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1 Université de Nantes Faculté de Droit et des Sciences Politiques Master - Recherche en Droit Social - Le suivi individuel des salariés en matière de santé et sécurité par le médecin du travail Présenté par Marion Plançonneau, Sous la direction de Monsieur Franck HEAS Année Universitaire 2010-2011

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Page 1: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

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Université de Nantes

Faculté de Droit et des Sciences Politiques

Master - Recherche en Droit Social -

Le suivi individuel des salariés en matière

de santé et sécurité par le médecin du

travail

Présenté par Marion Plançonneau,

Sous la direction de Monsieur Franck HEAS

Année Universitaire 2010-2011

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Page 3: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

Université de Nantes

Faculté de Droit et des Sciences Politiques

Master - Recherche en Droit Social -

Le suivi individuel des salariés en matière

de santé et sécurité par le médecin du

travail

Présenté par Marion Plançonneau,

Sous la direction de Monsieur Franck HEAS

Année Universitaire 2010-2011

Page 4: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

REMERCIEMENTS :

A Monsieur Franck HEAS, pour m’avoir

proposé ce sujet ainsi que pour ses précieux

conseils.

Aux professionnels que j’ai eu l’occasion de

rencontrer afin d’enrichir mon propos,

Monsieur Sylvain FORTINEAU, président de

l’AMEBAT et le Docteur Catherine DE

LANSALUT, médecin du travail.

A l’ensemble de mes proches, ainsi qu’aux

membres de mon équipe de stage, pour leur

patience, leur compréhension, ainsi que leur

soutien.

Page 5: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

TABLE DES ABREVIATIONS :

Accident du Travail et maladies professionnelles ................................................ AT/MP.

Bulletin Civil .......................................................................................................... Bull.civ.

Contrat de travail à durée déterminée .................................................................... CDD.

Contrat de travail à durée indéterminée ...................................................................CDI.

Conseil d’Etat ............................................................................................................... CE.

Collection ................................................................................................................... Coll.

Comité d’Hygiène de sécurité et des conditions de travail .................................. CHSCT.

Cour de Cassation (chambre civile) .................................................................... Cass.Civ.

Cour de Cassation (chambre criminelle) ........................................................ Cass. Crim.

Cour de Cassation (chambre sociale) ............................................................... Cass. Soc.

Cour de Justice des Communautés Européennes .................................................... CJCE.

Dossier médical en santé au travail ...................................................................... DMST.

Dossier médical personnel ...................................................................................... DMP.

Droit Social ............................................................................................................ Dr.soc.

Edition ......................................................................................................................... Ed.

Intervenant en prévention des risques professionnels .......................................... IPRP.

Journal Officiel ............................................................................................................ J.O.

Librairie générale de droit et de jurisprudence ...................................................... LGDJ.

Mutualité sociale agricole ........................................................................................MSA.

Organisation Internationale du Travail ......................................................................OIT.

Organisation Mondiale de la Santé ......................................................................... OMS.

Page ............................................................................................................................... p.

Semaine juridique, édition générale ....................................................................... JCP E.

Semaine juridique, édition sociale .......................................................................... JCP S.

Semaine sociale lamy ................................................................................ Sem.soc.lamy.

Surveillance médicale renforcée .............................................................................. SMR.

Revue de droit du travail ...........................................................................................RDT.

Page 6: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

6

SOMMAIRE

INTRODUCTION : ..................................................................................................................................... 1

PARTIE 1 – LES ACTEURS DE LA PREVENTION EN MATIERE DE SANTE ET DE SECURITE AU TRAVAIL :

............................................................................................................................................................... 12

TITRE 1 - La diversité des acteurs en matière de prévention des risques professionnels :................ 13

Chapitre 1- Les obligations des parties au contrat de travail en tant que moyen contribuant à l’essor

de la prévention : ................................................................................................................................... 14

Chapitre 2- La santé et la sécurité au travail une préoccupation d’ordre collectif nécessitant la

coordination des acteurs : ..................................................................................................................... 25

TITRE 2- Le rôle spécifique du médecin du travail en matière de prévention : ................................. 35

Chapitre 1- Le suivi médical individuel préventif des salariés par le médecin du travail : un

particularisme du dispositif français de prévention : ........................................................................... 37

Chapitre 2- La mise en œuvre du suivi individuel par le biais des examens médicaux : ........................ 46

