l’écriture de l’intime dans fritna de gisèle halimi · 3 baudelaire charles, les fleurs du...
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Rpublique Algrienne Dmocratique et Populaire
Ministre de LEnseignement Suprieur et de la Recherche Scientifique
UNIVERSITE MENTOURI CONSTANTINE
ECOLE DOCTORALE DE FRANAIS
POLE EST ANTENNE CONSTANTINE
N dordre :
Srie :
MEMOIRE
Prsent en vue de lobtention du diplme de MAGISTER
Filire : Sciences des textes littraires
Sous la direction de : Mr Jean Pierre Castellani
Prsent par : Melle Hassani Nabila
Devant le jury compos de :
Prsident : Pr. Ali Khodja Djamel, Professeur. Universit Mentouri Constanine Rapporteur : Pr. Jean-Pierre Castellani, Professeur. Universit Tours France. Examinateur : Pr. Nedjma Benachour, Professeur.Universit Mentouri
Constantine.
Anne Universitaire : 2008 / 2009
Lcriture de lintime
Dans Fritna de Gisle HALIMI
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A mes chers parents A mon frre MINO A mes surs MAHA et NAWEL
A mon alter ego ADEL, ma joie de vivre A ZOUBIR, FATEH, ASSIA et AMEL
A tous ceux qui mont aide et encourage
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Remerciements
Mes sincres remerciements vont mon directeur de recherche, le Pr. JEAN-PIERRE CASTELLANI qui a cru en moi et surtout qui ma toujours fait confiance.
A tous mes enseignants sans exception, plus particulirement :
Madame BENACHOUR NEDJMA, qui ma tant encourage poursuivre mes tudes.
Monsieur TARRACHE DJAMEL pour sa prcieuse aide, ses
conseils et ses encouragements. Monsieur DADCI SALAH qui a toujours t lcoute.
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- Alors, tu vas vraiment faire
a ? Evoquer tes souvenirs
denfance Comme ces mots te
gnent, tu ne les aimes pas. Mais
reconnais que ce sont les seuls
mots qui conviennent. Tu veux
voquer tes souvenirs il ny
a pas tortiller, cest bien a.
SARRAUTE Nathalie, Enfance,
Gallimard, coll. Fo lio , 1983, p.7.
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5
La mre est cette autre, modle
sublim, la fois mis sur un
pidestal et ml votre chair,
votre quotidien. Elle est la femme
que sera la fille. Cest par
lamour maternel que se construit
le rapport au corps. Toute ma vie
jaurai ressenti ce manque
HALIMI Gisle, Fritna, Plon, 1999,
p.202.
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SOMMAIRE
Introduction................
Chapitre I Prsentation I-1- Biographie de Gisle Halimi.......
I-2- Luvre : Fritna.. I-3- La problmatique
Chapitre II Lautobiographie II-1- Lautobiographie : dfinitions et travaux critiques
II-2- Le pacte autobiographique. II-2-1- Introduction.......
II-2-2- Lcriture autobiographique..
Chapitre III Analyse du corpus. III-1- Les pactes dans luvre...... III-2- Voix de Gisle Halimi
III-3- Le temps : Du trac de vie au trac de vcu
Chapitre IV Lcriture de lintime dans Fritna.. IV-1- Lintime et lextime dans Fritna IV-2- Ecrire et devenir.
IV-3- Urgence de parler et de tmoigner : rapports familiaux. IV-3-1- Rapport mre fille(s) IV-3-2- Rapport pre fille(s).
IV-3-3- Rapport mre fils.....
Conclusion.....................
Annexes..
p.07
p.12
p.13 p.17 p.19
p.25
p.26 p.36 p.37
p.40
p.49 p.50 p.73
p.82 p.89
p.91 p.97
p.115 p.118 p.142
p.148
p.153
p.157
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Introduction
l existe aujourdhui dans les sciences humaines un grand intrt
pour ltude de lcriture autobiographique. Il ny a pas une
personne connue qui ne se sente pas attirer par lexhibition de sa
vie prive. Nous ne manquons pas de mots pour dfinir les nombreux
genres autobiographiques qui abondent dans la littrature depuis de
nombreuses dcennies : histoire de vie, documents vcus, rcits de soi,
littrature du moi , littrature personnelle ou intime, tmoignages
autobiographiques. Nombreux sont les concepts qui, dans lhistoire de la
littrature, dsignent ce que nous appelons gnralement lcriture de soi,
ce champ dcriture devenu tellement la mode : journal intime,
autobiographie, mmoires, souvenirs, confessions, rcit pistolaire.
Quel que soit la faon par laquelle on aboutit ce genre dcrit,
cette production littraire rpond une fascination pour le vcu, une
carence chez ltre, une rclamation du sujet, apparat comme un espace
privilgi pour arriver une comprhension intime du sujet crivant et du
contexte socio-historique et culturel dans lequel il svolue.
. Le Je qui scrit semble avoir le choix entre plusieurs
formes pour sexprimer sur le papier, bien distingues puisque veillant
des dnominations spcifiques qui rendent compte du dynamisme de ce
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domaine dcriture. Ainsi, travers les sicles, nous passons de lcriture
du Je , la littrature du Je . De lun lautre, de la pratique
dcriture (dusage priv) la littrature (dusage public), le passage peut
se faire en un temps trs court ou bien trs long.
La qute du Moi est ce qui pousse lcrivain vers sa
proclamation. Lcriture devient un miroir, autant une conception
immdiate de soi que de la ralit, ne du pass et/ou prcurseur de
lavenir. Ecrire permet ainsi une perptuelle rinvention du langage et de
limage dune ralit dont laffirmation la plus objective ne saurait rsilier
sa source, la subjectivit du Moi originel .
De nos jours, lautobiographie fait figure dun genre dominant
et omniprsent et lhabitude de parler de soi sest dveloppe dune
manire extraordinaire. Selon Alain Girard, seules deux caractristiques,
seraient communes la plupart des autobiographes : la premire est
que leur autobiographie est luvre de leur ge mr, sinon de leur
vieillesse ; la seconde est quils taient eux-mmes connus du public ds
avant la publication de lhistoire de leur vie 1. En effet, elle occupe une
place absolument centrale dans la mesure o il nest aujourdhui aucune
personnalit mdiatiquement connue qui ne se sente pas tenue de nous
faire part de sa vie, de nous parler de son enfance ainsi que des
vnements qui ont marqu sa carrire, en publiant un rcit de sa vie.
1 MAY Georges, LAutobiographie, Paris, PUF, 1979, p.74.
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Ainsi, lide dcrire une autobiographie nat souvent avec le
dsir de se raconter. Lautobiographe a peut-tre des moments donns
des ides quil veut analyser tout en crivant. Trs souvent, il y a un
vnement dans la vie de lauteur qui a t important, et en abordant ce
fait, lautobiographe a une chance de se comprendre soi-mme.
De ce fait, lautobiographie favorise la connaissance de soi.
Dune part, le dialogue avec soi mme ; une sorte dexamen de
conscience, permet de sanalyser ; de dresser son propre portrait; de
dpeindre ce sanctuaire intrieur 2 . Cest un miroir de lme. Dans
une autobiographie, nous trouvons les ides personnelles, les penses les
plus prives, tout ce qui sest pass dans la vie de lcrivain. Dautre part,
lautobiographe se montre tre un crivain fidle ; il ne se dsignera
pas, il exprimera toute la vrit. Ainsi, les intrts de lautobiographie
sont nombreux et divers :
En premier lieu, ce genre littraire est loutil de la
reproduction de soi-mme. Ensuite, les autobiographes plongent dans
leurs souvenirs pour y retrouver une personnalit perdue. Puis vient
l apologie de sa personne, qui explique, dfend ou justifie les choix
ou les traits de caractre de lauteur, pour soi-mme ou pour le grand
2 HUBIER Sbastien, Littratures intimes. Les expressions du moi, de lautobiographie
lautofiction, Paris, Armand Colin, 2005, p. 32.
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public. Mais les intrts de lautobiographie touchent aussi au message
donn par luvre.
Par ailleurs, lcrivain, travers le rcit de sa vie, dcrit les
poques, les expriences, les pripties de son existence. A travers cela,
il juge, plaidoyer ou rquisitoire, le monde qui lentoure. Dabord, le
but premier et lgitime de lautobiographie est le rcit de sa propre
vie. Pour lcrivain, exposer son existence est un plongeon dans le
monde des souvenirs, agrables ou douloureux, enrichissants ou ayant
marqus un tournant dans sa vie, revivre les instants de sa vie tout en
ayant un regard extrieur, adulte et rflchi.
