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Le v isage

Conception graphique et couverture : Pascal Plottier Copyright 1988 Editions Eshel, 23, rue Saint-Ferdinand, 75017 Paris. Numéro d'éditeur 2-906704. ISBN 2-906704-09-1. Dépôt légal 38 trimestre 1988. Tous droits réservés en regard de tout procédé de reproduction intégrale ou partielle (loi du 11 mars 1957, articles 425 et suivants du Code pénal).

LE VISAGE Sens et contresens

S o u s la d i rec t ion de Boris Cyrulnik

ESHEL

LE VISAGE ENVISAGÉ Boris Cyrulnik

Pas moyen de me rappeler la première fois que j'ai perçu un visage. La première banane m'avait beaucoup ému à cause de l'émotion exprimée par ma mère : un bananier avait navigué depuis l'Afrique pour apporter ces curieux fruits longs et jaunes. C'était la fête, un peu l'aventure. Et malgré son goût médiocre, bien moins savoureux que celui de nos fruits de Normandie ou de Provence, j'ai long- temps cru que les bananes étaient des fruits magiques. Cette banane, enchantée par ma mère, a pris place dans ma mémoire bien avant le langage.

Je garde en moi clairement le premier jour d'école, l'éton- nement scandalisé d'y rencontrer deux petites filles qui portaient le même prénom.

Le premier visage n'est pas dans ma mémoire. Et pour- tant, il a bien fallu qu'un jour je le perçoive, et le reconnaisse comme si je l'avais toujours connu. Cette information est du plus haut intérêt pour notre vie sociale : chaque jour, on rencontre plusieurs centaines de visages, on en reconnaît plusieurs dizaines, on doit les situer dans la fulgurance de l'instant, on doit les nommer, y adapter nos émotions, l'ex- pression de ces émotions, nos stratégies comportementales et nos paroles.

Mon premier étonnement quand a commencé la collecte des travaux fut l'étonnement ainsi provoqué : « Le visage en tant qu'objet de science, comme c'est curieux !» Je pense maintenant qu'il est curieux qu'on n'en ait pas fait plus tôt un objet de science. Cet étonnement est intéressant parce qu'il révèle à quel point l'objet, pour devenir objet de science, doit se situer loin de nous. L'observation n'est pensable que lorsque l'objet est éloigné. Plus il se rapproche du centre de nous-mêmes, plus l'objet devient sujet, difficile à observer, scandaleux même : « Moi, mon âme ne peut pas être objet de science. Je ne m'autoriserai jamais à penser la formule chimique de Dieu. » Voilà pourquoi la

Le v i s a g e e n v i s a g é voûte céleste est plus facile à observer que ton visage. Plus je t'aime, moins je te vois. Le visage de Dieu n'est pas représentable, car je l'adore au fond de moi.

J'ai toujours connu le directeur du laboratoire avec une barbe taillée comme un jardin à la française. Un jour, je l'ai trouvé un peu étrange, fatigué peut-être, ou son cos- tume moins coloré, inhabituel pour lui, ou sa cravate, ou autre chose, que sais-je ? Il a fallu la parole d'une secrétaire pour que la rumeur coure : le directeur avait coupé sa barbe et personne ne s'en était rendu compte. Après l'avoir dit seulement à cette secrétaire qui le trouvait étrange, la rumeur parlée a pu nous permettre de voir avec nos yeux que le directeur n'avait plus de poils sur la figure. C'est la parole qui avait ouvert nos yeux, tant ce qu'on sait et ce qu'on dit participe à ce qu'on voit.

Ce qui m'a permis de penser que le statut perceptif du visage était très différent du statut perceptif des étoiles : on ne perçoit pas un visage comme on perçoit une étoile, on ne reconnaît pas le directeur comme on reconnaît la Grande Ourse. Il fallait voir ça d'un peu plus près.

Il est mystérieux d'apprendre que le visage est né au xvie siècle1. Les peintures rupestres n'en faciliteraient pas la représentation. Le totem stéréotypé avait pour fonction de faire converger les regards du groupe pour mieux l'uni- fier par une identification commune. Les primitifs italiens dessinaient des visages analogues. La face des nouveau- nés avait les mêmes traits que la face des adultes ; seuls les vêtements et les postures désignaient l'appartenance à un groupe social.

Les sociétés à règles fixes n'hésitent pas à inciser le front, le nez ou les lèvres d'un enfant pour l'initier et lui donner sa place dans un groupe définitif, comme les belles cicatrices sur sa face2. Les sociétés aux règles plus incertaines déco- rent le visage avec des marques plus faciles à effacer, comme le bleu des paupières de Cléopâtre et de Marilyn Monroe, le rouge à lèvres et la perruque poudrée des aris- tocrates, enlevée par la Révolution.

