LetournantdelavieNicholasSparksÉdition:Pocket

PrologueQuandcommenceréellementunehistoire?Raressontlesmomentsdontnouspouvonsdireavecuncertainrecul:c’estalorsquetoutacommencé.Ilarrivepourtantqueledestincroisenotrecheminetdéclencheuneséried’événementsàl’issueimprévisible.Ilestprèsdedeuxheuresdumatinetjen’aitoujourspasfermél’œil.Jemesuistournéetretournédansmonlitpendantuneéternitéavantderenonceràdormir.Assisdevantmonbureau,monstyloàlamain,jem’interrogemaintenantsurmonrendez-vousavecledestin.Celadevientdeplusenplusobsédantcesdernierstemps.Danslesilencedelamaison,l’onn’entendqueletic-tacrégulierd’unependule,

poséesurl’étagère.Mafemmedortaupremierétageetjeregardefixementmonbloc-notesenmedemandantparoùcommencer.Jenedoutepasdemonhistoire,maisdecequimepousseàlaraconter.Àquoibondéterrerlepassé?Lesévénementsquejevaisévoquersurvinrentilyatreizeans;ilsplongentvraisemblablementleursracinesdeuxansplustôt.Jepense,cependant,quejedoismelancer,aumoinspourmelibérerdupoidsquim’oppresse.Messouvenirsdecettepériodereposentsurdiverséléments.Unjournalquejetiensdepuismonenfance,undossierdecoupuresdepressejaunies-mapropreenquête-et,biensûr,l’enquêteofficielle.Enoutre,j’airevécudescentainesdefoiscesévénementsparlapenséeetilssontscellésdansmamémoire.Réduitàcela,monrécitseraittoutefoisincomplet.D’autresquemoiyontétémêlés,etjen’aipasassistéenpersonneàtoutcequejeraconte.Sansavoirlaprétentiondefairerevivreintégralementlessentimentsetlesréflexionsd’autrui,jevaism’atteleràcettetâche,pourlemeilleuroupourlepire.Ils’agitavanttoutd’unehistoired’amour.Commetantd’autres,l’histoired’amourdeMilesRyanetdeSarahAndrewsestancréedansunetragédie.Ils’agitaussidepardon,etj’espèrequevouscomprendrez,aprèscettelecture,ledéfiqu’ontdûreleverMilesetSarah.J’espèrequevouscomprendrezaussilesdécisions,bonnesoumauvaises,qu’ilsontprises,ainsiquelesmiennes.Maissoyonsclairs.CettehistoiredébuteavecMissyRyan,l’amourdejeunessed’unshérifadjointd’unepetitevilleduSud.CommeMilesRyan,sonmari,MissyétaitoriginairedeNewBern.Toutlemondes’accordeàdirequ’elleétaitdouceetcharmante.Milesl’aimaitfollement.Elleavaitdescheveuxchâtainfoncé,desyeuxencoreplussombres,ettousleshommesdelarégionsepâmaientausondesavoix.Elleriaitpourunrien,écoutaitavecintérêtsesinterlocuteurs,eneffleurantleurbrascommepourlesinviteràentrerdanssonpropreunivers.VéritablefemmeduSud,elleavaitplusd’autoritéqu’onnel’auraitcrudeprimeabord,etelleétaitl’élémentmoteurducouple.MilesavaitgénéralementpouramislesmarisdesamiesdeMissy;ilsdonnaienttousdeuxlaprioritéàleurviedefamille.Aulycée,lacharmanteMissyétaittrèspopulaire.Endeuxièmeannée,ellefitlaconnaissancedeMilesRyan,sonaînéd’unan.Présentéspardesamis,ilsdéjeunaientensembleetbavardaientaprèslesmatchesdefoot.Ilsfinirentparseretrouveràunesoirée,devinrentinséparables,et,quelquesmoisplustard,quandMilesinvitaMissyaubaldesélèves,ilsfilaientdéjàlegrandamour.Certainespersonnesricaneraientàl’idéed’unepassionentredesijeunesgens.MilesetMissys’aimaientpourtantd’unamourd’autantplusprofondqu’iln’étaitpastempéréparlesréalitésdelavie.IlssortirentensemblependantdeuxansetrestèrentfidèleslorsqueMiless’inscrivitàl’universitédeCarolineduNord.Missylerejoignitaprèssondiplôme.Quandillademandaenmariage,aucoursd’undînertroisansplustard,ellepassal’heuresuivantependueautéléphone,pourannoncerlabonnenouvelleàsafamille;ilterminasonrepastoutseul.IlattenditàRaleighqu’elleobtiennesalicence,etleurmariageréunitdenombreux

convivesdansl’églisedeNewBern.Milesentreprituneformationdeshérifadjoint;MissytrouvaunemploidegestionnairedecréditàlaWachoviaBank.ElleétaitenceintededeuxmoisquandMilesentraauserviceducomtédeCraven,oùilpatrouillaitdansdesruesquileurétaientdepuistoujoursfamilières.Commebeaucoupdejeunescouples,ilsachetèrentleurpremièremaison.Enjanvier1981,àlanaissancedeJonah,Missycompritaupremierregardqu’elleétaitfaitepourlamaternité.Jusqu’àsixmois,sonbébénepassapasuneseulenuitcomplèteetelleavaitparfoisenviedehurleraussifortquelui;maisellel’aimaitplusquetoutaumonde.Mèreépanouie,elleabandonnasonemploipours’occuperàpleintempsdeJonah,luiliredeshistoires,lefairejoueretl’emmeneroccasionnellementàlagarderie.Quandileutcinqans,Milesetellecommencèrentàrêverd’undeuxièmeenfant.Leursseptannéesdemariagefurentunvraibonheur.Mais,enaoût1986,Missyperditlavieàvingt-neufans.SamortéteignitlalumièrequibrillaitdanslesyeuxdeJonahetobsédaMilespendantdeuxannéesentières.Elleouvritlavoieàtoutcequisurvintensuite.Voicidonc,commejel’aidéjàdit,l’histoiredeMissy,autantquecelledeMilesetdeSarah.C’estunpeumonhistoire,carj’aijouéunrôlemoiaussidanstouscesévénements.

1Le29août1988,aumatin,unpeuplusdedeuxansaprèsledécèsdesafemme,MilesRyan,assissurleporchederrièresamaison,regardaitlecielgrisâtrevirerlentementàl’orange.SoussesyeuxcoulaitlaTrent,rivièredontleseauxsaumâtresétaientenpartiedissimuléespardesbouquetsdecyprès.Lafuméedesacigarettes’élevaitenvolutesetilsentaitl’airhumidedevenirdeplusenplusdense.Bientôt,lesoiseauxentonnèrentleurstrillesetunpetitbateauàfondplatpassa.Lepêcheurluifitsigne;ileuttoutjustelaforcedeluirépondreparundiscretsalut.Illuifallaitabsolumentunetassedecafé.Ensuite,ilseraitprêtàaffrontersestâchesquotidiennes-conduireJonahàl’école,veilleraurespectdelaloidanslevoisinage,afficherlesmandatsd’expulsiondansl’ensembleducomté-ainsiquecellesquisurvenaientàl’improviste.Parexemple,rencontrerl’institutricedeJonahenfind’après-midi.Etcen’étaitpastout...Lesoir,ilétaitencoreplusoccupé.Ilyavaittantàfaire,simplementpourgérerles

affairescourantes:facturesàrégler,courses,ménage,menuesréparationsdanslamaison.Mêmequandilavaituninstantdeloisir,ilsedépêchaitd’enprofiteravantqu’ilnesoittroptard.Vitetrouverquelquechoseàlire!Profiterd’unmomentderépitpourfermerlesyeux!Unrythmeépuisant.Maisqu’ypouvait-il?Uncafés’imposait.Lanicotineneluisuffisaitplus.Ilsongeaàjetersescigarettes,maiscelaneprésentaitaucunintérêtàsesyeux,carilneseconsidéraitpascommeunvraifumeur.Alorsquecertainespersonnesconsommentunpaquetparjourpendanttouteleurvie,iln’avaitcommencéàfumerqu’aprèslamortdeMissy,épisodiquement,etils’arrêteraitquandilvoudrait.Pourquois’inquiéter?Ilavaitd’excellentspoumons.Unesemaineauparavant,iln’avaiteuaucunmalàrattraperunvoleuràlatirequ’ilpoursuivait.Unfumeurn’enauraitpasétécapable.Certes,celan’avaitpasétéaussisimplequ’autrefois.Àtrente-deuxans,iln’avaitpasencorel’âgedesechercherunemaisonderetraite,maisilsesentaitvieillir.Quandilétaitétudiant,illuiarrivaitdesortirtardlesoiravecdescopainsetdepasserlanuitdehors.Depuisquelquesannées,ilveillaitrarementaprèsonzeheures,saufpourdesraisonsprofessionnelles.Toutensachantqu’ilauraitdumalàtrouverlesommeil,ilpréféraitalleraulit.L’épuisementétaitdevenuunecomposanteessentielledesavie.MêmelesnuitsoùJonahnefaisaitpasdecauchemars-cequiétaitraredepuislamortdeMissy-,ilrestaitéveillé,l’espritaussitroubleques’ilétaitplongédansunmilieusous-marin.Ilattribuaitcephénomèneàlaviemornequ’ilmenait;maisilluiarrivaitdesedemanders’iln’avaitpasunproblèmeplussérieux.Uneléthargie«inexplicableetinjustifiée»étaitl’undessymptômesdeladépression,avait-illuunjour.Saléthargieétait,néanmoins,justifiée...Aufond,ilavaitsurtoutbesoind’unpeudedétentedansunepetitevilla,suruneplagedeKeyWest.IIypécheraitleturbotetsebalanceraitdansunhamacenbuvantunebièrefraîche.Sonsoucimajeurseraitdedéciders’ilsechausseraitounondesandalespoursepromenerlelongdelamer,avecunefemmeaimanteàsescôtés.Sasolitudeluipesait.Ilétaitlasdeseréveillerchaquemalindansunlitvide,bienquecesentimentlesurprenne.Ilétaitrécent.L’annéequiavaitsuivilamortdeMissy,l’idéed’aimeruneautrefemmeneluiétaitpasvenueuneseulefoisàl’esprit.Iln’éprouvaitpluslamoindreenvied’unecompagnieféminine,commesil’amouretledésirétaientdevenusdesabstractionssansaucunrapportaveclemonderéel.Aprèsavoirsurmontélechocinitial,ilavaitpleuréchaquenuit,ensedisantqu’ilavaitdérapé,maisqu’ilfiniraitparretrouversavoietôtoutard.Àvraidire,biendeschosesn’avaientpaschangéaprèssondeuil.Lesfacturesarrivaienttoujours,ilfallaitnourrirJonah,tondrel’herbe,etcontinueràtravailler.Unjour,Charlie,sonchefetsonmeilleurami,luiavaitdemandéaprèsdeuxbièrescommentilsupportaitladisparitiondeMissy.Illuiavaitréponduqu’iln’enavaitpasclairementconscience-commesiMissyétaitpartieenweek-endavecuneamieetluiavaitconfiéJonahjusqu’àsonretour.

Letempsavaitpassé,ainsiquelatorpeurdanslaquelleilavaitsombré.Laréalitéreprenaitsesdroits,maissespenséesconvergeaienttoujourssurMissy.Sonsouvenirnelequittaitpas.D’autantplusqueJonahluiressemblaitchaquejourdavantage.Aprèsl’avoirbordédanssonlit,ilvoyaitparfoislevisagedesafemmetransparaîtresursestraits;deboutsurlepasdelaporte,iltournaitalorslatêtepourcacherseslarmes.Maiscetteimagenelequittaitpluspendantdesheures.IlrevoyaitMissyendormie,seslongscheveuxchâtainsétaléssurl’oreiller,unbrasau-dessusdelatête,leslèvresentrouvertestandisquesapoitrinesesoulevaitrégulièrement.Etsonparfum...Jamaisilnel’oublierait.LepremiermatindeNoël,aprèssamort,ilenavaitrespirédeseffluvesàl’église,etils’yétaitagrippécommeàunebouéedesauvetagependanttouteladuréeduservice...etmêmeaprès.Ils’étaitattachéàd’autresdétails.Jeunesmariés,MissyetluiallaientsouventdéjeunerchezFredetClara,unpetitrestaurantauxmurslambrissés,toutprochedelabanqueoùelletravaillait.Celieuintimeettranquilleleurdonnaitl’illusionqu’ilsavaientl’éternitédevanteux.AprèslanaissancedeJonah,ilsn’yétaientpasretournéstrèssouvent;maisdepuislamortdeMissy,ilavaitrenouéaveccettehabitude.Àlamaisonaussi,ilavaitgardéleshabitudesdesonépouse:ilfaisaitsescoursesausupermarchélejeudisoir,cultivaitdestomateslelongdelamaison,etutilisaitsondétergentpréféré.Missyrestaitomniprésente,quoiqu’ilfasse.Maisquelquechoseavaitchangéauprintemps.Auvolantdesavoiture,ils’étaitsurprisentraindedévorerdesyeuxunjeunecouplemarchantlamaindanslamainsurletrottoir.Uninstant,ils’étaitimaginéaveccettefemme.Avecelleouuneautre...Quelqu’unquil’aimeraitetquiaimeraitJonah.Quelqu’unquileferaitrire,quipartageraitavecluiunebouteilledevinpendantundînerpaisible,etquimurmureraitdanssesbras,unefoisleslumièreséteintes.L’imagedeMissys’étaitalorsimposéeàluiavecuntelsentimentdeculpabilitéetdetrahisonqu’ilavaitcrurenonceràjamaisàcefantasme.Etpourtant...Aussitôtcouché,cesoir-là,ilavaitrepenséàcejeunecouple.Saculpabilitéluiavaitparumoinsoppressanteetilavaitcomprisqu’ilavaitfaitunpremierpas-sipetitfût-il-surlavoiedel’apaisement.Étantveuf,ilavaitledroitd’éprouverdetelssentimentsetpersonnenepouvaitluienfairegrief,avait-ilconclupoursejustifier.Depuisquelquesmois,certainsdesesamisproposaientdeluiprésenterdesjeunesfemmes.D’ailleurs,Missyelle-mêmeauraitsouhaitéqu’ilseremarie.Quandilsjouaientaujeude«etsi?»,sanslemoindrepressentiment,commebeaucoupdejeunescouples,ilspensaientl’unetl’autrequ’unenfantabesoindedeuxparents,etquelesêtreshumainssontdestinésàvivreencouple.Aucoursdel’été,l’idéederenonceràsasolitudeavaitfaitsonchemin.Missyétaitlàetleseraittoujours;maisMilesenvisageaitdeplusenplussérieusementdepartagersavieavecuneautrefemme.Tarddanslanuit,quandils’asseyaitderrièrelamaison,danssonrocking-chair,pourrassurerJonahsursesgenouxaprèsuncauchemar,sespenséessuivaientuncoursidentique:quelleque

soitsavolontéderencontrerquelqu’un,ilavaitpeudechancesd’yparvenir...Faisaitobstacleàsonprojetunevolumineuseenveloppeenpapierkraft,poséesuruneétagèredesachambreàcoucher.Cetteenvelopperenfermaitledossierqu’ilavaitconstituéenquelquesmois,aprèslamortdeMissy.Illegardaitàportéedelamainpournepasoubliercequis’étaitpasséetlatâchequ’ildevaitmeneràbien.Illegardaitaussipoursesouvenirdesonéchec.Milesécrasasonmégotsurlabalustradeetrentraseverserlecafédontilavaittantbesoin.Puisilallajeteruncoupd’œildanslachambredeJonah:ilpouvaitprendresontemps,sonfilsdormaitencore.L’eaudesadouchegargouillaetsifflabruyammentavantdejaillir.Unefoislavéetrasé,ilsebrossalesdentsetremarquaensepeignantquesescheveuxsefaisaientplusrares.Ilrevêtitensuitesonuniformedeshérifetpritsonétuiderevolverdanslecasierverrouillé,au-dessusdelaportedesachambre.DucouloirluiparvintlebabildeJonah.—Bonjour,champion,lança-t-ilensouriant.Assisdanssonlit,lescheveuxenbataille,Jonahlevaversluiauralentisesyeuxbouffisdesommeil.—Salut,p’pa.—Tonpetitdéjeunerserabientôtprêt.Jonahs’étiraetmarmonna:—Tumefaisdescrêpes?—Plutôtdesgaufres,sinononvaêtreenretard.Jonahsebaissaetpritsonpantalon,préparélaveilleparsonpère.—Tudisçatouslesmatins.Mileshaussalesépaules.—Tuesenretardtouslesmatins!—Alors,réveille-moiplustôt.—J’aiunemeilleureidée.Situallaistecoucherquandjetedisquec’estl’heure?—Jesuisfatiguéseulementlematin;paslesoir.—Bienvenueauclub.—Quoi?—Sansintérêt,marmonnaMilesenpointantundoigtverslasalledebains.N’oubliepasdetebrosserlescheveuxquandtuserashabillé!—Ouais,p’pa.Lamêmeroutinetouslesmatins...Ilglissadesgaufresdanslegrille-painavantdeseverserunesecondetassedecafé.QuandJonahréapparut,habillédepiedencap,sagaufrebeurréel’attendaitsurunesoucoupe,àcôtéd’unverredelait.L’enfantyétalalui-mêmeunpeudesiropd’érable,tandisquesonpèreentamaitson

toastsansunmot.Unsilencepaisibles’installa.Auboutdequelquesminutes,Miles,quidevaitabsolumentparleràsonfils,s’éclaircitlavoix.—Çamarcheàl’école?—Pasd’problème.CettequestionetlaréponseimmuabledeJonahfaisaientpartiedelaroutine.Maiscematin-là,enpréparantsonsacàdos,Milesavaitdécouvertunpetitmotdel’institutricel’invitantàlarencontrerdanslajournée.Letondecettelettreluidonnaitl’impressionquec’étaitsérieux.—Çamarchevraimentbien?reprit-il.—Mmh!—Tuasunegentilleinstitutrice?—Mmh!fitànouveauJonah,enhochantlatêteentredeuxbouchées.Devinantquesonfilsn’endiraitpasplus,Milessepenchaverslui.—Tuauraisdûmeprévenirqu’ellet’avaitdonnéunelettrepourmoi.—Quellelettre?—Cellequej’aitrouvéedanstonsacàdos...LesépaulesdeJonahsesoulevèrentcommelesgaufresdanslegrille-pain.—J’aidûoublier...—Çam’étonnerait!Sais-tupourquoielleveutmevoir?—Non...Mileseutlacertitudequesonfilsluimentait.—Fils,tuasdesennuisenclasse?Àcesmots,Jonahclignadesyeux.Sonpèrel’appelait«fils»uniquementquandilleprenaitenfaute.—Papa,j’airienfaitdemal.J’tepromets!—Alors,quesepasse-t-il?—J’saispas.—Tuferaisbienderéfléchir.Réalisantqu’ilavaitpoussésonpèreàbout,Jonahsetortillasursonsiège.—Peut-êtrequejenetravaillepastoujourstrèsbien.—Tum’asditquetuteplaisaisàl’école!—C’estvrai.MlleAndrewsestgentilleettout...Mais,quelquefois,j’arrivepasàcomprendre...—Tuvasjustementenclassepourapprendre.—C’étaitdifférentavecM.Hayes,l’annéedernière.Ellenousfaittravaillerdur,et

j’yarrivepastoujours.Jonahsemblaitàlafoiscraintifetgêné;Milesposadoucementlamainsursonépaule.—Pourquoinem’as-tupasprévenuquetuavaisdesdifficultés?—Parceque,fitl’enfantaprèsunlongmoment,jenevoulaispasquetutefâches.Aprèslepetitdéjeuner,quandJonahfutprêtàpartir,Milesluitenditsonsacàdos,puisill’accompagnajusqu’àlaporte.—Net’inquiètepaspourcetaprès-midi,souffla-t-ilensebaissantpourl’embrassersurlajoue;toutirabien.—Ouais,fitJonah,quiétaitrestémuetdepuisleurdiscussion.—Neprendspaslecar,jeteramèneraiàlamaison.—Ouais.—Jet’aime,champion.—Moiaussi,papa,jet’aime.Milesregardasonfilssedirigerversl’arrêtd’autocar,aucoindelarue.Missyneseseraitpaslaissésurprendreparcettelettre.MissyauraitsuqueJonahavaitdesproblèmesetelleseseraitoccupéedetoutcela.Commetoujours...

2SarahAndrewss’efforçaitdetraverserd’unpasrapidelequartierhistoriquedeNewBern-elleétaitdevenueuneexcellentemarcheusedepuiscinqans.Maiselle

avaitbeaufaire,sonattentionétaitsollicitée,commetoujours,parmillechosesquifreinaientsonallure.Fondéeen1710auborddedeuxrivières,laTrentetlaNeuse,àl’estdelaCarolineduNord,NewBernétaitl’unedesdeuxplusanciennesvillesdecetÉtat,dontelleavaitétéjadislacapitale.LepalaisTyron,résidencedugouverneurdétruiteparlefeuen1798,avaitétérestauréen1954,ainsiquesonparcd’uneexquisebeauté.Destulipesetdesazaléesyfleurissaientauprintemps;deschrysanthèmesenautomne.Aprèsavoirvisitéceparcàsonarrivée,Sarahavaittenuàs’installerdanslevoisinage,afindepouvoirfranchirchaquejoursesgrilles.EllehabitaitdoncsurMiddleStreet,àquelquespâtésdemaisonsducentre-ville.Sonappartementaucharmedésuetétaitperchéenhautd’unescalier,nonloindelapharmacieoù,en1898,CalebBradhamavaitlancéuneboisson,mondialementconnueplustardsouslenomdePepsi-Cola.Aucoindelarues’élevait,aumilieudemagnoliascentenaires,l’imposantédificedebriquedel’égliseépiscopale,fondéeen1718.Quandelleallaitsepromener,SarahapercevaitcesdeuxsitesensedirigeantversFrontStreet,dontlesélégantesdemeuresavaientvulejourdeuxsièclesplustôt.Elleadmiraitsurtoutlefaitquelaplupartdecelles-ciaientétépatiemmentrestaurées,uneàune,depuiscinquanteans.AlorsqueWilliamsburg,enVirginie,avaitbénéficiéd’unesubventiondelafondationRockefeller,NewBernavaitfaitappelaucivismedeseshabitants.Attirésparcetteville,sesparentsyavaientéludomiciledepuisquatreans;elle-mêmeyétaitarrivéeenjuinsanslaconnaître.Elleréfléchissait,enmarchant,àladifférenceessentielleentreNewBernetBaltimore,savillenatale,oùelleavaittoujoursvécu.Malgrésonintérêthistorique,Baltimoreétaitavanttoutunegrandecité.NewBern,petitebourgadepaisibleduSud,refusaitdeselaisserentraînerparletourbillonendiablédumondemoderne.Lesgenslasaluaientàsonpassage,etilluisuffisaitdeposerunequestionpourobteniruneinterminableréponse,généralementassaisonnéededétailsconcernantdesindividusetdesévénementsqu’elleignorait.Cemodederéactionluiparaissaitsympathiqueouexaspérant,selonsonhumeur.SesparentshabitaientNewBerndepuisquesonpèreavaitprisunposted’administrateuraucentremédicaldeCraven.Ilsl’avaientincitéeàlesrejoindreaussitôtaprèssondivorce,maiselleavaithésitépendantunan.Elleaimaitsamère,maisellelatrouvaitparfoiséprouvante.-selonlemotqu’elleemployait,fautedemieux.Elleavaitcédédeguerrelasse.Pourl’instant,ellen’avaitpasàleregretter,maisellenecomptaitpasresterdanscettebourgadejusqu’àlafindesesjours.Malgrésoncharme,NewBernn’avaitriend’unparadispourunefemmeseule...Peud’endroitsluisemblaientpropicesàdesrencontres;etlesgensdesonâgequ’elleavaitcroisésétaientdéjàmariésetchargésdefamille.CommedansbeaucoupdevillesduSud,unenouvellevenue,divorcée,pouvaitdifficilementtrouversaplacedanslasociétélocale.NewBernétait,cependant,lelieuidéalpouréleverdesenfants.Aucoursdeses

promenades,ilarrivaitàSarahdes’imaginerquesonexistenceavaitsuiviuncoursdifférent.Celuidontellerêvaitquandelleétaitjeunefille:mariage,enfants,installationdansunquartieroùlesfamillesseréunissentlevendredisoir,aprèsletravail,dansleurjardin.Elleauraitsouhaitécalquersavied’adultesurcemodèlequ’elleavaitconnupendantsonenfance,maisledestinréservebiensouventdessurprises.Àl’époqueoùelleavaitrencontréMichael,ellenedoutaitderien.Elleterminaitsesétudesd’institutrice;ilvenaitd’obtenirunemaîtrisedegestionàGeorgetown.Safamilleétaitl’unedesplushuppéesdeBaltimore:desbanquiersimmensémentrichesetimbusd’eux-mêmes,siégeantàd’innombrablesconseilsd’administrationetfaisantlaloidanslescountryclubs,dontilsexcluaienttousles«inférieurs».Michaelétaitdoncunexcellentpartietattiraitlesregardsquandilentraitdansunepièce,maisilprétendaitrejeterlesvaleursfamilialesetnepassesoucierlemoinsdumondedesonimage.Prétendaitétait,hélas,lemotjuste.Commesescopines,Sarahl’avaitreconnudèssonarrivéeàcetteréception,etelleavaitétésurprisequ’ilvienneluiparleraucoursdelasoirée.Ilss’étaientpluaussitôt.Lelendemain,ilss’étaientretrouvésautourd’unetassedecafé,puisMichaell’invitaàdîner,etilssemirentàsortirensemble.Ilss’aimaient.Auboutd’unan,illuidemandadel’épouser.LamèredeSarahfutenchantéeparcettenouvelle;sonpèreluisouhaitabeaucoupdebonheur,maisn’enditpasplus.Sonexpérienceluiavait-elleapprisàdouterdescontesdefées?Entoutcas,Sarahnes’inquiétaguèredesaréticencejusqu’aujouroùMichaelluifitsigneruncontratdemariage.Ilavaitbeaurejeterlaresponsabilitédecettedécisionsursesparents,elleeutl’intuitionqu’ilpartageaitsecrètementleurpointdevue.Ellesignacependant,et,lesoirmême,sesfutursbeaux-parentsdonnaientunesomptueuseréceptionpourcélébrerlesfiançaillesdeleurfils.Septmoisplustard,elleépousaitMichael.IlspassèrentleurlunedemielenGrèceetenTurquie,ets'installèrent,dèsleurretour,àmoinsdedeuxblocsdelademeurefamiliale.Bienqueriennel’obligeàtravailler,elleenseignaitdansuneécoleprimaired’unquartierdéshérité.Michaelavaitapprouvésonchoixetilsvécurentpendantdeuxansenparfaiteharmonie.Pendantlesweek-ends,ilspassaientdesheuresàfairel’amouretàdiscuter.Michaelluiappritqu’ilrêvaitdeselancerunjourdanslapolitique.Ilsavaientuncercleétendud’amisetderelations.Quandlesréceptionsetlesweek-endsàlacampagneleurlaissaientunpeuderépit,ilsallaientexplorerWashington:sesmusées,sesthéâtresetlesmonumentsdelagrandeavenuedeCapitolMall.C’estlà,auLincolnMemorial,qu’illuiannonçasondésird’avoirdesenfants.Enentendantcesmots,ellesejetadanssesbras,carriennepouvaitlarendreplusheureuse.Commentexpliquerlasuitedesévénements?Plusieursmoisaprèscejourbéni,Sarahn’étaittoujourspasenceinte.Sonmédecinlarassura;lephénomèneest

courantaprèsl’interruptiondelapilule.Illuiconseilladerevenirlevoirsisonproblèmepersistait.IlpersistaetSarahfitdestests.LemédecinlaconvoquaavecMichael,aprèsavoirreçulesrésultats.Assisefaceàlui,ellecompritaupremierregardqu’elleallaitapprendreunemauvaisenouvelle.Sesovairesneproduisaientpasd’ovules...Unesemaineplustardéclataitlapremièrequerellesérieuseavecsonmari.Michaeln’étaitpasrentréaprèssontravail,etellel’avaitattendupendantdesheuresenmarchantdelongenlarge,folled’inquiétude.Quandilavaitfiniparréapparaître,ellevitqu’ilavaitbu.«Jenet’appartienspas»futsaseuleremarque.Letonmonta.Ilssedirentdeschosesterribles,qu’elleregrettaaussitôt,etMichaelpritunairpenaud.Maisensuite,elleletrouvaplusréservé.Bienqu’ilprétendel’aimerautantqu’avant,toutempira.Demoisenmois,leursdisputesdevenaientdeplusenplusfréquentesetladistanceentreeuxs’accentuait.Unsoir,elleluiproposad’adopterunenfant;ilrefusasousprétextequesesparents«nel’accepteraientjamais».Leurrelationpritalorsuntournantdécisif.LesparolesdeMichaeln’yétaientpourrien,nilefaitqu’ilserangeaitducôtédesesparents;Sarahavaitludanssonregardqu’ilnesesentaitplusconcerné.Elleétaitdésormaisseule,faceàsonproblème.Moinsd’unesemaineaprès,elleavaittrouvéMichaelassisdanslasalleàmanger,unverredebourbonàcôtédelui.Leregardnoyéd’alcool,illuiavaitannoncésonintentiondedivorcer.Ilétaitsûrqu’ellecomprendrait.Quandilsetut,ellenetrouvarienàluirépondre.Sonmariageavaitduréàpeinetroisans.Elleenavaitalorsvingt-sept.Lesdouzemoissuivantsseperdirentdanslebrouillard.Toutlemondelaquestionnait.Seulesafamilleeutdroitàdesexplications.«Çan’apasmarchéentrenous»,répondait-elleauxcurieuxquivoulaientensavoirplus.EllecontinuaàenseignereteutdelongsentretiensavecSylvia,unepsychologuemerveilleusequiluirecommandaungroupedesoutien.Elleassistaàquelquesréunions.Écouterluiavaitfaitdubien,maisilluiarrivaitencoredepleureràchaudeslarmes,assisetouteseuledanssonpetitappartement.Aumomentleplussombre,elleavaitmêmesongéausuicide;nisapsychologuenisafamillenes’enétaientdouté.C’estalorsqu’elleavaitdécidédequitterBaltimorepouréchapperàsespéniblessouvenirsetrepartirdezéro.DepuissonarrivéeàNewBern,ellefaisaitdesonmieuxpourallerdel’avant.Sesparentsl’aidaientàleurmanière-sonpèreenévitantlemoindrecommentaire,samèreendécoupanttouslesarticlesconcernantlesprogrèsdelamédecineenmatièredestérilité.Sonfrère,Brian,luiavaitétéd’ungrandsecoursavantsondépartàl’universitédeCarolineduNord.Commebeaucoupd’adolescents,ilétaitparfoisrenferméettaciturne,maisilsavaitécoutermieuxquequiconque,etelleregrettaitbeaucoupsonabsence.Ilsavaienttoujoursétéproches.Étantsasœur

aînée,elleavaitapprisàchangersescouchesetàlenourrirquandilétaitbébé.Quelquesannéesplustard,ellel’avaitaidéàfairesesdevoirsaprèslaclasse.C’estentravaillantavecluiqu’elleavaitsentinaîtresavocation.Passionnéeparl’enseignement,ellesefélicitaitd’avoirchoisicettecarrièrechaquefoisqu’elleentraitdanssaclasseetqu’ellevoyaitunetrentainedevisagesd’enfantssetournerverselle.Idéalisteàsesdébuts,commebeaucoupdejeunesinstitutrices,elles’imaginaitquetoussesélèvesrépondraientàsonattentesielles’endonnaitlapeine.L’expérienceluiavaitapprisquec’était,hélas,impossible.Pouruneraisonouuneautre,certainsd’entreeuxsefermaientcommedeshuîtres,malgréseseffortspourlesatteindre.Cetaspectingratdesontravailluicausaitparfoisdesinsomnies,maisnel’avaitjamaisdécouragée.Elles’épongealefrontetconstataavecplaisirquel’airavaitfraîchi.Lesoleildéclinaitetlesombress’allongeaient.Deuxpompiers,assissurdeschaisespliantesdevantleurcaserne,lasaluèrent.Elleleursourit.Apparemment,iln’yavaitjamaisd’incendieenfind’après-midi,carellelesvoyaitchaquejouràlamêmeheureassisaumêmeendroitdepuisquatremois.NewBern...Toutenregrettantparfoisl'effervescencedelavieurbaine,ellesavouraitlecalmedesanouvelleexistence.Pendantl’été,elleavaitpassédesheuresàflânerchezlesantiquairesdelavieilleville,oubienàcontemplerlesvoiliersamarrésderrièreleSheraton.Maintenantquel’écoleavaitrepris,ellesepartageaitentresontravailetsespromenades.Endehorsdesvisitesàsesparents,ellepassaitlaplupartdesessoiréestouteseuleàécouterdelamusiqueclassiqueouàpréparersescours.Pourquois’enplaindre?Commeelleétaitnouvelledanssonécole,unecertainemiseaupoints’imposait.Ungrandnombredesesélèvesétaientloind’atteindreleniveauprévudanslesmatièresprincipales;elleavaitdoncréduitsesambitionspourconsacrerplusdetempsaurattrapagescolaire.Bienquechaqueinstitutionprogresseàsonallurepropre,ellesupposaitquetoussesélèvesauraientcombléleurslacunesavantlafindel’année.Tous,saufun,quiluidonnaitdegrossoucis.JonahRyanétaitunenfantplutôtsympathique;legenred’élèvecalmeetdiscretqu’onoubliefacilement.Lejourdelarentrée,ils’étaitassisaufonddelasalleetavaitrépondupolimentàsesquestions,maiselleavaitprisl’habitude,àBaltimore,d’accorderuneattentionparticulièreàcesenfantsquidonnentl’impressiondesecacher.Lepremierexercicefaitenclasseavaitconfirmésesinquiétudes.Ils’agissaitd’unecourterédactionsurunsouvenirdevacances,luipermettantd’évaluerlescapacitésd’expressiondesesélèves.Parmilesfautesd’orthographeetlespenséesgriffonnéesàlahâte,ledevoirdeJonahsedistinguaitnettement:iln’avaitrienécrit,àpartsonnomdansuncoindelafeuille,etilavaitfaitundessinlereprésentantentraindepêchersurunpetitbateau.Quandelles’étaitétonnéequ’iln’aitpasrespectélaconsigne,JonahluiavaitdéclaréqueM.Hayeslelaissaitdessiner,àcausedesa«mauvaiseécriture».Unesonnetted’alarmeavaitretentiaussitôtdanssonesprit.«Montre-moi

commenttuécris!»avait-ellesuggéréensepenchantversluiavecunsourire.Ils’étaitcontentédehocherlatêteensilence.Tandisquelesautresélèvespassaientàdesactivitésdifférentes,elleavaitencouragéJonah,maisilnesavaitpasécrire.Aucoursdelamêmejournée,elleavaitréaliséqu’illisaitàpeineetqu’ilnevalaitguèremieuxenarithmétique.Ilavait,enfait,leniveaud’unélèvedepremièreannée,aujardind’enfants.Aprèsavoirsongéàunproblèmededyslexie,elleavaitabandonnécettehypothèseauboutd’unesemaine.Jonahneconfondaitnileslettresnilesmots,etilcomprenaitsesexplications.Quandelleluiapprenaitquelquechose,ilsedébrouillaitcorrectementensuite.Sonproblèmetenait,luisembla-t-il,aufaitqu’iln’avaitjamaistravailléparcequeaucunenseignantn’avaitexigéuneffortdesapart.Lesinstituteursqu’elleavaitinterrogésluiavaientparlédelamèredeJonah.Malgrésacompassion,elletrouvaitnavrantqu’ilsaientlaissécetenfantsombrer,sanschercheràintervenir.Maisquefaire?Commeellen’avaitpasletempsdeseconsacreràluiautantqu’ellel’auraitsouhaité,elles’étaitrésolueàconvoquersonpère,dansl’espoirdetrouverunesolutionaveclui.MilesRyanpassaitpourunhommeestimableettrèsattachéàsonfils.Unbonpoint,carpendantsabrèvecarrièreelleavaiteul’occasionderencontrerdesparentsintraitables,soitparcequ’ilsconsidéraientleursenfantscommeunfardeau,soitparcequ’ilslesmettaientsurunpiédestal.D’aprèscequ’onluiavaitdit,cen’étaitpaslecasdeMilesRyan.Aucoindelaruesuivante,elles’arrêtapourlaisserpasserquelquesvoitures.Puiselletraversa,renditsonsalutaupharmacienetpritsoncourrierdanssaboîteauxlettresavantdemonterchezelle.Aprèsl’avoirparcouru,elleledéposasurunetableàcôtédelaporte.Enfin,elleseversaunverred’eauglacéequ’elleemportadanssachambre.Tandisqu’ellesedéshabillaitpourprendreunedouchefraîche,lalumièreclignotantedesonrépondeurattirasonregard;elleappuyaaussitôtsurlebouton.Lavoixdesamère-légèrementanxieuseselonsonhabitude-luiproposaitde«passeràlamaisonsiellen’avaitriendemieuxàfaire».Surlatabledenuit,àcôtédurépondeur,trônaitunephotodesafamille:MaureenetLarryaucentre,entourésdeleursdeuxenfants.LerépondeurcliquetaetSarahentenditunsecondmessagedesamère:«Ah,tun’estoujourspasrentrée?J’espèrequetoutvabien...»Était-elled’humeuràrendrevisiteàsesparents?Pourquoipas?conclut-elle.Ellen’avait,effectivement,«riendemieuxàfaire».MilesroulaitsurMadameMoore’sLane,unerouteétroitequiserpentaitentrelaTientetBricesCreek,deNewBernàPollocksville,unpetithameausituéàunequinzainedekilomètresausud.Ainsidénomméeensouvenirdelatenancièredel’unedespluscélèbresmaisonsclosesdeCarolineduNord,cettevoielongeaitlamaisonancienneauprèsdelaquelleétaitenterréRichardDobbsSpaight,unhéros

sudiste,signatairedelaDéclarationd’indépendance.PendantlaguerredeSécession,dessoldatsnordistesavaientexhumésoncorpsetaccrochésoncrâneàunegrilleensigned’avertissement.Miles,enfant,fuyaitcelieuàcausedecettehorribleanecdote.Malgrésabeautéetsonrelatifisolement,ils’agissaitd’unerouteàdéconseiller.Descamionscroulantsousdestonnesdeboisempruntaientjouretnuitsesviragesdangereux.Entantquerésidentd’unecommunevoisine,ilréclamaitdepuisdesannéesunelimitationdevitesse.Personne,àpartMissy,nel’avaitécouté.Ilpensaittoujoursàellesurcetteroute...Ilallumauneautrecigaretteetbaissasavitre.Uneboufféed’airtièdebalayasonvisageetdesscènesdeleurviequotidienneluirevinrentenmémoire;cesimageslemenaientinexorablementàleurultimejournée.UndimancheoùilavaitaccompagnéCharlieCurtisàlapêche.Ilétaitpartiaupetitmatinetrentrétard,et,bienqu’ilaitrapportédupoisson,sonsuccèsn’avaitpassuffiàapaisersafemme.Ellen’avaitpasouvertlabouche,àsonretour,maissonregardnoirendisaitlong.Enl’honneurdesonfrèreetdesabelle-sœur,quiarrivaientd’Atlantalelendemain,elleavaitfaitleménageàfond.Jonah,grippé,étaitaulit,cequineluiavaitpassimplifiélavie;maiselleétaitencolèrepouruneraisonprécise-lejardin.Iln’avaitpaseuletempsdes’enoccuperlaveillecommeils’yétaitengagé.AulieudedécommanderCharlie,ilavaitdécidéd’allerpêcher,coûtequecoûte.Sonamil’avaittaquinétoutelajournéeenluidisantqu’ilméritaitdedormirsurlecanapé.C’étaitunrisqueàcourir,maisilcroyaitsincèrementquelefrèreetlabelle-sœurdeMissynesesoucieraientpaslemoinsdumondedesmauvaisesherbesdujardin.D’ailleurs,ilcomptaitrentreravantlafindelajournéeetsemettreautravailaussitôt.Hélas,commedansbeaucoupdepartiesdepêche,ilavaitperdulanotiondutemps.Sondiscoursétaitprêt.Net’inquiètepas,Missy,jevaism’enoccuper,mêmesijedoistravaillertoutelanuitavecunelampetorche.Troptard!Àsonretour,iln’yavaitplusrienàfaire:lapelouseétaittondue,lahaietaillée,etdespenséesornaientlepourtourdelaboîteauxlettres.Delonguesheuresdelabeur.Levisagebarbouillédeterreetlesmainssurleshanches,Missybouillaitdecolère;ill’avaitvueàpeineuneoudeuxloisdanscetétatdepuisqu’ilsétaientmariés.—Désolé,machérie,lança-t-il,lagorgesèche.Nousn’avonspasvuletempspasser...Iln’enditpasplus,carellel’interrompit,aprèsluiavoirtournéledos.—Jevaisfaireuntour,situacceptesdetechargerdureste.Iln’yavaitplusqu’àsoufflerl’herbeéparsesurl’alléeetletrottoir.Ellerentrasechangerdanslamaison,etilallasansunmotsortirlaglacièreducoffreetdéposerlemahi-mahidansleréfrigérateur.

—N’oubliepascequejet’aidemandé!fitMissydevantlaportedelachambreàcoucher.—Dèsquej’auraifini.Lepoissonrisquedesegâter...Missypritsonairdemartyre.—Tantpis,nefaisrien!Jem’occuperaidel’herbeàmonretour.—Non,jeviensdetedirequejem’encharge!Comprends-tu?Aprèstout,iln’yavaitpasdequoifouetterunchat.Ilavaitpassélajournéeàpêcheraulieudel’aider,maisilsn’attendaientpaslavisiteduprésidentdesÉtats-Unis!—Jenepeuxpascomptersurtoi,avaitgrommeléMissy.Quandelleétaitpartieenclaquantlaporte,touteslesvitresdelamaisonavaientvibré.Unefoisseul,ilavaitprisletempsderéfléchiretils’étaitmorduleslèvres:effectivement,ils’étaitconduitcommeungoujat,etelleavaiteubienraisondemarquerlecoup.Iln’avaitjamaiseul’occasiondeluifairepartdesesregrets...—Tufumestoujours?CharlieCurtis,leshérifducomté,observaitMilesquivenaitdes’asseoiràsatable.—Jenefumepas,réponditcelui-cidutacautac.Charlielevalesmainsauciel.—Jesais;tumel’asdéjàdit!Raconte-toideshistoiressiçatechante,maisjem’arrangeraipourcacherlescendriersquandtuviendraschezmoi.Mileséclataderire.Charlieétaitl’unedesrarespersonnesenvilleàl’avoirtoujourstraitédelamêmemanière.IlsétaientamisdepuisdesannéesetCharlie,aprèsluiavoirsuggérédedevenirshérifadjoint,l’avaitprissoussonaileprotectricedèslafindesaformation.Ilfêteraitsessoixante-cinqansenmars;sescheveuxgrisonnaient,etils’étaitempâtécesdernièresannées,surtoutautourdelataille.Peuintimidantàpremièrevue,ilétaitastucieuxetefficace,etilavaitl’artetlamanièred’obteniruneréponseauxquestionsqu’ilposait.Personnenes’étaitprésentécontreluiauxtroisdernièresélections.—Situneretirespastesstupidesinsinuations,jenevienspluscheztoi!rétorquaMiles.Ilss’étaientassisdansunboxenangle,etlaserveuse-surlesdentscarc’étaitl’heuredudéjeuner-leurdéposaaupassageunecarafedethésucréetdeuxverresdeglacepilée.MilesversalethéetpoussaunverreendirectiondeCharlie—Brendaseraitnavrée,observacelui-ci.ElleestenmanquesituneluiamènespasJonahunefoisdetempsentemps.(Ilavalaunegorgée.)Alors,tutepréparesàrencontrerSarahaujourd’hui?—Qui?

—L’institutricedeJonah.—Tafemmet’aprévenu?—Biensûr,ricanaCharlieavecunsourirenarquois.Brendatravaillaitaubureaududirecteurdel’écoleetsavaittoutcequisepassaitdanscetétablissement.—Elles’appellecomment,déjà?—Brenda,voyons!MileshaussalessourcilsetCharliefîtmined’avoiruneillumination.—Oh,tuparlaisdel’institutrice?Elles’appelleSarah.SarahAndrews.—Qu’enpenseBrenda?—Ilparaîtqu’elleestformidableetquelesgossesl’adorent;maisBrendatrouvetoutlemondeformidable.Aprèss’êtreinterrompu,Charliesepenchaenavantd’unaircomplice.—Ellem’aditaussiqueSarahestunetrèsjoliefille...—Qu’est-cequeçapeutmefaire?—Enplus,elleestcélibataire.—Etalors?—Alors,rien.Charlieversalecontenud’unsachetdesucredanssonthédéjàsucréethaussalesépaules.—JeterépétaissimplementlesparolesdeBrenda.—Remercie-lademapart!Jemedemandecommentj’auraispumepasserdesesdernièresinformations.—Calme-toi,Miles.TusaisbienqueBrendaveillesurtoi.—Dis-luiquejemeportecommeuncharme.—Elles’inquièteàtonsujet,d’autantplusquetufumestrop...—C’estpourmerentrerdanslelardquetum’asdonnérendez-vous,outuasd’autresraisons?—J’aid’autresraisons,maisj’attendsquetusoisdansdemeilleuresdispositionspourteparler.—Explique-toi!Laserveusevintleurdéposerdeuxassiettesempliesdegrillades,desaladedechoucruetdebeignets-leurcommandehabituelle.Charliefitlepoint,toutenpoivrantsescrudités.Fauted’inspiration,ilpréféranepasyallerparquatrechemins.—HarveyWellmancompteretirersoninculpationcontreOtisTimson,annonça-t-il.HarveyWellman,leprocureurducomtédeCraven,luiavaitproposé,cematin-là,d’avertirMiles,maisilavaitpréférés’enchargerlui-même.

Milesécarquillalesyeux.—Qu’est-cequeturacontes?—Ilmanquaitdepreuves.BeckSwansonaétésoudainfrappéd’amnésieausujetdecettehistoire.—J’yétais!—Tuesarrivéaprès.—J’aivulesang,lachaisecasséeetlatableaumilieudubar.J’aivul’attroupement...—Biensûr,maisquepouvaitfaireHarvey?Beckluiajurésesgrandsdieuxqu’ilétaittombéetqu’Otisnel’avaitpastouché.Ilprétendqu’iln’avaitpaslesidéesclairescesoir-là,maisquemaintenantilsesouvientdetout.Milesrepoussasonassiette;iln’avaitplusfaim.—Sijevaisfaireuntourdanslecoin,jetrouveraiforcémentuntémoin.Charliehochalatête.—Àquoibon,monvieux?Plusieursfrèresd’Otisétaientprésents...Ilsontaffirméeuxaussiqu’ilnes’estrienpassé.Quisait?Ilssontpeut-êtrelesvraiscoupables.Entoutcas,sansletémoignagedeBeck,Harveyn’avaitpaslechoix.Net’inquiètepas!Telquejeleconnais,Otisnetarderapasàsemettredanssontort.—C’estjustementcequim’ennuie.MilesetOtisTimsonétaientennemisjurés.Leurhistoireavaitcommencéhuitansplustôt,alorsqueMilesvenaitdeprendresesfonctionsdeshérifadjoint.IlavaitarrêtéClydeTimson,lepèred’Otis,pourcoupsetblessures-ilavaitprécipitésafemmeàtraverslaporte-écrandesonmobil-home.Clydeavaitétélibéréaprèsunetropbrèveincarcération.Pendantlesannéessuivantes,cinqdesessixfilsavaientfaitégalementdelaprison-pourdesmotifsallantdutraficdedrogueàl’agressionàmainarmée.MilessoupçonnaitOtis,leplusintelligent,d’êtredavantagequ’unpetitdélinquant.Àladifférencedesesfrères,iln’avaitpaslephysiquedel’emploi.Ilévitaitlestatouages,avaitlescheveuxcoupéscourt,etilluiarrivaitdefairedespetitsboulots;maislesapparencessontparfoistrompeuses...Sonnométaitvaguementassociéàdiversesinfractionsetl’onsedemandaitenvilles’iln’étaitpasleprincipalpourvoyeurdedrogueducomté.Àsongrandregret,Milesnepouvaitrienprouver,caraucunedescentedepolicen’avaitétéfructueusejusque-là.D’autrepart,Otisluigardaitrancune,ils’enétaitaperçupeuaprèslanaissancedeJonah,quandilavaitarrêtétroisdesesfrèresàlasuited’uneviolentealtercationfamiliale.Unesemaineplustard,alorsqueMissyberçaitsonbébéâgédequatremoisdansleliving,unebriquejetéeàtraverslafenêtreavaitfaillilesatteindre.UnéclatdeverreavaitcoupéJonahàlajoue.Persuadéqu’Otisyétaitpourquelquechose,ils’étaitrendusurlelotissementdesTimson-unensembledemobil-homedélabrés,placésendemi-cercleauxabordsdelaville-avectroispoliciersarmeaupoing.LesTimsonétaientsortissansunmot,mainsenl’air.Menottésetplacésen

gardeàvue,ilsavaientétéfinalementrelâchés,fautedepreuve.Miles,furieux,enseraitvenuauxmainsavecHarveyWellmanlorsd’unediscussionhouleusesionnelesavaitpasséparés.Aucoursdesannéessuivantes,uneséried’incidentsétaientsurvenus:coupsdefeutirésprèsdelui,mystérieuxincendiedanssongarage,diversesplaisanteriesdemauvaisgoût.Maistoujoursenl’absencedetémoins...DepuislamortdeMissy,uncalmerelatifavaitrégné-jusqu’àladernièrearrestation.Charlielevalesyeux,leregardgrave.-Onsaitbien,toietmoi,qu’ilestcoupableàcentpourcent,maistun’aspasintérêtàfourrertonnezdanscetteaffaire.Çapourraitmaltourner,commeautrefois!PenseàJonah,etsouviens-toiquetun’espastoujourslàpourveillersurlui.Milesécoutaitsonami,lesyeuxtournésverslafenêtre.—Àlapremièregaffed’Otis,jeluitombedessussij’aidespreuvessuffisantes,repritCharlie.Fais-moiconfiance,etévitedetemettredanslepétrin.Cetypeestdangereux.Milesrestamuet.—J’espèrequetuaspigé,conclutCharlied’untonsansréplique.—Pourquoicettemiseengarde?—Jeviensdetedonnermesraisons.—Ilyaautrechose,non?CharliesoutintunmomentleregarddeMiles.—Bon,dit-ilenfin.Otisprétendquetul’asbrutaliséaumomentdel’arrestation.Ilaportéplainte...Milesplaquabruyammentsamainsurlatable;lebruitserépercutadanstoutlerestaurant.Desclientsvoisinssursautèrent,maisilneremarquarien.—Cetteordure...Charliel’interrompitd’ungeste.—Jepartagetonpointdevueetj’enaiditdeuxmotsàHarvey,maisvousn’êtespasensibonstermesluiettoi.Ilsaitdequoituescapablequandtut’énerves...Àsonavis,Otisditpeut-êtrelavérité.Ilm’apriédeterappeleràl’ordre.—Alors,siOtiscommetuncrime,jenedoispasmoufter?—Tun’aspasintérêtàfairel’idiot!Essayesimplementd’avoirunpeudebonsensetdegardertesdistancesjusqu’àcequeçapète.C’estunconseild’amiquejetedonnelà.—Bon,fitMiles,persuadé,malgrétout,qu’iln’enavaitpasencorefiniavecOtis.

3Troisheuresaprèssonrendez-vousavecCharlie,Milessegaraitdevantl’écoleprimairedeGrayton,àl’heureexactedelasortiedesclasses.Lesélèvesseruèrentparpetitsgroupesdecinqousixverslesautocarsscolaires;Jonahcourutverslavoituredèsqu’ilaperçutsonpèreetsautadanssesbras.—Alors,champion,bonnejournée?fitMilesensavourantunbonheurfugace.Jonahsedégagealégèrement.—Çava.Ettoi,contentdetontravail?—Jesuissurtoutcontentd’enavoirfini.—T’asarrêtéquelqu’un?—Pasaujourd’hui.Peut-êtredemain...Tuaimeraisquejet’offreuneglacetoutàl’heure?Jonahacquiesçaavecenthousiasme;Mileslereposaà(erreetcroisasonregard.—Queveux-tufairependantquejeparleàtoninstitutrice?Restertoutseuldanslacouroum’attendreàl’intérieur?-J’suisplusunbébé,papa!protestaJonah.EtpuisMarkseralàluiaussi,samamanarendez-vouschezlemédecin.Milesaperçutlemeilleurcopaindesonfils,piaffantd’impatienceprèsd’unpanierdebasket.—Restezensembleet,surtout,nevouséloignezpas!D’accord?—D’accord!—Jecomptesurvous.Avantdedétaler,Jonahtenditsonsacàdosàsonpère.Milesdéposacelui-cisurlesiègedesavoitureettraversaleparking.Plusieursgosseslesaluèrent.Ils’arrêtapouréchangerquelquesmotsavecdesmèresdefamillevenueschercherleurprogéniture.Quandlesautocarsetlaplupartdesvoitureseurentdémarré,lesenseignantsregagnèrentlesbâtimentsscolaires.Aprèsundernierregardducôté

deJonah,illessuivit.Uneboufféed’airchaudluimontaauvisagedèsqu’ilentra.L’écoledataitd’unequarantained’annéesetsonsystèmedeclimatisation,bienquerenouveléplusieursfois,n’étaitguèreperformantàlafindel’été.Miles,ensueur,soulevalecoldesachemisepours’éventer,etmarchajusqu’auboutducouloir.LaclassedeJonahétaitvide.Ilcrutuninstants’êtretrompé,maislenomdesonfilsfiguraitsurlalistedesélèves.Profitantdesesquelquesminutesd’avance,ilfituntourd’horizon.Plusieursphrasesgriffonnéesàlacraiesuruntableaunoir,desbureauxdisposésenrangéesrégulières,unetablerectangulaireencombréedefeuillescartonnéesetdepotsdecolle.Surlemurdufond,uncertainnombrederéalisationsdesélèves.IlcherchaituneœuvredeJonahquandilentenditunevoixderrièrelui.—Pardonnez-moid’êtreenretard;j’aidûpasseraubureau.MilesvitalorsSarahAndrewspourlapremièrefois.Iln’eutpaslachairdepoule;aucuneémotionn’explosaenluicommeunfeud’artifice.Àlalumièredesévénementsultérieurs,cetteabsencedeprémonitionpeutsemblersurprenante.Ilconstata,néanmoins,queCharlieavaitraison:SarahAndrewsétaitunejoliefemme.Sonalluren’avaitriendeprovocant,maisplusd’unhommedevaitseretournersursonpassage.Sescheveuxblondsétaientcoupésaucarréavecunesimplicitéélégante.Elleportaitunelonguejupeetuneblousejaune;et,malgrésesjouesrougiesparlachaleur,sesyeuxbleussemblaientaussisereinsquesiellevenaitdepasserunejournéeàlaplage.—Aucunproblème,marmonnafinalementMilesenluitendantlamain.Jesuisunpeuenavance.IlsurpritleregardinquietdeSarahsursonétuiàrevolver,maisiln’eutpasletempsdelarassurer:elleluiserraitdéjàlamain,aveclesourire.—C’estunechancequevousayezpuveniraujourd’hui,monsieurRyan!J’auraisdûvousproposerunautrerendez-vous,aucasoùvousneseriezpaslibre...—Monchefn’aprésentéaucuneobjection.—CharlieCurtis,n’est-cepas?JeconnaisBrenda,safemme.Ellem’abienaidéeàmonarrivéeici.—Méfiez-vous,elleestbavardecommeunepie.Sarahritdeboncœur.—Jem’ensuisaperçue,maiselleaétéformidable.Voussavezcequec’estquandonneconnaîtpersonne...Elles’estdonnétouteslespeinesdumondepourmemettreenconfiance.—Brendaadeprécieusesqualités.IlsrestèrentunmomentsilencieuxetMilesdevinaquelajeunefemmesesentaitmoinsàl’aise,maintenantqu’ilfallaitentrerdanslevifdusujet.Ellefitquelquespas,pensive,avantdefouillerfébrilementdansdespilesdedossiers.Dehors,lesoleilsedégageadesnuagesetdardasesrayonssureuxàtraverslesvitres.

Latempératureparutmonterenflèche.Milesseremitàtiraillersachemisepours’éventer;Sarahlevalesyeuxverslui.—Oui,ilfaitchaud...Jecomptemeprocurerunventilateuràlapremièreoccasion.—Çaira,fitMilesensentantdesgouttesdesueurruisselersursontorseetsondos.—Bon,ilyadeuxsolutions.Soitvousprenezunechaiseetnousparlonsici,aurisquedemourircarbonisés;soitnousnousinstallonsdehorsoùilfaitunpeuplusfrais.Ilyadestablesdepique-niqueàl’ombre.—J’optepourlasecondesolution,d’autantplusqueJonahestdanslacour.Çamepermettradelesurveillerducoindel’œil.—.Justeuninstant!Letempsdevérifierquej’aitoutcequ’ilmefaut...Uneminuteaprès,ilss’engageaientdanslecouloiretpoussaientlaportedesortie.—VousêtesdepuislongtempsàNewBern?s’enquitMilespourromprelesilence.—Depuisjuindernier.—Vousvousplaisezici?—C’estunpeucalme,maisj’aimebien.—Oùhabitiez-vousavant?—ÀBaltimore,mavillenatale.J’aiéprouvélebesoindechanger...—Jevois,fitMilesenhochantlatête.Çam’arriveàmoiaussi.IllutdansleregarddeSarahqu’elleavaitentenduparlerdelamortdeMissy,maisellen’enditrien.Assisàl’ombredesarbres,ilputobserverdeprèsl’institutricedesonfils.Elleavaitunepeauveloutéeetlumineuse.SarahAndrews,adolescente,n’avaitjamaiseud’acné,conclut-ilavantdeselancer:—Ehbien,mademoiselle...—Vouspouvezm’appelerSarah.—Donc,Sarah...Miless’interrompit;l’institutricevintàsonsecours.—Vousvousdemandezpourquoijesouhaitaisvousparler.Sarahseconcentrasurledossierposédevantelle,puislevalesyeux.—Jevoudraisvousdiretoutd’abordcombienjesuisheureused’avoirJonahdansmaclasse,reprit-elle.C’estunenfantadorable.Ilseportevolontairedèsquej’aibesoindequelqu’un,ils’entendparfaitementaveclesautresélèves...Enfin,ilestpolietils’exprimetrèsbienpoursonâge.—J’aicommel’impressionquevousallezfinirparm’annoncerunemauvaisenouvelle,marmonnaMiles,surlequi-vive.—Auriez-vousludansmespensées?—Peut-être,admitMiles.