En second lieu, lautobiographie tient compte dun plaidoyer
de soi mme, ou encore dune justification ou simplement dune
explication de sa personnalit, de ses choix ou encore de sa vie. Cette
dfense, cette rdaction peut sadresser au public mais aussi et surtout
soi-mme. Le projet mme de lautobiographe est de se connatre, de se
dcouvrir. Cependant, ce projet, sil est suivi jusquau bout, conduit alors
une description personnelle qui stend de nombreuses personnes
qui y trouve un miroir pour leur propre vie, dire que cest une sorte de
rvlation que lauteur adresserait directement son lecteur, (s)on
semblable, (s)on frre 3. Elle reprsente un moyen convaincant de faire
3 BAUDELAIRE Charles, Les Fleurs du Mal, Paris, ENAG Edit ions, 1990, p.4.
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passer ses ides, ses messages, ses dsirs, ses espoirs. Elle est le fruit dun
long et parfois douloureux ouvrage.
Sachant que lcriture a un immense pouvoir cathartique,
lauteur expurge ses ressentis, il les formalise pour ainsi mieux les
apprivoiser, les comprendre, ou sen librer. La plupart du temps, il
commence crire pour ces raisons. Lcriture est donc tourne vers soi.
De mme, lautobiographie, elle, saffirme comme le genre du
pass, souple, imperceptible. Elle ne copie pas, elle recre tout au profil
dune fidlit secrte. Ainsi la vie apparat-elle comme un film ngatif
qui trouve ses couleurs que par le jeu du souvenir 4.
En somme, lcriture de lintime est un genre fascinant. Il y a
plusieurs faons dcrire une autobiographie : chaque auteur choisit
comment il va se raconter et ce quil va crire. La dcision de procder
ce type dcrit nest pas toujours vidente. Tout le monde ne veut pas
parler de soi. Parmi ceux qui nont pas manqu de dvoiler leur vie
intime, nous mettons laccent sur une femme qui a marqu son temps :
Gisle Halimi.
4 DUFIEF Pierre, Les critures de lintime de 1800 1914 , Paris, Bral, 2001, p.69.
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Chapitre I
Prsentation
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I-1- Biographie de Gisle Halimi
isle Halimi, ne Zeza Gisle lise Taeb, en Tunisie en
1927, est une avocate et une militante fministe et politique
franaise, d'origine tunisienne. Elle entre au barreau de
Tunis en 1949 et poursuit sa carrire d'avocate Paris en 1956. Elle a t
marie, en premires noces, Paul Halimi puis, en secondes noces,
Claude Faux, ancien secrtaire de Jean-Paul Sartre dont elle a t l'amie et
l'avocate.
Fortement engage dans plusieurs causes, elle milite pour
l'indpendance de l'Algrie, dnonce les tortures pratiques par l'arme
franaise et dfend les militants du MNA (Mouvement National Algrien)
poursuivis par la justice franaise. Dans le mme esprit, elle prside une
commission d'enqute sur les crimes de guerre amricains au Vit-Nam.
Fministe, Halimi est signataire en 1971 du Manifeste des 343 femmes
qui dclarent avoir avort et rclament le libre accs aux moyens
anticonceptionnels et l'avortement libre.
Aux cts de Simone de Beauvoir, elle fonde, en 1971, le
mouvement fministe Choisir la cause des femmes et milite en faveur de
la dpnalisation de l'avortement.
Au procs de Bobigny en 1972, qui eut un retentissement
considrable, elle dfend une mineure qui s'tait fait avorter aprs un viol,
G
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en publiant une tribune contre la loi de 1920. Ce procs a contribu
l'volution vers la loi Veil de 1975 sur l'interruption volontaire de
grossesse.
lue dpute l'Assemble nationale de 1981 1984, elle
constate avec amertume que ses projets n'avancent pas autant qu'elle le
souhaiterait et elle dnonce un bastion de la misogynie. Son amendement
instaurant un quota pour les femmes aux lections a pourtant t vot la
quasi-unanimit par les dputs, en 1982. La mise en chec de cet
amendement revient au Conseil constitutionnel qui le considra comme
une entrave la libert du suffrage et la libre expression de la
souverainet nationale. Bien que nomme par lui ambassadrice de la
France auprs de l'UNESCO, d'avril 1985 septembre 1986, elle se
dclare due par un Mitterrand qu'elle juge machiavlique. Elle rejoint
Jean-Pierre Chevnement l'occasion des lections europennes de 1994
(elle figure en seconde position sur la liste du MDC). Gisle Halimi est
galement une des fondatrices de l'association alter mondialiste ATTAC.
L'activiste palestinien Marouane Barghouti lui a demand d'tre l'un de
ses avocats.
Elle est la mre de Serge Halimi, journaliste au Monde
diplomatique.
En mars et avril 2006, les chanes RTL-TVI, TSR1 et France 2
ont diffus Le Procs de Bobigny, un tlfilm de Franois Luciani dans
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lequel Anouk Grinberg interprte le rle de Gisle Halimi et Sandrine
Bonnaire celui de la mre qui aida sa fille mineure avorter. Pour la
promotion de Pques 2006, Gisle Halimi est promue au grade d'officier
de la Lgion d'honneur.
Outre de nombreux articles dans la presse franaise et
internationale, elle a crit les ouvrages suivants (traduits en plusieurs
langues) :
*Djamila Boupacha. Prface de Simone de Beauvoir (Ed. Gallimard,
1962. Rditions 1978, 1981, 1991). Gisle Halimi a dfendu cette jeune
algrienne, militante du F.L.N., torture et viole par les militaires
franais.
*Le Procs de Burgos. Prface de Jean-Paul Sartre (Ed. Gallimard, coll.
"Tmoins", 1971). Gisle Halimi a t mandate par la Fdration
internationale des Droits de lHomme pour assister ce procs, en
dcembre 1970.
*La Cause des Femmes (Ed. Grasset, 1973 ; rditions 1975 - avec une
prface : "La Femme enferme" -, 1976 - Livre de Poche -, 1978. Puis d.
Gallimard, 1992, coll. "Folio" : nouvelle d. revue, annote et augmente
dune prface, "Le Temps des malentendus").
*Le lait de loranger (Ed. Gallimard, coll. "Blanche", 1988; coll. "Folio",
1990).
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*Une embellie perdue (Ed. Gallimard, coll. "Blanche", 1995).
*La nouvelle Cause des Femmes (Ed. Le Seuil, 1997)
*Fritna (Ed. Plon 1999)
*Ltrange Mr. K. (Ed. Plon 2004)
* Avocate irrespectueuse (Ed. Plon 2002)
* La Kahina (Ed. Barzarkh 2007)
* Ne vous rsignez jamais (Ed. Plon janvier 2009)
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I-2- Luvre : Fritna
otre tude intitule : Lcriture de lintime portera sur
une uvre de la littrature franaise: Fritna5 de Gisle
Halimi.
En 1999, Gisle Halimi publiait, Fritna, aprs Le lait de loranger et Une
embellie perdue, livre auquel elle donne un caractre autobiographique,
avec ses dclarations. Cest une uvre dans laquelle elle se livre, raconte
dune manire impudique toute sa trajectoire au sein de sa famille.
Dans ce texte, lauteure fait voler en clats le mythe de
lamour maternel. La mal-aime cherche comprendre jusquau dcs de
Fritna le non-amour. Elle nous livre tour tour une rflexion intime,
motionnelle et violente, qui a dbouch sur la construction dune
personnalit en rvolte contre linjustice. Elle relate les relations quelle
entretenait avec sa mre Fritna. Elle y parle de labsence de lamour
maternel, et du manque dont elle a souffert le reste de sa vie. Tout au long
du rcit, la narratrice nous fait vivre des moments de sa vie entre le pass
lointain (son enfance), et un prsent (adulte).
5 HALIMI Gisle, Fritna, Paris, Pocket, Plon, 1999.
N
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Fritna6 mre est labsence, labsence de tout, au contraire
dEdouard (le pre) plein de sentiments affectueux pour ses filles. Ctait
un homme dont le devoir paternel a t accompli.
Cette qute infinie damour et de reconnaissance sachve avec
lenterrement de Fritna : tandis que Gisle, jusqu la fin, cherche auprs
delle laffection qui lui a toujours manqu, sans renoncer linterroger
sur les raisons de ce manque, avec la mort survient la rsignation. Son
sentiment dinjustice fondamentale ne sera jamais apais, et la question
restera sans rponse.
En ralit, lautobiographie Fritna se veut principalement une
criture mmorielle puisque sans cette mmoire, sans cette histoire, il ne
peut y avoir ni prsent ni avenir.
6 Fortune en arabe.
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19
I-3- La problmatique
n ce qui concerne le choix de ce corpus, il relve de notre
choix pour luvre et de notre prfrence pour son aspect
littraire, social, et culturel, ainsi que de lvolution de ce
type dcriture.
En effet, les crits gotistes7, narcissique, intimes seraient
toujours en quelque manire fonds sur ce sens intime qui suppose
que lcrivain ait une conscience exacte de sa permanence en dpit des
modifications sensorielles et intellectuelles qui laffectent au cours de sa
vie8. De mme, les diffrents angles abords dans ce travail sarticulent
ainsi :
Lintroduction prsentera lobjectif de recherche ; c'est--dire
explorer les raisons (avoues ou non) qui mnent lcriture de soi, ainsi
que cerner et dfinir les caractristiques formelles et structurelles dans
luvre, le corpus tudi, la problmatique et lhypothse qui permettent
de dterminer la nature de la question pose, de formuler le thme de ce
travail et de justifier lintrt pratique de ltude de : lcriture de
lintime/ lautobiographie.