Le visage naît aux xvie siècle, quand la naissance en Occident du sentiment de l'Intime donne au visage la mis- sion de repérer un individu et non plus le membre d'un groupe3. Le visage alors change de sens. En permettant l'expression des émotions intimes, il devient le repère péri- phérique, communicable, d'un sentiment enfoui au fond de soi. Il n'est plus la fiche signalétique d'une intégration sociale, il devient le moyen d'exprimer un sentiment. Il

1 J e a n - J a c q u e s C o u r t i n e e t

C l a u d i n e H a r o c h e : His to i re d u

v i sage . Rivages , 1 9 8 8 .

2 D e s m o n d Morr i s : M a g i e d u

c o r p s , G r a s s e t , 1986 .

3 Ph i l ippe Ar iè s : His to i re d e

la vie p r ivée , t . III, Seuil , 1986 .

Le v i sage e n v i s a g é perd sa fonction de pancarte sociale pour devenir signe révélateur d'un monde interne, privé.

Avec la naissance du privé, le visage change de sémio- logie. L'histoire du visage se calque alors sur l'histoire de la clinique. L'organisation sociale y imprègne encore sa marque, en incitant le petit peuple à exprimer des formes et des mimiques faciales vulgaires, trop expressives, alors q u e l e s h o m m e s b i e n n é s o n t u n v i s a g e f i n e t i m m o b i l e 4 .

Ce fantasme imprègne encore le xixe siècle, quand les naturalistes dessinent les hommes du peuple avec de gros traits. C'est ainsi que Victor Hugo décrit la famille Thé- nardier, mais déjà il écrit un texte corrupteur, où le scan- dale consiste à raconter l'histoire d'Esméralda et de Cosette, certes pauvres, mais jolies sous leurs haillons. Les vêtements restent encore fortement socialisés, mais le visage exprime déjà l'âme à nu.

Pour faire de l'homme un objet de science, la médecine a dû regarder les étoiles. La première tentative clinique fut d'établir une corrélation entre les signes du zodiaque et l'état du corps. Cette médecine babylonienne intéresse encore beaucoup nos contemporains puisque l'homme zodia- cal fait une recette bien supérieure à celle de la Sécurité sociale. Notre regard se porte mieux au loin.

Pour faire du visage un objet où l'on peut observer l'in- time, il a fallu regarder les étoiles. On a cherché dans les signes du zodiaque ce qui pouvait correspondre aux struc- tures faciales. Le xvir siècle alors a découvert la phy- siognomonie, où le cosmos et le temps avaient marqué sur nos fronts les indices de nos destins : petite croix sur le front indiquant la mort violente à l'âge de quarante ans, petites encoches latérales indiquant une vertu peu farouche, vaguelettes signifiant l'amour de la mer5. Cette analogie où le cosmos pouvait se lire sur la face existe encore de nos jours avec la chiromancie, où l'on peut « lire les lignes » de la main.

A l'opposé du visage cosmique, le xvn r siècle va tenter l'analogie avec l'animal. La deuxième blessure narcissique, celle de Darwin, qui faisait descendre l'homme du singe au lieu de le faire tomber du ciel avait été préparée par Harvey. Lorsqu'en 1628 il avait décrit la circulation san- guine chez l'homme par analogie avec les canaux d'irrigation et les canaux de circulation chez le chien et le cochon, il avait scandaleusement introduit la machine dans l'âme. Le regard se rapprochait du fond de nous-mêmes. La naissance de ce naturalisme écœurait les spiritualistes. C'est l'ob-

4 N o r b e r t Elias : La c iv i l i sa -

t ion d e s m œ u r s , Calmann-Lévy,

1982 .

5 J e a n C a r d a n : M é t o p o s c o -

pie , Paris , 1658 . Cité in His to i re

d u visage, cf . n o t e 1.

Le v i s a g e e n v i s a g é servation de « la fange dans l'Homme6 » disait Barbey d'Au- revilly. Ce à quoi Zola répondait qu'il mettait les étoiles dans le réel.

Cette guerre des fantasmes, où les défenseurs de l'homme céleste s'opposent aux partisans de l'homme machine, continue encore de nos jours entre les adorateurs de la Molécule et les vénérateurs du Verbe.

Une sémiologie fantastique peut prendre ses racines dans l'ordre social et ses préjugés. « Les scélérats que j'ai vu passer pour aller au supplice, les assassins perfides, les empoisonneurs, étaient tous de petite taille... les âmes cruelles logent dans des corps exigus7. »

La médecine triomphante du xixe siècle n'a pas échappé à cette sémiologie imaginaire. Les stigmates de la dégé- nérescence pouvaient se lire sur les visages. Il suffisait de voir, c'était évident. Vous n'avez qu'à regarder le front bas des brutes vouées à assassiner un jour, le nez en pied de marmite des hérédo-syphilitiques portés sur la boisson, le front bombé des mystiques et les yeux petits des joueurs pervers. Cette conviction était si profondément enracinée dans l'âme du juriste italien Lombroso qu'il avait proposé d'éliminer les enfants porteurs de ces stigmates tellement évidents. La morale était en marche et, puisque la morale est morale, ceux qui s'y opposent ne sont que des pervers certainement porteurs du stigmate de la perversion. En observant bien, vous trouverez. La décision morale consiste à éliminer les porteurs de ces stigmates, pour le plus grand bien de tous.

