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Page 1: Lectures et espaces féminins autour - UCM dame...2016/06/25  · LECTURES ET ESPACES FÉMININS demeuraient l'impératrice Marie de Habsbourg, soeur de Philippe II (1528-1603), ainsi

 

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Lectures et espaces féminins autourde la reine Marguerite de Habsbourg-Styrie

(1584-1611)A propos de la circulation et de l'imitation

des modeles dévotionnels de Cour

Fernando BOUZA(traduction de Cécile VINCENT-CASSY)

« Ce que notre conscience sait ne demeure pasdans le secret'. »

Juliana Morell, 1608.

Dans le Chevalier bienheureux, l'« histoire origínale d'un chevalier erranten toute bienséance2 » que Juan Valladares prétendait faire imprimeren 1617, on trouve des madrigaux écrits á la mort de Marguerite de Habsbourg-Styrie, qui avait eu lieu en 1611. Elle y est portraiturée en « dévote ethumble reine pieuse qui était plus religieuse que grande et puissante3 ».Pour expliquer sa présence dans un contexte aussi étrange, il faut peut-étresimplement signaler que le manuscrit de cet autre Don Quichotte est dédiéá la dame allemande Marie Sidonie Riederer de Paar, arrivée en Espagnedans la suite de la souveraine, au destin de laquelle sa vie et sa fortune furenttoujours liées.

1. « No está secreto lo que nuestra consciencia sabe ». Ces recherches ont été réalisées dans le cadre desprojets « Pratiques et savoirs dans la culture aristocratique du Siécle d'Or : communication politiqueet modes de vie »/« Prácticas y saberes en la cultura aristocrática del Siglo de Oro : comunicaciónpolítica y formas de vida », MINECO HAR2011-27177; et « Cultures aristocratiques au Siécle d'Oribérique : usages, modeles, savoirs et communautés politiques »/« Culturas aristocráticas en elSiglo de Oro ibérico : usos, modelos, saberes y comunidades políticas », MINECO HAR2014-54402-P.

2. « Historia nunca vista/de un caballero andante en buen decoro », VALLADARES DE VALDELOMAR J.,Cavallero venturoso con sus extrañas aventuras y prodigiosos trances adversos y prósperos, historia verdaderaverso y prosa admirable y gustosa, Madrid, B. Rodríguez Serra, 1902, p. 5. Note de la traductrice : lescitations en vers sont toutes traduites en francais en prose.

3. « La devota y humilde Reina pía, /siendo más religiosa,I que grande y poderosa », ibid., p. 327.

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ignacio rodulfo hazen
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FERNANDO BOUZA

Profils particuliers de la majesté confessionnelle fémininede Marguerite de Habsbourg-Styrie

Née á Graz en 1584, l'archiduchesse Marguerite de Habsbourg-Styriedevint reine d'Espagne par son mariage avec Philippe III (1578-1621)en 15994. Depuis lors, elle construisit d'elle-méme une image de reineá la dévotion et la piété militantes, ayant re9U de sa mere, la bavaroiseMarie de Wittelsbach, l'héritage des modeles contre-réformistes d'Europecéntrale caractérisés, á l'aube de la guerre de Trente Ans, par un confession-nalisme jésuitique5.

Les deux branches, viennoise et madriléne, de la famille Habsbourg,partageaient un modele semblable de piété royale. Toutes les deux fondaientleur pouvoir sur leur condition de défenseurs autoproclamés d'uneChristianitas Afflicta au secours de laquelle elles accouraient avec armes etmoyens financiers. Aussi leur majesté était-elle totalement confessionna-lisée, et s'exprimait-elle pleinement lorsque les souverains, qui aimaient seprésenter dans des cadres ecclésiastiques, s'associaient á des pratiques liéesau religieux, soit á travers des fondations et donations charitables, soit átravers des formes plurielles de cuite et de dévotion.

Malgré tout, la dissimulation relative de la figure royale, si chére áPhilippe II (1527-1598), avait marqué une différence notable entre lesmodes cérémoniels des deux cours. On sait que lorsque le Roí Catholiqueassistait aux services dans la chapelle royale, un rideau empéchait les courti-sans de le voir directement. Ainsi, le lien de la majesté avec l'espace religieuxcérémoniel prenait une forme visuellement plus discréte. Mais il n'était paspour autant moins présent. En effet, c'est Philippe II lui-méme qui avaitétabli la maniere dont les intentions du souverain s'incluaient dorénavantdans 1'ofKce de la messe.

En outre, le décés d'Anne d'Autriche (née en 1549), quatriéme épousede Philippe II, en 1580, avait privé la Cour du développement d'une majestéféminine complete. L'infante Isabelle Claire Eugénie (1566-1633), née del'union de Philippe II avec son épouse precedente Élisabeth de Valois (deFrance), ne combla jamáis complétement ce manque, malgré sa forte etindubitable présence cérémonielle. Pourtant, á son arrivée á Madrid, l'archi-duchesse autrichienne Marguerite trouva une Cour dans laquelle, peu detemps auparavant, sa cousine l'infante « régnait » encoré, une Cour oü4. SÁNCHEZ M. S., The Empress, the Queen and the Nun. Women and Power at the Court ofPhilipp III,

Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1998; PÉREZ CANTÓ P. et Mó ROMERO E.,« Margarida de Austria », PÉREZ CANTÓ P, Mó ROMERO E. et OLIVAN L, Rainhas de Portugal eEspanha : Margarida de Austria (1584-1611) e Isabelle de Bourbon (1602-1644), Lisbonne,Círculo de Leitores, 2012, p. 10-135; PÉREZ MARTÍN Ma J., Margarita de Austria, reina de España,Madrid, Espasa-Calpe, 1961.

5. SÁNCHEZ M. S., « A woman's influence. Archduchess María of Bavaria and the Spanish Habsburgs »,KENT C., WOLBER, T. K et HEWITT C. M. K. (éd.), The lion and the eagle. Interdisciplinary essays onGerman-Spanish relations over the centuries, Oxford-New York, Berghan Books, 2000, p. 91-107.

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LECTURES ET ESPACES FÉMININS

demeuraient l'impératrice Marie de Habsbourg, soeur de Philippe II (1528-1603), ainsi que la plus jeune de ses filies, soeur Marguerite de la Croix(1567-1633). Des espaces conventuels féminins tels que celui desDéchaussées Royales (Descalzas Reales), oü ees deux femmes résidaient,étaient devenus le cadre d'une píete féminine dévote et confessionnelle6.

Bien évidemment, les années espagnoles de Marguerite de Habsbourg-Styrie sont remplies de témoignages évoquant plus que des priéres et descorps saints. En « Venus allemande7 », la reine sortait chasser, péchait dansles étangs royaux, ordonnait personnellement de payer des maítres de marion-nettes et des joueurs de mains8. Hesitante, elle signait Margaretha ouMargarita, écrivait a son époux qu'il était l'« ami de ma vie » et qu'elle était« la femme qui t'aime plus que sa vie9 ». Cependant, il ne fait aucun douteque les heures et les lieux de la reine ne peuvent étre correctement comprissans prendre en compte ses pratiques dévotionnelles qui, a l'évidence, nepeuvent étre réduites a de simples litanies.

