le vedaentreéternitéetactualité: réflexionssurl...

51
1 Article Journal Asiatique Version d'un article à paraître (2012). Le Veda entre éternité et actualité : réflexions sur l'exercice de traduction des UpaniÒad. L'exemple de TaittirÚyaUpaniÒad I.10 1. Habituellement, les textes de l'Antiquité sont le domaine réservé de chercheurs qui sont extérieurs à la civilisation qui a engendré ces textes, une civilisation qui en général a disparu. Même si une certaine fierté nationale anime les chercheurs égyptiens ou grecs, ils sont musulmans, chrétiens, agnostiques : leur foi d'aujourd'hui s'est fondée indépendamment des anciennes croyances dont ils étudient les témoignages antiques, et parfois contre elles. Mais en Inde, à la différence de l'Égypte et à la Grèce antiques, etc., les descendants de ceux qui composèrent ces textes, les brahmanes sont toujours là. Ils posent sur les œuvres de leurs ancêtres un regard érudit, celui d'une autre érudition : les scientifiques n'ont pas le monopole de l'étude. Cela est spécifique à l'Asie du Sud : une érudition incarnée dans une classe humaine déterminée s'est perpétuée pendant plusieurs millénaires jusqu'à nos jours, sans discontinuité. Notamment, cette classe des brahmanes a composé, récité et étudié le corpus de textes qu'ils considéraient comme sacrés et nommaient génériquement Veda 'Savoir' 1 et les a transmis, principalement oralement, de génération en génération avec l'érudition dont ils étaient l'objet. Cette parole sacrée a été la matière première de liturgies et de croyances avant de devenir l'horizon lointain auquel se référaient beaucoup de nouvelles et successives sensibilités religieuses et spirituelles. À côté des anciens poètes exaltés et de leurs successeurs théologiens et exégètes, les brahmanes ont aussi été les créateurs et les administrateurs des savoirs traditionnels, grammaire, médecine, littérature, astrologie, etc., dont beaucoup ont été créés en fonction du corpus védique. En plus d'être des héritiers, les brahmanes d'aujourd'hui continuent à se considérer comme les interprètes légitimes de ces textes. Avec des variantes personnelles, sauf quand ils sont devenus des scholars, ils sont partagés à propos de notre érudition : dans l'ensemble et, je crois, de plus en plus, ils affirment qu'elle passe à côté de ce qu'ils considèrent comme essentiel. Les textes sacrés aux yeux des anciens brahmanes ont donc conservé depuis plusieurs millénaires une actualité idéologique, philosophique ou religieuse. La situation des textualistes, épigraphes, historiens, etc. contemporains étudiant les œuvres composées anciennement par ces brahmanes (ou les ‡ramanes et autres lettrés traditionnels) est aussi rendue complexe par le fait que le sens de ces textes a changé avec le temps : l'évolution des consciences, l'émergence de nouvelles sensibilités et de nouvelles pratiques pendant trois millénaires a évidemment retenti sur le regard porté sur ces œuvres. Dès lors, quelle sera la matière de nos études? Vaton étudier le texte tel qu'aujourd'hui il est édité et imprimé ou tel qu'on peut supposer qu'il fut? Le comprendon, éventuellement le traduiton, comme nous le percevons ? Ou comme eux le perçoivent? Ou encore comme ils le percevaient ? Sur quel état du texte travailleton ? Quand ces brahmanes sont des scholars étudiant le témoignage ancien d'une pensée philosophique ou religieuse, la situation n'est déjà pas aisée à gérer. D'autant que bien des fois, on rencontre un double discours de ces scholars : l'un est en anglais et à destination internationale, l'autre, souvent dans une langue indienne, parfois en sanskrit, est à destination indienne. On a bien des surprises quand on lit la prétendue traduction anglaise d'un discours contemporain en sanskrit. Il en va de même dans les colloques nationaux ou internationaux : ce qu'un scholar dit en anglais à ses chers collègues diffère de ce qu'il dit en tamoul ou en hindi. La situation est rendue beaucoup plus difficile encore quand il s'agit d'un brahmane récitant rituellement le texte de sa branche du Veda, à son domicile ou à l'extérieur, à l'occasion d'une cérémonie : là notre regard objectif et scientifique rencontre une réalité vivante, un texte incarné dans la parole des héritiers de ses créateurs ; cela ne se fait pas sans quelques surprises, voire quelques énervements réciproques. De surcroît, les exégètes du Veda rituel, les MÚmæµsaka, ont anciennement affirmé les caractères nitya et apauruÒeya 'permanent' et 'non humain' du corpus védique. Il n'a pas manqué d'interprètes pour transformer cette permanence en éternité, pour interpréter en divinité son absence d'humanité ; et par « Dieu », nous entendons non les deva des Saµhitæ védiques, ni même les progéniteurs des Bræhma◊a 1 Ce n'est pas le lieu de préciser en quoi consiste cette sacralité, laquelle a évolué avec le temps. Ajoutons que le Veda, dans les domaines brahmanique et hindou, n'a pas conservé l'exclusivité de la sacralité textuelle et que Veda est un des multiples mots par lesquels cette parole sacrée est nommée de l'intérieur et de l'extérieur.

Upload: lybao

Post on 03-Mar-2018

216 views

Category:

Documents


3 download

TRANSCRIPT

1     Article  Journal  Asiatique        Version  d'un  article  à  paraître  (2012).  

   

Le  Veda  entre  éternité  et  actualité  :    réflexions  sur  l'exercice  de  traduction  des  UpaniÒad.    

L'exemple  de  TaittirÚya-­‐UpaniÒad  I.10    1.  Habituellement,  les  textes  de  l'Antiquité  sont  le  domaine  réservé  de  chercheurs  qui  sont  extérieurs  à  la  civilisation  qui  a  engendré  ces  textes,  une  civilisation  qui  en  général  a  disparu.  Même  si  une  certaine  fierté  nationale  anime   les   chercheurs  égyptiens  ou  grecs,   ils   sont  musulmans,   chrétiens,   agnostiques  :   leur   foi  d'aujourd'hui   s'est   fondée   indépendamment   des   anciennes   croyances   dont   ils   étudient   les   témoignages  antiques,  et  parfois  contre  elles.  Mais  en   Inde,  à   la  différence  de   l'Égypte  et  à   la  Grèce  antiques,  etc.,   les  descendants  de  ceux  qui  composèrent  ces  textes,  les  brahmanes  sont  toujours  là.  Ils  posent  sur  les œuvres  de  leurs  ancêtres  un  regard  érudit,  celui  d'une  autre  érudition  :  les  scientifiques  n'ont  pas  le  monopole  de  l'étude.  Cela  est  spécifique  à   l'Asie  du  Sud  :  une  érudition  incarnée  dans  une  classe  humaine  déterminée  s'est   perpétuée   pendant   plusieurs   millénaires   jusqu'à   nos   jours,   sans   discontinuité.   Notamment,   cette  classe  des  brahmanes  a  composé,  récité  et  étudié  le  corpus  de  textes  qu'ils  considéraient  comme  sacrés  et  nommaient  génériquement  Veda   'Savoir'1  et   les  a   transmis,  principalement  oralement,  de  génération  en  génération   avec   l'érudition   dont   ils   étaient   l'objet.   Cette   parole   sacrée   a   été   la   matière   première   de  liturgies  et  de  croyances  avant  de  devenir  l'horizon  lointain  auquel  se  référaient  beaucoup  de  nouvelles  et  successives   sensibilités   religieuses   et   spirituelles.   À   côté   des   anciens   poètes   exaltés   et   de   leurs  successeurs  théologiens  et  exégètes,  les  brahmanes  ont  aussi  été  les  créateurs  et  les  administrateurs  des  savoirs   traditionnels,   grammaire,  médecine,   littérature,   astrologie,   etc.,   dont   beaucoup   ont   été   créés   en  fonction   du   corpus   védique.   En   plus   d'être   des   héritiers,   les   brahmanes   d'aujourd'hui   continuent   à   se  considérer  comme  les  interprètes  légitimes  de  ces  textes.  Avec  des  variantes  personnelles,  sauf  quand  ils  sont  devenus  des  scholars,   ils  sont  partagés  à  propos  de  notre  érudition  :  dans  l'ensemble  et,   je  crois,  de  plus  en  plus,  ils  affirment  qu'elle  passe  à  côté  de  ce  qu'ils  considèrent  comme  essentiel.  Les   textes   sacrés   aux   yeux   des   anciens   brahmanes   ont   donc   conservé   depuis   plusieurs  millénaires   une  actualité  idéologique,  philosophique  ou  religieuse.    La   situation   des   textualistes,   épigraphes,   historiens,   etc.   contemporains   étudiant   les  œuvres   composées  anciennement   par   ces   brahmanes   (ou   les   ‡ramanes   et   autres   lettrés   traditionnels)   est   aussi   rendue  complexe   par   le   fait   que   le   sens   de   ces   textes   a   changé   avec   le   temps   :   l'évolution   des   consciences,  l'émergence  de  nouvelles  sensibilités  et  de  nouvelles  pratiques  pendant   trois  millénaires  a  évidemment  retenti  sur  le  regard  porté  sur  ces  œuvres.  Dès  lors,  quelle  sera  la  matière  de  nos  études?  Va-­‐t-­‐on  étudier  le   texte   tel  qu'aujourd'hui   il  est  édité  et   imprimé  ou   tel  qu'on  peut  supposer  qu'il   fut?  Le  comprend-­‐on,  éventuellement  le  traduit-­‐on,  comme  nous  le  percevons  ?  Ou  comme  eux  le  perçoivent?  Ou  encore  comme  ils  le  percevaient  ?  Sur  quel  état  du  texte  travaille-­‐t-­‐on  ?  Quand  ces  brahmanes  sont  des  scholars  étudiant  le   témoignage  ancien  d'une  pensée  philosophique  ou  religieuse,   la  situation  n'est  déjà  pas  aisée  à  gérer.  D'autant   que   bien   des   fois,   on   rencontre   un   double   discours   de   ces   scholars   :   l'un   est   en   anglais   et   à  destination  internationale,  l'autre,  souvent  dans  une  langue  indienne,  parfois  en  sanskrit,  est  à  destination  indienne.   On   a   bien   des   surprises   quand   on   lit   la   prétendue   traduction   anglaise   d'un   discours  contemporain   en   sanskrit.   Il   en   va   de  même   dans   les   colloques   nationaux   ou   internationaux  :   ce   qu'un  scholar  dit  en  anglais  à  ses  chers  collègues  diffère  de  ce  qu'il  dit  en   tamoul  ou  en  hindi.  La  situation  est  rendue  beaucoup  plus  difficile  encore  quand   il   s'agit  d'un  brahmane  récitant   rituellement   le   texte  de  sa  branche  du  Veda,  à  son  domicile  ou  à  l'extérieur,  à  l'occasion  d'une  cérémonie  :  là  notre  regard  objectif  et  scientifique  rencontre  une  réalité  vivante,  un  texte  incarné  dans  la  parole  des  héritiers  de  ses  créateurs  ;  cela  ne  se  fait  pas  sans  quelques  surprises,  voire  quelques  énervements  réciproques.    De  surcroît,  les  exégètes  du  Veda  rituel,  les  MÚmæµsaka,  ont  anciennement  affirmé  les  caractères  nitya  et  apauruÒeya   'permanent'   et   'non   humain'   du   corpus   védique.   Il   n'a   pas   manqué   d'interprètes   pour  transformer  cette  permanence  en  éternité,  pour   interpréter  en  divinité   son  absence  d'humanité  ;   et  par  «  Dieu  »,   nous   entendons   non   les  deva   des   Saµhitæ   védiques,   ni  même   les   progéniteurs   des  Bræhma◊a  

                                                                                                               1  Ce  n'est  pas  le  lieu  de  préciser  en  quoi  consiste  cette  sacralité,  laquelle  a  évolué  avec  le  temps.  Ajoutons  que  le  

Veda,  dans  les  domaines  brahmanique  et  hindou,  n'a  pas  conservé  l'exclusivité  de  la  sacralité  textuelle  et  que  Veda  est  un  des  multiples  mots  par  lesquels  cette  parole  sacrée  est  nommée  de  l'intérieur  et  de  l'extérieur.    

2     Article  Journal  Asiatique        comme   Prajæpati,   mais   les   Dieux   transcendants,   ViÒ◊u,   Ωiva,   eux-­‐mêmes   nitya.   La   MÚmæµsæ,   que  certains   tiennent  pour  athée,   a   ainsi   fourni   le   contenu  d'un  mythe  où   la  parole  védique,   éternelle,  n'est  rien  d'autre  que  l'émanation  linguistique  de  l'Éternel2.  On  attend  que  cette  parole  sacralisée  soit  fixe  dans  son  contenu  si  ce  n'est  dans  l'interprétation.  Or  ce  n'est  pas   ce   que   l'on   constate   :   la   tradition   brahmanique   fait   parler   à   plusieurs   voix   la   Déesse   Parole.   Le  discours  sur   le  Veda  oscille  entre   la  prétention  à   l'éternité  que   lui  prêtent  depuis   longtemps  certains  de  ses   utilisateurs   et   l'actualité   spirituelle   qu'il   acquiert   périodiquement   du   fait   de   l'évolution   des  consciences.  Dès  lors,  cela  ne  peut  qu'ouvrir  une  béance  entre  ce  qui  est  dit  et  ce  qui  est  signifié,  au  profit  de  ce  qu'on  doit  entendre.      À   cela   s'ajoute   le   fait   que   depuis   le   milieu   du   XIXe   siècle,   les   brahmanes   ont   rencontré   la   volonté   des  Indiens  de  nationaliser  ces  textes  ;  dorénavant,  le  Veda  et  de  proche  en  proche  tous  les  textes  sanskrits  (y  compris   ceux  des  ‡ramanes)   sont   généralement   conçus   comme   les   archives   idéologiques   et   spirituelles  d'une   Inde   éternelle   actualisée   dans   le   présent   de   la   République   indienne.   Ces   textes   ont   acquis   une  dimension  politique  et   forment  un  élément   important  de   l'identité  nationale  ;  certaines  composantes  du  nationalisme   indien3   se   sont   emparées,   non   sans   nuances,   du  Veda   et   du   sanskrit4.   Un   slogan   comme  «  l'Inde,   la   terre   du  Veda  »,   c'est-­‐à-­‐dire   «  terre   de   la   connaissance  »,   exprime  bien   l'ancienne  prétention  brahmanique  recyclée  aux  échelons  national  et  mondial   :   l'Inde  est  présentée  comme  le  paramaguru  du  monde   entier,   ou   bien   on   affirme   qu'elle   a   vocation   à   le   devenir  ;   et   ce   monde   est   voué   par   statut   à  l'ignorance   tandis   que   l'Inde   a   aussi   par   statut   le   monopole   de   la   connaissance.   De   l'indianisation   des  textes  résulte  aussi  leur  relative  débrahmanisation.  On  sait  qu'à  la  fin  du  XIXe  siècle,   l'autorité  religieuse  hindoue,   jusque   là   dans   les   mains   des   brahmanes,   passe   aux   mains   des   représentants   de   la   classe  moyenne  en  formation5.    Enfin,  soulignons  que  le  support  de  ces  textes  anciens  a  changé  avec  le  temps  :  d'une  parole  incarnée  (un  événement  unique  fortement  subjectif),  on  est  passé  au  manuscrit  (toujours  singulier,  mais  plus  objectif  et  moins  personnel),  puis  à  l'imprimé  (multiple,  objectif  et  impersonnel).  Aujourd'hui,  on  en  est  aux  «  textes  électroniques  »  qui  coexistent  avec  tous  les  autres  supports.  Or  on  imagine  que  le  rapport  que  l'on  a  avec  la   parole   humaine   n'est   pas   celui   que   l'on   peut   entretenir   avec   un  manuscrit,   un   imprimé   ou   un   texte  épigraphique  ou   électronique.   Les   chemins  de   la   transmission  ont   été  parfois   parallèles   parfois   se   sont  croisés  et  influencé.6  Par   là   même,   les   destinataires   ont   changé  :   ce   que   ne   devaient   pas   entendre   ni   réciter   les   ‡ºdra   est  maintenant   disponible   partout   en   Inde   sous   forme   de   livres  ;   les  mantra   réputés   les   plus   sacrés   des  brahmanes  sont  braillés  dans  des  haut-­‐parleurs  des  heures  durant  autour  des  temples  (souvent  par  des  femmes).   Ωaµkara   qui   parlait   à   une   toute   petite   communauté   statutairement   définie   est   maintenant  partout  diffusé  et  ses  lecteurs,  y  compris  les  universitaires,  ne  semblent  pas  douter  qu'il  s'adresse  à  eux.  

                                                                                                               2  MUIR  1873  est  un  ouvrage  ancien  et  sans  doute  dépassé  pour  certaines  traductions  et  la  compréhension  des  

textes,  mais   le   dossier   dressé   en   l'occurrence   demeure   parfaitement   exploitable   surtout   si   l'on   y   joint   celui   que   L.  Renou  avait  intitulé  «  Le  Destin  du  Veda  dans  l'Inde  »  (RENOU  1960).  Avec  ces  deux  ouvrages,  on  peut  se  faire  une  idée  assez  juste  de  la  manière  dont  ce  corpus  a  été  anciennement  perçu  en  Inde.    

3   Il   est   qualifié   d'«  entreprise  narcissique  de   valorisation  de   la   différence   culturelle  »   par  ASSAYAG  2001   :   14.  L'expression  est  particulièrement  heureuse  s'agissant  de   l'Inde  dont   le  narcissisme  culturel  s'alimente  notamment  à  l'héritage  des  brahmanes,  ceux  qui  par  statut  avaient  le  monopole  de  la  parole  légitime.  

4  Les  phénomènes  de  rejet  existent  aussi  :  dans   le  sud  du  sous-­‐continent,  on  observe  parfois  que   le  rejet  des  brahmanes  accompagne  celui  de  leurs  textes,  du  sanskrit,  de  l'alphabet  devanægarÚ,  du  hindÚ,  du  système  des  castes,  etc.  tous  sentis  comme  des  expressions  de  l'impérialisme  du  nord.  Il  y  a  bien  des  nuances  dans  ce  rejet  sans  parler  de  ses  causes  et  de  ses  justifications.  Periyar,  prophète  du  DMK  vainqueur  des  élections  au  Tamil  Nadu  en  1967,  fut  une  sorte  d'anti-­‐Gandhi.  Il  espérait  la  création  d'un  «  Dravidstan  »  et  était  violemment  opposé  à  l'Inde,  aux  brahmanes,  au  sanskrit,  à  la  devanægarÚ,  au  végétarisme,  à  la  religion,  à  la  dévotion,  etc.  Dans  le  sud  de  l'Inde,  il  a  eu  une  influence  profonde  et  continue  à  y  être  vénéré  ;  et  ses  idées  demeurent  actuelles.  Voir  ASSAYAG  2001  :  178-­‐200.  

5  Voir,   par   exemple,   l'étude  de  DALMIA  1997  à  propos  de  Bhæratendu   'Lune  de   l'Inde'  Hari‡chandra   (1850-­‐1885)  à  Bénarès.  Le  but  de  ce  poète,  penseur,   journaliste,   entrepreneur,  banquier,   etc.   engagé  dans   la  vie  politique  était   la   nationalisation   des   traditions   hindoues   pour   lutter   contre   les   Britanniques.   Il   considérait   que   cette  nationalisation  passait  par  l'adoption  d'une  langue,  d'une  littérature  et  d'une  religion  nationales  unifiées  (autour  du  hindi  et  du  vishnouisme).  

6   En   dernier,   sur   la   transmission,   avec   une   bonne   bibliographie,   voir   COLAS   &   GERSCHHEIMER   2009.   Sur   la  transmission  des  textes  écrits,  voir  Colas  1997.  On  distinguera  le  discours  sur  la  transmission  orale  et  la  transmission  même;   nous   préparons   un   livre   sur   les   conditions   contemporaines   de   la   transmission   dans   l'école   védique   des  brahmanes  Nambudiri  à  Thrissur  (Kérala).  

3     Article  Journal  Asiatique        Le  Brahma-­‐Sºtra-­‐BhæÒya  de  Ωaµkara  en  nægarÚ  et  en  translittération  est  diffusé  dans  le  monde  entier  à  travers  le  média  Internet.  On  peut  recevoir  des  CD  où  sont  récités  tous  les  Veda  et  disposer  de  beaucoup  des  classiques  sanskrits.  Souvent,  ces  textes  sont  diffusés,  vendus  et  réalisés  par  des  institutions  animées  par  des  brahmanes.    2.  Dans  cet  article,  nous  allons  étudier  la  manière  dont  un  simple  vers  d'une  UpaniÒad  védique,  portant  en  lui   les   cicatrices  d'un   remodelage  ancien,   a   été  diversement   conçu  et   expliqué,  puis   traduit   (à  partir  du  XVIIe   siècle).   Comment,   à   quel   prix,   ce   vers   a-­‐t-­‐il   conservé   une   actualité   idéologique  ?   Comment   s'est  effectuée  à  son  propos  la  transformation  d'une  tradition  d'oralité  savante  ?  Quelle  dérive  sémantique  lui  a-­‐t-­‐on  fait  subir?  Même  si  nous  allons  essayer  de  reconstituer  la  forme  et  le  sens  anciens  de  ce  vers,  notre  but  n'est  pas  de  partir  à  la  recherche  d'un  Urtext  paré  du  prestige  des  origines,  ni  de  déprécier  la  forme  et  le   sens   nouveaux   que   ces   quelques   mots   ont   acquis   avec   le   temps7.   Nous   voulons   d'abord   montrer  l'existence   des   transformations   et,   si   possible,   leur   raison   d'être.   Par   ailleurs,   comme   certaines   écoles  brahmaniques   ont   entre   temps   adopté   les   principes   de   nityatva   'permanence'   et   apauruÒeyatva   'non-­‐humanité'  des  Veda,  nous  voulons  analyser,  à  titre  de  specimen,  comment  elles  s'en  sont  affranchies  ou  les  ont  tournés.  Car  ces  principes,  développés  par  la  MÚmæµsæ,  l'école  d'herméneutique  du  Veda,  ont  aussi  été   adoptés   par   les   tenants   du   Vedæntavæda,   notamment   ceux   qu'on   a   parfois   nommés   en   Inde   les  mæyævædin   alias   les   vedæntin   ‡aµkariens   qui   ont   étendu   leur   validité   à   la   littérature   upaniÒadique.  Aujourd'hui,  ces  principes,  renouvelés  et  nationalisés,  prennent  dorénavant  place  dans  la  nébuleuse  néo-­‐hindouiste8.      3.   En   l'occurrence,   il   s'agit   d'une  parole   (à   l'origine  probablement   versifiée)   qui   relève  de  deux   corpus.  D'une  part,  elle  appartient  au(x)  Veda(s),  expression  dont  le  pluriel  est  ancien9  et  le  singulier  plus  récent  pour   nommer   la   totalité   du   corpus.   Le   terme   désigne   la   littérature   sacrée   des   brahmanes,   celle   qu'ils  nommaient   aussi   (entre   autres  noms)  Ωruti   'Audition',   terme  qu'on   rend   souvent  par   'révélation'.   Cette  littérature   sacrée,   -­‐-­‐   mieux   vaudrait   dire   «  cette   parole   sacrée  »   -­‐-­‐   composée   entre   1500   et   500   avant  l'è.c.10  pour  l'essentiel,  fut  d'abord  transmise  oralement,  puis,  à  une  date  incertaine,  avec  l'aide  de  l'écrit.  

                                                                                                               7  C'était  (c'est  encore?)  une  conception  courante  dans  la  tradition  indianiste  germanophone  que  d'imaginer  les  

œuvres   les   plus   anciennes   comme   étant   les   moins   «  indiennes  »   (ce   qui   est   globalement   exact)   et   aussi   les   plus  estimables.    

8   L'étude   de   la   reconversion   des   anciens   principes   et   valeurs   dans   le   néo-­‐hindouisme,   en   grande   partie  inaugurée  dans  les  travaux  de  P.  Hacker  (HACKER  1978  :  510-­‐608  et  1995  :  229-­‐354),  ne  fait  que  commencer.  Même  si  nous   voulons  nous   limiter   à  une  période  plus   ancienne,   en   raison  des   traductions   indiennes   (et  même  de   certaines  traductions  venues  d'Occident),  on  est  sans  cesse  confronté  à  cette  volonté  de  plier  les  textes  anciens  aux  exigences  de  ce  néo-­‐hindouisme.  Ce  n'est  pas  notre  propos   ici  de  rendre  compte  de   la  naissance  et  de   l'évolution  récente  du  mot  «  hindouisme  ».  Depuis  les  années  1980,  plusieurs  ouvrages  ont  été  consacrés  à  cette  notion;  voir  la  bibliographie  dans  COLAS-­‐TARABOUT  2006  :  27-­‐28.  

9  RakÒærthaµ  vedænæm  adhyeyaµ  vyækara◊am  «  La  grammaire  doit  être  étudiée  pour  protéger  les  Veda  »  dit  Pata~jali   le   grammairien   dans   sa   Paspa‡æ   'Introduction'   au   MahæbhæÒya   (éd.   Kielhorn,   I,   p.   1,   ligne   15).   Bien  qu'employant   le   nom   veda   principalement   dans   des   composés   et   au   pluriel   (souvent   en   fonction   des   textes   qu'il  commente   comme   dans   TU   I.5.3),   Ωaµkara   utilise   aussi   le  mot   veda   pour   noter   l'ensemble   indifférencié   du   corpus  védique,  par  exemple  dans  TUBh  I.7.  Sur  l'emploi  du  mot  veda  dans  le  Veda,  voir  BRONKHORST  1989  où  l'auteur  montre  que   les  expressions  ®gveda,  yajurveda  et  sæmaveda   sont  absentes  des  parties  anciennes  du  corpus  védique  ;   le  mot  veda  y  est  plus  ou  moins  synonyme  de  mantra  et  de  brahman,  et  ne  désigne  jamais  une  collection  de  mantra.    

10   Comme   toute   la   chronologie   concernant   l'antiquité   indienne,   ces   dates   sont   discutables   et,   de   fait,   sont  violemment  discutées,  notamment  en  Inde,  parce  qu'elles  touchent  à  l'identité  nationale  et  à  un  corpus  que  beaucoup  considèrent  comme  sacré.  Aujourd'hui,  certains  Indiens  ont  tendance  à  reculer  ces  dates  dans  une  antiquité  qui  frise  parfois   l'éternité  ;   d'autres,   et   parfois   les  mêmes,   utilisant   les   axiomes   de   l'herméneutique   védique   (la  MÚmæµsæ),  affirment   que   cette   littérature   est   nitya   'permanente',   donc   éternelle.   La   part   de   sentiment   et   d'irrationalité   est  extrême   dans   les   prises   de   position   des   uns   et   des   autres   (cf.   Vishal   Agarwal   «  A   Reply   to   Michael   Witzel's   'Ein  Fremdling  im  Rgveda'  JIES,  Vol  31  :  107-­‐185,  2003  »,  disponible  sur  le  site  vishalagarwal@  hotmail.com).  L'éloignement  des  positions  est  extrême.  On  peut  se  faire  une  idée  des  controverses  dans  The  Indo-­‐Aryan  Controversy.  Evidence  and  Inference   in   Indian   History,   particulièrement   dans   l'article   de   S.   S.   Misra   «  The   Date   of   the   Rigveda   and   the   Aryan  Migration.  »,  London  &  New  York  :  Routledge.    

Les  recherches  récentes  des  scientifiques  occidentaux  admettent  que  les  hymnes  de  la  Rk-­‐saµhitæ  auraient  été  «  compilés   entre   1200   et   800   avant   n.   è.,   après   l'occupation   du   Panjab,   mais   avant   l'occupation   de   la   plaine   indo-­‐gangétique  »   (FUSSMAN  2002   :   746).   Il   faut   encore   distinguer   entre   l'adoption  des   langues   i.-­‐a.   et   la   brahmanisation,  c'est-­‐à-­‐dire   la   reconnaissance   des   normes   brahmaniques   dans   la   société.   La   première   est   chose   faite   dans   la   plaine  indo-­‐gangétique   quand   bouddhisme   et   jaïnisme   se   développent   dans   le   Magadha   (BRONKHORST   2006)  ;   la   seconde  

4     Article  Journal  Asiatique        La  tradition  manuscrite  est  donc  récente,  relayée  dans  les  derniers  siècles  par  des  ouvrages  imprimés  et  dernièrement  par  une  «  tradition  internet  ».  Ce  vaste  corpus  à  la  taille  d'une  petite  bibliothèque  est  divisé  en   deux   ensembles,   les   mantra   et   les   bræhma◊a,   selon   une   définition   tardive,   souvent   reprise,   de  l'Æpastamba-­‐Ωrauta-­‐Sºtra   XXIV.1.31   :   Mantrabræhma◊ayor   vedanæmadheyam   «   L'appellation   Veda  [revient]  aux  mantra  et  aux  bræhma◊a  ».  Dans  le  Veda,  les  mantra  sont  des  formules,  en  vers  ou  en  prose  poétique,  qui  ont  ce  nom  dans  la  mesure  où  elles  sont  susceptibles  d'être  énoncées,  associées  à  un  geste,  pendant  un   rituel11.  Le  mot   s'oppose  à  bræhma◊a  :   tandis  que   les  mantra   peuvent  être   récités  dans   les  rituels,  les  bræhma◊a  sont  principalement  les  commentaires  en  prose,  à  finalité  exégétique,  de  ces  mantra  dans   leur   utilisation   rituelle.   Les   uns   et   les   autres   peuvent   être   réunis   dans   des   collections   spécifiques  (c'est  le  cas  dans  le  �gveda),  auquel  cas  la  question  de  leur  distinction  ne  se  pose  pas.  Mais  ils  peuvent  se  succéder  dans  des  ouvrages  qui  les  associent  ;  c'est  le  cas  dans  la  branche  TaittirÚya  où  la  Saµhitæ  est  une  collection  de  mantra  et  de  bræhma◊a  et  où  l'ouvrage  nommé  Bræhma◊a  est  pareillement  une  collection  de  mantra  et  de  bræhma◊a.  C'est  la  raison  pour  laquelle  la  question  de  l'identité  de  la  phrase  en  question  se  pose  ici.  S'agit-­‐il  d'un  mantra  ou  d'un  bræhma◊a  ?  Différencier  un  mantra  védique  d'un  bræhma◊a  n'est  pas   toujours   aisé.   Jaimini   et   Ωabara   ont   renoncé   à   les   définir   spécifiquement.   Jaimini   (JS   II.1.32-­‐33)  procède   à   un  ‡eÒalakÒa◊a   'définition   par   reliquat'   :   ayant   énoncé   ce   que   sont   les  mantra   en   II.1.32,   le  ‡eÒa   'reste'  du  Veda  est  dit  être  bræhma◊a   (JS   II.1.33).  Ωabara  procède  par  énumération  et   comme  ses  listes  de  mantra  et  de  bræhma◊a  sont  illustratives,  on  demeure  dans  l'expectative.  On  peut  aussi  se  fonder  sur   ce   qu'affirment   les   commentateurs   :   Ωaµkara   (TUBh   I.10)   parle   de  mantræmnæya   'parole   sacrée  [consistant   en]   un   mantra'.   Bha††a   Bhæskara,   Sæya◊a,   Ænandagiri   disent   qu'il   s'agit   d'un  mantra12.  WITZEL  1989  retient  des  critères  formels  pour  différencier  mantra  et  bræhma◊a  :  le  mantra  est  un  vers  et  il  est  à   la  première  personne.  C'est  bien   le  cas  du  passage  en  question   :   c'est  bien  un  vers  comme  on   le  verra  (infra  §  9)  alors  que   les   textes  bræhma◊a   sont  en  prose  ;  par  ailleurs,   le  mantra  est  à   la  première  personne  (ahaµ  v®kÒasya  rerivæ)  alors  qu'en  général  les  bræhma◊a  sont  à  la  troisième  personne.  Les  sections  les  plus  récentes  des  Veda,  plus  ou  moins  dégagées  des  rites  et  à  teneur  plus  ésotérique,  sont  regroupées   dans   les   Æra◊yaka   '[Textes]   forestiers'.   Par   ailleurs,   un   commandement   védique   du  TaittirÚya-­‐Æra◊yaka   (TÆ  II.15)   fait  obligation  aux  brahmanes  de  pratiquer   le  svædhyæya   'la  cantilation  personnelle'   ou   'la   récitation   de   sa   propre   [branche   du   Veda]'13.   Quoi   qu'il   en   soit   de   cette   pratique  constitutive  du  statut  brahmanique,  elle  consiste  pratiquement  en  la  récitation  par  cœur  de  cette  partie  du  Veda   dont   sont   chargés   les  membres   d'un   clan   brahmanique.   La   phrase   en   question   est   extraite   du   Ve  prapæ†haka  'leçon'  du  TaittirÚya-­‐Æra◊yaka  (selon  TÆM14)  dans  une  section  par  ailleurs  connue  comme  la  TaittirÚya-­‐UpaniÒad.  C'est  dans  la  mesure  où  cette  phrase  relève  d'un  Æra◊yaka  qu'elle  appartient  à  ce  premier  corpus  de  textes15,  le  Veda.    Les  derniers  siècles  de  la  composition  et  de  la  constitution  du  Veda  s'accompagnent  de  l'émergence  d'une  école   de   pensée   dédiée   à   l'exégèse   du  Veda,   école   qu'on   nomme   la  MÚmæµsæ.   Parallèlement,   d'autres  

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   intervient  plus  tard.  La  composition  des  Bræhma◊a  dans  l'hypothèse  proposée  par  L.  Renou  se  situerait  entre  le  Xe  et  le  VIIe  siècle  AEC.  WITZEL  1989  :  249-­‐51  et  264  situe  les  Bræhma◊a,  Æra◊yaka  et  UpaniÒad  entre  «  ca.  -­‐900  et  ca.  -­‐500  ».    

Les  savants  occidentaux  affirment  que  les  parties  finales  de  ce  corpus  ont  été  composées  tardivement  ;  le  texte  de   la  Mæ◊∂ºkya-­‐UpaniÒad   «  est   probablement   postérieur   à   Nægærjuna   d'au  moins   plusieurs   générations,   voire   de  plusieurs  siècles  »  (BOUY  2000  :  24,  n.  98).  Comme  Nægærjuna  est  censé  avoir  vécu  au  IIe  ou  IIIe  siècle,  cela  voudrait  dire   que   le   corpus   védique   n'aurait   pas   été   clos   avant   le   début   de   l'époque   Gupta.   Par   ailleurs,   ce   texte   n'est   pas  reconnu  comme  une  UpaniÒad  par  Ωaµkara  (cf.  infra  n.  31).  

11   Ekamantræ◊i   karmæ◊i   «  Les   gestes   [rituels]   sont   accompagnés   d'un   mantra  »   dit   l'Æpastambayaj~a-­‐paribhæÒæsºtra  XXXVIII.  

12  Bha††a  Bhæskara  dans  TÆM  1985,  p.  27  (vol.  2),  l.  10  de  son  commentaire  ;  Sæya◊a  dans  ÆSS  12  :  61,  l.  7;  Ænandagiri  dans  ÆSS  13  :  33,  l.  19.  

13  J'adopte  ce  mot  qu'on  utilise  à  propos  de  la  Bible  :  on  parle  régulièrement  de  «  cantilation  biblique  »  et  des  «  signes   de   la   cantilation  ».   Le   mot   'cantilation'   est   absent   des   principaux   dictionnaires,   mais   il   est   bien   utilisé   et  pratique.  Par  ses  résonances  bibliques,  le  terme  'psalmodie'  ne  convient  pas,  d'autant  que  celle-­‐ci  s'effectue  recto  tono.  Par  ailleurs,  le  mot  'récitation'  ne  suggère  pas  le  caractère  chanté  du  svædhyæya.  

14  Dans  cette  édition,  le  TÆ  est  divisé  en  six  prapæ†haka  dont  les  cinquième  et  sixième  constituent  la  TU  et  la  Mahænæræya◊opaniÒad.  Dans  TÆC,   le  TÆ  est  divisé   en  dix  prapæ†haka   dont   les   sections  7-­‐9   constituent   la  TU.   La  seconde   des   divisions   reflète   le   fait   que   la   TU   est   parfois   considérée   comme   un   ensemble   de   deux   UpaniÒad  différentes,  voire  de  trois.  Ra©garæmænuja,  un  adepte  du  Vi‡iÒ†ædvaita  vivant  dans  la  seconde  moitié  du  XVIe  siècle,  a  ainsi  commenté  deux  UpaniÒad  correspondant  à  la  BrahmænandavallÚ  et  la  Bh®guvallÚ  de  la  TU  (cf.  ÆSS  62).  

15  Par  facilité  de  langage,  nous  allons  conserver  le  mot  'texte'  pour  désigner  ces  compositions  orales  pensées  et  transmises  oralement  même  après  la  diffusion  de  l'écriture  en  Inde.    

5     Article  Journal  Asiatique        sensibilités   se   font   jour,   parmi   lesquelles   bouddhisme,   jinisme   et   Yoga16   sont   les   plus   connus   parce  qu'elles   ont   perduré   sous   ces   noms   jusqu'à   aujourd'hui.   Leurs   adeptes   sont   à   la   recherche   du   salut   et  veulent  mettre  un  terme  définitif  à  leur  présence  au  monde.  En  continuité  d'inspiration  avec  les  yogin  qui  les  précèdent  et  ont  théorisé  avant  eux,  les  brahmanes  élaborent  peu  à  peu  une  nouvelle  école  de  pensée.  Mais,   contrairement   aux   yogin,   ces   brahmanes   veulent   prendre   appui   sur   les   textes   védiques,   en  l'occurrence   les   dernières   sections   des  Veda,   qu'ils   nomment   vedænta   'fin   du  Veda',   rahasya   'secret'   ou  upaniÒad   'corrélation',   ce   dernier   mot   s'étant   finalement   imposé17.   Méthodologiquement,   ils   sont   en  continuité  avec   la  MÚmæµsæ18.  Parmi  eux,  Gau∂apæda  et  Ωaµkara   (entre  550  et  750  environ)   sont   les  plus   connus   parce   que   leurs   œuvres   ont   survécu19.   Ils   fondent   et   développent   une   école   de   pensée  indépendante   que,   après   Ωaµkara,   on   a   nommé   Advaita-­‐Vedænta.   Le   vers   que   nous   allons   étudier,  appartient  à  la  TaittirÚya-­‐UpaniÒad  (TU).  En  tant  qu'UpaniÒad  védique,  celle-­‐ci  appartient  au  corpus  des  textes  du  Vedænta,  corpus  qu'on  nomme  aujourd'hui  le  prasthænatraya20,  les  'trois  bases  [scripturaires]'  du   Vedænta.   Ce   prasthænatraya   inclut   aujourd'hui   neuf   ou   dix   (ce   sont   les   chiffres   minima   souvent  augmentés)  UpaniÒad   dites   védiques,   c.-­‐à-­‐d.   relevant  de   la  Ωruti,   le  Brahma-­‐Sºtra   et   la  Bhagavad-­‐GÚtæ.  Les  deux  derniers  ouvrages  cités  se  distinguent  statutairement  des  UpaniÒad  parce  qu'ils  sont  extérieurs  au  Veda.  Ωaµkara  est  le  premier  des  penseurs  de  l'école  à  avoir  laissé  un  commentaire  complet  sur  toutes  les   parties   de   ce   second   corpus   qui   ne   recoupe   que   très   partiellement   le   premier.   En   tant   que   texte  védantique,   le   vers   appartient   à   un   corpus   de   toutes   les  UpaniÒad   (védiques)   où   le   lien   à   la   branche  TaittirÚya  est  distendu  voire  perdu.  Avec  la  B®had-­‐Æra◊yaka-­‐UpaniÒad  et  la  Chændogya-­‐UpaniÒad,  la  TU  relève  des  plus  anciennes  compositions  du  genre  UpaniÒad  ;  elle  est  prébouddhique  (pour  le  moins  n'est  pas  influencée  par  le  bouddhisme)  et  date  du  ou  des  siècles  qui  précèdent  immédiatement  la  prédication  de  Gautama  Ωækyamuni21,  disons  du  Ve  siècle.    4.  On  mentionne  cette  double  appartenance  parce  qu'elle  a  des  répercussions  importantes  et  durables  sur  la  manière  dont  ce  texte  a  été  compris  et  interprété.  En  tant  que  partie  d'un  Æra◊yaka   '[texte]  forestier'  védique,  le  vers  est  destiné  à  être  principalement  récité,  c'est-­‐à-­‐dire  à  devenir  la  matière  première  d'une  offrande  de  parole  rituellement  désignée  comme  brahmayaj~a.  Le  svædhyæya,   la  'cantilation  personnelle  [du  Veda]'22,  est  un  des  tout  premiers  devoirs  statutaires  des  brahmanes,  sinon  le  principal.  Comme  la  TU  parle  de  certains  rites,  il  est  aussi  possible  qu'à  époque  ancienne,  l'UpaniÒad  ait  été  récitée  à  l'occasion  de  leur  tenue  ou  ait  constitué  la  base  scripturaire  de  ces  rites.   Il  n'y  a  pas  non  plus  à  exclure  son  étude.  En  revanche,  en  tant  qu'UpaniÒad  faisant  partie  du  prasthænatraya,  la  TU  est  vouée  d'abord  à  être  étudiée  et  méditée.  L'aspect  cantilation  est  secondaire,  sauf  à  être  le  moyen  utilisé  pour  transmettre  le  texte.  Quant  à  

                                                                                                               16  Nous   écrivons  yoga   pour   nommer   les   expériences   psychiques   décrites   par   exemple   dans   le   YS   I.41-­‐52   et  

Yoga  pour  noter  la  théorie  de  ces  expériences  ainsi  que  l'école  de  pensée  qui  a  constitué  une  tradition  savante  à  leur  propos.    

17  Bha††a  Bhæskara   (XIIe   siècle  ;   cf.   §  7)   inaugure   son   commentaire  du   cinquième  prapæ†haka   'lecture'  du  TÆ,  correspondant  à   la  TU,  en  déclarant   :  atha  rahasyavidyæ  prastºyate   «  Maintenant  on  énonce   la  connaissance  du  secret  »,  c.-­‐à-­‐d.  de  l'aspect  secret  du  TÆ.  Il  avait  déjà  affirmé  au  début  de  son  commentaire  du  TÆ  (p.  1  de  TÆM)  que  etad  æra◊yakaµ  sarvaµ  nævratrÚ  ‡rotum  arhati  «  Nul  ne  doit  entendre  tout  cet  æra◊yaka,  sauf  à  être  un  vratin  (c'est-­‐à-­‐dire  à  être  engagé  dans  les  observances).  »  La  traduction  de  upaniÒad  par  ‘corrélation'  est  celle  de  L.  Renou.  Ωaµkara,  notamment  dans  les  introductions  de  ses  BhæÒya,  explique  pourquoi  les  UpaniÒad  sont  nommées  upaniÒad.  

18  Ωaµkara  utilise  bien   les   techniques  mÚmæµsaka  (voir   l’étude  ancienne  de  DEVASTHALI  1952  consacrée  aux  références   mÚmæµsaka   de   Ωaµkara   dans   BSBh   II.1).   En   revanche,   le   courant   de   pensée   animé   notamment   par   A.  Parpola  affirmant  que  les  deux  mÚmæµsæ  n’en  formaient  originellement  qu’une  seule  (y  compris  au  niveau  des  sºtra  de  Jaimini  et  de  Bædaræya◊a)  est  maintenant  battue  en  brèche  par  les  analyses  de  BRONKHORST  2006  :  219-­‐239.  

19  Pour  le  Vedænta  pré‡aµkarien,  nous  disposons  dorénavant  des  deux  volumes  de  NAKAMURA  1983  et  2004.  20   Alias   la   prasthænatrayÚ.   L'expression   est   inconnue   de   Ωaµkara   et   de   ces   prédécesseurs.   Elle   est   récente  

selon   NAKAMURA   1990   :   438   (qui   ne   s'occupe   qu'incidemment   de   cette   expression   dans   le   volume   en   question).   Cf.  HACKER  1995  :  337-­‐50.  

21   La   chronologie   de   l'Inde   ancienne   demeure   très   incertaine.   Les   dates   les   plus   sûres   sont   celles   de  l'expédition  d'Alexandre  et,  dans  une  moindre  mesure,  celles  du  règne  d'A‡oka.  H.  Bechert  a  proposé  d'abaisser  la  date  traditionnelle   du   parinirvæ◊a   du   Buddha   historique   d'environ   un   siècle  ;   il   le   situe   vers   400   AEC.   La  majorité   des  savants  occidentaux  se   rallie  dorénavant  à   cette  position.  Les  érudits  asiatiques  sont  plus   réservés   (cf.   Singh  2009   :  257).   Si   l'on   adopte   cette   datation,   elle   a   pour   conséquence   d'éloigner   les  UpaniÒad   anciennes   (BÆU,   ChU,   TU)   du  Buddha,  à  moins  de  reconsidérer  aussi  la  datation  traditionnelle  des  UpaniÒad,   laquelle  demeure  conjecturale.  Sur  la  date  du  Buddha,  voir  en  particulier  Heinz  Bechert  :  The  Dating  of  the  Historical  Buddha  /  Die  Datierung  des  historischen  Buddha,  Part  3.  (Symposien  zur  Buddhismusforschung,  IV,  3.)  Göttingen  :  Vandenhoeck  &  Ruprecht.  (AAWG,  Folge  3,  Nr.  222),  1997.  

22  Voir  MALAMOUD  1977,  «  L'uttara-­‐MÚmæµsæ  »,  p.  62-­‐69.  

6     Article  Journal  Asiatique        son  aspect  rituel,  il  est  tout  à  fait  marginalisé  :  avec  Ωaµkara,  les  actes,  y  compris  ceux  qui  sont  prescrits  par  le  Veda  et  en  particulier  par  cette  UpaniÒad,  sont,  au  mieux,  un  moyen  de  préparer  le  corps  et  l'esprit  à  réaliser  l'unité  du  soi  personnel  et  du  soi  universel,  un  état  de  toute  façon  permanent  et  donc  non  produit  par   quoi   que   ce   soit.   L'étude   sémantique   et   la   méditation   priment   alors   sur   la   cantilation   et   le   rituel  d'offrande  de  parole.  Cette  double  appartenance   rejaillit   aussi   sur   le   statut  des  hommes  qui   s'en  occupent   :   si   l'UpaniÒad   est  perçue   comme   partie   du   Veda,   ce   sont   les   brahmanes   qui   sont   concernés   par   ces   chapitres   d'un  Æra◊yaka  ;  en  l'occurrence,  la  TU  relève  d'une  branche  du  Yayur-­‐Veda  noir,  la  partie  des  Veda  la  plus  liée  aux   actes   rituels,   notamment   aux   sacrifices   ;   ce   sont   donc   des   brahmanes   qui   doivent   réciter   la   TU,  l'enseigner  et  éventuellement   la  mettre  en  pratique.  En  revanche,  si  elle  est  considérée  comme  un  texte  vedæntique,  selon  Ωaµkara,  elle  vaut  pour  des  saµnyæsin   'renonçants',  entendez  des  brahmanes  qui  ont  renoncé  à  leur  statut,  des  ex-­‐brahmanes.  Eux  et  eux  seuls  sont  concernés  par  l'enseignement  vedæntique.  Comme  le  Vedænta  en  tant  que  réflexion  sur  les  UpaniÒad  suppose  l'existence  et   la  cantilation  des  dites  UpaniÒad,  il  faut  considérer  que  la  première  approche  n'a  jamais  été  étrangère  ou  extérieure  à  la  seconde  tout  en  n'ayant  jamais  eu  la  même  valeur.    Cette   vision   extrémiste   de   Ωaµkara   n'a   pas   résisté   aux   faits.23   Avec   le   temps,   l'UpaniÒad   a   échappé   à  Ωaµkara  et  ses  épigones,  et   finalement  aux  brahmanes.  L'opposition  de  Ωaµkara  à   l'écriture  du  Veda  ne  doit   pas   voiler   le   fait   que   cette   parole   étudiée   a   été   la   partie   du   Veda   la   plus   anciennement   écrite   et  traduite24.  Une  partie  de  cette  UpaniÒad  fut  même  un  des  textes  sanskrits  les  plus  anciennement  traduits  dans  une  langue  occidentale25  et  cette  traduction  témoigne  du  fait  que  les  UpaniÒad  ont  été  les  premiers  textes  à  échapper  au  caractère  initiatique  du  Veda.  Aujourd'hui,  la  TU  est  lisible  dans  l'original  sanskrit  et  aussi   dans   de   multiples   traductions   en   langues   vernaculaires   de   l'Inde   qui   sont   venues   s'ajouter   aux  traductions   en   langues   occidentales   (RENARD   1995).   Plusieurs   éditions   sont   disponibles   sur   Internet  tandis   qu'un   site   lui   est   consacré   spécifiquement   permettant,   moyennant   finances,   de   se   procurer   une  documentation  «  complète  »  la  concernant26.    5.  Notre  propos  est  donc  d'étudier  quelques-­‐uns  des  moyens  par  lesquels  une  tradition  d'oralité  savante  tenant  des  paroles  comme  sa  révélation  permanente  et  non-­‐humaine  a  fait  évoluer  en  profondeur  le  sens,  la   nature   et   les   destinataires   de   ces   paroles.   Or   l'inclusion   d'un   texte   dans   un   (nouveau)   corpus   est  justement   un   de   ces   moyens   :   en   changeant   le   corpus   d'appartenance   d'un   texte   ou   d'une   parole,   on  change   par   là   son   statut   et  même   sa   signification   et   sa   portée.   Car   la   phrase   vaut   selon   le   contexte   de  référence,   c'est-­‐à-­‐dire  selon   le  corpus.  Cela  s'est  pratiqué  en  permanence  dans   les   textes  brahmaniques.  Les   premiers   sºtra   du   Brahma-­‐Sºtra   (de   même   que   les   premiers   sºtra   du   JaiminÚya-­‐Sºtra)   ont   été  davantage   étudiés,   sollicités,   que   la   grande   majorité   des  mantra   et   bræhma◊a   védiques   que   ces   sºtra  avaient   pour   fonction   d'expliquer.   Le  Brahma-­‐Sºtra,   qui   se   présente   comme  un   répertoire   raisonné   des  résumés   d'interprétations   des   UpaniÒad,   devrait   être   un   simple   supplément   à   ces   UpaniÒad.   Or   en  incluant   le   Brahma-­‐Sºtra   dans   le   prasthænatraya,   on   a   mis   l'explication   au   rang   de   l'expliqué.   Par   un  singulier  retournement   idéologique,  ce  sont   les  sºtra  de  Bædaræya◊a,  auteur  présumé  du  Brahma-­‐Sºtra,  qu'on  a  de  préférence  étudiés.  N'est-­‐ce  pas  non  plus  ce  qui  est  arrivé  au  Brahma-­‐Sºtra  face  au  BhæÒya  de  Ωaµkara?  Depuis  longtemps,  le  commentaire  de  Ωaµkara  est  considéré  comme  le  Vedænta  par  excellence  :  c'est  le  texte  de  Ωaµkara  qu'on  étudie  et  qu'on  entend  tandis  que  le  Brahma-­‐Sºtra,  et  même  les  UpaniÒad  et   les   vers   de   la   Bhagavad-­‐GÚtæ,   sont   dans   cette   perspective   sentis   comme   des   références   ou   des  illustrations   de   la   pensée   du   maître.   Quant   aux   autres   commentaires   du   Brahma-­‐Sºtra   (ceux   de  

                                                                                                               23  Ωaµkara  décrit   les   qualités   personnelles   et   le   statut   des   disciples   dans   l'Upade‡asæhasrÚ   (MAYEDA  1979   :  

211).  Jusqu'à  quel  point  cette  description  théorique  recoupait-­‐elle  la  réalité,  c'est  ce  que  nous  ne  pouvons  décider.    24   On   connaît   la   célèbre   traduction   persane   que   fit   réaliser   le   prince   moghol   Dæræ   Shukoh   en   1657.   Il   la  

nomma  «  Le  grand  secret  »  et  c'est  cette   traduction  persane  que  A.-­‐H.  Anquetil-­‐Duperron  retraduisit  en   latin  (1801-­‐1802)   :   Secretum   tegendum.   Voir  Voyage   en   Inde   1754-­‐1762,   présentation,   notes   et   bibliographie   par   J.   Deloche,  M.  Filliozat,  P.-­‐S.  Filliozat,  Paris,  Maisonneuve  et  Larose,  1997.  

