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Cahiers de Chaillot Le terrorisme international et l’Europe Thérèse Delpech 56 Décembre 2002

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Cahiers de Chaillot

Le terrorismeinternational etl’EuropeThérèse Delpech

n°56Décembre 2002

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En janvier 2002, l’Institut d’Études de Sécurité (IES) est deve-nu une agence autonome de l’Union européenne, baséeà Paris. Suite à l’Action commune du 20 juillet 2001, ilfait maintenant partie intégrante des nouvelles struc-tures créées pour soutenir le développement de laPESC/PESD. L’Institut a pour principale mission defournir des analyses et des recommandations utiles àl’élaboration de la politique européenne. Il joue ainsiun rôle d’interface entre les experts et les décideurs àtous les niveaux. L’IESUE succède à l’Institut d’Etudesde Sécurité de l’UEO, auquel une décision du Conseilde l’UEO avait donné naissance en 1990 afin de cataly-ser le débat européen en matière de sécurité.

Les Cahiers de Chaillot sont des monographies traitantde questions d’actualité et écrites soit par des membresde l’équipe de l’Institut soit par des auteurs extérieurscommissionnés par l’Institut. Les projets sont normale-ment examinés par un séminaire ou un groupe d’ex-perts réuni par l’Institut et sont publiés lorsque celui-ciestime qu’ils peuvent faire autorité et contribuer audébat sur la PESC/PESD. En règle générale, la respon-sabilité des opinions exprimées dans ces publicationsincombe aux auteurs concernés. Les Cahiers de Chaillotpeuvent également être consultés sur le site Internet del’Institut : www.iss-eu.org

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Cahiers de Chaillot

Le terrorismeinternational etl’EuropeThérèse Delpech

Institut d’Etudes de SécuritéUnion européenneParis

n°56Version originaleUne traduction anglaise est également disponible

Décembre 2002

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Institut d’Etudes de SécuritéUnion européenneParis

Directeur : Nicole Gnesotto

© Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenne, 2002. Tous droits de traduction,d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays.ISSN 1017-7574Publié par l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenne, imprimé à Alençon(France) par l’Imprimerie Alençonnaise, conception graphique : Claire Mabille (Paris).

L’auteur

Thérèse Delpechest directeur de la Prospective au Commissariat à l’Energie atomique (CEA),commissaire à l’UNMOVIC (commission chargée du désarmement de l’Irakauprès des Nations unies) et chercheur associé au Centre d’études et derecherches internationales (CERI, FNSP). Elle a également occupé la fonction deconseiller technique pour les affaires politico-militaires au cabinet du Premierministre (1996-1997). Thérèse Delpech a publié L’Héritage nucléaire (Complexe,1997), La guerre parfaite (Flammarion, 1998) et Politique du Chaos (Le Seuil,2002), ainsi que de nombreux articles, notamment dans Politique étrangère, Com-mentaire, Politique internationale, Survival, sur des questions stratégiques et dedéfense.

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Sommaire

Préface Nicole Gnesotto 4

Introduction 7

L’Europe au lendemain des attentats du 11 septembre 13

• L’état des menaces et les réponses 13

• Le terrorisme NRBC 25

• Les relations euro-américaines 31

Les débats d’avenir 35

• Terrorisme et démocratie 35

• La seconde phase de la guerre et la question de l’Irak 37

• Un allié qui s’éloigne 39

• Le rapprochement avec la Russie 42

• Les étrangers proches 44

• Le rôle de l’Union 47

Conclusion : Dix leçons du 11 septembre 51

Annexes 56

• Sigles 56

• Attentats ou tentatives d’attentats sur le sol européen oucontre des intérêts européens à l’étranger 57

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n°56 décembre 2002

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Nicole Gnesotto

Depuis le 11 septembre 2001, un spectre hante le monde : le terro-risme international a en effet surgi dans le ciel serein de nos démo-craties comme une force aveugle et meurtrière, à la fois produit

direct et ennemi implacable de la mondialisation. Après les attentats deNew York et Washington, l'année 2002 a vu se succéder une série d'at-taques sanglantes contre des cibles à Djerba, Bali, au Yémen, au Koweit,aux Philippines, alors que les alertes se multiplient sur tous les continents,que la prolifération des armes de destruction massive reste largement horscontrôle, et que l'ombre d'Al-Qaida continue de planer sur l'une et l'autrede ces menaces.

Au-delà de l'urgence de protéger des populations civiles désormais enpremière ligne, le terrorisme confronte les démocraties à une double diffi-culté. Sur le plan stratégique d'une part, les règles du jeu traditionnel nefonctionnent plus. Face à une menace par nature anonyme, non étatique etimprévisible, il est presque impossible de construire un système de défensesur la prévision et l'anticipation des politiques de l'adversaire d'une part, ladiscussion et la négociation de l'autre, la dissuasion ou la menace de coerci-tion enfin - triade qui, à l'inverse, fonctionne normalement dans des situa-tions de conflits inter-étatiques classiques. Sur le plan psychologique d'autrepart, le terrorisme international tend à nourrir des réactions extrêmes, dedéni ou d'hyperbole : d'un côté un certain scepticisme quant à la réalité oul'imminence de ces menaces, par définition théoriques jusqu'au passage àl'acte ; de l'autre, au contraire, une propension à ériger le terrorisme engrille de lecture unique de la complexité du monde, justifiant bien des amal-games et des entorses aux principes fondamentaux des démocraties elles-mêmes. Les dissonances transatlantiques - sur le degré de militarisation desstratégies anti-terroristes, sur la gestion de l'Irak, sur l'écart entre terro-risme et droit des peuples à l'autodétermination - sont directement issues deces nouveaux défis.

L'Amérique a en effet pris le leadership de la lutte anti-terroriste, sou-vent avec courage et clairvoyance, parfois avec excès et simplification, maistoujours en érigeant désormais le terrorisme au rang de priorité absolue desa politique extérieure. Les Européens en revanche ont souvent marquéleurs différences, tant dans l'analyse du phénomène que dans le choix desstratégies de riposte. Pour quelles raisons ? Qu'en est-il de la menace terro-riste sur le continent ? Théâtres ? Cibles ? Bases logistiques ? Enjeux ?Maillons faibles ? Les pays européens se distinguent-ils des Etats-Unis dans

Préface

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Préface

la liste des cibles potentielles des réseaux terroristes ? Nulle autre queThérèse Delpech, Directeur de la stratégie au Commissariat à l'Energie ato-mique et l'un des meilleurs experts européens des questions de prolifération,ne pouvait tenter de répondre à ces questions. A partir de sources ouvertes,ce Cahier de Chaillot dresse un bilan le plus complet possible de l'état desmenaces et des défis qui concernent directement l'Europe. Certes, s'agissantde menaces par définition anonymes et imprévisibles, la juste appréciationdu risque reste soumise à débat. Demeure seulement la certitude que cettenouvelle donne internationale impose aux dirigeants européens des respon-sabilités et des choix politiques très différents de ce que l'irénisme de l'après-guerre froide avait pu laisser espérer.

Paris, novembre 2002

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« Nous avons adressé quelques messages aux alliés del’Amérique pour qu’ils cessent leur implication dans lacroisade américaine . . . notamment un message àl’Allemagne et un autre à la France. Mais si ces choses nesont pas suffisantes, nous sommes prêts à les augmenter »

Ayman al Zawahiri, 8 octobre 2002

« Nous devons nous préparer à une nouvelle attaque, uneattaque de bien plus grande ampleur. La menace estconsidérable, aussi en Allemagne »

August Hanning, directeur BND,5 novembre 2002

« Nous ne pouvons savoir quand, où et comment lesterroristes frapperont, mais nous avons la certitude qu'ilsessaieront...Ce nouveau type de terroristes recherche deseffets de plus en plus dramatiques et dévastateurs »

David Blunkett, ministre britanniquede l'Intérieur, 7 novembre 2002

« Ben Laden menace l'Italie »

(« Bin Laden minaccia l'Italia »)La Repubblica, 13 novembre 2002)

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Le terrorisme international et l’Europe

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Introduction

Une émotion forte mais passagère

Les événements du 11 septembre 2001 ont ému toute l’Europe,mais n’ont jamais été compris par les Européens pour ce qu’ilsétaient en fait : un retour de la guerre1 au sein des sociétés les plusdéveloppées. L’émotion a donc assez vite fait place au sentimentqu’il s’agissait là d’un événement isolé, ou du moins qui ne se repro-duirait pas à cette échelle. L’entrée des Américains et de leurs alliésafghans à Kaboul un peu plus d’un mois après le début des frappesa conforté ce sentiment2. Même si les opérations militaires enAfghanistan étaient alors loin d’être terminées avec l’entrée dans lacapitale, les Européens, plus encore que les Américains, quidevaient encore faire face à cette date à une attaque biologique, ontcommencé à relâcher leur attention dès ce moment. La raison en estd’abord que le 11 septembre, même s’il a souvent été perçu commeune attaque contre le monde occidental dans son ensemble, n’avaitpas eu lieu en Europe. C’est aussi le refus, très répandu en Europe,d’accepter l’idée que le territoire européen puisse à nouveau avoir àfaire face à de sérieuses menaces au XXIe siècle, en raison de l’his-toire mouvementée du siècle précédent. C’est enfin le souci desdirigeants européens de ne pas « effrayer » les populations et de nepas durcir les relations avec les minorités musulmanes résidant enEurope3.

La persistance d’un terrorisme plus traditionnel en Europe

En mars 2002, quelques mois après l’action terroriste la plus spec-taculaire de l’Histoire, l’Europe assistait au retour inattendu d’unphénomène plus classique. L’assassinat d’un conseiller du ministreitalien du travail, Marco Biagi, était revendiqué par les « Brigadesrouges », que beaucoup croyaient disparues depuis le milieu des

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Le terrorisme internationalet l’Europe

1. Cette notion a été si souventcommentée après le 11 septembre2001 qu’il faut en préciser le sens :il s’agit à la fois d’une déclarationde guerre de la part d’un réseauterroriste transnational dotéd’une organisation remarquable,et de la reconnaissance aux Na-tions unies, pour la première foisdans l’Histoire, qu’une attaqueterroriste justifiait une interven-tion armée. C’est le même raison-nement qui a conduit l’OTAN à in-voquer pour la première foisdepuis sa création la clause de dé-fense collective du Traité de l’Atlantique nord.

2. Les opérations militaires contreles Taliban ont commencé le 7 oc-tobre 2001 et l’entrée dans Ka-boul a eu lieu, à la surprise de laplupart des observateurs, dès le13 novembre. A l’automne 2002,la rapide victoire militaire de lapremière phase de la guerre appa-raît plus fragile. Le leadership d’Al-Qaida semble avoir largementéchappé aux frappes, lors de la ba-taille de Tora Bora en décembre2001. Les regroupements du ré-seau terroriste sur les territoires si-tués à la frontière afghano-pakis-tanaise font l’objet de rapportsconcordants. Et le gouvernementd’Hamid Karzai est menacé tantpar les seigneurs de la guerre aux-quels les Etats-Unis ont laissébeaucoup de champ que par desluttes internes.

3. Ce souci a permis d’éviter un dé-bat sur les nouveaux paramètresde la sécurité. Il eût été aisé des’appuyer sur la vague de sympa-thie de l’automne 2001 et sur lesnombreuses interrogations sou-levées par les événements pouramener les Européens à poser lesquestions de sécurité sous unangle nouveau, en refusant la dis-tinction traditionnelle entre l’inté-

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années 1970. Cet assassinat, le deuxième commis par l’organisa-tion dans les dernières années, révélait l’existence d’une nouvellegénération de terroristes « classiques », qui utilisaient le sigle et leprestige de leurs aînés4, toujours en prison mais peut-être capablesde communiquer avec l’extérieur et de planifier des attentats. Cettegénération ne comprend aujourd’hui que quelques dizaines demembres, mais la police et la justice italiennes craignent une exten-sion du mouvement. Les documents qu’ils produisent n’ont pasévolué depuis vingt-cinq ans : il y est toujours question, dans unlangage aussi confus qu’au milieu des années 1970, de faillite ducapitalisme et de lutte à mort contre les Etats-Unis. Les méthodessont aussi toujours celles de l’assassinat individuel – comme celuide Marco Biagi le 19 mars 20025 – ou de l’attentat à la bombe –comme ce fut le cas le 10 avril 2001 contre l’Istituto Affari Interna-zionali de Rome. Le seul changement significatif est de naturetechnique : les membres de ce réseau sont plus difficiles à identifieren raison des nouveaux moyens de communication6. La crainted’un retour du terrorisme « domestique » à l’heure du terrorismeinternational était dans tous les esprits en Italie en mars 2002.Cette forme de terrorisme est bien connue de nombreux payseuropéens, qu’il s’agisse de l’Espagne (terrorisme basque7 ou terro-risme « gauchiste » du GRAPO8, de la France (terrorisme corse), dela Grèce (mouvement du 17 novembre), ou du Royaume-Uni (ter-rorisme irlandais)9.

La génération terroriste internationaliste est connue en Europedepuis le milieu des années 1990

Les experts européens chargés de la lutte antiterroriste10 recon-naissent aujourd’hui qu’ils ont identifié depuis une dizained’années une génération « internationale », sans base territorialeprécise, qui partait recevoir des entraînements dans les campsafghans avant de revenir s’établir en Europe pour y préparer desattentats. Ces « terroristes errants », qui forment des groupesinstables, très difficiles à surveiller pour cette raison, subsistentgrâce à des activités illicites de toute nature – le trafic de cartes ban-caires par exemple – et leur indépendance financière les rend encoremoins aisément identifiables. A l’origine de cette génération, ontrouve souvent des éléments d’origine algérienne. L’interruptiondu processus électoral dans ce pays en janvier 199211 et l’interdic-

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Le terrorisme international et l’Europe

rieur et l’extérieur, entre les forcesde projection et la défense du ter-ritoire, ou entre les opérations mi-litaires extérieures et la défense ci-vile. Mais il eût fallu un peud’audace, et elle a fait défaut,même dans les deux pays eu-ropéens qui connaissaient deséchéances électorales (la France etl’Allemagne) et qui avaient la pos-sibilité de faire un bilan à cette oc-casion. Il faudra sans doute at-tendre à présent qu’unecatastrophe se produise sur le soleuropéen pour que le débat aitlieu.

4. Les premières Brigades rouges,constituées au début des années1970, perpétrèrent un grandnombre d’attentats à la bombe etd’assassinats, dont le plus célèbreest celui de l’ex-premier ministreAldo Moro en 1978. Ce furent les« anni di piombo », les années deplomb.

5. L’assassinat de Marco Biagi, unprofesseur de droit de Bologne, aété perpétré par deux motocy-clistes. En 1999, les Brigadesrouges avaient aussi revendiquél’assassinat de Massimo d’An-tona, autre conseiller du ministredu travail, qui travaillait, commeMarco Biagi, à une réforme dudroit du travail. L’arme du crimeserait la même dans les deux cas.

6. Les terroristes utilisent de plusen plus Internet et les logiciels decryptologie disponibles. Pour lesdécoder et en prendre connais-sance, il faudrait y consacrer dessommes souvent considérables.

7. L’ETA, organisation séparatistebasque espagnole, passe pour laplus violente d’Europe. L’ETA estaussi présente sur le territoirefrançais et achète souvent à Parisses armes et le matériel pour laconfection de ses bombes. Selonle procureur Irène Stoller, chef dela 14e section antiterroriste duparquet de Paris, « la sociétéfrançaise continue à ne pas êtretrès informée de la réalité du terro-risme basque», qui ne menace passeulement l’Espagne : « Le granddébat est de savoir si ETA frapperaou non en territoire français ».

8. Groupe de Résistance antifas-ciste du 1er octobre.

9. Une des questions auxquellesl’Europe devra répondre estd’ailleurs le lien futur possible demouvements nationaux tradition-

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tion du FIS (Front islamique du Salut), dont les pays européens (etla France en particulier) passent pour complices aux yeux des isla-mistes12, expliquent en effet la présence en Europe des premiers élé-ments qui formeront progressivement la génération terroristerécente avec le noyau le plus dur. Ces organisations, qui ont d’abordinstallé en Europe (principalement en France, mais aussi en Italie,en Allemagne et en Belgique) des bases logistiques pour alimenterles maquis en Algérie, ont ensuite été presque entièrementcontrôlées par le GIA (Groupe islamique armé)13, responsable desattentats terroristes de 1995 en France14. A partir de 1996, les élé-ments radicaux du GIA et du Djihad islamique ont quitté leursorganisations d’origine pour rejoindre une mouvance islamisteinternationale encore informe mais qui présentait déjà les caracté-ristiques de réseaux semblables à celui d’Al-Qaida.

Une précieuse expérience européenne

Les Européens ont ainsi acquis de nombreuses connaissances dansla lutte contre le terrorisme international et, partant, des possibi-lités de coopération multiples avec les Américains dans le domainedu renseignement et de la justice. Après le 11 septembre, ces coopé-rations, souvent discrètes, se sont révélées beaucoup plus équili-brées que celles qui ont eu lieu entre les deux rives de l’Atlantiquedans le domaine militaire. Certes, la capacité de prévision des évé-nements tragiques qui se sont déroulés à New York et à Washingtona été aussi faible en Europe qu’aux Etats-Unis, mais de précieusesconnaissances ont pu être partagées après coup sur la nature desréseaux, leurs moyens de communication et leurs méthodes d’ac-tion. Ces échanges avaient d’ailleurs déjà commencé avant le11 septembre. L’exemple le plus connu est celui de l’arrestation en1999 à la frontière canadienne d’un ressortissant algérien, AhmedRezam15, en possession de puissants explosifs destinés à LosAngeles au moment des fêtes du millénaire. Les services françaisavaient sur cet individu des données précises depuis plusieursannées et ils ont indiqué qu’il s’agissait là de leur premier contactdirect avec le réseau Al-Qaida16. Ils ont alors fourni aux Etats-Unisdes documents qui témoignaient du caractère non pas individuelde l’épisode mais plutôt de l’ampleur de la menace. Ces mêmes ser-vices ont communiqué au FBI des informations sur Zacarias Mous-saoui, ressortissant français qui sera arrêté en août 2001 aux Etats-

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Introduction

nels avec les nouvelles formes deterrorisme « déterritorialisé ».

10. La lutte antiterroriste est orga-nisée en France depuis 1996 defaçon centralisée, qu’il s’agisse duterrorisme interne ou externe, avecune cellule antiterroriste com-posée de quatre magistrats quiont des pouvoirs considérables(pouvoirs d’enquête et judiciaire,perquisitions, saisies, écoutes,etc.).

11. Le chef du GIA (Groupe isla-mique armé) Antar Zouabri a étéabattu le 8 février 2002 lors d’unaffrontement à Boufarik. Sa têteétait mise à prix en Algérie pour64 000 euros. Les GIA ont perdude leur influence, mais en févrierleurs attentats ont encore fait desdizaines de victimes. De nouveauxattentats ont eu lieu depuis la sup-pression de Zaoubri. Reste égale-ment le Groupe salafiste pour laprédication et le combat (GSPC)d’Hassan Hattab, très actif dansl’ouest et le centre de l’Algérie.

12. Voir David Ignatius, « QaidaAgents in the West Wait Quietlyfor Orders », International HeraldTribune, 19 novembre 2001 : « LaDST a une expérience peu com-mune du terrorisme car la France adurant des dizaines d’années étéconfrontée à des attaques de di-vers groupes arabes, algériens no-tamment. Dans cette longue luttecontre le terrorisme, elle a étroite-ment collaboré avec les services derenseignement à la fois israélienset arabes. Après son arrivée à latête de la DST en 1997, M. Pascala remarqué des Algériens rejoi-gnaient régulièrement les campsd’entraînement de ben Laden enAfghanistan, un mouvement qu’ila appelé « néo-afghan ». En 1998,la DST a publié un premier rap-port sur cette menace néo-af-ghane. Grâce à l’étude de ces dé-placements et des réseaux, la DSTa pu déjouer certains plans d’Al-Qaida ».

13. Un mouvement « salafiste »,groupe fondamentaliste basé enAlgérie, qui donnera naissance auGSPC.

14. En décembre 1994, un Airbusau départ d’Alger devait être dé-tourné sur Paris et précipité sur laTour Eiffel avec une tactique suici-daire comparable à celle qui a étéutilisée le 11 septembre, même siles réseaux qui ont préparé les

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Le terrorisme international et l’Europe

Unis17. Enfin, les Européens connaissaient également depuis plu-sieurs années l’intérêt des terroristes pour les armes de destructionmassive, surtout chimiques et biologiques, et l’existence de campsspécialisés en Afghanistan dans ce domaine, notamment sur le sitede Derunta18. Des informations sur l’entraînement donné enAfghanistan et des CD-Rom contenant des recettes pour produirece type d’armes avaient été saisis sur le sol européen dans ladeuxième moitié des années 199019.

La réponse des Etats-Unis aux Européens

Une des erreurs les plus évidentes de Washington dans la gestiondiplomatique de l’après-11 septembre a été l’incapacité d’utiliserou de maintenir le capital de sympathie qui est apparu en Europeaprès les attentats. Les offres européennes – notamment dans ledomaine militaire – n’étaient peut-être pas à la hauteur des événe-ments, mais elles auraient pu faire l’objet de plus de considérationpour cimenter la coalition. Les connaissances des Européens dansle domaine du terrorisme auraient pu être mises en valeur. Le dis-cours sur l’état de l’Union aurait pu comporter un mot sur lesAlliés. Enfin, tout simplement, il n’était pas nécessaire d’attendre le11 mars 2002 pour les remercier publiquement20. Des différendsplus graves que des blessures d’amour-propre compliquèrent aussirapidement la relation transatlantique après le 11 septembre. Toutd’abord, l’incapacité d’avancer vers un règlement du conflit israélo-palestinien a donné lieu à une pernicieuse incompréhension depart et d’autre de l’Atlantique. Ensuite, alors que le sentiment avaitd’abord prévalu, en Europe comme dans le reste du monde, que cesattaques, suivies de résolutions de soutien adoptées à l’unanimitétant à l’Assemblée générale des Nations unies qu’au Conseil desécurité, ouvraient une nouvelle ère pour la coopération interna-tionale et les alliances, il a vite fallu se rendre à l’évidence21. Elles onttrès largement eu l’effet inverse en renforçant, après la rapide vic-toire de la première phase des hostilités, le sentiment – déjà présentaux Etats-Unis avant les attaques – qu’il fallait garantir à tout prixla liberté d’action et la souveraineté américaines. La faible partici-pation européenne aux actions militaires a en outre convaincul’Amérique qu’elle était seule capable et seule décidée (« able andwilling ») à mener cette guerre longue et difficile contre le réseau Al-Qaida. Les Américains ont d’ailleurs fourni une preuve éclatante de

deux attentats ne sont pas lesmêmes. L’avion a été maîtrisé àMarseille par les forces spécialesfrançaises du GIGN (Groupe d’in-tervention de la gendarmerie na-tionale).

