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POSITION PAPER LE TTIP OU LE CHOIX D’UNE EUROPE HUMANISTE ? Novembre 2014 EUGENIA BARDARO | CONSEILLÈRE CEPESS

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POSITION PAPER

LE TTIP OU LE CHOIX D’UNE EUROPEHUMANISTE ?Novembre 2014

EugEnia Bardaro | Conseillère Cepess

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POSITION PAPER

LE TTIP OU LE CHOIX D’UNE EUROPE HUMANISTE ?Novembre 2014

EugEnia Bardaro | Conseillère Cepess

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1. BACKGROUND HISTORIQUE. COMMENT EST-ON ARRIVÉ LÀ ?Au cours des premières décennies du XXe

siècle, les questions commerciales ont conduit les pays à s’engager dans des interactions de plus en plus complexes, d’où la nécessité de mettre en place une plateforme pour faciliter et réglementer les négociations commerciales. L’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce - General agreement on tariffs and trade - (GATT) qui en a résulté en 1947 avait comme objectif d’instaurer un système commercial multilatéral avec l’abaissement négocié des tarifs douaniers mais également d’établir un système de règles commerciales internationalement reconnues. Le GATT fai-sait partie des institutions de la gouvernance internationale créées afin de garantir une gestion multilatérale. Ces différentes ins-titutions sont liées et connectées aussi au projet européen. L’objectif était d’assurer une coexistence pacifique avec une gouvernance globale multilatérale. Le dernier cycle de l’Uruguay a donné vie à

l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 1995. Son champ d’action est plus large que celui du GATT car elle règle les accords commerciaux des biens et services entre ses membres y compris les droits de propriété intellectuelle. En 2001, dans un élan de solidarité mon-

diale, les pays membres de l’OMC ont lancé le «Programme de développement de Doha». L’Union européenne fut le principal instigateur des négociations de Doha dont le lancement avait un double but : souligner l’importance du système de gouvernance économique mon-diale, dont l’OMC est une pièce maîtresse, quelques semaines après les attentats du 11 septembre ; surmonter l’échec retentissant de la réunion de l’OMC en 1999 à Seattle, connue pour ses affrontements violents entre altermondialistes et policiers. Les négociations du cycle de Doha n’ont tou-

jours pas abouti. Il y a au moins trois explica-tions à cette paralysie : 1. l’objectif de ce cycle n’est pas clair ; 2. la notion de développement

se prête à des définitions différentes ; 3. la présence de 160 membres rend les négocia-tions plus difficiles tout comme l’existence de nouveaux acteurs sur la scène internationale. Par conséquent, les négociations multilaté-rales n’avancent pas et les accords bilatéraux sont devenus la règle. La multiplication de ces accords préférentiels de libre-échange risque de vider de sa substance le système multilatéral de l’OMC dont un des piliers est la non-discrimination.Les textes du GATT, repris par l’OMC, imposent

un certain nombre de principes notamment pour empêcher la discrimination entre pays dans les modalités d’accès aux marchés natio-naux des parties contractantes (traitement de la nation la plus favorisée). Le «traitement général de la nation la plus

favorisée» (article I) généralise à l’ensemble des parties contractantes «tous avantages, faveurs, privilèges ou immunités accordés par une partie contractante à un produit ori-ginaire ou à destination de tout autre pays». Cette disposition impose donc de traiter les membres sur pied d’égalité. L’article XXIV du GATT permet une exception au principe de non-discrimination entre membres pour la création de zones de libre-échange et d’unions douanières. Cet article permet d’aller plus loin en termes de libéralisation, à condition qu’elle ne se fasse pas au détriment des autres pays.Entre 1947 et le début des années 1990, très

peu d’accords de libre-échange régionaux ont été signés. L’UE en est un exemple. Durant la même période, les Etats-Unis ont signé un accord avec Israël en 1945 et avec le Canada en 1947. Le début des années 1990 est marqué par une

très forte accélération de la création d’accords commerciaux régionaux. Au début des années 1990, il y avait 50 accords régionaux dont seu-lement 6 avaient un réel contenu. En 2001, il y en avait 200 et aujourd’hui, on dénombre 400 accords régionaux. L’exception prévue par l’article XXIV du GATT a fini par devenir la

1 Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement – Transatlantic Trade and Investment Partnership.

