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51 51 I nterview HUGUES VASSAL / AKG-IMAGES JERRYCOM PHOTOS : ABACA ABANDONNé PAR SON PèRE, CONFIé à SA TANTE HéLèNE ET SES COUSINES DANSEUSES DESTA ET MENEN, LE ROCKER A VU SON DESTIN BASCULER, APRèS SA RENCONTRE AVEC CET AMéRICAIN, à LONDRES, EN 1946. APRèS AVOIR éPOUSé DESTA, CE SALTIMBANQUE ITINéRANT A EMBARQUé TOUTE LA FAMILLE AVEC LUI, INITIANT LE PETIT SMET à LA DURE éCOLE DU SPECTACLE. AUTEUR DE JOHNNY, L’INCROYABLE HISTOIRE (éDITIONS PRISMA), éRIC LE BOURHIS A RETROUVé SA TRACE SUR LES BORDS DE LA TAMISE. ET REVISITé L’HISTOIRE, LA VRAIE… Lee HALLYDAY Johnny lui doit tout UN LIVRE POUR LES FANS ET LES AUTRES Entre l’hommage et l’enquête « Tout ce que vous ne saviez pas encore sur lui » : c’est l’accroche de Johnny, L’incroyable histoire (Editions Prisma), écrit par le journaliste Eric Le Bourhis. Le propos est ambitieux, tant on a l’impression de tout connaître sur le chanteur. Mais nourri de témoignages inédits et s’attardant sur les derniers chapitres de la vie du rocker et le rôle joué par son épouse Laeticia, ce livre, ni flagorneur ni destructeur de mythe, parvient encore à susciter l’intérêt. T. D. E ric Le Bourhis : quel rôle avez-vous joué auprès de Johnny ? Celui d’un père de substitution ? Lee Hallyday : C’est à lui qu’il faudrait demander ça. Ce que je peux dire, c’est que j’étais le chef d’une famille de quatre per- sonnes qui vivaient et voyageaient ensemble. Je prenais les décisions et gérais l’argent, mais c’est sa tante Hélène qui s’est vraiment occupée de lui. Tous les deux nous suivaient en tournée, alors qu’avec ses cousines, Desta et Menen, nous proposions un numéro de danse acrobatique. Johnny et Hélène dormaient dans la même chambre. Il n’est jamais allé à l’école, mais il suivait des cours par correspondance. Avec Hélène, il travaillait tous les jours : les matières scolaires le matin et les matières artistiques le reste du temps. Dès que nous arrivions dans une capitale européenne, elle lui cherchait un professeur, afin qu’il sache très vite lire et écrire la musique, mais aussi jouer des instruments. Elle lui parlait même en anglais. C’est vraiment sa tante qui l’a poussé et préparé à devenir une star, dès son plus jeune âge. Elle a eu une vision qui ne l’a jamais quittée. Johnny le sait bien. E. L. B. : Que vous doit-il ? L. H. : Depuis l’âge de trois ans, il a vécu sur la route avec nous. Il s’est imprégné de cette culture. Pendant dix ans, il a observé com- ment nous communiions avec le public pour qu’il applaudisse et se lève, comment nous jouions notre vie à chaque fois… Même quand on était blessé, on montait sur scène, sinon on ne mangeait pas ! Nous avons contribué à son éducation en tant qu’artiste. Après, tout le reste a joué : sa beauté, son incroyable charisme et ce don divin qu’il avait. Personne ne peut créer ça. Je me suis occupé de ses premiers concerts. Et après ses premiers succès, je suis resté son directeur artistique. Je lui trouvais des chansons, essen- tiellement des hits américains qu’on adaptait pour la France. Il fallait aussi recruter les bons musiciens, gérer le travail en studio et mettre en scène les spectacles. Je l’ai amené aussi loin que j’ai pu. Il a ouvert son registre à d’autres styles et Johnny Stark est arrivé. Nous avons quand même travaillé ensemble jusqu’à la fin des années soixante. Je suis revenu dans son entourage professionnel pendant une douzaine de mois, à la fin des années soixante-dix, mais j’avais fait le tour du show-biz et gagné assez d’argent. Divorcé d’avec Desta, j’ai décidé de quitter la France et de rentrer chez moi, aux Etats-Unis. E. L. B. : Comment se comportait Johnny, quand vous travailliez avec lui ? Etait-il docile ? L. H. : C’était lui le boss. On proposait, il décidait. Nous étions ses auxiliaires. Il a toujours voulu rester maître de ce qu’il chantait. Je n’ai jamais vu quelqu’un lui imposer quoi que ce soit. Il sait prendre les bonnes décisions. C’est sans aucun doute l’un des secrets de sa longévité. Pour tout le reste, il fait confiance aux gens. Il laisse faire. Parfois un peu trop… E. L. B. : Se méprend-on sur le vrai caractère de Johnny ? L. H. : Il a un côté flegmatique, qui est l’une de ses grandes forces. Son rythme cardiaque est celui d’un athlète de haut niveau. Il est calme. Il sait lire à travers les gens. Il voit clair, très clair. Il reste souvent impassible et ne montre rien. Moi, qui suis d’une nature hyperactive, ça me rendait fou ! J’ai rarement eu de longues conversations avec lui. Il était très introverti, même adolescent. Timide ? Je ne sais pas si c’est le bon adjectif. Mais très sensible et dans le contrôle de lui-même, ça oui. E. L. B. : Comment expliquer alors ses moments de communion avec des stades entiers ? L. H. : Comme un acteur, il est capable d’exprimer énormément d’émotions. Il sait comment manipuler le public ! D’ailleurs, il a toujours rêvé d’être acteur de cinéma. C’était une obsession. Il fantasmait sur une carrière illustre, à la Belmondo. E. L. B. : Pourquoi ne vous voit-on plus dans son entourage ? L. H. : Contrairement à une certaine rumeur, nous ne sommes pas brouillés. On s’adore, même si on ne se voit plus vraiment. Je suis allé chez lui à Marnes-la-Coquette, il y a trois ans. Il m’a invité à venir le voir dans sa nouvelle maison de Los Angeles. Il avait l’air particulièrement heureux en me parlant de sa famille. Mais je n’irai pas. Je ne suis plus en état de faire ce genre de voyage ! Même une visite à Paris est devenue trop fatigante pour moi. Mais nous communiquons souvent par téléphone ou par courriel. Entre nous, il existe un lien de cœur indéfectible. J Ci-contre : Lee aux côtés de Johnny et Desta à « Sacrée Soirée », en 1992. Ci-dessous, à g. : avec Desta, Johnny a 14 ans et rêve déjà d’imiter Elvis. En bas : à l’âge de 7 ans, en 1950, avec Desta et sa tante Hélène, qui veillera aussi à son éducation musicale. En 1965, dans les coulisses de l’Olympia, où Johnny, déjà star, chantera plus d’un mois. Johnny Stark a remplacé Lee dans le rôle de l’imprésario. Mais le jeune rocker n’oublie pas qu’il doit à ce « père de cœur » son nom d’artiste, son goût de la scène et ses premiers cachets. DR

