2 Le questionnement surle statut épistémologique de la médecine contemporaine(science ou art? ) ne se sépare pas d’un questionnementanthropologique sur son sens, ses valeurs et ses fins. Cequi implique de se demander si la médecine est aujour-d’hui conçue comme une pratique qui se met au servicede l’individualité ou bien d’abord au service de la collec-tivité. Je retrouverai alors ma deuxième question direc-trice:« Peut-il y avoir une science de l’individualité commesingularité? » Mon hypothèse est qu’à partir du momentoù l’on reconnaît la visée individuelle de la médecine et,par conséquent, son statut technique et son essence soi-

gnante, il devient non seulement possible mais indispen-sable de l’étayer sur une pluralité de sciences qui ne selimitent pas aux sciences biomédicales, mais s’étendentaux sciences humaines et sociales et comprennent lessciences en soins infirmiers.

SCIENCES DE L’HOMME ETSCIENCES DE LA VIE

Je partirai de la question de la connaissance de l’hommecomme globalité, comme tout, âme et corps.

La science de l’homme

C’est à partir du XVIIIe siècle que se pose la questionépistémologique de la constitution de « la science del’homme ».3 De nouveaux savoirs émergent en effet surle vivant et sur l’homme comme être vivant. Se dévelop-pent les débats sur la nature de la vie, la génération, ledéveloppement et le fonctionnement de l’organismevivant. L’anatomie, la physiologie, puis l’anatomopatholo-gie au début du XIXe siècle prennent leur essor. La ques-tion de la sensibilité devient une question centrale,philo-sophique et médicale: il s’agit de savoir si la conscience etles facultés ou les opérations de l’esprit humain dériventde la sensibilité. Si la conscience et la pensée dérivent dela sensibilité, la philosophie qui englobe à l’époque la psy-chologie est destinée à être soit subordonnée, soitannexée voire réduite aux sciences physiologiques et bio-logiques.Si certaines facultés ou certains actes de l’esprithumain ne peuvent être connus voire expliqués qu’à l’aidede méthodes et de disciplines scientifiques spécifiques etautonomes par rapport à la physiologie et à la biologie, laphilosophie et la psychologie conserveront leur autono-mie, et leur existence même.

Ainsi la constitution, au XVIIIe siècle, de la science del’homme posait des questions épistémologiques qui sontencore actuelles:quelles théories,quels concepts,quellesdisciplines scientifiques et surtout quelles articulationsentre les sciences faut-il mobiliser pour connaîtrel’homme dans sa globalité? Comment délimiter et arti-culer les domaines respectifs de la physiologie et la bio-logie,d’une part,et de la psychologie,d’autre part? Peut-on envisager des transferts de concepts et de méthodesentre ces sciences?

Dans ces débats, les médecins étaient des acteurs de pre-mier plan parce qu’ils pensaient précisément pouvoir uni-fier le savoir de l’homme et, en particulier, faire dériver la

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2 Georges Canguilhem, Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique (1943), Le normal et le pathologique, Paris, PUF, Quadrige, 1966, p. 7.3 Cf. François Azouvi, Maine de Biran. La science de l’homme, Paris,Vrin, 1995, ch. I.

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psychologie, la philosophie, la connaissance des com-portements humains des sciences anatomiques, phy-siologiques, cérébrales, etc. Je donnerai ici seulementl’exemple du médecin Pierre-Jean-Georges Cabanis,auteur des Rapports sur le physique et le moral del’homme parus en 1802 et célèbre notamment pour saformule selon laquelle le cerveau secrète la penséecomme l’estomac secrète la bile.Quelles réflexions épistémologiques tirer de ces ques-tionnements sur les rapports de la psychologie et dela biologie qui vont animer l’ensemble des débats phi-losophiques et scientifiques au XIXe siècle ?Premièrement, le problème épistémologique fondamentalde la science de l’homme, puis des sciences humaines quivont se constituer comme telles au XIXe siècle est celui del’unité et de la diversité de la science. Deuxièmement, enconséquence, il n’y a pas de science humaine qui n’ait,depuis le XIXe siècle,à se situer par rapport aux méthodeset aux concepts des sciences biologiques.

Normes médicales, sciences de la vieet sciences de l’homme

Explicitant les relations entre sciences de la vie et sciencesde l’homme,Michel Foucault a formulé l’hypothèse selonlaquelle les sciences humaines (la linguistique, la psycho-logie, la sociologie, l’anthropologie) ne sont pas seule-ment apparues en même temps que les sciences de lavie,mais dans leur prolongement.4 Plus fondamentalementencore,les sciences de l’homme,biologiques et non bio-logiques, se sont constituées en fonction des normesmédicales qui à l’époque moderne se confondent avecles normes sociales.En effet, les normes médicales et lescatégories médicales de « normal » et de « patholo-gique » représentent,à partir du XVIIIe siècle et structu-rent la manière dont s’exercent les relations de pouvoirdans la société.Ces relations (dans la famille, à l’école, àl’usine, dans la justice, en prison, à l’hôpital, dans l’asile)se déploient à partir de la catégorisation des phénomènesindividuels et collectifs en sains et morbides et elles pren-nent la forme de la correction du pathologique ou de lanormalisation.La modernité se définit comme le momentoù les normes médicales du normal et du pathologiquecoïncident avec les normes sociales et entraînent l’émer-gence concomitante et inséparable des sciences de la vieet des sciences humaines.Ainsi Foucault écrit-il dansNaissance de la clinique, parue en 1963:« Le prestige des sciences de la vie au XIXe siècle, le rôlede modèle qu’elles ont mené, surtout dans les sciencesde l’homme,n’est pas lié primitivement au caractère com-préhensif et transférable des concepts biologiques,maisplutôt au fait que ces concepts étaient disposés dans unespace dont la structure profonde répondait à l’opposi-tion du sain et du morbide. Lorsqu’on parlera de la vie

