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Tous droits réservés © La Société La Vie des Arts, 1976 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 26 août 2020 13:52 Vie des arts Lectures Volume 21, numéro 85, hiver 1976–1977 URI : https://id.erudit.org/iderudit/54967ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) La Société La Vie des Arts ISSN 0042-5435 (imprimé) 1923-3183 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article (1976). Lectures. Vie des arts, 21 (85), 92–97.

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Page 1: Lectures - Érudit · ROBERT DELAUNAY Michel HOOG, Robert Delaunay. Paris, Flammarion (Coll. Les Maîtres de la Peinture Moderne), 1976. 96 p.; Illus. en couleur et en noir. A feuilleter

Tous droits réservés © La Société La Vie des Arts, 1976 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 26 août 2020 13:52

Vie des arts

Lectures

Volume 21, numéro 85, hiver 1976–1977

URI : https://id.erudit.org/iderudit/54967ac

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)La Société La Vie des Arts

ISSN0042-5435 (imprimé)1923-3183 (numérique)

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Citer cet article(1976). Lectures. Vie des arts, 21 (85), 92–97.

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lectures

MICHHL HOOG

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ROBERT DELAUNAY

Michel HOOG, Robert Delaunay. Paris, Flammarion (Coll. Les Maîtres de la Peinture Moderne), 1976. 96 p.; Illus. en couleur et en noir.

A feuilleter le dernier album de l'imposan­te collection des Maîtres de chez Flamma­rion, le Robert Delaunay de Michel Hoog, on est inquiété (ou rassuré selon le cas) du peu d'implications sociales et psychanalytiques, pour ne pas dire scientifiques, entre le texte hoogien et la pratique du peintre. Nous nous

situons ici sur le plan de Vhistoricisme mu-séologique, pour reprendre les termes du critique Marcelin Pleynet. Mais Hoog n'est-il pas conservateur au Musée de l'Orangerie et au Jeu-de-Paume de Paris? Michel Hoog, après « . . . de nombreuses années de re­cherches sur ce peintre plus admiré qu'étu­dié . . . » , selon le texte de la pochette, vient nous livrer le résultat de sa science . . . Mais, il y a science et science. Et nous nous référons autant à celle que Hoog entrevoit chez Delaunay qu'à celle prétendue par ce dernier. Nous sommes à une époque où \'in-dividuel transgressa se dresse au détriment de la transcendance du savoir.

Il est bien évident qu'un tel album (une telle collection) s'inscrit dans une perspec­tive culturelle des plus réactionnaires. Hoog nous situe dans le «climat culturel» euro­péen de cette première moitié de siècle, et ce, sans aucune projection historique, pour nous «entraîner» dans l'œuvre de Delaunay «au lyrisme puissant. . . inclassable». Hoog, continuant à postuler Vinclassabilité du peintre, ne part pas d'un principe propre à jeter une grande clarté sur le monde des arts, refuge de la confusion et de la mytho­logie du pouvoir en place.

Le nombre de clichés, d'incohérences, d'imprécisions et l'absence de toute ré­flexion critique attachée aux structures de la «dialectique de la contradiction» nous pla­cent devant un volume dénué de toute cogi­tation quelque peu intellectuelle. Hoog nous informe que Delaunay a «transgressé l'indi­viduel» . . . , et après? Qu'il a été «le maître et le créateur d'un éblouissant langage colo­ré». .., et après? Qu'il a connu André Bre­ton et les surréalistes, Cocteau, Apollinai­re . . . , et après? Qu'il a été «LE chantre de la technologie moderne . .., et après?

La mode semble être à la transgression de l'individuel; dans ce sens, ladite trans­gression répond bien aux actuels critères du pouvoir que l'on subit passivement, tout en agitant son illusoire petit drapeau révo­lutionnaire à la défense de la personne hu­maine. Tant qu'à la maîtrise d'un langage pictural quelconque, elle n'expliquera tou­jours bien qu'une maîtrise technique . . . Le fait d'avoir connu les célébrités artistiques de ce début de siècle n'est qu'un élément de plus à l'inconditionnelle sublimation de l'individuel bourgeois, surtout avec le peu d'explication que Hoog attache à ces «affi­nités». De plus, si Delaunay était le «chan­tre» de la technologie moderne, il faudrait savoir dans quel sens va l'assertion. Car l'art «.. . héritera, le plus souvent, de l'idéo­logie de la science plutôt que de la science, reprenant par là inconsciemment son rôle de serviteur et d'instrument de domination» (M. Pleynet, L'Enseignement de la peinture. Paris, Le Seuil (Coll. Tel Quel), 1971, p. 12). Nous sommes tentés de croire que Hoog ignore tout des réalités de l'analyse scienti­fique actuelle.

Les investigations psychanalytiques de Michel Hoog sont des plus limitées. Il émet la possibilité d'une quelconque influence sur Delaunay, assez jeune, du décès pater­nel, face à sa pratique picturale. Nous nous retrouvons devant le même vague constat des faits et gestes du peintre, en présence d'une elucidation des tableaux. Aucune théorie n'est avancée. Hoog «voit» des fem­mes nues devant des tours Eiffels plus ou moins stables, tout au cours de la démarche de Delaunay; il n'y a pas à sortir de là . . . Rien non plus de très explicite sur les diffé­

rentes phases géométriques, sur le passage du statisme-monochrome à la couleur-mou­vement. Quand la forme fascine, on n'a plus la force de comprendre la force en son de­dans, disait Jacques Derrida.