Sarahluiadressaunsourirepenaud.—Jetenaisvraimentàvousdirequetoutnevapassimal...Jonahvousa-t-ilexpliquécequisepasseencemoment?—Ilm’aparlécematin,aupetitdéjeuner.Quandjeluiaidemandépourquoivousm’aviezconvoqué,ilm’aréponduqu’ilnetravaillaitpastoujourstrèsbien.—Jevois...SarahAndrewss’interrompit.—C’estdoncgrave?soufflaMiles.—Jeregrettedevousperturber,maisJonahadesérieuxproblèmesscolaires.—Vraiment?—Jonah,fitSarahd’unevoixposée,aprisduretardenlecture,enécriture,enorthographeetenarithmétique-doncàpeuprèsentout.Franchement,j’estimequ’iln’apasleniveaud’unélèvededeuxièmeannée.ElletenditàMiles,abasourdi,uneliassedepapiers:lesdevoirsdeJonah.Ilparcourutdeuxcontrôlesd’arithmétiquesansuneseuleréponseexacte,quelquespagesgribouilléesenguisederédaction,ettroisexplicationsdetexteauxquellesilavaitégalementéchoué.—Vouspouvezgardertoutcela,ditSarahauboutd’unmoment,enluiconfiantledossier.—Jecroisquejen’ytienspas...Sarahsepenchaverssoninterlocuteur.—Onnevousajamaisinformédesdifficultésdevotrefils?Danslacourderécréation,Jonahselaissaitglissersurletoboggan,suivideprèsparMark.Milesjoignitlesmainsaprèsl’avoirobservé.—LamamandeJonahestmorteavantqu’ilentreaujardind’enfants,expliqua-t-il.Onm’aditqu’illuiarrivaitdeposerlefrontsursonpupitreetdefondreenlarmes.C’étaitpréoccupant,maisaucuninstituteurnes’estplaintdesesrésultats.Sesbulletinsscolairesétaientbons,mêmel’annéedernière.—Vousavezjetéuncoupd’œilsurletravailqu’ilfaitenclasse?—Ilnem’ajamaisrienmontré,àpartdestravauxmanuels.Milessesentitsoudainstupide.Pourquoin’avait-ilpasremarqué?Tunepensesqu’àtoi!luichuchotaitunevoixintérieure.Ilsoupira,furieuxcontrel’écoleetcontrelui-même.Sarahsemblalireenluiàlivreouvert.—Vousvousdemandezcommentonestarrivélà,etvousavezledroitdevoussentirchoqué,admit-elle.LesinstituteursdeJonahavaientpourmissiondel’instruire.S’ilsn’ontpasatteintleurbut,cen’estsûrementpasintentionnel...Jesupposequ’audébutpersonnenevoulaitprendrelerisquedelebousculer.—Peut-être.

—Écoutez,ditSarah,jenevousaipasalertéuniquementpourvousdonnerdemauvaisesnouvelles.J’aiconsciencedemesresponsabilitésetjevoudraisréfléchiravecvousàlameilleuremanièred’aiderJonah.Jenepensepaslefaireredoublercetteannée,etj’estimequ’illuisuffirad’uneffortpourrattrapersonretard.Milessemblaitperplexe.—Jonahesttrèsintelligent,conclutSarahavecconviction.Ilretientfacilementtoutcequ’ilacompris.Illuifaudraitjusteunpeudesoutienscolaire.—C’est-à-dire?—Ilabesoind’aideaprèsl’école.—Desleçonsparticulières?Sarahlissasalonguejupe.—C’estunesolutioncoûteuse,d’autantplusqu’ils’agitdeconnaissancestoutàfaitélémentaires.Desadditionssansretenue;unpeudelectureetd’écriture.Àmoinsquevousn’ayezdel’argentàjeterparlesfenêtres,jevousconseilledevousenoccupervous-même.—Moi?—Riendeplussimple.Vouslisezavecluietvousl’aidezàfairesesdevoirs.Jepensequeçanevousposeraaucunproblème.—Sivousaviezvumesbulletinsscolairesquandj’étaisgosse!Sarahesquissaunsourire.—Unemploidutempsrégulierseraitsouhaitableaussi...J’aiconstatéqu’unecertaineroutinefacilitel’apprentissagedesenfantsetlesrassure.—Passisimple!objectaMilesensecalantsursonsiège.J’aideshorairesvariables.Jerentreparfoisàquatreheureset,certainssoirs,quandJonahestdéjàaulit.—Quilegardeaprèsl’école?—MmeKnowlson,notrevoisine.Elleestparfaite,maisjedoutequ’ellepuisselefairetravaillerchaquejour.Ellen’apasloindequatre-vingtsans.—Vousnevoyezpersonned’autreàquivousadresser?Desgrands-parents?Mileshochalatête.—LesparentsdeMissysontpartisenFlorideaprèssamort.J’aiperdumamèrependantmadernièreannéedelycée,etmonpèreaprislelargedèsquejesuisentréàl’université.Laplupartdutemps,j’ignoreoùilsetrouve.Jonahetmoinousvivonsplutôtensolitairescesdernièresannées.Généralement,jenem’enplainspas.Monpetitgarçonestformidable;maisilm’arrivedepenserquetoutiraitmieuxsijepouvaiscomptersurlesparentsdeMissy,ousimonpèreétaitunpeuplusprésent.Surtoutdansuncascommecelui-ci...SarahlaissafuserunrirequiplutàMiles.Illuirappelaitleséclatsderirecristallinsdesenfantsquin’ontpasencoreréaliséquelavien’estpasunesimplepartiedeplaisir.

—Entoutcas,vouspreneznotreconversationausérieux,observalajeuneinstitutrice.J’aidéjàeuaffaireàdesparentsquirefusaientdemecroire,ouquim’accablaientdereproches!—C’estfréquent?—Assez.Avantdevousadressercepetitmot,j’aipréféréenparleràBrenda.—Ellevousarassurée?—Ellem’aaffirméquevousauriezuneréactionmesurée,quevousétiezunexcellentpèrepourJonahetquevoustiendriezcomptedemessuggestions.Ensuite,elleaajoutéquejen’avaispasàm’inquiéter,mêmesivousportiezunearme.—Ellen’apasosé?—Maissi!—Alorsjevaisluidiredeuxmots.—Vousaurieztort.Ellevousaimebeaucoup!—Brendaaimetoutlemonde.«Tunem’attraperaspas!»criaitJonahàMark.Malgrélachaleur,lesdeuxenfantsfoncèrentdanslacourderécréationettournèrentautourdespoteauxavantdes’élancerdansd’autresdirections.—Quelleincroyableénergie!s’émerveillaSarah.Ilsontfaitlamêmechoseàl’heuredudéjeuner.—Jemedemandesij’aiétéunjourcommeeux...—Vousn’êtespassivieuxqueça!Vousavez...quarante...quarante-cinqans?Milespritunairhorrifié.—Jevoustaquinais,ajoutaSarahenluiadressantunclind’œil.Ils’épongealefrontavecunfeintsoulagement.Cetteconversation,àlalimiteduflirt,luiplaisaitplusqu’iln’auraitcru.—Bon,fitSarah,oùenétions-nous?—Vousmedisiezquejevieillismal.—Maisavant?Ahoui,onparlaitdevoshorairesetdel’impossibilitéd’établirunmodedetravailrégulieravecJonah.—Çameposerait,eneffet,degrosproblèmes.—Quandêtes-vouslibrel’après-midi?—Enprincipe,lemercredietlevendredi.Sarahpritletempsderéfléchir,tandisqueMilesfaisaitsilence.—Contrairementàmeshabitudes,annonça-t-elleenfin,jevaisvousproposerunmarché.Sivousêtesd’accord...Mileshaussalessourcils.—Quelgenredemarché?

—JetravailleraiavecJonahtroisjoursparsemaine,sivousvousengagezàmerelayerlesdeuxjoursoùvousêtesdisponible.—Vousferiezça?—Paspourtousmesélèves.MaisJonahestunenfantattachantetilenavudetouteslescouleurscesdernièresannées.J’aimeraisl’aider...—Vraiment?—Nesoyezpassisurpris!Laplupartdesenseignantssepassionnentpourleurprofession.D’autrepart,jerestehabituellementicijusqu’àquatreheures;doncçanemedérangerapasdutout.Aprèsunsilence,Sarahrepritlaparole:—Jen’aipasl’intentionderenouvelercetteoffre.C’estàprendreouàlaisser...—Merci,ditenfinMiles,presquegêné.Commentvousexprimermagratitude?—C’estunplaisirpourmoi,maisj’aiunechoseàvousdemander,enguisedesalaire.—Quoi?Sarahtournalatêteversl’école.—Ilmefaudraitunventilateur,etunbon!Cettebâtisseestunevéritablefournaise.—Marchéconclu!répliquaMiles.AprèsavoirdiscutéunevingtainedeminutesavecMiles,Sarahregagnalasalledeclasse.Toutenrangeantsesaffaires,ellepensaitàJonahetàl'aidequ’ellepourraitluiapporter.Fairetravaillercetenfantluipermettraitdemieuxconnaîtresescapacitésetdeguidercorrectementsonpèrequandils’occuperaitdelui.Cettepetitechargesupplémentaireneluiinspiraitaucunregret,bienquesonoffrel’aitelle-mêmesurprise.Pourquoiavait-elleprisunpareilengagement?EllepensaitaussiàMiles.QuandBrendaluiavaitparlédecethomme,elles’étaitimmédiatementreprésentélacaricaturedushérifsudiste:unindividucorpulent,avecunpantalontombant,etdepetiteslunettesdesoleilmiroitantes,passantsontempsàchiquer.Ilarriveraitdanssaclasse,lespoucespassésdanslaceinture,etgrommelleraitd’unevoixtraînante:«Alors,dequoiils’agit,map’titedame?»Milesnecorrespondaitenrienaupersonnagequ’elleattendait;enoutre,ilétaitséduisant.Iln’avaitpaslabeautéténébreusedeMichael,maislevisagetannéd’unhommequiapassésavieaugrandair.Malgrélaremarquesarcastiquequ’elleluiavaitadressée,elleneluidonnaitpasquaranteans.Riendeplusnormal,puisqueJonahavaitseptans.MissyRyanétaitmortetrèsjeune;unemortaussiprécoceluisemblaitabsolumentcontrenature.Plongéedanssarêverie,Sarahs’assurad’unregardqu’ellen’oubliaitrien.Puiselleglissasonsacsursonépauleetsortitaprèsavoiréteint.

Enregagnantsavoiture,elleconstataavecunpincementaucœurqueMilesétaitdéjàparti.Unhommecommeluinedevaitpass’intéresserlemoinsdumondeàl’institutricedesonpetitgarçon,seditSarahAndrews,honteusedesafutilité.Commentaurait-ellepusedouterqu’ellesetrompaitsurtoutelaligne?

4Àlalumièretamiséedemonbureau,lescoupuresdepressesemblentplusanciennesqu'ellesnelesontréellement.Jauniesetfroissées,ellespèsentfortlourd,commesiellesportaientlepoidsdemaviepassée.Unechoseestsûre:quandquelqu'unmeurttragiquementdanslafleurdel’âge,l’événementdéfrayelachronique,surtoutdansunepetitevilleoùtoutlemondeseconnaît.LanouvelledelamortdeMissyRyanaétéannoncéeàlaune,leshabitantsdeNewBernonteuunsursautd'horreurenouvrantleurjournal.Ilyavaitunimportantarticleettroisphotos:l’unedel’accident,etdeuxmontrantlajoliefemmequ’avaitétéMissy.Deuxautresarticlessesontsuccédélesjourssuivants,àmesurequeparvenaientlesinformations.Audébut,toutlemondeavaitlacertitudequecetteaffaireseraittiréeauclair.Unmoisaprès,unautrearticlepromettaitunerécompensedelamunicipalitéàquiconquefourniraitdenouveauxéléments.Ensuite,laconfiancefaiblitet,commedejuste,l’intérêtpourl’événement.Lesgensenparlaientdemoinsenmoins,etonévoquaitplusrarement,lesouvenirdeMissy.Pourfinir,unarticle,

publiéentroisièmepage,récapitulaitcequiavaitétédéjàdit.Cefutledernier.Touscesarticles,rédigéssurlemêmemodèle,exposaientd’unemanièresimpleetclairelesfaitstenuspouracquis.En1986,parunechaudejournéed’été,MissyRyan-lafemmebien-aiméed’unpolicierlocal,mèred’unpetitgarçon—étaitalléefaireunjoggingàlatombéedelanuit.Deuxpersonnesdisaientl’avoirvuecourirlelongdeMadameMoore’sLanequelquesminutesaprèssondépart;chacuned’ellesavaitétéinterrogéeparlapatrouilleroutière.Lasuitedecesarticlesconcernaitl’événementlui-même,maisaucunneracontaitlamanièredontMilesavaitpassélesheuresprécédantlanouvelle.Desheuresqu'iln’oublieraitjamais,carellesavaientétélesdernièresavantquesaviebascule.Ilavaitcommencépardéblayerletrottoiretl’alléecommel’avaitsouhaitéMissy,puisilétaitrentré.Aprèsavoirvaquéàdiversesoccupationsdanslacuisine,ilavaitpasséunmomentavecJonah,qu’ilavaitmisaulit.Safemmetardaitàrentrer.Ilavaitsupposéd’abordqu'elleétaitpasséevoiruneanciennecollègue,commeellelefaisaitparfois.Néanmoins,ilregardaitsamontretouteslesdeuxminutes,ensereprochantsonanxiétéexcessive.Lesminutesétaientdevenuesuneheure,etbientôtdeux.Vraimentinquiet,ilavaitpriéCharliepartéléphoned’allerjeteruncoupd’œilsurleparcourshabitueldeMissyquandellefaisaitsonjogging:Jonahdormaitdéjàetilpréféraitnepaslelaisserseul.Charlieavaitacceptévolontiers.Auboutd’uneheure-pendantlaquelleMilesavaitappelétouteslespersonnessusceptiblesdelerenseigner-Charlieétaitapparu.Safemme,Brenda,qu’ilavaitamenéepourgarderJonah,setenaitderrièrelui,lesyeuxrougisdelarmes.—Viens,avait-ilditdoucementàMiles.Ilyaeuunaccident.JesuissûrqueMilesavaitdevinéaussitôtcequeCharlievoulaitdire.Uneaffreuseconfusionavaitrégnépendantlerestedelanuit.NiMilesniCharlienesavaientàl’époquequ’aucuntémoinn’avaitassistéàl’accidentfatal;qu’aucunchauffardneviendraitavouerqu’ilavaitprislafuiteaprèsavoirrenverséMissy.Lemoissuivant,lapatrouilleroutièreainterrogétouslesgensducoinetrecherchétouslesindices.Elleafouillélesbroussailleselmenésonenquêtedanslesbarsetlesrestaurantsvoisins,aucasoùunclientivreauraitquittéleslieuxàl’heureapproximativedudrame.Levolumineuxdossierfinalnecontenait,hélas,riendeplusquecequesavaitCharliequandsonamiluiavaitouvertsaporte.Àtrenteans,MilesRyanétaitdevenuveuf.

5Auvolantdesavoiture,MilessongeaitàlamortdeMissy,commelejouroùilroulaitsurMadameMoore’sLane,aprèsavoirdéjeunéavecCharlie.Mais,aulieudedéfilerenboucledansunordreimmuable,lessouvenirsdecettepartiedepêche,desaquerelleavecMissyetdesonissuefataleétaientmêlésàdespenséesconcernantJonahetSarahAndrews.Impressionnéparlesilencedesonpère,Jonahréfléchissaitpendantcetempsauxeffroyablespunitionsquidevaientl’attendre.Iljouaitnerveusementaveclafermetureéclairdesonsacàdos,etMilesfinitparposerunemainsurlasiennesansunmot.—Papa,tuesfâché?demandal’enfantauborddeslarmes.—Non.—TuasparlélongtempsàMlleAndrews...—C’étaitimportant.—Vousavezparlédel’école?MileshochalatêteetJonah,l’estomacnoué,baissalesyeuxenregrettantdenepluspouvoirremuersamainimmobilisée.—Alors,tudoisêtretrèsfâché,marmonna-t-il.Peudetempsaprès,assissurunbancdevantleDairyQueen,Jonahterminaitsoncornetdeglace,lebrasdeMilesautourdesesépaules.Ilsavaientdiscutéunebonnedizainedeminutesetsasituationluisemblaitbeaucoupmoinscatastrophiquequeprévu.Iln’yavaiteunicrisnimenacesdepunition.Interrogéparsonpère,ilavaitadmisqu’iln’avaitjamaisappelésesprécédentsinstituteursausecoursquandilavaitperdupied.Ilavaitensuiteparlédesmatièresquilemettaientdansl’embarras;pratiquementtoutes...

Ils’étaitengagéàfairedesonmieuxdorénavantetsonpèreluiavaitpromisdel’aideràrattrapersonretard.Toutcomptefait,ilavaiteudelachance,sedisait-il;maisilnesedoutaitpasqueMilesluiréservaitunemauvaisesurprise.—Pourteremettreàflot,repritcelui-cid’unevoixsereine,turesterasaprèslaclasseplusieursfoisparsemaine.MlleAndrewsvatefairetravailler.—Aprèslaclasse?articulaJonah,sidéré.—Ellepensequec’estlameilleuresolution.—Jecroyaisquetuallaism’aidertoi-même.—J’ycomptebien;maislesjoursoùjenesuispaslibre,MlleAndrewsm’aproposédeteprendreencharge.—Aprèslaclasse?répétaJonahd’unevoixnavrée.—Oui,troisfoisparsemaine.—Mais,papa,jeneveuxpas...Surcesmots,Jonahjetalerestedesoncornetdeglacedansunecorbeille.—Jenetedemandepastonavis!D’ailleurs,situm’avaisparléplustôtdetesdifficultés,onn’enseraitpaslà...Jonahfronçalessourcils.—Mais,papa...—Jesaisqueçaneteplaîtpas;maistudoisfaireuneffort,aumoinspendantquelquetemps.Tun’aspaslechoix,etjetesignalequeçaauraitpuêtrepire.—Oh!s’indignaJonah.—Sielleavaitsouhaitétefairetravailleraussipendantlesweek-ends,commentaurais-tutrouvéletempsdejoueraufootball?Jonahsepenchaenavant,lementonappuyésursesdeuxmains.—D’accord,marmonna-t-ild’unairlugubre.—C’estbien,champion!approuvaMiles.Cesoir-là,quandilallabordersonfilsdanssonlit,Milesluipassalamaindanslescheveuxavantdel’embrassersurlajoue.—Ilesttard.Dorsbien!dit-ilenvérifiantsaveilleuse.Jonahsemblaitsipetitdanssonlit,sivulnérable.Ilparvenaitavecpeineàouvrirsesyeuxlourdsdesommeil.—Papa?—Oui?—Mercidenepasm’avoirgrondéaujourd’hui.—Derien,monchéri.—Etpuis...Jonahsoulevalatêtepours’essuyerlenez.Sursonoreillerétaitposéunoursen

peluche,offertparMissyàl’occasiondesestroisans.Ildormaitencoreavecluichaquenuit.—JesuiscontentqueMlleAndrewsveuillebienm’aider.—Ahoui?—Elleestgentille.—J’aieucetteimpression,fitMilesenéteignant.Maintenant,dodo!—D’accord!Et,tusais,papa?Jet’aime...—Moiaussi,Jonah,fitMiles,lagorgeserrée.Versquatreheuresdumatin,lescauchemarsdeJonahrevinrent.Ilhurlad’abordcommes’iltombaitdanslevide.Miles,réveilléensursaut,titubajusqu’àsachambre,trébuchaaupassagesurunjouetetsoulevadanssesbrasl’enfantencoreendormi.Toutenluiparlantàvoixbasse,ill’emmenadehors,surleporche,carc’étaitleseulmoyendel’apaiser.Enquelquesinstants,sessanglotssemuèrentenunmurmureetMilessefélicitanonseulementdeposséderundemi-hectaredeterrainautourdesamaison,maisd’avoirpourvoisinelaplusprocheMmeKnowlson,quiétaitdured’oreille.Dansl’airhumidedelanuit,ilberçaJonahsursesgenoux,toutenluichuchotantdesmotstendres.Leseauxdelarivièretanguaientdoucementàlalumièrenacréeduclairdelune.Leschênesfeuillusetlestroncsblanchisdescyprès,lelongdesberges,avaientunebeautépaisibleetintemporelle.Etlamousseespagnoledrapéesurleursbranchesdonnaitl’impressionquecepaysagen’avaitpaschangédepuisplusieursmillénaires.LetempsqueJonahretrouveunsoufflelentetprofond,ilétaitpresquecinqheuresdumatin.Troptardpourserendormir...Aprèsavoirrecouchésonfils,Milessefitducafé.Assisdevantsatasse,ilsefrottalevisagepouractiversonsang,puisillevalesyeux.Derrièrelesvitres,unelueurargentéebrillaitàl’horizonetdeséclatsdejourfiltraientàtraverslesarbres.Ilsesurprit,unefoisdeplus,entraindepenseràSarahAndrews.Iln’avaitpasréagiaussivivementàunefemmedepuisuneéternité.Biensûr,Missyl’avaittroublé,quinzeansplustôt;maissonattiranceavaitpris,aufildesans,uneformedifférente.Unsentimentplusintenseetplusstableavaitsuccédéàsondésirjuvénilededécouvrirchacunedesesfacettes.Elleneprésentaitpluslemoindremystèrepourlui.Ilconnaissaitsonvisageausautdulit,ilavaitvusestraitstirésparl’effortaprèslanaissancedeJonah.Iln’ignoraitriendesessentiments,desescraintesoudesesgoûts,alorsqueSarahsymbolisaitlanouveauté.Etilsesentaitneufluiaussi;toutluisemblaitpossible...Maisoùcelalemènerait-il?Quiétaitcetteinconnue?Leurspersonnalitésétaient-ellescompatibles?Iln’enavaitpaslamoindreidée.Qu’illeveuilleounon,Sarahl’attiraitpourtant...Ilhochalatêteafindechassersonobsession,maisilneparvintpasàoublierqu’ilsouhaitaitprendreunnouveaudépart.Faireunerencontre...Ilconnaissait,enville,

desveufsrésolusànejamaissemarier.Lui-mêmen’étaitpasprogrammé,commeeux,pourlasolitude.IIn’avaitjamaisenviénonplussescopainscélibatairesquicollectionnaientlesaventuresetchangeaientdepartenairecommedechemise.Sonpluscherdésirétaitderetrouverl’équilibrequ’ilavaitconnujadisdanssoncouple.Ildoutaitd’yparvenirunjour...Dehors,lecieldevenaitdeplusenpluslumineux.Ilreposasatasseetregagnasachambre,aprèsavoirconstatéaupassagequeJonahdormaitencore.Desphotosencadréestrônaientsursatabledenuitetsacommode.Danslapénombre,lestraitsdeMissyétaientàpeinedistincts,maiselleétaitpartout,surtouslesclichés.Missyderrièrelamaison;MissyetJonah,engrosplan,souriantdetoutesleursdents;Missyetluis’avançantversl’autel...Miless’assitsursonlit.Àcôtédel’unedesphotosreposaituneenveloppeenpapierkraftcontenantlesinformationsqu’ilavaitrassembléesàl’époque.N’ayantpaseuledroitd’enquêterpersonnellement-d’autantplusquelesaccidentsdelarouten’étaientpasdesonressort-,ilavaitsuivilatracedelapatrouilleroutière.Ilavaitdoncinterrogélesmêmesindividus,posélesmêmesquestionsetobtenulesmêmesinformations.Parégardpourlui,personnen’avaitrefusédecoopérer,maisilnesavaitriendeplusquelesenquêteursofficiels.Ledossier,bienenvuesursatabledenuit,semblaitlemettreaudéfideretrouverleconducteurauvolantcesoir-là.Unepossibilitédeplusenplusutopiqueàsesyeux,malgrésonacharnement!Entantqu’épouxetentantquepolicierchargédefairerégnerl’ordre,ilestimaitquel’hommequiavaitfaitlemalheurdesaviedevraitrépondredesesactes.«Œilpourœil,dentpourdent»,selonlaBible...Commepresquetouslesmatins,ilobservaledossiersansmêmel’ouvriretils’imaginaleconducteurduvéhicule,enseposantlaquestionrituelle:pourquoiavait-ilprislafuitesic’étaitunsimpleaccidentets’iln’avaitriend’autreàsereprocher?Probablementparcequ’ilétaitivre:ilrevenaitd’unesoiréetroparrosée,oubienilavaitl’habitudedesesoûlerpendantleweek-end.Milessereprésentaitunhommed’unetrentaineoud’unequarantained’années,serpentantàtoutealluresurlarouteetfaisantdesembardées,l’espritailleurs.Unecanettedebièrecoincéeentresesgenoux,ilallaitsansdoutedansunbarpourcontinueràboire,quandilavaitaperçuMissy.Àmoinsqu’ilnel’aitpasvuedutout...Ilavaitpeut-êtresentiunsimplechocetunesecoussedesavoitureaumomentdel’impact,maisiln’avaitpaspaniqué.Larouteneprésentaitaucunetracededérapage,etils’étaitarrêtépourconstaterlesdégâts.Lesenquêteursenavaienteulapreuve,bienquecetteinformationn’aitjamaisparudanslapresse.Àpartcela,Milesnesavaitrien.Aucunautrevéhiculenecirculaitsurlaroute,aucunporchenes’étaitéclairéàl’instantfatidique,personnenepromenaitsonchienoun’arrêtaitsonsystèmed’arrosage.Mêmeenétatd’ébriété,lechauffardavaitdûréaliserqu’ilseraitpoursuivipourhomicide,sinonpourmeurtresanspréméditations’ilavaitdéjàviolélaloi.Lecrime;laprisonàvie...Craignant,auminimum,deseretrouverderrièrelesbarreaux,ilavaitfilésansdemanderson

reste.Cettehypothèseétaitplausible.Àmoinsqueleconducteurn’aitpercutéMissyvolontairement.Unpsychopathe,tuantpourleplaisir?Ouquelqu’unquivoulaitsevengerdelui,MilesRyan?Entantqueshérif,ils’étaitfaitdesennemis.Ilavaitarrêtédessuspects,témoignécontreeux,aidéàmettresouslesverrousungrandnombred’individus.Quisoupçonner?Ilyavaitdequoidevenirparanoïaque.Ilsoupira,ouvritledossier,etcédaàlatentationdes’yplonger.Undétail-qu’ilavaitnotésurleslieuxdel’accident-neconcordaitpasaveclereste;ilavaitgriffonnédepuisdesdizainesdequestionsàcepropos.Bizarrement,lefuyardavaitdéposéunecouverturesurlecorpsdeMissyavantdedisparaître.Cepointn’avaitjamaisétérévélénonplusparlesjournaux,caronespéraittenirlàunindicerévélateur.Ils’agissait,hélas,d’unebanalecouverturevendueenkitavecdiversarticlesdedépannagedanslaplupartdesgrandsmagasinsou«lesboutiquesdefournituresautomobiles.Impossible,donc,deretrouversonorigine.«Peut-êtreunemanièredeprésenterdesexcuses»,avaitsuggéréCharlie.Pourquoipas,aucontraire,uneruseducriminelpourbrouillerlapiste?Milesn’avaittoujourspastrouvéderéponseàcettequestion,maisilétaitbiendécidéàmettrelamainsurlecoupable,quoiqu’ilarrive.Sinon,ilseraithantétoutesavieparlamortdeMissy.

6SarahAndrewsbuvaitlentementsondeuxièmeverredevin.Bienqu’ellen’aitjamaisétéunegrandebuveuse,elles’enverseraitpeut-êtreuntroisième,carc’étaitunvraijourdedéprime.Troisjoursavaientpassédepuissonrendez-vousavecMilesRyan.Elledevaitàtoutprixsechangerlesidées.Bizarrement,lajournéeavaitplutôtbiencommencé.Réveilagréable,petitdéjeunerpaisible;etpuisçaavaitmaltourné.Sonchauffe-eaus’étantarrêtépendantlanuit,elleavaitdûsecontenterd’unedouchefroideavantdepartirautravail.Troisouquatreélèvesenrhumés,assisaupremierrang,avaientpasséleurtempsàtousser,àéternuer,oumêmeàchahuter.Lerestedelaclasseavaitsuivileurexemple;ellen’avaitdonctraitéquelamoitiéduprogrammeprévu.Aumomentdepartir,àuneheureplustardivequedecoutume,elleavaittrouvéunpneudesavoitureàplat.Dépannageparl’Automobile-Club;uneheured’attente.Enfin,lefestivalduChrysanthèmeavaitlieuceweek-end-là;elleavaitdûsegareràtroisblocsdesamaisoncarlesrues

étaientbondées.Pourcouronnerletout,dixminutesaprèssonretour,l’unedesesanciennes«connaissances»deBaltimorel’appelaitpourluiannoncerqueMichaelseremariaitendécembre.Alors,elleavaitouvertsabouteilledevin.Avecunpeuderecul,elleregrettaitpresquequel’Auto-mobile-Clubnel’aitpasfaitattendrepluslongtemps.Ainsi,ellen’auraitpasétélàpourrépondreautéléphone!Pourquoicettefemme,quin’étaitpasl’unedesesintimes,maisuneamiedelafamilledeMichael,avait-elleéprouvélebesoindel’informer?Malgrésontonàlafoisincréduleetcompatissant,ellelasoupçonnaitd’êtremissionnéeparsonex-mari.Heureusement,elleavaitgardésonsang-froid;cequiétaitmoinsfacile,aprèscesdeuxverresdevin.EllenevoulaitplusentendreparlerdeMichael!Ilsnes’étaientpasrevusdepuisleurdernierrendez-vouschezl’avocat,environunanplustôt.Unefoissignéslespapiersdudivorce,elles’étaitfélicitéed’avoirretrouvésaliberté.Sonchagrinavaitfaitplaceàuneétrangeapathie,mêléeausentimentqu’iln’étaitpasl’hommequ’elleavaitcru.Ellen’avaitpluseudenouvellesdelui,nidesafamillenidesesamis;unpeucommesiellen’avaitjamaisétésafemme.Maintenant,ilseremariait...Aulieudes’enmoquer,ellesesentaittroublée,bienquel’acten’eûtriend’inattendu.Pourlapremièrefoisdesavie,ellehaïssaitvraimentquelqu’un.Unetellehainenes’expliquaitqueparcequ’elleavaitjadisaiméMichael.Ilss’étaientjurédevantDieuunamouréterneletelleavaitcru,naïvement,leurcoupleindissoluble.Ellevenaitd’unefamilledontplusieursgénérationsavaientvécusurcemodèle.Sesparentsétaientmariésdepuisprèsdetrente-cinqans;etsesgrands-parents,desdeuxcôtés,depuisbientôtsoixante.ElleavaitespéréqueMichaeletellesurmonteraientleursproblèmes,mêmes’illeurencoûtait.Quandilavaitcédéàlapressiondesafamille,elles’étaitsentieréduiteànéant.Maispourquoicetrouble,sielleenavaitréellementfiniaveclui?Assisesurlecanapé,ellevidasonverreavantdeserelever.Elleenavaitréellementfiniaveclui.S’ilvenait,àgenoux,implorersonpardon,ellelerenverrait.Quoiqu’ildiseetquoiqu’ilfasse,plusjamaisellenel’aimerait.Ilpouvaitépouserquiilvoudrait,elles’enmoquaittotalement.Danslacuisine,elleseversasontroisièmeverredevin,auborddeslarmes.Michaelseremariait...Elles’étaitjurédenepaspleurer,maislesvieuxrêvesontlaviedure.Envoulantposersonverre,ellelelaissatomberdansl’évier,oùilsebrisa.Ellerassemblaaussitôtleséclats,secoupaetvitsonsangjaillir.Cettepéniblejournéen’enfiniraitdoncjamais.Résolueànepaspleurer,ellepressasespaumescontresesyeuxensoupirantdufondducœur.—Tuessûrequeçava?Presséeparlafoule,Sarahavaitl’impressiond’entendredetrèsloinlesparolesdesamère.

—M’man,jeterépètepourlatroisièmefoisqueçava.Dureversdelamain,MaureenbalayaunemèchesurlevisagedeSarah.—Jetetrouvepâlotte,commesitucouvaisquelquechose.—Unpeudefatigue.J’aitravaillétardhiersoir.Sarahévitaitdementiràsamère;maisàquoibonluiavouerqu’elleavaitouvertunebouteilledevinlaveille?Maureenn’yauraitriencompris.Etsielleavaitpréciséqu’elleavaitbutroisverrestouteseule,lapauvrefemme,affolée,l’auraitassaillied’unemultitudedequestionsindiscrètes.C’étaitunsamedimagnifique;lecentre-villeregorgeaitdemonde,carlafoireàlabrocantebattaitsonplein.Maureenavaiteuenviedepasserlajournéeàflânerparmilesstands,alorsqueLarryrestaitclouédevantlepostedetélévisionpourassisteraumatchdefootCarolineduNord-Michigan.Sarahauraittenucompagnieavecplaisiràsamèresiellen’avaitétéenproieàuneterriblemigrainerésistantmêmeàl’aspirine.Commeelleexaminaituncadreancienrestauréavecsoinmaisexcessivementcher,celle-cirevintàlacharge.—Tutravailleslevendredisoir?—J’avaisprisduretardetj’aidécidédem’ymettre.Maureenfitmined’admirerelleaussilecadre.—Tuaspassélasoiréecheztoi?—Pourquoicettequestion?—Parcequejet’aiappeléeplusieursfois.Letéléphonen’arrêtaitpasdesonner.—Jel’avaisdébranché.—Jemedisaisquetuétaispeut-êtresortieavecquelqu’un.—Avecqui?—Jenesaispas.Quelqu’un...Sarahconsidérasamèrepar-dessusseslunettesdesoleil.—M’man,tunevaspasrecommencer!—Recommencerquoi?marmonnaMaureensurladéfensive.Puiselleajoutaentresesdents,commesielleseparlaitàelle-même:—Jesupposaissimplementquetuavaiseuenviedesortir.Tusortaisbeaucoup,autrefois...Noncontentedesecomplairedansl’anxiété,Maureensavaitjoueràlaperfectionlesmèresbrimées;maiscen’étaitpaslebonjour.Sarahreposalecadreenfronçantlessourcils.Lapropriétairedustand,unefemmeâgée,assisesousungrandparapluie,neperdaitpasunemiettedecettepetitescène.Deplusenplusmaussade,Sarahs’éloignadustand.—Qu’est-cequinevapas?demandasoudainMaureen,aprèsavoirmaugrééunmoment.

—Çava,maisjenesuispasd’humeuràt’entendretelamenteràmonsujet,lançaSarah,horsd’elle.Çadevientinsupportable,àlafin!Devantl’airinterloquédesamère,elleregrettaaussitôtsesparolesblessantes.—Désolée,m’man,det’avoirparlésurceton,murmura-t-elle.Maureenluipritlamain.—Sarah,dis-moicequit’arrive!Jesuiscertainequetunem’aspasditlavérité.ElleserralamaindesafilledanslasienneetSarahdétournalesyeux.Autourd’elles,desétrangersbavardaientàn’enplusfinir.—Michaelseremarie,murmuraSarah.D’abordincrédule,Maureenserralonguementsafilledanssesbras.—Oh,Sarah...Jesuisnavrée,fit-elle.Quediredeplus?Ellesselaissèrentporterinsensiblementjusqu’auboutdelaruebruyante.Puis,nepouvantallerplusloin,elless’assirentaucalmesurunbancduparcdominantlamarina.Là,ellesparlèrentlongtemps,ouplutôtSarahparla.Maureenl’écoutait.Àplusieursreprises,sesyeuxs’emplirentdelarmesetelleserralamaindesafilledanslasienne.—Oui,uneterriblejournée!dit-elle,aumoinspourlacentièmefois.—C’estbienvrai.—Maiscrois-tuquejepourraist’aidereninsistantsurleboncôtédeschoses?—Iln’yenapas,m’man.—Tutetrompes.—Parexemple?—TupeuxêtresûrequeMichael,remarié,neviendrajamaiss’installerdanslarégion.Tonpèren’enferaitqu’unebouchée.Sarahéclataderiremalgrésonhumeurmorose.—Mercibien!Sijel’aperçoisparici,jepréviendraipapa.—Aprèscequ’ilt’afait,j’espèrequetunecomptespaslerevoir!Sarahsecontentadehocherlatêteensecalantcontreledossierdubanc.—As-tudesnouvellesrécentesdeBrian?demanda-t-elleafindefairediversion.Iln’estjamaislàquandjel’appelle.—Jeluiaiparléilyaquelquesjours,maistusaiscequec’est:onn’apastoujoursenviedeseconfieràsesparents.Nosconversationssonttrèsbrèves.—Ilsefaitdesamis?—Sûrement.Sarahcontemplaunmomentlamarinaenpensantàsonfrère.

—Etpapa,commentva-t-il?—Toujourspareil.Ilaeusoncheck-uplasemainedernière;çaallaitbien.Ilestmoinsfatiguéqu’avant.—Ilfaitdel’exercice?—Pasassez,maisilmepromettoujoursdes’ymettre.—Dis-luidemapartquec’estimportant.—Tuferaismieuxdeluidiretoi-même.Quandc’estmoi,ilal’impressionquejeleharcèle.—Aurait-ilraison?—Non!s’indignaMaureen.Iln’admetpasquejem’inquièteàsonsujet...Surlamarina,ungrandvoiliersedirigeaitverslaNeuse;ellesl’observèrentensilence.Lepontallaitbientôtpivoterpourlelaisserpasser,etlacirculationseraitbloquéedechaquecôté.«J’aiétécoincéeparlepont»étaitl’excuseclassiquedesretardataires,àNewBern.Desmédecinsauxjuges,tousseshabitantsl’acceptaientsansdiscussion,d’autantplusqu’ilsenavaienteux-mêmesfaitusage.—C’estbondet’entendrerire,murmuraMaureenauboutd’unmoment.Ilyalongtemps,bienlongtempsqueçanet’étaitpasarrivé.Ellepressadoucementlegenoudesafille.—Surtout,nelaisseplusMichaeltefairesouffrir!Sou-viens-toiquetuasprogressé...Ettuvascontinueràprogresser...Turencontrerasunjourquelqu’unquit’aimeratellequetues...—Maman!rugitSarah.Maureenrenonçaàpoursuivresonhabituelmonologue.—Jenepeuxpasm’empêcherdesouhaitertonbonheur.Comprends-tu?murmura-t-elle.EllegardadeforcelamaindeSarahdanslasienne.—Oui,m’man,fitcelle-cienespérantl’apaiserd’unsourire.

7Lelundisuivants’établitlaroutinequiallaitréglerlaviedeJonahpendantplusieursmois.Quandretentitlasonnerieannonçantlafindesactivitésscolaires,ilsortitavecsescamaradesenlaissantsonsacàdosdanslaclasse.Commesescollègues,Sarahs’assuraquelesenfantsmontaientdanslesvoituresetlescarsscolairesappropriés;puisellerejoignitsonélève.—Tupréféreraispartirtoiaussi,n’est-cepas?Jonahacquiesça,mélancolique.—Toutvabiensepasser,tusais!J’aiapportédesbiscuitspourteremonterlemoral.—Lesquels?marmonnal’enfant.—Desoreosauchocolatetàlavanille.Quandj’étaispetite,mamamanm’endonnaitquelques-unsaprèslaclasse,pourmerécompenserd’avoirbientravaillé.—MmeKnowlsonmedonnedespommesentranches.—Tupréféreraisdespommes,demain?—Lesoreos,c’estbienmeilleur.Sarahindiqual’écoled’unsignedetêteettenditlamainàJonah.—Onyva?—Attendez...Vousavezdulait?—Jepeuxt’enacheteràlacafétéria,situveux.Rassuré,l’enfantpritlamaindesoninstitutriceetluisourit,tandisqu’ilssedirigeaientversl’école.Aumêmeinstant,Milesplongeaitderrièresavoitureetprenaitsonarme,avantquel’échoduderniercoupdefeusesoitéteint.Ilnecomptaitpasbougertantqu’iln’auraitpascompriscequisepassait.Riendetelqu’unedéflagrationpourlemettreenalerte!Soninstinctdesurvies’éveillaitavecuneforceetunerapiditéquilesurprenaienttoujours,commesil’adrénalinepénétraitsonorganismegrâceàunimmensesystèmedeperfusioninvisible.Ilsentaitlemartèlementdesoncœurdanssapoitrineetilavaitlesmainsmoites.S’illançaitunappel,touteslesforcesdepolicelocalesaccourraientsur-le-champ,maiscen’étaitpasnécessairepourlemoment.Lesonétoufféqu’ilavaitentenduprovenaitdesprofondeursdelamaison;letirnesemblaitpasdirigécontrelui.

Devantunemaisonhabitée,ilauraitdemandédesrenfortsensupposantquequelquedramefamilialvenaitd’éclater;maisils’agissaitdelamaisonGregory,unevieillebâtissedélabrée,enfouiesouslesplantesgrimpantes,auxabordsdeNewBern.Elletombaitlittéralementenruinedepuisdesannées:lesplancherspourrisnedemandaientqu’àcéder,l’eaudégoulinaitparlesouverturesbéantesdutoitetlesmurschancelantssemblaientprêtsàs’effondrerdèslapremièrerafaleviolente.Mêmelesraresclochardsdelavilletrouvaientplussagedenepass’aventurerencelieu.Ilentendit,enpleinjour,unsecondcoupdefeu-pasunearmetrèspuissante,maisplutôtuncalibrevingt-deux.Sansdouteunesimplerixe,présentantundangerlimité.Àquoiboncourirdesrisquesinutiles?Aprèsavoirouvertsaportière,ilseglissasursonsiègeetlançaunappelradio,enamplifiantlesondemanièreàsefaireentendredesoccupantsdelamaison.—Icileshérif,articula-t-ilcalmement.Venezauplusvite.J’aiàvousparler,lesgars,etsurtoutprenezvosarmes!Lescoupsdefeucessèrentet,auboutd’uneminute,unetêteapparutàl’unedesfenêtres.—Vousallezpasnoustirerdessus!fitungamind’unedouzained’années,effrayé.—Non,jenevaispastirer.Posezvosarmesprèsdelaporteetdescendez.Jevoudraisvousdiredeuxmots.Unsilencesefit;lesgossesparlementaiententreeux.Depauvresbougres,unpeufrustespourlemondemoderne.Ilspréféreraientdétalerplutôtqued’êtreraccompagnéschezleursparentsparunpolicier,seditMiles.—Sorteztoutdesuite!ordonna-t-ildanslemicro.Uneminuteaprès,deuxgarçons-l’unapparemmentplusjeunequel’autre-surgirentdechaquecôtédecequiavaitdûêtrelaported’entrée.Avecunelenteurexagérée,ilsdéposèrentleursarmesets’avancèrent,lesbraslevés.Pâlesettremblants,ilsavaientl’airdeseprendrepourdescibleshumaines.Dèsqu’ilseurentdescendulesmarchesbranlantes,Milessortitdesavoitureenréprimantunsourireetrengaina.Asavue,lesdeuxénergumèness’immobilisèrentuninstant,puisreprirentleurmarche.Desgossesdelacampagne,auvisageetauxbrascrasseux,vêtusdejeansdélavésetdebasketsdéchirées.Ilsavançaienttoujours,lesbraslevésetlescoudesserrés,commedanslesfilmsdontilsdevaientsegaver.Deprès,Milesremarquaqu’ilsétaientauborddeslarmes.Adosséàsavoiture,ilcroisalesbras.—Vouschassiez?demanda-t-il.Leplusjeune-dixansaumaximum-interrogeal’autregaminduregard.Évidemment,deuxfrères.—Oui,m’sieur,dirent-ilsàl’unisson.

—Qu’est-cequevousaveztrouvédanscettemaison?Nouvelleréponseàl’unisson:—Desmoineaux.—Vouspouvezbaisserlesbras.Lesgaminsobtempérèrent,aprèsavoiréchangéunregard.—Çaneseraitpasdeschouettes,parhasard?s’enquitMiles.—Justedesmoineaux.Yenadestasàl’intérieur.Milespointaundoigtverslescarabines.—Vousavezdescalibresvingt-deux?—Oui,m’sieur.—Unpeutroppourdesmoineaux,non?Lesdeuxfautifséchangèrentunregardcoupable,sousleregardsévèredeMiles.—Vousaveztortdechasserleschouettes.Cesontdesoiseauxutiles,quimangentlesrats,lessourisetmêmelesserpents.J’aimeraismieuxavoirunechouettedansmonjardinqu’unedecesbestioles.Vousn’enavezpasattrapéuneseule,jeparie.L’undesenfantsbaissalatête.—Quejenevousyreprenneplus!lançaMilesd’untonpéremptoire.Vousn’avezpasledroitdetirerici,àproximitédelagranderoute.D’autrepart,cettemaisonenruineestdangereusepourvous.Çavousplairaitquej’entoucheunmotàvosparents?—Non,m’sieur.—Vousficherezlapaixauxchouettes,sijevouslaisserepartir?—Oui,m’sieur.—Vousêtesvenusàpiedouàvélo?—Àpied.—Alors,voilàcequ’onvafaire.Jegardevosdeuxcarabinesetvousvousasseyezàl’arrièredemavoiture.Jevousdéposeraiauboutdevotrerue.Çan’irapasplusloincellelois-ci;maissijevousyreprends,j’annonceàvosparentsquejevousaidéjàcoincésetquejen’aiplusqu’àvousboucler.Compris?Lesdeuxgarçonsouvrirentdesyeuxrondsethochèrentlatête,reconnaissants.Cetteaffaireréglée,Milessehâtad’allerchercherJonahàl’écolepoursavoircomments’étaitpasséesajournée.Iléprouvaitmalgréluiuneétrangeexcitationàl’idéederevoirSarahAndrews...—Papa!s’écriaJonah.Milessebaissapourattrapersonfilsauvol,tandisqueSarahapprochaitd’unpastranquille.—Tuasarrêtéquelqu’unaujourd’hui?demandal’enfantselonsonhabitude.Milesesquissaunsourire.

—Pasencore,maisjen’aipasterminémajournée.Ettoi,çava?—MlleAndrewsm’adonnédesbiscuits.—Tuenasdelachance,fitMilesenévitantderegardertropostensiblementSarahquiapprochait.—Ellem’adonnédesoreos.Lesbons,auchocolatetàlavanille.—Ahoui?Ettuasbientravailléaussi?—Onafaitdesjeux.—Desjeux?—Jevousexpliqueraiplustard,ditSarahens’avançant.Pasdeproblèmepourl’instant!Milessetournaverslajeunefemme.Elleportaitunelonguejupeetuneblouseordinaire,maissonsourireletroublacommelapremièrefois,etilremarquaqu’elleétaitencoreplusjoliequedanssessouvenirs.Ilavaitdéjàétésensibleàsoncharmeetàcertainsdétails-lablondeurdesescheveux,lemodelédélicatdesonvisageetlanuanceturquoisedesesyeuxbleus.Ladouceuretlatendressedesonregardlefrappèrentcejour-là.Milesreposasonfilsàterre.—Situallaism’attendredanslavoiturependantquejebavardedeuxminutesavecMlleAndrews?—D’accord,p’pa,fitJonah.Avantdes’éloigner,ilembrassasoninstitutrice,quileserraàsontourdanssesbras.—Vousavezl’airdevousentendreàmerveilletouslesdeux,observaMiles,intrigué.—Oui,çaabienmarchéaujourd’hui.—Sij’avaissuqu’ilallaitmangerdesbiscuitsetjoueravecvous,j’auraisétémoinsinquiet.—J’aifaitmonpossiblepourl’amadouer,maisils’agitdejeuxéducatifs.Lescartessontdessupportsvisuels.—Jemedoutaisqu’ilyavaituntruc.Ilsedébrouillecomment?—Bien.Ilabeaucoupderetardàrattraper,maisc’estungosseenor.Jenelediraijamaisassez!D’autrepart,jepeuxvousassurerqu’ilvousadore.—Merci,ditspontanémentMiles.QuandSarahluisourit,ilsedétourna,nesachants’ildevaitsouhaiterounonqu’elledevinesespensées.—C’estmoiquidevraisvousremercierpourvotrecadeau,repritlajeunefemmeaprèsunsilence.EllepensaitauventilateurdetailleimposantequeMilesavaitdéposélematinmêmedanssaclasse.

Miles,profondémentému,gardalesilence.—IlesttempsquejeramèneJonahàlamaison,mur-mura-t-ilenfin.Nousavonsbeaucoupàfaire.—Bien...—Riend’autreàmesignaler?—Àpriori,non.—Alors,ilesttempsquejeramèneJonahàlamaison.Sarahhochagravementlatête.—Vousl’avezdéjàdit!—Ahoui?—Jepeuxvousl’assurer.Déconcertéeparcetteétrangemanièredeprendrecongé,Sarahenroulaunemèchedecheveuxautourdesonoreille.Milesétaitdifférentdeshommesdumonde,élégantsetbavards,qu’elleavaitrencontrésàBaltimore.Danslesmoisquiavaientsuivisondivorce,elleavaitfiniparlestrouveraussiinterchangeablesquedesfigurinesencarton.—Alors,encoremerci,marmonnaMilesavantd’allerrejoindreJonah.Endémarrant,ilaperçutunedernièrefoislajeuneinstitutrice,deboutdanslacourdel’école,unsourirerêveurauxlèvres.Lessemainessuivantes,ilsemitàattendrel’instantderevoirSarah,aprèsl’école,avecuneardeurquiluirappelaitletempslointaindesonadolescence.Ilpensaitàelleàdesmomentstoutàfaitinattendus-enchoisissantdescôtelettesdeporcausupermarché,arrêtéaufeurouge,quandiltondaitsapelouse,ousoussadouche.Ilsesurpritmêmeentraind’imaginerseshabitudesmatinales.Mangeait-elledescéréalesaupetitdéjeuner,oudestoastsàlaconfiture?Buvait-elleducaféouavait-elleunepréférencepourlethé?Aprèssadouche,s’enveloppait-ellelescheveuxd’uneserviettepoursemaquiller,oufaisait-elletoutdesuitesonbrushing?Ilsel’imaginaitaussi,unecraieàlamain,faceàsesélèves.Ilauraitaimésavoircommentellepassaitsontempsaprèslaclasse.Leursconversationsnesatisfaisaientpassacuriositécroissante.Ilignoraitpresquetoutdesonpasséetilseretenaitdeluiposerdesquestions,fautedesavoircomments’yprendre.«Jonahaapprisaujourd’huiàépelerleslettres;çaatrèsbienmarché»,luidirait-elle.Trèsbien,maisdites-moisivousenveloppezvoscheveuxd’uneservietteaprèsladouche!Cen’étaitcertainementpaslabonneréaction.Maisquefaire?Unjour,enhardiparquelquesbières,ilavaitfailliluitéléphoner.Ilnesavaitpascequ’ilallaitluidire,maisilespéraitqu’uneilluminationprovidentielleluidonneraitl’espritetlecharmenécessaires.Espérantlasubjuguerparsesparoles,ilavaitcherchésonnomdansl’annuaireetcomposélestroispremierschiffresdeson

numéro.Finalement,ilavaitrenoncécommeunlâche.Elleneseraitpeut-êtrepasàlamaison...Difficiledel’éblouirs’ilnes’adressaitpasdirectementàelle!Iln’avaitpasl’intentiondelaissersonrépondeurimmortalisersesbalbutiements,maisraccrochern’étaitplusdesonâge.Etsielleétaitencompagniede...sonamoureux?Unejoliefemme,libre,nepassepaslongtempsinaperçue.Deshommesaussiséduisantsquespirituelsnetarderaientpasàtournerautourd’elle,sicen’étaitdéjàfait.BonDieu,quedetempsperdu!Uneautrefois,ilcomposasixchiffresdesonnuméroavantderenoncerèl’appeler.Et,cettenuit-là,avantdes’endormir,ilseditqu’ilnetournaitvraimentpasrond.Unsamedimatindebonneheure,finseptembre,environunmoisaprèssapremièrerencontreavecSarahAndrews,MilesregardaitsonfilsjoueraufootballsurleterraindesportdulycéeH.J.Macdonald.Àl’exceptionpeut-êtredelapêche,Jonahn’aimaitrientantquelefoot,danslequelilexcellait.Ilavaithéritédel’agilitéetdelacoordinationdeMissy-unegrandesportive-etdelavélocitédesonpère,commelefaisaitremarquervolontierscedernier.Jonahétaitdoncunevraieterreursurlestade.Enraisondesonâge,ilneparticipaitqu’àundemi-match,cartoutesonéquipedevaitjouerpendantuntempsidentique;pourtantc’étaitluiquimarquaitlaplupart,sinontouslesbuts.Vingt-septaucoursdesquatrepremiersmatches!Unchiffrerecord,mêmes’iln’yavaitquetroisjoueursparéquipe,pasdegardiensdebut,etsilamoitiédesautresenfantsnesavaitpasdansquelledirectionshooter.Presquechaquefoisqu’iltouchaitlaballedupied,illagardaitsurtoutelalongueurduterrainavantdel’envoyerdanslefilet.Toutensachantquesonfilsneseraitjamaisunchampion,Milesbondissaitdejoiedèsqu’illevoyaitmarquerunbut.Lesenfantsmûrissentàdesrythmesdifférentsets’entraînentavecplusoumoinsd’énergie.Or,Jonah,malgrésaformephysique,n’aimaitpass’entraîner.D’autresgossesauraientvitefaitdelesurpasser.Àlafindupremierquarttemps,ilavaitdéjàmarquéquatrebuts.Pendantlesecondquart,alorsqu’ilétaitsurlatouche,l’équipeadversepritl’avantage.Troisièmequart:unbutmarquéparuncoéquipieretdeuxparJonah;soittrente-troispourl’année,comptamalgréluiMiles.Audébutduquatrièmequarttemps,l’équipeadversemenaitpar8-7.Quelsuspense!Milescroisalesbrasetparcourutlafouledesyeuxentriomphantdiscrètementàl’idéeque,sansJonah,pointdesalutpoursonéquipe.Unevoixl’arrachaàsarêverie.—Auriez-vousparié?demandaitSarahenmontantlesgradinsavecunsourireéblouissant.Voussemblezbiennerveux...—Jen’aipasparié,maisjemepassionnepourcematch.—Méfiez-voustoutdemême.Vousn’avezpresqueplusd’onglesetvouspourriezvousmordreparmégarde.

—Jenemerongepaslesongles!—Plusmaintenant,eneffet.Uneébauchedeflirt?sedemandaMiles.Ilredressalavisièredesacasquettedebase-ball.Avecsonshortetseslunettesdesoleil,Sarahluiparaissaitplusjuvénilequejamais,etpresquetaquine.—Jenem’attendaispasàvoustrouverici,risqua-t-il.—UneidéedeJonah...—Ahoui?—Jeudidernier,ilm’aparlédesonmatchduweek-endelilm’asuggéréd’yassister.Jepensequ’ilavaitsurtoutenviedesemontreràsonavantage.Bénisois-tu,Jonah,songeaMiles.—Dommagequevousarriviezàlafindumatch!—J’aicherchéJonahunlongmoment;deloin,touslesgossesseressemblent.—Onaparfoisdumal,nousaussi,àtrouverleterrainsurlequelildoitjouer.Uncoupdesiffletretentit.Jonahshoota,maissoncoéquipiermanqualaballeetunjoueurdel’équipeadverses’interposa.L’enfantadressaalorsuncoupd’œilàsonpère,puissonvisages’éclairaàlavuedeSarah.Laballenetardapasàrevenirdanssoncamp.—Ilabienjoué?s’enquitSarah.—Pasmal!—D’aprèsMark,ilestlemeilleur.—Hum...fitMilesenrougissantpresque.Sarahéclataderire.—Neprenezpascetairmodeste;lecomplimentnes’adressepasàvousmaisàJonah.—Hum...fitànouveauMiles,fautederéponseplusspirituelle.Sarah,toujoursamusée,haussaunsourcil.—Dites-moi...Vousjouiezaufootquandvousétiezgosse?—Çanesefaisaitpas,àl’époque,maisjepensequeçanem’auraitpasplu.Jepratiquaislessportstraditionnels-footballaméricain,basket,base-ball.L’idéedefairerebondiruneballesurmatêtenem’ajamaistenté.—Pasd’objectionencequiconcerneJonah?—Non,dumomentqueçaluiplaît.Etvous,quelssontvossportsfavoris?—Jen’airiend’uneathlète,maisquandj’étaisétudiantemacamaradedechambrem’afaitdécouvrirlamarche.—Ah,lamarche?—Passifacilequandongardeunbonrythme!

—Vouscontinuezàmarcher?—Jefaischaquejourmonparcoursdecinqkilomètres.Unbonexercice,quimepermetdemedétendre...Vousdevriezessayer.—Auboutdecinqkilomètres,jetiendraisàpeinedebout-sij’étaiscapabled’allerjusque-là...Sarahévaluaduregardlesforcesdesoninterlocuteur.—Vousenseriezcapable;aumoinssivouscessiezdefumer.—Jenefumepas.—Jesais,marmonnaSarah.Brendamel’adit.Aprèsluiavoirrendusonsourire,Milesallaitrépliquer,quandungrondements’élevadanslesgradins.Ilsseretournèrentaussitôt.Jonahfonçaitcommeuneflèchesurleterrainetmarquaitlescorefinal.Sescoéquipiersl’entourèrent;MilesetSarahselevèrentspontanémentpourapplaudiretacclamerlemêmepetitgarçon.—Çavousaplu?demandaMilesàSarahenlaraccompagnantàsavoiture.Jonahfaisaitlaqueueausnackavecsescopains.Aprèslavictoiredesonéquipe,ils’étaitruésursoninstitutricepourluidemandersiellel’avaitvumarquerledernierbut.Encouragéparsaréponse,ilavaitsautédanssesbras,foudejoie,enignorantcomplètementsonpère.—Çam’abeaucoupplu,admitSarah,maisjeregrettedenepasavoirtoutvu.Encedébutd’après-midi,sapeaurayonnaitlittéralementsoussonhâle.Milesluijetaunregardencoin.—PourJonah,l’essentielestquevoussoyezvenue...Avez-vousdesprojetscetaprès-midi?—Jedéjeuneenvilleavecmamère,chezFredetClara.Toutprèsdechezmoi.—Unrestauranttrèsagréable!Devantsavoiture,uneNissanSentrarouge,Sarahfouilladanssonsac.Mileslabuvaitdesyeux.Seslunettesdesoleilluidonnaientl’allured’unecitadineplutôtqued’unefilledelacampagne.Avecsonshortenjeandélavéetseslonguesjambesbronzées,ellen’avaitabsolumentriendecommunaveclesinstitutricesdesonenfance!Derrièreeux,unpick-upblancfaisaitmarchearrière.LeconducteuretMileséchangèrentunsalut.—Vousleconnaissez?s’étonnaSarah.—NewBernestunepetiteville.Toutlemondeseconnaît...—Çadoitêtrerassurant.—Pastoujours...Quandonadessecrets,ilnefaitpasbonvivreici.SarahsedemandauninstantcequeMilesavaitentête,maisilinterrompitsaréflexion.