15. Ahmed Rezam a étécondamné aux Etats-Unis à 140ans de prison pour conspiration.

16. En fait, la dénomination datede 1988 et le réseau était déjà res-ponsable du premier attentatcontre le World Trade Center en1993. Sa responsabilité dans lesattentats de Riyad (novembre1995) et de Dhahran (juin 1996)en Arabie saoudite est aussi sou-vent évoquée. En outre, Al-Qaidaaurait organisé le projet d’atten-tat contre le président Moubaraken Ethiopie en juin 1995.

17. En particulier, la France a indi-qué aux Etats-Unis que cet indi-vidu avait effectué plusieursvoyages en Afghanistan à la fin desannées 1990 pour suivre des coursd’entraînement terroriste dansdes camps et qu’il avait rencontrédes personnalités d’Al-Qaida à Ja-lalabad et à Kandahar.

18. Ce site a été lourdement bom-bardé en octobre 2001, et figuresur l’abondant matériel vidéo saisien Afghanistan et diffusé en août2002 par CNN.

19. Parmi les motifs de frustrationdes Européens à l’égard de Wa-shington, il y a certainement le faitque la coopération en matière derenseignement se fait presque ex-clusivement à sens unique en ma-tière de terrorisme.

20. Il s’agit du discours du prési-dent Bush six mois après les atten-tats. Les Britanniques n’ont pas eudroit à un traitement de faveur.C’est à peine s’ils ont été remerciéspour les opérations particulière-ment dangereuses auxquelles ilsont participé en décembre 2001dans les montagnes de Tora Boraet en mars 2002 lors de l’opéra-tion Anaconda. Quant aux avionset aux navires français ou auxforces spéciales allemandes, iln’en a pratiquement pas été ques-tion dans la presse américaine. LePentagone a publié un bulletind’information sur la contributiondes Alliés à la guerre contre le ter-rorisme, avec des mises à jour ré-gulières (Coalition Partners’ Contri-butions in War against Terrorism, De-partment of Defense, Office of

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Introduction

leur capacité à intervenir seuls, avec des alliés locaux22, et de leurvolonté d’adapter désormais les alliances aux missions. Est-ce à direque l’Amérique n’a plus d’allié privilégié ou permanent, mais seule-ment des alliés « de circonstance » ? Dans ces conditions, quedevient l’Alliance atlantique ? Même les observateurs français, quisont rarement des défenseurs de l’OTAN, ont commencé à poser laquestion. Et des commentateurs comme Anatol Lieven n’hésitentdéjà plus à parler d’une OTAN « à moitié morte »23, même sid’autres voix, comme celle de Joseph Nye, expliquent que l’OTAN atraversé d’autres périodes difficiles après la fin de la guerre froide etqu’elle surmontera la crise actuelle, en développant de nouvellescapacités, en intégrant de nouveaux membres, et en entretenant denouvelles relations avec la Russie24.

L’effet conjugué de la guerre contre le terrorisme, de l’élargisse-ment de l’OTAN et de la priorité asiatique des Etats-Unis pour lasécurité européenne

Tandis que la guerre contre le terrorisme accentue la militarisationde l’Amérique, l’élargissement de l’OTAN contribuera à réduire ladimension militaire de l’Alliance, déjà affectée par l’incapacité desEuropéens à tenir les objectifs de modernisation militaire et par lacampagne en Afghanistan qui a été réalisée sans elle. Les nouvellesrelations OTAN/Russie, qui jouent un rôle croissant dans la straté-gie de l’Alliance, ne peuvent elles-mêmes s’épanouir qu’au seind’une institution plus politique que militaire25. Cet affaiblisse-ment militaire de l’OTAN risque de renforcer la tendance déjà fortede l’administration américaine actuelle à l’unilatéralisme. Maispeut-être y a-t-il plus grave encore dans le malaise euro-américain.Pendant dix ans, les Balkans ont maintenu l’illusion que la sécuritéde l’Europe avait encore de l’importance pour les Etats-Unis. Cetteillusion a volé en éclats le 11 septembre et lors de la guerre qui s’enest suivie en Afghanistan. Le théâtre d’opérations américain estdésormais en Asie, une partie du monde dont l’Europe continued’ignorer l’importance stratégique croissante. C’est de là pourtantque viennent déjà – et que viendront de plus en plus – les principalesmenaces auxquelles la sécurité internationale sera confrontée en cesiècle. L’Europe, comme l’Amérique, devra donc contribuer à pré-venir les crises dans cette immense région, qui s’étend du Moyen-

Public Affairs), mais les journa-listes américains n’ont pas reprisles nombreux renseignementsqu’il contenait.

21. Robert Kagan, dans l’articlede Policy Review « Power and Weak-ness » qui a fait l’objet de nom-breux commentaires au prin-temps 2002, conclut un peu viteque les Européens sont attachésaux traités et au multilatéralismeparce qu’ils n’ont pas de puis-sance militaire, sans mêmeprendre la peine de remarquer quel’Union européenne disparaîtraitsi elle ne consentait pas quotidien-nement à des abandons de souve-raineté et à des consultations mul-tilatérales.

22. L’opération Enduring Freedom adébuté le 7 octobre par une cam-pagne de bombardement dirigéedepuis le Central Command amé-ricain à Tampa. Les Britanniquesétaient les seuls Européens pré-sents dès le premier jour. La contri-bution de l’OTAN (avionsAWACS) n’était pas sur le théâtred’opérations. Il apparaît aujour-d’hui qu’une confiance excessivedans les chefs de guerre locaux acompromis l’opération centralede Tora Bora ainsi que le retour àla stabilité en Afghanistan après laconstitution du gouvernementautour d’Hamid Karzai.

23. Anatol Lieven, « The end ofNATO», Prospect, décembre 2001.Ce sur quoi tous les observateurss’accordent, c’est l’impossibilitépour l’OTAN de ne pas se trans-former. Le processus d’adapta-tion engagé en 1990 connaît unenouvelle étape potentiellementdécisive, comme on le verra ausommet de Prague en novembre2002.

24. Voir Joseph Nye, « NATO re-mains necessary», International He-rald Tribune, 16 mai 2002.

25. Depuis la signature de l’ac-cord OTAN/Russie à Rome en mai2002, qui a considérablementétendu la capacité de Moscou departiciper aux consultations etaux processus de décision del’OTAN hors article 5, la coopéra-tion militaire a plutôt régressé.C’est le cas en particulier dans lesBalkans, où la participation russeà la SFOR et à la KFOR a été ré-duite à 700 hommes.

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Orient au Japon, les maintenir au plus bas niveau possible si la pré-vention échoue et les empêcher de dégénérer en conflits. Enfin, sipar malheur ces conflits éclataient malgré tout, il faudrait prévenirl’escalade et l’usage d’armes de destruction massive. La préparationdes capitales européennes à ces défis majeurs, y compris au Moyen-Orient, est encore très insuffisante, comme le montre la désuniondes capitales européennes sur la question de l’Irak. Les critiquesd’une opération militaire contre Bagdad, souvent fondées, sontparfois à juste titre interprétées comme un refus pur et simple detout emploi de la force par les Européens. La plupart des capitaleseuropéennes ne semblent pas comprendre que seule une pressionforte, concertée et constante permettra de convaincre SaddamHussein de renoncer à ses programmes d’armes de destructionmassive. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire d’être un grand expertdes Etats-Unis pour savoir que la capacité d’influence des capitaleseuropéennes en l’absence d’une stratégie commune est à peu prèsnulle. Y a-t-il donc une pensée stratégique européenne autre queréactive ? On peut en douter.

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L’Europe au lendemain desattentats du 11 septembre

L’état des menaces et les réponses

La solidarité

Dès le 21 septembre, le Conseil européen s’est déclaré « entièrementsolidaire » des Etats-Unis, lors d’une session extraordinaire des-tinée à analyser la situation internationale qui a résulté des atten-tats. Le sentiment d’une menace commune l’emporte alors : « Cesattentats constituent une attaque contre nos sociétés ouvertes,démocratiques, tolérantes et multiculturelles ». A cette date, la réfé-rence à l’article 5 du Traité de Washington est encore subordonnéeà la condition que les attaques proviennent de l’extérieur, en accordavec la déclaration du Conseil de l’OTAN du 12 septembre : « LeConseil a décidé que, s’il est établi que cette attaque était dirigéedepuis l’étranger contre les Etats-Unis, elle sera assimilée à uneaction relevant de l’article 5 du Traité de Washington », qui stipulequ’une attaque armée contre l’un ou plusieurs des pays alliés, enEurope ou en Amérique du Nord, sera considérée comme uneattaque dirigée contre tous les alliés26. Mais cette condition est viteremplie et tous les pays européens membres de l’OTAN reconnais-sent l’application de l’article qui vise la sécurité collective27. Dans cecas, le traité prévoit que chaque pays entreprend individuellementl’action jugée nécessaire, ce qui a permis d’éviter une action collec-tive qui n’était guère souhaitée par les Etats-Unis28 et pour laquellel’OTAN était en tout état de cause peu préparée29. Pendant laguerre froide, la solidarité de l’OTAN a toujours été supposée suffi-sante pour que l’URSS n’entreprenne pas d’attaquer l’Europe, maiselle n’avait jamais été mise à l’épreuve. Qu’elle le soit dans cecontexte est pour le moins surprenant. C’est en effet une biencurieuse application de la clause de défense collective, à laquelleaucun des signataires n’aurait pu songer au moment de la signa-ture du traité créant l’Alliance atlantique. La solidarité atlantique adépassé le cercle des membres actuels de l’Alliance : parallèlement à

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26. « Les parties conviennentqu’une attaque armée contrel’une ou plusieurs d’entre elles sur-venant en Europe ou en Amériquedu Nord sera considérée commeune attaque dirigée contre toutesles parties, et en conséquence ellesconviennent que, si une telle at-taque se produit, chacune d’elles,dans l’exercice du droit de légitimedéfense, individuelle ou collective,reconnu par l’article 51 de laCharte des Nations unies, assis-tera la partie ou les parties ainsi at-taquées en prenant aussitôt, indi-viduellement et d’accord avec lesautres parties, telle action qu’ellejugera nécessaire, y compris l’em-ploi de la force armée, pour réta-blir et assurer la sécurité dans la ré-gion de l’Atlantique nord. Touteattaque armée de cette nature ettoutes mesures prises en consé-quence seront immédiatementportées à la connaissance duConseil de sécurité. Ces mesuresprendront fin quand le Conseil deSécurité aura pris les mesures né-cessaires pour rétablir et mainte-nir la paix et la sécurité internatio-nales ».

27. Cette reconnaissance s’est tra-duite par la mise à dispositiond’avions AWACS de l’OTAN poursurveiller le territoire américainavec des équipes européennes.

28. Lors de sa venue à Bruxelles le26 septembre, Paul Wolfowitz, se-crétaire adjoint à la défense, dé-clarait que Washington n’avaitpas prévu « une action collectivede l’OTAN » en rétorsion des at-tentats.

29. Il n’en demeure pas moinsqu’il eût été bienvenu de mettre enplace à Bruxelles une cellule d’in-formation, voire un Steering Com-mittee pour maintenir un lien ré-gulier entre les alliés.

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la décision de l’OTAN, les ministres des affaires étrangères de10 pays candidats à l’adhésion à l’OTAN (Albanie, Bulgarie, Croa-tie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Macédoine, Roumanie, Slovaquieet Slovénie) ont exprimé dans un communiqué commun leur sou-tien à la campagne antiterroriste conduite par les Etats-Unis.

La coopération

Le 26 septembre 2001, le secrétaire adjoint à la Défense, Paul Wol-fowitz, a suggéré que les membres de l’Alliance pourraient aider lesEtats-Unis en leur donnant des renseignements et en retraçant lesfonds des terroristes. Les demandes américaines, reçues le3 octobre, furent acceptées en 24 heures : un meilleur partage durenseignement, la protection des installations alliées en Europe, lamise à disposition de ports et d’aéroports, le droit « généralisé » desurvol aérien, la « possibilité » de recourir aux moyens de l’OTAN,notamment à ses 17 avions de surveillance AWACS, le déploiementde forces navales en Méditerranée orientale et, si le besoin s’en fai-sait sentir, le remplacement de troupes dans les Balkans, où séjour-naient 10 000 soldats américains. L’OTAN a formellement acceptéces demandes le 4 octobre et le Secrétaire général a indiqué que cettedécision rendait « opérationnel l’article 5 du Traité de Washing-ton ». La plupart des requêtes, qui montrent le caractère « périphé-rique » du soutien que les Etats-Unis attendaient de leurs alliés,avaient déjà été acquises au niveau bilatéral. La démarche auprès del’Alliance ne s’imposait pas du point de vue pratique, mais elle avaitune forte dimension politique. Depuis lors, beaucoup prétendentque l’OTAN sera jugée en fonction de sa capacité d’être utile dans lecombat antiterroriste, présenté par les Etats-Unis comme la pre-mière guerre du XXIe siècle. Paul Wolfowitz a vite souligné que cedevait être là une priorité majeure de l’Alliance et Lord Robertson,Secrétaire général de l’OTAN, est conscient de l’enjeu : le sommetde Prague a comporté des décisions aussi importantes sur le terro-risme que sur la défense antimissile ou l’élargissement et la créationd’une force d’action rapide devrait permettre de pallier certains desproblèmes constatés en 2001 au sein de l’Organisation.

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L’Europe connaît-elle un retard dans la révolution des affairesterroristes ?

C’est ce que prétendent certains, en s’appuyant sur le fait que ceuxdes terroristes responsables de l’attentat du 11 septembre qui ontrésidé en Europe n’ont précisément pas commis d’attentats sur lesol européen. L’Europe connaîtrait des formes classiques de terro-risme et serait un lieu idéal pour préparer des attentats plus specta-culaires que ceux auxquels elle est « habituée », mais ceux-ciseraient commis ailleurs, contre l’Amérique ou contre les intérêtsaméricains. Cette conclusion n’est pas seulement fausse, elle estaussi dangereuse car elle ne permet pas de prendre les mesures quis’imposent pour protéger les Européens d’attaques terroristesfutures de plus grande envergure que celles auxquelles l’Europe adéjà fait face. La police et la justice italiennes par exemple saventbien qu’elles doivent faire face aux deux phénomènes, qui ne com-muniquent pas nécessairement entre eux. Aucune preuve n’existed’un lien entre les nouvelles « Brigades rouges » et Al-Qaida, mais laprésence en Italie de cellules terroristes ayant des liens avec le réseaud’Oussama ben Laden ne fait aucun doute, en particulier à Milan.Ces cellules sont présentes dans toute l’Europe. Outre Milan, les casles plus connus sont ceux de Hambourg, de Francfort et de Madrid.Les relations du nouveau terrorisme international et de l’Europe nese limitent pas à la présence de réseaux qui planifieraient sur le soleuropéen des attentats commis ailleurs contre des intérêts améri-cains. Des cellules, identifiées et détruites ou toujours actives enEurope, ont bien préparé des attentats sur le sol européen : contre lemarché de Noël à Strasbourg en décembre 2000, contre l’ambas-sade américaine à Paris à l’été 2001 ou, plus récemment, enmai 2002, contre la cathédrale de Bologne30. Elles auraient aussiplanifié des attentats en 2001 contre Saint-Pierre de Rome et Saint-Marc de Venise. Enfin, le 29 août 2002, un Suédois d’origine tuni-sienne a été arrêté à Stockholm alors qu’il montait à bord d’unBoeing 727 à destination de Londres, avec l’intention, selon le ren-seignement militaire suédois, d’écraser l’avion sur un bâtimentofficiel31. D’autres pays européens ont été visés à l’étranger : l’Alle-magne a été touchée en Tunisie (14 touristes allemands ont péridans l’attentat contre la synagogue El Ghriba à Djerba le 11 avril2002) et la France au Pakistan (onze ingénieurs de la Direction desConstructions navales ont été tués à Karachi le 8 mai 2002) et auYémen (attentat contre le pétrolier Limburg en octobre 2002). Les

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30. Quatre Marocains et un Ita-lien ont été interpellés en août àBologne dans la cadre de cette en-quête. La cathédrale abrite unefresque du XVe siècle qui est jugéeinsultante pour l’Islam.

31. Cet événement est loin d’êtreclair et a fait l’objet de déclara-tions contradictoires, mais il a for-tement ému la Suède surtout enpériode électorale. L’individu ap-préhendé a été relâché.

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liens de ces trois attentats avec des éléments du réseau d’Al-Qaidasemblent à présent établis32. Les Européens ont un peu vite ten-dance à croire que les attentats manifestent une exaspération à l’é-gard des seuls Etats-Unis, de leur présence au Moyen-Orientnotamment, et qu’ils se limiteront donc à s’attaquer aux intérêtsaméricains, sur leur sol ou à l’étranger33. C’est une réponse rassu-rante qui ne tient compte ni des faits, ni des intentions et de l’idéo-logie des membres des réseaux concernés. Les Etats-Unis figurentau premier plan en raison de leur centralité symbolique et de leurprésence globale dans le monde, mais ils sont perçus comme le chefde file d’une civilisation occidentale qui constitue la vraie menaceet dont l’Europe fait naturellement partie. Tous les entretiens dis-ponibles avec des membres du réseau Al-Qaida en témoignent34.Certains experts européens du terrorisme pensent même que l’Eu-rope, à présent bien engagée dans la lutte contre le terrorisme, peutdevenir une cible plus tentante pour des attaques parce qu’elle estmoins bien protégée que les Etats-Unis. Plusieurs caractéristiquesfont en effet de l’Europe une zone à certains égards plus attractiveque les Etats-Unis. La géographie et la présence d’une populationmusulmane en expansion ne sont pas les moindres d’entre elles.

Le terrorisme comme menace commune de l’Alliance ?

Lors de sa tournée européenne en mai 2002, le président des Etats-Unis a déclaré à plusieurs reprises que « l’Europe faisait face auxmêmes menaces que l’Amérique ». On voit bien en quoi une telledéclaration pouvait servir les idées et les intérêts que George Bushvenait alors défendre en Europe. Mais il est frappant de constaterque les experts européens du terrorisme n’ont pas un discours trèsdifférent. Ils insistent tous sur la présence de terroristes en Europe,qui se renouvelle régulièrement avec de nouveaux arrivants, sou-vent regroupés préalablement dans les Balkans, et sur leur inquié-tude de voir une attaque majeure réussir sur le sol européen. Lespays de l’Union les plus directement touchés par la présence des ter-roristes sont le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne.Depuis la vague d’attentats qui a frappé la France en 1994 et 1995,il semble parfois que la France soit moins directement menacée surson propre territoire35 en raison des mesures antiterroristes quiont été prises à cette date, mais cette thèse est infirmée par les décla-rations des terroristes eux-mêmes. Les cellules terroristes ont été

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32. Les services spéciaux françaisont établi le lien des attentats deKarachi et du Yémen avec Al-Qaida, tandis que les services alle-mands sont parvenus à la mêmeconclusion pour l’attentat contrela synagogue de Djerba. Sur cedernier attentat, un récit assez pré-cis de l’enquête a été fait dans l’ar-ticle « April bombing signaled AlQaida is dangerous even withouta head », Wall Street Journal, 20août 2002.

33. Il n’y a pas de doute que Ous-sama ben Laden voit dans lesEtats-Unis l’ennemi principal« qui a divisé la Ummah en de pe-tits et faibles pays et, depuis desdizaines d’années, y crée une si-tuation de confusion ». En fait,cette division est plutôt le fait desEtats européens. Mais « la der-nière en date de ces agressions, etnon la moindre, (...) consiste enl’occupation de deux Lieux saints,la Maison de l’Islam (lieu de larévélation, de paroles divines) et laplace de la Ka’Ba (Mecque de tousles musulmans), par les arméesaméricaines et leurs alliés ». Pre-mière Fatwa d’Oussama ben La-den. A côté des Lieux saints, setrouve aussi le pétrole : « La pré-sence de forces armées améri-caines sur la terre, la mer et dans leciel des Etats du Golfe Islamiqueest le plus grave danger pour laprincipale réserve de pétrole dansle monde ».

34. Les plus récentes interviews,effectuées au Balouchistan et enterritoire pakistanais, ont été réa-lisées par John Christopher Tur-ner, un américain originaire duMissouri converti à l’Islam, pen-dant l’été 2002. Elles font état del’hostilité vis-à-vis de l’influencecorruptrice de l’argent et desmœurs occidentales sur les paysarabes : « ils ne veulent pas voir lemonde pollué ». La « pollution »en question provient tout autantde l’Europe que des Etats-Unis.

35. L’attentat perpétré à Karachile 8 mai 2002 contre des ingé-nieurs et techniciens français pa-raît être une suite de l’attentatmanqué sur le vol Paris-Miami. Eneffet, une des personnes inter-pellée et expulsée de France vers lePakistan en avril 2002, Abdul Qa-har, serait l’organisateur de l’at-tentat. Les enquêteurs françaisn’ont pas manqué de rappeler à

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organisées sous deux mouvements principaux en Europe : legroupe égyptien « Anathème et Exil » et le groupe « salafiste » algé-rien « Prêche et Combat ». Plus de deux cents personnes ont étéarrêtées sur le sol européen depuis le 11 septembre (en Allemagne,en Belgique, en Espagne, en France, en Italie et au Royaume-Uni).L’arrestation en juin 2002 de plusieurs membres d’Al-Qaida auMaroc alors qu’ils envisageaient de faire sauter un navire de guerredans le détroit de Gibraltar a conduit certains observateurseuropéens à prévoir que la Méditerranée serait probablement l’undes prochains théâtres d’opérations du réseau terroriste36.

