le viol en temps de guerre : enjeu de sécurité...

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1 Le viol en temps de guerre : enjeu de sécurité internationale Le viol en temps de guerre : instrument génocidaire, partie intégrante de la purification ethnique ou banalité des conflits ? Etude de cas : la Bosnie Herzégovine. Travail réalisé par Lauren Tatard Code cours – Stratégie et sécurité internationale Michel Liégeois 2015/2016 Master en Sciences Politiques Relations Internationales à finalité Diplomatie et résolution des conflits Références portfolio : n°8 Adresse html : http://tinyurl.com/jnm3cwm (voir point 2.3. du vade mecum portfolio) Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication (ESPO) Ecole des Sciences Politiques et Sociales (PSAD)

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Le viol en temps de guerre : enjeu de sécurité internationale Le viol en temps de guerre : instrument génocidaire, partie intégrante de la purification ethnique ou banalité des

conflits ? Etude de cas : la Bosnie Herzégovine.

Travail réalisé par Lauren Tatard

Code cours – Stratégie et sécurité internationale

Michel Liégeois

2015/2016

Master en Sciences Politiques Relations Internationales à finalité Diplomatie et résolution des conflits

Références portfolio : n°8 Adresse html : http://tinyurl.com/jnm3cwm (voir point 2.3. du vade mecum portfolio)

Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication (ESPO) Ecole des Sciences Politiques et Sociales (PSAD)

2

Table des Matières

Introduction...................................................................................................................3

Partie I : De la stratégie du viol en temps de guerre : un vecteur d’intentions

politiques ou « banalité de la guerre » ?.......................................................................4

Stratégies militaires serbes : acteurs, objectifs, moyens et méthodes…....….….…....4

Viols de guerre : la systématisation des actes d’une stratégie expansionniste............6

Dynamiques d’altérisation et d’atteinte à l’intégrité humaine : de la destruction

identitaire......................................................................................................................8

Le viol : un symbole patriarcal dans la guerre.............................................................9

Partie II : Sécurité internationale : aspect humanitaire et développement d’un cadre

législatif.......................................................................................................................10

Mécanique onusienne et « Communauté internationale » : entre volonté d’agir et

remises en question.....................................................................................................11

Les évolutions du cadre législatif : des discordances entre l’échelle nationale et

internationale..............................................................................................................14

Humanitaire : vers une meilleure gestion et prévention des viols de guerre.............17

Conclusion..................................................................................................................20

Bibliographie..............................................................................................................23

Annexes.......................................................................................................................26

3

Le conflit en Bosnie Herzégovine, qui s’est officiellement déroulé de 1992 à 1995 a

pour particularité majeure d’être composé de deux dynamiques : « Il s’agit d’une

guerre d’invasion entre nations distinctes reconnues internationalement (...) mais il

s’agit aussi d’une guerre de répression intérieure. »1

Au cours de notre analyse, nous mettrons en lumière différents aspects, à la fois

relatifs à la stratégie serbe - combinant des mécanismes propres au génocide mais

également, au nettoyage ethnique - ainsi qu’à l’importance d’une stratégie sécuritaire

internationale concernant la gestion et la prévention de la mobilisation du viol

comme arme de guerre. A ce titre, il est essentiel de distinguer le génocide de la

purification ethnique. Rappelons que par génocide, nous entendons le « massacre en

masse d’une population, ayant au sens exact pour objectif son élimination totale pour

des motifs ethniques, culturels ou religieux en particulier. »2 En revanche, le terme

de purification ethnique « ne vise en général pas l’élimination totale d’une ethnie ou

d’une population, mais simplement son déplacement par la terreur vers un autre

lieu. »3 Comme le souligne Cornélia Sorabji au sein de son article intitulé « Une

guerre très moderne »4, « La purification ethnique « est » interdisciplinaire ; elle met

en œuvre des méthodes militaires, politiques, diplomatiques et psychologiques, et

utilise toute une série d’instruments y compris les médias, la diplomatie

internationale, les organisations caritatives et les soldats de l’Organisation des

Nations Unies (ONU) pour expulser les populations bannies des régions visées. »5

Dans un premier temps, nous adopterons une approche centrée sur la doctrine, dans

le cadre d’une stratégie d’analyse normative. En effet, nous analyserons les tactiques

de guerre serbes et notamment le viol comme stratégie de guerre, de par la

systématisation de l’acte ainsi que par le biais de son symbolisme patriarcal visant la

destruction identitaire. Dans un second temps, nous adopterons une approche

analytique afin de souligner l’aspect sécuritaire du conflit. Cela nous permettra de

mettre en exergue les tactiques de la « communauté internationale » ainsi que les

1 NAHOUM-GRAPPE Véronique, Vukovar, Sarajevo... : la guerre en ex-Yougoslavie, Paris, Esprit, 1993, p. 52. 2 BADIE Bertrand, BIRNBAUM Pierre, BRAUD Philippe, HERMET Guy, Dictionnaire de la science politique et des institutions politiques, Paris, Armand Colin, 2010, 7me édition, p. 128. 3 Ibid., p. 124. 4 SORABJI Cornélia, « Une guerre très moderne », Terrain [En ligne], 23 | 1994, URL : http://terrain.revues.org/3107 ; DOI : 10.4000/terrain.3107 5 Ibid., p. 4.

4

aspects juridiques liés au conflit, concernant notamment la mise en place de

juridictions internationales destinées à juger les crimes commis en Bosnie. Enfin,

nous nous focaliserons sur les aspects humanitaires du conflit, qui font partie

intégrante de la question stratégique.

Nous insisterons sur le fait qu’une stratégie internationale en temps de conflit ne

repose pas uniquement sur les aspects politiques et militaires, étant donné

l’importance des dimensions psychologiques et humanitaires, qui sont à considérer

comme constitutives du processus de sécurisation.

Partie I : De la stratégie du viol en temps de guerre : un vecteur d’intentions

politiques ou « banalité de la guerre » ?

a) Stratégies militaires serbes : acteurs, objectifs, moyens et méthodes

En avril 1992, la situation dégénère en Bosnie Herzégovine avec la présence de

milices « Bosno-Serbes » dirigées par Radovan Karadzic et Ratko Mladic et

soutenues par le pouvoir de Slobodan Milosevic. Ces milices reçoivent l’appui du

pouvoir en place, tout comme l’appareil militaro-policier serbe - « toujours aidé par

la logistique fédérale »6 - et constituent des forces paramilitaires. Par ailleurs, ces

acteurs ont recours à un éventail de tactiques diverses en ce qui concerne les

méthodes qu’ils mobilisent.