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Page 1: Lee HaLLyday Johnny lui doit tout - Editions · PDF file51 Interview hugues vassal / akg-images jerryCom P ho T os : aba C a AbAndonné pAr son père, confié à sA tAnte Hélène

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AbAndonné pAr son père, confié à sA tAnte Hélène et ses cousines dAnseuses destA et Menen, le rocker A vu son destin bAsculer,

Après sA rencontre Avec cet AMéricAin, à londres, en 1946. Après Avoir épousé destA, ce sAltiMbAnque itinérAnt A eMbArqué toute lA fAMille

Avec lui, initiAnt le petit sMet à lA dure école du spectAcle. Auteur de Johnny, l’incroyable histoire (éditions prisMA), éric le bourHis A retrouvé sA trAce

sur les bords de lA tAMise. et revisité l’Histoire, lA vrAie…

Lee HaLLydayJohnny lui doit tout

Un livre poUr les fans et les aUtresEntre l’hommage et l’enquête« Tout ce que vous ne saviez pas encore sur lui » : c’est l’accroche de Johnny, L’incroyable histoire (Editions Prisma), écrit par le journaliste Eric Le Bourhis. Le propos est ambitieux, tant on a l’impression de tout connaître sur le chanteur. Mais nourri de témoignages inédits et s’attardant sur les derniers chapitres de la vie du rocker et le rôle joué par son épouse Laeticia,  ce livre, ni flagorneur ni destructeur de mythe, parvient encore à susciter l’intérêt. T. D.

E ric Le Bourhis : quel rôle avez-vous joué auprès de Johnny ? Celui d’un père de substitution ?