des groupes et des sociétés,de la vie de la race,ou mêmede la « vie psychologique »,on ne pensera pas seulementà la structure interne de l’être organisé,mais à la bipolaritédu médical du normal et du pathologique.La conscience vit,puisqu’elle est altérée, amputée, dérivée de son cours,paralysée; les sociétés vivent puisqu’il y en a de maladesqui s’étiolent,d’autres saines en pleine expansion;la raceest un être vivant qu’on voit dégénérer; et les civilisa-tions aussi, dont on peut constater tant de fois la mort.Si les sciences de l’homme sont apparues dans le pro-longement des sciences de la vie, c’est peut-être parcequ’elles étaient biologiquement sous-tendues, mais c’estaussi qu’elles l’étaient médicalement:sans doute par trans-fert, importation et souvent métaphore les sciences del’homme ont utilisé des concepts formés par les biolo-gistes;mais l’objet même qu’elles se donnaient (l’homme,ses conduites,ses réalisations individuelles et sociales) sedonnait donc un champ partagé selon le principe du nor-mal et du pathologique.» 5L’exemple des Rapports du physique et du moral del’homme du médecin Cabanis illustre bien ce fait que lesnormes médicales représentent le foyer, la matrice del’essor conjugué des sciences de la vie et des sciencesde l’homme. La médecine, au moins depuis de la fin duXVIIIe siècle, ambitionne d’être la science de l’homme,de coïncider avec l’anthropologie. Elle veut être le savoirde l’homme entier, à la fois physique et moral, à la fois indi-viduel et social, non seulement en vue de connaître et deramener la santé de l’individu mais aussi en vue de connaîtreet de gérer la vie et la santé de la population.

LA QUESTION DU SENS DESSCIENCES DE L’HOMME

Une autre question épistémologique relative à « lascience de l’homme »,puis aux sciences humaines néesau XIXe siècle apparaît dès lors: celle de leur sens, audouble titre de leur signification et de leur orientation, deleur conception de l’homme et de leur projet pour lui. Jem’attacherai dans cette deuxième partie tout d’abordà l’histoire et l’épistémologie des sciences humaines,puis à l’histoire et l’épistémologie de la médecine pouren interroger le projet anthropologique.

Savoirs et pouvoirs sur l’homme

En montrant que la naissance des sciences humainesétait liée à celle des sciences de la vie et à la prégnancedans la société moderne des normes médicales,Foucault a aussi permis de comprendre que ces savoirsne pouvaient être pensés séparément des discours et

4 Cf. Michel Foucault, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966.5 Michel Foucault, Naissance de la clinique, Paris, PUF, Quadrige, 1963, p. 36.

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des pratiques de gouvernement. Ils s’articulent à lamanière dont sont désormais dirigées les conduitesdes individus et des groupes.Plus précisément,Foucaulta montré que les savoirs constituent en eux-mêmes despouvoirs : ce sont des modalités d’identification,de caté-gorisation et,partant,de gouvernement,de surveillanceet de contrôle des individus et des populations.Ainsil’essor des savoirs biologiques sur l’homme - parmilesquels l’anatomie, la physiologie, puis l’anatomo-pathologie, l’embryologie, les théories de l’Evolutionet de l’hérédité, les théories sur les races humaines etla dégénérescence, mais aussi la démographie et lamédecine statistique - est lié à des questions de gou-vernement et de pouvoir.Par exemple,Foucault a rap-pelé qu’au XVIIIe siècle ont été publiés,notamment enAllemagne et en Italie, des traités de police médicalequi assoient les pratiques de gouvernement sur desenquêtes portant sur la santé et les maladies des popu-lations, les milieux, les conditions de vie, de logement,de travail. Ces savoirs sur la vie biologique des popu-lations sont indispensables pour prendre les mesuresvisant à conserver et à promouvoir la santé des popu-lations. On assiste alors à la naissance de la médecinesociale qui s’épanouira au XIXe siècle notamment dansle mouvement hygiéniste et qui préfigure la médecinede santé publique que nous connaissons aujourd’hui.6Foucault a nommé « biopolitique » ce dispositif desavoirs et de pouvoirs dont l’objet est la vie biologiqueet la santé des populations.