2Pierre Defraigne, Reprendre la main: d’un transatlantisme déstabilisateur à un trilogue stratégique US-UE-Chine, Mandariaga Paper, Vol. 6, No. 4, June 2013.

« Le début des années 1990 est marqué par une très forte accélération de la création d’accords » commerciaux régionauxdans certains secteurs »

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pratique courante. Cette multiplication sou-lève des inquiétudes quant à la pérennité du nouveau système commercial multilatéral. L’UE est de plus en plus engagée sur la voie

des accords préférentiels de libre-échange. Elle a signé environ 50 accords régionaux avec notamment les pays de la Méditerranée, les autres pays européens et ses anciennes colonies qui représentent 1/3 de son com-merce. Elle vient de finaliser un accord avec le Canada qui doit encore être ratifié. Elle a une série de négociations en cours avec le Japon (lancées il y a un an), l’Inde (lancées il y a 7 ans) et les Etats-Unis. Les Etats-Unis se sont engagés sur deux

fronts : d’un côté, le Pacifique avec l’accord Trans-pacific partnership (TPP) qui vise à créer une vaste zone de libre-échange, mais qui, dans la réalité, rassemble les pays asia-tiques soucieux de cultiver l’amitié américaine, gage de leur sécurité; et de l’autre, l’Atlan-tique avec le Traité Transatlantique (TTIP)1. Certains voient dans ce projet la volonté des Etats-Unis en tant que puissance en déclin relatif de faire bloc contre le nouveau venu, en l’occurrence la Chine2. Dans ce scénario, les USA, seul pivot des accords transpacifique et transatlantique, se trouveraient en position dominante. Il va sans dire que la constitution de blocs commerciaux rivaux est une voie dangereuse tant pour les intérêts que pour les valeurs européennes. Les accords bilatéraux sont devenus une

réalité inévitable. Dans ses déclarations, l’UE s’est toujours fortement engagée dans le multilatéralisme commercial défendu par l’OMC. Mais depuis l’enlisement du cycle de Doha, elle a développé une nouvelle stratégie de libéralisation bilatérale. Alors qu’un ambi-tieux accord multilatéral pourrait être plus souhaitable, un moratoire mondial sur les accords bilatéraux est politiquement irréaliste et inapplicable légalement. Même un succès du cycle de Doha n’aurait pas mis fin à la vague actuelle du bilatéralisme. Par conséquent, le débat ne doit pas être présenté comme un choix dichotomique entre multilatéralisme

« Depuis l’enlisement

du cycle de Doha, l’Union

européenne a développé

une nouvelle stratégie» de libéralisation

bilatérale

et bilatéralisme. Au contraire, la question clé est de savoir comment gérer les frictions entre les deux niveaux de négociations tout en essayant de trouver des nouvelles voies pour le système multilatéral3.

2. QU’EST-CE QUE LE TTIP ?

Le Traité Transatlantique est un accord que les Etats-Unis et l’Union Européenne sont en train de négocier avec une réelle volonté, à la fois politique et économique, de libéraliser les échanges commerciaux entre eux. L’idée de créer une zone de libre-échange

entre l’UE et les Etats-Unis n’est pas nouvelle. Dans les années 1960, à l’apogée de la guerre froide, les Etats-Unis avaient déjà proposé la création d’une zone de libre-échange de l’At-lantique du Nord (ALENA). Dans les années 1990, après la fin de la guerre froide, l’impulsion est venue de l’UE, qui a proposé de créer le TAFTA (Transatlantic Free Trade Area), l’acro-nyme ALENA ayant entre-temps été adopté par l’Accord de libre-échange nord-américain. L’objectif principal du TAFTA n’était pas éco-nomique mais politique. C’était la réponse à la peur, principalement en l’Allemagne et au Royaume-Uni, que la fin de la guerre froide se traduise par un désengagement des Américains en Europe et par l’effondrement de l’OTAN. Cette initiative n’a pas connu plus de succès que la précédente, mais elle a conduit à la création du nouvel agenda transatlantique, un forum pour promouvoir la coopération réglementaire transatlantique. Il a ensuite été remplacé par le nouveau partenariat éco-nomique transatlantique, une autre initiative visant à réduire les obstacles réglementaires, mais qui a eu des résultats économiques tout aussi modestes.A la différence des précédents, le TTIP est

un projet plus ambitieux qui - pour reprendre l’expression utilisée par Karel de Gucht, ancien Commissaire au Commerce - a comme objectif de créer un « marché intérieur transatlan-tique ». Il ne s’agit pas d’une simple zone

1 Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement – Transatlantic Trade and Investment Partnership.2Pierre Defraigne, Reprendre la main: d’un transatlantisme déstabilisateur à un trilogue stratégique US-UE-Chine, Mandariaga Paper, Vol. 6, No. 4, June 2013.3Warwick Commission, The Multilateral Trade Regime: Which Way Forward?, Coventry, The University of Warwick, 2007.