Lee Hallyday : C’est à lui qu’il faudrait demander ça. Ce que je peux dire, c’est que j’étais le chef d’une famille de quatre per-sonnes qui vivaient et voyageaient ensemble. Je prenais les décisions et gérais l’argent, mais c’est sa tante Hélène qui s’est vraiment occupée de lui. Tous les deux nous suivaient en tournée, alors qu’avec ses cousines,Desta et Menen, nous proposions un numéro de danse acrobatique. Johnny et Hélène dormaient dans la même chambre. Il n’est jamais allé à l’école, mais il suivait des cours par correspondance. Avec Hélène, il travaillait tous les jours : les matières scolaires le matin et les matières artistiques le reste du temps. Dès que nous arrivions dans une capitale européenne, elle lui cherchait un professeur, afin qu’il sache très vite lire et écrire la musique, mais aussi jouer des instruments. Elle lui parlait même en anglais. C’est vraiment sa tante qui l’a poussé et préparé à devenir une star, dès son plus jeune âge. Elle a eu une vision qui ne l’a jamais quittée. Johnny le sait bien.E. L. B. : Que vous doit-il ?L. H. : Depuis l’âge de trois ans, il a vécu sur la route avec nous. Il s’est imprégné de cette culture. Pendant dix ans, il a observé com-ment nous communiions avec le public pour qu’il applaudisse et se lève, comment nous jouions notre vie à chaque fois… Même quand on était blessé, on montait sur scène, sinon on ne mangeait pas ! Nous avons contribué à son éducation en tant qu’artiste. Après, tout le reste a joué : sa beauté, son incroyable charisme et ce don divin qu’il avait.

Personne ne peut créer ça. Je me suis occupé de ses premiers concerts. Et après ses premiers succès, je suis resté son directeur artistique. Je lui trouvais des chansons, essen-tiellement des hits américains qu’on adaptait pour la France. Il fallait aussi recruter les bons musiciens, gérer le travail en studio et mettre en scène les spectacles. Je l’ai amené aussi loin que j’ai pu. Il a ouvert son registre à d’autres styles et Johnny Stark est arrivé. Nous avons quand même travaillé ensemble jusqu’à la fin des années soixante. Je suis revenu dans son entourage professionnel pendant une douzaine de mois, à la fin des années soixante-dix, mais j’avais fait le tour du show-biz et gagné assez d’argent. Divorcé d’avec Desta, j’ai décidé de quitter la France et de rentrer chez moi, aux Etats-Unis. E. L. B. : Comment se comportait Johnny, quand vous travailliez avec lui ? Etait-il docile ?L. H. : C’était lui le boss. On proposait, il décidait. Nous étions ses auxiliaires. Il a toujours voulu rester maître de ce qu’il chantait. Je n’ai jamais vu quelqu’un lui imposer quoi que ce soit. Il sait prendre les bonnes décisions. C’est sans aucun doute l’un des secrets de sa longévité. Pour tout le reste, il fait confiance aux gens. Il laisse faire. Parfois un peu trop…E. L. B. : Se méprend-on sur le vrai caractère de Johnny ?L. H. : Il a un côté flegmatique, qui est l’une de ses grandes forces. Son rythme cardiaque est celui d’un athlète de haut niveau. Il est calme. Il sait lire à travers les gens. Il voit clair, très clair. Il reste souvent impassible et ne

montre rien. Moi, qui suis d’une nature hyperactive, ça me rendait fou ! J’ai rarement eu de longues conversations avec lui. Il était très introverti, même adolescent. Timide ? Je ne sais pas si c’est le bon adjectif. Mais très sensible et dans le contrôle de lui-même, ça oui.E. L. B. : Comment expliquer alors ses moments de communion avec des stades entiers ?L. H. : Comme un acteur, il est capable d’exprimer énormément d’émotions. Il sait comment manipuler le public ! D’ailleurs, il a toujours rêvé d’être acteur de cinéma. C’était une obsession. Il fantasmait sur une carrière illustre, à la Belmondo. E. L. B. : Pourquoi ne vous voit-on plus dans son entourage ?L. H. : Contrairement à une certaine rumeur, nous ne sommes pas brouillés. On s’adore, même si on ne se voit plus vraiment. Je suis allé chez lui à Marnes-la-Coquette, il y a trois ans. Il m’a invité à venir le voir dans sa nouvelle maison de Los Angeles. Il avait l’air particulièrement heureux en me parlant de sa famille. Mais je n’irai pas. Je ne suis plus en état de faire ce genre de voyage ! Même une visite à Paris est devenue trop fatigante pour moi. Mais nous communiquons souvent par téléphone ou par courriel. Entre nous, il existe un lien de cœur indéfectible. J

Ci-contre : Lee aux  côtés de Johnny et Desta à « Sacrée Soirée », en 1992. Ci-dessous, à g. : avec Desta, Johnny a 14 ans et rêve  déjà d’imiter Elvis. En bas :  à l’âge de 7 ans, en 1950, avec Desta et sa tante Hélène, qui veillera aussi à son éducation musicale.

En 1965, dans les coulisses  de l’Olympia, où Johnny, déjà star, chantera plus d’un mois. Johnny Stark a remplacé Lee dans le  rôle de l’imprésario. Mais le jeune  rocker n’oublie pas qu’il doit  à ce « père de cœur » son nom  d’artiste, son goût de la scène  et ses premiers cachets.

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