La médecine moderne: médecine de la population et de la santé

Puisqu’à partir du XVIIIe siècle les normes médicalesconstituent la norme sociale, la médecine, à l’époquemoderne, commence, comme le souligne Foucault, « àne plus avoir de domaine qui lui soit extérieur ».7 C’estce qu’il appelle « le phénomène de médicalisation indé-finie »8 ou « l’extension sociale de la norme »9 qui carac-térisent encore notre actualité. La médecine n’a plusseulement pour objet les maladies,mais la conservationet la promotion de la santé.Elle n’a plus seulement pourobjet l’individu qui en fait la demande, mais d’abord etsurtout la société ou la population.Voici commentFoucault décrit en 1976 la médecine moderne etcontemporaine de la santé et de la population:« En premier lieu, la médecine répond à un autre motifqui n’est pas la demande du malade,qui ne prévaut quedans des cas beaucoup plus limités.Plus fréquemment,

la médecine s’impose à l’individu, malade ou non,comme un acte d’autorité.A ce propos, on peut évo-quer plusieurs exemples.Aujourd’hui, on n’embaucheplus quelqu’un sans l’avis du médecin qui examine auto-ritairement l’individu. Il existe une politique systéma-tique et obligatoire de screening, de localisation desmaladies dans la population, qui ne correspond àaucune demande du malade. De la même façon, danscertains pays, une personne accusée d’avoir commisun délit (…) doit obligatoirement se soumettre à l’exa-men d’un expert psychiatre. En France, c’est obliga-toire pour tous les individus mis à la disposition de lajustice,même s’il s’agit d’un tribunal correctionnel. (…)En second lieu, les objets qui constituent le domained’intervention de la médecine ne se réduisent pas auxseules maladies. (…) Depuis le début du XIXe siècle,la sexualité, le comportement sexuel, les déviations oules anomalies sexuelles sont liés à l’intervention médi-cale sans qu’un médecin dise,à moins qu’il ne soit par-ticulièrement naïf, qu’une anomalie sexuelle est unemaladie. L’intervention systématique d’un thérapeutedu type du médecin chez les homosexuels des pays del’Europe orientale est caractéristique de la médicalisa-tion d’un objet qui,ni pour le sujet ni pour le médecin,ne constitue une maladie. D’une manière plus géné-rale, on peut affirmer que la santé est transformée enun objet de l’intervention médicale.Tout ce qui garan-tit la santé de l’individu, par exemple l’assainissementde l’eau, les conditions de vie ou le régime urbain estaujourd’hui un champ d’intervention médicale qui, enconséquence, n’est plus uniquement lié aux maladies.En réalité, l’intervention autoritaire de la médecinedans un domaine chaque fois plus vaste de l’existenceindividuelle ou collective est un fait absolument carac-téristique.Aujourd’hui, la médecine est dotée d’un pou-voir autoritaire aux fonctions normalisatrices qui vontbien au-delà de l’existence de la maladie et de lademande du malade. »10

Dans ce contexte, Foucault dénonce le mythe de lapermanence à l’époque moderne de la médecine del’individu issue de la demande du malade et fondée surle colloque singulier:« Ce qui n’existe pas, c’est la médecine non sociale,la médecine individualiste, clinique, celle du rapportsingulier, qui fut plutôt un mythe avec lequel on a jus-tifié et défendu une certaine forme de pratiquesociale de la médecine, à savoir l’exercice privé de laprofession. »11

6 Cf. Michel Foucault, « La politique de la santé au XVIIIe siècle » (1976), in Dits et écrits II, Paris, Gallimard, Quarto, 1994, p. 13-28 et « La nais-sance de la médecine sociale » (1977), in Dits et écrits II, op. cit., p. 207-228.7 Michel Foucault, « Crise de la médecine ou crise de l’antimédecine? » (1976), in Dits et écrits II, op. cit., p. 51.8 Ibid., p. 48.9 Michel Foucault, « L’extension sociale de la norme » (1976), in Dits et écrits II, op. cit., p. 74-79.10 Michel Foucault, « Crise de la médecine ou de l’antimédecine? », art. cit., p. 49.11 Ibid., p. 44.

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Le concept même d’individualité ne saurait désignerpour Foucault l’essence immuable de l’être humain.C’est une manière de le concevoir qui est historique-ment datée et socialement construite et qui relève despratiques modernes et contemporaines de pouvoir etde gouvernement.D’une part, le concept « d’individu »désigne un élément de base, une unité de calcul dansune population – comme c’est le cas en épidémiologie.D’autre part, le concept « d’individualité » renvoie au« gouvernement par l’individualisation » dans lequel lesindividus se construisent et se conçoivent commesujets en adhérant à une identité individuelle - en par-ticulier une identité psychologique, sexuelle, de per-sonne saine ou malade,etc.Ces diverses formes d’iden-tités résultent de « la torsion intime »12 des savoirs etdes pouvoirs dont les individus sont à la fois les objetset les sujets.13

Sciences de l’homme et sens anthropologique

L’archéologie des sciences humaines et des savoirsmédicaux que Foucault a réalisée met en œuvre unecertaine conception de l’épistémologie, l’épistémologiehistorique qui considère que les savoirs, les discours etles pratiques scientifiques sont constitués selon unehistoire ou une généalogie.

