l'Échiquier

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 L’Échiquier Nicolas Meeùs *  Les théories concernant le mystérieux échiquier de la fin du moyen âge ont été critiquées en 1979 par Christopher Page dans un numéro de la revue Early Music 1 . Il les considère « fondamentale- ment erronées » en ce q u’elles cherchent à trouver une solution unique au problème de l’échiquier et il argumente que, considérant l’imprécision terminologique fréquente dans les écrits médié-  vaux, on ne peut s’attendre à ce que les noms eschequier , exaquier , chekker , etc., tels qu’ils ont été utilisés entre le milieu du  XIV e  siècle et le milieu du  XVI e , aient dénoté de manière constante un seul type d’instrument 2 . Il met en doute plus particulièrement que les noms donnés à des instru- ments à clavier à cordes au  XV e  siècle aient pu renvoyer à des mécaniques spécifiques. En illustra- tion de ce fait, il note qu’Arnault de Zwolle associe apparemment les noms clavisimbalum et clavicordium avec des formes d’instruments plutôt qu’avec des mécaniques particulières. Comme je le discuterai ci-dessous, la terminologie d’Arnault est probablement plus précise et plus cohérente que Page le pense; elle se réfère à des mécaniques aussi bien qu’à des formes. Quant à savoir si l’usage d’échiquier  a été cohérent et s’il se référait à une mécanique spécifique, il est malheureusement impossible de le vérifier aujourd’hui parce qu’aucun des textes connus concernant l’instrument ne parle de sa mécanique. La très grande majorité des références se contentent d’inclure l’échiquier dans une liste d’instruments de musique ou dans un autre con- texte qui indique qu’il s’agit d’instruments de musique, mais ne donnent aucune indication du type d’instrument dont il est question. Quatre ou cinq références seulement sont un peu plus spécifiques : elles indiquent q ue l’échiquier possédait un clavier et des cordes, mais elles ne donnent pratiquement aucune infor- mation concernant sa forme ou sa mécanique. Il semble, par conséquent, que l’évidence immé- diate ne permet pas fut-ce une identification hypothétique de l’échiquier, et qu’il sera nécessaire * Version française de N. MEEÙS, « The Chekker », The Organ Yearbook  XVI (1985), p. 5-25 1  C. P  AGE, « The myth of the chekker », Early Music  7/4 (Octobre 1979), p. 482-489 ; voir en particulier p. 486 sq. 2  34 références à l’échiquier sont connues, datant d’entre 1360 et 1552. E. M. Ripin en a publié 31 en appendice à son article « Towards an identification of the chekker », The Galpin Society Journal  XXVIII (1975), p. 15-23. Une autre référence a été publiée dans Early Music  8/3 (voir note 8 ci-dessous). Deux autres encore ont apparemment échappé jusqu’ici à la perspicacité des chercheurs qui ont écrit sur ce sujet. Toutes deux se trouvent dans des lettres du jeune prince Jean d’Aragon, qui devait plus tard devenir le roi Jean I er , écrivant de Perpignan à Pedro Fernandez et demandant qu’on lui envoie un orgue et un échiquier. Dans la première lettre, datée du 31 octobre 1379, il écrit : ... vos rogamos que nos fagades ayna acabar los organos et que nos emb iedes el frayret xico con los ditos organos e con el xiquier, e esto si toda tarda . La seconde lettre, du 6 février 1380, contient ce passage : ... vos respondemos que nos plazra que luego quando los organos e el eschaquer seran acabados nos los embiedes e frayre Anton con aquellos ensemble e non antes .  Archives de la Couronne d’Aragon, reg. 1658, fol. 66v et fol. 145v. Ces deux lettres sont reproduites dans une dissertation doctorale, De organo vetere hispanico. Zur Frühgeschichte der Orgel in Spanien , soutenue sous ma direction par J. M. Garcia Llovera à l’Université de Louvain-la-Neuve en 1985 et publiée sous le même titre en 1987 (Eos  Verlag Erzabtei St. Ottilie n).

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Traduction française révisée d'un article paru à l'origine dans The Organ Yearbook XVI (1985) sous le titre "The Chekker".

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  • Lchiquier

    Nicolas Mees*

    Les thories concernant le mystrieux chiquier de la fin du moyen ge ont t critiques en 1979 par Christopher Page dans un numro de la revue Early Music1. Il les considre fondamentale-ment errones en ce quelles cherchent trouver une solution unique au problme de lchiquier et il argumente que, considrant limprcision terminologique frquente dans les crits mdi-vaux, on ne peut sattendre ce que les noms eschequier, exaquier, chekker, etc., tels quils ont t utiliss entre le milieu du XIVe sicle et le milieu du XVIe, aient dnot de manire constante un seul type dinstrument2. Il met en doute plus particulirement que les noms donns des instru-ments clavier cordes au XVe sicle aient pu renvoyer des mcaniques spcifiques. En illustra-tion de ce fait, il note quArnault de Zwolle associe apparemment les noms clavisimbalum et clavicordium avec des formes dinstruments plutt quavec des mcaniques particulires.

    Comme je le discuterai ci-dessous, la terminologie dArnault est probablement plus prcise et plus cohrente que Page le pense; elle se rfre des mcaniques aussi bien qu des formes. Quant savoir si lusage dchiquier a t cohrent et sil se rfrait une mcanique spcifique, il est malheureusement impossible de le vrifier aujourdhui parce quaucun des textes connus concernant linstrument ne parle de sa mcanique. La trs grande majorit des rfrences se contentent dinclure lchiquier dans une liste dinstruments de musique ou dans un autre con-texte qui indique quil sagit dinstruments de musique, mais ne donnent aucune indication du type dinstrument dont il est question.

    Quatre ou cinq rfrences seulement sont un peu plus spcifiques : elles indiquent que lchiquier possdait un clavier et des cordes, mais elles ne donnent pratiquement aucune infor-mation concernant sa forme ou sa mcanique. Il semble, par consquent, que lvidence imm-diate ne permet pas fut-ce une identification hypothtique de lchiquier, et quil sera ncessaire