En effet, les stratégies de guerre serbes desservent principalement un objectif

fondamental, à savoir l’imposition d’une ethnie dominante sur un territoire

déterminé, par le biais de pratiques liées à la purification ethnique. Ces dernières

reposent sur plusieurs moyens et ressources qui permettent de mettre en œuvre une

mécanique intrinsèquement barbare.

Dès les prémisses du conflit, les troupes serbes affichent une relative supériorité

militaire, notamment due au soutien de Slobodan Milosevic, en termes matériel,

financier et idéologique. Malgré les mesures mises en place par les puissances

étrangères, les troupes serbes ne « souffrent nullement de l’embargo sur les armes à

destination de l’Ex-Yougoslavie imposé (...) par la Conférence sur la sécurité et la

6 NAHOUM-GRAPPE Véronique, Op.Cit., p. 56.

5

coopération en Europe (CSCE), le 4 septembre 1991, et par le Conseil de sécurité de

l’ONU, le 25 septembre (résolution 713). »7

On constate que le répertoire d’action des troupes serbes s’articule autour de

plusieurs dimensions associées. Premièrement, en termes politiques, leurs actions se

concentrent autour de stratégies visant à mettre en place un territoire serbe homogène

sur la base de tactiques liées à la purification ethnique. A cet égard, les troupes serbes

ont notamment recours à des pratiques visant à détériorer les conditions de vie des

populations civiles non serbes : « A Sarajevo, en effet, l’Armée populaire yougoslave

a, depuis le début du siège, coupé l’eau et l’électricité ; elle ne laisse entrer ni vivres

ni médicaments, ni combustibles ni produits de base permettant de maintenir une

certaine hygiène. »8 Ici, l’objectif est l’instauration d’un climat d’insécurité

permanent.

Deuxièmement, on constate qu’en termes militaires, les troupes serbes mobilisent un

éventail d’actions qui vont du viol à la déportation de personnes, en passant par

d’anciennes stratégies de guerre comme la tactique de la « terre brûlée » et l’incendie

des villages bosniaques. Il existe par ailleurs des « camps-bordels » à savoir, un type

de camp qui « n’avait jusqu’à présent existé qu’en Allemagne nazie (...) à l’intérieur

de la stratégie de guerre. »9 Ici, le but ultime est la destruction identitaire sur

plusieurs générations.

Troisièmement, en termes opérationnels, les troupes serbes appliquent des tactiques

visant à mettre en échec les efforts déployés par les Etats intervenants mais

également par les organisations internationales. « La mission de paix de l’ONU

(Force de Protection des Nations Unies, FORPRONU) a été attaquée à plusieurs

reprises. (...) un de ses convois, traversant le territoire a été bloqué par les troupes

serbes. Les soldats ont été désarmés, détenus, et, plus tard, maltraités. (...) Le 2 Juin,

un convoi de la FORPRONU, qui ouvrait la route à l’aide humanitaire destinée aux

7 LE PAUTREMAT Pascal, « La Bosnie-Herzégovine en guerre (1991-1995) : au cœur de l'Europe », Guerres mondiales et conflits contemporains 2009/1 (n° 233), p. 67-81. DOI 10.3917/gmcc.233.0067, p. 70. 8 NAHOU-GRAPPE Véronique, Op. Cit., Vukovar, Sarajevo (...), p. 25. 9 BOUCHET Paul, Le Nouvel Observateur, Reporters sans frontières, Le livre noir de l’ex-Yougoslavie : purification ethnique et crimes de guerre, Paris, Arléa, 1993, p. 423

6

enfants de Dobrinja, a été attaqué par les extrémistes serbes. »10 Mais, au cœur de la

stratégie serbe, se situent principalement les viols de guerre, dont il est essentiel de

souligner les aspects stratégiques.

b) Viols de guerre : la systématisation des actes d’une stratégie

expansionniste

La guerre en Bosnie Herzégovine vient mettre en lumière un aspect qui n’est pas

novateur au sein des conflits : les viols de guerre. A ce sujet, certains s’interrogent

sur la réelle nature de ces viols : sont-ils des conséquences « obligatoires » des

conflits ou bien s’inscrivent-ils dans une véritable stratégie de guerre ? Au sein de

son article intitulé « La purification ethnique et les viols systématiques. Ex-

Yougoslavie 1991-1995 »11, Véronique Nahoum-Grappe souligne le caractère

systématique des viols ainsi que le fait qu’ils soient pratiquement toujours effectués

en public ou au sein de la famille de la victime. Le caractère systématique des viols

implique qu’ils s’inscrivent dans ce que l’on nomme une « stratégie expansionniste »

de guerre, selon les termes du rapport de l’Unesco, « Le viol comme arme de

guerre »12.

La stratégie du viol comme arme de guerre permet une monopolisation de la terreur

de façon systématique. « Le viol ne peut être considéré comme un incident de guerre.

Il s’inscrit dans un réel dessein stratégique. »13 En Bosnie Herzégovine, le viol de

guerre revêt un caractère fondamentalement délibéré. Malheureusement, ces viols ont

tendance à s’inscrire dans le cadre de la « banalité » liée aux conflits et aux guerres.

Pourtant, ils constituent un instrument politique, ce qui permet de les distinguer des

viols commis au sein de la sphère privée. « Les viols systématiques, c’est-à-dire

inscrits comme tactique dans un projet politique (…) ne sont pas seulement une face

10 BOUCHET Paul, Op. Cit., p. 7. 11NAHOUM-GRAPPE Véronique, « La purification ethnique et les viols systématiques. Ex-Yougoslavie 1991-1995 », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [En ligne], 5 | 1997, URL : http://clio.revues.org/416 ; DOI : 10.4000/clio.416 12 « Le viol comme arme de guerre. Rapport de l'Unesco », Confluences Méditerranée 2008/1 (N°64), p. 99-104. DOI 10.3917/come.064.0099, p. 99. 13 KRIEG-PLANQUE, Purification ethnique : une formule et son histoire, Paris, CNRS, 2003, p. 69.