A Madrid, Marguerite exerca d'intermédiaire continué entre son épouxet ses fréres les archiducs Ferdinand - le futur Ferdinand II (1578-1637) -et Léopold - le futur Léopold V de Tyrol (1586-1632) - sur les questionscontroversées touchant á la situation de la religión catholique dansl'Empire10. A la cour d'Espagne elle-méme, on dit que la reine devint laseule capable d'affronter le favori, le duc de Lerrna lui-méme, ainsi que tousceux qui voulaient soumettre, selon l'expression de l'époque, les intéréts de lafoi á la raison d'Etat11. Cette image ne fut véritablement forgée, et ampli-fiée, et ce jusqu'au cliché, qu'á la mort soudaine de Marguerite en 1611,peu aprés que le roi prit la decisión, vivement défendue par elle, d'expulser

6. Sur la fondation du couvenr des Descalzas Reales, cf. la contribution d'Ana GARCÍA SANZ dans ceniénie volume.

7. « Venus alemana ». Comme dans un sonnet de Góngora Clavar victorioso y fatigado, de 1603.JAMMES, R., Études sur l:03uvre poétique de don Luis de Góngora y Argote, Bordeaux, Institut d'ÉtudesIbériques, 1967, p. 269-270.

8. Biblioteca Nacional de España (dorénavant BNE), Madrid, Ms. 20273(24), paiements faits áValladolid, 1603 et 1604. Sur la cour festive de la reine, TORREMOCHA M., « La corte vallisole-tana de Margarita de Austria (años alegres, espejo de la fiesta barroca) », MARTÍNEZ MILLÁN J. etLOURENCJO Ma P. M. (éd), Las relaciones discretas entre las monarquías hispana y portuguesa : lascasas de las reinas (siglas XVI-XIX), Madrid, Polifemo, III, 2008, p. 1617-1642.

9. « Amigo de mi [vi]da » et « mujer que te más quiere que a su vida », BNE, Ms. 915 [Diez cartasfamiliares de la Reina Margarita a su esposo Felipe III, 1598-1599}, S. L, 18 avril [1599], fol. 19 r°.Dans cette lettre, la reine mentionne ses visites aux étangs d'Ontígola ou d'Esperanza pour pécher.

10. La médiation de la reine dépassa les limites de la sphére informelle au point que 1609 Philippe IIIput diré á son ambassadeur á Rome qu'« a l'occasion de ce que les Sérénissimes Archiducs Ferdinandet Léopold, mes fréres, ont écrit a la reine sur le mauvais état dans lequel se trouvent les choses de lareligión catholique dans leurs terres, j'écris á Sa Sainteté la lettre que vous trouverez jointe a celle-ci »/« con ocasión de lo que los Serenísimos Archiduques Ferdinando y Leopoldo, mis hermanos, han escritoa la Reyna sobre el mal estado en que se hallan las cosas de la Religión Católica en aquellas partes escrivoa su Santidad la carta que será con ésta... », Felipe III a Francisco Rodríguez, de Castro, Duque deTaurisano, Ségovie, 13 aoút 1609, Archivo Histórico Nacional, Madrid (dorénavant AHN), minis-tére des Affaires Étrangéres, Saint-Siége, liasse 55, n° 69.

11. FEROS A., Kingship andFavorítism in the Spain ofPhilipp III, 1598-1621, Cambridge-New York,Cambridge University Press, 2000.

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FERNAND O BO UZA

les Morisques (1609)12. Presque candidate a la sainteté ou, tout au moins,a la palme du martyre13, il est nécessaire de souligner a quel point lechoc de sa mort prématurée eut l'effet de creer une puissante mémoire de lasouveraine consort de Philippe III, malgré la courte durée de son régne.

On pourrait bien diré qu'au tournant des xvie et xvne siécles en Europeoccidentale, qu'elle füt catholique ou réformée, la majesté royale était néces-sairement confessionnelle. Pourtant, sans quirter le monde romain, lesdévotions,concrétes qu'il convenait de pratiquer pouvaient étre tres diverses,et méme variées. La devotio regia était ainsi le résultat d'une somme de choixcontinué et renouvelée entre difiSárentes pratiques dévotes, ou bien de leurcombinaison. De la sorte, des profils reconnaissables, et par conséquentsusceptibles de circuler, et done d'étre imites, ont été construits.

Quelques jours seulement aprés la mort de Marguerite de Habsbourg-Styrie (El Escorial, 3 octobre 1611), Philippe III écrivit a Rome pourdemander la concession d'un bref papal pour pouvoir entrer dans tous lescouvents de ses royaumes á imitation, expressément formulée, de cellequ'avait la défunte Marguerite, qui « avait pris fin avec sa mort14 ». Ainsi leroi, pourrait-on diré, commencait á imiter la pieuse reine. Quelques damesle firent aussi, exportant méme aux Indes les modeles de dévotion queMarguerite avait développés entre l'Empire et l'Espagne.

Dans le profil particulier de majesté féminine confessionnelle deMarguerite de Habsbourg-Styrie, sa condition de fondatrice et de patronnede maisons religieuses est sans doute particuliérement notable15. Endehors de son appui bien connu aux jésuites16, parmi les maisons qu'elle

12. La relative proximité entre la mort de la reine et les traites d'expulsion fut á l'origine d'évocationscroisées dans ses honneurs fúnebres. Cf. par exemple ALVAR E., « Exequias y certamen poéticopor Margarita de Austria (Zaragoza, 1612) », Archivo de Filología Aragonesa, n° 26-27, 1980,p. 225-389.

13. Dans l'avis théologique anonyme intitulé Sobre la muerte de la Reyna la discussion est développée« en raison du soupcon qui court sur la cause de sa mort, á savoir si elle ne fut pas provoquée parquelqu'un qui la considérait comme un obstacle á l'exécution d'injustices et de tyrannies. Et si celaétait confirmé, des personnes spirituelles se demandent si Sa Majesté ne pourrait étre considéréecomme une martyre du Christ »/« por la sospecha que corre que [su muerte] fue procurada porquien hallava estorvo en sus santos intentos para executar injusticias y tiranías. Supuesto lo qual dudanalgunas personas espirituales, si en caso que saliese fierta la sospecha, se podría creer que su Magestadfuemártir de Jesuchrísto », BNE, Ms. 20 260(204), fol. 1 r°. Cf. aussi VINCENT-CASSY C.,« Le martyre dela reine Marguerite », dans Les chemins du del: sainteté féminine, martyre etpatronage sous Philippe IIIet Philippe IV, thése de doctoral (université París III-Sorbonne Nouvelle, décembre 2004), partieinédite, p. 283-287, VINCENT-CASSY C., « La reina en majestad. Imagen política postuma deIsabel de Borbón (1644) », Tiempos modernos. Revista electrónica de Historia Moderna, n° 26, 2013,16 p. et MARTÍNEZ S., Rodrigo Calderón. La sombra del valido : privanza, favor y corrupción en lacorte de Felipe III, Madrid, Marcial Pons, 2009.

14. « Ha cesado con su muerte », Felipe III a Francisco Rodríguez de Castro, Duque de Taurisano, SanLorenzo, 12 octobre 1611, AHN, ministére des Aífaires Étrangéres, Saint-Siége, liasse 55, n° 362.

15. ATIENZA A., Tiempos de conventos. Una historia social de las fundaciones en la España moderna,Madrid, Marcial Pons, 2008.

16. SÁNCHEZ M.S., « Confession and complicity : Margarita de Austria, Richard Háller, S.J. and triecourt of Philip III », Cuadernos de Historia Moderna, rf 14, 1993, p. 133-149; JIMÉNEZ PABLO E.,« Los jesuítas en la corte de Margarita de Austria: Ricardo Háller y Fernando de Mendoza »,

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LECTURES ET ESPACES FÉMININS

protégea, se trouvaient le couvent de franciscaines des Déchausséesroyales de Valladolid17 ou, plus tard, celui d'augustines récollettes de laEncarnación de Madrid, qui fut sans aucun doute sa grande fondation18.Cette condition s'accompagnait d'autres éléments non moins confession-nels, comme son intérét personnel pour la dotation et 1'ornement de sonoratoire19, son attachement au cuite marial, a la formation missionnaire eta l'acquisition de corps saints, aussi bien de « ceux qu'elle fit sortir dessanctualres d'Espagne20 » que de ceux qu'elle recut de Rome ou de Naples,gráce a l'intervention de Paul V (pape de 1605 a 1621) ou du vice-roiJuan Alonso Pimentel, comte de Benavente (1576-1621)21.