Cette conception de l’épistémologie doit beaucoup àCanguilhem qui concevait aussi l’épistémologie commehistoire et comme interprétation des valeurs. Pour lui,toute science procède d’un point de vue qui dessineses problèmes et ses questions et qui découpe etconstitue le réel en objets de connaissance. Ce pointde vue procède des valeurs portées par les sujets quifont la science.La vérité est la première de ses valeurs,mais elle n’est pas la seule. C’est pourquoi faire l’épis-témologie d’une science, c’est faire son histoire en vuede rechercher le point de vue, les valeurs, le sens et la viséequi l’animent. Les sciences de l’homme en particulier,biologiques et non biologiques, se constituent en fonc-tion d’une vision de l’homme et de la société, en fonctiond’un sens, d’une signification et d’une orientation, d’un pro-jet pour l’homme et la société. C’est notamment dans

une conférence parue en 1956,« Qu’est-ce que la psy-chologie ? », que Canguilhem a souligné la solidaritéentre sciences de l’homme et projet anthropologique.14

Pour mieux comprendre ce lien entre valeurs etsciences de l’homme, il faut revenir à l’enracinementque Canguilhem a exhumé de la connaissance de la viedans l’expérience de la vie. Les êtres vivants instituentdans leur milieu des comportements ou des normes devie auxquels ils attribuent,de manière consciente pourles sujets humains,des valeurs.Ce sont ces comporte-ments, ces expériences, ces normes vitales dotées devaleurs négatives, comme la douleur, la maladie et lamort, qui font naître les sciences de la vie : « C’estl’anormal qui suscite l’intérêt théorique pour le normal.(…) La vie ne s’élève à la conscience et à la scienced’elle-même que par l’inadaptation, l’échec et la dou-leur », écrit Canguilhem dans Le normal et le patholo-gique.15

Ainsi, les sciences de l’homme (qu’elles prennent pourobjet l’homme en tant qu’être vivant ou en tant quesujet psychologique ou social) participent de l’affirma-tion et de l’institution de normes et de valeurs visantà corriger ou à remédier à des situations qui sont vécuescomme anormales,que ce soit,par exemple, tel fonctionne-ment de l’organisme individuel ou tel phénomène social.Les sciences de l’homme s’inscrivent dans un ensemble denormes et de valeurs, elles renvoient toujours à une viséenormative, un projet pour l’homme et la société.

Quel projet anthropologique pour la médecine contemporaine?

Précisément,quel projet anthropologique sous-tend lamédecine moderne et contemporaine et les sciencessur lesquelles elle s’appuie? Quelle vision de l’hommepossèdent-elles? Quelle visée nourrissent-elles pourlui? Si le questionnement épistémologique sur la méde-cine ne saurait se séparer d’un questionnement anthro-pologique sur son sens, ses valeurs et ses fins, il faut enparticulier s’interroger sur la manière dont visée indi-viduelle et visée collective s’articulent et, parfois, seconfrontent dans la médecine contemporaine. Cette

12 L’expression est de Judith Revel dans un ouvrage introductif éclairant: Le vocabulaire de Foucault, Paris, Ellipses, 2002, p. 63.13 Sur l’individualisation et l’identité, cf. Michel Foucault, « Foucault étudie la raison d’État » (1980), in Dits et écrits II, op. cit., p. 856 : « Je consi-dère que, depuis les années soixante, subjectivité, identité, individualité constituent un problème politique majeur. Il est dangereux, selon moi,de considérer l’identité et la subjectivité comme des composantes profondes et naturelles, qui ne seraient pas déterminées par des facteurspolitiques et sociaux. Nous devons nous libérer du type de subjectivité dont traitent les psychanalystes. »Cf. aussi Michel Foucault, « Le sujet et le pouvoir » (1982), in Dits et écrits II, op. cit., p. 1046: « Cette forme de pouvoir [le gouvernement parl’individualisation] s’exerce sur la vie quotidienne immédiate, qui classe les individus en catégories, les désigne par leur individualité propre, lesattache à leur identité, leur impose une loi de vérité qu’il leur faut reconnaître et que les autres doivent reconnaître en eux. C’est une formede pouvoir qui transforme les individus en sujets. Il y a deux sens au mot « sujet »: sujet soumis à l’autre par le contrôle et la dépendance, etsujet attaché à sa propre identité par la conscience ou la connaissance de soi.Dans les deux cas, ce mot suggère une forme de pouvoir qui sub-jugue et assujettit. »14 Georges Canguilhem, « Qu’est-ce que la psychologie? » (1956), in Études d’histoire et de philosophie des sciences, Paris,Vrin, 1968, p. 365-381.15 Georges Canguilhem, Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique (1943), op. cit., p. 139.

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tension entre visée individuelle et visée collective appa-raît dans les deux conceptions de la médecine que j’aiexposées, celle, individuelle et soignante, de GeorgesCanguilhem et celle, sociale, de Michel Foucault.

D’un côté, Michel Foucault affirme que notre méde-cine n’est pas individuelle mais collective ou popula-tionnelle et qu’elle n’est individualisante, promotricede l’identité et de l’autonomie des personnes,que dansla mesure où elle s’inscrit dans un ensemble plus largede savoirs et de pouvoirs visant à conserver et pro-mouvoir la santé de la population. Pour Foucault, lamédecine moderne s’est historiquement constituéecomme une technique de normalisation des individusà visée collective. D’un autre côté, GeorgesCanguilhem affirme que l’essence de la médecine,depuis son origine dans la clinique hippocratique, estde rétablir la santé de l’individu. Pour lui, la médecineest une technique de normalisation qui certes s’inscritdans la société et les normes sociales,mais dont la viséeest individuelle.