7

marginale et honteuse de l’action de guerre, mais ils sont inscrits au programme de

cette même guerre. »14

Ce n’est pas une tâche aisée de prouver le caractère planifié des viols, qui semblent

parfois résulter d’une « apparente désorganisation de la violence »15, ce qui

« n’implique pas nécessairement qu’il s’agisse d’actes entièrement isolés et

échappant à toute coordination »16. Il s’agit d’actes résultants d’une « organisation

jouissant d’une immunité absolue, dont les buts généraux ont été fixés par les chefs

tandis que les détails spécifiques de leur application ont été laissés à l’initiative

locale. »17

Si l’on ne perçoit pas réellement ce caractère ordonné qui définit le viol de guerre

comme une arme systématique, inscrite au sein d’une stratégie expansionniste, c’est

notamment à cause des mémoires liées à notre histoire européenne. En effet, les

souvenirs de la barbarie de l’Allemagne nazie ont marqué les esprits. Il devient

complexe de mentionner les systèmes concentrationnaires sans que le discours ne

fasse involontairement référence au système nazi. Outre les différences entre les

deux exemples, nous pouvons également constater de réelles similitudes entre

l’organisation du système concentrationnaire allemand pendant la seconde Guerre

Mondiale et l’organisation de la violence en Bosnie. « Le cas bosniaque apparaît

donc relativement non bureaucratisé et décentralisé mais la question demeure de

savoir si ce désordre (...) implique un manque d’organisation ou simplement une

organisation d’un type différent s’inscrivant sur un fond politique, historique et

culturel différent. »18 Il n’en résulte pas moins que le résultat souhaité est double : à

la fois celui de l’extermination, suivant des logiques génocidaires mais également

celui de la terreur, suivant des stratégies de purification ethnique. « Les viols ne sont

pas seulement le résultat de pulsions masculines : ils appartiennent à un système, et

ce système est celui de l’extermination. »19 C’est donc un véritable mécanisme de

guerre.

14 NAHOUM-GRAPPE Véronique, Op. Cit., « La purification ethnique et les viols systématiques (...)», p.3. 15 SORABJI Cornélia, Op. Cit., p. 6. 16 Ibid., p. 6. 17 Ibid., p. 6.18 Ibid., pp. 5-6. 19 KRIEG-PLANQUE Alice, Op. Cit., p. 74.

8

c) Dynamiques d’altérisation et d’atteinte à l’intégrité humaine : de la

destruction identitaire

Le viol comme arme de guerre répond dans un premier temps à une logique

d’atteinte à l’intégrité humaine. « Les viols systématiques démontrent que l’on peut

utiliser la sexualité comme torture ce qui constitue une atteinte à l’intégrité de la

personne, mais aussi une atteinte à la sexualité humaine. »20

Ces viols sont non seulement commis sur des femmes, mais également sur des jeunes

filles voire des enfants. Certains témoignages décrivent ainsi comment des enfants de

cinq ans sont violées sous les yeux de leur famille. Ces viols revêtent un caractère

théâtralisé qui vient appuyer la théorie selon laquelle ils ne sont pas de

simples conséquences de la guerre. « Les viols (...) sont « pratiqués autant pour

propager la « race » serbe que pour détériorer infiniment l’Autre. »21

Dans un second temps, les viols de guerre cherchent à provoquer la dissolution d’un

groupe ethnique : c’est une arme psychologique et génétique. On touche ainsi au

principe d’identité des victimes et par extension, à leur communauté. « Les viols ont

simplement pour fonction de répandre la peur dans la population pour la contraindre

au départ, et obtenir ainsi un territoire ethniquement homogène. »22

Les femmes victimes de viols sont non seulement humiliées, mais elles doivent

également porter le fardeau du traumatisme lié au viol qui se traduit bien souvent par

une grossesse non désirée. « Ces viols systématiques ne procèdent pas seulement

d’une volonté d’humilier des femmes mais de la volonté de faire porter à une femme

un enfant qui serait étranger à sa religion et à son sang. »23 L’acte de viol envers les

femmes n’est pas anodin : elles sont les cibles privilégiées du viol, et ce parce

qu’elles sont essentielles à la perpétuation d’une communauté. Les femmes « ne sont

pas des cibles uniquement parce qu’elles « appartiennent à » l’ennemi mais aussi

20 NAHOUM-GRAPPE Véronique, Op. Cit., « La purification ethnique et les viols systématiques (...)», p. 3. 21 KRIEG-PLANQUE Alice, Op. Cit., p. 83.22Ibid., p. 77. 23 Ibid., p. 81.

9

parce qu’elles assurent le fonctionnement de la société civile et qu’elles sont

essentielles à sa continuité. »24

L’enfant qui va naître est perçu comme « l’enfant du barbare »25 Au-delà de

l’humiliation, la stratégie s’inscrit dans une optique sadique où les serbes cherchent à

casser le processus de descendance bosniaque. « Le comble du sadisme consiste à les

contraindre à mettre au monde les enfants issus de leur martyre. »26

Ainsi, les pratiques serbes visant les femmes bosniaques et surtout de confession

musulmane, mettent ces dernières en contradiction avec les valeurs morales et

communautaires parfois liées à leur religion, ce qui conduit à la stigmatisation voire

à l’exclusion de ces dernières. « Cela signifie également un conflit avec leur

éducation traditionnelle où leurs rapports avec les hommes sont considérés comme

un péché. »27 Certaines femmes préfèrent d’ailleurs tuer l’enfant à la naissance ou se

suicider.

« Les Serbes détruiraient ainsi la communauté bosniaque de l’intérieur, en

l’obligeant à enfanter elle-même symboliquement ses propres assassins. »28

Nous touchons ici à la singularité de la guerre en Bosnie : le viol y est employé à la

fois comme arme de destruction identitaire et donc génocidaire et comme stratégie de

purification ethnique. La stratégie vise à « détruire à jamais le tissu social de la

culture nationale bosniaque. »29

d) Le viol : un symbole patriarcal dans la guerre

En tant qu’arme de guerre, le viol ne constitue pas seulement un instrument d’une

stratégie de génocide et de purification ethnique. Il constitue également le vecteur

d’un message patriarcal dans la guerre. « Les viols de guerre participent toujours

pour une part à la stratégie de démoralisation de l’adversaire (...) et participent à

24 MASSON Sabine, « Le viol en temps de guerre: crime ou bavure ? Avancées et résistances de la condamnation du viol contre les femmes », Nouvelles Questions Féministes, Vol. 20, No. 3, FÉMINISMES D'AMÉRIQUE LATINE ET DES CARAÏBES (1999 AOÛT), pp. 63-80, URL: http://www.jstor.org/stable/40619713, p. 70. 25 KRIEG-PLANQUE Alice, Op. Cit., p.74. 26 Ibid., p. 80.27 BOUCHET Paul, Op. Cit., p. 444. 28 KRIEG-PLANQUE, Op. Cit., p. 79.29 Ibid., p. 77.