    * Version franaise de N. MEES, The Chekker , The Organ Yearbook XVI (1985), p. 5-25 1 C. PAGE, The myth of the chekker , Early Music 7/4 (Octobre 1979), p. 482-489 ; voir en particulier

    p. 486 sq. 2 34 rfrences lchiquier sont connues, datant dentre 1360 et 1552. E. M. Ripin en a publi 31 en appendice

    son article Towards an identification of the chekker , The Galpin Society Journal XXVIII (1975), p. 15-23. Une autre rfrence a t publie dans Early Music 8/3 (voir note 8 ci-dessous). Deux autres encore ont apparemment chapp jusquici la perspicacit des chercheurs qui ont crit sur ce sujet. Toutes deux se trouvent dans des lettres du jeune prince Jean dAragon, qui devait plus tard devenir le roi Jean Ier, crivant de Perpignan Pedro Fernandez et demandant quon lui envoie un orgue et un chiquier. Dans la premire lettre, date du 31 octobre 1379, il crit : ... vos rogamos que nos fagades ayna acabar los organos et que nos emb iedes el frayret xico con los ditos organos e con el xiquier, e esto si toda tarda. La seconde lettre, du 6 fvrier 1380, contient ce passage : ... vos respondemos que nos plazra que luego quando los organos e el eschaquer seran acabados nos los embiedes e frayre Anton con aquellos ensemble e non antes . Archives de la Couronne dAragon, reg. 1658, fol. 66v et fol. 145v. Ces deux lettres sont reproduites dans une dissertation doctorale, De organo vetere hispanico. Zur Frhgeschichte der Orgel in Spanien, soutenue sous ma direction par J. M. Garcia Llovera lUniversit de Louvain-la-Neuve en 1985 et publie sous le mme titre en 1987 (Eos Verlag Erzabtei St. Ottilien).

  • de recourir aux indications indirectes. Le choix du nom chiquier , en particulier, pourrait donner quelque indication. La suggestion de Ripin selon qui le mot a son origine dans la table compter mdivale connue sous le nom d chiquier mrite dtre examine de plus prs3. Cette piste donne des lments intressants, comme on le verra, mais ne peut mener seule une conclu-sion dcisive.

    Le problme doit donc tre attaqu dun autre ct. Limportance dune identification prcise de lchiquier vient du fait quil a d tre le premier instrument clavier cordes en existence. Aucun autre nom pour un polycorde clavier nest document avant les dernires annes du XIVe sicle au plus tt4, soit quarante ans aprs la premire mention de lchiquier. A moins que plu-sieurs types dinstruments et plusieurs mcaniques soient apparus au mme moment, ce qui parat improbable, la signification originelle d chiquier a d tre spcifique : il sagissait du seul instrument clavier cordes alors en existence. Le terme peut avoir pris plus tard un sens plus gnrique ou, plus probablement, est rest dans lusage non spcialis alors que des termes plus techniques taient imagins pour dsigner les diffrents types dinstruments clavier mesure que de nouvelles formes et de nouvelles mcaniques taient inventes.

    Lvidence immdiate Les rares rfrences lchiquier qui fournissent des informations concernant la nature de linstrument ont fait lobjet de longues rflexions qui ont men des hypothses qui, leur tour, ont t abondamment critiques. Puisque cet aspect de la question a dj t pass en revue dans les articles de Ripin et de Page cits plus haut, il nest pas ncessaire dy revenir ici. Dun autre ct, il sera utile de revoir brivement lvidence immdiate et de discuter ce qui pourrait y de-meurer discutable.

    Le roi Jean dAragon a crit en 1388 plusieurs lettres demandant la prsence son service dun certain Johan dels orguens , organiste la Cour de Philippe le Hardi et rput avoir t lun des meilleurs organistes de son temps5. Une de ces lettres, adresse Philippe le Hardi lui-mme, dit que Johan est capable de jouer lchiquier et les petites orgues . Une autre lettre, au vicomte de Roda, demande que Johan apporte avec lui son chiquier et les petites orgues , ainsi que les livres dans lesquels il a not les estampies et les autres pices quil connat pour chiquier et pour orgue . Que lchiquier et lorgue aient partag une mme technique de jeu et un mme rper-toire, comme ces lettres lindiquent, suggre que lchiquier tait un instrument clavier. Ces lettres laissent aussi entendre que lchiquier ntait pas un orgue.

    Dans une autre lettre de la mme anne, le roi Jean parle d un instrument semblable un or-gue, mais qui sonne par des cordes6 . Page note avec raison que cette lettre ne fait pas mention de lchiquier et quelle pourrait donc concerner nimporte quel instrument clavier cordes en existence en 1388. Il argumente en outre que, puisque le roi Jean avait nomm lchiquier dans

    3 Op. cit., p. 13 sq. 4 Selon A. PIRRO, Pour lhistoire de la musique , Acta musicologica III (1931), p. 51, un certain Lambertacci,

    juriste Padoue, annonce dans une lettre du 17 janvier 1397 quun Magister Armanus, doctor artium (que Pirro identifie avec Hermann Poll, de Vienne) soutient avoir invent un instrument quod nominat clavicembalum. Pirro renvoie A. SEGARIZZI, La corrispondenza familiare dun medico , Atti della I. R. Accademia degli Agiati in Roveretto, 1907, p. 224 sq., mais je nai pas pu vrifier cette source. Sinon, le Minne Regal dEberhard Cersne, de 1404, contient la premire mention connue de polycordes clavier : il cite le shachbrett, le clavicordium et le clavi-cymbolum. Voir E. M. RIPIN, op. cit., appendice 12.

    5 Voir E. VANDER STRAETEN, La musique aux Pays-Bas avant le XIX sicle, vol. VII (Les musiciens nerlandais en Espagne), Bruxelles, 1885, p. 40 sq. Les lettres dans lesquelles lchiquier est cit sont reproduites dans E. M. RIPIN, op. cit., appendices 8 et 9.

    6 Voir E. M. RIPIN, op. cit., appendice 2.

  • une lettre antrieure date de 1387, il aurait fait de mme ici si ctait bien lchiquier quil avait en vue7. Mais lchiquier est le seul instrument clavier cordes document cette poque. De plus, mme sil connaissait le nom de lchiquier, le roi Jean peut navoir pas voulu en faire usage sil avait des raisons de craindre quil ne serait pas familier son correspondant. Il aurait pu tre incit le penser, par exemple, si sa lettre de 1387 navait pas t comprise, o il nommait lchiquier mais ne le dcrivait pas.

    Considrant ceci, il est tout le moins possible que la lettre de 1388 se rfre bien lchiquier. On a suppos que la similitude lorgue qui y est signale impliquait que dune ma-nire ou dune autre linstrument tait vertical, ce qui a men ensuite lhypothse que lchiquier tait un clavecin vertical. Il parat plus probable, cependant, que la similitude concernait seule-ment la prsence du clavier : un moment o les instruments clavier cordes taient probable-ment rares, lorgue constituait une comparaison approprie pour les dcrire. La description de linstrument comme semblable lorgue, mais qui sonne par des cordes ne dit donc rien de plus que ceci : linstrument tait un polycorde clavier.