PARTIE 2 : LA NECESSAIRE ADAPTATION DU DISPOSITIF DE PREVENTION AFIN DE GARANTIR

L’EFFECTIVITE DE LA SANTE ET DE SECURITE AU TRAVAIL : ................................................................ 59

TITRE 1- Le rôle du médecin du travail face aux nouveaux enjeux en matière de santé et de sécurité

au travail : ............................................................................................................................................. 61

Chapitre 1- L’impact des évolutions économiques et sociales sur le suivi individuel :.......................... 62

Chapitre 2- De la préservation de la santé physique à la santé psychique des salariés: ....................... 70

TITRE 2- L’existence de moyens en vue d’optimiser le suivi individuel : ............................................ 77

Chapitre 1- La prise en considération par l’employeur des propositions du médecin du travail : ......... 78

Chapitre 2- Les apports législatifs récents en matière de suivi individuel : ........................................... 87

CONCLUSION : ....................................................................................................................................... 98

Page 7: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

1

INTRODUCTION

1) Approche préliminaire :

a) Le travail une source de souffrance pour l’individu ?

Selon son origine étymologique, le travail serait indissociablement lié à l’idée de

souffrance et de punition. Effectivement, le mot travail est issu du mot latin « tripalium » qui

désigne un instrument de torture à trois pieux, auquel les Romains de l’Antiquité attachaient

les esclaves pour les punir. Cette conception négative du travail intervenant comme une

punition qui vise à infliger à l’individu une certaine forme de souffrance est certes excessive,

néanmoins, elle n’est pas totalement dénuée de sens1.

Si, dans nos sociétés contemporaines le travail est socialement valorisé et envisagé par

certains individus comme une source d’épanouissement, force est de constater, qu’il peut

aussi parfois engendrer des conséquences néfastes à leur encontre : accidents, maladies,

stress, suicides… A juste titre, le travail peut donc être considéré comme une source de

« souffrance », conception qui se justifie par le fait qu’il va demander à la personne qui le

réalise de fournir un effort, mais également, la mobilisation de l’ensemble de ses capacités.

Lors de l’exécution de sa prestation de travail, le salarié juridiquement subordonné2,

va mettre au service de son employeur « ses facultés physiques, intellectuelles, ses

dispositions musculaires, nerveuses et psychiques ce qui peut le mettre en danger par la

fatigue, l’usure, les risques d’accidents ou d’affection »3. Dès lors, il est aisé de comprendre

que le travail puisse causer, à plus ou moins long terme, des altérations à la santé du salarié,

et ce, tant d’un point de vue physique que psychique.

1 SUPIOT (A.), Critique du droit du travail, Ed. PUF, Coll. « Quadrige », 2002. 2 Cass. Soc, 13 nov. 1996, N° 94-13.187, Sté générale c/ URSSAF de la Haute-Garonne. 3 CHAUMETTE (P.), «Les services sociaux et médicaux du travail, l’essor de l’humain dans l’entreprise », Thèse Droit, Rennes, 30 juin 1981, p.159.

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2

En vertu du lien de subordination juridique, inhérent au contrat de travail, le salarié

n’exerce effectivement qu’un contrôle limité sur les risques pouvant résulter de son activité

professionnelle4, les conditions de travail lui étant imposées par l’employeur. Afin de palier

les altérations éventuelles du travail sur la santé du salarié, une véritable politique de

prévention au sein de l’entreprise va progressivement se développer en France. A cet égard,

la mise en place des services médicaux du travail représente, à notre sens, un exemple

pertinent de la volonté de préserver la santé du salarié contre les risques résultant de son

activité professionnelle, et donc, dans une certaine mesure, de lui éviter toutes formes de

souffrance qui seraient liées à l’exercice de sa prestation de travail.

b) Approche globale du rôle du médecin du travail :

Les services médicaux du travail, aujourd’hui dénommés les services de santé au

travail5, exercent une action préventive en matière de santé et de sécurité des salariés à

plusieurs niveaux. Ils sont principalement diligentés par le médecin du travail, qui en est

l’acteur central6. Selon les dispositions légales, « le rôle du médecin du travail est

exclusivement préventif. Il consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du

fait de leur travail, notamment en surveillant leurs conditions d’hygiène au travail, les risques

de contagion et leur état de santé »7. En tant que conseiller de l'employeur, des salariés et

de leurs représentants en matière de santé et de sécurité, le médecin du travail est titulaire

de missions diversifiées. Son rôle s’exerce principalement selon deux axes complémentaires.