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« Dans le cas des échanges entre l’Europe et des Etats-Unis, les tarifs douaniers sont bas mais comportent des pics tarifaires dans certains secteurs »

« Ce qui continue à faire obstacle aux échanges, ce sont les dif-férences de législations »

de libre-échange, mais d’un accord vaste et complet4 comprenant trois volets :

1. Accès aux marchés 2. Règles commerciales permettant

d’aller plus loin en matière de droit du travail, environnement, propriété intellectuelle, etc.3. Convergence règlementaire par har

monisation ou reconnaissance mutuelle en matière de normes et de standards, propriétéd intellectuelle, etc.

Le TTIP vise tout d’abord à supprimer – presque – tous les tarifs douaniers subsistants afin de faciliter les transactions. Dans le cas de l’Europe et des Etats-Unis, ceux-ci sont bas – la moyenne étant de 5,2 % pour l’UE et de 3,5 % pour les États-Unis – mais comportent encore des pics tarifaires dissuasifs dans des secteurs comme la construction ferroviaire, le textile, l’habillement et la chaussure. Par exemple les Etats-Unis imposent des taxes de 10% sur les chaussures européennes et de 22% sur nos produits laitiers. De son côté, l’Union européenne protège surtout son agri-culture avec des droits de l’ordre de 13 % en moyenne et cela monte à 45 % sur la viande et même jusqu’à 145 % sur les abats congelés de viande bovine, un secteur où les Américains sont très compétitifs. Dans les deux cas, ces «pics» restent tou-

tefois très localisés sur certains produits. Il n’y a donc pas grand-chose à attendre de la baisse ou même de la suppression des taxes existantes. Ce qui continue à faire obstacle aux échanges,

ce sont les différences de législations, c’est-à-dire les normes et standards de protection de l’environnement, du consommateur, de la santé, etc. Le TTIP est un projet d’accord com-mercial de nouvelle génération car il s’attaque à la réduction de ces barrières non tarifaires et notamment règlementaires. Les normes et standards règlementaires varient d’un pays à l’autre car ils répondent en effet à des

valeurs sociétales et culturelles profondes. La complexité de la convergence réglementaire, raison d’être principale du TTIP, vient de ce qu’elle prend appui sur le terrain sensible des valeurs. Il faut souligner la forte différence qui existe entre la culture américaine et la nôtre (logique de précaution, lois relatives au travail, sécurité sociale, services publiques, culture et agriculture,….).L’objectif des négociateurs est de diminuer

les obstacles non tarifaires aux échanges, notamment en matière de services, d’inves-tissements, d’accès aux marchés. Il organi-serait aussi la convergence règlementaire par harmonisation ou reconnaissance mutuelle en matière de normes et de standards, propriété intellectuelle, etc. Ce projet veut dépasser les accords de l’OMC

en intégrant une libéralisation des échanges de services mais aussi un volet réglementaire. Cependant, il est beaucoup trop ambitieux à la fois dans son champ d’application mais aussi dans le timing. Cela a été une erreur de penser pouvoir aboutir à un accord pour l’automne 2014. Ce choix a été probablement dicté par une volonté d’avoir un résultat avant la fin de la Commission Barroso.

4Pierre Defraigne, Departing from TTIP and going plurilateral, Madariaga-College of Europe Foundation, Octobre, 2014.

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du total des exportations de l’UE. S’agissant des services, les échanges bilaté-

raux ont représenté 282,3 milliards € avec un solde positif pour l’UE de 5,5 milliards €. On estime à cinq millions le nombre d’emplois européens qui dépendent des exportations vers les Etats-Unis. Le TTIP a pour but de dynamiser la croissance

des deux côtés de l’Atlantique. Bien que les estimations varient et que certains secteurs ou certaines régions pourraient avoir un impact négatif, les gains sont attendus au niveau global des deux côtés de l’Atlantique. Toutefois, les chiffres avancés sont modestes. Selon une étude5 commanditée par la Commission, il en résulterait, dans le meilleur scénario, une hausse de 0,5 % du PIB européen d’ici 2027. Celle-ci se traduirait en un bénéfice de 119 milliards d’euros par an, l’équivalent de 545 € de gain de pouvoir d’achat par ménage euro-péen et par un relèvement des salaires des travailleurs qualifiés et peu qualifiés de 0,5%.