    Une rfrence lchiquier parat incohrente avec les autres en ce quelle parat identifier lchiquier lorgue. Mais le fait quelle se contredit aussi elle-mme sur ce point rduit consid-rablement sa fiabilit. Il sagit dune lettre crite en 1415 par le prince Alfonso dAragon, qui mentionne dabord un orgue et un chiquier (.I. orgue e .I. squaquer) comme sil sagissait dinstruments distincts, puis parle du dit orgue ou chiquier (lo dit orgue o scaquer), ce qui parat les identifier lun lautre. Tess Knighton, qui a publi ce document8, a tent de rsoudre la contradiction en se demandant si chiquier naurait pas pu tre un terme gnrique pour tous les instruments clavier, orgue compris. Mais ceci napporte aucune solution vritable, puisquon ne voit toujours pas pourquoi le prince Alfonso aurait parl dabord de deux instruments dis-tincts. En outre, plusieurs autres rfrences indiquent clairement que lchiquier tait un instru-ment cordes.

    Johannes Gerson dcrit en 1424 un appareil allgorique qui consistait en une table jeu dchec contenant un instrument de musique et auquel il donne le nom de scacordum. Il explique comment ce nom est compos de scacarium, chiquier pour le jeu dchec, et de corda, corde. Le passage en question pose un problme dinterprtation intressant et peut donc tre reproduit ici en entier :

    Et hoc in unum possumus appellare scacor-dum, quasi scacarium cordis vel cordarum. Cujus atrium interius instar habet psalterii aut potius monocordi, ubi tactus fit ad claves cum digitis, sed cum pluribus cordis aut fidi-bus ...

    Et ceci tout en un nous pourrions lappeler scacordum, comme un jeu dchec corde ou cordes. Dont lespace intrieur a la forme dun psaltrion ou plutt dun monocorde, o lon touche les cls par les doigts, mais avec plu-sieurs cordes ...9

    premire vue, ce passage parat signifier seulement que lchiquier est un polycorde clavier, avec les cordes multiples du psaltrion et le clavier du monocorde clavier. Ceci nest pas tout fait satisfaisant, pourtant. On ne voit pas bien pourquoi lchiquier ressemble au monocorde

    7 C. PAGE, op cit., p. 483. Voir aussi Early Music 8/2 (avril 1980), p. 222 sq. Les deux lettres cites la fin de la

    note 2 ci-dessus montrent que le roi Jean avait fait usage du nom de lchiquier ds 1379 et 1380. 8 T. KNIGHTON, Another chekker reference , Early Music 8/3 (juillet 1980), p. 375. 9 Voir E. M. RIPIN, op. cit., appendice 20, et C. PAGE dans Early Music 8/2, p. 226. Il ne fait pas de doute que

    linstrument lintrieur du scacordum de Gerson est bien un chiquier parce que Gerson lappelle leschequier (ou diverses variantes orthographiques de ce mot) dans des versions franaises de ce texte, et quil utilise le mme mot ailleurs pour dsigner linstrument de musique : voir E. M. RIPIN, op. cit., appendices 15 et 18 et planches IV et V.

  • plutt (potius) quau psaltrion, surtout si lon considre que les mots instar habet impliquent probablement plus quune simple ressemblance superficielle10. Une autre interprtation possible, liminant ce problme, pourrait se fonder sur lide que les derniers mots, avec plusieurs cor-des , sappliquent au monocorde plutt qu lchiquier. La phrase signifierait alors :

    ... dont lespace intrieur a la forme dun psaltrion ou plutt de ce type de monocorde o lon touche les cls par les doigts et o il y a plusieurs cordes ...

    En dautres termes, Gerson comparerait lchiquier avec un type particulier de monocorde, le monocorde cordes multiples et clavier, mentionn dans plusieurs textes du XVe sicle11. Il est vident que lchiquier ressemble plus ce type de monocorde (en ralit un clavicorde) quau psaltrion, puisquil possde la fois des cordes multiples et un clavier. Savoir si la ressemblance stendait aussi la mcanique est une autre question.

    Une dernire rfrence lchiquier doit tre cite ici parce quelle confirme que lchiquier tait un polycorde clavier. Cest un compte de la Cour de France pour 1488, concernant lachat dun eschiquier ou manicordion. Le franais manicordion a deux sens possibles, lun gnrique pour nimporte quel instrument clavier cordes, lautre spcifique, signifiant le clavicorde. Mais, contrairement ce que Ripin avait pens12, rien ne permet de dire que cest le sens spcifique qui sapplique ici.

    En rsum, lvidence immdiate indique que lchiquier tait un instrument clavier cordes. Il faut souligner que ceci est attest durant au moins un sicle, depuis les lettres de Jean dAragon de 1388 jusquau compte franais de 1488, avec une confirmation par Gerson en 1424. Ceci tend montrer que la signification du terme est reste essentiellement la mme durant cette priode. Lvidence immdiate ne dit rien de la mcanique de lchiquier. Les quelques indications qui pointent vers le clavicorde sont trop imprcises pour tre daucune utilit relle ce stade de la recherche.

    Labacus La suggestion de Ripin, selon qui le nom de lchiquier pourrait avoir t choisi lorigine par rfrence la table compter connue sous le mme nom, a sa source dans le fait que Mersenne avait utilis le mot latin abacus pour dsigner le clavier13. Lchiquier mdival table compter tait en effet un abaque. Au XIVe sicle le franais eschiquier comme langlais exchequer ou chekker auraient constitu des traductions possibles du latin abacus. Ripin avait espr trouver des exem-ples dun usage mdival dabacus pour dsigner le clavier ou un instrument clavier, mais cet espoir est rest du.

    10 Instar renvoie tymologiquement lquilibre des plateaux dune balance. Dans un sens plus large, il implique

    une commensurabilit et renvoie souvent, par consquent, aux dimensions physiques ou du moins la forme des objets compars.

    11 Des monocordes plusieurs cordes sont dcrits par Georgius Anselmi de Parme (1434), Johannes Legrense (milieu du XVe sicle), Bartolomeo Ramos de Pareja (1482), etc. Voir W. NEF, The polychord , The Galpin Society Journal IV (1951), p. 20-24, et ci-dessous.

    12 E. M. RIPIN, op. cit., p. 12 et appendice 25. Ripin ne donne quune transcription partielle de ce texte, qui nest en effet pas trs facile lire dans le manuscrit original. Une transcription plus complte peut tre donne ici : A Jehan Ryet vaulet de chambre du Roy notre (?) S[eigneu]r la somme de trente six livres tournois que le dit Sr lui a ordonne le viiie jour dudit mois de juing pour le rembourser de pareille somme quil a mise et emploie du sien au mois de mars avril pass en lachapt dun eschiquier ou manicordion lequel il a pris et achept par le commandement dudit seigneur pour en faire le plaisir dicellui Sr ...