D’une part, le médecin du travail est tenu d’assurer une surveillance médicale des

salariés. Cette surveillance se traduit par l’exercice d’examens médicaux individuels ayant

pour objectif de déterminer l’aptitude du salarié, c'est-à-dire, l’adéquation entre son état de

santé et les exigences du poste de travail occupé. D’autre part, suite à l’identification des

risques professionnels au sein de l’entreprise et face aux différents constats opérés, le

médecin du travail doit mener une intervention sur le milieu du travail.

4 Article L.4131-1 du Code du travail. 5 Loi de Modernisation sociale N° 2002-73 du 17 janvier 2002. 6 Article L.4622-2 du Code du travail. 7 Article L.4622-3 du Code du travail.

Page 9: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

3

Ainsi, il devra mettre en place des actions dans le but d’améliorer les conditions de

travail, telles que, par exemple, formuler des propositions relatives à la transformation des

postes de travail8. Si le médecin du travail assure une mission préventive en matière de

santé et de sécurité au sein de l’entreprise, il est de prime abord indispensable de s’attarder

sur la signification de ces notions.

c) Les notions de santé et de sécurité au travail :

La notion de sécurité peut s’entendre comme « l’absence de risques d’accident ». En

tant que notion « précise et objective », si elle ne pose pas de difficultés majeures

d’appréhension, de part sa dimension individuelle et subjective, la notion de santé est, en

revanche, beaucoup « plus propice aux glissements sémantiques »9. Selon la définition de

l’OMS, la santé peut être considérée comme un « état de complet bien-être physique, mental

et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité »10. A la

lumière de cette définition, la santé recouvre ainsi un large domaine, et à cet égard, le rôle

du médecin du travail qui consiste à en éviter les altérations ne va pas toujours être aisé à

mettre en œuvre.

Cela s’explique par le fait, qu’en fonction des spécificités physiques ou psychiques de

chaque individu, les effets du travail sur la santé peuvent être variables selon la résistance et

la capacité d’adaptation des personnes. Par exemple, sur un plan physique, les femmes

enceintes, les salariés mineurs ou bien encore les salariés handicapés, considérés comme

vulnérables, sont soumis à une surveillance médicale renforcée par le médecin du travail.

Sur un plan psychique, les effets du travail sur la santé peuvent également différer en

fonction des salariés, dans la mesure où l’état de santé fait appel à la perception de chaque

individu. Dès lors, face à une situation de stress au travail, deux salariés ne vont pas

nécessairement réagir de la même manière. De plus, l’état de santé du salarié peut être

délicat à évaluer pour le médecin du travail étant donné qu’il peut résulter de « facteurs très

divers et pour partie extérieurs à la relation de travail »11.

8 Article L.4624-1 du Code du travail. 9 MARTINEZ (J.), « Les mouvements d'extension du droit de la santé au travail », JCP S, n° 16, 14 Avril 2009, 1170. 10 Définition du préambule de 1946 à la Constitution de l'Organisation Mondiale de la Santé. 11 MARTINEZ (J.), « Les mouvements d'extension du droit de la santé au travail », JCP S, n° 16- 14, Avril 2009, 1170.

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4

Effectivement, en tant que composante individuelle de la personne, l’état de santé

se manifeste, à la fois au sein de la relation professionnelle, mais aussi, dans le cadre de la

vie personnelle du salarié.

La santé et la sécurité au travail, aujourd’hui affirmée comme une valeur

fondamentale, tant au niveau international, communautaire, que national, est une

problématique au cœur des préoccupations juridiques actuelles comme en témoigne, à ce

propos, l’existence de nombreux textes ayant trait à ce domaine. Dans le cadre de ces

travaux, l’Organisation Internationale du Travail a, par exemple, adopté une multitude de

conventions à caractère général en matière de santé et de sécurité au travail12, mais

également, de recommandations ayant pour objectif de protéger les salariés contre des

risques professionnels spécifiques13.