L'ennui, c'est que l'évidence n'est pas évidente. L'ex- position des dessins de Letuaire, au musée de Toulon, apporte un renseignement intéressant sur la manière de percevoir les visages. Il avait dessiné, à la fin du xixe siècle, les visages des prisonniers du fort Lamalgue (presque tous arabes) et des bagnards isolés sur des pontons flottants. Le visage des officiers, gardiens et administrateurs était fin et moustachu, avec les poils coupés en pointe comme il convient quand on est bien élevé, alors que le visage des bagnards respirait la vulgarité avec un front bas, un nez camus, de grosses mâchoires et des oreilles mal ourlées. Au fort Balaguier, à quelques kilomètres, autre témoi- gnage : les bagnards dessinent eux-mêmes des visages d'amis bagnards, solides, souriants, au beau regard franc, s'opposant au visage de renard pointu, au regard fourbe latéral, aux moustaches effilées, ridicules et convention- nelles, de l'officier de garde. « C'est fou ce que les autres

Pierre Cogny : Le natura- lisme, Que saia-je 7, 1976.

7 Mercier (XVIII* siècle) cité in Histoire du visage, cf note 1.

Le v i sage e n v i s a g é sont laids quand il n'appartiennent pas à ma culture. Les beaux visages, je ne les trouve que dans mon groupe social », disait la négresse à plateau, dont la lèvre inférieure pendait jusqu'au cou. « J'ai peur et j'ai envie qu'on fende ma lèvre pour y mettre un plateau, c'est tellement beau », disait cette fillette encore trop jeune pour être incisée.

Alors, la perception du visage n'aurait pas grand-chose à voir avec sa représentation ? Une anthropométrie des négresses à plateau mesurée par un Occidental recueillerait des chiffres permettant d'affirmer que la lèvre inférieure est déformée.

La phrase occidentale, « Tous les Noirs se ressemblent », signifie que l'Occidental a perçu dans le visage du Noir la longueur d'onde émise par la peau, support de l'infor- mation « peau noire ». On peut imaginer qu'il a aussi perçu les informations cheveux crépus, lèvres épaisses et langue rose. Tout cela permettant de dire que « tous les Noirs... » et d'ajouter « ... se ressemblent ». Il faut arrêter son stoc- kage d'informations à ces perceptions élémentaires. Il faut chercher à ne pas percevoir la nuance d'expression, les nuances de forme, de coiffure et de maquillage qui les per- sonnalisent. Il faut donc limiter la perception de cet homme à sa catégorie noire et ne pas chercher à percevoir ce qui en fait une personne. Cette perception sélective organise notre représentation et permet d'affirmer que tous les Noirs se ressemblent.

Pour quitter cette sémiologie imaginaire, qui parle plus de l'observateur que de l'observé, il va falloir tenter une autre approche. J'ai failli écrire une approche « scienti- fique », mais je n'ai pas osé. Après tout, les éleveurs ont grandement fourni les preuves de leur efficacité, et l'his- toire du visage nous a permis de comprendre qu'une démarche scientifique n'est pas dénuée de fantasmes. Nous savons que la mélanine colore la peau. Cette information chimique nous permet de voir que les « Noirs » ont la peau noire et de fantasmer aussitôt : puisqu'ils ont la peau noire, c'est la preuve génétique qu'ils sont différents de nous. Le plus logiquement du monde, nous allons dresser des barrières sociales émotives et fantasmatiques entre nous et cet homme de « nature différente », même s'il parle la même langue, même s'il est modelé par la même culture. Nous allons croire que nous sommes plus proches géné- tiquement de ce Suédois à la langue incompréhensible et à la triste culture8.

La mélanine a simplement réveillé notre fantasme d'in-

8 A n d r é L a n g a n e y : L e s

h o m m e . , A r m a n d Colin, 1988 .