7 HUBIER Sbastien, Littratures intimes. Les expressions du moi, de lautobiographie
lautofiction, op.cit., p. 47. 8 Ibid., p. 44.
E
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20
En second lieu, nous passerons ltude des particularits
autobiographiques dans le rcit de Halimi. Lobjectif final nous
permettra danalyser et de comprendre la varit et la richesse formelle
ainsi que le fonctionnement structurel de ce concept.
En outre, pour atteindre lobjectif fix, nous avons constitu
un corpus duvres o il est question dautobiographie ; criture intime
ou criture de soi, ainsi que des outils conceptuels et mthodologiques :
les approches : narratologique, autobiographique, psychanalytique, qui
nous permettront de rpondre aux questions poses : Pourquoi Gisle
Halimi sest-elle mise raconter son enfance ? Luvre, est-elle une
autobiographie ou une autofiction ? Est-elle ce je ? Quelles motions sen
mlent ? O finit le souvenir ? Pourquoi a-t-elle ressenti le besoin de faire
le rcit des souvenirs denfance douloureux ? Est-elle seulement la
recherche delle-mme ?
Nous essayerons, certes, de faire une analyse de la notion du
pacte autobiographique comme critre absolu dans luvre elle-
mme. Ce pacte est une sorte de contrat de lecture qui est souvent
explicite. Nous dterminerons lexistence ou pas de ce pacte, ainsi que
les autres pactes et de les dfinir, partir des travaux de critiques
littraires.
Dans un deuxime moment, nous tenterons danalyser les
diffrents critres pour caractriser le genre autobiographique,
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21
lautobiographie classique dite autodigtique : comme rcit
rtrospectif, comme rcit en prose, comme histoire de la personnalit dun
Moi, le statut de Gisle par rapport son uvre, et de l rpondre la
question cruciale : est-elle vraiment ce Je ?
Dans un troisime moment, nous analyserons le temps dans
Fritna. Sachant que lautobiographe reprend le pass en voquant le
prsent ; tout en reprenant des vnements antrieurs significatifs, le sujet
de lautobiographie doit-il tre principalement la vie individuelle, la
gense de la personne. Elle est donc destine faonner lexistence, lui
donner une signification. cet effet, les crivains racontent
chronologiquement les vnements de leur vie, mme si cet ordre
chronologique na rien de naturel, et ne correspond pas celui de la
mmoire.
Vu le contexte socioculturel et historique de Gisle, celui
dans lequel elle a volu, elle a dcid dadopter ce genre dcriture,
celui de lintime pour quon laime: une voie (voix) durgence ncessaire,
voire son rle purgatif et thrapeutique. Comme nous dit donc Pierre
Dufief : lautobiographie a galement un rle cathartique. Lcriture y
devient lquivalent de la parole dans une analyse psychanalytique ; elle
permet de se librer du refoul, des secrets douloureux () 9
9 DUFIEF Pierre, les critures de lintime de 1800 1914 , op. cit., p.79.
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22
Dans un dernier moment, nous insisterons sur le thme du
manque du sentiment maternel qui suit lauteure tout au long de son rcit
qui nest en ralit que le vecteur de son criture. Une occasion pour
dnoncer labsence de lamour maternel et du manque dont elle a souffert
le reste de sa vie. Elle dclare : Ma mre ne maimait pas. Ne mavait
jamais aime 10
. La mal-aime y parle, cherche comprendre
jusquau dcs de Fritna, le non- amour de celle-ci pour ses filles. Un
retour en arrire douloureux avec beaucoup de points dinterrogation.
Halimi ne cesse pas de sinterroger sur sa qute commence depuis
longtemps: Jhsite. Vais-je recommencer ma qute, celle commenc
ds lenfance, une fois encore, ou la laisser partir sans avoir ma
rponse ? 11
, et mme Pourquoi ma mre ne maime-t-elle pas 12
. A
cet effet Ce qui me parat certain dans tous les cas, cest le besoin des
filles de recevoir de leur mre les clefs de ce langage, pour forger leur
destin complexe, ambigu. Par lamour, par le lien charnel, par une
sorte de complicit rotique, lenfant fille sapprhende et apprend
saimer comme telle. Avec lautre soi-mme, partir de soi-mme, se
forment dans sa propre source identitaire laffectivit, lintelligence,
10
HALIMI Gisle, Fritna, op. cit., p. 15. 11
Ibid., p. 22. 12
Ibid., p. 46.
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23
le pouvoir relationnel. 13
. Un grand vide, un grand manque, qui na
jamais t combl.
Toutefois, nous nous intresserons de plus prs aux relations
familiales, surtout celles de Gisle et de sa mre, cette tude ncessite le
recours une approche psychocritique puisque de ce manque est ne une
personnalit, celle dune femme forte et rsistante. Nous verrons aussi la
relation de Gisle avec son pre14
, enfin de Fritna et de lattention quelle
a pour ses autres enfants (les garons).
Lauteure nous livre tour tour une rflexion intime,
motionnelle et violente qui a dbouch sur la construction dune
personnalit en rvolte contre linjustice, cela nous fait penser Georges
Simenon15
ou mme Boudjedra16
. Le combat dune femme parmi tant
dautres (Fministes) qui ont eu le mme parcours comme: Germaine
Tillion17
, Germaine Mlanie ; un combat qui sest transform en une
russite, rage dans la vie, force de courage.
Amour et haine sont omniprsents, nous ne pouvons rester
insensibles la souffrance de lcrivaine et lingratitude de la mre,
13
Ibid., p. 204. 14
Gisle a consacr un livre son pre Edouard, intitul, Le lait de loranger,(Paris, pocket, ed
Gallimard, 1988) pour perptuer sa mmoire. 15
SIMENON Georges, Lettres ma mre , presse de la Cit, Paris, 1974. 16
BOUDJEDRA Rachid, La Rpudiation, Gallimard, co ll. "Folio", Paris, 1987. 17
TILLION Germaine, Le Harem et les cousins, Seuil, Paris, 1982.
-
24
pour elle Fritna et labsence. Absence de tout clin, absence du corps,
absence de la mre 18
.
18
HALIMI Gisle, Fritna, op, cit., p .16.
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25
Chapitre II
L'autobiographie
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26
II-1- Lautobiographie: Dfinitions et critiques
a dfinition de ce quest lautobiographie est reste
longtemps incertaine, suscitant bien des ambiguts dans le
discours critique sur les uvres. Etymologiquement, le terme
vient des trois mots grecs suivants : autos (soi-mme) ; bios (la vie) et
graphie (crire)19
. Une autobiographie est donc un rcit dans lequel une
personne raconte sa propre vie : cest la biographie de soi-mme par soi-
mme. Partons de ces dfinitions :
La biographie dune personne faite par elle-mme 20
Rcit () que quelquun fait de sa propre existence. 21
Une biographie crite par celui ou celle qui en est le sujet 22
Cependant, partir de nos lectures ainsi que de ces dfinitions,
nous avons remarqu qucrire sur soi est le principe de toutes les
critures du moi .
A ce sujet, le problme nourrit les dbats depuis plus dun
sicle, date laquelle la critique littraire a commenc sintresser ce
genre dcriture. Lautobiographie est sujette des changements
19
(auto-bios-graphie) indique quil entend rendre compte dun certain nombre de mmoires
dans lesquels lintrt historique est dlaiss en faveur de laccent mis sur la personne du
mmorialiste Dorcia LUCACI dans, Quest ce que lautobiographie ? Article paru sur
internet. 20
STAROBINSKI, Le style de lautobiographie, in Lil v ivant, II : La Relation critique, Paris,
Gallimard, 1970, p. 84. 21
LEJEUNE Philippe, LAutobiographie en France, Paris, Librairie Armand Colin, 1979, p. 14. 22
MAY Georges, LAutobiographie, Presses Universitaires de France, 1979, p. 12.
L
-
27
constants, lis au degr de sensibilit du public quelle vise, et au
dveloppement incessant des diffrentes techniques de communication23
,
do la difficult darrter avec prcision les frontires de ce nouveau
genre littraire. Qui dit genre littraire dit ralisation dun prototype
formel adquat pour tel contenu, modle dont nous partons pour analyser
les principes constitutifs et que nous pouvons voir modifier de manire
cohrente travers le temps. Depuis les annes soixante-dix, la rflexion
sur lautobiographie a t enrichie par les travaux de Philippe Lejeune24
,
qui a donn le point de dpart dans la thorie du genre.