10

l’affirmation symbolique de la domination du vainqueur sur le vaincu. »30 On

cherche ainsi à démoraliser l’adversaire mais aussi à terrifier une communauté : dans

notre cas, c’est le point culminant de la démonstration du pouvoir serbe. Au sein du

rapport de l’organisation féministe croate Tresnjevka, on souligne la portée

symbolique de la stratégie du viol en temps de guerre en tant que message adressé à

l’ennemi : « Chaque femme devient un cible (...) la soumettre sexuellement est un

moyen de combattre l’ennemi. »31

Au sein d’une armée ou d’un groupe d’une autre nature, les viols ont également une

fonction de cohésion des membres et participent ainsi à l’ « affirmation de la

solidarité collective. »32 Le viol en temps de guerre doit donc être envisagé à la fois

comme un message à l’adversaire mais également comme une stratégie de cohésion

entre les membres du groupe qui perpétuent ces viols. C’est une « expression brutale

du pouvoir primitifs des guerriers patriarcaux sur leurs victimes déchues »33 qui doit

être comprises comme un « dialogue entre adversaires mâles, dialogue dans lequel la

victime du viol sert en même temps à transmettre le message de l’adversaire le plus

puissant, à savoir qu’il a conquis non seulement un territoire mais a également détruit

l’expression symbolique de la puissance du vaincu, à savoir l’honneur. »34

A cette stratégie de guerre, quelles réponses apporter et surtout, quel encadrement

législatif peut-on juger comme étant approprié ?

Partie II : Sécurité internationale : aspect humanitaire et développement d’un

cadre législatif

« Broadly speaking, it is possible to distinguish between two types of security

philosophy that have guided interventions in the Balkans. One has been the

traditional geo-political approach, in which security is understood as the defense of

territory. The geo-political approach tends to be top-down, using diplomatic,

economic and military pressure to influence political leaders and warring parties. The

other approach is cosmopolitan in which security is understood as the defense of

individual human beings. This approach is bottom-up; the emphasis is on the respect

30 Ibid., p. 71. 31 BOUCHET Paul, Op. Cit, p. 423. 32 KRIEG-PLANQUE, Op. Cit., p. 71. 33 BOUCHET Paul, Op. Cit., p. 441. 34 Ibid., p. 441.

11

for human rights, support for civil society, economic assistance and regional

cooperation. Top-down approaches, of course, remain important, but they are shaped

by bottom-up priorities. »35

a) Mécanique onusienne et « Communauté internationale » : entre volonté

d’agir et remises en question

« International intervention in the Yugoslav wars had four frequently overlapping

dimensions: diplomacy, recognition, humanitarian action, and coercion. »36 Lorsque

l’on évoque la guerre en Bosnie Herzégovine mais également la FORPRONU et la

Mission des Nations Unies en Bosnie Herzégovine (MINUBH) de 1995, c’est la

notion d’échec qui émerge principalement. Malgré les tentatives de canalisation puis

de résolution de conflit, ainsi que la mise en place de projets de soutien psychosocial,

la communauté internationale a montré des difficultés dans la gestion d’une crise

entachée par l’indécision politique. Pourtant, en termes opérationnels, les initiatives

ne manquent pas.

Par exemple, en 1995, le Pentagone met en place le programme « Train and Equip »,

« convaincu qu’un équilibre militaire entre les forces en présence pourra préserver la

paix et désengager les troupes de l’OTAN. »37 Mais les activités de la mécanique

onusienne, censées refléter la cohésion étatique internationale, sont bien souvent

dénoncées comme reposant sur un flou institutionnel conséquent, ainsi que sur un

cadre législatif opaque. On reproche bien souvent à l’ONU d’être trop focalisée sur

un rôle de médiateur. Quant aux stratégies de l’ Organisation du Traité de

l’Atlantique Nord (OTAN), elles sont généralement dénoncées comme étant

« contre-productives ». A cela se greffent les intérêts géopolitiques des Etats. En

effet, l’Arabie Saoudite et l’Iran font partie des pays ayant fourni des aides

matérielles et financières à la Bosnie, ce qui leur a permis de s’assurer, dans certaines

limites, une influence dans la région. Les critiques ne tardent pas à pleuvoir.

Pour d’autres pays, c’est le manque de fermeté et de réalisme par rapport à la

situation qui est mis en exergue. C’est notamment le cas pour la France et

l’Allemagne, bien que la position française ait évolué sous Jacques Chirac, qui a 35 SIANI-DAVIES Peter, International intervention in the Balkans since 1995, London, Routledge, 2003, p. 32. 36 Ibid., p. 16. 37 LE PAUTREMAT Pascal, Op. Cit., p. 79.

12

initié une rupture en ce qui concerne les positions françaises. La dynamique est plus

coercitive et met notamment en place le 3 juin 1995, la Force de Réaction Rapide

dont la principale mission est la protection des Casques bleus de la FORPRONU.

Les nombreuses hésitations de la communauté internationale, mais également

l’absence d’une politique unifiée envers le conflit en Bosnie, sont des éléments qui

sont décrits comme ayant contribué à accroître la gravité de la situation en Bosnie.

« Les organismes de la communauté internationale se sont compromis, plus ou moins

gravement, dans l’entreprise de purification. »38 Néanmoins, notons le rôle joué par

les Etats-Unis, qui ont initié une dynamique de régularisation du conflit, notamment

par le biais des accords de Dayton. Au départ, les Etats-Unis ne se positionnaient pas

en faveur d’une intervention militaire et se montraient en faveur d’une optique non-

interventionniste, supportée par les dirigeants britanniques et français, qui craignent

notamment qu’une intervention militaire armée mette en péril la FORPRONU. Par la

suite, les Etats-Unis auront une position stratégique déterminante, bien qu’il ne

s’agisse pas d’un monopole, mais plutôt d’une suprématie ; « The Yugoslav wars

revealed the dominance of the Americans in Euro-Atlantic policy making.»