Le v i s a g e e n v i s a g é quiétante étrangeté. L'absence de mélanine aura donc le même effet, puisque l'étrangeté nous inquiète au lieu de nous stimuler. Le paradeisos persan, qui a donné le paradis juif, s'appellerait aujourd'hui parc zoologique, car on pour- rait y voir le lion et la brebis vivant en paix dans un enclos paradisiaque de semi-liberté. La porte de cet enclos serait surveillée par un gardien nommé Pierre. Dans ce jardin zoologique « en marbre richement décoré de jaspe... se trouvent dix pièces d'eau peuplées d'oiseaux aquatiques... Dans une maison grande et belle, on garde des oiseaux de proie... Au rez-de-chaussée du même bâtiment, se trou- vent de longues salles... et, dedans, des lions, tigres, loups, renards et des chats de toute espèce... Dans une autre maison habitent des nains, des bossus... hommes et femmes, chacun dans une chambre à part... On y trouve aussi des êtres étranges, hommes, femmes et enfants, qui de naissance ont le visage, le corps, les cheveux, les cils et les sourcils tout blancs9. » Les albinos n'ont pas d'âme, la preuve c'est qu'ils n'ont pas la même mélanine pour colorer leur peau. Il est donc moral d'en faire l'élevage ou de les mettre dans des ménageries.

Et pourtant le matériel génétique existe et s'exprime sur nos visages. Jean-François Mattei nous apprend que la génétique médicale nous permet maintenant d'en tenter une approche scientifique plus que fantasmatique. Les 100 000 gènes qui nous déterminent vont nous composer un visage issu de nos pères, mères, grands-pères, grand- mères, etc. 100 000 gènes à combiner pour structurer un visage, c'est miracle qu'on leur ressemble ! A moins qu'on nous refasse le coup de « tous les Noirs se ressemblent ». On ne s'en prive pas dans les discussions familiales : « C'est tout le portrait de ta mère (qui m'agace tant)... Pas du tout, elle ressemble à tante Blanche (que j'aimais beau- coup). »

L'avantage de la génétique médicale, c'est qu'elle nous offre une « expérience naturelle », où les troubles mal- formatifs sautent aux yeux, et au centimètre, pour consti- tuer une manipulation génétique dont l'observateur n'est pas responsable. On a beau dire que l'anthropométrie ali- mente nos fantasmes, il n'empêche que les Noirs ont la peau noire, les trisomiques un crâne plus rond et un pli sur la paupière supérieure analogue aux hommes jaunes de Mongolie, les craniosténoses un crâne étroit comme une boîte de conserve. Le problème fou que pose le généticien au psychologue serait : pourquoi certains crânes étroits

9 Le t t re d e C o r t e z à C h a r l e s

Quint , 3 0 o c t o b r e 1520 , à pro-

p o s du ja rd in z o o l o g i q u e d e s

A z t è q u e s , ln G u s t a v e Loisel :

H i s t o i r e d e s m é n a g e r i e s d e

l ' A n t i q u i t é i n o s Jours , Doin e t

Laurens , 1912 , 3 vol.

Le v i sage e n v i s a g é 1 empêchent-ils l'accès au langage ? Il suffit d'élargir la boîte pour que l'enfant se mette à parler ! Comment un chro- mosome supplémentaire peut-il rendre les enfants triso- miques si gentils ? Pourquoi les « x » fragiles, dont le visage ressemble à celui de Rambo, sont-ils débiles et macro-géni- taux ? Le retour de Rambo s'accompagnerait-il du retour de Lombroso, de Gall et de son invraisemblable phré- nologie ?

Pour éclairer ce problème, nous pouvons poser la ques- tion aux animaux. Eux ne sont pas pollués par l'idéologie. L'ennui c'est que, chez eux, les contraintes écologiques sont si violentes que la moindre défaillance chromosomique les élimine. Mais, au moins, on peut leur demander comment ils font pour reconnaître le visage de leur mère 10. Des petits singes macaques, isolés dès leur naissance, sont placés dans un grand espace au fond duquel on projette des diapositives d'une face de macaque. Cette face peut être jeune ou âgée, mâle ou femelle, menaçante ou souriante : jusqu'à l'âge d'un mois, le petit singe s'oriente de préférence vers une face adulte et menaçante ! Près de cette image, il va mieux jouer et explorer. Mais vers le quatrième mois, on observe un changement de réaction. Le petit singe s'effraye, se cache et évite cette image menaçante. Le petit macaque isolé a donc acquis la signification d'une face, par le simple effet de la maturation du cerveau. Il n'a pas besoin d'ap- prentissage social pour comprendre la signification d'un visage menaçant. Un gène sous cloche, échappant aux pres- sions du milieu, serait donc concevable. Quel que soit son milieu éducatif, Rambo aurait été débile parce qu'il est porteur d'un « x » fragile. Embêtant sur le plan idéolo- gique, à moins que le « saut » du macaque à Rambo ne soit un saut périlleux, un peu trop rapide.