Au niveau communautaire, l’article 31 de Charte des droits fondamentaux de l’Union

européenne du 7 décembre 2000 met en évidence le droit pour tout travailleur « à des

conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité, sa dignité ». De même, la Directive

89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à

promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail14,

transposée en droit interne Français, constitue un apport majeur en la matière. En droit

interne, il est possible de citer l’article L.4121-1 du Code du travail au titre duquel

« l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé

physique et mentale des travailleurs ». Cette diversité de textes, traduit l’intérêt pour la

problématique des questions relatives à la santé et la sécurité des salariés au sein de

l’entreprise.

12 Convention OIT N°187 sur le cadre promotionnel pour la sécurité et la santé au travail, Convention OIT N°155 sur la sécurité et la santé des travailleurs, convention N° 161 sur les services de santé au travail. 13 Convention OIT N°115 sur la protection contre les radiations, Convention N°139 sur le cancer professionnel, Convention N° 148 sur le milieu de travail (pollution de l’air, bruit et vibrations). 14 Directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, J.O n° L 183 du 29/06/1989 p. 0001- 0008.

Page 11: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

5

Elle conforte ainsi avec justesse l’idée selon laquelle : « si le salarié a l’obligation de

fournir sa prestation de travail dans un lien de subordination juridique à l’égard de son

employeur, il est reconnu qu’il doit pouvoir le faire dans des conditions, telles que sa santé

physique et mentale ne soient pas menacées »15.

L’employeur, en tant qu’acteur central du dispositif de prévention en matière de

santé et de sécurité au travail16 va devoir s’appuyer sur les connaissances et compétences du

médecin du travail pour concourir à la réalisation de cet objectif. Afin d’identifier avec

précision le rôle actuel du médecin du travail en la matière, il convient d’abord d’envisager

une approche historique de la médecine du travail, ce qui permettra ensuite d’appréhender

ses évolutions postérieures, ainsi que les enjeux et problématiques actuelles sur le sujet.

2) Approche historique :

a) Les prémices d’une réflexion en matière de santé au travail :

Si les services médicaux du travail ont été institués en France par la loi du 11 octobre

1946, la question de la sécurité et de la santé au travail n’est pas véritablement une

préoccupation nouvelle à l’époque. La mise en place des services médicaux résulte en effet

d’un long processus de réflexion et elle s’inspire également d’initiatives de la part de certains

employeurs ou médecins, ayant conscience de la nécessité d’apporter une protection aux

salariés en matière de santé et de sécurité au travail17.

Il est possible d’identifier les prémices d’une réflexion dans ce domaine, dès le

XVIème siècle, par le biais de l’œuvre de Bernardo RAMAZZINI (1633-1714), considéré

comme le fondateur de la médecine du travail. En 1701, il publie un ouvrage intitulé « DE

MORBIS ARTIFICUM DIATRIBA » qui présente les résultats de travaux relatifs aux risques

professionnels du travail artisanal, tels que, par exemple, la toxicité du plomb.

15 BOURGEOT (S.), BLATMAN (M.), L’état de santé du salarié, Ed. Liaison, 2ème édition 2009, Coll. « Droit Vivant », p.1. 16 VERKINDT (P-Y.), « L'obligation de sécurité de résultat... encore et toujours ! ! », Cahiers de droit de l'entreprise, n° 1, Janvier 2011. 17 CHAUMETTE (P.), «Les services sociaux et médicaux du travail, l’essor de l’humain dans l’entreprise », Thèse Droit, Rennes, 30 juin 1981, p.80.

Page 12: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

6

Ce professeur en médecine souhaite améliorer les conditions de travail et il va pour

cela se déplacer directement sur les lieux de travail, ce qui représente un intérêt, dans la

mesure où il apporte son expérience personnelle aux connaissances existantes en la

matière18. Cet ouvrage de référence, dont l’impact sera non négligeable concernant la prise

en compte des questions de santé et de sécurité au travail, sera traduit en Français, par

Antoine-François FOURCROY en 1777.

Diverses réflexions vont ensuite s’articuler durant le XVIIème siècle, autour de la

difficulté des conditions de travail, en particulier, au sein du monde ouvrier. Sur ce point, les

travaux du Docteur Louis René VILLERME vont mettre en évidence le fait que, les conditions

de travail pénibles imposées aux jeunes enfants, peuvent avoir des conséquences

préjudiciables pour leur santé. Directement inspirée de ces travaux, la loi du 22 mars 1841 va

prohiber le travail pour les enfants de moins de huit ans et limiter la durée du travail19. Cette

première loi française sur les conditions de travail, va amorcer une prise de conscience

législative relative au fait que le travail peut engendrer des conséquences néfastes sur la

santé du salarié. Elle traduit également la volonté de réglementer celles-ci.