Le phénomène des influences redevables chez Delaunay au fauvisme, au cubisme, au surréalisme, ainsi que la projection de son œuvre vers le synchronisme américain, le futurisme italien s'arrêtent au seuil du vague relevé encyclopédique. Tant qu'à «l'épineux problème» que pose l'interaction de l'œu­vre de Robert et de Sonia (la femme de De­launay, elle aussi peintre et en quelque sor­te «continuatrice de l'inclassable») amène Hoog à commettre la perle suivante: «Notre mentalité masculine répugne à envisager un apport de la femme vers l'homme dans ce domaine . . .» (p. 49) Ici, non seulement on conserve les préjugés, on les applique . . . L'inconscient du peintre rejoint le champ inexploité de celui de Michel Hoog. Voilà jusqu'où peut mener l'auto-censure intellec­tuelle . . .

Alain HOULE

LE DESSIN SURREALISTE

Frantisek SMEJKAL, Le Dessin surréaliste. Paris, Éditions du Cercle d'Art, 1974. 50 pa­ges de texte illustrées; Bibliographie; 66 planches pleine page, certaines en couleur.

On peut écrire bien des livres sur le Surré­alisme et on en écrit beaucoup. Beaucoup trop peut-être, quand, plus que jamais, il faudrait poursuivre le travail commencé par les pionniers et les précurseurs. Je com­prends que l'on consacre un livre à l'objet surréaliste, tant l'expérience de déréifica-tion, d'extirpation d'un symbolisme incons­cient à l'état pur à partir des petits riens de la vie quotidienne, de désaliénation du pay­sage journalier dans lequel notre civilisation nous anesthésie à toutes les échelles, a été riche en découvertes et en progrès dans une reprise en main de la vie. Mais un livre sur Le Dessin surréaliste? Pourquoi le dessin? Certains plus que d'autres (Bellmer, Masson, Matta, etc.) ont usé de cette forme pour s'ex­primer. Mais tous, même ceux dont l'activité principale n'était pas plastique, ont dessiné. N'est-ce pas aborder le Surréalisme par les voies ordinaires de l'académisme le plus classique, dont le Surréalisme souhaitait plus que tout la disparition. Rien dans les quarante pages de texte, rien dans la biblio­graphie ni dans les illustrations, qui apporte quoi que ce soit de vraiment nouveau, incon­nu, qui ne soit répété à l'infini dans la multi­tude des gloses inutiles, grosses ou petites, dont nous sommes inondés à propos du Sur­réalisme. Il faut croire que les éditeurs et les marchands de livres y trouvent leur compte! Rien . . . sauf quatre pages consacrées au Surréalisme tchèque. Encore qu'on trouve une synthèse tout aussi, sinon plus, docu­mentée dans le précieux Dictionnaire de poche — Le Surréalisme, de José Pierre (Paris, Fernand Hazan, 1973). Là tout s'éclaire. A elles seules ces quatre pages justifieraient un livre. A côté de noms fami­liers, celui de Toyen en particulier, de com­bien de peintres inconnus ou mal connus dans notre monde occidental ne nous parle-t-on pas? On en sait donc un peu plus sur ce

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qui s'est passé dans ce pays, des années 20 aux années 70, sur l'intense activité qui a abouti à des expositions importantes com­me celles de 1932 et de 1948, et à des ren­contres internationales. C'est vraiment à ce sujet, à peine effleuré, qu'on souhaiterait que F. Smejkal, qui semble très bien docu­menté, consacre un ouvrage vraiment né­cessaire et qui devrait s'appliquer à toutes les activités surréalistes en Tchécoslova­quie, depuis le début et pendant toutes les clandestinités, sans se limiter arbitrairement aux seules productions plastiques.

Jacques GOMILA

LA CALLIGRAPHIE CHINOISE

Laszlo LEGEZA, Magie du Tao. — Le langa­ge secret des diagrammes et de la calligra­phie. Paris, Chêne, 1975. 125 p.; 83 pis; 67 illus. en noir.

Cette étude très fouillée sur la calligra­phie chinoise nous introduit dans un monde à peu près étranger à la civilisation occiden­tale. Le taôisme, religion populaire d'Extrê­me-Orient fut fondé par Laô-Tseu au Vie siècle avant J.-C; c'est un mélange de la philosophie du fondateur et de croyances pratiques populaires plus anciennes.

L'art graphique chinois était à son origine (2e millénaire av. J.-C.) un instrument de ma­gie permettant d'apprivoiser les forces oc­cultes de la nature, de se ménager la faveur des esprits et d'améliorer les conditions de l'existence. Ces instruments de magie se sont développés au cours des siècles pour atteindre un style d'un extrême raffinement et d'un niveau spirituel très élevé. Cet art abstrait met à jour des formes étonnantes qui font partie de l'art chinois au même titre que les bronzes, les jades, les figurines de terre cuite, la peinture chinoise classique et les céramiques.