Pour dfinir lautobiographie, nous avons choisi de partir
de la dfinition que Lejeune donne, quoique cette dfinition soit
conteste25
, elle a permis son auteur de dmarquer les limites de
lautobiographie, de mettre en principe les diffrents traits qui
particularisent lautobiographie des autres formes de la littrature la
premire personne. En voici la formule : DEFINITION : Rcit
rtrospectif en prose quune personne relle fait de sa propre existence,
23
Problmatique souleve par Elisabeth. W. BRUSS, Lautobiographie considre comme acte
littraire, in Potique, n17, 1974, Introduction de J. P. Richard, p.p.14-26. 24
Il sagit en particu lier de LAutobiographie en France (1971), Le Pacte autobiographique
(1975), suivis de Je est un autre (1980) et Moi aussi (1986). 25
Par E. BRUSS ( Lautobiographie considre comme acte littraire in Potique, op.cit) et
Georges GUSDORF ( De lautobiographie initiat ique lautobiographie genre littraire in
Revue dHistoire Littraire de la France, 1975, n6) qui reprochent Lejeune de ne pas tenir
compte de lvolution historique du genre. Bruss se rfre aux linguistes Austin et Searl, prtend
que les caractristiques dun texte (comme les actes de paroles) ne peuvent tre spares de leur
contexte historique. Ainsi, lensemble de ces caractristiques interprtes dans un contexte
historique et culturel spcifique dterminerait la conception dun genre.
-
28
lorsquelle met laccent sur sa vie individuelle, en particulier sur
lhistoire de sa personnalit 26
.
La dfinition de Lejeune a le prix dattirer lattention sur
plusieurs aspects importants de lacte autobiographique ; ainsi seule une
personne relle - laquelle soppose la personne fictif de la fiction
peut lassumer. Il faut donc un tre humain form en tant que personne
psychologique, morale et sociale pour relater une autobiographie27
.
Dans cette exhibition de soi, lauteur nest pas simplement
oblig la remmoration de faits passs, car par linsertion de penses
actuelles lcriture, il peut mettre en vidence une rsistance entre le
pass et le prsent qui demeurerait autrement imperceptible.
Face une telle condition, Michel Crouzet note que lcriture
autobiographique vise lexpression dun moi 28
: elle a pour fin de
reconqurir, de rinventer, voire de refaire le moi qui fut. Par son
dynamisme mmorielle, lacte autobiographique devient, selon celui-ci,
26
LEJEUNE Philippe, Le pacte autobiographique en France, collection Potique, Edit ions du
Seuil, 1975, p. 14. 27
Cette invocation du rel distingue trs clairement lautobiographie du roman
autobiographique. Lanalyse interne de luvre ne nous donne aucun critre valable pour
dlimiter les deux genres, nous dira donc Lejeune Ph ilippe dans, LAutobiographie en
France : Tous les procds que lautobiographie emploie pour nous convaincre de
lauthenticit de son rcit, le roman peut les imiter, et les a souvent imits . p.24. Ainsi, la
notion de roman autobiographique trouve, donc, sa source dans la corrlation que le lecteur
peroit entre lhistoire narre dans le livre et ce quil connat de la vie de lauteur. La distinction
est aise : lhtronymie du romancier et du hros dans le roman autobiographique soppose
lhomonymie apparente entre les trois instances de lautobiographie (celles de lauteur, du
narrateur et du personnage). 28
CROUZET Michel, Ecriture et autobiographie dans la Vie de Henry Brulard in Stendhal
et les problmes de lautobiographie, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1976, p.
114.
-
29
une chasse aux souvenirs, un lieu o le pass est reconsidr et
redcouvert. En se disant, en se racontant, le sujet autobiographique se
cherche : il crit pour se dcouvrir, pour apprendre ce quil a t 29
.
Le but essentiel de ces retours en arrire qui forment lessentiel de toute
uvre autobiographique, est daller vers lindit afin de dgager le sens
dune vie, Sbastien Hubier affirme qu elle rpond laspiration de
lcrivain se connatre en diachronie 30
.
Certes, afin dviter de nous garer dans les enchevtrements de
la critique, nous nous tiendrons donc pour le moment cette dfinition et
verrons les possibilits de son application luvre que nous nous
proposons dtudier. Arrivons sur lindication en prose : Lejeune a
rapidement donn raison, dans ses crits suivants, ceux qui lui
critiquaient cette exigence et y a renonc.
Cette dfinition met en vidence trois points essentiels :
-Celui qui crit lautobiographie est une personne relle :
ainsi lauteur se trouve identifi au narrateur.
-Cette personne relle raconte sa vie individuelle ,
lhistoire de sa personnalit : lauteur est lui-mme le personnage
dont il parle. Le mot histoire suggre que le lecteur devra dceler dans
29
Ibid., p. 110. 30
HUBIER Sbastien, Littratures intimes. Les expressions du moi, de lautobiographie
lautofiction, op.cit., p. 74.
-
30
lcrit un ordre chronologique approximatif correspondant aux moments
les plus saillants de la vie de lcrivain.
-Ce rcit de vie se fera dans une perspective rtrospective,
c'est--dire quil sagit dune narration ultrieure retraant la fois le
pass lointain et rcent de lauteur. Dans ce cas la mmoire est un
instrument prcieux et incontournable pour remonter et parcourir la
machine du temps.
Par ailleurs, le caractre rtrospectif de lautobiographie parat
aller de soi : le narrateur voque son pass. En dpit de ce fait vident,
une parfaite prospective de son destine se rvle tre chimrique : entre
le temps de lcriture et celui de lhistoire, le rapport ne cesse de se
changer, pendant la rdaction la vie continue31
.
De mme, la vision de lautobiographe est tourn vers le pass
de sa vie et exige ainsi le pass comme temps dominant de son rcit. Il
nhsite pas y participer immdiatement en alternant lhistoire et le
discours, le pass et le prsent32
. Ainsi, certains autobiographes - Sartre33
,
Leiris34
, Perec35
cherchent-ils rorganiser leur pass la lumire de
31
Lautobiographie ne ressemble jamais au curriculum vitae moderne, qui part du pass rcent
vers le pass loign. 32
COSTE Didier, dans Autobiographie et autoanalyse, matrices du texte littraire
(Individualisme et Autobiographie en Occident) , Centre Culturel International de Cerisy-la-
Salle, Ed. de lUniversit de Bruxelles, 1983, p.215) observe quil y a dans lautobiographie
deux mouvements qui coexistent : un mouvement jamais achev vers le silence, vers le
moment o tout sera dit et lcriture puise ; et un autre mouvement snonien par lequel
lcriture se rapproche toujours delle-mme sans jamais pouvoir se rattraper 33
SARTRE Jean-Pau l, Les Mots, Gallimard, 1964. 34
LEIRIS Michel, LAge dhomme , dit ion du Livre de Poche, 1967, Edit ions Gallimard.
-
31
leur moi actuel ; dautres, comme Rousseau36
, veulent le restituer tel
quils lont vcu et le racontent.
Enfin : Est une autobiographie toute uvre qui remplit la fois
les conditions indiques dans chacune des catgories. Les genres voisins
de lautobiographie ne remplissent pas toutes les conditions 37
Plus fondamentalement, la discussion a port ou porte encore
sur trois critres. Ces derniers les plus contests, depuis la dfinition de
Lejeune, sont les suivants :
- Le premier critre retient la forme, sen prend lindication
rcit rtrospectif et a veill la diffrenciation entre autobiographie et
autoportrait38
.
- Le second critre douteux concerne le statut rfrentiel du
texte et a provoqu la sparation entre autobiographie et autofiction ..
La contestation sen prend, dans la dfinition de Lejeune, lide dune
personne relle qui parle de sa propre existence
La disjonction est venue de Serge Doubrovsky
qui a forg le nologisme d autofiction 39
pour dsigner la littrature
35
PEREC Georges, W ou le souvenir denfance, Gallimard, coll. Tel , 1983. 36
ROUSSEAU Jean-Jacques, Les Confessions, Le Seu il, coll. LIntgrale . 37
LEJEUNE Philippe, Le Pacte autobiographique, op.cit., p.14. 38
Cest Michel BEAUJOUR qui a soulev cette question dans un ouvrage qui date de 1980,
Miroirs dencre. Il y observe que certains textes parmi les plus fameux, quoique relevant dune
criture narrative de soi, chappent la perspective chronologique. Il cite les exemples des
Essais de MONTAIGNE et de LAge dhomme de Michel LEIRIS, en montrant que dans ces
textes, plutt quun rcit rtrospectif organis selon un axe spatial : lauteur- narrateur-
personnage y parcourt les lieux de sa personnalit. Celle-ci est dploye comme un espace de
thmes, elle est montre comme portrait prsent et non pas comme le rsultat dune histoire. Ces
textes selon BEAUJOUR, mritent un autre nom quautobiographie : autoportrait.
-
32
quil pratiquait. Son procd est simple : il donne des ouvrages qui,
formellement, paraissent respecter les critres lejeuniens de
lautobiographie : mais il partage ces textes pour des romans,
profondment travaill par la fiction. Alors que pour Lejeune, la fiction
est radicalement htrogne lautobiographie.