Il y a bien une autre méthode, c'est celle de René Zazzo, qui consiste à placer des enfants et des animaux face à un miroir pour observer leurs réactions. Ils vont percevoir dans le miroir une image visuelle et y réagir. Cette astuce comparative facilite la compréhension et permet de décrire l'histoire du visage de soi dans le miroir. Arrive un jour où l'on s'identifie dans le miroir. On ne s'y reconnaît pas, puisqu'on ne s'y est pas connu auparavant. On croyait que c'était un autre bébé, ce qui nous faisait bien jubiler. Un jour on « comprend » que c'est son propre visage qu'on perçoit dans le miroir. Mystère de la compréhension subite, fulgurante, en dehors de toute explication, de tout appren- tissage. Les enfants touaregs élevés dans des milieux sans

10 L 'obse rva t i on d e S a c k e t t ,

1966, c i té ln Michel G o u s t a r d :

La p s y c h i s m e d e s p r i m a t » * ,

M a s s o n , 1975 .

Le v i s a g e e n v i s a g é miroir manifestent les mêmes réactions comportementales et au même stade de développement que les enfants élevés dans des milieux riches en miroir, comme le macaque de tout à l'heure, qui soudain vers le quatrième mois compre- nait la signification menaçante d'un visage de macaque, comme le bébé humain qui soudain vers le huitième mois perçoit et comprend la différence entre un visage familier et un visage étranger, comme le chimpanzé de Gallup qui soudain en se voyant dans le miroir comprend que la tache de peinture qu'il perçoit en face de lui reflète et réfère à la tâche peinte sur son propre visage.

Roland Topor explique que, si on lui coupe la main ou une jambe, il sera amputé. Si on lui coupe la moitié infé- rieure du corps, il sera très amputé. Mais si on lui coupe la tête, on ne pourra pas dire qu'il est amputé de son corps, tant sa tête à elle seule constitue plus de lui-même que le reste de son corps. On ne pourrait pas tenir le même raisonnement avec un ver de terre, une amibe ou une éponge. Les cailloux, les cristaux, n'ont pas de pôle pri- vilégié. Les cellules s'organisent autour d'un centre et d'une périphérie. Avec les méduses apparaît le pôle antérieur. Mais les mammifères deviennent les champions phylogé- nétiques de l'organisation faciale.

Les chiens pour se présenter doivent renifler l'odeur de la glande anale qui les caractérise. Une signature olfactive en quelque sorte. Les humains, pour éviter cette manœuvre, préfèrent nommer leur sexe, puis se nommer eux-mêmes pour se hiérarchiser : « Monsieur Machin, maître-nageur ». Ce qui veut dire en termes phylogéné- tiques que, évoluant vers le mammifère et l'homme, le visage concentre désormais l'essentiel de nos canaux de communication. La preuve c'est que, lorsqu'on parle avec les mains, on agite les mains autour de son visage et non pas dans son dos.

Les chromosomes, les organes sensoriels et le cerveau constituent quelques-uns des filtres de notre appareil à percevoir les visages. Et lorsque notre cerveau marche mal, pour cause lésionnelle (tumeur postérieure droite)11 ou fonctionnelle (démence, schizophrénie), on ne sait plus re-connaître les visages. On garde en mémoire le sentiment de familiarité de ce visage perçu, maus on ne sait plus faire le travail neurologique de la reconnaissance d'un visage. Alors on dit en se regardant dans le miroir : « Je la connais cette dame, c'est ma voisine », ou bien on fait comme Freud qui, ne se reconnaissant plus d'emblée dans le miroir de

11 Olivier S a c h s : L ' h o m m e q u i

p r e n a i t s a f e m m e p o u r u n cha-

p e a u , Seuil , 1988 .

Le v i sage e n v i s a g é son wagon-lit, est obligé de faire le détour analytique (ce qui est bien normal pour lui). Le cahot du train ouvre la porte du cabinet de toilette et Freud perçoit, voit, un vieux monsieur dans son wagon-lit. Il se demande ce que peut bien vouloir ce vieux monsieur qu'il ne reconnaît pas et qui pourtant lui semble à la fois bizarre et familier. « L'in- quiétante étrangeté. » Freud doit alors détailler le mon- sieur et reconnaître sa propre robe de chambre et sa propre p i p e a v a n t d e r e c o n n a î t r e s o n p r o p r e v i s a g e 1 2 .

C e t t e m a n i è r e d ' u t i l i s e r s o n c e r v e a u p o u r r e c o n n a î t r e

s o n v i s a g e e s t d é m o n t é e p a r R a y m o n d B r u y e r q u i d ' e m b l é e

p l a c e l a p e r c e p t i o n d u v i s a g e d a n s l a « r e p r é s e n t a t i o n » ,

a u c o e u r d e c e t t e p s y c h o l o g i e c o g n i t i v e q u i f a i t t a n t p a r l e r

d ' e l l e a u j o u r d ' h u i . L ' e x p r e s s i o n « t o u s l e s N o i r s s e r e s -

s e m b l e n t » l u i d o n n e r a i s o n , q u a n d à p a r t i r d e d e u x o u

t r o i s i n d i c e s p e r ç u s o n s y n t h é t i s e l e v i s a g e d e l ' h o m m e n o i r .