En somnie, la confessionnalisation de ses pratiques s'est sans doutetraduite par une reformulation adéquate de l'espace et du temps royaux.D'une part, a la fin de sa vie elle a utilisé son oratoire comme un lieu oüelle recevait des visites quotidiennes22; d'autre part, elle a accru le nombrede ses visites a des églises et des communautés religieuses, y compris dechartreux, auxquelles elle avait accés gráce au bref papal deja mentionné.Dans une large mesure, le soin personnel qu'elle mit a fabriquer de sespropres mains des vétements liturgiques pour les offrir a des membres duclergé constitue un exemple éloquent de l'attitude par laquelle les pratiquessont sanctifiées lorsque les temps et les espaces sont sacralisés23.

MARTÍNEZ MILLÁN J. et LOURENIJO Ma E M. (éd.), Las relaciones discretas entre las monarquíashispana y portuguesa : las casas de las reinas (siglos XV1-XIX), Madrid, Polifemo, II, 2008, p. 1071-1120.

17. AMIGO L., « Las devociones del poder regio. El patronato de la Corona y de la Chandllería sobreel convento de las Descalzas Reales de Valladolid (siglos xvn-xvm) », CAMPOS Y FERNÁNDEZDE SEVILLA K J. (éd.), La clausura femenina en España. Actas del simpósium, San Lorenzo de El Escorial,Real Colegio Universitario, 2004, II, p. 1155-1184.

18. SÁNCHEZ L., El monasterio de la Encarnación de Madrid. Un modelo de vida religiosa en el siglo XVII,[San Lorenzo de El Escorial], Escurialenses, 1986.

19. Une exemple de l'implication personnelle de la reine dans la décoration de son oratoire peut étrevu sur le passeport pour les huit chandeliers en cristal qu'elle fit venir de Milán en 1605, Archivo de laCorona de Aragón, Barcelona (dorénavant ACÁ), Pasaportes, liasse 55, n° 32. Á sa mort en 1611,elle conservait parmi ses livres un « Memorial des reliques que madame avait dans son oratoire »,fol. 288. Cf. BOUZA F., « La biblioteca de la reina Margarita de Austria », Estudis. Revista de HistoriaModerna, n° 37, 2011, p. 43-72.

20. « Sacó de los santuarios de España », AÍNSA E D., Fundación, excelencias, grandezas y cosas memora-bles de la antiquíssima ciudad de Huesca, Huesca, Pedro Cabarte, 1619, p. 443.

21. GONZÁLEZ DÁVILA G., Teatro de las grandezas de la villa de Madrid, Madrid, Thomás lunti, 1623,p. 252 (Rome) et p. 469 (Naples).

22. SÁNCHEZ M.S., « Confession... », loe. cit., p. 143.23. Par exemple la reine a, dit-on, offert a Juan de Ribera une « chasuble en cuir de chevreau parfumé

a Tambre, brodé de ses propres mains a l'or et a la soie », XIMÉNEZ J., Vida y virtudes del Ylmo. yExmo. Señor D. Juan de Ribera, Patriarca deAntioquía, Rome, Ymprenta de Roque Bernabó, 1734,p. 316.

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FERNANDO BOUZA

Mémoire et imitation des modeles de píete royale féminine

Les profils de dévotion de la reine se retrouvent chez les dames qui laservaient dans l'espace de sa Maison24. Ce transfert est attesté, par exemple,par la trajectoire de deux des dames allemandes ayant accompagné la reineen Espagne: Marie Sidonie, deja citée, et sa sceur Marianne Riederer de Paar25.La premiére d'entre elles, comtesse de Barajas par son mariage, se fit remar-quer par son soutien aux augustins. Elle s'occupa personnellement definancer á hauteur de deux mille ducats le voyage que le frére Pedro de Solierfit aux Cara'ibes pour prendre sa charge d'évéque de Porto Rico, non sansl'espoir, malgré tout, d'arriver á récupérer l'argent qu'elle avait investí26. Laseconde de ees dames, Marianne Riederer, se rendit en Nouvelle Espagneen 1612 cornme vice-reine aprés son mariage avec le marquis de Guadalcázar,emportant avec elle quelques reliques qu'elle avait re9ues de la reine elle-méme. Une fois arrivée dans le vice-royaume27, Marianne mit tout en ceuvrepour reproduire les modeles qu'elle avait appris aux cotes de Marguerite ála cour d'Espagne, devenant une figure céntrale dans la fondation d'uncouvent de carmélites déchaussées á México. II faut souligner d'ailleurs quela figure de Marianne Riederer, intervenant personnellement dans les pluspetits détails de la vie monastique, provoqua quelque surprise dans une villequi n'étaít pas habituée au mécénat religieux des vice-reines (celles-ci nerésidaient pas toujours á México), non plus qu'á son insistance réitéréepour pénétrer dans les couvents, y compris dans les clótures28.

Et si Marguerite de Habsbourg-Styrie s'était efForcée de promouvoir áValladolid le cuite de la Vulnérala29, image mariale qui avait subí la fureuriconoclaste lors du sac anglais de Cadix en 1596, l'ancienne dame de lareine fit de méme avec Notre-Dame du Rachat30. Elle sauva l'image d'uneattaque de corsaires hollandais á Acapulco en la faisant transporter dansson propre oratoire á la cour de Nouvelle Espagne31. Enfin, á la mort de24. LABRADOR E , « Casa de la reina Margarita », MARTÍNEZ MILLÁN J. (éd.), La monarquía de Felipe III,

Madrid, Fundación Mapire, I, 2008, p. 1125-1168.25. MARÍN C., « Doña María Sidonia Riederer de Paar, dama de la reina Margarita de Austria y

condesa de Barajas», MARTÍNEZ MILLÁN J. et GONZÁLEZ CUERVA R. (éd.), La dinastía de los Austria.Las relaciones entre la Monarquía Católica y el Imperio, Madrid, Polifemo, I, 2011, p. 671-700;AGUAYO E, « Doña Mariana Riederer de Paar, dama copera de la reina Margarita de Austria »,Crónica de Córdoba y sus pueblos, n° 6, 2001, p. 25-32.

26. Archivo General de Indias, Séville, Contratación, 5348, liasse 55 ; et Contratación, liasses 342B, 1,18.27. Sur les adaptations ceremoniales á l'époque, Río BARREDO Ma J., « De Madrid a Turín: el ceremo-

nial de las reinas españolas en la corte ducal de Catalina Micaela de Saboya », Cuadernos de HistoriaModerna. Anejos, n° 2, 2003, p. 97-122.

28. RAMOS MEDINA M., Imagen de santidad en un mundo profano, México, Universidad Iberoamericana,1990, p. 88-90; RJVERO M., La edad de oro de los virreyes. El virreinato en la Monarquía Hispánicadurante los siglas xviy xvu, Madrid, Akal, 2011, p. 166.