- Le troisime critre contestable concerne le contenu du texte
et fixe linterrogation sur le dernier fragment de la dfinition de Lejeune :
celui qui demande lautobiographie de mettre laccent sur sa vie
individuelle. Cet lment amne la diffrenciation entre autobiographie
et mmoires. A la distinction des deux antcdentes, nous navons pas l
affaire une diversification nouvelle : le problme conceptuel nest pas
n ces vingt dernires annes, loin de l. Il prexistait la dfinition de
Lejeune sur lautobiographie : dfinition qui conformment aspirait
garantir un territoire libre pour celle-ci, en les diffrenciant des trois
carts auxquelles se confronte lautobiographie dans lespace des
critures du je - autoportrait, autofiction, mmoires -
En somme, la dfinition de ce genre compliqu, vari quest
lautobiographie, demanderait de chercher lessentiel, et ce dans les
grandes tapes de lvolution du genre dans lhistoire de la littrature. En
revanche daprs laffirmation de J. J. Rousseau : Je forme une 39
Terme invent par Serge DOUBROVSKY, dfin ie dans Autobiographiques. De Corneille
Sartre, Paris, PUF, 1988, p.68 comme : fiction dvnements et de faits strictement rels ; si
lon veut, autofiction .
-
33
entreprise qui neut jamais dexemple 40
, Les critures personnelles et
/ou intimes ncessitent la fois que leurs auteurs aient pleine
connaissance de leur singularit et jugent avoir t un exemplaire assez
complet 41
de lhumanit pour enchanter autrui. Ce genre europen ne
peut ainsi tre que le fruit dune lente volution.
Tout dabord, pour dfinir lautobiographie, les mthodes sont
certes multiples, ainsi Georges Gusdorf42
tente de comprendre ce quest
lcriture du moi, tout en la mettant en parallle avec la philosophie.
Rpugnant ce quil considre comme des distinctions striles43
, il dfinit
la littrature intime comme tout ce qui repose sur un usage priv de
lcriture, regroupant tous les cas o le sujet humain se prend lui-mme
pour objet dun texte quil crit 44
. Dautant que Gusdorf, pour qui
lcriture du moi suppose la prsence du moi, ladhsion, ladhrence
de ltre personnel 45
. Son analyse nest pas sans poser problme puisqu
il prcise les deux concepts d auto - le moi conscient de lui-
40
ROUSSEAU. J. J, Les Confessions, livre I. Pocket, Paris, 2006. 41
BENDA Jean, La Jeunesse dun clerc (1936), Paris, Gallimard, 1968, p.7. Cit dans
Littratures intimes. Les expressions du moi, de lautobiographie lautofiction , Paris, Armand
Colin, 2005, p. 37. 42
DUFIEF Pierre-Jean, les critures de lintime de 1800 1914 , op.cit., p. 51. GUSDORF
George refuse denvisager lautobiographie comme genre ; pour lui, ce type dcriture, nobit
pas des rgles formelles, mais se caractrise par sa dimension spirituelle ; lauteur parle de lui
dans une perspective relig ieuse ; les critures du moi sont des textes o lauteur envisage la
qute de soi comme la condition de son propre salut : les vraies autobiographies
chapperaient la rhtorique pour sinstaller dans lontologie et toute approche formaliste
masquerait leur dimension spirituelle (GUSDORF George, Lignes de vie, t.I : Les Ecritures
du moi, Odile Jacob, 1990) 43
HUBIER Sbastien, Littratures intimes. Les expressions du moi, de lautobiographie
lautofiction, op.cit., p. 44. 44
GUSDORF Georges, Lignes de vie, t.I : Les Ecritures du moi, Paris, Odile Jacob, 1990,
p.122. 45
Ibid.,
-
34
mme 46
- et de bio - lexistence dans son droulement et en
tudiant leurs rapports, il met jour les fondements philosophiques de
lintimisme et observe comment seffectue, par lcriture, une mise au
net du dedans . Il suggre, avec Jean Starobinski, que lcart entre le
sujet dnonciation47
et le sujet dnonc48
, propre tout crit
autobiographiques, institue un jeu de perspective et de dsassociassion
que seule une narration rtrospective peut mettre en uvre. Afin de
reconstituer son identit, lcriture autobiographique requiert que lauteur
prenne ses distances par rapport son moi de jadis, quil se tienne
lcart de cette image de soi qui nest quun reflet, quun double de son
tre49
Quelles soient ornes ou sobres, sublimes ou emphatique,
sches ou fleuries, les autobiographies (et plus gnralement toutes les
critures du moi) sont autant de formes thiques et esthtiques qui
rvlent leur auteur affirme Sbastien Hubier50
. Comme si, selon
lintuition de Roland Barthes dans Degr zro de lcriture, il y avait une
46
Ibid., p.10. 47
Lnonciation nest rien dautre que lacte de production dun nonc, oral ou crit. Dans le
cadre des critures la p remire personne, la p lus grande vigilance simpose : le je de
lnonciation (dsignant le narrateur au moment o il raconte son histoire) ne doit pas tre
confondu avec le je de lnonc (renvoyant au personnage quil tait alors quil participait
cette histoire). 48
Tout nonc, avant dtre ce fragment de langue naturelle que le linguiste sefforce
danalyser, est le produit dun vnement unique, son nonciation, qui suppose un nonciateur,
un destinataire, un moment et un lieu particulier. Cet ensemble dlments dfinit la situation
dnonciation (D. Maingueneau, Elments de linguistique pour le texte littraire, Paris, 1993,
p.1). 49
Ibid., p.9 50
HUBIER Sbastien, Littratures intimes. Les expressions du moi, de lautobiographie
lautofiction, op.cit., p. 45.
-
35
adquation entre la vie et linvention littraire ; comme si lexistence
ntait quune consquence de lcriture, comme si, enfin, crire sur soi
[tait] fatalement une invention de soi 51
51
LEJEUNE Philippe, Nouveau Roman et retour lautobiographie , LAuteur et le
Manuscrit, sous la dir. De M. Contat, Paris, 1991, p.58.
-
36
II-2- Le pacte autobiographique
Faire un livre qui soit un acte, tel est, en
gros, le but qui mapparut comme celui que je devais poursuivre, quand jcrivis
LAge dhomme . Acte par rapport moi-mme puisque jentendais bien, le rdigeant, lucider, grce cette
formulation mme, certaines choses encore obscures sur lesquelles la psychanalyse,
sans les rendre tout fait claires, avait veill mon attention quand je lavais exprimente comme patient. Acte par
rapport autrui puisquil tait vident quen dpit de mes prcautions oratoires la faon
dont je serais regard par les autres ne serait plus ce quelle ntait avant la publication de cette confession. Acte, enfin,
sur le plan littraire, consistant montrer le dessous des cartes, faire voir dans toute
leur nudit peu excitante les ralits qui formaient la trame plus au moins dguise, sous des dehors voulus brillants, de mes
autres crits .
Michel LEIRIS,
(LAge dhomme, dition du Livre de Poche, 1967,
Ed itions Gallimard, p.13)
-
37
II-2-1- Introduction
aconter sa vie apparat aujourdhui comme lavertisseur
dune assertion du sujet qui implique en priorit lauteur
qui devient la matire de son ouvrage : crire sur soi
implique la transgression dun certain nombre de tabous, surtout lorsque
lautobiographie envisage le rcit de sa vie comme une confession
complte, avec les aveux difficiles ; les phnomnes de mode ne suffisent
pas expliquer lacte de lcriture sur soi, qui rpond dabord de
profondes exigences existentielles 52
Lautobiographie contemporaine
dont Les Confessions de J/J/Rousseau, exprimeraient lessence, se
fconde comme un moment daveu dgag de celui qui crit. Elle
correspond la fois au dsir de comprendre le sens de lexistence, et de
tracer des lignes directrices 53
.
Selon Philippe Lejeune, lautobiographie est un genre
fiduciaire , qui repose sur la confiance tablie entre le lecteur et
lauteur54
, mais qui suppose aussi une dclaration explicite dintention de
lauteur. Il appelle pacte autobiographique cet engagement pris par le
52
DUFIEF Pierre, les critures de lintime de 1800 1914 , op.cit., p.56. 53
Ibid., 54
Il est vident que le souci avou de sincrit comporte des limites : le souvenir est toujours
slectif et subjectif ; il y a souvent interprtation et mlange entre souvenir et imaginaire.
Consciemment ou non, lauteur omet certains dtails, enjolive, dautres, les invente mme
parfois.
R
-
38
narrateur de dire sa vrit sur sa propre vie. Ainsi dans une
autobiographie, Je nest pas un autre, mais cest bien moi lauteur qui
dis Je. Lauteur sengage tre sincre ; il ne promet pas de dire la
vrit mais dexprimer sa propre vrit 55
Il affirme galement cette authenticit, et donne les raisons et
en trace les limites. Dans cette vision, tout devient important : le moindre
souvenir, langle le plus cach disposent le secret dune vie qui recherche
se saisir elle-mme.