Dès les débuts de la civilisation chinoise et jusqu'au XXe siècle, on a cru au pouvoir magique des talismans, des charmes et des diagrammes. Cette pérennité expliquerait sans doute les réticences persistantes des Chinois à récriture alphabétique, un écart considérable séparant les philosophies orientales et occidentales.

La signification de ces graphismes est ca­chée, secrète, et la doctrine qui s'y rattache est d'une extrême complexité. Une étude comme celle que nous offre Laszlo Legeza permet d'en pénétrer le mystère car la calli­graphie chinoise est traitée dans cet ouvra­ge sous l'angle de sa signification plutôt que sous celui des techniques: astrologie, chi­romancie, alchimie, acupuncture, etc.

Les différents chapitres de l'introduction dont les principaux sont: les Sources secrè­tes, l'Éternel changement, le Souffle vital, la Signification de yin et du yang, le Monde des Esprits, la Vision taôiste introduisent le lecteur à l'histoire et à l'explication des dia­grammes magiques, des charmes, des di­vers talismans du Taô et à leur signification profonde. Ces éléments représentent l'objet de la mystique chinoise qui est de transcen­der la réalité ordinaire pour atteindre à la Paix ultime, au Tout, à l'Absolu.

L'introduction est suivie de 83 planches et de 67 reproductions illustrant ces graphis­

mes. Ces charmes, talismans et diagrammes magiques ont été choisis parmis les plus ésotériques des mille quatre cent soixante-quatre œuvres rassemblées dans le Daozang du canon taôiste sur lequel l'auteur publie une note explicative à la fin du volume. Une bibliographie substantielle complète cette importante étude.

L'auteur, par des recherches approfon­dies, a mis à jour et expliqué la signification spirituelle de la calligraphie taôiste avec laquelle un grand nombre d'Occidentaux au­ront intérêt à se familiariser. Un extrait d'un ouvrage taôiste du Ville siècle résume bien l'élément majeur de la mystique unifiée qui est impliquée dans le talisman. Cet extrait est cité par Laszlo Legeza à la fin de son introduction:

«L'Être, c'est le Non-Être, et le Non-Étre, c'est l'Être; si tu sais cela, tu peux contrôler les esprits et les démons. Le Réel est Vide et le Vide est Réel; si tu sais cela, tu peux voir les étoiles même quand se lève l'aube . . . Si tu ne fais plus qu'un avec toutes choses, tu peux traverser l'eau et le feu sans en avoir aucun ma l . . . Seuls ceux qui ont le Taô peuvent accomplir de tels actes, encore vaut-il mieux qu'ils ne les accomplissent pas, même s'ils en sont capables.»

Lucile OUIMET

UNE IMAGINATION INQUIÈTE

Roland GIGUÈRE, J'imagine. Poème accom­pagné de 10 lithographies de Gérard Trem­blay. Montréal, Éditions Erta, 1976. Tirage: 45 exemplaires imprimés à la main sur vélin d'Arches.

D'une aventure à l'autre, Roland Giguère et Gérard Tremblay viennent de réaliser un autre de leurs projets en commun: un album intitulé J'imagine, qu'ils publient aux Éditions Erta.

Sur un poème quelque peu surréaliste de Giguère, Gérard Tremblay a composé une suite de dix images, chacune en deux couleurs et dont les signes s'inscrivent dans une fantaisie où la présence de la vie prime sur le lyrisme même de l'élan graphique.

Un peu comme une animation d'une bande dessinée où on ne présenterait au lecteur qu'un instant arbitraire de chaque séquence. Ainsi la main de l'homme ouvre-t-elle, sur la première image, la porte der­rière laquelle se meuvent autant formes animales que forces v i ta les. . . dans la manière d'un mandala.

Le jeu bichrome des couleurs, servi par une technique poussée à l'extrême dans l'emploi des rapports lignes/tonalités, mène à une forme manichéenne des rapports vie/matière. Tremblay nous promène ainsi dans un univers de signes vitaux animés à la fois par l'esprit et par l'énergie.

Pour sa part, Roland Giguère a poussé son rôle de poète au paroxysme pour nous livrer sa vision un peu inquiète du chemi­nement de l'homme à travers le temps, comme s'il attendait un déclic qui lui per­mette enfin d'être plus incliné à croire en la pérennité de l'esprit:

la vague qui devait nous emporter se faisait attendre et nous durions

LASZLO LEGEZA

MAGIE DU TAO

J'IMAGINE poème de Roland Giguère

avec 10 lithographies de Gérard Tremblay

Alitions ERTA montréat

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«Bo'jou, Neejee!»

ReB«d> sur l'art inditti du C i iud j

Ionise pomminville

AM et le sport amateur

éditions leméac

Fidèles à leur tradition de travail en atelier, Roland Giguère et Gérard Tremblay proposent donc, dans cet album à la tenue technique impeccable, leur conception de l'inquiétude de la vie par rapport à l'usure de la pensée.

Jacques de ROUSSAN

BO'JOU, NEEJEE!

Bo'jou, bonjour, en français, et Neejee, ami, en sauteux, est un salut qui s'employait dans tout le nord du Canada au temps de la traite des fourrures.