25  La  Bh®guvallÚ,  troisième  section  de  l'UpaniÒad,  fut  traduite  en  portugais  dès  1616  :  elle  constitue  en  effet  le  chapitre  XVIII  de  Hindu  Ceremonial  of  1616  du  père  Gonçalvo  Fernandez.  Le   fait  est  notamment  signalé  par  GISPERT-­‐SAUCH  1968  :  139-­‐144.  

26  Le  site  en  question  propose  une  traduction  française  de  la  TU  assez  cocasse  :  «  Ensuite  après  avoir  enseigné  le  Vedas,  le  professeur  instruit  la  pupille:  Parlez  ce  qui  est  vrai.  faites  vos  fonctions.  Continuez,  sans  négligence,  l'étude  quotidienne  du  Veda  »  (sic).  Ce  passage  où  l'on  reconnaît  TU  I.11  est  présenté  comme  «  une  exhortation  valedictory,  qui  indique  à  nous  quelque  chose  du  système  qui  a  produit  cultivé  parmi  les  habitants  antiques  de  cette  terre  sacrée  »  (sic!).  

7     Article  Journal  Asiatique        Ræmænuja,  Madhva,  etc.),   ils  ont  en  réalité  été  composés  pour  combattre  celui  de  Ωaµkara  et  non  pour  expliquer  les  UpaniÒad.  L'étude  de  la  bibliographie  montre  que  le  Vedænta  est  aujourd'hui  un  fleuve  dont  la  source  upaniÒadique  est  bien  lointaine.  C'est  au  point  où  le  mot  vedænta  a  changé  de  sens  :  synonyme  au   temps   de   Ωaµkara   de   upaniÒad,   il   désigne   aujourd'hui   ce   que   Ωaµkara   a   énoncé   à   propos   de   ces  UpaniÒad.  Mais  Ωaµkara  lui-­‐même  n'échappe  finalement  pas  à  ce  constant  débordement  du  commenté  par  le   commentaire   :   quand   H.   Zimmer   veut   présenter   le   Vedænta   dans   un   ouvrage   de   synthèse   Les  Philosophies   de   l'Inde   (ZIMMER   1978  :   321-­‐64),   il   ne   parle   que   du   seul   Advaita-­‐Vedænta   de   Ωaµkara,  ignorant   toutes   les   autres   formes  d'Advaita   et   aussi   toutes   les   autres   formes  du  Vedænta.  Mais,   en   fait,  Ωaµkara  n'est   cité   qu'incidemment   à   travers   l'Upade‡asæhasrÚ   et   le  Vivekacº∂æma◊i,   la   seconde  œuvre  étant  réputée  apocryphe  aujourd'hui  ;  de  fait  aucun  BhæÒya  de  Ωaµkara  n'est  cité,  ni  même  mentionné,  et  le  Brahma-­‐Sºtra-­‐BhæÒya  est  donc  passé  sous  silence.  En  revanche,  H.  Zimmer  réserve  une  place  de  choix  au   Vedæntasæra   de   Sadænanda   (XVIe   siècle)   qu'il   définit   (op.   cit.   p.   48)   comme   «  un   petit   traité   pour  débutants  ».   On   peut   discuter   cette   appréciation,   mais   l'ouvrage   représente   assez   bien   l'expression   du  Vedænta  devenu  philosophie  quasi  officielle  en  Inde.  Ωaµkara  lui-­‐même  est  devenu  après  les  UpaniÒad,  le  Brahma-­‐Sºtra,  le  Brahma-­‐Sºtra-­‐BhæÒya,  une  simple  référence  et  le  Vedæntasæra  lui  aussi  n'échappe  pas  à  la  règle.  Autant  d'œuvres  qui,  agrégées  à  un  corpus  réputé  éternel,  modifiant  sa  portée,  lui  confèrent  une  autre  actualité.      6.  Voici  le  vers  de  l'Æra◊yaka  ou  de  l'UpaniÒad  (TU  I.10)  tel  qu'il  se  présente  généralement.    A_hM   vç_ôÒy_   reir£va   ;   kI_it(:   pç_‹QM   ig_reir£v   ;   *_∆v(p£ivêo   va_ijnI£v  Òv_mçt£miÒm   ;   Ôiv£N_@&_   sv£c(sm`   ;   sumeDa   A£mçto_iôt£:   ;   ^it  iêx´ove(da£nuv_cnm``  ;    Aha≠µ  v®kÒa≠sya  re≠rivæ  /  kÚrt≤Ì  p®Ò†ha≠µ  gire≠r  iva  /  ºrdhva≠pavitro  væj≤nÚva  svam®≠tam  asmi  /  dra≠vi◊aÓ  sa≠varcasam  /  su≠me≠dh  am®tokÒ≤taÌ  /  ≤t≤  tr≤‡a≠©ko≠r  ve≠dænuvaca≠na≠m  /  Ahaµ  v®kÒasya  rerivæ  /  kÚrtiÌ  p®Ò†haµ  girer  iva  /  ºrdhvapavitro  væjinÚva  svam®tam  asmi  /  dravi◊aÓ  savarcasam  /  sumedhæ  am®tokÒitaÌ  /  iti  tri‡a©kor  vedænuvacanam  /  10/  En   écriture   nægarÚ,   c'est   ainsi   qu'il   est   édité   dans   TÆM,   donc   en   tant   que   partie   du   TaittirÚya-­‐Æra◊yaka27.   Cette   édition   est   accompagnée   du   commentaire   de   Bha††a   Bhæskara   que   nous   aurons   à  utiliser.   C'est   le  même   texte,  mais   sans   les  marques   de   la   tonalité,   que   l'on   trouve   dans   les   principales  éditions  des  UpaniÒad,  celle  de  LIMAYE-­‐VADEKAR  1958  ou,  en  dernier,  celle  de  OLIVELLE  1998a.  On  n'en  connaît  pas  de  variantes28  et  presque  toutes  les  éditions  contemporaines  adoptent  le  découpage  que  nous  avons  reproduit.  Quant  aux  commentateurs  anciens,   si,   comme  nous  allons   le  voir,   leurs   interprétations  diffèrent,   ils   sont   unanimes   pour   ce   qui   est   du   texte   lui-­‐même.   Au   lieu   de  Ôiv£N_@&_,   on   trouve  Ôiv£N_M  dans   certaines   éditions  ;   il   ne   s'agit   pas   là   d'une   variante,  mais   de   la   notation  d'un   fait   de  phonétique  propre  aux  brahmanes  TaittirÚyaka  :  devant  spirante,  l'anusværa  est  remplacé  par  le  signe  de  l'anunæsika,   à   savoir   le   candrabindu   en  nægarÚ   (voir   le  TaittirÚya-­‐Præti‡ækhya   et   aussi   STAUTZEBACH  1994).  Les  différences  dans  l'interprétation  de  am®tokÒitaÌ  font  qu'aujourd'hui  on  peut  hésiter  entre  les  graphies  am®to'kÒitaÌ  et  am®tokÒitaÌ.  Mais  oralement  il  n'y  a  aucune  différence  et  ce  sont  les  habitudes  d'écriture,  aussi  bien  en  nægarÚ  qu'en  translittération29,  qui  la  provoquent.  Rappelons  qu'en  revanche  les  commentateurs  anciens  n'ont  probablement  pas  envisagé  le  texte  à  partir  de  son  écriture.  C'est  différent  aujourd'hui  où  les  présences  de  l'avagraha  en  nægarÚ  (est-­‐ce A£mçto_iôt£:  ou A£mçto_Siôt£:?)  et   de   l'apostrophe   en   écriture   romanisée   nécessitent   un   choix.   Or   les   manuscrits   sanskrits   anciens   ne  séparent   pas   les   mots,   c'est-­‐à-­‐dire   qu'il   n'y   a   pas   de   blanc   entre   les   mots   :   lisant  *_∆v(p£ivêova_ijnI£vÒv_mçt£miÒm  ;,  on  hésite  légitimement  entre  les  lectures  væjinÚvasv  am®tam   et  væjinÚva  svam®tam   (=væjini–iva  svam®tam  ou  væjinÚ–iva  svam®tam)  sans  qu'il   s'agisse  à  

                                                                                                               27  TÆM  1985  :  27  (du  second  volume).  Les  autres  éditions  du  TÆ  (TÆC,  TÆP)  ont  la  même  lecture,  y  compris  

pour  la  tonalité.  28  À  l'exception  de  PATHAK  1999  :  145  qui  édite  (sans  note  ni  remarque):  kÚrtiÌ  p®Ò†haµ  gireÌ  eva.  L'auteur  fait  

de   cette   phrase   un   exemple   de   pºr◊opamæ   'comparaison   complète';   il   dit   que   «  eva   [sic]   is   upamævæcaka  ».   Par  ailleurs,  dans  le  même  passage,  il  dit  deux  fois  «  væjinÚ  »  (et  non  væjini).  Comme  l'auteur  ne  cite  pas  ses  sources,  qu'il  ne  propose  (p.  27)  qu'une  lointaine  paraphrase  du  texte  et  que  son  ouvrage  est  passablement  négligé  (ainsi  le  passage  édité   dit   aussi   urdhvapavitro   [sic]),   on   ne   peut   pas   être   sûr   que   l'auteur   ait   disposé   d'un   texte   comportant   des  variantes.  

29  L'avagraha  est  parfois  noté  dans  les  manuscrits  ;  il  commence  à  être  écrit  dans  les  inscriptions  à  partir  du  VIIIe  siècle  selon  BRONKHORST  1982.  

8     Article  Journal  Asiatique        proprement   parler   de   variantes.   On   retrouve   ces   lignes   sous   cette   forme,   mais   sans   tonalité,   dans   le  Baudhæyana-­‐G®hya-­‐Sºtra  (BauGS  II.5.24).  Ce  mantra  est  aussi  cité  dans  la  Næradaparivræjaka-­‐UpaniÒad  (IV.37)  car  il  doit  être  récité  pendant  la  cérémonie  du  renoncement30.  C'est  cette  version  qu'on  trouve  ci-­‐dessus  dans  l'écriture  romanisée.  Nous  avons  aussi  disposé  les  tons  à  l'occidentale  pour  mettre  en  valeur  le  caractère  apparemment  aberrant  de  la  tonalité  de  ce  passage  (cf.  §  8).    Formellement  il  s'agit  d'une  citation  close  par  la  particule  citative  iti  ;  ce  sont  les  paroles  que  dit  Tri‡a©ku  dont  c'est  ici  la  seule  mention  dans  l'UpaniÒad  (cf.  §  19)  et  dans  toutes  les  UpaniÒad  védiques.  Tri‡a©ku  est  assurément  le  récitant  du  vers.  Est-­‐il  aussi  son  auteur?  C'est  ce  qu'on  ne  peut  assurer,  tout  dépendant  de   l'interprétation  de   l'expression  vedænuvacanam   (cf.   §  18).   C'est   seulement   la   citation  qui   est   incluse  dans  le  BauGS  tandis  que  la  NPU  récite  la  clausule   iti  tri‡a©kor  vedænuvacanam.  Revenons  à  la  TU  pour  signaler  que,  si  toutes  les  citations  de  l'UpaniÒad  adoptent  une  forme  métrique,  celle-­‐ci,  apparemment,  fait  exception  :  sa  facture  8/8/14/7/8/  ne  correspond  à  aucun  chandas  'schéma  métrique'  védique.  C'est  sans  doute  ce  qui  vaut  à  ahaµ  v®kÒasya  rerivæ  etc.  d'être   ignoré  de   l'ouvrage  de  HORSCH  1966  consacré  aux  strophes  ou  versets  du  Veda  extérieurs  aux  Saµhitæ  ;  de  même,  W.  Rau  dans  le  Versuch  (RAU  1981)  dont  nous  reparlerons  ne  laisse  pas  entendre  qu'il  puisse  s'agir  d'un  verset  et  ne  tente  pas  de  le  reconstituer  à  l'instar  de  ce  qu'il  fait  systématiquement  pour  le  reste  de  l'UpaniÒad.  Pourtant,  dès  1897,  P.  Deussen  avait  envisagé   l'idée   et   proposé   plusieurs   solutions  ;   sa   traduction   (DEUSSEN   1897  :   221)   est   formellement  présentée  comme  celle  d'un  verset.  Les   traductions   les  plus  connues  ont  suivi  P.  Deussen  à  cet  égard  et  cela  vaut  aussi  pour  les  dernières,  à  savoir  celles  de  OLIVELLE  1996  :  183,  1998a  et  ROEBUCK  2000  :  245.  Cette   différence   d'appréciation   tient   sans   doute   au   fait   que   l'UpaniÒad   dans   ses   deux   autres   sections  (appelées  traditionnellement  vallÚ  'lianes')  réserve  un  traitement  spécifique  aux  versets,  en  les  annonçant  par   une   formule   topique  ;   seul   le   premier   verset   (TU   II.1)   est   introduit   différemment.   Or   de   ahaµ  v®kÒasya...,   l'UpaniÒad,   sans  recourir  à   la   formule,  dit   seulement,  en  se  référant  au  contenu  et  non  à   la  forme,   que   ce   fut   le   vedænuvacana   de   Tri‡a©ku.   Par   ailleurs  manifestement   il   ne   s'agit   pas   d'un  ‡loka  défectueux.   Il   demeure   curieux   que   ni   P.   Horsch   ni   W.   Rau   n'aient   mentionné   la   possibilité   que   ces  quelques  mots  aient  pu  originellement  être  soumis  à  l'impératif  du  mètre.    7.   Commençons   par   examiner   le   passage   tel   qu'il   se   présente   à   nous   aujourd'hui   et   tel   que   plusieurs  commentateurs31   l'expliquent.  Ωaµkara   (ca.   VIIIe   siècle)   est   le  maître   de   l'Advaita-­‐Vedænta   bien   connu  par   ailleurs   et   son   commentaire   de   l'UpaniÒad   est   le   plus   ancien   qui   soit   parvenu   jusqu'à   nous  ;   il   a  commenté  neuf  UpaniÒad  anciennes,  sans  doute  celles  qu'il  considérait  comme  relevant  de  la  révélation  védique32.  Sure‡vara  fut  le  disciple  direct  de  Ωaµkara  et  il  a  composé  le  TaittirÚyopaniÒadbhæÒyaværtika  où   il   commente   longuement   l'ouvrage   de   son   maître.   Bha††a   Bhæskara   aurait   vécu   au   début   du   XIIe  siècle  ;   il   composa   le   J~ænayaj~a,   le   premier   commentaire   de   toute   la   branche   TaittirÚya   du  K®Ò◊ayajurveda   (voir   CARRI   1985  :   7-­‐8,   11   et   PATHAK   1999  :   36-­‐3733).   Sæya◊a   est   le   célèbre  commentateur,  rédacteur  du  Vedærthaprakæ‡a.  Il  aurait  vécu  au  XIVe  siècle  (1315-­‐89?)  en  Inde  du  sud  et  

                                                                                                               30  Voir  T.R.  CHINTAMANI  DIKSHIT  1983  :  86.  M.  C.  Bouy  me  signale  que  cette  UpaniÒad  «  est  probablement  de  date  

relativement  récente  et  qu'elle  a  été  remaniée  au  XVIIIe  siècle.  »  Il  en  existe  une  traduction  française  due  à  A.  DEGRACES-­‐FAHD  1989  :  292:  «  Je  suis  celui  qui  meut  l'arbre.  Ma  renommée  vaut  la  cime  d'une  montagne.  Hautement  pur,   je  suis  la  toute  immortalité  dans  le  soleil  et  la  fulgurante  richesse.  J'ai  la  sagesse  parfaite;  je  suis  immortel,  impérissable.  C'est  ainsi  que  Trisa©ku  enseigna  le  veda.  »  Dans  la  Vedic  Word-­‐Concordance  de  Vi‡va  Bandhu,  la  phrase  ne  relève  que  de  la  TU  et   de   la   NPU.   À   part   les   commentaires   de   ces   ouvrages   et   la   citation   du   BauGS,   nous   n'avons   pas   repéré   d'autres  mentions  de  ce  passage.  

31  La  TU  et   ses   commentaires  ont   constamment  été  étudiés   selon  plusieurs  points  de  vues,  majoritairement  vedæntiques.   AGARWAL   2000   a   recensé   54   commentaires   en   sanskrit   et   dans   quelques   langues   indiennes  modernes  jusqu'en  1919.  Nous  avons  retenu  Ωaµkara  et  Sæya◊a,  certes  en  raison  de  l'intérêt  de  leur  contribution,  mais  surtout  parce  que   c'est  par   rapport  à  Ωaµkara  que   la   très  grande  majorité  des   traducteurs   contemporains  de   l'UpaniÒad   se  déterminent.  Quant  à  Bha††a  Bhæskara,  il  n'était  pas  un  vedæntin  (ni  de  l'école  de  Ωaµkara,  ni  d'une  autre).  Il  se  situe  en  dehors  des  intérêts  contemporains  de  l'Indian  Spirituality  et  personne  ne  le  revendique.  CARRI  1985  :  1  le  regrette  :  «  By  some  strange  quirk  of  history,  Bha††a  Bhæskara  Mi‡ra's  pioneering  commentary  on  the  TaittirÚya  recension  of  the  Yajurveda  (...)  has  been  all  but  forgotten,  or  at  best,  it  has  been  given  lip-­‐service  »,  mais  il  n'analyse  pas  les  raisons  d'un  tel  oubli.  

32  Bien  qu'ayant  commenté,  dans  sa  jeunesse  pense-­‐t-­‐on,  l'Ægama‡æstra,  l'ouvrage  majeur  de  son  paramaguru  Gau∂apæda   (voir   BOUY   2000   :   33),   Ωaµkara   n'a   pas   commenté   les   passages   en   prose   en   les   donnant   pour  upaniÒadiques,  et  il  ne  les  cite  jamais  dans  le  BSBh.  Il  ne  devait  pas  les  considérer  comme  constituant  une  UpaniÒad.  Ce   n'est   qu'après   lui   que   le   caractère   upaniÒadique   de   ces   quelques   lignes,   connues   sous   le   nom   de  Mæ◊∂ºkya-­‐UpaniÒad,  a  été  généralement  accepté.  

33  Ses  dates  sont  controversées   (cf.  PATHAK  1999   :  36-­‐37).  Ce  qui  est   sûr,   c'est  que  Bha††a  Bhæskara  a  vécu  avant  Sæya◊a,  qui  le  cite.  

9     Article  Journal  Asiatique        serait  apparenté  à  Madhava,   l'auteur  vedæntin  du  Sarvadar‡anasaµgraha  ;  peut-­‐être   les  deux  étaient-­‐ils  confondus   (DASGUPTA   1922  :   419).   En   tout   cas,   il   appartient   au   temps   (vers   135034)   où   fleurissent   de  nombreux  commentateurs  vedæntin,  le  temps  où  le  Vedænta,  dans  toutes  ses  variantes,  s'impose  comme  philosophie  de  référence.    Du  texte  dont  on  ne  connaît  donc  aucune  variante  et  que  tous  les  commentateurs  acceptent  en  l'état,  on  peut  donner  la  traduction  suivante  :  «  Je  [suis]  le  rerivæ  de  l'arbre  /  [ma]  renommée  [est]  comme  le  faîte  du  mont  /  filtre  haut,  [je]  suis  comme  dans  le  coursier,  la  bonne  immortalité  /  richesse  pourvue  d'éclat  /  sage,  inondé  d'ambroisie.  »  Cette  traduction  est  hésitante  et  peu  convaincante  ;  en  effet,  le  passage  est  hors  de  tout  contexte  :  certes  l'auteur  ou   le  compilateur  de   l'UpaniÒad   a  pensé  que  ce  verset  avait  sa  place   ici,  mais  ni  avant  ni  après  dans   l'UpaniÒad,   il   n'est   question   d'un   arbre,   d'un   coursier,   d'un  mont,   etc.   Certains   commentateurs   (à  commencer  par  Ωaµkara)  sentent  d'ailleurs  le  besoin  de  justifier  la  portée  et  la  présence  de  ce  mantra  ici.  De  plus,  l'hésitation  est  fonction  du  découpage  du  texte,  dont  nous  allons  voir  qu'il  est  sujet  à  caution  :  ici  nous  adoptons  la  lecture  de  væjinÚvasvam®tamasmi  /  en  væjini–iva  svam®tam  asmi  /  parce  que  c'est  ce  que  lisent  tous  les  commentateurs  ;  mais  il  est  assuré  que  ce  découpage  et  le  sens  qui  en  résulte  ne  sont  pas  originels.  Est-­‐ce  Ωaµkara,  le  premier  commentateur  que  nous  connaissons,  qui  en  est  responsable  ou  hérite-­‐t-­‐il   d'une   tradition   de   lecture   antérieure  ?   On   ne   peut   en   décider.   Le   fait   est   que   le   passage  comprend  des  mots  rares  dont  le  sens  n'est  pas  assuré.  Si  aucun  des  commentateurs  ne  porte  de  jugement  sur  cette  strophe,  beaucoup  des  traducteurs  occidentaux  se  prononcent  à  ce  sujet  et  s'accordent  pour  la  déclarer   obscure.   DEUSSEN   1897  :   221   dit   que   c'est   «  eine   etwas   dunkle,   vielleicht   auch   verderbte,  Strophe  »  ;   HUME   1921  :   281   va   plus   loin   et   dit   que   «  the   whole   paragraph   is   an   obscure,   mystical  meditation,  either  a  preparatory  invocation  for  the  study  of  the  Vedas  or  a  summary  praise  of  its  exalting  and  enlightening  effect  »  :  comme  quoi  il  suffit  d'être  obscur  pour  devenir  mystique  ;  OLIVELLE  1998  :  575  considère   également   que   «  this   verse   is   very   obscure.  »   C'est   un   jugement   que   jamais   aucun  commentateur  ni  aucun  traducteur  indien  ne  se  permettent.  Recensons  les  problèmes  :  -­‐  rerivæ  est  un  hapax  des  UpaniÒad  et  même  de  tout  le  Veda.  De  plus,  c'est  une  forme  qu'on  n'identifie  pas.  Tous  les  commentateurs,  c'est  leur  devoir,  expliquent  rerivæ,  une  forme  hors  normes  qui  n'a  aucun  sens  sûr   et   ne   tire   sa   légitimité   que   de   son   statut,   c'est-­‐à-­‐dire   de   son   appartenance   au  Veda35.   La  majorité  d'entre   eux   adopte   la   lecture   de  Ωaµkara   qui   interprète   sémantiquement   le  mot,  mais   ne   l'analyse   pas  formellement  :   il  glose  rerivæ  par  prerayitæ,  nominatif  de  prerayit®,   formé  sur  le  causatif  de  pra-­‐ŸR-­‐  ;   le  sens  est  donc  'agent  de  l'action  de  faire  bouger'.  C'est  aussi  ce  sens  qu'adopte  Bha††a  Bhæskara  quelques  siècles  plus  tard.  Mais,  pour  Bha††a  Bhæskara,  c'est  sur   la  base  d'une  analyse   formelle  puisqu'il  dit  que  rerivæ  est  un  dérivé  de  la  racine  RI¢G-­‐  (ri©  gatau  I.164)  :  il  s'agirait  d'une  forme  de  l'intensif  (ya©luganta)  de  cette   racine  avec  antyalopa‡  chændasaÌ   'une  apocope  védique'.  Quant  à  Sæya◊a,   il   affirme,   sans  plus  emporter  la  décision,  que  rerivæ  est  un  dérivé  de  RŸ-­‐  (cf.  infra  §  15).  En  fait,  les  analyses  morphologiques  de   Bha††a   Bhæskara   et   de   Sæya◊a   font   ressortir   l'irrégularité   du   mot   et   montrent   par   ricochet   le  caractère   arbitraire   du   sens   adopté   par   Ωaµkara,   même   si   d'ailleurs   celui-­‐ci   a   hérité   d'une   tradition  d'interprétation   (ce   qui   est   possible,   mais   demeure   une   hypothèse   en   l'occurrence).   Sure‡vara   glose  rerivæ  par   janakaÌ   'engendreur,  créateur'36.  Est-­‐ce  que  le  prerayitæ   'celui  qui  met  en  branle'  de  Ωaµkara  est   l'exact   équivalent   de   janakaÌ   'créateur'   de   Sure‡vara?  On   peut   en   douter  :   il   y   a   quelque   différence  entre  pra-­‐ŸR-­‐  ‘mettre  en  branle’  et  JAN-­‐  ‘engendrer,  créer’.  Parmi  les  contemporains,  DEUSSEN  1897  :  221  dit   que   rerivæ   est   construit   comme   rarævæ   (�S   X.40.7)   et   en   fait   une   forme   de   la   racine  RI/Ÿ-­‐   ri◊Âti.  Sémantiquement,  tous  les  traducteurs  ont  suivi  Ωaµkara,  sauf  RAU  1981  :  355  parce  qu'il  traduit  le  texte  émendé  par  ses  soins  (cf.  §  17).    

                                                                                                               34   C'est   la   date   du   Vivara◊a-­‐prameya-­‐saµgraha   de   Vidyæra◊ya   donnée   par   An   Encyclopaedic   Dictionary   of  

Sanskrit  on  Historical  Principles,  vol.  1,  p.  lxxvii.  A.  Mahadeva  Sastri  considère  que  Vidyæra◊ya,  le  «  second  Ωaµkara  »  comme  on  le  nomme  parfois,  et  Sæya◊a  désignent  la  même  personne  (cf.  A.  M.  SASTRI  1980,  préface,  p.  v).  Cela  semble  fort  peu  probable.  

35   La   gestion   des   formes   aberrantes   ou   bizarres   des   textes   anciens   (sanskrits   ou   autres)   a   toujours   posé  problème.   J.   Brough,   dans   un   article   demeuré   fameux,   avait   pour   le   sanskrit   bouddhique   (BROUGH   1954)   relevé   les  méfaits   de   la   volonté   normative   des   sanskritistes   contemporains.   Une   forme   bizarre   peut   être   correcte  linguistiquement,  à  l'époque,  et  donc  significative  ;  elle  peut  aussi  être  le  produit  des  habitudes  de  récitation  (ou  des  habitudes  orthographiques  des  scribes).  Dans  le  second  cas  de  figure,  comme  le  Veda  ne  saurait  être  insignifiant  aux  yeux   de   Ωaµkara   et   de   ses   amis   brâhmanes,   cela   conduit   nécessairement   à   inventer   du   sens.   En   contrepoint,   dans  FILLIOZAT  2000,  on  trouvera  une  analyse  nuancée  de  la  volonté  normative  des  pandits.  

36  Asya  saµsærav®kÒasya  rerivæ  janako'smy  aham  «  Je  suis  rerivæ,  c.-­‐à-­‐d.  le  créateur,  de  cet  arbre  du  monde  ».  VAN  BOETZELAER  1971  :  36  traduit  :  «  I  am  the  mover,  (i.e.)  the  producer  of  saµsæra.  »  Alors  que  Sure‡vara  glose  rerivæ,  le  traducteur  fait  comme  si  le  mot  originel  était  prerayitæ.  

10     Article  Journal  Asiatique        -­‐  ºrdhvapavitraÌ,  nécessairement  un  mot  masculin,  est  comme  rerivæ  un  hapax  dans  les  UpaniÒad  et  tout  le  Veda.  En  revanche,  le  mot  est  formé  régulièrement  bien  que,  faute  de  contexte,  son  sens  ne  soit  pas  très  clair.  Les  traducteurs  hésitent  :  'suprêmement  pur'  (LESIMPLE  1978  :  23),  'purifier  above'  (ROEBUCK  2000  :  245).  P.  DEUSSEN  dit   :   ‘höchster  Läuterung’  et  RAU  1981  traduit  «  oben  [rituell]   rein  (m.)  ».  S'y  ajoute   le  problème  de  syntaxe  que  souligne  W.  Rau  par  la  notation  du  genre  :  comment  construire  ce  mot  masculin  avec  le  svam®tam  de  l'expression  suivante  alors  que,  en  l'absence  de  verbe  d'action  qui  rendrait  possible  l'accusatif,   svam®tam   semble   être   le   nominatif   d'un   nom   neutre  ?   La   syntaxe   floue   et   le   manque   de  contexte  rendent  les  traducteurs  nécessairement  audacieux  ou  maladroits.  -­‐   La   séquence   væjinÚvasvam®tam   est   analysée   en   væjinÚva   svam®tam   par   Ωaµkara   et   aucun  commentateur   ultérieur   ne   mentionne   une   autre   possibilité.   Dans   væjinÚva,   on   comprend   væjini–iva,  c'est-­‐à-­‐dire   le   locatif   singulier   de   væjin   suivi   de   la   particule   de   comparaison   iva.   Ainsi   que   l'a   montré  SWENNEN  2004  (p.  49-­‐60),  le  terme  væj≤n  est  un  des  noms  du  cheval  en  tant  que  l'a‡va,  cheval  ordinaire,  via   un   rituel   de   consécration   par   aspersion,   devient   le   truchement   par   lequel,   en   offrant   ce   væj≤n   aux  dieux,  les  hommes  acquièrent  le  vÂja  ('vigueur',   'animation',   'énergie'  selon  OLDENBERG  ZDMG  55,  p.  443  et  aussi  'nourriture',  'richesse')  ;  annaµ  vai  væjaÌ  «  væja  est  la  nourriture  »  est  une  phrase  récurrente  dans  les  Bræhma◊a  et   la  glose  de  Ωaµkara  (væjam  annam)  est  une  quasi-­‐citation37.  Par  ailleurs,   l'Amarako‡a,  l'ouvrage  de   lexicologie   le  plus   ancien   et   le  plus   connu,   cite  væjin   comme  un  des  noms  du   cheval,  mais  aussi  de  l'oiseau  en  général.  Quant  à  svam®tam,  ce  serait  un  mot  neutre,  formé  de  su  'bon'  et  de  am®tam.  L'adjectif  am®ta  'immortel',  substantivé  au  neutre,  désigne  l'ambroisie  ou  le  nectar  qu'est  le  jus  de  soma.  On  sait  qu'Indra  est  friand  de  l'ambroisie  ou  du  nectar  somique,  et  que  le  soma  est  la  liqueur  d'immortalité  :   a≠pæma   so≠mam   a≠m®tæ   abhºma   «  Nous   avons   bu   le   soma,   nous   sommes   devenus   immortels  »   (�S  VIII.48.3a).   Cette   ambiguïté   sémantique   est   augmentée   par   le   fait   que   si   grammaticalement   am®ta   se  laisse   bien   traduire   par   'immortel',   en   revanche   la   conception   védique   de   l'immortalité   est   loin   d'être  claire.  Cela  rappelle  ce  que  dit  W.  D.  O'Flaherty  à  propos  de  a≠m®tæ  abhºma  cité  ci-­‐dessus  :  «  The  phrase  'We  have  become  immortal',  for  example,  is  linguistically  straightforward  ;  few  would  challenge  the  plain  English  rendering.  But  what  does  it  mean  ?  »  (DONIGER  O'  FLAHERTY  1981  :  15).  Ajoutons  que  am®ta  dans  le  Veda  ne  coïncide  pas  nécessairement  avec   l'am®ta  que   l'on  connaît  dans   le  Vedænta,  sans  parler  des  résonances  des  mots  'immortalité'  et  'immortel'  dans  nos  discours  contemporains.  Quant  à  svam®ta,  c'est  un  hapax  védique,  'bon  immortel',  'bonne  immortalité'  ou  'bonne  ambroisie'  s'imposant  dans  la  traduction  sans  que  l'on  comprenne  bien  en  quoi  il  pourrait  exister  un  *duram®tam   'une  mauvaise  immortalité'  ou  une  'mauvaise  ambroisie'.  -­‐  am®tokÒitaÌ   lui  aussi  ne  se   laisse  pas   facilement  apprécier.  Deux  problèmes  se  posent.  D'abord  parce  que  deux  lectures  sont  possibles.  La  première,  retenue  par  les  éditions  contemporaines,  est  am®tokÒitaÌ  :  am®ta-­‐ukÒitaÌ  'inondé  d'ambroisie',  'göttertrankbetaut'  (Deussen)  ;  la  seconde  est  am®to'kÒitaÌ  :  am®ta  'immortel'   et  akÒita   'sans   déclin'.   Notons   que   les   éditions   imprimées,   qu'elles   soient   en  nægarÚ   ou   en  caractères   romanisés,   distinguent   ces  deux   lectures  par   l'avagraha   (AmçtoSiôt:   /  Amçtoiôt:)   ou  par   l'apostrophe  am®to'kÒitaÌ   /  am®tokÒitaÌ38.  Or  dans   les  manuscrits  anciens,  on  écrit   généralement  am®tokÒitaÌ,   sans   toujours   noter   l'avagraha,   facteur   de   distinction   entre   les   deux   possibilités.   Bha††a  Bhæskara,  lui  aussi,  lit  am®taÌ  mara◊arahitaÌ  akÒitaÌ  anupakÒayaÌ  ajaraÌ  «  am®ta  'non  sujet  à  la  mort'  et  akÒita   'sans   déclin,   non   sujet   à   la   vieillesse'  »   puis   propose   une   deuxième   interprétation  :   yad   væ  am®tokÒitaÌ   am®tatvahetunæ  ænandenæplutaÌ   «  ou   bien   am®tokÒita   signifie   'inondé   de   la   béatitude'  causée  par  sa  nature  d'ambroisie.  »  Outre   le  problème  déjà  évoqué  précédemment  concernant   la  nature  de   l'am®ta,   il   faut   aussi   tenir   compte  que   l'unique   racine  UK∑-­‐   que   connaît   la   grammaire  pæ◊inéenne  (u≠kÒa≠  secane  selon  le  Dhætupæ†ha  I.68739)  se  révèle  double  aux  yeux  des   linguistes  contemporains   :  MAYRHOFER  KEWA,  s.  v.,  connaît  les  entrées  u≠kÒati  'grandir'  et  ukÒa≠ti  'mouiller'  ;  ce  sont  celles-­‐ci  dont  L.  Renou  étudie  la  répartition  (ÉVP  XV,  p.  156)  à  propos  de  ukÒitam  dans  �S  I.114.7.  Quoi  qu'il  en  soit,  on  ne  voit  pas  que   les  deux  racines  ou   les  deux  sens  s'appliquent  dans  un  composé  am®tokÒita,  absent  de  toutes   les   Saµhitæ   védiques.   Par   ailleurs,   la   liaison   entre  am®ta   et  ukÒita   (dans   des   formules   de   type  *am®tenokÒitaÌ)   est   tout   aussi   absente  des  mantra   védiques.   L'expression   la   plus  proche   est  asnæ   (ou  æsnæ)  ukÒitaÌ  (AS  V.5.8)  dont  le  sens  est  douteux.  Il  faut  donc  se  résoudre  à  sortir  du  Veda  pour  expliquer  la  formule,   laquelle  serait  donc  post-­‐védique,  au  moins  extérieure  aux  Saµhitæ  et  Bræhma◊a.  Le  sens  ne  

                                                                                                               37  Les  discussions  sur   le  mot  væja  proviennent  principalement  de   l'analyse  de   l'expression  væjapeya,   le  nom  

d'un   sacrifice   par   quoi   on   cherche   à   obtenir   la   nourriture.   Pour   annaµ   vai   væjaÌ,   voir   ΩB   VI.3.2.10,   IX.3.4.1;   TMB  XIII.9.21;  JB  II.192,  III.151,  etc.  

38  Vers  834-­‐835  selon  G.  Bühler  cité  par  BRONKHORST  1982b  :  187.  39  La  glose  de  Bha††a  Bhæskara  est  elle-­‐même  curieuse  parce  qu'elle   ignore  complètement   le  Dhætupæ†ha,  

contre  les  habitudes  de  l'auteur.  Voir  le  chap.  V  de  CARRI  1985.  

11     Article  Journal  Asiatique        peut  qu'être  conjectural,  faute  d'éléments  de  comparaison,  et  dès  lors  il  semble  que  'inondé  d'ambroisie'  ou   'grandi   par   l'ambroisie'   soient   peut-­‐être   préférables   à   am®taÌ,   akÒitaÌ   'immortel,   sans   déclin'.  L'hésitation   est   impossible   à   éviter   :   HUME   1965  :   281   traduit   «  wise,   immortal,   indestructible  »,   mais  ajoute   en   note   que   les   traductions   «  sprinkled   with   immortality   (or,   with   nectar)  »   sont   également  possibles  ;   LESIMPLE   1948:   24   dit   la  même   chose.   En   revanche,   je   n'ai   pas   vu   un   commentateur   ou   un  traducteur  utiliser  le  sens  «  grandir  »  de  UK∑-­‐.  Remarquons  que  de  toute  façon  il  n'y  a  pas  de  redondance  avec  l'am®tam  du  pæda  précédent  puisqu'ici  le  mot  am®taÌ  est  masculin  et  vaut  pour  un  adjectif  tandis  que  l'aµrtam  neutre  est  forcément  un  substantif.    -­‐  Quant  à  sumedhæÌ,  c'est  par  ailleurs  une  expression  de  la  �S  III.38.1d,  traduite  «  doué  de  sagesse  »  par  L.  RENOU  (ÉVP  XVII,  p.  80)  ;  elle  y  apparaît  dans  la  bouche  du  poète  dans  un  contexte  indraïque  qui  évoque  un  coursier  gagnant  (væjin).  Si  l'on  échange  les  deux  sens  de  am®ta,  le  texte  signifierait  alors  :  «  Je  [suis]  le  rerivæ  de  l'arbre  /  [ma]  renommée  [est]  comme  le  faîte  du  mont  /  filtre  haut,  [je]  suis  comme  dans  le  coursier,  la  bonne  ambroisie/  richesse  pourvue  d'éclat  /  sage,  inondé  d'immortalité.  »  -­‐  Tri‡a©ku  n'est  pas  cité  parmi  les  ®Òi  védiques  et  son  nom  apparaît  ici  (TU  I.10)  pour  la  première  fois.  Voilà   donc   un   poète   qui   a   probablement   composé   un   vers   en   amalgamant   du   vocabulaire   formulaire  védique  à  un  vocabulaire  nouveau  dans  une  syntaxe  nouvelle.  L'auteur  ou  le  compilateur  de  la  TaittirÚya-­‐UpaniÒad  (ou  un  des  auteurs  ou  compilateurs)  attribue  donc  à  Tri‡a©ku  la  paternité  de  cette  stance  et,   la  comprenant  à  sa  propre  manière,   il  a   jugé  que  cette  citation  avait   sa   place   dans   l'UpaniÒad   à   cet   endroit.   Il   faut   donc   connaître   son   contexte   dans   l'UpaniÒad.   La  séquence   précédente   (TU   I.9)   est   principalement   consacrée   à   glorifier   lyriquement   le   svædhyæya  'cantilation   personnelle'   associé   au  pravacana   'récitation   didactique'.   Quant   à   la   suivante   (TU   I.11.1-­‐4),  elle   mentionne   les   dernières   paroles   que   le   précepteur   en   Veda   (æcærya)   adresse   à   l'étudiant  brahmanique  qui,  ses  études  terminées,  s'apprête  à  le  quitter  et  à  retourner  chez  lui.  Le  maître  dresse  la  liste   des   devoirs   (récitation   du   Veda,   devoir   conjugal,   etc.)   qui   désormais   vont   incomber   à   son   ancien  disciple   et   il   accompagne   cette   énumération   de   prescriptions   d'ordre   éthique   (dire   le   vrai,   imiter   le  comportement   des   brahmanes   respectables,   etc.).   Les   deux   paragraphes   (TU   I.9   et   I.11)   sont   beaucoup  plus  longs  que  TU  I.10  et  possèdent  chacun  leur  propre  cohérence.  Même  au  niveau  stylistique,  on  ne  peut  pas   dire   qu'ils   soient   exactement   dans   la   continuité   l'un   de   l'autre.   Le   lyrisme   répétitif   de   TU   I.9   ne   se  retrouve   guère   dans   TU   I.11   où   il   s'agit   plutôt   d'une   leçon   de   morale.   Que   la   stance   en   question   soit  obscure  dès  l'origine  ou  le  soit  devenue  par  suite  d'émendations  diverses,  sa  présence  ici  devait  forcément  s'articuler  au  moins  un  minimum  dans  le  contexte  de  l'UpaniÒad  aux  yeux  de  celui  qui  l'y  a  placée.  C'est  ce  minimum   dont   rendent   compte   Ωaµkara   et   Sure‡vara   expliquant   que   cette   stance   est   svædhyæyærtha  'pour  la  cantilation'  parce  qu'il  s'ensuit  la  purification  du  mental  (vi‡uddhir  [...]  dhiyaÌ).  Avant   que,   plus   d'un   millénaire   plus   tard,   Ωaµkara   n'en   fasse   sa   lecture   personnelle,   on   doit   donc   en  imaginer  au  moins  deux  autres,  celle  de  Tri‡a©ku  et  celle  du  compilateur.      8.  L'utilisation  de  la  tonalité.  Nous  ne  pouvons  pas  rendre  compte  dans  ce  cadre  restreint  de  tous  les  problèmes  de  tonalité  que  posent  ce  passage  et,  au  delà,  toute  l'UpaniÒad.  La  tonalité  n'apporte  d'ailleurs  pas  que  des  problèmes,  mais  aussi  des   solutions.   Remarquons   dès   l'abord   qu'on   observe   ici   deux   pratiques   tonales   (le   fait   n'est   pas  exceptionnel  et  se  retrouve  par  ailleurs  dans  le  reste  de  l'UpaniÒad  ;  voir  ANGOT  2007).  Le  mantra  suit  les  principes  de  la  tonalité  que  l'on  connaît  dans  le  Rg-­‐Veda  ou  la  TaittirÚya-­‐Saµhitæ  par  exemple,  ceux  dont,  grosso   modo,   Pæ◊ini   a   noté   les   usages.   Après   le   mantra,   vient   la   clausule   ≤t≤   tr≤‡a≠©ko≠r  ve≠dænuvaca≠na≠m.  Transcrite  ainsi,  on  voit  qu'elle  ne  suit  pas  du  tout  les  usages  védiques  et  pæ◊inéens.  Les  usages   codifiés   par  Pæ◊ini   s'observent  dans   le  mantra,  mais   avec  quelques   anomalies.   En  principe,  pour   chaque  mot,   il   y   a   un   seul   ton  principal,   très   généralement   l'udætta   'aigu'  ;   le   svarita   'modulé'   est  également   possible,  mais   beaucoup   plus   rarement  :   il   n'y   en   a   pas   ici.   Font   exception   à   la   règle   du   ton  principal  unique  quelques  mots  à  double  udætta  (dans  le  Vyækara◊a  pæ◊inéen,  ils  sont  énumérés  dans  un  ga◊a  'groupe'  spécifique)  :  il  n'y  en  a  pas  non  plus  ici.  Font  aussi  exception  les  mots  enclitiques  dénués  de  ton   autonome  ;   ici   c'est   le   cas  de   iva.   Par   ailleurs,   la   nature   et   la   place  de   certains  mots  dans   la   phrase  influent  sur   la  présence  ou   l'absence  du  ton   :  par  exemple   les  vocatifs   (quand   ils  ne  sont  pas  en  tête  de  phrase)  sont  'atones',  en  fait  sarvænudætta  'tout  graves'  :  il  ne  semble  pas  y  avoir  de  vocatif  ici  ;  de  même,  le  verbe  dans  une  proposition  principale  perd  le  ton  udætta  et  est  aussi  sarvænudætta  :  c'est  le  cas  de  asmi  dans   le   troisième   pæda   s'il   respecte   ces   principes.   On   voit   que   l'observation   de   la   tonalité   permet   de  conclure  grammaticalement  sur  la  nature  de  certaines  formes.  C'est  vrai  également  des  composés  dont  le  type  est  assorti  à  une  certaine  localisation  du  ton  principal.  Qu'en   est-­‐il   de   notre   texte?   Il   se   trouve  que   ces   principes   sont   en  partie   seulement   respectés.  Dans   les  deux   premier  pæda,   il   y   a   bien   un   ton  udætta   par  mot   (cf.   début   du   §   6).   La   présence   de   l'udætta   sur  