29. En espagnol Nuestra Señora Vulnerata, note de la traductrice.30. En espagnol Nuestra Señora del Rescate, note de la traductrice.31. L'image fut ensuite la propriété de Luis Fernández de Córdoba par don testamentaire de la vice-

reine, HERRERA S. ,« El eclesiástico Luis Fernández de Córdoba y Portocarrero: aproximación a sumecenazgo cultural », Laboratorio de arte, n° 23, 2011, p. 147-163.

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LECTURES ET ESPACES FÉMININS

Marianne Riederer de Paar a México en 1619, on organisa des funéraillesen son honneur a la cour de la Vice-Royauté comme « dans d'autres républi-ques et villes de ce Nouveau Monde32». Ces cérémonies s'accompagnérentd'une telle expression d'affliction qu'elles firent couler les larrnes non seule-ment des Espagnols, « mais aussi des Barbares et des Indiens eux-mémes33 ».On y trouve Fecho des funérailles royales en l'honneur de la souverainedécédée quelques années plus tót, notamment dans le réemploi du catafalqueerige pour la reine34. Allant plus loin encoré, malgré les nombreusesarriendes que provoqua cette comparaison cérémonielle, le prédicateurMarcos de Figueroa assurait que tous devaient avoir connu les vertus héro'i-ques de la marquise de Guadalcázar comme celles d'un « vif portrait de laVie, et de la mort de la Reine catholique d'Espagne Marguerite que Dieuait son ame35 ».

Accompagnée des dames Riederer, qui allaient étre si fidéles a. sonsouvenir, le voyage que fit Marguerite depuis l'Empire jusqu'á la cour deMadrid avait deja été jalonné d'épisodes rendant compte de la piété royaled'une majesté dévote. Parmi eux, il est intéressant de souligner qu'on yentend deja quelques expressions de son intérét pour les lettres. Bien quesans succés, Barcelone avait tenté d'étre choisie pour étre la scéne de l'unionroyale en 1599. Aprés les cérémonies qui eurent finalement lieu a Valence,les souverains entrérent dans la ville catalane en mai de la méme année.C'est la que Marguerite fut invitée a faire la connaissance d'Ángela Prat— sceur Angela Serafina — qui vécut un rapt mystique en sa présence, et luiprophétisa la naissance de sa filie Anne, future reine de France. Sa Majestéexerca son patronage sur sceur Angela en intervenant en faveur de lafondation du couvent de religieuses capucines á laquelle la moniale veuvetravaillait. Depuis lors, celui-ci est connu sous le nom du couvent deSanta Margando, la Retal36. Peu de temps auparavant, Pere Benet Soler,conseller en cap de la ville, avait rendu visite á la reine Marguerite á bord de sagalére amarrée face aux cotes barcelonaises. Au retour de son ambassademaritime, Soler rapporta qu'« elle lui avait adressé [la bienvenue] en languelatine et aussi répondu de fa£on éloquente dans la méme langue ». C'est

32. « En otras Repúblicas y ciudades de este Nuevo Mundo », FIGUEROA M., « [Epístola dedicatoria}A D. María Sidonia Riedrer de Paar Condesa de Barajas mi señora [México, 16 de mayo de 1619] »,Oratio funebris in celebri funerali pompa excelentissimae Marchionissae huius noui mundi Proreginae,Mexici, ex oficcina Bachalauri loannis de Alcafar, 1619, s. f.

33. « Hicieron derramar lágrimas no sólo entre Españoles, mas aún los mesmos Bárbaros e Indios », ibid.34. RODRÍGUEZ ÁLVAREZ Ma, Usos y costumbres funerarias en la Nueva España, Zamora (Michoacán),

El Colegio de Michoacán-El Colegio Mexiquense, 2001, p. 214.35. « Retrato vivo de la Vida, y muerte de la Cathólica Reyna de España Margarita que Dios tiene »,

FIGUEROA M., op. cit., s. f.36. Cf. FONS J. P., Historia y vida de la venerabk madre Ángela Margarita Serafina, fundadora de religiosas

capuchinas en España, Barcelone, Maria Dexen viuda, a la baxada de S. Eulalia, 1649, fol. 72 r°-81 v°.BARANDA N., « Fundación y memoria de las capuchinas españolas de la Edad Moderna »,ZERRI, G. et BARANDA, N. (éd.), Memoria e communita femminili. Spagna e Italia, secc. xv-xvn,Florence, Firenze University Press-UNED, 2011, p. 169-185.

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FERNANDO BOUZA

ainsi que le pére de Juliana Morell se le rappelait des années plus tard,dans une célebre lettre rapportant Fépisode oü Marguerite répondit en latínau conseller en cap pour expliquer qu'elle était favorable a l'instructionde sa filie dans les langues classiques depuis son plus jeune age37. On n'aaucune certitude sur le fait que la reine ait rencontré Juliana Morell, petitefilie polyglotte, en 1599. C'était un an avant qu'elle füt reconnue parJoan Antoni Morell qui, bien que marié, l'avait engendrée avec une femmecélibataire comme enfant legitime, tout comme son frére Joan Antoni. Cesdeux enfants était les fruits « ex illicito et damnato coitugeniti ó"procrean^ ».Cependant, il est certain que la mémoire de la reine Marguerite se lia ácelle de Juliana, auteur des célebres Theses quam Lógicas tum Morales Latine.Andreas Schott, dans son Híspanlas bibliotheca, certifie en efFet « quas[theses] lectas vidimus Margaritae Austriae Hispaniarum Reginae inscriptas^ ».Et la double annotation des « Déclarations de philosophie en latín, un real »dans l'inventaire de la bibliothéque de la reine est peut-étre en lien avec lescélebres theses de Juliana Morell40. Selon cette hypothése, l'éruditionclassique de cette auteure daterait de l'admiration qu'avait provoquée chezson pére le savoir lettre que la nouvelle reine avait manifesté á Barceloneen 1599.

Espaces, langues, lectures : la píete royaledans la bibliothéque de Marguerite d'Habsbourg-Styrie

La création d'espaces féminins dans la vie de palais á cette époquedépendait non seulement de l'existence de lieux á entrée, c'est-á-dire, ál'accés limité par des regles de cérérnonie, mais aussi du recours á des actionsprecises restreignant elles aussi cet accés dans la pratique. Dans le cas deMarguerite de Habsbourg-Styrie, sa capacité á utiliser la langue allemandepour creer un espace propre infranchissable, y compris par le tout-puissantduc de Lerma, est bien connue41. On peut aussi trouver quelques ouvragesen allemand dans la bibliothéque de la reine, qui comptait plus de350 volumes á sa mort42. La langue des écrits qui pouvaient faire partie de la

37. « Se la abía dado [la bienvenida] en lengua latina y que en la mesma le había respondido elocuente-mente. » La citation de l'écric de Morell pére (Lyon, 12 septembre 1613), se trouve dans SERRANOY SANZ M., Apuntes para una biblioteca de escritoras españolas desde el año 1401 a 1833, II, Madrid,Tipografía de la Revista de Archivos, Bibliotecas y Museos, 1905, p. 64.

38. Legitimación de Joan Antoni y Juliana hijos naturales de Joan Antoni Morell, mercader, Barcelona,26 de abril de 1600, ACÁ, Cancillería, Registros, Felipe II el Piadoso, Diversorum 11, fol. 182v°-185r°.

39. Je cite SCHOTT [1608] d'aprés ROCA J., « Juliana Morell », Memorias de la Academia de BuenasLetras de Barcelona, n° 2, 1868, p. 355-384, citation p. 381.

40. « Aserciones de philosophia en latín un real», BOUZA K, op. cit., § 202, p. 64.41. SÁNCHEZ M.S., « Confession [...] », loe. cit, p. 136, qui soulígne avec raison le choix/imposition

d'un confesseur de langue allemande, Háller, et d'un groupe de dames triées sur le volet, parmilesquelles Marie Sidonie Riederer.