C'est aussi le titre d'une gigantesque ex­position sur l'art indien du Canada, organi­sée par le Musée National de l'Homme et les Musées Nationaux du Canada, et à la préparation de laquelle ont participé des musées non seulement de toute l'Amérique du Nord, mais aussi des musées et des col­lectionneurs d'Europe. Les artefacts indiens d'avant 1850 sont, pour plusieurs raisons, presque inexistants dans les musées ethno­graphiques. C'est donc avec grande fierté que le Musée National de l'Homme a ré­cemment annoncé qu'il avait acquis et ra­mené au Canada l'une des plus remarqua­bles collections privées d'artefacts indiens, celle qui porte le nom de son ancien proprié­taire, M. Arthur Speyer, de Hambourg, Alle­magne. Elle comprend 259 objets fabriqués au 18e et au début du 19e siècles ainsi qu'un nombre impressionnant de documents, grâ­ce auxquels on a pu identifier les quatre ré­gions culturelles représentées, soient celles des Indiens des Plaines du Nord, des In­diens sylvicoles du Nord-Est, des Indiens des Grands Lacs et de celle des Hurons et des Iroquois. Les collectionneurs fervents étaient très nombreux au sein de la haute société européenne et, n'eût été de leurs intérêts très variés, notre connaissance des arts et des métiers des Indiens de ce temps serait extrêmement vague, d'autant plus que, par exemple, l'une des coutumes in­diennes les plus répandues était d'enterrer les morts avec tous leurs biens préférés.

Avec Jean-Jacques Rousseau et le retour à la nature, l'Indien d'Amérique était, pour l'Européen du 18e siècle, le symbole de tout ce qui était noble et naturel. D'autre part, les produits de l'artisanat devinrent des sour­ces d'émerveillement durant la période d'exploration et d'expansion coloniale. On les échangeait. comme nous échangeons aujourd'hui des timbres ou des pièces de monnaie. Ils ont, comme le dit si bien M. Brasser dans le catalogue de l'exposition, nettement contribué à faire apprécier da­vantage les réalisations des autres et favo­risé l'évolution de la pensée anthropologi­que; ils ont stimulé la production de souve­nirs par les Indiens eux-mêmes. A la même période, un nombre surprenant d'artistes exploraient le territoire indien à la recher­che d'une inspiration nouvelle et naturelle. C'est ainsi que Bodmer, Catlin, Kane, Krieghoff, Kurz et Rindisbacher nous ont laissé des croquis et des peintures qui cons­tituent pour nous une documentation inesti­mable sur la vie des Indiens.

Par ses racines blanches et indiennes, ses rapports avec la traite et les vastes éten­dues et, enfin, par son caractère vraiment

canadien, le titre, Bo'jou Neeje, reflète l'ima­ge même de l'exposition. Faute de pouvoir assister à l'exposition, il faudrait du moins se procurer l'impressionnant catalogue aux textes passionnants de William E. Taylor et de Ted J. Brasser, illustrés d'excellentes photos. Ces regards sur l'art indien du Canada éveillent en effet un nouvel intérêt pour l'histoire des Indiens, grâce à ces nou­veaux exemples de beauté, de raffinement et de profonde humanité.

Michèle TREMBLAY-GILLON

LITTÉRATURE ENFANTINE

Louise POMMINVILLE et Marie-Rose DE-PREZ, Pitatou et le sport amateur. Illustra­tions de Louise Pomminville. Montréal, Édi­tions Leméac, 1976. Gabrielle ROY, Ma vache Bossie. Illustra­tions de Louise Pomminville. Montréal, Leméac, 1976.

Louise Pomminville a illustré ces deux contes d'enfant de façon remarquable. Les couleurs y sont belles et éclatantes, et le dessin, réaliste et transposé à la fois, font de ces publications un précieux apport à la littérature enfantine. Les textes de Louise Pomminville et Marie-Rose Deprez, pour le premier album, de Gabrielle Roy, pour le deuxième, sont d'une grande fraîcheur; l'imagination débordante des auteurs se donne libre cours, ce qui ne manquera pas d'intéresser les enfants et les adultes qui ont conservé le don d'émerveillement propre à l'enfance.

La mise en page aérée des textes et des images de ces albums et leur présen­tation soignée dues à l'initiative des Édi­tions Leméac ne le cèdent en rien aux meilleures publications étrangères de la littérature enfantine.

L.O.

LE MOLINARISME PASSE A L'HISTOIRE!

Guido MOLINARI, Écrits sur l'art (1954-1975). Ottawa, Galerie Nationale du Canada, (Coll. Documents d'histoire de l'art cana­dien, No 2), 1976. 112 pages; ill.

Toute évaluation de l'œuvre de Molinari doit passer par une confrontation avec l'Automatisme finissant. Et ce n'est certai­nement pas un simple fait du hasard si le présent volume d'écrits de Molinari s'ouvre sur une série de photographies prises dans l'atelier du peintre, en 1954, nous montrant l'artiste travaillant à la spa­tule, dans une manière et une palette réduite qui ne sont pas sans évoquer les toiles des trois ou quatre dernières années de l'œuvre de Borduas. Un problème cepen­dant: Borduas n'adoptera vraiment cette manière construite et austère qu'à partir de 1956!