    13 E. M. RIPIN, op. cit., note 15.

  • Les traits latins du Moyen ge et de la Renaissance qui discutent des instruments clavier ont des noms divers pour dsigner les touches, comme spinna, lamina, tactus, tecla, clavicula ou clavis, mais je nai souvenir daucun endroit o ils donnent un nom au clavier dans son entier. Sil ny a pas de mot latin pour clavier , Mersenne a pu tre forc de crer un nologisme lorsquil a crit ses Harmonicorum libri. Abacus a plusieurs significations en latin classique, notamment plan-che , table ou mme jeu dchec . Mais mme si Mersenne a pu tre inspir par lune ou lautre de ces acceptions, il se rfrait plus probablement au sens premier du mot, qui dnote un dispositif de calcul et de dmonstrations mathmatiques. Il a pu voir une analogie entre labaque et le clavier en ce que tous deux servent des dmonstrations thoriques, en ce que le clavier matrialise le systme des sons de la mme manire que labaque visualise le systme des nombres.

    Labaque avait t connu dans lAntiquit grecque et romaine. Boce attribue son invention aux pythagoriciens qui, dit-il, lavaient surnomm table de Pythagore14 . Labaque antique tait semblable au soroban, le boulier compteur moderne (voir figure 1). Les calculs taient excuts en glissant des jetons dans des rainures ou le long de tiges, le nombre de jetons dans chaque rainure ou sur chaque tige tenant lieu des chiffres du calcul. La renaissance de labaque au Moyen ge est attribue traditionnellement Gerbert au Xe sicle. Le dispositif tait connu en Angleterre et en Normandie sous le roi Henri I, vers 1100. En France, il semble avoir t beaucoup pratiqu dans la rgion de Laon. Radulphe, lun des abacistes de Laon, crivant vers 1125, souligne son utilit pour les calculs musicaux15.

    Figure 1 : Un boulier compteur moderne

    14 A. M. BOETHIUS, Ars geometria, G. Friedlein d., Leipzig, 1867, p. 396 : Pythagorici vero [...] descripserunt sibi

    quandam formulam, quam ab honorem sui praeceptori s mensam Pythagoream nominabant [...]. A posterioribus appellaba-tur abacus ...

    15 ... ad arithmeticae speculationis investigandas rationes, et ad eos qui musices modulationes deserviunt numeros, ne c-non et ad ea quae astrologorum solerti inductria de variis errantium siderum cursibus [...] Abacus valde necessarius inve-niatur. Cit dans M. CHASLES, Histoire de larithmtique : Dveloppements et dtails historiques sur divers points du systme de lAbacus, Paris, 1843, p. 21 (Extraits des comptes-rendus des sances de lAcadmie des Sciences, sance du 26 juin 1843).

  • Larithmtique et la musique taient trs proches dans le curriculum mdival. Labaque a d se trouver parmi les outils quotidiens du thoricien de la musique, ct du monocorde utilis pour lillustration des rapports pythagoriciens. En effet, sil ntait pas trs difficile de raliser mentalement les calculs bass sur les rapports simples qui correspondaient aux intervalles diatoni-ques, un appareil comme labaque ntait pas superflu pour les calculs qui impliquaient par exem-ple des schismas (32805/32768) ou des commas pythagoriciens (531441/524288). On peut supposer sans risque que certains au moins des traits mdivaux sur les longueurs de corde du monocorde, en particulier ceux qui traitent des divisions enharmoniques, ont t prpars avec laide dun abaque16.

    Les termes eschequier, exchequer, chekker, etc., ont t utiliss particulirement pour dsigner labaque linaire utilise du Xe au XVIe sicle pour les calculs financiers, commerciaux et domesti-ques. Ce type dabaque est le plus connu pour son utilisation la Cour de lchiquier, la Cour financire de Normandie et dAngleterre, mais son usage ntait en aucune manire rserv cette Cour. Jusquau XVe sicle, labaque linaire tait pratiquement le seul moyen de calcul commercial en Europe au Nord des Alpes, parce que le systme des chiffres arabes y tait peu connu en dehors des cercles scientifiques et que les chiffres romains taient assez peu maniables. En Allemagne, labaque linaire est reste en usage jusquau XVIIe sicle. En Angleterre, les chiquiers tables compter possdaient souvent des lignes verticales aussi bien quhorizontales, formant un dessin quadrill. On pense que le tableau quadrill en est venu symboliser des boutiques de change dargent et, comme les aubergistes pratiquaient souvent cette occupation, il est devenu une ensei-gne pour les auberges17. Lutilisation de lchiquier est discute dans nombre de petits traits spcialiss qui en attestent la popularit (voir figure 2).

    Les chiquiers les plus primitifs taient simplement tracs dans le sable ou la craie sur nimporte quelle surface adapte. Des chiquiers plus labors ont t brods sur du tissu ou peints, gravs ou incrusts sur des meubles. Ils taient parfois munis dun rebord peu lev pour empcher les jetons de tomber. Le nom jeton renvoie en effet au fait quils taient jets sur la table pendant le calcul. Un chiquier caractristique aurait compt quatre ou cinq lignes parall-les, respectivement pour les units, les dizaines, les centaines, etc. Si ncessaire, des lignes vertica-les sparant les nombres adjacents taient traces durant lopration. Quelques tables compter et plusieurs beaux draps compter ont t conservs18, mais la majorit des chiquiers taient plutt du type phmre trac dans le sable ou la craie.

    16 Selon M. Chasles (ibid.), un fragment de musique du manuscrit G LXXIII de Saint-Emmeran de Regensburg

    est intitul Ratio de mensuris monochordi secundum auream divisionem. La division dor , explique Chasles, appar-tient aux traits sur labaque, o elle dcrit une des deux mthodes permettant de diviser, la seconde tant la divi-sion de fer .

    17 Sur ces aspects de lutilisation de labaque linaire au Moyen ge et la Renaissance, voir D. E. SMITH, History of Mathematics, 1923-1925, Dover reprints, New York, 1958, vol. II, p. 156 sq.

    18 Des tables et des draps compter sont reproduits dans F. P. BARNARD, The Casting-Counter and the Counting-Board, Oxford, 1916, passim, ou dans K. MENNINGER, Zahlwort und Ziffer : Eine Kulturgeschichte der Zahl, Gttin-gen, 1958, vol. II, p. 153 sq. Voir aussi les figures 2, 3 et 4 ci-dessous.

  • Figure 2 : Balthasar Licht, Algoritmus linealis..., Leipzig, Melchiar Lotter, 1509, page de titre. Voir http://daten.digitale-sammlungen.de/~db/bsb00006584/images/

    La figure 3 reproduit la page de titre de la Margarita philosophica de Gregorius Reisch19, une

    encyclopdie du dbut du XVIe sicle bien connue pour son intressante section consacre la musique. Sept personnages fminins y sont visibles, entourant un ange tricphale. Lune de ces femmes joue dune harpe portative; dautres instruments sont rpandus ses pieds. Une autre, assise au milieu, semble premire vue jouer dune sorte de psaltrion ou de tympanon mais, en ralit, elle travaille un chiquier table compter. Ces sept femmes reprsentent les sept arts libraux qui forment le sujet de louvrage : celle qui joue de la harpe est Musica, celle qui est assise est Aritmetica, comme le confirment les indications du pourtour de limage. lintrieur du volume, le frontispice du Livre IIII consacr larithmtique (figure 4) montre deux personnages que nombre dentre nous associeraient la musique plutt qu larithmtique, Pythagore et Boce. Pythagore est assis un chiquier et, en juger par lexpression de son visage, y rencontre

    19 G. REISCH, Margarita philosophica, Freiburg, 1503. Cet ouvrage tait trs populaire au XVIe sicle, durant lequel

    il a connu au moins cinq rimpressions, quatre ditions non autorises et des traductions anglaise et italienne.