42. Comme le Mortificationbüchlein de Giulio Fazio traduit par Martin Hueber (Ingolstadt, 1599) ou leChronicon Andecense de David Aicheler (Munich, 1595), BOUZA E, op. cit., §342, p. 71 et § 180p. 63.

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LECTURES ET ESPACES FÉMININS

consommation des femmes ayant des préoccupations spirituelles, ou quisimplement souhaitaient pratiquer la priére, dépasse la question de la lectureen langue vulgaire des Saintes Ecritures. Quand, par exemple, FranciscoCano traduisit en castillan les psaumes pénitentiels en forme d'Expositionsur indication de l'impératrice Marie de Habsbourg, figure tres proche deMarguerite, il aíErma que « dans les priéres non comprises de celui qui leslit, on perd beaucoup de Fattention [...] que l'on doit avoir a leur lecture43 ».Dans son prologue l'évéque d'Algarve loua aussi la « pieuse et religieusevolonté de Sa Majesté44 » désirant « lire les psaumes, qu'elle prie quotidien-nement, dans sa langue naturelle qui est le castillan, pour avoir d'euxune telle intelligence qu'elle puisse en tirer plus de douceur et de consola-tion pour son ame en les prononcant45 ». II est évident que ni les dévotionsde la reine, ni la relation qu'elle entretenait avec les livres ou la culturelettrée dans ce contexte, ne peuvent étre réduits aux ouvrages conserves danssa bibliothéque. II faudrait approfondir le fonctionnement de son oratoirepour comprendre ses pratiques comme lectrice et comme auteure d'écrits.La reine Marguerite a sans doute suivi le modele incitant a écrire ses pechesnon pas simplement pour se préparer á la confession genérale, mais aussichaqué vendredi, á la veille de sa confession hebdomadaire46. La pratiqueétait assez courante et n'était pas condamnée, bien que le pape Clément VIII(pontife de 1592 á 1605) eüt émis le décret sur la licéité de la confessionper litteras ínter sacerdotem et poenitentem absentes en 160247. Mais la fabri-cation de ees listes de fautes supposait une reflexión consciente sur lapénitence, attestant un exercice soigneux de l'examen de conscience sur labase du recours aux écrits. Dans un opuscule manuscrit, Margueritesprécieuses, Baltasar Porreño rend compte du lien entre les pratiques religieuseset dévotes de Marguerite de Habsbourg-Styrie et les modeles de cultureécrite, exposant que :

« Toute petite, elle commenca á prendre goüt aux choses divines,á la priére, et au rapport avec Notre Seigneur, et á étre tres dévote, desorte qu'elle récitait chaqué jour 1'ofEce de Notre Dame, celui de laCroix, celui de l'Esprit Saint, les Litanies et les Psaumes pénitentiels, leRosaire de Notre Dame, et d'autres dévotions particuliéres dont elle avait

43. « En las oraciones no entendidas de quien las dice se pierde mucho de la attención [ . . . } que en ellas sedeve tener », CANO F., Exposición de los sietepsalmospenitenciales hechos [...} y dirigida a la mages-tad de la Emperatriz que sea en gloria madre del Emperador Rodolpho que oy biue, copie du manuscritoriginal réalisée par Domingo de Barros, 1604, Madrid, Bibliothéque privée, fol. 1 v°.

44.« Pía y religiosa voluntad ha sido lade V.Magestad », ibid., fol. lv°-2r°.45. « Dessear leer los psalmos, que mui ordinariamente reza, declarados en su lengua natural que es la

castellana para tener dellos tal inteligencia que con más dulzura i consolación de su alma los puedadezir », ibid-., foí. 1 v°-2r°.

46. MUÑOZ L., Vida de la venerable M. Mariana de San Joseph fundadora de la recolección de monjasaugustinas. Priora del real convento de la Encarnación, Madrid, Imprenta Real, 1645, p. 214.

47. MEJÍA M.T., « La confesión a distancia », Revista española de derecho canónico, n° 19, 1964,p. 255-306.

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FERNANDO BOUZA

les livres. Ainsi, le temps qu'elle passait a ees dioses finissait par étre treslong48. »

Si l'écriture avait sa part dans les pratiques pénitentielles deMarguerite de Habsbourg-Styrie, elle l'avait aussi dans celles d'oraison. Ontrouve done dans sa bibliothéque de nombreux témoignages de ce que Fonpourrait qualifier d'instruments de confession, comme des offices, des heures,des missels, des pénitentiels, des catéchismes ou des series de litanies49. Lesimple fait que quelques-unes de ees piéces aient appartenu a telle ou tellepersonne leur donnait une valeur ajoutée. Ainsi, l'un des livres d'heures estdécrit dans le catalogue de sa bibliothéque comme des « heures anciennescontenant des estampes enluminées50 ». Le livre d'heures le plus illustre dontMarguerite de Habsbourg-Styrie eüt la propriété tenait ainsi son caractéreextraordinaire de son origine : il avait appartenu, du moins le croyait-onalors, a Marie Stuart (1542-1587). Cette piéce avait été offerte en 1611 parle fabuleux voyageur Anthony Sherley á travers le jésuite Joseph Creswell51.Elle est décrite comme un « petit livre doré de dévotion des heures deNotre-Dame contenant quelques enluminures et les armes de la reined'Écosse52 ». L'identité de l'ancienne propriétaire de ce livre d'heures le dotaitd'une condition de presque-relique, qu'il était tres approprié d'offrir áMarguerite de Habsbourg-Styrie, reine catholique qui récupérait l'objet ayantappartenu á une autre reine catholique dont l'aura de martyre, aux mainsd'Élisabeth Tudor, s'était répandue dans tout le monde catholique romain audebut du xviie siécle. Le soutien de Marguerite aux colléges de missionnairesanglais en Espagne, en particulier á celui de Saint Alban de Valladolid, avaitsans nul doute trouve son corrélat dans cette ofírande d'Anthony Sherley.On peut diré la méme chose au sujet d'autres livres de sa bibliothéque,comme les deux exemplaires du Schisme d'Angleterre de Ribadeneira ou VEditou Lois du roí Jacques d'Angleterre centre lafoi catholique avec sa réponse queCreswell avait publié vers 1610 sous le pseudonyme de B. de Clarimond53.

48. « Desde muy niña comencó a aficionarse a las cosas diuinas, a la oración, y trato con nuestro Señor y aser muy deuota, en tanta manera que refaua cada día el oficio de nuestra Señora, el de la Cruz, el delEspíritu Santo, las Lethanías y Psalmos Penitenciales, el Rosario de nuestra Señora; y otras deuocionesparticulares para las quales tenía sus libros; y ansí venía a ser mucho el tiempo que gastaua en esto »,PORREÑO B., Margaritas preciosas, unas por santidad, otras por letras, otras por armas y valor, Madrid,Patrimonio Nacional de España, Archivo del Monasterio de las Descalzas Reales, Ms. MD/F/84,fol. 47 r°.

49. BOUZA E, op. cit., § 144, p. 61, § 259, p. 67, § 269-270, p. 68, § 291, p. 68, § 294-295, p. 68,§ 326, p. 70, § 328, p. 70, § 349, p. 71.