Sur le plan militaire, on ne peut passer outre la problématique liée au cadre

décisionnel de l’ONU, qui met l’accent sur la « lenteur de la chaîne de

communication qui relie les hommes sur le terrain aux structures de commandement,

perturbée par l’implication décisionnelle de hauts fonctionnaires de l’ONU (...) Les

Casques bleus sont tiraillés entre les consignes de l’ONU (...) et le désir moral et

éthique de sauver des victimes potentielles. »39 Ce manque de clarté dans les

directives officielles ainsi que la complexité d’une chaîne de commandement dont

l’efficacité est pointée du doigt, sont les principaux reproches adressés à la

mécanique onusienne en termes opérationnels.

Mais comment peut-on réellement accuser l’ONU de tous les maux, lorsque l’on sait

que cette dernière n’a pas pas les moyens opérationnels de ses ambitions, ni de

« doctrine claire sur le droit de sécession : elle ne l’autorise pas explicitement mais

l’admet si elle réussit. »40

38 SORABJI Cornélia, Op. Cit., p. 5.39 LE PAUTREMAT Pascal, Op. Cit., p. 77. 40 NAHOUM-GRAPPE Véronique, Op. Cit., Vukovar, Sarajevo (...), p. 108.

13

Globalement, on reproche à l’ONU de s’être focalisée sur l’impératif des

négociations en vue d’établir un cessez-le-feu, au détriment de mesures plus

coercitives. Tout cela en sachant que « malgré l’application de sanctions militaires et

commerciales, la communauté internationale n’a pas réussi à faire cesser ou à

empêcher que les lois de la guerre ne fussent enfreintes. »41 Les stratégies

opérationnelles internationales, comme par exemple, les régimes de sanctions, sont

également pointées du doigt à cause de leur impact limité en termes stratégiques :

« The arms embargo was of doubtful morality and the sanctions on Serbia brought

considerable suffering to the general population for limited gains. »42

Au-delà des échecs, cette « incohérence de l’internationalisme »43 qui reposent

principalement sur des « contrastes de perception du conflit »44 entraînent notamment

une méfiance envers les organisations internationales ce qui peut contribuer à

entraver l’action des puissances étrangères sur le terrain.

Malgré les intentions politiques officielles de la coalition internationale - qui

reposaient principalement sur l’élimination de la menace serbe, dans une optique de

résolution puis d’équilibrage du conflit entre les ethnies - la guerre de Bosnie met en

exergue certains reproches que l’on peut adresser aux acteurs étatiques engagés dans

le conflit. Nous pouvons notamment insister sur le fait qu’il est essentiel de combiner

« le moral et l’opérationnel, le souci de l’impératif stratégique et celui réalisme

tactique »45, aspect qui semble avoir cruellement manqué aux stratégies de la

communauté internationale sur le terrain bosniaque. Ainsi, les décisions

« n’appartenaient ni aux uns, ni aux autres, mais aux gouvernements. Or le regard de

ceux-ci était braqué moins sur les appels et les avertissements portant sur la

Yougoslavie elle-même que sur leur propre rivalité, sur les attitudes de leurs propres

bureaucracies »46 et ce, au détriment de l’observation de l’évolution du conflit en

Bosnie. « The intervening parties persisted with their initial view, despite changing

circumstances, gradually losing contact with the realities of the war. »47 Ainsi, la

41 BOUCHET Paul, Op. Cit., p. 39. 42 SIANI-DAVIES Peter, Op. Cit., p. 19. 43 ENGLE Karen, « Aux armes ! ». Droits des femmes et intervention humanitaire, Actes de la recherche en sciences sociales 2008/3 (n° 173), p. 80-97. DOI 10.3917/arss.173.0080, p. 88. 44 LE PAUTREMAT Pascal, Op. Cit., p. 76. 45 SIANI-DAVIES Peter, Op. Cit., p. 131. 46 NAHOU-GRAPPE Véronique, Op. Cit., Vukovar, Sarajevo (...), p. 84. 47 SIANI-DAVIES Peter, Op. Cit., p. 62.

14

guerre en Bosnie symbolise les différences de perceptions entre les puissances des

multiples composantes et dimensions du conflit bosniaque.

Cette focalisation sur les rivalités interétatiques et sur les dysfonctionnements d’une

bureaucratie multi-niveaux a notamment eu pour conséquence de mettre l’accent sur

des sanctions qui n’ont pas eu de réel intérêt stratégique. « As economic sanctions

and airstrikes are increasingly employed as tools of international diplomacy after the

end of the Cold War, questions are inevitably raised about their utility in bringing

about change of dictatorial and semi-dictatorial regimes. »48 Les échecs de la

communauté internationale soulignent la difficulté de cette dernière, à l’époque du

conflit, à établir des actions cohérentes, tenant compte de la superposition des

éléments opérationnels, militaires et politiques.

b) Les évolutions du cadre législatif : des discordances entre l’échelle

nationale et internationale

Le conflit en Bosnie Herzégovine a permis de mettre l’accent sur un souci de

coordination. En effet, les Casques bleus en mission sur le territoire agissent au sein

d’un bourbier décisionnel majeur, causé par le manque de coordination entre le

centre décisionnel onusien et les réalités militaires sur le terrain. Pourtant, ces réalités

évoluent.49 Le 19 février 1993, la résolution 807 apporte une modification singulière,

en autorisant les Casques bleus à faire usage de la force, lorsque leur sécurité est

menacée. Cette dernière sera notamment suivie par la résolution 808, instaurant un

tribunal pénal international, visant à juger les crimes contre l’humanité. Ce dernier

insiste sur le fait que les viols sont commis par l’ensemble des parties aux conflits,

bien que les serbes soient les premiers responsabilisés. « Le viol est devenu l’un des

éléments constitutifs du crime contre l’humanité dans le statut du TPIY. »50

A cet égard, l’ONU vient compléter le cadre législatif mis en place par le Tribunal

Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). En effet, l’ONU avait déjà déclaré

en 1992 que le viol était considéré comme crime international. Le TPIY permet de le

catégoriser en tant que crime contre l’humanité. Par la suite, la Cour Pénale

Internationale (CPI) reconnaîtra le viol comme crime de guerre. Notons l’importance 48 Ibid., p. 131. 49 Voire Annexe n°1, p. 27. 50 DEPLA Isabelle, « Les femmes et le droit (pénal) international », Clio. Femmes, Genre, Histoire [En ligne], 39 | 2014, URL : http://clio.revues.org/11918 ; DOI : 10.4000/clio.11918, p. 183.