Cette protection, d’abord mise en place pour des catégories considérées comme

vulnérables, telles que les femmes et les enfants, va ensuite se généraliser. A cet égard,

plusieurs lois iront dans le sens d’une amélioration des conditions de travail. Dans un

premier temps, elles seront principalement axées sur la réduction de la durée du temps de

travail20. Préalablement à la mise en place des services médicaux du travail, il est possible de

constater un certain effort pour prévenir les effets préjudiciables du travail pouvant se

répercuter sur la santé du salarié. Concernant ces interventions législatives, il est toutefois

permis de s’interroger sur leur exacte finalité. A l’époque, les employeurs avaient tendance à

penser qu’en améliorant les conditions de travail cela permettrait une meilleure productivité

des salariés.

18 CHAUMETTE (P.), «Les services sociaux et médicaux du travail, l’essor de l’humain dans l’entreprise », Thèse Droit, Rennes, 30 juin 1981. 19 Loi du 22 mars 1841, Bulletin des Lois, 1841, numéro 795, loi n° 920, Art. II, La durée de travail effectif se limite à 8 heures pour les enfants entre 8 et 12 ans et à 12 heures pour les enfants entre 12 et 16 ans. 20 Loi du 19 mai 1874, Loi du 23 avril 1919.

Page 13: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

7

Même si cette idée apparaît encore pertinente aujourd’hui, l’objectif était ciblé sur

une dimension exclusivement économique, au dépend de l’aspect humain et social, ce qui

s’avère en revanche plus critiquable.

De surcroît, ces lois ayant été adoptées dans un climat propice aux conflits sociaux21,

l’amélioration des conditions de travail peut être davantage envisagée comme un « outil afin

de garantir la paix sociale » que véritablement des mesures ayant pour but de préserver la

santé du salarié.

b) La loi du 9 avril 1898 relative à la réparation des accidents du travail :

L’intérêt pour les questions de santé et de sécurité au travail va ensuite s’accentuer au

XIXème siècle, avec l’apparition de la grande industrie. Du fait de la mécanisation, les

accidents du travail vont se multiplier, ce qui s’explique, notamment, par l’émergence de

nouveaux risques professionnels. Souvent cause de dommages d’ordre physique, tels que

par exemple, la survenance d’une blessure, suite à la mauvaise utilisation d’une machine, un

système de réparation va être mis en place afin que le salarié victime de ce type d’atteinte,

du fait de son travail, puisse prétendre à une indemnisation.

Si la théorie du risque professionnel n’est pas réellement une problématique

nouvelle22, la loi du 9 avril 1898 va instituer un régime de réparation spécifique, fondé sur le

risque, mais aussi, dérogatoire au droit commun de la responsabilité contractuelle. Cette loi

instaure pour l’employeur une responsabilité sans faute et pour le salarié “une certaine

automaticité de la réparation tout en la forfaitisant”23. Dès lors, le salarié victime d’un

accident du travail pourra obtenir la réparation forfaitaire de son préjudice, tout en étant

dispensé d’apporter la preuve d’une faute de son employeur. En outre, la loi du 9 avril 1898,

met en place un mécanisme de présomption d’imputabilité en matière d’accident du travail,

qui va faciliter l’administration de la preuve par le salarié et par conséquent l’indemnisation

de son préjudice.

21 DELLACHERIE (C.), « L’avenir de la médecine du travail », Avis du Conseil Economique et Social, 2008, p.9 22 CE. 21 juin 1895, n° 82490, Cames ; Cass.civ, 21 juin 1986, Veuve Teffaine. 23 VERKINDT (P-Y.), « De la loi du 9 avril 1898 au Plan Santé au travail », Sem. Soc. Lamy, n°1232, 2005, p. 1232-2.

Page 14: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

8

Cette loi illustre une prise en compte législative de l’existence des risques liés à

l’exercice de l’activité professionnelle des salariés, mais surtout, de la nécessité de les

réparer. Dans le même sens, la loi du 25 octobre 1919 va prévoir la réparation des maladies

professionnelles. Ces lois, toujours en vigueur, représentent une avancée non négligeable,

puisqu’elles vont permettre une indemnisation plus aisée des salariés.