◗ Le Royaume-Uni est peut-être le pays européen le plus affecté par laprésence de terroristes37. Il apparaît à la fois comme un sanctuaireen raison du soin avec lequel les libertés civiles y sont protégées, etcomme un centre de recrutement pour toute l’Europe38. Selon leurentourage, Djamel Beghal, Nazir Trabelsi ou Zacarias Moussaouimenaient des existences paisibles avant leur traversée de la Manche.Le basculement se serait produit au hasard des rencontres dans leLondonistan, notamment dans la mosquée de Finsbury Park39.Pour le GIA algérien, le Jihad islamique égyptien et beaucoup degroupes clandestins, le Royaume-Uni était – et demeure en partie –un pays de choix. Un débat sur le terrorisme sépare depuis desannées le Royaume-Uni et la France en raison de la demande d’ex-tradition depuis 1995 de Rashid Ramda, l’un des commanditairesde la campagne d’attentats en France, que les Britanniques ontlongtemps refusé d’extrader40. Des mesures ont été prises àLondres après le 11 septembre pour améliorer la coopération nonseulement avec les Etats-Unis mais aussi avec les autres payseuropéens. Dans certains cas, Londres semble même être passéd’un extrême à l’autre. Une loi a par exemple été adoptée endécembre 2001 permettant l’emprisonnement sans jugement d’in-dividus étrangers suspectés d’activités terroristes. Elle est forte-ment critiquée en raison de la discrimination introduite entre lapopulation britannique et étrangère. Les Britanniques sont aussiceux qui ont pris les mesures défensives et offensives les plus impor-tantes en Europe après les attentats. Le secrétaire à la Défense,Geoff Hoon, a annoncé en juillet 2002 une longue série de mesuresportant sur la surveillance aérienne, des moyens spécifiques pourfaire face à des attaques NBC et la création d’une « Force de Réac-tion Domestique » (Domestic Reaction Force) de 6 000 réservistespour répondre à d’éventuelles attaques terroristes41. En novembre

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leurs interlocuteurs pakistanais cedétail gênant, surtout qu’AbdulQahar avait été renvoyé à Karachimême.

36. Voir Yaroslav Trofimov, « Me-diterranean may be next terroristtheater », The Wall Street Journal,12 juin2002. L’opération qui a étéévitée dans le détroit de Gibraltaraurait été planifiée après le 11sep-tembre, dans les montagnes deTora Bora, au moment où le lea-dership d’Al-Qaida a pris la déci-sion de fuir, en décembre 2001,alors qu’il était la cible d’une at-taque aérienne particulièrementviolente.

37. Le Royaume-Uni est aussi lepays européen qui a perdu le plusde ressortissants depuis le 11 sep-tembre avec une quarantaine demorts au moins dans le seul atten-tat de Bali en octobre 2002. Les es-timations concernant le nombretotal de tués et disparus eu-ropéens à la suite de cette attaqueterroriste sont de l’ordre de 70.

38. Il faut noter l’influence déci-sive des mosquées londoniennes,comme celle de Finsbury Park, aunord de Londres où, au lendemaindu 11 septembre, l’imam AbouHamza al-Masri a approuvé les at-tentats au nom de la « légitime dé-fense », et la grande Mosquée deRegent’s Park. En octobre 2002,sheik Omar Mahmood AbouOmar, connu sous le nom de AbuQatada, et qui passe pour un desprincipaux agents de recrutementd’Al-Qaida en Europe, a été arrêtéà Londres. Il avait disparu en dé-cembre 2001, avant l’adoptiondes nouvelles lois antiterroristes.

39. Cette mosquée passe à pré-sent pour un centre de recrute-ment d’Al-Qaida en Europe. Za-carias Moussaoui et Richard Reidy sont tous deux passés. Les recru-teurs chercheraient à présent depréférence des musulmans de na-tionalité européenne ou améri-caine.

40. La France elle-même vient seu-lement d’extrader vers l’ItaliePaolo Persichetti, qui enseignaitdepuis plusieurs années à l’univer-sité de Paris VIII et qui était ré-clamé par Rome comme ancienmembre des Brigades rouges im-pliqué dans l’assassinat du géné-ral Licio Giorgeri, le 20 mars 1987.

41. Le secrétaire à la Défense bri-tannique a déclaré que ces me-sures « ont été élaborées afin de

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2002, Londres a fait l’objet de menaces terroristes particulièrementsérieuses.

◗ En Allemagne, où trois des onze terroristes, y compris MohammedAtta, ont résidé (à Hambourg42), la plus grande investigation poli-cière de l’histoire allemande a été lancée après le 11 septembre, avec600 policiers. Une dizaine d’islamistes ont été arrêtés, dont desproches de Mohammed Atta, et les autorités ont vite reconnu quela dimension du péril islamiste était beaucoup plus grande qu’ellesne le soupçonnaient43. Ce péril n’était pas tout à fait ignoré cepen-dant : en décembre 2000, une cellule est arrêtée à Francfort alorsqu’elle prépare des attentats à Strasbourg. Ce sont aussi les auto-rités allemandes qui ont découvert que les plans d’attaque duWorld Trade Center dataient de 1999. Enfin, en septembre 2002,un projet d’attentat est déjoué contre une base militaire américaineà Heidelberg. L’Allemagne a pris de nombreuses mesures pour évi-ter que des associations terroristes puissent bénéficier des libertésimportantes qui sont consenties aux associations religieusesdepuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. On observe depuisquelques mois une assez large réticence de la société allemande etdes entreprises à participer à la mise en place des nouvelles mesures,celles en particulier qui permettraient l’élaboration par la policed’un fichier de suspects44. Ces mesures rappellent de mauvais sou-venirs, avec lesquels la grande majorité des Allemands ont depuislongtemps décidé de rompre.

◗ L’Italie a connu une vague d’attentats terroristes particulièrementviolents dans les années 1970, qui continue de faire l’objet de nom-breux ouvrages45. La péninsule italienne a parfois été décrite, avecle Royaume-Uni, comme le centre européen des opérations d’Al-Qaida, en raison notamment de sa proximité des Balkans. Là aussi,les arrestations avaient commencé avant les attentats, en l’an 2000.Le 4 avril 2000, furent arrêtés à Milan les membres d’une cellule liéeà Al-Qaida, qui préparait un attentat contre l’ambassade améri-caine de Rome. En mars 2001, toujours à Milan, des écoutes dansl’appartement d’un terroriste de nationalité tunisienne révèlent denouveaux projets d’attentats, qui visent des cibles en Europe et évo-quent un large réseau dans un langage outrancier (« l’Europe estentre nos mains »). Cette cellule aurait préparé des attentats chi-miques avec un produit liquide décrit comme « très efficace » et des-tiné à « suffoquer les gens ». L’arrestation de tous ses membres a mis

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garantir que notre politique de dé-fense et nos capacités militairesrépondent aux nouveaux défis queles tragiques événements du11 septembre ont illustrés defaçon aussi marquante ». Un pro-totype d’avion de surveillancesans pilote, le « Watchkeeper », doitcommencer ses essais en 2003. Unnouveau chapitre de la Strategic De-fence Review britannique a été pu-blié le 18 juillet 2002. Il prévoit uneaugmentation du budget de la dé-fense de 3,5 milliards de livres ster-ling d’ici 2006.

42. A l’été 2002, un des récits lesplus précis sur la cellule de Ham-bourg a été rendu public, où il estapparu en particulier que MarwanAl-Shehi, le pilote du vol 175 deUnited Airlines qui a frappé la toursud du World Trade Center, s’étaitvanté au printemps 2001 en Alle-magne de faire bientôt des milliersde victimes. Cette révélation a étéfaite lors du procès de Mounir ElMotassadeq, qui est détenu en Al-lemagne pour son rôle dans la pré-paration des attentats. Il a étéarrêté à Hambourg en novembre2001.

43. La chaîne qatariote Al-Jazira adiffusé mardi 8 octobre unebande sonore attribuée aunuméro deux du réseau terroriste,Ayman Al-Zawahiri, qui menaceexplicitement l’Allemagne et laFrance.

44. Voir Ian Johnson et DavidCrawford, « German Profiling Ef-fort Wakens Ugly Memories AndEmployer Defiance », The WallStreet Journal, 9-11 août 2002.

45. Les deux derniers livres sur cesujet sont : « L’affaire Moro » deLeonardo Sciascia et « CassaRossa » de Francesca Marciano.

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fin à ces projets, mais non aux inquiétudes qu’ils ont suscitées. Unan plus tard, en mars 2002, au moment des fêtes de Pâques, quatrevilles italiennes, Florence, Milan, Venise et Rome, sont mises en étatd’alerte par crainte d’attentats contre les personnes et les intérêtsaméricains. Enfin, les menaces qui pèsent sur la cathédrale deBologne ont mobilisé la police italienne pendant plusieurs mois.Comme en Allemagne, les arrestations postérieures au 11 sep-tembre sont limitées en Italie : vingt-cinq suspects environ ont étéarrêtés depuis cette date.

◗ En Espagne, l’infiltration de terroristes a commencé très tôt, audébut des années 1990. Après le 11 septembre, le juge madrilèneBaltazar Garzon lance en novembre 2001 « l’opération Datte »contre les réseaux d’appui à Al-Qaida sur le territoire espagnol. Enun an, une quinzaine de militants islamistes ont été arrêtés, dontcertains recueillaient des fonds en Europe pour Al-Qaida. La policea également mis la main en Espagne sur du matériel vidéo portantsur plusieurs monuments symboliques américains (World TradeCenter, tour Sears à Chicago, pont du Golden Gate à San Francisco,statue de la liberté, etc.), destiné sans doute à repérer des objectifsterroristes. L’Espagne aurait aussi servi de base logistique pour lapréparation des attentats du 11 septembre, avec la tenue d’un« sommet » de concertation, en juillet 2001, auquel auraient parti-cipé au moins deux des pilotes, dont leur chef, Mohammed Atta. Lacellule qui s’est développée à partir de 1994 à Madrid a été déman-telée et ses huit membres arrêtés. Il s’agissait du « Groupe des Sol-dats d’Allah », placé sous la direction d’un Palestinien, AnwarAdnan Mohamed Saleh, et d’un Syrien, Imad Eddin Barakat Yar-kas, qui a été placé sur écoutes pendant des années, comme la cel-lule de Milan, fournissant ainsi de nombreux renseignements surles activités du réseau en Europe. Les contacts de cette cellule avecMohammed Atta ont été établis. L’Espagne doit en outre faire faceà une radicalisation de l’ETA qui est aujourd’hui dirigée par ses élé-ments les plus extrêmes et les plus violents46.

◗ En France, la sérénité de la population n’est justifiée ni par lesdéclarations d’Al-Qaida, qui a menacé explicitement la France etl’Allemagne, ni par les événements des dernières années. Plusieursattentats ont été prévenus, dont l’un dans la ville de Strasbourg àNoël 2000 et le second contre l’ambassade des Etats-Unis à Parispendant l’été 2001 – Djamel Beghal a été appréhendé à l’aéroport

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46. Voir Leslie Crawford, «Dividedby Violence », Financial Times, 24-25 août 2002 : « Selon un ancienséparatiste qui a quitté l’ETA il y ades années, la violence est deve-nue la logique de l’ETA. La pra-tique de la violence rend plus fort.Les membres de l’ETA supportentde mieux en mieux des actes debarbarie inimaginables jusqu’ici :torture de conseillers, massacresd’enfants, d’agents de la circula-tion, de policiers. L’ETA est désor-mais dirigée par des personnagesextrémistes, prêts à se surpasserdans des tueries insensées ».

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de Dubai le 28 juillet 2001 alors qu’il préparait ce dernier attentat.C’est aussi en France que Richard Reid a embarqué avec des explo-sifs dans ses chaussures pour le vol Paris-Miami d’American Air-lines du 22 décembre 2001. Depuis le 11 septembre 2001, deuxattentats contre des personnes et des intérêts français à l’étrangerméritent attention : il s’agit d’abord de l’attentat dont onze ingé-nieurs et techniciens français de la Direction des constructionsnavales de Cherbourg ont été victimes à Karachi le 8 mai 2002. Ilsemble qu’il ait été perpétré par un des contacts de Richard Reid surle territoire français et qu’il y ait donc un lien avec le réseau Al-Qaida. Puis, quelques mois plus tard, le 6 octobre, le pétrolierfrançais Limburg a été victime d’une attaque, au large de la côtesud-est du Yémen, qui a été attribuée à de forts explosifs. Ceux-ciont vraisemblablement été apportés par une petite embarcationaperçue par un membre de l’équipage juste avant l’explosion, alorsqu’elle s’approchait à vive allure du pétrolier, sur le modèle de l’at-tentat contre l’USS Cole47. Le 8 octobre, la chaîne Al-Jazira diffu-sait des menaces proférées à l’endroit de la France par le numérodeux d’Al-Qaida, Ayman Al-Zawahiri. Certains experts du terro-risme considèrent que la France est menacée à la fois comme lemaillon faible par rapport aux Etats-Unis et en raison des nom-breux éléments algériens qui se trouvent dans les réseaux Al-Qaida48 Le dispositif antiterroriste était déjà pour une grande parten place avant septembre 2001. La France, ayant été victime d’at-tentats meurtriers en 1995, avait adopté en 1996 des dispositionsqui ont considérablement renforcé les pouvoirs de l’enquête et desjuges dans les cas de terrorisme49. Après les attentats deseptembre 2001, une nouvelle loi sur la sécurité intérieure a étéadoptée le 15 novembre 2001, avec des dispositions additionnelles :perquisition des véhicules et de domicile, contrôles renforcés dansles aéroports et les ports, surveillance de communications surInternet, droit de dispersion de certains regroupements. Toutes lesmesures renforçant la lutte contre le terrorisme dans cette loi ontété limitées à une durée de deux ans et donneront lieu à cette date àla remise au Parlement d’un rapport d’évaluation sur leur applica-tion. Les moyens du ministère de la Défense et du ministère del’Intérieur destinés à la lutte contre le terrorisme ont aussi été aug-mentés en 2002. Enfin, le projet de loi de programmation militaire2003-2008 précise qu’en cas d’attaque terroriste grave, « les forces

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47. En septembre 2002, la marineaméricaine avait lancé une mise engarde sur la possibilité d’attentatsdu réseau Al-Qaida contre des pé-troliers dans le Golfe et la merRouge, où transite chaque jour untiers du trafic mondial d’hydro-carbures. Le groupe d’assurancemaritime Lloyds, dont les conclu-sions ont été rendues publiques le10 octobre, a vite accrédité lathèse de l’attentat.

48. C’est en particulier la convic-tion du juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière. C’est aussi cellede la Direction de la surveillancedu territoire. Voir l’interview ac-cordée le 12 septembre dernier aujournal Le Monde par Pierre deBousquet, patron de la DST : « Ledanger, c’est qu’il y a aujourd’huiun vrai rapprochement entre legroupe salafiste pour la prédica-tion et le combat (GSPC), qui agitsur le territoire algérien, et les gensd’Al-Qaida ».

49. Loi du 23 juillet 1996 tendantà renforcer la répression du terro-risme.

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de sécurité peuvent être renforcées par des moyens issus desarmées » et que « toutes les formations avec leurs moyens militairesdoivent être en mesure d’apporter leur concours en matière d’assis-tance aux populations civiles à l’occasion d’attaquesasymétriques », notamment de caractère non conventionnel. L’ef-fort engagé pour la défense civile demeure cependant insuffisanten raison des besoins considérables de rattrapage dans lesdomaines plus conventionnels des forces armées.

◗ La Belgique50 connaît depuis les années 1980 un développementd’activités islamiques liées à l’Afghanistan et à la lutte contrel’URSS avec l’ouverture à l’Ouest de Bruxelles d’un « bureau desmoujahedins afghans ». Ultérieurement, dans la décennie 1990,des structures logistiques au profit des combattants des maquisalgériens s’établissent également sur le sol belge. Enfin, commedans le reste de l’Europe, les conflits en Bosnie et en Tchétchénievont servir d’accélérateur et faciliter le développement des activitésen Belgique. En mars 1998, un réseau islamiste à caractère transna-tional est démantelé à Bruxelles. Il comptait en son sein des acti-vistes en provenance du Maghreb, détenteurs d’explosifs et qui pro-posaient aussi leurs services pour la confection de faux papiers.

◗ Effets induits sur le terrorisme domestique. A la faveur de la lutte contrele terrorisme, les pays européens ont aussi pu réduire ou mettre finaux activités de groupes sévissant sur leur sol avec des objectifs plusétroitement nationaux. L’exemple le plus parlant est peut-être celuide la Grèce, où l’Organisation révolutionnaire du 17 novembreaurait été partiellement démantelée par la police grecque enjuillet 2002 après vingt-cinq ans de traque inefficace. Cette organi-sation, qui trouve ses racines dans le mouvement étudiant de la findes années 1960, est responsable de plus de vingt assassinats poli-tiques, parmi lesquels se trouvent quatre Américains et un Britan-nique, au nom de la lutte contre « l’impérialisme ». Des doutes sub-sistent sur l’importance des arrestations et les capacités denuisance résiduelle du groupe. L’Italie, l’Espagne et l’Allemagneont aussi fait des progrès dans la maîtrise de leurs propres groupesterroristes à vocation « nationale ». Et la France a extradé vers l’Ita-lie un membre des Brigades rouges qui résidait sur le sol françaisdepuis de longues années sans être inquiété.

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50. Voir les publications d’AlainGrignard (Commissaire, Divisiondu terrorisme à Bruxelles) sur lesujet, notamment : « Brève genèsede l’islamisme radical », dans Gé-rard Chaliand, L’arme du terrorisme,Audibert, Paris, 2002 ; et FeliceDassetto, Facettes de l’islam belge,Academia-Bruylants, Louvain-la-Neuve, 1998.

51. Le chef présumé du GRAPO aété arrêté à Paris cet été. En outre,en août 2002, le juge Baltazar Gar-zon a pris des mesures pour inter-dire le parti séparatiste basqueBatsusana lié au mouvement ter-roriste ETA. Les gouvernementsespagnols successifs ont cherché àbannir ce parti depuis sa créationen 1978 en raison de ses attachesterroristes. Avant même que l’in-terdiction ait été décidée, le mou-vement a été suspendu par les au-torités espagnoles.

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Vers l’intégration des polices et des systèmes de justice ?

Traditionnellement, l’intégration européenne est venue de l’écono-mie et du commerce, tandis que les questions militaires et judi-ciaires restaient assez étroitement contrôlées par les Etats. La situa-tion créée par le 11 septembre 2001 a montré l’urgence de certainschangements, surtout que les terroristes avaient tiré un grand partinon seulement des libertés civiles dont jouissent les payseuropéens, mais aussi de la juxtaposition de deux phénomènes : laliberté de circulation au sein de l’espace Schengen52 et la multipli-cité des polices et des systèmes de justice. La création d’un espacejudiciaire européen et d’une police européenne a donc été accéléréepar les attentats du 11 septembre53. La Commission a rapidementétudié de nouvelles mesures destinées à combattre le terrorisme, ycompris une définition de ce qui constitue un acte de terrorisme54

et surtout un mandat d’arrêt européen pour remplacer le lourdsystème d’extradition entre les Etats membres55. Sous l’impulsionde la présidence espagnole, qui s’est beaucoup investie dans ce dos-sier, le Conseil européen de Séville de juin 2002 a déclaré que laPESC et la PESD devaient jouer un rôle important pour luttercontre le terrorisme. Des règles de surveillance pour le blanchimentd’argent ont aussi été adoptées. Une décision législative permet degeler des fonds dans toute l’Europe aussitôt qu’un individu ou uneorganisation a été identifiée comme une source potentielle pour lefinancement du terrorisme56. Eurojust, qui va s’établir à La Haye, afait l’objet d’un accord à Laeken en décembre 2001, comme institu-tion permanente pour permettre la coopération entre les institu-tions judiciaires et les magistrats des Quinze. Les policeseuropéennes ont aussi resserré leurs coopérations. Europol, égale-ment basée à La Haye, et opérationnelle depuis juillet 1999, a vu sondémarrage accéléré par les attentats, qui ont permis de mettre enplace une task force sur le terrorisme – avec des échanges d’infor-mations avec les Etats-Unis. Une des grandes faiblesses d’Europolest qu’elle n’a aucun pouvoir en Europe centrale et orientale, où defausses identités et de faux moyens de paiement sont fabriqués àgrande échelle. Une autre faiblesse est le manque d’experts en arabe,pashtoune et urdu, essentiels pour comprendre les communica-tions interceptées et surtout pour infiltrer les réseaux. Mais le prin-cipal problème que rencontre la création d’un espace judiciaire etpolicier commun en Europe est encore sans doute – comme c’est lecas chaque fois qu’une nouvelle institution commune se met en

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52. Au sein de cet espace, créé en1985 par l’Allemagne, la France etle Benelux, et auquel participent àprésent 11 pays de l’Union eu-ropéenne, les contrôles aux fron-tières intérieures sont abolis. L’ac-cord a été incorporé dans le Traitéd’Amsterdam. Cette « zone de sé-curité » comprend des échangesd’information et une certaine co-opération des polices, mais ellen’est pas à la mesure des enjeuxdes nouvelles formes de terro-risme.

53. Accélérée et non créée, carc’est le Conseil européen de Tam-pere en 1999 qui a posé les jalonsd’un espace judiciaire européen.Les recommandations du Conseilportaient en particulier sur la né-cessité de se prémunir contre lesactivités criminelles et terroristes.Elles ont été très utiles après le11 septembre.

54. Cette question a été l’objet dedébats interminables à l’ONU. Lespays membres de l’Union eu-ropéenne sont parvenus à un ac-cord en neuf points en juin 2002,avec une définition très large cou-vrant les enlèvements, la captured’aéronefs ou de navires, la fabri-cation et la possession d’armesconventionnelles ou non conven-tionnelles, la destruction massived’installations, etc.

55. Ce mandat a été adopté ausommet de Laeken en décembre2001. Trente-deux délits et crimes(pas seulement des activités terro-ristes) pourront justifier une arres-tation dans toute l’UE à partir dejanvier 2003. Certains pays del’Union, comme la Grèce devrontengager une réforme constitution-nelle. Dans le domaine du terro-risme, les quinze ministres de lajustice ont adopté en avril 2002des pénalités communes, pouréviter que les terroristes ne profi-tent de régimes plus favorables ausein de l’Union. Les nations eu-ropéennes reconnaissent à pré-sent que seule l’unification au ni-veau européen des incriminationset des procédures constituerontune réponse adaptée à l’ampleurdes défis soulevés par les formesles plus graves de terrorisme inter-national.

56. Environ un million d’euros aété gelé. Lors d’un colloque orga-nisé à Paris en janvier 2002, un desprincipaux magistrats français

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place – la relation entre Bruxelles et les Etats membres57. Malgrétout cela, il est indiscutable que l’Union européenne tend vers l’har-monisation des législations et de l’espace judiciaire et qu’elle pré-pare une pratique judiciaire et procédurale commune. La situationest moins mûre pour la création d’une police commune, mais desprogrès ont été réalisés dans ce domaine dans les derniers mois,avec le projet d’une police européenne des frontières. La Confé-rence intergouvernementale (CIG) de 2004 devrait être l’occasionde faire des progrès supplémentaires dans ces différents domaines.