15

des résolutions 1325 et 1820 du Conseil de Sécurité de l’ONU sur la question,

adoptées respectivement en 2000 et 2008.

La résolution 1325 consacre la question de l’égalité des sexes dans les conflits mais

aussi le rôle des femmes dans la reconstruction et les processus de paix. Elle

« souligne l’importance d’une pleine participation active des femmes, dans des

conditions d’égalité, à la prévention et au règlement des conflits ainsi qu’à

l’édification et au maintien de la paix. »51

Quant à la résolution 1820, elle vient compléter la précédente en établissant un « lien

entre la violence sexuelle en tant que tactique de guerre et les questions concernant

les femmes, la paix et la sécurité. Cette dernière renforce la résolution 1325 et

souligne que la violence sexuelle dans les conflits constitue un crime de guerre et

exige des parties à un conflit armé qu’elles prennent immédiatement des mesures

appropriées pour protéger les civils contre cette violence, entre autres en formant les

contingents et en faisant appliquer des mesures disciplinaires. »52

Le but ultime du TPIY est la mise en place d’une législation basée sur une « stratégie

d’achèvement. »53 Mais rapidement, l’instance connaît une crise de légitimité : en

effet, l’influence des intérêts étatiques vient troubler l’impartialité de ses jugements,

ce qui implique une perte de crédibilité de l’instance. « Le TPIY a été très décrié par

la presse européenne qui y voyait un écran chargé de voiler l’inaction militaire. »54

En termes de législations antérieures au conflit, notons qu’en République de Serbie,

la loi de 1986 punissant le viol dit « nationaliste » ne semble pas constituer un cadre

juridique ayant une influence contraignante sur les tactiques serbes, qui débuteront

pourtant à peine six ans plus tard. Par ailleurs, au niveau international, les

Conventions de Genève de 1949 constituaient déjà un des piliers du droit

international, visant notamment à punir les « atteintes à l’intégrité corporelle. »55

On est alors en mesure de s’interroger sur le caractère contraignant de ces

législations sur les tactiques militaires.

51 http://www.un.org/fr/peacekeeping/issues/women/wps.shtml 52 Ibid. 53 KUTNJAK IVKOVICH Sanja, HAGAN John, « La politique de punition et le siège de Sarajevo. Vers une application de la théorie du conflit à la perception d'une (in)justice internationale », Actes de la recherche en sciences sociales 2008/3 (n° 173), p. 62-79. DOI 10.3917/arss.173.0062, p. 63. 54 Ibid., p. 63.55 BOUCHET Paul, Op. Cit., p. 446.

16

En 1994, le tribunal de La Haye adopte une résolution qui définit le viol en temps de

guerre comme crime contre l’humanité, mais « cette résolution est avant tout

formelle : premièrement, elle n’est pas ratifiée par tous les pays, ensuite, de

nombreux obstacles subsistent à son application. »56 En 1998, la CPI est établie,

selon les principes du Traité de Rome. Le viol est alors qualifié d’acte criminel

constitutif de crime contre l’humanité. Certes, les juridictions internationales ont

principalement une « fonction répressive »57, néanmoins, ne serait-il pas également

pertinent de s’orienter vers des dimensions préventives ?

Bien évidemment, les juridictions internationales ne sont pas les seules à fournir un

cadre législatif. C’est également le cas de certaines organisations non

gouvernementales et humanitaires, qui publient des rapports permettant d’améliorer

les stratégies pénales et juridictionnelles. Nous pouvons notamment citer le rapport

d’Amnesty International datant de 1992, concernant les viols et sévices sexuels ou

encore le rapport, datant de la même année, de Tadeuz Mazowiecki dans lequel ce

dernier affirme que : « la purification ethnique n’est pas la conséquence de la guerre

mais bien plutôt son but. »58

Enfin, notons que la mobilisation de groupes féministes a également permis que le

viol soit reconnu comme crime de guerre tout en insistant sur la nécessité d’une

meilleure prise en charge des victimes. « Les féministes de Zagreb veulent avant tout

obtenir une chose : les femmes violées doivent, selon la Convention de Genève, être

reconnues comme réfugiées. »59

Malgré la prise de dispositions juridictionnelles, on constate rapidement la

prééminence de dysfonctionnements concernant la coordination entre les législations

nationales et internationales, deux niveaux censés fonctionner de concert.

« L’ampleur et la gravité des atrocités commises ainsi que les limites de temps et de

ressources du TPIY semblent finalement requérir l’implication du système de justice

56 MASSON Isabelle, Op. Cit., p. 65. 57 FOURCANS Claire, « La répression par les juridictions pénales internationales des violences sexuelles commises pendant les conflits armés », Archives de politique criminelle 2012/1 (n° 34), p. 155-165, p. 156. 58 DELOMEZ Hélène, « Usages locaux d’une nouvelle modalité de l’action humanitaire. Les interventions psychosociales en Bosnie-Herzégovine », Studia Universitatis Babes-Bolyai - Studia Europaea (Studia Universitatis Babes-Bolyai - Studia Europaea), issue: 1 / 2013, pages: 89-106, on www.ceeol.com, p. 95. 59 BOUCHET Paul, Op. Cit., p. 435.

17

pénal local pour traiter le type de violence extensive et systématique observé durant

la guerre de l’Ex-Yougoslavie. Le système judiciaire local a pourtant lui aussi été

critiqué pour manque d’indépendance, incompétence et corruption »60 alors que les

accords de Dayton insistent sur l’importance des autorités locales dans le processus

juridictionnel, car c’est elles qui doivent théoriquement remettre les inculpés au

TPIY.

Ce problème de coordination réside notamment dans le fait que : « la mise en place

d’une telle juridiction extensive a souvent pour conséquence de mettre le droit pénal

international en contradiction avec les normes et les exigences d’immunité liées à la

souveraineté. »61 De plus, on constate que les « Sarajéviens apprécient de moins en

moins ce qu’ils perçoivent comme des grilles d’interprétation internationales

plaquées de force sur des problèmes qui ont été vécus localement. »62

Quelles en sont les conséquences ? Ces dernières s’axent principalement autour du

fait qu’à ce jour, malgré l’émission de plusieurs mandats d’arrêt émis par la CPI

concernant les violences sexuelles pendant le conflit en Bosnie, aucun jugement

officiel n’a encore été prononcé. Notons cependant la difficulté d’établir une justice

adaptée, des années après un conflit.