Au milieu des années 60, l'essentiel de l'œuvre de Molinari est maintenant établi, et dans ses tableaux et dans ses écrits. Dorénavant, les deux font corps et dia-

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loguent avec assez de régularité. D'une part le molinarisme (sic!) postule «qu'il est faux de projeter dans un tableau la notion d'objet-dans-un-environnement, comme le voudrait le flguratisme et plusieurs peintres dits abstraits, parce qu'elle implique un dualisme illusoire»; d'autre part, «les plans dans le tableau se présentent comme des quantités plus ou moins grandes qui ne peuvent être perçues que dans des temps plus ou moins longs (...) La perception de la structure d'un tableau n'est possible que si l'on maintient vivaces et présents, d'une part les charges dynamiques pro­duites par les intensités chromatiques dans des temps différents, et d'autre part l'effet énergétique produit par des tensions qui s'établissent entre des quantités chroma­tiques juxtaposées». La valeur d'un tel énoncé réside dans le fait qu'il cerne adé­quatement la peinture de Molinari à la date de 1964 et, qu'au-delà de cette spécificité personnelle et immédiate, il conserve sa validité pour les développements ultérieurs de l'œuvre de l'artiste et qu'il recouvre aussi bien une tendance majeure de la peinture contemporaine.

Il serait bien hasardeux d'affirmer que cet ensemble de textes, si précieux soit-il, puis­se constituer une doctrine ou un système pictural cohérent; un certain nombre d'en­tre eux sont plus ou moins de circonstance et verront leur utilité décroître au fur et à mesure que s'estompera le souvenir de l'événement qui leur a donné naissance (cf. textes V et XXI). Il reste néanmoins que Molinari est l'un des très rares artistes qui soient capables de formuler par écrit l'es­sentiel de leur démarche de peindre. Depuis plus d'une décade, son discours sur la pein­ture fait partie de son œuvre à part entière. Depuis Malévitch, Kandinsky, Klee et Mon­drian, les écrits des artistes constituent un apport déterminant dans la formation et l'évolution de l'art du 20e siècle.

Quels que soient les mérites intrinsèques des écrits de Molinari, leur publication, dans la forme présente, par une institution aussi officielle que la Galerie Nationale du Cana­da, nous paraît tout ensemble prématurée et constitue un dangereux précédent. En soi, la réunion des écrits de Molinari est une initiative des plus heureuses et des plus uti­les, qui aurait normalement dû prendre pla­ce dans le catalogue de la rétrospective, puisque l'ensemble n'est pas trop volumi­neux. Il n'en va plus de même lorsqu'on se rend compte qu'ils paraissent dans une col­lection de Documents d'histoire de l'art canadien qui n'a pas encore trouvé son style ou sa formule, puisqu'elle en est à son deuxième fascicule; les écrits de Molinari nous sont implicitement proposés comme une petite bible esthétique sur laquelle vont se ruer les pseudo-chercheurs en art cana­dien du seul fait qu'elle soit aisément acces­sible! Le traitement privilégié donné à Moli­nari. par son entrée — de son vivant — dans une collection qui veut être prestigieuse, constitue à nos yeux un grave impair et une sérieuse erreur de tactique, puisqu'il porte automatiquement préjudice à tous les autres artistes, morts ou vivants, qui, faute de pers­picacité ou d'aptitude, n'ont pas su coucher par écrit leurs réflexions sur l'art. Molinari n'est pas en cause. C'est l'hommage qui lui est rendu qui risque de lui donner quelques frissons dans ce Panthéon encore déser t . . . Avant tout, ce sont le directeur de la collec­tion et les responsables de la Galerie Natio­

nale qui doivent déterminer les objectifs de cette série de documents. Ou bien cette col­lection sera vouée à la publication de docu­ments anciens, de pièces d'archivé relatives aux artistes, de contrats, de dossiers ex­haustifs sur un monument; c'était d'ailleurs l'orientation amorcée par le premier volume, Les Orfèvres de la Nouvelle-France. Dans cette voie, il y a place pour des initiatives majeures comme la publication systémati­que des contrats, devis, livres de comptes et autres documents d'histoire de l'art des 17e et 18e siècles, par exemple. Et, c'est le pro­pre des institutions publiques d'entrepren­dre des projets de cette envergure car leur réalisation se révèle d'une utilité d'autant plus grande et valable qu'elle bénéficie à tous les genres de recherches. Si des artis­tes ont laissé des écrits susceptibles de jeter une lumière intéressante sur leur temps, leur journal ou leur correspondance trouveront normalement place dans cette collection. Tandis que les écrits d'Emily Carr et de Borduas sont l'apanage des édi­teurs privés, pourquoi ceux d'Ozias Leduc, moins rentables commercialement mais non moins prodigieux témoignage de civilisa­tion, ne feraient-ils par l'objet d'une publi­cation?

L'autre voie, celle qui est ouverte par ce deuxième volume, semble mettre la collec­tion au service des artistes contemporains, ce qui est beaucoup plus aléatoire, car tous les artistes n'écrivent pas avec la rigueur de Molinari; elle risque aussi de se transformer en tremplin pour les exercices littéraires des uns et des autres. Bref, autant on peut sa­luer favorablement la parution des écrits de Molinari, autant le choix de la collection nous paraît peu judicieux.

Au fait, comment Molinari aime-t-il se faire basculer si vite du côté de l'Histoire?

Gilles RIOUX

THISDALE ET SES GRAPHISMES

Jacques THISDALE, Après-midi, j 'ai dessiné un oiseau. Saint-Lambert, Éditions du No­roît, 1976. 128 p.; illus. en noir.