  • quelque difficult. Boce, qui semble sur le point de lui venir en aide, travaille au moyen de chiffres arabes. Cest un systme que, bien entendu, il naurait pas pu connatre son poque et qui, mme au dbut du XVIe sicle, restait encore relativement peu connu.

    Figure 3 : Gregorius Reisch, Margarita philosophica, Freiburg, 1503, page de titre. Voir http://pages.cpsc.ucalgary.ca/~williams/Tomash%20catalog%20web/Images%20web%20site/ Image%20files/R%20Images/pages/Reisch.Margarita%20philosophica.1503.title.htm

  • Figure 4 : Gregorius Reisch, Margarita philosophica, Freiburg, 1503, frontispice du Livre IIII, consacr larithmtique. Voir http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/38/ Gregor_Reisch%2C_Margarita_Philosophica%2C_1508_%281230x1615%29.png

    Christopher Page repousse la possibilit que lchiquier ait pu tre ainsi nomm par rfrence la table compter, considrant que la ressemblance entre les deux naurait pu tre que rudimen-taire et que, par consquent, il est difficile dimaginer pourquoi des mots dsignant des objets

  • beaucoup plus familiers nauraient pas t choisis, comme table , bote ou coffre 20. Il en conclut que la relation lchiquier table jouer tait plus probable. Mais les chiquiers tables compter ont t manifestement plus familiers au XVIe sicle que Page le suppose, pas beaucoup moins familiers peut-tre que les chiquiers tables jouer. Quand la ressemblance, elle aurait certainement t plus rudimentaire encore dans le cas de lchiquier table jouer.

    La forme oblongue de la table compter est plus susceptible de ressembler un instrument clavier que la forme gnralement carre du jeu dchec. Les checs se jouent par deux personnes qui se font face, une position qui ne suggre pas le jeu dun instrument clavier. La position du compteur assis la table compter, au contraire, nest pas sans similitude avec celle dun instru-mentiste au clavier. Les lignes parallles dessines sur la table compter ressemblent plus aux cordes dun instrument que le dessin quadrill dun jeu dchec. La ressemblance entre la table compter et linstrument clavier aurait pu tre frappante si ce dernier ne portait que quelques cordes, toutes de mme longueur cest le cas du clavicorde primitif. En outre, nous avons vu que labaque a des connotations musicales que ne paraissent pas exister dans le cas du jeu dchec.

    Lhypothse du jeu dchec ne peut pas tre rejete compltement, pourtant. Il est manifeste que Gerson envisageait une relation entre lchiquier instrument de musique et lchiquier table jouer, relation essentielle la conception de son scacordum allgorique. Il a d penser que cette relation serait immdiatement intelligible pour ses lecteurs, de sorte quil faut supposer quune association entre linstrument de musique et la table jouer tait, en 1424, un fait tabli21. Il faut se rendre compte dun autre ct que lhypothse de la table compte et celle de la table jouer ne sont pas ncessairement incompatibles. Linstrument de musique aurait pu tre appel chi-quier , lorigine, disons, par rfrence la table compter, et la relation au jeu dchec aurait pu apparatre plus tard en raison de la similitude de nom. Ou, au contraire, la relation au jeu dchec aurait pu prcder celle la table compter. Elles pourraient aussi avoir coexist, puisque de toutes faons lidentit de nom suffisait les suggrer22.

    Malheureusement, mme si nous pouvions prouver que le nom de linstrument de musique renvoyait lorigine la table compter, nous ne pourrions toujours pas en tirer de conclusion ferme en ce qui concerne lidentit de linstrument. Les indices pointent une fois de plus dans la direction du clavicorde, mais ne sont pas encore suffisants pour emporter la dcision. Une conclu-sion peut cependant tre admise ce stade : linstrument de musique naurait probablement pas pu tre appel chiquier et naurait pas pu garder ce nom durant deux sicles sil navait pas eu au moins une ressemblance superficielle avec la table compter, ou avec le jeu dchec, ou peut-tre avec les deux. La ressemblance minimale, celle sur laquelle on semble stre accord jusquici, est celle de la forme : lchiquier instrument de musique, comme lchiquier table compter et

    20 Early Music 7/4, p. 485. 21 Au cours de mes recherches pour cet article, jai rencontr un autre argument qui pourrait soutenir indirecte-

    ment lhypothse du jeu dchec. Aprs plus ample examen, largument apparat assez faible, mais son intrt intrin-sque est tel que je ne puis mempcher de le mentionner ici. Le jeu de dames, dans une ancienne version, tait connu la fin du Moyen ge comme jeu de fierges, jeu de vierges ; le mot fierge est manifestement une dformation de fers, le nom ancien de la reine du jeu dchec, driv de larabe (voir H. J. R. MURRAY, A History of Chess, Oxford, 1913, p. 616). Il serait tentant dimaginer une drivation du mot virginal partir du jeu de fierges, parallle celle de lchiquier instrument de musique partir du jeu dchec. Le problme de cette hypothse est que le mot virgi-nal ne parat pas mdival il nest pas document avant la seconde moiti du XVe sicle alors que le jeu de fierges qui, de toutes faons, ne semble pas avoir t beaucoup pratiqu, tait obsolte ds le milieu du XVe sicle. Quant au jeu de dames moderne, il ne semble pas tre apparu avant le XVIe sicle : un hiatus demeure ainsi dans lhistoire du jeu, quil serait intressant de combler. Comment ces fierges ont-elles perdu leur virginit?

    22 Il ne faut pas oublier, en effet, que les termes chekker, exchequer, eschequier, etc., taient synonymes au XIVe si-cle et au XVe. Voir Middle English Dictionary, H. Kurath d., Ann Arbor, 1959, s.v. Cheker, et A. TOBLER & E. LOMMATZSCH, Altfranzsisches Wrterbuch, III, Wiesbaden, 1954, s.v. Eschequier.

  • lchiquier table jouer, doit avoir t rectangulaire. Ceci ne laisse que deux candidats lidentification, le clavicorde ou le virginal. Lidentification complte dpend alors de la mcani-que, qui pouvait tre percussion ou pincement.