12     Article  Journal  Asiatique        re≠rivæ   permet   de   conclure   qu'il   ne   s'agit   pas   d'un   verbe.   En   revanche,   dans   les   pæda   qui   suivent,   la  tonalité  est  plus  délicate  à  utiliser.   Il   semble  que   les  principes  pæ◊inéens  continuent  à  s'appliquer  dans  ºrdhva≠pavitro  væj≤nÚva  svam®≠tam  asmi  :   le  verbe  asmi   en  proposition  principale  est  dénué  d'udætta  comme   il   se   doit,   le   mot   composé   ºrdhva≠pavitro   a   le   ton   primitif   (l'udætta)   du   membre   antérieur  (ºrdhva≠),   ce   qui   est   caractéristique   des   composés   bahuvrÚhi   (cf.   P   VI.2.1).   Quant   au   reste   væj≤nÚva  svam®≠tam,   iva  étant  enclitique,  chacun  des  mots  a   l'udætta,  mais   la   localisation  de  ces  deux  udætta  ne  permet  pas  de  fixer  les  limites  du  mot,  d'autant  que  le  svarita  dépendant  de  l'udætta  peut  déborder  sur  le  mot   suivant.   Ce   que   retient   Ωaµkara,   à   savoir   væjinÚva   svam®tam   (væjini–iva   svam®tam)   est   autant  possible   que   væj≤nÚvasv   am®≠tam.   La   seule   chose   impossible   c'est   d'imaginer   qu'il   y   aurait   un   mot  composé   unique   væj≤nÚvasvam®≠tam.   Le   pæda   suivant   est   lui   aussi   conforme   aux   règles   de   tonalité  pæ◊inénnes.   En   revanche,   le   dernier   pæda   où   sumedhæ   a   trois   udætta   n'est   pas   conforme   aux   règles  védiques  et  pæ◊inéennes.  Aucune  solution  n'est  envigeable  dans  ce  sens  notamment  du  fait  que  le  a  initial  de  am®tokÒ≤taÌ  est   svarita.   En  admettant  que   ce   svarita   soit  un   svarita   dépendant,  am®tokÒ≤taÌ   n'est  pas  régulier  :  si  l'on  tient  qu'il  s'agit  du  composé  am®tokÒita,  comme  il  s'agirait  alors  d'un  tatpuruÒa,  on  attendrait  am®tokÒita≠Ì   et  non  am®tokÒ≤taÌ  ;   si  maintenant   il   y   avait  deux  mots  am®taÌ   et  akÒitaÌ,   il  faudrait  am®≠to≠'kÒitaÌ  ou  am®≠to…'kÒitaÌ.  De  toute  façon  il  faudrait  un  ®  udætta  (selon  Pæ◊ini  Na~o  jaramaramitram®tæÌ  VI.2.116).  Il  est  étrange  que  seul  ce  dernier  pæda  ne  soit  pas  conforme  aux  règles  de  Pæ◊ini.  Il  ne  suit  pas  non  plus  le  schéma  qu'on  observe  dans  la  clausule  ou  dans  le  reste  de  l'UpaniÒad  en  raison   de   la   présence   du   svarita,   mais   il   s'en   rapproche  ;   si   c'était   le   cas,   on   attendrait   sumeDa  Amçto_iôt£:  ; où   une   succession   de   syllabes  monotones   (ton  moyen)   précède   la  modulation   finale  (grave/moyen/aigu/moyen)   et   où   le   visarjanÚya,   comptant   comme   une   syllabe,   est   récité   sur   un   ton  moyen  (il  est  toujours  récité  ainsi,  quel  que  soit   le  ton  de  la  voyelle  précédente).  La  seule  anomalie  à  ce  schéma   est   la   présence   du   svarita.   Que   la   première   partie   du  mantra   suive   le   second   schéma   (qui   est  souvent  celui  du  bræhma◊a)  n'est  pas  exceptionnel  dans  cette  œuvre  et  ce  procédé  s'observe  par  ailleurs  dans  la  TU  (ainsi  dans  TU  II.440).  Au   total,   malgré   quelques   incertitudes,   il   est   possible   de   considérer   que,   au   niveau   de   la   tonalité,   les  paroles  attribuées  à  Tri‡a©ku  suivent  dans   leur  première  partie  (pæda  a,  b,  c  et  d)   les  usages  védiques  tandis  que  le  reste  (le  pæda  e  et  la  clausule)  suit,  avec  une  anomalie,  l'autre  modèle.  Par  ailleurs,  bien  que  ce  texte  soit  absent  du  reste  du  Veda  (il  ne  s'agit  pas  d'une  citation),  une  partie  du  vocabulaire  est  comme  signée  :  væjin  est  «  un  mot  typiquement  «  kÒatriya  »,  va≠rcas  est  un  «  mot  des  contextes  royaux  »  (Renou  ÉVP  II  p.  86)  et  nous  verrons  (§  24)  que   le  mot  væjinÚvasu,  une  des   lectures  possibles,  est  une  épithète  d'Indra.   Finalement   on   serait   tenté   de   voir   dans   ce   passage   un  mantra   védique,   de   sens   incertain   (par  manque  de  contexte)  et  dont   la  double   tonalité   reflète   l'époque   tardive  de  sa  composition.  La  raison  de  son  insertion  dans  l'UpaniÒad  reste  obscure.    9.   Demeurons   dans   la   tradition   manuscrite   et   examinons   maintenant   s'il   est   possible   de   résoudre   les  nombreuses  difficultés  posées  par  ce  vers  défectueux,  et  ses  incertitudes  morphologiques  et  sémantiques.  D'abord,  il  est  certain  qu'il  s'agit  d'un  verset,  dont  la  structure  métrique  a  été  altérée.  Trois  des  séquences  entre  les  da◊∂a  affectent  la  forme  d'un  pæda  octosyllabique,  une  des  formes  les  plus  fréquentes  des  vers  védiques.  Certes  Ωaµkara  ne  dit  rien  de  cette  éventuelle  forme  versifiée,  mais  le  fait  n'a  rien  d'inhabituel  ;  au   contraire,   tout   au   long   de   son   commentaire   de   la   TU,   on   constate   qu'il   est,   de   fait   et   peut-­‐être   par  principe,  insensible  aussi  bien  au  caractère  poétique  du  texte  qu'au  caractère  musical  exprimé  notamment  par   la   tonalité   :   de   l'UpaniÒad,  Ωaµkara   ignore   tous   les   aspects   non   sémantiques   et   il   place   la   tonalité,  contrairement  à  Pæ◊ini,  en  dehors  de  la  morphologie  ;  jamais  on  ne  le  voit  interpréter  un  fait  de  tonalité  pour  en  tirer  des  conclusions  sémantiques.  En  revanche,  Bha††a  Bhæskara  affirme  qu'il  s'agit  d'un  mantra  et  cela  il  ne  le  dit  que  de  versets.  Il  assure  même  que  le  verset  est  une  Òa†padæ  jagatÚ,  une  jagatÚ  à  six  pæda.   C'est   sur   une   base   métrique   restaurée   qu'il   sera   peut-­‐être   possible   de   rétablir   le   sens   originel,  éventuellement  d'en  déterminer  la  devatæ  de  référence,  etc.,  et  finalement  de  comprendre  les  raisons  qui  ont  poussé  Ωaµkara  ou  un  de  ses  prédécesseurs  à  modifier  le  verset.  Les  affirmations  d'Ænandagiri  (XIIIe  siècle)  à  ce  sujet  reflètent  la  manière  de  voir  de  son  temps41.  Il  est  tout  à  fait  probable  que  l'altération  est  

                                                                                                               40  Voir  notre  étude  à  paraître  La  TaittirÚya-­‐UpaniÒad  avec  le  Commentaire  de  Ωaµkara,  Références  textuelles  §  

I.5.  41  C'est  l'époque  où  l'on  pense  que  tout  mantra  a  un  ®Òi,  une  devatæ  etc.  Dans  sa  †Úkæ  (p.  25),  Ænandagiri  dit  :  

ahaµ  v®kÒasyeti  mantrasya  ®Òis  tri‡a©kuÌ,  pa©kti‡  cchandaÌ,  paramætmæ  devatæ,  brahmavidyærthe  jape  viniyogaÌ  «  Le  ®Òi   du  mantra   commençant   par   ahaµ   v®kÒasya   est   Tri‡a©ku,   le   mètre   est   pa©kti   ;   la   divinité   est   l'ætman  suprême  ;   [ce   mantra]   est   affecté   à   la   récitation   murmurée   en   vue   de   la   connaissance   brahmique.  »   Une   telle  

13     Article  Journal  Asiatique        pré‡aµkarienne  puisqu'on  a  vu  (§  6)  que  ce  vers  est  cité  dans  le  Baudhæyana-­‐G®hya-­‐Sºtra  (II.5.24)42  et  qu'il   y   est   cité   exactement   sous   la   forme  où  Ωaµkara   le   commente  ;   or   le  Baudhæyana-­‐G®hya-­‐Sºtra   est  indéniablement   pré‡aµkarien43.   On   a   certainement   modifié   sa   structure   parce   que   le   sens   était  insatisfaisant  ou  qu'il  n'était  plus  compris.  L'aménagement  du  verset  est  une  conséquence,  non  une  cause.    Bha††a  Bhæskara  est  donc  sensible  à  ce  qu'ignore  Ωaµkara  (nous  verrons  plus   tard  ce  que  reflète  cette  différence).  Néanmoins,  il  est  hautement  improbable  que  le  mantra  soit  une  jagatÚ  à  six  pæda.  Ce  type  de  vers  comprend  48  syllabes  alors  que  le  nôtre  en  compte  45  tel  qu'il  se  présente  ;  pour  ce  faire,  il  faudrait  restaurer  le  texte  et  Bha††a  Bhæskara  n'est  pas  W.  Rau  ou  B.  van  Nooten  et  G.  Holland  ;  par  ailleurs,  il  est  difficile   de   redécouper   les   pæda   a,   b   et   e   qui   constituent   à   l'évidence   des   unités   bien   définies   de   huit  syllabes   :   Ahaµ   v®kÒasya   rerivæ   /   kÚrtiÌ   p®Ò†haµ   girer   iva   /(...)   sumedhæ   am®to'kÒitaÌ   (ou  am®tokÒitaÌ).   Demeurent   21   syllabes   à   restaurer   pour   obtenir   le   total   de   24   qu'il   faudrait   pouvoir  redistribuer  en  trois  pæda.  On  ne  voit  pas  comment  procéder  et  Bha††a  Bhæskara  non  plus  d'ailleurs  qui  se   contente   d'une   affirmation,   mais   se   garde   bien   de   dire   comment   la   réaliser   :   cela   traduit   bien   son  embarras.   Sa   remarque   vaut   seulement   pour   exprimer   l'idée   qu'il   s'agit   bien   d'un   vers  ;   surtout,  implicitement,  il  admet  qu'il  y  a  eu  modification  puisque  de  fait  le  passage  en  l'état  n'est  pas  une  Òa†padæ  jagatÚ.  Ænandagiri,  lui  aussi,  se  contente  d'une  affirmation  :  le  verset  a  pour  chandas  'mètre'  une  pa©kti.  En   revanche,   P.   Deussen   est   beaucoup   plus   crédible   quand   il   reconnaît   là   une  mahæb®hatÚ   de   type  yavamadhyæ  'à  milieu  [comme]  l'orge'  ;  le  nom  provient  du  fait  que  cette  céréale  possède  des  épis  qui  sont  fins   aux   extrémités   et   renflés   au   centre.   C'est   cette   forme   que   reproduit   le   schéma   métrique   de   la  mahæb®hatÚ  yavamadhyæ   :  8  +  8  /  12  +  8  +  8.  Encore  qu'il  y  ait  alors  un  problème  de  désignation  :  en  effet   les   noms   des   schémas   métriques   sont   recensés   dans   les   trois   ouvrages   de   métrique   védique,   le  �kpræti‡ækhya   (XVI.1-­‐2),   la  Sarvænukrama◊Ú   (I.3.11)  où   les  noms  des  mètres  correspondent  à  ceux  du  �P  et   le  Chandȧæstra   dont   les  noms,   différents,   ont   été   référencés  par  A.  Weber   (WEBER  1863  :   152-­‐156).  Or  la  table  des  mètres  donnée  par  Van  Nooten  et  G.  Holland44  fait  de  la  yavamadhyæ  mahæb®hatÚ  un  vers  de  48  syllabes  (  8  +  12  /  12  +  8  +  8)  tandis  que  le  mètre  de  type  8  +  8  /  12  +  8  +  8  est  la  simple  mahæb®hatÚ.  V.  Arnold45  ne  connaît  que  la  mahæb®hatÚ  de  type  8  +  8  /  12  +  8  +  8.  Si  l'on  s'en  tient  à  ce  que  dit  le  �P  (XVI,  47),  il  semble  que  P.  Deussen  et  V.  Arnold  aient  raison  puisqu'ici  le  pæda  de  12  syllabes  est   au  milieu   et   que   la  yavamadhyæ  mahæb®hatÚ   compte,   selon   la  même   source,   48  akÒara   organisés  selon  le  schéma  8  +  12  /  12  +  8  +  8.  Quoi  qu'il  en  soit,  indépendamment  de  leurs  noms,  on  répertorie  dans  la  �S  trois  schémas  syllabiques  de  44  syllabes  répartis  en  cinq  pæda.  Ce  sont  A  :  8  8  /  12  8  8,  B  :  8  8  /  8  12  8   et   C   :   12   8   /   8   8   8.   Dans   notre   verset,   les   deux   premiers   pæda   de   huit   syllabes   nous   semblent  suffisamment   sûrs   pour   éliminer   le   shéma   C.   Si   l'on   essaye   B,   un   troisième   pæda   à   8   syllabes   serait  *ºrdhvapavitrovæjinÚ,   le   quatrième   étant   *vasvam®tamasmidravi◊aÓsavarcasam.   On   ne   voit   pas  comment  éviter  un  découpage  en  ºrdhvapavitro  væjinÚ  /  vasv  am®tam  asmi  dravi◊aÓ  savarcasam.  Le  mot  væjinÚ,   le  féminin  de  væjin,  désigne  la  «  cavale  »  ;  c'est  aussi  une  épithète  de  UÒas,  une  devatæ   féminine,  comme   l'est  væj≤nÚvatÚ   'porteuse  des  prix  de  victoire'   ainsi   que   traduit   L.  Renou  dans  ÉVP   III,   p.   13   à  propos  de  �S   I.48.6d.  De   toute   façon,   le  mètre   interdit   la   lecture  vedantique  par   iva   et,   à   cause  du  mot  væjinÚ,   nous   place   dans   une   atmosphère   tout   à   fait   différente.   Bien   que   grammaticalement   possible,   le  texte  ainsi  découpé  demeure   insolite,   le  nominatif   féminin  væjinÚ   s'inscrivant  mal  dans   la  phrase  à  côté  des  mots  neutres  vasu   et  am®tam.   Si  maintenant  on   retient   le   schéma  A,  on  voit  que   le   texte   s'articule  correctement  et  fait  sens.  En  effet,   la  leçon  originelle  a  pu  être,  comme  le  supposèrent  BÖHTLINGK-­‐ROTH  1870-­‐1873  et  P.  DEUSSEN  1897  (qui  malheureusement  ne  s'expliquent  pas),  væjinÚvasv  am®taµ  «  Je  suis  riche   en   cavales,   immortel  »,   faisant   allusion   à   Indra   dont   l'épithète   væjinÚvasu   'riche   en   cavales'   est  plusieurs  fois  attestée  dans  le  Veda,  notamment  dans  la  �S  (21  occurrences  dont  par  ex.  væj≤nÚvaso,  un  vocatif   singulier   en   III.42.5,   ou   væj≤nÚvasº,   un   vocatif   duel   en   V.74.6).   Nous   avons   vu   (§   7),   grâce  notamment  à  P.  Swennen,  comment  comprendre  væjin  ;   le   féminin  væjinÚ  se   laisse  traduire  par   'cavale'.  VæjinÚvasu  est  un  composé  bahuvrÚhi  'celui  dont  la  richesse  (vasu)  consiste  en  cavales  (væjinÚ)'  où  vasu  'richesse'   a   un   emploi   quasi   suffixal  ;   cette   lecture   est   confirmée   par   le   padapæ†ha.   «  C'est   presque  exclusivement  une  épithète  des  A‡vin  »  dit  L.  Renou  (ÉVP  XVI   :  39).  Notons  aussi   le  rapprochement   fait  

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   affirmation  est  peu  crédible  car,  le  mètre  pa©kti  comprenant  cinq  pæda  de  huit  syllabes  avec  césure  après  le  second  pæda,  le  total  de  40  syllabes  est  loin  des  45  du  verset  en  question.  

42   The   Bodhæyana   G®hyasºtra,   edited   by   R.   Sharma   Sastri,   New   Delhi   :   Maharchand   Lachhmandas,   1982,  reprinted  from  1920  edition.  Le  passage  en  question  se  situe  p.  43.  

43  An  Encyclopaedic  Dictionary  of  Sanskrit  on  Historical  Principles,  vol.  1,  p.  LXXIV  le  date  du  VIe  siècle  avant  J.-­‐C.  Quelle  que  soit   l'incertitude  de  cette  datation,   il  semble  acquis  que  Ωaµkara  (VIIIe  siècle)  a  commenté  une   lecture  déjà  reçue  anciennement.  

44  VAN  NOOTEN-­‐HOLLAND  1994  :  xiv-­‐xvi.  45  ARNOLD  1967  :  249.  

14     Article  Journal  Asiatique        par  �S  II.13.5  entre  Indra  qui  libère  le  chemin  des  rivières  et  son  état  comparé  à  celui  d'étalon  (væjin).  La  stance   n'est   pas   claire   et   les   traductions   de   K.   F.   Geldner   (HOS   63)   et   de   L.   Renou   (ÉVP   XVII   :   59)  comportent   un   point   d'interrogation.   Quoi   qu'il   en   soit,   on   constate   la   présence   de   ce  mot   en   contexte  cosmogonique.  Cette  épithète  est  absente  de  toutes   les  Saµhitæ  yajurvédiques  et  de  tous   les  Bræhma◊a,  quels   qu'ils   soient.  On  ne   la   repère,   en   plus   de   la  �S,   que  dans   l'AS   (4   occurrences   dont   certaines   sont  empruntées  à  la  �S).    Ainsi   conçu   le   pæda   c   est   dodécasyllabique   et   se   présente   sous   la   forme   ºrdhvapavitro   væjinÚvasv  am®tam.  Mais  le  sens  «  Filtre  haut,  [je  suis]  riche  en  cavales,  immortel  »  est  impossible,  car  il  se  heurte  au  genre  des  mots  :  væjinÚvasu  ne  peut  être  qu'un  neutre46  tout  comme  am®tam.  Quant  au  pæda  d,  il  devient  asmi   dravi◊aÓ   savarcasam   «  Je   suis   la   richesse   revêtue   d'éclat  »   et   comprend   alors   neuf   syllabes  :   il   est  hypermètre.  À  côté  de  l'erreur  toujours  possible,  il  existe  alors  plusieurs  solutions  :     -­‐  soit  on  restitue  dravaÓ  à  la  place  de  dravi◊aÓ  ;  les  deux  mots  ont  la  même  origine,  dérivés  de  la  racine  DRU-­‐   'courir,  s'écouler'.  Les  mots  peuvent  être  drava≠   'courant',  dra≠vat   (même  sens)  ou  drava≠t  'rapidement'  ;  le  sens  adverbial  est  issu  du  participe  dra≠vant-­‐  figé  avec  le  changement  de  ton  qui  marque  sa  sortie  de  la  catégorie  grammaticale.  Ces  trois  mots  s'appliquent  notamment  au  cheval  (cf.  �S  IV.40.2-­‐3)  et   conviennent   très   bien   ici   notamment   en   regard   de   la   væjinÚ   'cavale'   dont   il   a   été   question  précédemment.   Néanmoins   comme   pour   l'instant   nous   examinons   les   différentes   possibilités   sans  modifier  la  lettre  du  texte,  mais  en  envisageant  un  autre  découpage  métrique  et  une  autre  prononciation,  on  peut   écarter   cette   lectio   facilior.  Notons   incidemment  que   ces   vers   communs   à   la  Rk-­‐Saµhitæ   et   à   la  TaittirÚya-­‐Saµhitæ  (TS  I.7.8.3)  parlent  de  par◊a≠µ  na≠  ve≠Ì  «  comme  l'aile  [ou  la  plume]  de  l'oiseau  ».     -­‐  soit  on  prononce  drav◊aÓ  comme  le  suggère  P.  Deussen  ;  dra≠vi◊a  est  un  terme  beaucoup  plus  fréquent   que   drava≠   ou   dra≠vat   dans   le   Veda   où   il   désigne   les   richesses   courantes   (cf.   «  currency  »),  mobilières,  par  opposition  aux  biens  immeubles  (maison)  ;   il  en  va  ainsi  dans  �S  I.94.14c  dont  L.  Renou  (ÉVP   XII   p.   23)   traduit   ratnaµ   dravi◊am   par   'trésor   et   richesse'.   Le   rapprochement   avec   dravya  (historiquement  douteux   si   l'on   suit  MAYRHOFER,  KEWA   s.v.,   qui   rapporte  dravya   à  dæru   'bois')   a  pu   se  faire   quand   la   richesse   «  courante  »   est   passée   du   cheval   aux   biens   meubles   et   à   l'argent.   Bha††a  Bhæskara   glose   dravi◊am   par   variÒ†haµ   dhanam   «  richesse   éminente  »,   sens   qui   est   celui   donné   en  premier  par  le  ΩKD,  s.  v.     -­‐  P.  Deussen  propose  aussi,  sans  l'adopter,  la  lecture  sudravi◊am  au  lieu  de  asmi  dravi◊am.  Nous  avons  vu  que  Bha††a  Bhæskara,  le  seul  des  commentateurs  à  supposer  que  le  passage  est  un  verset,  ne  fait  qu'émettre  cette  hypothèse.    10.  Le  vers  ainsi  restitué,  considéré  sous  sa  forme  orale,  n'est  pas  modifié  pour  autant.  Seul  le  découpage  des   pæda   et   des   mots   a   changé  :   Ahaµ   v®kÒasya   rerivæ  /   kÚrtiÌ   p®Ò†haµ   girer   iva  /   ºrdhvapavitro  væjinÚvasv   am®tam   /   asmi   drav[i]◊aÓ   savarcasam   /   sumedhæ   am®tokÒitaÌ.   À   côté   de   la   lecture  commentée  et  publiée  (version  A),  celle-­‐ci  sera  notre  version  B.    Pour   son   sens   et   sa   traduction,   on   est   contraint   de   faire  parler   rerivæ.   Acceptons,   faute  de  mieux   et   en  dehors  de  toute  preuve,  le  sens  que  lui  attribuent  Ωaµkara  et  ses  successeurs  ainsi  que  Bha††a  Bhæskara  et  Sæya◊a,  à  savoir  'remuer'.  Dès  lors,  «  donner  le  branle  à  un  arbre  »  ou  «  secouer  un  arbre  »  est  un  geste  que   les   familiers  du  Veda   reconnaissent.  Dans   la  Rk-­‐Saµhitæ,   Indra  est   le  dieu  qui  par  excellence  secoue  l'arbre  pour  que  ses  fruits  tombent  à  terre.  Citons  à  côté  de  �S  I.10.8,  le  vers  explicite  �S  III.45.4b  que  L.  Renou   rend   (ÉVP  XVII  :   87)   ainsi  :   «  Comme   (un)  avec  un   croc   (fait   tomber  en   secouant)   l'arbre   le   fruit  mûr,   secoue   (sur  nous),  ô   Indra,   la   richesse  qui   fait   traverser.  »  Védiquement,   le  vers  appartient  à   cette  catégorie  de  stances  qui  glorifient  un  deva  comme  Indra  en  tant  qu'il  est  possesseur  de  richesses  dont  il  fait   profiter   les  hommes.   Ici   ce   serait   notamment   avec   l'épithète  væjinÚvasu   qu'est   notée   cette   richesse  abondante,  plurielle  et  féminine  posée  comme  propriété  d'un  être  masculin,  singulier  et  puissant,  le  dieu  Indra.  Dans   la   strophe  �S   I.10.8,   les   richesses,   au   lieu  d'être  des   cavales   (væjinÚ),   sont   les  vaches,  mais  elles  demeurent  plurielles  et   féminines.   Indra  est  riche  donc,  mais  en  plus   il  dispense  cette  richesse  aux  hommes.   Parmi   les   dieux   védiques,   Indra   se   signale   par   sa   générosité   exceptionnelle.   Les   hymnes   le  célèbrent   lui   saha≠sraµ   ya≠sya   ræta≠ya   uta≠   væ   sa≠nti   bhÙyasÚÌ   «  dont   les   dons   sont   mille,   ou  même  davantage  »   (�S   I.11.8cd).   C'est   cette   générosité   qui   lui   vaut   une   des   épithètes   qui   l'identifie   plus   que  d'autres  :  il  est  le  magha≠væn,  'le  libéral',  c.-­‐à-­‐d.  le  généreux  (cf.  J.  Gonda,  Epithets  in  the  Rgveda,  La  Haye  1959).  Et   cette   générosité   s'exerce  dans   le  domaine  de   la   vie,   notamment   en   faveur  des  hommes.   Il   est  inutile  d'insister  sur  cela  qui  est  bien  connu.  Dans  le  Veda,  celui  qui  «  donne  le  branle  à  l'arbre  »  peut  être  Rudra  au  lieu  d'Indra  ;  mais,  comme  c'est  souvent  le  cas  avec  cette  figure  terrible,  on  craint  que  ce  branle  

                                                                                                               46   Remarquons   que   selon   Iko'savar◊e   (P.   VI.1.126   ou   127),   la   forme   væjinÚvasu   am®tam   était   possible   et  

qu'elle  pouvait  résulter  soit  de  °vasu  soit  de  °vasº.  De  toute  façon,  le  masculin  est  impossible  dans  cette  configuration  et  l'on  est  obligé  de  faire  de  væjinÚvasu  un  bahuvrÚhi  dépendant  du  neutre  am®tam.  

15     Article  Journal  Asiatique        qui  devrait  répandre  des  bienfaits  sur  terre  (vaches,   lait,  richesses,  etc.)  ne  s'accompagne  d'une  pluie  de  maux,  voire  que  les  fruits  soient  tous  des  calamités  ;  d'où  l'invitation  :  anya≠træsma≠d  divyµ  ‡Âkhæµ  v≤  dhºnu   «  Secoue   ailleurs   que   sur   nous   la   branche   divine  »   (AS   XI.2.19c).   Si   le   premier   pæda   se   laisse  interpréter  ainsi,  si  le  dieu  (Rudra)  donne  le  branle  à  l'arbre  (de  la  création)  pour  faire  pleuvoir  des  maux,  on  attend  que  le  reste  du  vers  réagisse  à  ce  courroux  divin.  Mais  ici,  bien  on  contraire,  on  ne  perçoit  pas  une   telle   menace   ou,   du   côté   des   hommes,   la   crainte   d'un   tel   danger,   si   bien   qu'on   peut   écarter   cette  hypothèse.    Dès  lors,  on  pourrait  rendre  le  vers  ainsi,  mis  dans  la  bouche  d'Indra  :  «  Je  [suis]  celui  qui  donne  le  branle  à  l'arbre  [de  la  création,  pour  que  pleuvent  ses  fruits]  /  [Ma]  renommée  est  [haute]  comme  le  faîte  du  mont  (ou   «  d'un  mont  »)/   purifiant   par   excellence,   je   suis   riche   en   cavales,   [je   suis]   l'immortalité   /   je   suis   la  richesse  pleine  d'éclat  /  sage,  inondé  d'ambroisie.  »  Mais  les  obstacles  à  une  telle  interprétation  sont  importants.  En  général,  la  secousse  divine  est  exprimée  par   la   racine  vi-­‐DHª-­‐  dont  L.  Renou  avait   souligné   l'ambiguïté  d'emploi  dans   le  Rg-­‐Veda  ;   c'est   le   cas  de  tous  les  exemples  donnés  dans  le  présent  paragraphe.  Ainsi  dans  la  KauÒÚtaki-­‐UpaniÒad  (KauU  I.4),  celui  qui  s'en  va  de  ce  monde  et  procède  vers   le  monde  de  brahman   se  secoue  (vi-­‐DHª-­‐)  de  ses  actes  bons  et  mauvais.  Or  on  ne  peut  évidemment  pas  rapporter  rérivæ  à  cette  racine  DHª-­‐.  Par  ailleurs,  væj≤nÚvasu  est  un  mot  neutre  ;  si  sémantiquement  cette  épithète  se  rapporte  facilement  au  masculin  «  Je  »,  c.-­‐à-­‐d.  Indra,  cela  devient  beaucoup  plus  difficile  s'il  s'agit  de  qualifier  le  seul  mot  neutre  de  la  phrase,  à  savoir  l'am®ta  'immortalité'.   On   est   conduit   à  modifier   le   texte.   Sinon   le   sens   doit   être  :   «  Je   [suis]   celui   qui   donne   le  branle   à   l'arbre   [de   la   création,   pour   que   pleuvent   ses   fruits]   /   [Ma]   renommée   est   [haute]   comme   le  sommet  du  mont   /  purifiant   par   excellence,   [je   suis]   l'immortalité   riche   en   cavales   /   je   suis   la   richesse  pleine  d'éclat  /  sage,  inondé  d'ambroisie.  »  Or  on  ne  voit  pas  que  væjinÚvasu  dans  le  Veda  soit  une  épithète  qui  qualifie  l'immortalité.  

 11.   Passons  maintenant   à   la   signification   du   vers   tel   que   l'entend  Ωaµkara   expliquant   le   texte   découpé  selon   la   version  A.  Nous   connaissons   son   interprétation  à   la   fois  par   ce  qu'il   dit  dans   son   commentaire  (TUBh)  et  aussi  par  ce  qu'en  dit  Sure‡vara  dans  son  Værttika  (TUBhV  I.50-­‐,  ÆSS  13  :  33-­‐35).  Bien  que  les  interprétations  du  disciple  soient  souvent  originales,  elles  se  situent  pour  l'essentiel  dans  la  continuité  ou  au  moins  dans  la  proximité  de  celles  de  son  maître47.  Ici,  Sure‡vara  confirme  la  raison  d'être  du  mantra  de  Tri‡a©ku   qu'avait   alléguée   Ωaµkara   (TUBh   I.10,   introduction)  :   «  On   doit   connaître   la   section   suivante  commençant   par   Ahaµ   v®kÒasya   rerivæ   comme   servant   (artha)   à   la   cantilation   personnelle   car   il   en  résulte   la   purification   de   l'esprit.  »48   Pour   justifier   son   interprétation,  Ωaµkara   fait   appel   au  prakara◊a  'contexte'  :  en  l'absence  de  continuité  sémantique  entre  les  deux  paragraphes  (TU  I.9  et  10),  il  ne  lui  reste  qu'à   causaliser   leur   contiguïté.   Le   paragraphe   TU   I.9   étant   à   la   gloire   de   cette   cantilation   personnelle,  Ωaµkara  suppose  que   le  paragraphe  suivant  est  au  service  (artha)  de  cette  cantilation.  L'argument  peut  nous   paraître   faible,   mais   le   procédé   n'est   pas   nouveau   et   Ωaµkara   ne   fait   que   reprendre   ce   qu'avait  théorisé   la  MÚmæµsæ49.  Le   fait   est  que   le   compilateur  de   l'UpaniÒad  a  bien  dû   sentir  un   lien  entre   les  deux   paragraphes   et   comme   «  rien   d'autre   ne   se   laisse   comprendre  »,   seul   l'argument   de   continuité  contextuelle   est   possible   qui   respecte   la   cohérence   que   Ωaµkara   prête   au   Veda   et   à   l'UpaniÒad   en  particulier.  Ωaµkara  fait  de  cette  strophe  un  mantra  vedæntique  glorifiant  quelqu'un  (Tri‡a©ku)  qui  est  'devenu  le  brahman'  (brahmabhºta)  et  parle  après  cette  expérience  décisive.  Car  pour  Ωaµkara,  aham  'je'  désigne  l'antaryæmin   'régent   interne',  celui  qui,  selon  son  analyse  de  BÆU  III.7.9  développée  dans  BSBh  I.1.21,   est  dans   le   soleil   et   que   le   soleil   ne   connaît   pas.   L'idée   est   soutenue  ou   suscitée  par   l'analyse  de  væjini   comme   locatif   de   væjin   signifiant   'soleil'.   Dès   lors,   la   phrase   de   TU   est   lue   en   fonction   de   BÆU  

                                                                                                               47   Comme   le   remarque   K.   Potter,   Sure‡vara,   qui   n'a   guère   eu   d'émules,   est   le   seul   parmi   les   disciples   et  

épigones  de  Ωaµkara  qui   soit   resté   fidèle   à   la  pensée  du  maître.   L'auteur   conclut  :    «  This  means   that   these  modern  interpreters  are  implying  that  most  Advaitins  after  Ωaµkara's  time  are  confused  and  basically  mistaken,  and  that  99%  of   the  extant  classical   interpretative   literature  on  Ωaµkara's  philosophy   is  off   the  mark.  This   is  clearly  a  remarkably  radical  conclusion.  Yet,  there  is  good  reason  to  think  that  it  may  well  be  true.  »  (POTTER  2006  :  6-­‐7).  

48  Svædhyæyærtha‡  ca  vij~eyaÌ  ahaµ  v®kÒasya  rerivæ  /  ityædir  uttaro  grantho  vi‡uddhir  hi  tato  dhiyaÌ  (TUBhV  I.51,  ÆSS  :  33).  

49   Le   principe   de   prakara◊a   en   usage   dans   la   MÚmæµsæ   consiste   à   faire   appel   au   contexte   quand   la  signification  d'une  phrase  n'est  pas   claire.  À   ce   sujet,   voir   le  MÚmæµsænyæyaprakæ‡a   «  Explication  des   règles  de   la  MÚmæµsæ  »  de  Æpadeva,  alias  l'ÆpadevÚ  (XVIIe  siècle),  qui  le  définit  clairement  (§  116),  et  aussi  les  explications  de  M.  L.  Sandal  dans  The  MÚmæµsæ  Sºtras  of  Jaimini,  vol.  XXVIII  de  la  collection  The  Sacred  Books  of  the  Hindus,  Allahabad,  1925;  réédition  New  York  1979  :  xix.  

16     Article  Journal  Asiatique        III.7.950.   C'est   évidemment   une   orientation   décisive   à   laquelle   s'ajoute   la   glose   de   rerivæ   par  prerayitæ  'celui  qui  met  en  mouvement'  (dérivé  de  pra-­‐ŸR-­‐  au  causatif   'mettre  en  mouvement  en  avant,  mettre  en  branle',  etc.)  ;   l'emploi  de  cette  racine  est   rare  dans   les  UpaniÒad   (aussi  bien  ŸR-­‐  que  pra-­‐ŸR-­‐)  et  même  inconnu  dans   les  UpaniÒad  védiques.  Sans  qu'il   s'agisse  vraiment  d'une  analyse  morphologique  du  mot,  Ωaµkara,  en  choisissant  cette  racine,  a  peut-­‐être  voulu  rapprocher  la  sonorité  générale  de  rerivæ  et  celle  de  ŸR-­‐  car,  s'agissant  de  dire  le  sens  'remuer'  qu'il  prêtait  à  rerivæ,  il  disposait  de  racines  ayant  ce  sens  et  d'emploi   plus   upaniÒadique.   Commentateurs   et   traducteurs   admettent   tous,   à   la   suite   de  Ωaµkara,   que  rerivæ   signifie   'qui   remue'.   Autre   coup  de   force   de  Ωaµkara   :   il   assimile   l'arbre   au   saµsæra,   à   l'univers.  Enfin,   il   ajoute   que   cet   arbre-­‐univers   est   destiné   à   être   abattu   :   ahaµ   v®kÒasyocchedyætmakasya  saµsærav®kÒasya   rerivæ   prerayitæ'ntaryæmyætmanæ   «  En   tant   que   régent   interne,   ahaµ   je   [suis]   le  rerivæ  c.-­‐à-­‐d.  celui  qui  donne  le  branle  à  v®kÒasya  'l'arbre',  c.-­‐à-­‐d.  saµsærav®kÒasya  l'arbre  de  l'univers,  ucchedyætmakasya   qu'il   s'agit   d'abattre.  »   Il   faut   insister   sur   la   fragilité   d'une   telle   interprétation  ;  l'assimilation  de  aham   à   l'antaryæmin   'régent   interne'   et   le   sens  de   «  mettre   en  branle  »   prêté   à   rerivæ  sont  arbitraires.  Par  ailleurs,  rien  dans   le  passage  ni  dans   le  contexte  ou   le  reste  de   l'UpaniÒad  ne  vient  étayer   la   thèse  de   l'abattage  de   l'arbre.  Notamment,   le   sens  prêté   à   rerivæ,   qui   est   décisif,   ne  peut   être  contredit   puisqu'il   relève   d'une   simple   affirmation.   Philologiquement   arbitraire,   cette   interprétation  vedæntique   est   aussi   sémantiquement   anachronique   ainsi   que   le   dit   OLIVELLE   1996   :   358   et   1998a  :  57551,  c'est-­‐à-­‐dire  qu'il  est  peu  probable  qu'elle  corresponde  à  ce  qui  était  originellement  signifié  :  tout  le  paragraphe   précédent   glorifie   la   génération  ;   comment   peut-­‐on   supposer   que   dans   ce   contexte,   il   faille  abattre  cet  arbre  de  la  vie  dont  on  a  célébré  précédemment  l'enracinement?  Évidemment,  Ωaµkara  plie  le  texte  à  sa  volonté  d'autant  plus  facilement  que  celui-­‐ci  est  ambigu  et  obscur.  Par  principe,  en  tant  que  commentateur,  il  doit  rendre  le  texte  à  la  clarté.  Mais  il  est  amené  par  là  à  tirer  le  sens   des   mots   clairs   dans   le   sens   général   qu'il   prête   à   la   phrase,   la   clarté   des   mots   pouvant   même  s'opposer   à   celle   de   la   phrase.   Le   cas   de   ºrdhvapavitraÌ   le   montre   bien  :   le   composé   ne   pose   pas   de  problème,   mais   il   en   résulte   un   sens   ('filtre   haut')   qui   n'est   guère   satisfaisant   si   on   envisage   son  intégration  au  sens  général  de   la  phrase.  Dès   lors,  Ωaµkara  change   la  valeur  des  mots  et  prend  pavitra,  généralement  un  substantif  signifiant  le  filtre,  comme  un  nom  signifiant  'purification',  tandis  qu'il  fait  de  ºrdhva,  généralement  un  adjectif  signifiant   'élevé',  un  synonyme  de  kæra◊a   'cause'  ;  or  le  brahman  est  la  cause  par  excellence  ainsi  que  le  dit  Ωaµkara  par  ex.  dans  TUBh  I.11.§  7.  Jamais  Ωaµkara  (et  on  peut  aussi  le   dire   des   traducteurs   indiens   contemporains)   ne   refuse   les  mots   du   texte   reçu   et   ne   les   change   pour  d'autres,  ce  que  font  certains  philologues  contemporains  depuis  O.  Böhtlingk  jusqu'à  W.  Rau  (voir  §§  16-­‐17).  En  revanche,  Ωaµkara  change  le  sens  des  mots  et  en  introduit  d'autres,  non  des  moindres  (brahman,  ætman),   qui   orientent   le   sens   de   ces   mots   de   manière   décisive.   Faire   de   pavitra   un   nom   signifiant  'purification'  plutôt  qu'un  substantif  signifiant  le  filtre  est  encore  tolérable  parce  que  les  deux  sens  ne  sont  pas  éloignés.  De  même  si  l'on  imagine  que  ce  nom  est  une  épithète  signifiant  'pur'  ou  'purifiant'  ;  de  plus,  si  ce  n'est  pas  courant,  on  l'observe  dans  Manu  par  exemple.  En  revanche  affirmer  que  ºrdhva  'ce  qui  est  au-­‐dessus,  élevé'  signifie  kæra◊a  relève  d'une  simple  affirmation.  Certes,  avec  l'idée  que  ce  qui  est  'au-­‐dessus'  vaut   pour   ce   qui   est   au-­‐dessus   de   tout,   on  peut  métaphoriquement   penser   que   l'épithète   s'applique   au  brahman  qui  est  kæra◊a  'la  cause'  de  l'univers.  Mais  le  caractère  anagogique  de  la  séquence  ºrdhva  'élevé'  •  kæra◊a  'cause'  •  brahman  'absolu'  est  arbiraire  et,  à  nos  yeux,  anachronique.  Ωaµkara  est  coutumier  de  la   lecture  métaphorique  ;  mais,  ordinairement,  quand   il  y  recourt,   il   la   justifie  (souvent  par   le  contexte).  Là,  en  l'absence  d'un  contexte  explicite,  il  s'agit  plutôt  d'un  coup  de  force  et  une  telle  méthode  conduit  à  ignorer  totalement  ce  que  dit  le  texte  au  profit  du  sens  qu'à  toute  force  le  commentateur  lui  prête.    Dans   le   second   pæda,   Ωaµkara   se   contente   de   citer   la   qualité   commune   du   comparant   (le   sommet   du  mont)   et   du   comparé   (le  mental   pur),   à   savoir   leur   caractère  ucchrita   'élevé,   haut'.   Le   troisième  pæda,  ºrdhvapavitro   væjinÚva   svam®tam   asmi,   comprend   14   syllabes.   Il   est   possible   que   Ωaµkara   ait   voulu  organiser  la  glose  en  la  calquant  sur  le  ahaµ  brahmæsmi  de  BÆU  I.4.10,  où  le  sujet  grammatical  (masculin)  est   identifié   au  brahman   neutre.   ªrdhvapavitraÌ,   un  masculin   singulier,   est   rapporté   à   l'ætman   'moi',   un  autre  masculin  singulier  et  le  tout  est  identifié  au  neutre  svam®tam.  Ce  serait  là  la  raison  pour  laquelle  il  a  attiré   le  verbe  asmi  dans  ce  pæda  où   il  occupe  dès   lors   la  dernière  place  de   la  phrase,   comme  dans  son  modèle  et  comme  il  en  va  généralement  dans  la  prose  sanskrite.    

                                                                                                               50  Ya  æditye  tiÒ†hann  ædityæd  antaraÌ,  yam  ædityo  na  veda,  yasyædityaÌ  ‡arÚraµ,  ya  ædityam  antaro  yamayati,  

eÒa  ta  ætmæntaryæmy  am®taÌ  «  Celui  qui,  résidant  dans  le  soleil,  est  différent  du  soleil,  que  le  soleil  ne  connaît  pas,  dont  le  soleil  est  le  corps,  qui  de  l'intérieur  actionne  le  soleil,  celui-­‐là  est  ton  ætman,  l'agent  interne,  immortel  »  (trad.  SENART  1967).  

51   «  Ωaµkara's   interpretation   as   'cutting'   the   tree   of   transmigratory   existence   (saµsæra)   is   anachronistic.  »  (OLIVELLE  1996  :  358).  

17     Article  Journal  Asiatique        Un  deuxième  moment  important  est  celui  où  Ωaµkara  analyse  l'expression  væjinÚvasvam®tamasmi.  Il  lit  væjini–iva   svam®tam   asmi   «  je   suis   la   bonne   ambroisie,   comme   [elle   l'est]   dans   le   væjin   »   et   l’analyse  ainsi  :  «  VæjinÚva  'comme  dans  le  væjin'  vaut  pour  væjavatÚva  'comme  dans  ce  qui  est  pourvu  de  væja',  le  suffixe  <in>  étant  un  suffixe  d'appartenance,   tandis  que  væja   est   synonyme  de  anna   'nourriture'.  Væjini  signifie  donc  'dans  celui  qui  est  pourvu  de  nourriture',  c.-­‐à-­‐d.  'dans  le  soleil'.  De  la  même  manière  qu'il  est  bien  connu  par  des  centaines  de  passages  de   la  Révélation  et  de   la  Tradition  que   l'ambroisie,   [c.-­‐à-­‐d.]   la  réalité  du  soi,  dans  le  soleil  est  pure,  pareillement  asmi  'je  suis'  svam®tam  'la  bonne  ambroisie',  [c.-­‐à-­‐d.]  la  pure   réalité   du   soi.  »52   Il   fait   de   la   phrase   une   comparaison   marquée   par   iva  ;   c'était   déjà   le   cas  explicitement  dans  le  deuxième  pæda,  et  la  métaphore  courait  aussi  dans  le  premier  pæda.  Cela  illustre  la  tendance  de  Ωaµkara  à  lire  les  textes  upaniÒadiques  sous  l'angle  métaphorique  (gau◊a).  Le  premier  mot  devient   le   locatif   de   væjin   interprété   comme   désignant   le   soleil   (savit®)   en   tant   qu'il   accumule   la  nourriture.   On   reconnaît   le   motif   védique   et   brahmanique   du   soleil   qui   se   gorge   de   la   nourriture   et  assèche  la  terre.  La  lecture  de  iva  'comme'  force  à  lire  svam®tam,  terme  peu  courant  (hapax  des  UpaniÒad  nous  l'avons  vu,  absent  de  l'Amarako‡a).  Une  telle  lecture  n'est  guère  convaincante.  P.  Deussen  pense  que  la  mention  du  svam®tam  'la  bonne  ambroisie'  dans  le  soleil  est  une  allusion  à  ChU  III.1  où  il  est  question  du  nectar  qui  s'écoule  du  soleil.    Sure‡vara   et   Ænandagiri   vont   dans   le   sens   de   Ωaµkara  :   «  Par   væja   'énergie   vitale,   vigueur',   on   doit  comprendre  anna   'nourriture'.   Je   [suis]   toujours   la  bonne  ambroisie,   [c.-­‐à-­‐d.]   le  brahman   suprême,  dans  l'esprit  (buddhi),  comme  [elle  l'est]  dans  le  soleil  qui  a  cette  [nourriture].  »  dit  Sure‡vara.  Et  Ænandagiri  glose  :  «  "Je  suis  le  brahman  qui  est  manifeste  dans  le  soleil  qui  possède  la  nourriture",  de  même  je  suis  le  svam®ta,   la  bonne  ambroisie,  dans   l'esprit  ».  53  À  ma  connaissance,  aucun  commentateur  ou  traducteur  indien  ultérieur  ne  remet  en  question  Ωaµkara  affirmant  que  væjinÚvasvam®tam  s'analyse  en  væjini–iva  svam®tam  et  que  væjini–iva  signifie  «  comme  dans  le  soleil  ».  La  suite  se   lit  en   fonction  du  aham   initial,   l'antaryæmin,  qui  met  en  branle   l'arbre  destiné  à  être  abattu.  Pour   les   derniers   mots,   Ωaµkara   hésite   entre   les   deux   lectures   mentionnées   ci-­‐dessus   §   6   et   8  :  am®tokÒita   (am®ta-­‐ukÒita   'inondé   d'ambroisie')   et   am®to'kÒitaÌ   (am®ta   'immortel'   et   akÒita   'sans  déclin').  Bha††a  Bhæskara,  on  l'a  vu  (§  7),  lit  lui  aussi  am®taÌ  mara◊arahitaÌ  akÒitaÌ  anupakÒayaÌ  ajaraÌ  «  am®ta   'non   sujet   à   la   mort'   et   akÒita   'sans   déclin,   non   sujet   à   la   vieillesse'  »,   puis   il   propose   une  deuxième  interprétation  :  yad  væ  am®tokÒitaÌ  am®tatvahetunæ  ænandenæplutaÌ  «  ou  bien  am®tokÒita  signifie  'inondé  de  la  béatitude'  causée  par  sa  nature  d'ambroisie.  »  Évidemment  nos  commentateurs  sont  gênés  :  s'ils   lisent  akÒitaÌ,   le  mot  qui  précède,  à  savoir  am®taÌ,   fait  alors  double  emploi  avec  svam®tam  du  pæda  c  ;  avec  la  seconde  interprétation,  on  ne  gagne  qu'une  complication  :  il  faut  supposer  un  verbe  de  type  ÆP-­‐   'gagner'   et,   ainsi  que   le   fait  Bha††a  Bhæskara,   supposer  qu'am®ta   équivaut   à  ænanda.   Il   faut  donc  recourir  encore  davantage  à  la  lecture  gau◊a.        §   12.   La   comparaison   entre   les   deux   traductions,   l'une   fondée   sur   une   restauration   métrique,   l'autre  fondée   sur   l'interprétation  de  Ωaµkara,  montre   combien   les   inspirations   sont  différentes.  C'est  dans   les  premiers  mots  qu'on  saisit  au  mieux  l'opposition  des  deux  inspirations,   l'une  favorable  à  la  vie,   l'autre  à  son  extirpation  glorieuse  :  dans  le  «  sens  védique  »,  Indra  sans  doute  vient  donner  le  branle  à  l'arbre  (du  monde  54),   c'est-­‐à-­‐dire   qu'il   vient   donner   le   mouvement   à   la   vie,   faire   pleuvoir   des   bienfaits.   Le  mouvement  est  inscrit  dans  le  nom  védique  donné  généralement  à  l'ordre  de  ce  monde,  le  ®ta,  le  '(bien)  articulé'.  En  revanche,  védantiquement,  la  mise  en  mouvement  de  l'arbre  de  la  vie  suscite  immédiatement  à   Ωaµkara   l'idée   de   son   déracinement,   de   son   abattage.   L'allusion   à   un   arbre   enraciné   dans   le   ciel,  «  symbole  du  monde  »  dit  L.  Renou  traduisant  la  Kæ†haka-­‐UpaniÒad  (KæU  VI.1),  se  retrouve  aussi  dans  la  Ωvetæ‡vatara-­‐UpaniÒad   (ΩvU  III.9  et   la  Bhagavad-­‐GÚtæ   (BhG  XV.1-­‐3).  La  KæU  VI.1  (ou   II.3.1  )  dit   :  «  Ce  figuier  éternel  dont   les   racines  vont  en  haut,   les  branches  en  bas,   c'est   le  pur,   c'est   le  brahman,   c'est   ce  qu'on  nomme  la  non-­‐mort  »  (trad.  RENOU  1943  :  18).  Ωaµkara  commente  :  «  Ses  racines  sont  le  brahman  

                                                                                                               52   væjinÚva   væjavatÚva   /   væjam   annaµ   tadvati   savitarÚty   arthaÌ   /   arthaÌ   /   yathæ   savitary   am®tam  

ætmatattvaµ   vi‡uddhaµ   prasiddhaµ   ‡rutism®ti‡atebhyaÌ,   evaµ   svam®taµ   ‡obhanaµ   vi‡uddham   ætmatattvam   asmi  bhavæmi  /  (ŸÆDU  :  272,  l.  12-­‐14).  

53   Sure‡vara   explique  Væjam   annam   iti   j~eyaµ   tadvatÚva   divækare   /   svam®taµ   paramaµ   brahma   buddhæv  asyæm   ahaµ   sadæ   (TUBhV   53,   ÆSS   13   :   34)   ce   que   commente   Ænandagiri   :   Yathænnavaty   æditye   praka†aµ  brahmæham  asmÚty  ædityo  manyate  tathæsyæµ  buddhau  svam®taµ  ‡obhanam  am®tam  aham  asmÚty  arthaÌ  (ÆSS  13  :  34).  

54  Sur  l'arbre,  consulter  O.  Viennot,  Le  culte  de  l'arbre  dans  l'Inde  ancienne.  Textes  et  monuments  brahmaniques  et  bouddhiques,  Paris  :  PUF  (Annales  du  Musée  Guimet,  Bibliothèque  d'études  59),  1954.  