En effet, selon lui, le normal et le pathologique ne sedéfinissent que de manière individuelle, et non collec-tive ou statistique. Les normes de vie d’un sujet sontdes comportements qui prennent pour lui une cer-taine qualité ou valeur. Celle-ci ne peut être évaluéecomme positive ou négative, bonne ou mauvaise quede manière singulière et en fonction de ce que ce sujetéprouve et juge (je laisse de côté la question, ici secon-daire, des cas où le sujet est inconscient ou incapablede s’exprimer). Déterminer l’état normal ou patho-logique d’un sujet est un jugement strictement individuelqui implique de prendre en compte sa totalité indivi-duelle - dans ses dimensions biologique, psycholo-gique et sociale -, ainsi que la qualité éprouvée de sarelation au monde. C’est pourquoi un diagnostic nerepose pas sur la comparaison des caractéristiquesanatomiques ou biologiques d’un individu avec lesnormes statistiques de la population dont il fait par-tie, mais sur la comparaison de ses normes indivi-duelles de vie à différents moments de son existence.L’idée fondamentale de Canguilhem est que le nor-mal, la santé vécue, est la réalisation d’un équilibre entrele sujet et le monde dont le sujet garde l’initiative. Lenormal est une relation au monde à travers laquellele sujet éprouve sa liberté d’agir et d’exister.16 C’estpourquoi le normal et le pathologique ne peuventfaire l’objet que d’une évaluation et d’une compréhen-sion individuelle – c’est le rôle de la clinique -, puis, lorsquec’est possible, d’une normalisation individuelle – c’est lerôle de la thérapeutique. Non seulement le souci de

l’individualité est historiquement premier en méde-cine puisque la médecine en Occident naît de la cli-nique hippocratique, mais ce souci de l’individualitéest aussi axiologiquement premier : la clinique et lathérapeutique sont les activités essentielles du méde-cin.

En affirmant et en défendant la visée individuelle de lamédecine,Canguilhem demande que la médecine soitau clair avec son anthropologie,avec sa vision de l’homme,avec ses valeurs et ses fins. Dès les années 1930,Canguilhem rappelait que la vocation de la médecineest de contribuer à adapter la société à l’homme, et nonl’homme à la société :

« L’individu menace la médecine.L’individu réapparaît.(…) Le corps humain est doublement individualisé; ill’est en tant que vivant, et comme n’importe quel ani-mal ; mais il l’est – et combien davantage ! – en tantqu’humain, c’est-à-dire en tant qu’inséparable d’unesprit, d’une personnalité. C’est tel homme que lemédecin doit sauver. (…) Il faut chercher à un individumalade un milieu, une nourriture, une occupationappropriée.Cela suppose que l’homme ne compte pluscomme une unité-partie – conscrit à la caserne,enfantdans une crèche, etc…- mais désormais comme uneunité-tout. Cela suppose la société pour l’individu etnon uniquement l’individu pour la société.Renversement difficile. »17

Si la médecine est bien une activité normalisatrice (ils’agit bien de faire disparaître ou de corriger l’anor-mal, la maladie, la souffrance) et si elle est condition-née par les normes sociales, il n’empêche qu’elle neleur est pas subordonnée et qu’elle doit demeurer auservice de l’individu. Elle n’a pas vocation à adapter lesindividus aux normes sociales, mais à leur permettred’en être les sujets et les inventeurs, à leur permettrede se les approprier y compris en les critiquant, en yrésistant et en les transformant.

Déclarer le sens individuel de la médecine, c’est donc,pourCanguilhem, déplorer que l’histoire de la médecine l’aitmenée à un dévoiement, à une perte de son essence et desa visée individuelles initiales. C’est là un point de diver-gence avec Michel Foucault qui, lui, analyse la méde-cine comme un processus historique et un dispositifsocial et politique qu’il ne voit pas comme la perted’une essence originelle,éventuellement à retrouver.Aucontraire, Canguilhem souligne l’occultation de l’indi-vidualité et de la subjectivité dans la médecine contem-poraine. Il s’interroge « sur la place que l’attention

16 Georges Canguilhem,« La santé:concept vulgaire et question philosophique » (1988), in Écrits sur la médecine,Paris,Seuil,2002,p.62:L’hommesain est « celui qui s’adapte silencieusement à ses tâches, qui vit sa vérité d’existence dans la liberté relative de ses choix. »17 Georges Canguilhem,«A la gloire d’Hippocrate,père du tempérament »,Libres Propos, 20 août 1929,p.297-298.Compte rendu de R.Allendy,Orientation des idées médicales, Paris,Au sans pareil, 1929.