—Àpropos,jevoudraisvousremercierencorepourl'aidequevousapportezàJonah.—Vousn’allezpasmeremercierchaquefoisquenousnousvoyons!—Non,maisjeconstatequ’ilachangéd’unemanièresurprenantecesdernierstemps.—Ilrattrapesonretardàunevitessequim’étonnemoi-même.Cettesemaine,ilamêmecommencéàliretouthautenclasse.—Çanem'étonnepas.Ilaunbonprofesseur.—Etunbonpère...Sarahavaitrougi;Miless’enémut.Ilaimaitaussilamanièredontellel’avaitregardéenluiparlant.Sontrousseaudeclefsàlamain,elleparuthésiteravantd’ouvrirsaportière.—Vouspensezlegarderencorelongtempsaprèslailasse?demandaMilesenreculantd’unpas.Parler...Ildevaitcontinueràparler,pourqu’ellenelequittepastoutdesuite...—Jenesaispasexactement...Vousvoudriezdéjàréduirenoshoraires?—Non,jevousinterrogeaisparcuriosité.—Ehbien,ditSarahaprèsunsilence,jesouhaiteraiscontinueraumêmerythme.Sivousvoulezbien,nousenreparleronsdansunmois.Çavousva?Unmois...Ilpourraitcontinueràlavoirpendantaumoinsunmois...—Excellenteidée!Sarahjetauncoupd’œilàsamontre.—Ilesttempsquejeparte,murmura-t-elleàregret.Jevaisêtreenretard...Non,Milesn’étaitpasencoreprêtàlalaisserpartir!Ilavaitmillequestionsàluiposer;et,surtout,c’étaitlemomentoujamaisdel’inviteràsortiraveclui.Alors,pasdepanique!Plusquestiondetergiverseretderenoncerlâchement.Allez!sedit-il,soisunhomme;lance-toi!Maiscomments’yprendre?TandisqueSarahmontaitdanssavoiture,l’espritdeMiless’emballaitcommeunemachineinfernale.Iln’avaitpasétédansunesituationsemblabledepuissilongtemps...Fallait-ill’inviteràdîner?Àdéjeuner?Àalleraucinéma?—Avantdevousquitter,lança-t-il,jepeuxmepermettredevousposerunequestion?—Biensûr!Miles,lagorgesèche,fourrasesmainsdanssespochescommeunadolescent.—Jevoudrais...—Oui?fitSarahd’unairnarquois.Aprèsavoirprisuneprofondeinspiration,Milesmarmonnainstinctivementcequi

luivintàl’esprit.—Jevoudraissavoir...commentmarcheleventilateur.—Leventilateur?répétaSarah,éberluée.Quelleidéedeparlerduventilateur!Ilauraittoutdemêmeputrouverautrechose...Avecl’impressiond’avoiravaléunetonnedeplomb,ilbalbutia:—Oui,leventilateurquejevousaioffertpourvotreclasse.—Ilestparfait.—Parcequejepeuxm’enprocurerunautres’ilnevousdonnepassatisfaction...Sarah,visiblementinquiète,effleuralebrasdeMiles.—Vousvoussentezbien?—Oui,trèsbien,maisjevoulaism’assurerqu’iln’yapasdeproblèmeaveccetappareil.—Absolumentaucun.—Alors,çava,conclut-ilenpriantlecieldefairetomberlafoudresurluipourl’anéantirsur-le-champ.QuandSarahfutsortieduparking,Milesrestaunmomentfigésurplace.Siseulementilavaitpuinverserlecoursdutemps,annihilercettestupideconversation!Iln’avaitplusqu’àsecacher,jusqu’àlafindesesjours,aufondd’unesombrecaverne.Heureusementpersonnenel’avaitentendu!ÀpartSarah...Pendanttoutelajournée,sesdernièresparolesrésonnèrentdanssatêtecommeuneritournelleobsédante,entenduelematinàlaradio.Jevoudraissavoircommentmarcheleventilateur...Parcequejepeuxm’enprocurerunautres’ilnevousdonnepassatisfaction...J’espèrequ’iln’yapasdeproblèmeaveccetappareil...Ileutbeaufaire,sesproposdébileslehantaient.Quellehumiliation!Lelendemain,àsonréveil,sessouvenirsrevinrentaussitôtlenarguer.Àboutdeforces,ilcachasatêtesoussonoreiller.

8—Qu’endites-vouspourl’instant?demandaBrendaàSarah.Celundi-là,elless’étaientinstalléesàlatabledepique-niqueoùMilesetSarahavaientprisplaceunmoisplustôt.

BrendaavaitachetéledéjeunerchezletraiteurdePollockStreetoùl’ontrouvait,selonelle,lesmeilleurssandwichesdelaville.«Çanousdonneral’occasiondecauser»,avait-elledéclaréavecunclind’œil,avantdecourirfairesesemplettes.Sarahetellesavaientdéjàeul’occasiondecauser,maisleursconversationshabituelles,plutôtbrèvesetanodines,concernaientlesfournitures:leurlieudestockageetlapersonneàquis’adresserpourobtenirdenouveauxbureauxetdiverséquipements.PuisqueBrendaconnaissaitbienJonahetsonpère,Sarahl’avaitévidemmentinterrogéeàleursujet.Maintenantqu’elleavaitrencontréMiles,ellesoupçonnaitsacollèguedevouloirlacuisinersurlesujet...—Vousvoulezparlerdemontravailàl’école?fit-elle.RienàvoiravecmesclassesdeBaltimore,maisçameplaît.—Vousavezenseignédansdesquartiersdéshérités,n’est-cepas?—Oui,pendantquatreans.—Pastropdur?Sarahdéballasonsandwich.—Pastantqueça...Quelquesoitleurmilieu,lesenfants-surtoutpetits-sontdesenfants.C’étaitunquartierdifficile,maisonfinitpars’habitueretondevientvigilant.Jen’aijamaiseulemoindreennui.Lesrésultatsn’étaientpasfameux,maisonatortdedirequelesenseignantss’enfichent.J’aitravailléavecbeaucoupdegensadmirables!—Pourquoiavez-vousdécidédevenirici?Votreex-mariétaitinstituteur?—Non.L’espaced’uninstant,uneombredetristessevoilàlesyeuxdeSarah.—Ilétaitbanquier,etjesupposequ’ill’esttoujours,précisa-t-elleenouvrantsacanettedePepsi.Jenesaispascequ’ilestdevenuaujourd’hui.Nousn’avonspasvraimentdivorcéàl’amiable...—Oh,pardonnezmonindiscrétion!—Cen’estrien.Vousnepouviezpasdeviner;quoique...Sarahsouritduboutdeslèvres.—Vousétiezpeut-êtreaucourant...—Non,fitBrenda,lesyeuxécarquillés.Jevousassurequenon!—Vraiment?—J’aipeut-êtreentendudireuneoudeuxchoses.Brendas’agitad’unairpenaudsursonsiège,etSarahéclataderire.—Jem’endoutais.D’aprèscequej’aiapprisàmonarrivée,onnepeutrienvouscacher!—Jenesaispastout!protestaBrenda,faussementindignée.Etjenerépètepasnonplustoutcequejesais.Sionmeparlesouslesceaudusecret,jemetais.Undoigtsurl’oreille,elleajoutaenbaissantlavoix:

—Aveccequej’aiappris,jepourraisfairedesmalheursici;maiscesontdesconfidencesquejegardepourmoi.—Vousmeditescelapourquejevousfasseconfiance?—Biensûr.Allez,lâchez-moilemorceau!Brendajetauncoupd’œilautourd’elleetsepenchaversSarah,quiluisouriait.—Évidemment,jeplaisantais.Puisquenoustravaillonsensemble,souvenez-vousquevouspouvezmerappeleràl’ordresansmevexer.Ilm’arrivedememontrercurieusemalgrémoi,maisjeneveuxblesserpersonne...—Jevouscomprends...—D’ailleurs,vousêtesunenouvellevenueetnousnousconnaissonsàpeine;jenevousposeraiaucunequestionpersonnelle.—Excellenteidée!—Maissivousavezlamoindreenviedem’interroger,n’hésitezpas,ajoutaBrendaaprèsavoirentamésonsandwich.—D’accord!—Jesaiscequec’estquededébarquerdansunevilleoùl’onsesentseule.Donc...—Donc...répétaSarah.Unsilencesefit.—Donc,sivousavezunequestionàmeposerausujetde...quelqu’un.Sarahhochalatêteenfaisantminederéfléchir.—Non,paspourl’instant.Àmoinsquevouspuissiezmerenseignersurunecertainepersonne,reprit-elle,amuséeparlaminedéconfitedeBrenda.Levisagedecelle-cis’illumina.—Nousparlonsenfindechosessérieuses!Quevoulez-voussavoir?—Jem'interrogeaisausujetde...—Dequi?fitBrenda,aussiimpatientequ’unefillettedéballantuncadeaudeNoël.—Ehbien,de...BobBostrum.—Bob,legardien?—Oui,ilmeparaîtcharmant.—Ilasoixante-quatorzeans,répliquaBrenda,sidérée.—Marié?—Depuiscinquanteans!Ilaneufenfants.—Pasdechance,marmonnaSarah.Auboutd’unmoment,elleadressaunclind’œilcompliceàsoninterlocutrice.—Danscecas,ilnerestequeMilesRyan.Quepourriez-vousmedireàproposdelui?Brendasedonnaletempsderéfléchir.

—Maparole,j’aicommel’impressionquevousmetaquinez.—Taquinerlesgensestmonpéchémignon.—Voussavezvousyprendre!AproposdeMilesRyan,repritBrendaensouriant,ilparaîtquevousvousvoyezsouventtouslesdeux...Nonseulementaprèslaclasse,maispendantleweek-end.—JefaistravaillerJonahetilm’ademandédevenirassisteràunmatchdefoot.—C’esttout?N’obtenantpasderéponse,Brendapritunairentendu.—Ehbien,venons-enauxfaits.Milesaperdusafemmeilyaquelquesannées.Untragiqueaccidentdevoiture.Ill’aimaitdepuislelycée,etilaeubeaucoupdemalàs’enremettre.Lechauffardquil’arenversées’estenfui...Sarahhochalatête;elleavaitdéjàentendudesbribesdecettehistoire.Brendaposasonsandwichàcôtéd’elle.—Milesaététrèsperturbé.Entantqueshérif,ilconsidèrecommeunéchecpersonneldenepasavoirretrouvélecoupable...Aprèscettetragédie,ils’estplusoumoinscoupédumondeextérieur...Heureusement,repritBrendaenjoignantlesmainsd’unairému,ilal’aird’émergercesdernierstemps.Ondiraitqu’ilreprendgoûtàlavie.J’ensuisravie,carc’estvraimentunêtreexceptionnel!Unhommebonetsage,quinereculedevantrienpouraidersesamis,etquiadoresonfils...—Mais?demandaSarah,croyantpercevoirunehésitation.Brendahaussalesépaules.—Iln’yapasdemaisaveclui,etjeparleenconnaissancedecause.Milesn’aqu’uneparole;etquandilaimeilyvadetoutsoncœur...—Uneperlerare,admitgravementSarah.—Surtoutn’oubliezpascelasivousvousliezunjouraveclui!—Pourquoi?—Parceque,murmuraBrenda,Milesneméritepasdesouffrirunedeuxièmefoisdanssavie.Cejour-là,SarahsesurpritplusieursfoisentraindepenseràMiles.Unhommequiinspiraitunetelleaffectionàsesamisnepouvaitpaslalaisserindifférente...Elleavaitdevinéqu’ilvoulaitl’inviteràsortiraveclui,aprèslematchdeJonah.Samanièredetournerautourd’elleneluilaissaitaucundoute.Etpourtant,iln’avaitpasosé.Sonattitudel’avaitd’abordintriguée.Auvolantdesavoiture,elleavaitrienpensantàtoussesvainsefforts.Ils’étaitdonnéunmalfoumaispouruneraisonoupouruneautreilavaitbattuenretraite.AprèsavoirécoutéBrenda,ellecommençaitàcomprendre.Milesétaitrestémuetparcequ’ilnesavaitpascommentformulersademande.Iln’avaitsansdoutejamaiseul’occasiond’inviterunefemmeàdînerouàallerau

cinémaaveclui,carilavaitépouséunamourdejeunesse.ÀBaltimore,leshommesd’unetrentained’annéesaussinaïfsnecouraientpaslesmes.Cettebizarreriel’attendrissait.Ellelarassuraitpeut-êtreaussi,car,aprèstout,ellen’étaitpassidifférente.Mariéeàvingt-troisansetdivorcéeàvingt-sept,ellen’avaitacceptéquepeud’invitationsdepuis;ladernièreavaitétéfaiteparunhommeunpeutropentreprenant.Ellen’étaitsansdoutepastoutàfaitprêteàrevivreungrandamour,maissarencontrerécenteavecMilesRyanluiavaitfaitmesurersasolitude.Pendantsesclasses,ellen’avaitaucunmalàchasserdetellespensées.Deboutàcôtédutableaunoir,elleseconcentraitsurlespetitsvisagesattentifsdesesélèves,qu’ellefinissaitparconsidérercommesespropresenfants.Sonseulbutétaitdeleurdonnerunmaximumdechancesdanslavie.Cejour-là,ellesesentaitpourtantdistraite.Quandlasonnerieretentit,elles’attardadehorsjusqu’àcequeJonahvienneluiprendrelamain.—MademoiselleAndrews?—Oui,Jonah.—Çan’apasl’aird’aller...Croyantentendresamère,Sarahesquissaunsourire.—Ettoi,çava?—Vousavezdesbiscuits?—Biensûr.—Alors,ons’ymet!Tandisqu’ilssedirigeaientverslaclasse,JonahlaissasapetitemainenfouiedanscelledeSarah,quilaserradoucement.Elleavaitsoudainl’impressionquesavievalaitlapeined’êtrevécue.Oupresque.Milesattendaitlafindelaleçon,adosséàsavoiture.Contrairementàsonhabitude,ilaccordaàpeineunregardàSarahlorsquesonfilssautadanssesbraspourl’embrasseretluiracontersajournée.Jonahs’installadanslavoitureetSarahs’approcha,maisMilesdétournalesyeux.—Préoccupéparlasécuritédevosconcitoyens?demandalajeunefemmed’untonbadin.—Non,justeunpeusoucieux.—Çasevoit.Milesn’étaitpassimécontentdesajournée,mais,faceàSarah,ilrepensaitmalgréluiàlamanièredontils’étaitridiculiséaprèslematch.—Jonahabientravaillé?demanda-t-ilàtouthasard.—Ilétaittrèsenforme.Jeluidonneraidemainquelqueslivresd’exercicesextrêmementutiles,etjemarquerailespagespourvous.

Lesmainsdanslespoches,Milessebalançaitd’unpiedsurl’autre.Charmantsourire!sedit-il.Maisquelleopinionavait-elledelui?—J’aibienaimécematch,repritSarahaprèsunsilence.Jonahm’aproposéderevenirlaprochainefois.Àmoinsqueçanevousennuie...—Pasdutout,maisjenesaispasquandiljoue.Leprogrammeestchezmoi,surleréfrigérateur.—Siçavouscontrarielemoinsdumonde,dites-le-moi!insistaSarah,soupçonnantuneréticence.—Aucunproblème!Jevousindiqueraidemainl’heureexactedumatch.N’hésitezpasàvenir...Àconditiond’enavoirenvie,biensûr.Etd’ailleurs...Commedansunrêve,Miless’entenditajouter:—Çameferaitleplusgrandplaisiràmoiaussi.—Vraiment?—Vraiment,articulaMiles,surlepointdesemettreàbafouillerlamentablement.Sarahluisourit.Ellejubilait.—Danscecas,jeviendrai,maisj’auraisvoulu...—Oui?s’inquiétaMiles.—Vousvoussouvenezdujouroùvousm’avezparléduventilateur?Leventilateur.CemotagitsurMilescommeuncoupdepoingdansl’estomac.Toutessesangoissesduweek-endrefirentsurface.—Jemesouviens...—Ehbien,jevoulaisvoussignalerquejesuislibrevendredisoir,siçavousintéresse.Pendantunmoment,Milesn’encrutpassesoreilles.—Oui,çam’intéresse,murmura-t-il,levisageilluminé.

9Lejeudisoir-veilledugrandjour—,MilesetJonah,étendussurlelit,lisaientàtourderôlelespagesd’unlivre.Adossésauxoreillers,ilsavaientrepoussélescouvertures,etlescheveuxdeJonah,encorehumidesdubain,exhalaientuneodeurdouceetfraîche.—Mamantemanque?demanda-t-ilsoudain.Milesposasonlivreetenlaçasonfils;c’étaitlapremièreloisdepuisplusieursmois

qu’illuiparlaitspontanémentdesamère.—Oui,ellememanquebeaucoup...Jonahtirasursonpyjama,etdeuxvoituresdepompiersentrèrentencollision.—Tupensesàelle?—Toutletemps.—Moiaussi,murmuraJonah.Surtoutquandjesuiscouché.Jevoisdesimagesdansmatête...—Commeunfilm?—C’estplutôtdesimages...Maisjenelesvoispastoujours.Milesattirasonfilscontrelui.—Çaterendtriste?—Oui,quelquefois.—Tuasledroitd’êtretriste.Çaarriveàtoutlemonde;mêmeàmoi.—Mêmeauxadultes?—Oui.Jonah,songeur,continuaàtiraillerlaflanellesoupledesonpyjama.—P’pa?—Jonah?—TuvastemarieravecMlleAndrews?—Cetteidéenem’étaitpasvenue,répliquaMilesentoutefranchise.—Maistuvassortiravecelle?Milessouritmalgrélui.—Quitel’adit?—Mescopains,àl’école.Ilparaîtqu’onsortavecunefemme,etensuiteonsemarie.—Ilyaduvrailà-dedans,maislefaitquejedîneavectoninstitutricenesignifiepasquejevaisl’épouser.Çaveutdirequenousavonsenviedebavarderensemblepourmieuxnousconnaître.C’estfréquent,entreadultes...—Pourquoi?D’iciquelquesannées,tucomprendras,monfils,songeaMiles.—Pourpasserunbonmomentensemble,commetoiquandtuesavectescopains.Vousriez,vousvousamusez...—Oh,fitJonahavecunsérieuxinhabituelpoursonâge.Est-cequevousallezparlerdemoi?—Sansdouteunpeu.—Qu’est-cequevousdirez?—Peut-êtrequetuaimeslefoot,lapêcheetquetuesungarçonintelligent...

Jonahhochalatête,lessourcilsfroncés.—Jenesuispasintelligent.—Maissi!MlleAndrewsenestpersuadée.—Pourtant,jesuisleseuldemaclasseàresteraprèsl’heure.—Çam’arrivaitàmoiaussiquandj’étaisgosse.—Ahoui?—Pendantdeuxannéesentières,ettouslessoirs!—Danscecas,tudevaisêtrevraimentnul.Tuexagères,monfils;maissiçatefaitplaisir...—N’oubliejamaisquetuesungarçonintelligent,insistaMiles.MlleAndrewsmelerépètechaquejour.Jonahfinitparsourire.—C’estunegentilleinstitutrice.—Jesuisraviquetul’appréciestoiaussi.—Tulatrouvesjolie?Moi,jelatrouvetrèsjolie,déclaraJonahenramenantsesgenouxsoussonmentonetenattrapantlelivrepourseremettreàlire.Quelquefois,ellemefaitpenseràmaman.Saremarquelaissasonpèrepantois.Dansuncontexteabsolumentdifférent,Sarahsetrouvait,aumêmeinstant,danslemêmeétat.—Aucuneidée,m’man,grommela-t-ellequandelleeutretrouvésavoix.—Ilestshérif,ouiounon?—Oui...maiscen’estpasexactementlegenredequestionquimepréoccupe.SamèrevenaitdeluidemandersiMilesavaitdéjàtuéquelqu’un.—Ehbien,moi,çanem’étonneraitpas!insistaMaureen.Cethommeexerceunmétierdangereux.Ilsuffitdelirelesjournauxetderegarderlatélépours’enrendrecompte.Sarahfermalesyeuxaveclassitude.Depuisqu’elleavaitfaitallusionàsafuturesortieavecMiles,samèrel’avaitappeléemaintesfoispourluiposerdesdizainesdequestionsauxquelleselleétaitincapablederépondre.—Jeluidemanderaidetapart,proposaSarah.—Non,surtoutpas!Turisqueraisdetoutgâcherparmafaute.—Iln’yarienàgâcher,m’man;c’estlapremièrefoisquenoussortonsensemble.—Tuletrouvessympathique,ouiounon?—Oui...—Alors,débrouille-toipourluifairebonneimpression.C’estl’essentiel.—Jesais.

—Habille-toicommeilfaut.Lesmagazinesontbeaudire,unefemmedoitavoirl’aird’unegrandedamequandunhommel’inviteàsortir.Aujourd’hui,lesjeunesportentn’importequoi...Surlepointderaccrocher,Sarahsecontentadetriersoncourrier-desfactures,quelquespublicités,unedemandedecarteVisa.Unbrusquesilencel’arrachaàsatâche:samèreattendaituneréponse.—Oui,m’man,fit-elleautomatiquement.—Tum’écoutes?—Biensûr!—Alorsvouspasserezàlamaison?Sarahsesentitdésarçonnée:elleavaitcrusamèreentraindeparlerchiffons.—Tumedemandesdel’amenerchezvous?—Oui,tonpèreseraitenchantédeleconnaître.

—Jenesaispassinousauronsletemps.—Maisvousn’avezpasencoredécidécequevousallezfaire!—Onverra,m’man.Jenepeuxrientepromettre!—Dommage,fitMaureenenadoptantunenouvelletactique,j’auraisbienaimélesaluer,moiaussi.Sarahseremitàtriersoncourrier.—Çadépendradesesprojets,conclut-elle.Tucomprends,m’man?—Appelle-moiaumoinspourmedirecommentças’estpassé.—Promis!—J’espèrequetupasserasunebonnesoirée.Maispastropbonne...—Jecomprends,coupaSarah.—Cen’estquevotrepremièresoiréeensemble...—Jecomprends,répétaSarah,moinscalme.Maureenparutsoulagée.—Alors,aurevoir;àmoinsquetun’aiesautrechoseàmedire.—Non,jecroisquenousavonsfaitletour.Malgrétout,cetteconversationsepoursuivitencoreunedizainedeminutes...Jonahaussitôtendormi,Milesglissacesoir-làuneanciennecassettevidéodanslemagnétoscope,pourleregarderbatifolerdanslesvaguesavecMissy,prèsdePortMacon.Âgéd’àpeinetroisans,Jonahadoraitfaireroulersescamionssurlesroutesquesamèretraçaitdanslesable.Àvingt-sixans,danssonBikinibleu,Missyavaitencorel’allured’unejeuneétudiante.EllefaisaitsigneàMilesdeposersacaméra,maisilcontinuaitàfilmerpourleplaisir.IlaimaitvoirMissyetJonahjouerensemble.Lui-mêmeavaitmanquéd’affectionpendantsonenfance.Sesparents,debravesgenspourtant,n’avaientpassuluimanifesterleurssentiments.Depuislamortdesamèreetledépartdesonpère,ilavaitsouventl'impressiondenejamaislesavoirconnus,etilsedemandaitparfoiscequ’ilseraitdevenusansl’amourdeMissy.Avecunepetitepelleenplastique,Missycreusaituntrouauborddel’eau,ens’aidantdel’autremainpourallerplusvile.Àgenoux,elleavaitlamêmetaillequeJonah.Lepetitgarçons’étaitapprochéd’elle,intrigué,avecdesgesteséloquents,commeunarchitecteassistantaulancementd’ungrandprojet.Missyluiparlait,maislegrondementdesvaguescouvraitlesondesavoix.Lesables’amoncelaitautourd’elle;auboutd’unmoment,ellefîtsigneàJonahdes’installerdansletrou.Lesgenouxserréscontrelapoitrine,l’enfants’yglissaavecprécaution,etMissypelletalesableautourdelui.Enfouijusqu’aucou,ilavaitl’aird’unetortueàtêtehumaine.Ellenivelalesablesursesbrasetsesmains,maisilagitalesdoigts.Mêmeréactionquandellefitunesecondetentative.Ellesaupoudrasescheveuxde

sablehumide,puisl’embrassaenriant.«Jet’aime,maman»,murmuraitl’enfant;«Moiaussi»,répondaitsamère.SachantqueJonahsetiendraittranquilleunmoment,Missyreportasonattentionsursonmari.Illuiavaitadresséuneremarque-perdueelleaussidanslegrondementdesvagues-etellesouriait.C’étaitenmai,unesemaineavantl’affluxdesvacanciers,etunjourdesemaine,s’ilavaitbonnemémoire.Missyjetaituncoupd’œilàdroiteetàgaucheavantdeselever.Unemainsurlahanche,l’autresurlatête,etlesyeuxmi-clos,elleprenaituneposelasciveetsensuelle.Puiselleéclataitderire,et,mi-rieuse,mi-gênée,venaitembrasserl’objectifdelacaméra.Findufilm...LescassettesdeMiles,conservéesdansuneboîteignifugée,évoquaientdessouvenirsprécieux.IllesavaitregardéestantdefoispourretrouverMissyvivante,sesgestes,sonrire,savoix...MaisJonahignoraitleurexistence.Ilétaitsipetitàl’époquedutournage!Et,depuislamortdesonépouse,Milesn’avaitplusjamaisutilisésacaméravidéo.Filmerétaitau-dessusdesesforces,commebiend’autreschosesauxquellesilavaitrenoncé.Pourquoiavait-iléprouvéuneenviesipressantedesereplongerdanssescassettes,cesoir-là?Peut-êtreàcausedelaremarquedeJonah,mais,surtout,parcequ’unfaitnouveauallaitseproduirelelendemain,pourlapremièrefoisdepuisuneéternité.Quoiqu’ilarriveparlasuite,sasoiréeavecSarahmarqueraituntournantdanssavie.Soudain,ileuttrèspeur,et,faceàl’écrantremblotantdelatélévision,ilcruttrouverl’originedesonangoisse.Ilseraitdanscetétattantqu’iln’auraitpasrésolul’énigmedelamortdeMissy.

10LesobsèquesdeMissyRyanontétécélébréesunmercredimatinàl’égliseépiscopale,aucentre-villedeNewBern.Lescinqcentssiègesdelanefne

suffisaientpasàlafoulequisepressaitengrandnombre.Certainespersonnes,venuesrendreundernierhommageàladéfunte,ontdûresterdeboutouattendredehors.Toutacommencésousunepluiefineetrafraîchissante,commeilentombesouventàlafindel’été.Unevapeurdiaphaneflottaitau-dessusdusol,oùs’étaientforméesdepetitesflaques.J’aivuunevéritableprocessiondeparapluiesetdegensvêtusdenoiravancerlentementversl’église.Milesétaitassisaupremierrang,lamaindeJonahdanslasienne.L’enfant,âgédecinqans,étaitassezgrand,pourcomprendrequesamamanétaitmorte,maispasassezpourréaliserqu’ilnelaverraitplusjamais.Ilsemblaittroublé,tandisquesonpère,livide,échangeaitpoignéesdemainetaccolades.Leregarddanslevague,Milesnepleuraitpas,netremblaitpas...J’aifaitdemi-tourverslefonddel’église,sansluiadresserlaparole.Jen’oublieraijamaislasenteurdesboiseriesanciennesetdescierges.Jemesuisassisaudernierrang.Prèsdel’autel,quelqu’unjouaitdoucementunairdeguitare.Unefemme,accompagnéedeson,mari,s’estplacéeàcôtédemoi.Ellesetamponnaitlesyeuxavecdesmouchoirsenpapier;ilaposésamainsursesgenoux,leslèvrespincées.Desgenscontinuaientàarriversansbruit;certainsreniflaient,maispersonneneparlait.C’estalorsquej’aieulanausée.Lefronttrempédesueuretlesmainsmoites,jeregrettaisd’êtrevenu.Jen’avaisqu'uneenvie:meleveretpartir.Pourtant,jesuisresté.Quandleserviceacommencé,j’aieudumalàmerecueillir.Sivousmedemandiezaujourd’huidevousrapportercequ’ontditlepasteuroulefrèredeMissydanssonélogefunèbre,j’enseraisincapable.Entoutcas,leursparolesnem'ontpasapaisé.Jenepensaisqu’àMissy,quin’auraitpasdûmourir.Aprèsleservice,unelongueprocession-escortée,jesuppose,partouslesshérifsetlespoliciersducomté-s'estdérouléejusqu’aucimetièredeCedarGrove.Jemesuisinséréparmilesderniersdanslafiledevoituresetj’aiallumémesphares,commeunautomate.Mesessuie-glacesbalayaientmonpare-brisesousunepluiebattante.Letrajetjusqu’aucimetièreaduréquelquesminutesàpeine.Aussitôtgarés,lesgensontouvertleursparapluiesetsesontfaufilésaumilieudesflaquesd’eau.Jelesaisuivis,maisjemesuistenuunpeuenretraitquandlafoules'estamasséeautourdelatombe.J’aiaperçuMilesetJonah,toujourslamaindanslamain,souslapluie.Lecercueilaétéportéenterre,aumilieudecentainesdebouquets.Jeregrettaisunefoisdeplusd’êtrelà.Jen’auraispasdûvenir,mais,pousséparjenesaisquelinstinct,jedésiraisvoirMilesetJonah.J’avaiscomprisquenosdestinsétaientdésormaisliés.Voyez-vous,j’avaismaplaceàcesobsèques.J’étaisauvolantdelavoiturequi

avaitrenverséMissy.

11Levendrediapportaunepremièreboufféedefraîcheurautomnale.Cematin-là,unefinegeléeblanchissaitlamoindretouffed’herbeetl’haleinedespassantsformaitunlégersillagedansl’air.Leschênesetlescornouillersallaientbientôtvireraurougeetàl’orange.Àlatombéedelanuit,tandisquelalumièredusoleilfiltraitàtraversleursfeuilles,Sarahobservaitlesombresseprofilantsurletrottoir.Milesnetarderaitpasàarriver.Elleavaitpenséàluitoutelajournée.TroismessagesdeMaureenlaissaientsupposerqu’elleenavaitfaitautant-c’est-à-direbeaucouptropaugrédesafille.Sonpremiermessagenenégligeaitaucundétail:«Cesoir,n’oubliepasd’emporterunepetiteveste.Avecunfroidpareil,turisquesd’attraperunepneumonie!»Venaientensuitetoutessortesdeconseils:«Netemaquillepastrop;évitelesbijouxdepacotille,quifontmauvaiseimpression;iln’yariendepirequedescollantsfilés...»Ledeuxièmemessagereprenaitlepremier,maisMaureensemblaitplusstressée,commesiletempsluimanquaitpourdiffusersoninépuisablesagesse:«Jet’aibienditdeprendreunepetiteveste.Quelquechosedeléger,quitemetteenvaleur.Surtoutpascelongvêtementvert,confortablemaislaidàfairepeur...»QuandSarahentenditpourlatroisièmefoislavoixdesamère,auborddel’hystérie,luiconseillerdelirelejournalpouravoir«delaconversation»,elleappuyasanshésitersurlatouched’effacement.Plusunesecondeàperdresiellevoulaitêtreprêteàtemps!Uneheureplustard,SarahvitMilessurgiraucoindelarue,unelongueboîtesouslebras.Ils’arrêtauninstantdevantlamaisonetvérifial’adresseavantdes’engouffrerdansl’entrée.Tandisqu’ilmontaitl’escalier,ellelissalarobedecocktailnoirpourlaquelleelleavaitoptéaprèsréflexion.—Pileàl’heure,dit-elleensouriant.Jevousaivuarriver.Milesprituneprofondeinspiration.—Vousêtessplendide!—Merci.Sarahpointaundoigtverslaboîte.Ellecontenaitsixrosesjaunes.—C’estpourmoi?—UnerosepourchaquesemaineoùvousavezfaittravaillerJonah.

—C’esttropgentildevotrepart!s’écriaSarahavecenthousiasme.Mamamanseravraimentimpressionnée.—Votremaman?—J’auraisûrementl’occasiondevousparlerd’elle.Entrezpendantquejechercheunvase...Milesfitunrapidetourd’horizon:Sarahhabitaitundélicieuxappartement,pluspetitqu’iln’auraitcru,maisextrêmementdouillet,etmeubléavecbeaucoupdegout.Profondcanapé,tablesbassesenboisclair,rocking-chairdansuncoin,sousunelampeancienne.Mêmelepatchwork,posésurledossierd’unsiège,semblaitavoiraumoinsunsiècle.Danslacuisine,Sarahdéplaçaquelquesbols,dansunplacardau-dessusdel’évier,etsortitunpetitvaseencristalqu'elleemplitd’eau.—Joliappartement,ditMiles.—Çavousplaît?—Beaucoup.Vousl’avezdécorévous-même?—J’avaisapportédesmeublesdeBaltimore,maisquandj’aivutouscesmagasinsd’antiquités,j’aipresquetoutremplacé.Milespassalamainsurunvieuxbureauàcylindre,prèsdelafenêtre,etouvritlesrideauxpourjeteruncoupd’œildehors.—Vousêtescontented’habiterenville?demanda-t-il.Sarahdisposalesrosesuneàunedanslevase,aprèsavoircoupél’extrémitédeleurtige.—Oui,maislanuit,queltapage!—Vousplaisantez?—Enfait,j’ail’impressionquetoutlemondeestaulitavantneufheures.NewBerndevientunevillefantômeaucoucherdusoleil;jesupposequeçavousfacilitelatâche.—Pasréellement!Hormispourlesmandatsd’expulsion,majuridictionesthorsdelaville.Jetravaillesurtoutàlacampagne.—VouspiégezlesconducteursaveccescontrôlesdevitessedontleSudalaspécialité?—Non,c’estledomainedelapatrouilleroutière.—Sijecomprendsbien,vousvouslacoulezdouce...—Exactement!Àpartl’enseignement,jeneconnaispasdeprofessionpluscoolquelamienne.Sarahéclataderireeninstallantlevaseaumilieuducomptoir.—Superbes,cesroses!Elleallaprendresonsacetajouta:

—Oùallons-nous?—ÀHarveyMansion,aucoindelarue.Ilfaitfraisdehors;avecvotrerobesansmanches,vousdevriezprendreuneveste.Sarahétaitfrileuseets’enrhumaitpourunrien;maisellechoisitunevestelégère-assortieàsarobe-quesamèreauraitcertainementapprouvée;Milesparutcontrarié.—Unproblème?s’étonna-t-elle.—Ehbien...ilfaitfroid,voussavez.Vousn’auriezpasquelquechosedepluschaudàvousmettre?—Çanevousennuiepas?—Jenevoispaspourquoiçam’ennuierait.ElleenlevasavesteavecunréelsoulagementetMilesl’aidaàenfilerson«longvêtementvert».Àpeinedehors,uneboufféed’airfraisluisautaauvisage.Ellefourraaussitôtlesmainsdanssespoches.—J’avaisraison?murmuraMiles.—Oui,maisc’estunefautedegout!—Vousavezchaud,etcettevestevousvatrèsbien!Tuentendsça,m’man?faillits’écrierSarah,auxanges.Auboutdequelquespasdanslarue,sortantsamaindesapoche,ellesesurpritentraindeprendrelebrasdeMiles.—Sijevousparlaisdemamère?lança-t-elle.Àtable,quelquesminutesaprès,Milesétouffaunrire.—Jelatrouveformidable!—Vousn’endiriezpasautantsielleétaitvotremère.—C’estunemanièrecommeuneautredevousexprimersonamour.—Jepréféreraisqu’ellenepassepassontempsàs’inquiéterdemonsort.J’aiquelquefoisl’impressionqu’ellechercheàmerendrefolle.Malgrésonexaspérationévidente,Sarahrayonnaitàlalumièrevacillantedesbougies.HarveyMansion,l’undesmeilleursrestaurantsdelaville,réputépoursoncharmeromantique,étaituneanciennedemeuredelafindudix-huitièmesiècle.Sespropriétairesl’avaientrénovéeenconservantl’essentieldesonpland’origine.Unescalierencolimaçonmenaitàl’anciennebibliothèque-unepiècedetaillemoyenneàl’éclairagetamisé,avecunparquetdechênerougeetunplafondouvragé.Desrayonnagesd’acajouchargésdecentainesdelivrescouvraientdeuxdesmurs,etunfeudiffusaitunelumièreirréelledansl’âtre.SarahetMilesavaientprisplacedansuncoin,prèsd’unefenêtre.Cinqautrestablesétaientoccupées,etlesconversationss’élevaientenundouxmurmure.—Vousavezsansdouteraison,plaisantaMiles.Votremamandoitseréveillerau

milieudelanuitensedemandantcommentfairepourvoustourmenter.—Jenesavaispasquevousl’aviezrencontrée!Milespouffaderire.—Entoutcas,voussavezoùlatrouver.Pourmapart,j’aipratiquementperdutoutcontactavecmonpère.—Oùest-ilmaintenant?—Aucuneidée.Ilm’aenvoyé,ilyaquelquesmois,unecartepostaledeCharleston,maisjedoutequ’ilysoitencore.Ilséjournepeudetempsaumêmeendroit,ilnemetéléphonejamais,etilrevientrarementici.Onnel’apasvu,Jonahetmoi,depuisdesannées.—C’estincroyable.—Pourtant,jevousassurequejen’exagèrepas.Quandj’étaisgosse,j’avaisdéjàl’impression,laplupartdutemps,qu’onledérangeaitmamèreetmoi.—Votremèreaussi?Donc,ilnel’aimaitpas?—C’estfortpossible.—Oh,vraiment?—Elleétaitenceintequandilssesontmariés,etjenepeuxpasdirequ’ilsformaientuncoupleidéal.C’étaitlechaudetlefroid.Unjourilss’adoraient,lelendemainellejetaitsesvêtementssurlapelouseenluidisantdenejamaisrevenir.Quandelleestmorte,ilnes’estpasattardéici.Ilaabandonnésonemploi,etilestpartiaprèsavoirvendulamaison.Finalement,ils’estachetéunbateaupourbourlinguerautourdumonde.Ilneconnaissaitrienàlanavigation,maisilcomptaitapprendreaufuretàmesure.C’estcequ’ilafait...Sarahfronçalessourcils.—Çameparaîtétrange.—Leconnaissant,çanem’apastellementsurpris.—Commentestmortevotremère?chuchotaSarah.LevisagedeMilesseferma;elleregrettaaussitôtsesparoles.—Pardon,murmura-t-elle;jemesensindiscrète.—Onnemeposepassouventcegenredequestion,maisças’estpasséilyasilongtempsquej’aimoinsdemalàenparlermaintenant.Milesseredressaettambourinaduboutdesdoigtssurlatable.Ils’exprimaitd’untonneutre,commes’ils’agissaitd’unequasi-étrangère.Sarahreconnutlamanièredontelle-mêmeparlaitmaintenantdeMichael.—Mamères’estmiseàsouffrirdel’estomac.Sesdouleurslaréveillaientlanuit.Elledevaitsedouterquec’étaitgrave;etquandelleafiniparconsulterunmédecin,soncanceravaitatteintlefoieetlepancréas.Iln’yavaitplusrienàfaire.Elleestmortemoinsdetroissemainesaprès...—Jeregrette,fitSarah,gênée.

—Jesuissûrquevousl’auriezaimée.Legarçons’approchait.Ilss’interrompirentpourcommanderdesboissonsetconsulterlemenu.—Dessuggestions?demandaSarahàsoncompagnon.—Toutestbon.Jepensequejevaisprendreunsteak...—Tiens,jem’yattendais!Mileshaussalessourcils.—Auriez-vousunpréjugécontrelessteaks?—Non,maisjemedoutaisbienquevousn’êtespasunamateurdetofuetdesalades.Quantàmoi,jedoispenseràmaligne.—Alors,quechoisissez-vous?—Unsteak,aprèstout,fitSarahensouriant.Milesrefermasonmenu.—Maintenantquejevousaitoutdit,sivousmeparliezunpeudevotreenfance?—Contrairementàvous,j’aiétéchoyéeparmesparents.Noushabitions,auxenvironsdeBaltimore,unemaisoncommetantd’autres.Quatrechambres,deuxsallesdebains,unporche,desmassifsfleurisetuneclôturedepiquetsblancs.Jeprenaislecarscolaireaveclesenfantsdesvoisins,je-jouaisdanslejardintoutleweek-end,etj’avaislaplusgrandecollectiondepoupéesBarbieduquartier.Monpèretravaillaitdeneufàdix-septheures.Ilportaittoujoursuncomplet-veston.Mamèrerestaitàlamaison,etjenepensepasl'avoirvueuneseulefoissanssontablier.Ellenousconfectionnaitchaquejourdesbiscuits,àmonfrèreetàmoi.Nouslesmangionsdanslacuisineavantderéciternosleçons.—Assezplaisant,non?SarahdéposasonmenusurceluideMiles.—Oui,eneffet.Mamèreétaitformidablequandnousétionspetits.Touslesgossesallaientlatrouverpoursefaireconsolerdeleursbobosoudeleurspetitschagrins.Cen’estqu’ensuite,quandnousavonsgrandimonfrèreetmoi,qu’elleacommencéàmerendrelavieimpossible.—A-t-elleréellementchangé,ouavez-vousprisconsciencedesanévroseàcemoment-là?—J’ail’impressiond’entendreSylvia.—Sylvia?—Uneamie...Unegrandeamie,marmonnaSarahd’untonévasif.Milescrutbondenepasinsister.Legarçonleurservitlesboissonsetpritleurscommandes.MilespenchasonvisageversSarahavantdel’interroger.—Etvotrefrère,commentest-il?

—Brian?Ungentilgarçon,sûrementplusadultequelaplupartdesgarçonsdesonâge.Plutôttimideetintroverti,maisquandnoussommesensemblenousnousentendonsàmerveille.Jesuisrevenueicisurtoutparcequej’avaisenviedelerevoiravantsondépartàl’université.Ilvientdes'inscrireàl’universitédeCarolineduNord.Mileshochalatête.—Ilestbeaucoupplusjeunequevous?—Pastantqueça,répliquaSarahdutacautac.—Vousavezbien...quarante...ouquarante-cinqans?plaisantaMilesens’inspirantdesaboutade,lorsdeleurpremièrerencontre.Sarahéclataderire.—Lesfemmesquivousapprochentontintérêtàsetenirsurleursgardes...—Vousditescelaàtousvossoupirants?—Depuismondivorce,jenesuisplustellementdanslacourse,voussavez.Milesposasonverre.—Vousvousmoquezdemoi?Unefemmecommevousdoitêtreextrêmementcourtisée.—Celaneveutpasdirequejeréagisfavorablement.—Madamefaitladifficile?—Non,maisjenetienspasàm’engager.—Seriez-vousunbourreaudescœurs?Sarahbaissalesyeuxuninstant,avantderépondre.—Jenesuispasunbourreaudescœurs,fit-elleàmi-voix.Moncœuràmoiestbrisé...Surprisparl’expressiondelajeunefemmeautantqueparsesparoles,Milesrenonçaàluirenvoyerlaballe,etSarahrestaplongéedanssespensées.—Désolée,dit-elleenfinavecunsourirecontrit.J’aitoutgâché.—Maisnon!s’empressaderépondreMiles.(Ilserradoucementsamaindanslasienne.)Onnegâchepasmasoiréepoursipeu.Jen’endiraispasautantsivousm’aviezlancévotreverreàlafigureenmetraitantdetouslesnoms...—Çanevousauraitpasplu?demandaSarah,plusdétendue.Milesluiadressaunclind’œil.—Passpécialement.Quoique...Pourunpremierrendez-vous,jemeseraispeut-êtremontréindulgent...Quandilssortirentdurestaurant,versdixheuresetdemie,Sarahseditqu’ilétaittroptôtpourmettrefinàleurtête-à-tête.Ledîneravaitétédélicieuxetleurconversationd’autantplusaniméequ’ilsavaientbuunexcellentvin.EllevoulaitpasserencoreunmomentavecMiles,sansprendrelerisquedel’inviterchezelle.

Derrièreeux,unmoteurdevoitureentraindeserefroidirémettaitdessonsétouffésetsporadiques.—SijevousemmenaisàlaTaverne,suggéraMiles.Nousn’ensommespassiloin.Sarahacquiesçaenseblottissantdanssaveste,puisilsmarchèrentcôteàcôted’unpastranquille.Lestrottoirsétaientdésertsettouslesmagasins-quelquesgaleriesd’art,desantiquaires,uneagenceimmobilière,unepâtisserieetunelibrairie-étaientfermés.—OùsetrouveexactementcetteTaverne?demandaSarah.—Onmontepar-là,etc’estjusteaucoindelarue.—Jen’enaijamaisentenduparler.—Commedejuste!Seulslesgensducrulafréquentent;etlepatronconsidèrequeceuxquin’yviennentpasn’yontpasleurplace.—Uneclientèled’habituésluisuffit?—Ilsedébrouille,répliquaMiles,énigmatique.Peuaprès,ilstournaientaucoindelarue.Malgréquelquesvoituresgaréeslà,l’endroitétaitmorne,presquesinistre.Miless’arrêtaunpeuplusloin,audébouchéd’unepetiteimpasse,coincéeentredeuxbâtissesenapparencedésertes.Légèrementenretrait,uneuniqueampoulesebalançaitdanslesairs,au-dessusd’uneportegauchie.—Nousyvoici,ditMilesenprenantSarahparlamain.Sousl’ampoule,lenomdel’établissementétaitécritaufeutresurlaporte.Delamusiques’échappaitdel’intérieur.—Impressionnant,murmuraSarah.—Dignedevous,j’espère.—Seriez-voussarcastique?Milespoussalaporteetilsentrèrent.InstalléedanscequeSarahavaitprispourunemaisonabandonnée,laTaverneétaitdélabréeetimprégnéed’unevagueodeurdemoisi,maisétonnammentvaste.Elleaperçutenarrière-planquatretablesdebillardaméricain,sousdesannonceslumineusespourdifférentesmarquesdebière.Unbarlongeaitlemurdufond,unjuke-boxdémodéflanquaitlaported’entrée,etunedouzainedetablesétaientéparpilléesdanslasallecomble.Ilyavaitunsoldecimentetdeschaisesenboisdépareillées,maispersonnenesemblaits’enformaliser.Lafoules’agglutinaitsurtoutautourdubar,destablesetdesbillards.Accoudéesaujuke-box,deuxfemmesaumaquillagevoyantetauxvêtementsmoulantsondulaientdefaçonsuggestiveensélectionnantlesmorceauxdemusique.—Çavoussurprend?fitMiles.—Ilfautlevoirpourlecroire.Unefoulepareille!—C’estcommeçatouslesweek-ends.

Milesfouillalasalleduregard.—Ilyadessiègesaufond,observaSarah.—Àconditiondejoueraubillard.—Çanevousditrien?Unetableestlibre,etilyamoinsdebruitparlà-bas.—D’accord.Jevaiscommanderdesboissonsaubaretjevousretrouveàcettetable.—JeprendraiuneCoorsLight,s’ilsenont.—Sûrement.Milessefaufilaàtraverslafouleetseglissaentredeuxtabouretspourfairesigneaubarman;vulenombredesclients,l’attenterisquaitdeseprolonger.Ilfaisaitchaud.Sarahôtasaveste.Tandisqu’ellelapliaitsoussonbras,laportes’ouvritderrièreelleetdeuxhommesentrèrent.Elleleslaissapasser.Lepremier,avecsescheveuxlongsetsesnombreuxtatouages,avaituneminepatibulaire.Lesecond,vêtud’unjeanetd’unpolo,étaittoutàfaitdifférent.Aprèsréflexion,cedernierluiparutdebeaucoupleplusinquiétant.Quelquechose,danssonexpressionetsonattitude,n’auguraitriendebon.L’hommeauxtatouagesnedaignapasluiaccorderlamoindreattention,maissonacolytes’arrêtaenlafixanteffrontément.—C’estlapremièrefoisquejetevoisici.Commenttut'appelles?—Sylvia...—Jet’offreàboire?—Non,merci.—Tuveuxvenirt’asseoiravecmonfrèreetmoi?—Jesuisaccompagnée.—T’enaspasl’air!—Monamiestaubar.—Tuviens,Otis?appelal’hommetatoué.OtisgardalesyeuxrivéssurSarah.—Turefusesvraimentdeprendreunverreavecmoi,Sylvia?Sarahsentitgronderlacolèresouslecalmeapparentdecetindividudouteux.—Jevousrépètequejesuisaccompagnée!—Otis,j’aisoif!OtisTimsonsetournaverssonfrère,puissusurraàl’intentiondeSarah,commes’ilsétaientàuncocktailetnondansunbouge:—Ehbien,Sylvia,tusaisoùmetrouversituchangesd’avis.Ils’éloigna,etSarahpoussaunsoupirdesoulagementavantdesedirigerverslestablesdebillard.Elleeutàpeineletempsd’abandonnersavestesuruntabouret

disponible,Milesarrivaitdéjà.Ildevinaaupremiercoupd’œilqu’elleétaitcontrariée.—Çanevapas?demanda-t-ilenluitendantsabière.—Untypeaessayédemedraguer.Ilm’apresquedonnélachairdepoule!Milesserembrunitlégèrement.—Ilnevousapasagressée?—Non,toutdemêmepas.—Sûre?—Sûre,marmonnaSarahaprèsuninstantd’hésitation.Touchéeparl’inquiétudedeMiles,ellefittintersabouteilledebièrecontrelasienneensouriant.—Etmaintenant,sionjouait?proposa-t-elle,prêteàoubliercetincidentfâcheux.Milesôtasaveste,retroussasesmanches,etsortitdeuxqueuesdebillardd’unrâtelierfixéaumur.—Larègledujeuestassezsimple.Lesbillesdeunàseptsontunies;deneufàquinzeellessontbicolores.—Jesais,fitposémentSarah.—Vousavezdéjàjoué?—Quin’apasjouéunefoisoudeuxdanssavie?Milesluitenditunequeuedebillardetfrottalacraiesurlasienne.—Vousvoulezcommencer?—Non,allez-y!Milesfitletourdelatable,plaçasamain,et,penchéenavant,percutal’unedesbilles,quis’éparpillèrentbruyamment.Laquatreroulaversunepochelatérale,oùelledisparut.Illevalesyeux.—Bondébut!—Jen’endoutaispas.Réfléchissantaucoupsuivant,Milesscrutalatable.Michaeletluiétaientlejouretlanuit,constataSarahunefoisdeplus.Sonex-marinejouaitpasaubillard;ilseseraitmontréaussigauche,danscettetaverne,queMiless’ilavaitdûs’adapteraumilieuqu’ellefréquentaitautrefois.Pourtant,ellesesentaitétrangementattiréeparl’hommequisetenaitàsescôtés,enbrasdechemise.Illuisemblaitpresquemincepourunamateurdebièresetdepizzas.Sansprétendreàunphysiquedestar,ilavaitlataillefine,leventreplatetunecarrurerassurante.Mais,surtout,laflammequibrillaitdanssonregardtémoignaitdesépreuvesqu’ilavaittraversées,luiaussi,depuisplusieursannées.Aprèsunsilence,lejuke-boxrepartitavecBornintheUSAdeBruceSpringsteen.

L’airétaitimprégnédefumée,malgrélesventilateursquitournaientauplafond.LeronronnementmonotonedesplaisanteriesetdesriresdonnaitàSarahl’impressiond’êtreseuleaumondeavecMiles.Celui-cijouaunedeuxièmefois,observad’unœilcritiquelaplacedesbilles,changeadecôté,etmanquasontroisièmecoup.Sarahposasabièreetpritsaqueuedebillard.—Vousavezdelachance,observaMilesenluitendantlacraie.Labilleestjusteauborddelapoche.—Jevois...Commeellereposaitsacraiesanssehâter,Milesperçutunelégèrehésitationdesapart.—Sijevousmontraiscommentplacervotremain?proposa-t-ilrésolument.—Volontiers.—L’indexrecourbéettroisdoigtssurlatable.—Commeça?—Presque.Aprèss’êtreapproché,Milessepenchaunpeuenavant,unemainposéesurcelledeSarah.Unevéritabledéchargeélectriquelasecouadespiedsàlatête.Lachaleurdesapaumeetleseffluvesdesonafter-shavelabouleversaient...—Serrezledoigtunpeuplus,reprit-il.Sinon,votrecoupmanqueradeprécision.—C’estmieux?—Oui,fitMiles,sansdevinerlemoinsdumondeletroubledesapartenaire.Maintenant,reculezlentementetvisezbiendroit.Inutiledefrapperlabilletropfort:elleestjusteauborddutrou.Sarahobtempéra.Commel’avaitpréditMiles,laneuftombadanslapoche.Labilledechocs’arrêtaprèsdumilieudelatable.—Bravo!s’écriaMiles.Vousallezmaintenantviserlaquatorze.—Ahoui?—Placez-vouscorrectementetrefaiteslamêmechose!Sarahpritsontemps.Laquatorzetombaàsontour,etlabilledechocseplaçadanslapositionidéalepourlecoupsuivant.Ellefitlagrimacemalgrél’airadmiratifdeMiles.—Moinsbienquelapremière!Çanevousennuieraitpasdem’aiderencoreunefois?demanda-t-elle,impatientederetrouverlecontactdesoncorps.—Avecplaisir!PenchésurSarah,Milesl’aidaàplacersamain.Ellerespiralesmêmeseffluves,maisunfaitnouveauseproduisit:sonpartenaires’attardapluslongtempsqu’iln’eûtfallu.Aucontactdesoncorps,ellesentitunevibrationdélicieusementenivrante...

—C’estbien,soupiraMiles.Maintenant,essayezsansmoi.Elleenvoyalabilleonzed’unemainsûredansl’unedespoches.—Vousaveztrouvéletruc!s’écria-t-il.Tandisqu’ilattrapaitsabouteilledebière,Sarahfitquelquespasautourdelatablepourjouerlecoupsuivant.Ilappréciaàl’instantmêmelagrâcedesadémarche,lescourbesharmonieusesdesoncorps,leveloutédesapeau.Quandelleenroulasescheveuxderrièresonoreille,ilavalaunegorgéedebière.Pourquoidiablesonex-maril’avait-illaisséepartir?Était-ilaveugleouidiot?Ladouzetombadansunepoche;puisladix,aprèsavoirroulélelongdelabande.Sarahsemblaitdétendue,etMiles,adosséaumur,lesjambescroisées,attendaitsontour.Quandlatreizièmetomba,ilfronçabrusquementlessourcils.Sarahn’avaitpasencoreratéunseulcoup...Laquinze,sansdouteparunheureuxhasard,suivitbientôtlatreize,etMilesfutàdeuxdoigtsdesortirsonpaquetdecigarettesdesaveste.Plusquelabillehuit.Sarahs’éloignadelatableetpritlacraie.—Jejouelahuit?—Oui,maisvousdevezannoncerlapochedevotrechoix.—J’optepourlapochelatérale.C’étaituncoupjouable,maisdifficile.—Attention!Sivousdéviez,c’estmoiquigagne!—Pasdedanger,marmonnaSarahentresesdents.ElletournaledosàMilesetvisa;lahuitdisparutdanslapoche.—Génial!s’exclama-t-elle,radieuse.—Pasmal,admitMiles,quin’encroyaitpassesyeux.—Sansdoutelaveinedesdébutants!Onrejoue?—Pourquoipas?répliquaMilessansconviction.Vousavezréussidetrèsbeauxcoups.Ilterminasabière,disposaànouveaulesbilles,etratasondeuxièmecoup.Aprèsavoirhaussélesépaulesd’unaircompatissant,Sarahmenalejeujusqu’àlafin,sansuneerreur.Ledosaumur,Milesl’observaitensilence.Ilavaitposésaqueuedebillardetcommandédeuxautresbièresàuneserveuse.—Battuàplatescoutures,grommela-t-ilenfin.—Vousavezdelachancequenousn’ayonspasparié,constataSarahenserapprochant.Miles,abasourdi,l’interrogea.—Quivousaapprisàjouer?—Monpère.Nousavionsunetabledebillardàlamaisonetj'aifaitdenombreuses

partiesaveclui.—Mesconseilsontdûvoussemblerridicules.—Jecraignaisdevousvexersijerefusaisvotreaide.—Merciquandmême...MilestenditunebièreàSarah.Leursdoigtssefrôlèrent.Elleétaitencoreplusbelledeprès,sedit-il.Puisunlégerbrouhaha,derrièrelui,l’arrachaàsespenséesetl’obligeaàseretourner.—Çava,shérif?fitOtisTimson.Àcôtéd’Otissetenaitsonfrère,unebièreàlamainetleregardvitreux.SarahserapprochaaussitôtdeMiles.—Ettoi,çava?ricanaOtisenfaisantminedelasaluer,Enchantédeterevoir!MilessuivitleregarddeSarah,quimurmuraàsonoreille:—C’estletypequim’afaitpeur.Otishaussalessourcilssansunmot.—Queveux-tu?luidemandaMiles,crispéausouvenirdesaconversationavecCharlie.—Rien,àpartvoussaluer.—Sionallaitaubar?proposaMilesàSarah.—Volontiers.—J’voudraispasvousdérangertouslesdeux,marmonnaOtis.Elleestcharmantevotrenouvellepetiteamie,shérif!Piquéauvif,Milesneparvintpasàarticulerunseulmot.Lespoingsserrés,ilprituneprofondeinspiration.—Allons-y,souffla-t-ilàSarahavecuneragecontenue.—ÀproposdecettehistoireavecHarvey,ajoutaOtis,fautpasvousfairetropdebile.Jeluiaiditdevouslaissertranquille.Unattroupementseformaitdéjàautourd’eux.MilesjetaunregardnoiràOtis,quinebronchapas.Lefrèredecelui-cis’étaitdéjàrapproché,prêtàbondiraupremiersignal.Depeurquelasituationnedégénère,SarahserralebrasdeMiles.—Partons,jevousenprie!dit-elled’unevoixsuppliante.Leursdeuxvestescaléessoussonbras,ellel’entraîna,etlafoules’écartasurleurpassage.Uneminuteaprès,ilsétaientdehors.Furieuxd’avoirfailliperdresonsang-froidavecOtis,Milessedégageabrusquementetmarchaàgrandspasverslarue.—Miles,attendez-moi!lançaSarahenenfilantsaveste.Perdudanssespensées,ilfinitpars’arrêter.Ellelerejoignitetluitenditsonvêtement.—Désolé,dit-il,lesyeuxbaissés.