50. « oras antiguas con estampas yluminadas », ibid. § 294, p. 68.51. Sur Creswell et Sherley, TOBÍO L., Gondomary los católicos ingleses, Sada, Ediciós do Castro, 1987.52. « Un librillo dorado de devoción de las horas de nuestra señora con algunas iluminaciones y con las

armas de la Reyna de Scocia », ACÁ, Consejo de Aragón, Pasaportes, liasse 55, n° 122 (MemorialdeRobert Moor a su Majestad, [Saragosse, janvier 1611]. D'autres documents relatifs á ees heures,n° 52-53). II n'a pas été possible d'identifier le « librillo » dans les biens de Marie Stuart.SHARMAN J. The Library ofMary Queen ofScots, Londres, Eliot Stock, 1889; et DURKAN ]., « TheLibrary of Mary », Queen of Scots, The Innes Review, n° 38, 1987, p. 71-104.

53. BOUZA E, op. cit., § 136, p. 61 et 243, p. 66 (Ribadeneira}; § 220, p. 65 (Creswell).

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LECTURES ET ESPACES FÉMININS

II n'est pas difficile de trouver dans les livres de la reine Marguerite deséchos des questions qui étaient Fobjet de débats dans les chancellerieseuropéennes á la méme époque, comme la relation entre Jacques Ier d'Angle-terre (Jacques VI d'Écosse, 1567-1625) et ses sujets anglais. Dans le cas desfréres Anthony et Robert Sherley, se croisaient les questions d'Angleterre etcelles de Perse, dont était venu le célebre Uruch Beg Bayat, baptisé á lacour de Madrid en présence des souverains sous le nom de Jean de Perse .Philippe III avait decide d'envoyer l'augustin Antonio de Gouveia á Rome,et de la en Perse, pour qu'il s'occupát aussi bien de l'alliance avec lesSafavides centre les Tures que de la direction spirituelle des chrétienshabitant dans cette región et bien sur de la conversión des populationslocales55.

En 1611, Gouveia publia á Lisbonne un Récit oú l'on traite des guerreset des grandes victoires du grand roí de Perse qui trouve opportunément saplace parmi les livres de la reine56. La méme année, un Itinéraire d'Indeparla teñe voyait le jour á Lisbonne aussi. Bien qu'il ne figure pas dans labibliothéque de Sa Majesté, il a un lien avec elle car son auteur, le franciscainGaspar de Sao Bernardino, lui dédicaca : « A madame la reine d'EspagneMarguerite de Habsbourg-Styrie57. »

D'autres ouvrages furent dédiés á la reine, comme VHistoire desainte Jeanne de la Croix du frére mineur Antonio Daza58; ou VHistoire deSainte Catheñne de Sienne composée en octaves rimées par Isabel de Liaño,achevée des 160259. Cette auteure n'hésite pas á y proclamer qu'ellerecherche le patronage de la reine car elle est une femme et de la sorte,« Cette ceuvre á moi, Reine illustre,/aura besoin de votre protection/car elleserait méprisée et persécutée/par plus d'un ennemi si ce n'était le cas60 », cequi, d'une certaine facón, evoque la relation deja mentionnée de protection

54. En espagnol Juan de Persia. CUTILLAS J. E, « Las relaciones de Don Juan de Persia : una imagenexótica de Persia narrada por un musulmán shii convertido al cristianismo a principios del s. xvn »,Sharq al-Andalus, n° 16-17, 1999-2002, p. 211-225.

55. FLANNERY J.M., The Mission ofthe Portugués? Augustinians to Persia and beyond (1602-1747),Leiden, Brill, 2013; ALONSO C., Antonio de Gouvea, OSA, diplomático y visitador apostólico en Persia,Valladolid, Estudio Agustiniano, 2000.

56. Relafam em que se tratan as guerras e grandes victorias que alcafou o grande rey da Persia, Impressoem Lisboa, por Pedro Crasbeeck, 1611. GULBENKIAN R., « O Padre Antonio de Gouveia e aautoriada "Breve Reíacam" de 1609 sobre a Persia », Árquivos do Centro Cultural Portugués, n° 8, 1974,p. 211-63.

57. « A Raynha de Espanha Margarita de Austria nossa senhora », in GASPAR DE SAO BERNARDINO,Itinerario da India por térra até este Reino de Portugal com a discripfam de Hierusalem, Lisbonne,Vicente Alvares, 1611.

58. DAZA A., Historia, vida y milagros, éxtasis y revelaciones de la venerable virgen santa luana de laCruz [...] Dirigida a la Reyna de España Doña Margarita N.S., Madrid, Luis Sánchez, 1610.

59. LIAÑO I., Historia de la vida, muerte y milagros de Santa Catalina de Sena, dividida en tres libros.Compuesta en Octava rima [...] dirigida a la Reina Nuestra Señora doña Margarita de Austria,Valladolid, Luis Sánchez, 1604. Lalicence est d'avril 1602.

60. « Esta mi obra, Reyna esclarecidaJTendrd necessidad de vuestro abrigo/Ojie bien menospreciada yperseguida/fuera sin vos de más de un enemigo », citation d'aprés SERRANO Y SANZ, M., op. cit.,p.14.

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féminine qui a lié Marguerite aux théses de Juliana Morell. Quant al'ouvrage intitulé Marguerites précieuses de l'Église de Juan de Soto, il semblequ'il ait été con9U pour s'adresser a la reine, mais que sa mort frustra lesdesseins de son auteur. Malgré tout, en le publiant en 1617, l'augustinincluí son souvenir sur la page de titre elle-méme, puisqu'on peut y lire quele propos du livre est « un exposé comprenant les vertus et excellences [destrois saintes Marguen tes] que madame la reine Marguerite a imitées61 ».De sorte,que la reine elle-méme devient matiére du livre et se transforme,pourrait-on diré, en une quatriéme sainte ou au moins en un modele desainteté. Dans son édition princeps, la Premiére partie du flos sanctorumou livre des vies de saints de Pedro de Ribadeneira avait deja été publiéeen 1599 avec une dédicace adressée a Marguerite de Habsbourg-Styrie.Dans cet ouvrage, qui connut un enorme succés commercial, l'écrivainjésuite indiquait que « ce livre ser [ait] utile a la reine Marguerite pour passerle temps en lisant les vies de saints, qu'elle apprécie autant qu'elle les imite ».Mais il exposa surtout qu'il avait decide de dédier son Flos sanctorumen langue castillane a la reine pour que « publié sous sa patronage et sousla protection de son nom royal, il füt plus aimable a ceux qui le lir[aie]ntet [füt] un témoignage de sa reconnaissance62 ». Ribadeneira ne cherchaitpas seulement la protection royale á travers cette dédicace. II prétendaitaussi tirer profit du goút de Marguerite pour les recueils de vies de saintspour inciter d'autres personnes á les lire, confiant dans le fait qu'ainsi eeslectures leur procureraient « plus de plaisir ». De la sorte, les pratiquesconfessionnelles royales furent amplifiées á travers l'impression des ouvrages,et proposées comme modeles á imiter. Elles servirent en quelque sorte d'ins-trument pour la mission d'évangélisation particuliére qui s'appuyait sur eesimprimes.

L'inventaire de la bibliothéque confirme Taffirmation de Ribadeneira dugoüt de Marguerite pour \e.s flores sanctorum et autres vies de saints. En effet,le genre hagiographique se trouve magnifiquement representé dans sacollection de livres63. Pour appréhender ses pratiques de lecture, on peuten outre utiliser quelques panégyriques qui, tout en faisant sans retenuel'apologie des coutumes de la reine, offrent des informations intéressantes.Ainsi, dans sa Reine catholique, Diego de Guzmán nous indique que :

61. « Expuesto con las virtudes y excelencias que dellas [las tres santas Margaritas] sacó la reina MargaritaNuestra Señora », SOTO, }., Margaritas preciosas de la Iglesia. La virgen mártir. La llamada PelagioMonge. La, Serenissíma reyna de Escocia. En tres libros, cada qual del texto de su vida, moralrnenteexpuesto con las virtudes, y excelencias que dellas sacó la Reyna Doña Margarita, nuestra Señora, queestá en gloria. Utilíssimo para predicadores evangélicos, Alcalá, Andrés Sánchez de Ezpeíeta, 1617.