Enfin, il faut souligner que jusqu’en 1995, la problématique de la guerre en Bosnie

sera principalement confiée à la mécanique onusienne et traitée d’un point de vue

fondamentalement politique et militaire. Pourtant, il est essentiel de consacrer de un

minimum d’importance aux aspects humanitaires qui ne doivent pas être négligés si

l’on souhaite saisir l’ampleur des solutions stratégiques. Ces aspects humanitaires

constituent en quelque sorte, une « contre-stratégie » aux tactiques serbes.

c) Humanitaire : vers une meilleure gestion et prévention des viols de

guerre

Les questions humanitaires en Bosnie sont majoritairement axées autour de la

nécessaire mise en place d’une assistance psychosociale aux victimes. Cette nécessité

s’est néanmoins heurtée au « manque de compétences et de connaissances sur les

60 KUTNJAK IVKOVICH Sanja, HAGAN John, Op. Cit., p. 77. 61 Ibid., p. 65. 62 Ibid., p. 77.

18

traumatismes vécus en Bosnie »63 Amnesty International avait notamment mis

l’accent sur l’importance de former du personnel dans ce cadre : « l’aide des pays de

la communauté internationale devrait être orientée vers la formation de conseillers

bénévoles capables de reconnaître, évaluer et s’occuper des victimes de viols (...) Les

ONG locales devraient être assistées dans leur action par des liens avec les ONG

européennes et internationales. »64 Les aspects psychologiques faisant partie

intégrante de la guerre, plusieurs acteurs comme les organisations non

gouvernementales et féministes – telles que Sherazade et Medica - militent pour la

mise en place d’un soutien psychosocial fondamental, dont les principes restent

néanmoins opaques : « Psychosocial intervention is rarely defined in documents and

aid agency staff express confusion over its meaning and the activities it covers. »65

Bien avant la fin du conflit, il semble nécessaire de mettre en place un « soutien

international aux femmes victimes de viol » en temps de guerre »66 ainsi que des

initiatives reposant sur des organisations locales et des groupes de parole en Bosnie.

« Dans les années qui suivent la fin du conflit sont mises en place des activités dites

de rétablissement psychosocial par des organisations non gouvernementales locales,

financées par la communauté internationale. »67 Tout cela doit s’inscrire, in fine,

dans le cadre d’une stratégie sécuritaire axée autour de dynamiques relatives à ce que

l’on nomme la sécurité élargie.

Le processus de reconstruction identitaire et de réinsertion sociale des femmes

victimes de viols en temps de guerre est un aspect faisant partie intégrante du

processus de consolidation de la paix. Ce dernier ne peut s’établir sans résolution

des traumatismes liés à la guerre, qui constituent un « obstacle à la construction

d’une paix durable »68 et s’appuie notamment sur des organismes tels qu’Amnesty

International et le Comité International de la Croix Rouge.

Amnesty International a notamment insisté sur la nécessité de poursuivre les

coupables tout en recommandant certaines dispositions : « Amnesty International

recommande que la communauté internationale mette à disposition l’expérience en

63 BOUCHET Paul, Op. Cit., p. 468. 64 Ibid., p. 468. 65 SIANI-DAVIES Peter, Op. Cit., p. 159. 66 MASSON Isabelle, Op. Cit., p. 68.67 DELOMEZ Hélène, Op. Cit., p. 99. 68 Ibid., p. 104.

19

matière de collecte d’informations et de conseils aux victimes de viol, soit par des

instances non gouvernementales (...) ou par l’aide aux initiatives locales. »69

Le problème fondamental repose sur la nécessité de reconnaissance. Tant que le viol

n’est pas reconnu en tant que pratique d’anéantissement, l’aide humanitaire ne

servira qu’à « soigner les symptômes du mal. »70 Ainsi apparaît la nécessité

d’élaborer une « approche élargie de la protection »71 afin de compléter la notion de

responsabilité de protéger. En effet, les stratégies internationales passent également

par le processus de reconnaissance et ne reposent pas uniquement sur des aspects

militaires et matériels.

Se basant sur le droit international humanitaire - lié aux Conventions de Genève et

aux protocoles additionnels de 1977 interdisant explicitement « le viol, la prostitution

forcée et toute forme d’atteinte indécente »72 - l’organisation Human Rights Watch

se montre rapidement en faveur d’une intervention armée en Bosnie Herzégovine.

« Nous reconnaissons que, face à l’impératif que constitue la répression et la

prévention des génocides ou de tout autre massacre systématique de populations, le

recours à la force armée est parfois justifié. »73 Néanmoins, ces organisations

montrent des signes d’essoufflement face aux grandes puissances étatiques. De plus,

les organisations non gouvernementales sont confrontées au scepticisme des

populations locales ainsi qu’à d’autres obstacles concernant notamment leur

financement : « NGOs in the Balkans remain crucially dependent on foreign funds.

»74 On constate également bien souvent la préférence des populations locales pour

une assistance matérielle plutôt que psychologique.

Malgré certains évènements tels que le massacre de Srebrenica, « une sorte de

déréalisation permanente était à l’œuvre, une suspicion qui tenait à l’étrangeté des

crimes dénoncés (…) trop horribles pour être vrais, et en même temps banalisés

puisque sans doute « dans toutes les guerres il y a des viols. »75 La présence régulière

d’experts internationaux sur le terrain ne permet pas non plus d’éviter que le conflit 69 BOUCHET Paul, Op. Cit., p. 469. 70 Ibid., p. 476. 71 DELOMEZ Hélène, Op. Cit., p. 92.72 BOUCHET Paul, Op. Cit., p. 446. 73 ENGLE Karen, Op. Cit., p. 84. 74 SIANI-DAVIES Peter, Op. Cit., p. 153. 75 NAHOUM-GRAPPE Véronique, Op. Cit., « La purification ethnique et les viols systématiques (...)», p. 3.

20

en Bosnie Herzégovine échappe dans un premier temps à l’attention médiatique.