18     Article  Journal  Asiatique        suprême.  »55  Il  dérive  le  mot  v®kÒa  'arbre'  de  VRAΩC-­‐  'couper'  (v®kÒa‡  ca  vra‡canæt)  et  file  longuement  la  métaphore  de   l'arbre  du  monde.  Bha††a  Bhæskara  cite  aussi   la  même  dérivation  de  v®kÒa  dans  son  commentaire  du  TÆ  (voir   infra  §  13).  Elle  provient  de  ce  complément  à   la  grammaire  de  Pæ◊ini  qu'est  l'U◊ædi-­‐Sºtra  ;   celui-­‐ci   énumère   des   dérivés   primaires   qui   pour   des   raisons   diverses,   parfois  incompréhensibles,  sont  restés  hors  du  champ  de  la  grammaire  de  Pæ◊ini.  C'est  l'US  IX.25  (ou  III.64  car  il  en  existe  des  versions  différentes)  qui  analyse  v®kÒa   comme  un  dérivé  de  VRAΩC-­‐   'couper,  abattre  (un  arbre)'56   à   suffixe   <sa>.   Peu   importe   comment   à   partir   de   VRAΩC   +   sa,   on   parvient   à   v®kÒa.   Ce   qui  compte  c'est  que  la  dite  racine  signifiant  'couper',  Ωaµkara  profite  de  ce  fait  pour  donner  sens  à  la  phrase.  C'est   à  partir  de   l'étymologie   conventionnelle  de  v®kÒa   (qu'il   connaît   et   cite  par  ailleurs)  que  Ωaµkara  déduit   le  sens  de  rerivæ  et   finalement  celui  de  tout   le  verset.  Son  analyse  n'est  donc  pas  aussi  arbitraire  qu'il  paraît  à  première  vue,  même  si  elle  n'est  pas  justifiée  ici  et  si  d'autres  étaient  possibles.  Il   n'y   a   pas   lieu   de   s'étonner   de   ces   analyses   qui   frisent   le   calembour   :   elles   participent,   chez   les  brahmanes,  du  caractère  magique  de  la  parole  et  du  caractère  systématiquement  non-­‐arbitraire  du  signe  linguistique  (cf.  KAHRS  1998).  Ωaµkara  est  donc  coutumier  du  fait  et  cela  n'est  pas  propre  à  lui.  Ainsi,  dans  son  commentaire  à  KæU  II.3.1,  il  oppose  l'éternel  a‡vattha  'figuier'57  à  l'immortel  brahman  ;  pour  ce  faire,  il  analyse  a‡vattha  «  niruktiquement  »,  c'est-­‐à-­‐dire  qu'il  fait  parler  les  sonorités  du  mot  en  les  rapportant  arbitrairement   au   propos   (védantique)   qui   est   le   sien.   Ωaµkara   ignore   la   linguistique   historique   et   le  substrat  indigène  de  beaucoup  de  mots  «  sanskrits  »  :  c'est  précisément  le  cas  de  a‡vattha.  Dans  le  cadre  de  la  grammaire  pæ◊inéenne,  il  pourrait  analyser  ce  mot  en  a‡va-­‐stha   'qui  se  tient  près  des  chevaux'  ou  bien   'où   se   tiennent   les   chevaux',   ce  qui  ne  présente  aucun   intérêt  pour   lui.  En   revanche,   l'a‡vattha   est  l'arbre   dont   «  la   stabilité  »   (ttha   de   STHÆ-­‐   dans   a‡vattha)   «  n'est   pas  »   (le   a   initial   de   a-­‐‡vattha)  «  demain  »   (‡vas)  ;   autrement   dit,   l'a‡vattha   est   l'arbre   du   monde   impermanent,   celui   de   la   nature  constamment  instable  tandis  que  ses  racines  sont  l'immortel  brahman.  Cet  a‡vattha  ainsi  analysé  sert  de  comparant   au   monde,   le   saµsærav®kÒa   'l'arbre-­‐monde'   dont   «  la   nature   est   constamment   instable,  comme   l'a‡vattha,   agité   (Úrita)   qu'il   est   par   le   vent   des   désirs   et   des   actes.  »58   Quant   au   brahman,   il  s'avère  la  racine  permanente  de  l'impermanence  :  il  est  la  racine  d'un  arbre-­‐monde  qu'il  s'agit  de  couper  ainsi  que  l'indique  le  nom  même  de  l'arbre  (v®kÒa).  Commentant  BÆU  I.4.7,  Ωaµkara  cite  ce  passage  de  KæU   et   aussi   BhG   XV.1   qui   développe   la   même   idée   :   il   s'agit   aussi   de   couper   l'arbre   a‡vattha   bien  enraciné   grâce   à   la   hache   du   non   attachement   (asa©ga)  ;   il   parle   aussi   du   brahmav®kÒaÌ   sanætanaÌ  «  l'éternel  arbre  du  brahman  »,  expression  qu'il  attribue  à  un  Puræ◊a59.    Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  diverses  références,  dans  BÆUBh  I.4.7,  Ωaµkara  développe  l'analogie  de  l'arbre  et  ajoute  finalement  :  «  car  cet  arbre  du  monde,  il  faut  l'arracher  avec  la  racine  ;  en  effet,  c'est  en  l'arrachant  que  les  fins  humaines  trouvent  leur  achèvement.  »60  Tout  le  domaine  de  la  vie,  y  compris  les  Veda  (ils  sont  les   feuilles   de   l'arbre),   les   êtres   depuis   Brahmæ   jusqu'aux   créatures   d'ici-­‐bas,   tout   cela   est   opposé   au  brahman  qui  est,  et  lui  seul,  le  soutien  invisible  de  l'arbre.  KæU  II.3.1  et  BÆU  I.4.7  semblent  être  la  source  de  la  métaphore  qui  vient  à  l'esprit  de  Ωaµkara  commentant  TU  I.10,  les  mots  déclencheurs  étant  v®kÒa  et   ºrdhva   parce   qu'on   les   retrouve   notamment   dans   KæU   II.3.1.   Peut-­‐être  Ωaµkara   a-­‐t-­‐il   commenté   TU  après   KæU   et   a-­‐t-­‐il   fait   appel   à   ses   analyses   précédentes   devant   le  mystérieux   ahaµ   v®kÒasya   rerivæ.  Expliquant  le  remuement  de  l'a‡vattha  dans  KæU  II.3.1,  il  recourt  à  la  même  racine  ŸR-­‐  avec  laquelle  il  fait  s'agiter  le  v®kÒa  de  TU  I.10.  Il  est  même  possible  que  le  ºrdhvamºlo'væk‡ækha  eÒo'‡vatthaÌ  sanætanaÌ  de  KæU  II.3.1  soit  à  l'origine  de  la  strophe  de  TU.1.10.  Cette  strophe  qui  ressemble  aux  mantra  énigmatiques  rassemblés   notamment   dans   l'hymne   dit   asyavæmÚya   (����   I.164)   est   probablement   une   citation  empruntée  à  une  littérature  plus  ancienne  ;  M.  Witzel  a  montré  combien  cette  première  vallÚ  de  la  TU  est  

                                                                                                               55Ωaµkara   file   longuement   la  métaphore:   vedæntanirdhæritaparabrahmamºlasæraÌ   «  l'essence   (særa)   en   est  

ses  racines,  le  brahman  suprême  certifié  dans  les  Vedænta  »  (ŸÆDU  :  98,  l.  17-­‐8).  56  Le  mot  v®kÒa  n'a  pas  d'étymologie  claire  selon  M.  Mayrhofer,  KEWA,  s.v.  57   C'est   le   nom   du   Ficus   religiosa,   l'arbre   de   l'illumination   du   Buddha   notamment.   Le   mot   n'est   pas   indo-­‐

européen  et  la  ressemblance  avec  a‡va  'cheval'  et  (s)tha  de  STHÆ-­‐  'se  tenir  debout'  est  purement  accidentelle  affirme  M.  Mayrhofer,  KEWA,  s.v.  

58  a‡vatthavat  kæmakarmavæteritanityapracalitasvabhævaÌ.  59  BÆUBh   I.4.7,  ŸÆDU   :  654,   l.  22-­‐26.  La   référence  n'étant  pas  précise,   il   est  difficile  de  savoir  à  quoi  pense  

exactement  Ωaµkara.  Ad  BhG  XV.1,  Ωaµkara  cite  KæU  VI.1  et  quatre  ‡loka  qu'il  attribue  aussi  à  un  Puræ◊a  où  apparaît  le   syntagme  brahmav®kÒaÌ   sanætanaÌ.   Il   est  possible  qu'il   ait   en  vue  dans  BÆUBh   le  passage   en  question.   Selon  S.  Mædhavænanda,  traducteur  du  BÆUBh,  cette  expression  se  trouve  dans  le  Ωiva-­‐Puræ◊a  (V.1.10,  76)  et  dans  le  Mbhæ  (A‡vamedhaparvan,  XLVII,  12-­‐15).  

60  hy  asau   saµsærav®kÒaÌ   samºla  uddhartavya   iti   /   taduddhara◊e  hi  puruÒærthaparisamæptiÌ   (BÆUBh   I.4.7,  ŸÆDU  :  654,  l.  24).  

19     Article  Journal  Asiatique        liée   à   l'école   Kæ†haka61.   Si   l'auteur   de   la   strophe   de   la   TU   avait   en   tête   l'image   du   figuier   aux   racines  tournées  vers  le  ciel,  celle-­‐ci  a  pu  susciter  en  lui  celle  d'un  arbre  aux  racines  purifiantes  tournées  vers  le  ciel.    13.   Au   total,   spontanément   ou   non,   Ωaµkara,   un   renonçant   dont   tout   le   travail   intellectuel   et   spirituel  consiste  à  retirer  de  lui-­‐même  les  graines  de  la  fonctionnalité  mondaine,  ignore  l'aspect  védique  du  texte  dont   il   fait   une   lecture   métaphorique   en   mobilisant   les   ressources   de   l'érudition   brahmanique  (Vyækara◊a  'grammaire'  et  Nirukta  'étymologie'  et  MÚmæµsæ  'exégèse'  notamment)  et  surtout  le  réseau  des  références  upaniÒadiques  que  suscitent  les  différents  mots  du  verset.  Le  fait  est  que  le  sens  originel  du  mantra  et  le  sens  (peut-­‐être  différent)  que  lui  prêtait  le  compilateur  de  l'UpaniÒad  et  qui  justifiait  son  insertion  à  cet  endroit,  n'apparaissent  pas  clairement  :  Ωaµkara  fait  donc  parler  la  stance  en  lui  apportant  un  contexte  nouveau,  vedæntique,  et  en  interprétant  son  vocabulaire  et  sa  syntaxe  selon  sa  propre  pensée.  Il  est  servi  dans  son  choix  par  un  vocabulaire  en  partie  obscur  et  la  présence  du  mot  v®kÒa  dont  l'analyse  pæ◊inéenne  fait  défaut62.    À  cette  «  méthode  métaphorique  par  réseau  »,  il  recourt  volontiers  car  la  lecture  métaphorique  lui  permet  de  déréaliser   le   vocabulaire  :   l'arbre   a  disparu,   il   n'est  qu'une  manière  détournée  de   signifier   le  monde  tandis  que  son  nom  dit  de  manière  voilée,  pour  celui  qui  sait,  le  statut  et  la  destinée  de  ce  monde.  Aham  'je'  n'est   autre  que   le  brahman,   l'absolu,   etc.   Si   encore  Ωaµkara   accordait,   comme   le   fait   un  yogin   du  Yoga-­‐Sºtra,  une  réalité  au  monde  et  ne  cherchait  qu'à  stériliser  en  lui  la  graine  de  sa  présence  et  de  son  futur,  il  pourrait  encore  entendre  un  hymne  qui  célèbre  le  Dieu  qui  fait  pleuvoir  des  bienfaits  pour  des  hommes  incarnés.  Car  il  faut  bien  que  la  graine  existe  pour  la  stériliser.  Mais  pour  Ωaµkara,  même  si  sa  position  est  nuancée   à   cet   égard,   le  monde   n'a   pas   vraiment   d'existence   réelle   et   la   lecture  métaphorique   s'impose  alors   :   les   mots   ne   peuvent   dénoter   réellement   que   l'ignorance   tandis   qu'ils   peuvent   signifier   le   vrai  métaphoriquement,  indirectement  voire  secrètement.  Si   l'on   suit   Ωaµkara,   qu'on   oublie   le   fait   que   ce  mantra   est   un   vers,   qu'on   adopte   son   (?)   découpage  (version  A)  et  son  analyse,  le  mantra  se  présente  sous  la  forme  :  Ahaµ  v®kÒasya  rerivæ  /  kÚrtiÌ  p®Ò†haµ  girer  iva  /  ºrdhvapavitro  væjinÚva  svam®tam  asmi  /  dravi◊aÓ  savarcasam  /  sumedhæ  am®to'kÒitaÌ  et  le  sens  est  :  «  Je  [suis]  celui  qui  donne  le  branle  à  l'arbre  [du  saµsæra  destiné  à  être  abattu]  /  [Ma]  renommée  est  [haute]  comme  le  faîte  du  mont  /  j'ai  pour  zénith  (i.e.  principe)  la  purification  ;  je  suis  (ou  :  j'ai  obtenu)  la  bonne  ambroisie,  comme  [elle   l'est]  dans  [le  soleil]  plein  d'énergie  /  [Je  suis  /   j'ai  obtenu]   la  richesse  pleine  d'éclat  /  sage,  [je  suis]  immortel,  impérissable  (ou  :  [je  suis]  inondé  d'ambroisie).  »  On  peut  discuter   le   sens  de   rerivæ   et   de  prerayitæ.   Si   le   passage  n'est   pas   clair,   la   portée  de   ce  que  dit  Ωaµkara  ne   se   laisse  pas  non  plus   saisir   aisément.   Comprend-­‐il,   à   l'instar   d'une   lecture   védique,   que   le  mouvement  en  question  vise  à  donner  le  branle  à  l'arbre  et  que  vedæntiquement  cet  ébranlement  prélude  à   son   (lointain  ?)   arrachement  ?   On   peut   certes   penser   que   Ωaµkara   estime   qu'il   faut   faire   tomber   les  fruits   de   l'arbre   avant   de   l'abattre,   que,   bon   brahmane,   il   prône   l'accomplissement   des   devoirs  brahmaniques  lesquels  débouchent  comme  naturellement  sur  la  libération.  Une  telle  interprétation  cadre  avec  la  conclusion  du  commentaire  sur  TU  I.10.  Doit-­‐on  pour  autant  conclure  que  Ωaµkara  la  prend  à  son  compte  ?  Elle  est  contredite  par  son  empressement  à  signaler  que   la  nature  de   l'arbre  est  d'être  abattu.  Surtout,   si   le   passage   de   l'UpaniÒad   doit   se   comprendre   dans   son   contexte,   il   en   va   de   même   du  commentaire  de  Ωaµkara.  Or,  si  on  se  reporte  à  ce  qui  suit,  on  constate  que  toute  cette  première  vallÚ  où  sont   évoqués   quelques-­‐uns   des   devoirs   qui   constituent   la   condition   brahmanique   (notamment   la  cantilation  du  Veda  avec  les  règles  de  l'orthoépie)  se  termine  par  un  long  excursus  (après  TUBh  I.11)  où  Ωaµkara  examine  la  valeur  des  actes  dans  la  perspective  de  la  délivrance  :  «  En  vue  de  discriminer  entre  la  connaissance  et  les  actes,  nous  envisagerons  maintenant  la  question  de  savoir  si  le  souverain  bien  (c.-­‐à-­‐d.  la   délivrance)   résulte   des   seuls   actes,   ou   bien   des   actes   aidés   par   la   connaissance   ou   bien   de   la  connaissance   et   des   actes   associés,   ou   bien   de   la   connaissance   aidée   par   des   actes   ou   encore   de   la  connaissance  seule.  »  ;  après  un  long  examen,  il  conclut  :  «  Il  n'y  a  ici  aucune  règle  restrictive  stipulant  que  la   connaissance   surgit   uniquement   de   l'élimination   des   obstacles   et   non   pas   aussi   bien   de   la   grâce   du  

                                                                                                               61  D'autant  que   les  deux  UpaniÒad   se  connaissent  puisque  KæU  et  TU  ont  une  strophe  parallèle  (TU  II.8.1  et  

KæU  VI.3  ou  II.3.3);  cette  strophe  parallèle  appartient  au  même  poème  où  KæU  parle  du  figuier  éternel.  WITZEL  1979  a  mis  en  valeur  le  fait  que  la  première  vallÚ  de  la  TU  appartenait  originellement  au  corpus  Kæ†haka.  

62  Le  mot  v®kÒa  est  cité  à  titre  de  forme  toute  faite  (nipætana)  dans  P.  VibhæÒæ  v®kÒa°  II.4.12  sans  recourir  à  la   méthode   habituelle   où   les   mots   sont   formés   par   dérivation,   c.-­‐à-­‐d.   en   suffixant   une   racine.   Pæ◊ini   recourt   à   la  méthode   par   nipætana   pour   des   mots   importants   ou   des   mots   pour   lesquels   énoncer   une   règle   de   formation  s'avérerait   plus   long,   moins   économique,   que   d'énoncer   le   mot   lui-­‐même.   Souvent   les   nipætana   présentent   une  particularité  phonétique  ou  morphologique.  C'est  cela  qui  motive  l'analyse  de  l'US,  car  si,  avec  Pæ◊ini,  la  forme  v®kÒa  est  légitimée  et  si  par  l'usage  on  connaît  ce  qu'elle  dénote  (l'arbre),  on  ne  sait  pas  ce  que  le  mot  signifie.  

20     Article  Journal  Asiatique        Seigneur,  de   l'ardeur   [ascétique],  de   la  contemplation  yogique,  etc.  Car,   si   la  non-­‐violence,   la  chasteté  et  autres   pratiques   représentent   des   facteurs   favorables   à   l'éclosion   de   la   connaissance,   l'audition   des  UpaniÒad,   la  réflexion  [à  leur  sujet]  et   leur  méditation  notamment  en  représentent  les  causes  directes.  »  Ωaµkara   affirme   donc,   ici   comme   plusieurs   fois   ailleurs,   que   les   actes   n'ont   même   pas   une   valeur  propédeutique.   Ils   ne   sont   pas   en   eux-­‐mêmes   les   facteurs   de   la   connaissance,   ne   participent   pas   de   sa  nature,   n'en   constituent   pas   une   étape.   Ils   aident,   constituent   une   sorte   de   nid   où   l'éclosion   de   la  connaissance   sera   facilitée.   Dès   lors,   on   ne   peut   imaginer   que,   commentant   ahaµ   v®kÒasya   rerivæ,  Ωaµkara   fasse   sienne   la   thèse   d'une   séquence   d'actes   débouchant   sur   la   réalisation   de   l'unité   du   soi  personnel  et  du  soi  universel.  Dans  un  passage  qui  suit  de  près   le  verset  en  question,  Ωaµkara  pose  clairement   la  question  du  rapport  des  rites  et  de  la  connaissance  :    «-­‐  Dans  ce  cas,  si  l'émergence  de  la  connaissance  est  tributaire  des  rites,  aucun  autre  æ‡rama  'mode  de  vie'  [que  celui  de  maître  de  maison]  ne  sera   légitime.  Ces  rites,  en  effet,  ne  concernent  que  le  seul  maître  de  maison.  Et,  à   l'appui  de  ce  point,  on  peut  citer  des   textes  qui  vont   tout  à   fait  dans  ce  sens  comme  [Qu'il  exécute  le  sacrifice  de  l'agnihotra]  sa  vie  durant.    -­‐  Non,  car  les  actes  sont  divers  :  en  effet,  il  n'y  a  pas  que  l'agnihotra  et  les  actes  [de  même  catégorie].  Des  pratiques   comme   la   chasteté,   l'ardeur   ascétique,   la   véracité,   la   tempérance,   la   maîtrise   de   soi,   la   non-­‐violence   sont   couramment   associées   aux   autres   modes   de   vie.   Leur   pureté   les   constitue   en   facteurs  éminemment   favorables   à   l'émergence   de   la   connaissance.   Et   il   en   va   de   même   des   pratiques   de  contemplation  yogique  et  de  fixation  mentale.  Et  [la  TU  III.2]  peut  dire  :  «  Par  l'ardeur  ascétique,  efforce-­‐toi  de  connaître  le  brahman.  »  De  plus,  en  tant  que  fruit  d'actes  accomplis  dans  des  existences  antérieures,  la  connaissance  peut  surgir  avant  même  l'entrée  dans  l'état  de  maître  de  maison  :  or  comme  d'autre  part,  on  embrasse  l'état  de  maître  de  maison  dans  le  but  d'exécuter  des  rites,  l'entrée  dans  cet  état  perd  toute  signification   dès   lors   qu'est   déjà   acquise   cette   connaissance   que   les   rites   accomplis   (dans   la   vie  domestique)  sont  censés  faire  surgir.  Par  ailleurs,  comme  la  [procréation]  d'un  fils,  etc.,  a  une  motivation  mondaine,  pour   lui  qui  est  débarrassé  des  désirs  envers  «  ce  monde,   le  monde  des  pères,   le  monde  des  dieux  »   (BÆU   I.5.16)   pour   lesquels   ces   fils,   etc.   sont   des   moyens,   pour   lui   qui   voit   le   soi-­‐même  perpétuellement   établi,   qui   ne   voit   aucun   intérêt   dans   les   rites,   comment   l'activité   pourrait-­‐elle   être  possible  ?  Et  même  pour  qui  est  déjà  installé  dans  cet  état,  si  la  connaissance  vient  à  surgir  et  à  mûrir  en  lui,  il  ne  verra  plus  l'intérêt  d'exécuter  des  rites  et  il  s'en  détournera  complètement  »  (TUBh  I.11).  Ωaµkara  ne   récuse   pas   les   rituels   ni   les   pratiques   qui   relèvent   du   Yoga.   Il   remet   en   cause   le   principe   de   la  production   de   la   délivrance   par   ces   rites   ou   pratiques,   la   nécessité   d'être   un   maître   de   maison.   Cette  démonstration   revient   à   de   nombreuses   reprises   dans   ses   commentaires,   car   cette   question   lui   tient   à  cœur,   notamment  dans   sa   critique  des   thèses  mÚmæµsaka.  Ce  qui   fait   l'intérêt  de   ce  passage,   c'est  que  Ωaµkara  ait  senti  la  nécessité  de  tenir  un  tel  raisonnement  après  le  verset  en  question.        14.  Comment  ce  verset  a-­‐t-­‐il  été  compris  après  Ωaµkara?  On  imagine  bien  que  ses  disciples  et  successeurs  vedæntin   ont   commenté   cette  UpaniÒad   dans   le   sens   où  Ωaµkara   l'avait   interprétée.   Ainsi   en   va-­‐t-­‐il   de  Sure‡vara,   le   seul  des  disciples  de  Ωaµkara  qui   soit   resté   fidèle  à   la  philosophie  de  son  maître   (POTTER  2006  :   6)  :   duÌkharæ‡er   vicitrasya   seyaµ   bhrænti‡   cirantanÚ   /   mºlaµ   saµsærav®kÒasya   tadbædhas  tattvadar‡anæt  «  Cet  errement  premier  [est]  la  racine  de  l'arbre  du  saµsæra,  qui  est  une  masse  diversifiée  de  souffrances  :  de  la  connaissance  principielle  [résulte]  la  destruction  de  cet  [errement]  »  (NaiS  II.103).  Dans   TUBhV   I.153,   il   dit   seulement   (parlant   du   brahman)   :   asya   saµsærav®kÒasya   rerivæ   janako'smy  aham   «  Je   suis   celui  qui  donne   le  mouvement  à   l'arbre  du   saµsæra,   c.-­‐à-­‐d.  que   j'en   suis   le  producteur.  »  Ræmænuja  n'a  pas  commenté   la  dite  UpaniÒad  et   le  passage  en  question  n'est  même  pas  alludé  dans   le  ΩrÚ-­‐BhæÒya.   On   imagine   quelques   différences   d'interprétation   possibles   ainsi   qu'on   peut   le   constater  quand  Ræmænuja  commente  saha  brahma◊æ  vipa‡citæ  (TU  II.1).  Mais  il  s'agit  plus  en  l'occurrence  d'un  débat  interne  au  Vedænta  que  d'une  autre  vision  du  texte.    Bha††a   Bhæskara   présente   l'intérêt   de   ne   pas   être   principalement   un   vedæntin.   Certes   sa   première  remarque  consiste  à  dire  que  ce  mantra  est  instruit  comme  partie  d'une  méditation  (bhævanæ)  sur  l'unité  (de  soi)  avec  le  brahman  suprême.  Mais  il  ignore  que  aham  puisse  dénoter  l'antaryæmin  'régent  interne'  et  tout  ce  qu'il  dit  vise  principalement  à  établir  la  formation  des  mots  qu'il  rencontre.  Notamment  il  procède  à   l'analyse   du   terme   v®kÒa   'arbre'   et,   ce   faisant,   explique   incidemment   l'origine   du   commentaire   de  Ωaµkara   :  vra‡cater  au◊adikaÌ   ksaÌ   /   vra‡cædinæ  Òatvam  /  Òa∂hoÌ   kas   si   iti   katvam  /   «  [Le  mot  v®kÒa  'arbre'  est  formé  avec  le  suffixe]  <Ksa>  instruit  par  l'US  [III.66]  après  la  racine  VRAΩC-­‐  'couper,  abattre  [un  arbre]'.   Il   y   a   cérébralisation   du   <s>   en   raison   de   Vra‡ca°   (P.   VIII.2.36   i.e.   devant   un   suffixe   à   initiale  consonantique).  Il  y  a  gutturalisation  en  raison  de  Òa∂hoÌ  kas  si  (P.  VIII.2.41).  »  Concernant  l'assimilation  de  væjin  au  soleil,  Bha††a  Bhæskara,  sensible  à  la  glose  sémantique  de  la  racine  VAJ-­‐  dans  le  Dhætupæ†ha  (va≠ja≠   gatau),   rend   compte   de   ce   sens   sans   passer   par   la   référence   à   la   nourriture   :   væjÚ   nityagatir  

21     Article  Journal  Asiatique        ædityaÌ  tasminn  iva  vartamæno'smÚti  «  Le  mot  væjin  désigne  le  soleil  dont  la  course  (gati)  est  perpétuelle,  il  est  au  locatif  ;  le  sens  est  :  "C'est  comme  si  j'étais  présent  dans  le  soleil."  »  Notons  que  cette  assimilation  est  récente  puisque  dans  l'Amarako‡a  (datant  d'avant  le  VIe  siècle  selon  A.  A.  Ramanathan,  son  éditeur  de  1971),  si  væjin  est  donné  à  plusieurs  reprises  comme  nom  du  cheval  (et  aussi  de  l'oiseau  et  de  la  flèche),  nulle   part   il   n'est   le   nom   du   soleil   comme   le   veulent   Ωaµkara   et   Bha††a   Bhæskara.   Il   explique   aussi  l'expression  ºrdhvapavitraÌ  qui  pourtant  ne  présente  aucune  difficulté   :  pavitra  est  un  mot  védique  bien  connu  notamment  en  tant  que  nom  du  filtre  à  soma,  en  particulier  dans  �S  IX.  Bha††a  Bhæskara  en  fait  un  nom   d'instrument   en   citant   sa   formation   pæ◊inéenne   :   pºyate   aneneti   pavitram   /   'puvas   saµj~æyæm'  itÚtrapratyayaÌ   :   «  Le  mot  pavitra   est   [un  nom  d'instrument]   dérivé   de   la   racine  Pª-­‐   'purifier'   construit  avec   le   suffixe   <itra>   selon   Puvas   saµj~æyæm   (P.   III.2.185).  »   Plus   symptomatique   est   sa   volonté  d'expliquer  vyâkaraniquement  rerivæ,   forme  qui  n'est  pas  grammaticale  :   i©o  ya©lugantæt   'anyebhyopi'  iti  kvip  /  chændasaµ  hrasvatvaµ,  i©abhæva‡  ca  /  rerivæ  /  antyalopa‡  chændasaÌ  /  «  Le  suffixe  <KviP>  (=  ø)  vaut  selon  Anyebhyo'pi  (P.III.2.178)  après  la  racine  RI¢-­‐  à  l'intensif.  La  brève  est  une  licence  védique  et  le  ©  est  absent  :  rerivæ  ;   l'apocope  est  une  licence  védique.  »  On  sent  comment  Bha††a  Bhæskara  veut  à  tout   prix   forcer   le   mot   à   rentrer   dans   les   normes   pæ◊inéennes   (ce   qui   n'est   pas   le   souci   majeur   de  Ωaµkara  qui  constate  la  forme,  ne  cherche  pas  à  la  justifier  et  ne  tient  compte  que  de  son  sens).  RI¢[G]  ou  RI¢KH-­‐  (les  deux  racines  sont  différenciées  dans  le  Dhætupæ†ha)  sont  parmi  les  nombreux  dhætu  'racines'  auxquels  le  Dhætupæ†ha  attribue  le  sens  de  gati  'aller'.  Les  dictionnaires  lui  donnent  plus  précisément  le  sens  de   'ramper,  marcher  à  quatre  pattes  pour   les  enfants'.  Finalement   il   aboutit  au  même  résultat  que  Ωaµkara  :   ahaµ   v®kÒasya   vra‡canÚyasya   prapa~casya   v®kÒasya   rerivæ   bh®‡aµ   kÒobhayitæ   «  Je   suis  rerivæ,  c.-­‐à-­‐d.  celui  qui  met  en  mouvement  fortement  l'arbre  destiné  à  être  coupé,  le  monde  visible.  »  On  pourra  s'étonner  du  fait  que  le  Veda,  la  révélation,  prend  bien  des  licences  et  semble  ignorer  la  grammaire.  L'essentiel   n'est   pas   là  :   alors   que   Ωaµkara   s'accommode   très   bien   de  mots   non   grammaticaux   dont   le  mystère  linguistique  lui  permet  d'extrapoler  le  mystère  de  l'absolu,  Bha††a  BhæÒkara  veut  à  toute  force,  non  sans  artifice,  que  les  règles  de  Pæ◊ini  (et  de  l'U◊ædi-­‐Sºtra)  s'appliquent  au  Veda.  La  comparaison  des  deux  commentaires  est  éloquente  :  -­‐  Bha††a  Bhæskara  note  des  faits  de  métrique  qu'ignore  Ωaµkara.  -­‐  Il  recourt  beaucoup  plus  au  Vyækara◊a  pæ◊inéen,  beaucoup  moins  aux  analyses  de  type  niruktique  que  Ωaµkara.  Ses  analyses  ne  débouchent  pas  sur  un  sens  éloigné  de  la  lecture  au  premier  degré.    -­‐   Surtout,   sans   refuser   la   lecture  métaphorique   que   lui   imposent   les   deux   iva   'comme'   du   texte   dont   il  hérite,  il  ne  se  livre  pas  de  lui-­‐même  à  une  lecture  métaphorique.    Au   total,   sa   lecture   est   à   la   fois   réaliste,   érudite   dans   sa   justification   (les   analyses   grammaticales   sont  beaucoup  plus  poussées  que  celles  de  Ωaµkara)  et  sensible  (ici  il  se  réfère  à  la  métrique  ;  ailleurs  et  très  souvent  à  la  tonalité63,  c'est-­‐à-­‐dire  à  la  musique  du  texte).  La  lecture  des  autres  commentaires  de  Bha††a  Bhæskara   dans   la   branche   TaittirÚya   (voir   CARRI   1985)   confirme   ces   faits.   La   seule   différence   avec   ce  spécimen   est   que,   ailleurs,   Bha††a   Bhæskara   se  montre   très   attentif   aux   faits   de   tonalité   (dont   il   rend  compte  via  les  sºtra  de  Pæ◊ini).  Malheureusement  il  est  muet  ici  à  ce  sujet.  Certes,  il  n'y  a,  entre  Ωaµkara  et  Bha††a  Bhæskara,  pas  beaucoup  de  différence  sur  le  sens  général  du  texte,  mais  le  fait  est  qu'il  n'y  a  pas  beaucoup  d'intérêt  pour  le  sens  chez  Bha††a.  Son  analyse  est  beaucoup  plus  formelle  que  sémantique64.  Manifestement  si  pour  Bha††a  Bhæskara,   le  Veda  est   le  Veda,  cela  ne  tient  pas  en  premier  à  des  faits  de  doctrine,   de   philosophie,   de   vérité,   de   sagesse,   etc.   mais   principalement   à   des   critères   formels   qui  ressortissent   de   la   grammaire   et   de   l'esthétique.   En   cela   son   approche   est   caractéristique   des   analyses  anciennes  du  Veda  comme  en  témoignent  l'abondance  numérique  des  commentaires  sur  la  phonétique  et  l'orthoépie,  et  la  faiblesse  numérique  des  analyses  sémantiques  (le  Nirukta).    15.  Le  commentaire  de  Sæya◊a  sur  ce  passage  est  plus  long  que  ceux  de  Bha††a  Bhæskara  et  de  Ωaµkara.  Sæya◊a   ne   s'occupe   pas   (ou   peu)   de   morphologie,   pas   du   tout   de   métrique   ou   de   tonalité  ;   en   cela   il  diverge   de   Bha††a   Bhæskara.   En   revanche,   il   s'intéresse   (beaucoup   mais   pas   exclusivement)   à   la  signification   du   texte.   Ces   deux   caractéristiques   font   se   rapprocher   Sæya◊a   et   Ωaµkara,   deux   maîtres  vedæntin.    

                                                                                                               63  Par  exemple,  les  premières  pages  de  son  commentaire  du  TaittirÚya-­‐Æra◊yaka  sont  pleines  de  références  à  

la  tonalité  et  aux  sºtra  de  Pæ◊ini  consacrés  à  la  tonalité.  64  CARRI  1985  :  18  souligne  la  volonté  de  Bha††a  Bhæskara  de  mettre  en  valeur  le  vedærtha  ‘sens  du  Veda’,  en  

plus   de   son   but   et   de   son   objet.   En   introduction,   Bha††a   reprend   le   verset   yad   adhÚtam   avij~ætam   nigatenaiva  ‡abdyate  /  anagnæv  iva  ‡ukÒkaidho  na  taj  jvalati  karhicit  que  Pata~jali  cite  dans  le  MahæbhæÒya  pour  encourager  les  étudiants  à  connaître   le  sens  des  mots  via   l’étude  du  vyækara◊a.  De  même  que   la  grammaire  pæ◊inéenne  débouche  sur  une  connaissance  principalement  formelle  des  mots  de  la  langue  sanskrite,  le  commentaire  de  Bha††a  BhæÒkara  est  plus  formel  que  sémantique.  

22     Article  Journal  Asiatique        Sæya◊a   présente   cette   strophe   dans   la  même  perspective   que   ses   deux   prédecesseurs  ;   on   y   rencontre  l'arbre   du   saµsæra   qu'il   s'agit   d'abattre,   le   soleil   à   la   course   rapide   etc.   Il   y   a   néanmoins   trois  caractéristiques   qui   font   que   Sæya◊a   se   distingue   de   Ωaµkara   et   de   Bha††a   Bhæskara   et   ce   sont   des  différences  importantes.    a)  À  la  différence  de  Ωaµkara  et  de  Bha††a  Bhæskara,  Sæya◊a  fournit  une  liste  des  références  textuelles  qui   appuient   son   interprétation.   Ce   sont   le   TaittirÚya-­‐Æra◊yaka,   la   Ka†ha-­‐UpaniÒad,   la   Chændogya-­‐UpaniÒad   et   la   B®had-­‐Æra◊yaka-­‐UpaniÒad   pour   la   Ωruti,   ‘la   révélation   [védique]’   ou   ‘tradition  immémoriale’  ;  en  outre,   il  cite   la  Bhagavad-­‐GÚtæ,  un  texte  de  la  Sm®ti   ‘la  tradition  mémoriale’.  Ce  sont  ces  textes  que  précisément  nous  sommes  allés  solliciter  pour  comprendre  l'analyse  de  Ωaµkara.  Certes,  il  n'est   pas   certain   que  Ωaµkara   ait   pensé   à   tous   les   textes   cités   en   référence   par   Sæya◊a,  mais   c'est   fort  probable   parce   que   ce   sont   ses   références   habituelles   et   qu'ils   ont   tous   été   commentés   par   le   maître  vedæntin.   Bien   sûr,   on   pourrait   trouver   d'autres   textes   parlant   des   arbres   qui   disent   à   peu   près   le  contraire.  Un  célèbre  passage  de  l'Aitareya-­‐Æra◊yaka  (AiÆ  II.3.6)  décrit  ainsi  «  l'arbre  aux  mensonges  »,  celui  qui  porte  des  fruits  vrais,  mais  qui  cache  ses  racines  fausses  :  il  faut  dire  le  vrai  et  garder  le  faux  qui  est  à  la  racine  du  vrai,  qui  est  la  racine  du  vrai.  En  l'occurrence,  c'est  dans  la  racine  que  se  loge  le  faux  alors  qu'ici,  la  racine  joue  le  rôle  du  brahman.  Les  textes  védiques  sont  si  multiples  qu'on  peut  toujours  y  puiser  pour   illustrer   ou   justifier   n'importe   quel   propos.   L'arbre   entre   aussi   comme   motif   de   nombreuses  métaphores  dans  le  Veda.  G.  U.  Thite  (1975  :  289)  mentionne  celle  où  l'on  compare  le  sacrifice  à  un  arbre.  Et  il  y  en  a  d'autres.  On  voit  ainsi  comment  procède  Ωaµkara  qui,  face  à  un  texte  déroutant,  va  puiser  dans  les   textes   védiques,   principalement   upaniÒadiques,   les   passages   qui   vont   dans   son   sens   et   délaisse   les  autres.  Il  peut  toujours  s'appuyer  sur  la  révélation  védique.      b)  Si   les   interprétations  se  rejoignent,  en  revanche   les  destinataires  divergent.  Sæya◊a  dit  que  «  dans   le  neuvième  anuvæka   [TU   I.9],   on   a   enseigné   les   actes  qui,   instruits  par   la  Ωruti   et   la   Sm®ti,   doivent   être  exécutés   en   plus   de   la   contemplation   (upæsana)   du   brahman.   Incidemment   on   a   mentionné   que   le  brahmayaj~a   ('le   sacrifice  du  brahman',   c'est-­‐à-­‐dire   la  cantilation  du  Veda)  est   le  meilleur   tapas   'ardeur  [ascétique]'.  Mais  quelqu'un,  bien  que  croyant,  peut  ne  pas  être  capable  de  réciter  parce  que,  manquant  de  capacité  intellectuelle  ou  pour  d'autres  [raisons],  il  n'a  pas  appris  le(s)  Veda.  Maintenant,  dans  le  dixième  chapitre,  la  révélation  énonce  un  mantra  grâce  à  la  répétition  duquel  cette  personne  peut  obtenir  les  fruits  du  brahmayaj~a.  »65  Sæya◊a  enseigne  donc  que  ce  mantra  est,  à  l'instar  de  la  syllabe  om,  de  la  strophe  qu'on  nomme  gæyatrÚ,  etc.,  une  sorte  de  substitut  du  Veda  :  les  gens  pressés  ou  ignorants  pourront  l'apprendre  et  leur  récitation  tiendra  lieu  de  svædhyæya  'cantilation  personnelle'  :  «  Dans  le  dixième  [anuvæka],  on  a  instruit  un  mantra  qu'on   peut   réciter   comme   substitut   (pratinidhi)   du   brahmayaj~a  ;   ainsi   le   brahmayaj~a   peut-­‐il   être  aisément  exécuté,  même  par  quelqu'un  lent  d'esprit.  »66  Sans  discuter   le  statut  de  la  révélation  védique,  Sæya◊a  change   le  statut  des  destinataires  du  Veda   et  donc  sa  destination.  Le  contraste  entre  ceux  à  qui  Ωaµkara  et  Sæya◊a  s'adressent  est  saisissant.  Écoutons  Ωaµkara  dresser   la   liste  des  qualités  du  disciple  dans  l'Upade‡asæhasrÚ  (USP  II)  :  «  Cette  connaissance  en  tant  que  moyen  de  libération,   il   faut  la  dire  de  manière  répétée,  jusqu'à  ce  que  sa  compréhension  soit  ferme,  au  disciple  brahmane  qui  s'est  approché  [du  maître]  selon  les  règles.  [Ce  disciple]  est  détaché  de  tout  ce  qui  est  impermanent,  [c'est-­‐à-­‐dire]  de  ce  que  l'on  acquiert  par  des  moyens  [autres  que  la  connaissance]  ;  il  a  renoncé  au  désir  d'avoir  un  fils,  d'obtenir  des  richesses  et  il  n'aspire  plus  à  l'autre  monde.  Il  a  adopté  l'état  de  moine  errant.  Il  est  apaisé  (dans  son  esprit),  maître  de  ses  sens  et  compatissant.  Il  dispose  des  qualités  du  disciple  versé  dans  les  Traités.  On  le  soumet   à   examen   concernant   sa   jæti   (caste),   ses   actes,   son   comportement,   la   connaissance   [qu'il   a   du  Veda]  et  ses  ascendants.  »  Pour  ce  qui  est  des  destinataires  de  ce  mantra,  on  ne  voit  pas  que  Bha††a  Bhæskara  leur  reconnaisse  un  statut  particulier.  Ce  sont  les  mêmes  qui  récitent  ce  mantra  et  le  reste  de  l'Æra◊yaka.  Or,  il  avait  affirmé  au  début   de   son   commentaire   du   TÆ   que   etad   æra◊yakaµ   sarvaµ   nævratÚ   ‡rotum   arhati   «   Nul   ne   doit  entendre   tout   cet  æra◊yaka,   sauf   à   être   un   vratin,   [c'est-­‐à-­‐dire   à   être   engagé   dans   les   observances].  »  Ωaµkara  et  Bha††a  Bhæskara,  pour  des  raisons  différentes,  énumèrent  des  conditions  qui  ont  pour  effet  de   resserrer   l'habilitation  :   le   plus   important   est   le   plus   secret   du  Veda   et   prend  place   à   son   terme.  Au  

                                                                                                               65   navame'nuvæke   brahmopæsanena   samuccitya   ‡rautasmærtakarmænuÒ†heyam   ity   uktam   /   tatprasa©gæd  

brahmayaj~asyottamatapas   tvam   uktam   /   yas   tu   ‡raddhælur   api   praj~æmændyædidoÒe◊a   vedapæ†hæbhævæd  brahmayaj~e   samartho  na  bhavati   tasya  brahmayaj~aphalasiddhaye   japyaµ  mantraµ  da‡amænuvæke  dar‡ayati   (ÆSS  12  :  61,  l.  5-­‐8).  

66   da‡ame   brahmayaj~apratinidhitvena   japyo   mantra   uktaÌ   /   tato   mandapraj~asyæpi   sukaro   brahmayaj~aÌ  (ÆSS  12  :  62,  l.  15-­‐6).  

23     Article  Journal  Asiatique        contraire,  Sæya◊a  fait  un  sort  particulier  à  ce  mantra,  mais  en  élargissant  l'habilitation  :  le  plus  important  est  le  moins  secret  et  il  fait  office  de  substitut  pour  le  reste.  Notons  que  si  Ωaµkara  considère  que  aham  'je'  dénote  l'antaryæmin,  Sæya◊a  affirme  que  aham  désigne  un  mumukÒu  'aspirant  à  la  délivrance'  :  c'est  une  différence  significative.      c)  De  manière  répétée  Sæya◊a  instrumentalise  la  méditation  et  en  fait  un  acte  parmi  d'autres  :  «  Selon  le  sage  Tri‡a©ku,  la  cantilation  de  ce  mantra  vient  après  l'étude  du  Veda  avec  un  maître  et  elle  constitue  le  tapas  qu'est   la  cantilation  védique  connue  comme   'offrande  de  brahman'   (brahmayaj~a).  »67   Il   fait  de   la  libération  le  produit  de  l'exécution  des  devoirs  et  cette  insistance  sur  des  actes  dont  l'exécution,  associée  à  la  contemplation  ou   la  méditation,  provoque   le  mokÒa   caractérise  Sæya◊a  :  «  Ainsi  est-­‐il  bien  établi  que  l'association  des  devoirs  enjoints  par  la  Ωruti  et  la  Sm®ti  à  la  méditation  enseignée  précédemment  (...)  est  la  cause  du  kramamokÒa  ‘libération  progressive’.  »68  La  vision  de  Sæya◊a  est  celle  d'un  brahmane  attaché  aux  actes  et  au  statut  qu'ils  génèrent.  Le  mokÒa  est  bien  présent  à  l'esprit,  mais  comme  une  perspective  parmi  d'autres,  plutôt  lointaine.  Cela  le  différencie  de  la  manière  dont  Ωaµkara  pense  la  libération,  un  état  naturel  de  l'homme,  non  produit  et  non  causé  (cf.  TUBh,  introduction  et  excursus  après  I.11.4).  En  fait  les  actes  ont  un  statut  différent  selon  le  moment  où  Ωaµkara  les  envisage.  Il  ne  manque  jamais  l'occasion  de  dire  que  les  actes  ne  produisent  pas  l'expérience   de   la   non-­‐dualité  ;   celle-­‐ci   ne   rentre   pas   dans   la   transitivité   propre   à   l'acte   rituel,   et   plus  généralement  propre  à  toute  action  ;  la  non-­‐dualité  n'est  pas  un  produit,  mais  un  état  de  nature.  Les  actes  sont-­‐ils  donc   inutiles?  On  pourrait   le  penser  puisque  Ωaµkara  ou  un  vedæntin  se  désintéressent  de   leur  objet.  Pourtant,  Ωaµkara  affirme  que  leur  ænarthakya  'inutilité'  n'est  pas  total,  car  ils  préparent  la  prise  de  conscience   de   l'expérience   de   non-­‐dualité.   Mais   quand   celle-­‐ci   survient,   leur   vacuité,   leur   pauvreté  (naiÒkiµcanya)  se  révèlent  pleinement.  Il  n'y  a  plus  lieu  de  s'encombrer  de  l'accessoire  quand  l'essentiel  est  à  disposition69.  La  position  finale  de  Ωaµkara  est  donc  qu'on  ne  peut  faire  l'économie  des  actes,  mais  que  finalement  ils  sont  hors  sujet.    d)  Sæya◊a  s'intéresse  donc  principalement  au  sens  du   texte.  S'il   ignore  métrique  et   tonalité,   il  demeure  sensible,   comme   Bha††a   Bhæskara,   à   la   grammaire.   Il   tente   d'expliquer   le  mystérieux   rerivæ   et   dit  :   «  aham   'je',   aspirant   à   la   délivrance,   puissé-­‐je   être   le   rerivæ,   c.-­‐à-­‐d.   celui   qui   coupe  v®kÒasya   'l'arbre',   le  figuier,  en  forme  de  ce  monde,  au  moyen  de  l'arme  qu'est  le  détachement  des  objets  des  sens  :  [la  phrase]  doit  ainsi  être  complétée  ;  ce  mot  [rerivæ]  est  dérivé  de  la  racine  RŸ-­‐  au  sens  de  'nuire'.  »70  Formellement,  Sæya◊a  présente  rerivæ  comme  une  forme  de  précatif  (comme  l'est  bhºyæsam)  de   la  racine  RŸ-­‐  ;  mais   il  n'explique  pas  comment  cela  est  possible71.    Les  changements  dans   l'interprétation  des  mots  du  texte  sont  au  service  d'une  utilisation  et  donc  d'une  portée  différente.  Ωaµkara  entend  faire  signifier  le  texte  comme  signe  d'une  expérience  éternelle,  Bha††a  s'essaye  à  déchiffrer   les   arcanes  d'un   texte  dont   il   est  plutôt  personnellement  absent  ;   Sæya◊a   le  décrit  comme  prenant  place  dans  un  acte,   lequel  est  un  devoir  à  réaliser  dans   la  perspective  d'une  expérience  future,  plutôt  lointaine.  Que  la  TaittirÚya-­‐UpaniÒad  ne  parle  jamais,  ici  et  ailleurs,  de  mokÒa,  de  mukti,  etc.  est  complètement  ignoré  par  Ωaµkara  et  Sæya◊a.    16.  Jusqu'à  présent  nous  avons  respecté  le  texte  tel  qu'il  nous  est  parvenu,  et  tel  que,  semble-­‐t-­‐il,  il  existait  déjà  à   l'époque  de  Ωaµkara.  Bha††a  Bhæskara  et  Sæya◊a,   s'ils   l'interprètent  différemment,  ne  semblent  pas  en  avoir  connu  une  autre  version,  même  si,   comme   le  montre  son   idée  de  Òa†padæ   jagatÚ,  Bha††a  Bhæskara  imagine  bel  et  bien  que  le  texte  qu'il  commente  a  été  émendé.  Nous  avons  seulement  changé  le  découpage  et  imaginé  une  autre  prononciation.  Nous  avons  aussi  tenté  de  comprendre  pourquoi  Ωaµkara  

                                                                                                               67   C'est   la   manière   dont   Sæya◊a   glose   le   mot   vedænuvacana   :   vedænuvacanaµ   vedasya   gurupºrvakam  

adhyayanam  anu  pa‡cæd  vacanaµ  brahmayaj~asvædhyæyatapa  ity  arthaÌ  (ÆSS  12  :  62,  l.  11-­‐2).  68  uktopæsanena  saha  ‡rautasmærtakarmasamuccayaÌ  kramamokÒahetuÌ  susthitaÌ  (ÆSS  12  :  62,  l.  16-­‐7).  69   Cela   vaut   pour   les   rites   et   aussi   pour   le   Veda   lui-­‐même.   Dans   le   commentaire   de   BÆUBh  V.1.1,   le   statut  

finalement   accessoire   du   Veda   est   clairement   mis   en   valeur   par   Ωaµkara.   Une   fois   acquis   l'anubhava   'expérience  mystique'  de  l'unité  du  soi  personnel  et  du  soi  impersonnel,  le  Veda-­‐texte  n'a  plus  de  valeur  aux  yeux  de  celui  ya  evaµ  veda.  

70  Le  Dhætupæ†ha  dit  rÚ  gatireÒa◊ayoÌ;  reÒa◊a≠,  mot  védique  dérivé  de  RIS-­‐  'faire  mal,  blesser',  signifie  donc  'blessure'   et   peut   être   rapproché   de   hiµsæ.   Cette   connotation   de   douleur   est   en   revanche   absente   dans   l'idée  développée  par  Ωaµkara,  pour  qui  il  ne  s'agit  pas  de  blesser  l'arbre,  mais  de  l'abattre.  

71   mumukÒur   ahaµ   tasya   saµsærarºpasyæ‡vatthav®kÒasya   rerivæ   viÒayavairægyarºpe◊a   ‡astre◊a   cchetæ  bhºyæsam  iti‡eÒaÌ  (ÆSS  12  :  61,  l.  15-­‐7).  