Certes, lcrivain rend compte de sa vie, mais il la reconstruit
en mme temps. Nous pouvons donc toujours nous interroger sur la
sincrit de lauteur puisque (elle) suppose une vision personnelle des
choses, qui ne concide pas ncessairement avec la vrit objective des
choses 56
. De mme lautobiographie nest pas seulement un recueil
neutre, objectif, des vnements de sa vie. Cest pourquoi, tablir un
contrat serait vident pour lire une uvre, et la juger autobiographique.
Comment le reconnatre ? De trs nombreuses
autobiographies sont accompagnes dun paratexte : une prface, une
dclaration de lauteur, des interviews ldition, etc., qui formulent le
pacte autobiographique ; dans dautres cas de figure, ce sont les
premiers chapitres qui contiennent le pacte autobiographique. Ce pacte
55
DUFIEF Pierre, les critures de lintime de 1800 1914 , op.cit., p.52 56
Ibid., p.51.
-
39
constitue une sorte de rite douverture qui donne le ton de
lautobiographie 57
.
57
Ibid.,
-
40
II-2-2- Lcriture autobiographique
Lautobiographie est le rcit vridique par soi-mme de sa
propre existence. Ce qui prouve que lautobiographe dit vrai, cest ce
quil le dit : je crois, assure Philippe Lejeune, quon peut sengager
dire la vrit 58
. En effet, lauthenticit nest pas un simple quivalent de
la franchise. Elle est une forme particulire de cette dernire, selon
laquelle nous pouvons donner une image vraie de soi par lerreur.
Lcriture suppose linscription de la personnalit du
narrateur : on y lit des pulsions, des conflits, des positions et en
dfinitive lacte dnonciation 59
.
Or, lcriture personnelle remmore toute une vie, cest--dire,
comme le rappelait Barthes, la fois (les) tudes, (les) maladies et (les)
nominations mais aussi les rencontres, les amitis, les amours, les
voyages, les lectures, les plaisirs, les peurs, les croyances, les
jouissances, les bonheurs, les indignations, les dtresses 60
. Autrement
dit, son intimit.
Lcriture est donc dabord un lieu o le Je a une place trs
importante : nest-il pas llment moteur de lacte dnonciation ? Et si
58
Mais Valry rtorque : en littrature, le vrai nest pas concevable , ou encore ; Philippe
SOLLERS dans Tel Quel : celui qui ne donne de la ralit que ce qui peut tre vcu ne
produit rien . 59
Ibid., pp. 52-53. 60
BARTHES Roland, Roland Barthes par Roland Barthes, Paris, Seuil, 1975, p.185.
-
41
ce responsable de lnonciation devenait lui-mme objet de
lnonciation ? Le jeu serait videmment plus attachant et plus
intressant. Est-ce la logique pour laquelle les rcits de vie ont plus de
russite dans le domaine de lcrit ? En effet : Lautobiographie
propose un thtre dans le thtre, thtre dombres o lauteur joue la
fois les rles de lauteur, du metteur en scne et des acteurs 61
. Henri
Boyer a donc raison de laffirmer : le principe dcriture rejoint, en
plus de la littrature , le rcit de vie. Ecrire sa vie ncessite une
authentique mise en scne o un seul acteur sexpose et joue son destin.
Lejeune affirme si lautobiographie est un livre, son auteur
est donc inconnu, mme sil se raconte lui-mme dans le livre : il lui
manque, aux yeux du lecteur, ce signe de ralit quest la production
antrieure dautres textes (non autobiographiques), indispensable ce
que nous appellerons : lespace autobiographique 62
. Ainsi :
Lauteur, cest donc un nom de personne, identique, assumant une sui te
de textes publis diffrents63
.
61
Georges GUSDORF, Les Ecritures du moi : lignes de vie I, op.cit., p.311. 62
LEJEUNE Philippe, Le pacte autobiographique, op.cit., p.23. 63
Ibid.,
-
42
A ce sujet, Jean Rousset remarque avec raison64
que lespace
autobiographique sest tellement largi que toute criture rfrentielle
conclut dsormais avec son lecteur une faon de pacte autobiographique.
A lore de toute autobiographie selon la tradition, il y aura
lassurance dun je mexprime qui tire sa force persuasive de lidentit
variable de ce qui fait au dpart ce sujet, et ce quil en advient, ce moi
issue par lcriture. Se mettre en situation dautobiographe serait admettre
davance le principe dune simultanit entre celui qui tient la plume et
celui qui vivant, ne la tenait pas, ce qui ne doit pas faire ngliger tout de
mme lopposition : vivre/crire, moins que nous ne transfrions tout
entier le vivre dans le moment de lcriture.
Dans sa source, dans sa candeur, lautobiographie commune
contesterait donc toute diffrence entre les trois termes, peut-tre
inconciliables, quelle runit pourtant : auto, cest moi de toute manire ;
bio, cest ma vie quoi quil advienne ; graphie, cest toujours moi, cest
ma main.
Ainsi, pour dterminer cette forme dautobiographie, les
premires lignes ncessitent convoquer au lecteur troubl la place du
rfrent qui lannonce (ma vie) pour mieux le prendre dans la rhtorique
de cette annonce mme. Tmoin et voyeur, le lecteur subit leffet
64
ROUSSET Jean, Narcisse romancier. Essai sur la premire personne dans le roman , Paris,
Corti, 1972. Cit dans, Littratures intimes. Les expressions du moi, de lautobiographie
lautofiction, HUBIER Sbastien, Paris, Armand Colin, 2005, op.cit., p. 41.
-
43
dintimidation dun je dis la vrit qui dissimule (mal) un je dis que
je dis la vrit . Nous voici donc, lecteurs, confronts la prsence dun
sujet se livrant tout entier dans ce Je qui se donne comme garantie de
la vrit quil dit, vrit qui na elle-mme dautres cautions que sa
transcription. Pour Sbastien Hubier :
Les critures la premire personne proposent toujours,
peu ou prou, un contrat de vridiction grce auquel le lecteur peut croire
vrai ce que lnonciation sefforce de lui prsenter comme tel. Cette
vrit renvoie la double dialectique du secret et du mensonge, de ltre
et du paratre et explique que les critures la premire personne
hsitent entre deux conceptions du langage : soit ce dernier adhre
ingnument aux choses de la vie et la littrature est le reflet exact des
expriences du narrateur, soit il constitue une manire de paravent qui,
toujours mensonger, aurait pour fin dernire de dissimuler la ralit.
Dans les deux cas, les noncs la premire personne, persuasifs,
correspondent la fois la volont du locuteur dexprimer ses
convictions et au dsir dinfluencer le lecteur 65
.
65
HUBIER Sbastien, Littratures intimes : Les expressions du moi, de lautobiographie
lautofiction, op.cit., p.18.
-
44
Nous pouvons simplifier ceci de la manire suivante :
LOCUTEUR VERITE
Rapport
Je du locuteur Je crit et raconte
Lautobiographie ne se fonde pas ici sur un pacte qui lui serait
antrieur : elle entend tre, comme nonciation, ce pacte lui-mme.
Contraint sen remettre pour tout lcriture, le moi est en mme
temps vou langoissante question de savoir quelle place accorder
cette criture mdiate sans laquelle il ne pourrait pourtant se donner lire
comme directe immediat
Enfin, elle est la pratique dune criture qui fonde sa vrit
sur lexhibition dun sujet66
. Quelles soient continues ou morceles,
prcisment ordonnances ou dlibrment disloques ou inconsquentes,
les critures la premire personne chercheraient donc toujours rvler
leur auteur, voire au lecteur, ses vrits essentielles. Ses vrits tant
personnelles quintimes.
Par ailleurs, rien ne discrimine au premier abord
autobiographie et roman la premire personne. Le Je na de
66
Il semble que la valorisation de lauthenticit et de lintime se sont constitue lge
classique europen (vers 1600) sur la sparation du domaine public du domaine priv.
-
45
rfrence actuelle qu lintrieur du discours : il renvoie lnonciateur,
que celui-ci soit fictif ou rel (attest par ltat civil). Le Je nest
dailleurs nullement la marque distincte de lautobiographie67
.
Il conviendrait donc, partir de la dfinition de Lejeune cite
auparavant, de sen tenir la garantie formelle de lidentit de lauteur, du
narrateur, et du personnage, attest par la signature, le nom ou le
pseudonyme.
Cest en fait en partant du principe de lidentit auteur-
narrateur-personnage nonc par Lejeune quune rponse ces questions
peut tre apporte. Pour ce dernier lidentit entre auteur et narrateur doit
tre une identit de nom. La correspondance entre lidentit de lauteur,
du narrateur et du personnage concourt laborer ce que Lejeune appelle
le pacte autobiographique . Il est un deuxime pacte auquel il fait
rfrence, le pacte rfrentiel que Jean Philippe Miraux rsume de
la sorte :
Le pacte rfrentiel est donc ce contrat que conclut le lecteur,
admettant que le fondement mme de leur relation sera lauthenticit en
tant quelle est vrit du texte, de limage du narrateur en train de se
67
Le tu aussi bien que le il sont des figures dnonciation que lautobiographie utilise
pour insister, par des effets de distanciation, sur la fiction du sujet, ou pour mettre en situation le
discours de lautre dans celui du sujet.