3. CET ACCORD EST-IL SI IMPORTANT ?L’Union Européenne est la première puis-

sance commerciale au monde devant la Chine et les Etats-Unis. Si l’on exclut le commerce intra-européen, l’UE représente près de 15% des exportations mondiales de marchandises (soit 1 686 milliards d’euros), près de 25% des exportations mondiales de services (soit 640 milliards d’euros) et 57% des flux d’in-vestissements directs à l’étranger (soit 222 milliards d’euros).La Chine représente 14% des exportations

mondiales de marchandises, ce chiffre a doublé en seulement dix ans tandis que les Etats-Unis en représentent aujourd’hui 13%. Les Etats-Unis sont notre premier partenaire

commercial. Les échanges entre l’UE et les Etats-Unis représentent 30 % du commerce mondial, et ces deux ensembles couvrent un peu moins de la moitié de la richesse mondiale. Le commerce bilatéral de biens représentait 455 milliards € en 2011 et a dégagé un solde positif pour l’UE de plus de 72 milliards €. Les Etats-Unis étaient le troisième fournisseur de l’UE avec des ventes de 192 milliards € cor-respondant à 11% du total des importations européennes. Ils étaient en même temps le premier marché de l’UE, avec des achats de 264 milliards € de bien européens, soit 17%

5«Reducing barriers to Transatlantic Trade» (réduire les obstacles au commerce transatlantique), CEPR, Centre d’études sur la politique économique basé à Londres.

« L’Union Européenne

est la première puissance

commerciale au monde devant la Chine et les Etats-Unis, et

représente 15% des exportations

mondiales »

« Selon une étude commanditée par la Commission, le

TTIP permettrait dans le meilleur

des cas une hausse de 0,5 %

du PIB européen d’ici 2027.»

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Le retour à la croissance et à l’emploi passe prioritairement par la capacité européenne de mettre en place un plan de relance durable.

L’hypothèse que le projet soit intégralement réalisé et que les barrières non tarifaires soient réduites de 25 %. En effet, selon l’étude du CEPR, la réduction des barrières non tarifaires est cruciale car jusqu’à 80% des avantages économiques du partenariat transatlan-tique pourraient être obtenus en abaissant les coûts liés à la lourdeur des procédures administratives.Les exportations de tous les secteurs de l’éco-

nomie devraient augmenter. Selon l’étude, l’UE pourrait voir ses exportations vers les Etats-Unis augmenter de 28% soit 187 milliards d’euros supplémentaires en exportations de biens et de services européens. Par ailleurs, les exportations européennes et américaines vers le reste du monde augmenteraient res-pectivement de plus de 33 milliards d’euros, essentiellement du fait qu’au moins une partie des économies réalisées grâce à la réduction des obstacles non tarifaires ne se limiteront pas aux flux commerciaux bilatéraux entre l’Union européenne et les Etats-Unis. Des estimations6 de la Commission sont avan-

cées sur l’emploi, elles prévoient la création de 15.000 emplois dans l’UE pour chaque milliard d’euros d’échanges de biens ou ser-vices. Sur base de ce chiffre et compte tenu

de la hausse des exportations, telle que pré-vue dans l’exercice de simulation du CEPR, plusieurs millions d’emplois seraient créés dans les secteurs exportateurs de l’économie européenne. Toutefois, compter sur les expor-tations pour régler le problème du chômage en Europe est illusoire pour un continent dont le PIB n’est dû aux exportations qu’à occur-rence de 12%. Les politiques d’austérité ou de rigueur ont largement réduit les perspectives de croissance. Le retour à la croissance et à l’emploi passe prioritairement par la capacité européenne de mettre en place un plan de relance durable. Par ailleurs, il faudrait aussi prendre en compte la distribution des gains entre Etats-membres. Or, l’UE ne dispose pas d’instruments pour corriger ces inégalités, le TTIP risque probablement de les exacerber.