24     Article  Journal  Asiatique        ne   pouvait,   ou   ne   voulait,   pas   accepter   le   verset   dans   son   sens   premier,   ce   qui   nous   permet   de  comprendre,   a   contrario,   pourquoi   Bha††a   Bhæskara   pouvait   l'accepter   plus   facilement.   On   peut  maintenant  tenter  avec  W.  Rau  d'aller  plus  loin  en  tentant  de  surmonter  la  dernière  difficulté,  à  savoir  le  mot  rerivæ  du  pæda  a.  Au  vrai,  le  propos  de  cet  auteur  était  d'adopter  une  attitude  purement  philologique  en  réaction  contre  l'attitude  spirituelle  de  P.  Deussen  qui  traduisait  principalement  l'UpaniÒad  perçue  par  Ωaµkara.   Ses   différents   Versuch   einer   deutschen   Übersetzung   et   particulièrement   celui   consacré   à   la  TaittirÚya-­‐UpaniÒad  (RAU  1981)  sont  particulièrement  intéressants  à  étudier.  Ils  illustrent  le  «  retour  à  la  philologie  »   qui   avec   le   «  retour   aux   manuscrits  »   se   développe   depuis   quelques   décennies.   Comme   P.  Deussen72  et  W.  Rau  s'expriment  tous  les  deux  en  allemand,  les  divergences  de  perspective  sont  rendues  évidentes,  et  ne  peuvent  être  mises  au  compte  de  l'emploi  de  langues  différentes.  Mais  W.  Rau  ne  fait  pas  que  réagir  contre  la  vision  spirituelle  de  P.  Deussen,  lequel  était  intéressé  par  le  fait   «  d'intégrer   la   tradition   indienne   dans   l'univers   chrétien  »   (CHATELLIER   1996   :   40).   Comme   les  fondateurs  occidentaux  des  études  upaniÒadiques  (O.  Böhtlingk,  P.  Deussen  principalement)  voulaient  à  tout   prix   voir   de   la   philosophie   dans   ces   textes,   une   alliance   de   fait   s'était   constituée   entre   Ωaµkara  interprète   vedæntique   des   textes   védiques,   les   brahmanes   reconvertis   récemment   au   nationalisme  spirituel   indien   et   les   philologues   occidentaux   découvrant,   fascinés,   la   spiritualité   indienne.  Ne   voulant  plus   s'adosser   à  Ωaµkara   ou,   plus   généralement,   à   aucun   commentateur,   récusant  P.  Deussen   jugé   trop  complaisant  à  l'influence  des  auteurs  indiens,  W.  Rau  se  retrouvait  devant  un  texte  nu,  dont  nous  avons  vu  qu'il   est   passablement   obscur.   Voudrait-­‐il   simplement   traduire   cette   obscurité,   et   rendre   l'obscur   par  l'obscur,  le  clair  par  le  clair?  L'auteur  ne  s'y  est  pas  résolu.  Prenant  appui  sur  le  texte  à  sa  disposition  (cf.  §  17  pour  ses  choix  textuels),  confiant  dans   la  méthode  philologique,  W.  Rau  a  tenté  une  traduction  après  avoir  corrigé  le  texte  et  introduit  un  certain  nombre  d'émendations.  On  sait  que  c'est  souvent  metri  causa  que  des  rectifications  philologiques  ont  été  menées  (principalement)  par  des  auteurs  occidentaux,  souvent  peu  ou  pas  appuyées  par  la  tradition  manuscrite  indienne  ;  quand  ce  n'était  pas  la  métrique,  c'est  l'incorrection  grammaticale  qui  justifiait  les  émendations.  Tout  cela  a  parfois  mené  à  des  errements.  P.  Olivelle  a  montré  (OLIVELLE  1998b)  que  des  hypothèses  des  philologues  ont  été  parfois  directement   intégrées  dans   les  éditions  ou  sont  devenues  des  variantes.   Il  cite   le  cas  de  LIMAYE-­‐VADEKAR  :  1958,  l'édition  la  plus  utilisée  aujourd'hui.  Son  regard,  admiratif  dans  sa  traduction  de  1996  (lx  :  «  the  excellent  edition  of  Limaye  and  Vadekar  »)  est  beaucoup  plus  critique  en  1998.  De  même,  l'auteur  parle  en  1996  (p.  lx)  des  critical  editions  des  UpaniÒad,  mais,  deux  ans  plus  tard,  il  s'est  rallié  à  la  position  de  R.  Salomon  (1991  :  48)  qui  affirme  l'inexistence  de  toute  édition  critique  de  ces  mêmes  UpaniÒad.  La  volonté   de   normalisation   grammaticale   a   conduit   à   des   rectifications   au   nom   de   la   correction  grammaticale  (cf.  §  23).    17.  Voici  le  texte  restitué  selon  les  émendations  proposées  par  RAU  1981  :  368  (version  C)  et  sa  traduction  (RAU  1981  :  355)  :  Ahaµ   v®kÒasya   ver   iva,   kÚrtiÌ   p®Ò†haµ   girer   iva  /   ºrdhvapavitro   væjinÚva   svam®tam   asmi  /   dravi◊aÓ  savarcasam  /  sumedhæ  am®tokÒitaÌ  /  iti  tri‡a©kor  vedænuvacanam  /  1  /  iti  da‡amo'nuvækaÌ  /10/    «  Ich  [bin]  wie  der  Vogel  auf  dem  Baum  [wörtlich  :  des  Baumes]  [Mein]  Ruhm  [ist  hoch]  wie  der  Rücken  des  Berges.  Oben  [rituell]  rein  (m.),  bin  ich  gewinnreicher  Nektar  (n.),  Ein  glänzendes  Gut  (n.),  mit  rechter  Einsicht  begabt  (m.)  unsterblich  (m.),  unvergänglich  (m.)  So  [lautet]  die  Vedalehre  des  Tri‡a©ku.  »  Pour  la  dernière  phrase,   l'auteur  propose  en  note  34,  p.  355  «  Oder  :  So  [lautet]  des  Tri‡a©ku  nachwort  zum  Veda(?)  »    Comparons  avec  la  traduction  annotée  de  DEUSSEN  1897  :  221  :  «  Den  Lebensbaum  belebend  ich,__  Mein  Ruhm  berghoch  erhebend  sich,  __  Wie  Sonnensüfstrank  höchster  Läuterung  teilhaft  Ein  Kleinod  voller  Lebenskraft,  Voll  Weisheit,  göttertrankbetaut,  __  dies  is  des  Tri‡a©ku  [Lobspruch  über  das]  Vedastudium.  »  

                                                                                                               72   Malgré   le   succès   des   traductions   de   P.   Deussen,   le   statut   de   l'auteur   était   ambigu   aux   yeux   de   ses  

contemporains  :  tenu  pour  indianiste  par  les  philosophes,  il  était  un  philosophe  pour  les  indianistes.  Voir  STACHE-­‐ROSEN  1990  et  CHATELLIER  1996  in  HULIN-­‐MAILLARD  1996,  p.  30-­‐33.  

25     Article  Journal  Asiatique        W.  Rau  n'a  pas  voulu  voir  ici  un  verset,  encore  moins  un  vers  à  l'instar  de  P.  Deussen.  Alors  que  dans  les  vallÚ  suivantes,  constamment  il  cherche  à  restituer  un  ‡loka,  ici  ce  n'est  pas  le  cas73.  Pourquoi?  Sans  doute  parce   que   le   texte   ne   dit   rien   de   la   forme   métrique   de   ces   quelques   phrases   alors   que   dans   la  BrahmænandavallÚ,   à   chaque   fois   l'UpaniÒad   l'annonce   par   la   clausule   tad   apy   eÒa   ‡loko   bhavati   «  Sur  cette  même  question,  il  y  a  le  verset  suivant.  »  Cette  différence  de  traitement  tient  sans  doute  au  fait  que  les  deux  vallÚ  n'ont  pas  la  même  origine.  Les  études  de  M.  Witzel  consacrées  à  la  Ka†ha-­‐ΩikÒæ-­‐UpaniÒad,  confirmant   les  observations  de   J.  Varenne  (MNU),  parues  à   la  même  époque  (WITZEL  :  1979-­‐1980),  sont  connues   par  W.   Rau   puisqu'il   les   cite   dans   sa   bibliographie   (RAU   1981   :   373).   Elles   démontrent   que   la  ΩÚkÒævallÚ  et   la  BrahmænandavallÚ  de   la  TU  ont  des   sources  différentes,   et  divergent  aussi  dans   leur  inspiration.   Il   n'y   a   pourtant   pas   lieu   de  mettre   en   cause   la   nature  métrique   du   passage.   D'ailleurs,   les  autres   passages   en   vers   de   cette  même   première   vallÚ   (ceux   que   P.   Deussen,   R.   Hume,   É.   Lesimple,   P.  Olivelle  ont  disposés  de  manière  spécifique  dans  leurs  traductions,  à  savoir  I.1,  4,  10  et  12)  alternent  avec  les  passages  en  prose  sans  que  rien  ne   les  signale  à   l'attention.  En  revanche  dans   la  brahmænandavallÚ  (TU  II),  chaque  verset  ou  chaque  ensemble  de  versets  est  en  effet  introduit  dans  l'anuvæka  précédent  par  la  clausule  mentionnée  ci-­‐dessus  et  est  clos  par  un  iti  citatif.  Ainsi  le  verset  de  TU  II.4,  à  savoir  Yato  væco  nivartante  /  apræpya  manasæ  saha  /  ænandaµ  brahma◊o  vidvæn  /  na  bibheti  kadæcana  est  ainsi  disposé  :  tad   apy   eÒa   ‡loko   bhavati   /3/   Yato   væco   nivartante  /   apræpya   manasæ   saha  /   ænandaµ   brahma◊o  vidvæn  /  na  bibheti  kadæcana  iti  [...]  /4/    La   principale   émendation   de  W.   Rau   consiste   à   changer   rerivæ   en   ver   iva.   «  Je   suis   comme   l'oiseau   de  l'arbre  »  où  veÌ  est  le  nominatif  de  ve-­‐  'oiseau'.  Le  thème  du  sommet  de  l'arbre  et  de  l'être  ailé,  un  oiseau,  posé  à  son  sommet,  rappelle  quelques  passages  des  Saµhitæ  et  des  Bræhma◊a.  W.  Rau  cite  �S  VI.3.5,  PB  XIV.1.12-­‐13  et  JB  II.33774  :  «  Ceux  qui  sont  grimpés  au  sommet  d'un  grand  arbre,  comment  s'en  sortent-­‐ils  après?  »  et  il  y  en  a  d'autres.  La  comparaison  du  cheval,  du  coursier,  avec  les  oiseaux  est  récurrente  dans  le  Veda   et   au-­‐delà,   dans   l'univers   indo-­‐européen   (songeons   aux   nombreux   chevaux   ailés,   au   Pégase   de  Bellérophon).  P.  Swennen,  op.  cit.,  chap.  IV  «  Cheval  ailé,  cheval  volant  »  a  montré  l'importance  de  ce  thème  dans  le  Veda  où  «  les  strophes  de  la  seule  �S  [scil.  �S]  offrent  de  multiples  exemples  de  la  popularité  du  thème  des  chevaux  volants  auprès  des  poètes  védiques  »  (p.  72).  L'oiseau  est   le  plus  souvent  un  ‡yena≠  'aigle',  mais   il  peut  aussi   être  désigné  par  ve≠   :  par◊a≠µ  na≠  ve≠r  a≠nu  væti   «  [le  vent]   souffle   sur   l'aile,  semblable  à  celle  de  l'oiseau  »  (�S  IV.40.3).  Ph.  Swennen  pense  que  cette  strophe  (dédiée  à  Dadhikræva◊)  «  ne   constitue   à   l'évidence   pas   seulement   une   coquette   image   poétique,  mais   au   contraire   une   allusion  mythologique  claire.  Les  hymnes  �S  4.26  et  27,  attribués  au  même  univers  sacerdotal  que   les  hymnes  à  Dadhikræva◊,  décrivent  les  hauts  faits  de  ce  ‡yena≠-­‐  qui,  s'envolant  au-­‐delà  des  forteresses  où  il  était  né,  emporta  avec  lui  le  soma  et  offrit  ainsi  à  Indra  la  possibilité  de  s'en  délecter  »  (op.  cit.,  p.  74)75.    18.  Si  l'on  devait  accepter  la  lecture  de  W.  Rau  et  que  de  surcroît  on  adoptait  l'univers  mythologique  que  décrit  Ph.  Swennen,  on  tiendrait  là  un  autre  état  (plus  ancien?)  du  vers.  La  stance  glorifierait  un  étalon  ailé,  comparé  à  un  ve  'oiseau',  peut-­‐être  un  ‡yena≠,  un  maître  des  cavales.  Rappelons  que  l'Amarako‡a  fait  aussi  de  væjin  un  mot  signifiant  'oiseau'.  Dès  lors  le  vers  originel  redisposé  dans  un  mètre  de  facture  8/8/12/8/8  serait  (version  D)  :  Ahaµ  v®kÒasya  ver   iva  /  kÚrtiÌ  p®Ò†haµ  girer   iva  /   ºrdhvapavitro  væjinÚvasv  am®tam  /  asmi  drav◊aÓ  savarcasam  /  sumedhæ  am®tokÒitaÌ  /  signifiant  :  «  Je  [suis]  comme  l'oiseau  de  l'arbre  ;  [haute]  comme  le  sommet   du   mont   [est   ma]   renommée  ;   purifiant   par   excellence,   je   suis   riche   en   cavales,   [je   suis]  l'immortalité  /  je  suis  la  richesse  pleine  d'éclat  /  sage,  inondé  d'ambroisie.  »    Tant  que  cette  lecture  demeure  une  hypothèse,  il  n'y  a  rien  à  redire  car,  aussi  bien  sur  le  plan  de  la  langue  que  sur  celui  de  la  mythologie,  il  est  possible  de  relier  et  ces  mots  et  ces  allusions  au  Veda  le  plus  ancien.  Le  sens  que  prête  W.  Rau  à  la  strophe  est  cohérent.  Le  seul  obstacle  est,  et  il  est  dirimant,  qu'un  tel  texte  ainsi  compris  et  traduit  n'existe  pas  et  n'est  aucunement  attesté  dans  les  manuscrits  et  les  éditions.  Cela  vaut  pour  toutes  les  émendations  textuelles  de  l'auteur.  Par  ailleurs,  le  fait  est  qu'il  ne  les  propose  pas,  il  les   impose  :   c'est   cela   qui   est   traduit   dans   le   corps   principal   de   son   article   et   non   le   texte   en   l'état.   La  

                                                                                                               73  Je  laisse  de  côté  la  piste  ouverte  par  A.  Sharma  (SHARMA  2000)  sur  la  valeur  sociologique  des  mètres.  À  juste  

titre,   l'auteur   montre   que   la   tradition   védique   associe   l'anuÒ†ubh,   l'ancêtre   du   ‡loka,  �et   les   ‡ºdra.   Il   conclut   sur  l'hypothèse  d'une  destination  ‡ºdrique  du  Mahæbhærata  composé  principalement  en  ‡loka.  En  revanche,   le  contexte  de  TU  I.10,  à  savoir  TU  I.9  (le  svædhyæya)  et  TU  I.11  (les  devoirs  du  brahmane)  est  typiquement  brahmanique.  

74  JB  II.337  in  JaiminÚya  Bræhma◊a  of  the  Sæmaveda,  éd.  Raghu  Vira-­‐Lokesh  Chandra,  Nagpur  1954.  L'ouvrage  utilisé  ici  est  celui  publié  à  Delhi,  etc.,  par  Motilal  Banarsidass  en  1985.  Le  passage  en  question  est  p.  305.  Pour  le  PB  XIV.1.12-­‐13,  voir  la  traduction  anglaise  de  CALAND  1931  :  351.  

75  Voir  les  remarques  de  CARRI  1985  :  226-­‐227  sur  Dadhikrævan  et  les  rapports  entre  le  soleil,  le  cheval  et  les  oiseaux  (‡yena,  haµsa).  

26     Article  Journal  Asiatique        strophe   commençant   par   satyaµ   j~ænam   (TU   II.1)   est   traduite   après   que   l’auteur   l’a   entièrement  transformée   (RAU  1981  :  369).   Il   est   sans  doute  nécessaire  de   réagir   contre   les   traductions   spirituelles,  celle  de  P.  Deussen,  etc.,  et  d'en  revenir  à  la  philologie.  Mais,  que  ce  soit  pour  cette  strophe  ou  ses  autres  Versuch,  W.  Rau  traduit  et  publie  un  texte  qu'il  a  créé.  Son  ambition  (RAU  1981  :  349-­‐350)  est  d'établir  une  traduction   qui   soit   scientifique   et   philologique,   en   continuité   avec   l'œuvre   de   O.   Böhtlingk   (qu'il   cite  comme  un  modèle  pour  son  édition  et   sa   traduction  de   la  Chændogya-­‐UpaniÒad).   Il  vise  à   réagir  contre  l'œuvre   de   P.   Deussen   qu'il   qualifie   p.   349   de   «  "philosophische"   Verdeutschung  »   ('adaptation  philosophique   en   allemand').   Laissons   pour   l'instant   ce   qu'il   dit   de   O.   Böhtlingk   et   de   P.   Deussen   et  examinons   son   travail.   Le   fait   est   qu'on   ne   voit   là   nulle   philologie.   L'auteur   a   consulté   trois   éditions  indiennes,   l'une   de   la   TU   (K®Ò◊ayajurvedÚyæ   TaittirÚyopaniÒat   éditée   par   Pa◊∂ita   Væmana‡æstrÚ,  publiée  en  1922  par  des  pandits  de  l'Ænandæ‡rama  et  comprenant  plusieurs  commentaires  dont  celui  de  Ωaµkara),   l'autre   du  TÆ   (K®Ò◊ayajurvedÚyaµ  TaittirÚyæra◊yakam,   préparée  par  H.  N.  Æp†e,   n°   36  de  l'Ænandæ‡ramasaµsk®tagranthævaliÌ,   Ænandæ‡rama   Sanskrit   Series,   en   deux   volumes   publiés,   dit  l'auteur,   en   1926)  ;   enfin   la  TaittirÚyopaniÒad   publiée   en   1936/37   par   GÚtæpres,   Gorakhpur   (ouvrage  que  je  n'ai  pas  eu  en  mains).    La  faiblesse  de  la  couverture  textuelle  est  évidente  :  on  ne  sait  pas  pourquoi  seuls  ces  trois  ouvrages  ont  été   retenus.   Le   fait   que   le   second   soit   une   réédition   de   l'original   de   1897   n’est   pas   mentionné.   Les  différences  entre   l'UpaniÒad  et   le  TÆ  (dont   il  existait  déjà  deux  autres  éditions  en  1981,   lesquelles  sont  ignorées   par   l'auteur)   ne   sont   pas   mentionnées.   Les   éditions   avec   tonalité,   laquelle,   nous   l'avons   vu,  permet,   entre   autres,   d'éclairer   bien   des   questions,   parfois   de   résoudre   certains   des   problèmes,   sont  ignorées.   Sans   parler   du   fait   que   les   leçons   reçues   par   les   commentateurs   sont   elles   aussi   totalement  ignorées   ou   écartées.   Quant   aux  manuscrits,   ils   sont   passés   sous   silence.   Le   contraste   entre   l'ambition  philologique  affichée  et   les  moyens  mis  en  œuvre  est   total.  Ajoutons  que  rien  dans  ces   trois  éditions  ne  vient   étayer   la   lecture   prétendument   philologique   de   W.   Rau.   Le   caractère   non   strophique   en   est   un  exemple.   Alors   que   P.   Deussen   présente   le   passage   comme   un   «  vers  »,   que   tous   les   commentateurs,  depuis  Ωaµkara   et   Sure‡vara   jusqu'à  Bha††a  Bhæskara   et   Sæya◊a,   affirment  qu'il   s'agit   d'un  mantra   et  que  certains,  nous  l'avons  vu  §  9,  précisent  même  le  mètre,  W.  Rau  ignore  complètement  cette  dimension.  Tout   en   reconnaissant   que,   à   l'évidence,   l'UpaniÒad   en   l'état   traite   différemment   les   strophes   de   la  première  vallÚ  et  les  autres,  on  ne  peut  ignorer  sans  discussion  leur  caractère  strophique  partout  admis.  L'explication   vient   peut-­‐être   de   ce   que   W.   Rau   a   utilisé   l'ouvrage   de   P.   Horsch   mentionné   dans   sa  bibliographie   (HORSCH  :   1966).  Or   celui-­‐ci   ne   considère  pas   ce  passage   comme  une  gæthæ   ou  un  ‡loka.  Voilà   bien   ce   qui   caractérisise   la   méthode   de   W.   Rau  :   tenir   compte   de   ce   qu'affirme   un   philologue  allemand  (en  l'occurrence,  il  fait  parler  son  silence)  et  ignorer  ce  qu'ont  dit  tous  les  acteurs  de  la  tradition  brahmanique.   En   résumé,   je   dirai   que   l'œuvre   de   W.   Rau,   au   prétexte   de   corriger   la   lecture  philosophiquement  orientée  de  P.  Deussen,  met  surtout  en  relief  les  lacunes  des  publications  occidentales.  Il  est  possible  que  certaines  des  émendations  proposées  par  l'auteur  soient  justes,  sinon  justifiables,  et  il  était  sans  doute  intéressant  de  les  proposer,  de  les  discuter  dans  un  autre  cadre.  On  peut  pourtant  douter  de  sa  principale  émendation  :  pourquoi  a-­‐t-­‐il  fallu  remplacer  le  prétendu  original  Ahaµ  v®kÒasya  ver  iva,  qui   est   clair,   intéressant   et   bien   relié   aux   textes   védiques   par   l'obscur   et   incompréhensible   Ahaµ  v®kÒasya  rerivæ  ?  S'agissant  de  réaliser  une  traduction  allemande  philologiquement  fondée,  il  était  impératif  auparavant  de  relever  toutes  les  variantes  disponibles  ainsi  que  les  lectures  des  commentateurs  pour  traduire  un  texte  qui  existe.  En  note,   l'auteur  aurait  pu  alors   justifier  son  choix  éditorial  et  aussi  proposer  et  discuter  des  émendations  possibles  qui  dépassaient   les   lectures  disponibles.  Force  est  de  constater  que  la  traduction  allemande   de  W.   Rau   écarte   toute   la   tradition   textuelle   reçue.   «  Ich   [bin]  wie   der   Vogel   auf   dem  Baum  [wörtlich  :  des  Baumes]  »  :  l'oiseau  en  question  n'existe  que  dans  l'imagination  de  W.  Rau.  À  propos  de  la  traduction   de   P.   Deussen,   nous   avons   vu   que   RAU   1981  :   349   parlait   avec   quelque   dédain   de   sa  «  "philosophische"   Verdeutschung  »   ('adaptation   philosophique   en   allemand')   et   qu'il   se   targuait   de  réaliser  eine  Übersetzung  'traduction'.  Or,  je  crois  qu'à  cet  égard  on  peut  dire  que  de  fait  l'auteur  a  réalisé  eine  "philologische"  Verdeutschung.  Ainsi  que  l'a  montré  récemment  P.  Olivelle  (cf.  infra  §§  25-­‐6),  toute  la  tradition  de  traduction  en  Occident  souffre,  à  des  échelons  divers,  du  même  défaut.  Le  Versuch   'essai'  de  W.  Rau,  intéressant  comme  hypothèse  scientifique,  n'est  pas  du  tout  présenté  comme  tel76.    19.   Il   reste  à   lire  et  à   interpréter   le   complément  du  verset   :   iti   tri‡a©kor  vedænuvacanam.  L'expression  vedænuvacana   est   aussi   employée   dans  BÆU   IV.4.22   et  Ωaµkara   l'explique   dans   différentes   directions  ;  

                                                                                                               76  La  manière  de  W.  Rau  ne  relève  ni  de  ce  que  les  anglo-­‐saxons  nomment  souvent  higher  criticism,  expression  

que  l’on  peut  rendre  par  «  critique  subjective  »  ou  «  critique  d’humeur  »,  ni  du  lower  criticism  «  critique  objective  »  ou  «  critique  philologique  ».  

27     Article  Journal  Asiatique        l'une   consiste   en   la   désignation   d'un   corpus   de   textes   (Bræhma◊a,  Æra◊yaka,   UpaniÒad,   etc.)   sur   la  composition  duquel  il  discute.  Cela  ne  semble  pas  convenir  ici.  L'autre  est  la  cantilation  journalière  (yadæ  nityaÌ   svædhyæyo   vidhÚyate   «   quand   [l'expression   vedænuvacana]   signifie   la   cantilation   personnelle  permanente   [...]  »   (BÆUBh   IV.4.22).   C'est   aussi   ce   que   Ωaµkara   comprend   ici,   mais   d'une   manière  spécifique.  Il  explique  que  le  verset  est  un  mantræmnæya   'parole  sacrée  [de  type]  mantra',  æMNÆ-­‐  étant  employé   pour   l'énonciation   de   textes   statutairement   élevés   (Ωaµkara   emploie   le   mot   æmnæya   pour  désigner   le   Veda   dans   TUBh   I.11.3  ;   c'est   un   héritage   mÚmæµsaka  :   cf.   JS   I.2.1)77.   Mais   au   lieu   de  comprendre  'cantilation  du  Veda'  ce  qui  aurait  fait  de  vedænuvacana  un  quasi  synonyme  de  svædhyæya,  il  glose  veda  par  vedana  'connaissance'  :  vedænuvacana  est  la  «  parole  après  que  [Tri‡a©ku]  a  atteint  le  veda  'connaissance',   [c.-­‐à-­‐d.]   la   connaissance   intuitive   (vij~æna)  de   l'unité  du   soi.  »   Il   affirme  que   ces  paroles  viennent   à   la   suite   de   cette   'connaissance',   à   savoir   l'expérience   cognitive   appelée   ici   vij~æna   (parfois  anubhava),  un  «  ressenti  ».  Puis  il  ajoute78  :  «  Le  texte  sacré  mantrique  vu  par  Tri‡a©ku  avec  sa  vision  de  voyant  (ærÒa)  met  en  lumière  la  connaissance  du  soi.  Et  on  comprend  que  la  répétition  de  ce  [mantra]  est  destinée   à   faire   surgir   la   connaissance.   Du   texte   du   vedænuvacana   qui   vient   immédiatement   après   la  mention  des  devoirs  dont  il  est  question  dans  le  passage  commençant  par  ®taµ  ca  (TU  I.9),  on  comprend  que   ces   visions   de   voyants   à   propos   du   soi,   etc.   se  manifestent   chez   celui   qui   se   consacre   aux  œuvres  (karman)  obligatoires  prescrites  par  la  Révélation  et  la  Tradition,  qui  est  sans  désir  [mondain]  et  aspire  à  connaître   le   brahman   suprême.  »   Ωaµkara   distingue   ce   que   fut   cette   strophe   pour   Tri‡a©ku   (un  vedænuvacana)  et  ce  qu'elle  peut  être  pour  celui  qui   la  récite  à  titre  de  svædhyæya   :  cette  «  expérience  »  serait  le  produit  du  japa  du  récitant  alors  que  quelques  lignes  plus  haut,  dans  la  glose,  il  a  bien  affirmé  que  ces  paroles  venaient  en  suite  du  vedana  de  Tri‡a©ku.    En   tout   cas,   le   sens   ‘enseignement   sur   le   Veda’   est   improbable.   On   ne   voit   pas   en   quoi   cette   strophe  pourrait  être  un  enseignement  sur   le  Veda  ;  en  revanche,  on  peut  admettre  qu'il  s'agit  d'une  énonciation  de  Veda  (c'est-­‐à-­‐dire  d'une  création  et  d'une  énonciation  de  Veda  par  le  poète  Tri‡a©ku),  mais  il  faut  alors  admettre  que  ce  Veda  est  une  composition  de  Tri‡a©ku.  Cela  ne  nous  pose  pas  de  problème,  mais  a  bien  pu  en  poser  aux  tenants  du  vedanityatva  'éternité  du  Veda'.  Il  y  a  toujours  un  problème  à  propos  du  Veda  entre  la  célébration  védique  (notamment  ®gvedique)  des  pouvoirs  des  poètes  et  la  thèse  mÚmæµsaka  de  l'éternité  de  la  parole  védique  :  ou  les  poètes  sont  créatifs  et  le  Veda  n'est  pas  éternel,  ou  ils  sont  passifs,  reçoivent   la  parole  védique,  mais,  si   le  Veda  est  alors  éternel,   ils  ne  sont  plus  poètes,  ce  qui  contredit  ce  que  dit   le  Veda  par  exemple  dans   l'hymne  �S  X.71  qui  célèbre  conjointement   la  parole  et   les  poètes.  La  gêne   des   commentateurs   et   traducteurs   indiens   s'explique   ainsi   :   pour   le   cas,   c'est   bien,   semble-­‐t-­‐il,   la  composition  d'une  strophe  védique  que  relate  le  texte.  C'est  plus  ou  moins  ce  que  Ωaµkara  explique,  mais,  si  Tri‡a©ku  a  eu  une  expérience  cognitive,  ensuite,  il  a  vu  cette  strophe  car  il  ne  saurait  l'avoir  composée.  L'explication  contournée  de  Ωaµkara  s'explique  par  le  fait  qu'il  essaye  de  concilier  la  thèse  de  l'éternité  du  Veda,  l'expérience  de  Tri‡a©ku  et  le  fait  que  la  dite  strophe  ne  se  trouvant  nulle  part  ailleurs,  il  faut  bien  que  cette  «  parole  d'après  expérience  cognitive  »  soit  une  nouvelle  strophe,  une  pièce  nouvelle  d'un  Veda...  éternel.    Un  autre   intérêt  du  commentaire  de  Ωaµkara  est   sa  comparaison  avec  Væmadeva  puisque   le  dit  verset,  selon   Ωaµkara,   «  vise   à   faire   connaître   qu'il   (scil.   Tri‡a©ku)   a   atteint   le   but,   comme   Væmadeva.  »  L'allusion  à  Væmadeva  se  réfère  probablement  à  la  strophe  attribuée  dans  AiU  II.5  à  Væmadeva  (celui-­‐ci  parle  encore  dans  BÆU  I.4.10)  ;  l'UpaniÒad  dit  k®tak®tyaÌ  (AiU  II.4),  expression  reprise  ici  par  Ωaµkara,  k®tak®tyatæ  'le  fait  d'avoir  réalisé  [tout]  ce  qui  est  à  réaliser'  ;  ce  que  Ωaµkara  comprend  comme  'le  fait  d'avoir  atteint  le  but'.  Voici  le  passage  dans  la  belle  traduction  de  L.  Silburn  :  «  Un  ®Òi  déclare  à  ce  sujet  :  "À  l'intérieur  de  la  matrice,  je  connaissais  déjà  toutes  les  générations  de  ces  dieux  ;  cent  citadelles  d'airain  me  retenaient,  pourtant  je  suis  sorti  d'un  vol  rapide  (prenant  la  forme  de)  l'aigle."  Ainsi  parlait  Væmadeva  tandis  qu'il   reposait   dans   la  matrice.   Et   lui,   sachant   ainsi,   s'échappant   vers   le   haut,   après   sa   séparation  d'avec   le   corps   et   ayant   satisfait   tous   ses   désirs   dans   le  monde   du   ciel,   il   devint   immortel,   oui,   devint  (immortel).  »  Ce  que  cite  ici  le  ®Òi  n'est  rien  d'autre  que  �S  IV.27.1  à  une  variante  près,  une  strophe  dont  Væmadeva  est  le  ®Òi  selon  l'Anukræma◊Ú.  Par  quoi  cette  allusion  à  Væmadeva  est-­‐elle  suscitée  ?  Est-­‐ce  

                                                                                                               77  Bien  que  les  mots  de  l'oral  puissent  être  tissés  à  l'instar  de  ceux  de  l'écrit  et  donc  constituer  un  'texte',  nos  

habitudes  font  que  le  mot  «  texte  »  est  senti  comme  se  référant  à  l'écrit,  surtout  quand  il  s'agit  des  «  textes  »  religieux  (cf.   The   Scriptures).   D'où   la   traduction   de   æmnæya   par   'parole   sacrée'.   La   glose   sémantique   de   MNÆ-­‐   dans   le  Dhætupæ†ha  est  abhyæse  'au  sens  de  la  répétition,  de  l'étude',  lesquelles  sont  des  activités  de  parole,  de  récitation,  et  non  de  lecture  (a  fortiori  de  lecture  silencieuse).  Nous  prenons  mantræmnæya  comme  un  composé  karmadhæraya.  

78   tri‡a©kunærÒe◊a   dar‡anena   d®Ò†o   mantræmnæya   ætmavidyæprakæ‡aka   ity   arthaÌ   /   asya   ca   japo  vidyotpattyartho'vagamyate  /  ®taµ  cetyædidharmopanyæsæd  anantaraµ  ca  vedænuvacanapæ†hæd  etad  avagamyate  /  evaµ   ‡rautasmærteÒu   nityeÒu   karmasu   yuktasya   niÒkæmasya   paraµ   brahma   vividiÒor   ærÒæ◊i   dar‡anæni   prædur-­‐bhavanty  ætmædiviÒayæ◊Úti.  

28     Article  Journal  Asiatique        que  l'aigle  de  la  ®c  rappelle  quelque  chose  à  Ωaµkara  dans  le  verset  ?  Le  væjin  ?  ou  peut-­‐être  le  ve  'oiseau'  supposé  dans  la  lecture  de  W.  Rau  ?  Ou  bien  est-­‐ce  l'expression  vedænuvacana  'parole  d'après  l'expérience  cognitive'  de  TU  interprétée  ainsi  par  Ωaµkara  et  qu'il  relie  au  anv  avedam  de  AiU  ?  Dans  l'AiUBh,  Ωaµkara  ne   dit   rien   qui   puisse   expliquer   la   chose   et,   comme   ni   TU   I.10   ni   AiU   II.5   ne   sont   commentés   ou  simplement  cités  dans  le  BSBh,  il  faut  s'en  tenir  là.  Quant  à  Bha††a  Bhæskara,  il  est  beaucoup  plus  bref  ;  il  affirme   que   le   vedænuvacanam   consiste   en   le   fait   de   dire   le   mantra   à   titre   de   méditation   (upæsane  mantrakathanam).  En  fait,   il  ne  distingue  pas  ce  que  la  strophe  fut  pour  Tri‡a©ku,  et  ce  qu'elle  est  pour  celui  qui  la  récite.      20.  Quant  à  Tri‡a©ku,  les  trois  commentateurs  en  font  le  ®Òi  qui  a  «  vu  »  ce  mantra.  Dans  la  littérature  post-­‐védique,   une   tradition   s'est   développée   qui   assigne   la   «  vision  »   de   ces   compositions   à   des   sages  mythiques  auxquels  on  donne  le  nom  de  ®Òi.  Dans  les  Bræhma◊a,  où  ils  apparaissent  pleinement,  les  ®Òi  sont  des  hommes  ou  des  êtres  sur-­‐humains  qui  ont  moins  la  connaissance  des  textes  que  celle  des  rites,  c'est-­‐à-­‐dire  de  la  parole  védique  fonctionnelle,  associée  à  des  gestes,  orientée  vers  l'obtention  d'un  phala  'fruit,  résultat'.  Volontiers,  ces  ®Òi  aident  les  dieux  ou  les  hommes  à  connaître  telle  ou  telle  partie  du  rite  (nombreux  exemples  dans  LéVI  1966  et  THITE  1975).  Car  les  uns  comme  les  autres  doivent  découvrir  peu  à   peu,   par   essai   et   erreur   (et,   semble-­‐t-­‐il,   jamais   complètement   ni   parfaitement),   ces   rites   complexes.  L'étymologie   scientifique   de   leur   nom   est   obscure   et   discutée   :   MAYRHOFER   1956   (KEWA   I   :   124)   en  mentionne  plusieurs  qu'il  désapprouve  et  d'autres  qu'il  n'approuve  pas.   Il  rapproche  ®Òi  de   l'arménien  her   qui   signifie   colère,  du   lithuanien  ar‡u…s   'colérique',   du  moyen-­‐allemand  ræsen   'être  en   rage'   :   il   est  vrai  que  les  ®Òi  sont  colériques  dans  les  Veda  et  surtout  dans  les  Puræ◊a.   Il  mentionne  l'opinion  de  Th.  Bloch  qui  pense  que  le  mot  provient  d'une  forme  secondaire  dérivée  de  V�Σ-­‐  (avec  aphérèse),  le  ®Òi  étant  originellement  un  'faiseur  de  pluie'.  Il  cite  aussi  d'autres  auteurs  qui  soupçonnent  une  contamination  par  ®≠ci  (<  ®c)  et  par  ®Òa.    L'explication  védique  est  donnée  par  le  ΩB  VI.1.1.1  :  te  yat  puræsmæt  sarvasmæd  idam  icchantaÌ  ‡rame◊a  tapasæriÒaµs  tasmæd  ®ÒayaÌ  «  On  les  nomme  ®Òi  parce  qu'ils  ont  été  les  premiers  à  désirer  par  l'ascèse  et  l'effort.  »  Ce  texte  fabrique  donc  ®Òi  à  partir  de  IΣ-­‐  'désirer'  :  ils  furent  les  premiers  désireurs79.  Dans  la  Rksaµhitæ,  ils  sont  sages  et  poètes  associés  aux  différents  mètres  poètiques  (�S  X.130.7)  et  déjà  se  livrent  à   l'ascèse   :   l'hymne  �S   I.179  est  particulièrement   intéressant  à  cet  égard.  On  y  entend  dialoguer   le  ®Òi  Agastya  et  son  épouse  Lopæmudræ  (leurs  noms  sont  énoncés  dans  l'hymne  même)  :  il  l'engage  à  suivre  sa  propre   voie   (l'érotisme)   tandis  que   lui   en   suivra  une   autre,   la   voie   ascétique,   pour   gagner   la   course  du  bonheur   et   de   l'immortalité   (vers   3).  Mais,   elle   désire   un   enfant   et   a   tôt   fait   de   le   persuader   (vers   4).  Finalement,   il   semble   qu'ils   s'engagent   simultanément   sur   la   voie   de   l'érotisme   et   de   l'ascétisme  conjugaux  (vers  6)80.  C'est  hors  Veda  que  leur  nom  est  rapporté  (Nirukta  II.11)  à  la  racine  DRΩ-­‐  'voir'  :  les  ®Òi  sont  les  voyants.  Et  cette  tradition  post-­‐védique  s'impose  (en  dehors  de  la  MÚmæµsæ  qui  ignore  les  ®Òi  voyants  du  Veda)  dans   le   brahmanisme   et   l'hindouisme   populaire   pour   faire   de   ces   êtres   les   «  voyants  »   de   la   parole  védique.  Très  symptomatiquement,  alors  que  dans   le  Veda,  dans   les  Bræhma◊a   surtout  où   ils   jouent  un  rôle   important,   les  ®Òi   sont   les   connaisseurs   des   rites,   après   la   disparition   de   ces   rites   védiques,   ils  deviennent   les   voyants   de   la   parole   védique   et   sont   plus   ou   moins   héroïsés.   Comme   les   dieux   et   les  hommes,   ils   sont   divisés   en   catégories   hiérarchiques   (maharÒi,   brahmarÒi,   devarÒi).   C'est   dans   cette  perspective  que  Bha††a  Bhæskara  dit  de  Tri‡a©ku  qu'il  est  un  maharÒi.  Mariés  et  pères  dans  les  Veda,  ils  sont  ascètes  et  yogin  continents  quand  triomphent  les  idées  yogiques  et  le  renoncement.  Dans  les  épopées  et  les  Puræ◊a,  ils  jouent  un  rôle  important  en  tant  que  sages,  ascètes  et  précepteurs  des  héros.  Dorénavant  sans   lien   avec   les  Veda,   ils   sont  des   ascètes  qui   ont   réussi.   Comme   le   remarque  Ch.  Malamoud   (EPU,  p.  3987,  col.  2),  «  C'est  un  problème  que  de  savoir  comment,  pour  la  tradition  indienne,  se  concilie  l'idée  de  ®Òi  en  quelque  sorte  passifs  qui  ne  font  que  transmettre  aux  autres  hommes  ce  qu'ils  ont  vu,  avec  la  force  d'inspiration  créatrice  que  les  poètes  védiques  réclament  ou  se  glorifient  de  posséder.  »81    21.  Les  traductions  indiennes  modernes.  

                                                                                                               79  Nombreuses  références  védiques  dans  LEVI  1898  (1966  :  143-­‐151)  et  aussi  dans  THITE  1975.  80  Sur  cet  hymne,  voir  notamment  THIEME  1963  et  DONIGER  O'FLAHERTY  1972  :  202-­‐212.  81  Pour  une  vision  indienne  contemporaine  des  ®Òi,  voir  le  chapitre  qui  leur  est  consacré  dans  RAMACHANDRA  

RAO  1998.  Il  y  a  relativement  peu  d'études  consacrées  à  ces  ouvrages  :  les  anthropologues,  sociologues,  etc.  n'ont  pas  toujours  la  compétence  linguistique  pour  évaluer  correctement  comment  dans  l'Inde  contemporaine  les  anciens  mots  sanskrits   ont   été   recyclés.   Ces   auteurs   comparent   souvent   des   traductions   anglaises,   au   mieux   hindÚ,   des   textes  sanskrits  (ou  autres)  anciens  et  récents.  Par  ailleurs  les  textualistes  (sanskritistes  ou  autres)  se  désintéressent  souvent  des  ouvrages  des  auteurs  hindouistes  contemporains.  

29     Article  Journal  Asiatique        Tout  au  long  des  paragraphes  précédents,  nous  avons  cité  incidemment  diverses  traductions.  On  ne  peut  toutes  les  étudier  d'autant  qu'elles  se  ressemblent  et  qu'elles  sont  très  nombreuses  :  le  recensement  de  P.  Renard  ne  pouvait  qu'être  incomplet  s'agissant  de  traductions  indiennes.  À  titre  indicatif,  citons-­‐en  six,  un  choix   subjectif,   parmi   celles   qui   ont   acquis   une   notoriété   telle   qu'on   les   trouve   dans   les   librairies   ou  bibliothèques   hors   de   l'Inde.   Ce   faisant,   j'écarte   celles   (très   nombreuses)   qui   sont   diffusées   parfois   à  échelle  microscopique  dans  telle  ou  telle  langue,  en  Inde  même.  Toutes  ces  traductions  sont  en  anglais,  ce  qui  permet  aussi  de  pouvoir  les  comparer  plus  facilement.      a)  La  première  due  à  A.  M.  Sastry  date  de  1903  ;  elle  est  citée  ici  dans  une  réédition  de  1980  par  Samata  Books,  le  département  édition  de  The  Heritage  Trust,  une  institution  privée  «  créée  afin  de  retrouver  et  de  réciter  notre  héritage  culturel  et  littéraire  ».  La  réédition  de  l'ouvrage  vise  donc  le  public  indien  ;  l'éditeur  moderne  ajoute  qu'il  s'agit  d'une  œuvre  plus  précisément  destinée  à  des  «  students  of  Vedænta  ».  Comme  souvent,   la   composante   nationale   ou   nationaliste   se   double   d'une   composante   spirituelle.   Quant   à   la  traduction,  elle  est  précédée  d'une  courte  préface  où  son  auteur  présente  les  différents  commentaires  qu'il  traduit  ;  parmi  eux,  sa  préférence  semble  aller  à  celui  de  Sure‡vara.  Chez  l'auteur  de  1903,  le  nationalisme  de   l'éditeur   de   1980   est   absent,   de   même   que   ne   sont   pas   mentionnés   les   éventuels   destinataires   de  l'ouvrage.  Deux  autres  traductions  sont  citées,  celle  de  F.  Max  Müller  (elle  avait  été  publiée  en  1884,  SBE  XV,  p.  43-­‐69)  et  celle  de  MEAD-­‐CHA††OPÆDHYÆYA  1930  (dont  la  première  édition  date  de  1896)  dont  A.  M.  Sastry  dit  qu'elle  est  «  the  most  'soulfoul'  of  all,  and  at  the  same  time  the  cheapest  ».  Chacun  des  anuvæka  dans   la   traduction   est   accompagné   d'un   titre   et   d'un   sous-­‐titre  ;   en   l'occurrence   (p.   145),   le   dixième  anuvæka   'lesson'   a   pour   titre   «  The   illumination  »   et   comme   sous-­‐titre   «  A  Mantra   to   be   repeated  ».   La  traduction  se  présente  ainsi  :    «  1.  The  Mover  of  the  Tree  I  am;  my  fame  like  the  mountain's  peak.  The  High  One  making  (me)  pure,  I  am  the  very   Immortal  One  as  He   is   in   the  sun;   I  am  the  Lustrous  Wealth.  Of  high  wisdom  (I  am),   immortal,  undecaying.  So  run's  Trisanku's  teaching  of  wisdom.  »    De  toutes  les  traductions  indiennes  citées  ici,  c'est  la  seule  où  ne  sont  pas  introduits  les  mots  brahman  ou  Brahman,  Self  (ou  ætman).  L'auteur  a  pourtant  traduit  le  texte  tel  que  Ωaµkara  l'avait  interprété.  C'est  en  général  ce  que  l'on  observe  dans  ces  traductions  :  le  texte  dans  son  contexte  est  ignoré.  La  cohérence  de  la  traduction   est   acquise  de   l'extérieur  ;   et   pour   ce   faire,   on  ne   voit   pas   le   traducteur   solliciter   ce   qui   (les  précédentes  UpaniÒad,  le  reste  du  Veda,  en  bref  la  littérature  antérieure)  pourrait  expliquer  le  verset.  En  revanche,   c'est   par   l'aval   (Ωaµkara)   qu'il   traduit   l'amont   (l'UpaniÒad).   Par   ailleurs,   le   commenté   est  confondu   avec   le   commentaire,   jusqu'au   point   d'être   gommé.   D'ailleurs,   l'auteur   ne   signale   aucun  problème  de  lecture  :  ce  qui  est  assuré  (la  gloire  comparée  au  sommet  du  mont  par  exemple)  est  présenté  comme  ce  qui  l'est  moins  (le  soleil,  la  pureté)  ou  ce  qui  ne  l'est  pas  du  tout  (l'ébranlement  de  l'arbre).  La  lecture  est  univoque  :  rien  dans  la  traduction  ne  trahit  le  fait  que  le  texte  original  n'est  pas  clair  et  que  la  traduction  est  l'expression  d'une  entre  plusieurs  interprétations  possibles.  Il  faut  aussi  tenir  compte  que  cet  ouvrage  comprend  également  la  traduction  du  Værttika  de  Sure‡vara  et  du  commentaire  de  Sæya◊a  :  si   la   traduction   n'est   rien   d'autre   que   l'interprétation   de   Ωaµkara,   les   titres   donnés   aux   paragraphes  proviennent   de   Sæya◊a.   Et   il   s'agit   alors   d'une   réorientation   décisive   puisque   Sæya◊a   fait   fonctionner  l'interprétation   de   Ωaµkara  :   ce   qui   est   mantra   védantique   pour   Ωaµkara   devient   l'objet   d'un   japa  'répétition'.   La   traduction   finalement   vise   à   dire   aux   lecteurs   ce   qu'ils   doivent   faire   pour   être   de   bons  hindous   et   ce   qu'ils   peuvent   escompter   du   rite   ainsi   décrit.   Pour   vedænuvacana,   l'auteur   ne   suit   pas  Ωaµkara  :  il  traduit  anuvacana  par  teaching,  en  le  prenant  sans  doute  comme  un  synonyme  de  anu‡æsana  et  veda   par  wisdom   'sagesse',  une   traduction  assurément   fausse  :   si  veda   ne  désigne  pas   le   texte  ou  une  partie  du  texte  védique,  il  ne  peut  être  traduit  que  par  'connaissance',  'science',  'savoir',  certainement  pas  par  'sagesse'.  Une  telle  traduction  est  peut-­‐être  en  rapport  avec  le  fait  que  le  mot  ®Òi  est  un  de  ceux  qui,  plus  que  d'autres,  ont  été  l'objet  d'une  véritable  dérive  sémantique  depuis  trois  mille  ans  (cf.  supra  §  20).  Entre   les  ®Òi   de   la   Rk-­‐Saµhitæ,   ceux   des   Bræhma◊a   (étudiés   notamment   dans   LÉVI   1898  :   143),   des  Puræ◊a  et  ceux  de  l'hindouisme  moderne  et  contemporain,  quelle  évolution!  C'est  principalement  dans  les  Puræ◊a   qu'ils   sont   devenus   des   «  sages  ».   Ce   sens   est   conservé   dans   l'hindouisme   contemporain.   Dans  RAMACHANDRA   RAO  :   1998   (introduction,   sans   pagination),   l'auteur   explique   qu'il   veut   «  présenter  l'approche   traditionnelle82  du  Rg-­‐Veda  parce  que   les   livres  qui  sont  parus  à  ce  sujet   jusqu'à  maintenant  

                                                                                                               82  Le  mot  «  traditionnel  »   renvoie  à  une  notion  de   l'hindouisme  contemporain  qui   recouvre  des   conceptions  

bien  différentes.  Dans  Rgveda-­‐Dar‡ana  1998a,  le  premier  chapitre,  intitulé  «  The  Traditional  Approach  »,  donne  à  son  auteur   l'occasion   de   définir   ou   d'expliquer   ce   qu'il   entend   par   «  traditional  ».   En   l'occurrence,   cet   ouvrage,   non  scientifique  mais  bien   informé,   considère   comme  «  traditional  »   l'approche   sémantique  via   le  Nirukta  «  which   is   the  most  important  guide  to  understand  the  Vedic  corpus  »  (1998a  :  21).  Nous  savons  que,  bien  au  contraire,   l'approche  traditionnelle   fut   souvent   non   sémantique,   et   que   le   Nirukta,   préoccupé   par   l'analyse   sémantique   des   hymnes,   n'a  

30     Article  Journal  Asiatique        ont   toujours   ignoré   cette   approche  ».   La   partie   du   chapitre   qui   leur   est   consacrée   (op.   cit,   p.   131-­‐167)  énumère   plusieurs   dérivations   et   donc   explications   du  mot  ®Òi.   Bien   que   l'auteur   envisage   le  Rg-­‐Veda  sous  l'angle  niruktique,  la  première  analyse  qu'il  donne  du  mot  ®Òi  (p.  137)  n'est  pas  celle  qui  provient  du  Nirukta  (®Òi  =  voyant  ;  cf.  §  20)  :  «  The  word  '®shi'  is  usually  translated  as  a  sage  or  a  seer.  It  is  derived  from  the  root  ®sha  ('j~æne'  to  know,  to  see)  with  the  grammatical  culturing  ('in  kiccha',  U◊ædi-­‐sºtra,  4,  19   'igupadhæt  kit').  »  Cette  analyse  appartient  donc  à   l'U◊ædi-­‐Sºtra.  La  racine  �∑-­‐   citée  par   l'auteur  est  celle  qu'enseigne  le  Dhætupæ†ha  pæ◊inéen  sous  la  forme  ®Ò÷  gatau  (VI.7),  donc  avec  le  sens  très  général  de  gati   'aller',   sens  attribué  à  plusieurs   centaines  de   racines.  En   réalité,  ®Ò÷   j~æne   n'existe  pas  dans   le  Dhætupæ†ha  pæ◊inéen.  Mais  traditionnellement  ye  gatyarthæÌ  te  buddhyarthæÌ  «  les  [racines]  qui  ont  le  sens  de  ‘aller’  ont  [aussi]  le  sens  de  ‘savoir’.  »  Le  sens  de  gatau  'aller'  était  un  de  ces  expédients  auxquels  BhÚmasena,   l'auteur   (?  VIe   siècle?)  de   la  glose  sémantique83  du  Dhætupæ†ha,  avait  eu  recours  quand   il  avait  formulé  ces  gloses.  Comme  certaines  racines  n'avaient  pas  de  sens  précis,  étaient  inusitées,  obsolètes  ou  inconnues,  il  leur  avait  attribué  ce  sens  très  général  conforme  à  l'analyse  de  Pata~jali  (sous  P.  I.3.1).  Il  aurait  pu  dire  kriyæyæm  ‘au  sens  d'agir’.  Ultérieurement,  les  grammairiens,  pour  certaines  de  ces  racines,  en  sont  venus  à  préciser  ce  sens  général.  Ramachandra  Rao  a  donc  directement  introduit  dans  sa  glose  le  sens  'savoir'  assuré  par  ce  proverbe  grammatical.  C'est  ainsi  que  ce  qui  était  expédient  se  retrouve  devenir  le  sens  même  de  la  racine  et  que  ®Òi  signifie  'savant'  ou  'sage'.  Cette  procédure  est  un  exemple  des  petites  manipulations  très  courantes  chez  cet  auteur.    Il  explique  ensuite  comment  concilier  la  sagesse  «  active  »  de  ces  êtres  avec  leur  «  voyance  »,  une  qualité  passive  puisque  «  in  fact  the  mantras  are  ever  present  ;  they  are  outside  space  and  time.  »  C'est,  explique-­‐t-­‐il,  à  la  suite  d'un  tapas  extrême.  En  somme,  ils  sont  devenus  sages  par  le  tapas,  et  leur  qualité  de  voyance  s'est   alors   manifestée  :   «  The   vision   of   the   mantra   emerges   only   after   a   life   of   strict   discipline   and  strenuous  austerities  (tapas)  »  (op.  cit.  p.  138)  et  le  cœur  est  «  the  seat  of  this  vision  which  transforms  an  ordinary  sage  into  an  extraordinary  seer  »  (p.  139).  Cette  sagesse  consiste  en  le  «  désir  naturel  et  sincère  de   transmettre   cette   vision   pour   le   bénéfice   de   ceux   qui   n'ont   pas   été   capables   d'avoir   cette   vision  mystique  »   (p.   144-­‐5).   Tout   cela   s'articule   avec   les   mantradraÒ†æraÌ   'visionnaires   des   mantra'   du  tantrisme,  la  généralisation  de  l'usage  des  mantra  dans  l'Inde  moderne  et  contemporaine,  et  est  aussi  en  prise  directe  avec  les  divers  «  sages  »  et  «  maîtres  »  qui,  depuis  le  XIXe  siècle,  ont  diffusé  leur  «  sagesse  »  en  Inde  et  ailleurs.    b)  La  traduction  de  SvæmÚ  GambhÚrænanda,  datant  de  1957,  est  une  des  plus  répandues.  Elle  est  publiée  sous   les   auspices   de   l'Advaita   Ashrama,   Mayavati,   Himalayas.   Elle   fait   partie   d'un   ouvrage,   Eight  UpaniÒads  with  the  Commentary  of  Ωa©kæcærya,  en  deux  volumes  où  huit  des  dix  UpaniÒad  sont  éditées  (en  nægarÚ,   sans   les   tons,   sans   variantes)   et   traduites   avec   la   traduction   du   commentaire   de  Ωaµkara.  Manquent   la   ChU   réalisée   en   un   volume   séparé   par   le   même   auteur   et   la   BÆU   réalisée   par   un   autre  traducteur.  Ultérieurement,   ces  huit   traductions  ont  aussi  été   re-­‐publiées  séparément  dans  des  éditions  révisées.  Il  s'agit  d'une  traduction  «  vedæntique  »,  de  celles  que  nous  nommons  «  traduction  spirituelle  ».  Comme  A.  M.  Sastry,  jamais  S.  GambhÚrænanda  ne  remet  en  cause  le  texte  ou  même  ne  signale  l'existence  d'une  variante.  Il  n'y  a  d'ailleurs  que  de  rares  notes  dont  aucune  dans  la  TU  ne  porte  sur  le  texte  lui-­‐même.  La  traduction  (GAMBHIRANANDA  1957  :  262)  est  la  suivante  :  «  I  am  the  invigorator  of  the  tree  (of  the  world).  My  fame  is  high  like  the  ridge  of  a  mountain.  My  source  is  the  pure  (Brahman).  I  am  like  that  pure  reality  (of  the  Self)  that  is  in  the  sun.  I  am  the  effulgent  wealth.  I  am  possessed  of  a  fine  intellect,  and  am  immortal  and  undecaying.  Thus  was  the  statement  of  Tri‡a©ku  after  the  attainment  of  realisation.  »    Comme  précédemment,  rien  ne  permet  de  distinguer  le  texte  de  son  interprétation  par  Ωaµkara.  Les  deux  mots   «  Brahman  »   et   «  Self  »,   ainsi   que   «  world  »   (traduisant   saµsæra),   tous   absents   du   texte   de                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      occupé   qu'une   place  marginale   dans   la   conscience   des   brahmanes   et   des   pandits.   Ce   fut   seulement   à   la   fin   du  XIXe  siècle   qu'il   a   été   réapprécié.   À   côté   des   présentations   issues   comme   celle-­‐ci   des   saµpradæya   traditionnels,   existent  celles   qui   proviennent   des   maîtres   et   guru   des   XIXe   et   XXe   siècles,   par   exemple   les   traductions   de   R.   L.   Kashyap  publiées  pour  et  par  le  Sri  Aurobindo  Kapæli  Institute  of  Vedic  Culture  (ainsi  :  Rig  Veda  Samhita,  First  aÒh†aka  :  121  hymns.   Text   in   Devanægari   and   Roman,  Word  meaning,   Translation   and  Notes.   Volume   1,   Bangalore   :   Sri   Aurobindo  Kapæli  Institute  of  Vedic  Culture,  2000).  Les  deux  mondes  ne  sont  pas  étrangers  l'un  à  l'autre  puisque  l'introduction  de  cet  ouvrage  est  réalisée  par  S.  K.  Ramachandra  Rao  (p.  xv-­‐xxii).  