-
46
peindre et de limage quil veut donner de ce quil tait telle ou telle
poque de sa vie 68
.
A dfaut, pour se dire autobiographique, luvre doit tre
gre par un pacte autobiographique 69
et un pacte rfrentiel 70
qui
permettent au lecteur de la distinguer comme une autobiographie. Le
pacte autobiographique installe un contrat entre le lecteur et lauteur
qui convie lnonciateur parcourir son livre comme une autobiographie
relle71
. Quant au roman autobiographique , il se caractrise surtout
par le pacte romanesque 72
qui exige quil ny ait aucune identit entre
lauteur et le personnage, et que luvre soit sous-titre roman .
Il est important de dfinir et de clarifier la notion de pacte
autobiographique . Le mot pacte renvoie un contrat tabli entre
lauteur de lautobiographie et son lecteur. Cette notion a t exploite,
pour la premire fois par Philippe Lejeune :
Dans lautobiographie, on suppose quil y a identit entre
lauteur dune part, et le narrateur et le protagoniste dautre part. Cest-
-dire que le je renvoie lauteur. Rien dans le texte ne peut le
prouver. Lautobiographie est un genre fond sur la confiance, un
68
MIRAUX Jean Philippe, LAutobiographie, criture de soi et sincrit, Paris, Nathan, 1996,
collection 128, p.20. 69
LEUJENE Philippe, Le pacte autobiographique, op.cit., p.24. 70
Ibid., p.36. 71
Lauteur, badinant avec lcriture de soi, peut tendre le pacte autobiographique en
proposant au lecteur un pacte fantasmatique , ce dernier qui invite le lecteur lire luvre
comme une fiction pour, paradoxalement, en assurer le sceau de la ralit et surtout de la
vracit. 72
LEJEUNE Philippe, LAutobiographie en France, op. cit., p.27.
-
47
genre Fiduciaire , si lon peut dire. Do dailleurs, de la part des
autobiographes, le souci de bien tablir un dbut de leur texte une sorte
de pacte autobiographique , avec excuses, explications, pralables,
dclaration dintention, tout un rituel destin tablir une
communication directe 73
.
Le mot fiduciaire ici sapplique avant tout lauteur lui-
mme qui doit tre le premier croire sa tentative 74
. Elisabeth Bruss
va jusqu poser ce point comme lun des principes fondamentaux de
lcriture autobiographique : que lobjet de la communication puisse ou
non tre prouv faux, quil soit ou non ouvert une reformulation de
quelque autre point de vu, on attend de lautobiographe quil croit en ses
affirmations 75
. Le pacte autobiographique se prsente donc comme la
clef qui nous permet douvrir la caverne magique et de comprendre le
trsor qui lhabite, le secret qui la rend clair : nest-ce pas de louverture,
de lincipit, que dpend tout le discours dune uvre ?
Lidentit entre auteur, narrateur et personnage garantie par le
pacte autobiographique doit tre une identit de nom 76
, elle peut tre
implicite ou concrte : nous appellerons concrte le cas o le narrateur-
personnage porte le mme nom que lauteur (nom port sur la couverture
du livre) ; et nous nommons implicite dans le cas o le titre voque 73
Ibid., p.24. 74
Ibid., p.28. 75
BRUSS Elisabeth, LAutobiographie considre comme acte littraire, op.cit., p. 14-25. 76
LEJEUNE Philippe, Le Pacte autobiographique, op.cit., p.27.
-
48
clairement le genre autobiographique (Histoire de ma vie,
Autobiographie) ou bien si le texte contient une section initiale ()
o le narrateur prend des engagements vis--vis du lecteur en se
comportant comme sil tait lauteur, de telle manire que le lecteur na
aucun doute sur le fait que le je renvoie au nom port sur la
couverture, alors mme que le nom nest pas rpt dans le texte 77
.
Tous ces pactes donns ainsi la hte antrieurement, devront
tre dfinis, par ailleurs, nous tenterons de chercher les traces des uns et
des autres dans notre corpus Fritna ?
77
Ibid.,
-
49
Chapitre III
Analyse du corpus
-
50
III-1- Les pactes dans l'uvre
est le rcit de vie du personnage principal qui nest autre
que Gisle ; auteure de ce rcit, narratrice premire, et
acteur/personnage principal. Fritna, est en fait btie sur un
projet autobiographique. Cense tracer la vie de lauteure, cette dernire,
reproduit des pisodes de son existence, des souvenirs comme
vnements qui lont marqus jamais. Ainsi, la mort de son petit frre
la culpabilise (elle se) souvient seulement des pleurs dAndr. (Elle) les
avait entendus, (elle) les entend 78
jusquau moment de son criture
puisque ce jour l il juch sur le fauteuil, le (sien)... 79
. En jouant tout
en ignorant le danger il sest approch du rchaud [] le liquide lavait
submerg [] ainsi le caf sest rpandu sur sa tte et son corps.
Andr brl 80
. Personne ne put le sauver et Andr avait disparu 81
. Il
tait interdit dvoquer sa disparition la maison, une censure. En
revanche avec le dcs de la mre, elle peut le faire car avant (sa) mre
tait encore en vie. Aujourdhui, (elle) peut tout dire 82
. Gisle
78
HALIMI Gisle, Fritna, op.cit., p.41. 79
Ibid., 80
Ibid., 81
Ibid., p.42. 82
Ibid., p.37.
C
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51
responsable de la mort de son petit frre de deux ans 83
envers qui elle
prouvait de grands sentiments puisque le souvenir pour elle est faire
vivre en soi, jusquau bout de soi, celui ou celle que la mort vous a pris.
Elle naura pas tout pris ainsi, et le souvenir peut tre pour certain plus
fort que la vie mme 84
. Elle ne gurira gure de sa blessure, car sa mre
lui avait inflig laccident sur son dos, elle tait coupable de la mort
atroce de (son) petit frre, tel tait le verdict prononc par (sa) mre
(son) endroit 85
. Mais o tait sa mre ? Qui est le vrai coupable de ce
drame? Qui devait surveiller son petit ? Ses parents ont-ils gard un
souvenir de leur enfant ? La rponse est non, il fut enterr jamais, il fut
effac, ils ne voulaient plus laisser une trace de lui puisque tout fut rafl
sa mort par (eux) , il ntait quune erreur monstrueuse de la nature,
qui devait dtre efface. 86
. Ont-ils russi effacer sa mmoire ? Non,
elle interroge sa mre qui est lhpital, attend une nouvelle version pour
se librer de sa culpabilit, mais Fritna fuit toujours aux demandes de sa
fille, sous des prtextes insignifiants.
Femme tellement cultive, tentant souvent comprendre et
surtout apprendre pour affronter la vie ; de ses lectures antrieures, de
ses souffrances et des squelles du manque du sentiment damour
maternel, daffection et surtout de la prsence dune maman ; elle 83
Ibid., p.38. 84
Ibid., p.43. 85
Ibid., p.44. 86
Ibid., p.43
-
52
sest forge une forte personnalit qui sest impose dans la socit pour
lintresser, se faire entendre, et tre aime.
Tout son projet sest construit autour de ce plaidoyer voire du
manque, et de sa rclamation de cet amour. Elle raconte publiquement et
sans pudeur, les rapports quelles entretenaient avec sa mre. Elle
voudrait lexpliquer aux autres comme elle-mme son dsamour
(l)avait dstabilise, (elle) dirait dracine. Dcroche brutalement dun
repre que (son) affectivit et (son) intelligence continuaient dexiger 87
,
elle voudrait que tout le monde sache ce quelle tait la mre de cette
femme intelligente, si rpute et bien rmunre.
En vrit, elle lavoue avec fiert et tristesse afin de juger
Fritna de son rejet de ses deux filles. Elle la culpabilise : de son
indiffrence envers la qute infinie de sa fille ; de son insouciance envers
la souffrance de sa fille qui rclamait un petit geste damour de sa part ; et
finalement de son caractre irresponsable envers ses filles parce quelle a
manqu son devoir : elle navait gure accompli son rle et son devoir de
mre . Coupable fut-elle, mais na jamais t poursuite ? Cest injuste
car elle devait tre juge pour son acte .
Cependant, en lisant ce rcit, Gisle Halimi, signe avec son
lecteur un contrat, qui se dfinit clairement, dune part au dbut, au
moment o elle cite les diffrents personnages de son uvre, qui ne sont
87
Ibid., p.59.
-
53
autres que les membres de sa famille si lon se base sur sa biographie :
Edouard (son pre) ; Marcel dit Marcelo et Henri dit Nano (ses frres) ;
Gaby dite jouira (sa sur) ; Jean Yves Edouard, Serge dit Kamoun et
Emmanuel Faux dit Manuf/Manu (ses enfants) ; et enfin Claude
Faux (son poux) ; elle se prsente aussi en dsignant son surnom : Zeza
(son premier prnom)88
.