L ' e x p r e s s i o n l a c a n i e n n e , « l e p è r e n a î t d a n s l a r e p r é -

s e n t a t i o n » , p o u r r a i t a u s s i s ' i n s c r i r e d a n s c e r a i s o n n e m e n t ,

q u a n d , v e r s l e s i x i è m e m o i s , l a m a t u r a t i o n c é r é b r a l e p e r m e t

a u b é b é d e d i f f é r e n c i e r d e u x v i s a g e s . L ' i n d i c e « a u t r e -

v i s a g e » , r é e l l e m e n t p e r ç u , o f f r e l ' é t i n c e l l e q u i a l l u m e l a

r e p r é s e n t a t i o n . R a y m o n d B r u y e r p r o p o s e m ê m e d ' e n f a i r e

u n m o d è l e a n a l o g i q u e a v e c l e s m o t s . I l a p p e l l e ç a l e « l o g o -

g è n e d ' e n t r é e » .

C ' e s t u n f a i t q u ' u n m o t n ' e s t p a s u n o b j e t s o n o r e . A p e i n e

p e r ç u n e u r o - s e n s o r i e l l e m e n t , l e m o t a l l u m e l a r e p r é s e n -

t a t i o n d e c e à q u o i i l r é f è r e . O n n ' e n t e n d p a s u n e s o n o r i t é

v e r b a l e , o n p e r ç o i t , o n s e r e p r é s e n t e d ' e m b l é e , d a n s l a

f u l g u r a n c e s e n s o r i e l l e d e l ' i n s t a n t , l ' i m a g e , l ' o b j e t , l ' é m o -

t i o n , l ' i d é e p a r l é e p a r l e m o t . L e m o t r e d e v i e n t o b j e t s o n o r e

q u a n d o n n e c o m p r e n d p a s l a l a n g u e , o u q u a n d o n e s t t r o p

m é l a n c o l i q u e o u t r o p s c h i z o p h r è n e p o u r d o n n e r s e n s à c e t t e

p e r c e p t i o n s o n o r e . I l f a u t a l o r s f a i r e l e d é t o u r a n a l y t i q u e

p a r l e d é t a i l s i g n i f i a n t q u i p o u r r a i t b i e n d o n n e r s e n s à c e t t e

s o n o r i t é o r a l e . I l f a u t s c r u t e r l e v i s a g e , l e s m a i n s , l e s p o s -

t u r e s o u l ' i n t o n a t i o n p o u r s u p p l é e r a u m a n q u e d e p e r c e p t i o n

f u l g u r a n t e , c o m p r é h e n s i o n d ' e m b l é e .

C ' e s t t r è s m y s t é r i e u x q u ' u n b é b é p u i s s e d è s s a n a i s s a n c e

réagir à une gestalt-visage13. Il réagit bien aux phéno- mènes, aux morceaux de paroles perçus au cours de sa vie utérine. Il est donc compétent avant toute expérience sensible, comme nous l'avaient appris les petits macaques et Rambo. La manière dont Jean-Claude Rouchouse observe les mimiques faciales des nourrissons est typi- quement éthologique. Le visage est analysé par une micros-

1 ? J a c q u e s P o è t e ) : « L e s

t r o u b l e s d e la r e c o n n a i s s a n c e

spécu la i r e d e soi a u c o u r s d e s

d é m e n c e s t a r d i v e s » , i n

J a c q u e s C o r r a z e : I m a g e mpé-

cu la l re d u c o r p s , p r iva t , 1980 .

13 A h r e n . , 1954 , e t A m b r o s e ,

1 9 6 1 , ln I r e n a i i s E i b l - E i b e s -

fe ld t : E tho log ie : b io log ie d u

c o m p o r t e m e n t , E x p a n s i o n

sc ien t i f ique , Paris , 1972 .

Le v i s a g e e n v i s a g é copie comportementale en 148 unités dont 83 pour les mimiques. Cet alphabet comportemental permet une des- cription structurale très fine d'éléments isolés ou assemblés. Ces « mots » faciaux possèdent une fonction qui permet la synchronisation de deux personnes qui se communiquent des sourires, des pleurs et des fâcheries, réalisant ainsi un duo visagier, exprimé par des praxèmes, sortes de verbes d'acte du visage.

La mise en place de ce mode de communication est pro- gressive, soumise à la double contrainte de la maturation biologique et des pressions du milieu. Ainsi, la mise en place du regard connaît une longue histoire, analogue à celle du miroir. L'autre dans ce cas n'est pas un objet fabriqué mais une personne regardante. Cette danse des regards est une saga étonnante qui révèle à quel point le bébé est un partenaire actif cherchant le regard en le regar- dant. C'est lui qui interrompt 94 % des interactions de regard. L'insconscient maternel interprète cette perception pour s'y adapter par un comportement tel qu'un chan- gement de posture, un sourire ou une vocalisation. La mère donne aussi un sens à cet événement à peine émergé du biologique et explique l'étonnante fonction sémiotique de la contraction des commissures labiales appelée « sourire ».