La participation – limitée mais réelle – à l’opération militaire enAfghanistan

Le Conseil européen extraordinaire du 21 septembre a reconnu lalégitimité de la réponse américaine et a indiqué que les paysmembres de l’Union y participeraient en fonction de leurs capa-cités. Pour assurer cette participation, les Britanniques avaient untriple avantage de principe : ils disposaient de forces britanniquesdans la région en raison de manœuvres conjointes dans le Golfe, ilsont un niveau élevé d’interopérabilité avec les Américains et la rela-tion spéciale qui unit les services de renseignement de l’Amérique etceux du Royaume-Uni permettait des échanges que Washingtonhésitait à avoir avec d’autres Etats membres de l’Union européenneau moment où s’engageait une opération très délicate pour l’Amé-rique. La première caractéristique a permis de limiter le transfert deforces sur le théâtre d’opération. La seconde, de faire l’économied’un temps précieux de préparation commune. Et la troisième, d’é-changer des informations cruciales58. Mais le fait le plus importanta peut-être été la façon dont le Premier ministre britannique ad’emblée décidé que ce combat était aussi celui de la Grande-Bre-tagne, en s’imposant comme allié indiscutable à Washington. PourTony Blair, dès le mois de septembre, il n’y avait « qu’une seule issuepossible, la victoire » et les dangers de l’inaction étaient d’embléeprésentés comme beaucoup plus importants que ceux de l’action.Dès le premier jour des hostilités, le 7 octobre, les Britanniquesétaient donc présents et tiraient sur les positions des Taliban. Plustard, on trouve leurs forces spéciales dans les combats les plus durs,qu’il s’agisse de Tora Bora en décembre 200159 ou de l’opérationAnaconda en mars 200260. Londres a déployé environ 1 500hommes pour pourchasser les troupes d’Al-Qaida. Le retrait pro-

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chargés des questions de terro-risme, Jean-Louis Bruguière, a dé-claré que les mesures prises pourlutter contre le financement duterrorisme étaient insuffisantes :« En effet, cette lutte ne peut tou-cher que les macro financements,c’est-à-dire des financements im-portants, qui passent ar des fi-lières connues et des institutionsfinancières. Or l’expérience de cesdernières années prouve que cesont les micro financements quipermettent de financer les réseauxauteurs des frappes terroristes. Depetits financements provenant engrande partie de l’aumône légale,et surtout des activités de délin-quance, qui se sont développéesdans un but quasi exclusif de fi-nancement des opérations ». Enaoût 2002, un rapport des Na-tions unies concluant aux limitesdes mesures prises pour luttercontre le financement du terro-risme a soulevé une polémiqueavec les autorités américaines,soucieuses de défendre les résul-tats obtenus. Il semble en réalité àla fois que les efforts se poursui-vent et même, dans certains cas,se resserrent, et que les réseaux ter-roristes continuent de disposer denouvelles sources de financement(ou d’anciennes sources souventrebaptisées).

57. Comme l’indique Anne Deigh-ton dans une étude qui sera pu-bliée à Montréal en 2003, « To-wards a security space: internalsecurity in the EU since 9/11 » : lesévénements du 11 septembre ont« galvanisé » les efforts de l’UEpour créer l’espace de sécurité, deliberté et de justice envisagé àTampere. Cependant, les grandesévolutions politiques de l’UE sonttoujours une source de problèmespour les relations entre Bruxelleset les Etats membres, ainsiqu’entre ces derniers. L’établisse-ment d’une politique de sécuritéefficace et légitime permettra desavoir dans quelle mesure on peutconférer une plus grand pouvoiraux institutions européennes pourpromouvoir les interêts des Etatsen tant que tels.

58. Il semble cependant que, surce point, les échanges ont étéd’autant plus limités que les Etats-Unis ne disposaient que de peud’informations sur l’Afghanistanoù leur dépendance des servicespakistanais a été excessive au dé-but des opérations.

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gressif des forces britanniques à partir du mois de juillet 2002 signi-fiait sans doute que la menace terroriste avait alors fortement dimi-nué en Afghanistan, même si le pays était loin d’être stabilisé. Mis àpart la participation britannique61, la coopération militaire desEuropéens apparaît limitée mais cependant réelle. On ignore sou-vent, y compris en Allemagne, la présence de centaines de représen-tants des forces spéciales allemandes, en raison de la discrétion vou-lue par Berlin sur leur participation62. Ces forces ont pourtant jouéun rôle important dans plusieurs zones où les chefs de guerre pou-vaient menacer l’autorité du nouveau gouvernement en place àKaboul. Quant à la France, qui a décidé la participation de forcesfrançaises à la campagne alliée sous le nom d’opération Héraclès,elle a déployé des moyens de renseignement, deux compagnies d’in-fanterie de marine et, un peu tard il est vrai, la task force 473 consti-tuée autour du porte-avions Charles de Gaulle (sur zone le18 décembre 2001) et des forces aériennes à Manas (arrivée enfévrier 2002 de 6 Mirage 2000D63). En tout, il s’est agi pour laFrance d’environ 5 000 hommes entre le 15 décembre 2001 et le20 juin 200264. La plupart d’entre eux se trouvaient dans l’Océanindien, où ils ont interrogé près de 2 000 bateaux, mais plusieurscentaines (plus de 500), basés à Manas, au Kirghizstan, et à Dou-chanbé, au Tadjikistan, ont aussi participé à des bombardementssur le sol afghan, notamment au cours du mois de mars65. A l’au-tomne 2002, les Taliban et les membres d’Al-Qaida sont unemenace moins importante, mais la position d’Hamid Karzai estmenacée au sein même de son gouvernement, notamment par sonministre de la Défense, Mohammed Fahim, un Tadjik qui com-mande quelques milliers d’hommes. La lutte recouvre une reprisedes conflits interethniques qui peuvent faire rebasculer l’Afghanis-tan dans l’anarchie. Si tel était le cas, l’ensemble de l’opération mili-taire serait peut-être vue sous un autre jour, particulièrement enEurope, qui a toujours souligné les limites d’une opération mili-taire. Certains n’hésiteront pas alors non plus à dire, avec quelqueraison, qu’une force de stabilisation limitée à Kaboul ne pouvaitguère « stabiliser » l’ensemble de l’Afghanistan. Les pays européensont, de ce point de vue, été aussi réticents que les Américains à élar-gir le mandat de la force de stabilisation.

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Le terrorisme international et l’Europe

59. Les forces spéciales britan-niques étaient présentes au sol àTora Bora lors de la bataille déci-sive contre Oussama ben Laden.L’absence des Américains et leurdélégation aux troupes afghaneslors de cette bataille ont sansdoute eu comme conséquenceprincipale de permettre le départde l’ensemble du leadership d’Al-Qaida, lors d’une brève trêve né-gociée avec les forces locales.

60. Commencée le 2 mars, l’opé-ration Anaconda s’est déroulée àune centaine de kilomètres deTora Bora, et a donné lieu à descombats particulièrement vio-lents. Aux côtés des Etats-Unis, yparticipaient à des titres divers deséléments allemands, australiens,britanniques, canadiens, danois,français et norvégiens et des forcesterrestres du nouveau gouverne-ment afghan (soit 2000 hommes)s’opposant à un millier de com-battants d’Al-Qaida.

61. Voir la déclaration du mi-nistère britannique de la Défense àla Chambre des Communes le 18mars 2002 sur la participation bri-tannique aux opérations en Af-ghanistan.

62. Les Français, de leur côté, ontpeut-être été surpris d’apprendre,en lisant le journal Le Monde du 23octobre 2003, que les forces spé-ciales françaises ont étéconsidérées, suite à leur perfor-mance en Afghanistan, commeune « Framework nation for specialoperations » - un label « qui confèreà son détenteur la capacité, en casd’intervention de commandos in-teralliés, d’en assurer le comman-dement ».

63. Il est utile de noter qu’à l’au-tomne 2002, le Danemark, laNorvège et les Pays-Bas ont toustrois déployé chacun également 6avions en Afghanistan.

64. Du 15 décembre 2001 au20juin2002, un groupe aéronavalfrançais a permis de faire de la sur-veillance aérienne au-dessus duterritoire afghan (16 Super Eten-dard ont participé à ces opéra-tions), et de la surveillance

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Le terrorisme NRBC

La genèse des craintes de terrorisme non conventionnel

Depuis une dizaine d’années, la crainte du terrorisme NRBC(nucléaire, radiologique, biologique et chimique) est présente dansles esprits des gouvernements et des experts, mais cette crainte n’é-tait ni connue du grand public ni, à plus forte raison, partagée parlui. C’est le terrorisme de masse et son irruption dans l’Histoire le11 septembre 2001 qui ont conduit de nombreux observateurs àsouligner dans la presse que la prochaine étape pourrait être l’utili-sation d’armes spécifiquement conçues pour faire de très nom-breuses victimes66. Ces armes, que l’on dénomme précisémentarmes de destruction massive (ADM), regroupent les armes chi-miques, biologiques, radiologiques et nucléaires. Leur dissémina-tion à de nouveaux Etats est tenue depuis janvier 1992 pour l’unedes principales menaces de la sécurité internationale (déclarationdu président du Conseil de sécurité lors d’une réunion des chefsd’Etat et de gouvernement). Cette conviction a joué un rôle impor-tant dans l’accord de tous les Etats pour proroger indéfiniment leTNP (Traité sur la non-prolifération des armes nculéaires) en 1995.Une nouvelle étape est franchie avec leur possible détention par desgroupes non étatiques. La crainte que des terroristes s’en saisissentest étayée par l’existence, dans plusieurs réseaux terroristes, d’ex-perts chargés d’acquérir les matières, les agents et les équipementsnécessaires pour réaliser ces armes. Des camps d’entraînement,comme celui de Derunta en Afghanistan, étaient même spéciale-ment destinés à former des terroristes à la confection d’armes chi-miques ou biologiques67. Ces camps, connus des services spéciauxoccidentaux avant les opérations militaires en Afghanistan, ont étévisités après les hostilités68. Enfin, on ne peut guère passer soussilence que le passage à l’acte a déjà eu lieu et que le terrorismeNRBC n’est plus une fiction romanesque. Un attentat chimique,perpétré par la secte Aum, a fait 11 morts et un millier de victimesdans le métro de Tokyo en mars 199569. Cette même secte avaittenté, sans succès, d’utiliser des armes biologiques en 1990 (toxinebotulique) dans la ville de Tokyo, sur l’aéroport de Narita, et sur lesbases américaines de Yokohama et Yokosuka70. En juin etjuillet 1993, le culte récidive avec de l’anthrax dans un quartier de

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maritime au large des côtes pakis-tanaises (environ 2000 bateauxinterrogés, dont des navires sus-pects ayant quitté l’Iran pour Oman). Depuis mars2002, la pré-sence française compte égale-ment 6 Mirage 2000, basés à Ma-nas (Kirghizstan), qui ontparticipé à des opérations debombardement en Afghanistanau mois de mars et un détache-ment aérien de 130 hommes àDouchanbé (Tadjikistan). Al’été 2002, il ne restait dans la ré-gion que deux bâtiments de guerrefrançais, dans l’Océan indien,500 militaires au titre de la Forceinternationale d’assistance à la sé-curité (ISAF) à Kaboul, le détache-ment aérien à Douchanbé, et60 cadres chargés de l’instructionde l’armée afghane.

65. Cette participation à des bom-bardements en Afghanistan a faitl’objet d’un débat au sein de la co-habitation française finissante.Matignon y était en effet hostile eta évité pour cette raison toute pu-blicité sur le sujet.

66. Voir, par exemple, ThérèseDelpech, « Terrorisme de masse,Acte I », Libération, 18 septembre2001.

67. Le tabun et le sarin figurentparmi les armes chimiques quiintéressaient les camps d’entraî-nement. Dans le domaine biolo-gique, des travaux ont été réaliséssur l’anthrax, mais aussi sur desfièvres hémorragiques, comme levirus Ebola. Des tests auraient étéfaits en Afghanistan sur des ani-maux. Les suspicions dans ce do-maine sont encore renforcées parles cassettes vidéos du réseau Al-Qaida qui ont été saisies en Afgha-nistan : on y voit la mort de chiotsaprès la dissémination d’un gaz,probablement de nature neuro-toxique compte tenu des réac-tions de l’animal. Une autrecrainte des experts du terrorismeporte sur la pollution des eaux.

68. Les bombardements ont com-plètement détruit le site de De-runta. Le vice-président des Etats-Unis Dick Cheney y a fait allusionle 7 août 2002, dans un discours àSan Francisco : « Dans les dé-combres afghanes, nous avons

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Tokyo, mais la souche n’était pas virulente et n’a pas fait de vic-times. En revanche, peu après les attentats du 11 septembre, les pre-miers morts du bio-terrorisme font la une des journaux aux Etats-Unis et dans le monde entier. Des lettres piégées à l’anthrax, qui necontenaient pas plus de dix grammes de poudre, tuaient cinq per-sonnes, en contaminaient douze, paralysaient le Congrès pendantplusieurs mois et terrifiaient des millions d’Américains. Les dom-mages financiers sont évalués à plusieurs milliards de dollars, enraison de la contamination des bâtiments gouvernementaux et desbureaux de poste. Ces attentats transforment la menace jusque làtrès vague du bio-terrorisme en une probabilité réelle. Même si l’au-teur de ces attentats est un Américain, comme beaucoup le pensentdepuis l’automne 2001, il ne s’agit pas moins d’une effrayante pre-mière. Il n’y a guère de doute que les terroristes de nouvelle généra-tion cherchent à se procurer de telles armes et qu’ils n’hésiterontpas à les utiliser.

Les craintes des experts portent plus particulièrement sur lesarmes chimiques et biologiques

La raison en est non seulement que l’Histoire n’a pas encore pro-duit d’attentat utilisant le nucléaire, mais aussi que ces armes sem-blent avoir la préférence des terroristes. Plusieurs témoignagesprouvent que de nombreux membres d’Al-Qaida sont d’excellentschimistes, capables de mettre au point des armes redoutables avecdes produits disponibles sur le marché. Les conséquences de tellesattaques seraient beaucoup plus dévastatrices que les attentats du11 septembre, notamment au plan psychologique, qui a une telleimportance dans le domaine du terrorisme. On a encore pu le véri-fier aux Etats-Unis à l’automne 2001 au moment où des enveloppescontenant quelques grammes d’anthrax ont réussi à effrayer plu-sieurs millions d’Américains, mais aussi des ressortissants d’autrespays. En Europe, où aucun cas véritable n’a été décelé, de très nom-breux incidents ont été repérés dans des locaux officiels ou privésen raison de l’apparition de différentes « poudres blanches », toutesinoffensives mais soudain vues sous un jour menaçant71. Un cer-tain nombre de leaders européens ont d’ailleurs fait sur le terro-risme NRBC des déclarations publiques pour exprimer le sérieuxavec lequel ils prenaient cette menace. En avril 2002, le Premierministre britannique, Tony Blair, déclarait devant la Chambre desCommunes : « J’attire l’attention de la Chambre sur le fait que, dans

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Le terrorisme international et l’Europe

trouvé des preuves, si tant estqu’elles soient nécessaires, mon-trant que ben Laden et le réseauAl-Qaeda s’intéressent de près auxarmes nucléaires, radiologiques,biologiques et chimiques ».

69. Cette attaque du20 mars 1995 est aujourd’hui perçue comme un coup de se-monce qui n’a pas été pris suffi-samment au sérieux dans le restedu monde et en particulier en Eu-rope.

70. La secte a cherché activementà acquérir des armes de destruc-tion massive en particulier auprèsde laboratoires et d’experts del’ex-URSS pour engager une ba-taille apocalyptique. Elle a tra-vaillé sur les armes biologiques(anthrax, toxine botulique etEbola). C’est cependant un do-maine où les réalisations pra-tiques ont été limitées.

71. En France, dans la seulejournée du 19 octobre, on acompté plusieurs centaines defausses alertes. Voir PierreGeorges, « Défense civile », LeMonde, 20 octobre 2001.

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ma première déclaration ici même quelques jours après le 11 sep-tembre, j’ai affirmé que la question des armes de destruction mas-sive devait être traitée et qu’elle le serait ». Le projet de loi de pro-grammation militaire français souligne aussi la nécessité de mettreà la disposition du secours aux populations civiles les capacitésNRBC uniques dont dispose le ministère de la Défense et en parti-culier le Service de santé des armées et la Délégation générale del’Armement72.

Le terrorisme nucléaire

Même si l’affaire José Padilla a été maladroitement grossie par leministre américain de la Justice John Ashcroft, le terrorismenucléaire représente tout de même un danger réel sous sa formeradiologique. L’arme radiologique est inscrite par l’ONU dans lacatégorie des armes de destruction massive depuis 1948. Elle n’a enprincipe jamais été développée par les Etats, mais elle pourraitséduire des organisations non étatiques en raison de la relative faci-lité de leur production et de l’effet psychologique dévastateur queleur utilisation entraînerait dans la population. Les matièresnucléaires qui peuvent être associées à des explosifs conventionnelspour constituer une arme radiologique sont nombreuses :cobalt 60, strontium 90, césium 137, plutonium 23873, etc. Denombreuses initiatives sont en cours pour faire face à la menace ter-roriste nucléaire notamment à l’AIEA74. Cette institution, qui tientdepuis dix ans un registre des trafics illicites de matières nucléaires,a le double souci de participer à l’effort mondial de lutte contre leterrorisme et de protéger le développement de l’énergie nucléairedans le monde. Or les produits de fission résultant de la fission del’uranium 235 ou du plutonium 239 dans le combustible nucléaired’un réacteur en fonctionnement sont parmi les plus dangereusesmatières radioactives (césium et strontium essentiellement). Laprévention du terrorisme nucléaire a donné lieu à une nouvelle ini-tiative de l’AIEA qui vise les sources radioactives dites « orphe-lines », c’est-à-dire non répertoriées, et qui peuvent donner lieu à degraves incidents, comme l’a récemment montré le cas de la Géorgieau printemps 2002. Elle doit aussi prendre des mesures pour proté-ger les installations nucléaires qui peuvent être l’objet d’attaques etpour prévenir le vol ou l’achat de matières fissiles, ou plus encore levol de têtes nucléaires. Dans ce dernier domaine, les rumeurs l’ont

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72. Voir Loi de ProgrammationMilitaire, chapitre 3, p. 26.

73. La manipulation du pluto-nium 238 et du strontium 90 estaisée parce qu’ils n’émettent quedes rayons alpha ou bêta. Le co-balt 60 et le césium 137 posent aucontraire des problèmes de mani-pulation importants parce qu’ilsémettent des rayons gamma et ce,pendant une période assezlongue. En outre, le césium est so-luble dans l’eau.

74. Une révision de la Conventionsur la protection physique va per-mettre de prendre en compte lerisque terroriste (sabotage parexemple) ; en outre, l’AIEA a lancéune opération de récupérationdes sources nucléaires orphelines,d’aide à la prévention des traficsillicites dans les pays vulnérableset de vérification des modalités deprotection des installations et desmatières nucléaires.

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jusqu’à présent toujours emporté sur les faits. Mais, pour mainte-nir cette situation, il faudrait à présent engager des discussions surles armes tactiques russes, qui ne font l’objet d’aucun engagementbilatéral ou multilatéral, et pour lesquelles une plus grande trans-parence est devenue indispensable. Celle-ci devrait aussi concernerles armes nucléaires de faible dimension (souvent dites« portables ») destinées pendant la guerre froide à la démolition desponts sur le front européen en cas d’affrontement Est-Ouest. Legénéral Alexandre Lebed avait évoqué la perte de 80 environ d’entreelles. Cette déclaration n’a jamais pu être vérifiée, mais ce qui estsûr, c’est que ce seraient là de redoutables armes entre les mainsd’organisations terroristes.

Le risque biologique mérite une mention spécifique

Si le XXe siècle a bien été le siècle de la physique, le XXIe sera celui dessciences du vivant. Les applications militaires de découvertes aussiconsidérables que celle du génome humain sont potentiellementdévastatrices. Certes, l’usage d’armes biologiques est interdit parune convention internationale qui date déjà de 1925 et qui a été trèslargement signée et ratifiée par les Etats. Certes, la production et lestockage d’armes biologiques sont interdits par la Conventionde 1972. Mais l’URSS, un des pays dépositaires du Traité, n’a pashésité à développer un empire biologique où travaillaient 70 000personnes juste après avoir ratifié le texte, qui n’était pas doté demécanisme de vérification, montrant ainsi l’exemple à d’autrescandidats. En outre, les réseaux non étatiques ne sont pas tenus parles traités qui engagent les Etats. Il n’est pas étonnant dans cesconditions que le bio-terrorisme, contre lequel les protectionsactuelles sont faibles, ait retenu l’attention des gouvernements. Cefut le cas notamment en Europe. Au moment même de l’attaquecontre des cibles en Floride, à Washington et à New York, les chefsd’Etat et de gouvernement de l’Union européenne, réunis à Gand le19 octobre 2001, ont décidé l’élaboration d’un programme de luttecontre le bio-terrorisme entre la Commission et les experts desEtats membres dans le domaine sanitaire. Il comprend la mise enplace d’un mécanisme de concertation en cas de crise, d’un disposi-tif d’information sur les capacités des laboratoires européens enmatière de prévention et de lutte contre le bio-terrorisme, maisaussi des capacités en matière de vaccins, de sérums et d’antibio-

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tiques. Des réseaux d’experts chargés de l’évaluation, de la gestionet de la communication des risques ont été mis en place, tandis quede nouveaux moyens thérapeutiques doivent être développés. Uncentre de suivi et d’information a été mis en place en octobre 2001,avec des experts fournis par la Belgique, la France et la Suède75.Depuis le 1er janvier 2002, tout Etat membre peut avoir accès à cecentre d’information accessible 24 heures sur 24 sur le bio-terro-risme, où l’on trouve un recensement des équipes d’interventionnationales, un programme de formation, un système de mobilisa-tion et coordination d’experts pré-identifiés, et un réseau dédié auxcommunications d’urgence entre la Commission et les autoritésnationales76. Enfin, au Conseil européen de Laeken, les 14 et15 décembre 2001, la création d’une Agence européenne pour laprotection civile a été décidée.