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accordée par un médecin singulier à un malade singu-lier peut prétendre encore tenir dans un espace médi-cal de plus en plus occupé, à l’échelle des nations ditesdéveloppées, par les équipements et règlements sani-taires et par la multiplication programmée des« machines à guérir ». »18

Canguilhem remarque que:« Sous l’effet des demandes de la politique la méde-cine a été appelée à adopter l’allure et les procédésd’une technologie biologique.Et l’on doit constater ici(…) la mise entre parenthèses du malade individuel,objet singulier,électif,de l’attention et de l’interventiondu médecin clinicien. »19

Le statut épistémologique de la médecine: une technique individuelle et soignante au carrefour de plusieurs sciences

Je suivrai Canguilhem dans cette affirmation de la fina-lité individuelle de la médecine. Celle-ci permet decomprendre que la médecine constitue une techniqueou un art,et non une science.Elle implique in fine de sai-sir que la médecine a besoin de s’appuyer sur une plu-ralité de sciences,dont font partie les sciences biomé-dicales mais aussi les sciences humaines et sociales.

La médecine a en effet pour tâche de comprendre lesnormes de vie - biologiques, psychologiques etsociales - qu’un sujet, toujours unique, a perdues dufait d’une maladie ou d’un accident. Elle chercheensuite à restaurer ces normes ou à en instaurer denouvelles, proches de celles qui ont été perdues oualtérées, que le sujet ressentira et jugera commesiennes, comme normales pour lui. Cette définitionde la médecine s’illustre particulièrement bien dans laprise en charge de maladies graves ou chroniques.Dans cette perspective, on saisit que la médecine neconstitue pas une science mais une technique ou unart qui s’appuie sur une multiplicité de sciences maisne s’y réduit pas.20

Premièrement, la médecine a affaire à une individua-lité à laquelle elle ne peut appliquer les généralitésissues des sciences, que ces sciences soient biolo-giques (anatomiques,physiologiques,bactériologiques,immunologiques, génétiques, épidémiologiques, etc.)

ou humaines (psychologiques, sociologiques, etc.).Cessciences doivent être articulées en vue de parvenir àune connaissance de l’individu, du sujet malade.Deuxièmement, la médecine a affaire à une subjecti-vité. Or, les sciences biologiques que la médecine uti-lise mettent entre parenthèses l’expérience subjec-tive du malade et le sens qu’il donne à sa vie et à samaladie. On ne saurait leur en faire grief puisque cen’est pas leur objet : ce mouvement d’objectivationscientifique de la maladie ne constitue pas un échecde la médecine,mais il fonde sa puissance.Cependant,cette objectivation, si nécessaire qu’elle soit, est à elleseule insuffisante. La pratique médicale demande ausside savoir mettre entre parenthèses ses connaissancesscientifiques sur la maladie pour « changer deregistre » et revenir à l’expérience du sujet. Il s’agit deparvenir à une alliance entre connaissance objectivede la maladie et compréhension de l’expérience sub-jective du malade.21Troisièmement enfin, la médecinemet en oeuvre une action, normalisatrice ou correc-trice, qui la distingue bien entendu de la science.

Nous retrouvons ici la question de la science de l’indi-vidualité comme singularité. Pour connaître les normesindividuelles de vie des patients et pour les soigner demanière individualisée, la médecine a besoin de solliciternon seulement les sciences biologiques qui les étudientcomme organismes, mais aussi les sciences humaines etsociales qui les étudient,dans leur complexité, comme sujetshistoriques,psychologiques, sociaux, culturels, économiques,juridiques, moraux, etc.

Le médecin qui pratique la médecine comme si elleétait une science ou l’application de sciences enignore le statut technique parce que, plus fondamen-talement, il occulte qu’il soigne des sujets humains etsociaux, des êtres de valeurs, qu’il ne saurait appré-hender qu’au moyen d’une pluralité de savoirs.Premièrement, il oublie que les phénomènes étudiéspar les sciences biologiques (anomalies morpholo-giques, dysfonctionnements physiologiques, etc.) nesont tenus par la médecine puis par ces sciences pournormaux ou pathologiques que parce qu’ils reflètentles jugements de valeurs éprouvés et exprimés par lessujets humains sur leurs expériences de vie. Les phé-nomènes normaux et pathologiques, que les sciencesétudient selon des méthodes objectives, ne reçoiventleur statut de normal ou de pathologique que du

18 Georges Canguilhem, « Une pédagogie de la guérison est-elle possible? » (1978), in Écrits sur la médecine, Paris, Seuil, 2002, p. 86.19 Georges Canguilhem, « Le statut épistémologique de la médecine » (1988), in Études d’histoire et de philosophie des sciences, p. 421-422.20 Sur le statut technique de la médecine, cf. notamment Georges Canguilhem, Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le patholo-gique (1943), op. cit., p. 8 : « Il nous a semblé que l’essentiel en médecine était, malgré tant d’efforts louables pour y introduire des méthodes derationalisation scientifique, la clinique et la thérapeutique, c’est-à-dire une technique d’instauration ou de restauration du normal, qui ne selaisse pas entièrement et simplement réduire à la seule connaissance. »21 Georges Canguilhem, « Puissances et limites de la rationalité en médecine » (1978), Études d’histoire et de philosophique, Paris,Vrin, 1989, p.408.