83  Le  Dhætupæ†ha   connu  par  Pata~jali   a  dû  être  une   simple  énumération  des  dhætu   'racines  verbales'   sous  leur  nom  technique,  par  exemple  ®Ò÷  (pour  �Σ-­‐).  BhÚmasena  aurait  ajouté  pour  chaque  racine  une  glose  sémantique  au  moyen  d'un  nom  d'action  au  locatif:  bhº  sattæyæm:  «  BHª-­‐  au  sens  de  être  »,  ®Ò÷  gatau  :  «  �Σ-­‐  au  sens  de  aller  »,  etc.  La  mise  en  cause  des  faits  et  de  leur  chronologie  par  BRONKHORST  1981  a  permis  à  G.  Cardona  (dans  plusieurs  articles  et  finalement  dans  CARDONA  1999  :  140-­‐144)  d’assurer  et  de  recertifier  la  thèse  admise  généralement.  K.V.  Abhyankar  et  J.  M.  Shukla  dans  A  Dictionary  of  Sankrit  Grammar,  Oriental  Institute,  Baroda  1977  :  295  le  font  vivre  au  XIVe  siècle.  

31     Article  Journal  Asiatique        l'UpaniÒad,  mais  présents  dans  le  BhæÒya  de  Ωaµkara,  sont  disposés  entre  parenthèses  ;  en  revanche,  «  the  attainment  of   realisation  »   tout  autant  absent  du   texte  est  sans  parenthèses  et  sera  compris  comme  étant  un  mot   traduit.   Les   coups  de   force  de  Ωaµkara   sont   adoptés   sans  discussion   et   sans  que  d'autres  possibilités   soient  mentionnées,  même  si  Ωaµkara   les  a   envisagées  :  rerivæ   signifiant  prerayitæ   'mover',  ºrdhvam   'ce   qui   est   au-­‐dessus'   assimilé   à   kæra◊am   'la   cause'   par   Ωaµkara   (une   lecture   hautement  sollicitée,  un  sens  inconnu  dans  l'Amarako‡a,  dans  A  Sanskrit-­‐English  Dictionary  de  M.  Monier-­‐Williams  et  dans   le   Ωabdakalpadruma)   est   rendu   par   «  source  ».   Bref,   S.   GambhÚrænanda   adopte   sans   sourciller  l'interprétation   de   Ωaµkara   et   la   transforme   en   la   matière   même   du   texte.   Comme   d'habitude,   le  traducteur   ne   traduit   pas   brahman   qu'il   rend   par   Brahman,   toujours   avec   majuscule.   La   présence   de  l'adjectif  le  force  à  dire  «  the  pure  Brahman  »,  mais  ailleurs  c'est  «  Brahman  »  :  ainsi  traduisant  la  glose  de  brahmavit   (TU   II.1),   le   traducteur   dit   (op.   cit.   p.   287)   «  the   knower   of   Brahman  »,   transformant   le   nom  commun  en  un  nom  propre  sans  article  où  la  majuscule  en  impose  :  on  n'est  pas  loin  du  nom  de  Dieu.  Bien  que   Ωaµkara   signale   deux   possibilités   pour   am®tokÒita,   l'auteur   n'en   rend   qu'une,   celle   qui,  «  spirituelle  »,   est   la   plus   vedæntique   et   la   moins   védique.   S.   GambhÚrænanda   va   donc   plus   loin   que  Ωaµkara   dans   sa   lecture   anagogique.   Dans   sa   préface   à   la   première   édition,   il   signale   le   caractère  philosophique   du   texte   attribué   à   Ωaµkara   qualifié   de   «  great   saint   and   philosopher  ».   Incidemment,   il  note   aussi   l'infirmité   statutaire   de   l'anglais  :   «  Il   est   très   difficile   de   présenter   en   traduction   une  philosophie  si  abstruse  quand  la   langue  dans   laquelle  on  la  rend  diffère  dans   la   forme  et  dans   l'esprit  si  profondément   de   l'original  »,   explique-­‐t-­‐il.   Dans   sa   préface   et   dans   le   reste   de   l'ouvrage,   le   traducteur  ignore  l'UpaniÒad  (malgré  le  titre  de  l'ouvrage).  On  sent  qu'il  la  comprend  plutôt  comme  un  faire-­‐valoir  de  la  pensée  du  maître,  laquelle  commande  entièrement  sa  traduction.  En  revanche,  aucun  titre  ou  sous-­‐titre,  aucun  commentaire,  n'indiquent  au  lecteur  ce  qu'il  pourrait  ou  devrait  faire  d'un  tel  texte.    c)  La  traduction  de  S.  Nikhilananda  datant  de  1959  provient  de  The  Upanishads.  A  new  Translation  Vol  IV.  New   York,   Ramakrishna-­‐Vivekananda   Center.   3e   édition,   1994.   C'est   ouvertement   une   traduction  spirituelle,  très  répandue  dans  le  monde  anglo-­‐saxon  pour  lequel  elle  a  été  rédigée  (entre  1949  et  1959)  ainsi  que   l'explique   l'auteur  dans   la  préface  du  premier  volume.  L'ouvrage  comprend   les   traductions  de  l'UpaniÒad,   de   l'introduction   de   Ωaµkara   et   quelques   explications   «  based   on   the   commentary   of  Sankaracharya  ».  L'auteur  n'explique  pas  pourquoi  il  n'a  pas  simplement  traduit  ce  commentaire  ou  une  partie  de  ce  commentaire.  On  trouve  encore  cet  ouvrage  dans  de  nombreuses   librairies  spécialisées  aux  États-­‐Unis  et  au  Canada  ;  peut-­‐être  est-­‐ce,  parmi  les  traductions  indiennes,  celle  qui  est  la  plus  répandue  dans  ces  pays.  La  traduction  (NIKHILANANDA  1959  :  31)  est  la  suivante  :    «  I  am  the  mover  of   the  tree  [of   the  universe].  My  fame  rises  high,   like  a  mountain  peak.  My  root   is   the  Supremely  Pure   [Brahman].   I   am   the  unstained  essence  of   the  Self,   like   the   [nectar  of]   immortality   that  resides  in  the  sun.  I  am  the  brightest  treasure.  I  am  the  shining  wisdom.  I  am  immortal  and  undecaying.    Thus  did  Tri‡anku  proclaim  after  the  attainment  of  the  Knowledge  [of  the  Self].  »    Là  aussi  l'interprétation  de  Ωaµkara  est  intégrée  directement  dans  le  texte  dont  la  lettre  est  ignorée  tandis  que   sont   introduits   des   mots   «  lourds  »   comme   'Brahman',   'Self',   extérieurs   au   texte   et   provenant   de  Ωaµkara  ;   or   ce   sont   ces   mots   qui   orientent   fondamentalement   la   lecture   du   vers.   La   traduction   de  vedænuvacana   est   tout   à   fait   caractéristique   de   la   confusion   entre   texte   et   interprétation,   voire   du  dépassement   de   cette   dernière  par   la   traduction  :   le  vedænuvacana   qui,   pour  Ωaµkara,   est   «  une  parole  d'après  le  veda  »,  c'est-­‐à-­‐dire  d'après  «  l'expérience  cognitive  (vedana)  »  devient  selon  S.  Nikhilananda  «  la  Connaissance   [du   Soi]  »  :   le  Veda-­‐texte   est   oublié   au   profit   d'un  Veda-­‐Connaissance   confondu   avec   une  expérience  personnelle.  Ce  n'est  pas  étranger  à  ce  que  dit  Ωaµkara,  mais  il  est  évident  que  le  traducteur  va  au-­‐delà  :   veda   est   traduit   par   «  Knowledge  »   où   la   majuscule   note   le   nom   propre   du   Veda   tandis   que  knowledge  note   le  caractère   'connaissance'  d'une  expérience  non-­‐textuelle.  Ce  double-­‐sens  de  veda,  déjà  sensible  dans  l'interprétation  de  Ωaµkara,  s'observe  souvent  chez  les  modernes.  S.   Nikhilananda,   lui   aussi,   joint   à   sa   traduction   (op.   cit.,   p.   31-­‐32)   un   «  mode   d'emploi  »   et   une  «  posologie  »  :   «  the   mantra   given   in   this   chapter   is   meant   for   daily   recitation   by   the   seeker   of   Self-­‐Knowledge   of   Brahman.   It   is   conducive   to   purity   and   progress,   and   finally   leads   to   the   Knowledge   of  Brahman.  The  aspirant  should  first  create  the  proper  spiritual  mood  through  the  discharge  of  his  various  duties   and   the   study   of   the   scriptures,   as   described   in   the   preceding   chapter,   and   then   recite   and  contemplate   the  mantra   given   in   the   present   one.  »   Comme   ces   lignes   sont   présentées   à   la   suite   de   la  traduction  du  BhæÒya  de  Ωaµkara,  dans  le  même  corps  de  caractères  et  sans  que  rien  ne  signale  qu'elles  sont  dues  à  S.  Nikhilananda  et  non  à  Ωaµkara,  on  imagine  ce  que  le  lecteur  peut  finalement  comprendre.  D'autant   que   le   texte   sanskrit   fait   défaut   et   que   chacun   des   anuvæka   est   précédé   d'un   titre   (du  traducteur)  ;  en  l'occurence  :  «  A  mantra  for  daily  meditation  ».    

32     Article  Journal  Asiatique        d)  La  traduction  de  V.  Panoli  est  extraite  d'une  traduction  générale  des  UpaniÒad  védiques  en  4  volumes  (PANOLI  :  1992).  Le  titre  dit  bien  le  projet  ambigu  du  traducteur  :  Upanishads  in  Sankara's  own  words.  On  s'interroge  sur  la  signification  du  titre  dans  un  ouvrage  où  il  n'y  a  qu'une  «  traduction  »  des  UpaniÒad.  En  l'occurrence,   il   ne   s'agit   pas   de   dire   l'UpaniÒad   ni   le   commentaire   de   Ωaµkara,   mais   bien   les   deux  ensemble  simultanément  :  manifestement,  aux  yeux  de  l'auteur,  les  UpaniÒad  ne  semblent  pas  pouvoir  se  suffire   à   elles-­‐mêmes,   et  V.   Panoli   annonce  par   là  qu'il   ne   va  pas   traduire   l'UpaniÒad   et   qu'il   ne   va  pas  traduire  non  plus  le  commentaire.  Et  c'est  bien  ce  qu'il  fait  ;  écoutons-­‐le  :    «  I   am   the   stimulator   in   the   form   of   the   in-­‐dwelling   Self   of   the   (samsara)   tree.  My   renown   rises   like   a  mountain-­‐peak.  *I  have   for  my  source   the  supreme  Brahman,  pure,   revealable  by  knowledge.   I  am  pure  like  (the  reality  of  the  Self)  that  abides  in  the  sun.  I  am  the  splendid  wealth.  I  am  endowed  with  a  brilliant  intellect   and   am   deathless   undecaying.   Such   was   the   declaration   of   Trisanku   on   the   attainment   of  realisation.  »84    Une  grande  partie  de  ce  qu'on  a  dit  précédemment  peut  être  répété.  On  dirait  qu'avec  le  temps  qui  passe  les  «  traducteurs  »  s'éloignent  du  texte  original  et  aussi  de  Ωaµkara  :  bien  qu'il  s'agisse  des  «  own  words  »  du   maître   vedæntin,   l'idée   de   stimuler   l'arbre   du   saµsæra   ne   correspond   pas   exactement   à   ce   que   dit  Ωaµkara.  On  constate  aussi  que  certains  mots  entre  parenthèses  (absents  du  texte  original)  voisinent  avec  d'autres  mots,  sans  parenthèses,  tout  autant  absents  de  l'original  ;  c'est  le  cas  du  «  supreme  Brahman  ».  Le  mot  veda,  comme  livre  ou  comme  connaissance,  a  disparu  et  est  devenu  «  the  attainment  of  realisation  ».  Notons  aussi  l'anglicisation  des  termes  (samsara  pour  saµsæra,  Trisanku  pour  Tri‡a©ku)  et  le  caractère  à  la   fois   anagogique   et   hyperbolique   de   l'expression  :   sur   le   plan   formel,   V.   Panoli,   ici   comme   ailleurs,  reprend  les  mots  du  texte  et   les  redispose  librement,  sans  que  la  grammaire  puisse  justifier   le  procédé  :  c'est   le   cas  de  am®tokÒitaÌ   devenant  «  deathless  undecaying  ».  De  même  pour  vedænuvacana   devenant  «  declaration   on   the   attainment   of   realisation  »   dans   une   traduction   proche   de   celle   de   S.  GambhÚrænanda.    e)  L'Encyclopaedia  of  Upanisads  and  its  Philosophy  (KAPOOR  2002)  comprend  une  édition  (peu  lisible)  des  UpaniÒad,  un  exposé  sur  leur  nature  et  leur  philosophie  et  une  traduction  anglaise  de  douze  d'entre  elles  dont   la  ChU  et   la  BÆU  sont  exclues.  Quelques  ouvrages  occidentaux  sont  cités,  mais  on  peut  douter  que  l'auteur  les  ait  tous  lus  puisque  la  ChU  fut  l'une  des  UpaniÒad  «  that  was  translated  into  Persian  under  the  auspices  of  Dæræ  Shukoh,   and   from  Persian   into  French85  by  Anquetil  Duperron,   in  his  Oupnekhat,   i.e.  Secretum  Tegendum  »  (op.  cit.  p.  1243).  La  traduction  (p.  1087)  de  l'anuvæka  est  la  suivante  :  «  I  am  the  spirit  (mover)  of   the  tree  (viz.,  of   the  tree  of   the  word  [sic]  which   is   to  cut  down).  (My)  fame  (rises)  like  the  top  of  the  mountain.  I  am  purified  in  my  root,  as  immortality  is  glorious  in  the  nourisher  (viz.  the  sun).  I  am  brilliant  wealth.  I  am  intelligent.  -­‐  I  am  immortal  and  without  decay  (or  I  am  sprinkled  with  immortality).  This  is  the  word  of  knowledge  of  Tri‡a©ku.  »  L'auteur  ajoute  une  note  où  il  affirme  que  l'anuvæka   «  contains   the   Mantra   to   be   recited   before   the   daily   reading   of   the   veda   for   the   object   of  obtaining  knowledge.  -­‐  Ω.  »  Bien  que  le  «  Ω  »  ne  soit  pas  dans  la  liste  des  abréviations,  il  s'agit  sans  doute  de  Ωaµkara  et  de  l'adaptation  de  ce  qu'il  explique  avant  de  commencer  son  commentaire.  On  notera  que  l'expression   svædhyæya   'cantilation   personnelle   [du   Veda]  »   employée   par   Ωaµkara   est   devenue   «  the  daily  reading  »  ;  la  vidyotpatti  'émergence  de  la  connaissance'  de  Ωaµkara,  pour  qui  la  connaissance  est  un  état  cognitif  qui  ne  s'acquiert  pas  est  transitivée  en  «  obtaining  knowledge  ».  La  négligence  vaut  aussi  bien  dans   l'orthographe,   ici   lourde  d'ambiguïté   (world/word),  que  pour   l'édition.  Quant  à   la   traduction,   sans  répéter   ce  qu'on  a  vu  précédemment,   il   est   clair  qu'elle   est  un  mélange   improbable  de   ce  que  disent   le  texte  originel,  Ωaµkara  et  d'autres  sources.  L'expression  «  spirit  (mover)  »  provient  sans  doute  de  la  glose  où  Ωaµkara  dit  Aham  (...)  prerayitæntaryæmyætmanæ  «  Je  suis...   celui  qui  meut  en  tant  qu'antaryæmin  ».  De   toutes   les   traductions,   celle-­‐ci   est   la   seule   où   la   glose   de   v®kÒa   est   introduite   directement   dans   la  traduction,  certes  entre  parenthèses  ;  malheureusement   l'arbre  du  monde  (world)  est  devenu  l'arbre  du  mot   (word).  Le   lecteur,  déjà   incapable  de  comprendre   les  raisons  de   la  métaphore  originale,  va  pouvoir  imaginer  que  ce  mantra  vise  à  établir  le  silence  dans  l'esprit  du  récitant.    

                                                                                                               84  L'astérisque  dans   la   traduction   renvoie  à  une  note  de   l'auteur  affirmant  que  Sæya◊a  a  expliqué   la  phrase  

dans  un  autre  sens.  Mais  rien  n'est  dit  de  cet  autre  sens.  85  Il  est  vrai  que  A.  H.  Anquetil-­‐Duperron  s'était  d'abord  essayé  à  traduire  les  dites  UpaniÒad  en  français.  Il  en  

traduisit   quatre   avant   de   renoncer   et   de   se   décider   pour   une   traduction   latine.   Ses   traductions   françaises   furent  publiées  sous  le  titre  de  "Fond  de  la  théologie  indienne,  tiré  des  Beid's  [scil.  Veda's]"  dans  ses  Recherches  historiques  et  géographiques   sur   l'Inde,   IIe   Partie,   p.   297-­‐344,   Berlin   :   Pierre   Bourdeaux,   1787.  Malgré   le   titre,   aucune   des   quatre  UpaniÒad  n'appartient  au  corpus  védique.  Cette  traduction  fut  elle-­‐même  traduite  en  allemand  en  1791.    

33     Article  Journal  Asiatique        f)  La  dernière  traduction  citée  ici  revient  à  GUPTA  1999  (p.  63-­‐65  pour  TU  I.10)  86.  Elle  comprend  le  texte  translittéré   de   l'UpaniÒad   sans   les   tons,   une   traduction   du  BhæÒya   de   Ωaµkara   et   un   commentaire   de  l'auteur.   Cette   traduction   se   signale   d'abord   par   l'ampleur   du   projet   où   elle   prend   place,   à   savoir   la  traduction   de   l'ensemble   de   la   prasthænatrayÚ   commentée   par   Ωaµkara,   et   aussi   par   son   ton   spécial,  sensible,   ouvert   à   la   poésie.   L'auteur   interprète   le   texte   de   l’UpaniÒad   et   le   commentaire   de   Ωaµkara  «  spirituellement  »   plus   qu'il   ne   le   traduit   philologiquement,   en   fonction   de   son   maître   spirituel   SrÚ  Mangatræm  dont  incidemment  il  rapporte  les  expériences  et  les  paroles  (vol.  2,  p.  30  sq.).    La  traduction  (p.  63)  de  l'anuvæka  est  la  suivante  :  «  Mover  am  I  of  the  Tree,  my  glory  high  as  a  mountain  peak.  With   the  pure  One   for  my  cause,   I   am  as   the   immortal  one   that  dwells     in   the  sun,   the  courser.  A  shining   treasure   am   I,   blessedly  wise,   immortal,   indestructible.   Thus   spake  Tri‡a©ku  when   knowledge  redemptive   had   come   to   dawn   on   him.  »   Alors   que   beaucoup   d'ouvrages   de   ce   type87   se   présentent  comme  «  la  nationalisation  des  traditions  hindoues  »  et  brahmaniques,  celui-­‐ci,  tout  en  étant  ancré  dans  le  passé   hindou,   tranche   par   son   ton   personnel,   voire   intimiste.   Le   commentaire   qui   accompagne   la  traduction  dépasse   le   lyrisme  du   texte  originel,   qualifié  de  mantra   et  qui   «  is   indeed  a   revelation  about  revelation  »  (p.  64).    22.   Nous   avons,   pour   cet   article   et   surtout   pour   le   livre   consacré   à   la   TaittirÚya-­‐UpaniÒad   et   au  commentaire   de   Ωaµkara,   lu   de   nombreux   autres   ouvrages   du   même   type.   Nous   écartons   de   nos  remarques  l'ouvrage  de  S.  Radhakrishnan  ;  les  œuvres  de  cet  auteur  ont  été  analysées  avec  lucidité  par  P.  Hacker   (notamment   HACKER   1978  :   525-­‐30   et   580-­‐608,   1995  :   229-­‐255   et   337-­‐50).   Cela   étant,   les  exemples   ci-­‐dessus   nous   semblent   former   un   échantillon   suffisant   pour   essayer   de   cerner   les  caractéristiques  des  traductions   indiennes  du  siècle  dernier  pour  ce  passage.  Dans  une  certaine  mesure,  on  peut  les  généraliser  à  l'ensemble  de  ces  traductions  d'UpaniÒad.  -­‐  Parmi  les  commentateurs,  le  recours  à  Ωaµkara  et  à  son  interprétation  est  général  tandis  que  Sæya◊a  est  beaucoup  moins  cité,  et  que  Bha††a  Bhæskara  et  les  autres  commentateurs  sont  complètement  ignorés.  -­‐   En   revanche,   l'érudition   du   discours   de   Ωaµkara   fait   totalement   défaut.   Ωaµkara   sollicite   dans   son  commentaire   certains   savoirs   brahmaniques   anciens   (Vyækara◊a,   Nirukta,   les   principes   de  l'herméneutique   de   la   MÚmæµsæ)  ;   il   recourt   à   des   procédés   stéréotypés,   ceux-­‐là  même   qu'emploient  tous   les  commentateurs  et   les  pandits   traditionnels  :   les  gloses  d'une  racine,  d'un  suffixe,   les  v®tti  d'un  composé,   les   gloses   étymologiques   du  Nirukta   et   de   l'U◊ædi-­‐Sºtra)   sont   des   procédés   par   lesquels   ils  utilisent  leur  érudition.  Or  tout  cela  est  complètement  ignoré  des  traducteurs  modernes.  Toute  technicité  formelle  est  écartée.  Les  traductions  sont  toujours  simples  (parce  que  simplifiées).  Leur  lecture,  y  compris  celle   du   commentaire   de   Ωaµkara,   ne   donne   certainement   pas   l'idée   qu'il   s'agit   d'une   œuvre   de  «  philosophie  abstruse  »  ainsi  que  S.  GambhÚrænanda  qualifie  le  commentaire  de  Ωaµkara  (cf.  §  21  b)  ;  au  contraire  cela  ne  semble  ni  philosophique  ni  abstrus.  -­‐  La  lecture  métaphorique  de  Ωaµkara  fait  l'objet  d'explications  théoriques  de  la  part  de  son  auteur  ;  elles  sont   alimentées   par   le   précédent   mÚmæµsaka   et   Ωaµkara   revient   à   plusieurs   reprises   sur   le   fait,  notamment  dans  le  Brahma-­‐Sºtra-­‐BhæÒya.  Justifiée  théoriquement  dans  son  principe,  elle  est  clairement  visible  dans  son  commentaire.  En  effet,  la  métaphore  suppose  la  présence  d'un  thème  et  d'un  phore88.  Dès  lors,   pour   que   le   commentaire   métaphorique   de   Ωaµkara   apparaisse   comme   tel   et   fasse   sens,   il   faut  conjoindre  le  texte  originel  qui  joue  le  rôle  de  thème  et  le  phore  que  développe  Ωaµkara.  Ainsi,  à  la  lecture,  perçoit-­‐on   constamment   le   décalage   particulier   entre   le   texte   et   son   commentaire  :   la   lecture  métaphorique   est   ainsi   parfaitement  mise   en   évidence.   C'est   précisément   ce   qui  manque   chez   tous   les  traducteurs   indiens.   Ils   confondent   plus   ou  moins   le   thème   et   le   phore,   traduisent   le   phore   comme   s'il  était  le  thème,  si  bien  que  le  caractère  métaphorique  de  la  lecture  de  Ωaµkara  n'apparaît  plus.    -­‐   La   cohérence   et   la   clarté   des   traductions   contredisent   l'obscurité   du   texte.   Aucun   traducteur   ne   fait  allusion  au  fait  que  l'original  est  obscur  et  qu'il  prend  place  difficilement  dans  l'ensemble  de  l'UpaniÒad.  Jamais  un  traducteur  ne  signale  (à  la  différence  des  commentateurs)  l'existence  de  plusieurs  lectures.  Un  

                                                                                                               86  Voir  le  c.  r.  de  P.-­‐S.  Filliozat  dans  JA  292  1-­‐2  2004  :  423-­‐426.  En  2006,  j'ai  disposé  de  quatre  volumes  parus  

entre  1991  et  2001  ;   ils  couvrent  neuf  des  dix  commentaires  upaniÒadiques  de  Ωaµkara  :   le  vol.  V,  à  paraître  (?),  est  dédié  à  la  BÆU.    

87   C'est   le   cas   de   la   traduction   due   à   Acarya   Narasimha.   Publiée   en   2004,   elle   n'est   guère   diffusée  internationalement.   Elle   représente   bien   comment   est   réalisée   cette   «  nationalisation   des   traditions   hindoues  »  (expression   de   DALMIA   1997)   et   brahmaniques.   Formellement,   l'ouvrage   comprend   une   édition   en   nægarÚ,   hors   la  tonalité,   et   une   autre   en   translittération   selon   des   normes   inhabituelles   puisque   ce   n'est   pas   le   système   de  transcription  adopté  en  1894  au  Xe  Congrès  international  des  orientalistes  à  Genève.  

88  En  reprenant  le  vocabulaire  de  B.  Dupriez,  Gradus.  Les  procédés  littéraires,  Paris  :  Union  générale  d'éditions,  1984.  

34     Article  Journal  Asiatique        lecteur  qui  d'aventure  comparerait  ces  traductions  devrait  mettre  les  différences  qu'il  constate  au  compte  de  l'habileté  des  traducteurs  tandis  que  l'obscurité  du  texte  et  les  variantes  lui  échapperaient.  -­‐  Si   la   référence  à  Ωaµkara  est  générale  et  proclamée,  elle  ne  se  confond  pas  avec  une  simple  adhésion.  Tout  Ωaµkara  n'est  pas  repris  dans  la  traduction  tandis  que,  même  dans  celles  qui  se  veulent  fidèles  parce  que  ‡aµkariennes,  des  idées  nouvelles  sont  ajoutées  directement  ou  incidemment  dans  des  notes  ou  des  commentaires  qui,  parfois,  se  distinguent  mal  du  commentaire   lui-­‐même.  Parfois,  ces   idées  contredisent  ce  sur  quoi  insiste  Ωaµkara  ;  ainsi,       -­‐   dans   les   traductions,   les   destinataires   sont   soit   ouvertement   des   Indiens   (Hindous)   soit   des  Occidentaux.   En   revanche,   le   fait   que   Ωaµkara,   explicitement   et   régulièrement,   assigne   la   révélation  vedæntique   exclusivement   à   des   brahmanes   renonçants89   est   complètement   ignoré.   Les   traducteurs  changent  donc  le  statut  des  destinataires  :  ce  sont  des  Indiens  tentés  par  la  voie  spirituelle,  mais  ignorant  le  sanskrit  s'ils  connaissent  l'anglais  ;  ou  bien  ce  sont  des  Occidentaux  invités  à  reconnaître  la  supériorité  de   la  «  philosophy  of  Ωaµkara  »90.  Le  statut  du  texte  est  changé  du  tout  au  tout  :   il  est  souvent  présenté  comme  un  texte  nationalement  défini  et  définissant  ou,  pour  l'étranger,  comme  un  texte  de  «  philosophie  indienne  ».     -­‐  la  finalité  du  texte  est  redéployée  sans  vraiment  tenir  compte  de  Ωaµkara.  Cette  finalité  associant  dans  des  proportions  diverses  spiritualité,  philosophie,  rituel  et  souci  de  l'identité  nationale  s'impose  au  texte   commenté   et   même   au   commentaire.   La   modernité   est   sensible   par   exemple   dans   l'idée   que   le  mantra  est  destiné  à  être  lu.  -­‐  Si   l'on  a  recours  aux  notions  de   la   linguistique  moderne,  mais  sans   trop   faire  appel  au   jargon  de  cette  discipline   technique,   il   s'avère   que   la   tendance   des   traducteurs   (c'était   déjà   le   cas   de   Ωaµkara)   est  d'altérer   le   sens   des   mots   sans   changer   leur   signification   (on   dirait   la   même   chose   avec   l'aide   de  l'opposition   Sinn/Bedeutung).   Les   notes,   titres,   commentaires   additionnels,   etc.,   fixent   le   contexte   et  déterminent   en   profondeur   la   lecture   d'autant   qu'on   ajoute   au   texte   les  mots   sémantiquement   les   plus  chargés.   C'est   certainement   une   altération   profonde   de   l'esprit   des   UpaniÒad   puisque   la   méthode  upaniÒadique   consiste   précisément   à   limiter   au  maximum   le   contexte  :   cela   permet   à   l'auditeur   ou   au  lecteur  de  combler  cette  lacune.  Mais  ici  le  contexte  est  fixé  ;  il  n'y  a  pas  plus  cet  espace  de  liberté  entre  les  mots  qui  fait  le  charme  de  ces  textes  antiques.    Au   total,   l'écart   est   grand  entre   l'interprétation  des  mots  de   la  phrase   (elle   correspond  généralement   à  celle  de  Ωaµkara,  mais  il  y  a  des  nuances  et  des  oublis)  et  l'interprétation  du  vers  dans  son  ensemble  (très  éloignée   et   de   Ωaµkara   et   du   texte   lui-­‐même).   On   comprend   ainsi   pourquoi   le   seul   commentaire   de  Ωaµkara  ne  suffit  pas  à  S.  Nikhilananda  ou  à  V.  Panoli  :   les  notes  complémentaires  visent  à  réorienter  ce  que  dit  Ωaµkara  dans  la  direction  du  néo-­‐hindouisme  tout  en  profitant  de  l'autorité  du  maître  vedæntin.  Le  principe  d'autorité  incarné  dans  Ωaµkara  et  ainsi  brandi  sert  à  déployer  le  principe  d'éternité  en  direction  de  l'actualité  spirituelle  de  l'Inde.    23.  Les  traductions  dites  scientifiques.  Si   on   se   limite   aux   traductions   dans   les   langues   européennes,   la   lecture   de   P.   Olivelle   est   décisive  (OLIVELLE   1998a   :   xv-­‐xix   et   1998b).   En   effet,   les   traductions   scientifiques   dépendent   des   différentes  éditions  existantes.  Or  aucune  édition  critique  des  UpaniÒad  n'est  disponible,  fait  souligné  par  SALOMON  1991  :  48  et  reconnu  par  OLIVELLE  1998a  :  xv.  Ainsi,  P.  Olivelle  explique-­‐t-­‐il  :  «  Normally,  a  critical  edition  also  involves  the  creation  of  a  genealogical  tree  of  manuscripts  that  permits  an  editor  to  select  readings  based  not  merely  on  his  or  her  own  preferences  and  biases  but  on  objective  criteria.  A  critical  edition  of  this   type   has   not   been   attempted   with   regard   to   any   ancient   UpaniÒad.  »   Cela   est   déjà   surprenant   en  raison  de  la  place  qu'occupent  les  UpaniÒad  dans  la  littérature  indienne  et  même  mondiale.  Les  éditions  indiennes  de   l'UpaniÒad   et  du  BhæÒya   (il   n'existe,   semble-­‐t-­‐il,   pas  d'édition  occidentale  du  BhæÒya)   se                                                                                                                  

89   Si   le  Veda   est   ouvert   à   l'ensemble  des  dvija,  Ωaµkara   réserve   l’étude   vedæntique  des  UpaniÒad   à   des   ex-­‐brahmanes   qui   sont   renonçants   et   érudits,   possèdent   tout   un   ensemble   de   qualités   morales,   intellectuelles   et  physiques  ;  voir  par  exemple  ce  qu’il  dit  au  début  de  la  section  en  prose  de  l’Upade‡asæhasrÚ.  Dès  lors,  il  aurait  récusé  le   principe  même   de   la   traduction,   la   nécessité   de   son   recours   dénonçant   l'incapacité   statutaire   des   lecteurs.   Bien  entendu,  cette  remarque  vaut  pour  signaler  qu'on  ne  peut  ignorer  les  destinataires  que  Ωaµkara  lui-­‐même  assignait  à  sa  parole  car  ils  retentissent  évidemment  sur  le  contenu  même.    

90   L'édition   GOKHALE   de   la   TU   (1914)   est   excellente.   Elle   est   précédée   d'une   preface   (p.   i-­‐xxv)   où   l'auteur  explique   sa   conception   des   UpaniÒad   et   du   Vedænta   ‡aµkarien.   Elle   commence   (p.   iv)   par   cette   déclaration  :   «  No  philosophy,  ancient  or  modern,  can  be  said  to  come  within  a  measurable  distance  of  Shri  Shankarâchârya's.  All  of  them  are  confined  in  space  and  time  to  the  sciences  ;  while  Shri  Shankarâchârya's  is  bounded  on  the  one  hand  by  Infinity,  and  on  the  other  hand  by  Eternity.  »  On  peut  juger  ce  paragraphe  extraordinaire  ;  le  fait  est  qu'il  est  plutôt  ordinaire  quand  on  ouvre  ces  ouvrages.  

35     Article  Journal  Asiatique        présentent   donc   au   mieux   comme   le   choix,   plutôt   arbitraire,   entre   plusieurs   traditions   manuscrites  existantes.   C'est   toujours  mieux  que   les   éditions   occidentales   dont   les   auteurs   pour  diverses   raisons   («  incorrection  »  de  la  langue,  metri  causa,  etc.)  redressent  le  texte  traditionnel,  introduisent  ces  corrections  dans   leurs   éditions,   relèguent   les   lectures   des   manuscrits   dans   les   notes   et   traduisent   le   texte   ainsi  émendé   au  mépris   de   la   tradition  manuscrite.   «  The   faithfulness   of   the   native   tradition   of   copysts   and  commentators   stands   in   sharp   contrast   to   the   tampering   of   these   texts   by  modern   scholars  »   souligne  justement  OLIVELLE  1998a  :  xvii  et  1998b  :  182.  Le  principe  de  la  correction  metri  causa  ne  se  justifie  que  s'il  s'agit  de  choisir  entre  des  leçons  assurées  par  des  manuscrits.  C'est,  comme  nous  l'avons  vu  (§§  16-­‐7),  précisément  ce  que  ne  fait  pas  W.  Rau  dans  ses  différents  Versuch  et  notamment  dans  celui  consacré  à  la  TU   (RAU   1981).   Il   aboutit   au   paradoxe   de   réaliser   la   traduction   d'un   texte   qui   n'existe   pas   et   n'a  probablement  jamais  existé  sous  cette  forme,  mais  qui  reflète  les  idées  philologiques  et  philosophiques  de  l'auteur.  Il  n'est  pas  le  seul,  ni  le  premier.  Le  cas  des  fondateurs  de  la  discipline,  comme  O.  Böhtlingk,  est  particulièrement   grave  parce  que   la   réputation  d'excellence  de   la   tradition  philologique   (notamment   la  tradition   germanophone91   que  O.   Böhtlingk   incarne   par   excellence)   et   l'autorité   qu'on   lui   a   prêtée   ont  conduit   les   successeurs   à   adopter   sans   réserve  des   émendations  hasardeuses   et  non   fondées.  OLIVELLE  1998a  :  xv-­‐xvi  parle  de  ses  émendations  «  based  solely  on  philological  skill,  where  the  philologist  has  the  hubris  to  substitute  his  judgment  of  what  is  right  and  wrong.  »  Même  quand  O.  Böhtlingk  est  revenu  sur  ses  corrections  dans  des  articles  ultérieurs  à  sa  première  édition,  c'est   le  texte  qu'il  avait  préalablement  publié  qu'on  a  ensuite  reproduit  et  traduit.  OLIVELLE  1998a  et  b  cite  plusieurs  exemples  qui  le  démontrent  clairement.  C’est  ainsi  que  É.  Senart  fonda  sa  traduction  de  la  ChU  (publiée  à  titre  posthume  en  1930)  sur  l'édition   BÖHTLINGK   1889   sans   s'apercevoir   que   celui-­‐ci   avait,   dans   des   articles   de   1897,   renié   cette  édition   pour   revenir   partiellement   à   la   lecture   traditionnelle   (BÖHTLINGK   1897a   et   b).   Les   traducteurs  confiants   pouvaient   être   facilement   abusés   parce   que   O.   Böhtlingk   «  corrigeait  »   le   texte,   c.-­‐à-­‐d.  introduisait  directement  ses  émendations  dans  son  édition92.  Les  traducteurs  et  éditeurs  contemporains,  égarés  par   l'autorité  de   ces   grands  noms  et   aussi  par  une   certaine   arrogance  méthodologique   (souvent  signalée  par  les  scholars  indiens  contemporains  et  les  tenants  du  néo-­‐hindouisme  qui  trouvent  là  du  grain  à  moudre),  ont  ainsi  recopié  et  traduit  les  textes  ainsi  émendés.    Nombre  de  «  critical  editions  »  ou  «  kritikal  Ausgabe  »  n'ont  de  «  critique  »  que  le  nom,  même  celles,  bien  rares  semble-­‐t-­‐il,  qui,  comme  les  éditions  D.  Maue  (1976)  et  C.  A.  Pérez  Coffie  (1994)  citées  par  OLIVELLE  1998b  :  xv  mais  non  publiées,  ont  tenu  compte  des  manuscrits  accentués.  Les  auteurs  les  plus  prudents  ou  les  plus  lucides  dans  la  tradition  scientifique  (par  ex.  D.  Whitney93,  L.  Renou)  ont  simplement  emprunté  une  édition  indienne  qu'ils  ont  jointe  à  leur  traduction.  Il  ne  faut  pas  s'illusionner  et  imaginer  qu'une  vraie  édition  critique  permettrait   forcément  de  remonter  à  un  Urtext  et  de  résoudre  ainsi   tous   les  problèmes.  Mais   disposer   d'un   texte   certifié   et   attesté   par   la   traduction   manuscrite,   bien   distinct   des   diverses  émendations  proposées  à  titre  d'hypothèse  par  les  philologues,  semble  un  préalable.  Cela  n'a  rien  à  voir  avec   le   travail   auquel   s'est   livré   W.   Rau   pour   plusieurs   UpaniÒad   védiques.   Comme   son   illustre  compatriote,  W.  Rau  traduit  directement  le  texte  établi  par  ses  soins.    24.   Si  maintenant  on  considère   la   traduction  de  ce  passage,  nous  constatons  que,   sauf  W.  Rau  pour  des  raisons   de  méthode,   tous   les   auteurs   font   appel   à  Ωaµkara.   Cela   vaut  même  pour   les   simples   éditions   :  LIMAYE-­‐VADEKAR  1958   :  53,  bien  que  ne   traduisant  pas   le   texte,   signalent  en  note  que  «  xMkracay(  understands   this   [scil.   rerivæ]   as   p®eriyta   ».   Aucun   traducteur   ne   dit   que   le   texte   en   l'état   est  intraduisible  dans  une  certaine  mesure.  Sans  doute,  le  traducteur  rechigne-­‐t-­‐il,  par  fonction,  à  dire  qu'il  ne  peut  traduire  une  strophe  dont,  pourtant,  certains  mots  n'ont  pas  de  sens  ou  sont  de  sens  incertain.  Tous  

                                                                                                               91   La   tradition  d'excellence  de   la   philologie   germanophone  n'est   certes   pas   limitée   à   la   philologie   sanskrite.  

Néanmoins,  celle-­‐ci  occupe  une  place  particulière  car  elle  prend  place  dans  la  réception  tout  à  fait  extraordinaire  que  les  élites  allemandes  ont  réservée  pendant   le  XIXe  siècle  à   la   littérature   indienne  ancienne  et  à   l'Inde  en  général.  On  parle  même   de   «  fascination   de   l'Allemagne   pour   l'Inde  »,   de   l'«  indomanie  »   allemande,   et   celles-­‐ci   ne   se   sont   pas  limitées  à  la  philologie.  Pour  quelques  portaits  de  philologues  allemands,  voir  STACHE-­‐ROSEN  1990,  CHATELLIER  1996,  DI  COSTANZO  2004  et  la  thèse  (non  publiée)  de  P.  Rabault-­‐Feurhahn  (2005).  

92  La  manière  de  faire  de  O.  Böhtlingk  ne  se  limite  pas  au  domaine  des  UpaniÒad.  P.  Olivelle  l'a  aussi  dénoncée  dans  les  ouvrages  qu'il  a  consacrés  aux  Dharma-­‐Sºtra  pour  lesquels  il  a  consulté  les  travaux  de  O.  Böhtlingk.  Voici  ce  qu'il  dit  à  propos  de  Haradatta,   le  commentateur  d'ÆpDh  :  «  He  was  everything  that  Böhtlingk  was  not   :  a  man  who  scruplously  faithful  to  the  text  he  received  from  the  tradition,  who  compared  different  manuscripts  and  oral  traditions  and  noted  carefully  preserved  for  future  generations  even  readings  that  he  regarded  as  faulty.  »  (OLIVELLE  2000  :  471).  

93  Comme  le  note  OLIVELLE  1998b  :  184,  n.1,  son  cas  est  exemplaire   :   il  était  «  one  philologist  who  did  have  a  healthy  mistrust  of  philological  reconstructions  divorced  from  or  contrary  to  manuscript  evidence.  »    

36     Article  Journal  Asiatique        traduisent  donc  :  les  nuances  tiennent  dans  le  degré  de  reconnaissance  de  la  dette  et  les  réserves,  émises  éventuellement  en  note,  sur  le  texte  et  la  traduction  qui  en  résulte.  Certains,   à   l'instar   des   traducteurs   indiens,   font   comme   si   de   rien   n'était.   V.   Roebuck   (ROEBUCK   2000  :  245)  traduit  :  

«  'I  am  the  mover  of  the  tree,     Fame,  like  the  top  of  the  mountain.  As  a  purifier  above,     I  am  true  nectar  in  the  racehorse,  A  radiant  treasure,     Truly  intelligent,  immortal,  indestructible.'  Such  is  Tri‡a©ku's  teaching  on  the  Veda.  »    

Aucune  note  ne  vient  avertir  le  lecteur  d'un  problème  d'édition,  ni  du  fait  que  l'auteur  traduit  non  pas  le  texte,   mais   une   partie   de   l'interprétation   de   Ωaµkara.   La   traduction   est   un   mélange   plus   ou   moins  cohérent   de   plusieurs   options.   Traduisant   ºrdhvapavitro   væjinÚvasvam®tam,   V.   Roebuck   dit   :   «  As   a  purifier  above,  I  am  true  nectar  in  the  racehorse  »  et  ajoute  en  note  «  væjin,  i.e.  the  sun  ».  Comme  le  texte  n'est  pas  édité  dans  cet  ouvrage  et  que  rien  n'est  expliqué  dans  la  note,  le  lecteur  ne  peut  deviner  que  c'est  væjin   traduit   par   «  racehorse  »   dont   on   dit   qu'il   pourrait   désigner   le   soleil.   Comment   il   est   possible   de  passer  du  sens  de  «  cheval  de  course  »  à  celui  de  «  soleil  »  n'est  pas  non  plus  expliqué.  Les  meilleurs  comme  E.  Lesimple  (1978  :  23-­‐24)  «  Je  suis  celui  qui  meut  l'arbre.  Ma  renommée  est  comme  la  cime  d'une  montagne.  Suprêmement  pur,  je  suis  comme  la  bonne  ambroisie  dans  le  coursier.  Je  suis  un  trésor  éclatant.  Sage,  immortel,  impérissable.  Ainsi  est  l'enseignement  du  Veda  par  (le  poète)  Triçanku.  »  font  de  même,  mais  signalent  en  note  le  problème  textuel  et  la  possibilité  de  comprendre  autrement.  Mais  curieusement  le  traducteur  veut  ignorer  que  Ωaµkara  est  à  l'origine  de  l'interprétation  et  attribue  «  l'arbre  du  monde   qui   doit   être   secoué  »   à   «  Max  Müller  »   ou   «   abattu  »   à   «  Roër  ».   En   revanche,   le   traducteur  suggère  que  la  lecture  originelle  a  pu  être  une  «  action  prêtée  à  Indra  et  aux  Marut  qui  secouent  l'arbre  et  la  montagne  pour  en  faire  tomber  des  biens  ».  Mais,  il  ne  justifie  pas  une  telle  lecture  védique,  ni  comment  rerivæ  peut  avoir  cette  signification.  Il  fait  aussi  allusion  à  une  «  lecture  »  où  l'on  reconnaît  Ωaµkara,  lequel  n'est   pourtant   pas   nommé,   et   conclut   que   «  l'interprétation   authentique   est   très   probablement   sur   la  lecture  væjinÚvasu–am®tam  qui  donne  le  sens  de  :  riche  en  coursiers.  Le  composé  væjinÚvasu  est  attesté  dans   le   Rg   Veda,   comme   épithète   d'Indra   et   des   Açvins.  »   Outre   que   væjinÚvasu   signifierait   'riche   en  coursières'  ou  'riche  en  cavales',   la  question  plus  générale  du  genre  des  mots  (væjinÚvasu  est  un  neutre,  aham   un   masculin)   induisant   un   problème   de   syntaxe   est   ignorée.   Le   seul   qui   manifestement   voit   le  problème   du   genre   est   W.   Rau   1981   (cf.   §   17).   Au   total,   les   informations   données   par   É.   Lesimple  reprennent   et   dépassent   celles   de   P.   Deussen.   Bien   que   fragmentaires,   elles   donnent   bien   au   lecteur  l'information   nécessaire   pour   qu'il   sache   qu'il   y   a   un   problème   de   texte,   et   que   les   commentateurs  indigènes   ont   envisagé   plusieurs   interprétations.   En   revanche,   il   surestime   les   traducteurs   occidentaux  antérieurs.    P.  Olivelle   a  publié   (1996  et  1998a)  deux   traductions  de   toutes   les  UpaniÒad   anciennes  ;   elles  diffèrent  quelque  peu   ici  et   là,   tandis  que   les  notes  sont  plus  abondantes  dans   le  second  ouvrage.  Le  changement  principal  tient  à  la  présence  dans  le  second  ouvrage  d'une  édition  en  nægarÚ  des  textes  traduits  en  vis-­‐à-­‐vis.   C'est   manifestement   ce   travail   d'édition   qui   a   conduit   l'auteur   à   examiner   les   travaux   de   ses  devanciers,   notamment   ceux   de   BÖHTLINGK   1889,   etc.   et   de   LIMAYE-­‐VADEKAR   1958,   et   à   consigner   ses  observations   dans   les   notes   et   surtout   dans   un   article   important   (OLIVELLE   1998b).   En   l'occurrence,   la  traduction  du  passage  en  question  est  identique  dans  les  deux  ouvrages  (1996  :  183  et  1998a  :  297)  :  

«  I  am  the  shaker  of  the  tree!  My  fame  is  like  a  mountain  peak!  

immaculate  up  on  high,  immortal  wealth  of  victory,  

I  am  a  treasure  shining  bright!  Undecaying,  immortal,  and  wise!  