—Vousn’yêtespourrien.N’obtenantaucuneréaction,elleajoutadoucement:—Çanevapas,Miles?—Si...Çava...SarahcroyaitentendrelavoixdéfaillantedeJonahquandelleluidonnaittropdetravail.—Non,çan’apasl’aird’aller.Vousfaitespeuràvoir.—Tropaimable!ricanaMiles.Unevoiturepassaprèsd’euxauralenti.Unmégots’envolaparunevitreetatterritdansleruisseau.LetempsavaitfraîchietMilesenfilasaveste.—Jepeuxvousdemanderuneexplication?lançaSarahquandlesilencesefittroppesant.—C’estunelonguehistoire...—Commedejuste.Leurspasrésonnaientbruyammentdanslaruedéserte.—Unehistoirepastrèsréjouissante,précisaMiles.—Jel’auraisjuré!Maissivouspréférezgarderlesecret...Milesfermalesyeux,fourralespoingsdanssespochesetsemitàparler.Pendantdixminutes,ilracontatoutàSarah-lesprécédentesarrestations,levandalisme,l’écorchuresurlajouedeJonah,ledernierépisodeetmêmel’avertissementdeCharlie.Ilsrepartirentverslecentre-ville,lesmagasinsetl’égliseépiscopaledéserts;puisilstraversèrentFrontStreetetmarchèrentversleparc.QuandMilessetut,Sarahlevalesyeuxverslui.—Jeregrettedevousavoirretenu,murmura-t-elle.Ilauraitméritéunebonnecorrection...—Non,vousavezbienfait!Ilspassèrentdevantl’ancienclubféminin,dontlebâtimentdésuettombaitpresqueenruine.LescruesdelaNeuseavaientfiniparlerendreinhabitable,saufpourdesnichéesd’oiseauxettouteunefaunesauvage.Auborddelarivière,ilss’arrêtèrentpouradmirerleseauxd’unnoird’encre,auclapotisrégulier.—Parlez-moideMissy,demandasoudainSarah.—DeMissy?—Elleatantcomptépourvous,etjenesaisriend’elle.Mileshochalatête.—Maisparoùcommencer?—Ehbien,dites-moicequivousmanqueleplus.Auloin,del'autrecôtédelarivière,leslumièresdesporchesbrillaientcommedes

luciolesparunechaudenuitd’été.—Saprésencememanquelematinàmonréveiletquandjeparstravailler.Àmonretour,j’aimeraislavoirdanslacuisine,danslejardin,partout...Mêmesinousnepassionspasbeaucoupdetempsensemble,c’étaitextraordinairedesavoirquejepouvaiscomptersurelle.Commebeaucoupdecouples,nousavonsconnudeshautsetdesbas,maisnousavionstrouvéunepaisibleharmonie...Enseptans,beaucoupdenosamis-quis’étaientmariéstrèsjeuneseuxaussi-onteuletempsdedivorceretmêmedeseremarier;pasnous.MilestournaledosàlarivièreetregardaSarahdanslesyeux.—Jesuisfier,rétrospectivement,denotreréussite.Toutlemonden’apascettechance.Aprèss’êtreéclaircilavoix,ilreprit:—Nouspassionsdesheuresàparlerdetoutetderien.Elleadoraitlesromansetellemelesracontaitd’unemanièrequimedonnaitenviedeleslireàmontour.Quandjemeréveillaisaumilieudelanuit,jelatrouvaisparfoisendormie,sonlivreposéàcôtéd’elleetsalampedechevetencoreallumée.Jemelevaispouréteindre.C’estarrivésouventaprèslanaissancedeJonah,carelleneseplaignaitjamaisdesafatigue.Jemesouviensqu’àseptmoisilavouluapprendreàmarcheravantmêmedesemettreàquatrepattes!Elleapassédessemaines,pliéeendeux,àluitenirlesmains;simplementpourluifaireplaisir.Lesoir,elleavaitsimalaudosquejedevaislamasser.Sinon,elleauraitétéincapabledebougerlelendemainmatin...Miless’interrompitetcroisaleregarddeSarah.—Jepensequ’elleétaitheureuseavecmoi.Elledésiraitavoirquatreenfants,maisaprèslanaissancedeJonahjeluiaidemandédepatienterquelquetemps.Ellevoulaitluidonnerdesfrèresetsœurs.Jeregrettemaintenantpourmonfils,carjesais,parexpérience,àquelpointc’estdifficiled’êtreunenfantunique.Surlarivière,unchalutierremontaitlecourant,avecunronronnementdemoteurs.Sarah,émue,serralebrasdeMiles.Dansunsouffledebrise,ilrespiraleseffluvesdesonshampooingauchèvrefeuille.Lesilencedelanuitlesenveloppaitcommeundouxcocon.MilesauraitsouhaitéquecetinstantseprolongeéternellementmaisMmeKnowlsonl’attendaitavantminuit.—Ilestl’heuredepartir,dit-il.Cinqminutesplustard,Sarah,devantsaporte,cherchaitsesclefsdanssonsac.—J’aipasséunebonnesoirée,dit-elle.—Moiaussi.—Àdemain!Milesparutsurpris.—Lematchestàneufheures,précisaSarahpourluirafraîchirlamémoire.

—Voussavezsurquelterrain?—Aucuneidée,maisjefiniraibienparvoustrouver.Elleeutalorsl’impressionqu’ilallaitl’embrasser,maisilreculad’unpasenmarmonnant:—Jedoisvraimentpartir.—Jesais,fit-elle,àlafoisrassuréeetdéçueparsadiscrétion.Bonneroute!Milesmarchajusqu’aucoindelarueetseglissaderrièrelevolantdesonpetitpick-upmétallisé.Puisiladressaunsigned’adieuàSarah,avantdedémarrer.Leregardvague,ellerestasurletrottoirlongtempsaprèsquesesfeuxarrièreeurentdisparu.

12Lelendemainmatin,Saraharrivaquelquesminutesavantledébutdumatch.Vêtued’unjean,debottesetd’unpullàcolroulé,lesyeuxcachéspardeslunettesdesoleil,elleseplaçadanslesrangsdesparents.Àlafoiséléganteetdésinvolte,seditMiles,fasciné.Jonah,quishootaitdansleballonavecungroupedecopains,courutsejeterdanssesbras.Puisilluipritlamainpourl’entraînerverssonpère.—Tuvoisquij’aitrouvé,papa?—Oui,fitMilesenébouriffantlescheveuxdesonfils.—MlleAndrewsavaitl’airperdue,alorsjesuisallélachercher.—Heureusementquetueslà,champion!LesyeuxrivéssurSarah,Milesauraitvoululuidéclarerqu’illatrouvaitcharmanteetqu’iln’avaitcessédepenseràelledepuislaveille.—Commentallez-vous?furentlesseulsmotsqu’ilparvintàarticuler.—Bien,maisjen’aipasl’habituded’êtreaussimatinalependantlesweek-ends,répliqua-t-elle.L’équipedefootballcommençaitàserassembler;Milespritceprétextepours’adresseràsonfils.—Ilmesemblequetonentraîneurvientd’arriver...—J’trouveplusmonballon,fitJonah,unefoisdébarrassé<lesonsweat-shirt.—Tuétaisentraindeshooter,ilyaàpeineuneminute.—Ouais.—Alors,oùest-il?—J’saispas.

Ungenouàterre,Milesglissalachemisedel’enfantdanssonpantalon.—Onleretrouveraplustard;jesupposequetupeuxt’enpasserpourl’instant.—L’entraîneurnousaditdel’apporterpourréchauffement.—Empruntes-enunàdescopains!—Non,ilsontbesoindeleurballon.—Net’inquiètepas;cen’estrien.—Tuessûr?—Maisoui!Vavite,tonentraîneurt’attend.Àmoitiéragaillardi,Jonahrejoignitsonéquipe.Sarah,fascinéeparcettecomplicitéentrepèreetfils,esquissaunsourire.—Voulez-vousuncafé?luiproposaMiles.J’aiapportéuneThermos.—Nonmerci,j’aiprisunthéavantdevenir.—Quellemarquedethé?—UnEarlGrey.—Avecdestoastsetdelaconfiture?—Non,descéréales.Pourquoi?—Simplecuriositédemapart.Uncoupdesiffletretentitetleséquipesprirentplacesurleterrain.—Jepeuxvousposerunedernièrequestion?demandaMiles.—Pourvuqu’elleneconcernepasmonpetitdéjeuner...—Vousrisquezd’êtresurprise.—Onverrabien!—Jevoudraissavoir,déclaraMilesaprèss’êtreéclaircilavoix,sivousvousenveloppezlatêted’uneservietteaprèsvotredouche.—Jem’attendaisàtoutsaufàça!—Vousmetrouvezbizarre?Unsecondcoupdesiffletretentitetlematchcommença.—Alors,vousnemerépondezpas?insistaMiles.—Oui,ditSarahd’unairperplexe,j’enveloppematêted’uneserviette.Milesneputdissimulersasatisfaction.—Jem’endoutais.—Vousn’avezjamaissongéàlimitervotreconsommationdecaféine?—Jamais.—Ehbien,vousaveztort.—Onmel’adéjàdit,murmuraMilesenseversantnonchalammentunesecondetassedecafé.

Quaranteminutesplustard,lematchprenaitfin.MalgréleseffortsdeJonah,sonéquipeavaitperdu,maisilnesemblaitpascontrariéoutremesure.Aprèsavoirtapédanslamaindesescoéquipiers,ilcourutverssonpère,escortédesoncopainMark.—Vousavezbienjouétouslesdeux,leurassuraMiles.Lesdeuxgarçonsbredouillèrentdesremerciements,puisJonahtiraillalesweaterdesonpère.—Dis,p’pa...Markm’aproposédedormirchezlui.—Vraiment,Mark?—Mamanestd’accord.Vouspouvezluiparlersivousvoulez;elleestlà-bas.Zachvientaussi.—P’pa,s’ilteplaît!insistaJonah.Jeferaitoutcequej’aiàfaire—etmêmeplus—dèsqu’onserarentrés.Mileshésita:ilnevoulaitpaspriverJonahdeceplaisir,maissamaisonluisemblaitbienvidequandsonfilsledélaissait.—D’accord,dit-il,situytiens...—Merci,p’pa,tuesformidable!—Merci,monsieurRyan,fitMarkàsontour.Viens,Jonah,onvadireàmamèrequec’estd’accord.Lesdeuxgarçonss’élancèrentàtraverslafouleenjouantdescoudesetenpouffantderire.MilessetournaversSarah,quilessuivaitdesyeux.—Monfilsal’airabsolumentnavréàl’idéedenepasmevoircesoir.—Inconsolable!—Pourtant,onavaitprévudelouerunecassette.Sarahhaussalesépaules.—C’estdurdesesentirsiviteoublié!Milesritdeboncœur.Ilnepouvaitplusnierqu’ilavaitunfaiblepourcettejeunefemme.—Ehbien,puisquejesuistoutseulcesoir...—Oui.—Jevoulaisdireque...Sarahhaussalessourcilsd’unairespiègle.—Vousvoulezpeut-êtrereparlerduventilateur?Ellen’oublieraitdoncjamaissamaladresse?sedemandaMiles,avantd’ajouteravecunefeinteassurance:—Pasquestionduventilateur!—Quelleestvotreidée?

—Jenevaispasnonplusvousproposerunepartiedebillard.Sarahéclataderire.—Alors,sinousallionsdînerchezmoi?—Duthéetunboldecéréales?—Exactement,etjevousprometsd’enveloppermatêted’uneserviette.LevisagedeMiless’éclaira.Ilavaitunechanceinespérée...—Hé,p’pa?Milesredressalavisièredesacasquetteetlevalesyeuxverssonfils,quiratissaitavecluilespremièresfeuillesmortes.—Oui?—Jeregrettedepasregarderunecassetteavectoicesoir.T’esfâché?—Maisnon!—Tuvasenlouerunequandmême?—Sansdoutepas.—Qu’est-cequetuvasfaire?Milesposasonrâteau,ôtasacasquetteetessuyasonfrontdudosdesamain.—JevaisprobablementvoirMlleAndrews.—Encore?—Nousavonspasséuneagréablesoiréehier,observaMiles,nesachantsurquelpieddanser.—C’étaitquoi,votresoirée?—Nousavonsdîné,parléetfaitunpetittour.—C’esttout?—Àpeuprès.—Vousvousêtespasennuyés?—Jet’assurequenon.Jonahréfléchitunmoment.—Alors,tusorsencoreavecellecesoir?—C’estça.Jonahdétournalesyeux.—Çaveutdirequ’elleteplaît?MilessebaissapourregarderJonahenface.—Pourl’instant,noussommesseulementamis,elleetmoi.Voyantsonfilspensif,Mileslesoulevadanssesbrasetleserracontrelui.—Jet’aime,Jonah,dit-il.—Moiaussi,p’pa.

—Tuesunbonpetitgarçon.—Jesais.Milespritsonrâteaupourseremettreautravail.—P’pa,j’aifaim!—Qu’est-cequetuveuxmanger?—SionallaitauMcDo?—Bonneidée;onn’yestpasallésdepuislongtemps.—JepourraiprendreunHappyMeal?—C’estencoredetonâge?—Jen’aiqueseptans,p’pa.—Tuasraison,reconnutMiles.Rentronsnouslaver!Ilssedirigèrentverslamaison,lebrasdeMilesautourdesépaulesdeJonah.—P’pa?marmonnacedernierauboutdequelquespas.—Jet’écoute.—Çanem’ennuiepasquetuaimesbienMlleAndrews...—Ahbon?—Oui,déclaraJonahavecleplusgrandsérieux.Çanem’ennuiepasparcequejecroisqu’ellet’aimebien,elleaussi.Durantlemoisd’octobre,MilesetSarahsortirentensembleunedemi-douzainedefois,sanscompterlesjoursoùilssevirentaprèslaclasse.Ilsparlaientpendantdesheures.Pendantleurspromenades,MilesprenaitlamaindeSarah.Malgrél'absencederelationssexuelles,ilyavaitdansleursrapportsunesensualitéévidente.QuelquesjoursavantHalloween,quandJonaheutdisputélederniermatchdelasaison,MilesproposaàSarahdel’accompagnerunsoiràla«paradedesfantômes».C’étaitl’anniversairedeMark,etJonahdormaitchezlui.—Enquoiçaconsiste?demanda-t-elle.—Onfaitletourdesdemeureshistoriquesetonécoutedeshistoiresdefantômes.—Unetraditionlocale?—C’estlacoutume;sinonons’assoitsursonporchepourpriseretjouerdubanjo.—Jepréfèrelaparade.—Çanem’étonnepas.Jevienstechercheràseptheures?—Jet’attendraienretenantmonsouffle.Ondînechezmoiensuite?—Excellenteidée;maistunecrainspasdemegâtersitum’invitestoujoursàdîner?—Pasdeproblème,répliquaSarahavecunclind’œil,çan’ajamaisfaitdemalàpersonned’êtreunpeugâté.

13—Dis-moicequitemanqueleplusdepuisquetuasquittélaville,demandaMilesàSarah,aprèsavoirdînéchezellelesoird’Halloween.—Lesgaleriesd’art,lesmusées,lesconcerts,lesrestaurantsouvertsaprèsneufheuresdusoir.—C’esttout?SarahpassasonbrassousceluideMiles.—Jeregretteaussilesterrassesdecaféoùjepouvaism’asseoirpourlirelejournaldudimanche.Unevéritableoasisenpleinmilieudelaville.Lesgensquejevoyaispasserautourdemoiavaientl’airdecourircommedesfous.Ilsmarchèrentunmomentensilence.—Tupeuxretrouvercepasse-tempsici,plaisantaMiles.—Ahoui?—Ilsuffitd’allersurBroadStreet,maiscen’estpasexactementuneterrassedecafé.—Qu’est-cequec’est?—Unestationd’essence.Ilyaunbanctrèsagréabledehors.Situapportaistonsachetdethé,jesuiscertainqu’ilst’offriraientunetassed’eauchaude.—Quelleperspective!s’esclaffaSarah.Entraversantlarue,ilstombèrentsurdesindividusencostumed’époque,quiparticipaientmanifestementauxfestivités.Onlesauraitcrustoutdroitsortisdudix-huitièmesiècle.Lesfemmesportaientdelonguesjupesetleshommesdesculottesnoires,desbottes,descolshautsetdeschapeauxàlargebord.Àuncroisement,ilssescindèrentendeuxgroupes;MilesetSarahsuivirentlepluspetit.—Tuastoujoursvécuici?demandaSarah.—Saufquandj’étaisétudiant.—Tun’asjamaiseuenviededécouvrirautrechose?—Parexemplelesterrassesdecafé?Sarah,espiègle,poussaMilesducoude.—Passeulementça.Ilyadanslesvillesunevibrationparticulière...—Àvraidire,çanem’ajamaisattiré.Unendroitpaisiblepourmedétendreaprès

montravail,debeauxpaysagesetquelquesbonscopainssuffisentàmonbonheur.—Parle-moidetonenfanceici.—Imagine-toiunepetitebourgadeprovinciale,danslestyledesanciensfeuilletonstélévisés.Quandj’avaisseptouhuitans,j’allaispêcher,ousimplementmepromeneretjouerdehorsavecmescamarades.Mesparentsn’avaientaucuneraisondes’inquiéters’ilsnemerevoyaientpasavantl’heuredudîner.Parfois,nousallionscampertoutelanuitauborddelarivière,sanscourirlemoindrerisque.Jegardedemerveilleuxsouvenirsdemonenfanceetj’aimeraisqueJonahaitlamêmechance...—Tulelaisseraiscampertoutelanuitdanslanature?—Pourrienaumonde!Lestempsontchangé,mêmeàNewBern.Auboutdelarue,unevoituresegaraàcôtéd’eux.Desattroupementsseformaientdanslesalléesdedifférentesmaisons.—Onpeutseconsidérercommedesamis?fîtsoudainMiles.—Jel’espèredetoutmoncœur.—Danscecas,mepermets-tudeteposerunequestion?—Toutdépenddelaquelle.—Commentétaittonex-mari?Depuisquenousparlonsensemble,tun’asjamaisfaitlamoindreallusionàsonsujet.Sarahfixaobstinémentletrottoir.—Tun’espasobligéedemerépondre,ajoutaMiles,intriguéparsonsilence.Detoutefaçon,çanechangerarienàmonopinion.—Quelleopinion?—Ilnem’estpassympathique...—Tuneleconnaispas!—Oui,maisdumomentquetunel’aimesplus...—J’avouequetuasunecertaineintuition.Milessetapasurlatemped’unairinspiré.—C’estmonmétierquiveutça.Jedécouvredesindicesquiéchappentaucommundesmortels.—Ehbien,fitSarahensouriant,monex-maris’appelleMichaelKing...Ilvenaitd’obtenirundiplômedegestionquandnousnoussommesconnus.Notremariageadurétroisans.Ilestriche,bienélevéetbeaugarçon...—Hum!Jecommenceàcomprendrepourquoiilnem’inspireaucunesympathie.—Tuneveuxpasensavoirplus?—Désolédet’avoirinterrompue;vas-y!—Lespremièresannées,repritSarahaprèsuninstantd’hésitation,ontétédesannéesheureuses.Pourmoi,entoutcas.Noushabitionsunbelappartement,nous

profitionsensembledenosloisirs,etjecroyaisbienleconnaître.Maisjemefaisaisdesillusions...Àlafin,nousnousdisputionstoutletempsetnousn’avionsplusrienànousdire.Çaallaitdemalenpis!—Etc’esttout?—C’esttout.Nousavonstotalementcessédenousvoir.—Ilnetemanquepas?—Oh,non!—Jeregretted’avoirabordéunsujetdélicat.—Net’inquiètepas;jemepassetrèsbiendelui!—Quandas-tucomprisquetoutétaitfinientrevous?—Lejouroùilm’adonnélespapiersàremplirpourledivorce.—Tunet’yattendaispas?—Non.—Jesavaisbienqu’ilneméritaitpasmasympathie,conclutMiles.IlsavaitaussiqueSarahneluiavaitpastoutdit.—Cen’estpasmoiquitejetterailapierre!fitcelle-ciensouriant.Noussommespresquetoujoursd’accord...—Saufsurlesagrémentsdelavieàlacampagne!—Jen’aijamaisditquejenemeplaisaispasàNewBern.—Pourrais-tutefixerici?—Définitivement?—Avouequecen’estpasdésagréable!insistaMiles.Maislut’enlasseraisvite,n’est-cepas?—Çadépend...—Dequoi?—Desraisonsquej’auraisderester.LesyeuxfixéssurSarah,Milessesurpritàpenserquesesparolesétaientuneincitationouunepromesse.Laluneselevaitlentement,noyantd’unhalojaune,puisorange,letoitdel’anciennedemeureTravis-Banner,lepremierarrêtdelaparadenocturne.Cetteconstructionvictorienneàétageétaitentouréed’unlargebalconàlapeintureécaillée.Unpetitgroupeentouraitdeuxfemmesdéguiséesensorcièresquiservaientducidredansungrandpichet.Ellesprétendaientévoquerlesouvenirdupremierpropriétaire,décapitéaccidentellementalorsqu’iltronçonnaitdubois.Delaported’entrées’échappaientdescrisd’horreur,desgrincementsdeportes,d’étrangesmartèlementsetdesriresdiscordants.Soudain,lesdeuxsorcièress’inclinèrent,leslumièresduporches’éteignirentetun

fantômedécapitéapparutdanslevestibule-silhouettesombreauxmainssquelettiques,drapéed’unecape.Unefemmehurlaetlaissatombersonverredecidre.SarahseblottitcontreMilesets’accrochaàsonbrasavecuneforcesurprenante.Sescheveuxluiparurentdouxcommedelasoie.BienqueceuxdeMissyaientétéd’unecouleurdifférente,ilserevitentraind’ypromenersesdoigts,lesoirquandilsétaientaulit.Lesincantationsmarmonnéesparlessorcièresfirentdisparaîtrelefantôme.Leslampesserallumèrentauboutdequelquessecondesetlepublicsedispersaenriantnerveusement.Pendantlesheuressuivantes,MilesetSarahfurentinvitésàvisiterplusieursautresmaisons.Soitilsentraient,soitilsrestaientdanslevestibule,soitilsécoutaientdudehorslesrécitsévoquantlepassé.Habituéàcettepromenadetraditionnelle,Milesavaitchoisilesdemeureslesplusintéressantes,etracontaitàSarahdesanecdotesausujetdecellesquin’étaientpasprogramméescetteannée-là.Ilsdéambulaientsurlestrottoirscraquelés,ensavourantcettedélicieusesoirée.Lafoulesedispersaitpeuàpeu,certainesmaisonsfermèrent.QuandSarahsuggéraàMilesd’allerdîner,illuiproposaunedernièrevisite.Lamaindanslamain,ilss’engagèrentdansunerueténébreuse.Duhautd’unnoyerblancdeVirginie,unechouettehulula,puissetut.Unpeuplusloin,ungroupedepseudo-fantômess’entassaitsurunvieuxchariot.Aucoindelarue,ilsaperçurentunegrandemaisond’unétage,apparemmentdéserte.Sesfenêtres,noirescommedel’encre,semblaientferméesdel’intérieurpardesvolets.Seuleunelumièrediffuseprovenaitd’unedouzainedebougies,fixéeslelongduporcheetsurunpetitbanc,prèsdelaported’entrée.Prèsdubanc,unefemmeâgéesebalançaitsurunrocking-chair,lesgenouxsousunecouverture.Lablancheurdesescheveuxetsoncorpsfrêleluidonnaientl’aird’unmannequindecire.Àlalumièrevacillantedesbougies,sapeauapparaissaittranslucideetsonvisagecraquelécommeunevieilleporcelaine.MilesetSarahs’installèrentsurlabalancelle,tandisqu’ellelesscrutaitaveccuriosité.—Bonjour,mademoiselleHarkins,murmuraMiles.Beaucoupdevisiteurscesoir?—Commetoujours,fitlavieillefemmed’unevoixrauquedefumeuseinvétérée.Alors,vousvousintéressezàl’histoiredeHarrisetKathrynPresser?—Jevoulaislafaireentendreàmonamie,réponditMilessolennellement.Lesyeuxpétillants,MlleHarkinspritlatassedethéposéeàcôtéd’elle.MilespassaunbrasautourdesépaulesdeSarah,quisedétenditcommeparmiracle.—Çavateplaire,luisouffla-t-il.Ellen’endoutaitpas...Dèsqueleurhôtesseeutreposésatasse,unfiletdevoixs’élevadanslanuit.—Vousquiécoutezcettehistoired’amouretdefantômes,sachezqu’ellevousdiraoùsetrouvelevéritableamourets’ilestproche...

SarahjetaunregardfurtifàMiles.—HarrisPresser,repritMlleHarkins,naquiten1843.Sesparentsvendaientdeschandellesdansunepetiteboutique,enville.Quandéclatalaguerrecivile,ilvouluts’engagerdanslesrangsdesconfédéréscommebeaucoupdejeunesgensd’alors.Sesparentslesupplièrentderester,carilétaitfilsunique.Ilcédaàleursvœuxetscellaainsisondestin.Laconteuses’interrompitetlaissapesersonregardsurlesdeuxjeunesgens.—Iltombaamoureux,murmura-t-elleavecuneinfiniedouceur.Uneallusionàpeinedéguisée?sedemandauninstantSarah.Devinantsansdoutesapensée,MlleHarkinshaussalessourcilsavantdepoursuivresonrécit.—KathrynPurdy,filleuniqueelleaussi,n’avaitquedix-septans.Sesparentsétaientpropriétairesdel’hôteletdelascierie.Figurantparmilesplusrichesfamillesdelaville,ilsnefréquentaientpaslesPresser.LesPurdyetlesPresserrestèrentsurplaceaprèsqueNewBernfuttombéeentrelesmainsdessoldatsdel’Union.Malgrélaguerreetl’occupation,KathrynetHarrisserencontraientsouventlessoirsd’été,auborddelaNeuse.Furieux,lesparentsdelajeunefilleluiinterdirentdefréquenterlefilsPresser,qu’ilsconsidéraientcommeunrustre.Leurattitudenefitquerenforcerlesliensentrelesdeuxjeunesgens.Pourcontinueràsevoir,ilsdurentinventerunstratagème.Danslaboutiquefamiliale,aucoindelarue,HarrisattendaitlesignaldeKathryn:lajeunefilledevaitallumerunechandelleauborddesafenêtredèsquesesparentss’étaientendormis.Ilgrimpaitalorsdansungrandchêneetaidaitsonamieàsortir...desortequ’ilssevoyaientaussisouventqu’ilslesouhaitaient.Letempspassant,ilss’aimèrentdeplusenplus...MlleHarkinsavalaunegorgéedethé,plissalespaupières,etsavoixsefitmenaçante.—Lesforcesdel’UnionresserraientleurétausurleSud,demauvaisesnouvellesarrivaientdeVirginie,etlebruitcouraitquelegénéralLeeallaittenter,avecsonarmée,dereconquérirlaCarolineduNord.Oninstituauncouvre-feuetiln’étaitplusquestion,surtoutpourunhomme,desortirlesoir.PrivédeKathryn,Harristravaillaitforttardàlaboutiquedesesparents,allumantunechandellepourfairesavoiràsabien-aiméequ’ilpensaitàelle.Auboutdequelquessemaines,parl’intermédiaired’unpasteurcompatissant,illuiproposadel’enlever.Elleallumeraitunechandellesielleétaitd’accord,etunedeuxièmepoursignalerlemomentopportun.Lesoirmême,lepasteurlesmariasouslapleinelune,aupérildesavieetdelaleur...LesparentsdeKathryndécouvrirentunelettred’amourécriteparHarris.Furieux,ilssemoncèrentleurfille,quilesmitaudéfidelaséparerdesonmari.Ellesefaisait,hélas,desillusions!LepèredeKathrynavaitdesrelationsd’affairesavecuncoloneldesforcesd’occupationetluisignalalaprésenced’unespionquitransmettaitaugénéralLeedesinformationssurladéfensedelaville.Arrêtédanslaboutiquedesesparents,

HarrisPresserdemandal’autorisationd’allumerunechandelledanslavitrine;onluiaccordacettedernièrefaveur.IlfutpenduaugrandchênedevantlafenêtredeKathryn.Lecœurbrisé,lajeunefillecompritquesonpèreétaitresponsable.ElleallademanderauxparentsdeHarris,fousdechagrin,deluidonnerlachandellequibrûlaitdanslavitrine,lesoirdelamortdeleurfils.Ellel’allumaàcôtédecellequibrûlaitsurlereborddesafenêtre.Lelendemainmatin,sesparentsladécouvrirentpendueaumêmechênequesonbien-aimé.MilesattiraSarahcontrelui.—Qu’endis-tu?—Chut!souffla-t-elle,jecroisqu’onenvientauxhistoiresdefantômes.—Ceschandelles,repritlavieillefemme,brillèrenttoutelanuit.Lelendemain,ellesn’étaientplusquedesamasdecire,maisellesrestèrentpourtantalluméespendanttroisjours.Letempsqu’avaitdurélemariagedeKathrynetHarris!L’annéesuivante,lejourdeleuranniversairedemariage,l’anciennechambredeKathrynpritfeumystérieusement,maislamaisonfutépargnée.D’autresmalheursfondirentsurlesPurdy:ilsperdirentleurhôtelaucoursd’uneinondationetdurentrevendrelascieriepourpayerleursdettes.Ruinés,ilsfinirentparquitterlaville,mais...MlleHarkinssepenchaenavantetchuchotaavecunregardespiègle:—Detempsentemps,desgensprétendentavoirvudeuxchandellesbrûleràunefenêtredel’étagesupérieur.D’autresenontvuuneseule...maisdisentqu’unesecondebrûlaitdansuneautremaisondelarue.Encoremaintenant,unsiècleaprèscettetragédie,onvoitparfoisdeschandellesbrûlerauxfenêtresdecertainesdemeuresabandonnéesduvoisinage...Bizarrement,lestémoinsdecephénomènesonttoujoursdejeunesamoureux.Vousverrezounonceschandelles,selonlessentimentsquevouséprouvezl’unpourl’autre.MlleHarkins,apparemmentépuiséeparl’effortqu’elleavaitfourni,gardaunmomentlesyeuxclos.SarahetMilesnebronchèrentpas,depeurderomprelecharme.Ilsattendirentqu’elleaitreprissatassedethépourluifaireleursadieux,puiss’éloignèrentensilenceparl’alléedegravier,lamaindanslamain.—Jesuiscontentequetum’aiesamenée,chuchotaSarah.—Çat’aplu?—Lesfemmesadorentleshistoiresromantiques.Aprèsavoirtournéaucoindelarue,ilssedirigèrentversFrontStreet.Auloin,larivièrenoireetsilencieusescintillaitentrelesmaisons.—Tun’aspasfaim?demandaSarah.—Attendonsunpeu.Milesralentitlepas,puiss’arrêta,songeur.Ellesuivitsonregardmaisn’aperçut,derrièresonépaule,qu’unenuéedemoucheronsvoletantdanslehalodu

réverbère.—Qu’ya-t-il?demanda-t-elle.Miles,perdudanssespensées,hochalatête.Puis,aulieudereprendresaroute,ill’attiradoucementverslui.Lesyeuxfermésetlagorgesèche,elles’abandonna.Lemonde,autourd’elle,avaitcesséd’exister...Leurbaiserduralongtemps.Milespressaensuiteseslèvrescontresoncouetembrassalanaissancedesonépaule.Ellefrissonnaaucontactdesalanguehumide,avantdefondredansledélicieuxcocondesesbras.Illaraccompagnaenluimurmurantdesmotstendresetenpromenantdoucementsonpoucesurledosdesamain.Unefoischezelle,illasuivitdesyeuxtandisqu’ellesedirigeaitverslacuisine.—Qu’avons-nousàdîner?demanda-t-ilaprèsavoirdéposésavestesurledossierd’unechaise.Sarahsortitduréfrigérateurungrandplatrecouvertdepapierd’aluminium.—Deslasagnes,dupainfrançaisetunesalade.Çateva?—Oh,oui!Jepeuxt’aider?—Toutestprêt.Jen’aiplusqu’àréchaufferleslasagnespendantunedemi-heureenviron.Maistupeuxallumerlefeuetouvrirlabouteilledevinposéesurlecomptoir.—Pasdeproblème!—Jeterejoinsdansquelquesminutes.SarahlaissaMilesdansleséjouretdisparutdanssachambrepoursebrosserlescheveux.Àsoncorpsdéfendant,elleavaitpeur...Aprèscelongbaiser,sarelationavecMilesavaitatteintunpointdenon-retour,etlemomentétaitvenudeluiavouerlevéritablemotifdesondivorce.Unpointdélicatàaborder,surtoutavecquelqu’unquiluiétaitcher.Apparemment,iltenaitàelleluiaussi,maisrienneprouvaitquesonaveun’allaitpasébranlersessentiments.Neluiavait-ilpasditunjourqu’ilvoulaitdonnerunfrèreouunesœuràJonah?Accepterait-ilderenonceràceprojet?Sarahscrutasonrefletdanslemiroir.Oui,c’étaitlemomentoujamaisdeparleràMiles.Sileurrelationdevaitsepoursuivre,ellenesupporteraitpasderevivreavecluil’épreuvequ’elleavaittraverséeavecMichael.Aprèss’êtrebrossélescheveux,ellerectifiamachinalementsonmaquillage.Sadécisionétaitprise;maisquediraitMilesquandilsauraittoutelavérité?Avantdesejeteràl’eau,àsesrisquesetpérils,elleserassitunmomentsursonlitdansl’espoirderetrouversoncalme.

Quandelleréapparutdansleliving,lefeuétincelaitdansl'âtre,etMilesrevenaitdelacuisine,labouteilledevinàlamain.—Çateferadubien,dit-ilensoulevantdélicatementlabouteille.—Commentas-tudeviné?Intriguéparcetteréponse,Miless’assitsurlecanapéetSarahsemitàboireensilence.—Çava?dit-ilauboutd’unmoment,enluiprenantlamain.Ellefittournoyerlevindanssonverre.—Ilyaquelquechosequetunesaispasencore...Desgrondementsdemoteurs’élevaientdanslarue,tandisquelefeucrépitaitaumilieudegerbesd’étincelles.Desombresdansaientsurlesmurs.Unejamberamenéesouselle,Sarahsemblaitperduedanssespensées.Milesl’observaensilence,avantdeluiserrertendrementlamain.—J’aibeaucoupd’estimepourtoi,murmura-t-elle,leregardbrillant,commesiellerevenaitàlaréalité.Jen’oublieraijamaiscequej’aivécucesdernièressemaines...Miles,surlequi-vive,sedemandacequiavaitbienpusepasserpendantlesquelquesminutesoùSarahs’étaitretiréedanssachambre.—L’autrejour,reprit-elle,tum’asposécertainesquestionssurmonex-mari.Mileshochalatête.—Jenet’aipastoutraconté,etjenesaispascommentm’yprendrepourt’endireplus...—Pourquoihésites-tu?—J’aipeurdetaréaction,répliquaSarah,lesyeuxrivéssurlesflammes.Entantqueshérif,Milesémitaussitôtunehypothèse:sonex-mariluiavaitfaitsubirdesmauvaistraitementsetelleavaitconnuavecluiuneexpériencetraumatisante.Illasoupçonnaitdeluicacherquelquechoseausujetdescirconstancesdesondivorce.—Écoute-moi,Sarah,fit-il,surprisparsonvisagefigé,tun’aspasbesoindem’endireplus.Cetteaffairenemeconcernepas,etcequej’aiapprissurtoijusqu’àmaintenantmesuffitamplement.D’ailleurs,jenevoispasenquoitesconfidencespourraientfairevariermessentiments.Sarahluiadressaunsourirefugitif.—Tesouviens-tudesquestionsquejet’aiposéesàproposdeMissy?—Biensûr!—Etdetesréponses?—Jem’ensouviens.Leursregardssecroisèrentenfin,etSarahajouta:—Sachequejeneseraijamaiscommeelle.

Milesfronçalessourcils.—Jem’endouteetjenechercheabsolumentpasàlaretrouverentoi.—Miles,jen’aipasdûêtreclaire...—Alors,explique-toi!—Missyétaitunesibonnemèreet,d’aprèscequetum’asdit,voussouhaitieztouslesdeuxdonnerdesfrèresetsœursàJonah.Ehbien,jenepeuxpas...Jen’aipaspuêtreenceintedeMichael;nousnoussommesséparéspourcetteraison.CommesiellenevoulaitlaisseraucundouteàMiles,elleconclut,sonregardrivéausien:—Jenepourraijamaisêtremère.Ellerepritlaparole,aprèsunsilence.—Cetterévélationm’aanéantie!Àvingtans,jevivaisdansl’angoissedetomberenceinte.Jepaniquaissij’oubliaisdeprendremapilule,etjen’auraisjamaisimaginéquej’étaisstérile...—Commentl’as-tuappris?—Delamanièrehabituelle.Commeriennevenait,j’aifaitdestests,etvoilà.—Jeregrette,marmonnaMiles.—Moiaussi,soupiraSarah.QuantàMichael,iln’apaspufairefaceàcettesituation.J’auraisvolontiersadoptéunenfant,maisc’étaithorsdequestion,àcausedesafamille.—Tuplaisantes?—Jet’assurequenon.Pourtant,j’auraisdûm’yattendre...Quandnousnoussommesconnus,ilmeconsidéraitcommelafemmeidéale;aupremierobstacle,plusrienn’acomptépourlui.Ilafaitunedemandededivorce,etjesuispartielasemainesuivante.MilespritlamaindeSarahsansunmot,enluifaisantsignedecontinuersonrécit.—Ensuite...çan’apasétéfacile.J’aiévitédeparlerdemesproblèmes,saufàmesparents-etàSylvia,quim’asoutenuedesesconseils.Elles’interrompit.Àlalueurdufeu,sescheveuxformaientunhalolumineuxautourdesatête.—Alors,pourquoim’enparles-tu?demandaMiles,frappéparsabeauté.—Çameparaîtévident.Ilfautquetusoisaucourant...Parceque,siçadevaitrecommencer...MilesorientadoucementlevisagedeSarahverslesien.—Tumecroiscapabled’agircommelui?—Oh,Miles...Biensûr,çanetecontrariepaspourl’instant.Maissinouscontinuonsànousvoiretsinousnousentendonstoujoursaussibien,réfléchisàlasuitedesévénements.Crois-tuquelefaitdeneplusjamaisavoird’enfantsnetechagrineraitpas?TupriveraissansregretJonahd’unpetitfrèreoud’unepetite

sœur?Sarahs’éclaircitlavoix.—Net’imaginepasquejemesuismisentêtedet’épouser!Jetedissimplementlavéritépourquetusachesàquoitut’engages-avantqu’ilnesoittroptard.Jenesupporteraispasquetumetournesledoscommel’afaitMichael.Tumequitteraspourd’autresraisonssitelestnotredestin;maisrevivrelamêmeépreuveseraitau-dessusdemesforces.Milesobservalerefletdelalumièredanssonverre.—J’aimeraistefaireunaveuàmontour,dit-il.J’aibeaucoupsouffertdelamortdeMissy.J’aisouffertentantqu’homme,maisaussientantqueshérif,carjen’aipasretrouvélapersonnequiétaitauvolantcesoir-là.Pendantlongtemps,j’aienquêtéparmoi-même,j’aiinterrogébeaucoupdegens,maislecoupableadisparu.Ceproblèmem’arongé,etjemesuissentiauborddelafolie.Cependant,depuispeu...LavoixdeMilesvibraquandilcroisaleregarddeSarah.—J’essayaisdetedire,poursuivit-il,quej’aiprismontemps...Jeressensungrandvide,etc’estenterencontrantquej’aicompriscequimemanquait.Situveuxquejeréfléchisseencore,jeleferaiparégardpourtoi;maistarévélationnechangerienàmessentiments.Crois-moi,jen’aiaucunpointcommunavecMichael!Laminuterieretentitdanslacuisine:ledînerétaitprêt.NiSarahniMilesnebougèrent.Sarahsesentaitsoudainlégère.LevinoulesparolesdeMiles?—Jesorsleslasagnesavantqu’ellesbrûlent,dit-elleenselevant.J’aiprismontemps.Tarévélationnechangerienàmessentiments...Danslacuisine,elles’accoudaaucomptoir.LesparolesdeMilesrésonnaienttoujoursenelle.Depuissondivorce,ellen’avaitquetroptendanceàseméfierdeshommes;maislamanièredontilluiavaitparlé,enlaregardantdanslesyeux,neluilaissaitaucundoute.Ellelerejoignitdansleliving,oùilss’assirentaucoinduleu.Latêtesursonépaule,ellesentitsapeauvibrerquandilluipritlamain.—Mercidem’avoirfaitconfiance,murmura-t-il.—Jen’avaispaslechoix.—Onatoujourslechoix...—Non,pasavectoi!Ellelevaalorslatêteensilenceetpressaseslèvrescontrelessiennes,unepremièrefois,puisunedeuxième,avantdel’embrasservraiment.Ill’étreignitenglissantsalanguedanssaboucheentrouverte.Duboutdesdoigts,elleeffleuralabarbeautourdeseslèvres,puisellesentitlachaleurdesonbaleine,tandisqu’ilcouvraitsoncoudebaisers.Ilsfirentlonguementl’amour.Lefeuseconsumaetl’ombreenvahitlapièce.Toutelanuit,MilesmurmuradesmotstendresàSarah,sanscesserdelacâlinerpour

s’assurerqu’elleétaitbienlà.Àdeuxreprises,elleselevapourremettredesbûchesdansl’âtre,puiselleallacherchersacouettedanssachambre.Affamés,ilsdévorèrentleplatdelasagnesdevantlefeu.Cerepaspartagé-nussouslacouette-leurparutétrangementenivrant.Peuavantl’aube,Sarahfinitpars’endormir.Mileslaportadanssachambreàcoucher,tiralesrideauxetvints’allongeràcôtéd’elle.Lelendemain,unjourcouvertetpluvieux,ilsdormirentjusqu’àmidi,cequineleurétaitpasarrivéniàl’unniàl’autredepuisuneéternité.QuandSarah,blottiecontreMiles,ouvritlesyeux,ellesoulevalatêteetroulasurelle-mêmepourluifaireface.Iltenditunbrasetcaressasajoueduboutdudoigt.—Jet’aime,Sarah,souffla-t-il.—Oh,Miles,jet’aimemoiaussi,répondit-elle,unemainsurlecœur.

14Pendantlessemainessuivantes,SarahetMilespassèrentensembletoutleurtempslibre.Jonahfittaireprovisoirementsacuriosité.Quandsoninstitutricevenaitvoirsonpère,ill’emmenaitdanssachambrepourluimontrersacollectiondecartesdebase-ballouluiparlerdesplaisirsdelapêche.Illuiappritmêmeàlanceruneligneetillasurpritenl’entraînantparlamainpourluimontrersessecrets.Milesobservaitlemanègeetseréjouissait.LefaitqueSarahnesoitpastotalementétrangèreàl’universdeJonahnepouvaitqueluisimplifierlavie.Àl’occasiond’Halloween,ilsallèrentàlaplageetpassèrentl’après-midiàramasserdescoquillages.PuisJonahetsescopainsfirentletourduquartierendemandantdessucreries,tandisqueMilesetSarahtraînaientderrièreavecd’autresparents.Quandlanouvelles’ébruitaenville,BrendabombardaSarahdequestions,etCharliefitallusionàl’événement.«Jel’aime»,luiréponditsimplementMiles.Leshérif,plutôtvieuxjeu,estimaqu’ilavaitétéunpeuviteenbesogne;maisilluidonnauneclaquedansledosetl’invitaàdîneravecSarah.

LarelationentreMilesetSarahdevenaitplusintensedejourenjour.Séparés,ilsselanguissaientl’undel’autre;etquandilsétaientensemble,letempspassaittropviteàleurgré.Ilsseretrouvaientpourdéjeuner,discutaientautéléphoneetfaisaientl’amourchaquefoisqu’ilsenavaientl'occasion.Malgrétout,MilesparvintànejamaisdélaisserJonah.Sarahs'efforçaitelleaussidenerienchangeràsonattitude.Pendantsesheuresdesoutienscolaire,elleletraitaitcommen’importequelélèveendifficulté;ets’ils’interrompaituninstantpourl’observerd’unairrêveur,ellenes’enformalisaitpas.Àlami-novembre,troissemainesaprèssapremièrenuitd’amouravecMiles,Sarahréduisitdetroisàunecesséancesdesoutien.Globalement,Jonahavaitrattrapésonretard.Ilsedébrouillaitbienenlectureetenorthographe,etn’avaitplusàprogresserqu’enarithmétique.Undîneràlapizzériacélébral'événement,mais,aumomentdebordersonfilsdanssonlit,Milesletrouvaétrangementpaisible.—Çanevapas,champion?fit-il.—Jesuisunpeutriste.—Pourquoi?—Parcequejeresteraimoinssouventàl’écoleaprèslaclasse...—Jecroyaisquetun’aimaispasrester.—Audébut,maisplusmaintenant.—Ah,oui?—JemesensbienavecMlleAndrews.Milesétaitassisdevantlamaison,avecSarah,quandilluiracontacetteanecdote.Pendantcetemps,JonahetMarkfaisaientsauterleursvélossuruntremplin,dansl’allée.—Iladitça?s’étonnalajeunefemmeenserrantsesjambesentresesbras.—Motpourmot!EscortéparMark,Jonahpassaprèsd’euxàlavitessedel’éclairenfaisantletourdelapelouse.—Franchement,jemedemandaiscommentilréagiraitànotre«relation»,repritMiles.Àlamaison,toutsepassebienpourlui.Pasdeproblèmenonplusàl’école?—Lespremierstemps,certainsgossesluiontposédesquestions,maisçaal’airdesecalmer.JonahetMarkrepassèrent,indifférentsàlaprésencedesdeuxadultes.—Voudrais-tufêterThanksgivingavecnous?proposaMiles.Jetravailleenfindejournée,maisnouspourrionsdéjeunertouslestroissitun’aspasd’autresprojets.—Impossible.Monfrèrerevientpourquelquesjoursetmamèreorganiseungranddéjeunerdefamille-oncles,tantes,cousinsetgrands-parents.Elleseraitfurieusequejemedécommande.

—Çanem’étonnepas.—Maisellemeurtd’enviedeteconnaîtreetellem’asuppliémaintesfoisdet’ameneràlamaison.—Qu’est-cequetuattends?—Tun’espeut-êtrepasprêt...Danscecas,jenevoudraispast’effrayer.—Est-ellevraimentsiredoutable?—Àtoidejuger...Tuseraslebienvenusituviens,etçanouspermettradefêterThanksgivingensemble.—Vousêtesdéjànombreux...—Deuxdeplusoudemoinsnechangerontpasgrand-chose.Parlamêmeoccasion,tupourrasrencontrerleresteduclan...Tesens-tuprêtàcelaaussi?—Certainement.—Alors,jecomptesurtoi.Maissimamèresemetàteposerdesquestionsbizarres,surtoutn’oubliepasquej’aiplusdepointscommunsavecmonpèrequ’avecelle.CommeJonahdormaitchezMarkcesoir-là,SarahsuivitMilesdanssachambreàcoucher.Unegrandepremièrepoureux,carilsseretrouvaienthabituellementchezelle.DanslelitjadispartagéparMilesetMissy,ilsfirentl’amouravecunefolleardeurquileslaissahorsd’haleine.Ilsrestèrentensuiteallongésensilence,etMilespassadoucementlesmainsdanslescheveuxdeSarah,dontlatêtereposaitsursontorse.Enpromenantsonregardautourdelapièce,elleréalisasoudainqu’elleétaitentouréedephotosdeladéfunte.Ilyenavaitmêmeuneàsaportée,surlatabledenuit.Malàl’aise,elleremarquaaussil’enveloppedepapierkraftcontenantlesinformationscollectéesparMiles.Cetteépaisseenveloppe,bienenvuesuruneétagère,lanarguaitchaquefoisquesatêtesesoulevaitaurythmedelarespirationdesonamant.Quandlesilencesefittropoppressant,elleplongeasonregarddanssesyeux.—Tunedisrien?murmura-t-elle.—Jepensaisàtoi.—Debonneschoses,j’espère.—Lesmeilleures!Jet’aime,Sarah.—Moiaussi,Miles.—Tuvaspasserlanuitici?—Lesouhaites-tu?—Detoutmoncœur...Elles’endormitdanslesbrasdeMiles.

Lematinàsonréveil,ellesedemandaoùelleétait,maissoncorpsvibraaussitôt.Ilsrefirentl’amour,différemment.Leurscaressesetleursmurmures,pluspaisiblesquelaveille,luirappelaientleurspremièresétreintes.ChacundesgestesetdesregardsdeMilessemblaitexprimerlaprofondeurdesessentiments.Mieuxencore,ilavaitprislapeinedesereleversansbruitpendantqu’elledormaitpourenleverlesphotosetl’enveloppeenpapierkraftdontl’ombreavaitplanésureuxlesoirprécédent.

15—Jemedemandevraimentcequetuattendspourmeleprésenter...Sarahetsamèredéambulaientdansunealléedusupermarchéenemplissantleurchariot.Maureenachetaitassezdevivrespoursoutenirunsiègependantdessemaines.—Maman!s’impatientaSarah.Tuvaslerencontrerdansquelquesjourspuisquejel’aiinvitéàdéjeuneravecJonah.—Tupourraisnousl’ameneravant,pourquenousfassionsdéjàconnaissance.—Àquoibon?VousaureztoutletempsdevousparleràThanksgiving.—Nousseronsnombreuxetjenepourraipasmeconsacreràluicommejelesouhaiterais.—Ilcomprendraparfaitement.—Tum’asditqu’ildevaitpartirdebonneheure...—Ilvatravaillerversquatreheures.—Unjourférié?—IltravaillelesoirdeThanksgivingpourêtrelibreàNoël.Souviens-toiqu’ilestshérif.—Quis’occuperadeJonah?—Moi.JeleramèneraiprobablementchezMilesverssixheures,quandpapacommenceraàtomberdesommeil.—Sitôt?—Nouspasseronstoutdemêmel’après-midiensemble!

—Tuasraison,maiscettehistoiremerendunpeunerveuse...—Net’inquiètepas,m’man;toutirabien.—Ilyaurad'autresenfants?demandaJonah.—Peut-être...—Desgarçonsoudesfilles?—Aucuneidée.—Ilsontquelâge?Mileshochalatête.—Jeterépètequejen’ensaisrien.—Maisqu’est-cequejeferaisijesuisleseulenfant?grommelaJonah,lessourcilsfroncés.—Turegarderaslematchdefootavecmoi.—Çam’ennuie.Milesfitglissersonfilssurlesiègeavantpourlerapprocherdelui.—Commejetravaillelesoir,onn’ypasserapastoutelajournée;maisçaseraittrèsimpolidepartirladernièrebouchéeavalée.Peut-êtrequ’onirasepromenerunpeu...—AvecMlleAndrews?—Siçatefaitplaisir.—Papa...Jonahs’interrompitpourtournerlatêteversunbouquetdepinsdeMontezuma.—Tucroisqu’onmangeradeladinde?—Jesuppose.Pourquoi?—Est-cequ’elleauraungoûtbizarrecommecelledel’annéedernière?—Macuisineneteplaîtpas?—Si...—Alors,tumetaquines?—Oui,maistadindeavaitvraimentungoûtbizarre,tusais.Milessegaradevantlaboîteauxlettresd’unemaisondebriqueàunétage.Lapelouseimpeccablefaisaithonneuràsonpropriétaire.Despenséesavaientétéplantéeslelongdel’allée,labasedesarbresétaitpaillée,etlesseulesfeuillesvisiblesavaientdûtomberaucoursdelanuitprécédente.Sarahapparutàl’unedesfenêtresetfitsigneàseshôtes.Auboutd’uninstant,elleleurouvritlaporte.—Oh,splendide!s’écria-t-elle.Milesportaspontanémentunemainàsacravate.—Jem’adressaisàtonfils,précisaSarahavecunclind’œilespiègle.

Jonah,vêtud’unpantalonbleumarineetd’unechemised’uneblancheurimmaculée,serengorgea.Aprèsl’avoirembrassésurlesdeuxjoues,SarahluitendituneboîtedepetitesvoituresMatchboxqu’elleavaitcachéederrièresondos.—Pourmoi?demanda-t-il.—Oui,pourquetupuissesjouerici.Ellesteplaisent?—Génial!T’asvu,p’pa?s’écrial’enfantenbrandissantlaboîte.—As-tuditmerci?—Merci,mademoiselleAndrews.—Tuessplendidetoiaussi,fitSarah,quandMiless’approcha.Jen’aipasl’habitudedetevoirenvestonaumilieudelajournée.Ellelissasoigneusementlereversdesaveste.—Maisc’estunehabitudequejepourraisprendrefacilement...—Merci,mademoiselleAndrews,susurraMilesenimitantsonfils.Àpropos,tuesplusravissantequejamais.Sarahfîtentrersesinvités.—Désolée,iln’yaquedesadultes,annonça-t-elleàJonah,maisilssontgentilsetilsonttrèsenviedeteconnaître.—Jel’ouvremaintenant?demandal’enfantquin’avaitd’yeuxquepoursaboîte.—Biensûr,ettupeuxallerjouerdehors...—Quandtuaurasditbonjouràtoutlemonde,précisaMiles.Etsitusors,essayedenepastroptesaliravantledîner.—Ouais,grommelaJonah.Malgrélapromessedesonfils,Milesnesefaisaitaucuneillusion:ilnefautpastropendemanderàungamindeseptans,quellequesoitsabonnevolonté.—Allons-y!proposaSarah,maisjetemetsengarde...—Ausujetdetamère?—Commentas-tudeviné?plaisantaSarah.—Net’inquiètepas.J’auraiuneconduiteexemplaire.Ettoiaussi,n’est-cepas,Jonah?L’enfantacquiesçasansmêmeleverlesyeux.—Cen’estpasvotreconduitequimepréoccupe,maislasienne,soufflaSarahensepenchantversMiles.—Ah,vousvoilà!s’écriaMaureenquivenaitdesurgirdelacuisine,vêtued’unerobebleueetd’untablierblanc.SarahpoussaMilesducoude,etcelui-ciconstataàquelpointlamèreetlafilleétaientdifférentes.LescheveuxgrisonnantsdeMaureenavaientdûêtrenoirsend’autrestemps,alorsqueSarahétaitblonde.Grandeetmince,ellefrôlaitàpeine

lesolquandellemarchait;alorsquesamèresemblaitrebondiràchaquepascommeunballon.—J’aitellemententenduparlerdevous!s’écria-t-elleenaccueillantlepèreetlefilsavecdegrandsgestesdémonstratifs.Surcesmots,ellelesserracontresoncœur,sansattendrequeSarahaitfaitlesprésentations.—Jesuissicontentequevoussoyezvenus,reprit-elle,toutexcitée.Commevousvoyez,noussommesnombreux,maisvousêtesnosinvitésd’honneur.—Qu’est-cequeçaveutdire?marmonnaJonah.—Çaveutdirequetoutlemondeseréjouitdetevoir.—Maispersonnenemeconnaît,observainnocemmentl’enfant,entourédevisagesinconnus.Milesposaunemainrassurantesursonépaule.—Enchantédefairevotreconnaissance,Maureen,articula-t-il;etmercidenousavoirinvités.—J’ensuisravie,toutcommeSarah.—Maman!fitcelle-ci.—Tuesravie.Pourquoilenier?Aprèsmaintessimagrées,MaureenentrepritdeprésenterMilesetJonahauxgrands-parentsdeSarahetàl’ensembledelafamille-unedouzainedepersonnesentout.Milesdonnaplusieurspoignéesdemainàlaronde;Jonahsuivitsonexemple.«Voicil’amidemafille»,disaitMaureenavecunmélangedefiertématernelleetdejubilationquinelaissaitaucundoutesurcequ’elleentendaitparlà.Sonnuméroachevé,ellesetournaànouveauversMiles.—Quepuis-jevousoffriràboire?MilesoptapourunebièreetJonahpourunelimonade.—Jet’accompagne,maman,déclaraSarahenprenantsamèreparlebras.J’aisoif,moiaussi.Ellesfirentquelquespasendirectiondelacuisine,etMaureendonnalibrecoursàsonenthousiasme.—Jesuissiheureusepourtoi,Sarah!Ilestcharmant.J’adoresonsourire,etilm’atoutdesuiteinspiréconfiance.Sonpetitgarçonestunamour...Sarahluicoupalaparolepours’étonnerdel’absencedesonpère.—Jel’aienvoyéfairequelquescoursesdedernièreminuteavecBrian,répliquaMaureen.Ilmefallaitdespetitspainsetunebouteilledevinsupplémentaires.Sarahouvritlefouretjetauncoupd’œilsurladinde;uneboufféeodoranteemplitlacuisine.—Brianadoncfiniparselever?

—Ilparaîtfatigué.Ilavaitunexamenmercrediaprès-midi,etilestarrivéàminuitpassé.Laportedederrières’ouvritàcetinstant.LarryetBrianentrèrent,chargésdesacsqu’ilsdéposèrentsurlecomptoir.Sarahtrouvasonfrèreamincietplusadultequ’àl’époquedesondépart,enaoût.—Toutvabien?luidemanda-t-elleenl’embrassant.Ilyadessièclesquejenet’aipasparlé.—Çava.Ettoi?Contentedetonposte?Aprèsavoirbavardéunmomentavecsonfrèreetsonpèreetlesavoiraidésàrangerleursachats,Sarahleurannonçaqu’elleseraitheureusedeleurprésenterquelqu’un.—Mamanm’avaitprévenu,remarquaBrianavecunairdeconspirateur.Jesuiscontentquetuaiesfaitunerencontreintéressante.—Moiaussi.—C’estsérieux?Sarahremarquaquesamère,auxaguets,avaitcesséd’épluchersespommesdeterre.—Jenesaispasencore,dit-elled’untonévasif.Tuviens?—D’accord,fitBrianenhaussantlesépaules.Sarahluitapotalebras.—Jesuissûrequ’ilteplaira.Ettoi,papa,tunousaccompagnes?—J’arrivedansuneminute.Tamèrem’ademandédechercherlescoupelles.Laboîtedoitêtrequelquepartdanslecellier.SarahnetrouvaniMilesniJonahdansleliving.Milesvenaitdesortir,luiannonçasagrand-mère.Nelevoyantpasdevantlaporte,ellefitletourdelamaison.Jonahavaitdécouvertunpetittasdesable,oùilfaisaitroulersesMatchboxsurdesroutesimaginaires.—Tonamiestdansl’enseignement?demandaBrianàsasœur.—Non,maisjel’airencontréparcequej’aisonfilsdansmaclasse.Enfait,ilestshérifadjoint.Miles!Jonah!cria-t-elle.J’aiquelqu’unàvousprésenter.Jonahsereleva,révélantdeuxtachesbrunessursonpantalon,puisils’approchaavecsonpère.QuandSarahfitlesprésentations,BriantenditlamainàMilesd’unairemprunté.—Ravidevousconnaître!—Vousêtesétudiant?bredouillaMiles.—Oui,monsieur.Sarahéclataderire.—Détends-toi,dit-elleàsonfrère.Milesn’aquedeuxansdeplusquemoi.

BrianébauchaunsourireetJonahlevalesyeuxverslui.—Bonjour!—Bonjour,réponditBrianenreculantd’unpascommes’ildaignaitlecontactd’unenfant.—VousêteslefrèredeMlleAndrews?Elleestmoninstitutrice.—Jesais,marmonnaBrianentresesdents.—Oh!Lassé,Jonahsemitàjoueravecsesvoituresetpluspersonneneditmot.—Jenecherchaispasàm’éloigner,expliquaMilesunpeuplustardàSarah.Jonahm’ademandédevenirvoirs’ilavaitledroitdejouerici.Jepensequeçaneposepasdeproblème...—Aucun,pourvuqu’ils’amuse!Larry,lepèredeSarah,rejoignitlepetitgroupeetpriaBriand’allerchercheraugaragelescoupellesintrouvables.Lejeunehommes’éclipsa.Aussipeuloquacequesonfils,LarrysemblaitguetterlesexpressionssurlevisagedeMiles.Passélepremiermomentd’embarras,ilssetrouvèrentuncentred’intérêtcommun-leprochainmatchentrelesDallasCowboysetlesMiamiDelphins-etlaglaceserompit.Ilsparlèrentavecchaleur,puisLarryrentraàlamaison,laissantSarahavecMilesetJonah.—Tonpèreestunsacrégaillard,ditMilesquandJonahseremitàjouer.Audébut,j’avaisl’impressionqu’ilessayaitdedevinersi,ouiounon,nousavionscouchéensemble.Sarahritdeboncœur.—C’estfortpossible.Jesuissa«petitefille»,tusais.—Depuiscombiendetempstesparentssont-ilsmariés?—Prèsdetrente-cinqans.Jemedisparfoisquemonpèreestunsaint...—Nesoispasaussidure!J’aimebientamèreaussi.—Cesentimentm’aparuréciproque.J’aicru,unmoment,qu’elleallaitproposerdet’adopter.—Entoutcas,ellenesouhaitequetonbonheur.—Siellet’entendait,ellenetelâcheraitplus!Elleabesoindematernerquelqu’un,depuisledépartdeBrian.Àpropos...neteformalisepasdelatimiditédemonfrère:c’estungarçontrèsréservé,maisilsortiradesacoquilledèsqu’ilteconnaîtramieux.—Rassure-toi,jel’aitrouvésympathique.Àsonâge,jen’étaispastrèsloquacemoinonplus.Sarahouvritdegrandsyeux.—Sansblague?Moiquiteprenaispourunbrillantcauseur,d’uneéloquenceàtouteépreuve...