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jugement subjectif des individus qui se sentent bienportants ou, au contraire, souffrants.22

Deuxièmement, un tel médecin oublie que lesnormes biologiques humaines (par exemple desnormes physiologiques comme la glycémie, la pres-sion artérielle, la diurèse) sont en partie construitespar les normes et les valeurs sociales. C’est aussi lamanière dont nous vivons, dont nous travaillons, dontnous nous alimentons, dont nous nous déplaçons,dont nous faisons des enfants, etc. qui détermine,dans une société donnée, le fonctionnement de notreorganisme et nos normes biologiques.Troisièmementenfin, le normal et le pathologique eux-mêmesvarient en fonction des normes et de la demandesociales. Ce que nous tenons collectivement pournormal ou pathologique dépend des normes et desvaleurs qui règlent nos vies (normes politiques, éco-nomiques, sociales, culturelles, religieuses, morales,esthétiques, etc.).

De fait, si l’on en revient à la prise en charge clinique dusujet malade considéré dans son individualité, elle exiged’allier à la connaissance biomédicale de la maladie uneconnaissance complexe de sa vie biologique, psycholo-gique et sociale que les sciences humaines et socialespeuvent informer. Les anomalies morphologiques, lesécarts des constantes physiologiques, les marqueursgénétiques, etc. qui sont repérés chez lui ne permet-tent pas à eux seuls, ni même comparés aux normesstatistiques de la population dont il fait partie, dedéterminer si son état est normal ou pathologique.23

Ces indicateurs ne prennent une signification diagnos-tique qu’une fois mis en relation avec l’observation cli-nique de ce sujet, incluant la prise en compte de son his-toire, de ses normes de vie, de l’expérience qu’il fait desa vie et de sa santé, du sens et de la valeur qu’il leuraccorde.24

On le sait, l’oubli de la visée individuelle de la médecineet celui, corollaire, de son statut technique, encorevivaces dans notre médecine contemporaine, procè-dent de la médecine du XIXe siècle qui réduisait lamédecine à une science ou à l’application des sciences.Ce double oubli a contribué, et contribue encore, àexercer la médecine comme une normalisation collective,à partir d’une vision statistique et standardisée desmaladies et des protocoles thérapeutiques. L’un desaxes fondamentaux de l’épistémologie de la médecinede Georges Canguilhem aura précisément consisté àmontrer le lien entre la conception scientiste de la méde-cine et sa pratique standardisante, qui occulte à la fois l’in-dividualité et la subjectivité du patient.

Finalement, l’origine et la visée individuelles de la méde-cine ainsi que son statut technique révèlent son essencesoignante. Si l’on appelle « soin » le souci de l’autre, consi-déré en sa totalité, sa singularité et en sa liberté, il appa-raît que le soin fait le fond et le sens même de la médecine.La visée du soin constitue le cœur même de la médecine.Technique individuelle et soignante au carrefour de plu-sieurs sciences, la médecine a donc besoin de s’appuyersur d’autres sciences que les sciences biomédicales. Elle abesoin de l’histoire des sciences et de l’épistémologiequi lui apportent un recul réflexif sur les sciences duvivant qu’elle utilise. Elle a aussi besoin des scienceshumaines et sociales qui lui apportent un recul réflexifsur les valeurs et les normes sociales qui orientent nonseulement la construction des sciences du vivant maisaussi l’ensemble des discours et des pratiques mobili-sés par la médecine.Appuyée sur ces sciences, la méde-cine pourrait être plus consciente des valeurs et de lavision de l’homme qu’elle porte. Elle pourrait mieuxs’interroger sur ses fins et sur le projet anthropolo-gique auquel elle participe. Finalement, les scienceshumaines et sociales ainsi que les sciences en soins

22 Cf. Georges Canguilhem, Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique (1943), op. cit, p. 139: « Le physiologiste a ten-dance à oublier qu’une médecine clinique et thérapeutique (…) a précédé la physiologie. Cet oubli une fois réparé, on est conduit à penserque c’est l’expérience d’un obstacle, vécue d’abord par un homme concret, sous forme de maladie, qui a suscité la pathologie, sous ses deuxaspects, de séméiologie clinique et d’interprétation physiologique des symptômes. S’il n’y avait pas d’obstacles pathologiques, il n’y aurait pasnon plus de physiologie, car il n’y aurait pas de problèmes physiologiques à résoudre. »Cf. ibid., p.153:« En matière de pathologie, le premier mot,historiquement parlant, et le dernier mot, logiquement parlant, revient à la clinique.(…). L’appel au médecin vient du malade. C’est l’écho de cet appel pathétique qui fait qualifier de pathologiques toutes les sciences qu’utiliseau secours de la vie la technique médicale.C’est ainsi qu’il y a une anatomie pathologique, une physiologie pathologique, une histologie patho-logique, une embryologie pathologique.Mais leur qualité de pathologique est un import d’origine technique et par là d’origine subjective. Il n’ya pas de pathologie objective.On peut décrire objectivement des structures ou des comportements,on ne peut les dire « pathologiques » surla foi d’aucun critère purement objectif. Objectivement, on ne peut définir que des variétés ou des différences, sans valeur vitale positive ounégative. »23 Ibid., p. 152: « Quand on pense que l’observation anatomique et histologique, que le test physiologique, que l’examen bactériologique sontdes méthodes qui permettent de porter scientifiquement, et certains pensent même en l’absence de tout interrogatoire et exploration cli-nique, le diagnostic de la maladie, on est victime selon nous de la confusion philosophiquement la plus grave, et thérapeutiquement parfois laplus dangereuse. Un microscope, un thermomètre, un bouillon de culture ne savent pas une médecine que le médecin ignorerait. Ils donnentun résultat. Ce résultat n’a en soi aucune valeur diagnostique. Pour porter un diagnostic, il faut observer le comportement du malade. »24 Bien entendu,un sujet peut être affecté d’une pathologie sans vivre une vie pathologique et cela ne signifie nullement qu’il ne relève pas d’uneprise en charge médicale. Dans le cas de pathologies asymptômatiques, ce sont précisément le dépistage et l’annonce du diagnostic qui fontbasculer le sujet dans une vie pathologique, radicalement différente de sa vie normale. L’enjeu de sa prise en charge médicale sera alors lemême que dans le cas d’une maladie s’exprimant par des symptômes: il s’agira de cerner comment la vie du sujet est altérée dans ses dimen-sions biologique, psychologique et sociale et d’adapter les traitements à sa singularité.