La sûreté des matières nucléaires et des agents biologiques etchimiques

Il ne s’agit pas là d’un sujet vraiment nouveau. Depuis la fin del’URSS, la crainte que des matières nucléaires tombent entre lesmains de pays ayant un programme militaire clandestin figureparmi les principaux sujets de préoccupation de nombreux Etats,au premier rang desquels se trouvent les Etats-Unis, qui ont consa-cré un effort financier considérable pour diminuer ce risque.Quant aux pays européens, ils voyaient souvent sa matérialisationsur leur sol, avec le développement de trafics illicites clandestinsinconnus du temps de la guerre froide. La raison en est à la fois l’af-faiblissement des contrôles exercés sur l’ensemble des pays quiconstituaient l’Union soviétique et le développement de réseaux etde trafics clandestins qui trouvent souvent leur origine sur le terri-toire de l’ex-URSS. Ce risque était donc pris en compte bien avant le11 septembre 2001. La nouveauté porte là encore sur l’acquisitionpossible de matières fissiles non par des Etats mais par des groupesterroristes. Elle porte aussi sur une attention beaucoup plus impor-tante qu’auparavant à la sûreté des agents biologiques et chi-miques, qui ne bénéficiait pas jusqu’alors d’un niveau de prioritécomparable au nucléaire. Elle porte enfin, après que des experts ontréclamé sans succès pendant des années la mise en place d’un CTReuropéen77, sur une implication politique et financière plus signi-

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75. Au Conseil européen de Ganden octobre 2001, les Quinze ontdécidé de désigner un coordonna-teur européen pour des actions deprotection civile qui devra coor-donner la mise en œuvre et le suivides initiatives communautaires,comme les mesures de contrôle etde prévention épidémiologiques.La lutte contre le bio-terrorismeest une question d’intérêt com-mun entre Etats membres, ce quijustifie la mise en œuvre d’un pro-gramme de coopération mobili-sant les moyens d’expertise etd’action des Etats et la Commis-sion.

76. La priorité a été de mettre enplace un système de communica-tion rapide entre les 15 et la Com-mission en cas d’alerte. Ce réseauest actuellement opérationnel. Laseconde priorité a consisté à dis-poser d’experts en épidémiologie,agents dangereux et diagnosticpour définir fin 2003 le risque bio-logique, qui est pris très au sérieuxà Bruxelles. La troisième priorité aété de trouver un accord sur l’op-portunité de lancer un pro-gramme pour la mise au pointd’un vaccin anti-variolique de troi-sième génération. Sur ce point ladécision n’est pas prise. La Franceet le Royaume-Uni disposent cha-cune d’environ 20 millions dedoses, mais le vaccin actuel peutavoir des effets indésirables nonnégligeables. Enfin, la mutualisa-tion des moyens au niveau eu-ropéen (antibiotiques parexemple) est encore très difficileen dehors de la France, duRoyaume-Uni et de l’Allemagne.Un effort a aussi été fait en matièrede détection précoce, essentiellepour répondre à la menace. Dèsjanvier 1999, un réseau de sur-veillance épidémiologique et decontrôle des maladies transmis-sibles était devenu opérationnel. Ilpermet d’échanger des donnéessur l’apparition de maladies trans-missibles. Un ensemble de labora-toires d’analyses permet à présentde confirmer les données fourniespar le réseau.

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ficative des pays européens. Dès l’automne 2001, l’OTAN a eu desdiscussions avec la Russie sur ce sujet. Mais c’est le sommet du G8qui s’est tenu au Canada, à Kananaskis, en juillet 2002, qui a fait lapercée. Il n’aurait sans doute jamais été possible d’obtenir un enga-gement de 20 milliards de dollars sur les prochaines dix années enl’absence de l’ébranlement causé par le 11 septembre 2001. Certes,l’engagement financier des pays du G8, notamment des payseuropéens, est encore loin d’être ferme. A ce jour, seuls l’Allemagneet le Royaume-Uni ont précisé leur niveau d’engagement (1,5 mil-liard de dollars et 750 millions de dollars respectivement sur dixans)78. D’autres urgences financières, la croyance que les Etats-Unis continueront de se charger du problème, la méfiance à l’égardde certaines procédures russes et le manque de transparence deMoscou menacent la mise en œuvre de cette initiative. Les décisionsprises vont donc requérir un suivi rigoureux pour passer dans lesactes. Les projets sont discutés depuis l’automne 2002, et tiennentcompte des capacités de vérification de l’utilisation des fondsconsenties par les Russes. Malgré toutes les limites qui viennentd’être décrites, la participation européenne à la réduction de lamenace en Russie devrait passer progressivement à un niveauqu’elle n’a pas encore connu depuis la fin de l’URSS. Elle pourradonc bientôt se comparer moins inéquitablement avec ce que fontles Etats-Unis depuis plus de dix ans79. C’est un résultat appré-ciable.

Conclusion : Une nouvelle perception du problème posé par laprolifération des armes de destruction massive

Les pays européens ont progressé de façon significative depuis lafin des années 1980 dans leur analyse de la prolifération et de sesimplications pour la sécurité de l’Europe. Alors qu’il s’agissaitd’une préoccupation mineure pendant la guerre froide, dominéepar une menace soviétique plus évidente, la dissémination desarmes nucléaires80, biologiques et chimiques ainsi que des vecteurspermettant de les projeter, est progressivement devenue un des pre-miers sujets des politiques de sécurité européenne. Les équipesd’experts qui travaillent sur ces questions dans les ministères desaffaires étrangères, de la défense et dans les services spéciaux descapitales européennes ont été renforcées. Les contrôles à l’exporta-

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77. CTR : Cooperative Threat Reduc-tion. Ce programme a bénéficiédepuis la fin de l’URSS de la téna-cité de deux sénateurs américains,Sam Nunn et Dick Lugar, qui ontassocié leur nom à cet importantprogramme conduit avec les auto-rités russes.

78. La France fera sans douteconnaître le niveau de sa contribu-tion en 2003, où elle assumera laprésidence du G8.

79. L’Union européenne aurait dé-pensé 300 millions de dollars surdix ans et les Etats-Unis 6 à 7 mil-liards de dollars pendant la mêmepériode.

80. Une mention spéciale doit iciêtre faite des armes nucléaires nonstratégiques, qui ne font jusqu’àprésent l’objet que d’engage-ments unilatéraux (1991-1992),et qui posent des problèmes parti-culièrement délicats à la proliféra-tion, mais aussi au terrorisme nu-cléaire.

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tion ont été revus. Et si leurs conclusions diffèrent souvent par rap-port à celles des Etats-Unis en ce qui concerne les solutions à appor-ter81, la compréhension du phénomène est à présent plus procheentre les deux rives de l’Atlantique qu’à la fin du siècle dernier, ycompris sur des sujets délicats comme celui de la proliférationbalistique ou des programmes clandestins de l’Iran. Divisés entreeux sur la question du désarmement nucléaire, les Européens s’ac-cordent sur la lutte contre la dissémination des savoirs, des équipe-ments, des technologies, et des matières qui peuvent servir à dissé-miner les armes de destruction massive, tout particulièrementdans les régions les plus instables. Il leur faut aussi reconnaître queles traités internationaux, qui par définition ne contraignent queles Etats, doivent être associés à d’autres mesures pour répondre auproblème posé par la dissémination d’armes non conventionnellesdans des réseaux non étatiques. Il est un domaine en revanche où laquestion du terrorisme NRBC a ouvert un débat transatlantiquedifficile ; il concerne la politique à l’égard de l’« Axe du Mal », uneexpression malheureuse qui figurait dans le discours du présidentBush sur l’état de l’Union en janvier 2002. Les Européens ne sou-haitent nullement que les risques, même réels, du terrorisme NRBCconduisent à lancer des opérations militaires préventives contredes pays qui développeraient des programmes d’armes de destruc-tion massive. De telles opérations ne pourraient en effet se préva-loir d’une légitimité internationale que si les procédures d’évalua-tion de la menace et les procédures de décision conséquentesavaient un caractère collectif. Sinon, elles risqueraient d’accroîtrel’instabilité tout comme le risque d’usage des armes non conven-tionnelles.

Les relations euro-américaines

Un retrait américain des Balkans ?

Cette question fait aussi partie de celles qui ont été posées très viteaprès les attentats et on peut donc la tenir pour une des consé-quences immédiates. Les Balkans n’ont jamais été perçus commeune région stratégique pour Washington, même du temps de laprécédente administration. Les guerres qui s’y sont déroulées dansles années 1990 ont maintenu l’illusion que l’Europe et la sécurité

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81. Qu’il s’agisse des défenses an-timissiles, dont l’urgence et mêmel’utilité demeurent assez mal com-prises en Europe, ou de la guerrecontre les pays détenteurs de pro-grammes clandestins.

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européenne continuaient d’avoir de l’importance pour l’Amérique.Après le 11 septembre et la guerre en Afghanistan, cette illusion estterminée : c’est l’ère de la sécurité asiatique qui a vraiment com-mencé. Dans la dernière décennie, les crises à répétition en Corée dunord et autour de Taïwan, comme les essais nucléaires indiens etpakistanais, ont adressé ce message au monde. Mais la présenceaméricaine dans les Balkans pendant toute cette période, ainsi quele maintien de 100 000 hommes en Europe, pouvaient laisser pen-ser qu’un équilibre serait trouvé entre les deux pointes de « l’Eurasie ». Dès la fin septembre, il n’était guère possible d’avoir dedoutes sur la volonté américaine de se dégager des Balkans. PaulWolfowitz déclarait à l’OTAN le 26 septembre : « C’est un fait quelorsque nous commençons à déployer des forces autour du globecomme nous le faisons aujourd’hui, nous courons le risque de troples étirer ». La prise en charge des Balkans par les Européens est enoutre logique, surtout après les événements de septembre 2001. LesEtats-Unis ont d’abord indiqué leur intention de se retirer de Macé-doine à l’automne 2002, ce qu’ils n’ont finalement pas fait. Ils seretireront des opérations de police en Bosnie en janvier 2003, et neresteront pas non plus au Kosovo, où la question centrale de la sou-veraineté n’est toujours pas résolue82. Compte tenu de la présencede membres d’Al-Qaida en Bosnie, d’où ils peuvent ourdir desattentats en Europe et aux Etats-Unis, la permanence américainesubsistera encore quelque temps dans cette partie des Balkans. Pluspréoccupante est la décision de retrait britannique du Kosovo, sansdoute en raison d’éventuelles opérations militaires contre l’Irak audébut de l’année 2003. La stabilisation des Balkans demanderaencore aux Européens des années d’efforts, qu’ils risquent désor-mais d’être seuls à consentir. Comme l’ancien Premier ministresuédois Carl Bildt le répète à l’envi, la stabilisation des Balkans estencore loin d’être achevée.

L’Europe, contrairement à l’Amérique, n’a pas le sentimentd’être en guerre83

Les Etats-Unis ont exprimé clairement leur volonté de faire de lalutte contre le terrorisme international le nouveau terrain decoopération avec l’Europe après la cause commune de la luttecontre le communisme pendant la guerre froide. Ils voient dans cecombat, comme dans celui qui a été conduit contre l’URSS, une

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Le terrorisme international et l’Europe

82. Le problème du Kosovo est ce-lui de la souveraineté de Belgradeou de l’indépendance du Kosovo.L’administration provisoire desNations unies et la KFOR ne pou-vaient pas en modifier lesdonnées, qui sont entre les mainsdu Conseil de sécurité.

83. Ceci a encore été répété enjuillet 2002 par Tom Ridge :« Nous sommes en guerre ». EnEurope, seul le Premier ministrebritannique, Tony Blair, s’est ex-primé de cette façon.

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tâche de longue haleine, avec une dimension idéologique impor-tante. Mais la plupart des Européens n’acceptent pas l’idée d’une« guerre » contre le terrorisme. Ils sont habitués à faire face à ce phé-nomène avec d’autres méthodes (renseignement, police, justice),sans avoir toujours intégré les conséquences du changement d’é-chelle apporté par les événements du 11 septembre 2001. La craintedes Européens, compte tenu de la nature même du terrorisme, estqu’il s’agisse là d’une guerre sans fin dans laquelle les Etats-Uniss’engagent sans en mesurer toutes les conséquences. Ils pensentenfin, même quand il s’agit des Britanniques, qu’il est particulière-ment discutable de porter la guerre aux pays qui développent desprogrammes d’armes de destruction massive si ceux-ci ne se livrentpas à des provocations ou à des attaques84. Derrière ces différencesd’appréciation, il y a des différences de politique budgétaire enmatière de défense. Le 11 septembre n’a pas seulement conduit lesEtats-Unis à se déclarer « en guerre ». Il a amené une augmentationtrès sensible des dépenses militaires aux Etats-Unis et il a entraînéla plus grande réorganisation du gouvernement depuis cinquanteans85. Un nouveau ministère de la sécurité intérieure, regroupant22 agences fédérales, a été créé. La nouvelle loi a été adoptée ennovembre 2002. En Europe, le Royaume-Uni et la France ont décidédes augmentations budgétaires après le 11 septembre. Un nouveauchapitre de la Strategic Defence Review a été adopté par Londres. Dansle cas français, malgré une reconnaissance du problème dans le pro-jet de loi de programmation militaire, dont il a déjà été question, lesmesures prises sont encore marginales86. L’objectif principal duprojet de loi en matière d’équipements est de combler des lacunesidentifiées avant les attentats (taux de disponibilité des avions etdes bateaux par exemple)87 ou d’augmenter les forces de projection(avec la permanence à la mer d’un porte-avion et d’un groupe aéro-naval au terme de la loi de programmation). La défense civile et lesmoyens spécifiquement affectés à la lutte contre le terrorisme nebénéficient que faiblement des augmentations prévues.

Malgré la réalité de la menace, la réaction en Europe est beau-coup plus mesurée qu’en Amérique

Les sociétés ouvertes qui composent l’Europe présentent elles aussiun nombre presque infini de cibles potentielles pour des attaquesterroristes. Elles sont aujourd’hui un lieu de regroupement de

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84. C’est là du moins la positionunanimement exprimée par leschancelleries. Il n’est pas certainque les ministères de la défensesoient tous hostiles en Europe àdes frappes préemptives.

85. Cette réorganisation sous lahoulette de Tom Ridge est en effetcomparée très souvent à la ré-forme engagée sous Harry Tru-man en 1947, avec notamment lacréation de la CIA et du NationalSecurity Council, qui a donné àl’Amérique les institutions de dé-fense adaptées à la guerre froide.

86. Le Royaume-Uni semble avoirtiré des conséquences plus sé-rieuses du nouveau risque terro-riste, avec un renforcement desmoyens de surveillance aérienne,des forces spéciales, des moyensde lutte contre le terrorisme NBCet la création d’une Force de Réac-tion Domestique de 6 000hommes. Quand ces mesures ontété annoncées à la Chambre desCommunes au mois d’août 2002,le secrétaire à la Défense a souli-gné la nécessité de combiner desmoyens défensifs et offensifs : « Ladéfense à elle seule ne suffit pas. Leterrorisme comporte un élémentde surprise, et un des principauxmoyens de l’anéantir est de lecombattre. Nous devons être ca-pables de traiter les menaces à dis-tance : frapper l’ennemi dans sonpropre camp, pas dans le nôtre, etau moment où nous le décidons,pas lui ».

87. Un collectif budgétaire de900 millions d’euros devrait apu-rer les difficultés les plus urgentes.Une nouvelle loi de programma-tion militaire devrait en outre per-mettre de réduire l’écart entre laFrance et le Royaume-Uni, qui sertde référence.

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membres d’Al-Qaida plus probable que l’Amérique. Les servicesspéciaux européens, dont les travaux dans le domaine du terro-risme ont accéléré leur allure, en tiennent compte. Des progrès ontété faits dans les domaines de la police, de la finance et de la justice.Mais la réaction d’ensemble au nouveau phénomène et auxmenaces potentielles est lente et partielle. On ne voit pas d’appel ausecteur privé pour développer de nouvelles technologies ou auxlaboratoires pour accélérer la recherche médicale88. L’inventairedes infrastructures vitales des pays est engagé dans certains d’entreeux (c’est le cas en France par exemple), mais les dispositions pouren assurer la protection sont encore à définir, si l’on excepte desmesures spectaculaires comme celles qui ont été prises, à juste titred’ailleurs, pour protéger des sites dont l’attaque aurait des résultatsparticulièrement dangereux comme, par exemple, l’usine de retrai-tement de La Hague89. La sécurité du transport maritime parconteneurs et la sauvegarde des approches maritimes font l’objetde plus de rapports que de mesures concrètes. La constitution destocks de vaccins suffisants pour faire face aux menaces biolo-giques va prendre des années. Le renforcement de la sécurité desréseaux informatiques gérant les télécommunications et les appro-visionnements en énergie et en eau commence seulement.

Projection de forces ou défense du territoire ?

Dans le langage européen, contrairement à l’Amérique, c’est ladéfense du territoire qui évoque le passé et la guerre froide90 et lesforces de projection qui correspondent à un projet plus récent,postérieur a la guerre froide. Du côté américain au contraire, laguerre froide a toujours été liée à la capacité de projection exté-rieure et la découverte de la protection du territoire est beaucoupplus récente, même si le territoire américain était menacé depuis ledébut des années 1960 par les forces nucléaires soviétiques. Doré-navant, l’absence de division claire entre l’extérieur et l’intérieur,entre la défense du territoire et la projection de forces sera une descaractéristiques du siècle en matière de sécurité. Dans les deuxdomaines, l’Europe a des progrès importants à faire.

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Le terrorisme international et l’Europe

88. Le secteur privé devrait finan-cer une partie de l’effort américainconsacré à la défense du territoire.Comme l’a indiqué le présidentBush, « nous devons rallier notresociété toute entière pour faireface à un nouveau défi particuliè-rement complexe ».

89. Des missiles sol-air ont été dé-ployés en France après les atten-tats autour de l’usine de retraite-ment.

90. La défense du territoire ne si-gnifiait pas seulement la résis-tance à l’invasion mais aussi laprotection de sites sensibles.

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Les débats d’avenir

Terrorisme et démocratie

La protection des libertés91

Il est naturel que des nations démocratiques s’interrogent sur l’ef-fet que des mesures prises pour faire face à une situation exception-nelle peuvent avoir sur la protection des libertés fondamentales,qui constituent le cœur de leur identité politique. C’est la raisonpour laquelle les décisions prises tant aux Etats-Unis qu’en Europepour protéger les sociétés de nouvelles attaques ont fait l’objet depart et d’autre de l’Atlantique d’un débat vigoureux. Celui-ci adébouché sur la question plus vaste de l’équilibre à trouver entresécurité et liberté. Les démocraties présentent, c’est bien connu,beaucoup de vulnérabilités face au terrorisme. Parmi celles-ci, ontrouve leur ouverture, la façon dont elles consacrent la liberté d’ex-pression et d’information, et la protection des minorités et desdroits des accusés. Ces caractéristiques constituent assurément desfaiblesses face à un adversaire déterminé à les frapper, sans avoir descrupules sur les moyens. Mais leur préservation est aussi celle desdémocraties elles-mêmes92. Le débat a été particulièrement vif auRoyaume-Uni et en Allemagne. Au Royaume-Uni, l’adoption d’unenouvelle loi en décembre 200193, permettant d’emprisonner sansjugement les étrangers suspectés de terrorisme et de les garder enprison indéfiniment, a été critiquée non seulement par les défen-seurs des libertés civiles mais aussi par les juges britanniques94, quiy ont vu une discrimination inacceptable entre les ressortissantsétrangers résidant en Grande-Bretagne et les ressortissants britan-niques. La difficulté est d’autant plus grande que ces individus, quirisquent souvent la peine de mort dans leur pays d’origine, ne peu-vent pas être extradés d’un pays de l’Union européenne. Aumoment même où la nouvelle loi était votée au Royaume-Uni, desdocuments trouvés à Kandahar, en Afghanistan, montraientqu’une attaque avait été planifiée contre Londres au cœur de la City

Le terrorisme internationalet l’Europe

91. Les pays européens ont entre-pris de renforcer leur arsenal juri-dique au prix parfois de rupturesavec leurs traditions en matière delibertés civiles. Fin novembre2001, le Haut commissaire del’ONU pour les droits del’homme, Mary Robinson, le Se-crétaire général du Conseil del’Europe, Walter Schwimmer et ledirecteur du bureau de l’OSCEpour les institutions démocra-tiques, Gérard Stroudmann, ontmis en garde les gouvernementscontre d’éventuels excès : « il estessentiel que les pays respectentles droits de l’homme et les li-bertés fondamentales » (« Misesen garde internationales devantdes excès dans la lutte antiterro-riste », AFP, Vienne, 29 novembre2001). Aux Etats-Unis mêmes, desjuges américains contestent lamise au secret des détenus du11 septembre : 1 200 personnesont été arrêtées après les attaquescontre New York et Washington(750 pour infraction aux lois surl’immigration, une vingtainecomme « témoins matériels » et ladernière catégorie comprendraitdes individus accusés d’être « auservice de l’ennemi »). Al’été 2002, seuls 200 d’entre euxseraient encore en prison sans ga-ranties juridiques : leur nommême est gardé secret. En outre,600 prisonniers sont détenus surla base navale de GuantanamoBay, mais il n’y a pas de divergencedans ce cas entre l’exécutif et le lé-gislatif américain car la base nerelève pas des tribunaux améri-cains. Des avocats et des associa-tions de défense des droits del’homme se sont en revanche mo-bilisés pour poser des questionségalement sur le sort de ces pri-sonniers.