—Tun’aspashontedetemontrersarcastiqueunjourd’actiondegrâces!—Pasdutout.IlenlaçaSarah.—Tuadmettras,aumoins,quejemesuisconduitàlaperfection.—Iltefautuntrophéepourterécompenser?—Çanemedéplairaitpas.—Ehbien,regardecequetutiensencemomententrelesbras!s’exclamaSarahensouriant.L’après-midis’écoulasansincidents.Quandoneutdébarrassélatable,certainsmembresdelafamilleallèrentregarderlematch,d’autresaidèrentàrangerdanslacuisinelesmontagnesderestes.Aprèsavoirengouffrédeuxpartsdetartes,Jonahlui-mêmefinitparsedétendre.LarryetMilescausaientdeNewBernetdel’histoirelocale.Sarahfaisaitlanavetteentrelacuisine-oùsamèreluichantaitleslouangesdeson«ami»-etleliving,pourqueMilesetJonahnesesententpasdélaissés.Brianpassasontempsàlaveretsécheravecprécautionlavaisselledeporcelainedesamère.Unedemi-heureavantledépartdeMiles,ilsallèrentsepromenertouslestrois.JonahpritlamaindeSarahetl’entraînaenriantversunbosquet,auboutdelarue.C’estenlesregardantsefaufilerparmilesarbresqueMilespritconsciencedelagravitédel’événement.NonseulementilaimaitSarah,maisilavaitététouchéparsoninvitation,etils’étaitsentibienvenuàcettefêtedefamille,chaleureuseetdétendue.L’idéeluivintalorsdelademanderenmariageetnelelâchaplus.SarahetJonah,quijetaientdespetitscaillouxdansunruisseau,poursuivaientleurchemin.—Viens!criaSarah;nousexplorons.—Allez,p’pa,dépêche-toi!—Nem’attendezpas,jevousrejoindrai,réponditMiles.Perdudanssespensées,illeslaissas’éloignerdanslesprofondeursdubosquet.Lemariage...songeait-illesmainsdanslespoches.Lemomentn’étaitpasencorevenudesemettreàgenouxetdeprésentersademande,maisilnetarderaitpas.Sarahetluiétaientfaitsl’unpourl’autre.Enoutre,elles’entendaitmerveilleusementavecJonah;sanscela,iln’auraitjamaispuypenser.Undéclicsefîtenluietilsesentitplusdétendu.Maintenantquesadécisionétaitprise,leresten’étaitqu’unequestiondetemps.SarahetJonahavaientdisparudel’autrecôtéduruisseau,maisilnetardapasàlesrejoindre.Depuisdesannées,ilnes’étaitpassentiaussiheureux.DeThanksgivingàlami-décembre,MilesetSarahentretinrentunerelationamoureusedeplusenplusintenseetstable.

Milesfaisaitdesallusionsàleuravenircommun;elleyrépondaitparunecomplicitécroissante.Larénovationdelamaisonétaitl’undeleursterrainsd’entente.S’agissait-ilderepeindrelachambre?Sarahsuggéraituneteintejaunepâleetilsallaientchoisirlapeintureensemble.Lejardinavait-ilbesoind’unenotedecouleur?PuisqueSarahadoraitlescamélias,Milesenplantaitcinqbuissonsdevantlamaison,pendantleweek-end.L’enveloppedepapierkraftnesortaitplusduplacard,carMiless’étaitremisàvivredansleprésent.Entraînésparleurdésirdesetournerversl’avenir,Sarahetluinesedoutaientpasquelesévénementsallaientbientôtfaireobstacleàleurbonheur.

16Encoreunenuitblanche.Malgrémonenvied’allermerecoucher,jen’yparviendraipassansvousavoirracontécommentças’estpassé.L’accidentnes'estpasproduitcommevouslecroyezsansdoute,nicommeMilesl’aimaginé.Jen’avaispasbuetaucunedroguenetroublaitmalucidité.J’étaisabsolumentsobre.Ç’aétéunsimpleconcoursdecirconstances.J’yairepensédesmilliersdefoisdepuisquinzeans.Auxmomentslesplusimprévisibles,jemeretrouvelesoirdelamortdeMissyRyan.Ilyaquelquesannées,parexemple,j’étaisentraindechargerdescaissessuruncamiondedéménagementquandj’aiéprouvéuneémotionsifortequej’aidûm’interrompre.LejourJ,jedéchargeaisdescaissessurdespalettes,dansunentrepôtlocal.Jem’étaismisautravailtrèstôtetjedevaispartiràsixheures,maisonnousalivréunecargaisondetuyauxenplastiquejusteavantlafermeture.

Monemployeur,quiétaitàl’époquelefournisseurdepresquetouslesmagasinsdeCarolineduNordetduSud,m’apriéderester.J’aiacceptédeboncœur,carlesheuressupplémentaires,payéescinquantepourcentpluscher,étaientunesourcederevenusappréciablepourmoi.Jenepouvaispasmedouterquelecamionseraitpleinàrasbordetquejedevraism’acquitterdecettetâchesansaucuneaide.Nousétionsquatredansmonéquipe.L'undenousétaitmaladecejour-là,unautrenevoulaitpasmanquerlematchdebase-ballauquelparticipaitsonfils;maisdeuxpersonnespouvaientsuffire.Malheureusement,moncamarades’estfoulélachevillequelquesminutesaprèsl’arrivéeducamion,etjemesuisretrouvétoutseul...Enoutre,ilfaisaitchaud.Lachaleurmoiteettorridedel’entrepôtétaitàpeinesupportable.J’avaistravailléhuitheures;ilm’enrestaitencoretrois.Descamionsétaientarrivéstoutelajournée,etcommejen’étaispasemployérégulièrement,onmeconfiaitlestâcheslespluspénibles.Jedevaisenprincipedéchargerl’arrièredescamions,puistransporterlescaissessurdespalettesjusqu’auchariotélévateur.Mescopainsutilisaientàtourderôlel’élévateuretpouvaientfairedespausesdetempsentemps;pasmoi.Aprèsavoireffectuécedernierdéchargement,j’étaisvanné.Jepouvaisàpeineremuerlesbras,j’avaisdescrampesdansledos,et,surtout,jemesentaisaffamé.C’estpourquoi,aulieuderentrer'directementchezmoi,j’aidécidédem’arrêterauRhett’sBarbecue.Aprèsunelonguejournéedetravail,riennevautunbarbecue...jesuismonté,dansmavoitureenmedisantquej’allaispouvoirmedétendredansquelquesminutes.Jeroulaisàl’époquedansunvieuxtacottoutcabossé-unePontiacBonneville,déjàsurlesroutesdepuisunedouzained’années.Jel’avaisachetéed’occasionl’étéprécédentetpayéetroiscentsdollarsseulement.Ellen'étaitpasbelleàvoir,maiselleavaitunbonmoteuretj’avaisréglélesfreinsmoi-mêmeparmesuredesécurité.J’aidoncdémarréaucoucherdusoleil,àcetinstantétrangeoùlacouleurducielfluctuebizarrement,d’unesecondeàl’autre.Desombrespareillesà.delongsdoigtsdécharnéss’étalaientsurlesroutes.Commeiln’yavaitpasunseulnuage,lalumièredevenaitéblouissanteetjedevaisclignerdesyeuxpouryvoirclair.Devantmoi,unautreconducteursemblaitavoirencoreplusdeproblèmes.Ilpassaitsontempsàaccélérerouàralentirenfonctiondusoleil,etjelevisfranchirplusieursfoislalignemédiane.J’aifreinéàplusieursreprisesmoiaussi,puisjemesuislassé.Commelarouteétaittropétroitepourmepermettre,dedépassercevéhicule,j’aipréféréralentiretlelaissers’éloigner.J’ignorequiétaitauvolant,maisleconducteuraralentiàsontour.Quandladistances’estresserréeànouveauentrenous,j’aivusesfeuxdestopclignotercommedesampoulesdeNoëlet,brusquement,resterrouges.J’aifreinéàmort,mavoitures’estarrêtéenetavecuncrissementdepneus,etj’aimanquédepeula

voiturequiarrivaitensensinverse.Àcemoment,ledestinafrappéungrandcoup.Jeregretteparfoisdenepasavoirpercutécettevoiture,carj’auraisdûm’arrêter,clMissyRyanseraitrentréetranquillementchezelle.Aprèsavoirévitélechoc,j’aidécidédetourneràdroite,malgréledétour.CameliaRoadsillonnaitunancienquartierdelaville.Lesoleilavaitcessédem’éblouir.Quelquesminutesaprès,leciels’estassombrietj’aiallumémesphares.Laroutetournaitàdroite,puisàgauche,etbientôtlesmaisonssesontespacées.Lesjardinsdevenaientplusvastesetilyavaitmoinsdemondedehors.Auboutdequelquesminutes,jemesuisengagésurMadameMoore’sLane,quejeconnaissaisbien.QuelqueskilomètresseulementmeséparaientdeRhett’s.Jemerevoisentraind’allumerlaradio,dedéplacerl’aiguillesurlecadranetdel’éteindre;sansquitterlaroutedesyeux,jelejure.Unerouteétroiteettortueuse;maisjevousrépètequejelaconnaissaisparcœur.J’aieuleréflexedefreinerdansletournant.C’estalorsquejel’aiaperçue,etilmesemblequej’aicontinuéàralentir,maistouts’estenchaînésivitequejenepeuxjurerderien.J’arrivaisderrièreelleetl’espaceentrenousrétrécissaitàvued’œil.Jelarevoismarchantsurlebas-côtéd’unpastranquille.Elleportaitunchemisierblancetunshortbleu.Iln’yavaitpluspersonnedanslesgrandsjardinsdecequartier.Ellem’aentenduarriverderrièreelleetjecroismêmequ’ellem’aaperçuducoindel’œil.Elleafaitunpaspours’écarterdelaroute.J’étaisdoncvigilant,elleaussi,maisaucundenousdeuxn’avulechien.Commes’illaguettait,ilasurgid'unfourréquandellen'étaitplusqu’àquatreoucinqmètresdemavoiture,etilabondisurelleavecdesjappementsfurieux.Priseaudépourvu,elleabrusquementreculéetfaitunpasdetropsurlecôtédelaroute.Mavoiture-aumoinsdeuxtonnesdemétal—l’apercutéeàcetinstant.

17Àquaranteans,SimsAddisonavaittoutl’aird’unrat:nezpointu,frontfuyant,mentondontlacroissancesemblaitprématurémentinterrompue.Ilselissaitlescheveuxenarrièreàl’aided’unpeigneauxdentstrèsespacéesqu’ilportaittoujourssurlui.Enoutre,Simsétaitalcoolique.Paslegenred’alcooliquequiboitlesoir.Sesmainstremblaientlematinavantmêmequ’ilabsorbesonpremieralcooldelajournée;etsatournéeseterminaitàl’heureoùbeaucoupdegensnesontpasencorepartisautravail.Malgrésapréférencepourlewhisky,ildevaitlaplupartdutempssecontenterdevinsbonmarché.Ilenbuvaitdeslitres.Sesmaigresrevenussuffisaienttoutjusteàpayersesboissonsetsonloyer;ilpréféraitnepasdired’oùillestirait.Simsavaitledonparticulierdeserendreinvisible.Dongrâceauquelilétaitaucourantdetoutessortesderagots.Quandilbuvait,iln’étaitnibruyantniagressif.Rassurésparsonairhébété-yeuxmi-closetbouchedistendue-quiluidonnaitl’airplusivrequ’ilnel’étaitréellement,lesgensparlaientensaprésencedechosesqu’ilsauraientdûgardersecrètes.Simsgagnaitdoncunpeud’argentendonnantdestuyauxàlapolice.Pasn’importelesquels;uniquementceuxquiluipermettaientd’empochersarécompenseenrestantanonyme,carlescriminelssontrancuniersetilauraitrisquégross’ilavaittémoignécontreeux.Ilavaitétéincarcérépourdemenuslarcinsquandilavaitunevingtained’années;etdeuxfoisencore,àlatrentaine,parcequ’ilétaitenpossessiondemarijuana.Sontroisièmeséjourderrièrelesbarreauxl’avaitparticulièrementmarqué.Déjàalcooliqueàl’époque,ilavaitétépendantunesemainedansuneffroyableétatdemanque.Iltremblait,vomissait,etvoyaitdesmonstresdèsqu’ilfermaitlesyeux.Et,surtout,ilavaitfaillimourir:l’hommequipartageaitsacellule,n’enpouvantplusdel’entendrecrieretgémir,l’avaittabassé.Aprèstroissemainesàl’infirmerie,unjugedel’applicationdespeinescompatissantl’avaitplacéenlibertésurveillée.Onl’avaitprévenu,toutefois,qu’ilseraitréincarcérés’ilbuvaitoufaisaitusagededrogues.Simstremblaitdoncdepeuràl’idéederetournerenprison,maisilétaitincapablederestersobre.Audébut,ilavaitprislaprécautiondeneboirequechezlui,puisils’étaitmisàprendreunverreavecdescopains,toutensemodérant.Petitàpetit,ils’étaitenhardiàboiresursonchemin,sabouteillecachéedansunsacenpapier.Finalement,ilétaittropimbibéd’alcool,àtouteheure,pourentendrelapetite

sonnetted’alarmequiauraitpulerappeleràl’ordre.Toutallabienjusqu’aujouroùilempruntalavoituredesamère-bienqu’iln’aitpassonpermisdeconduire-pourrejoindresespotesdansunpetitbarminableauxabordsdelaville.Peuaprèsminuit,iltitubajusqu’àsavoiture,parvintparmiracleàsortirindemneduparkingetpritlarouteduretour.Quelqueskilomètresplusloin,ilaperçutdeslumièresrougesclignotantderrièrelui.MilesRyansortaitdesonvéhicule.—C’esttoi,Sims?fitMilesens’approchantlentement.Commelaplupartdesescollègues,ilconnaissaitbienSims,maisilbraquasatorcheélectriquesurluipours’assurerqu’ilnecouraitaucunrisque.—Salut,shérifRyan,articulaSimsavecpeine.—Tuasbu?Simsdétournalesyeux.—Non,j’ai...rienbu...—Mêmepasunebière?—Mêmepas!—Peut-êtreunverredevinaudîner?—Non.—Pourtant,tufaisaisdesembardéessurlaroute.—C’estlafatigue.Commepourdonnerplusdepoidsàsesparoles,SimsbâillaetMilesrespirauneboufféedesonhaleinealcoolisée.—Tuvasmemontrertonpermis,fit-il.—Hum...Jecroisquejel’aioubliéchezmoi...—Alors,sorsdetavoiture,fitMiles,satorcheélectriquebraquéesurSims.—Pourquoifaire?s’étonnacelui-ci.—Sors,jeteprie!—VOUSALLEZPASM’ARRÊTER?—Cessedefairedeshistoires!Sims,quiavaitbuencoreplusquedecoutume,restaunmomentperplexe.Levoyantimmobileetleregardfixe,Milesouvritlaportière.—Allons!reprit-ilenluitendantlamain.Simshochalatêteettentadesortirparsespropresmoyens,cequiserévélaplusdifficilequ’iln’auraitcru.AulieudefairefaceàMilesRyanetd’implorersonindulgence,ilseretrouvaàterreetperditimmédiatementconnaissance.Lelendemainmatin,Simsseréveillaenfrissonnant,etilluifallutuncertaintempspourréaliserqu’ilétaitderrièrelesbarreaux.Glacéd’horreuràcetteidée,ilseremémorapetitàpetitsadernièresoirée.Ilétaitallédansunbaravecdes

copains.Ensuite,toutdevenaitbrumeuxjusqu’aumomentoùilavaitvuceslumièresclignotantes;maisilavaitl’impressionquec’étaitMilesRyanquil’avaitcoincé.Àl’idéederefairedelaprison,sonfrontsecouvritdesueur.Maintenantqu’ilavaitrécapitulélesévénements,l’essentielétaitdetrouverunmoyendesetirerdelà.Pasquestionderetournerentaule,carilavaitlacertituded’encrever!Etpourtant,ilyétaitdéjà.Laprison.Lescoups.Lescauchemars.Lestremblements,lesvomissements,lamort...Ilselevadulitenseretenantaumur,puisiltitubajusqu’auxbarreauxpourregarderdanslecorridor.Troisautrescellulesétaientoccupées.QuandilsedemandasiMilesRyanétaitdanslesparages,deuxdétenusleprièrentdesetaire;letroisièmenedaignapasluirépondre.Deuxannéesautrou,voilàcequil’attendait.Iln’étaitpasasseznaïfpours’imaginerqu’onlelibéreraitouquel’avocatdel’assistancejudiciaireplaideraitl’indulgence.Sonsursisavecmiseàl’épreuvestipulaitqu’ilseraitréincarcéréàlapremièreinfraction.Aprèsavoirétéarrêtépourconduiteenétatd’ivresse,iln’auraitplusqu’àmoisirenprisonjusqu’àlamort...Ilessuyasonfrontmoitedureversdelamainetdécidadetenterl’impossiblepouréchapperàsontristesort.Sonespritsemitàfonctionnerparsaccades,deplusenplusvite.Leseulmoyendes’ensortirétaitdefaireannulersonarrestationdelaveille.Maiscommentdiableallait-ils’yprendre?Tupossèdesdesinformations,luisoufflaunepetitevoix.Milesvenaitdesortirdesadouchequandilentenditletéléphonesonner.IlavaitpréparélepetitdéjeunerdeJonahàl’heurehabituelleetill’avaitaccompagnéàl’arrêtdel’autocar;maisaulieudevaqueràsesoccupations,ils’étaitrecouchépoursommeillerunmoment.Iltravaillaitdemidiàhuitheurescejour-làetcomptaitpasserunesoiréetranquilleencompagniedeSarah,carJonahallaitaucinémaavecMark.Cecoupdetéléphoneallaitbouleversersesprojets.Uneservietteautourdelataille,ilréponditjusteavantledéclenchementdurépondeur.Charlieétaitauboutdufil.—J’aimeraistevoirauplusvite,ditcelui-ciaprèsavoiréchangéquelquesplaisanteriesaveclui.—Pourquoi?—TuasarrêtéSimsAddisonhiersoir,non?—Effectivement.—Jen’aipastrouvétonrapport.

—Unautreappelm’aobligéàrepartird’urgence.Jepensaisarriverenavancepourm’enoccuper.Unproblème?—Onvavoir...Quandpeux-tuvenir?L’insistancedesonchefsurpritMiles.—Dansunedemi-heure;jesorsjustedeladouche...—Ehbien,jet’attends.Viensmevoirdèsquetuseraslà.—Tunepeuxpasmedireendeuxmotsdequoiils’agit?—Dépêche-toid’arriversituveuxensavoirplus,fitCharlieaprèsunlongsilence.—Alors,raconte!demandaMiles,àpeinearrivé.Charliel’avaitentraînédanssonbureauetrefermélaportederrièrelui.—Raconte-moid’abordcequis’estpasséhiersoir,répliqualeshérif.—AvecSimsAddison?—Dis-moitout,deAàZ.—Hum...Jem’étaisposté,peuaprèsminuit,surlaroutedeBeckers-prèsdubardeVanceboro.Tuvois?Charlie,lesbrascroisés,parutseconcentrer.—J’attendais,aprèsunesoiréetranquille.Lebarallaitfermer.Versdeuxheuresdumatin,j’aivuquelqu’unensortiretj’aieulabonneidéedelesuivre:savoitures’estmiseàfairedesembardéessurlaroute.Quandj’aiarrêtéleconducteurpouruntestantialcoolique,j’airéaliséquej’avaisaffaireàSimsAddison.Sonhaleineempestaitl’alcool.Ensortantdesavoiture,ilesttombédanslespommes.Alors,jel’aiembarquéicietilareprisconscienceavantd’arriver.Çam’aévitédeleporterjusqu’àlacellule,maisj’aidûlesoutenir.Aumomentoùj’allaisremplirlespapiers,j’aieuunappelquim’aobligéàpartirimmédiatementetjenesuispasrevenu.CommejeremplaceTommieaujourd’hui,jecomptaism’enoccuperavantdeprendremontour.—C’esttout?fitCharliesansquitterMilesdesyeux.—Tunevaspasmereprocherdel’avoirbrutalisé?Jeterépètequejenel’aipastouché.Ilesttombé.Jet’assurequ’ilétaitcomplètementcuit...—Jenedispaslecontraire.—Alors,dequois’agit-il?—Encoreunequestion!Ilnet’ariendit,hiersoir?—Riendeparticulier.(Milesréfléchitunmoment.)Ilm’asaluéparmonnom,c’estàpeuprèstout...—Ilavaituncomportementbizarre?—Ilétaitdanslesvapes.—Hum!marmonnaCharlie,perdudanssespensées.—Allons,dis-moicequisepasse!insistaMiles.

Charliesoupira.—Simsveutteparler...Àtoi,personnellement,ilprétendavoirdesinformations.—Ahbon?—Iln’arienvoulumedire,maisilaffirmequec’estunequestiondevieoudemort.Àtraverslesbarreaux,Milesobservaleprisonnier,quiluiparutfortmalenpoint.Sapeauétaitjaunâtrecommecelledebeaucoupd’alcooliques,sesmainstremblaient,etsonfrontruisselaitdesueur.Assissurunlitdecamp,ilavaitlesbrascouvertsdetraînéesrouges,carils’étaitgrattéfrénétiquementpendantdesheures.Aprèsavoirapprochéunechaise,Miless’assitàcôtédelui,lescoudessurlesgenoux.—Tuvoulaismeparler?fit-il.Simsseretourna,surprisparlesondesavoix.Quandileutremissesidéesenplace,ilessuyasalèvresupérieure,levalatête,etmurmura:—Shérif...Milessepenchaverslui.—Qu’as-tuàmedire,Sims?D’aprèsmonchef,tuauraisdesinformationsàmecommuniquer.—Pourquoivousm'avezbouclé,hiersoir?J’avaisrienfaitdemal.—Tuconduisaisenétatd’ivresse!C’estundélit.—Pourtant,vousnem’avezpasencoreinculpé.OùvoulaitenvenirSims?sedemandaMiles.—Jen’aipaseuletemps,admit-ilentoutefranchise.Légalement,çaneposepasdeproblèmesijelefaismaintenant.Tun’avaisriend’autreàmeraconter?Milesfitunpasendirectionducorridor.—Attendez!lançaSims.—Oui?fitMilesentournantlatête.—J’aiquelquechosed’importantàvousdire.—D’aprèsCharlie,c’estunequestiondevieoudemort...Simspassaledosdesamainsurseslèvres.—Pasquestionquejeretourneentaule!Jesuisensursisavecmiseàl’épreuve.Sivousm’inculpez,c’estfoutupourmoi.—Quandoncommetuneinfraction,onvaenprison;tudevraislesavoir.—J’encrèveraisionm’envoieautrou.—Ilfallaitypenserhiersoir!MilesfitminedepartiretSimsselevadesonlitdecamp.—Vousallezpasmejouercetour-là!

Mileshésitauninstant.—Jen’ypeuxrien,Sims...—Vouspouvezmelibérer.J’aifaitdetortàpersonneetsionmeboucle,jesuisfoutu.C’estclaircommedel’eauderoche.—Queveux-tuquej’yfasse?—Ditesquevousvousêtestrompé.Quejezigzaguaisparcequejem’étaisendormiauvolant...—Désolé,marmonnaMiles,vaguementapitoyé.IlétaitdéjàdanslecorridorquandSimss’agrippaauxbarreauxdesacellule.—J’aidesinformationspourvous!—Onenreparleraquandj’aurairemplilespapiersteconcernant.—Attendez!LetonpéremptoireduprisonnierincitaMilesàs’arrêter.—Oui?fit-il.Lestroisoccupantsdescellulesvoisinesavaientétéemmenésàl’étage;maisSimss’assurad’unregardqu’iln’avaitomispersonne,avantdefairesigneàMilesdes’approcher.Celui-cirestaimmobile,lesbrascroisés.—Sijevousdonneunrenseignementimportant,vousretirezl’inculpation,chuchotaSimsenseraclantlagorge.Voilà,seditMiles,onyest!—Tusaisbienquejenepeuxrienfairesansenparlerauprocureur.—Non,çanemevapas!Vousconnaissezmesméthodesdetravail...Anonyme,etjamaisdedéclarationssousserment.CommeMilessetaisait,Simsregardafurtivementautourdeluipours’assurerunedernièrefoisquepersonnenel’entendait.—Jepeuxpasvousdonnerdepreuvetangible,maiscequej’aiàvousdireestvrai.Leprisonnierbaissalavoixetajoutad’untonmystérieux:—Jesaisquiestlecoupable.Milescrutsentirsescheveuxsedressersursatête.—Dequoiparles-tu?—Jepeuxpasvousendireplustantquevousm’avezpasrelâché...Miless’approchaentenantàpeinesursesjambes.—Medirequoi?demanda-t-il.—D’abord,faisonsundeal.Pourmesortird’ici,racontez-leurquevousn’aviezpasl’Alcootest.Donc,vousnepouvezpasprouverquej’avaisbu...—Pasquestiond’undeal!

—Pasdedeal,pasd’information...Lesdeuxhommessefaisaientface,lesyeuxdanslesyeux.—Çavousintéressedoncpasdesavoirquiestlecoupable?ditfinalementSims.LecœurdeMilessemitàbattrelachamade.Sesmainssecrispèrent.—Voussaureztoutsivousmerelâchez,ajoutaSims.Milesouvritlaboucheetlarefermaaussitôt.Sessouvenirsaffluaientcommel’eaud’unévierentraindedéborder.C’étaitincroyable,absurde,etpourtant...Siparhasardcethommeconnaissaitréellementl’individuquiavaitcausélamortdeMissy?—Tudevrastémoigner,articula-t-ilenfin.—Jamaisdelavie!fitSimsenlevantlesbrasauciel.J’airienvu,maisj’aientendudesgenscauser.S’ilsapprennentquej’aiparlé,jesuismort.Donc,jerefuseraidetémoigner;toutdoitresterentrevousetmoi.Sionm’interroge,jejureraiquejen’airiendit...Simshaussalesépaulesetplissalesyeuxenimitantsoninterlocuteur.—Àvousdedécidersivousvoulezsavoirlavérité.Sic’estoui,jepeuxvousladire.QueDieumefassetomberraidemortsijemens!—Parle!criaMilesens’agrippantauxbarreauxdetoutessesforces.—Quandvousm’aurezsortid’là,répliquaSims,imperturbable.Milesrestaunlongmomentàledévisagersansunmot.—J'étaisauRebel,ditenfinSims,lorsqueMileseutcédé.Vousconnaissezcetendroit,non?Ilessuyasescheveuxgrasdureversdelamainetajouta,sansattendreuneréponse:—Ças’estpasséilyadeuxans,environ.Jemerappelleplusexactement.Jeprenaisunverre,et,derrièremoi,j’aiaperçuEarlGetlindansunbox.Vousvoussouvenezdelui?Mileshochalatête.EarlGetlinétaitbienconnudelapolice.Cegrandescogriffeauvisagegrêléetauxbrascouvertsdetatouages-l’unreprésentantunlynchage,l’autreuncrânetranspercéparunpoignard-avaitdéjàétéarrêtépoursévicessexuels,poureffraction,pourventedemarchandisesvolées.Onlesoupçonnaitaussidefairedutraficdedrogue.IncarcérédepuisunanàlaprisoncentraledeHaileypourvoldevoiture,ilnerisquaitpasd’êtrelibéréavantquatreans.—Earljouaitnerveusementavecsonverre,repritSims.Ilavaitl’aird’attendrequelqu’un.Alors,jelesaivusentrer.LesTimson...Commej’aimepastropmefrotteràcesgars-là,j’aiévitédemefaireremarquer.Ilssesontassisenfaced’Earletilssesontmisàchuchoter,maisjepouvaistoutentendredel’endroitoùj’étais.MilesécoutaitSims,ledosraideetlaboucheaussisècheques’ilavaitpassédesheuresdehors,unjourdecanicule.

Aprèsunepause,Simspoursuivitsonrécit.—IlsmenaçaientEarl,quileurrépétaitqu’iln’avaitpasencorel’argent.Toutàcoup,Otisaprislaparoleetsesfrèresn’ontplusriendit.OtisaannoncéàEarlques’iln’avaitpaslepognonleweek-endsuivantilferaitbiendeseméfier,parcequec’étaitpasdansseshabitudesdeselaisserrouler.Milesclignadesyeux,levisageblême.—Ilaajouté,conclutSims,qu’ilarriveraitàEarllamêmechosequ’àMissyRyan.Mais,cettefois-ci,ilreculeraitpourpasserunesecondefoissursoncorps...

18Jemesouviensquejemesuismisàhurleravantmêmed'avoirarrêtémavoiture.Jemesouviens,aussi,del’impact—unlégersursautdelaroueetunbruitsourdquim’asoulevélecœur.Maisjemesouvienssurtoutdemescrisdéchirants.Ilsontrésonnéentrelesvitresferméesjusqu’aumomentoùj’aicoupélecontactetouvertlaportière.Mescrissesontalorsmuésenunesupplicationaffolée,etj’aisimplementmurmuré.:«Non,non,non...»Enrespirantavecpeine,j’aicouruversl’avantdelavoiture.Jen’aipasconstatédedégâts.MaPontiacétait,jevouslerappelle,unancienmodèle,conçu,poursupporterdefortsimpacts.Nevoyantpaslecorps,jem’attendaisàletrouvercoincésousmavoiture.L'estomacnoué,j’aiposémesmainssurmesgenouxetj’aifaillivomir;pourtantjenemedémontepasfacilement;lesgensapprécientmonsang-froid.Quandjemesuissentipluscalme,j’aicherchésousmavoiture.Toujourspasdecorps!J’aicourudanstouslessenssansrientrouver.Alors,jemesuismisàmarcherenregardantdesdeuxcôtésdelaroute.Monimaginationm’avait-ellejouédestours?J’espérais,malgrél’évidence,quej’avaissimplementfrôlécettefemmeetqu’elles'étaiteffondréquelquepart,inconsciente.J’aijetéuncoupd'œilderrièremaPontiac,puisdevant,àlalumière

demesphares.Commeellen’yétaitpasnonplus,j’aieuunesoudaineintuition.Aprèsavoirfaitquelquespashésitants,jel’aidécouvertedanslefossé,quelquesmètresplusloin.Devais-jecouriràlamaisonlaplusprochepourappeleruneambulanceoum’approcherd’elle?J’aipréférélasecondesolutionetjemesuisavancédeplusenpluslentement,commepourretarderlemomentdevérité.Elleétaitdansuneposturebizarre:unejambecroiséesurl’autreàpartirdelacuisse,legenoutordu,etlevisagedetravers.L’undesesbrasétaitcoincésoussoncorps,l’autreétenduau-dessusdesatête.Jelarevoissurledos,lesyeuxgrandsouverts.Jen’aipasréalisétoutdesuitequ’elleétaitmorte,maissonregardvitreuxm’afrappéauboutdequelquessecondes.Ilparaissaitfigé,commeceluid’unmannequindanslavitrined’ungrandmagasin.Soudain,j’airemarquélaflaquedesangsoussatête,etj’aitoutcompris.Sesyeux,lapositiondesoncorps,lesang...J’aidûfairequelquespassansm’enrendrecompteetm’évanouir.Quandj’airouvertlesyeux,j’étaisprèsd’elle,j’aiplacémonoreillesursapoitrine,puiscontresabouche,etj’aitâtésonpouls.Pasle,moindresursaut,paslemoindrebattementdecils...Rien.Parlasuite,l’autopsiearévéléqu’elleétaitmartesurlecoup.J’insiste:MissyRyann’avaitaucunechancedes’entirermêmesij’avaisagiautrement.Auboutdejenesaiscombiendetemps,jesuisalléd’unpaschancelantouvrirlecoffredemavoiture.J’aiprisunecouvertureetjel’aidéposéesursoncorps.Charlieasuggérélorsdel’enquêtequec’étaitunemanièrededemanderpardon.Iladevinéjuste,enpartie.Maisjevoulaisaussiéviterquequelqu’und’autrenevoiedesespropresyeuxcequej’avaisvumoi-même.J’airecouvertlecorpsdeMissypourcachermahonte...Ensuite,messouvenirssetroublent.Jemesouviensquej’airouléendirectiondemondomicile.Commentexpliquermafuite?Jen’avaissansdoutepaslesidéestrèsclaires.Alalumièredemonexpérience,jesaisquejeréagiraisdifféremmentaujourd'hui.Silesmêmescirconstancesseprésentaient,jemeprécipiteraisverslamaisonlaplusprocheetj’appelleraislapolice.Cesoir-là,jen’aipaseuceréflexe.Pourtant,ilnes’agissaitpasdedissimulation.Entoutcas,audébut.Jecroisquejesuisrentréchezmoiparcequejen’avaispaslechoix.J’étaisattiréparcerejugecommeunmoucheronparlalumièred’unporche.Unefoisrentré,jen’aipasfaitnonpluscequ’ilfallait.Aulieud'appelerlapolice,jemesuismisaulit,épuisé,etj’aidormijusqu’aulendemainmatin.Riendepire,auréveil,quecemomentoùnoussavonsinconsciemmentquequelquechosed’effroyables’estproduit,maisoùtousnossouvenirsnenoussontpasencorerevenusenmémoire.J’avaisl’impressionde.manquerd’air;ilm’a

suffid’inspirerpourquetoutresurgisse-laroute,lechoc,etlecorpsdeMissydanslefossé.Levisagecachéentremesmains,jerefusaisd’ycroire.Moncœurs’estemballédansmapoitrineetj’aiespéréqu’ils’agissaitd'unrêve.Undecesrêvesbizarresquiseconfondentaveclaréalitétantqu'onn'apassérieusementréfléchi.Hélas,c’étaitbienlaréalité.Deplusenplushorrifié,j'aieul'impressiondemenoyeraufondd'ungouffre.Quelquesminutesplustard,j'ailul’articledanslejournal,etc’estalorsquejesuisdevenuimpardonnable.J’aivulesphotosetj'ailulecompterendu.Despolicierssejuraientderetrouverlecoupablequoiqu’ilarrive.J’aicomprisaussitôtquecetragiqueaccidentpasseraitpouruncrime...Malgrélescirconstances,onm'accuseraitd’avoirtuécettefemmeetprislafuite.Or,cequej'avaisfaitlaveillenepouvaitpasêtreconsidérécommeuncrime.Jen'étaispasenpleinepossessionde,mesmoyensquandj'avaisdécidéderentrerchezmoi!Letéléphone,posésurlecomptoir,semblaitmefairesigne.Sij'aicommisuncrime,c'estdanslacuisine,quand,j’ai,regardécetéléphonesansoserprévenirlapolice.J’étaisbouleversé,maispleinementlucide.Mescraintesontpesé,pluslourdquemonsensdudevoir,etjenemériteaucuneexcuse.Affoléàl’idéed’allerenprisonpourunsimpleaccident,jemesuistrouvédesprétextespourattendre.Jemesuispromisd’appelerplustard,quandlecalmeseraitrevenu;ensuitej’aiattendulesobsèques.Letempsapassé,jen’airienfait,etunbeaujourj’airéaliséqu’ilétaittroptard.

19Sirèneshurlantesetgyropharesenaction,Milesfaillitdéraperdansuntournantetremitlepiedauplancher.AprèsavoirtiréSimsdesacellule,ill’avaitentraînédansl’escalieretàtraverslebureau,sansmêmes’arrêter.Charlieavaitraccrochésontéléphoneàlavuedesonvisageblême,troptardpourl’empêcherd’atteindrelaporte.Puisill’avaitrejointsurletrottoirpourluiordonnerdel’attendre,maisilcouraitdéjàverssonvéhicule.Etilavaitpoursuivisonchemin...—Quesepasse-t-il?avaitrugiCharlieenmartelantsavitreaumomentoùildémarrait.Aulieudebaissersavitre,illuiavaitfaitsignededégageretavaitfoncéhorsduparking,avecdegrandscrissementsdepneussurlebitume.Uneminuteplustard,Charliel’appelaitparradiopourluidemanderdesexplications.Iln’avaitpasprislapeinedeluirépondre.DupostedepoliceaulotissementdesTimson,onmettaitnormalementunquartd’heure;aveclasirèneetlesgyrophares,Milesfitletrajetenmoinsdehuitminutes.Ilétaitdéjààmi-cheminaumomentdel’appelradiodeCharlie.Surl’autoroute,ilfrôlalescentcinquantekilomètresàl’heure.Quandilarriva,hagard,devantlemobil-homed’Otis,ilavaitlesmainsengourdiesautourduvolant.Ilsesentaitfouderage.OtisTimsonavaitblessésonfilsavecunebrique.OtisTimsonavaittuésafemme.OtisTimsonavaitfaillis’entireràboncompte.Surlechemindeterre,lavoiturecahotait,tandisquelesarbresdéfilaientàlavitessedel’éclair.Aprèsunderniertournantàdroite,Mileslevalepieddel’accélérateur.Ilétaitpresquearrivé.Etlatorturequ’ilenduraitdepuisdeuxansallaitbientôtprendrefin...Ils’arrêtaaumilieudulotissementetsortitdelavoiture.Deboutàcôtédesaportièreouverte,ilbalayaleslieuxduregard.Riennebougea.Lesmâchoiresserrées,ilportalamainàsonétuiderevolveretsortitsonarme.OtisTimsonavaittuésafemme.Ill’avaitrenverséedesang-froidsurlaroute.Unsilenceinquiétantrégnaitsurlelotissement.Milesn’entendaitquelerythmeheurtédesarespirationetlecliquetisdumoteurentraindeserefroidir.Pasunsouffledanslesbranchesdesarbres,pasunpépiementd’oiseau.Malgrélefroidhivernal,lecielétaitclairetdégagécommeparunjourdeprintemps.Auboutdequelquessecondes,uneportes’entrouvritengrinçantcommeunvieilaccordéonrouillé.—Qu’est-cequevousvoulez?LavoixdeClydeTimson,fêléepardesannéesdecigarettessansfiltre.

Milessebaissa.Laportièredesavoitureferaitécransidescoupsétaienttirés.—JevienschercherOtis.Amenez-le-moi!Lamainduvieilhommedisparut;laporteclaqua.Ledoigtsurladétente,Milessentaitsoncœurs’emballer.Aprèslapluslongueminutedesavie,ilvitlaporteserouvrir,pousséeparlamêmemain.—Dequoionl’inculpe?—Amenez-le-moi,immédiatement.—Pourquoi?—Jeviensl’arrêter.Qu’ilsorte,lesmainslevées!Laporteclaquaunesecondefois,etMilesréalisalaprécaritédesasituation.Danssahâte,ils’étaitmisendanger,carilyavaitquatremobil-home-deuxenfaceetundechaquecôté.Bienqu’iln’aitaperçupersonne,illessavaithabités.Ilremarquaaussidenombreusesépavesdevoituresentrelesmobil-home.LesTimsonétaientpeut-êtreentraindel’encerclerpourgagnerdutemps.Ilauraitdûveniravecdesrenforts,ouendemandermaintenant.Non,iln’étaitplustemps!LaportefinitparserouvriretClydeapparut.Iltenaitd’unemainunetassedecafé,commesicegenred’événementétaitmonnaiecourante.EnvoyantlerevolverdeMilespointésurlui,ilesquissaunpasenarrière.—Qu’est-cequevousvoulez,Ryan?grommela-t-il.Otisarienfaitdemal.—Jeviensl’arrêter,Clyde.—Vousm’aveztoujourspasditpourquoi.—Ilserainculpédèssonarrivéeaupostedepolice.—Oùestvotremandatd’arrêt?—Jem’enpassedansuncaspareil!—C’estillégal;vousn’avezpasledroitdemedonnerdesordres.Tirez-vous,sivousn’avezpasdemandatd’arrêt.Onenamariedevoshistoires!—Jeneplaisantepas,grondaMiles.Sortez-led’ici,Clyde,oubienj’appelletouslesflicsducomtéetj’arrêtetoutetafamillepouravoircachéuncriminel.Cebluffportasesfruits.OtisapparutderrièrelaporteetMileslevisadesonarme;ilnesemblaitpasplusémuqueClyde.—Pousse-toi,papa,fitcalmementOtis.Milesdutseretenirpournepasappuyersurladétente.Maîtrisantsarage,ilseredressa,sonrevolvertoujourspointésurOtis.Puisilsemitàdécouvertenfaisantletourdesavoiture.—Dehors!cria-t-il.Otiss’avança,maisrestasurleporche,lesbrascroisés.—Dequoivousm’inculpez,Ryan?

—Tulesaisbien.Hautlesmains!—Jecomprendspascequevousmevoulez.Bravantledanger,Miless’avançaverslamaison,sondoigtcrispésurladétente.Ungested’Otis,unseul...—Sorsdelà!Otisjetauncoupd’œilàsonpère,bouillantd’indignation,maisleregarddeMileslepersuadadedescendrelesmarchesduporche.—Bon,dit-il,j’arrive...—Mainsenl’air!Desportess’étaientouvertesdanslesautresmobil-home;cependant,personnenebougeait.RaresétaientlesoccupantsdecelotissementquiavaientlaconsciencenettemaisilsnesesentaientpasviséspersonnellementetleregarddeMilesétaitceluid’unhommeprêtàtirer...—Àgenoux,toutdesuite!Otiseutbeauobtempérer,Milesnerengainapas.Ilavança,surlequi-vive.Lerestedumondeavaitcesséd’exister.Iln’yavaitplusqueluietlemeurtrier...Unelueurdecrainte-etpeut-êtredelassitude-passadanslesyeuxd’Otis,quirestaitmuet.Miless’arrêta,plongeasonregarddanslesienetamorçaunmouvementtournantverssondos.Lecanondesonrevolverfrôlaitpresquelatempedujeunehomme.Lescénariod’uneexécution...Unesimplepressiondudoigtsuffirait.Oui,ilallaitletuer,pourenfinir.IldevaitbiençaàMissyetàJonah.Jonah...L’imagedesonfilsleramenabrusquementàlaréalité.Ilhésitaencorequelquessecondespuispoussaunprofondsoupiretrengaina.Ildétachasesmenottesdesaceinture,lesplaçaautourdespoignetsd’Otisetbouclalesystème.Ilordonnaensuiteàsonprisonnierdeserelever.—Etmaintenant,tuasledroitdetetaire,lança-t-il.Clyde,d’abordfigésurplace,s’agitadanstouslessens,commeunefourmilièresurlaquelleonvientdemarcherparmégarde.—C’estillégal!rugissait-il.Jevaisappelermonavocat.Vousn’avezpasledroitdeveniricietdepointervotrearmesurmonfils.Ilcontinuaàs’époumonerjusqu’àcequeMilesinstalleOtisàl’arrièredelavoitureetdémarre.Lesyeuxrivéssurlaroute,leshérifadjointgardaitlesilence.Maintenantqu’Otisétaitàsamerci,iln’étaitpascertaindesecontrôlersileursregardssecroisaientdanslerétroviseur.Ilavaitbienfailliletuer.GrâceàDieu,ils’étaitretenuàtemps,maiscombiendefoisavait-ilenfreintlerèglement?Peut-êtreunedemi-douzaine...

IlavaitlibéréSimsetprocédéàunearrestationdesapropreinitiative-sansl’accorddesonchef,sansdemanderdesrenforts,etenplaçantlerevolvercontrelatemped’Otis.Charlieainsiqu’HarveyWellmanallaientluienfairevoirdetouteslescouleurs.Adviennequepourra!sedit-ilenregardantlalignepointilléedéfileràtoutevitesse.Ilavaitrongésonfreinpendantdeuxans;l’essentielétaitqu’Otissoitenfermé.—Pourquoivousm’arrêtez?demandaplatementleprisonnier.—Tuvaslafermer?—J’ailedroitdesavoirdequoionm’accuse.Miles,écumantdecolère,seretournasansunmot,etOtisajoutaavecunflegmeinattendu:—Vousvoulezquej'vousdiseunpetitsecret?Jemedoutaisquevousn’alliezpastirer.C’étaitpaspossible...Miles,écarlate,semorditleslèvres.—Àpropos,voussorteztoujoursaveccettefillequevousavezamenéeàlaTaverne?insistaOtis.Jemedemandais,parceque...Milesenfonçalapédaledefrein.Lespneuscrissèrent,laissantdestracesnoiressurlachaussée.Otis,quin’avaitpasdeceinturedesécurité,futprojetéenavant,puisenarrière-commeunyo-yo-dèsqueMilesappuyasurl’accélérateur.Pendantlerestedutrajet,Otisn’ouvritpluslabouche.

20—Sapristi,tuvasm’expliquercequisepasse?grondaCharlie.Milesvenaitd’entrerdanslebureaudushérif,aprèsavoirboucléOtisdansl’unedescellules.Quandcelui-ciavaitexigédevoirsonavocat,ils’étaitdirigéversl’escaliersansunmot.Charlierefermalaportederrièrelui,tandisquelesautrespolicierstournaientlesyeuxverslafenêtre,histoirededissimulerleurcuriosité.—Çacrèvelesyeux,marmonnaMiles.Charliecroisalesbrassursonbureau.—Soyonssérieux,s’ilteplaît.Tuvasrépondreimmédiatementàmesquestions!CommençonsparSims.Jeveuxsavoirpourquoitun’aspasremplilespapiers,pourquoitul’asrelâché,etpourquoic’était«unequestiondevieoudemort».Tumedirasensuitepourquoituespartid’icicommeunfouetpourquoiOtisestenferméausous-sol.Pendantlesquinzeminutessuivantes,Milesluifitunrécitdétaillédesévénements.Ill’écouta,abasourdi,toutenmarchantdelongenlarge.—Dequanddatecettehistoire?s’étonna-t-il.

—Àpeuprèsdeuxans...Simsnesesouvenaitpasexactement.—Tul’ascru?Mileshochalatête.Aprèssaviolentedécharged’adrénaline,ilsesentaitétrangementlas.—S’ilmentait,ilestunacteurdepremièrecatégorie.—Donc,tul’aslibéré,constataCharlie.—Ças’imposait.—Non,Miles,ladécisionnet’appartenaitpas!Tuauraisdûmeconsulterd’abord.—Tun’étaispaslà.Etsijevousavaismêléàcetteaffaire,Harveyettoi,ilnem’auraitriendit.Jemesuisfiéàmonintuition,et,contrairementàcequetucrois,j’aiobtenularéponsequejecherchais.Charlie,pensif,regardaparlafenêtre.Cettehistoiresentaitmauvais.Milesavaitoutrepassésesdroitsetilauraitfortàfairepoursejustifier,maiscen’étaitpastout.—Quevautcetteréponse?marmonna-t-ilenfin.Mileslevalesyeux.—Tuasdesdoutes?—Permets-moid’êtresceptique!Menacédefairedelaprisons’ilnetrouvepasunarrangement,Simsprétendtoutàcoupavoirdesinformationsàtecommuniquer.(CharliefitfaceàMiles.)Oùétait-il,ilyadeuxans?Onavaitoffertunerécompense.Sachantdequoiilvit,commentt’expliques-tuqu’iln’aitrienditàl’époque?—Ilapeut-êtreeupeur...Ouilment,pensaCharlie.—Écoute,repritMiles,commes’ilavaitludanssespensées,ilsuffitdeparleràEarlGetlin.S’ilconfirmelaversiondeSims,onluidemanderadetémoigner.Charlierestasilencieux.Milesétaitentraindelefourrerdansunsacrépétrin!—Jeterappellequ’ilarenversémafemme,ajoutaMiles.—Simsditqu’Otisditqu’ilarenversétafemme...çafaitbeaucoupdeon-dit.—TuconnaismonproblèmeavecOtis.Charlielevalesmainsauciel.—Sijeleconnais!D’ailleurs,jeterappellequenousavonsvérifiél’alibid’Otisenpremier.Destémoinsontaffirméqu’ilétaitchezluilesoirdel’accident.—Ils’agissaitdesesfrères!—Bienquetun’aiespasparticipéàl’enquête,tusaisqu’onamislepaquetpourtrouverlaclefdel’énigme.Onn’estpasunebandedebouffons,etleshommesdelapatrouilleroutièrenonplus.Onn’ariennégligéparcequ’onvoulait,autantquetoi,connaîtrelavérité...Onainterrogélessuspects,onafaitfairedesanalysesen

laboratoire,maisonn’atrouvéaucunindiceconcernantOtis.Aucun!—Riendemoinssûr.—BeaucoupplussûrquelaversiondeSims,soupiraCharlie.Tuesrongéparledoutedepuisl’accidentdeMissy,etjet’assurequejesuisdetoutcœuravectoi.SiBrendaavaitétélavictime,j’auraisprobablementcherché,moiaussi,àdécouvrirlecoupableparmespropresmoyens...Mais,tusaisquoi?Charlies’interrompitpourvérifierqueMilesl’écoutait.—Jen’auraispascrulepremiervenu,surtouts’ils’agissaitd’untypecommeSims,repritleshérif.Sais-tuàquituasaffaire?SimsAddisontrahiraitsapropremèresiçapouvaitluirapportertroissous.Tudevraisréaliserqu’ilestprêtàtoutquandsalibertéestenjeu...—Ilnes’agitpasdelui.—Biensûrquesi!Ilt’auraitditn’importequoipournepasretournerentaule.Comprends-tu?—Ilnem’auraitpasmentiàcesujet.CharlieregardaMilesdroitdanslesyeux.—Pourquoipas?Parcequec’esttroppersonnel?Tropimportantpourtoi?Cetypeabeaupicoler,c’estunmalin.Ilasucomments’yprendrepourtefairecraquer.—Tun’étaispaslàquandilm’aparlé.Situavaisvusonvisage!—Jelevoiscommesij’yétais.Supposonsmaintenantqu’ilaitditlavéritéetoublionslefaitquetun’étaispasautoriséàlelibérersansnousconsulter,Harveyoumoi.Ehbien,tutefiesàdesimplesragots!Simsn’estpasuntémoindirect...—Çan’estpasnécessaire.—Allons,Miles!Tuconnaislaloimieuxquequiconque.Onnepeutpascroireàdeson-dit,donctun’aspasdepreuves.—EarlGetlinpeuttémoigner.—Quileprendraausérieux?Avecsestatouagesetsoncasierjudiciaire,ilauradumalàconvaincrelejury.Etpuis,Miles,tunégligesunpointimportant.—Lequel?—Queferas-tusiGetlindémentlesproposdeSims?—Danscecas,Otisdevrapasserauxaveux.—Jedoutequ’ilaccepte.Àmoinsquetun’exercesunepressionsuffisantesurlui.Milesseleva,àboutdenerfs.—Écoute,Charlie,martela-t-il,OtisatuéMissy.C’estclair?Quelquechoseadûvouséchapperaumomentdel’enquête,etpourrienaumondejenelâcheraiprise.(Ils’approchadelaporte.)J’aiunprisonnieràinterroger...Charliepivotasurlui-mêmeetrefermalaporte.

—Miles,tuferaismieuxdenepastemêlerdecetteaffairepourl’instant.—Nepasm’enmêler?—Exactement.C’estunordrequejetedonne.—Ils’agitdeMissy,Charlie!—Non,ils’agitdel’undemeshommesquiaoutrepassésesdroitsetprisdefâcheusesinitiatives.Ilssetoisèrentuninstant,etCharliehochalatête.—Miles,conclut-il,jecomprendstonémotion,maistudoisgardertonsang-froid.JeparleraiàOtis,j’iraitrouverSims,etjem’arrangeraipourrencontrerEarl.Rentrecheztoi,etrestetranquilleaujourd’hui!—Jeviensd’arriver...Charlieposalamainsurlapoignéedelaporte.—Aucuneimportance!Considèrequetajournéeestterminéeetlaisse-moiprendrecetteaffaireenmain.Depuisprèsdetrenteansqu’ilétaitshérif,Charlieavaitapprisàsefieràsonintuition.Etsonintuition,pareilleàunsignald’alarme,luidictaitlaprudence.Maisparoùcommencer?SansdouteparOtis,puisqu’ilétaitausous-sol.Pourtant,ilauraitpréféréinterrogerSimslepremier.MilesaffirmaitqueSimsnementaitpas;vulescirconstances,ildoutaitdesonobjectivité.IlavaitétéuntémoinprivilégiéducombatmenéparMilesaprèslamortdeMissy.Dieu,qu’ilss’étaientaimés,cesdeux-là!Toujoursàéchangerdesregardslangoureux;etlanaissancedeJonahn’avaitrienchangé.Brendadisait,pourplaisanter,quemêmeàlamaisonderetraiteilssebécoteraientencore.SansJonah,Milesn’auraitprobablementpassurvécuàsondeuil.D’ailleurs,ilavaitbienfaillisedétruireàpetitfeuenabusantdel’alcooletdutabac.Ilavaitmaigri,perdulesommeil,etl’idéequ’ils’agissaitd’uncrimel’avaitlongtempsobsédé.Oui,uncrime...Milesnecroyaitpasàlapossibilitéd’unaccident.Charliemartelasoncrayoncontresonbureau.C’étaitlefondduproblème.Iln’ignoraitriendel’enquêtepersonnellemenéeparsonadjoint,etiln’avaitpaspulefreiner.HarveyWellmanavaitpestécontrelui,maisqu’yfaire?Ilssavaientparfaitementl’unetl’autrequeMilesdonneraitsadémissionsionl’obligeaitàcéder.Grâceauciel,ilavaitréussiàleteniràdistanced’OtisTimson.L’animositéentrecesdeuxhommesdépassaitlanorme.TouslescoupspendablesmontésparlesTimsonyétaientpourquelquechose;maislatendancedeMilesàlescoincersouslemoindreprétexterendaitlasituationexplosive.Otispouvait-ilavoirrenversévolontairementMissyRyan?Cettehypothèseétaitplausible,carOtisétaitagressifetbagarreur.Maisiln’avait,apparemment,jamaisfranchicertaineslimites.Pourl’instant.Enoutre,l’enquêteavaitétémenéeaveclaplusgrandediligence.Auraient-ilsparhasardnégligéun

indice?Ilpritsonbloc-notesetinscrivitsespenséesaufuretàmesurequ’ellesluitraversaientl’esprit.SimsAddisonment-il?Parlepassé,ilavaittoujoursétéunboninformateur,maisl’enjeuétaitplusimportantqued’habitude.Iln’avaitpasparlépourdel’argent,maispoursauversapeau.Cettedifférencelerendait-ellepluscrédible?Oumoins?Ilallaitavoiruneconversationaveclui.Sipossible,lejourmême.Lelendemainauplustard.Reprenantsonbloc-notes,Charliegriffonnalenomsuivant.EarlGetlin.Quevadirecetype?S’ilneconfirmaitpaslesproposdeMiles,inutiled’insister.IllibéreraitOtis,etilluifaudraitaumoinsunanpourconvaincreMilesquesonennemijurén’étaitpascoupable-aumoinsdececrime-là.MaissiEarlconfirmait?Avecsoncasierjudiciaire,iln’étaitpasuntémoindechoix;etilexigeraitévidemmentquelquefaveurenéchangedesontémoignage,cequifaittoujoursmauvaiseimpressionauxyeuxd’unjury.Entoutcas,ilfallaitluipariersur-le-champ.Aprèsavoirplacésonnomentêtedeliste,ilennotauntroisième.OtisTimson.Coupableounon?S’ilavaittuéMissy,ladénonciationdeSimsprenaitdupoids.Maisquefairealors?Legardersouslesverrousetprocéderàuneenquêtecomplémentaire?Lelibérerpendantl’enquête?Detoutefaçon,HarveyneseraitpastropfavorableàuneprocédurebaséeuniquementsurSimsAddisonetEarlGetlin.Etquepouvaient-ilsespérer,deuxansaprèsl’événement?Malgrésesdoutes,ilallaitrouvrirl’enquête.Autantpourlui-mêmequepourMiles.Plusieurshypothèsesluisemblaientenvisageables.SimsavaitditlavéritéetEarlconfirmaitsespropos-unehypothèsedouteuse,maisànepasnégliger.Danscecas,pourquoiOtisavait-ilparlé?Probablementparcequ’ilétaitcoupable.Alors,iln’yavaitplusqu’àreprendrel’affaireàzéro.Maissi...Unenouvellehypothèseseprésentaàlui.MaissiOtisavaitmentilesoiroùSimsl’avaitentendumenacerEarl?Charlie,pensif,fermalesyeux.Otisavaitpusevanterd’avoircommisuncrimerestéimpuni...Dansquelbut?ObligerEarl,souslamenace,àluirendresonargent.Ouaurait-ilmanigancélecoup,sansfairelesaleboulotlui-même?Maiscommentpouvait-ilsedouterqueMissyiraitmarchersurlaroutecesoir-là?LespenséesdeCharlietourbillonnaientdanssatête.Ilsefrottalestempesetposasoncrayon.Danscetteaffaire,Sims,EarletOtisétaientenjeu;maisaussiMiles-sonadjoint,sonami.

Fallait-ilconclureunaccordavecSimsetrenonceràfaireunrapportàsonsujet?PuistraînerleplusvitepossibleOtisenjustice,sansprendrelapeined’interrogerEarlGetlin?Harveyn’étaitpasunmauvaisbougre,maissaréactionallaitposerdesproblèmes.—Madge!appelaCharlieensoupirant.Sasecrétaire,unefemmerondeletteetgrisonnante,passalatêtedanssonbureau.Elleavaittoujourstravailléavecluietilnepouvaitrienluicacher.SaconversationavecMilesétait-elleparvenueàsesoreilles?—JoeHendricksesttoujoursdirecteurdelaprisondeHailey?fit-il.—TomVernonadûluisuccéder.Charliesesouvintqu’ilavaitluquelquechoseàcesujet.—Vouspouvezmecherchersonnumérodetéléphone?—Toutdesuite.Jel’aidansmonbureau.Moinsd’uneminuteaprès,MadgetendaitàCharlielafichedeVernon.Illapritavecunairétrangeetelleattendit,aucasoùilsouhaiteraitluiendireplus.Iln’enfitrien.—EarlGetlin?Oui,nousl’avonstoujoursici,fitTomVernonauboutdufil.Charliegriffonnaitsurunpapierposédevantlui.—Ilfautquejeluiparle.—Unproblèmeofficiel?—Oui,sionveut.—Quandcomptez-vousvenir?—Cetaprès-midi,sipossible.—Vousêtesbienpressé!Çaparaîtsérieux...—Eneffet.—J’annoncevotrevisitepourquelleheure?Charlieconsultasamontreetdécidaderenonceràsondéjeuner.—Quatorzeheures;çavousva?—D’accord.Jesupposequevousaurezbesoindeluiparlerenpetitcomité.—J’aimeraisautant.—Pasdeproblème!Àtoutàl’heure.Charlieprenaitsaveste,aprèsavoirraccroché,quandMadgeréapparutdanssonbureau.—Vousallezlà-bas?—Illefaut.—JevoussignalequeThurmanJonesaappelé.Ilsouhaiteraitvousparler.ThurmanJones,l’avocatd’OtisTimson.