62. RIBADENEIRA P., Flos sanctorum o Libro de las vidas de los santos [...] primera parte en la qual secontienen las vidas de Christo Nuestro Señor y de su santíssima madre y de todos ios santos que reza laYglesia Romana en los seysprimeros meses del año, Madrid, Luis Sánchez, 1599, Dédicace, s. f.

63. BOUZA E, op. cit., § 91-95, p. 59, § 102 p. 60, § 113-114, p. 60, § 173, p. 63, § 195 p. 64 (floressanctorum) et § 99, p. 59, § 178, p. 63, § 185, p. 63, § 194, p. 64, § 204, p. 64, § 224, p. 65,§ 246-247, p. 66, § 254, p. 66, § 264, 67, § 296, 68, § 354, p. 71 (hagiographies).

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LECTURES ET ESPACES FEMININS

« A l'instant méme oü elle se réveillait le matin, avant d'occuper sapensée á autre chose, afin que celle-ci soit d'abord consacrée a Dieu,elle prenait un livre de priéres et de dévotion du pére Louis de Grenade,de Louis de Blois, du pére Luis de la Puente surtout, ou celui d'un autreauteur parmi ceux indiques par son confesseur [Haller]. II lui arrivaitaussi de lire ou de demander qu'on lui lüt la vie du saint du jour en question,et ce parfois méme avant de se lever, soit á voix haute pour que celles quiétaient á ses cotes pussent l'entendre, soit á voix basse pour elle-méme64. »

Elle pratiquait done la lecture silencieuse, niais aussi la lecture á voixhaute pour la partager avec ses dames de compagnie. Guzmán ajoute queees lectures étaient d'ordinaire faites pendant que ees femmes brodaient ouqu'elles cousaient, c'est-a-dire alors qu'elles fabriquaient des vétements litur-giques65. Un autre moment propice á cette lecture á voix haute était celuidu coucher, ou celui oíi elle était au lit, car de nouveau Guzmán assurequ'« étant une nuit réveillée, une personne voulut lui lire un román de cheva-lerie pour qu'en se distrayant elle se rendormít. Elle dit que, méme pourune nuit, elle n'admettrait pas que de livres tels que ceux-lá entrassent danssa chambre, ce qui ne se produisit done jamáis66 ».

En dépit de ce que ses presque hagiographes laissent á penser,Marguerite de Habsbourg-Styrie lut ou entendit des livres profanes, toutautant que des livres religieux, en des lieux en outre bien éloignés desestrades ou l'on brodait tout en écoutant des lectures. Récemment, SantiagoMartínez a attiré l'attention sur deux piéces de la correspondance entreDiego Sarmiento de Acuña et Pedro Laso de la Vega, mayordomo mayor de lareine, á propos de quelques livres destines, précisément, a satisfaire lesintéréts livresques de la reine Marguerite67. Les deux comtes, l'un deGondomar, l'autre des Arcos, avaient en commun une passion bibliophile.lis réunirent tous deux de tres riches collections de livres respectivement áValladolid et á Batres. Dans l'une de ses lettres, Laso de la Vega écrivit:

64. « En despertando por la mañana, antes que se le ocupaste otra cosa el pensamiento por dar las primiciasdel a Dios N. S. tomaua libros de oración y deuoción, particularmente los del padre frayLuis de Granada, de Ludouico Blosio, del padre Luis de la Puente, y otros que le tenía señalados suConfesor [Haller]. Otras vezes lehía o mandaua leer la vida del Santo de aquel día y esto hazía algunasvezes antes de levantarse, leyendo en voz alta para que la oyesen las que estavan allí lo que lehía; otrasvezes ¡ola para sí », GUZMÁN D., Reyna católica. Vida y muerte de D. Margarita de Austria,Reyna de España, Madrid, Luis Sánchez, 1617, fol. 128 v°.

65. « Nuestra sereníssima Reyna era tan dada a la leción de libros santos que algunas vezes, aun quandoestaua labrando, mandaua la. leyessen algún libro deuoto », ibid., fol. 128v°-129r°.

66. Ibid., f. 129 r°. Cependant, dans la bibliothéque de la reine on trouvait un exemplaire référencécomme « les neuf de la renommée »/« los nueve de la fama », qu'il faudrait sans doute mettreen lien avec la Crónica llamada el triunfo de los nueve más preciados varones de la fama de AntonioRodríguez Portugal. BOUZA E, op. cit., § 84, p. 59.

67. MARTÍNEZ, S., « Discreto, artífice y erudito. Un retrato abocetado de don Pedro Laso de la Vega,conde de los Arcos, mayordomo mayor de la reina Margarita de Austria y de Felipe IV (1559-1637) », MARTÍNEZ MILLÁN J. et LOURENCO MaP. M. (éd.), Las relaciones discretas entre las monar-quías hispana y portuguesa : las casas de las reinas (siglos XVI-XIX), Madrid, Polifemo, 2008, III,p. 1187-1220.

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FERNANDO BOUZA

« Je supplie votre gráce, s'il le posséde, d'avoir l'obligeance de m'envoyerun grand livre, imprimé semble-t-il a Burgos, qui traite des vies de saintsdu désert, car la reine désire ardemment le lire et m'a demandé de le luitrouver. Une fois lu, je prendrai soin de le récupérer et de le retourner avotre gráce [...] [en personne]. Si votre gráce ne l'a pas, elle m'obligeraen ordonnant de le chercher car je ne le trouve pas depuis deux jours, et SaMajesté me presse de le trouver. Le comte d'Arcos68. »

Ainsi done, la reine recourait a son mayordomo mayor, dont l'intérétpour les livres était bien connu, pour qu'il lui fournít des ouvrages. Ellepouvait le faire « en le pressant », au point qu'Arcos n'hésitait pas a chercherde l'aide auprés de celui qui fut sans doute le plus grand bibliophile del'Espagne de son temps. II le fit á une autre occasion, cette fois pourtenter de réparer une perte. Ce cas nous permet d'appréhender de nouveauxespaces et de nouvelles attitudes de lecture de la part de la reine :

« Que votre gráce sache qu'aprés avoir trouve avec difficulté un livre qu'onappelle la deuxiéme partie de la conquéte de México oü l'on traite de lavie de Hernán Cortés, je l'ai donné á madame la reine. II lui plaisait tantqu'elle a ordonné qu'on le lui apportát hier aprés-midi á la Huerta, oüle livre a été perdu. Elle a été si attristée par cette perte, et a manifestéun tel désir que je lui en retrouve un exemplaire que j'y suis tout occupé etinquiet, et que j'y ai passé toute ma journée, allant jusque chez votre gráce.Je la supplie de me faire la faveur de regarder si par hasard elle n'aurait pascet ouvrage parmi ses livres, et de me l'envoyer. Des que Sa Majesté l'auralu, je le lui rendrai. II s'agit d'un livre in-4° imprimé en Flandres, á Bruxellesou á Anvers, je ne sais plus. Si votre gráce ne l'a pas qu'elle me fasse diré sielle sait oü je pourrais le trouver69... »

L'ouvrage perdu ne devait étre autre qu'une édition anversoise de1!'Histoire genérale des Indes contenant la conquéte de México1® deFrancisco López de Gomara, qui finirait par intégrer les étagéres de labibliothéque de la reine71. De nouveau nous trouvons Marguerite désireusede lire et, en sus, fáchée d'avoir perdu un livre dans la Huerta de la Ribera68. « Suplico a v. m. si entre sus libros tiene un libro grande que me párese esynpreso en burgos que trata de las

vidas de los padres del yermo me haga merced v. m. de enuiármele porque la rreyna nuestra señora deseamucho leer en él y assí me a mandado se le busque, en pasándole yo terne cuidado de cobrarle y enviárselea v.m. [...] [de mano propia] Si v.m. no le tiene, me a de hacer merced de encargar se busque que yo nole hallo dos días y dame gran prisa por él su magestad. El conde de arcos », Valladolid, s. a.., RealBiblioteca, Madrid (dorénavant RB), Ms. 11/2136, 29.