Jacques Thisdale, poète et graphiste âgé de 27 ans, ainsi qu'il nous l'annonce dans son amusante préface, présente dans ce recueil une vision du monde particulière, faite d'apparente naïveté, de délicate fraî­cheur et d'humour au moyen de mots et surtout par le truchement de dessins, de collages, de montages et de photos à travers lesquels, sans avoir l'air d'y toucher, l'auteur fait passer, en même temps que sa façon de voir le monde, ses idées sur la vie et ses divers aspects. Signalons l'amu­sante page de titre, bien caractéristique des cahiers d'écoliers de notre enfance avec les interlignes, la petite image sainte collée à la gauche et le sigle J.M.J. Ce recueil présente, sous la forme inusitée d'un cahier d'écolier, un album agréable à lire et sur­tout à regarder. Les Éditions du Noroît, avec cette nouvelle publication remarquable par sa conception graphique et sa présen­tation originale, continuent la tradition qu'ils ont établie, qui est celle d'un travail soigné et bien fait.

L.O.

Guido Molinari: Écrits sur l'art

(1954-1975)

par Pierre Théberge

Documents d'histoire de l'art canadien N" 2

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Dessins

de la collection M. e t M " Eugene V. Thaw

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célibataires

Chêne

LA COLLECTION THAW

Felice STAMPFLE et Cara D. DENISON, Dessins de la Collection de M. et Mme Euge­ne V. Thaw. Ottawa, Galerie Nationale du Canada, 1976.

L'exposition des dessins de la Collection de M. et Mme Eugene V. Thaw a eu lieu à la Galerie Nationale du Canada, du 6 août au 17 septembre 1976. Elle a été mon­trée précédemment à New-York, Cleveland et Chicago. Cette intéressante collection de 115 dessins est composée d'œuvres franco-flamandes et italiennes du 15e siècle et de dessins italiens et allemands du 16e siècle. Une Déposition de croix de Rubens, six dessins de Jacques Callot, six dessins de Rembrandt, neuf dessins de Claude Gel-lée figurent parmi les œuvres importantes du 17e siècle. Elle renferme, en outre, des œuvres de Piranèse, Watteau, Goya, Géri-cault, Delacroix, Ingres, Daumier, Degas, Cézanne, Gauguin, Seurat, Toulouse-Lau­trec, Turner, Van Gogh, Jonkind, Bonington, représentant des dessins d'une grande variété.

Un avant-propos de Joseph Martin, direc­teur intérimaire de la Galerie Nationale, et une préface de Charles Ryskamp, directeur de la Pierpont Morgan Library, nous appren­nent que M. et Mme Thaw viennent de léguer leur collection à cette dernière insti­tution. M. Eugene V. Thaw, dans son intro­duction au catalogue, fait l'historique de sa collection et indique les divers facteurs qui ont déterminé le choix des œuvres. Les préférences du collectionneur sont le prin­cipal motif qui a présidé à la sélection des dessins. Il fait aussi le récit de ses amitiés avec les conservateurs de musées et les collectionneurs, depuis les débuts de l'édification de sa collection, vers les années 50.

Les 115 dessins, dont 8 sont reproduits en couleur, apparaissent tous au catalogue. Une notice descriptive et historique, com­prenant la liste des diverses expositions où chacun des dessins a été montré, font de ce catalogue un ouvrage de référence qui sera d'une utilité certaine pour les artistes, les amateurs et les collectionneurs, l'art du dessin représentant en réalité l'histoire d'une œuvre et de son cheminement initial dans l'âme de l'artiste.

• L.O.

FASCINATION DES COMBINAISONS INFINIES

Christian DOTREMONT, Logbook, Yves-Ri­vière, 1974. 219 pages; ill. de Max Loreau, Dotremont Logogrammes, Paris, Éditions Georges-Fall, 1975. 83 pages; ill.

Christian Dotremont nous a écrit, il y a quelques mois, afin de nous présenter Log­book, un livre qui sort de l'ordinaire, très beau, une aventure de ferveur, contenant des logogrammes dont il est l'auteur. Il les définit ainsi: «Les logogrammes sont des manuscrits de premier jet: le texte, non préétabli, est tracé avec une extrême spon­tanéité, sans souci des proportions, de la régularité ordinaires, les lettres s'agglomé-rant, se distendant, et donc sans souci de

lisibilité; mais le texte est, après coup, retracé, sous le logogramme, en très petites lettres lisibles, calligraphiques (cette deu­xième écriture est remplacée dans ce Log­book par de la typographie)"1.

Langage de spontanéité, invention d'un nouveau langage, les logogrammes de Christian Dotremont se situent à l'opposé d'un automatisme ne dépendant que du ha­sard. Ici, il y a intention, c'est de la poésie visuelle, une écriture vivante, totale, vibran­te, un cri, un chant de tendresse.