Visage et parole sont extrêmement liés malgré l'apparent clivage des cerveaux de communication : la parole par l'oreille et le visage par l'œil. Les mimiques faciales par- ticipent à la constitution du sens qu'on donne à un discours. Quand Pierre Feyereisen et Jacques-Dominique de Lannoy observent des personnes en conversation, ils notent une série d'actions très complexes et coordonnées autour du flux parolier : celui qui écoute regarde celui qui parle, qui regarde à peine celui qui écoute. Il est un fait qu'on ne peut pas couper la parole à quelqu'un qui vous parle sans vous regarder. Il faut profiter d'un bref coup d'œil de sa part pour vite lui signifier par un geste de la main ou une aspiration d'air que vous vous apprêtez à lui prendre la parole. Si le locuteur ne vous laisse pas prendre la parole, il ne vous reste qu'à parler plus fort que lui. Il en résulte une cacophonie que l'autre auditeur, présent mais muet, l'auditeur idéal, ne pourra pas entendre.

L'éthologie du quotidien montre que lorsqu'on bavarde on s'adresse souvent à un tiers imaginaire et que les per- ceptions du visage de l'auditeur modifient le cours de la pensée du locuteur, révélant à quel point la parole est une coproduction. En inventant le divan, Freud a proposé une

Le v i sage e n v i s a g é autre biologie de la parole, moins interactive, moins sou- mise à la présence réelle de l'autre et travaillant plus comme une activité auto-centrée.

La sémiologie imaginaire qui a longtemps imprégné la psychiatrie nous demandait de croire qu'un type de mimique pouvait référer à un type de maladie mentale. On a décrit l'oméga des sourcils mélancoliques, le menton en l'air des paranoïaques, l'inaccessibilité du regard des schizophrènes. Sur de terribles photos, on peut voir le grand Babinski tendre une assiette à un aliéné à hauteur de la bouche. Le malade avance donc la tête au lieu de tendre la main, et le grand neurologue en conclut que la maladie mentale fait réapparaître des comportements animaux. Cette obser- vation provoquée se fondait sur une théorie très xixe siècle, selon laquelle la culture servirait surtout à étouffer la nature. Freud n'a pas échappé à cette théorie, lui qui pen- sait qu'il fallait des lois pour lutter contre nos « penchants instinctifs », comme l'inceste, et des règles pour combattre « l'animalité qui reste en nous ».

Pourtant, la plupart des diagnostics psychiatriques sont posés dès les premières minutes de la rencontre. Ils repo- sent sur les signaux non verbaux émis par le malade. L'en- tretien ne sert qu'à renforcer cette impression. S'agit-il de diagnostics ou d'adjectifs qui qualifient l'impression que fait un malade sur son psychiatre ?

Les malades commettent un certain nombre d'erreurs dans le décodage de l'expression faciale des émotions. Cer- tains confondent l'expression du bonheur avec l'expression de la surprise (comme le feraient certainement de nombreux lecteurs !). Les mimiques faciales, les actes du visage, constituent un alphabet communiquant parfois altéré par une lésion située sur le trajet neurologique du traitement de l'information. Les patients dont le cerveau droit est altéré se trompent sur le décodage des mimiques faciales plus souvent que ceux dont le cerveau gauche est altéré, car le cerveau droit traite plus l'émotion et le cerveau gauche plus le détail.

Le traitement de la perception d'un visage peut être altéré par une lésion neurologique autant que par un acci- dent maxillo-facial. Yolande Jung-Nafziger, dans une étude très scientifique inspirée par le style rigoureux de Paul Ekman et Jacques Cosnier, nous démontre à quel point le chirurgien a besoin de mesures pour réparer une face, mais que ces mesures faciales sont nécessaires et insuf- fisantes. Un visage c'est beaucoup plus qu'une face ! Le

Le v i s a g e e n v i s a g é sentiment de beauté que fait naître un visage n'est pas explicable sur un papier millimétré. Ce n'est pas le visage le mieux dessiné qui crée le sentiment de beauté, c'est le mieux personnalisé. Une petite erreur de mesure est donc nécessaire, un nez un peu trop grand, un œil un peu asy- métrique, facilitent ce sentiment. Mais le chirugien, lui, travaille dans la mesure. Il doit réparer le visage pour que le blessé se refasse une image de lui-même et apprenne à nouveau à se prescrire dans la relation. Un grand nombre de prouesses chirurgicales maxillo-faciales mènent à un sentiment d'échec, et certaines interventions ratées pour le chirurgien comblent de bonheur l'opéré.