—S’ilrappelle,dites-luiquejeseraideretourverssixheures.—Ilnepeutpasattendre,paraît-il.Cesavocats...Toujourspressésquandilsontquelquechoseàvousdire,songeaCharlie;quandonveutlesjoindre,c’estuneautrepairedemanches.—Ilvousaditdequoiils’agit?—Non,maisilm’asembléfurieux.Commedejuste!Sonclientétaitderrièrelesbarreauxetn’avaitpasencoreétéinculpé.Riend’illégalpourl’instant,maisiln’avaitpasintérêtàtraîner.—Dites-luidemerappeler,maugréa-t-il.Madgehochalatête,leslèvrespincées.—Autrechose?s’enquitCharlie.—Harveydemandeaussiàvousparler.C’esturgent...Charlieenfilasaveste.Unjourpareil,unappeld’Harveyn’avaitriendesurprenant.—S’ilrappelle,faites-luilamêmeréponse.—Mais...—Madge,inutiledediscuter!Maintenant,envoyez-moiHarris;j’aiunemissionàluiconfier.Madgeobtempéra,lessourcilsfroncés.HarrisYoung,unjeunepolicier,entradanslebureau.—TuvasmetrouverSimsAddisonetleteniràl’œil,luiordonnaCharlie.—Jel’arrête?demandaHarris,perplexe.—Non.Retrouve-leetveillesurluileplusdiscrètementpossible.—Combiendetemps?—Aumoinsjusqu’àmonretour.Jereviensverssixheures.—J’auraipresqueterminémonservice...—Jesais.—Qu’est-cequejefaissionmedemandeailleurs?—Tun’yvaspas.Aujourd’hui,tuteconsacresàSims.Jevaistefaireremplacer.—Toutelajournée?Charlieadressaunclind’œilnarquoisàHarris.—Oui,monvieux.N’est-cepasunbeaumétierquetuexerceslà?AprèssonentrevueavecCharlie,Milesnerentrapasdirectementchezlui.Ilerraenville,sansbutprécis,maissoninstinctlemena,commeparhasard,versl’archeenmarbreducimetièredeCedarGrove.Unefoisgaré,ilsefaufila,aumilieudestombes,jusqu’àcelledesafemme.Surladalle,unpetitbouquetdefleursfanéessemblaitdéposélàdepuisplusieurs

semaines.MilestrouvaittoujoursdesfleurssurlatombedeMissy.Desfleursanonymes...Danslaviecommedanslamort,elleseraittoujoursaimée.

21DeuxsemainesaprèslesobsèquesdeMissyRyan,j’étaisaulit,unmatin,quandunoiseaus’estmisàgazouillerderrièremescarreaux.J’avaislaissémafenêtreouvertetoutelanuit,àcausedel’insupportablemoiteurdemachambre.J’avaisunsommeilagitédepuisl’accidentetjemeréveillaissouventdansdesdrapstrempésdesueur.Tandisquej'écoutaisl’oiseau,l’odeurdouceâtredematranspirationestparvenuecommed'habitudeàmesnarines.J’aiessayéd’ignorerl’oiseaudansl’arbre,d’oublierquej’étaistoujoursvivant,alorsqueMissyRyanétaitmorte.Jen’aipasréussi...«Jesaisquituesetcequetuasfait»,semblaitmedirel’oiseaumoqueur,quis’égosillaitsurunebranche.Lapolicenetarderaitpasàarriver...C’étaitunaccident,maisl’oiseausavaitquejen’enavaispluspourlongtemps.Lapoliceallaitmesoupçonnerd’avoirétéauvolantcesoir-là.Onallaitfrapperàmaporte,despoliciersallaiententrer,etl’oiseauallaitmedénoncer.C’étaitabsurde,mais,dansmondélire,plusriennemesurprenait.Onallaitbientôtm’arrêter...Entrelespagesd’unlivrerangédansuntiroir,j’avaisglissélanoticenécrologiquedeMissy.Jegardaisaussi,pliéesàcôtédecelivre,descoupuresdepresseconcernantl’accident.C’étaitdangereux,carpersonnenepourraitdouterdemaculpabilitéaprèslesavoirtrouvées,maisjenepouvaispasm’enpasser.Loindemeprocurerunréconfort,cesarticlesm’aidaientàprendreconsciencedel’actequej’avaiscommis.Cesmotsetcesphotosétaientanimésdusouffledelavie,alorsquemachambre-d’oùj’entendaisl'oiseaucematin-là-étaithantéeparlamort.Jefaisaisdescauchemarsdepuislesobsèques,j’avaisrêvéunefoisqueleprêtres'interrompaitaumilieudel'officeetdéclaraitenmemontrantdudoigt:«Voicilecoupable.»Touslesvisagessetournaientversmoilesunsaprèslesautres,commeunevaguedansunstadebondé,etlesgensmedévisageaientd'unairhorrifié.SeulsMilesetJonahm’ignoraient.Figésurplacedansl’églisesilencieuse,jemedemandaiss’ilsallaientseretournerpourvoirquiavaitétédésigné,maisilsnebougeaientpas.Dansunautrecauchemar,jeretrouvaisMissyvivantedanslefossé.Ellegémissaitetrespiraitavecpeine,maisjemedétournaisetlalaissaismourirtouteseule.Quandjem’étaisréveillé,haletant,j'avaisdûfairelescentpasdansmachambrepourretrouverlaréalité.

Missyétaitmorted’untraumatismecrânien,suivid’unehémorragiecérébrale—d’aprèscequej’avaisludanslesjournaux.Jeneconduisaispasvite,jetiensàlerappeler,maiselles’étaitcognélatêtecontreunepierreenatterrissantdanslefossé.Unmalheureuxconcoursdecirconstances,commeiln’enarrivequ’unefoissurunmillion.Pourtant,ilm’arrivaitencored’avoirdesdoutes.Milesmesoupçonnerait-ilaupremierregard?Unesorted'intuitiondivineluirévélerait-ellequej'étaiscoupable?Queluidirais-jes’ilm’accusait?S’intéresserait-ilaufaitquej’aimelebase-ball,quelebleuestmacouleurfavoriteetqu’àseptansjesortaisencachettepourobserverlesétoiles?Non,ils’enficherait.Cequiluiimportait,c’étaitquelemeurtrieravaitlescheveuxbruns,lesyeuxvertsetmesurait,unmètrequatre-vingts.Ilvoudraitsavoiroùjemecachaisetcommentc’étaitarrivé.Quedirait-ilenapprenantqu’ils’agissaitd’unfunestehasard?QueMissyétaitmorte,parsaproprefaute,plusqueparlamienne?Quesiellen’avaitpascourulanuitsuruneroutedangereuse,etsautépratiquementsouslesrouesdemavoilure,elleseraitrentréesansencombrechezelle?j’airemarquéque,dehors,l'oiseauavaitcessédepépier.Pasunebrancheneremuaitetj’aientendulelégergrondementd’unevoitureentraindepasser.Ilfaisaitdéjàchaud.MilesRyandevaitêtreréveilléluiaussi.Jel’imaginaisassisdanssacuisineavecJonahdevantunboldecéréales.Quesedisaient-ils?Leursparolesétaient,unmystèrepourmoi,maisjecroyaisentendreleursoufflerégulier,ponctuéparlecliquetisdeleurcuillère.J’aiportémesmainsàmestempes,dansl’espoird’apaisermadouleur.Devéritablescoupsdepoignardmetransperçaientaurythmedémentdemarespiration,etj’avaisdevantmoilevisagedeMissy,lesyeuxgrandsouvertssurlenéant.

22CharliearrivaàlaprisoncentraledeHaileypeuavantdeuxheures.Sonestomacgargouillait;ilavaitlesyeuxfatiguésetlesjambesankyloséescommesisacirculationsanguines’étaitbloquée.Ilsefaisaitvieux.Tropvieuxpourresterassistroisheuressansbouger...IlauraitdûécouterBrendaquandelleluiavaitconseillédeprendresaretraitel’annéeprécédente,etdeseconsacreràdesoccupationsgratifiantes-commelapêcheàlaligne.TomVernonvintl’accueilliràl’entrée.Danssoncostumedeville,ilavaitl’allured’unbanquierplutôtquedudirecteurdel’unedesprisonslesplusstrictesdeCarolineduNord.Sescheveuxstriésd’argentétaientsoigneusementpeignés,laraiesurlecôté.Droitcommeuni,iltenditlamainàCharlie.Celui-cinotaaupassagequ’ildevaitsefairefairelesonglesparunemanucure.Vernonl’invitaàentrer.Laprisonétait,commedejuste,froideetmorne.Partoutducimentetdel’acier,éclairésd’unelumièreaunéon.Ilss’engagèrentdansunlongcouloirmenantaubureaudeVernon.Unepiècenonmoinslugubrequelerestedel’édifice.Desmeublesréglementaires,depuislatablejusqu’auxlampesetauxclasseursdisposésdansuncoin.Unepetitefenêtreàbarreauxdonnaitsurlacouroùsetenaientlesprisonniers.Certainssoulevaientdespoids,d’autresétaientassisoudeboutparpetitsgroupes.Laplupartfumaient.Quelleidéedeporteruncostumedansunendroitpareil!seditCharlie.—Jevousprieraid’abordderemplirquelquesformulaires;voussavezcequec’est,fitledirecteur.Iltenditsonstyloaushérif,sansluilaisserletempsdetrouverlesien.—VousavezannoncémavisiteàEarlGetlin?s’enquitcelui-ci.—Jesupposequevousn’yteniezpas.—Est-ilprêtàmevoir?—Nousvousl’amèneronsdèsquevousserezinstallé.Maisj’aimeraisd’abordvousdireunmotàsonsujet,pourvotregouverne.—Ahoui?—Voilà.EarlGetlinaétémêlé,l’annéedernière,àunebagarre...C’esttoujourslamêmehistoire,enprison.Personnenevoitrien,personnenesaitrien,et...Vernonsoupira.—Finalement,ilaeuunœilarrachéàl’occasiondecepugilat,danslacour.Ilessayedenousintenterjenesaiscombiendeprocès,sousprétextequenoussommesresponsables.

Charlieécoutait,intrigué.PourquoiVernonluidonnait-iltantdeprécisions?—D’autrepart,repritledirecteurdelaprisonaprèsunsilence,ilatoujoursdéclaréqu’iln’avaitrienàfaireici.Ilauraitétépiégé...(Vernonlevalesmainsauciel.)Onconnaîtlachanson:tousnosdétenusseprétendentinnocents...Maisjepeuxvousassurerqu’ilnevousdonneraaucuneinformations’iln’apasl’espoird’unecontrepartie.Biensûr,iln’hésiterapasàmentir...Vernonavaitbeauressembleràunegravuredemode,ilensavaitlongsurcequisepassaitdanssaprison,constataCharlie,perplexe.—Selonlui,quil’auraitpiégé?fit-il,aprèsavoirparcourulesformulairesrituels.Vernonlevaundoigt.—Jevousledisdansuneminute.Ilcomposaunnumérodetéléphoneetremercialapersonnequil’avaitrenseigné.—D’aprèscequenoussavons,ils’agiraitd’uncertain...OtisTimson.Charlienesuts’ildevaitenrireouenpleurer.Earlavaitdoncdebonnesraisonsd’envouloiràOtis.Celafaciliteraitunepartiedesatâche,maisrendraitleresteencoreplusardu.LaprisonsemblaitavoiréprouvéEarlGetlinplusquequiconque.Sescheveuxétaienttailladéscommes’illesavaitcoupéslui-mêmeavecunepairedeciseauxrouillés.Charlieremarquaégalementsonteintjaunâtre,samaigreur,sesmainsdécharnées,etsurtoutlebandeauqu’ilportaitsurl’œil.Unbandeaunoir,àlamanièred’unpirateoud’untraîtredanslesanciensfilmsdeguerre.Menottécommeilconvient-lespoignetsjointsetreliésparunechaîneàseschevilles-,ilentradanslapièceentraînantlespieds.Ils’immobilisauninstantaprèsavoirreconnuleshérif,puisallas’asseoirdel’autrecôtédelatable.Avecl’approbationdeCharlie,legardienseretira.Leborgnedévisageasonvisiteurd’unregardperçant,qu’ilavaitdûsoigneusementmettreaupointpourimpressionnersonpublic.—Pourquoiêtes-vousici?grogna-t-il.—Jevoudraisteparler.Malgrésamaigreur,ledétenuavaitgardétoutesavoix,notaCharlie.Cethommeblessén’avaitpasditsonderniermot...—Dequoi?fitEarl.—D’OtisTimson.Earlsursautaenentendantprononcercenom.—Qu’est-cequevousvoulezdoncsavoir?—Jem’intéresseàuneconversationquetuaseueavecOtisilyaenvirondeuxans.Tuavaisrendez-vousauRebelettutetrouvaisdanslemêmeboxquesesfrèresetlui...tutesouviens?Earl,sursesgardes,pritletempsderéfléchir.

—C’étaitilyalongtemps,dit-ilenclignantdesyeux.Faudraitmerafraîchirlamémoire.—Ils’agissaitdeMissyRyan.C’estplusclairpourtoi?Earlhaussalégèrementlementon,fixaleboutdesonnez,etregardad’uncôtéetdel’autre.—Çadépend...—Dequoi?—Decequej’ygagnerai.—Qu’est-cequetuveux?—Allons,shérif,jouezpaslesidiots!Voussaveztrèsbien...—Jenepeuxrientepromettretantquejenet’aipasentendu,fitsimplementCharlie.Earlsecalaclanssonsièged’unairdésinvolte.—Alors,onestmalbarrés!—Peut-être,maisj’aicommel’impressionquetufinirasparparler.—Pourquoi?Charlieconsidéraunmomentledétenu.—Otist’apiégé,ouiounon?Tumerépètescequ’ilt’aditcejour-là,etjeteprometsdem’intéresseràtaversiondesévénements.SiOtist’apiégé,jem’occuperaidetoncas,etilsepourraitqu’ilvienneprendretaplaceici.Iln’enfallaitpaspluspourqu’Earlsedécideàparler.—Jeluidevaisdel’argent,marmonnaleborgne,maisj’étaisunpeuàcourt.—Decombien?Earlreniflabruyamment.—Quelquesmilliersdedollars.Uneaffairededrogue,supposaCharlieenhochantlatêted’unairbonenfant.—VoilàquetouslesTimsons’amènentenmêmetemps,repritEarl.Ilsmedisentqu’ilsvontavoirdesennuisetqueçasuffitcommeça.Jeleurrépondsquejeleurdonnerailepognondèsquejel’aurai.Otism’écouteavecleplusgrandcalme.J’essayedeluiexpliquermasituation,etsesfrèresbaissentleton.Quandj’aifini,ilrestelongtempssilencieux,avantdesepencherversmoi.Ensuite,ilmeditquesijecrachepaslefric,ilm’arriveralamêmechosequ’àMissy-etqu’enplus,ilrepasseraunesecondefoissurmoncorps.Bienjoué!Simsn’avaitdoncpasmenti...Pourtant,Charlierestaimperturbable.Earlavaitparlé,maisleplusdurrestaitàfaire.—Ças’estpasséquand?—Sansdouteenjanvier.Ilfaisaitfroid.

—Tuterappellescommenttuasréagi?—Jesavaispastropquoidire.J’aidûmetaire...—Tul’ascru?—Ohoui!Hochementdetêteinsistantd’Earl.Unpeutropinsistant,peut-être...Charlieexaminasesonglesavecattention.—Pourquoitul’ascru?—J’aibienvuquec’étaitdusérieux.Avecuntypepareil,onpeuts’attendreàtout.—Tuasdesraisonsparticulièresdepensercela?—C’estvousleshérif.Vousdevriezsavoir.—Cequim’intéresse,c’estcequetupenses.—J’vousl’aidéjàdit.—Donc,tuascruqu’ilavaitrenverséMissyetqu’ilenferaitautantavectoi?—J’vousrépètequeoui.—Tuaseupeur?—Évidemment!Earlsemblaits’impatienter...—Etquandas-tuétéarrêté?Jeveuxdire,pourvoldevoiture.—Finjuin.—Qu’est-cequetubois,quandtun’espasenprison?—Çavousintéresse?marmonnaEarl,désarçonné.—Tupréfèreslabière,levin,oud’autresalcools?—Labière.—Tuenavaisbucesoir-là?—Pasplusdedeuxoutrois.J’étaispassoûl.—Situlesavaisbuesavantd’arriver,tuétaispeut-êtreunpeudanslesvapes...—Non,jelesaicommandéeslà-bas.—TuesrestécombiendetempsàtableaveclesTimson?—Qu’est-cequeçapeutfaire?—Dis-moisimplementsituesrestécinqminutes.Dixminutes?Unedemi-heure?—J’merappellepas.—Entoutcas,assezlongtempspourboiredeuxoutroisbières?—Ouais.—Pourtant,tuaseupeur?Earlcompritqueleshérif,minederien,lepoussaitdanssesderniers

retranchements.—Avecdesgenscommeça,ons’envapasquandonveut.—Résumons-nous,fitCharlie,conciliant.Otisadéclaré,ouplutôtsuggéré,qu’ilétaitresponsabledelamortdeMissy.Commetuluidevaisbeaucoupd’argent,tuaspenséqu’ilsteréservaientlemêmesort,sesfrèresetlui.C’estbienÇa?Earlacquiesçad’unsignedetête.Charlieluirappelaitfâcheusementcedamnéprocureurquil’avaitenvoyéautrou.—ÀproposdeMissy,insistaleshérif,tusavaisqu’elleavaitétérenverséesurlaroute?—Commetoutlemonde!—Tul’avaisludanslesjournaux?—Ouais.—Alors,pourquoin’as-tupasprévenulapoliceàcemoment-là?—Vousm’auriezcru?ricanaEarl.—Etmaintenant,ondevraittecroire?—J’vousassurequ’iladit,devantmoi,qu’ilavaittuéMissy!—Tuledéclareraissousserment?—Çadépenddecequ’onm’offreenéchange.—Revenonsuninstantàtonaffaire!Ont’apincéentraindevolerunevoiture?Earlacquiesça.—EttuprétendsavoirétépiégéparOtis?—JedevaisretrouverlesTimsonprèsduvieuxmoulindeFalls,maisilssesontpaspointés.C’estmoiqu’onachopé.—Tuleurdevaistoujoursdel’argent?—Ouais.—Combien?—Quelquesmilliersdedollars.—Tun’avaisdoncrienremboursé.—Pratiquement.—Sixmoisaprès,tuavaisencorepeurqu’ilstetuent?—J’pensaisqu’àça!—Sanseux,tuneteseraispastrouvélà?—Jeviensdevousledire.Charliesepenchaenavant,perplexe.—Sachantcequetusavais,pourquoin’as-tupascherchéàfairecommuertapeineouàfairearrêterOtis?Etdepuisletempsquetuteplainsd’avoirétépiégéparcetype,pourquoin’as-tujamaismentionnécemeurtre?Earlreniflaànouveau,lesyeuxtournésverslemur.

—Personnenem’auraitcru,grommela-t-il.Charlies’abstintderépondre.Ilsemitàruminerdanssavoiture.Simsn’avaitpasmenti,maisilpassaitpourunalcooliqueinvétéré,etilavaitpicolécesoir-là.Ilavaitentenduquelquesmots,maisavait-ilperçuleton?Otisétait-ilsérieuxouplaisantait-il?Mentait-il?EtdequoilesTimsonavaient-ilsparléavecEarlpendantlestrenteminutessuivantes?Earln’avaitpasdutoutprécisécepoint.Ilavaitmanifestementoubliécetteconversation,etlasuitedesonrécitnetenaitpasdebout.Ilsesentaitendangerdemort,maisilétaitrestéaveclesTimsonletempsdeprendrequelquesbières.Iln’avaitpenséqu’àçapendantdesmois,maisilnelesavaitpasremboursés,alorsquelevoldevoitureluiprocuraitlargementdequoilefaire.Iln’avaitrienditquandonl’avaitarrêté.Ilseplaignaitauprèsdesautresprisonniersd’avoirétépiégéparOtis,maisiltaisaitsesproposimprudents.Iln’enavaitrienditmêmeaprèsavoirperduunœil.Larécompensepromisel’avaitlaisséindifférent.Unalcooliquedanslesvapesdonnaituneinformationpourretrouversaliberté.Undétenu,blesséaucoursd’unebagarre,sesouvenaitd’unpointcrucial,maissontémoignagemanquaitdecohérence.N’importequelavocatdeladéfenseauraitlapartiebelleavecSimsAddisonetEarlGetlin.Or,ThurmanJonesétaitbon,vraimentbon.Charliefronçalessourcils.L’avenirluiparaissaitbiensombre...Ilavait,cependant,unecertitude:OtisavaitbienditàEarlqu’illuiarriverait«lamêmechosequ’àMissyRyan».Deuxpersonnesl’avaiententendu,cequin’étaitpasrien.Yavait-ildequoilemettreengardeàvue?Peut-être,pourl’instant.Maisensuite?Etsurtout,quellepreuveavait-ilqu’Otisavaitfaitcequ’ilavaitdit?

23Hantéparl’imagedeMissyRyan,lesyeuxouvertssurlenéant,jen’aiplusjamaisétélemêmehomme...Sixsemainesaprèssamort,j’aigarémavoituredansleparkingd’unestation-service,àquelquescentainesdemètresdemadestinationfinale,etj’aiparcouruleresteducheminàpied.C’étaitunjeudisoir,versneufheures.Lesoleildeseptembrevenaitàpeinedesecoucheretj’aifaitdemonmieuxpourmedissimuler.Vêtudenoir,jemarchaisauborddelarouteetj’allaismetapirderrièreleshaieschaquefoisquej’entendaisdesvoiluresserapprocher.Malgrémaceinture,monpantalonglissaitsurmeshanches,d’autantplusquedesbranchesm’accrochaientaupassage.Leretenirétaitdevenuungestepresquemachinal,maiscesoir-làj’airéaliséàquelpointj’avaismaigri.Depuisl’accident,jeperdaisl’appétit,etl’idéemêmedemangermerépugnait.Commeunemaisonrongéeparlestermitess’écroulepeuàpeu,mescheveuxtombaientparmèchesentières.Jelesretrouvaisàmonréveilsurmonoreiller,oudansmabrosseàcheveux,etjelesjetaisdanslestoilettes.Aprèsavoirtirélachasse,jelesregardaistourbillonner,etjeliraislachasseunesecondefois,machinalement.Enmefaufilantcesoir-lààtraversuneclôture,jem’étaisécorchésurunclou.J’avaislamainensang,maisaulieudefairedemi-tour,j’aimarchélepoingserré;monsang,épaisetpoisseux,suintaitentremesdoigts.Jenemesouciaispasplusdemadouleurquedemacicatriceaujourd’hui.Jedevaispoursuivremonchemin.Unesemaineavant,j’étaisallésurlelieudel’accident,puissurlatombedeMissy.Unedallevenaitd’êtreposéeetjemesouviensquel’herbenerecouvraitpasencoretoutelaterrefraîche.J’avaisdéposémesfleursetjem’étaisassispourcontemplerlegranit,entournantledosauxraresvisiteursquicirculaiententrelestombes.Auclairdelune,monsangétaitnoiretbrillaitcommedel’huilesurmapaume.Lesyeuxfermés,j’aipenséàMissy,puisj’aimarchéencoreunedemi-heure.Desmoustiquestourbillonnaientautourdematête.Alafindemonparcours,j’aitrouvépluscommodedecouperàtraversdesjardins;ilssontvastesdanscesecteur,etlesmaisonss’élèventloindelaroute.Enapprochantdubut,j’airalentipournefaireaucunbruit.J’aiaperçudelalumièreauxfenêtresetunevoituregaréedansl’allée.NewBernestunepetitebourgade.JesavaisdoncoùhabitaientlesRyanetj’avaisvuleurmaisonenpleinjour.J’yétaisdéjàretourné-commesurlelieude

l’accidentetsurlatombedeMissy—maisjenel’avaisjamaisapprochéedesiprès.Jeretenaismonsouffle...Auxabordsdelamaison,j’airespiréuneodeurd’herbefraîchementtondue.Unemainsurlemurdebrique,j’aiguettélemoindrecraquement,lamoindreombreoscillantsurleporche.Personnenesemblaitsoupçonnermaprésence.J’aimarchéjusqu’àlafenêtredelasalledeséjouretjemesuisglissédansuncoinduporche.Untreilliscouvertdelierremecachait,aucasoùdesvoiturespasseraientsurlaroute.Auloin,unchienaaboyé.Quandils'esttu,j’aijetéunregardfurtifàl’intérieur.Jen’airienvu,maisj’étaisfasciné.C’étaitlàqu’ilsavaientvécu...MissyetMiless’asseyaientsurcecanapé,posaientleurstassessurcettetablebasse.C’étaitleurstableauxsurlesmurs,leurslivres...J’aientendulesond’uneconversationàlatélévision.Toutétaitenordredanslapièce;bizarrement,çam’aunpeurassuré.Jonahestentréalors.Ils’estavancéverslatélévision,doncversmoi,maisiln’apaseuunregarddansmadirection.Assisentailleur,ilfixaitl’écran,commesoushypnose.Jemesuisunpeurapprochédelavitrepourmieuxlevoir.Ilavaitgrandidepuisdeuxmois.Malgrél’heuretardive,ilportaitunjeanetunechemise,etnonunpyjama.Quandjel’aientendurire,moncœurabondidansmapoitrine.Milesafaitsonapparitiondanslapièce,uneenveloppeenpapierkraftsouslebras.J’aicontinuéàépier...Ilalonguementobservésonfilsensilence,d’unairabsent,indéchiffrable;puisilajetéuncoupd’œilàsamontre.J’airemarquéqu’ilétaitébouriffé,commes’ils'étaitplongélesmainsdanslescheveux.J'aidevinélasuite.Ilallaitbavarderavecsonfils,luidemandercequ’ilregardait,etsansdouteluidiredesemettreenpyjama.C’étaitl’heured’alleraulit,carilavaitclasselelendemain.Illuiproposeraitunetassedelaitouunbiscuit.Ehbien,jemetrompais!Milesestpassé,commeuneombreetadisparudanslevestibuleobscur.Uneminuteaprès,jesuisreparti.Cettenuit-là,jen’aipastrouvélesommeil.

24Milesrentrachezluiàl’heurepréciseoùCharliesegaraitdevantlaprisoncentraledeHailey.Ilalladroitdanssachambre.Nonpointpourdormir,maispoursortirsondossier

duplacardoùill’avaitcaché.Ilpassaplusieursheuresàlefeuilleter,sansrienytrouverdenouveau,maisilneputserésoudreàlereposer.Ilsavaitmaintenantcequ’ilcherchait.Unpeuplustard,letéléphonesonna;ilneréponditpas.Vingtminutesaprès,lasonnerieretentitànouveau,aveclemêmerésultat.Jonahdescenditdubusàl’heurehabituelleetaperçutlavoiturepaternelle.Aulieud’allerchezMmeKnowlson,lavoisine,ilrentrachezluidansl’espoirdepasserunmomentencompagniedesonpèreavantdesortiravecMark.Mais,àlavuedudossier,ilcompritaussitôtqu’ilsefaisaitdesillusions.AprèsavoiréchangéquelquesmotsrapidesavecMiles,ilalladanslelivingallumerlatélévision.Quandvintlecrépuscule,leslumièresdeNoëlsemirentàscintillerdanslevoisinage.Jonaheutenviederejoindresonpèredanslachambre.Celui-cinelevamêmepaslesyeuxquandilluiadressalaparolesurlepasdelaporte.Jonahdînad’unboldecéréales.Milesétaittoujoursplongédanssondossier.Ilnotaitdesquestionsetdescommentairesdanslesmarges.Avanttout,obtenirletémoignagedeSimsetd’Earl...Ilparcourutensuitelespagesdel’enquêteconcernantOtisTimson;ilregrettaitplusquejamaisdenepasavoireul’autorisationd’yparticiper.Questionsetnotessesuccédèrent.Avait-onexaminétouteslesvoituresaccidentéesdulotissement?Mêmelesépaves?Otisavait-ilparhasardempruntéunvéhicule,etàqui?Unemployéd’unmagasindepiècesdétachéesavait-illesouvenirdeluiavoirvenduneserait-cequ’unetrousseàoutils?OùlesTimsonauraient-ilsabandonnélavoituresielleétaitendommagée?Appelerd’autresservices-etvoirsidesdépôtsclandestinsavaientfermécesdernièresannées.Réaliser,autantquepossible,desinterviews.Promettreunecontrepartiesiquelqu’unserappelaitquelquechose.Unpeuavanthuitheures,Jonahentradanslachambre,déjàprêtàalleraucinéma.Ilembrassasonpèreavantdepartir.Miles,quiavaitcomplètementoubliécettesortie,sereplongeadanssondossiersansmêmeluidemanderl’heuredesonretour.—Miles!Oùtecaches-tu?EnvoyantSarahapparaître,ilsesouvintqu’ilsavaientrendez-vous.—Tunem’aspasentenduefrapper?reprit-elle.Jemegelaisdehorsent’attendantetj’aifiniparentrer.(Elleremarquasonairanxieux.)Çanevapas?Milesrassemblasespapiers.—Jetravaillais...etj’aiperdulanotiondutemps...Sarahhaussalessourcilsàlavuedudossier.—Quesepasse-t-il?Accablédefatigue,Milesavaitledosetlanuqueengourdis;commegainésd’unecouchedepoussière.Ilmitledossierdecôté,frottasonvisagedesesdeuxmains

etglissaunregardàSarah,par-dessussesdoigts.—OtisTimsonaétéarrêtéaujourd’hui,annonça-t-il.—Otis,pourquoi?LaréponseparutsoudainévidenteàSarah.—Oh...Miles!souffla-t-elleenserapprochantspontanémentpourl’enlacer.Tuessûrqueçava?Lessentimentscontradictoiresqu’ilavaitéprouvéscejour-là-incrédulité,colère,rageetfrustration-secristallisèrentavecuneviolencesoudaine.Deboutaumilieudesachambre,danslesbrasdeSarah,ilfonditenlarmespourlapremièrefoisdesavie.Aulieudepartiràsonheurehabituelle,MadgeattenditleretourdeCharlie.Quandilsortitdesavoiture,illatrouvasurleparking,brascroisésetdrapéedansunelonguevestedelainage.—Madge,quefaites-vouslà?s’écria-t-ilenépoussetantlesmiettesduhamburgerqu’ilavaitavaléàlahâte,enmêmetempsquedesfritesetuncafé.—Jevousguettais...Ilfautquejevousparlesanstémoins.Charliepritsonchapeaudanssavoiture:iln’avaitplusassezdecheveuxpourtenirsoncrâneauchaudlesjoursdegrandfroid.—Jevousécoute.Madgen’eutpasletempsderépondre;unpoliciervenaitdesortir.—Brendaatéléphoné,souffla-t-ellesanssedémonter.—Riendegrave?fitCharlie,complice.—Apparemment,non,maisilfautlarappeler...LepoliciersaluaCharlieaupassage.Madgeattenditqu’ilsesoitéloignépourchuchoter:—Enfait,ilyaunproblème.—Àquelsujet?—ThurmanJonesetHarveyWellmansontici,dansvotrebureau.—Ahoui?—Ilsvoudraientvousparler...Charlieattenditlasuiteavecimpatience,tandisqueMadgejetaituncoupd’œilfurtifautourd’ellepours’assurerqu’aucuneoreilleindiscrètenepouvaitsurprendresesparoles.—Ilssontarrivésensemble,Charlie;etilsvoudraientvousparler...ensemble.Mauvaisprésage,songealeshérifendévisageantsacollaboratrice.Lesprocureursetlesavocatsdeladéfensenefaisaientcausecommunequedansdescirconstancesexceptionnelles.—Ils’agitdeMiles,murmuraMadge.J’ail’impressionqu’ilafaitquelquechosede

pastrèsrecommandable.ThurmanJones,unhommedetailleetdepoidsmoyens,avaitcinquante-troisans.Sescheveuxchâtains,ondulés,semblaienttoujoursébouriffésparuncoupdevent.Ilportaitautribunaldescostumesbleumarine,descravatessombresetdeschaussuresdesportnoires,quiluidonnaientunairétrangementrustique.Sonélocutionclaireetlente,jointeàsonapparence,impressionnaitlesjurys.Maispourquoiplaidait-ildepuisdesannéespourdesgenscommelesTimson?Charlies’étaitsouventposélaquestion.HarveyWellman,quantàlui,s’habillaitsurmesureetportaitdeschaussuresélégantes;ilavaittoujoursl’airdeserendreàunenoce.Àlatrentaine,sestempesavaientcommencéàgrisonner.Maintenantqu’ilatteignaitlaquarantaine,sescheveuxargentésluidonnaientuneindéniabledistinction.Onauraitpuleprendre,àlalimite,pourunprésentateurdetélévisionouunentrepreneurdepompesfunèbres.TousdeuxfaisaientgrisemineenattendantCharliederrièrelaportedesonbureau.—Voussouhaitiezmevoir?demandacelui-ci.Ilsselevèrentcommeunseulhomme.—C’estimportant,articulaHarvey.Aprèslesavoirfaitentrer,Charlieleurdésignadeuxsièges,qu’ilsrefusèrent.—Quepuis-jepourvous?demanda-t-il,assisderrièresonbureauafind’établirunecertainedistanceentresesvisiteursetlui.—Charlie,ditsimplementHarvey,l’arrestationdecematinnousmetdansl’embarras.J’aiessayédevousenpalierplustôt,maisvousétiezdéjàparti.—Désolé,j’avaisuneaffaireimportanteàrégler.Dequois’agit-il?—IlsembleraitqueMilesRyanyvaunpeufort.—Oh?—Touslestémoignagesconcordent.Charliegardalesilence.Tandisqu’Harveyseraclaitlagorge,ThurmanJonesfitunpasdecôtéetmartelad’unairindéchiffrable:—Ilaplacélecanondesonrevolvercontrelatemped’OtisTimson.Assisdanssonliving,Milessirotaitunebière.Toutendécollantl’étiquetted’unairabsent,ilfituncompterendudétailléàSarah.Sonrécit,parfoisconfuscommesespropressentiments,passaitd’unpointàl’autre,revenaitenarrière,etn’évitaitpaslesrépétitions.Sarah,lesyeuxfixéssurlui,nel’interrompitpasuneseulefois.Bienqu’ilnefûtpastoujoursclair,elleneluidemandaaucuneprécision,depeurdelebrusquer.Milesluienditplusqu’àCharlie.—Depuisdeuxans,jemedemandaiscequisepasseraitlejouroùjemetrouveraisenfaceducoupable,luiexpliqua-t-il.Quandj’airéaliséquec’étaitOtis...Jenesais

pascequim’apris...J’aieuenviedeletuer...etj’aibienfailliappuyersurladétente...Sarahnebronchapas.LaréactiondeMilesétaitcompréhensiblejusqu’àuncertainpoint,etnonmoinsinquiétante.—Maistut’esretenu,murmura-t-elle.CommeMilesgardaitlesilence,elleajoutad’unevoixhésitante:—Etmaintenant,quecomptes-tufaire?Milesserrasanuqued’unemain.Malgrésontrouble,ilpouvaittoujourssefieràsonbonsens.—Jedoisreprendrel’enquête-obtenirdestémoignages,procéderàdesvérifications...Untravaild’autantplusdurqueçanedatepasd’hier...Jevaisypasserpasmaldesoiréesetdeweek-ends.Onenestaumêmepointqu’ilyadeuxans...—Charlienepeutpass’encharger?—Ilnes’yprendraitpascommemoi.—Tuasledroitd’enquêter?—Jen’aipaslechoix.Sarahjugeaplusprudentdechangerdesujet.—Situasfaim,jepeuxnouspréparerquelquechoseoucommanderunepizza...—Non,merci.—Tuasenviedesortir?—Passpécialement.—Çatediraitderegarderunecassette?J’enaiapportéune.—Bonneidée!—Tuneveuxpassavoircequec’est?—Inutile!Jesuissûrquetuasbienchoisi.Lefilm,unecomédie,amusaSarah;Milesrestademarbre.Auboutd’uneheure,ildisparutdanslestoilettes.Inquiètedenepaslevoirrevenir,elleledécouvritdanssachambre,ledossierouvertàcôtédelui.—Unesimplevérification,grommela-t-il.J’enaipouruneminute.Nouvelleattenteinterminable.Finalement,Sarahinterrompitlefilm,récupéralacassetteetallacherchersaveste.Aprèsavoirjetéuncoupd’œilsurMiles,elles’enalladiscrètement.Celui-cines’enrenditcomptequ’aumomentoùsonfilsrevenaitducinéma.Charlierestaàsonbureaujusqu’àminuitenviron,plongéluiaussidanssondossier.CalmerHarveyn’avaitpasétéuneminceaffaire,surtoutquandilavaitfaitallusionàl’incidentsurvenudanslavoituredeMiles.ThurmanJoness’étaitmontréplutôtsilencieux,commes’ilpréféraitlaisserHarveyparleràsaplace.Ilavaittoutefois

ébauchéunsourirequandleprocureuravaitenvisagédeporterplaintecontreMiles.C’estalorsqueCharlieavaitrévéléàsesdeuxinterlocuteurslemotifdel’arrestationd’Otis.Apparemment,Milesnes’étaitpasdonnélapeinedeluisignifiersonchefd’inculpation.Leshérifluidiraitdeuxmotsdèslelendemain,s’ilrésistaitd’icilààl’enviedeluitordrelecou.Enprésenced’HarveyetdeThurman,ilsecomportacommes’ilétaitdéjàaucourant.—Pourquoiprocéderàuneinculpationsanssavoirsiellesejustifie?marmonna-t-il.IlenfallaitpluspourimpressionnerHarveyetThurman.LespropostenusparSimsneleursemblèrentguèreplusconvaincants,maisMilesévoquasarencontreavecEarlGetlin-quiavait,selonlui,«toutconfirmé».Pasquestion,pourl’instant,defairepartdesesdoutesàl’avocatetauprocureur!Harveyluisignifiad’unregardqu’ilsouhaitaitluireparlerdecettehistoireenprivé.Sachantqueleprocureuravaitbesoind’uncertaintempspourdigérersescontrariétés,ilfitcommesiderienn’était.IlsparlèrentensuitedeMiles.Telqu’illeconnaissait,Charlienedoutapasuninstantqu’ilaitpuavoiruneréactiondiscutable.Malgrésacontrariété,ilparvintàprendre,jusqu’àuncertainpoint,ladéfensedesonadjoint.Pourconclure,HarveyexprimalevœuqueMilessoitsuspendudesesfonctions,letempsd’yvoirplusclair.ThurmanJonesdemandaqu’ilsoitstatuéauplusvitesurlesortd’Otis.CommeMilesavaitdéjàterminésajournée,Charlies’engageaàprendreunedécisionlelendemainmatinauplustard.Ilespéraitensavoirplusd’icilà,maisuneconversationtéléphoniqueavecHarris,avantdequittersonbureau,luifitperdretouteillusion.—PasmoyenderetrouverSims,luidéclaracelui-ci.—Tul’asbiencherché?—Partout!grommelalepolicier.Jesuisalléchezlui,chezsamère,chezsescopains,etdanstouslesbarsducomté.Iladisparu...Unpeignoirpassésursonpyjama,Brendaattendaitsonmari.Aprèsavoirécoutésonrécit,ellevoulutsavoircequisepasseraitsiOtisétaitfinalementjugé.—Jonesn’auraaucunmalàledéfendre,réponditCharlied’untonlas.Ilsoutiendra,preuvesàl’appui,qu’Otisétaitailleurslesoirdel’accident.Sionluiprouvelecontraire,ilobjecteraqu’iln’apasprononcélesparolesqu’onluiprête.Etsionlerécuse,ildiraqu’onnepeutpascitersesparoleshorsdeleurcontexte.—Çamarchera?Leshérifbuvaitsoncaféensedisantquesajournéedetravailétaitloind’êtreterminée.

—Tusaisbienquepersonnenepeutprévoirlaréactiond’unjury.Brendaposaunemainsursonbras.—Franchement,qu’est-cequetuenpenses?—Franchement?Brendaacquiesça-t-ilal’aird’avoirprisdixansdepuislematin,pensait-elle.—Sinousnetrouvonsriend’autre,Otisnerisquerien.—Mêmes’ilestcoupable?—Oui.—Milesaccepteraitunepareilleinjustice?Charliefermalesyeux.—Sûrementpas.—Selontoi,quelleseraitsaréaction?Charlieavalaunedernièregorgéedecaféetpritsondossier.—Jen’enaipaslamoindreidée,marmonna-t-il.

25Jemesuismisàlestraquer,enprenantmaintesprécautionspournepasmetrahir.J’attendaisJonahàlasortiedel’école,jemerendaissurlatombedeMissy,jem’approchaisdeleurmaisonlanuit.Personnenem’ajamaissoupçonné.J’avaishonte,maisj’étaisincapabledemecontrôler.C’étaitplusfortquemoi...Jemeconsidéraiscommeuncaspathologique.Étais-jeunmasochiste,obsédéparsafaute?Unsadiquequisedélectaitdestourmentsqu’ilavaitcausés?Oulesdeuxàlafois?Jenepouvaispasoublierlascèneàlaquellej’avaisassistélepremiersoir,quandMilesétaitpasséàcôtédesonfilsenignoranttotalementsaprésence.Certes,ilsavaientperduMissy,maisuntraumatismeresserrelesliensfamiliaux,enprincipe...C’est,dumoins,cequej’espérais.Jemesuisrépétéçalessixpremièressemaines,commeunelitanie.Lepèreetlefilssurvivraient,leursblessuresse

cicatriseraient,leursliensseresserreraient...Lepauvrefouycroyait.Pourtant,toutn’allaitpaspourlemieux,lepremiersoir.Loindelà!Jenesuispasasseznaïfpourcroirequ’unseulpointdevuesurunefamillerévèlelavérité,etjesaisqu’ilnefautjamaissefieràlapremièreimpression.Avais-jemalvuoumalinterprétélascèneàlaquellej’avaisassisté?Cettehypothèsem’apresquerassuré,maisj’éprouvaislebesoindevérifier.Jemesuislaisséentraînersurunemauvaisepentecommeunhommequiboitunverrelevendredi,deuxlelendemain,etfinitparsombrer.Deuxjoursaprèsmapremièrevisite,jemesuisdemandéce,quedevenaitJonah.Jevaisallerlevoir,etjemesentiraimieuxs’ilestsouriant,mesuis-jeditpourmejustifier.Cachédansleparkingdesonécole,jenel’aiaperçuqu’uninstant,aprèsl’avoirlongtempsguetté.J’airécidivéquelquesjoursaprès,etbiend’autresfois.Jefinissaisparreconnaîtresoninstituteuretsaclasseaupremiercoupd’œil.Ilsortaitparfoisaveclesourire,maispastoujours.Jemedemandaispourquoi,etjen’étaisjamaissatisfait.Lanuittombaitensuite.L’envied'épiermedémangeaitdeplusenplusfortàmesurequelesheurespassaient.Renonçantàtrouverlesommeil,jemarchaisdelongenlargedansmachambre,jem’asseyais,jemerecouchais.J'avaisbeauêtrefurieuxcontremoi-même,jedécidaisd’yaller.Jeprenaismesclefsdevoitureenmaudissantmafaiblesse,puisjeroulaissurlaroutesombre.Siseulementj'avaispufairedemi-tour!Unefoisgaré,jemefaufilaisdanslesbuissons,autourdeleurmaison,sanscomprendrecequim'arrivait.Etjemepostaisderrièrelescarreauxpourlesobserver...Pendantunan,j’aivuleurviesedéroulersousmesyeuxparpetitstableauxsuccessifs.Jemesuisdemandéquis’occupaitdeJonahlessoirsoùMilesétaitdegarde.Unefois,j’aisuivil'autocarscolaire.J’aiconstatéqueJonahallaitchezunevoisine,dontj’ailulenomsurlaboîteauxlettres.Ilm'arrivaitd’assisteràleurdîner.JeconnaislesplatsqueJonahmangeavecplaisiretsesprogrammesdetélévisionpréférés.J’aiapprisqu’ilappréciaitlefootballplusquelalecture.Ilagrandisousmesyeux.J’observaisMilesaussi.Jelevoyaiss’activerdanslamaison,rangerdifférenteschosesdanslestiroirs,préparerledîner,boiredesbièresetfumer,seulsurleporche.Ils’asseyaitsouventdanslacuisine.Plongédansundossier,ilpassaitlamainclanssescheveux.J’avaissupposéqu'ilrapportaitdutravailchezlui,puisj’aiconstatéquejemetrompais.C’étaittoujourslemêmedossier...Alors,j’aieuuneillumination.Cedossiermeconcernait.C’étaitmoiqu’ilcherchait,alorsquejel’épiaisderrièrelescarreaux.Alasuitedecettedécouverte,j’aieudebonnesraisonsdevenirguettersesréactionsquandilétudiaitson,ouplutôtmondossier.Aquelmomentallait-ilpousserun«ah!»triomphal,suivid’uncoupdetéléphonefrénétiquem

’annonçantsavisiteetlafindemonsursis?Aprèsmesexpéditionsnocturnes,jem’écroulaisàboutdeforcesdansmavoitureetjemepromettaisdelaisserdésormaisJonahetsonpèrevivreenpaix.J’avaishontedelesépier,j’imploraisDieudem’accordersonpardon;ilm’arrivaitmêmedesongerausuicide.Moiquiavaisrêvédefairemespreuves,jedétestaisl’hommequej’étaisdevenu.Malgrémonsentimentdeculpabilitéetmeseffortspourluttercontremoi-même,jefinissaistoujoursparcéderàlatentation.Alors,pareilàunvampire,jesortaisdanslanuitenmedisantquec’étaitladernièrefois...

26Cettenuit-là,pendantqueMilesétudiaitsondossierdanslacuisine,Jonahfitsonpremiercauchemardepuisdessemaines.Ilétaitprèsdedeuxheuresdumatin,aprèsunejournéeéprouvanteetunegardelesoirprécédent.Harassé,Mileseutdumalàreprendresesespritsenentendantlescrisdesonfils,etilsedirigeaverssachambre,mûparunréflexeplusqueparledésirdeleréconforter.Peuavantl’aube,ill’emmenadoncsurleporche;letempsqu’ilsecalme,lesoleilselevaitdéjà.C’étaitundimanche.AprèsavoirrecouchéJonah,ilavaladeuxaspirinesavecunjusd’orangepourcalmersamigraine,ouplutôtsagueuledebois.Pendantquesoncaféchauffait,Milesrécupérasondossieretsesnotespourlesparcourirunedernièrefoisavantd’allertravailler.Enrevenantdanslacuisine,ileutlasurprisedevoirsurgirJonah,lesyeuxbouffisdesommeil.—Déjàlevé?s’étonna-t-il.C’esttroptôt.Jonahtraînalespiedsjusqu’àlatable.—J’suispasfatigué.—Pourtant,tun’aspasl’airenforme.—J’aifaitunmauvaisrêve.—Ahoui?—J’airêvéquetuavaisunaccident,commemaman.MilesserapprochadeJonah.

—Cen’estqu’unrêve...Enréalité,toutvabien.—Dis,papa?Jonahs’essuyalenezdureversdelamain.Danssonpyjamaavecdesvoituresdecourse,ilavaitl’aird’untoutpetitenfant.—Oui?fitMiles.—Tuesfâchécontremoi?—Jen’aiaucuneraisond’êtrefâché!—Tum’aspasparlédutouthier.—Oh,pardon!Jecherchaissimplementàcomprendrequelquechose.—Àcausedemaman?—Commentlesais-tu?Jonahpointaundoigtversledossierposésurlatable.—Parcequeturegardaisencorecespapiers.Ilsparlentdemaman,non?—Plusoumoins,fitMilesenhochantlatête.—J’aimepascespapiers.—Pourquoi?—Ilsterendenttriste,etmoiaussi.—Parcequemamantemanque?—Non,parcequetum’oubliesquandtulesregardes.—C’estfaux,soufflaMiles,lagorgeserrée.—Alors,pourquoitum’aspasparléhier?Milesserradanssesbrassonfils,auborddeslarmes.—Çan’arriveraplusjamais;jetelejure.—Tumeurssitumens?—Oui,fitMiles,àboutdeforces.AprèsavoirprissonpetitdéjeuneravecJonah,MilesappelaSarahpourluiexprimersesregrets.—Tun’asrienàtereprocher!s’exclama-t-ellesansluipermettred’acheversaphrase.Tonbesoindesolitudeétaitparfaitementnaturel.Commenttesens-tucematin?—Àpeuprèspareil,ilmesemble.—Tuvastravailler?—Jen’aipaslechoix.Charliem’attenddansunmoment.—Tum’appellerasensuite?—J’essayerai,maisjevaisavoirunejournéetrèschargée.—Àcausedel’enquête?

DésarçonnéeparlesilencedeMiles,Sarahenroulaplusieursmèchesdecheveuxautourdesesdoigts.—Situn’arrivespasàmejoindrechezmoi,tumetrouveraschezmamère...—Bien,fitMiles.Sarahraccrochaaveclepressentimentd’événementsfâcheux.Àneufheuresdumatin,Charlie,quibuvaitsaquatrièmetassedecafé,priaMadgedeluienpréparerd’autres.Aprèsavoirdormiquelquesheures,ilétaitrevenuàsonbureauauxaurores.Iln’avaitpaschômédepuis.Rendez-vousavecHarvey,interrogatoired’Otisdanssacellule,brefentretienavecThurmanJones.IlavaitmisplusieurspoliciersauxtroussesdeSimsAddison;sansrésultatpourlemoment.Mais,surtout,ilavaitpriscertainesdécisions.Àsonarrivée,vingtminutesplustard,Milesletrouvaentraindel’attendredevantlaportedesonbureau.—Çava?fitleshérif.—J’aipasséunesalenuit.—Etunesalejournée,jesuppose.Uncafé?—Merci,j’enaibudeslitresàlamaison.—Entre!J’aiàteparler.Charlierefermalaportederrièreluiets’accoudaàsonbureau,tandisquesonadjoints’asseyait.—Jetepréviensquej’aibeaucouptravaillécettenuit,fitaussitôtMiles.Quelquesidéesmesontvenuesàl’esprit...Charliel’interrompitsèchement.—Tun’espasicipourmeparler,maispourécoutercequej’aiàtedire.Milessecrispa:cetonétaitdemauvaisaugure.Charlieobservalesolcarrelé,puisreposasonregardsursonadjoint.—Nousnousconnaissonsdepuistroplongtempspourquejetourneautourdupot.—Oùveux-tuenvenir?glissaMilesàlafaveurd’unsilence.—J’aidécidédelibérerOtisTimsonaujourd’hui.Milesfitminedeparler,maisCharlieluicloualebec,lesmainslevées.—Maintenant,écoute-moiavantdeconclurequejevaistropviteenbesogne.Étantdonnélesinformationsdontjedispose,jen’aipaslechoix.Hier,aprèstondépart,jesuisallévoirEarlGetlin.—Alors,tuaslapreuvequ’iltefaut!conclutMilesquandCharlieluieutfaitlecompterendudesavisite.Leshériffronçalessourcils.—Uninstant,s’ilteplaît!Sonéventueltémoignageposeraitquelquesproblèmes.

D’aprèscequej’aicompris,ThurmanJonesn’enferaitqu’unebouchée,etpasunjurynecroiraitàsasincérité.—C’estaujurydetrancher,pasàtoi!protestaMiles.Tunepeuxpasleremettreenlibertécommeça.—Jet’assurequej’ailesmainsliées.J’airéfléchitoutelanuitàcetteaffaire.Nousnedisposonspas,pourl’instant,depreuvessuffisantespourgarderOtisenprison.D’autantplusqueSimss’esttiré.—Qu’est-cequeturacontes?—Onestàsarecherchedepuishier,maisiladisparudanslanature...Harveybloqueratouts’ilnepeutpasl’interroger.—BonDieu,jeterappellequ’Otisenatropdit!—Jen’aipaslechoix...—Ilatuémafemme,marmonnaMilesentresesdents.—Jesuisnavré,maisHarveyWellmanm’aprévenuqu’aucunepoursuiten’étaitenvisageabledansl’étatactueldeschoses.—TutelaissesinfluencerparHarvey?—J’aipassélamatinéeàluiparleretjel’aivuhier.C’estunhommehonnête,quifaitsontravailsanspartipris...—Causetoujours!—Mets-toiàmaplace,Miles.—Çanem’intéressepas.Jeveuxsimplementqu’Otissoitinculpédemeurtre.—Tumesemblestrèsperturbé...—Displutôtquejesuisfouderage.—Jem’endoute,maistoutn’estpasjoué.RelâcherOtisnesignifiepasqu’onrenonceàl’inculper,etjetesignalequelapatrouilleroutièrereprendsonenquête.—Enattendant,Otisestlibre!—Pourundélitdefuite,ilseraitdetoutefaçonlibérésouscaution.—Danscecas,inculpe-ledemeurtre.Miles,furibond,seditquelesystèmejudiciairelaissaitàdésirer.—As-tuparléàOtis?reprit-il.—J’aiessayécematin.Sonavocatluiaconseillédenepasrépondre,sipossible.Jen’aiobtenuaucuneinformationintéressantepournous.—Etsimoi,j’essayaisdeluiparler?—Pasquestion,Miles!—Parcequ’ils’agitdeMissy?—Non,àcausedetesderniersexploits.—Jet’enprie,explique-toi!

—Tusaisparfaitementdequoiils’agit.CommeMilestardaitàréagir,Charlieselevaderrièresonbureau.—Jen’iraipasparquatrechemins.OtisarefuséderépondreàlaplupartdemesquestionsconcernantMissy,maisilaétépluséloquentausujetdetaconduitehier.Jevaisdonctedemander...cequis’estpassédanslavoiture.—J’aiaperçuunratonlaveursurlarouteetj’aifreinésec.—Tut’imaginesquejesuisasseznaïfpourtecroire?—C’estpourtantvrai.—EtsiOtisaffirmequetuasfaitçapourlemalmener?—Ilment.Charliesepenchaenavant.—Ilmentaussienaffirmantquetuasplacélecanondetonrevolversursatempe-etquetul’asmaintenulà-alorsqu’ilétaitàgenoux,mainsenl’air?Milessetrémoussasursonsiège.—Jedevaismaîtriserlasituation,fit-ild’untonévasif.—C’étaitlemeilleurmoyen,àtonavis?—Jen’aifaitdemalàpersonne,Charlie.—Tuestimesdoncquetongestesejustifiepleinement.—Oui.—Ehbien,l’avocatd’Otisnepartagepastonpointdevue,etClydeTimsonnonplus.Ilsenvisagentdeporterplainte.—Tuplaisantes?—Absolumentpas!Uneplaintepourmenacesetbrutalitéspolicières.Toutlepaquet...ThurmanadesamisàlaLiguedesdroitsdel’hommequisontprêtsàlesoutenir.—Maisilnes’estrienpassé!—Aucuneimportance,Miles.Riennelesempêchedeporterplainte.Jedoistedireaussiqu’ilsontdemandéàHarveydetepoursuivreaupénal.—Aupénal?—C’estça.—Jepariequ’Harveyseferaunejoied’accepter.Charliehochalatête.—Vousavezdumalàvousentendretouslesdeux,maisjeleconnaisbienetj’aidel’estimepourlui.Cematin,quandjeluiaiparlé,ilétaitbeaucoupmoinsfurieuxqu’hier.Ilm’aditqu’ilnecomptaitpasdonnersuite...—Alors,toutvabien!Charlie,quin’aimaitpasêtreinterrompu,foudroyaMilesduregard.

—Mêmes’ilnedonnepassuite,tuasintérêtàteméfier.Ilsaitquecettehistoiretetouchedeprèsetquechaqueêtrehumainasesfaiblesses.Ilcomprendtessentiments,maisçanechangerienaufaitquetuasagid’unemanièreinadéquate;c’estlemoinsqu’onpuissedire.Ilestimedoncqu’ilfaudraittesuspendredetesfonctions-sanstepriverdetonsalaire,biensûr-enattendantd’avoirréglécetteaffaire.—Mesuspendredemesfonctions?s’indignaMiles.—C’estpourtonbien.Quandlecalmeserarevenu,HarveyespèrequeClydeTimsonetl’avocatdesonfilsferontmachinearrière.Enrevanche,sinousn’admettonspas,luietmoi,quetut’esmisdanstontort,ildoutedepouvoirconvaincreClyde.—Jemesuiscontentéd’arrêterl’hommequiatuémafemme.—Cen’estpastout!—Tuvassuivrelesconseilsd’Harvey?—Desconseilsjudicieux,Miles...J’agispourtonbien...—Ensomme,onlibèreOtis,uncriminel,etonmesuspenddemesfonctionssousprétextequejel’aiarrêté.—C’estunemanièrecommeuneautredevoirleschoses.—Laseule!—Non,fitCharlie,imperturbable;ettunetarderaspasàt’enapercevoir.Enattendant,jeterappellequetuesofficiellementsuspendudetesfonctions.—Tunevaspasmefaireça!—J’agisdanstonintérêt...Etsurtoutn’envenimepaslasituation.SijeconstatequetuharcèlesOtisouquetuvasfourrertonnezjenesaisoù,jemeverraidansl’obligationdeprendredessanctionsplussévères.—C’estabsurde!Charlies’approchadeMiles.—Iln’yapasdemeilleuresolution,monvieux.Maissou-viens-toiquetoutn’estpasjoué.QuandonaurarattrapéSims,onpourraenapprendredavantage;etontrouverapeut-êtred’autrestémoignagesconcordants.Sansattendrelaconclusiondesonchef,Milesavaitjetésonbadgesursonbureau.Sonétuiderevolveretsonarmeétaientaccrochésàsachaise.Ilclaqualaportederrièrelui.Vingtminutesplustard,OtisTimsonétaitlibre.Milesmontadanssavoiture,encoreétourdiparlesévénements.Ilmitlecontactetdémarraentrombe.OnlesuspendaitdesesfonctionsetOtisseraitbientôtlibre.Lemondeàl’envers!Aprèsavoirsongéàrentrerchezlui,ilchangead’avisensesouvenantdesreprochesquesonfilsluiavaitadresséslematinmême.Ilvalaitmieuxlelaisser

chezMmeKnowlsonjusqu’aumomentoùilsesentiraitpluscalme.Et,surtout,ilavaitbesoindeparleràquelqu’unquil’aideraitàyvoirplusclair.ÀSarah...Larouteétaitdégagée.Ilfitdemi-tourpourlarejoindreauplusvite.

27SarahétaitdanslelivingavecsamèrequandMilesvintsegarerdevantlamaison.Maureen,quiignoraittoutdesrécentsévénements,ouvritlesbrasenlevoyantentrer.—Quellebonnesurprise!s’écria-t-elle.Jen’osaispasespérervotrevisite.Milesmurmuraquelquesmotsaimablesenl’embrassant,maisdéclinal’offred’unetassedecafé.Sarahpritsavesteetproposad’allerfaireuntour.Ilssedirigèrentverslebosquetoùilss’étaientpromenésavecJonahlejourdeThanksgiving.Deuxamoureuxenmald’intimité,seditMaureen,rouged’émotion.Milesmarchaitsansparler,enserrantrageusementlespoings.Ilss’assirentsurletroncd’unpinrecouvertdemousseetdelierre.Sarahluipritlamain;leursdoigtss’entrelacèrentetilparutsedétendre.—Salejournée?murmura-t-elle.—Oui,onpeutledire.—Otis?—Otis...Charlie...Sims...Toutlemonde!