Max Loreau, dans Dotremont Logogram­mes, le dit mieux que quiconque. Il suit à la trace cette expérience; dans l'atelier où Dotremont travaille, il est une présence attentive au moindre geste qu'il enregistre avec la fidélité de l'œil de la caméra; il commente la nature du travail, l'enjeu qui est en cause. Pour Dotremont, «écrire, c'est créer», et Max Loreau a fort bien saisi qu'en traçant des signes, des lettres déréglées, qui se cherchent un nouvel ordre, Dotre­mont veut renverser le rapport des choses en présence de manière à délier ce que l'acte d'écrire contient de vivacité libre. Il fait également l'inventaire des lettres et des éléments qui sont utilisés dans le dessin; «pour l'essentiel les lettres de l'alphabet latin; à quoi s'ajoutent les signes orthogra­phiques et de ponctuation ainsi que les chif­fres arabes».

Le nom de Dotremont est étroitement lié à l'aventure de Cobra. Il en a été le principal investigateur, en 1948, en proposant à Jorn, Appel, Constant, Corneille et Noiret de fon­der une nouvelle internationale d'art expé­rimental en rédigeant un bref manifeste antithéorique et en formant le nom de Cobra qui résulte de l'addition des premières lettres de Copenhague, Bruxelles, Amster­dam. Ces renseignements ainsi que plu­sieurs autres sont fournis dans les notes biographiques détaillées qui précèdent le texte d'analyse de Max Loreau.

A l'heure où la véritable création est con­fondue avec trop d'expériences sans carac­tère, l'œuvre patiente, courageuse, de Da-tremont est du côté de l'espoir.

1. Logbook, p. 5. A.P.

LES MACHINES CÉLIBATAIRES

Michel CARROUGES, Les Machines céliba­taires. Paris, Michel Carrouges et Éditions du Chêne, 1976. 27 illus.

La machine célibataire est un terme-clef inventé par Duchamp pour désigner la soli­tude mécanique d'un ou de deux éléments humains (masculin et féminin); il a été uti­lisé dans la première édition du livre intitulé Les Machines célibataires et paru aux Éditions Arcanes, en 1954. Après plus de vingt ans, Michel Carrouges présente une nouvelle édition entièrement revue et aug­mentée de cet ouvrage. On connaît la répercussion que produisit cette étude, lors de sa parution en 1954. Après les cher­cheurs dans ce domaine, tels Marx, Freud, Abraham et Gaston Bachelard, Michel Car­rouges, au moyen d'une méthode scienti­fique d'investigation qui lui est propre,

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Page 7: Lectures - Érudit · ROBERT DELAUNAY Michel HOOG, Robert Delaunay. Paris, Flammarion (Coll. Les Maîtres de la Peinture Moderne), 1976. 96 p.; Illus. en couleur et en noir. A feuilleter

explore les mythes modernes, aussi pré­sents dans notre civilisation soi-disant libérée et positiviste, qu'ils le furent dans les civilisations anciennes. Le mythe des machines célibataires «signifie . . . l'empire simultané du machinisme et du monde de la terreur»; de là, les machines inventées par Duchamp, Kafka et Roussel. C'est aussi celui de l'homme moderne qui, se croyant rationnel, reste, au contraire, tout comme les anciens, tributaire de mythes nouveaux qu'il s'agit de détecter et aussi d'un en­semble complexe d'images présentes chez les grands visionnaires et dans la littérature poétique et romanesque, chez Balzac et Proust, par exemple. Les techniques de la critique moderne doivent donc changer car celle-ci a maintenant une nouvelle fonction, qui est celle de saisir et de démontrer le mécanisme de «l'action des mythes sur la pensée» au moyen de mécanismes moder­nes fondés sur les rapports de l'être humain et de la mécanique.

Dans la présente édition, de nouvelles machines célibataires ont été ajoutées: Le Château des Carpathes de Jules Verne, L'Invention de Morel de Bioy Casares, Les Chants de Maldoror de Lautréamont ainsi que deux textes entièrement nouveaux: Le Groupe de transformation des machines célibataires et quatre lettres de Marcel Duchamp à l'auteur. Une chronologie provi­soire des principales œuvres contenant des machines célibataires analysées dans cette étude complètent cette remarquable recher­che, qui prolonge les découvertes de Du­champ dans le domaine de la mythologie moderne.

Les illustrations sont composées de des­sins exécutés par l'auteur et permettent une compréhension plus précise de l'historique des machines célibataires.

L.O.

A LA REDÉCOUVERTE DE CHARLES NÈGRE

James BORCOMAN, Charles Nègre, 1820-1880. Ottawa, Galerie Nationale du Canada, 1976. 261 p.; ill.

Les efforts soutenus d'un eminent col­lectionneur parisien, M. André Jammes, ont permis de rassembler et de tirer de l'oubli l'œuvre de Nègre; par la publication d'une monographie (tirée à quelques centaines d'exemplaires) et par une première exposi­tion, à Grasse, la ville natale de l'artiste, en 1963, il marquait le point de départ d'un mouvement d'intérêt pour Nègre, qui ne s'est pas démenti depuis lors; à preuve, la rétrospective du Stadtmuseum de Munich en 1966 et celle plus imposante encore — 214 œuvres — qui s'est tenue, en mai et juin de cette année, à Ottawa, et à l'occa­sion de laquelle a paru le livre/catalogue de James Borcoman, dont il faut dire d'em­blée qu'il est appelé à demeurer pour long­temps l'ouvrage fondamental sur Charles Nègre. Ajoutons que c'est grâce à l'initia­tive de M. Borcoman que la Galerie Natio­nale a acquis, en 1968, un groupe de 103 œuvres de Nègre, c'est-à-dire le plus vaste ensemble après la collection de M. André Jammes.