6L’étude du CEPR ne comporte aucune donnée relative à l’incidence générale du TTIP sur la création d’emplois parce que les chercheurs ont utilisé un modèle économique pour prévoir l’incidence à long terme des changements de poli-tique commerciale.

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4. OBSTACLES

En ce qui concerne le commerce des biens, les européens sont très attachés à la notion d’ap-pellation géographique. Pour les Américains, il s’agit de barrières aux échanges. D’un autre côté, les Américains ne veulent pas céder sur les aspects réglementaires des services finan-ciers. La protection de la vie privée n’a pas la même portée des deux côtés de l’Atlantique rendant l’accord encore plus complexe. Au niveau de l’énergie, les Européens sont dési-reux d’accéder aux ressources américaines. Mais la législation américaine n’autorise pas l’exportation de pétrole brut. Les seules déro-gations existantes concernent le Mexique, le Canada et plus récemment la Corée. Enfin, pour les investissements, le principal obs-tacle concerne le système de règlement des différends (Investor State Dispute Settlement - ISDS) qui, à cause de nombreux abus, a créé un climat d’opposition.

5. QUELLES CRITIQUES ADRESSER AU TTIP ?

5.1 ABSENCE DE TRANSPARENCE

Alors que la Commission européenne quali-fie les négociations de transparentes, publie régulièrement des documents sur le TTIP sur son site Internet et tient des conférences de presse pour faire le point sur l’avancée des négociations, de nombreuses organisations de la société civile et certains eurodéputés réclament plus d’informations. La transparence est une condition préalable

pour une Europe véritablement démocratique. L’UE doit aller vers une Europe des citoyens, reposant sur la transparence et la confiance. Ainsi, il est primordial que la transparence soit garantie dans toute négociation commerciale afin que les citoyens soient informés et que leurs intérêts soient protégés. La politique commerciale commune de l’Union

est l’un des domaines où elle dispose d’une

compétence pleine et directe. En d’autres termes, l’Union agit en tant qu’acteur unique et la Commission négocie les accords com-merciaux au nom des 28 États membres. Depuis l’entrée en vigueur du Traité de

Lisbonne, le Conseil et le Parlement sont colégislateurs et sont placés sur un pied d’égalité en ce qui concerne les questions commerciales.Dans ce cadre, le Parlement européen pourrait

être encore plus associé aux négociations, il pourrait par exemple doter le Commissaire en charge d’un mandat précis. Il serait également important de renforcer le rôle des assemblées parlementaires des Etats membres en encou-rageant des membres de la Commission à aller régulièrement discuter de ces questions avec les élus. Il faut souligner que la stratégie du

Commissaire en charge du dossier sous la précédente législature n’a pas contribué à renforcer ce sentiment de transparence. En effet, dans le cadre de la négociation avec le Canada, la Commission a lancé une consul-tation publique qui a recueilli environ 150.000 réponses sur lesquelles le Commissaire c’est assis, en refusant d’en tenir compte.

5.2 LE SYSTÈME DE RÈGLEMENT DESDIFFÉRENDS INVESTISSEURS-ÉTATS

La clause arbitrale (ISDS) est un mode de résolution des conflits qui a sa place dans des situations où l’Etat de droit n’est pas très solide, et c’est un moyen pour nos entreprises de pouvoir faire valoir leurs droits. En l’occurrence, le recours à l’ISDS ne se

justifie pas entre deux partenaires comme les USA et l’UE dotés d’un bon système légal et d’une justice indépendante. Certains affirment qu’un système de règlement des différends investisseurs-Etats pourrait augmenter le flux d’investissement alors que la littérature académique rejette presque à l’unanimité cette hypothèse7.

7JAFFE A.B, J. LERNER, Innovation and its Discontents, Princeton University Press, 2011. SAUVANT, K.P. and L.SACHS (ed.), The Effect of Treaties on Foreign Direct Investment, Oxford University Press, 2009.