Dautre part, les lments paratextuels, expliquent encore
clairement lappartenance au genre autobiographique. Nous avons vu que
la quatrime de couverture y participait grandement. La photo de
reprsentation du livre dans la premire de couverture, redevable Fritna,
reprsente la mre de Gisle (photo choisie par lauteure) dont elle
sinspirait (elle) repris la photo, la somptueuse, celle qui ne (l)a jamais
quitte, avant dcrire (ses) notes quotidiennes 89
. La relation entre le
titre Fritna et la photo est vidente, dautant plus que pour la quatrime
de couverture, elle a choisi un extrait de son rcit, dans lequel elle
lvoque, tout en faisant une description de ce portrait dont (elle)
guettait le sourire rare- et toujours adress aux autres, la lumire noire
de ses yeux de Juive espagnole, elle dont (elle) admirait le maintien
altier, la beaut immortalise dans une photo accroche au mur o, dans
des habits de bdouine, ses cheveux sombres glissant jusquaux reins,
88
Ibid., p.10. 89
Ibid., p.72.
-
54
dimmenses anneaux aux oreilles, une jarre (on disait une goulette) de
terre attache au dos, tenue par une cordelette sur la tte ()90
.
En outre, cette image, est lexpression de la mmoire de cette
femme ; comme le dclare pierre Dufief : lautobiographie est toute
entire place sous le signe de la mmoire ; elle existe que grce la
mmoire, et devient son tour une forme de mmoire durable puisque
crite 91
Elle, est, galement reprsentative de toute la dmarche de
Gisle. Ainsi le portrait de sa mre est li directement aux multiples
rvlations : la naissance, les souvenirs denfance, ses engagements, ses
amours, sa russite, ses blessures, et surtout son rapport avec sa mre .
A cet effet, le portrait de sa mre est li directement de
multiples rvlations ; la naissance -ses parents lui ont racont ds son
jeune ge comme on raconte une histoire denfant quils ne voulaient pas
delle, mais que pendant trois semaines aprs sa naissance, ils ont affirm
quelle ntait pas venue au monde-, les souvenirs denfance, ses
engagements, ses amours, sa russite, ses blessures, et surtout son rapport
avec sa mre .
90
Ibid., p.15-16. 91
DUFIEF Pierre, Les critures de lintime de 1800 1914, op.cit., p.57.
-
55
La figure de la mre, si elle marque immanquablement toute
biographie ou autobiographie, apparat de manire plus ou moins
prgnante.
Les souvenirs voqus dans le corpus choisi associent
constamment le vcu de lauteure celui de sa mre, manifestant ainsi la
relation qui les a toujours unis. A cet effet, ds le premier chapitre, le
lecteur comprendra cette relation, et ce dsir dcriture d un manque
maternel, et explicite son refus des traditions, et surtout de servir les
hommes de la maison en dclarant une grve de faim pour marquer sa
rvolte alors qu (elle) avait dix ans, pour ne pas faire de vaisselle,
servir ses frres, et surtout pour obliger (ses) parents (la) laisser
continuer daller au lyce 92
.
Finalement, avec la disparition de la mre, au moment de
lenterrement, moment de deuil, que lauteure trouve pour la premire
fois trace de (son) projet- jcrirai un livre sur Fritna 93
dont les
enjeux sont entre confession et plainte 94
, pour cela il faut qu (elle)
sordonne au plus profond d (elle) 95
car dans tous les cas, le besoin
de ce livre (la) tourmentait 96
. Son aveu aide le lecteur qui cherche aprs
le degr de sincrit de lauteur mais la sincrit suppose une vision
92
HALIMI Gisle, Fritna, op.cit., p.17-18. 93
Ibid., p.211. 94
Ibid., 95
Ibid., 96
Ibid., p.219.
-
56
personnelle des choses, qui ne concide pas ncessairement avec la vrit
objectif des faits 97
.
Par consquent, vers la fin du rcit, elle dclare et confirme en
pilogue intitul : On ne doit aux morts que la vrit 98
qu A Fritna
morte, (elle) ne doit que la vrit 99
Lejeune affirme dans Le Pacte autobiographique que :
Cest () par rapport au nom propre que lon doit situer les problmes
de lautobiographie. Dans les textes imprims, toute lnonciation est
prise en charge par une personne qui a coutume de placer son nom sur la
couverture du livre, et sur la page de garde, au dessous du titre du
volume. Cest dans ce nom que se rsume toute lexistence de ce quon
appelle lauteur : seule marque dans le texte dun indubitable hors-texte,
renvoyant une personne relle, qui demande ainsi quon lui attribue, en
dernier ressort, la responsabilit de lnonciation de tout le texte
crit 100
.
Pour Roland Barthes : Un nom propre doit toujours tre
interrog soigneusement, car le nom propre est, si lon peut dire, le
principe des signifiants ; des connotations sont riches, sociales et
97
DUFIEF Pierre, Les critures de lintime de 1800 1914 , op.cit., p.51. 98
HALIMI Gisle, Fritna, op.cit., p.217. 99
Ibid., p.219. 100
LEJEUNE Philippe, Le Pacte autobiographique, op.cit., p.22-23.
-
57
symboliques 101
. Le nom propre de lauteur revt donc une importance
capitale dans ltude dune uvre autobiographique.
De ce fait, Gisle dans son uvre se contente demployer son
prnom Gisle/Zeza comme son nom de famille Halimi
plusieurs reprises, comme ses pseudonymes Aziza, Zizel, Sada, Gisou
quelle aimait bien.
Considrant toutes ces dfinitions, nous relevons les
diffrentes traces de pactes selon les multiples perspectives qui se
prsentent puisque lcriture autobiographique, est une criture rgie par
un pacte rfrentiel , et dont lauthenticit et la vracit sont une
condition incontournable. Il serait donc ncessaire dexplorer le rapport
dans notre uvre.
Lautobiographie saffirme un genre du prsent flexible,
insaisissable. Elle ne copie pas, elle recre tout limage dune fidlit
secrte. Notons que les critures la premires personnes, dans leur
ensemble, sont fonction de la conception que leur poque se fait de
notions aussi diffrentes et pourtant aussi proches que lindividu, la
personnalit, le caractre, les rapports de lintimit la vie publique, la
conscience, lintrospection ou encore lexprience.
101
Analyse textuelle dun conte dE. Poe , paru dans louvrage Collectif Smiotique narratif
et textuel, Paris, Larousse, 1974, p. 34.
-
58
Lcriture chez la femme est certainement se mettre nue ,
elle dvoile tout, sans tabous. Ainsi, dans, Fritna, le but de lcriture
autobiographique est laffirmation de lexistence de moi 102
pour
reprendre lexpression de Georges Gusdorf ; lexistence mme dune
autobiographie. Cest une criture qui na de raison que par cette
affirmation dune identit entre auteur, narrateur et personnage 103
.
Gisle Halimi tablit-elle dans son uvre un quelconque pacte
autobiographique ? Nous pouvons considrer que lautobiographie est
rfrentielle dans la mesure o elle affirme lidentit entre lauteur, le
narrateur et le personnage. Ainsi, le personnage principal Gisle porte un
nom semblable celui de lauteure. La narratrice dans cette
autobiographie est connue, cette identification nous permet en tant que
lecteur de voir clairement les rapports dans cette uvre, de sapprocher de
plus prs et surtout de faire confiance lauteure de ce rcit, do lutilit
du pacte autobiographique introduit qui limine ainsi toute ambigut.
Gisle narratrice raconte des scnes de son enfance et des
souvenirs quelle garde de ce paradis perdu plein de manque. Dans cette
perspective, scrire enfant serait donc, aussi, se raconter crivain, ou
crivant . Dans cette enfance singulire dans laquelle elle serait
mme galement de retrouver des fragments de sa propre mmoire,
102
GUSDORF Georges, Les critures du moi : lignes de vie, op.cit., p.26. 103
DIDIER Batrice, Lcriture femme , op.cit., pp.58-59.
-
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lauteure retrouve aussi les germes de ce quelle est devenue. Les
reprsentations autobiographiques de lenfance sont donc doubles en tant
quelles vhiculent la fois un portrait de lenfance telle quelle fut avec
ses tapes, ses impressions et ses sensations et telle quelle donne dj
voir les signes dune facult cratrice104
.
Lcriture autobiographique est contractuelle dans la mesure o
elle atteste, dans le rcit cette identit par un pacte avec le lecteur, ainsi
orient dans son mode de lecture, afin dviter le doute de la crdibilit du
discours dautorit, do quil vienne. De ce fait, le je dans Fritna est
rel, cest--dire attest par ltat civil, puisque il renvoie au nom de
lauteur et de la narratrice Gisle , cette identit garantit le pacte.
Le pacte autobiographique continu ainsi se manifester tout au
long du rcit ; ce dernier consacr la vie de la narratrice, un pacte
ncessaire car ce manque de lamour dune mre, a dfinitivement, altr
lidentit de la narratrice. Lcrivaine est submerge par son criture, son
acte consiste tenter de saisir linsaisissable ; elle sait que lcriture seule
peut la mener sur cette voie. Ecrire cest aller au devant de limpossible
en le rvlant,