—Maispourquoi?—CharliearelâchéOtis.Ilprétendqu’iln’apasd’argumentsassezsolidespourl’inculper.—Pourtant,Otisaparlédevanttémoin,non?—Çaneluisuffîtpas.Milestirasuruneécorced’unairécœuré.—Charliem’asuspendudemesfonctions.Sarah,incrédule,haussalessourcils.—Paspossible!—Si.—Jenecomprendspas...Sarahavait,malgrétout,unepetiteidée.—Ilestime,repritMilesendéchirantlamêmeécorceenlambeaux,quej’aieuuneconduiteinadéquatequandj’aiarrêtéOtis.Maiscen’estpastout...(Miless’interrompit,leregardperdudanslevague.)L’avocatd’OtisetdeClyde,sonpère,voudrait,parait-il,porterplaintecontremoi.SarahnesutquerépondreetMilesdégageasamainensoupirant.—Tuycomprendsquelquechose?J’arrêteletypequiatuémafemmeetonmesuspenddemesfonctions.Onlelibère,etc’estmoiqu’oninculpe!—Jem’yperds,admitSarah.Mileshochalatête.—EtcebonvieuxCharlie,quejeprenaispourunami,netrouverienàredire.—Miles,tusaisbienquetupeuxcomptersurlui.—Plusmaintenant.—Ilsontdéjàportéplaintecontretoi?—Pasencore.Charlieespèreconvaincrel’avocatd’Otisdefairemachinearrière.C’estaussipourcalmerlejeuqu’ilmesuspenddemesfonctions.—Situcommençaisparlecommencement?Quet’aditexactementCharlie?Sarahécouta,perplexe,lerécitdeMiles.—J’ail’impressionqueCharlieneteveutquedubien;ilfaitdesonmieuxpourt’aider,conclut-elleaprèsréflexion.—S’ilmevoulaitdubien,ilgarderaitOtisentaule.—MalgréladisparitiondeSims?—IlauraitdûinculperOtisdemeurtre.Pasunseuljugenepourraitlelibérersouscaution,maintenantqu’EarlGetlinaconfirmélesparolesdeSims.Charliesaitpertinemmentquecetypenetarderapasàréapparaître.Iln’apasdûallerbienloin...Sijem’ymets,jepariequejeleretrouveenmoinsdedeuxheuresetjel’obligeàmesignerunedéclarationécritesousserment.

—Tun’espassuspendudetesfonctions?—Maparole,tuprendslepartideCharlie!—Miles,j’aipeurquetut’attiresdesennuissupplémentaires.D’ailleurs,Charlieabienditqu’onallaitrouvrirl’enquête.—Tumeconseillesdelaissertomber?—Jen’aipasditça...MilesinterrompitSarah.—Tut’imaginesquejevaismetenirtranquilleenattendantdesjoursmeilleurs.Jamaisdelavie!Otisdevrapayerchercequ’ilafait.Sarahrepensait,malgréelle,àsadernièresoiréeavecMiles.Auboutdecombiendetempsavait-ilfinipars’apercevoirqu’elleétaitpartie?—EtsionneretrouvepasSims?demanda-t-elleàtouthasard.Ous’iln’yapasd’élémentssuffisantspourinculperOtis?—Tuvasarrêter?Sarahblêmit.—Arrêterquoi?—Detoutremettreenquestion!—Jenevoudraispasquetuprennesdesinitiativesqueturegretterasparlasuite.—Queveux-tudire?—Leschosesnesepassentpastoujourscommeons’yattend,murmuraSarahenserrantlamaindeMiles.Illafixaunlongmomentd’unregardabsent,samaininerte-etglacée-danslasienne.—Tunelecroispascoupable,hein?—Cen’estpasàOtis,maisàtoiquejepense.—Etmoi,jeparledelui.Milesselevaetdégageasamain.—Deuxpersonnesaffirmentqu’Otiss’estquasimentvantéd’avoirtuémafemme,etonleremetenliberté.Pendantquecetyperentretranquillementchezlui,tuvoudraisquejeresteassisdansmoncoin,ànerienfaire.Tuasvudetespropresyeuxàquoiilressemble.Alors,réfléchisbien.Crois-tu,ouiounon,qu’ilatuéMissy?—Jen’aipasd’opinionàcesujet,fitSarah,priseaudépourvu.Furieux,Milesluitournaledos.—Jesaiscequejedis!gronda-t-il.Ilestcoupable,etj’enfournirailapreuved’unemanièreoud’uneautre.Quantàtonopinion,jem’enfiche.C’estdemafemmequ’ils’agitici.Ilavaitditmafemme...Surcesmots,ils’éloignad’unpasrapidesanslaisserà

Sarahletempsderépondre.—Miles,attends-moi!cria-t-elle.—Pourquoi?dit-ilenseretournant.Tuveuxcontinueràmefairelaleçon?—Miles,jevoudraisseulementt’aider...Ils’arrêtapourluifaireface.—Jemepassedetonaide!Cetteaffaireneteconcernepas.—Cetteaffairemeconcerne...danslamesureoùjetiensàtoi,bégayaSarah,blessée.—Alors,cessedemecontredirequandj’aiàteparler.Laprochainefois,contente-toidem’écouter!Iln’enditpasplus,etSarahseretrouvatouteseuledanslebosquet.HarveyentradanslebureaudeCharlie,l’airplusaccabléquedecoutume.—DunouveauausujetdeSims?Charliehochalatête.—Pasencore.Ilsecachebien...—Vouspensezqu’ilvarefairesurface?—Sûrement.Oùpourrait-ilaller?Ilgardeunprofilbaspourlemoment,maisçanepourrapasdurerbienlongtemps.Harveyfermadistraitementlaportederrièrelui.—JeviensdeparleravecThurmanJones,grommela-t-il.—Alors?—Iln’apasrenoncéàporterplainte.C’estClydequilepousse;maisj’ail’impressionquelecœurn’yestplus.—Qu’est-cequeçasignifie?—Çanem’étonneraitpasqu’ilchanged’avis.Ilnetientpasdutoutàcequelapoliceviennefouinerdetropprèsdanslesaffairesdesonclient;orc’estexactementcequisepasseras’ilinsiste.Enoutre,ilsedoutebienqu’unjurypencheraplutôtducôtédushérifqued’untypecommeOtis.D’autantplusqueMilesn’apastiréuneseulefoisquandilétaitlà-bas...—Merci,marmonnaCharlie.—Derien,maistenez-luilabridehautependantquelquesjours.S’ilfaisaitunegaffe,tantpispourlui!Jemeverraisdansl’obligationdeporterplainte.—D’accord.—Vousallezlemettreaucourant?—Comptezsurmoipourluiparler.Enespérantqu’ilm’écoutera,seditCharlieensonforintérieur.QuandBrianarrivachezsesparentsversmidi,àl’occasiondescongésdeNoël,

Sarahpoussaunsoupirdesoulagement.Enfinquelqu’unàquiseconfier!Elleavaitpassélamatinéeàéviterlesquestionsindiscrètesdesamère.Engrignotantunsandwich,Brianparladesescours(«Çapeutaller»),desesrésultats(«Pasdeproblèmemajeur»)etdesesétatsd’âme(«Çavaaussi»).Beaucoupmoinsenformequ’àsadernièrevisite,ilavaitleteintblêmed’unratdebibliothèque.Ilsedisaitépuiséparsesexamensdefindesemestre,maisSarahsedemandas’iln’avaitpasd’autresproblèmes.Dedrogue,parexemple.Malgrésonestimepourlui,cettehypothèseluiparaissaitvraisemblable.Ungarçonaussisensible,vivanttoutseuletsoumisàunstressimportant,étaitparticulièrementexposéàuntelfléau.Ellesesouvenaitd’unecamaradedesarésidenceuniversitairequiavaitabandonnésescoursenmilieud’annéepourcetteraison.Sonfrèreluirappelaitétrangementcettejeunefille.Lajournées’annonçaitmal...Maureensetracassaitausujetdesonfilsets’acharnaitàemplirsonassiette.—M’man,jen’aipasfaim!grommela-t-il.Ilrepoussasonassiette,queMaureenalladéposerdansl’évierensemordantleslèvres.Aprèsledéjeuner,SarahaccompagnaBrianjusqu’àsavoiturepourl’aideràrapportersesaffaires.—Mamanaraison,tuasunetêteàfairepeur.Ilsortitsesclefsdesapoche.—Merciducompliment,p’titesœur.—Lesemestreaétédur?—Jem’entirerai!—Situasenviedebavarderunmomentavecmoi,tusaisoùmetrouver!Ilouvritlecoffremaisdéposalesacqu’ilportaitàterre,carSarahl’avaitprisparlebras.—Jesais,murmura-t-il.—Sérieusement...Mêmesic’estunsujetdifficileàaborder...Brianhaussaunsourcilinquisiteur.—J’ail’airsimalenpoint?—Mamanpensequetutedrogues,mentitSarahpourensavoirplus.—Dis-luiqu’ellesetrompe!J’aidumalàm’adapteràmanouvelleviemaisçafinirapars’arranger.Ildécochaunsourirecompliceàsasœur.—Àpropos,cetteréponses’adresseàtoiaussi.—Àmoi?Briansortitunsecondsac.

—Mamannesoupçonneraitrienmêmesiellemetrouvaitentraindefumerduhaschdansleliving.Parcontre,elleestcapablederedouterquemescamaradesdechambrenememènentlavieduresousprétextequejesuis«tellementplusbrillantqu’eux»...Situm’avaisditça,tum’auraisparupluscrédible...—Tun’aspastoutàfaittort,admitSarahenriant.—Aulieudet’inquiéteràmonsujet,donne-moidetesnouvelles!—Jesuisenvacancesàpartirdevendredi.Quelquessemainesdereposmeferontleplusgrandbien.BriantenditàSarahsonsacdelingesale.—Lesenseignantsaussiontbesoind’unepause?—Encoreplusquelesélèves,jet’assure.Aprèsavoirrefermélecoffre,BrianpritsessacsetSarahs’assuraquesamèrenerisquaitpasdesurprendresesparoles.—Tuviensàpeined’arriver,dit-elle,maisaurais-tuquelquesminutesàmeconsacrer?Brianreposasessacsets’adossaàsavoiture.—Biensûr,Sarah.J’aitoutmontemps.—Ils’agitdeMiles.Nousavonseuunepetitealtercationaujourd’hui.Tutedoutesbienquemamanestladernièrepersonneàquijepeuxenparler...—Quevousarrive-t-il?—Jecroist’avoirdit,lejouroùjetel’aiprésenté,qu’ilaperdusafemmeilyadeuxans,àlasuited’unaccidentdelaroute.Lechauffardquil’arenversées’estenfui.Çaaététerriblepourlui...Figure-toiqu’hier,grâceàdenouvellesinformations,ilaarrêtéunsuspect.Maiscen’estpastout.Milesestalléunpeutroploin.Ilm’adit,hiersoir,qu’ilabienfailliletuer...Devantl’aireffarédeBrian,Sarahhochalatête.—Finalement,toutestrentrédansl’ordre.Lesangn’apascoulé...(Lesbrascroisés,ellechassadesonespritcettehorriblepensée.)Milesapourtantétésuspendudesesfonctions.Cequim’inquièteleplus,c’estqu’ilsontlibérécetype.Miles,quiatoujourseudesproblèmesaveclui,n’apasl’intentiondelâcherprise...—Tuviensdem’apprendrequ’ilaétésuspendudesesfonctions.—Milesneveutrienentendre.Situsavaiscequ’ilm’aditaujourd’hui!Jedevraispeut-êtreappelersonchefettoutluirépéter;maisilaeuassezd’ennuiscommeça...D’autrepart,sijemetais...Sarahs’interrompitetregardasonfrèredanslesyeux.—Quedois-jefaire,àtonavis?Attendrelasuite?Parleràsonchef?Oumedésintéresserdecettehistoire?Brianseconcentralonguementavantderépondre.—JesupposequeçadépenddetessentimentspourMilesetdecequetulecrois

capabledefaire...Sarahsepassalamaindanslescheveux.—Jel’aime,Brian.Situsavaiscommeilm’arendueheureusecesderniersmois!Maintenant,jesuisdanslepétrin.Jenevoudraispasqu’ilsoitlicenciéparmafaute,niqu’ilfassedesbêtises...—Tunepeuxpaslaisseruninnocentallerenprison!—Cen’estpascequimepréoccupeleplus.—Tuaspeurqu’ilsevenge?SarahrevitlesyeuxdeMiles,lançantdeséclairsmeurtriers.—Oui...—Alors,tudoisintervenir.—J’appellesonchef?—Tun’aspaslechoix,fitBriand’unairsombre.AprèsavoirquittéSarah,MilespassaplusieursheuresàchercherSims,maisenvain.IlrésistaàlatentationdefaireuntourdanslelotissementdesTimson.Cen’étaitpasqu’iln’avaitpasletemps,maisilavaitrendusonrevolveràCharlie.Parchance,ilenpossédaitunautreàsondomicile.Aucoursdel’après-midi,Charliereçutdeuxcoupsdetéléphone;dontl’undelamèredeSims,quis’étonnaitquetoutlemondes’intéressesoudainàsonfils.—MilesRyanestvenumeposerexactementlesmêmesquestionsquevous,luirépondit-ellequandillapriades’expliquer.Charliefronçalessourcilsetraccrocha,furieuxqueMilesn’aitpastenucomptedesamiseengarde.

LesecondappelétaitdeSarahAndrews.Aprèsluiavoirditaurevoir,ilfitpivotersonsiègeverslafenêtreetcontemplaunmomentleparkingtoutenmaltraitantsoncrayon.Uneminuteplustard,ilseretournaitpourenjeterlesmorceauxdanssacorbeille.—Madge?glapit-il.Sasecrétaireapparutsurlepasdelaporte.—AllezimmédiatementmechercherHarris!Uneminuteplustard,Harrisétaitaugarde-à-vousdevantlebureaudeCharlie.—TuvasteposterprèsdulotissementdesTimson,luiordonna-t-il.Dissimule-toietsurveilletouteslesalléesetvenues.Situremarqueslamoindreanomalie-tum’entends,lamoindreanomalie!-lanceaussitôtunappelradio.Jeneveuxpasl’ombred’unproblèmelà-bascesoir.Tum’asbiencompris?Harrisacquiesçad’unsignedetête:ilavaitcompris.Unefoisseul,CharlieappelaBrenda.Luinonplusn’étaitpasprèsderegagnersespénates.L’affaireprenaitmauvaisetournure.

28Auboutd’unan,mesvisitesnocturnesontcessé.JecontinuaispourtantàmerendretouslesjeudissurlatombedeMissy,qu’ilpleuveouqu'ilvente;jenecraignaismêmeplusd’êtrevu.J’apportaistoujoursdesfleurs.Lafindemesvisitesm’asurprismoi-même.Bienquemonobsessionn’aitpasfaibliaucoursdel’année,monenvied’épierMilesetsonfilsafaitplace,sansraisonapparente,àlavolontédeleslaisservivreenpaix.Jen’oublieraijamaislejouroùcelas’estproduit.C’étaitlepremieranniversairedelamortdeMissy.Jemesentaispresqueinvisiblequandjem’avançaisdanslenoir.Jeconnaissaisparfaitementlesmoindresdétailsdemonparcoursetilmefallaitdeuxfoismoinsdetempsqu’audébutpouratteindremonbut.J’étaisdevenuunvoyeurprofessionnel,car,noncontentderegarderàtraverslesvitres,j’apportaisdepuisquelquesmoisdesjumelles.Parfois,uneprésencesurlarouteoudanslesjardinsm'empêchait,eneffet,dem'approcherdesfenêtres.IlarrivaitaussiqueMilestirelesrideauxdelasallede

séjouretmefrustreduspectacletantattendu.Danscescas-là,lesjumellesrésolvaientmonproblème.J’avaisrepérédansuncoindujardin,auborddelarivière,unvieuxchênegéantdontlesbranchesbasseslongeaientlesol.Jem’yinstallaissouvent,demanièreàdistinguerlafenêtredeleurcuisine,sansêtregênéparlemoindreobstacle.Jerestaisàmonpostependantdesheuresetj’observaisMilesquandilvenaitserasseoir,aprèsavoircouchésonfils.Milesavaitchangé,commemoi,aucoursdel’année.Ilseplongeaittoujoursdanssondossier,maismoinsrégulièrementqu'avant.Lesmoispassant,sonobsessiondemeretrouversemblaitdécroître.Ilnedevenaitpasindifférent,maisilavaitdûprendreconsciencequel’affaireétait,dansuneimpasse.LesoirdupremieranniversairedelamortdeMissy,ilasortisondossieraprèsavoircouchéJonah,maisils’estcontentédelefeuilletersansprendredenotes,commeunalbumdephotosévoquantdenombreuxsouvenirs.Auboutd’unmoment,ill’areposé,etadisparudansleliving.Quandj’airéaliséqu’iln’allaitpasrevenir,jesuisdescendudemonarbrepourmefaufilersurleporche.Bienqu’ilaitbaissélesstores,Milesavaitlaissélafenêtreouvertepourprofiterd’unebrisenocturne.Demonposted’observation,jel’aiaperçu,assissurlecanapé.Uneboîteencartonposéeàcôtédelui,ilregardaitlatélévision.J’aicollémonoreilleàlafenêtre,etcequej’aientendum'a,parubizarre.Desvoixbrouillées,dessonsdéformés,suivisdelongssilences.UndernierregardàMilesm’apermisdecomprendre.Toutétaitlàdanssesyeux,danslasinuositéde,saboucheetdanssamanièredes’asseoir.Ilregardaitdescassettesfamiliales...J’aifermélesyeuxetj’aireconnusonintonation,puislavoixhautperchéed’unenfant,et,auloin,uneautrevoixàpeinedistincte.LavoixdeMissy.Dansmontrouble,j’aifailliétouffer.Jesuffoquais.MilesetJonah,quej’avaisépiésdepuisunan,étaientenréalitédesinconnuspourmoi...J’écoutais,éberlué.Lavoixde,Missyestrestéeunmomentensuspens,puisjel’aientenduerire.Bouleversé,j’aivouluaussitôtconnaîtrelaréactiondeMiles.Jel’imaginaisauborddeslarmes,plongédanssessouvenirs.Jemetrompais.Ilnepleuraitpas;unsourireflottaitsurseslivres.C’estalorsquej’aiprismadécision.Aprèscettevisite,j'aieulasincèreconvictionquejen’iraisplusjamaislesespionner.L’annéesuivante,j’aiessayédereprendreunevienormale.Enapparence,j’airéussi.Lesgens,autourdemoi,trouvaientquej’allaismieuxetquej’étaisredevenucommeavant.Jen’étaispasloindepartagerleuropinion.Libérédemonobsession,jemecroyaissortidemoncauchemar.J’allaispouvoiroubliernonpaslamortdeMissy,maislesentimentdeculpabilitéquimehantaitdepuisunan.

Commentaurais-jepumedouterquecetteangoissenemequitteraitpas?Qu’ellesemettraitsimplementenveilleuse,commeunemarmottequiattendlesbeauxjourspoursortirdesonhibernation.

29Ledimanchematin,peuaprèshuitheures,onfrappauncoupàlaportedeSarah.Aprèsavoirhésitéuninstant,elleallaouvrir.Sic’étaitMiles,qu’allait-elleluidire?Toutdépendraitdesonattitude.S’ilsavaitqu’elleavaitappeléCharlie,serait-ilfâché?Peiné?Comprendrait-ilqu’elleavaitagipoursonbien?ÀlavuedeBrian,ellesesentitrassurée.—Tuesbienmatinal!s’écria-t-elle.—J’aiàteparler.Sarahfîtentrersonfrèreets’assitàcôtédeluisurlecanapé.—Alors?fit-elle.—TuasfiniparappelerlechefdeMiles?—Oui,soupiraSarahensepassantunemaindanslescheveux.Tum’asdittoi-mêmequejen’avaispaslechoix.—Tupensesqu’ilrisquedesevengers’ilretrouveletypequ’ilaarrêté?—J’aidebonnesraisonsdem’inquiéter...—Ilsaitquetuasappeléleshérif?—Aucuneidée.—Tun’aspasparléàMiles?—J’aicherchéàlejoindreplusieursfoisdepuishier,maisiln’estjamaischezlui.Jetombetoujourssurlerépondeur.

Briansepinçal’arêtedunezentredeuxdoigtsetsavoixrésonnabizarrementdanslesilencedelapièce.—J’aibesoindeconnaîtrelefonddetapensée...Penses-tuvraimentqueMilesiraittroploins’ilremettaitlamainsurcetype?Intriguée,Sarahsepenchaverssonfrère,quiévitasonregard.—Jenesuispasextralucide,maisj’enaibienpeur.—Dis-luidelaissertomber.—Laissertomberquoi?fitSarah,deplusenplusperplexe.Brianl’imploraduregard.—L’hommequ’ilaarrêté...Fais-luicomprendrequ’ildoitabsolumentlelaisserenpaix!—J’aidéjàessayé.—Encoreuneffort!Sarahsecaladanslecanapé,lessourcilsfroncés.—Quesepasse-t-il,Brian?—JetedemandaisseulementcequeferaitMiles,àtonavis.—C’estsiimportantpourtoi?—JemepréoccupedeJonah.—Jonah?—Milesnepenseraitpasàluiavantdecommettrel’irréparable?Crois-tuqu’ilrisqueraitd’êtreenvoyéenprison?Sarahsesaisitdesdeuxmainsdesonfrère.—Cessedemeposerdesquestions,etdis-moicequinevapas,murmura-t-elle.Jesavaisquel’heuredevéritéavaitsonné.J’étaisvenuchezellepourmeconfesser,maisjen’aipaseulaforcedeluiparlertoutdesuite.Pourquoiluiai-jeposétantdequestions?Espérais-jeunderniersursisavantdepasserauxaveux?L'hommequimentaitdepuisdeuxanscherchait-ilàtricherunedernièrefois?Jepensesincèrementquejevoulaissurtoutprotégermasœur.Mesparolesallaientlablesser,carelleaimaitMiles.Àl'occasiondeThanksgiving,j'avaisremarquélesregardsqu’ilséchangeaient,leursgestesattentionnésetleurtendrebaiseraumomentdesequitter.ElleaimaitMiles,Milesl’aimait,etJonahlesaimaittouslesdeux.Pendantlanuit,j’avaisréaliséquejenepouvaisplusgardermonsecret.SiSarahcroyaitMilescapabledesevenger,monsilencerisquaitdemettred’autresviesendanger.Missyétaitmorteparmafaute,jenevoulaispasêtreàl’origined’unesecondetragédieabsurde.Maispourmesauver,poursauverlavied’uninnocent,etpoursauverMilesRyan

delui-même,jedevaissacrifiermasœur.Sarah,quiavaitdéjàtraversétantd’épreuves,allaitapprendrequesonproprefrèreavaittuélafemmedeMiles.Quandelleluiauraitfaitcetaveu,lesyeuxdanslesyeux,qu’adviendrait-ildeleuramour?N’était-cepasinjustedelasacrifier?Bienqu’innocente,ellesesentiraitécarteléeentresonamourpourMilesetsessentimentspourmoi,dèsqu’elleauraitentendumaconfession.Pourtant,jenevoyaispasd’autresolution.—Jesaisquiconduisaitlavoiturecettenuit-là,ai-jechuchotéd’unevoixrauque.—Tulesais?a-t-ellefaitenmedévisageantd’unairincrédule.J’aibaissélatêteensilence;elles’estpenchéeenavantcommeunballonquisedégonflelentement.Elleavaitdevinécequej’allaisluidire,etjen’aipuquemurmurer,sansdétournerlesyeux:—C’estmoi,Sarah.C’estmoiquiconduisais.

30Àcesmots,Sarahreculacommesiellevoyaitsonfrèrepourlapremièrefois.—Jenel’aipasfaitexprès...Jesuisdésolé...balbutiaBrian,avantdefondreenlarmes.Secouédespasmes,ilsanglotaitcommeunenfantdésespéré,luiquin’avaitpasverséjusque-làuneseulelarmederemords!Malgrésonchagrin,Sarahlepritdanssesbras,etilsesentitd’autantpluscoupablequ’ellel’aimaitencore.Ellelelaissapleurersansriendire,enpassantdoucementlamainlelongdesondos.Illaserradetoutessesforces,depeurquetoutnechangeentreeuxs’illalaissaitpartir.Maistoutavaitdéjàchangé,qu’illeveuilleounon.Quandseslarmessetarirent,illuiracontacequis’étaitpassé.Sansluimentir;maissansévoquersesvisitesnocturnes.

Ilbaissalatêtetantquedurasaconfession.L’idéedeluiinspirerdelapitiéoudel’horreurluiétaitinsupportable.Àlafindesonrécit,ils’armadecouragepourlaregarderenface,etiln’aperçutdanssesyeuxqu’unelueurd’effroi.Brianrestatoutelamatinéechezsasœur.Ellel’interrogeasansrelâche;illuiracontaunesecondefoiscequis’étaitpassé.Laréponseàlaquestioncruciale-pourquoines’était-ilpaslivréàlapolice?-allaitdesoi.Souslechocdel’accident,iln’avaitpaseulecouragedeparler,etilavaitattendu...jusqu’àcequ’ilsoittroptard.Sarahcomprenaitsaréaction,sanspourautantlajustifier.Ilsdiscutèrentlonguement,puisellesetutetilcompritquelemomentétaitvenudelaquitter.Ensedirigeantverslaporte,iljetauncoupd’œilau-dessusdesonépaule.Recroquevilléesurlecanapé,commeunevieillefemme,sasœurpleuraitsilencieusementencachantsonvisageentresesmains.

31TandisqueSarahpleuraitsursoncanapé,CharlieCurtis,enuniforme,remontaitàgrandspasl’alléedeMilesRyan.C’étaitlepremierdimanchedepuisdesannéesqu’iln’accompagnaitpasBrendaàl’église,maisilluiavaitexpliquéqu’iln’avaitpaslechoix.Vulescirconstances-c’est-à-direlesdeuxappelstéléphoniquesqu’ilavaitreçuslaveille-,ilavaitpassépresquetoutelanuitàsurveillerlamaisondeMilesRyan...Ilfrappaàlaporte.Miles,vêtud’unjeanetd’unsweat-shirt,unecasquettedebase-ballsurlatête,vintluiouvriretnesemblapassurprisoutremesureparlavisitedesonchef.—Ilfautqu’onseparle,déclaracelui-cisanspréambule.

Miles,lespoingssurleshanches,nedécoléraitpascontreCharlie.—Jet’écoute!Charlieremontalavisièredesacasquette.—Sionrestesurleporche,Jonahrisquedenousentendre.Onpeutallerdehorssituveux...Uneminuteaprès,Charlies’étaitadosséàsavoiture,lesbrascroisés.Miles,faceàlui,devaitclignerdesyeuxcarlesoleilétaitencorebasdansleciel.—Dis-moisituasessayéderetrouverSimsAddison,fitCharliesanstournerautourdupot.—Àquoibonmeposerunequestiondonttuconnaisdéjàlaréponse?—C’étaitpoursavoirsituoseraismementirenmeregardantdroitdanslesyeux.—J’aiessayédeleretrouver,admitMiles.—Pourquoi?—Parcequetum’asdittoi-mêmequetulecherchais.—Souviens-toi,Miles,quejet’aisuspendudetesfonctions.Tusaiscequeçasignifie?—Ilnes’agitpasd’unedécisionofficielle...—Peuimporte!Jet’aidonnéunordreettunel’aspasrespecté.Tuasbeaucoupdechancequ’HarveyWellmann’enaitriensu.Maisjenepourraipastecouvriréternellement,etjesuistropvieuxpourcegenred’embrouilles.Charliesebalançaitd’unejambesurl’autre,dansl’espoirdeseréchauffer.—Ilmefauttondossier,Miles,conclut-il.—Mondossier?—Oui,ilmelefautparcequ’ilconcernelamortdetafemme.Jetiensàvoirlesnotesquetuasprises.—Charlie...—Jesuissérieux.Tumeledonnes;sinonjeleprendsmoi-même.C’estl’unoul’autre,mais,entoutcas,jel’aurai!—Maisenfin,pourquoi?—Unpeudebonsens,Miles!Tun’aspasécoutéunseulmotdecequejet’aidithier.Jeterépètequetudoisresteràl’écartdecettehistoireetnousfaireconfiance.—Entendu!—Donne-moitaparolequetuvascesserdechercherSimsetquetun’approcheraspasOtisTimson.—NewBernestunepetitebourgade.Onpourraitserencontrerparhasard...Charliefronçalessourcils.—Finielaplaisanterie,Miles!Situt’approchesàmoinsdecinquantemètres

d’Otis,desamaisonoumêmedesendroitsqu'ilfréquente,jetedonnemaparolequejetejetteenprison.—Pourquelmotif?—Pourvoiesdefait.Cettepetitebavure,danstavoiture...Rends-toicomptequeçapourraitt’attirerdesennuis!Situnefaispasgaffe,tuvasteretrouverderrièrelesbarreaux.—C’estdingue!—Non,tul’asbiencherché.Tuessiperturbéquejenevoispasd’autresolution.Devineoùj’aipassélanuit!Jem’étaisgaréauboutdetaruepourm’assurerquetunesortiraispas...Çamedémolitdenepluspouvoirtefaireconfianceaprèstantd’annéesdecollaboration!Charliepoursuivitsatiradesansselaisserinterrompre.—Jeteseraisdoncreconnaissantdemeremettre,enmêmetempsquetondossier,touteslesarmesdonttudisposescheztoi.Jetelesrendraidèsquecetteaffaireseraréglée.Siturefuses-cequiesttondroit-j’ailapossibilitédeteplacersoussurveillance,etjenem’enpriveraipas.Tunepourrasplusprendreuncafésansquequelqu’unobservetesfaitsetgestes.Jetepréviens,parlamêmeoccasion,quej’aienvoyédeshommesaulotissementdesTimson;ilsteguettenteuxaussi.—Otisétaitauvolantlesoirdel’accident,marmonnaMilesenfuyantobstinémentleregarddeCharlie.—Enas-tulacertitudeoubiencherches-tuuneréponse-n’importequelleréponse-auxquestionsquetuteposes?Milesrelevalatête.—Tuesinjuste,Charlie.—Vraiment?N’oubliepasquec’estmoiquiaiparléàEarl,pastoi!J’aireluaussitoutel’enquêtedelapatrouilleroutière,etjepeuxt’affirmerqu’iln’yaaucunepreuvetangiblepermettantd’inculperOtis.—Jetrouveraicettepreuve...—Non!grondaCharlie.Surtout,net’enmêlepas!Milesrestasilencieux.Auboutd’unmoment,Charlieposaunemainsursonépauleensoupirant.—Jetedonnemaparolequel’enquêtesuitsoncours.Siparhasardontrouvequelquechose,jeserailepremieràreconnaîtremestortsetàsouhaiterqu’Otissoitpunicommeillemérite.D’accord?Milesserralesmâchoires..—Jesaisquec’estdurpourtoi,ajoutaCharlie.—Tun’ensaisrien!répliquaMilesendégageantbrusquementsonépaule.Brendaesttoujourslàpourt’accueillirquandturentrescheztoi.Vousvousréveillezdanslemêmelit;tupeuxl’appelerquandtuveux.Personnenel’arenverséedesang-froidsuruneroute,sansquejusticesoitfaite...Non,çanepeutplusdurer!Jete

donnemaparolequelecoupablefiniraparpayer.Dixminutesplustard,leshérifrepartait,malgrétout,avecledossieretlesrevolvers.Aucundesdeuxhommesneprononçaunmotdeplus.Charliefaisaitsontravail;Milesavaitdécidédefairelesien.AprèsledépartdeBrian,Sarahrestalongtempsassise,dansunequasi-hébétude.Ellenepleuraitplus,maisellen’osaitpasbouger,depeurd’ébranlersonfragileéquilibre.Plusrienn’avaitdesens;sesémotionsluiparaissaientinextricables.Commentunetragédiepareilleavait-ellepuseproduire?Brianavaiteuuneréactionabsurde;maisils’agissaitmanifestementd’unsimpleaccident,qu’ellen’auraitpaspuéviterellenonplussielleavaitétéauvolant.CetaccidentavaitcausélamortdeMissyRyan.MissyRyan,lamèredeJonah.L’épousedeMiles.C’étaitàn’yriencomprendre...PourquoiBrianavait-ilrenversécettefemme-làsurlaroute?PourquoiMiles,plutôtqu’unautrehomme,était-ilentrédanssavie?Coïncidences!Immobilesursoncanapé,elleétaitatterréeparlaconfessiondeBrian.Malgrésacolèreetsoneffroi,elleaimaittoujourssonfrère,qu’ellesentaitminéparuneterribleculpabilité.EtMiles...MonDieu,Miles...Devait-ellel’appelerimmédiatementetluidirecequ’elleavaitappris?Oubienattendred’êtrepluscalmepourluiparler?Attendre,commel’avaitfaitBrian...D’ailleurs,qu’allaitdevenirBrian?Sonpetitfrèreiraitenprison.Quandunhommeenfreintlaloi,lajusticedoittrancher.Cetteidéelarendaitmalade,carBriann’étaitqu’ungaminàl’époquedecetaccidentdontiln’étaitpasresponsable.Ellehochalatêteenregrettantpresquequ’ill’aitmiseaucourant,maisellecomprenaitpourquoiilavaittenuàluiparler.Pendantdeuxans,Milesavaitpayéleprixdesonsilence.Et,maintenant,c’étaitletourd’Otis...Elleinspiraprofondément,sesdoigtsserréssursestempes.Milesirait-iljusqu’àpasseràl’acte?Peut-êtrepas,maissahainepourOtislerongerait,et,unjouroul’autre...Ellechassacetteidéeinsoutenable.Quefaire?Ellen’avaittoujourspasrésolusondilemmequandMilesfrappaàsaporte,quelquesminutesplustard.—Salut,dit-ilsimplement.Sarah,lamainsurlapoignéedeporte,restaunmomenthébétée.Sespenséesl’entraînaientdansuntourbilloninfernal.Allait-elleluiparlertoutdesuite,poursoulagersaconscience?Ouprendreletempsderéfléchir?

—Çava?reprit-il.—Hum...Oui...marmonna-t-elleenreculantd’unpaspourluilaisserlepassage.Aprèsavoirrefermélaportederrièrelui,ilsedirigeaverslafenêtre,ouvritlesrideauxetjetauncoupd’œildanslarue;puisilfitletourdelapièced’unairabsentetdéplaçamachinalementunephotodefamilleposéesurlacheminée.Sarah,immobile,l’observaitensedisantqu’elleconnaissaitl’hommequiavaittuésafemme.—Charlieestpassécematin,annonça-t-ilsoudain.IlaprismondossiersurMissy.—Désolée!,Milesnesemblapasseformaliserdesaréponsemaladroite.—Ilm’aprévenuqu’ilmeferaitarrêtersij’osaism’approcherd’OtisTimson...Comprenantqu’ilenavaitlourdsurlecœur,Sarahpréféragarderlesilence.—Tuterendscompte,insistaMiles,jemepermetsd’arrêterl’hommequiatuémafemme,etvoilàcequim’arrive!—Désolée!répétaSarah,àlalimitedesesforces.—Etmoidonc!JenepeuxnichercherSimsnienquêter.Jenepeuxrienfaire,àpartresterassischezmoietlaisserCharliesedébrouiller.Sarahs’éclaircitlavoix.—Aprèstout,c’estpeut-êtrelameilleuresolution;aumoinspourlemoment...—Sûrementpas!Jesuisleseulàavoirpersévéréaprèsl’interruptiondel’enquêteinitiale.Personnen’ensaitaussilongquemoisurcettehistoire.—Quevas-tufaire?—Jen’ensaisrien.—Entoutcas,j’espèrequetusuivraslesconseilsdeCharlie.DevantleregardfuyantdeMiles,Sarahsentitsonestomacseserrer.—Écoute,Miles,murmura-t-elle.Quetuleveuillesounon,Charliearaison.Laisse-les’occuperd’Otis!—Pourqu’ilsaboteletravailunesecondefois?—Unesecondefois?LesyeuxdeMilesjetèrentdeséclairs.—Biensûr!Jetesignalequ’Otisesttoujoursenlibertéetquec’estmoiquiairetrouvéletypequil’abalancé!Ilsauraientpusedonnerunpeuplusdemalpourdénicherdespreuvesquandilsontmenéleurenquête.—Iln’yenavaitpeut-êtrepas.—Pourquoitefais-tul’avocatdudiable?protestaMiles.—Tuexagères!—Hieraussi,tuasrefusédem’écouter.

—Jevoulaistemettreengarde...—Oui,commeCharlie.Vousneréalisezdoncpasàquelpointc’estgrave?—Jeréaliseparfaitement,fitSarahsanséleverleton.TucroisOtiscoupableettuveuxtevenger.Maisquesepassera-t-ilsitudécouvresparlasuitequeSimsetEarlt’ontinduitenerreur?—Ilsauraientmentitouslesdeux?—Non,maisilsontpeut-êtremalentendu.EtmêmesiOtisaditcela,cen’estpasuneraisonpourlecroire...Miles,abasourdi,setaisait.—Si,parhasard,Otisétaitinnocent?ajoutaSarahd’unevoixétouffée.Jesaisquevousn’êtespasentrèsbonstermestouslesdeux...—C’estlemoinsqu’onpuissedire!rugitMiles.IlfoudroyaSarahduregardets’avançad’unpas.—Sais-tudequoituparles?Cethommeatuémafemme.—Tun’enaspaslapreuve.—Si,jel’ai!Cequim’étonnec’estquetusoissipersuadéedesoninnocence.—Jedissimplementquetudevraist’enremettreàCharliepournepasêtretentéde...—Dequoi?Deletuer?SarahrestamuetteetMilesajoutaavecuneétrangesérénité:—Letuercommeilatuémafemme...Sarahpâlit.—SitupensaisàJonah,tuneparleraispascommeça.—Nelemêlepasàcetteaffaire!—Iln’aquetoiaumonde.—Tut’imaginesquejenelesaispas?Qu’est-cequim’aretenud’appuyersurladétentel’autrejour?Souviens-toiquej’auraispudescendreOtis...Milessoupiraprofondémentcommes’ilregrettaitdenepasêtrepasséàl’acte.—Oui,conclut-il,j’aifailliletuer;ill’auraitbienmérité.Œilpourœil,dentpourdent...Jeneluiferaipasgrâce,quoiqu’ilarrive.Surcesmots,iltournaledosàSarahetpartitenclaquantlaporte.

32Sarahpassaunenuitblanche.ElleallaitenmêmetempsperdresonfrèreetMilesRyan,l’hommequ’elleaimait.Allongéesursonlit,elleseremémorasapremièrenuitavecMiles,danscettemêmechambre.Ellesesouvenaitdesmoindresdétails.Sonexpressionquandelleluiavaitapprisqu’ellenepouvaitpasavoird’enfants,sadéclarationd’amour,leurstendreschuchotements,etlapaixqu’elleavaitressentiedanssesbras.Elleavaitplongédansunedoucebéatitude.Aprésent,toutétaitterminé.LesheuresquiavaientsuccédéaudépartdeMilesneluiavaientapportéaucuneréponse.Plusletempspassait,pluselleavaitlacertitudequetoutétaitjoué,quellequesoitsadécision.SielleneparlaitpasàMiles,oserait-elleencoreleregarderenface?Assisechezelle,prèsdusapindeNoël,pourrait-ellesourireàBriantandisqueMilesetJonahdéballeraientleurscadeaux?EllenepourraitpasnonplussepermettrederegarderlesphotosdeMissy,chezMiles,toutensachantqueBrianavaittué,accidentellement,lamèredeJonah.C’étaithorsdequestion,d’autantplusqueMilesenvoulaitàmortàOtis.Elledevaitluidirelavéritépournepaslaisserpuniruninnocent.Enoutre,Milesavaitledroitdesavoircommentétaitmortesafemme.Qu’adviendrait-ilensuite?Milesnesecontenteraitsansdoutepasd’écouterlaconfessionducoupable.Brianavaitenfreintlaloi,ilseraitarrêté.SesparentsenauraientlecœurbriséetMiles,l’hommequ’elleaimait,neluiadresseraitplusjamaislaparole.Sarahfermalesyeux.Sonamourbrisé...Sonfrèreenprison...Lecœurchaviré,elleallas’asseoirdanslelivingenespérantchasserdesonespritlasinistreperspective.Ellen’yparvintpasplusquedanssachambre.Soudain,ellesutcequ’elleavaitàfaire.Unepénibleépreuvel’attendait,maisellenepouvaitpasreculer.Quandletéléphonesonna,lelendemainmatin,BriandevinaqueSarahétaitauboutdufil.S’attendantàsonappel,ildécrochasansdonneràsamèrel’opportunitéderépondrelapremière.

Sarahalladroitaubut.Ill’écoutacalmementetacquiesça.Quelquesminutesaprès,ilsedirigeaitverssavoitureenlaissantl’empreintedesespiedssurlaneigefraîche.Auvolant,ilrepensaàcequ’ilavaitditlaveilleàSarah.Connaissantsasœur,ils’étaitdoutéqu’ellel’inciteraitàselivrer,malgrélesconséquencesredoutablesquecelaentraîneraitpoureuxdeux.Aprèss’êtresentietrahieparMichael,ellenesupporteraitpasdefairesubirlemêmesortàMiles.Surlepointdesegarer,ill’aperçutdevantl’égliseépiscopaleoùl’onavaitcélébrélesobsèquesdeMissy.Assisesurunbancsurplombantlepetitcimetièreauxpierrestombalespoliesparletemps,elleavaitcetairdésespéréqu’illuiavaitconnuuneseulefoisdanssavie.Sarahl’entenditetseretournasansluifairesigne.Elleavaitdûsefaireportermalade,carlesvacancesn’avaientpascommencé.Illarejoignitensedemandant,malgrélui,cequiseseraitpassés’iln’avaitpasvuMileschezsesparentsàl’occasiondeThanksgiving,ousiOtisn’avaitpasétéarrêté.—Jenesaispasoùj’ensuis,souffla-t-elleenfin.—Jeregrettevraiment...—Ilyadequoi.Sarahavaitlesjouesécarlates,sansdouteàcausedufroid.—Onenaassezparlé,reprit-elled’untonamer,maisjevoudraisêtresûrequetum’asditlavérité.—Toutelavérité!—C’étaitvraimentunaccident?—Oui.Sarahhochalatête,sansparaîtretranquilliséepourautant.—Jen’aipasfermél’œildelanuit,Brian.Contrairementàtoi,jenepourraipasmetaire...Tuauraisdûteconfieràmoiquandças’estpassé!Commeill’avaitfaitlaveille,Brianadmitquelecourageluiavaitmanqué.Ilsgardèrentlesilenceunlongmoment,puisSarahlaissasonregarderrersurlespierrestombales.—Tudoisluiparler,dit-elleenfind’unevoixpresqueinaudible.QuandBrianeutacquiescé,ellebaissalatête,lesyeuxluisantsdelarmes.Elles’inquiétaitpoursonpetitfrère,maisc’étaitsurtoutsursonpropresortqu’ellepleurait.SarahemmenaBrianchezMiles.Pendantqu’elleconduisait,ilobservalepaysageàtraverslavitre.Lesvibrationsdelavoiturelevidaientdetoutesonénergie,mais,bizarrement,iln’avaitpluspeurdepuisqu’ilavaittoutavouéàsasœur.Ilstraversèrentlepont,empruntèrentMadameMoore’sLane,puisdesroutessinueusesjusqu’àl’alléedeMiles.

Aprèss’êtregarée,Sarahrestaunmomentimmobile,lesclefssursesgenoux.Elleprituneprofondeinspiration,adressaunsourirecontraintàsonfrèreetglissasesclefsdanssonsac.Brianouvritlaportièreetilssedirigèrentensembleverslamaison.Sarahhésitasurleporche.Enrepensantauxlonguesheuresqu’ilsavaientpasséeslà,BriansejuradetoutavoueràMiles.Toutsaufsesexpéditionsnocturnes...Sarahs’armadecouragepourfrapper;Milesvintouvrir.—Sarah...Brian...bredouilla-t-il.—Bonjour,fitSarahd’unevoixquiparutétonnammentcalmeàsonfrère.D’abord,personnenebougea.Encoretroublésparleurdiscussiondelaveille,MilesetSarahsedévisageaientsansunmot.Enfin,Milesreculad’unpas.—Entrez,dit-il,avantderefermerlaportederrièresesvisiteurs.Jevousoffrequelquechoseàboire?—Nonmerci,firentSarahetBrianenchœur.—Voyons,quesepasse-t-il?Sarahajustadistraitementlabretelledesonsac.—Ilyaunechosedontjevoudrais...ouplutôtdontnousvoulonsteparler.Onpeuts’asseoir?—Biensûr,réponditMilesensedirigeantverslecanapé.Brians’assitprèsdesasœuretrepritsonsoufflepourparler,maisSarahintervint.—Miles,jetiensàtedirequejesuisnavréed’enêtrearrivéelà...Souviens-toiquecettedémarchenouscoûtebeaucoupàtouslesdeux...—MonDieu,expliquez-vous!SarahhochalatêteendirectiondeBrian,quimurmura,lagorgesèche:—C’étaitunaccident...Ensuite,lesmotsqu’ils’étaitcentfoisrépétésdéferlèrentcommeuntorrent,etilracontacequis’étaitpassécettenuit-là,sansomettrelemoindredétail.LaréactiondeMileslepréoccupaitavanttout.Celui-cicommençaparécouterposément.Ilavaitappris,entantqueshérif,quelesilenceestlameilleuremanièred’accueilliruneconfessionetd’obteniruneversionobjectivedesévénements.C’estenentendantparlerduRhett’sBarbecuequ’ilfinitparréaliserdequoiils’agissait.Blêmissantsouslechoc,ils’agrippadesdeuxmainsauxaccoudoirsdesonfauteuil.Briancontinuaàparler.Ilentendaitenarrière-planlarespirationhaletantedesasœur,maisilmenasonrécitjusqu’aupointfinal-lemomentoù,seuldanssacuisine,lelendemainmatin,ilavaitdécidédegarderlesilence.Quandilsetut,Milesrestaunmomentfigésurplacepourrassemblersesesprits,puisilletransperçaduregard.

—Unchien?grogna-t-ild’unevoixrauque,commes’ilavaitretenusonsoufflependanttoutesaconfession.Tudisqu’elleasautésouslesrouesdetavoitureàcaused’unchien?—Ungroschiennoir.Jen’aipaspul’éviter...Miles,lessourcilsfroncés,semaîtrisaitavecpeine.—Alors,pourquoit’es-tuenfui?—Aucuneidée.Toutàcoup,jemesuisretrouvédansmavoiture.—Tuasoublié?fitMiles,bouillantdecolère.—J’aioubliécemoment-là...—Maistutesouviensdurestedecettesoirée?—Oui.—Alors,souviens-toidecequit’apousséàt'enfuir!SarahposaunemainapaisantesurlebrasdeMiles.—Jet’assurequetupeuxcroiremonfrèresurparole.Milessedégagea.—Laisse-le,murmuraBrian.Ilaledroitdem’interroger.—Pourçaoui,j’ailedroit!—Jenesaispaspourquoij’aiprislafuite,insistaBrian.Jemesuisretrouvédansmavoiture,maisjenemerevoispasentraindepartir.Milesseleva,furibond.—Ettut’imaginesquejevaistecroirequandtuprétendsquec’étaitlafautedeMissy?Sarahvolaausecoursdesonfrère.—Cequ’ilteditestlapurevérité,Miles!—Jen’enaiaucunepreuve.—Souviens-toiqu’ilestvenuici.—Auboutdedeuxans.C’estunpeulong,tunetrouvespas?Et,soudain,Milescrutvoirclair.Sarahsavaitdepuislongtempsquesonfrèreétaitl’assassin.N’avait-ellepasessayédecalmersondésirdevengeance?Neluiavait-ellepasconseillédefaireconfianceàCharlieetdenepascroireaveuglémentautémoignagedeSimsetd’Earl?EllesavaitOtisinnocent,carellen’ignoraitriendelaculpabilitédeBrian...D’ailleurstoutconcordait.Elleluiavaitditqu’ellesesentaitprochedesonfrère;qu’ilétaitunedesrarespersonnesàquiellepouvaitparleràcœurouvert.Aiguillonnéesparunedécharged’adrénaline,lespenséesdeMiless’emballaient.Sarahsavaittout,maiselleavaitgardélesecret.

Grimaçantderage,illadévisageasansunmot.Elleavaitproposéspontanémentd’aiderJonahàrattrapersonretard.Ellel’avaitécouté,elles’étaitliéeaveclui,etleursrapportsavaientchangésavie.Pourquoiavait-elleagiainsi,sinonpourapaisersapropreculpabilité?Toutcequ’ilsavaientbâtiensemblereposaitsurdesmensonges.Ellel’avaittrahi.Unsilenceplana.Miles,tétanisé,finitparsetournerverslafemmequ’ilavaitaimée.—Tusavaisqu’ilavaittuéMissy,n’est-cepas?articula-t-ild’unevoixrauque.ToutétaitfinientresasœuretMiles,compritalorsBrian.—Biensûr.C’estpourçaquejel’aiamenéici,fitSarah,commesilaréponseallaitdesoi.—Non,non...rugitMilesenpointantverselleundoigtaccusateur.Tuétaisaucourantdepuislongtempsettumel’avaiscaché...Jecomprendspourquoitucroyaisàl’innocenced’Otisetpourquoitum’incitaisàsuivrelesconseilsdeCharlie...—Arrête,Miles!C’estfaux...murmuraSarah,abasourdieparcetteterribleaccusation.Ill’interrompit,horsdelui.—Tul'astoujourssu!—Non.—Tulesavaisdéjàquandons’estrencontrés.—Non.—C’estpourçaquetuasproposéd’aiderJonah.—Absolumentpas!Sarahcrutuninstantqu’ilallaitlafrapper,maisilbonditdansladirectionopposée,lançauncoupdepieddanslatablebasseetrenversaunelampe.Brianselevapourprotégersasœur.Miles,plusfortquelui,l’interceptaetlefitpivotersurlui-mêmeenluitordantlebrasderrièrel’omoplate.Lejeunehommegrimaçasousl’effetdeladouleur.—Arrêtedelebrutaliser!s’écriaSarahquis’étaitéloignéeinstinctivement,avantmêmederéalisercequisepassait.Mileslevaunemainmenaçantedanssadirection.—Toi,çaneteregardepas!—Tun’aspasledroitdelemalmener.—Ilestenétatd’arrestation!—Jeterépètequec’étaitunaccident.Miles,horsdelui,entraînaBrianverslaporteenluitordanttoujourslebras.Lemalheureuxtrébucha.Ill’empoignaetleplaquacontreunmur,toutendécrochantlesmenottessuspenduesàunepatère.

—Miles,attends!hurlaSarahàlavuedesonfrèremenotté.MilesouvritlaporteetpoussaBriansurleporche.—Tun’asriencompris!insistaSarah.Sansl’écouter,Milestraînaverssavoituresonprisonnier,quiavaitdumalàtenirsursesjambes.—Miles!—Nem’adresseplusjamaislaparole!MilessetournaversSarah,etsavoixvibrantedehainelaclouasurplace.—Tum’astrahi,rugit-il.Tum’asmanipulé!Tuasfaitsemblantdet’attacheràJonahetàmoi,maisc’étaitpoursoulagertaconscience.Sarahpâlit,incapabled’articulerunseulmot.—Tul’astoujourssu,martelaMiles;ettunem’asrienditjusqu’aujouroùquelqu’unaétéarrêtéàlaplacedeBrian.—Çanes’estpaspassécommeça!—Tun’aspashontedemementir?—Miles,tutetrompessurtoutelaligne,murmuraSarah,offensée.—Jen’aiaucuneraisondedouter.—Moinonplus!—Jenetecroispas.—C’estpourtantlavérité.Milessetutuninstant,maislesyeuxemplisdelarmesdeSarahneluiinspiraientaucunecompassion.—Tavéritéàtoi,marmonna-t-il.Surce,ilpoussaBriandanssavoiture,claqualaporteetdémarra.Sarah,anéantie,entenditlespneuscrisser,tandisqueMilesfaisaitdemi-tour.Savoituredisparutbientôtsurlaroute,sansqu’ilseretourneuneseulefoispourluilancerundernierregard.

33Milesconduisaitparà-coups,accélérantetfreinantàmortcommes’ilvoulaittester

larésistancedesavoiture.Lesbrasbloquésderrièresondos,Brianfaillitplusd’unefoisbasculer,latêtelapremière,danslestournants.Milesserraitetdesserraitmachinalementlesmâchoires.Agrippéauvolant,ilsemblaitseconcentrersurlaroute,maisilneperdaitpasdevuelesyeuxdesonpassagerdanslerétroviseur.DansleregardhostiledeMiles,brillaituneangoissequirappelaàBriansonairégaré,lejourdesobsèquesdeMissy.Cetteexpressionétait-elleliéeàMissy,àSarah,ouàellesdeux?Entoutcas,ellen’avaitaucunrapportaveclui.Lesarbresdéfilaientsurlaroute.Milespritencoreuntournantsansralentir;Brianglissaverslafenêtrebienqu’ilaitplaquésespiedsausol.D’iciquelquesminutes,ilsdépasseraientl’endroitoùavaiteulieul’accidentdeMissy.Lacamionnettedel’égliseduBonPasteur,àPollocksville,étaitconduitecematin-làparBennieWiggins,unhommequipouvaitsevanterdenepasavoirméritéuneseulecontraventionpourexcèsdevitesseencinquante-quatreans.Lepasteurluiavaitdemandéd’allerchercheràNewBernlacollectededonsalimentairesetvestimentairesduweek-end.Toujourspromptàrendreservice,ilavaitacceptésanssefaireprier,bienquelesvolontairessoientdifficilesàtrouver,surtoutparmauvaistemps.Aprèsavoiravaléunetassedecaféetdeuxbeignetspendantlechargementdelacamionnette,ilavaitremerciétoutlemondeetils’étaitremistranquillementauvolant.Unpeuavantdixheures,ils’engageadoncsurMadameMoore’sLane.Malgrélachausséeglissante,ilmanipulaunmomentleboutondelaradiodansl’espoirdetrouverdesgospels.Ilnepouvaitpassedouterqueplusloin,ethorsdesavue,uneautrevoiturefonçaitdanssadirection.—Désolé,marmonnaBrian,maiscen’étaitpasmafaute...Milesdécochaunregardhaineuxàsonpassager,puisilbaissalavitresansunmot.Uneboufféed’airfroids’engouffradanslavoiture.Brianserecroquevillasurlui-même,danssonblousonouvertàtousvents.SarahselançasurlarouteenespérantrattraperMiles.Ilétaitpartidepuisdeuxminutes,cequisignifiaitdeuxoutroiskilomètresd’avance.Peut-êtreplus?Àtouthasard,ellepressalepiedsurl’accélérateurdèsqu’elleroulaenlignedroite.IlavaitfaillituerOtis.Commentsefieràluiaprèsavoirvusonvisagecrispéderage?Elledevaitabsolumentlerejoindreavantqu’ilfasseincarcérerBrian.Oùtrouverlebureaudushérif?Elleconnaissaitl’emplacementducommissariatdepolice,dupalaisdejusticeetdel’hôteldeville;maislepostedushérifdevaitêtreloinducentre,àl’autreboutducomté.Siellen’avaitpasrattrapéMilesd’icideuxminutes,elles’arrêteraitpourserenseignerauprèsd’unpassantouconsulterunannuaire...aurisquedeprendreencoreplusderetard.BennieWigginshochaitlatête.Desspotspublicitaires,toujoursetencore!Iln’y

avaitplusqueçaàlaradio.Desproduitsassouplissants,desconcessionnairesdevoitures,dessystèmesd’alarme...Entredeuxchansons,toujourslamêmelitanie.Lesoleilvenaitdeseleverau-dessusdelacimedesarbres;l’éclatdelaneigesurpritBennie.Ilclignadesyeuxetdescenditlepare-soleil.Aprèsunbrefsilencesurlesondes,unspotpublicitairepromettaitmaintenantd’apprendreàlireà«votreenfant».Iltenditlamainversleboutondelaradio,lesyeuxrivéssurlecadran,sansserendrecomptequ’ildépassaitlégèrementlalignemédiane.—JevousassurequeSarahnesavaitrien,murmuraBriandansunprofondsilence.IlespéraitqueMilesallaitl’entendremalgrélevent,carc’étaitsadernièrechancedeluiparlersanstémoins.L’avocatqueluiprocureraitsonpèreluiconseilleraitcertainementdenepasendireplus.Miles,quantàlui,recevraitsansdoutel’ordredenepasl’approcher.Maisiltenaitàleconvaincredel’innocencedeSarah.Mêmes’ilnepouvaitplusrienpoursasœur,ilnesupportaitpasl’idéequeMileslahaïsseàlasuited’unmalentendu.Elleneméritaitpasça!—Ellenem’avaitpasditqu’ellesortaitavecvous,reprit-il.JenesuisrevenuquepourlesvacancesdeThanksgivingetc’esthierquejeluiaiparlédel’accidentpourlapremièrefois.Vousnevoulezpasmecroire?—Pourquoitecroirais-je?—Ellenesavaitrien,répétaBrian.Jenepourraispasvousmentirsurcepoint...—Maistumentiraissurd’autres?ricanaMiles.Brianregrettaaussitôtsesparolesetsonsangseglaçadanssesveines:ils’imaginaitentraind’avouerqu’ilavaitassistéauxobsèquesdeMissyetqu’illesavaitépiésJonahetlui...—Sarahn’arienàsereprocher,murmura-t-ilaprèsavoirchassécettepensée.—Àquelproposmentirais-tu?insistaMiles.Àproposduchien?—Non.—Missyn’apassautésouslesrouesdetavoiture!—Quepouvait-ellefaired’autre?Personnen’estcoupable.Unaccidentimprévisible...—Tumens,grondaMilesentournantlatête.Malgrélerugissementduventàtraverslesvitresouvertes,lesondesavoixvibradanslavoiture.—Tun’étaispasvigilantettul’asrenversée.—Non!insistaBrian.Ças’estpassécommejevousl’aidit.Ilsesentaitaussicalmequ’unacteurentrainderécitermachinalementsonrôle.Sapeuravaitfaitplaceàuneprofondelassitude.Àmoitiétournésursonsiège,Milespointaversluiundoigtaccusateur.

—Tul’astuéeettuasfichulecamp!—Jemesuisarrêté,jel’aicherchée,etquandjel’aitrouvée...Brians’interrompit.IlrevoyaitMissydanslefossé.Soncorpsdisloqué,sonregardvidequisemblaitlefixer...—Jemesuissentisimalenlavoyantquej’aicrumourirmoiaussi,souffla-t-il.J’aidéposéunecouverturesurellepourquepersonned’autrenelavoiedanscetétat...BennieWigginsfinitpartrouverungospelselonsongoût.Assisbiendroitsursonsiège,ilréalisaqu’éblouiparlaneige,ilroulaitaumilieudelaroute.Ilrectifialadirectiondelacamionnette.Unevoitureapprochait,maisilnelavoyaitpasencore.Milesavaitsursautéenentendantl’allusiondeBrianàlacouverture.Celui-cisentitqu’enfinill’écoutait,etilsemitàparler,oublieuxdufroidetdushérifquiseconcentraitdemoinsenmoinssurlaroute.—J’auraisdûprévenirlapolicecesoir-là,dèsmonretourchezmoi.Jen’aiaucuneexcuseetjeregrettedetoutmoncœurcequejevousaifaitàvousetàJonah...Brianentendaitsaproprevoixrésonnercommesielleappartenaitàunautre.—Jenemedoutaispasquemonsilenceseraitlapiredeschoses,marmonna-t-il.Lesecretm’arongé.J’aiperdulesommeil,l’appétit...—Jem’enfous!—Mafautem’obsédait,repritBrian.Jen’avaisquecetteidéeentête.JedéposaismêmedesfleurssurlatombedeMissy...BennieWigginsfinitparapercevoirlavoitureenprenantuntournant.C’étaitàpeinecroyable;ellefonçaitsurluiàunevitessefolle.Sonesprits’emballaaussitôt.Pourquoiceconducteurroulait-ildumauvaiscôté?Sansdouteparcequ’ilnel’avaitpasencorevu.Ilallaitlevoird’uninstantàl’autreetredressersadirectiond’uncoupdevolant...Quelquessecondesplustard,Bennieeutlacertitudequ’ilétaittroptardpouréviterlechoc.Éblouiparlaréverbérationdusoleilàtraverslepare-brisedelacamionnettequis’engageaitdansletournant,Brians’interrompitaumilieud’unephrase.Ilbondit,ledoscambré,pourseprotégerlevisagedesdeuxmains.Sesmenottesentamèrentsespoignets.—Attention!hurla-t-il.Milesseretournaetbraquainstinctivementsonvolant,tandisquelesdeuxvéhiculesfonçaientl’unversl’autre.Brianglissasurlecôtéetl’absurditédel’événementluiapparutàl’instantoùsatêtecognaitlavitre.ToutavaitcommencédansunevoitureroulantsurMadameMoore’sLaneettoutsetermineraitdemême.