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Pourquoi les USA veulent-ils inclure ce type d’arbitrage dans le TTIP ? Deux interpréta-tions différentes existent. Certains y voient une façon de laisser les grandes entreprises contester toutes les législations qui iraient contre leurs intérêts, une sorte de cheval de Troie contre les législations environnemen-tales et sociales. Mais on peut aussi considé-rer que la création de ce tribunal d’arbitrage entre l’UE et les USA est avant tout nécessaire pour justifier ensuite qu’on l’impose dans d’autres accords avec des pays émergents, notamment la Chine. Selon M. De Gucht, l’accord TTIP inclura un

filtre permettant d’écarter les demandes manifestement déraisonnables. En outre, le texte délimitera beaucoup plus clairement l’espace réglementaire protégé des poursuites de multinationales. Une procédure comme celle de Philip Morris8 ne serait pas du tout possible avec le TTIP.Jean-Claude Juncker, président de la

Commission, dans son discours d’investiture, le 15 juillet 2014 devant le Parlement euro-péen, s’est engagé à ne pas «accepter» que la juridiction des tribunaux des États membres de l’UE soit limitée par des régimes spéciaux

applicables aux litiges entre investisseurs. L’État de droit et le principe d’égalité devant la loi doivent s’appliquer aussi dans ce contexte. Par ailleurs, lors de son audition, la commis-saire en charge du commerce, a déclaré qu’il fallait être très prudent car il y a eu des abus avec ce genre d’instances. Toutefois, « il est trop prématuré de dire qu’on ne va pas prévoir ces tribunaux dans le traité transatlantique. Pour prendre cette décision, il faut qu’on dis-cute » a-t-elle ajouté. Selon la commissaire, il serait en effet possible de mettre sur pied un système qui évite les abus et assure une transparence complète. Concernant l’accord de libre-échange entre l’UE et le Canada, le CETA, qui contient ce même dispositif sur les tribunaux d’arbitrage, elle a déclaré que l’on ne pourra retirer le dispositif sur les tri-bunaux de ce traité, à moins de renoncer au texte dans sa totalité.

8Philip Morris a intenté une action en justice contre le gouvernement australien en lui envoyant un avis d’arbitrage, con-formément aux dispositions du traité bilatéral d’investissement entre l’Australie et Hong Kong. La notice d’arbitrage a été envoyée au gouvernement immédiatement après l’adoption par le parlement australien d’une loi sur l’emballage neutre des produits du tabac. Philip Morris souhaite la suspension de cette loi ainsi qu’un dédommagement substantiel pour les pertes que l’emballage neutre fera subir à ses marques de valeur et à ses investissements en Australie.

La création d’un tribunal d’arbitrage entre l’UE et les USA est avant tout nécessaire pour justifier ensuite qu’on l’impose dans d’autres accords avec des pays émergents

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CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

Les ambitions de ce projet ne sont pas stricte-ment économiques. Si un accord intervient, il est peu probable qu’il révolutionne nos écono-mies. Outre l’avantage économique modeste de cet accord (d’autant qu’il n’aura pas un impact uniforme sur toutes les économies européennes), il ne répond pas aux problèmes économiques européens actuels, à savoir le risque de déflation et la perte de niveau de vie des ménages. Il faut également souligner qu’aux USA, des voix commencent également à se faire entendre contre la conclusion de cet accord, car la conclusion d’autres accords bilatéraux ou régionaux (notamment l’ALENA USA-Canada-Mexique) n’ont pas eu les effets escomptés sur la croissance et l’emploi.

En réalité, ce projet répond avant tout à une ambition d’ordre politique, qui traduit la volonté de renforcer la coopération entre l’Europe et les Etats-Unis, et de démontrer au reste du monde que nous restons des alliés proches. Il s’agit donc d’un message adressé aux pays émergents comme les BRIC9 et en particulier à l’égard de la Chine.

Si l’on considère le poids économique et com-mercial des deux parties, leurs nombreux accords commerciaux avec des pays tiers et leur influence normative sur la politique mondiale, la signature du TTIP aura certaine-ment un impact sur le système international10. Si un tel type d’accord était signé, s’il n’est pas destiné à être étendu à d’autres parties ensuite, un tel accord retarderait l’évolution multilatérale du système commercial.

Dans le contexte actuel, caractérisé par l’émer-gence de nouveaux acteurs sur la scène inter-nationale ainsi que des défis mondiaux tels que le changement climatique, les déséquilibres financiers et l’augmentation de la précarité, l’Union européenne doit pouvoir mettre en avant son agenda, son rôle et

étendre son influence normative régionale et mondiale. Ce nouveau rôle de l’Europe dans le monde reposerait sur plusieurs principes, à commencer par la défense du multilatéra-lisme plus profond et plus institutionnalisé. L’Union européenne doit encourager la coo-pération multilatérale dynamique et plura-liste qui inclurait des règles et procédures communes et serait ouverte, par opposition à une alliance exclusive. L’UE doit surtout encourager des relations entre Etats allant au-delà de la réciprocité spécifique au profit d’une réciprocité diffuse.