    Les premiers instruments clavier cordes Comme il a t soulign ci-dessus, nimporte quel instrument clavier cordes dont on pourrait dmontrer quil existait avant les autres aurait de bonnes chances dtre identifiable comme lchiquier. Les rfrences les plus anciennes des instruments clavier cordes autres que lchiquier lui-mme se trouvent dans le Minne Regal dEberhard Cersne, de 1404, o le clavicor-dium et le clavicymbolum sont mentionns avec le schachtbrett (cest--dire lchiquier)23. Le clavi-corde et le clavecin apparaissent donc historiquement comme les premiers candidats lidentification. Nous avons vu que lchiquier doit avoir t rectangulaire, de sorte que le clavi-corde semblerait remporter la palme. Mais pouvons-nous tre srs de la signification des termes utiliss par Cersne? Pouvons-nous tre srs, en particulier, que son clavicordium tait bien un instrument percussion et que son clavicymbalum ntait pas rectangulaire ?

    Liconographie ne laisse pas ces incertitudes et mrite donc de retenir notre attention. Quelque 25 reprsentations dinstruments clavier rectangulaires du XVe sicle sont connues lheure actuelle24. De celles-ci, au moins 20 montrent certainement des clavicordes : souvent, linstrument peut tre identifi avec certitude parce quune partie du plan de cordes avec toutes les cordes de mme longueur ou de la mcanique est visible. Il ny a que deux cas o linstrument nest cer-tainement pas un clavicorde : ce sont les deux dessins du dulce melos clavier, avec une mcanique marteaux, dans le trait dArnaut de Zwolle. Il reste enfin deux ou trois documents dont la mcanique ne peut pas tre identifie, mais il nexiste pas une seule reprsentation du XVe sicle qui montre clairement un polycorde clavier rectangulaire avec une mcanique pincement. Bref, ce que liconographie indique, cest que le clavicorde tait commun au XVe sicle, tandis que les instruments rectangulaires mcanique marteau ou pincement restaient exceptionnels. Il peut tre utile de souligner, de plus, que les premires reprsentations de clavicordes attestent que linstrument a t trs tt largement rpandu, puisquil tait connu en Allemagne, en Italie, en Angleterre et en France avant 1440 environ25.

    Arnault de Zwolle fournit une indication supplmentaire de lexistence de clavicordes ds le XIVe sicle lorsquil cite une Composition des clavicordes selon le livre de Baudecetus 26. Ce

    23 Voir la note 4 ci-dessus. Le fait que lchiquier, le clavicorde et le clavecin apparaissent dans une mme liste ne

    doit videmment pas tre pris comme signifiant quil sagit de trois instruments distincts. Voir sur ce point E. M. RIPIN, op. cit., p. 11 sq.

    24 23 dentre elles sont reproduites dans E. A. BOWLES, A checklist of fifteenth-century representations of stringed keyboard instruments , Keyboard Instruments, E. M. Ripin d., 2e dition, New York, 1977, p. 11-14 et planches 1-15c et 28-29. C. Page et L. Jones en ont reproduit une autre dans Four more 15th-century representa-tions of stringed keyboard instruments , The Galpin Society Journal XXXI, p. 151-155 et planche XIIa. Une dernire reprsentation est publie dans C. PAGE, The myth of the chekker , op. cit., fig. 8. Pages et Jones ont mis en doute la planche 15a de Bowles, o ils naperoivent pas dinstrument clavier; celui-ci est pourtant bien visible, je pense, droite du mdaillon central. Le trait dArnault de Zwolle contient un croquis qui, comme je le montrerai ci-dessous, pourrait tre ajout la liste des reprsentations dinstruments clavier rectangulaires au XVe sicle, portant leur nombre vingt-six.

    25 En ne retenant que les reprsentations o linstrument peut tre identifi avec une bonne certitude, les suivan-tes doivent tre considres : (1) une sculpture de la cathdrale de Minden, vers 1425; (2) une fresque de San Gio-vanni a Carbonara, Naples, peu aprs 1433; (3) une sculpture de lglise St. Mary Shrewbury, vers 1440; (4) les diagrammes dans le trait dArnault de Zwolle, vers 1440; etc.

    26 Folio 128 v : Compositio clavicordiorum secundum librum Baudeceti. G. LE CERF et E.-R. LABANDE, Les traits dHenri-Arnaut de Zwolle et de divers anonymes, Paris, 1932, planche VII et p. 11 sq.

  • Baudecetus pourrait tre identifiable avec Baude de Rains (Baude Fresnel), harpiste et organiste de Philippe le Hardi depuis 1384 et qui est mort en 1397 ou 139827. Arnault pourrait avoir eu accs son ouvrage dans la bibliothque de la Cour de Bourgogne lorsquil tait lui-mme au service de Philippe le Bon. Si ces suppositions sont vrifies, le livre doit avoir t crit pendant le service de Baude la Cour, avant 1398.

    Le trait de Baudecetus, comme beaucoup des traits anciens sur le clavicorde, nest en fait pas grand chose de plus quun trait du monocorde, discutant les intervalles et les longueurs de cor-des. Le clavicorde primitif semble en effet avoir repris la fonction du monocorde mdival dans ces discussions. Ceci tait possible parce que les clavicordes primitifs avaient toutes leurs cordes de la mme longueur et galement tendues, les hauteurs tant dtermines exclusivement par la position des tangentes le long des cordes. Plusieurs traits manuscrits du XVe sicle discutant des proportions des longueurs de cordes du clavicorde sont conservs et il est probable en outre que certains au moins des traits de monocorde de la mme poque concernent en ralit le clavi-corde28. Georgio Anselmi de Parme dcrit dans son De musica de 1434 un monocorde clavier possdant huit cordes et une mcanique de clavicorde; pour le reste, sa description nest quune discussion traditionnelle des longueurs de cordes29. Arnault de Zwolle lui-mme, traitant du clavicorde, semble proccup surtout des longueurs de cordes et du positionnement correct des tangentes. Sa discussion, comme beaucoup dautres au Moyen ge, concerne en mme temps les longueurs de tuyaux dorgue30. Dautres mentions du clavicorde sous le nom de monocorde se trouvent chez Johannes Legrense (Johannes Gallicus) vers 1450 et chez Bartolomeo Ramos de Pareja en 148231.

    Lexistence du clavicorde au XVe sicle, tant comme instrument de musique que comme outil thorique, est donc raisonnablement bien documente. Par contre, les documents qui concernent des instruments clavier rectangulaires mcanique marteaux ou pincement sont fort rares, comme on le verra ci-dessous. Les conclusions tires de liconographie sont donc confirmes : les instruments clavier rectangulaires mcanique marteaux ou pincement sont rests excep-tionnels au XVe sicle.