Comme plusieurs des pionniers de la pho­tographie, Nègre est d'abord peintre, et c'est dans une optique artistique qu'il aborde les images photographiques; en cela il se distingue de son génial contemporain Nadar (1820-1910) dont la sensibilité pho­tographique était innée et se doublait d'un sens aigu de la promotion commerciale. Bien qu'il ait connu une certaine notoriété à la fois comme peintre et comme photo­graphe, Nègre fut surtout un perfection­niste dénué de prétentions et un technicien méticuleux dont l'espoir le plus tenace fut de mettre au point un procédé donnant une image permanente capable d'être re­produite en quantité et à bon marché au moyen de l'imprimerie; ce projet absorba les énergies de plusieurs de ses collègues, et c'est le Tchèque Karl Klic qui mit au point la photogravure en 1879 et la perfec­tionna, vers 1895, en rotogravure. Bref, un tel concours de circonstances, tant person­nelles qu'extérieures, jointes à une santé vacillante qui le contraignit à quarante et un ans de s'établir à Nice, peuvent con­tribuer à expliquer le long silence qui, jusqu'aux travaux convergents de Jammes et de Borcoman, a entouré la personne et l'œuvre de ce pionnier de talent, Charles Nègre.

James Borcoman se révèle être un guide fort intelligent et lucide lorsqu'il nous ap­prend à regarder une œuvre de 1851, Le Petit chiffonnier, avec les yeux du temps, c'est-à-dire selon les critères esthétiques qui avaient cours à l'époque. Théorique­ment, cela va de soi; mais il nous faut re­constituer adéquatement les composantes psychologiques et sociales du temps, ainsi que les conventions picturales d'alors, afin de percevoir cette image correctement. Pour nous qui estimons la qualité d'une photo d'après la définition de l'image, la netteté du détail ou bien la vivacité du coloris, Le Petit chiffonnier semblera une photo­graphie bien floue et nous attribuerons cette déficience à la médiocrité de l'équipement et de la technique d'alors. Cette attitude est erronée. Au contraire, cette image pho­tographique est savamment composée se­lon les critères qui régissaient la peinture du temps; l'utilisation de masques, des crayonnages discrets sur le négatif et des ombres distribuées sur le pourtour sont autant de procédés destinés à introduire dans l'image des valeurs tonales fort déli­cates, à créer des passages, des contrastes et un effet velouté sur toute la surface. Borcoman est tout à fait justifié de souligner l'importance des effets dans la peinture et de se montrer attentif à leur apparition et à leur traitement dans la photographie.

De l'œuvre de Nègre, il convient de mettre en relief deux entreprises particulièrement remarquables non seulement par leur ambi­tion mais aussi par l'esprit et la manière dont elles ont été conduites. En 1852, il descend dans le sud de la France et se livre à un vaste reportage photographique des sites et monuments les plus représen­tatifs de la région; il rapporte de son expé­dition deux cents clichés qu'il commence à imprimer selon le procédé de la gravure héliographique; seulement deux fascicules de cinq épreuves paraîtront, deux ans plus tard, sous le titre Midi de la France. Un texte inédit (intégralement reproduit, p. 6-7), qui était présumément destiné à servir d'in­troduction à l'album, nous conserve les

intentions de Nègre: «.. . j 'ai têché de join­dre l'aspect pittoresque à l'étude sérieuse des détails si recherchés par les archéolo­gues et par les artistes, architectes, sculp­teurs et peintres (. ..) j 'ai fait pour l'architec­ture une vue générale de chaque monument. En plaçant la ligne d'horizon au milieu de la hauteur de l'édifice et le point de vue au cen­tre, j 'ai cherché à éviter les déformations perspectives et à donner aux dessins l'as­pect et la précision d'une élévation géomé-trale.» C'est la photographie documentaire destinée à rendre accessible des monu­ments lointains, à servir de modèle ou d'ins­piration aux artistes, à conserver le souvenir des édifices détruits et par-dessus tout à instruire le peuple — cette grande ligne de force qui traverse tout le XIX» siècle.

Dans le même esprit, il réalise une série de photographies de la cathédrale de Chartres, en 1854. Sensible à la grandeur du monument, il choisit de travailler dans un grand format: certains négatifs attei­gnent 30 pouces sur 20! La finesse du détail s'unissant au format exceptionnel, ces photographies sont particulièrement saisissantes. Ce sont celles-là qu'il travaille pour perfectionner son procédé dit de gra­vure héliographique, qui lui valut plusieurs citations et récompenses.

Notre connaissance de plusieurs valeu­reux pionniers de la photographie est peut-être destinée à demeurer très insuffi­sante, fragmentaire, voire conjecturale. Pour Charles Nègre, les efforts conjugués d'An­dré Jammes et — sous forme du présent ouvrage — de James Borcoman ont produit des résultats à tous égards décisifs. L'his­toire étant une suite de réévaluations, de découvertes, d'oublis et de négligences, la redécouverte de Charles Nègre rend justice à l'homme et à l'artiste et ajoute un volet à notre connaissance de la photographie au siècle dernier.

Gilles RIOUX

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