Unimpactfoudroyantallaitmaintenantseproduire.Iln’enfutrien.Lavoiture,touchéeàl’arrière,quittalaroutealorsqueMilesfreinaitàmort.Ilfaillitbutercontreunsignaldelimitationdevitesse,repritlecontrôle,fitànouveauquelquesembardéesetallas’immobiliserdansunfossé.Brianatterritsurleplancherdelavoiture.Recroquevillésurlui-mêmeetdésorienté,ilinspirauneboufféed’aircommes’ilémergeaitdufondd’unepiscine.Ilnesentitpasl’entailleàsonpoignetetilnevitmêmepaslesangquiavaitéclaboussélesvitres.

34—Çava?crutentendreBrian.Sesmainstoujoursmenottéesderrièresondos,ilcherchatantbienquemalàserelever.Milessortitdelavoiture,puisouvritlaportièrepourletireravecprécautionetl’aideràseremettresurpied.Leblesséavaitlecrâneetlajoueensanglantés.Levoyanttituber,Mileslepritparlebras.—Sûrqueçava?lança-t-il.Tuaslatêteensang.Prisdevertiges,Brianeutquelquedifficultéàcomprendresaquestion.—Oui,jecrois...murmura-t-il.LamaintoujourssurlebrasdeBrian,Milesvitleconducteurdelacamionnette,unhommed’uncertainâge,traverserlarueetapprocher;maisilpréféras’occuperenprioritédesonpassager.Briansepenchaenavant.Aprèsavoirexaminésablessure,Milesl’aidaàseredresseravecunedouceursurprenantedelapartd’unhommeaussinerveuxunedemi-heureplustôt.—Uneplaiesuperficielle,dit-il,soulagé.Puis,levantdeuxdoigts,ildemanda:—Combien?Brianclignadesyeuxenseconcentrant.—Deux.—Etmaintenant?—Quatre.

—As-tuunevisiontoutàfaitnormale?Pasdetaches?Pasdezonessombressurlesbords?Brianhochalatête,lesyeuxmi-clos.—Pasdefracturesauxbrasouauxjambes?repritMiles.Brian,quitenaitàpeinesursesjambes,vérifiasoigneusementchacundesesmembres.Enroulantlesépaules,ilsursauta.—J’aimalauxpoignets.—Attendsuneseconde!Aussitôtlibérédesesmenottes,Brianmitunemainsursatête;dusangsuintaentresesdoigts.L’undesespoignetsétaitmeurtrietdouloureux,l’autrefortementankylosé.—Tutiensdebouttoutseul?luidemandaMiles.Brian,toujourslégèrementvacillant,acquiesça.MilesallachercherdanssavoitureunT-shirtoubliéparJonah,etl’appliquaentamponcontrelablessuresanglante.—Appuiefort,luiconseilla-t-il.Leconducteurdelacamionnette,livided’effroi,arrivaittoutessoufflé.—Riendegrave?demanda-t-il.—Pasdeproblème,réponditmachinalementMiles.—Pourtant,ilsaigne...—Pastantqueça.—Ilfaudraitpeut-êtreappeleruneambulance...—Çava,tranchaMiles.J’appartiensàlapoliceetjevousassurequ’iln’yapasdequois’inquiéter.Malgrésespoignetsdouloureux,Briansecroyaitauspectacle.—Ah,vousêtesdelapolice?Leconducteurreculad’unpasetimploraduregardlesoutiendeBrian.—Vousavezbienvuqu’ilavaitfranchilalignemédiane!Jenesuispasresponsable...—Écoutez-moi!fitMiles.Leregardduconducteursefigeaenapercevantlapairedemenottes.—J’aiessayédedégager,maisvousmebloquiezlepassage...—Allons,ducalme!Commentvousappelez-vous?—BennieWiggins.Jeneroulaispasviteetvousétiezdumauvaiscôté.—Ducalme!répétaMiles.—Jeconduisaisprudemment.Vousn’alleztoutdemêmepasm’arrêter!—Sûrementpas.—Alors,pourquoicesmenottes?

—C’estmoiquilesportais,intervintBrian,sanslaisserMilesrépondre.Ilallaitm’incarcérer...Leconducteur,ébahi,n’eutpasletempsderéagir.Unevoiturevenaitdes’arrêteretSarahensortait,l’airfurieuxetinquietàlafois.—Quesepasse-t-il?s’écria-t-elle.QuandelleaperçutlatêteensanglantéedeBrian,elleseruasurluipourl’arracheràMiles.—Çava?—Oui,marmonnaBrianencoredanslesvapes.—Qu’as-tufait?rugit-elle,tournéeversMiles.Tul’asfrappé?—Non,Sarah.Ils’agitd’unaccident.—Ilafranchilalignemédiane,expliqualeconducteur,surladéfensive.Jeconduisaistranquillement,etdansuntournant,jemesuistrouvénezànezaveccetype.J’aidonnéuncoupdevolant,sanspouvoirl’éviter.Ilyaeuun«hoc,maistoutestdesafaute.—Unchoctrèsléger,précisaMiles.Ilaeffleurél’arrièredemavoitureetj’aidéviédelaroute.Nesachantsurquelpieddanser,Sarahs’adressaàBrian:—Çavavraiment?—Vraiment.—Alors,raconte-moitout!Brianretiraauboutd’unmomentleT-shirtensanglantéqu’ilpressaitcontresoncrâne.—Personnen’estcoupable.C’estunaccidentimprévisible...Eneffet,Milesn’avaitpasvulavoiturevenirparcequ’ilétaittournésursonsiège,maisiln’avaitcertainementpascherchéànuire.Brians’étaitrépétécesmots-là,jusqu’àlanausée,pendantdeuxans...IllesavaitprononcésquandilavaitavouélavéritéàSarahetquandilavaitparléàMilesdanslavoiture.Celui-cienfutfrappé.—Jel’emmèneàl’hôpital,annonçasoudainSarahenprenantsonfrèreparlebras.Ildoitvoirunmédecin.Ellel’entraînaverssavoiture,maisMilesbondit.—Non,pasquestion...—Cen’estpastoiquim’enempêcheras!—Ducalme!Sarahpivotasurelle-mêmed’unairméprisant.—Net’inquiètepas;onnevapasenprofiterpourprendrelafuite.—Jen’ycomprendsrien,fîtleconducteur,paniqué.Pourquois’envont-ils?

Dépasséparlesévénements,Milesnebronchapas.Ildevaitréglerl’affaireavecWiggins.QuantàBrian,ilnepouvaitl’incarcérersansconsulterunmédecin;maisonrisquaitdeluiposerdesquestionsembarrassantesaucoursdel’enquête.Avecunsentimentd’impuissance,illaissaSarahentraînersonfrère,dontlesparolesrésonnaienttoujoursdanssatête.Personnen’estcoupable.C’estunaccidentimprévisible.Milessesavaitpourtantdanssontort.Ilneseconcentraitpassurlarouteaumomentdel’accident.Ilavaitmêmetournélesyeuxdansladirectionopposée,tandisqu’ilécoutaitBrianluiparlerdeSarah,delacouverture,desfleurs.Ilnel’avaitpascrusurlemoment;ilnevoulaittoujourspaslecroire.Pourtant,ilavaitl’intuitionqu’ilnementaitpas.Cejeunehommeavaitvu,desesyeuxvu,lacouverture,etlesfleursdéposéessurlatombedeMissy.Commentchassercettepensée?Briansesentaitcoupable.Maisquoideplusnormalquedesesentircoupablequandonatuéquelqu’un?C’estcequ’ilétaitentraindecrieràBrianaumomentoù,aveugléparlacolère,ilavaitévitédejustesseungraveaccident.Unaccidentquiauraitpufaireplusieursvictimes...Ensuite,malgrésablessure,Brianavaitprispartipourlui.IlsuivaitmaintenantSarah,maisiltémoigneraitensafaveurquoiqu’ilarrive.Pourquoi?Poursefairepardonnersafaute?Pourlefairechanterunjouroul’autre?Ouparcequ’ilétaitabsolumentsincère?Brianlejugeaitinnocentsousprétextequ’iln’avaitpaseul’intentiondenuire.Pouvait-onendireautantdel’hommequiavaitprovoquélamortdeMissy?Quelquesfloconsdeneigevoltigèrentdanslabrise.Non,rienàvoir!sedit-ilenhochantlatête,àmoinsque...Maisqu’importe?Plusloinsurlaroute,SarahaidaitBrianàmonterdanssavoiture.Sonregardexprimaitsacolèreetsondésarroid’avoirétéaccuséeinjustement.D’aprèscequ’avaitditsonfrère,ellen’avaitapprislavéritéquelaveille.Quelquesminutesplustôt,latrahisondeSarahsemblaitl’évidencemêmeàMiles.Enlavoyantmaintenant,ilnepouvaitplusdouterdelafemmequ’ilavaitaimée.Unpoidspesaitsursesépaules.Non,Briann’avaitmentiniausujetdelacouvertureetdesfleursniquandilluiavaitdemandépardon.S’ilétaitsincèresurtouscespoints,nedisait-ilpaslavéritéausujetdel’accidentaussi?Milesavaitbeaufaire,cettequestionlehantait.S’illesouhaitait,ilpouvaitencoreretenirBrianetSarah,maisils’enabstint.IlvoulaitprendreletempsderéfléchirauxaveuxdeBrian,etsurtoutàSarah,sedit-ilenlaregardantprendrelevolant.

Unhommedelapatrouilleroutière,prévenuparl'undesriverains,netardapasàvenirfairesonrapport.BennieWigginsluirapportaitsaversiondesévénementsquandCharliearrivaàsontoursurleslieux.Miles,perdudanssespensées,étaitadosséàsavoiture.Charlie,unefoismisaucourant,effleurad’unemainseséraflures.—Tuasl’airbienmalenpointpourunsipetitbobo...—Toiici?s’étonnaMiles.—J’aiapprisquetuavaiseuunaccident.—Lesnouvellesvontvite!Charlieépoussetalesfloconsdeneigetombéssursonblouson.—Tutesensbien?—Justeunpeusecoué.—Raconte-moicequis’estpassé.Mileshaussalesépaules.—Lesroutessontglissantes.J’aiperdulecontrôledemonvéhicule...—C’esttout?—Commetudis,justeunpetitbobo!—Etl’autreconducteursembleenbonétatluiaussi.MileshochalatêteetCharlieserapprochadelui.—Tun’asriend’autreàmedire?N’obtenantpasderéponse,ils’éclaircitlavoix.—Onvientdem’apprendrequetun’étaispasseuldanslavoiture.Ilyavaitunhommequiportaitdesmenottes,maisunedameestvenue,parait-il,etl’aemmenéàl’hôpital.Charlies’interrompitenserrantsonblousoncontrelui.—Ilnes’agitpasd’unsimpleaccident,Miles!Dis-moiquiétaitdanstavoiture.—J’aibienvérifié,cen’étaitqu’uneblessuresuperficielle.—Tun’aspasréponduàmaquestion!Quiétaitdanstavoiture?—BrianAndrews,fitMilesensebalançantd’unpiedsurl’autre.LefrèredeSarah...—C’estellequil’aemmenéàl’hôpital?Milesacquiesçad’unsignedetête.—Etilportaitdesmenottes?Àquoibonmentir?Milesacquiesçaànouveau.—Aurais-tuoubliéquetuessuspendudetesfonctions?s’enquitCharlie.Officiellement,tun’asplusledroitdeprocéderàdesinterpellations.

—Jesais.—Tun’enaspasl’air!Qu’avais-tuàreprocheràcegarçon?Charlies’interrompitetcroisaleregarddeMiles.—Jeveuxtoutelavéritéetjel’aurai!Maisjepréféreraisl’apprendrepartoi...Ilétaitmêléàuntraficdedrogues?—Non.—Tul’assurprisentraindevolerunevoiture?—Non?—Entraindesebagarrer?—Nonplus.—Alors,quoi?Surlepointdetoutraconteràsonchef,Milesnetrouvapaslesmotsappropriés.Ilseconfieraitàluiplustard,quandilauraitbienpesélepouretlecontre...—C’estcompliqué,grommela-t-il.Charliefourrasesmainsdanssespoches.—Ehbien,jet’écoute.—Laisse-moiletempsderéfléchir.—Réfléchiràquoi?C’estpourtantsimple.Toutsaufsimple,seditMilesdanssonforintérieur.—Tumefaisconfiance?demanda-t-ilsoudain.—Oui,mais...—Jet’endiraiplusdèsqueçaserapossible.—Allons,Miles!—Unpeudepatience,Charlie.Jesaisquetuasbeaucoupdereprochesàmefairecesjours-ci,maisjelepriedem’accordercettefaveur!Çan’arienàvoiravecOtisetSims,etjeteprometsdenepaslesapprocher.LetongravedeMilesetsonexpressiondramatiqueimpressionnèrentCharlie.Cettehistoirenesentaitpasbon,etMilesluicachaitcertainementquelquechose.Maisqu’ypouvait-il?Ils’éloignadelavoituredeMilesensoupirant.Etsansmêmeseretourner,carilauraitrisquédechangerd’avis.Uneminuteplustard,ilavaitdisparu.L’hommedelapatrouilleroutièreterminasonrapportelpartit.Bennieenfitautant,maisMiles,tiraillépardespenséescontradictoires,restaassisdanssavoiture.Savitrebaisséemalgrélefroid,ilpassaitetrepassaitdistraitementsamainsurlevolant.Auboutd’uneheure,sachantcequ’ilavaitàfaire,ilremontasavitreet

démarra.Lavoitureavaitàpeineeuletempsdeseréchaufferquandilsegarasurlebas-côté.Dehors,laneigecommençaitàfondreetdesgouttelettestombaientdesbranchesavecuntic-tacdependule.D’épaisbuissonsbordaientlaroute.Ilétaitpasséparlàdesmilliersdefoissanslesremarquer,mais,cematin-là,ilneparvintpasàendétachersonregard.Ilsfaisaientécranentrelapelouseetlui,etilsavaientcertainementempêchéMissyd’apercevoirlechien.Pourtant,commentunchienavait-ilpupasseràtravers?Illongealabordured’arbustesetralentitlepasauniveauoùs’étaitproduitl’accident.Cequ’ilvitensebaissantlepétrifia.Unvéritabletroudanslahaie,avecuntapisdefeuillesmortesausoletdesbranchesarrachéesdechaquecôté.Unevoiedepassagepourunanimal...Unchiennoir?Personne,pasmêmelui,n’avaitpenséàrechercherunchien.Iltenditl’oreille,maisn’entenditpaslemoindreaboiement.Ilparcourutdesyeuxlesjardinsetnevitriennonplus.Unejournéetropfroide,peut-être.Perplexe,ilenfouitsesmainsdanssespoches.Ankyloséesparlefroid,ellessemirentàlepicoterenseréchauffant;c’étaitledernierdesessoucis.Endésespoirdecause,ilroulaendirectionducimetière.Avantmêmed’atteindrelatombedeMissy,ilaperçutdeloinlesfleursfraîchesposéessurladalle.Commes’ilvoulaitdemanderpardon.CesparolesdeCharlieluirevenaientàl’esprit.Ilfitdemi-touretsortitducimetière.Desheuress’écoulèrent.Derrièrelesvitres,lecielhivernalétaitmaintenantnoiretmenaçant.Sarahtournaledosàlafenêtreetseremitàfairelescentpasdanssonappartement.Brianavaitpasséàpeineuneheureàl’hôpital.Sablessureétaitsuperficielle-troispointsdesutureseulement-etiln’avaitaucunefracture.Bienqu’elleaitinsistépourlegarderchezelle,ilavaitpréférérentrerchezsesparentsendissimulantsesblessuresderrièreunecasquetteetunsweat-shirt.Ilvoulaitêtreseul.—Neleurdisrien,avait-ildemandéàsasœur.Jenemesenspasencoreprêt.JeleurparleraiquandMilesviendramechercher.MilesallaitévidemmentremettrelamainsurBrian,songeaSarah.Cen’étaitqu’unequestiondetemps.Depuishuitheures,elleoscillaitentrelacolère,l’inquiétude,ladéceptionetl’amertume.Et,surtout,elleressassaitcequ’elleauraitdûdirequandMilesl’avaitaccuséesiinjustement:

Tut’apitoiessurtonsortettut’imaginesquepersonnenepeuttecomprendre.Maisterends-tucomptedel’épreuvequeçaaétépourmoidet’amenerBriancematin?Jet’ailivrémonproprefrère,ettaréactionm’aaccablée.Commentoses-tuprétendrequejet’aitrahi?Quec’estunemanipulationdemapart?Ellepritlatélécommande,fitdéfilerlesdifférenteschainesetéteignitpourseconcentrerpleinement.Milesvenaitd’apprendredebutenblanc,etparsonintermédiaire,quiavaitfauchésafemmesurlaroule,unsoird’été.C’étaitundurmomentàpasser.QuantàBrian...Sonfrèreavaitfaitlemalheurdesavie.Commentl’oublier?Pourtant,ellen’avaitpasledroitdelecondamner.Iln’étaitqu’ungaminàl’époquedel’accident,etilnes’étaitjamaispardonnécetacteirréparable.Aprèsavoirtournéenronddanssonliving,elleallaseposterdevantlafenêtre.ToujoursaucunsignedeBrian,quis’étaitengagéàlaprévenirdèsl’arrivéedeMiles.Ellesoulevalecombinédutéléphonepours’assurerquelatonalitéétaitnormale.Alors,quedevenaitMiles?Était-ilalléchercherdesrenforts?Ellen’avaitplusqu’àattendrepatiemmentqueletéléphonesedécideàsonner.Brianpassalerestedelajournéeterrédanssachambre.Ils’étaitendormiplusieursfoissursonlit,lesbraslelongducorpsetlesjambesraidescommedansuncercueil.Aufildesheures,ilavaitvulesmurspasserdublancaugrisetlesombress’allongertandisquelesoleildéclinaitàl’horizon.Iln’avaitmangéniaudéjeunerniaudîner.Pendantl’après-midi,samèreétaitentréedanssachambreaprèsavoirfrappé.Lesyeuxfermés,ilsemblaitdormir.Lecroyantfiévreux,elleavaitposélamainsursonfront,avantderessortiràpasfeutrés.Ill’entenditmurmureràsonmari:—Jesuissûrequ’ilestmalade...Quandilnedormaitpas,ilpensaitàMiles.Oùétait-il?Quandviendrait-il?IlpensaitaussiàlaréactiondeJonahquandsonpèreluiraconteraitlescirconstancesdel’accident.EtSarah...Siseulementellen’avaitpasétémêléeàcettehistoire!Ils’interrogeaitaussisurlaprison.Danslesfilms,l’universcarcéralasesloispropres,sescaïdsetsesopprimés.Ilsefiguraitdeslumièresfluorescentes,desbarreauxdemétalglacéetdesportessefermantbruyamment.Ilentendaitrésonnerdesbruitsdechassed’eau,desconversations,parfoisdescrisoudesgémissements,enunlieuoù,mêmeenpleinenuit,nerégnaitjamaislesilence.Ilescaladaitdesmursdeciment,surmontésdefildeferbarbelé,etilapercevaitenhautdestoursdesgardienspointantleurfusilversleciel.D’autresprisonnierslenarguaientensedemandantcombiendetempsilparviendraitàsurvivre.S’ilétaitincarcéré,ilétaitsûrdefigurerparmilesfaibles.Ilentenditbientôtsesparentsallersecoucher.Leslumièress’éteignirent.Ilse

rendormit.Àsonréveil,ilaperçutMilesdeboutprèsdesapenderie,arméd’unrevolver.Hagardetlapoitrineoppressée,ilsedressadanssonlit.Ilcompritalorssaméprise.Saveste,poséesurunportemanteau,dansl’ombre,avaitprisl’apparencetrompeusedeMiles.Miles...Aprèsl’accident,ill’avaitlaissépartir,maisilnetarderaitpasàvenirlechercher,conclut-ilensepelotonnantdanssonlit.Peuavantminuit,Sarahentenditfrapper.Avantmêmed’ouvrir,ellesutquiluirendaitvisite.Deboutsurleseuil,Milesnecillapas.Lesyeuxrougesetbouffisdefatigue,ilrestaitfigécommes’ilregrettaitd’êtrelà.—Depuisquandsais-tuqueBrianestcoupable?demanda-t-ilsanspréambule.—Jel’aisuhier,etj’aiétéaussihorrifiéequetoi.—Bien,fit-ilenpinçantleslèvres.Surce,ilpivotasurlui-mêmemaisSarahleretintparlebras.—Attends,s’ilteplaît!Milessetournaverselle.—C’étaitunaccident,reprit-elle.Missyaétévictimed’unterribleaccident,quin’auraitjamaisdûseproduire.J'enaiconscienceetjesuisnavréepourtoi...—Mais...?lançaMiles,levisageindéchiffrable.—Iln’yapasde«mais».Brianaeutortdes’enfuir...SarahlâchalebrasdeMiles.Ilnebougeapas.—Quecomptes-tufaire?demanda-t-ellefinalement.—Ilatuémafemmeetilaenfreintlaloi.—Jesais...Mileshochalatêteetpartitsansrépondre.Aprèsavoirguettésondépartparlafenêtre,Sarahallaserasseoirsursoncanapéenespérantquesontéléphone,posésurlatablebasse,netarderaitpasàsonner.

35Quefaire?sedemandaitMiles.Quandilcroyaitàlaculpabilitéd’Otis,toutluisemblaitlimpide.Mêmesicertainsfaitsneconcordaientpasexactementetsiquelquesexplicationsétaientunpeusimplistes,ilsavaitqu’Otis,mûparlahaine,avaittuéMissyetqu’ildevaitêtrepuniselonlaloi.Or,ilavaitfaitfausseroute.L’enquêten’avaitrienrévélé.Ledossierqu’ilavaitconstituéscrupuleusementpendantdeuxansneprouvaitriennonplus.SimsetEarlneluiavaientpasapportéderéponse.Celle-ciluiavaitétéfournie,àl’improviste,parunjeunehommeauborddeslarmes.Ilsavaitmaintenantcequ’ilvoulaitsavoir.Pendantdeuxlonguesannées,ilavaitpleurélanuit,veillétardlesoir,fumédesdizainesdepaquetsdecigarettesensedisantquetoutchangeraitlejouroùilsaurait.Cemiragedevenaitsoudainréalité.Lecoupableétaitàportéedesamain;ilsuffisaitd’unappeltéléphoniquepourêtrevengé.Justiceallaitêtrefaite...Maislaréponsen’étaitpascellequ’ilavaitsupposée.Lemeurtriern’étaitniunivrogne,niunennemicoupabled’unacteignoble,maisunjeunehommeboutonneux,auxcheveuxchâtainsetaupantalontropgrand.Ungosseapeuré,quirépétaitquec’étaitunaccidentimprévisible.Commentréagir?Ausouvenirdesafemme,ilpouvaitajoutercesdeuxannéesmisérables,saresponsabilitéentantqu’épouxetpère,sondevoirdefaireappliquerlaloi.Maisfallait-ilmettresurl’autreplateaudelabalancel’âgeetlesremordsévidentsdujeunehomme,ainsiquesonamourpourSarah?Iln’avaitplusaucunecertitudeàpartcellequelenomdeBrianluimettaitdanslaboucheungoûtamer.Ensonâmeetconscience,ilfinitparconclurequ’ilnepouvaitpastireruntraitsursonpassé;iln’avaitpasledroit.

QuandMilesarriva,leslampesalluméesparMmeKnowlsonprojetaientunelueurjaunesurl’allée.Ilrespiral’odeurâcred’unfeudeboisetfrappaàlaporteavantd’insérerdoucementsaclefdanslaserrure.Lavieilledamesommeillaitdanssonrocking-chair,sousunecouette,tandisquelatélévisionmarchaitensourdine.Touteenridesetcheveuxblancs,commeungnome,elledodelinadelatêteetouvritsesyeuxpétillants.—Désolépourceretard,ditMilesaprèsêtreentrésansbruit.—Ildortdanslapiècedufond;iln’apasréussiàvousattendre.—Tantmieuxpourlui!Jepeuxvousaccompagnerdansvotrechambreavantdel’emmener?—Neditespasdebêtises!protestaMmeKnowlson.Malgrémonâge,jemedéplacesanspeine.—Merciencored’avoirgardémonfilsaujourd’hui.—Toutvabienpourvous?Milesneluiavaitdonnéaucuneexplication,maisellel’avaitsentisoucieuxquandilluiavaitdemandédegarderJonahaprèslaclasse.—Pasparfaitement...—Lesjourssesuiventetneseressemblentpas.—Oui,marmonnaMiles.CommentétaitJonahaujourd’hui?—Fatigué,etplutôtcalme.Ilnevoulaitpassortir,alorsnousavonsfaitdelapâtisserie.Elles’abstintd’ajouterqu’ilsemblaitperturbé;Milesavaitdeviné.AprèsavoirremerciéunedernièrefoisMmeKnowlson,ilalladanslachambreetsoulevaJonahdanssesbras.Lefrontposésursonépaule,sonfilsrestaprofondémentendormi.Allait-ilavoirencoredescauchemars?Chezlui,illedéposasursonlitetremontalescouvertures.Àlalumièredelaveilleuse,ilavaitl’airsivulnérable...Miless’assitprèsdulitettournalatêteverslafenêtre.Lalunebrillaitdansleciel.Iltiralesstoreset,sentantlafraîcheurdelanuitàtraverslesvitres,remontaplushautlescouvertures.—Jeconnaislecoupable,maisjenesaispassijedoist’enparler,murmura-t-ilencaressantlescheveuxdeJonah.Lespaupièrescloses,l’enfantdormaitenpaix.—Veux-tusavoir?ajoutaMiles.Danslapénombredelachambre,Jonahneréponditpas.Auboutd’unmoment,Milesallasechercherunebièredansleréfrigérateur.Ilaccrochasonblousondansleplacarddesachambreetprit,àterre,uneboîtecontenantsesvidéosfamiliales.Aprèsl’avoirdéposéesurlatablebasse,ilsélectionnaunecassetteetalla

s’installersurlecanapé.L’écransombres’éclairabrusquement.Desenfantsenbasâgeétaientassisautourd’unetable,danslacuisine,etagitaientbrasetjambescommedesdrapeauxparunjourdegrandvent.Desparentssetenaientprèsd’euxoucirculaientdanslapièce.Ilreconnut,enarrière-plan,saproprevoix.C’étaitl’anniversairedeJonah.Onfêtaitsesdeuxans.Assissursonsiègedebébé,ilmartelaitlatableàl’aidedesacuillèreensouriantdetoutessesdents.Lacamérafitunzoomsurlui,puisMissyapparutavecunplateauchargédepetitsgâteaux.Surl’und’euxscintillaientdeuxbougies;elleleplaçadevantsonfils.Touslesparentssejoignirentàellepourchanter«JoyeuxAnniversaire»enchœur.Auboutdequelquessecondes,jouesetmainsfurentbarbouilléesdechocolat.SuivitungrosplansurMissy,etMiless’entenditl’appelerdanslefilm.Elletournaitversluisonvisagerieurd’épouseetdemèreépanouie.L’écrans’obscurcitànouveau,etlascènesuivantemontraJonahentraind’ouvrirsescadeaux.Lacassettefaisaitalorsunbondjusqu’àlaSaint-Valentin,unmoisplustard.Unescèneromantique...Milessesouvintqu’ilavaitlui-mêmedressélatableetpréparélerepas-solefarcieaucrabeetauxcrevettesaveccrèmecitronnée,rizsauvageetsaladed’épinards.Lavaisselledegalaetlesverresétincelaientàlalumièredescandélabres.Missys’étaithabillée,etilavaitcaptésonimageaumomentoùelleentraitdanslasalleàmanger.Qu’étaientdevenuesl’épouseetlamèredugoûterd’anniversaire?Elleavaitlechicd’uneParisienneoud’uneNew-Yorkaiseallantassisteràunesoiréedegala.Robenoiredecocktail,petitsanneauxauxoreilles,cheveuxtirésenarrièreetvisageencadrédequelquesboucles.—Quec’estbeau!soufflait-elleenvoyantlatable.—Tuesbelletoiaussi,répliquait-il.Ilavaitarrêtélacamérapendantleurrepas.Aprèsledîner,ilsavaientfaitl’amourdanslachambre-pendantdesheures.—C’étaitmaman?Plongédanssessouvenirs,Milesentenditàpeineunepetitevoixenfantine,derrièrelui.Ilseretourna,aprèsavoirarrêtélacassetteàl’aidedelatélécommande,etaperçutJonahdeboutdanslecouloir.—Tunedorspas,champion?demanda-t-ilavecunsourirecoupable.—J’aientendudubruit.Çam’aréveillé.—Excuse-moi!—C’étaitmaman...àlatélévision?répétaJonah,leregardgrave.Ilavaitunevoixaussitristeques’ilvenaitdecassersonjouetfavoriparmégarde.Miles,déconcerté,tapotalecanapé.—Vienst’asseoirprèsdemoi!

L’enfanttraînalespiedsjusqu’aucanapé.Milespassaunbrasautourdesesépaules,etJonahl’interrogeaduregardensefrottantlajoue.—Oui,c’étaittamaman,réponditenfinMiles.—Pourquoiàlatélévision?—Ils’agitd’unecassette,commeonenfaisait,aveclecaméscope,quandtuétaispetit...Jonahpointaundoigtverslaboîte.—Toutça,c’estdescassettes?—Oui.—Ilyamamansurtoutes?—Surcertaines.—Jepeuxlesregarderavectoi?MilesattiraJonahcontrelui.—Ilesttard,monchéri.Uneautrefois...—Demain?—Peut-être.Jonahsemblasesatisfairedelaréponse.Quandsonpèresecaladanslecanapé,aprèsavoiréteintlalampe,ilseblottitcontreluienpapillotantdespaupières.Sarespirations’apaisaetilbâilla.—Papa?fit-ild’unevoixensommeillée.—Monchéri?—Turegardescescassettesparcequetuesdenouveautriste?—Non.Milespassalentementlamaindanslescheveuxdesonfils.—Pourquoimamanestmorte?repritJonah.—Jenesaispas.Lapoitrinedupetitgarçonsesoulevaplusieursfois,etilsoupiraprofondément.—Jevoudraisqu’ellesoitencorela...—Moiaussi.—Ellenereviendraplusjamais.Jonahn’enditpasplusavantdes’endormir.Milesleserradanssesbrascommeunbébé,toutenrespirantlalégèreodeurdeshampooingdesescheveux.—Jet’aime,Jonah,souffla-t-il,jouecontrejoue.Pasderéponse.Mileseuttouteslespeinesdumondeàs’extraireducanapésansréveillersonfils.

Pourladeuxièmefoiscesoir-là,ilallaledéposerdanssonlit,etillaissalaportedesachambreentrouverte.Lesparolesdel’enfantl’obsédaient.Pourquoimamanestmorte?Ellenereviendraplusjamais.Ilallarangerlacassettedanslaboîte-puislaboîtedansleplacarddesachambre-enregrettantqueJonahl’aitvue.Non,lamèredesonpetitgarçonnereviendraitjamais.Quen’aurait-ildonnépourchangercela?Surleporche,derrièresamaison,Milestiralonguementsursatroisièmecigaretteencontemplantleseauxsombres.Deboutdanslefroiddelanuit,ilessayaitdechasserdesonespritsaconversationavecJonah.Épuiséetfurieuxcontrelui-même,ilnevoulaitpluspenserniàsonfils,niàSarah,niàBrian,niàCharlie,niàOtis,niauchiennoirseruantàtraverslesbuissons...Ilvoulaitoubliercettecouverture,cesfleurssurlatombedeMissy,cetterouteoùtoutavaitcommencé,etresterdanslevaguecommesirienn’étaitjamaisarrivé.Sonombre,accentuéeparleslumièresdelamaison,lepoursuivaitcommelespenséesdontilneparvenaitpasàsedéfaire.Àsonavis,Brianseraitremisenlibertés’ilpassaitenjugement.Peut-êtreenlibertésurveillée,etprivédesonpermisdeconduire,maisilneseretrouveraitsûrementpasderrièrelesbarreaux.Ilétaitmineuraumomentdel’accidentetilavaitsouffertdesafaute;lejuge,apitoyé,luiaccorderaitdescirconstancesatténuantes.Missyneluiseraitpasrenduepourautant.Ilallumaunequatrièmecigarette.Desombresnuagestraversaientleciel.Malgrélapluiebattante,ilvitlaluneapparaîtreau-dessusdesnuages;unedoucelueuréclairaitlejardin.Ildescenditduporcheetfitquelquespassurunchemind’ardoisesscelléesdanslesol.Toutaubout,unecabaneautoitdetôleonduléeabritaitsonmatérieldejardinage-tondeuse,herbicides,bidond’essence.Autrefois,c’étaitsondomaine,etMissys’yaventuraitrarement.Lejourdesamort,elleyétaitpourtantentrée.Depetitesflaquess’étaientforméessurlesardoisesetMiless’éclaboussalespiedsaupassage.Lechemincontournaitlamaisonetpassaitàcôtéd’unsaule,émouvantetromantique,qu’ilavaitplantéàlademandedeMissy.IlaperçutensuitelabalançoireetuncamionoubliéparJonah.Quelquespasencore,etilouvrituneportecadenassée.Àl’intérieurdelacabanerégnaituneodeurdemoisi.Ilallumalalampetorcheposéesuruneétagère.Unetoiled’araignées’étendaitdumurjusqu’àlapetitelucarne.Aumomentdesondépart,biendesannéesplustôt,sonpèreavaitmisendépôtchezluiquelquesobjetsrangésdansunegrandeboîtemétallique.Iln’enpossédaitpaslaciel,maisilluisuffitd’uncoupdemarteaupourfairecéderlaserrure.

Aprèsavoirsoulevélecouvercle,ildécouvritquelquesalbumsdephotos,unmanuscritreliédecuiretquelquespointesdeflèchesprovenantdeTuscarora.Enfouillantbien,ilmitlamainsurcequ’ilcherchait:unrevolversoigneusementcachéaufonddelaboîte.Cettearme,dontCharlieignoraitlaprésence,luiseraitindispensable.Ilallaitlagraisseravantd’enfaireusage.

36Milesn’estpasvenumecherchercesoir-là.Lelendemain,aupetitmatin,j’aieudumalàsortirdemonlitpourmedoucher,j’étaisperclusdecourbaturesàlasuitedel’accident,etunedouleurlancinantemetraversaitlapoitrine.Laplaie,sousmescheveux,étaitencoreàvif.Mespoignetsm’avaientfaitmalpendantmonpetitdéjeuner,maisjem’étaisarrangépourtermineravantlavenuedemesparents.Siparmalheurilsm’avaientvusursauter,ilsm’auraientbombardédequestionsauxquellesjen’étaispasprêtàrépondre.Ensuite,monpèreestpartiàsontravailetmamèreestalléefairedescourses,carNoëlapprochait.Jeleurparleraiplustard,quandMilesviendraitmechercher...Sarahm’aappelédanslamatinéepourprendredemesnouvelles.Ellem’aannoncéqueMilesétaitpasséchezellelesoirprécédent.Ilsavaientparléquelquesminutes,etellesedemandaitcequ’ilfallaitconcluredeleurconversation.Jen’airientrouvéàluirépondre.Sarahattendait.Mesparentsvaquaientnormalementàleursoccupations.Dansl’après-midi,Sarahm’arappelé.«Toujoursrien»,luiai-jedit.Lajournées’estécoulée,lanuitesttombée,etMilesn’avaitpasdonnésignedevie.Lemercredi,Sarahestretournéetravailler.Jeluiavaispromisdelaprévenirsi

Milesvenait.C’étaitladernièresemaineavantlesvacancesetelleétaittrèsoccupée.J’aiattenduenvain,etquandlejeudiestarrivéj’aisucequej’avaisàfaire.Danssavoiture,Milesattendaitenbuvantuncaféachetésurlaroute.Sonarme,chargéeetprêteàl’usage,reposaitàcôtédeluisousuntasdejournaux.Commelavitrelatéralecommençaitàs’embuer,ill’essuyadureversdelamain.Ilavaitbesoind’yvoirclair.Maintenantqu’ilétaitpostéaubonendroit,ilallaitresteràl’affût,et,lemomentvenu,ilpasseraitàl’acte.J’aiprismavoitureàlatombéedelanuit.L’horizons’empourpraitdetonsrougesetorangés,etlatempératures’étaitlégèrementradoucie.Deuxjoursdepluieavaientfaitfondreleblancmanteaudeneigesouslequellespelousesdisparaissentpendantl'hiver.Desguirlandesetdesrubansrougesdécoraientlesportesetlesfenêtresdesmaisonsduvoisinage,maisjemesentaiscoupédumondecommesij'avaisdormiuneannéeentière.J’aifaitunseularrêtsurmonchemin—monarrêthabituel.Levendeur,quimeconnaissaitbien,ahochélatêtequandjeluiaiditcequejevoulais,etestrevenuauboutdequelquesminutes.Nousn'avionsjamaisengagélaconversationetilnem'avaitjamaisdemandépourquiétaientcesfleurs,maisilm’aditcommed'habitudeenmelestendant:«Cesontlesplusfraîches!Aprèsavoirpayé,j’airespiréleurdouxparfumdemielen,regagnantmavoiture.Cesfleursétaientcertainementlesplusbellesetlesplusfraîches...J’aidéposémonbouquet,surlesiège,àcôtédemoi,etj'aisuivi,desrouteshélastropfamilières.Puisjemesuisgarédevantlagrilleetjesuissortidemavoilureenm’armantdecourage.Lecimetièrem'aparudésertJ'aiavancélatêtebasse,enremontantlecoldemonblouson.Laterrehumidecollait,à.messemellesetjen’aipaseuàmarcherlongtempspourarriversurlatombedeMissy.Commetoujours,ellem’afrappéparsapetitesse.L’herbeétaitsoigneusementtailléeetj’airemarquéunœilletdesoiedansunpetitsupport.Lemêmeœilletrougequesurtouteslesautrespierrestombales.Jemesuisditquelegardienducimetièreavaitdûlesmettrelà.J’aiplacémonbouquetsurladalledegranit,enévitantdelatoucher.Jenem’étaisjamaispermisdelatoucher...Ensuite,jemesuislaisséentraînerparmespensées.EllesconcernaienthabituellementMissyetleserreursquej’avaiscommises.Cejour-là,jepensaissurtoutàMiles.Pourcetteraison,sansdoute,jen’aientenduqu’àladernièresecondedespasapprocher.—Desfleurs...ditMiles.

Stupéfait,Brianseretournaausondesavoix.Deboutprèsd’unchênedontlesbrancheseffleuraientlesol,Miles,lesmainsdanslespoches,portaitunlongmanteaunoiretunjean.—Àquoibonluiapporterdesfleurs?marmonna-t-il.Briansesentitblêmir.Milesleregardaitfixement.Àcetteheuretardive,sonvisageétaitdanslapénombre.Énigmatique...Iltirasonmanteausurlecôtécommes’iltenaitouplutôts’ilcachaitquelquechosesoussesplis.Levoyantimmobile,Brianfuttentédes’enfuir.Ilavaitquinzeansdemoinsquelui,aprèstout,etilpouvaitfacilementfoncerversleportail.Unefoissurlaroute,ilyauraitdespassantsetdesvoitures.Cettepenséesedissipaaussivitequ’elleluiétaitvenue.Ilsesentaitvidédetoutesonénergie,cariln’avaitrienmangédepuisplusieursjours.Miles,s’ilytenaitvraiment,n’auraitaucunmalàlerattraper.Et,d’ailleurs,oùaller?Ildécidadefairefront.Miles,deboutàmoinsd’unmètredelui,haussalégèrementlementonetilssedéfièrentduregard,commedeuxcow-boysauFarWests’apprêtantàdégainer.Quandlesilencedevintintenable,Briantournalesyeuxverslarue.Milesetluiétaientseulsaumilieudestombesetleursvoituresétaientgaréesl’unederrièrel’autre.—Commentsaviez-vousquej’étaisici?demanda-t-il.—Jet’aisuivi,réponditMilessanssepresser.Jevoulaisteparlerentêteàtêteetjemedisaisquetufiniraisbienparsortir...Depuisquandleguettait-il?sedemandaBrian.—Tuluiapportesdesfleurs,maistunesaismêmepasquielleétait,repritMiles.Situl’avaisconnue,tuchoisiraisdestulipes.Ellelesaimaittoutes-lesjaunes,lesrouges,lesroses.Elleenplantaitdanslejardinchaqueprintemps!Untrainsifflaauloin.—Sais-tuqueMissysefaisaitdusouciàcausedespetitesridesaucoindesesyeux?Qu’elleadoraitlestoastsaupetitdéjeuner?Qu’ellerêvaitd’avoiruneMustangdécapotable?Quej’avaisenviedelaprendredansmesbraschaquefoisqu’elleriait?Etqu’elleétaitmonpremieramour?Miless’interrompiteninterrogeantBrianduregardetsoupira.—Maintenant,ilnemeresteplusquedessouvenirs.Tunousastoutpris,àJonahetàmoi...Sais-tuqu’ilfaitdescauchemarslanuitdepuislamortdesamère?Qu’illuiarriveencoredepleurerdanssonsommeil?Quejedoisleprendrependantdesheuresdansmesbraspourlecalmer?Tut’imaginescequejeressensdanscesmoments-là?D’uncoupd’œil,MilesclouaBrianausol.

—Jevoulaisretrouverlecoupablepourluidirecequej’aisurlecœuretl’obligeràpayer.Jet’assurequecelleidéem’arongé.Dansunsens,j’aiencoreenviedeletueretdemevengersursafamille.Maisvoilàquej’aidevantmoil’hommequiafaitmonmalheur,etqu’ildéposedesfleurssurlatombedemafemme...Briansentitsagorgeseserrer.—TuastuéMissy;jamaisjenelepardonnerai,insistaMiles.Quandtuteregardesdanslaglace,rappelle-toicela!Tum’asfaitperdrel’êtrequej’aimaisleplusaumondeeltuasprivémonfilsdesamère...Comprends-tu?Auboutd’unmoment,Brianacquiesçad’unsignedetête.—Etmaintenant,conclutMiles,jetesignalequepersonne,àpartSarah,nedoitêtreaucourantdecetteconversation.Personne,tum’entends?Nitesparents,nitafemmelejouroùtuserasmarié,nitesenfants,niaucunprêtre,nitescopains.Enfin,tuasintérêtàfairequelquechosedetaviepourquejen’aieaucunregretplustard...C’estpromis?Brianacquiesçaànouveau,sousleregardperçantdeMiles,quitournaaussitôtlestalonsetdisparut.Alorsseulement,lejeunehommeréalisaqu’iln’avaitplusrienàcraindre.QuandMilesvintluiouvrir,unpeuplustard,Sarahrestad’abordmuettesurleseuil.—Jonahestàlamaison.Allonsparlerdehors,fit-il,lesyeuxtournésverslejardin.Sarahcroisalesbrastandisqu’ilrefermaitlaporte.—Jenesaispasexactementpourquoijesuisici,souffla-t-elle.Desremerciementsnemesemblentpasdemise,maisjenepeuxpasnonplusignorercequetuasfait.Milesluiadressauninfimesignedetête.—Jesuisdésoléepourtoi,repritSarah,etj’imaginecequetuasenduré...—Non,tunepeuxpas...—Entoutcas,j’ignoraisqueBrianétaitcoupable.—Jetecroismaintenant,etjeregrettemesaccusations.—Tun’asrienàregretter!Milesdétournasonregardetparutcherchersesmots.—Jedevraisaumoinsteremercierdem’avoirapprislavérité.—Jen’avaispaslechoix...MaiscommentréagitJonahàtouscesévénements?ajoutaSarah,lesmainsjointes.—Pastropbien...Jeneluiairiendit,maisjesupposequ’iladevinéquelquechose.Ilafaitdescauchemarscesdernièresnuits...Etàl’école,çamarche?—Pourl’instant,aucunproblème.—Tantmieux!Sarahsepassalamaindanslescheveux.

—Jepeuxteposerunequestion?Riennet’obligeàmerépondre...Mileslaregardaaufonddesyeux.—Tuveuxsavoirpourquoij’ailaisséBrianenliberté?—Oui.—Parcequej’aivulechien,articulaMilesaprèsunlongsilence.Ungroschiennoir,commel’avaitdécritBrian.11bondissaitdansunjardin,àquelquesmaisonsdel’endroitoùs’estproduitl’accident.—Tul’asvuparhasard?—Non,jelecherchais.—PoursavoirsiBriant’avaitmenti?—Pastoutàfait.Ilmesemblaitdéjàsincère,maisuneidéeabsurdem’obsédait.—Laquelle?—Tutiensvraimentàsavoir?Quandjesuisrentréchezmoicejour-là,aprèsavoirparléàBrian,jemesuisditquejedevaisagiràtoutprix.Quelqu’undevaitpayer.Maisqui?Toutàcoup,j’aipenséauchien.Jesuisalléchercherlerevolverdemonpèreet,lanuitsuivante,j’aidécidéd’yaller.—Pourl’abattre?Mileshaussalesépaules.—Sipossible...Àpeinegaré,jel’aiaperçu;ilpoursuivaitunécureuildanslejardin.—Tuastiré?—Non.J’étaisassezprèsdeluipournepaslerater,mais,aumomentd’appuyersurladétente,j’airéaliséquejeperdaislatête.Cechienavaitpeut-êtreunmaître,dontilétaitlefidèlecompagnon...Jenepouvaispasl’abattredesang-froid...Jesuisdoncremontédansmavoitureetj’aidécidédelelaisserenpaix.Sarahébauchaunsourire.—CommeBrian...—Oui,commelui.—Jesuisbiencontente...—Moipastantqueça.Sij’avaistirésurcechien,j’auraiseuaumoinsl’impressiondefairequelquechose.—Tuasfaitquelquechose!—Jecrois,ditMilesenserrantlamaindeSarah,quej’aiagidansl’intérêtdeBrian,maisaussidanslemienetceluideJonah.Lemomentétaitvenudelâcherprise.Letempspasseviteetj’aidéjàperdudeuxannéesdemavie...C’estbizarre,maisilmesemblequec’étaitleseulchoixpossible.FairelemalheurdeBriannem’auraitpasrenduMissy...Milespritsonvisageentresesmains,lesyeuxhumidesdelarmes,puisillaissason

regarderrerendirectiondel’étoilePolaire,quibrillaitdanslanuit.—Ilmefaudrauncertaintemps,murmura-t-ilaprèsunlongsilence.Jenesaispascombiendetemps...—Veux-tuquejet’attende?MilesobservaSarahenméditantsaréponse.—Jenepeuxrientepromettre,dit-ilenfin.Surtoutnevapast’imaginerquejenet’aimeplus!J’ai,depuisplusieursjours,lacertitudeabsolueducontraire.NotrerencontreestleseulévénementheureuxdemaviedepuislamortdeMissy,etjesaisquetumanquesàJonah.Ilm’ademandépourquoituneviensplusàlamaison...Pourtant,j’aipeurdenepaspouvoiroublierlepassé.TueslasœurdeBrian...Sarahpinçaleslèvres,sansunmot.—Êtreavectoisignifieêtreprochedelui,repritMiles.Mêmesitun’asrienàvoirpersonnellementaveccettehistoire,j’auraidumalàsupporterunesituationaussidélicate.Entoutcas,jenemesenspasencoreprêtetjemedemandesijeseraiprêtunjour.—Onpourraits’installerailleursetrepartirdezéro...—Ladistancen’ychangeraitrien.Quefaire,Sarah?—Jenesaispas,admit-elleavecunsouriremélancolique.D’abordhésitant,Miless’approchapourl’enlacer,puisill’embrassadoucement,levisageenfouidanssescheveux.—Jet’aime,murmura-t-il.—Moiaussi,Miles,fitSarah,bouleverséeàl’idéequec’étaitpeut-êtreladernièrefoisqu’illaprenaitainsidanssesbras.Quandildesserrasonétreinte,ellereculad’unpas,auborddeslarmes.Luidireadieuétaitau-dessusdesesforces.—Retourneauprèsdetonfils,murmura-t-elleenfaisanttintersontrousseaudeclefs.Àladoucelueurduporche,elleaperçutdeslarmesdanslesyeuxdeMiles.—J’aiuncadeaudeNoëlpourJonah.Tucroisquejepourraisluiapporterici?demanda-t-elle.Ilévitasonregard.—Nousallonspeut-êtrenousabsenterlasemaineprochaine.CharlieaunappartementàNagsHead.Ilm’aproposédemeleprêter.—Moi,jereste.Tupeuxm’appelersituveux.—Trèsbien.Sarahsedirigeaverssavoitureavecuncalmeapparent,maisquandelleouvritlaportière,sesmainstremblaientlégèrement.Elleseretourna;Milesn’avaitpasbougé.Quelleformulemagiqueauraitlepouvoirdelerameneràelle?

Illaregardait,surlepointdel’appeler.Allait-illuidirequ’ill’aimaitetluipromettredetrouverunesolution?Sarahmitlecontact;ilesquissaunpasendirectiondel’escalier.Ellecrutuninstantqu’ilallaitlaretenir,maisilsedirigeafinalementverslaporte.Commesavoitures’engageaitdansl’allée,ellelevit,danssonrétroviseur,refermersaporte.Était-celadernièreimagequ’ellegarderaitdelui?Danscesconditions,ellenesupporteraitpasderesteràNewBern.RencontrerMilesenvilleseraituncalvaire.Elletrouveraitunautreposte.Ellerecommenceraitsavie.Unefoisdeplus!Surlaroute,elleaccéléraprogressivementensedisantqu’elleneselaisseraitpasabattre.Elleavaitdéjàfaitsespreuves...Quoiqu’ilarrive,elles’entirerait;avecMiles,ousansMiles.Et,soudain,elleentenditunepetitevoixintérieureluicrier:«Non,tunet’entireraspas!»Aveugléeparseslarmes,elleduts’arrêtersurlebas-côté.Tandisquesonmoteurtournaitauralentietquelesvitresdesavoitures’embuaient,ellesanglotacommejamaisdesavieellen’avaitsangloté.

37—Oùtuétais,papa?demandaJonah.Jet’aicherchépartout.Milesvenaitderentrerquandsonfilsl’apostropha.—J’étaissurleporche,dit-ilenseretournant.

—Qu’est-cequetufaisaisdehors?—Sarahestpassée.—Oùest-elle?demandaJonah,radieux.—Ellen’apaspurester.—Oh!fitJonah,incapablededissimulersadéception.JevoulaisluimontrerlatourenLegoquejeviensdeconstruire.Miless’approchadesonfilsets’accroupitpourleregarderdanslesyeux.—Tupeuxmelamontrer.—Tul’asdéjàvue.—Oui,maisj’aimeraislarevoir.—C’estàMlleAndrewsquejeveuxlamontrer.—Danscecas,apporte-lademainàl’école.JonahhaussalesépaulesetMilesl’observaattentivement.—Çanevapas,champion?—Çava...—Sûr?—Oui,maisjecroisqu’ellememanque...—MlleAndrewstemanque?Pourtant,tulavoistouslesjoursàl’école.—C’estpaslamêmechose.—Paslamêmechosequequandellevenaitàlamaison?Jonahacquiesça,perdudanssespensées.—Vousvousêtesdisputés?—Non.—Maisvousn’êtesplusamis.—Maissi,noussommestoujoursamis...—Alors,pourquoiellenevientplus?Miless’éclaircitlavoix.—Pourl’instant,c’estunpeudifficile.Quandtuserasgrand,tucomprendras.—Moi,marmonnaJonah,perplexe,jeneveuxpasdevenirgrand.—Pourquoipas?—Parcequelesgrandespersonnesdisenttoujoursqueleschosessontcompliquées.—Elleslesontquelquefois.—TuaimesbienMlleAndrews?—Ohoui!—Ellet’aimebienelleaussi?

—Jecrois.—Alors,pourquoic’estsicompliqué?Devantleregardéplorédesonfils,MilescompritquenonseulementSarahluimanquait,maisqu’ill’aimait.Nesachantcommentleconsoler,ill’attiracontrelui.Deuxjoursaprès,MileschargeaitsesbagagesdanssavoiturequandCharliesegaradevantchezlui.—Tuesbienmatinal,fitcelui-ci.—Jepréfèreéviterlesencombrements.Milesseredressaaprèsavoirfermélecoffre.—Merciencoredenousprêtertonappartement.—Iln’yapasdequoi.Tuveuxuncoupdemain?—Non,j’aipresquefini.—Combiendetempspars-tu?—Environdeuxsemaines.Pasdeproblèmesijereviensjusteaprèslenouvelan?—Aucun.Tupeuxmêmeprendreunmoisdecongésiçatechante.—Quisait?marmonnaMiles.Charliehaussaunsourcil.—Àpropos,jesuisvenut’annoncerqu’Harveyrenonceàporterplainte.Ilsembleraitqu’Otisluiaditdelaissertomber.Tun’esdoncplussuspendudetesfonctionsettupourrasteremettreautravaildèstonretour.—Trèsbien!Jonahbonditdehors,saluaCharlie,etrepartitcommeuneflèchechercherquelquechoseàlamaison.—InutiledepréciserqueSarahestlabienvenuesiellesouhaiteterejoindrequelquesjoursàlamontagne,lançaalorsCharlie.Miles,quisuivaitsonfilsdesyeux,pivotasurlui-même.—Jenecomptepaslavoir;ellepassesesvacancesenfamille.—Dommage,maisvousvousreverrezàtonretour,jesuppose.Milesserembrunit.—Çanevapassibienqueçaentrevous?ajoutaCharlie.—Tusaiscequec’est.—J’aiétéjeunemoiaussi,etjeregrettepourtoi.—Pourtant,tulaconnaisàpeine!—Çanem’empêchepasd’êtrenavré.Charlieenfouitsesdeuxmainsdanssespoches.—Bon,jen’aipasl’intentiondememêlerdetesaffaires.Enfait,jesuisicipour

uneautreraison...Jevoulaism’assurerdequelquechose.—Ahoui?—Jemeposedesquestionsausujetdececoupdefil...Tusais,quandtum’asditqu’Otisétaitinnocentetqu’ilfallaitarrêterl’enquête...LeshérifscrutaMilesensilence.—Etes-tuabsolumentconvaincu?—Oui,Otisestinnocent.—MalgrécequenousontditSimsetEarl?—Oui.—Tun’auraispasl’intentiondemenertoi-mêmetonenquête?—Jetedonnemaparole.—Bien,fitCharlie,convaincu.(Ilfrottalesmainssursachemiseetinclinasonchapeau.)Jen’aiplusqu’àtesouhaiterunbonséjouràNagsHead.Tâchedemepêcherquelquechose!AprèsavoiréchangéunsourireavecMiles,ils’éloignadequelquespasets’arrêtanet.—Uneminute!J’aiuneautrequestionàteposer...—Ahoui?—C’estàproposdeBrianAndrews.Jenecomprendstoujourspastrèsbienpourquoituasvoululemettreengardeàvue.Veux-tuquejelesurveilleentonabsence?—Non.—Pourtant,tun’asjamaisététrèsclairàcesujet.Milesobservalecontenudesoncoffre.—C’étaitunesimpleerreur.—Bizarre!fitCharlieenriant.—Pourquoi?—Brianaemployéexactementlesmêmestermesquetoi.—Tuluiasparlé?—Ilaeuunaccidentsouslaresponsabilitédel’undemeshommes.J’aiprisdesesnouvelles...Milespâlit.—Net’inquiètepas,ajoutaCharlie.Ilpritsonmentondanssamainetparutméditerunmoment.—Jevoulaism’assurerquepersonned’autren’estconcerné,dit-ilenfin.Ladéformationprofessionnelle,tusais...Jemedemandaiss’ilyavaitunlienquelconqueentrecesdeuxaffaires.

—Aucun!—Bien,murmuraCharlie.Jem’attendaisàcetteréponse.QuantàBrianAndrews,rienàsignaleràsonsujet?—Rienàsignaler,mentitMilesensedisantqueCharlieavaitdeviné.—Danscecas,conclutgravementleshérif,permets-moidetedonnerunconseil...Puisquetuconsidèrescetteaffairecommeclassée,faispreuved’unpeudelogique.—Queveux-tudire?—Sielleestclassée,ellenedoitpast’empoisonnerlavie.—Jenetecomprendspas.—Maissi,soupiraCharlie.Tum’asparfaitementcompris.

ÉpilogueL’aubeapproche,ilesttempsquejefinissemonhistoire.J’aimaintenanttrenteetunans.Ilyatroisans,j’aiépouséunejeunefilleappeléeJanice.Nousnoussommesrencontrésdansuneboulangerie.Elleenseignel’anglaisaulycéeetnousvivonsenCalifornieoùj’aifaitmesétudesdemédecineetmoninternat.Jesuismédecinurgentistedepuisl’annéedernière.Cestroisdernièressemaines,j’aisauvésixvieshumainesavecl’aidedemonéquipe.Jenedispascelaparvanité,maispourvousfairesavoirquej’aihonorédemonmieuxlapromessefaiteàMilesaucimetière.Enoutre,jen’aijamaisrienditàpersonne.J’étaispersuadé,audébut,qu’ilm’avaitdemandédegarderlesilencepourseprotéger,carunshérifquin’arrêtepasuncriminelsemetdansl’illégalité.Sachantcequ’ilsavait,ilaenfreintlaloienmelaissantpartircejour-là.Aprèsquelquesannéesderéflexion,j’airéaliséquejemesuistrompé.C’estàcausedeJonahqueMilesm’apriédemetaire.

Silarumeurs’étaitrépanduequej’avaisrenverséMissyauvolantdelavoiture,toutelavilleauraitcancanéàcesujet,etJonahauraitgrandiaumilieudesragots.Commentunenfantréagit-ilàunetellesituation?Milesn’ensavaitsansdouterien,maisiln’apasvoulucourircerisque.D’ailleurs,moinonplus.C’estpourquoijebrûleraicespagesdansl’âtredèsquej’auraiachevémonrécit.J’avaissimplementbesoindemeconfesser.C’estencoredurpournoustous.Jeparleautéléphoneavecmasœurunefoisdetempsentempsetjeluirendsrarementvisite.Ladistancequinoussépare-toutelalargeurdel’Amérique-nousdonneunebonneexcuse...Ellevientmevoirdetempsentemps,maistoujoursseule.QuantàMilesetSarah,jesuissûrquevousavezdevinélasuitedeleurhistoire.L’événementseproduisitlanuitdeNoël,sixjoursaprèsqu’ilssefurentditadieusurleporche.Sarah,quin’avaitpaseudenouvellesdeMiles,avaitlecœurdéchiré.Mais,quandellesortitdesavoiture,aprèsavoirpassélasoiréechezsesparents,ellecrutàunehallucination.Ellefermalesyeuxetlesrouvritensouriant.Non,ellen’avaitpasrêvé...Commedeminusculesétoiles,deuxchandellesscintillaientàsesfenêtres.Àl’intérieur,MilesetJonahl’attendaient.

FIN