Force est de constater que l’OMC à elle seule ne suffit pas et la négociation du TTIP démontre qu’elle n’est plus le forum approprié pour aborder les questions du commerce interna-tional et des investissements avec quelques chances de succès, au moins dans un avenir prévisible. Pour aboutir à un accord dans le cadre de la négociation pour le TTIP, il sera question de revoir l’agenda, de se fixer des objectifs plus modestes mais réalisables. Par exemple, il faudra se limiter aux domaines traditionnels n’incluant ni la réglementation ni les investissements.

La priorité pour l’Union européenne doit être de développer un nouveau modèle éco-nomique, qui renforce la capacité de crois-sance des acteurs économiques européens (croissance endogène), axé sur l’innovation, la transition énergétique et la relance des investissements.

9Brésil, Russie, Inde, .10Meunier, Sophie et Jean-Frédéric Morin, “No Agreement is an Island Negotiating TTIP in a Dense Regime Complex”, in J.F. Morin, T. Novotna, F. Ponjaert and M. Telo’ eds., Telò, eds., TTIP in a Multipolar World, Ashgate, à paraître en 2015

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•  POSITION DU cdH RELATIVE AU TTIP, ADOPTÉE AU BUREAU POLITIQUE DU 17 NOVEMBRE 2014

Le cdH propose de suspendre les négocia-tions sur le TTIP compte tenu du nouveau momentum politique suscité par la mise en place d’une nouvelle Commission européenne, d’un nouveau Parlement européen et un posi-tionnement affirmé de la société civile euro-péenne. Cette suspension doit être l’occasion pour l’Europe d’affirmer de façon claire son agenda, ses priorités et son calendrier.La reprise des négociations ne peut se faire

qu’aux conditions suivantes :

1.Revoir le mandat de négociation. La mise en place de la nouvelle Commission doit être vue comme une opportunité de redéfinir le mandat de négociation, le champ d’application sur base d’une liste fermée des matières ouvertes à la discussion. Ce nouveau mandat doit pouvoir être discuté au sein du Parlement européen, en associant les parlements nationaux ainsi que les partenaires sociaux européens. Un reporting régulier des négociations doit pou-voir être assuré auprès des élus européens..

2.Définir des balises claires. Ce nouveau mandat doit fixer des balises claires et trans-parentes relatives aux principaux éléments constitutifs du modèle européen actuel et à venir. Ces balises doivent notamment traiter de la production alimentaire de qualité et des normes sanitaires (exclusion des OGM, usage des hormones de croissance, etc) ; la protection environnementale ; l’exclusion de domaines d’utilité publique essentiels comme l’eau, la santé, l’éducation… L’accord doit également inclure des dispositions sur les modes de régulation financière et bancaire, l’échange de données et la lutte contre les paradis fiscaux ;

3.Accorder la priorité absolue à une stratégie globale d’investissements pour l’activité et l’emploi par le biais de la mobilisation d’une enveloppe de 300 milliards d’euros (cfr. annonce du Président de la Commission européenne). Il est nécessaire de privilégier la relance de croissance endogène qui est plus efficace et plus rapide que la relance exogène par les exportations.

4.Exclure la clause de règlement des diffé-rends Etat-investisseurs car le cdH ne peut pas accepter l’inclusion d’un organe qui limite la juridiction des Etats-membres. De plus, une telle clause ne se justifie entre deux parties qui disposent d’outils de juridiction largement développés et performants.

5.Procéder à une étude d’impact portant non seulement sur les aspects économiques mais aussi sur la dimension sociale et envi-ronnementale. Dans le cadre belge, le cdH propose de demander au Bureau fédéral du Plan de chiffrer l’augmentation du PIB prévue en Belgique en conséquence de la conclusion de l’accord transatlantique en projet, en por-tant une attention particulière sur l’impact pour les PME.

6.Définir de manière stricte le champ d’ap-plication de la négociation (déterminer une liste fermée de sujets) et inclure au sein de celui-ci la coopération contre l’évasion fiscale, l’abolition de paradis fiscaux et la réglemen-tation financière et bancaire. Ces thèmes ont en effet un impact majeur sur la croissance et l’emploi et l’interdépendance des marchés financiers des deux parties est forte.

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