    Arnaut de Zwolle signale la possibilit de remplacer la mcanique tangentes du clavicorde par une mcanique marteaux ou pincement : avec ce [quatrime] systme de sautereau [cest--dire la mcanique marteaux], on pourrait faire aussi un clavicorde qui sonnerait comme un dulce melos; de mme, on pourrait faire en sorte quun clavicorde sonne comme un clavecin [...] avec le deuxime ou le troisime systme de sautereau 32. Ceci, soit dit en passant, est la seule

    27 Voir G. REANEY, art. Cordier, Baude , The New Grove. 28 Certains des traits du manuscrit 554 de la Bibliothque universitaire dErlangen et du manuscrit lat. 80 de

    Genve appellent linstrument clavicorde . Que des traits de monocorde du XVe sicle concernent en ralit des clavicordes se dduit notamment de ce que la tessiture dcrite est une tessiture de clavier, dbutant do2, si1 ou fa1, plutt que la tessiture thorie de la gamme de Gui dArezzo, de sol1 mi4, ou de ce que le temprament dcrit scarte de laccord pythagoricien traditionnel avec deux bmols et trois dises. Voir ce propos M. LINDLEY, Fifteenth-century evidence for meantone temperament , Proceedings of the Royal Musical Association CII (1975-1976), p. 37 sq.

    29 Voir G. MASSERA (d.), Georgii Anselmi Parmensis De musica (1434), Florence, 1961, en particulier p. 136 sq. pour la description de la mcanique et p. 126 pour la mention de huit cordes de mme longueur et galement ten-dues.

    30 Voir folios 128 v et 129 r-v; G. LE CERF et E.-R. LABANDE, op. cit., planches VII-IX et p. 11-18. 31 Voir COUSSEMAKER, Scriptorum ..., IV, p. 317b (Johannes Gallicus) et J. WOLF, Musica practica Bartolomaei

    Rami de Pareia , Beihefte der Img I, 1, Leipzig, 1901; p. 15 et 101. Voir aussi la note 11 ci-dessus. 32 Folio 129 v : ... per illum modum forpicis etiam posset fieri clavicordium quod sonaret sicut dulce melos; similiter

    etiam posset fieri quod clavicordium sonaret ut clavisimbalum [...] per secundum vel tercium modum forpicis. Voir G. LE CERF et E.-R. LABANDE, op. cit., pl. X.

  • allusion au virginal dans tout le trait dArnault. Christopher Page cite ce passage et dautres semblables comme illustration de la confusion des noms et des mcaniques chez Arnault, ajoutant que si Arnault tait prt utiliser le mot clavicordium pour dsigner un instrument avec trois mcaniques diffrentes, il ny a rien gagner chercher une mcanique propre lchiquier . Il continue en expliquant quArnault a probablement entendu clavicordium comme un terme gnrique pour tous les instruments rectangulaires clavier cordes33.

    Pourtant, sil est vrai que le clavicorde tait commun vers 1440 et que les autres polycordes clavier rectangulaires taient exceptionnels, les affirmations dArnault apparaissent dans une toute autre lumire. Sa discussion est didactique, partant dun instrument familier, le clavicorde, pour montrer comment des changements de mcanique peuvent produire des instruments nouveaux. Arnault sait que le clavicorde proprement dit est caractris par la mcanique tangentes et il le dcrit ainsi34. Il na pas de nom pour le virginal et parat peu sr du nom donner linstrument mcanique marteaux : on peut lappeler dulce melos, crit-il en soulignant le nom, bien quon puisse le jouer comme un clavicorde 35. Jouer comme un clavicorde , dans ce contexte, signifie manifestement jouer depuis un clavier , de la mme manire que linstrument semblable lorgue du roi Jean ntait quun instrument clavier.

    La forme rectangulaire des instruments clavier reste associe particulirement au clavicorde au moins jusquau dbut du XVIe sicle. Paulus Paulirinus de Prague, le seul auteur du XVe sicle qui nomme et dcrit le virginal, crit que cest un instrument de la forme du clavicorde, avec des cordes en mtal qui donnent la sonorit du clavecin 36. Virdung, en 1511, crit que le virginal est fait dans un coffre allong, comme un clavicorde 37. Le fait est que la forme rectangulaire parat dict par la constitution du clavicorde primitif, avec des cordes dgale longueur, tandis que la forme en aile du clavecin ou peut-tre la forme polygonale des premiers virginals conservs paraissent plus adaptes des instruments mcanique pincement.

    Arnault parat suggrer que la transformation dun clavicorde en un dulce melos ou en un vir-ginal pourrait tre ralise par un simple changement de mcanique. Il est peine ncessaire de dire que cela naurait pas t ralisable en pratique. Le clavicorde dArnault navait que neuf ou dix choeurs de cordes pour trente-sept notes au clavier. Toute tentative de modifier la mcanique dun tel instrument aurait requis une refonte complte. Arnault propose des dispositions pour le dulce melos, avec des chevalets multiples divisant les cordes en sections dune octave chacune (figures 5 et 6). Il y a douze cordes seulement, correspondant aux douze degrs de chaque octave. Le chanoine Galpin a suggr que lchiquier aurait pu tre un dulce melos diffrent de celui dArnault, en ce quil aurait possd une corde spare pour chaque note du clavier38, mais cest l

    33 Early Music 7/4, p. 487. 34 Une analyse attentive du texte dArnault montrerait aussi quil considrait le dulce melos et le clavicorde

    comme des instruments distincts. La description de la mcanique marteaux indique clairement que la mcanique tangentes appartient au clavicorde, lorsquArnault crit que dans la mcanique marteaux porte une pointe comme dans un clavicorde, mais transversale (folio 128 r; G. LE CERF et E.-R. LABANDE, op. cit., pl. VI. et p. 5).

    35 Folio 129 r : Istud instrumentum [...] potest vocari dulce melos, licet per modum clavicordii potest tangi. Plus loin sur le mme folio, Arnault parle de linstrument quon appelle dulce melos . G. LE CERF et E.-R. LABANDE, op. cit., pl. X. et p. 21.

    36 J. REISS, Pauli Paulirini Tractatus de musica (etwa 1460) , Zeitschrift fr Musikwissenschaft VII (1924-1925), p. 263 : Virginale est instrumentum habens formam in modum clavicordii habens cordas metallinas facientes sonoritatem clavicimbali.

    37 S. VIRDUNG, Musica getutscht, Ble, 1511, facsimil Kassel, 1970 (K. W. Niemller d.), folios Ciii v-C iv r : wie wol dasz selbig doch auch in ein lange laden wirt verfasset/glich einen clauicordio/so hat es doch vil ander eigenschaften Die sich mer mit dem psalterio vergleichen/dann mit dem clauicordio.

    38 F. W. GALPIN, art. Chekker dans Groves Dictionary, 5e dition, vol. II, Londres 1954, p. 194 sq.

  • pure spculation et il nexiste aucune vidence quun instrument de ce type ait pu exister au XIVe sicle ou au dbut du XVe.