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(à Moorgate). Paradoxalement, ce débat se produit alors que leRoyaume-Uni est toujours taxé de laxisme en matière terroriste pard’autres pays de l’Union européenne, comme la France95. Pourtant,depuis le 11 septembre, les lois sur l’immigration et le droit d’asileont aussi été renforcées au Royaume-Uni et l’incitation à la hainereligieuse a été criminalisée. En Allemagne, dès le 7 novembre 2001,de nouvelles mesures antiterroristes ont été adoptées. Certainesseront appliquées seulement pour une période de cinq ans et serontalors à nouveau examinées par le Parlement96. Le statut de réfugiépeut être supprimé en cas de risque pour la sécurité intérieure. Lesorganisations religieuses qui abusent de leur statut pour com-mettre des activités criminelles pourront être mises hors la loi – l’or-ganisation « Le Caliphat », à Cologne, a été interdite à la suite decette loi en raison de liens soupçonnés avec Al-Qaida. Elle avait1 300 disciples en Allemagne. Des « sky-marshals » armés pourrontse trouver à bord des avions comme aux Etats-Unis. La tradition derespect des libertés privées depuis la fin de la Seconde Guerre mon-diale est entamée (en particulier une loi religieuse interdisait augouvernement de bannir ou de restreindre la liberté d’un groupereligieux)97. Le principal problème allemand pour lutter contre leterrorisme est toutefois la dispersion des administrations dansl’Etat fédéral. Les polices des 16 Länder n’échangeaient jusqu’à unedate récente pas d’informations régulières avec leurs collèguesd’autres régions. Les enquêtes criminelles sur tout le territoire alle-mand étaient très rares. Depuis 2001 cependant, un groupe de tra-vail a été créé à Wiesbaden pour confronter les informations duBND (renseignement extérieur), BFV (renseignement intérieur) etBKA (police). Après le 11 septembre, le ministre de l’Intérieur, OttoSchily, qui a été l’avocat des terroristes des années 1970, a fait adop-ter de nombreuses mesures antiterroristes « au nom de la sécurité etde la défense de la démocratie » : « Nous devons nous défendre etdéfendre les sociétés ouvertes contre nos ennemis. Ils utilisent lespossibilités de la société démocratique, qu’il faut donc protéger ».La nouvelle législation allemande étend les pouvoirs de sur-veillance des agences de renseignement et remet en cause les loistrès strictes qui protégeaient la vie privée en Allemagne. Lesempreintes digitales doivent désormais figurer sur les documentsd’identité. Les demandeurs de visas auront leur voix enregistrée.Les transactions financières seront soumises à examen. Les organi-sations religieuses qui prêchent la violence pourront être bannies.Ce sont là des changements importants pour un pays qui avait pris

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92. Voir David Gompert, Terrorismand Democracy, George C. MarshallEuropean Center for Security Stu-dies, août 2002 : «La définition decritères raciaux, des mesures de ré-pression sévères, la surveillance àdomicile, l’immixtion dans les re-lations client-avocat et l’encoura-gement des citoyens et des repré-sentants à signaler tout« comportement suspect » de-vraient permettre plus de sécurité.Mais nous devrions comprendreque ces mesures entravent noscroyances démocratiques et noslibertés . »

93. Loi du 14 décembre 2001(Anti-Terrorism, Crime and SecurityBill), qui précise dans une intro-duction : « La présente loi associele respect de nos droits fondamen-taux et la garantie qu’ils ne sontpas exploités par ceux qui cherche-raient à leur porter atteinte ».

94. Le 30 juillet 2002, la Commis-sion d’appel pour l’immigration(« Special Immigration AppealsCommission ») a décrété que laLoi du 14 décembre établissaitune discrimination inacceptableentre les Britanniques et les non-Britanniques. Cette loi a permis ladétention illimitée sans jugementde 11 suspects, dont 9 appartien-nent à la catégorie A (prisonnierstenus pour particulièrement dan-gereux) et sont détenus dans desquartiers de haute sécurité dansles prisons de Belmarsh (sud deLondres) et de Wood Hill (MiltonKeynes). Curieusement, les jugesont estimé que cette loi ne pose-rait pas de problèmes si une déro-gation à l’article 14 de la Conven-tion européenne sur les droits del’homme avait été demandée. Cetarticle porte précisément sur ladiscrimination raciale et reli-gieuse.

95. En juillet 2002, Time Magazine,qui citait des sources françaises,prétendait qu’un des lieutenantseuropéens d’Al-Qaida, Abu Qa-tada, bénéficiait d’une protectiondu MI5, le service de contre-es-pionnage britannique. Il a depuisété arrêté.

96. Par exemple, l’autorisationd’imprimer les empreintes digi-tales sur les passeports pour éviterles contrefaçons.

97. Cf Frankfurter Rundschau, no-vembre2001: «Trop de monde enAllemagne a voulu ignorer le

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tant de précautions à protéger ses citoyens de l’Etat après l’expé-rience nazie, et ils ne sont pas acceptés de façon passive. En fait,l’Europe toute entière doit à présent repenser l’équilibre entre leslibertés fondamentales et la sécurité sans laquelle ces libertés nepourront subsister98. Un des principaux éléments du débat démo-cratie/terrorisme est celui des juridictions d’exception, commecelles qui ont été mises en place aux Etats-Unis99. Elles apparaissentcondamnables en Europe à deux titres : elles dérogent aux règlesdes pays démocratiques et elles empêchent la collaboration, essen-tielle dans la lutte contre le terrorisme. Les systèmes dérogatoiressont par définition un frein à la coopération internationale100.

La seconde phase de la guerre et la question de l’Irak

Une guerre sans fin ?

Washington a d’emblée défini la guerre contre le terrorismecomme une opération planétaire, qui ne pouvait de surcroît définirà priori les éléments d’une victoire. Le discours du président Bushau Congrès le 20 septembre 2001, qui indique qu’il y a « des milliersde ces terroristes dans plus de soixante pays », comprend aussi deuxphrases inquiétantes : « La guerre contre le terrorisme ne finira pasavant que tout groupe terroriste à vocation mondiale ne soittrouvé, arrêté ou vaincu » et « Notre ennemi est un réseau de terro-ristes radical et tout gouvernement qui les soutient. Notre guerrecontre le terrorisme commence avec Al-Qaida mais ne se terminepas avec elle ». Certes, ce discours a été prononcé à un moment d’é-motion maximum et il a été suivi d’une période de modération,dans la préparation de la guerre contre les Taliban. Mais il s’agittout de même à bien des égards d’une « guerre perpétuelle », dontnul ne connaît à l’avance le déroulement ou le possible dénoue-ment. C’est une tâche presque infinie qui est ici décrite. La flexibi-lité donnée aux forces américaines et à la politique qui les guide nepourrait pas être définie de façon plus large. Après la prise rapide deKaboul, l’installation d’un gouvernement provisoire, et la tenued’élections – trois succès certes remarquables –, la stabilisation dugouvernement d’Hamid Karzai n’est pas aisée101. Outre l’Afgha-nistan, les troupes américaines sont aujourd’hui présentes, pourdes opérations d’ampleur différente, de la Colombie aux Philip-pines. Enfin, deux autres guerres s’ajoutent à la première : celle qui

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Les débats d’avenir

problème (…) avec la croyance er-ronée que l’intégration consistaità laisser tout le monde faire cequ’il veut ».

98. Il importe en particulier de nepas mettre en place des lois et despratiques qui rendent impossiblepour les réfugiés le dépôt de leurdemande d’asile dans des pays eu-ropéens.

99. Le débat sur la protection deslibertés démocratiques est égale-ment très vif aux Etats-Unis depuisl’automne 2001. Le système poli-tique américain contient un cer-tain nombre de contre-mesuresefficaces pour éviter les abus. Enparticulier, une cour créée en 1978après le Watergate, chargée desurveiller les opérations de contre-espionnage menées par le FBI, aidentifié près d’une centaine decas où les écoutes ou les sur-veillances électroniques étaientillégales et a refusé l’extension decertaines prérogatives du Bureau,autorisées par la loi « Patriot »,votée après le 11 septembre. VoirKatty Kay, «US court restricts rightto spy on terrorist suspects », TheTimes, 24 août 2002. Mais la si-tuation des prisonniers retenushors du territoire américain nebénéficie d’aucune des garantiesprévues par la loi. Ce débat a lieuau niveau international au mo-ment où les moyens techniques derassembler des données sur les in-dividus n’ont jamais été aussigrands. Ainsi, les Japonais se sontrécemment opposés, en août2002, à la tenue de « registres defamille » par la police. Il y a aussi,naturellement, la question de l’as-sassinat des prisonniers en Afgha-nistan par les alliés des Etats-Unis,notamment ceux qui auraient étéétouffés par les hommes d’AbdulRashid Dostum dans des contai-ners lors de leur transfert à la pri-son de Sheberghan près de Mazar-el-Sharif en novembre 2001.

100. Il convient de souligner que lerapport annuel d’Amnesty Inter-national de 2002 est très sévèresur le bilan de l’après-11 sep-tembre. Les démocraties n’ontpas seulement pris des mesuresantidémocratiques. Elles ontaussi adressé un message dange-reux aux régimes autoritaires quiont fait un usage encore beau-coup plus abusif de la guerrecontre le terrorisme. Les forcesarmées ont ainsi repris de la

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2oppose les Etats-Unis aux Etats qui soutiennent le terrorisme etcelle qui les oppose aux Etats qui développent des programmesd’armes de destruction massive. C’est là sans doute ce que lesEuropéens ont le plus de mal à accepter, surtout quand ces guerressont associées à la doctrine de frappe préventive exprimée par le pré-sident Bush lors de son discours à West Point, le 1er juin 2002102. Detelles opérations posent en effet de sérieux problèmes de légitimitéet risquent de produire au moins autant de désordre que d’ordredans les affaires internationales, surtout si d’autres pays se sententlégitimés à en faire autant.

Dans cet ensemble, l’Irak a une place spécifique

La communauté internationale et l’Irak sont toujours depuis 1991dans une situation de cessez-le-feu, qui a été rompue à plusieursreprises par des opérations militaires limitées, liées au refus del’Irak de procéder au désarmement visé par la résolution 687 duConseil de sécurité des Nations unies103. La perspective d’une opé-ration militaire en Irak divise profondément les Européens et lesAméricains104 et risque de mettre en péril la coalition contre le ter-rorisme. Le Chancelier Schröder a déclaré que « le Proche-Orientavait besoin d’une nouvelle paix et non d’une nouvelle guerre »,qu’une attaque contre l’Irak pourrait « détruire l’alliance interna-tionale contre le terrorisme ». Il a ajouté qu’il ne participerait pas àcette « aventure », même avec un mandat de l’ONU, une positionadoptée pour des raisons essentiellement électorales105. A Paris, leprésident de la République a reconnu, dans un entretien accordé auNew York Times, la nécessité d’une pression accrue sur Bagdad pourque Saddam Hussein accepte le retour des inspecteurs, mais il a fer-mement défendu le rôle de l’ONU pour définir la marche à suivreen cas d’échec. Même les Britanniques ont fait connaître leurscraintes d’une intervention au Moyen-Orient dans le contexteactuel106 et une manifestation de 200 000 personnes a eu lieu finseptembre 2002 pour protester contre une guerre éventuelle contrel’Irak. La position de Tony Blair, très proche de celle de George W.Bush, selon laquelle « une des leçons du 11 septembre, c’est qu’ilvaut mieux agir avant que les dangers et les menaces se concréti-sent, plutôt qu’après », fait l’objet de vives critiques au sein du Partitravailliste. Les Européens craignent de voir engagée une opérationmilitaire avec une légitimité internationale trop faible. Ils pensentqu’une utilisation d’armes de destruction massive par Saddam

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puissance dans certains pays oùelles avaient commis quantité deviolations des droits de l’homme,et les oppositions de toute natureont été réprimées au nom de laguerre contre le terrorisme.

101. Parmi les nombreux pro-blèmes internes auxquels HamidKarzai doit faire face, se trouventles milliers de prisonniers qui de-meurent sur le sol afghan (entre2 500 et 4 000) que les pays d’ori-gine manifestent peu d’empresse-ment à récupérer.

102. « Si nous attendons que lesmenaces se matérialisent, ce seratrop tard (...) Nous ne vaincronspas le terrorisme en restant sur ladéfensive. Nous devons lever lesarmes contre l’ennemi, saboterses plans et contrer les pires me-naces avant qu’elles ne se concré-tisent (...) Notre sécurité a besoinde l’attention et de la résolutionde tous les Américains, de leur ca-pacité d’agir lorsqu’il sera néces-saire de défendre notre liberté etnos vies ». Il est troublant deconstater que le 2 septembre2002, le chef de la diplomatierusse, Igor Ivanov, s’est prononcéde son côté pour une action multi-latérale « à titre préventif » dans lalutte contre le terrorisme interna-tional et contre d’autres menacesglobales. La nouvelle doctrine desécurité des Etats-Unis, publiée enseptembre 2002, confirme l’im-portance du concept de « guerrepréventive ». Ceci étant, si uneguerre était déclarée contre l’Irak,ce ne serait pas une guerre préven-tive, mais la rupture du cessez-le-feu de 1991, qui avait pour condi-tion le désarmement de l’Irak. Lesservices occidentaux ont tous lespreuves que ces programmes ontrepris depuis 1998.

103. La résolution 678 a autorisé la guerre et la résolution 687 aconditionné le cessez-le-feu au dé-sarmement de l’Irak, qui a été in-terrompu depuis décembre 1998.Autrement dit, si une discussionau Conseil de sécurité s’impose, iln’est en revanche pas nécessairejuridiquement d’obtenir une nou-velle résolution du Conseil pourattaquer l’Irak. Mais la résolution1441 est une grande victoire poli-tique du Conseil de sécurité.

104. Voir Patrick Tyler, « US Planto Invade Iraq Raises Alarms,Europeans Fear Consequences ofWar », International Herald Tribune,

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2Hussein devient plus probable si aucune porte de sortie ne lui estlaissée par Washington dont l’objectif principal est un changementde régime. Ils savent qu’une implication d’Israël dans la bataillesera presque impossible à empêcher et qu’elle peut avoir des consé-quences imprévisibles107. Ils sont enfin conscients de la nécessité,pour des raisons de stabilité régionale, de maintenir l’unité de l’Iraket de préserver un gouvernement sunnite à Bagdad après la chuteéventuelle de Saddam Hussein. La question de « l’après-Saddam »paraît au moins aussi difficile que celle de la guerre elle-même. Desquestions plus vastes encore sont posées par ce projet d’interven-tion : si les Etats-Unis envisagent à présent de renverser par la forcedes régimes considérés comme dangereux108, où Washingtons’arrêtera-t-il ? Ces appels à la prudence ont peut-être, surtout lors-qu’ils ont été repris au sein du Congrès, joué un rôle dans la déci-sion du président Bush de s’adresser à l’Assemblée générale desNations unies pour laisser une dernière chance aux inspectionsinternationales. Cependant, à moins d’une coopération pleine etentière de Bagdad, celles-ci n’empêcheront pas Washington d’en-gager les opérations militaires nécessaires à un changement derégime à Bagdad, un point sur lequel la décision paraît prise109.Saddam Hussein, sous la pression conjuguée des Etats-Unis, duConseil de sécurité, et des pays arabes, a annoncé le 17 septembrequ’il acceptait le retour des inspecteurs sans conditions. Il a aussiaccepté les modalités pratiques (visas, communications, douanes,transport, etc.) des inspections lors d’une réunion technique avecHans Blix, chef des inspecteurs de l’ONU pour le désarmement del’Irak, le 30 septembre à Vienne. Enfin, il a dû accepter la résolution1441 du Conseil de sécurité, adoptée à l’unanimité le 8 novembre2002. La pression semble donc avoir payé. La seule chance d’éviterune opération militaire paraît à ce stade d’ouvrir rapidement lesportes de l’Irak, sans aucune restriction d’accès, et de faire unedéclaration complète des activités prohibées par les résolutions duConseil de sécurité.

Un allié qui s’éloigne

La dimension géopolitique

L’Europe se déplace vers l’Est, tandis que les regards de l’Amériquese déplacent vers l’Ouest. Avec l’élargissement, le cœur de l’Europese déplace à Berlin. Avec la fin de la guerre froide, les regards de

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Les débats d’avenir

jeudi 23 juillet 2002 . L’impressionprévaut que les Américains sontobsédés par Saddam Hussein alors que les Européens le sont parla paix au Moyen-Orient.

105. Cette déclaration, très liée àla campagne électorale alle-mande, a attiré au chancelier enexercice une critique virulente nonseulement du porte-parole del’opposition pour les affairesétrangères, Wolfgang Schaüble,mais aussi de Washington. VoirSteven Erlanger, «Schroeder rebu-ked by US on Iraq war », Internatio-nal Herald Tribune, 17-18 août2002. Voir aussi Josef Joffe,« Strong on words, weak on will »,Time Magazine, août 2002.

106. Selon un sondage effectué enaoût 2002 par la chaîne de télévi-sion Channel Four, 52% des per-sonnes interrogées au Royaume-Uni se déclarent hostiles à uneparticipation de l'armée britan-nique, contre 34% qui se disent fa-vorables. Dans un article publiédans le Financial Times le 7 août2002, Sir Michael Quinlan estimeque la légitimité d'une action enIrak est « hautement discutable ».Il fait référence à la doctrine de laguerre juste pour indiquer qu'ellene s'appliquerait pas au cas pré-sent : « La doctrine de la guerrejuste découle de siècles de ré-flexions et soutient la vision mo-derne de la guerre. Attaquer l'Irakserait une décision discutablemalgré de nombreuses justifica-tions, comme la cause juste, laproportionnalité et la juste auto-rité ». Il rappelle aussi la citationde Winston Churchill : « Ne croyezjamais que la guerre est douce etfacile, ou que ceux qui s'embar-quent pour ce voyage se rendentcompte des vagues et des oura-gans qu'ils rencontreront ».

107. Tout gouvernement israélienrépondrait aujourd’hui à une at-taque irakienne, car la leçon trèsgénérale de l’abstention de 1991en Israël est qu’elle a diminué ladissuasion de Bagdad. Une cam-pagne de vaccination a com-mencé en Israël contre la variole(pour des ambulanciers et desmembres des services d’urgence)tandis que des milliers de famillesse dotent de nouveaux masques àgaz. Voir Molly Moore, « Jitteryabout Irak threat, Israelis getmasks and prepare for the worst»,The Washington Post, 23 août 2002.

108. Des commentateurs améri-

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l’Amérique se détournent de l’Europe et se tournent vers l’Asie.Cette double réalité géostratégique, qui éloigne les deux rives del’Atlantique, joue un rôle important dans l’évolution des relationseuro-américaines. Dans un monde où les problèmes de sécuritésont de nature globale, ce peut être l’occasion pour chacun d’élargirle champ de sa vision stratégique, mais ce peut être aussi l’occasiond’un éloignement plus profond, surtout si d’autres éléments s’yajoutent.

La dimension militaire

Les moyens militaires, politique de sécurité, coopération interna-tionale, traités multilatéraux, juridictions d’exception, relationsavec l’OTAN, tout semble concourir à éloigner les deux rives de l’At-lantique depuis quelques mois110. L’augmentation du budget de ladéfense des Etats-Unis, qui dépensaient déjà environ 60 milliardsde dollars de plus par an que l’ensemble des pays européens pourleur défense, est à présent de plus de 40 milliards de dollars, ce quiest supérieur au budget de défense le plus important au sein despays de l’Union européenne. Le budget du Pentagone ainsi que lapart du budget du département de l’énergie consacrée aux armesnucléaires représentait 300 milliards de dollars quand le nouveauprésident a pris ses fonctions. Il est de 350 milliards en 2002 et serade 396 milliards de dollars en 2003. Quant à la projectionpour 2007, elle est de 470 milliards de dollars, c’est-à-dire quinzefois le budget britannique de la défense. Même si l’augmentationprévue devra vraisemblablement être revue à la lumière des résul-tats économiques, entre les Etats-Unis et le reste du monde, ce n’estplus d’un « gap » qu’il faut parler, c’est d’un gouffre111. Au mêmemoment, les Etats-Unis manifestent leur volonté de conserver laplus grande liberté d’action possible et de ne plus jamais engagerd’opérations militaires en étant contraints par des « Comités »112,un rappel inexact de la guerre du Kosovo car jamais l’OTAN n’a dis-cuté des cibles, qui ont seulement fait l’objet d’entretiens bilatérauxquotidiens avec les principaux alliés. Enfin, et en partie pour cetteraison, l’OTAN apparaît de plus en plus comme une institution desécurité collective plutôt que de défense collective et ce sentimentest encore renforcé par la perspective d’élargissement. Conscient decette dangereuse évolution, qui risque de condamner l’institutionet l’Alliance, le Secrétaire général de l’OTAN a souhaité que la réu-

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cains recommandent parfois uneattitude très ferme des Européenssur ce sujet : «Les Européens pour-raient refuser que les Américainsutilisent les moyens de l’OTANpour attaquer l’Irak, puisqu’unetelle attaque ne relève pas des ac-cords sur la lutte contre le terro-risme qui ont débouché sur la ré-solution de septembre dernierprise dans le cadre de l’article 5 del’OTAN ...= Les Etats-Unis ontbien plus besoin de l’OTAN quel’Europe : l’OTAN met en place lesinfrastructures indispensables auxdéploiements stratégiques et mili-taires américains à travers l’Eu-rope, l’Eurasie, le Moyen-Orient etl’Afrique. Les Etats-Unis bénéfi-cient de la présence militaire del’OTAN, avec généralement desprivilèges extra-territoriaux danschacun des pays membres de l’Al-liance, et dans la plupart desmembres du Pacte de Varsovieainsi que dans les pays de l’ex-Union soviétique appartenant auPpP ». Voir William Pfaff,« NATO’s Europeans could say‘no’ », International Herald Tribune,25 juillet 2002. En septembre2002, après le discours du prési-dent Bush à l’Assemblée généraledes Nations unies, le débat aconsidérablement évolué. Cedont il s’agit à présent, avecl’adoption de la résolution 1441en novembre 2002, c’est une pres-sion de l’ensemble du Conseil desécurité sur Bagdad.

109. Les dénégations de Washing-ton sur ce point sont liées à la dif-ficulté de justifier cet objectif dupoint de vue de la légalité interna-tionale.

110. Voir l’article de Madeleine Al-bright, « The allies are troubled byBush’s policies », International He-rald Tribune, 23 mai 2002.

111. L’Amérique n’est pas unepuissance guerrière contraire-ment à l’image qu’elle donne au-jourd’hui. Souvenons-nous de laphrase de Woodrow Wilson en1917 : « It is a fearful thing to lead thisgreat peaceful people into war ». LesAméricains ont-ils changé ? LeCongrès n’a autorisé l’emploi dela force armée que contre les res-ponsables des attaques, noncontre toute menace potentielle,même terroriste. Une attaquecontre l’Irak par exemple requiertune nouvelle autorisation duCongrès, obtenue en octobre2002 par le président Bush.

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nion de Prague de novembre 2002 soit non seulement consacrée àl’élargissement mais aussi, encore une fois, après les étapes de 1991et 1999, à l’adaptation de l’Alliance et aux nouvelles menaces post-guerre froide. Le sommet de l’OTAN à Prague a été l’occasion denouvelles propositions américaines dans ce domaine, mais il estloin d’être certain que l’OTAN a retrouvé sa place à cette occasion.