This  was  the  vedic  recitation  of  Tri‡a©ku.  »    L'auteur   dit   que   le   vers   est   très   obscur   (1996   :   358).   Il   pense   que   l'émendation   de   W.   Rau   1981   est  plausible   (1998a   :   574)   et   signale   en   note   le   sens   qui   en   résulterait.   S'il   n'explique   pas   ses   choix,  notamment   les   traductions   de   rerivæ,   de   væjinÚvasv   am®tam   préféré   à   væjinÚva   svam®tam,   de  

37     Article  Journal  Asiatique        am®to'kÒitaÌ  préféré  à  am®tokÒitaÌ,  les  notes  signalent  plusieurs  possibilités  et  montrent  les  hésitations  du   traducteur   qui   doit   choisir   sans   disposer   de   tous   les   éléments   de   décision.   Nous   avons   vu   que   la  compréhension   de   anuvacana   dans   l'expression   vedænuvacana   posait   quelques   problèmes   aux  commentateurs  et  traducteurs  indiens  :  les  traducteurs  hésitent  entre  ‘enseignement’,  ‘récitation’.  On  voit  quelle  option,  minimale,  P.  Olivelle  a  suivie.  Il  traduit  vedænuvacana  par  'vedic  recitation'  comme  il  le  fait  dans   BÆU   IV.4.22.   C'est   certainement   une   bonne   solution   notamment   parce   que   anu-­‐VAC   peut   être  rapproché   de   anuvæka   'répétition',   lequel   peut   signifier   'récitation'   (cf.   MALAMOUD   1977  :   141)  ;   ainsi  prætaranuvæke  signifie  'pendant  la  cantilation  du  matin',  («  the  morning  litany  »  selon  J.  Gonda).  Mais  elle  n'est  pas  entièrement  satisfaisante  parce  que  justement  le  vocabulaire  précis  pour  dire  le  fait  de  réciter  du  Veda  existe  et  qu'on  ne  voit  pas  pourquoi  le  ou  les  auteurs  du  TÆ,  le  connaissant  d'autant  mieux  que  c'est  dans   le   TÆ   (II.15)   que   le   principe   de   cette   cantilation   est   prescrit,   l'auraient   écarté   pour   adopter   une  expression  nouvelle  et  peu  claire.  Dans  les  traductions,  il  faut  aussi  tenir  compte  du  fait  que  «  enseigner  le  Veda  »,  pratiquement,  vaut  pour  «  réciter  »  ou  «  faire  réciter  ».  Au  total,  la  traduction  de  P.  Olivelle  me  semble  la  meilleure  ;  celui-­‐ci  possède  l'art  d'esquiver  les  difficultés  sans   les  masquer.   Il   est  parfois  aidé  par   sa   langue  de   traduction   :   en  anglais,   l'usage  du  neutre  pour   les  mots  désignant  des   inanimés  permet  d'ignorer   le  problème  des  genres,   lequel  est  patent  en  sanskrit,  en  allemand   et   en   français.   On   peut   néanmoins   s'interroger   sur   les   raisons   qui   ont   poussé   l'auteur   à  intervertir   les   éléments   de   sumedhæ   am®tokÒitaÌ   dans   sa   traduction  :   «  wise,   immortal,   undecaying  »  s'imposaient.    25.  On  a  déjà  noté  à  propos  de  la  traduction  de  W.  Rau  (§§  16-­‐7)  quelques-­‐unes  des  caractéristiques  des  traductions  occidentales.  Celle  de  W.  Rau  occupe  une  position  extrême  dont   l'autre  est  constituée  par   la  traduction   de   P.   Olivelle.   Au   total   on   constate   que   ces   traductions   sont   fortement   endettées   envers   O.  Böhtlingk  pour  la  lettre  du  texte  et  P.  Deussen  pour  sa  traduction.  C'est  à  travers  eux,  semble-­‐t-­‐il,  que  les  traducteurs   sont   reliés   à   la   tradition   indienne   des   commentateurs.   Parmi   ces   derniers,   si   Ωaµkara  s'impose,   c'est   généralement   sans   que   son   nom   et   son   interprétation   soient   clairement   identifiés   et  assumés94.  Si   les  traductions  indiennes  ont  tendance  à  transformer  le  texte  en  un  prétexte  pour  faire  un  exposé  d'Indian  Spirituality  ou  d'Indian  Philosophy,  les  maîtres  occidentaux  de  l'indianisme  (F.  Max  Müller,  P.  Deussen,  l'élève  indianiste  de  A.  Schopenhauer  aux  mânes  duquel  sa  traduction  est  dédiée)  n'ont  pas  été  en  reste  à  cet  égard.  A   propos   de   ces   traductions,   on   sent   sourdre   constamment   la   question   du   statut   des   savoirs   indigènes  lettrés95.   Quel   crédit   doit-­‐on   leur   donner?   Comment   les   utiliser?   Nous   avons   noté   par   ailleurs   (ANGOT  2006a)  combien  ces  commentaires  sont  faiblement  analysés  (quelle  est  leur  méthode?  leurs  sources?  leur  finalité?  leur  auditoire?  etc.).  Or  ils  sont  constamment  utilisés  par  les  traducteurs  qui  ne  signalent  pas,  ou  seulement  incidemment,  leur  dette.  Le  cas  de  cette  strophe  est  exemplaire  :  il  est  impossible  de  la  traduire  totalement,  notamment  à  cause  de  rerivæ,  et  tous  ceux  qui  se  prononcent  sont  d'accord  pour  déclarer   la  strophe  obscure  dans  son  ensemble.  D'où  vient  alors  la  clarté  des  traductions?  Pourquoi,  comment,  font-­‐elles  disparaître  l'obscurité  du  texte,  laquelle  est  affirmée  en  note?  Le  contraste  entre  l'obscurité  attribuée  à   l'original   et   la   clarté   de   la   traduction   provient   du   fait   que   les   commentaires   sont   importés   par   les  traducteurs.  Ainsi,  si   l'on  ne  recourt  pas  à  un  commentaire  qui  affirme  que  rerivæ  signifie   'remueur'  (ou  quoi  que  ce  soit  d'autre),   il   est   impossible  de   traduire.  L'endettement  est  nécessaire,   sauf  à   remettre  en  cause  le  principe  même  de  la  traduction,  mais  il  n'est  pas  toujours  signalé  ni  analysé.    Plus   généralement,   alors   que   ces   «  maîtres  de   la   philologie   védique  »   voudraient,   à   l'instar   de   S.   Lévi96,  complètement  autonomiser  le  corpus  védique  ou  upaniÒadique  et  le  soustraire  à  l'interprétation  indigène  pour  qu'on  entende   le   texte  en   lui-­‐même,  simultanément,   ils   sont  obligés  d'avoir   recours  à  celle-­‐ci  pour  combler   ce   que   les   textes   peuvent   avoir   de   lacunaire,   d'énigmatique,   etc.   Cela   ne   gêne   pas   les  commentateurs   indigènes   dans   une   civilisation   qui   «  impose   sa   permanence   comme   objet   de  

                                                                                                               94  Parmi  les  multiples  traductions  de  ce  verset  inspirées  par  Ωaµkara,  mais  sans  reconnaissance  de  paternité,  

citons   celle   de   JORDENS   1966   :   13-­‐14   :   «  This   discovery   of   the   treasure   of   immortality   is   triumphantly   expressed   in  Trishanku's  recitation:  "  I  am  the  mover  of  the  tree;  my  fame  is  like  a  mountain's  peak.  The  exalted  one  making  (me)  pure  as  the  sun,  I  am  the  immortal  one.  I  am  a  shining  treasure,  wise,  immortal,  indestructible!"  »  Dans  le  même  article,  l'auteur   (p.   1,   n.   2)   signale  que   les   traductions  des  UpaniÒad   sont   siennes  mais  qu'il   est   endetté   auprès  des   «  great  translations   of   Deussen,   Max  Muller,   Hume   and   Radhakrishnan.   L'obscurité   du   texte   originel   et   l'interprétation   de  Ωaµkara  sont  ignorées.    

95  Expression  reprise  de  LARDINOIS  1998  :  360.  96  Voir  de  S.  Lévi,  «  Abel  Bergaigne  et  l'indianisme  »  in  Mémorial  Sylvain  Lévi,  Paris  :  Paul  Hartmann,  1937  :  1-­‐

15.  

38     Article  Journal  Asiatique        croyance  »97  :   ils   ont   l'habitude   de   juger   sub   specie   aeternitatis.   En   revanche,   cela   gêne   les   philologues  occidentaux  et   leur  conscience  historique,  cela  gêne  les  anthropologues  ou  les  sociologues  qui   jugent   les  productions   littéraires   et   philosophiques   en   s'appuyant   notamment   sur   les   conditions   sociales   de   la  production   littéraire.  Or,  en   Inde,   tout  cela  reste   largement   ignoré  ou  hypothétique.  Même  si  adopter  ce  principe  est  moins  gênant  pour  les  textes  «  récents  »  qui,  de  fait,  se  trouvent  alors  expliqués  par  les  textes  plus  anciens,  le  problème  se  pose  de  manière  aiguë  pour  les  textes  anciens  où  les  textes  de  l'amont  (par  ex.  l'UpaniÒad)   sont   expliqués   et   complétés   par   des   textes   et   des   principes   de   l'aval   (le   commentaire   de  Ωaµkara  érigé  en  veda,  etc.)  et  débouchent  sur  l'anachronicité  que  signale  P.  Olivelle  (1996  :  358).  Enfin,   notons   que   si   de   telles   interprétations   relèvent   aussi   de   l'histoire   de   la   réception   des   textes  sanskrits  en  Occident,  histoire  dont  l'étude  a  été  entamée  depuis  quelques  décennies  (notamment  par  W.  Halbfass,  L.  Kapani,  etc.),  les  derniers  traducteurs  tiennent,  à  titre  de  principe,  à  considérer  les  textes  pour  ce   qu'ils   disent   plus   que   pour   ce   qu'ils   sont   censés   nous   dire.   Mais,   dès   lors,   guette   le   danger   des  traductions  dégagées  de  tout  contexte  :  la  traduction  risque  de  devenir  une  île  sans  contact,  un  fil  dégagé  du  tissu  auquel  il  appartient.  C'est  un  peu  ce  qu'on  ressent  avec  les  traductions  de  P.  Olivelle.  Aussi,  si  l'on  veut  ne  pas  demeurer  sous   l'emprise  des  commentaires  ultérieurs,   il  nous  paraît  nécessaire  de  placer   le  verset   (et   toute   l'UpaniÒad)   dans   le   seul  milieu   qu'on   lui   connaisse   avec   certitude,   à   savoir   son  milieu  littéraire.   Ainsi   en   va-­‐t-­‐il   de   la   TU  :   en   la   reliant   aux   autres   UpaniÒad   védiques,   à   la   littérature  contemporaine  (celle  de  Pæ◊ini,  de  Yæska)  et  à  celle  qui  précède  (le  Veda),  on  peut  espérer  enter   in  the  Vedic   mind   (WITZEL   1996)   et   traduire   l'UpaniÒad   en   conséquence.   En   revanche,   pour   comprendre  l'UpaniÒad,  il  faudrait  se  garder  de  faire  parler  les  textes  plus  récents.  Comprendre  Ωaµkara  comprenant  l'UpaniÒad  permet  de  rendre  compte  de  Ωaµkara  et  non  de  l'UpaniÒad.    26.  Le  fait  est  d'autant  plus  important  que  l'Inde  moderne  qui,  rappelons-­‐le,  n'a  jamais  été  que  moderne98,  à  la  recherche  de  son  identité,  veut  indianiser  ce  qui,  jusqu'à  une  date  tardive  (le  XVIIIe  siècle  peut-­‐être),  avait  toujours  été  une  parole  spécifiquement  brahmanique  et  non  la  littérature  d'une  nation.  Par  ailleurs,  cette  littérature,  notamment  les  UpaniÒad,  parce  qu'elle  devait  faire  sa  place  dans  la  taxinomie  des  savoirs  occidentaux,  est  finalement  devenue  philosophy.  L'hésitation  entre  religion  et  philosophie,  encore  possible  quand   A.   B.   Keith   écrit   The   Religion   and   Philosophy   of   the   Veda   and   Upanishads,   n'est   plus   de   mise  aujourd'hui.  C'est  ainsi  qu'une  partie  de  la  tradition  d'érudition  des  brahmanes  est  devenue,  aussi  bien  en  Inde   qu'en   Occident,   Indian   Philosophy.   P.   Hacker99   notamment   et   bien   d'autres   ont   remarqué   que   le  nationalisme,   s'il   est   une   composante   de   l'identité   indienne   importée   d'Occident,   s'est   exercé   en  particulier   au   niveau   culturel.   Dans   l'Inde   moderne   et   contemporaine,   cette   prétention   philosophique  alliée   à   la   volonté   de  nationaliser   une   littérature   originellement   non  nationale   s'appuie   sur   une   lecture  complaisante   des   textes   anciens.   Les   deux   épithètes   Indian   et   Philosophy100   (moins   souvent,   «  Indian  

                                                                                                               97  BIARDEAU  1968.  98  Malheureusement,  non  seulement  les  Indiens,  mais  aussi  les  chercheurs  occidentaux  parlent  régulièrement  

de  «  l'Inde  ancienne  »,  accréditant  la  notion  de  la  pérennité  de  l'Inde  :  si  l'on  parlait  de  «  France  ancienne  »  ou  même  de  «  l'Europe  ancienne  »,  beaucoup  d'historiens,  à  juste  titre,  dénonceraient  l'anachronisme  (encore  qu'on  a  créé  un  topos  du   savoir   nommé  «  Histoire   de   l'Europe  »   et   que  des   livres   portant   ce   titre   ont   été   publiés   récemment).  Mais,   dans  l'ensemble,  le  recours  à  des  cadres  modernes  qu'on  applique  à  des  réalités  anciennes  définit  l'anachronisme.  Imagine-­‐t-­‐on  dire  que   l'italien  César   a   envahi   la   France   avec   ses   légions  quatre   siècles   avant  que   l'algérien   (ou   le   tunisien?)  Augustin  ne  compose  De  Civitate  Dei?  En  revanche,  c'est  bien   l'Inde  qui  à  partir  du  XIXe  siècle,   se  construisant  et  se  définissant   dans   le   présent,   supposait   que   nécessairement   elle   avait   un   passé  ;   de   la  même  manière   que   la   France  s'annexait  «  nos  ancêtres  les  Gaulois  »,  l'Inde  transformait  les  ouvrages  des  brahmanes  en  Indian  Philosophy.  

99  «  Bien  que  le  nationalisme  [en  Inde]  soit  en  fin  de  compte  une  importation  de  l'Occident,  sa  signification  y  est  quelque  peu  différente.  La   fierté  nationale  en   Inde  n'est  pas  d'abord   fondée  sur  quelques  souvenirs  de   l'histoire  politique   ou   sur   des   idéaux   politiques   mais   sur   la   conscience   de   réussites   du   pays   dans   l'ordre   de   la   culture,  particulièrement   de   la   culture   religieuse  »   (traduit   de   P.   HACKER   1978   :   606   et   1995   :   251).   Il   demeure   curieux  d'affirmer  que  les  œuvres  de  Ωaµkara  sont  des  réussites,  et  des  réussites  du  pays,  mais  il  est  exact  qu'aujourd'hui  elles  sont   senties   et   présentées   de   la   sorte.   Je   soupçonne  malignement   P.   Hacker   d'adhérer   germaniquement   à   de   telles  conceptions.  

100   Les   aléas   de   la   notion  d'Indian  Philosophy   nécessitent   des   études   spécifiques.   Poser   la   question   :   «  Dans  quelle  mesure  y  a-­‐t-­‐il  une  philosophie  indienne  ?  »,  comme  le  fait  BUGAULT  1994  et  y  répondre  finement  n'épuise  pas  le  sujet.  D'autres  questions  subsistent  :  Pourquoi  les  chercheurs  occidentaux  veulent-­‐ils  trouver  de  la  philosophie  en  Inde  ?   Est-­‐il   concevable   que   la   philosophie   indienne   soit   différente   de   la   philosophie   en   Inde   ?   Pourquoi   les   Indiens  tiennent-­‐ils  à  cette  notion  ?  On  imagine  que  les  réponses,  le  plus  souvent  implicites,  à  ces  questions  ont  varié  avec  le  temps  et  que,  touchant  les  susceptibilités  nationales,  elles  ne  sont  pas  aisées  à  formuler.  Ce  sont  ces  questions  qui  sont  abordées  à  propos  de  la  Chine  dans  l'excellent  «  Y  a-­‐t-­‐il  une  philosophie  chinoise  ?  Un  état  de  la  question  »,  Extrême-­‐

39     Article  Journal  Asiatique        Spirituality  »)  doivent  être  soigneusement  pensées  car  elles   influencent  toutes   les  traductions   indiennes  et  beaucoup  des  traductions  occidentales  et  scientifiques.  En  l'occurrence,  c'est  l'aspect  philosophique  qui  importe   alors   que   l'appartenance   de   ces   textes   à   la   catégorie   «  philosophie  »   fait,   aujourd'hui,   presque  l'unanimité  en  Inde  et  est   largement  acceptée  en  Occident  (on  rencontre  pourtant  des  ultras  indiens  qui  refusent  cette  épithète).  Le  Journal  of  Indian  Philosophy  a  officialisé  cette  prétention,  et  la  revue,  servie  par  des  auteurs  de  talent,  étudie  les  textes  brahmaniques,  bouddhiques  et  jaïna  anciens  :  dans  cette  revue,  il  ne  s'agit  pas  de  faire  connaître  ou  de  développer  la  philosophie  en  Inde,  mais  d'étudier,  en  général  en  face  et   en   rapport   avec   la   «  Western   Philosophy  »,   les   textes   prétendument   philosophiques   des   anciens  brahmanes   et   ‡ramanes   intégrés   dans   la   catégorie   «  Indian   Philosophy  »101.   Ce   n'est   pas   le   lieu   ici  d'étudier   les   formes  de   ce  nationalisme   subtil   et   intelligent.   Prenons  un   exemple  plus   grossier   de   cette  prétention,  à  savoir  celui  qui  est  donné  par  THAKUR  1997  à  propos  du  Nyæya.  Je  choisis  cette  œuvre  parce  que   le  Nyæya  est  certainement,  ainsi  que   l'avait  noté  BUGAULT  1994   :  42,  un  des  savoirs  brahmaniques  qu'on  peut  légitimement  assimiler  à  la  philosophie,  ce  qui  n'est  certainement  pas  le  cas  de  Ωaµkara  que  je  comparerais   plus   volontiers   au   Docteur   angélique,   Thomas   d'Aquin.   L'auteur   a   réalisé   l'édition   la   plus  récente   d'un   des   textes   fondateurs   du   Nyæya,   terme   qu'on   traduit   génériquement   par   «  Logique  ».  L'ouvrage   comprend   le   Sºtra   attribué   à   AkÒapæda   Gautama   et   le   commentaire   de   Vætsyæyana   alias  PakÒilasvæmin.   Les   dates   du   premier   surtout,   mais   aussi   du   second,   sont   discutées   :   le   Sºtra   est  certainement   une  œuvre   composite   et   il   semble   que   le   GautamÚyasºtra   était   composé   ou   en   voie   de  composition  à  l'époque  de  Nægærjuna  (qui  le  critique  dans  sa  VigrahavyævartanÚ).  Cela  le  placerait  vers  le   Ier  ou   le   IIe   siècle  de  notre  ère.  Quant  à  Vætsyæyana,   il   aurait  vécu  pendant   la  première  moitié  du  Ve  siècle.  Lisons  maintenant   la   jaquette   (p.  4)  de   l'ouvrage  en  question  où  sont  présentés   les  deux  auteurs  (12   lignes  pour   chacun).  On   imagine  que   l'éditeur  de   l'ouvrage  n'a   pu   ignorer   ces   lignes  ;   comme   il   est  l'auteur  de  la  préface,  on  attend  même  qu'il  ait  rédigé  ces  deux  «  biographies  »  qui  ne  sont  pas  signées.  On  apprend  (citation   intégrale)  que  «  AkÒapæda  Gautama  is   the  earliest  known  logician   in  the  world.  He   is  known  to  the  Mahæbhærata  and  the  Khord  Avesta.  Aristotle  wrote  deductive  Logic  in  the  western  world  and  its  supplement,  the  Inductive  Logic,  took  proper  shape  in  the  hands  of  John  Stuart  Mill  after  several  centuries.   But   both   induction   and   deduction   were   systematized   by   AkÒapæda   much   before   Aristotle.  Since  then,  AkÒapæda's  logic  has  been  guiding  Indian  thinking  through  its  successive  phases  down  to  the  present  day.  »  Même  si  l'expression  Indian  Philosophy  manque  dans  cette  notice  (elle  est  employée  dans  la  notice  suivante  consacrée  à  Vætsyæyana),  voilà  un  bon  exemple  où  sont  réunies  certaines  des  prétentions  indiennes  contemporaines.  La  datation  est  manipulée  ;  les  noms  des  auteurs  plus  récents  sont  confondus  avec  leurs  homonymes  plus  anciens  (Gautama  est  un  nom  commun  dans  l'Antiquité)  ;  les  études  sérieuses  et  argumentées  qui  montrent   le  caractère  composite  de   l'œuvre  sont   ignorées  ;   la   taxinomie  des  savoirs  brahmaniques  et  donc  indiens  est  écartée  au  profit  de  la  taxinomie  occidentale  (réputée  plus  prestigieuse  ou  plus  universelle?)  bien  que  les  Nyæya-­‐Sºtra  et  Nyæya-­‐BhæÒya  soient  loin  d'être  des œuvres  de  logique  :  la  section  réservée  au  syllogisme  et  à  l'inférence  n'occupe  qu'une  partie  très  minoritaire  de  l'ensemble  des  sºtra  et  de  leurs  commentaires  par  Vætsyæyana.  Les  affirmations  de  cette  notice,  notamment  la  référence  à   l'Avesta,  ne  sont  corroborées  d'aucune  manière  dans  l'ouvrage  ni  dans  aucun  ouvrage  de  la  collection.  Manifestement,   l'essentiel   c'est   la  priorité  du  Nyæya,   assimilé   à   la   logique,   sur  Aristote   et   l'Occident   en  général.   Ce   qui   importe,   c'est   d'affirmer   que   ce   sont   des   penseurs   indiens   qui   ont   inventé   la   logique,  Aristote  et  l'Occident  n'ayant  fait  que  les  suivre.  Gautama  aurait  été  bien  surpris  d'apprendre  qu'il  était  un  représentant   de   l'Indian   thinking.   Que   cet   ouvrage   ait   la   caution   de   l'Indian   Council   of   Philosophical  Research,  New  Delhi,   en  dit   long  sur   la  pénétration  de  ces   idées  dans   la  conscience  des  auteurs   indiens  contemporains.  Tout   cela   permet   de   comprendre   certains   aspects   des   traductions,   et   surtout   des   explications   qui   les  accompagnent.   Cela   vaut   d'abord   pour   les   traducteurs   indiens.   Remarquons   que   les   composantes  nationale   et   philosophique   sont   plus   ou   moins   présentes   selon   le   public   visé.   Par   exemple,   dans   les  ouvrages  de  S.  K.  RAMACHANDRA  RAO  (1998a  et  b),   la  nature  philosophique  des  UpaniÒad  est   largement  ignorée,  tandis  que  leur  caractère  philosophique  et  national  est  proclamé  dans  les  traductions  citées  au  §  21.  Dans  le  Journal  of  Indian  Philosophy,  le  titre  est  en  lui-­‐même  une  déclaration  d'intention.    

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   Orient   Extrême   Occident   27,   Presses   Universitaires   de   Vincennes,   2005.   On   souhaiterait   un   débat   de   cette   nature   à  propos  de  l'Inde.  

101   Dans   l'introduction   que   nous   avons   rédigée   à   propos   d'une   traduction   du   Nyæya-­‐BhæÒya   encore   en  chantier   (un   texte   qui   entre   bien  mieux   que   l'UpaniÒad   dans   la   catégorie   «  philosophie  »),   nous   avons   longuement  étudié  la  nature  du  travail  d'appréciation  des  textes  brahmaniques  par  les  indianistes  indiens  (qui  refusent  en  général  cette  appellation).  

40     Article  Journal  Asiatique        27.   Il   est   remarquable   que   presque   tous   les   commentateurs   et   tous   les   traducteurs   ignorent   l'aspect  sonore  du   texte.  Le  père  de  Ωaµkara  était  un  Yajur-­‐vedin  TaittirÚya   (selon  notamment  DASGUPTA  1932  [1re  éd.,  1922,  vol.   I  p.  433]  et  PANDE  1994  :  78  et  n.  31).  D'après  ces  sources,  Ωaµkara  étant  TaittirÚya,  quand  il  a  commenté  l'UpaniÒad,  il  était  donc  susceptible  de  réciter  la  TU  au  titre  du  svædhyæya  dont  il  se  fait  le  promoteur  régulièrement102.  Les  auteurs  indiens  traditionnels  affirment  que  la  TU  fut  la  première  UpaniÒad   commentée   par   Ωaµkara103.   Pourtant,   celui-­‐ci   a   considéré   l'UpaniÒad   sous   son   seul   aspect  sémantique  en  négligeant  constamment  l'opposition  entre  la  poésie  et  la  prose,  en  ignorant  les  divisions  en  anuvæka,  en  écartant  tout  ce  qui  est  du  domaine  de   la  cantilation  et  de   la  performance104.  Même  s'il  signale   à   l'occasion   qu'il   s'agit   d'une   'stance'   (qu'il   nomme  ®c,   ‡loka   ou  mantra),   il   n'en   tire   aucune  conséquence.   Tout   à   fait   remarquable   sur   le   plan   philosophique   et   idéologique,   son   commentaire  transforme  en  profondeur  la  nature  de  l'UpaniÒad  et  la  réduit  à  un  simple  exposé  didactique.  Son  souci  de  rationalité,   sa  volonté  d'unifier  ce  qu'il   considère  dans   les  UpaniÒad   comme  une  diversité  de  surface,   le  conduisent  à  ignorer  toute  la  partie  non  doctrinale  de  l'œuvre.  La  forme  du  texte  n'est  pas  ce  que  retient  Ωaµkara   qui   considère   la   révélation   védique   comme   étant   didactique   :   le   Veda   est   une   parole   de  professeur  qui   s'adresse  pour  partie   (dans   la   section  de   la   connaissance,   c'est-­‐à-­‐dire   les  UpaniÒad)   aux  mumukÒu   'aspirants   à   la   délivrance'.   Ωaµkara   a   tracé   la   voie   :   les   commentateurs   vedæntin   ultérieurs  commentent   ou   interprètent   l'UpaniÒad   sous   ce   seul   angle.   Vidyæra◊ya   dans   son   TaittirÚyaka-­‐vidyæ-­‐prakæ‡a  ne  commente  que  la  seconde  vallÚ  de  l'UpaniÒad,  celle  qui  enseigne  la  brahmavidyæ105.  En  revanche  Bha††a  Bhæskara  (cf.  §  14)  montre  son  souci  de  la  forme  et  dans  son  commentaire,  il  n'y  a  pas  une  seule  page  où  la  question  de  la  tonalité  (donc  de  la  performance)  ne  revient  pas.  Les  quelque  400  sºtra  de  tonalité  de  Pæ◊ini  sont  constamment  sollicités.  Manifestement,  Bha††a  Bhæskara  écoute  et  récite  là   où   Ωaµkara   et   ses   successeurs   vedæntin   discutent   et   argumentent.   Le   verset   en   question   de   la  TaittirÚya-­‐UpaniÒad   faisant   partie   de   la   Ωruti,   la   révélation,   on   imagine   bien   que   des   textes   compris  comme  étant   religieux   soient   chantés  ou  psalmodiés   au  même   titre  que   les  Psaumes  et  de  nombreuses  parties  de  la  Bible,  et  de  bien  d'autres  «  textes  »  sacrés  qui  ont  été  mis  en  musique  :  le  traitement  musical  est   général   pour   ce   qu'une  Tradition   considère   comme   sacré.   C'est   ce   que   reflète   à   sa  manière  Bha††a  Bhæskara  qui,  sans  ignorer  le  sens  du  texte,  privilégie  sa  forme  (grammaticale,  musicale  et  métrique).    Cela   est   le   reflet   de   la   différence   d'appartenance   que   nous   signalions   au   début   de   cette   étude   (cf.   §   4).  Aujourd'hui   encore,   cette   différence   d'appartenance   garde   son   actualité   en   prenant   de   nouveaux  caractères,  parfois  surprenants,   idéologiques  et  même  politiques.  Car,  comme  Ωaµkara,  certains  scholars  indiens,   même   si   c'est   pour   d'autres   raisons,   surestiment   les   composantes   sémantique   et   idéologique.  Quand   il   s'agit   de  montrer   que   la   pensée  des  brahmanes   (rebaptisée   «  Indian  Philosophy  »)   peut,   voire  doit,   rivaliser   avec   la   philosophie   occidentale,   l'aspect   formel   du   texte   est   purement   écarté.   Comme   la  récitation   ou   la   cantilation   de   l'UpaniÒad,   ou   encore   le   chant   du   Sæma-­‐Veda,   etc.,   ne   font   pas  philosophiquement  sérieux,   les  brahmanes  reconvertis  dans   l'enseignement,  devenus   scholars,   ont  donc  ignoré   l'aspect  sonore  du   texte  ;  beaucoup  d'entre  eux  sont  d'ailleurs   tout  à   fait   incapables  de   le  réciter  convenablement.  Quand  l'UpaniÒad  est  récitée,  elle  ne  l'est  généralement  pas  par  ceux  qui  l'étudient,  et  je  connais   bien   peu   d'Indian   scholars   (sans   parler   des   Occidentaux)   dont   la   lecture   se   conforme   à   la  récitation  traditionnelle.  La  cantilation  est  devenue  lecture,  et   la   lecture  est  devenue  silencieuse  et  donc  sémantique.  Même  S.  K.  RAMACHANDRA  RAO  (1998a  et  b)  ne  parle  guère  de  la  récitation  :  pour  lui  c'est  le  sens   des   UpaniÒad   qui   importe.   Les   récitants   indiens   existent   pourtant   bien.   Ils   se   partagent  principalement   en   deux.   Il   y   a   ceux   qui,   voulant   rendre   (et   souvent   promouvoir,   voire   vendre)   la  «  spiritualité  »   de   l'Indian   Philosophy   en   Inde,   parfois   en   Occident,   rivalisent   souvent   de   niaiseries  

                                                                                                               102   Outre   le   BSBh   I.1.1   (début  ;   trad.   RENOU   1951   :   7)   où,   en   continuité   avec   Ωabara,   Ωaµkara   fait   de   la  

cantilation   du   Veda   le   préalable   à   la   brahmajij~æsæ,   le   Sopænapa~caka   alias   l'Upade‡apa~caka,   ‡l.   1   affirme  :   vedo  nityam   adhÚyatæm   «  Le   Veda   doit   être   récité   [comme   rite]   nécessaire  »,   c'est-­‐à-­‐dire   comme   rite   journalier.   Il   est  probable  que  l'ouvrage  est  apocryphe,  mais  cette  obligation  reflète  justement  la  pratique  des  successeurs  de  Ωaµkara  et   la   phrase   est   aujourd'hui   régulièrement   citée   dans   certains   milieux   «  traditionnels  ».   Le   texte   est   publié   dans  ΩrÚ‡æµkaragraµthævaliÌ,  Complete  works  of  Sri  Sankaracharya  in  the  original  Sanskrit.  10  vol.,  Madras  :  Samata  Books,  1981-­‐83.  Vol.  II  :  Miscellaneous  Prakaranas,  p.  127.  

103  «  According  to  tradition,  this  was  the  first  Upanishad  on  which  Shri  Shankaracharya  commented  because  he  himself  belonged  to  the  Taittiriya  Shaka  »  dit  AGARWAL  2000.  La  notion  de  «  tradition  »  est  un  fourre-­‐tout  et  surtout  une  notion  de  l'hindouisme  contemporain.    

104   Nous   conservons   à   ce   mot   la   valeur   qu'il   a   en   anglais  ;   le   français   «  performance  »   ajoute   une   nuance  d'exception   à   la   chose,   qui   n'a   pas   lieu   d'être   ici   ;   performance   se   rapproche   donc   des   termes   'exécution'   ou  'réalisation'.  Il  est  donc  acquis  que  par  performance  nous  désignons  une  récitation  de  vive  voix.  

105  Brahmavallyæµ  brahmavidyæµ  TittiriÌ  præha  yæm  imæm  «  Tittiri  a  énoncé  la  connaissance  brahmique  dans  la  liane  du  brahman  »  (TVP  1ab).  

41     Article  Journal  Asiatique        douceâtres,  mélangent  l'UpaniÒad  avec  les  stotra  sucrés,  ajoutent  quelque  accompagnement  musical  et  se  croient   obligés   de   prendre   un   ton   «  profond  »   pour   donner   à   leur   cantilation   une   aura   mystique.   Ces  récitations  «  spirituelles  »  sont   lentes,  sur  un  ton  bas  et  parfois  sont   le   fait  d'un  groupe.  Quelquefois,   les  techniciens  ajoutent  un  écho  dans  l'enregistrement,  sans  doute  pour  faire  «  mystique  ».  Par  ailleurs,  nous  avons  rencontré  ici  et  là  d'excellents  récitants.  En  général,  la  cantilation  de  l'UpaniÒad  est  alors  le  fait  de  deux  brahmanes,  elle  est  dynamique  et  rythmée  ;  l'exécution  est  rapide  et  le  registre  est  l'aigu  106  ;  la  voix  est   constamment  vibrée.  Quand  on  discute   avec  eux,   c'est   toujours  des  problèmes  de  prononciation,  de  tonalité,  de  rapidité  dans  l'exécution,  de  hauteur  de  voix  qui  sont  abordés,  jamais  celui  de  la  signification  du  texte.  Quelque  mille  cinq  cents  ans  après  que  se  fut  constitué  le  corpus  védantique  au  regard  du  corpus  védique,  l'appartenance  de  la  TU  à  ces  deux  corpus  différents  (cf.  supra  §  3)  continue  à  être  d'actualité  et  à  être  à  l'origine  de  deux  approches  distinctes.    28.  Manifestement,  considérer  la  TaittirÚya-­‐UpaniÒad  comme  un  texte  philosophique  fait  plus  sérieux  que  l'envisager   comme  un   texte   religieux,   transmis   oralement,   chanté   de   surcroît.   Imagine-­‐t-­‐on   chanter  Die  Kritik   der   reinen   Vernunft,   le  Discours   de   la   Méthode   ou   l'Éthique   à   Nicomaque?   Dans   la   taxinomie   des  savoirs,   le  chant,   la  récitation,   la  cantilation,   l'oralité  en  général  ne  sont  pas  placés  au  même  rang  que  la  philosophie   et   la  métaphysique  :   la   taxinomie   accompagne   une   hiérarchie   des   savoirs,   laquelle   retentit  aussi   chez   ceux   qui   sont   les   professionnels   de   ces   savoirs  107.   En   Occident   comme   en   Inde   depuis  longtemps,   c'est   le   seul   aspect   sémantique  dont   on   rend   compte,   car   c'est   le   seul   que   l'on   estime.   C'est  aussi   la   seule   partie   que   l'on   peut   traduire   dans   les   langues   qui   comptent.   Les   études   consacrées   aux  textes  anciens  sous  leur  aspect  vivant  (par  exemple  les  travaux  de  J.E.B.  Gray,  W.  Howard108,  A.  Parpola  pour  le  Sæma  Veda)  sont  rares.  Même  les  études  portant  sur  les  traités  d'orthoépie  (STAUTZEBACH  1994)  ne  confrontent  pas,  ou  peu,  ce  que  disent  les  traités  avec  la  réalité  observable,  c'est-­‐à-­‐dire  écoutable109.    Par   ailleurs,   la   Ωruti,   dans   son   double   statut   de   texte   révélé   et   de   texte   prétendument   philosophique,  échappe  de  fait  aux  héritiers  de  leurs  auteurs  antiques.  La  Ωruti  des  brahmanes  est  devenue  la  révélation  pour  une  partie  notable  des  Indiens,  une  des  références  les  plus  importantes  de  l'identité  indienne  dans  son  «  désir  de  nation  »  (expression  de  J.  Assayag).  Comme  les  anthropologues  ou  les  ethnologues,  formés  méthodologiquement   à   l'école   de   l'Occident,   font   principalement   la   théorie   de   l'oralité   des   autres,   les  Indiens   ne   veulent   pas   que   les   textes   de   leur   révélation,   voire   eux-­‐mêmes   quand   ils   les   récitent,  deviennent   des   objets   ethnologiques.   Le   statut   philosophique   que   beaucoup   d'Indiens   et   certains  Occidentaux  accordent  aux  UpaniÒad   les  sauve  de  ce  regard.  En  revanche,  d'autres  ou  les  mêmes,  quand  ils  se  tournent  vers  leurs  compatriotes,  sont  moins,  voire  pas  du  tout,  enclins  à  présenter  ces  textes  dans  une   perspective   philosophique.   L'ouvrage   de   M.   Pathak,   consacré   à   l'ensemble   de   la   TU,   est   un   bon  exemple  d'un  regard  indien  dirigé  vers  les  Indiens  ;  la  TU  y  est  présentée  comme  une  sorte  d'encyclopédie  du   savoir   védique   (du   savoir   donc110)  :   l'auteur   y   énumère   et   décrit   des   savoirs   inattendus   ;   ainsi   le  chapitre  VIII  présente   la  TU  comme  une  œuvre   littéraire,  appréciée  à   l'aune  des   figures  de  style  définies  dans  le  Sæhityadarpa◊a111.  Plus  surprenant,  mais  bon  révélateur  de  la  valeur  encyclopédique  prêtée  par  l'auteur  au  Veda,  le  chapitre  IX  explique  la  contribution  de  la  TU  aux  autres  sciences  :  l'anatomie  (planches  à  l'appui),  la  physiologie,  l'astronomie  et  les  mathématiques.  Dès   lors,   le   souci   de   respectabilité   des   philologues   et   philosophes   occidentaux   ainsi   que   leurs   intérêts  d'une  part,  la  composante  nationaliste  de  l'Inde  contemporaine  dans  son  rapport  à  la  révélation  védique  

                                                                                                               106  Il  y  a  plusieurs  traditions  de  récitation  qui  se  maintiennent  principalement  dans  le  sud  de  l'Inde.  La  carte  

annexée  à  OLIVELLE  1996   :  xxxix  ainsi  que   les  articles  de  M.  Witzel,  notamment  WITZEL  1989,  donnent  une   idée  de   la  complexité  de  la  géographie  des  ‡ækhæ.  

107   Voir   les   remarques   pertinentes   de   R.   Lardinois   dans   «  Philologie,   histoire   et   anthropologie   dans  l'indianisme  universitaire  français  »,  JA  286.  1,  1998  :  380.  

108  GRAY  1959a  et  b  a  principalement  étudié  la  récitation  ®gvédique.  HOWARD  1986  ne  consacre  que  quelques  lignes  générales  (p.  191)  à  la  récitation  TaittirÚya  et  ne  traite  pas  de  l'UpaniÒad.  

109   STAUTZEBACH   1994  :   267-­‐274   cite   cinq   enregistrements   commerciaux   d’extraits   de   la   taittirÚya‡ækhæ  (cassettes  et  disques)  et  les  étudie  rapidement.  Même  là,  l’auteur  ignore  complètement  les  conditions  dans  lesquelles  ces  récitations  furent  enregistrées  et  quelles  en  étaient  la  fonction,  les  auteurs  et  les  destinataires.  Or  tout  cela  retentit  sur  la  qualité  de  la  récitation.    

110  «  Traditionally  (...)  in  the  field  of  modern  historical  research  too,  the  tendency  is  to  trace  the  source  of  all  thought  in  the  Vedic  texts.  This  claim  of  the  Veda  is  justified  and  there  is  'no  wander  that  later  should  regard  the  Veda  as  the  fountain  head  of  all  religion  and  philosophy'  »  (PATHAK  1999  :  160).  La  citation  revient,  selon  l'auteur  p.  164,  à  T.  Chaudhary,  History  of  Philosophy  Eastern  and  Western,  p.  52.  

111   Le   Sæhityadarpa◊a   'Miroir   de   la   composition'   de   Vi‡vanætha   date   du   XIVe   siècle.   Sans   être   original,   il  constitue  un  bon  résumé  des  ouvrages  de  poétique.  

42     Article  Journal  Asiatique        d'autre  part  s'allient  avec  la  volonté  de  Ωaµkara  et  des  autres  maîtres  spirituels  pour  ignorer  les  aspects  védiques  du  texte  et  privilégier  son  aspect  védantique,  c'est-­‐à-­‐dire  signifiant.  Bien  sûr  les  motivations  sont  différentes   à   l'origine   :   c'est   seulement   le   souci   du   hors-­‐monde,   du   salut,   de   la   connaissance,   etc.   qui  animait  Ωaµkara   et   ses   amis   saµnyæsin   'renonçants'  ;   c'est   seulement   la   composante  philosophique  des  textes  qui  attire  les  Occidentaux  dans  leur  volonté  de  connaître  la  culture  des  autres,  parfois  de  constituer  une   culture  mondiale,   etc.  Mais   au   total,   les   regards   convergent   pour   écarter   ou   oublier   ce   que   laissait  entendre   Bha††a   Bhæskara   et   ce   dont   témoignent   encore   aujourd'hui   quelques   récitants   traditionnels.  Que  l'édition  LIMAYE-­‐VADEKAR  en  1958  et  celle  de  OLIVELLE  1998,  après  deux  siècles  d'études  védiques,  aient  ignoré  la  tonalité  témoigne  du  fait  que  l'UpaniÒad  n'est  plus  à  dire  et  entendre,  mais  à  comprendre.    29.  Conclusions  Le   passage   en   question   est   intéressant   en   raison   même   de   sa   lacune   sémantique   (rerivæ)   et   de   son  obscurité  générale.  Les  commentateurs  qui  reconnaissent  au  Veda  un  caractère  révélé  n'acceptent  pas  que  cette   révélation   soit   lacunaire   et   obscure.   Ils   comblent   la   lacune,   ils   éclairent   le   texte   et   ce   faisant,   ils  révèlent   leur  méthode,   leurs   a   priori   et   leurs   axiomes.  Ainsi  Ωaµkara   va-­‐t-­‐il   chercher   du   sens  dans  des  phrases  upaniÒadiques  dont  la  structure  ou  le  vocabulaire  lui  semblent  voisins.  Sa  méthode  est  fondée  sur  la   concordance   qu'il   prête   aux  UpaniÒad,   le   samanvaya   dont   il   parle   sous   BS   I.1.4.   Les   commentateurs  ultérieurs,   vedæntin   ou   non,   acceptent   pour   l'essentiel   les   termes   de   cette   lecture.   Ils   sont   davantage  soucieux  de   l'artha   'le  but'  qu'ils  assignent  à   la  récitation  du   texte.  C'est   la   raison  pour   laquelle,   tout  en  affichant   leur   respect  de   l'UpaniÒad   et  du  BhæÒya  de  Ωaµkara,   ils   relisent   l'un  et   l'autre  en   fonction  de  leurs  intérêts  du  moment.  C'est  principalement  ce  but  qui  évolue  ;  aujourd'hui,  on  n'est  pas  loin  de  réciter  pour  fortifier  la  conscience  nationale  indienne.  Le  travail  de  pure  exégèse  de  Ωaµkara  est  dorénavant  au  service  d'un  zèle  prosélyte.    Par   ailleurs,   il   est   remarquable   que   les   commentateurs   et   traducteurs  modernes   n'aient   pas   étudié   ce  verset  et   l'UpaniÒad  dans  sa  totalité.  Certes  les  indianistes  occidentaux,  en  tant  que  traducteurs,  avaient  vocation  à  s'occuper  de  l'aspect  sémantique  de  l'œuvre.  Marginalement,  ils  pouvaient  rendre  ou  signifier  la  versification  partielle  de   l'UpaniÒad   et   souvent   ils   l'ont   fait.  Mais  même   l'aspect   sémantique  n'a  pas  été  complètement   traduit,   car   tout   se   passe   comme   si   ces   traducteurs   avaient   voulu   ignorer   l'évolution   du  sens   prêté   au   verset   et   à   l'UpaniÒad,   évolution   qui   ressort   clairement   de   la   lecture   des   commentaires  qu'ils  utilisaient.  L'évolution  du  sens  a  accompagné  l'évolution  de  l'utilisation  du  texte,  son  artha  comme  disent  Ωaµkara  et  Sure‡vara.  Or  on  n'a  pas  étudié  l'emploi  de  l'UpaniÒad  hier  ou  aujourd'hui,  ses  usages  rituels   ou   autres  :   on   ne   sait   pas   qui   récite,   ni   comment,   ni   pourquoi,   ni   où,   ni   pour   qui.   C'est   un   peu  comme   si   l'on   traduisait   l'Épître   aux   Corinthiens   et   que   l'on   écartait   l'usage   qui   en   est   fait   dans   les  différentes   liturgies   chrétiennes.   Bref   on   a   ignoré   l'UpaniÒad   sous   l'angle   de   la   performance   et   on   a  recherché  «  le  »  sens  du  verset  et  de  l'UpaniÒad  comme  s'il  existait  un  sens  éternel  ;  mais  comme  le  texte  était   obscur,   les   traducteurs   ont   fait   appel   aux   commentateurs   indigènes   (Ωaµkara   principalement).  Finalement,  ce  n'est  pas  si  éloigné  de  ce  que  faisaient  les  brahmanes.  Cela  tient  aussi  à  la  manière  dont  les  études   indianistes  ont  été  pensées  en  Occident  :   les  philologues  avaient  vocation  à  établir   la   lettre  et   le  sens  des  textes  anciens  et  ignoraient  largement  leur  utilisation  moderne  et  contemporaine.  À  l'inverse,  les  ethnologues  ou  anthropologues,  se  spécialisant  dans  l'actualité,  n'avaient  pas  accès  aux  textes,  surtout  aux  anciens  ;   ils   pouvaient   constater   leur   usage,   mais   ils   ne   devaient   et   souvent   ne   pouvaient   pas   les  comprendre.  S'ils  s'y  risquaient,   ils  sortaient  de   leur  zone  de  compétence...  Le  partage  de  nos  études  ne  correspond  pas  à  la  nature  de  l'objet  étudié.  Quant  aux  commentateurs  traditionnels  (Ωaµkara,  Sure‡vara,  Ænandagiri,  Bha††a  Bhæskara,  Sæya◊a),  ils  ont   eux   aussi   étudié   principalement   le   sens.   Pourtant   mieux   placés   pour   connaître   les   usages   de  l'UpaniÒad,   ils  ne   les  ont  cités  que  dans   la  mesure  où   leur  doctrine  valorisait   l'action.  C'est   l'origine  des  différences  que  l'on  constate  entre  eux.  De  plus,  alors  qu'ils  font  évoluer  le  sens,  parfois  la  lettre  même  du  texte,  il  sont  les  adeptes  d'une  lecture  sub  specie  aeternitatis  et  ne  reconnaissent  pas  l'idée  d'évolution.  Ce  faisant,  ils  convoquent  l'éternité  qu'ils  prêtent  à  la  parole  upaniÒadique  pour  la  conformer  à  leur  actualité  doctrinale.    On  le  voit  bien  avec  certains  traducteurs  et  interprètes  indiens  contemporains  qui  transforment  la  parole  des   brahmanes   en   un   des   fondements   textuels   de   l'identité   indienne   contemporaine,   dans   ses  composantes  culturelle  et  religieuse.  Car   l'éternité  ou   la  permanence  (nityatva)  prêtée  anciennement  au  Veda  par  ses  exégètes,  acceptée  avec  nuances,  parfois  non  acceptée  (cf.   l'étude  de  L.  RENOU  1960),  a  fait  irruption  de  manière  complexe  dans   l'actualité   idéologique,  politique  de   l'Inde  en  quête  de  définition  et  d'autochtonie,  et  aussi  dans  le  dialogue  entre  l'Occident  et  l'Inde.  En  général,  ces  traducteurs  nationalisent  le   texte   et   privent   au   passage   les   brahmanes   de   leur   identité.   Dans   une   certaine   mesure,   considérant  l'UpaniÒad   comme   la   Philosophie   par   excellence,   une   Philosophie   qui   simultanément   est   indienne,  

43     Article  Journal  Asiatique        certains   continuent   à   l'échelle   planétaire   ce   que   les   brahmanes   faisaient   dans   le   cadre   de   leur   société,  l'Inde   devant   occuper   à   l'échelle  mondiale   le   statut   que   les   brahmanes   possédaient   dans   les   royaumes  indiens.    Pour  apprécier  ce  prosélytisme  militant,  il  faut  pouvoir  différencier  ce  que  le  texte  dit  (en  sanskrit)  de  ce  qu'on   lui   fait   dire   via   les   BhæÒya   des   brahmanes   anciens   (toujours   en   sanskrit)   et,   dorénavant,   les  traductions   (en   anglais)   dues   à   des   croyants   animés  d'un   zèle   prosélyte.   Pour   de   telles   études,   la   vraie  compétence   en   sanskrit   manque   par   principe   aux   ethnologues   et   anthropologues   tandis   que   les  textualistes  manquent  de  compétences  sociologiques  et  anthropologiques.    Tout  cela  montre  le  travail  très  diversifié  qui  reste  à  réaliser  :  il  fait  appel  à  des  compétences  multiples.    -­‐  Établir  une  édition  critique  de  ce  texte,  si  cela  est  possible  (cf.  les  doutes  émis  par  SALOMON  1991  :  48)  ;  cela  vaut  en  fait  pour  toutes  les  UpaniÒad,  védiques  et  post-­‐védiques.  -­‐  Étudier  les  usages  multiples  de  l'UpaniÒad  aujourd'hui  et  hier,  ainsi  que  ses  usagers.  -­‐  Continuer  le  travail  notamment  initié  par  W.  Howard  (HOWARD  1986)  portant  sur  la  performance  de  la  TU.  -­‐   Étudier   les   traductions   sectaires   de   l'UpaniÒad,   notamment   celles   qui   sont   réalisées   dans   les   langues  indiennes   contemporaines   dont   les   variations   sont   porteuses   de   sens.   Il   faut   élargir   cette   recherche   à  l'enseignement   oral   de   l'UpaniÒad,   lequel   se  maintient   sans   forcément   qu'il   en   résulte   un   livre.   Or   cet  enseignement  varie   selon  que   l'on  est   à  Ω®©geri   (chez  des  vedæntin   ‡aµkariens),   à  Melko†e   (chez  des  vedæntin  ‡rÚvaiÒ◊ava),  à  Pondichéry  avec  des  récitants  traditionnels,  etc.  Mais  mesurer  la  manière  dont  les   interprètes  anciens  ou  récents   s'écartent  des  conceptions  antiques  n'est  possible  et  pertinent  que  si  l'on  dispose  d'un  texte  dûment  établi.  Cela  seul  rend  appréciables  les  manipulations  dont  la  lettre  du  texte,  son  sens,  son  utilisation,  etc.  sont  l'objet  selon  les  milieux  où  l'UpaniÒad  est  reçue  et  interprétée.    M.  Angot.  Paris    Je  remercie  vivement  M.  Ch.  Bouy  dont  les  qualités  d’acribie  m’ont  permis  d’améliorer  sur  bien  des  points  

cet  article  et  de  calmer  les  ardeurs  de  ma  plume.  Sa  disparition  récente  permet  de  dédier  ces  pages  à  sa  mémoire.  