    Figure 5 : Arnaut de Zwolle, premier plan du dulce melos. Les chevalets parallles divisent les cordes en trois sections dune octave, dans chacune desquelles toutes ont la mme longueur.

    Figure 6 : Arnaut de Zwolle, deuxime plan du dulce melos. Les chevalets obliques divisent les cordes en trois sections dune octave, dans chacune desquelles elles sont de longueurs diffrentes.

    Le fait est, par ailleurs, que le nombre rduit de cordes tant au clavicorde primitif quau dulce

    melos dArnault de Zwolle devait en fin de compte faire problme parce quil rendait impossible lextension de la tessiture au del denviron trois octaves. Ceci est particulirement crucial dans le cas du dulce melos o laddition fut-ce dune seule note aprs la trente-sixime aurait impos dajouter un cinquime chevalet et une quatrime section de cordes, doublant pratiquement la longueur totale des cordes et de linstrument. La solution de ce problme passait par la conception de clavicordes munis de cordes de longueurs ingales et de dulce melos portant une corde spare pour chaque note. Le nouveau plan du clavicorde est mentionn pour la premire fois dans la

  • Musica practica de Bartolomeo Ramos, en 148239. Il parat raisonnable de supposer quun nou-veau plan soit apparu vers la mme poque pour le dulce melos et le virginal.

    Le nouveau plan du virginal est peut-tre document dans le trait dArnault de Zwolle lui-mme, vrai dire. Un fragment de papier insr dans louvrage montre un monocorde sonnant aussi fort quun clavecin . Un sautereau est esquiss ct, avec la lgende cette pice est ins-re dans les touches et il y a un plectre dans sa fente 40. Le dessin est trs sommaire et peine lisible. Il ne peut reprsenter un vritable monocorde parce quArnault parle dune mcanique pincement et de touches (clavibus) au pluriel, ce qui naurait aucun sens sil ny avait quune seule corde. Le dessin montre, gauche de linstrument, une ligne oblique qui reprsente peut-tre le chevalet de gauche, ce qui impliquerait alors que les cordes soient de longueurs ingales. Si cest le cas, ce croquis doit tre ajout la liste des reprsentations de polycordes clavier au XVe sicle; ce serait la seule reprsentation dun instrument rectangulaire clavier cordes pinces connue pour le XVe sicle.

    En conclusion, les donnes disponibles concernant les anciens instruments rectangulaires cla-vier cordes semblent indiquer avec une certaine cohrence que le clavicorde pourrait avoir exist au XIVe sicle et quil tait rpandu en Europe ds le dbut du XVe sicle. Le dulce melos et le virginal sont sommairement mentionns dans le trait dArnault de Zwolle, ce qui parat avoir constitu un stade trs ancien, encore exprimental, de leur existence. Il est peu probable quils aient exist longtemps avant 1440. Le clavicorde est rest le principal polycorde rectangulaire clavier au moins jusquau dbut du XVIe sicle, o il a t supplant par le virginal. Il est frappant que ce premier ge dor du clavicorde, disons depuis les dernires dizaines dannes du XIVe sicle jusquaux premires du XVIe sicle, correspond la priode durant laquelle lchiquier instrument de musique est document, entre 1360 et 1550.

    Conclusion Le cas devrait maintenant tre clair : la convergence des donnes est significative et confirme lide que lchiquier primitif tait un clavicorde. Une fois cette conclusion accepte, il devient possible de proposer une reconstruction hypothtique de lhistoire ancienne des instruments clavier cordes qui non seulement soit cohrente, mais qui intgre en outre sans difficult lensemble des informations disponibles.

    Le clavicorde doit tre apparu vers le milieu du XIVe sicle, peut-tre en Angleterre. Il a proba-blement t conu comme un monocorde amlior, avec un clavier et plusieurs cordes. Ses fonc-tions musicales et thoriques devaient alors tre similaires celles du monocorde. Sil est vrai que le nom chiquier a t choisi en raison de la ressemblance avec la table compter, alors les premiers clavicordes pourraient avoir port quatre ou cinq cordes, le mme nombre que celui des lignes parallles de la table compter. Le nombre des choeurs de cordes a atteint neuf ou dix vers le milieu du XVe sicle : le clavicorde cordes dgale longueur nen a probablement jamais comp-t plus.

    Philippe le Hardi, qui avait connu lchiquier/clavicorde durant son emprisonnement Lon-dres aprs la bataille de Poitiers, peut avoir t responsable de son introduction en Bourgogne. En tout cas, le duch est devenu un centre important de la facture dchiquiers durant la Guerre de Cent Ans. Cest vers la Bourgogne que le roi Jean dAragon sest tourn la recherche dun chi-

    39 J. WOLF, op. cit., p. 15 : Sunt etiam chordae diversae et in longitudine et in grossitie, ut in cithara et lyra, polychor-

    do, clavichordo, clavicimbalo, psalterio et in aliis pluribus instrumentis. Cest le seul passage du trait dans lequel le mot clavichordum apparat.

    40 Folio 129 bis : Monocordium sonans ita alte sicut clavisimbalum et Ista pecia figitur in clavibus et in ejus fissura est pluma. G. LE CERF et E.-R. LABANDE, op. cit., pl. XIVc.

  • quier et plusieurs rfrences anciennes linstrument sont bourguignonnes41. Baudecetus et Ar-nault de Zwolle sont des reprsentants de cette tradition, qui pourrait stre perptue dans lcole de facture de clavicordes anversoise sous Charles-Quint au dbut du XVIe sicle.

    Le clavecin est apparu dans la seconde moiti du XIVe sicle. Ctait un petit instrument, pas beaucoup plus grand quun clavicorde, mais son plan tait fondamentalement diffrent en raison de la mcanique pincement : il possdait une corde par note et les cordes taient de longueurs ingales; le plan des cordes dicte la forme en aile de la caisse.

    Arnault de Zwolle rend compte des premires tentatives dadapter une mcanique pincement ou marteaux dans une caisse rectangulaire. Ces tentatives pourraient avoir donn des rsultats satisfaisants vers le milieu du XVe sicle. Linstrument marteaux ne parat pas avoir survcu longtemps, mais celui cordes pinces, le virginal, est devenu particulirement important au XVIe sicle. Le nouveau virginal a peut-tre influenc lhistoire du clavicorde, ainsi que celle du clave-cin, avant 1500. Son plan a pu suggrer la fabrication de clavicordes cordes de longueurs inga-les pour les notes graves, tels quon en trouve trace partir de 1482. Comme le virginal pouvait jouer les fonctions du petit clavecin primitif, il a peut-tre dtermin le dveloppement dun type de clavecin plus grand dans les dernires annes du XVe sicle.

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