Les questions politiques

Un des changements les plus remarquables, du point de vueeuropéen, est peut-être la façon dont certains droits civils fonda-mentaux ont été remis en cause aux Etats-Unis, dans la patrie de laprotection de l’individu face à l’Etat. En outre, au moment mêmeoù la souveraineté américaine apparaît mieux défendue que jamais,la guerre contre le terrorisme international tend à nier la souverai-neté des Etats avec un droit d’ingérence généralisé. Une partieimportante des attitudes de l’Amérique sur la scène internationaleest peut-être tout simplement une transposition à l’extérieur deproblèmes domestiques et de la détérioration de la vie politiqueaméricaine. En même temps, les Européens ne prennent pas suffi-samment en compte les vulnérabilités américaines. Comme l’in-dique très justement Joseph Nye, dans son ouvrage « The Paradox ofAmerican Power », les Etats-Unis sont trop puissants pour êtreconfrontés directement, mais ils ne le sont pas assez pour réglerseuls le problème terroriste, celui des armes de destruction massive,ou pour imposer une solution au Proche-Orient. Les Européenscraignent tout autant la vulnérabilité que la force de l’Amérique.Mais ils demeurent trop souvent spectateurs, insuffisammentconscients des divisions de l’Amérique elle-même sur tous lesgrands sujets stratégiques. Unis sur l’essentiel, la lutte contre le ter-rorisme international, les Américains sont en effet en désaccord surles moyens. Les critiques internes de la politique de George Bushsont souvent plus virulentes encore que celles qu’il connaît enEurope. Les différends ont commencé à s’exprimer de façon plusclaire à l’approche des élections de novembre 2002113, mais la vic-toire républicaine en a aussi montré les limites. Ils portent moinssur la guerre elle-même que sur les moyens de la conduire et sur lesrisques d’isolement de Washington à un moment où la coopéra-tion internationale apparaît plus nécessaire que jamais. Parmi lescritiques principales, il y a donc la politique américaine au Proche-

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Les débats d’avenir

112. « La mission doit déterminerla coalition, la coalition ne doitpas déterminer la mission », Fo-reign Affairs, vol. 81, n. 3 mai-juin2002.

113. Les élections de mi-mandat(mid-term elections) sont toujoursl’occasion d’une mise en causesévère du président en exercice auxEtats-Unis. Celles-ci l’ont aucontaire consacré.

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Orient, jugée trop partisane, et les relations avec les alliés, jugéestrop désinvoltes114.

Le rapprochement avec la Russie

Une nouvelle ère de coopération

Il s’agit là sans doute d’une évolution qui se maintiendra dans ladurée, car Vladimir Poutine n’a aucun autre choix disponible pourmoderniser la Russie. L’Europe bénéficie du rapprochement entrela Russie et les Etats-Unis. Le président Bush, qui ne croît plus à unemenace russe, voulait dès mai 2001 établir des relations person-nelles avec Vladimir Poutine, qui a de son côté un besoin vital despays occidentaux pour relever le principal défi de sa présidence : lerelèvement économique. Ce qui était engagé entre les deuxhommes depuis la première rencontre en Slovénie a pris un tourdécisif avec les attentats. Vladimir Poutine n’a pas seulement été lepremier à appeler George Bush. Il a aussi compris très vite le partiqu’il fallait tirer de l’événement. La Russie allait redevenir à l’occa-sion un acteur responsable sur la scène internationale et un inter-locuteur essentiel pour l’Amérique en raison de son besoin de basesen Asie Centrale et de renseignements sur le terrorisme dans larégion. C’était en outre l’occasion rêvée de présenter la Tchétchéniecomme un des épisodes du combat commun contre le terro-risme115. Ce rapprochement se concrétise au moment où Moscoudécide à la fin du mois de septembre 2001 une coopération des ser-vices de sécurité, l’ouverture de l’espace aérien russe pour des opé-rations humanitaires, et l’acceptation par la Russie de la mise à dis-position des bases des pays d’Asie centrale. La Russie a tout de suitesaisi que, face à l’initiative très rapide des Etats-Unis, elle ne devaitpas rester inactive sous peine de perdre de l’influence dans cetterégion.

La Russie, l’OTAN et le G8

Ce rapprochement a des conséquences importantes à l’OTAN.Le Conseil conjoint permanent OTAN-Russie décide le2 octobre 2001 que des consultations auraient lieu sur la luttecontre le terrorisme. Elles débutent dès le mois d’octobre, mais

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Le terrorisme international et l’Europe

114. Naturellement, Washingtonpeut ajuster sa politique avec letemps ne serait-ce qu’en raisondes élections au Congrès. Enoutre, on peut se souvenir de laphrase de Churchill : « Vous pou-vez être sûr que l’Amérique fera lebon choix, une fois qu’elle auratout essayé ».

115. De ce point de vue, les événe-ments d’octobre 2002 à Moscousont très significatifs. On peut no-ter que les capitales européennes,malgré leur souci des traités multi-latéraux, ne semblent pas avoirposé beaucoup de questions àVladimir Poutine sur la nature dugaz utilisé par les forces spécialesrusses, pour mettre fin à la prised’otages à Moscou à la fin oc-tobre 2002. Cette pusillanimitéest inquiétante.

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c’est en mai 2002 que les relations avec l’OTAN sont modifiées àRome, avec la création d’un nouveau Conseil à 20, où toutes lesquestions de sécurité autres que la défense collective (trafics illi-cites, prolifération, terrorisme) pourront être débattues avec laRussie. L’usage pratique que fera la Russie de ce nouvel arrange-ment est encore incertain, mais il a une valeur politique évidente.Un autre rapprochement notable est intervenu lors du sommet duG8 à Kananaskis au Canada (26-27 juin 2002), dont la Russie estapparue comme le premier bénéficiaire : elle est devenue membreà part entière du club du G8, dont elle prendra la présidenceen 2006, et elle recevra jusqu’à 20 milliards de dollars pour neutra-liser et sécuriser ses stocks d’armes de destruction massive. Ceciétant, les coopérations concrètes entre la Russie et l’Occident sontencore modestes sur les questions de sécurité, surtout quand ellesrequièrent une plus grande transparence de Moscou.

Grâce à la guerre contre le terrorisme, la Russie conserve uneimportance remarquable dans les relations internationales

En effet, la guerre contre le terrorisme conduite par les Etats-Uniset la volonté de Moscou de poursuivre une politique de rapproche-ment économique avec l’Ouest renforcent les deux pays et domi-nent la politique mondiale. Seulement dix ans après la fin de laguerre froide, les Etats-Unis et la Russie se dirigent vers une ententeglobale qui réduit l’influence stratégique de la Chine et du Japonmais aussi de l’Europe. De ce point de vue, l’attitude conciliante dela Russie sur ABM, la Missile Defense, l’élargissement de l’OTAN et laprésence américaine en Asie centrale est beaucoup plus astucieuseque ne le pensent les observateurs, qui y voient une marque de fai-blesse. Depuis le 11 septembre, le président Bush traite la Russiecomme un partenaire plus fiable que ses partenaires européens.

Les différends demeurent

Malgré tous ces éléments de rapprochement, les sujets de tensionavec les Etats-Unis demeurent. Pendant l’été 2002, l’annonce de lavente de plusieurs réacteurs nucléaires à l’Iran, celle d’un contrat de40 milliards de dollars avec l’Irak et la visite du président nord-coréen Kim Jong Il dans l’Extrême-Orient russe ont donné lieu à

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une réaction très ferme de Washington116. Avec l’Europe, les diffi-cultés ne manquent pas non plus, même si elles sont d’une autrenature. L’un des principaux écueils est la question des visas de tran-sit demandés par l’Union européenne pour les habitants de Kali-ningrad qui voudraient se rendre en Russie. Moscou demande l’at-tribution de corridors et l’Union européenne veut protéger lasécurité de ses frontières extérieures après l’entrée de la Pologne etde la Lituanie. Un compromis a finalement été trouvé à Bruxelles ennovembre 2002.

Les étrangers proches

Les relations avec le monde musulman

De nombreuses réactions aux attentats du 11 septembre dans lemonde musulman ont été des réactions de fierté : « les Arabes sontcapables d’exploits qui ne sont pas seulement sportifs » résumaitun journaliste marocain à l’automne 2001. Même dans les milieuxsans lien avec Al-Qaida ni avec le terrorisme, les attentats ont étéreçus avec une satisfaction que seules de profondes frustrationspeuvent expliquer. Dans les sociétés musulmanes, des problèmesspécifiques de nature politique et économique contribuent audéveloppement du terrorisme, comme le récent rapport desNations unies sur le malaise du monde arabe l’a parfaitement misen lumière117. L’absence d’espace démocratique118 dans la trèsgrande majorité des pays musulmans donne aux mosquées unefonction de discussion presque unique tandis que les imams sevoient abandonner l’éducation, comme c’est le cas en Egypte et enArabie saoudite. En octobre 2001, Salman Rushdie écrit dans leNew York Times : « Depuis trente ans environ, des organisationsmotivées regroupant des hommes musulmans (que n’entend-onpas la voix des femmes du monde islamique !) développent desmouvements politiques radicaux à partir de cet humus de « foi ».Ces islamistes incluent les Frères musulmans d’Egypte, les sangui-naires combattants des Front islamique du salut et des GIA enAlgérie, les chiites radicaux iraniens et les Taliban. Ils s’appuient surla pauvreté et leurs efforts ont pour fruit la paranoïa. Cet islamparanoïaque, qui rejette sur les étrangers, les « incroyants », tous lestorts des sociétés musulmanes et qui, en guise de modèle, proposede fermer ces sociétés au projet concurrent de la modernité est

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116. Voir l’article de Tom Shanker,« Rumsfeld Warns that Iraq TiesWill Hurt Russian Pocketbook »,New York Times, 21 août 2002.

117. Le rapport « Art Human De-velopment Report 2002 » a étépublié en juillet 2002. Il souligneque le manque de libertés pu-bliques, la répression des femmeset l’isolement des sociétés arabespar rapport au monde des idéesconstituent des éléments de blo-cage considérables pour leur dé-veloppement.

118. La politique des pays eu-ropéens dans la région ne contri-bue d’ailleurs pas à l’établisse-ment de la démocratie, qu’ilsredoutent.

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aujourd’hui la version de l’islam qui connaît l’expansion la plusrapide de par le monde. ». Les Européens, comme les Américains,ont souhaité rallier les pays musulmans modérés à la lutte contre leterrorisme pour dissiper les craintes d’un conflit de civilisations.Une délégation composée du Haut Représentant pour la PESCJavier Solana, du ministre belge des Affaires étrangères LouisMichel, du ministre espagnol des Affaires étrangères Jose Piqué, etdu Commissaire aux Affaires extérieures Chris Patten a été chargéedès la fin septembre de se rendre au Pakistan, dans le Golfe (Arabiesaoudite) et au Moyen-Orient (Iran, Egypte, Jordanie, Syrie). Lesdiscussions ont porté sur la coopération, le processus de paix, lesoutien financier aux Palestiniens et les efforts pour la mise enœuvre du plan Mitchell, dont l’Union européenne est le co-auteur.En outre, l’Europe est pour des raisons tant historiques que géo-graphiques particulièrement sensible aux relations avec les pays duMaghreb, gravement touché par le terrorisme. L’Algérie occupedans cet ensemble une place particulière. Après l’annulation duprocessus électoral qui a failli porter les islamistes au pouvoir àAlger, plus de 150 000 personnes ont été tuées, et l’identité exactedes assassins est encore loin d’être claire. Le nombre total d’Algé-riens dans les rangs d’Al-Qaida est estimé à 2 à 3 000 et une partied’entre eux est revenue en Algérie à la suite de la guerre en Afgha-nistan. C’est un élément qu’il faudra prendre en compte dans lesrelations avec ce pays dans les prochaines années.

L’urgence d’intégration de la population musulmane est d’au-tant plus grande qu’elle est en expansion

Un des principaux sujets d’incompréhension entre l’Europe et lesEtats-Unis est la présence en Europe de quinze millions de musul-mans, qu’il s’agisse de Maghrébins en France, de Pakistanais auRoyaume-Uni, d’Indonésiens aux Pays-Bas ou de Turcs en Alle-magne. Washington attribue volontiers à la présence de cette popu-lation ce qu’elle considère comme une réponse trop timide au ter-rorisme en Europe, sans reconnaître que les gouvernementseuropéens ont pour obligation de prévenir une radicalisation decette population immigrée, souvent beaucoup plus mal intégréedans les sociétés européennes que ne le sont les musulmans quivivent aux Etats-Unis. La situation actuelle, loin de se stabiliser entermes quantitatifs, est d’ailleurs sans doute appelée à évoluer dans

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les prochaines années avec une immigration musulmane plusimportante encore sous la double influence de la régression démo-graphique en Europe et des difficultés de développement dessociétés du pourtour méditerranéen. Un rapport de la Commissioneuropéenne publié en 2002 prédit que, dans le meilleur des cas, lacroissance de la population en Europe d’ici 2015 sera nulle. A cettedate, un Européen sur trois aura plus de 50 ans. L’immigration estdéjà responsable de 70% de la croissance de la population enEurope119. Une Europe « fortifiée » contre l’immigration clandes-tine n’est pas une solution réaliste. Pour ce qui est du développe-ment des sociétés du Maghreb et du Proche-Orient, les projectionspour 2015 sont toutes pessimistes : elles seront plus importantes,plus pauvres et plus urbanisées, avec des perspectives d’emploilimitées. Sous la pression de courants populistes en Europe, la ten-tation est grande d’adopter des politiques de plus en plus restric-tives en matière d’immigration, dont on ne voit pas bien commentelles vont répondre au problème posé par la démographieeuropéenne et par les difficultés de développement des sociétésmusulmanes120.

L’Afrique, un continent en faillite

Les urgences de l’élargissement ont contribué, de façon très com-préhensible, à réduire l’intérêt des Européens pour le continentafricain. Cela s’est produit au plus mauvais moment, l’Afrique tra-versant depuis dix ans de terribles convulsions. Les attentats terro-ristes, qui ont fourni la preuve que les Etats en faillite ne sont passeulement un problème désagréable du monde post-moderne,mais qu’ils peuvent représenter un défi stratégique en fournissantune terre d’accueil à des formes radicales de terrorisme, devraientamener l’Europe à porter à nouveau sur le continent africain unregard plus attentif. On serait tenté de penser que l’Afrique a vu lefond de ses problèmes dans les années 1990 et le début du XXe siècleavec les massacres au Rwanda, la guerre entre l’Ethiopie et l’Ery-thrée et la terrible guerre qui a sévi au Congo, faisant 2 millions demorts. Il n’en est rien. Au mois de mai, un article courageux est parudans Le Monde sous le titre « L’Afrique suicidaire », qui présente untableau désastreux de l’avenir africain : « Aujourd’hui, les Etats sontliquéfiés dans la plupart de nos pays, les gardes prétoriennes et lesmilices politico-ethniques ont supplanté l’armée, la police et la gen-

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119. Il y a actuellement environ500 000 immigrants par an en Eu-rope.

120. Voir Jean Eaglesham et Mi-chael Mann, «Europe tries to holdup the traffic », Financial Times,11 juin 2002. La Suède pourraitau contraire, si elle adopte les me-sures qui ont été annoncées par legouvernement social-démocrateen août 2002, s’engager dans unepolitique d’immigration volonta-riste pour assurer la pérennité dela protection sociale et des re-traites et garantir le développe-ment économique dans une pé-riode de régression démogra-phique. Pour mémoire, rappelonségalement que le Secrétaire géné-ral des Nations unies, Kofi Annan,dans un message du 17 juin 2002sur la prévention de la désertifica-tion, a annoncé qu’« en Afrique,quelque 60 millions de personnesquitteront la région sahéliennepour des lieux moins hostiles aucours des vingt prochaines annéessi la désertification de leurs terresn’est pas enrayée ». Quellesconclusions en tirent les payseuropéens ?

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darmerie, qui ne sont plus que les ombres d’elles-mêmes. L’insécu-rité s’est généralisée, nos routes et les rues de nos villages sont deve-nues des coupe-gorge. La tragédie du SIDA nous rappelle dramati-quement qu’avec des administrations efficaces et responsablesnous aurions pu endiguer le fléau à ses débuts. Au lieu de cela, plusde 20 millions d’Africains, dont une majorité de jeunes et de cadresbien formés, ont déjà été arrachés à la vie, victimes des tergiversa-tions de nos Etats et d’une ambiance sociale délétère et ludique oùle sens de la responsabilité individuelle et collective s’est éva-poré »121. Dans les prochaines années, le seul effet du SIDA vamettre à la rue des dizaines de millions d’orphelins et détruire desunités entières des forces armées de pays aussi importants quel’Afrique du sud122. Les conséquences dans le domaine de la sécu-rité, et les voies ainsi ouvertes à la violence ne sont pas difficiles àcomprendre. Il faut espérer qu’elles seront saisies par lesEuropéens, qui seront aussi les premiers à souffrir de la situationcréée en Afrique dans dix à vingt ans si les tendances actuelles sepoursuivent.

Le rôle de l’Union

L’influence politique de l’Europe a tendance à se réduire

Avec des cartes très supérieures à celles de la Russie après le 11 sep-tembre, il est frappant de constater que l’Europe n’a pas su jouer sesatouts. Très mauvaise dans la gestion de la propagande par manquede voix unifiée et de volonté collective123, l’Europe n’a pas su tirerparti de la crise ouverte pour mieux se situer sur l’échiquier inter-national. Elle aurait pu faire valoir ses capacités de renseignementhumain (réelles dans le domaine du terrorisme) et de coordinationdes informations124, ses connaissance des réseaux (surveillés enEurope depuis près de dix ans), ses forces spéciales (à certainségards supérieures aux forces spéciales américaines), ses forces demaintien de la paix entraînées pour stabiliser des zones instables, saconception large des questions de sécurité (dont on découvreaujourd’hui en Afghanistan qu’elle a une telle importance dans lesuccès durable de l’opération). Mais elle continue de se trouver leplus souvent dans la situation où elle accepte ce que lui imposel’Amérique, ou rechigne en ouvrant des débats qu’elle perd. L’hos-tilité à l’Europe se renforce à Washington qui estime parfois que les

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121. Jean-Paul Ngoupandé, an-cien Premier ministre centrafri-cain, Le Monde, 18 mai 2002

122. 12 millions d’enfants sontdéjà devenus orphelins du fait duSIDA en Afrique du sud. En 2010,ce nombre sera de 42 millionsdans ce seul pays. En Sierra Leone,le SIDA a fait cinq fois plus d’or-phelins que la guerre civile. Cer-tains pays africains vont perdre unquart de leur force de travail agri-cole d’ici 2020. Au Kenya, 75% desdécès dans la police ces dernièresannées sont dus au SIDA. Enfinplus de 60% des forces arméessud-africaines sont porteuses duvirus du SIDA. Il faudrait encoreajouter l’effet de maladies commela tuberculose, la malaria, l’hépa-tite C et les fièvres hémorragiquespour saisir le risque stratégiqueque posent les problèmes de santédans ce continent.

123. Voir François Godement,« Pas d’Europe sans l’Alliance »,Libération, 28 mai 2002 : « Le pro-blème n’est donc pas celui d’une« autre » politique européenne.C’est qu’elle n’existe pas encoreassez, et cela pour trois raisonsfort simples : elle n’a pas de brasarmé ; elle n’a pas encore d’unitéd’action ; et les Européens ne sontpas même d’accord sur les valeursqu’elle pourrait promouvoir ».

124. Voir Marc Champion, « OnIssues of Security, US needs Les-sons, Some Foreign IntelligenceAgencies Seem to Coordinate Bet-ter than American CounterpartsDo », The Wall Street Journal Europe,12 juin 2002.

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relations avec les Européens sont plus délicates qu’avec les Russes.Les réels atouts de l’Europe n’ont pas seulement été beaucoupmoins bien utilisés par les Européens que le petit nombre d’atoutsrusses par Vladimir Poutine. Dans l’année qui vient de s’écouler, lesEuropéens se sont en outre montrés incapables de résoudre descrises d’envergure très limitée qui les concernaient au premier chef.L’exemple le plus consternant est celui de l’îlot de Perejil enjuillet 2002. Le 20 juillet, la médiation des Etats-Unis est nécessairepour parvenir à un accord entre l’Espagne et le Maroc dans leconflit de l’îlot qui les divise. Paris et Madrid avaient entre tempstrouvé le moyen d’adopter des positions opposées. Etait-il normalque Rabat ait recouru à Washington pour régler ce différend ? Surla question sensible des visas pour les résidents de Kaliningrad quidésireraient se rendre en Russie après l’entrée dans l’Unioneuropéenne de la Pologne et de la Lituanie, la cacophonieeuropéenne en juillet 2002 a suscité des commentaires acides et jus-tifiés125. Enfin, la dispersion des grandes voix européennes sur laquestion de l’Irak en septembre a montré une fois de plus que l’Eu-rope n’avait pas de politique étrangère commune.

La politique américaine pourrait cependant favoriser l’unité desEuropéens126

L’irritation des Européens à l’égard de l’administration Bush pour-rait avoir pour conséquence utile de leur faire prendre conscience,avec d’autres éléments, que le moment de vérité approche pourl’Europe127. Une grande partie des problèmes euro-atlantiques ontleurs racines en Europe, et non aux Etats-Unis. Ceux qui considè-rent qu’une politique plus ouvertement critique serait nécessairesur des sujets aussi divers que l’environnement, le contrôle desarmes biologiques où la Cour pénale internationale ont sans douteraison, mais il serait au moins aussi utile, sinon plus, de faire égale-ment un sort aux évidentes faiblesses de l’Europe, y compris dansles domaines ou elle a le plus de prétention : le « soft power » et ladiplomatie. Les réactions à l’article de Robert Kagan paru dansPolicy Review128 sur la puissance américaine et l’impuissance

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125. En septembre 2002, la Com-mission a proposé un ensemble demesures visant à faciliter le transitaprès l’élargissement. Le Conseileuropéen des 24 et 25 octobre àBruxelles est parvenu à un com-promis.

126.Voir Steven Erlanger, «US dis-dain provokes new unity in Eu-rope », International Herald Tribune,22 juillet 2002.

127. Ce sentiment est largementpartagé. Voir la déclaration de Ro-mano Prodi, président de la Com-mission européenne, à ValéryGiscard D’Estaing : « VotreConvention tient entre ses mainsle sort global de l’Europe ».Comme le dit Giscard lui-même :« La Convention européenne estbien, à sa manière modeste, la der-nière chance de l’Europe unie». LaConvention doit faire des proposi-tions institutionnelles et constitu-tionnelles.