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infirmiers permettraient de penser et de pratiquer lamédecine en connaissant mieux et en tenant comptedes sujets qui la font, que ce soit les sujets soignés oules sujets soignants.

CONCLUSION

De manière différente,Georges Canguilhem et MichelFoucault ont montré l’intérêt de penser les sciencesde l’homme et,en particulier, la médecine à partir d’uneanalyse historique et épistémologique de leursconcepts, pratiques et acteurs. Canguilhem nous aenseigné la nécessité d’interroger et de décrypter lesens, la signification et l’orientation anthropologiquesqu’elles revêtent. Il a montré qu’il faut être notammentconscient qu’en médecine visée individuelle et viséecollective entrent en tension, voire en conflit.

En outre, les réflexions canguilhemiennes sur le nor-mal et le pathologique ont renversé la perspectivemédicale sur la santé et à la maladie : elles ont permisde penser la santé et la maladie du point de vue dusujet, à partir de son expérience, en fonction de sesnormes et valeurs de vie. Canguilhem a ouvert lemoment contemporain, que l’on pourrait appeler « lemoment du soin ».25 Ce moment du soin met enœuvre un autre renversement radical qui consiste àne plus penser le soin de manière subordonnée ousupplémentaire à la médecine,mais à penser la méde-cine du point de vue du soin, à partir du soin qui en estla finalité et l’essence. Ce rappel et cette affirmationde l’essence soignante de la médecine ont rencontréde nombreux échos au XXe siècle : que l’on songe àl’essor des soins palliatifs, à l’importance, dans larecherche comme dans les soins, de la prise encompte de l’expérience des patients notamment àtravers leurs représentants ou leurs associations, quel’on songe aussi à la reconnaissance des droits despersonnes malades, à l’évolution de la prise en chargedes maladies chroniques, etc.

Finalement,affirmer avec Canguilhem que la médecineest une technique individuelle et soignante conduit àsouligner la nécessité pour elle de s’appuyer sur unepluralité de sciences, notamment biomédicales mais aussihumaines et sociales. Pour aborder et aider le sujet soigné,pour le considérer dans son individualité et sa complexité,il faut cette pluralité de savoirs. Les sciences humaines etsociales permettent de connaître non seulement l’his-toire, les concepts et les valeurs des sciences biomé-dicales et de leurs acteurs, mais aussi l’histoire, l’an-

thropologie, la sociologie, la psychologie, etc. desmalades eux-mêmes.Lorsqu’elles sont enseignées dansla formation médicale,ces sciences instituent - ou ten-tent d’instituer - les futurs médecins en sujets respon-sables et elles réinstituent - ou tentent d’instituer - lesmalades en sujets, notamment sociaux, dont le statutexcède celui de patients.

Je crois que nous entrons désormais dans uneseconde phase du moment contemporain du soin quiappelle à penser la médecine et le soin du point de vuedes sujets soignants. Il s’agit non seulement d’affirmerl’essence soignante de la médecine,mais aussi de pen-ser et d’étudier la spécificité, la diversité et la complexitédes pratiques de soins. Il faut non seulement analyser lesproblèmes et les valeurs éthiques en jeu dans le soinet dans les soins, mais il faut aussi favoriser la consti-tution de sciences des soins qui étudieront l’histoire,les problèmes, les savoirs, les discours, les pratiques,les acteurs, les institutions, les valeurs en jeu dans lessoins, et notamment dans les soins infirmiers. Parmiles sciences qui participent à la formation des méde-cins et des soignants, il est aujourd’hui indispensablede promouvoir des sciences portant sur les sujets soi-gnants.

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25 Selon une expression que j’emprunte à Frédéric Worms en lui donnant un sens différent. Sur la question contemporaine du soin, je me per-mets de renvoyer à L. Benaroyo,C. Lefève, J. – C.Mino, F.Worms (dir.), La philosophie du soin.Éthique,médecine et société, Paris, PUF, à paraître enavril 2010.

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