69. « Sepa v.m. que después de averme costado mucho trauajo el hallar un libro que llaman la segundaparte de la conquista de México en que trata la vida de Fernando Cortés se le di a la rreyna nuestraseñora. Gustava tanto de él que mandó se le llevasen ayer tarde a la Huerta donde el libro se perdió.A estado tan mohína della y con tanto deseo de que le halle otro que cierto me da cuidado y he andadotodo oy con él y ydo a casa de v.m., a quien suplico me haga la merced de mirar si le uviera entre suslibros y enviármelle que en leyéndole su magestad le tornaré. En quarto es este libro y ynpreso en Flandesno sé si en Bruselas si en Amberes. Si v. m. no le tiene mande dezirme ai saue dónde podríamos buscar »,Valladolid, s. £, RB, Ms. 11/2106, 38.

70. En espagnol Historia general de las Indias que contiene la conquista de México.71. BOUZA E, op. rít., § 239 p. 66.

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LECTURES ET ESPACES FÉMININS

de Valladolid. A sa mort en 1611, elle possédait une petite collection detraites sur les Indes incluant la Milice indienne de Bernardo Vargas Machuca,1:'Histoire naturelle et morale des Indes de Joseph d'Acosta, VHistoire duPérou de Diego Fernández de Falencia et les deux parties de {'Histoiregenérale des Indes de López de Gomara72 — celle qui racontait lesconquétes de Cortés —, dont la perte a provoqué sa colére.

En tant que dame de compagnie de la reine, Marianne Riederer de Paarput assister a la scéne de la Huerta de Valladolid oü la reine démontra avecinsistance son désir de lire l'histoire mexicaine. Plus tard, une fois marquisede Guadalcázar, la darne allemande deviendrait vice-reine de NouvelleEspagne et y importerait les modeles de dévotion qu'elle avait vu pratiqueren Europe. Dans un monde toujours plus vaste, l'expérience dévotion-nelle de la Cour pouvait circuler sur un plan local, transnational et mondia-lisé. D'une part, elle le faisait gráce aux personnes elles-mémes qui, initinere, emportaient les pratiques et coutumes avec elles. D'autre part, ellese diffusait en suivant le mouvement des objets matériels, images et livres.

Dans le cas de Marguerite de Habsbourg-Styrie, un lien étroit avecun modele de majesté qui « confessionnalisa » les lectures individuelles etcollectives se posa finalement en archétype tres fort en raison de sa mortprécoce et soudaine et des nombreux écrits funéraires qui l'accompagnérent.Les échos de la construction d'espaces et de modeles de vie de Cour confes-sionnalisés, a partir d'une serie de pratiques de dévotion, résonnent dansles portraits biographiques de ses dames de compagnie. On les trouve aussidans les livres imprimes qui, comme le formulait expressément Ribadeneira,pouvaient étre mieux regus des lecteurs ordinaires s'ils luí étaient dédicacés,ou méme s'ils étaient presentes comme répondant á ses goüts a elle.Bien qu'il y eüt bien plus que des priéres et des oratoires dans sa vie,une partie de la mémoire confessionnelle de Marguerite de Habsbourg-Styrie, représentée comme une reine pieuse et dévote, circula á traversdes livres et des biographies des membres de sa suite. C'est ainsi qu'elle putétre imitée au-delá du périmétre de la Cour.

72. Ibid, § 10, p. 55 (López de Gomara, premiére partie), § 133, p. 61 (Vargas Machuca, Miliciaindiana), § 138, p. 61 (Acosta, Historia natural y moral de las Indias), § 171, p. 63(Fernández de Falencia, Historia del Perú), § 239 p. 66 (López de Gomara, Historia general de lasIndias, seconde partie).

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Page 17: Lectures et espaces féminins autour - UCM dame...2016/06/25  · LECTURES ET ESPACES FÉMININS demeuraient l'impératrice Marie de Habsbourg, soeur de Philippe II (1528-1603), ainsi

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Sous la direction deMurielle GAUDE-FERRAGU et Cécile VINCENT-CASSY

«La dame de coeur»Patronage et mécénat religieux des femmes de pouvoir dans l'Europe des xn e-xvne siécles

ENTRE dévotionsprivées etmémoire dynastique, la question dumécénat et dupatronagereligieux des femmes de pouvoir permet d'aborder l'histoire de leur spiritualité, maiss'inscrit aussi dans une histoire plus politique du pouvoir, et de son partage entre les

sexes. Majoritairement écartées de la Couronne et du pouvoir réel au bas Moyen Age, lesreines se sont-elles distinguées par un investissement plus grand dans le domaine du sacre ?Dans l'association délibérée d'un couple, le monarque incarnait-il davantage l'auctoritaset son épouse la caritas? Loin de l'histoire engagée du genre, il faut concevoir le pouvoiren termes de complementante. II est néanmoins nécessaire de s'interroger sur la (ou les)spécificités du patronage féminin; en d'autres termes, existe-t-il des domaines spécifique-ment féminins d'appropriation ou d'incarnation du sacre? C'est sous cet angle d'analyse, ála confluence du politique et du religieux, qu'est abordé l'ensemble des reines-consorts desroyaumes européens (France, Italie, Espagne, Pays-Bas) dont les parcours sont examines surun temps long, du xiveau xvne siécle, dans une perspective comparatiste.

Toutes les formes d'interventions religieuses sont ici évoquées par les meilleurs spécia-listes internationaux de l'histoire politique et artistique du Moyen Age et de l'époque moderne:fondations d'églises, de couvents et d'hópitaux, legs pieux et charitables, patronages et collec-tions d'ouvrages religieux, mais aussi commandes architecturales ou artistiques.Cécile VINCENT-CASSY est maítre de conférences á l'université París 13-Sorbonne París Cité. Spécia-liste de l'histoire religieuse et de la culture visuelle dans la monarchie hispanique de la premiéremodernité, elle est l'auteurde Les saintes vierges et martyres dans FEspagne du xviie siécle. Cuiteet image, Casa de Velázquez, 2011, et a coédité La Cour celeste. La commémoration collective dessaints au Moyen Age et á l'époque moderne, Brepols, 2015.Spécialiste d'histoire politique, Murielle GAUDE-FERRAGU est maítre de conférences á l'universitéParís 13-Sorbonne París Cité. Elle a consacréses recherches au pouvoir et á ses représentations á lafin du Moyen Age, tant d'un point de vue cérémoniel (D'or et de cendres. La mort et les funéraillesdes princes dans le royanme de France au bas Moyen Age, Presses universitaires du Septentrión,2005), qu'á travers l'histoire du genre (La reine de France. Le pouvoir au féminin (xive-xve siécle),Tallandier, 2014).

En couverture : habelle de Portugal avec sainte Élisabeth,par Petras Christus, Groeningemnuseum, Bruges, 1457-1460.

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