Ces échecs réussis posent un problème fondamentale- ment humain. Si l'homme fonctionnait de manière purement mécanique, il suffirait de faradiser quelques muscles faciaux pour sculpter une mimique et déclencher une émotion chez l'observateur de cette mimique. C'est un peu ce qui se passait quand Duchenne en 1862 déclenchait des mimiques par stimulation électrique. L'observateur ne pouvait pas ne pas éprouver d'émotion devant cette curieuse expression faciale. Mais l'émetteur de la mimique, lui, n'éprouvait pas du tout l'émotion exprimée par son visage. Monique de Bonis se sert de cette expérience pour poser le problème du mensonge. J'ai vu des oiseaux « mentir » en simulant une aile brisée pour attirer sur eux le prédateur, tandis que la femelle entraînait les petits dans une cache. J'ai vu un chimpanzé « mentir » : il venait de casser l'appareil photo de l'éthologue, et devant sa colère il s'est empressé de détourner l'agressivité du scientifique en désignant par ses gestes et par ses cris une femelle qui passait par là. Mais, incontestablement, le virtuose phylogénétique du mensonge, c'est l'homme. La parole peut désigner quelque chose qui n'est pas là : c'est déjà un pré-mensonge. C'est en tout cas une condition qui nous oblige à la croyance. Mais pour que nous puissions croire le parleur, il faut que l'expression de son émotion soit congruente avec ce qu'il dit. Même si le signifié n'est pas là, il faut que le signifiant, lui, soit présent et cohérent. Sinon, le parleur communique une sensation de mensonge. On peut donc concevoir l'ob- servation directe d'un acte menteur.

Depuis longtemps, on espère le capteur technique, précis et non émotif, qui percevrait le signe du mensonge. L'ana- tomisme du xixe siècle a permis de dire que « le grand zygomatique était responsable du sourire menteur » » (Duchenne), Monique de Bonis propose une réflexion cri-

Parus aux éd i t ions Eshel

L 'exploi tat ion sexuel le des enfan t s , par Judith Ennew. L'auteur enseigne l'anthropologie sociale à Cambridge, où elle dirige une recherche sur les aspects sociaux de l'en- fance.

La famille, c o m m e n t en r é c h a p p e r ? par Robin Skyn- ner, psychiatre psychothérapeute, et John Cleese, acteur et réalisateur de cinéma (il est l'un des « Monty Python »). Le livre est un dialogue entre les deux auteurs à propos des relations au sein de la famille.

L ' ado lescence s a n s pe ine : p rob lèmes , exerc ices e t so lu t ions , par Peter Bruggen, psychiatre, et Charles O'Brien, enseignant et travailleur social. Conçu comme un manuel, ce livre est destiné aux parents, à tous ceux qui ont à s'occuper d'adolescents et aux adolescents eux- mêmes.

« Dis, c ' e s t quoi q u a n d on e s t m o r t ? »... l ' idée de la m o r t c h e z l ' enfant , par Richard Lonetto. Cet ouvrage traite des premières rencontres de l'enfant avec la mort, de l'influence de ses conceptions de la mort sur son déve- loppement, des modes de relation entre l'enfant et la mort en fonction de son évolution physiologique, sociale, cogni- tive et émotionnelle. Deux cents dessins d'enfants sont

présentés et analysés.

Les â g e s d e l ' h o m m e . Emile Noël s'entretient avec A. Barois, B. Christoforov, F. Forette, R. Frydman, B. Marbeau-Cleirens, A.D. Nenna, R. Perelman, J.R. Robert, L.V. Thomas. Des notes et des commentaires établis par Christine Briois, médecin elle aussi, complètent ces dis- cussions diffusées sur France Culture à partir du 29 mars 1988.

L'origine de la vie... le s cep t i que e t le gourou, par Robert Shapiro. L'auteur démontre que, parmi les réponses avancées à l'énigme de l'apparition de la vie sur Terre, certaines, pourtant réputées scientifiques, continuent de s'appuyer sur des prémisses qui les font réellement sombrer dans l'univers de la « biomythologie ».

P e n s e r , a p p r e n d r e : la c o g n i t i o n d e l ' en fan t , les t r o u b l e s d e l ' a p p r e n t i s s a g e , la pr i se en c h a r g e , compte rendu du VIe Colloque de Bobigny, juin 1987, sous la direction de Philippe Mazet et Serge Lebovici.

A para î t re en 1988

Psychia t r ie du b é b é : nouvel les f ront ières , compte r e n d u d e s i n t e r v e n t i o n s l e s p l u s s i g n i f i c a t i v e s d u I l l e

congrès mondial de psychiatrie de l'enfant et des disciplines affiliées, Stockholm, 1986, sous la direction de Bertrand Cramer.