44     Article  Journal  Asiatique        Bibliographie.    I.  Textes.  ÆSS   12  :   TaittirÚyopaniÒat   sa†Úka‡æ©karabhæÒyopetæ   /   pa◊∂ita   væmana‡æstrÚ   isalæmapurakara   ity  

etaiÌ   saµ‡odhitæ   /   tathæ   ca   [...]   vidyæra◊yak®tæ   taittirÚyopaniÒaddÚpikæ,   Poona,   ‡aka   1811  (=1889),  (Ænandæ‡rama  Sanskrit  Series,  12).  

ÆSS  13  :  TaittirÚyopaniÒadbhæÒyaværtikaµ  sure‡varæcæryak®taµ  sa†Úkam,  Poona,  ‡aka  1811  (=1889),  (Ænandæ‡rama  Sanskrit  Series,  13).  

BauGS  :  Baudhæyana  G®hyasºtra  with  the  G®hyaparibhæÒæsºtra,  G®hya‡eÒasºtra,  and  Pit®medhasºtra.  Éd.   R.   Sharma   Sastri.   University   of   Mysore   Oriental   Library   Publications,   Sanskrit   Series,   32/55,  Mysore   1920.   Réédition  :   The   Bodhæyana   G®hyasºtra,   edited   by   R.   Sharma   Sastri,   New   Delhi  :  Maharchand  Lachhmandas,  1982,  reprinted  from  1920  edition.    

ŸÆDU  :   $(xaiddxopinwd:   Ten   Principal   UpaniÒads   with   Ωæ©karabhæÒya   (Works   of  Ωa©karæcærya  in  Original  Sanskrit,  Volume  I),  Delhi,  [etc.]  :  Motilal  Banarsidass,   first  edition  1964,  reprint  1987.  

LIMAYE-­‐VADEKAR   1958  :   Eighteen   Principal   UpaniÒads,   vol.   1,   ed.   by   V.P.   Limaye   and   R.   D.   Vadekar  (Gandhi  Memorial  Edition),  Poona  :  Vaidika  Saµ‡odhana  Ma◊∂ala.    

Shrî   Shankarâchârya's   Taittirîyôpanishadbhâshya  with   the   gloss   of  Ânandagiri,   Dîpikâ   of   Shankarânanda  and  Taittirîyaka-­‐vidyâprakâsha  of  Vidyâranya  Edited  and  annotated  by  Dinker  Vishnu  Gokhale,  B.  A.  Printed  and  Published  at  The  Gujarati  Printing  Press,  Bombay,  1914.  

TÆC  :  The  Taittir≤ya  A≠ra◊yaka  of  the  Black  Yajur  Veda,  with  the  Commentary  of  Sa≠ya◊a≠cha≠rya,  ed.  by  Ra≠jendrala≠la  Mitra,  Calcultta,  1872  (Bibl.  Indica).  

TÆM   1985  :   TaittirÚya-­‐Æra◊yaka  :   édition   A.   Mahadeva   Sastri   et   K.   Rangacarya,   Government   Oriental  Library  Series,  n°s  26,  27  et  29,  Mysore,  1900-­‐2  ;   republiée  en  1985  sous   le   titre  de  The  TaittirÚya  Æra◊yaka  with   the   commentary   of   Bha††a   Bhæskara  Mi‡ra,  Delhi,   [etc.]  :  Motilal   Banarsidass.   [Les  trois  volumes  de  l'original  ont  gardé  leur  pagination  et  le  passage  en  question  se  situe  p.  27  du  vol.  II.]  

TÆP   :  TaittirÚya-­‐Æra◊yaka   :   éd.  Hari  Næræya◊a  Æpte.  Ænandæ‡rama  Sanskrit   Series  n°  36,  1897-­‐8,  2  vol.  ;  3e  éd.  1967.  

 II.  Traductions  de  la  TaittirÚya-­‐UpaniÒad  en  langues  européennes.  ANGOT  Michel  2007  :  La  TaittirÚya-­‐UpaniÒad  avec  le  commentaire  de  Ωaµkara.  Texte,  traduction  et  notes,  Paris  :  Collège  de  France-­‐Institut  de  Civilisation  indienne,  n°  75.  

DEUSSEN  Paul  1897  :  Sechzig  Upanishad's  des  Veda  aus  dem  Sanskrit  übersetzt  und  mit  Einleitungen  und  Anmerkungen  versehen.  «  Die  Taittirîya-­‐Upanishad  des  schwarzen  Yajurveda  »,  p.  211-­‐240,  Leipzig   :  F.A.  Brockhaus  ;  21905,  31921.  Trad.  anglaise  :  Sixty  UpaniÒads  of   the  Veda,   translated  from  German  by  V.  M.  Bedekar  and  G.B.  Palsule,  2  vol.,  Delhi,  etc.  :  Motilal  Banarsidass,  1980  :  217-­‐246.  

GAMBHIRANANDA  Swami  1957  et  1958  :  Eight  UpaniÒads,  with  the  Commentary  of  Ωa©karæcærya.  2  vols.  Volume  I  (Ÿ‡æ,  Kena,  Ka†ha  and  TaittirÚya).  Translated  by  Swami  Gambhirananda,  Calcutta  :  Advaita  Ashrama,  1957.  [L'ouvrage  comprend  l'édition  en  nægarÚ  de  l'UpaniÒad,  sans  tonalité  ni  variantes,  et  une  traduction  du  texte  et  du  BhæÒya  de  Ωaµkara,  p.  221-­‐397.]  

GUPTA   Som   Raj   1999  :   The   Word   Speaks   to   the   Faustian   Man,   A   translation   and   interpretation   of   the  PrasthænatrayÚ   and   Ωa©kara's   bhæÒya   for   the   participation   of   contemporary   man.   Wisdom   of  Ωa©kara  Series  Vol.  3,  Delhi  :  Motilal  Banarsidass,  p.  1-­‐274.  [L'ouvrage  comprend  l'édition  de  la  TU  en   caractères   romanisés,   la   traduction   très   «  interprétée  »   du   BhæÒya   et   une   interprétation  personnelle  de  l'auteur.]  

HUME  Robert  Ernest  1965  :  The  Thirteen  Principal  Upanishads,  transl.  from  the  Sanskrit  [...]  with  a  list  of  recurrent   and   parallel   passages   by   George   C.O.   Haas.   Madras,   19656,   p.   275-­‐293   (TaittirÚya  UpaniÒad).  (2nd  ed.,  revised,  1931  ;  first  publ.  in  England  [London  :  Oxford  University  Press],  1921).  

KAPOOR  Subodh  2002  :  Encyclopaedia  of  Upanisads  and   its  Philosophy.  An  Exposition  of   the  Fundamental  Concepts,   History,   Philosophy,   Teachings,   Doctrines,   and   the   System   of   Upanisads,   edited   by   Subodh  Kapoor.  Vol.  4,  New  Delhi  :  Cosmo  Publications,  p.  1071-­‐1105.  

LESIMPLE  Émile  1978  :  TaittirÚya  UpaniÒad,  publiée  et  traduite.  (Les  Upanishad,  Texte  et  traduction  sous  la   direction   de   L.   Renou,   IX),   Paris   :   Librairie   d'Amérique   et   d'Orient   Adrien  Maisonneuve.   1re   éd.  1948.   [L'ouvrage   comprend   une   édition   en  devanægarÚ,   sans   les   tons   ni   les   variantes,   édition   qui  reproduit  celle  des  Nir◊aya  Sagar  Press.]  

MEAD  George  R.S   and   CHA††OPÆDHYÆYA   JagadÚsha   Chandra   (Roy   Choudhuri)   1930  :  The  UpaniÒhads,  transl.  into  English  with  a  preamble  and  arguments.  Madras  (TaittirÚyopaniÒhad).  (1re  éd.  :  London  :  Theosophical  publishing  Society,  1896).  

45     Article  Journal  Asiatique        MÜLLER  F.  Max  1900  :  «  TaittirÚyaka-­‐Upanishad.  »,  in  The  Upanishads.  Part  II,  p.  45-­‐69.  Oxford  :  Clarendon  

Press,  (The  Sacred  Books  of  the  East.  Vol.  XV).    NARASIMHA   Acharya   2004   :  Five   principal   UpaniÒads   :   Exhaustive   Commentary   in   English   on   Ÿ‡ævæsya,  

Kena,  Ka†ha,  TaittirÚya  &  Mu◊∂aka  UpaniÒads.  Delhi   :   Penman  Publishers.   [Texte   en  nægarÚ,   en  translittération   non   scientifique.   Pas   de   variantes,   de   tonalité   et   d'index.   La   traduction   est  «  spirituelle  ».  Nombreuses  fautes  dans  l'édition].  

NIKHILANANDA   Swami   1959  :   The   Upanishads.   TaittirÚya   and   Chhændogya.   Vol   IV,   p.   1-­‐83   (TaittirÚya  Upanishad).  New  York,  Ramakrishna-­‐Vivekananda  Center  ;  3e  éd.,  1994.  [L'ouvrage  comprend  aussi  la  traduction  de  l'introduction  de  Ωaµkara  pour  chacune  des  UpaniÒad  traduites  et  un  commentaire  du  traducteur.]  

OLIVELLE   Patrick   1996  :  UpaniÒads.   A   New   Translation,   transl.   from   the   original   Sanskrit.   Oxford,   New  York,  Oxford  University  Press  (Oxford  World's  Classics).  [TaittirÚya  UpaniÒad,  p.  177-­‐193  ;  notes  :  p.  357-­‐361].  

OLIVELLE  Patrick  1998a  :  The  Early  UpaniÒad  :  Annotated  Text  and  Translation.  Oxford,  New  York,  Oxford  University  Press  ;   coll.   South  Asia  Research.   [TaittirÚya  UpaniÒad,   p.   288-­‐313  ;   notes   :   p.   571-­‐578  ;  liste  des  changements  entre  les  deux  traductions  successives  de  l’auteur,  p.  xxii].  

PANOLI  V.  1992  :  Upanishads   in  Sankaras's  own  words.  Vol.   II,   (Prasna,  Mundaka,  Taittiriya  &  Aitareya)  ;  Calicut  :   The   mathrubhumi   Printing   &   Publishing   Co.   Ltd.   [Texte   de   l'UpaniÒad   et   du   BhæÒya   en  nægarÚ,  traduction  anglaise  ;  pas  d'index  ni  de  tonalité.  Pas  de  variantes.  Quelques  rares  explications.  Les   développements   du   BhæÒya   sont   distribués   en   «   purvapaksha  »   et   «  samadhana  ».   L'ouvrage  manque  dans  RENARD  1995].  

RADHAKRISHNAN  Sarvepalli  1953  :  The  Principal  UpaniÒads.  London  :  George  Allen  &  Unwin,  1953.  2e  éd.  1994  :  Atlantic  Highlands,  NJ  :  Humanities  Press  International,  Humanities  Paperback  Library,  1994.  [Traduction  accompagnée  du  texte  translittéré  sans  les  tons  et  d'un  commentaire  du  traducteur.]  

RAU  Wilhelm  1981  :  «  Versuch  einer  deutschen  Übersetzung  der  TaittirÚya-­‐UpaniÒad.  »,  in  Festschrift  der  Wissenschaftlichen   Gesellschaft   an   der   Johann   Wolfgang   Goethe-­‐Universität   Frankfurt   am   Main,  Wiesbaden  :  Steiner,  p.  349-­‐373.  

ROEBUCK   Valerie   J.   2000   :  The   UpaniÒads.   TaittirÚya   UpaniÒad.   The   TaittirÚyas'   Teaching.   P.   238-­‐259.  Penguin  Books  India  (sans  lieu  d'édition).  

RÖER  E.  1906  :  The  Twelve  Principal  UpaniÒads  (in  three  volumes),  Text  in  devanægarÚ  ;  and  transl.  with  notes  in  English  from  the  commentaries  of  Ωa©karæcærya  and  the  gloss  of  Ænandagiri.  Madras,  19312.  [L'ouvrage  manque  dans  la  bibliographie  de  RENARD  1995]  

SASTRY   A.  Mahadeva   1980  :  The   TaittirÚya   UpaniÒad.  With   the   Commentaries   of   Sri   Sankaracharya,   Sri  Suresvaracharya,   Sri   Vidyaranya,  Mysore,   1903.  Samata  Books,  Madras,   1980.   [L'auteur  A.  Mahadeva  Sastry  semble  être  le  même  que  l'un  des  éditeurs  de  TÆM  dont  le  nom  est  orthographié  A.  Mahadeva  Sastri]  

 III.  Études  et  références    AGARWAL   Vishal   2000  :   Taittiriya   Upanishad   :   Commentatorial   tradition,   sur   le   site  «  http://www.vishalagarwal  @  hotmail.com  »    

ANGOT  Michel  2007  :  La  TaittirÚya-­‐UpaniÒad  avec  le  commentaire  de  Ωaµkara.  Texte,  traduction  et  notes,  Paris  :  Collège  de  France-­‐Institut  de  Civilisation  indienne,  n°  75.  

ARNOLD   E.   Vernon  1967   :   Vedic   Metre   in   its   Historical   Development   2e   éd.,   Delhi,   [etc.]  :   Motilal  Banarsidass  ;  1re  éd.  1905.  

ASSAYAG  Jackie  2001  :  L'Inde.  Désir  de  nation,  Paris  :  Odile  Jacob.  BALASUBRAHMANIAM   Mallædi   DakÒi◊amºrti   1974   :   TaittirÚyopaniÒad   BhæÒya-­‐Værttika   of   Sure‡vara.  Madras  :  Centre  for  Advanced  Study  in  Philosophy,  Madras  University  Philosophical  Series  20.  [Édition  avec  traduction  annotée  ;  index  des  mots  et  auteurs  de  la  seule  introduction.]  

BIARDEAU  Madeleine  1968   :  «  Religions  de   l'Inde.  »,  Problèmes  et  méthode  d'histoire  des  religions.  Paris   :  Presses  Universitaires  de  France,  p.  73-­‐77.  

BÖHTLINGK  Otto  1889  :  Khândogjopanishad,  kritisch  herausgegeben  und  übersetzt.  Leipzig.  BÖHTLINGK  Otto  1897a   :   «  Bemerkungen  zu  einigen  Upanishaden.  »,   in  Berichte  über  die  Verhandlungen  

der  königlich  sächsischen  Gesellschaft  der  Wissenschaften  zu  Leipzig,  Philologisch-­‐historische  Classe  49  :  127-­‐138.  

BÖHTLINGK  Otto  1897b  :  «  Kritische  Beiträge.  »,  Ibid.,  53  :  7-­‐17.  BÖHTLINGK  Otto-­‐ROTH  Rudolph  1870-­‐1873  :  Sanskrit-­‐Wörterbuch  herausgegeben  von  der  Kaiser  Akademie  

der  Wissenschaften,  bearbeitet   von  Otto  Böhtlingk  und  Rudolph  Roth.   7  vol.,   St.  Petersburg.   (Réimpr.  Osnabrück,  Otto  Zeller/Wiesbaden,  Otto  Harrassowitz,  1966.)  

46     Article  Journal  Asiatique        BOUY   Christian   2000   :   Gau∂apæda.   L'Ægama‡æstra.   Paris  :   Collège   de   France-­‐Institut   de   Civilisation  

indienne,  fasc.  69  BRONKHORST  Johannes  1981  :  «  Meaning  entries  in  Pæ◊ini’s  Dhætupæ†ha.  »,  JIP  8  :  335-­‐357.  BRONKHORST  Johannes  1982  :  «  Pæ◊ini  and  Vedic.  »,  IIJ  24  :  273-­‐282.  BRONKHORST  Johannes  1989  :  «  Veda.  »,  ABORI  70  :  125-­‐135.  BRONKHORST   Johannes   2007  :   Greater   Magadha.   Studies   in   the   culture   of   early   India.   Leyden   :   Brill  (Handbook  of  Oriental  Studies.  Section  2  South  India.  

BROUGH  John  1954  :  «  The  Language  of  the  Buddhist  Sanskrit  Texts.  »,  BSOAS  XVI  :  351-­‐375.  BUGAULT   Guy   1994   :   L'Inde   pense-­‐t-­‐elle?,   Paris   :   Presses   Universitaires   de   France   (Coll.   Sciences  Modernités  Philosophies).  

CALAND   Willem   1931  :   Pa~caviµ‡a-­‐Bræhma◊a   The   Bræhma◊a   of   Twenty   Five   Chapters.   Calcutta  :   The  Asiatic  Society  of  Bengal.  (Bibliotheca  Indica  Work  No.  255.)  

CARDONA  George  1999  :  Recent  Research  in  Pæ◊inian  Studies.  Delhi  :  Motilal  Banarsidass.  CARRI   Sebastian   1985  :   Contribution   of   Bha††a   Bhæskara   Mi‡ra   to   Vedic   Exegesis,   Studies   in   Indian  Religious  Texts  I.  Pune  :  Institute  for  the  Study  of  Religion.  

CHATELLIER  Hildegard  1996:  voir  HULIN-­‐MAILLARD  1996.  CHINTAMANI  DIKSHIT  T.R.  1983  (ed.)   :  The  Saµnyæsa  UpaniÒad-­‐s  with  the  commentary  of  ΩrÚ  UpaniÒad-­‐Brahmayogin.  Adyar  (Adyar  Library  Series,  12).  

COLAS   Gérard   1997   :   «  Critique   et   transmission   des   textes   de   l'Inde   classique  »,   Diogène   186,   «  Les  gardiens  du  texte  ».  

COLAS   &   GERSCHHEIMER   2009   :   Gérard   Colas   et   Gerdi   Gerschheimer   (sous   la   direction   de).   Écrire   et  transmettre  en  Inde  classique.  Études  thématiques  23,  Paris  :  EFEO.  

DALMIA   Vasudha   1997   :   The   Nationalization   of   Hindu   Traditions.   Bhæratendu   Hari‡chandra   and  Nineteenth-­‐century  Banaras.  Delhi  :  Oxford  University  Press.  

DASGUPTA   Surendranath   1932-­‐1965  :   A   History   of   Indian   Philosophy.   Vol.   I,   Cambridge,   1932   (1re   éd.,  1922)  ;  vol.  II,  Cambridge,  1965  (1re  éd.,  1932).  

DEGRACES-­‐FAHD  Alyette  1989  :  UpaniÒad  du  renoncement  (saµnyæsa-­‐upaniÒad).  Paris  :  Fayard.  DEVASTHALI  G.  V.  1952  :  «  Ωa©karæcærya’s  indebtedness  to  MÚmæµsæ.  »,  JOIB  1  :  23-­‐30.  DI   COSTANZO   Thierry   2004  :   «  L'Inde   que   Friedrich   Maximilian   Müller   (1823-­‐1900)   voudrait   nous  montrer.  »,  in  La  Fascination  de  l'Inde  en  Allemagne  1800-­‐1933  sous  la  direction  de  Marc  Cluet,  Rennes  :  Presses  Universitaires  de  Rennes,  p.  91-­‐102.  

DONIGER  O'FLAHERTY  Wendy  1972  :  Asceticism  and  Eroticism  in  the  Mythology  of  Ωiva.  Oxford  :  OUP.  DONIGER  O'FLAHERTY  Wendy  1981  :  The  Rgveda.  An  Anthology.  Penguin  Books  (s.l.).  FILLIOZAT   Pierre-­‐Sylvain   2000   :   «  Existe-­‐t-­‐il   une   norme   grammaticale   sanskrite  ?  »,   in   La   norme   et   son  application   dans   le   monde   indien.   Édité   par   M.-­‐L.   Barazer-­‐Billoret   et   J.   Fezas,   Paris   :   EFEO   (Études  thématiques  ;  11),  p.  47-­‐54.  

FUSSMAN  Gérard  2002  :  «  Les  Aryas  en  Asie  centrale,  en  Iran  et  en  Inde.  »,  in  Annuaire  du  Collège  de  France  2000-­‐2001,  p.  733-­‐758.  

GELDNER   K.   F.   2003   :   Der   RigVeda   aus   dem   Sanskrit   ins   Deutsche   übersetzt   mit   einem   laufenden  Kommentar.  Cambridge,  Mass.,  HOS  63.  

GISPERT-­‐SAUCH  G.  1968  :  «  The  Bh®gu-­‐vallÚ  of  the  TaittirÚya  UpaniÒad.  An  Early  XVII  Century  European  Translation.  »,  Indica  5,  p.  139-­‐144.  

GONDA  Jan  1959  :  Epithets  in  the  Rgveda.  La  Haye.  GONDA  Jan  1963  :  The  vision  of  the  Vedic  Poets.  La  Haye,  Mouton  (Disputationes  Rheno-­‐Trajectinae,  VIII).    GONDA   Jan   1975   :   Vedic   Literature   (Saµhitæs   and   Bræhma◊as),   in  A   History   of   Indian   Literature.   Ed.   J.  Gonda,  vol.  1,  fasc.  2.  Wiesbaden  :  Otto  Harrassowitz.  

GRAY  J.E.B  1959a  :  «  An  Analysis  of  Rgvedic  Recitation.  »,  BSOAS  Volume  XXII,  p.  86-­‐94.  GRAY  J.E.B  1959b  :  «  An  Analysis  of  Nambudiri  Rgvedic  Recitation  and  the  Nature  of   the  Vedic  Accent.  »,  

BSOAS  Volume  XXII,  p.  499-­‐530.  HACKER  Paul  1978  :  Paul  Hacker,  Kleine  Schriften,  ed.  L.  Schmithausen.  Wiesbaden,  Glasenapp-­‐Stiftung,  vol.  

15.  HACKER  Paul  1995  :  Philology  and  Confrontation  :  Paul  Hacker  on  Traditional  and  Modern  Vedanta,  edited  by  W.  Halbfass.  Albany  :  SUNY  Press.  

HALBFASS  Wilhelm  1988  :  India  and  Europe  :  An  Essay  in  Understanding.  Albany  :  SUNY  Press.  HALBFASS  Wilhelm  1991  :  Tradition  and  Reflection.  Explorations   in   Indian  Thought.  Albany  :  SUNY  Press,  1991.  

HORSCH  Paul  1966  :  Die  vedische  Gæthæ  und  Ωloka-­‐Literatur.  Bern  :  Francke.  HOWARD  Wayne  1986  :  Veda  Recitation  in  Væræ◊asÚ.  Delhi,  [etc.]  :  Motilal  Banarsidass.  

47     Article  Journal  Asiatique        HULIN  Michel   et  MAILLARD  Christine   (éd.)   1996  :  L'Inde   inspiratrice.   Réception   de   l'Inde   en   France   et   en  Allemagne   (XIXe   &   XXe   siècles).   Strasbourg  :   Presses   Universitaires   de   Strasbourg.   Spécialement,   à  propos  de  P.  Deussen,  Hildegard  CHATELLIER  1996  :  30-­‐33  de  «  Parcours  individuels  et  crise  collective.  Trois  médiateurs   de   l'indianisme   en   Allemagne  :   Paul   Deussen,   Leopold   von   Schröder,   Helmuth   von  Glasenapp.  »,  p.  29-­‐42.  

JORDENS  J.  1966  :  «  The  development  of  the  idea  of  immortality  in  the  UpaniÒads.  »,  JOIB  16  :  1-­‐17.  KAHRS  E.  1998  :  Indian  Semantic  Analysis.  The  «  Nirvacana  Tradition  ».  Cambridge  :  Cambridge  University  Press  («  Oriental  Publications  »,  55).  

KIELHORN   Franz   1874   (1960)   :   The   ParibhæÒendu‡ekhara   of   NægojÚbha††a.   Part   II   Translation   and  Notes.  Second  edition  by  K.  V.  Abhyankar.  Poona  :  BORI.  

LARDINOIS  Roland  1998  :  «  Philologie,  histoire  et  anthropologie  dans  l'indianisme  universitaire  français.  »,  JA  286.  1  :  379-­‐387.  

LEVI   Sylvain   2003   :   La   doctrine   du   sacrifice   dans   les   Brâhmanas.   1898;   avec   une   préface   de   L.   Renou,  (réimpr.   de   la   2e   éd.,   1966)   et   une   postface   de   C.  Malamoud.   Turnhout   :   Brepols   («  Bibliothèque   de  l'École  pratique  des  hautes  études,  Sciences  religieuses  »  118).  

MALAMOUD  Charles   1977   :  Le   svædhyæya,   récitation   personnelle   du   Veda.   TaittirÚya-­‐Æra◊yaka.   Livre   II.  Paris  :  Institut  de  Civilisation  Indienne,  fasc.  42.  

MAYEDA   Sengaku   1979  :   A   Thousand   Teachings   -­‐   The   Upade‡asæhasrÚ   of   Ωa©kara.   Translated   with  Introduction  and  Notes.  Tokyo  :  University  of  Tokyo  Press  ;  réimpr.,  Albany  :  SUNY  Press,  1992.  

MAYRHOFER  Manfred  1956-­‐1980  :  Kurzgefasstes  etymologisches  Wörterbuch  des  Altindischen.  A  Concise  Etymological  Sanskrit  Dictionary.  Heidelberg  :  Carl  Winter.  Universitätsverlag.  (4  vols.)  

MUKHERJI  R.  N.  1970  :  «  Tri‡a©ku's  Vedænuvacana  in  TaittirÚyopaniÒad  and  its  perpetual  significance  »,  Praj~æ  15  (1),  Banaras  Hindu  University,  Bénarès,  p.  104-­‐113.  

MUIR   John   1873  :  Original   Sanskrit   Texts   on   the   Origin   and  History   of   the   People   of   India.   5   vol.,   2e   éd.,  Londres.  Vol.   III  :   «  The  Vedas  :   opinions  of   their   authors  and  of   later   Indian  Writers  on   their  Origin,  Inspiration,  and  Authority.  »  (Réimpr.  Amsterdam,  Oriental  Press,  1967).  

NAKAMURA  Hajime   1983   et   2004  :  A  History   of   Early   Vedænta   Philosophy  ;   Shoki   Vedænta   tetsugakushi.  Part  I,  translated  into  English  by  Trevor  Leggett,  Sengaku  Mayeda,  Taitetz  Unno  and  others,  Delhi,  etc.  :  Motilal   Banarsidass   (Religions   of   Asia   Series,   1),   1983.   Part   II  :   translated   into   English   by   Hajime  Nakamura,  Trevor  Leggett  and  others.  Edited  by  S.  Mayeda  2004.  Delhi  :  Motilal  Banarsidass.  

OLENDER   Maurice   1989   :   Les   langues   du   Paradis.   Aryens   et   Sémites   :   un   couple   providentiel.   Paris   :  Gallimard/Le  Seuil  (collection  «  Hautes  Études  »).  

OLIVELLE   Patrick   1998b  :   «  Unfaithfull   Transmitters.   Philological   Criticism   and   Critical   Editions   of   the  UpaniÒad.  »,  JIP  26  :  173-­‐87.  

OLIVELLE   Patrick   2000  :   Dharmasºtras.   The   Law   Codes   of   Æpastamba,   Gautama,   Baudhæyana,   and  VasiÒ†ha.  Annotated  text  and  Translation.  Delhi  :  Motilal  Banarsidass.  

PANDE   Govind   Chandra   1994  :   Life   and   Thought   of   Ωa©karæcærya.   Delhi,   [etc.]  :   Motilal   Banarsidass  [réimp.  2004].  

POTTER  Karl  2006  :  Encyclopedia  of  Indian  Philosophies.  Vol.  XI  Advaita  Vedænta  from  800  up  to  1200.  Delhi  :  Motilal  Banarsidass.  

PATHAK  Meena  P.  1999  :  A  Study  of  TaittirÚya  UpaniÒad.  Delhi  :  Bharatiya  Kala  Prakashan.  RABAULT-­‐FEUERHAHN   Pascale   2005  :   L'extension   anthropologique   de   la   philologie.   Histoire   des   études  sanscrites  en  Allemagne  (1808-­‐1914).  Thèse  de  doctorat  Marseille-­‐Aix  (non  publié).  

RAMACHANDRA   RAO   S.   K.   1998  :   Rgveda   Dar‡ana,   vol.   one,   Introductory  ;   vol.   two,   Interpretations.  Bangalore  :  Kalpatharu  Research  Academy  (A  division  of  Sri  Sringeri  Sharada  Peetham).  [Ces  ouvrages  offrent  une  vision  indienne  contemporaine,  non  seulement  du  Rg-­‐Veda,  mais  de  l'ensemble  des  textes  védiques  ;   ils  sont  présentés  comme  les  premiers  d'une  collection  devant  comprendre  cent  cinquante  volumes].  

RENARD  Philip  1995  :  «  Historical  Bibliography  of  UpaniÒads  in  Translation.  »,  JIP  23  :  223-­‐246.  RENOU   Louis   1943   :   Katha   Upanishad.   Publié   et   traduit   par   Louis   Renou   (Les   Upanishad,   Texte   et  traduction   sous   la   direction   de   L.   Renou,   II).   Paris   :   Librairie   d'Amérique   et   d'Orient   Adrien  Maisonneuve.  

RENOU  Louis  1951  :  Ωa©kara.  Prolégomènes  au  Vedænta.  Paris  :  Imprimerie  Nationale.  RENOU  Louis  1955  :  "Versets  insérés"  dans  «  Remarques  sur  la  Chændogya  UpaniÒad.  »,  ÉVP  I,  p.  100-­‐102.  RENOU  Louis  1955-­‐1969  :  Études  védiques  et  pæ◊inéennes.  (Vols.  I  à  XVII).  Paris  :  PICI  RENOU  Louis  1960  :  «  Le  destin  du  Veda  dans  l'Inde  »,  ÉVP  VI,  Paris.  SALOMON  Richard  1981  :  «  A  Linguistic  Analysis  of  the  Mu◊∂aka  UpaniÒad.  »,  WZKS  25  :  91-­‐105.  SALOMON  Richard  1991  :  «  A  Linguistic  Analysis  of  the  Pra‡na  UpaniÒad.  »,  WZKS  35  :  47-­‐74.  SENART  Émile  1967  :  B®had-­‐Æra◊yaka-­‐UpaniÒad.  Paris  :  Les  Belles  Lettres  (1re  édition  :  1934).  

48     Article  Journal  Asiatique        SENART  Émile  1971  :  Chændogya-­‐UpaniÒad.  Paris  :  Les  Belles  Lettres  (1re  édition  :  1930).  SINGH  Upinder  2009  :  A  History  of  Ancient  and  Early  Medieval  India.  From  the  sthe  Stone  Age  to  the  12th  Century.  Delhi...  ,  Pearson  Longman  

SHARMA   Arvind   2000   :   «  Of   ‡ºdra,   sºtas,   and   ‡lokas   :   Why   is   the   Mahæbhærata   Preeminently   in   the  AnuÒ†ubh  Metre  ?  »,  IIJ  43  :  225-­‐278.  

STACHE-­‐ROSEN  Valentina  1990  :  German   Indologists.   Biographies   of   Scholars   in   Indian   Studies  Writing   in  German.  2nd  revised  edition  by  Agnes  Stache-­‐Weiske.  New-­‐Delhi.  

STAUTZEBACH   Ralf   1994  :   Pæri‡ikÒæ   und   Sarvasaµmata‡ikÒæ.   Rechtlautlehren   der   TaittirÚya-­‐Ωækhæ.  Stuttgart  :  Franz  Steiner  Verlag.  

SWENNEN   Philippe   2004  :  D'Indra   à   Ti‡trya.   Portrait   et   évolution   du   cheval   sacré   dans   les  mythes   indo-­‐iraniens  anciens.  Paris  :  Collège  de  France-­‐Institut  de  Civilisation  indienne,  fasc.  71.  

THAKUR  Anantalal  1997  (ed.)  :  GautamÚyanyæyadar‡ana  with  BhæÒya  of  Vætsyæyana.  New  Delhi  :  Indian  Council  of  Philosophical  Research.  

THIEME  Paul  1963  :  «  Agastya  und  Lopæmudræ.  »,  ZDMG  113  :  69-­‐79.  (Réimpr.  Kleine  Shriften,  Wiesbaden  1984  :  202-­‐212).  

THITE  Ganesh  Umakant  1975  :  Sacrifice  in  the  Bræhma◊a-­‐Texts.  Poona  :  University  of  Poona.  VAN  BOETZELAER  J.  M.  1971  :  Sure‡vara's  TaittirÚyopaniÒad  BhæÒyaværttikam.  Leiden  :  Brill.  [Traduction  du  seul  Værttika,  bien  annotée,  mais  sans  l'édition.  L'UpaniÒad  est  aussi  traduite  incidemment  et  cette  traduction  est  «  adapted  to  Ωa©kara's  and  Sure‡vara's  point  of  view  »  (p.  3,  n.  4).]  

VAN  NOOTEN-­‐HOLLAND  1994  :  Barend  van  Nooten  &  Gary  B.  Holland  :  Rig  Veda  A  Metrically  Restored  Text  with  an  Introduction  and  Notes.  Cambridge,  Massachusetts,  and  London,  England  :  Harvard  University  Press.  (HOS,  vol.  50).  

WEBER  Albrecht  1850-­‐1898  :  Indische  Studien,  herausgegeben  von  A.  Weber,  vol.  I-­‐XVIII.  (Vol.  VIII  :  1863  ;  vol.  X  :  1868  ;  vol.  XIII  :  1873).  

WITZEL   Michaël   1979-­‐1980  :   «  Die   Ka†ha-­‐ΩikÒæ-­‐UpaniÒad   und   ihr   Verhältnis   zur   ΩÚkÒævallÚ   der  TaittirÚya-­‐UpaniÒad.  »,  1979  :  WZKS  23  :  5-­‐28  ;  1980  :  WZKS  24  :  21-­‐82.  

WITZEL  Michaël  1987  :  «  On  the  Localisation  of  Vedic  Texts  and  Schools.  (Materials  Vedic  Ωækhæs,  7).  »,  in  G.   Pollet   (éd.),   India   and   the   Ancient   World   :   History,   Trade   and   Culture   before   A.D.   650.   Leuven  :  Department  Oriëntalistiek.  (Orientalia  Lovanensia  Analecteta,  25)  P.  174-­‐213.  

WITZEL  Michaël  1989  :  «  Tracing  the  Vedic  Dialects.  »,  in  C.  Caillat  (éd.)  Dialectes  dans  les  littératures  indo-­‐aryennes.  Paris  :  Collège  de  France-­‐Institut  de  Civilisation  indienne,  fasc.  55.  

WITZEL  Michaël  1996  :  «  How  to  Enter  the  Vedic  Mind  ?  Strategies  in  Translating  a  Bræhma◊a  Text.  »,  in  Translating,  Translations,  Translators  from  India  to  the  West,  edited  by  Enrica  Garzilli,  Harvard  Oriental  Series,  Opera  Minora,  Vol.  1.,  Cambridge  Mass,  p.  163-­‐176.  

WITZEL  Michaël   1997  :   «  The  Development  of   the  Vedic  Canon  and   its   Schools   :   the   Social   and  Political  Milieu   (Materials   on   Vedic   Ωækhæs,   8).  »,   in   M.   Witzel   (éd.),   Inside   the   Texts-­‐   Beyond   the   Texts.  Proceedings   of   the   International   Vedic  Workshop   at   Harvard,  Harvard   Oriental   Series,   Opera  Minora,  Vol.  2.,  Cambridge  Mass.,  p.  257-­‐345.  

ZIMMER  Heinrich  1978  :  Les  Philosophies  de  l'Inde.  Paris  :  Payot.    

49     Article  Journal  Asiatique          

Abréviations    Æ  :  Ægama‡æstra  de  Gau∂apæda  (alias  Gau∂apædÚyakærikæ,  Mæ◊∂ºkyakærikæ,  Mæ◊∂ºkyopaniÒatkærikæ).  ABORI  :  Annals  of  the  Bhandarkar  Oriental  Research  Institute  (Poona).  AiÆ  :  Aitareya-­‐Æra◊yaka.  AiB  :  Aitareya-­‐Bræhma◊a.  AIG  :  Altindische  Grammatik  de  J.  Wackernagel  et  A.  Debrunner.  AIOC  :  All-­‐India  Oriental  Conference,  Poona.  AiU  :  Aitareya-­‐UpaniÒad.  AS  :  Atharva-­‐Saµhitæ  (Saµhitæ  de  l'Atharva-­‐Veda).  BÆU  :  B®had-­‐Æra◊yaka-­‐UpaniÒad  (recension  Kæ◊va).  BauGS  :  Baudhæyana-­‐G®hya-­‐Sºtra.  Bh  :  Ωæµkara-­‐BhæÒya.    BhG  :  Bhagavad-­‐GÚtæ.  BS  :  Brahma-­‐Sºtra.  BSOAS  :  Bulletin  of  the  School  of  Oriental  and  African  Studies  (University  of  London).  ChU  :  Chændogya-­‐UpaniÒad.  EPU  :  Encyclopédie  philosophique  universelle,  PUF.  ÉVP  :  Études  védiques  et  pæ◊inéennes  de  L.  Renou,  PICI-­‐Collège  de  France,  tomes  I  à  XVII.  HOS  :  Harvard  Oriental  Studies  (Harvard).  HOS  33,  34,  35  et  36  constituent  la  traduction  de  la  �S  par  K.  F.  Geldner  complétée  par  l'index  (Wiesbaden  :  Harrassowitz,  1951)  ;  ils  sont  dorénavant  réunis  en  un  volume,  HOS  63,  2003,  qui  est  l'édition  citée  ici  ;  la  pagination  de  HOS  63  demeure  la  même  que  celle  de  HOS  33,  34,  35  et  36.  ŸÆDU  :  Ÿ‡æ-­‐Ædi-­‐Da‡a-­‐UpaniÒadaÌ.  IIJ  :  Indo-­‐Iranian  Journal  (Den  Haag,  Dordrecht).  JA  :  Journal  Asiatique  (Paris).  JAS  :  Journal  of  the  Asiatic  Society  (Calcutta).  JB  :  JaiminÚya-­‐Bræhma◊a.  JIES  :  Journal  of  Indo-­‐European  Studies.  JIP  :  Journal  of  Indian  Philosophy  (Dordrecht).  JOIB  :  Journal  of  the  Oriental  Institut.  Baroda.  JS  :  JaiminÚya-­‐Sºtra  alias  Karma-­‐MÚmæµsæ.  KæU  :  Kæ†haka-­‐UpaniÒad  alias  Ka†ha-­‐UpaniÒad.  KauU  :  KauÒÚtaki-­‐UpaniÒad.  KB  :  Kæ†haka-­‐Bræhma◊a.  KEWA  :  MAYRHOFER  :  1956-­‐1980.  KS  :  Kæ†haka-­‐Saµhitæ.  KSS  :  Kashi  Sanskrit  Series.  MæU  :  Mæ◊∂ºkya-­‐UpaniÒad.  MBh  :  MahæbhæÒya  de  Pata~jali  (édition  F.  Kielhorn,  citée  par  numéro  de  volume,  page  et  ligne).  Mbhæ  :  Mahæbhærata  (édition  critique).  MDhΩ  ou  Manu  :  Mænava-­‐Dharma-­‐Ωæstra  alias  Manu-­‐Sm®ti.  MNU  :  Mahæ-­‐Næræya◊a-­‐UpaniÒad  (édition  J.  Varenne).  MW  :  A  Sanskrit-­‐English  Dictionary  de  M.  Monier-­‐Williams.  N  :  Nirukta  de  Yæska  (édition  L.  Sarup).  NaiSi  :  NaiÒkarmyasiddhi  de  Sure‡vara.  NPU  :  Nærada-­‐Parivræjaka-­‐UpaniÒad.  P  :  Pæ◊ini  (références  à  l'AÒ†ædhyæyÚ).  PB  :  Pa~caviµ‡a-­‐Bræhma◊a.  PICI  :  Publications  de  l'Institut  de  Civilisation  Indienne  (Paris).  �P  :  �k-­‐Præti‡ækhya.  �S  :  �k-­‐Saµhitæ  (Saµhitæ  du  Rg-­‐Veda).  ΩB  :  Ωatapatha-­‐Bræhma◊a  (recension  Mædhyandina,  édition  A.  Chinnaswami  Ωæstri,  KSS  127).  SBE  :  Sacred  Books  of  the  East.  ΩKD  :  Ωabda-­‐Kalpa-­‐Druma.  ΩvU  :  Ωvetæ‡vatara-­‐UpaniÒad.  TÆ  :  TaittirÚya-­‐Æra◊yaka.  

50     Article  Journal  Asiatique        TÆC  :  TÆ  édition  de  Calcutta.  TÆM  :  TÆ  édition  de  Mysore.  TÆP  :  TÆ  édition  de  Poona.  TB  :  TaittirÚya-­‐Bræhma◊a.  TP  :  TaittirÚya-­‐Præti‡ækhya.  TS  :  TaittirÚya-­‐Saµhitæ.  TU  :  TaittirÚya-­‐UpaniÒad.  TUBh  :  TaittirÚya-­‐UpaniÒad-­‐BhæÒya  de  Ωaµkara.  TUBhV  :  TaittirÚya-­‐UpaniÒad-­‐BhæÒya-­‐Værttika  de  Sure‡vara.  TVP  :  TaittirÚyaka-­‐Vidyæ-­‐Prakæ‡a  de  Vidyæra◊ya.  US  :  U◊ædi-­‐Sºtra.  USP  :  SakalavedopaniÒatsæropade‡asæhasrÚ  alias  Upade‡asæhasrÚ  (partie  en  prose)  de  Ωaµkara.  WZKS  :  Wiener  Zeitschrift  für  die  Kunde  Südasiens  (Vienne).  YS  :  Yoga-­‐Sºtra  attribué  à  Pata~jali.  ZDMG  :  Zeitschrift  der  Deutschen  Morgenländischen  Gesellschaft  (Stuttgart).  

51     Article  Journal  Asiatique          Résumé  Un  mantra  difficile  et  insolite  de  la  TaittirÚya-­‐UpaniÒad  (I.10)  sert  de  motif  à  cet  article.  Hapax,  présence  d'une  forme  non  grammaticale,  syntaxe  lâche,  absence  de  contexte,  etc.  le  rendent  difficilement  compréhensible.  C'est  aussi  ce  qui  le  rend  intéressant  car  forcément  sa  lecture  et  son  commentaire  supposent  une  interprétation.  Il  a  probablement  été  retouché  avant  que  Ωaµkara  (VIIIe  siècle)  ne  le  commente.  Notamment  il  a  perdu  sa  forme  métrique,  peut-­‐être  sa  tonalité  originelle  tandis  que,  en  jouant  sur  son  phonétisme,  sa  structure  même  a  été  aménagée.  C'est,  semble-­‐t-­‐il,  sous  cette  forme  modifiée  que  Ωaµkara  le  commente  :  ce  faisant,  il  transforme  un  mantra  védique  en  un  mantra  vedæntique.  Soucieux  du  sens  du  texte,  Ωaµkara  ignore  la  forme  à  laquelle  s'intéressent  des  commentateurs  non  vedæntin  comme  Bha††a  Bhæskara  (XIIe  siècle).  À  l'époque  contemporaine,  les  traducteurs  indiens  prétendent  être  fidèles  à  la  pensée  de  Ωaµkara  mais,  de  fait,  ils  continuent  à  faire  vivre  le  mantra  en  direction  de  l'Indian  Philosophy,  du  nationalisme  indien  et  de  l'identité  hindoue.  Beaucoup  des  traductions  dites  scientifiques  sont  mal  assurées  philologiquement,  même  celles  qui  prétendent  réagir  contre  le  philosophisme  spirituel  de  P.  Deussen  et  de  ses  successeurs.  On  peut  donc  suivre  depuis  l'antiquité  jusqu'à  aujourd'hui  les  avatars  de  la  lecture  de  ce  mantra  constamment  réinterprété  au  gré  des  points  de  vue,  selon  une  lecture  qui  toujours  presse  l'éternité  en  direction  de  l'actualité.    Mots-­‐clés:  TaittirÚya,  UpaniÒad,  Ωaµkara,  nationalisme  indien,  identité  hindoue.  

 Summary  The  frame  of  reference  for  this  article  is  a  difficult  and  curious  mantra  from  the  TaittirÚya-­‐UpaniÒad  I.10.  Its  caracteristics  (hapax  legomenon,  non  grammatical  form,  loose  syntax,  absence  de  context,  etc.)  make  it  difficult  to  understand.  This  is  also  what  makes  it  interesting  because  its  reading  and  commentary  necessarily  lead  to  interpretation.  It  was  probably  modified  before  Ωaµkara's  commentary  (VIIIth  century)  ;  its  metrical  form  and  original  tonality  were  lost  and,  through  the  saµdhi,  its  structure  itself  was  reorganized.  It  seems  that  Ωaµkara  knew  only  this  altered  form  when  he  commented  the  Vedic  mantra  and  made  it  a  Vedæntic  one.  He  was  only  interested  in  the  meaning  of  the  text  and  left  its  form  aside,  while  non  Vedæntin  commentators  like  Bha††a  Bhæskara  (XIIth  century)  still  regarded  the  form  as  the  center  of  their  commentary.  Nowadays  Indian  translators  claim  to  be  truthful  to  Ωaµkara's  tradition  but  in  fact  carry  on  modifying  the  mantra  in  the  direction  of  “Indian  Philosophy”,  Indian  nationalism  and  Hindu  identity.  Not  many  of  the  so-­‐called  scientific  translations  are  well  founded  from  a  philological  point  of  view,  even  though  they  pretend  to  react  against  the  spiritual  philosophism  of  P.  Deussen  and  his  followers.  From  antiquity  until  now,  we  can  trace  the  vicissitudes  of  the  approach  of  this  mantra,  which  has  been  constantly  reinterpreted  according  to  the  different  viewpoints,  calling  eternity  to  support  the  present.    Key-­‐words  :  TaittirÚya,  UpaniÒad,  Ωaµkara,  Indian  nationalism,  Hindu  identity.