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européenne ont montré de l’irritation, et celle-ci était justifiée parla façon étroite avec laquelle la notion de puissance était définie.Mais encore faudrait-il prendre plus sérieusement la part des cri-tiques qui paraît la plus pertinente. Si les deux côtés de l’Atlantiquesont divisés sur l’usage de la force au XXIe siècle, les réserveseuropéennes ne reposent-elles pas au moins en partie sur uneforme de lâcheté qui consiste à laisser les Etats-Unis faire le gen-darme, quitte à les critiquer ? La question la plus importante eneffet est de savoir jusqu’où les Européens seraient prêts à aller dansla défense de leurs valeurs. Prendront-ils des risques, perdront-ilsdes vies ? On oppose souvent l’attitude européenne et américainesur ce point. Est-ce toujours pertinent après le 11 septembre ? End’autres termes, l’Europe est-elle prête à lutter contre les nouvellesformes de terrorisme ?

L’Europe doit préserver ses valeurs contre des logiques sécuri-taires mais aussi contre le terrorisme

Le débat qui a lieu en Europe à l’occasion de la guerre contre le ter-rorisme a fait une place importante aux valeurs qui soutiennent lesdémocraties européennes. Qu’il s’agisse de la mise en place de légis-lations d’exception, du débat sur l’application des Conventions deGenève aux prisonniers Taliban et d’Al-Qaida, de la participation àl’élaboration de fiches de police dans les entreprises, ou de la res-triction des droits de certaines associations religieuses, cette dis-cussion était nécessaire. Le respect des valeurs démocratiques estune des conditions essentielles pour l’accès à l’Union européenne etil importe donc de veiller à sa préservation. Dans un contexte où lestalents populistes semblent souvent avoir l’initiative politiquedans de nombreux pays européens, cette vigilance s’impose plusencore. Ce courant populiste nous rappelle en effet que les vieillesdémocraties occidentales sont plus fragiles qu’on ne le croît sou-vent. L’utilisation à des fins malveillantes des libertés publiques estun des risques permanents des démocraties, qui doivent pouvoir yrésister sans accepter de se défigurer. Mais il faut aussi protéger lessociétés européennes contre la montée de violences auxquelles ellesne pourraient pas résister sans se transformer de façon profonde,qui les rendrait également méconnaissables.

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128. Robert Kagan, « Power andWeakness », Policy Review n. 113,juin-juillet 2002.

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La situation actuelle est propice à une conversion européennesur les questions de sécurité

Cinquante ans après la Seconde Guerre mondiale, plus de dix ansaprès la fin de la guerre froide, il serait temps d’y songer. Cetteconversion devrait d’abord consister à élargir le champ de visionstratégique de l’Europe, trop limitée encore à son environnementimmédiat. Elle devrait ensuite donner une réelle priorité à la pro-tection des populations civiles, qui risquent de plus en plus d’êtremenacées non seulement au sud (par les conflits interethniques),mais aussi au nord (par les conflits asymétriques). Cela signifie enparticulier que la PESD devra faire une part importante à la défensecivile. Enfin, si les Américains semblent avoir besoin de faire la paixavec un « soft power » qu’ils ignorent aujourd’hui trop souvent, lesEuropéens devraient de leur côté se réconcilier avec l’usage de laforce, s’ils veulent jouer un rôle dans la sécurité internationale duXXIe siècle. Cela est devenu nécessaire même pour combattre cer-taines formes nouvelles de terrorisme international, alors que desattaques terroristes plus classiques étaient jusqu’alors justiciablesdes seules opérations de renseignement et de police. C’est ce qu’asouligné à juste titre le secrétaire britannique à la Défense GeoffHoon en juillet 2002 devant la Chambre des Communes. LesEuropéens doivent donc améliorer les défenses sur le front domes-tique et bâtir une capacité militaire offensive avec des forces plusmobiles, des moyens de projection plus performants, des capacitésde surveillance accrues et des forces spéciales plus intégrées129. EnAfghanistan, les pays Européens ont dû, sans trop y songer, mettreen place une force de stabilisation en seulement quelques semaines,dépassant ainsi de beaucoup les limites géographiques qu’ilsavaient le plus souvent en tête avant les attentats du 11 septembre.Bien qu’ils paraissent encore peu enclins à saisir l’occasion de cesattentats pour revoir leur politique, la probabilité d’engagementsloin du territoire européen augmente et la division du travail avecWashington évolue. Personne n’attend des Européens qu’ils s’oc-cupent seuls de leur sécurité à un horizon prévisible, mais il seraittemps qu’ils en assurent une part plus significative.

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129. Ceci ne résoudra pas ipsofacto les problèmes euro-améri-cains, compte tenu de l’ambiguïtépermanente de Washington surles capacités militaires de l’Eu-rope : plus l’Europe prendra d’ini-tiatives, plus Washington devien-dra soupçonneux. Maisl’Amérique ne prendra l’Europeau sérieux qu’à la conditionqu’elle existe aussi sur le plan mili-taire et la sécurité européenneexige des Européens une contribu-tion plus importante à l’heure oùles défis asiatiques sont si nom-breux pour l’Amérique. La gravecrise nord-coréenne ouverte enoctobre 2002 en est un nouveaurappel.

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Conclusion : Dix leçons du11 septembre

1. La privatisation de la violence a atteint un degré tel que le phé-nomène présente un défi de nature stratégique et non seule-ment sociétal ou tactique

A partir du moment où des milliers de morts peuvent être victimesd’attaques terroristes dans les grandes métropoles, le phénomènedu terrorisme change de nature. Il ne peut plus simplement êtretraité avec des agents de renseignement et des policiers, commel’Europe l’a fait, souvent avec succès, pendant des décennies. Celaest encore plus vrai, naturellement, si les attaques peuvent incluredes armes de destruction massive, une menace réelle et très peucomprise en Europe : les attaques terroristes non conventionnellesfont à présent partie non des simples possibilités, mais des proba-bilités. Elles s’inscrivent dans la montée de la violence que l’onobserve au début du XXIe siècle. Cette novation doit être pleine-ment reconnue dans les capitales européennes.

2. Pour la première fois, une intervention militaire est jugéenécessaire pour répondre à une attaque terroriste

C’est une conséquence de la réalité précédemment décrite. Cettenécessité a été reconnue au Conseil de sécurité et à l’Assembléegénérale des Nations unies en septembre 2001 par l’ensemble de lacommunauté internationale. L’Europe n’en a pas tiré suffisam-ment de conséquences, au niveau collectif ou individuel. Que seserait-il passé si une attaque du même type avait eu lieu dans unecapitale européenne ? Aurait-il fallu dépendre entièrement desmoyens et de la volonté américaine ? Et que se serait-il passé si lesEtats-Unis étaient déjà impliqués dans un conflit où des intérêtspropres étaient en jeu ? Quels auraient été les moyens de rétorsiondes Européens, sans capacité d’accès significative à la base même dupouvoir terroriste ? On ne peut accepter de se trouver dans la mêmesituation d’impuissance dans dix ans.

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Le terrorisme internationalet l’Europe

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3. La mondialisation de l’insécurité signifie qu’on ne peutrépondre à la nouvelle menace qu’avec une vision globale et avecune coopération globale

L’Europe manque aujourd’hui de l’une comme de l’autre. En prin-cipe, l’élargissement de l’Union européenne, qui va rapprocherl’Europe de l’Asie, et tout spécialement de l’Asie centrale, devraitconstituer l’occasion d’une révision des intérêts de sécuritéeuropéens et d’une plus grande curiosité pour les affaires asia-tiques. L’Europe n’est plus au centre de l’échiquier mondial etcraint sa marginalisation – par manque de capacités – mais elle doitsurtout retrouver une vision du monde et de ses responsabilitésglobales, qu’elle a perdu dans la deuxième partie du XXe siècle enraison des événements tragiques auxquels elle a dû faire face.Depuis le 11 septembre, les crises régionales n’ont pas changé denature, mais leur gravité potentielle a augmenté de façon exponen-tielle. L’Europe ne peut être insensible à cette évolution. La crisenord-coréenne est la meilleure occasion de le rappeler.

4. La puissance militaire, qui protège les pays occidentaux d’at-taques directes d’autres Etats, ne les protège pas d’attaques ter-roristes sur leur sol

Au moment même où l’Europe se dote de capacités de projection, leterritoire national est à nouveau vulnérable. La guerre froide avaitfait peser une menace majeure sur le territoire européen, mais enraison précisément de l’énormité de la menace, la guerre paraissait« improbable », et avait été déportée vers la périphérie. Elle tendpeut-être à présent à revenir au centre. La protection des popula-tions civiles, longtemps délaissée au profit de la protection desseuls soldats, doit devenir une priorité130. La dissuasion nucléaire asans doute joué un rôle majeur dans les calculs de l’ex-URSS, maisquel que soit le jugement des différents observateurs sur cette ques-tion, il est sûr qu’elle n’en jouera aucun dans ceux des réseaux ter-roristes. La protection doit donc à présent prendre toute sa placedans les politiques de défense. Le retour de la vulnérabilité desnations occidentales est en effet surtout celle de leurs populationsciviles.

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Le terrorisme international et l’Europe

130. La nouvelle loi de program-mation militaire de la France, ren-due publique en septembre 2002,et qui comporte une augmenta-tion significative des crédits af-fectés à la défense, n’a consacréqu’une très faible part de cet effortà la défense civile, alors que la pro-tection des forces pour faire face àdes attaques non convention-nelles, est améliorée.

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5. Les conséquences pour les politiques de défense sont nom-breuses

Développer les capacités de renseignement et d’alerte ; accroître levolume et la qualité des forces spéciales ; mettre en place des pro-grammes de défense civile, particulièrement dans le domaineNRBC ; protéger les installations critiques ; accroître le volume del’effort consenti en matière de missiles antimissiles. Dans ce der-nier domaine, la défense contre les missiles de croisière, jusqu’alorssecondaire, devient beaucoup plus importante qu’elle ne l’étaitavant le 11 septembre. C’est même un des domaines de collabora-tion potentiels importants avec les Etats-Unis, qui n’avaient pasmis la priorité sur ce point avant les attentats. La réalisation que lesavions de ligne étaient utilisés comme des missiles de croisière acontribué à réveiller les esprits.

6. Les Européens pourraient jouer un rôle utile aux côtés desEtats-Unis, pour peu qu’ils abandonnent leur passivité

Un des facteurs principaux qui encourage l’unilatéralisme améri-cain est la faiblesse de la présence de l’Europe sur la scène interna-tionale. Les Européens contribuent ainsi à encourager le trait qu’ilsdisent le plus déplorer131. Compte tenu de l’intensité du débat quise poursuit aux Etats-Unis sur tous les grands sujets de politiqueinternationale, y compris au Congrès, les Européens pourraientavoir une influence réelle, pourvu qu’ils proposent des solutionsaux principaux problèmes de sécurité au lieu de se contenter de cri-tiquer la politique de l’administration Bush. Un bon début pour-rait être un plan crédible d’inspections internationales en Irak etune réponse concertée au chantage de la Corée du nord.

7. Dans la guerre des idées qui est engagée, les pays occidentauxsont mal armés pour faire face à une pensée radicale

Les Européens sont peut-être plus démunis encore que les Améri-cains parce qu’ils sont plus sceptiques. L’importance des facteursidéologiques et religieux resurgit sur la scène internationale au

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Conclusion : Dix leçons du 11 septembre

131. En outre, les déclarations duchancelier Schröder sur la « voieallemande », pendant la cam-pagne électorale, peuvent diffici-lement passer pour une illustra-tion du choix des pays européensen faveur du multilatéralisme.C’est au contraire une positionclairement unilatérale de l’Alle-magne, comme Alain Juppé l’asouligné.

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moment où l’idéologie semblait avoir quitté l’hémisphère nordavec la dissolution de l’ex-URSS. Le spectre d’une menace quiéchappe à toute forme de rationalisation et qui ne repose que surl’exercice de la violence interdit en outre la mise en œuvre d’un pro-cessus de négociation auquel les Européens accordent souvent leurfoi. Si la montée aux extrêmes est immédiate, sans préavis, commele 11 septembre l’a montré, le processus politique est condamnéd’avance. Par quoi le remplacer ?

8. L’intégration des communautés musulmanes en Europe doitêtre vue avec un degré de plus grande urgence

Le nombre de musulmans est appelé à augmenter en Europe dansles vingt prochaines années sous la pression de leurs pays d’originedont les projections économiques – et politiques – sont peu encou-rageantes. Seules des politiques d’intégration réussies permettrontd’éviter des explosions sociales notamment dans les mégapoleseuropéennes. L’Europe, qui a souvent considéré ses immigréscomme une force de travail temporaire, pourrait beaucoupapprendre sur ce plan des Etats-Unis, où les immigrés ont toujoursété perçus comme une chance pour le pays.

9. Le 11 septembre 2001 est un symbole et un avertissement

Il faut savoir comprendre le symbole et entendre l’avertissement.En juillet 2002, Peter Gridling, qui a pris la tête d’Europol, a déclaréque presque tous les pays européens avaient encore sur leur sol desmembres d’Al-Qaida et que l’organisation continuait de recrutermalgré dix mois de lutte intense contre le réseau. L’ennemi auquelon a affaire change sans cesse de forme et se reconstitue après laprise de Kaboul et la fin des Taliban. Il ne renonce pas pour autantà ses plans. Une partie de sa reconstitution se fait dans les Balkanset sur le territoire européen. L’Europe se trouve ainsi, volens nolens,au cœur des opérations de prévention pour les prochaines années.L’Europe est-elle prête à faire face à cette épreuve ou a-t-elle choiside l’ignorer ? Elle devrait se souvenir que la faiblesse finit toujourspar se payer, le plus souvent très cher.

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Le terrorisme international et l’Europe

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10. Le paysage international est en train de se recomposer.Quelle sera la place de l’Europe dans cet ensemble ?

La réponse à cette question ne paraît pas très optimiste aujour-d’hui, malgré les atouts exceptionnels dont dispose l’Europe, entout premier lieu d’être une des rares zones de paix et de prospéritéd’un monde par ailleurs agité de convulsions. Il ne suffira pas defaire appel aux bons sentiments, à la communauté internationaleet à ses forums pour résoudre les questions posées par les nouvellesformes de terrorisme. Un bon début serait d’obtenir des capitaleseuropéennes qu’elles acceptent d’analyser ensemble les conditionsde la sécurité de l’Europe dans ce nouveau contexte, en acceptantd’en aborder tous les aspects. Il serait également préférable d’éviterde trop disperser les déclarations politiques des dirigeantseuropéens à un moment où l’influence de l’Europe recule sur lascène internationale. Enfin, sur la question du terrorisme interna-tional qui fait l’objet de cet essai, il faut espérer qu’une catastrophesur le sol européen ne sera pas indispensable pour réveiller l’Europede son sommeil actuel.

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Conclusion : Dix leçons du 11 septembre

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a1annexesSigles

ABM Défenses antimissiles balistiquesAFP Agence France PresseAIEA Agence internationale de l’énergie atomiqueAWACS Système aéroporté d’alerte et de surveillanceCIG Conférence intergouvernementaleCTR Cooperative Threat ReductionDST Direction de la surveillance du territoireETA Organisation séparatiste basque espagnoleEU Union européenneFBI Federal Bureau of InvestigationFIS Front islamique du SalutG8 Groupe des huit pays les plus industrialisésGIA Groupe islamique arméGIGN Groupe d’intervention de la gendarmerie nationaleGRAPO Groupe de Résistance antifasciste du premier octobreGSPC Groupe salafiste de prédication et de combatISAF Force internationale d’assistance à la sécuritéKFOR Force de sécurité internationale au KosovoNBC Nucléaire, biologique et chimiqueONU Organisation des Nations uniesOSCE Organisation pour la Sécurité et la Coopération en EuropeOTAN Organisation du Traité de l’Atlantique NordSFOR Force de stabilisationTNP Traité sur la non-prolifération des armes nucléairesUNMOVIC Commission de contrôle, de vérification et d’inspection des

Nations unies (COCOVINU)URSS Union des républiques socialistes soviétiques

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24 décembre 1994 :quatre terroristes prennent les passagers d’un vol Paris-Alger en otage, avec l’intentionde faire tomber l’avion sur Paris. Echec grâce à une intervention du GIGN à Marseille,où l’avion avait finalement été détourné.

25 juillet, 17 août et 6 octobre 1995 :trois attentats à la bombe à Paris, qui font au total 7 morts et 150 blessés.

juin 1998 :tentative d’attentat à l’occasion de la coupe mondiale de football à Paris. Près de 100arrestations au sein du GIA ont eu lieu en mai 1998.

décembre 2000 :double tentative d’attentat à Strasbourg.

janvier 2001 :tentative d’attentat contre l’ambassade des Etats-Unis à Rome.

juillet 2001 :tentative d’attentat contre l’ambassade des Etats-Unis à Paris.

24 décembre 2001 :tentative d’attentat sur un vol Paris-Miami (Richard Reid).

11 avril 2002 :attentat contre la synagogue d’El Ghriba à Djerba (21 morts, dont une majorité detouristes allemands).

8 mai 2002 :attentat à Karachi contre un bus transportant des techniciens de la Direction desChantiers navals de Cherbourg (14 morts dont 11 Français).

mai 2002 :préparation d’un attentat contre la cathédrale de Bologne.

Attentats ou tentatives d’attentats sur le sol européen ou contre des intérêts

européens à l’étranger

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29 août 2002 :arrestation d’un citoyen suédois lors de l’embarquement pour un vol Stockolm-Londres. Son intention aurait été que l’avion s’écrase sur un bâtiment officiel. Ce casfait l’objet de controverses.

septembre 2002 :tentative d’attentat contre une base militaire américaine à Heidelberg, prévu pourl’anniversaire du 11 septembre par un partisan présumé d’Oussama ben Laden.

6 octobre 2002 :attentat contre le pétrolier français Limburg dans les eaux territoriales du Yémen.

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Le terrorisme international et l’Europea2

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Cahiers de Chaillot

n°55 Quel modèle pour la PESC ? octobre 2002Hans-Georg Ehrhart

n°54 Etats-Unis : l’empire de la force ou la force de l’empire ? septembre 2002Pierre Hassner

n°53 Elargissement et défense européenne après le 11 septembre juin 2002Jiri Sedivy, Pal Dunay et Jacek Saryusz-Wolski ;sous la direction de Antonio Missiroli

n°52 Les termes de l’engagement : le paradoxe de la puissance américaine mai 2002et le dilemme transatlantique après le 11 septembreJulian Lindley-French

n°51 De Nice à Laeken : Les textes fondamentaux de la défense européenne avril 2002réunis par Maartje Rutten, Volume II

n°50 Quel statut pour le Kosovo ? octobre 2001Dana Allin, Franz-Lothar Altmann, Marta Dassu, Tim Judah, Jacques Rupnik et Thanos Veremis ; sous la direction de Dimitrios Triantaphyllou

n°49 Elargissement : une nouvelle OTAN octobre 2001William Hopkinson

n°48 Nucléaire : le retour d'un Grand Débat juillet 2001Thérèse Delpech, Shen Dingli, Lawrence Freedman, Camille Grand, Robert A. Manning,

Harald Müller, Brad Roberts et Dmitri Trenin ; sous la direction de Burkard Schmitt

n°47 De Saint-Malo à Nice : les textes fondateurs de la défense européenne mai 2001Réunis par Maartje Rutten

n°46 Le Sud des Balkans : vues de la région avril 2001Ismail Kadare, Predrag Simic, Ljubomir Frckoski and Hylber Hysa ;sous la direction de Dimitrios Triantaphyllou

n°45 L'intervention militaire et l'Union européenne mars 2001Martin Ortega

n°44 Entre coopération et concurrence : janvier 2001le marché transatlantique de défenseGordon Adams, Christophe Cornu et Andrew D. James ; sous la direction de Burkard Schmitt

n°43 L'intégration européenne et la défense : l'ultime défi ? novembre 2001Jolyon Howorth

n°42 Défense européenne : la mise en œuvre septembre 2001Nicole Gnesotto, Charles Grant, Karl Kaiser, Andrzej Karkoszka, Tomas Ries, Maartje Rutten, Stefano Silvestri, Alvaro Vasconcelos et Rob de Wijk ;sous la direction de François Heisbourg

n°41 L'Europe et ses boat people : la coopération maritime en Méditerranée juillet 2000Michael Pugh

Tous les Cahiers de Chaillotpeuvent être consultés sur internet :

www.iss-eu.org

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publié par l’Institut

d’Etudes de Sécurité

de l’Union européenne

43 avenue du

Président Wilson

75775 Paris cedex 16

tél.: +33 (0) 1 56 89 19 30

fax: +33 (0) 1 56 89 19 31

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Les événements du 11 septembre 2001 ont ému toute l’Europe,mais n’ont jamais été compris par les Européens pour ce qu’ilsétaient en fait : un retour de la guerre au sein des sociétés les plusdéveloppées. L’émotion a donc assez vite fait place au sentimentqu’il s’agissait là d’un événement isolé, ou du moins qui ne sereproduirait pas à cette échelle. La raison en est d’abord que le11 septembre, même s’il a souvent été perçu comme une attaquecontre le monde occidental dans son ensemble, n’avait pas eu lieuen Europe. C’est aussi le refus, très répandu en Europe, d’accep-ter l’idée que le continent puisse à nouveau avoir à faire face à desérieuses menaces au XXIe siècle, en raison de l’histoire mouve-mentée du siècle précédent. C’est enfin le souci des dirigeantseuropéens de ne pas « effrayer » les populations et de ne pas dur-cir les relations avec les minorités musulmanes résidant en Europe. Pourtant, les tentatives d’attentats n’ont pasmanqué depuis le milieu des années 1990 en Europe ou contredes intérêts et des citoyens européens à l’étranger. Ces attentatstémoignaient de l’apparition d’une nouvelle génération de terro-ristes, différents de ceux dont l’Europe était familière jusqu’alors.Des réseaux terroristes de ce nouveau type continuent de résideren Europe et d’y préparer des attentats malgré quelques cen-taines d’arrestations effectuées depuis septembre 2001. Cesréseaux bénéficient de la grande liberté de circulation et d’ex-pression propre aux pays européens. Ils profitent également del’absence d’un système judiciaire et policier unique. La réactioneuropéenne après les attentats de New York et Washington a per-mis des améliorations réelles dans des domaines clés, mais celles-ci sont encore trop lentes par rapport aux progrès effectués parles terroristes et à la sophistication croissante de leurs connais-sances et de leurs moyens, y compris dans le domaine des armesde destruction massive. En novembre 2002, plusieurs grandescapitales ont cru nécessaire d’alerter la population sur desrisques d’attentats de grande ampleur, comme pour rappeler que,contrairement à une opinion reçue, l’Europe est désormais aussiexposée que l’Amérique.