« Sarajevo fut un cas paradoxal, utilisé sciemment par le général Mladic comme

« piège à CNN » C’est ainsi que le vrai (un siège atroce où les civils sont pris pour

cible délibérément) a servi de masque au vrai : une agression porteuse du projet de

purification ethnique. »76

L’occultation du conflit en Bosnie et par conséquent des pratiques de guerre comme

le viol des femmes repose principalement sur le fait que « les images construisent la

réalité. Ce qui est montré existe, ce qui n’est pas montré n’existe pas. »77 Ce que l’on

nomme généralement l’ « effet CNN » a donc potentiellement joué un rôle dans la

couverture médiatique du conflit. Dans les premiers temps, les évènements de Bosnie

échappent à l’opinion publique et lorsque ces derniers y sont enfin dénoncés, on ne

constate pas pour autant une mobilisation massive de l’opinion. Il y a une raison

majeure à cela : « La place qu’occupe dans les esprits européens la solution finale

tend à faire passer pour moins « génocidaire » une entreprise d’assassinat de masse

dès lors qu’elle se présente sous forme désordonnée, non systématisée, non

bureaucratique. »78 Ce sont donc surtout les différences entre les deux contextes que

l’on souligne, de manière à rendre moins évidentes les similitudes. Il faudra du temps

pour que le cas bosniaque suscite l’indignation. De plus, notons qu’il est nécessaire

de comprendre que la stratégie du viol en temps de guerre repose également sur sa

banalisation quotidienne. « Le viol dans la guerre est possible et significatif parce

qu’en temps de « paix », l’intégrité et la liberté sexuelle des femmes ne sont pas

respectées. La stratégie politico-militaire ne fait que se greffer là-dessus. »79

Le conflit en Bosnie a pour singularité de mettre en lumière trois aspects majeurs des

relations internationales. Premièrement, l’on constate la difficulté à l’époque pour les

acteurs de la communauté internationale, d’adopter une stratégie combinant à la fois

des mécanismes coercitifs et diplomatiques. « L’Occident et l’ONU ne peuvent

éviter de naviguer entre le Charybde de la médiation pacifique mais impuissante (...)

et le Scylla de l’intervention armée. »80 Au sein de son ouvrage intitulé International

76 ENGLE Karen, Op. Cit., pp. 2-3. 77 BOUCHET Paul, Op. Cit., p. 453. 78 SORABJI Cornélia, Op. Cit., p. 6.79 MASSON Isabelle, Op. Cit., p. 77.80 NAHOU-GRAPPE Véronique, Op. Cit., Vukovar, Sarajevo (...), p. 93.

21

intervention in the Balkans since 199581, Peter Siani-Davies exprime un point de vue

critique des stratégies du conflit en termes d’effectivité : « The strategies of both

sides were remarkably similar to the model of « bullying the weaker » (…) On both

sides the strategy had disastrous results: Milosevic failed to resolve any of the

Serbian national or state problems, while NATO failed to eliminate critical security

risks within both the former Yugoslavia and the Balkans in general. »82

Deuxièmement, ce conflit souligne l’aspect multidimensionnel de la stratégie

internationale. En effet, il met en exergue la multiplicité des acteurs d’un conflit,

mais surtout, les différents aspects de sa résolution. Bien loin de ne concerner que les

Etats, la guerre en Bosnie Herzégovine mobilise également des organisations non

gouvernementales, des mouvements féministes ainsi que l’opinion publique. « NGOs

are now part of the local democracy assistance landscape thorough the Balkans. »83

Enfin, le conflit confirme le fait qu’une intervention armée n’est en aucun cas un acte

anodin. Les interventions affectent les conflits mais également la situation future

d’un territoire donné ; « Intervention affected the dynamic of the conflict and had a

significant influence on its outcome. »84 L’intervention doit également s’envisager en

termes de conséquences et de reconstruction post-conflit, d’où l’évolution majeure de

la nature des opérations de maintien de la paix, qui s’orientent désormais vers une

différentes optiques, comme la consolidation de la paix. C’est le cas notamment de la

Force de Stabilisation, opération lancée en 1996 par l’OTAN qui succède à

l’Implementation Force (IFOR), elle-même précédée par la FORPRONU. On

observe ici l’évolution des missions, de l’établissement de la paix à la consolidation

de cette dernière.

Tout comme le souligne Pascal Le Pautremat au sein de son article intitulé « La

Bosnie-Herzégovine en guerre (1991-1995) : au cœur de l'Europe »85, « La Bosnie-

Herzégovine a été un laboratoire, peut-être malheureux, mais néanmoins nécessaire

pour permettre à la communauté internationale de comprendre comment gérer un tel

conflit. »86

81 SIANI-DAVIES Peter, Op. Cit. 82 Ibid., p. 60. 83 Ibid., p. 154. 84 Ibid., p. 59. 85 LE PAUTREMAT Pascal, Op. Cit. 86 Ibid., p. 80.

22

« Quel que soit l’acharnement avec lequel ils ont essayé d’anéantir tout notre être,

ils n’ont pas réussi. Je ne faillirai pas. Tant que je peux marcher, je persévèrerai. Je

trouverai la force intérieure. »

Enisa, victime de viols pendant la guerre de Bosnie.87

87 ONU Femmes, « Infographique : la violence contre les femmes », 6 novembre 2015.

23

Bibliographie

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infographiques

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Résolution 1820 (2008) du Conseil de Sécurité des Nations-Unies

ONU Femmes, « Infographique : la violence contre les femmes », 6 novembre 2015.

• Conférences

Conférence organisée par le Kot Amnesty à Louvain-la-Neuve le 25 novembre

2015 : « Le viol comme arme de terreur ».

26

Annexes

• Annexe 1 : Schémas, Source : BOUGAREL Xavier, « Rouvrir les blessures ?

Le Parlement de Bosnie-Herzégovine et la question des responsabilités

bosniaques », Revue Culture & Conflits, Cultures & Conflits [En ligne],

65 | printemps 2007, 2010, URL : http://conflits.revues.org/2214

• Annexe 2 : « La guerre de Bosnie 1992 – 1995 », Agence France Presse,

Source : http://www.afp.com/fr/node/89310/

• Annexe 3 : Résolution 1325 (2000) du Conseil de Sécurité des Nations-Unies

• Annexe 4 : Résolution 1820 (2008) du Conseil de Sécurité des Nations-Unies

• Annexe 5 : ONU Femmes, Infographique : la violence contre les femmes, 6

novembre 2015.

27

Annexe 1 : Schémas, Source : BOUGAREL Xavier, Op. Cit.

Les fronts du conflit en Bosnie-Herzégovine (avril 1992 – mars 1993)

Les fronts du conflit en Bosnie-Herzégovine (avril 1994 – octobre 1995)

28

• Annexe 2 : « La guerre de Bosnie 1992 – 1995 », Agence France Presse,

Source : http://www.afp.com/fr/node/89310/