Néanmoins, il convient de nuancer leur impact, même si elles vont indéniablement

contribuer à une responsabilisation de l’employeur en matière de santé et de sécurité au

sein de l’entreprise. Effectivement, l’indemnisation du salarié n’intervient qu’après la

survenance du dommage, ces lois sont ainsi plus ciblées sur une optique de réparation, que

sur celle d’une véritable prévention contre la réalisation du risque.

Or, « la certitude de la réparation instaurée par la loi du 9 avril 1898 a conforté l’idée

selon laquelle il n’était pas indispensable de faire les frais et l’effort de mettre en œuvre les

mesures de sécurité dès lors que le dommage de l’homme était réparé ». En ce sens « elle

aurait ruiné la mise en œuvre effective de la prévention des accidents »24. Malgré ces

affirmations, la réparation des AT/MP étant coûteuse pour les employeurs, à notre sens, ces

lois vont avoir une influence incitative sur les aspects préventifs instaurés par la suite,

comme en témoigne la mise en place des services médicaux du travail, fut-elle indirecte.

c) La loi du 11 octobre 1946 : l’institutionnalisation des services médicaux du travail :

Véritable acte fondateur de la médecine du travail, c’est la loi 11 octobre 1946,

reprenant le projet de loi du professeur DESOILLE et le Docteur DESCOMPS, qui institue les

services médicaux du travail. Elle dispose dans son article premier que ces « services seront

assurés par plusieurs médecins qui prennent le nom de médecins du travail et dont le rôle,

exclusivement préventif, consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs, du fait

de leur travail, notamment en surveillant les conditions d'hygiène de travail, les risques de

contagion et l’état de santé des travailleurs ».

24 SARGOS (P.), « L’évolution du concept de sécurité au travail et ses conséquences en matière de responsabilité», JCP G, n° 4, 22 janvier 2003 doc.104.

Page 15: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

9

On peut d’ores et déjà remarquer que les dispositions de cet article, toujours en

vigueur, fixent tant le contenu que les objectifs assignés à la médecine du travail. Elle va

créer une obligation pour les employeurs dans le secteur privé de mettre en place les

services médicaux du travail. Les principes généraux de la médecine du travail posés sont les

suivants : universalité, caractère obligatoire et financement par les employeurs,

spécialisation et indépendance des médecins, respect de la déontologie médicale et

orientation exclusivement préventive de leurs missions.

Si ces principes, à la base du système français de médecine du travail, ont toujours

vocation à s’appliquer, il est possible de constater que depuis leur mise en place en 1946, les

services médicaux du travail ont subi des évolutions, actées par différentes réformes.

3) Approche évolutive :

a) L’impact des différentes réformes :

Régulièrement critiqué depuis la fin des années 1970, de nombreux rapports mettent

en évidence les carences du système de santé au travail : recrudescence et diversification

des maladies professionnelles, démographie préoccupante des médecins du travail du fait

du désintérêt pour le métier, inapplication des dispositions légales relatives au tiers-temps,

« drame de l’amiante »25. Sous l’influence de ces rapports, ainsi que sous l’impulsion de la

directive européenne du 12 juin 198926, la médecine du travail, va évoluer par le biais de

différentes réformes. Transposée en droit français, elle va avoir un impact non négligeable

en matière de santé et de sécurité au travail. A titre d’exemple il est notamment possible de

citer, la loi du 31 décembre 1991, la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 ou bien

encore, le décret du 28 juillet 2004. Ces trois textes, transposent les dispositions de la

directive européenne du 12 juin 1989 et visent à conférer une dimension nouvelle au

système de santé et de sécurité au travail français.

25 Proposition de loi relative à l'organisation de la médecine du travail, Rapport n° 232, 19 janvier 2011, www.senat.fr. 26 Directive 89/391/CEE du Conseil concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail.

Page 16: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

10

De manière générale, il ressort de l’ensemble de ces textes, l’ambition de renforcer la

prévention technique, dite primaire, ce qui se traduit par la volonté d’inscrire l’action du

médecin du travail le plus en amont possible, afin d’éviter la réalisation des risques

professionnels, notamment, par l’identification et l’intervention sur les causes ou les

facteurs de ceux-ci. De même, il est possible de constater le désir d’ancrer la prévention des

risques professionnels dans une démarche plus globale et collective, ce qui se manifeste par

une coordination indispensable de l’ensemble des acteurs au sein de l’entreprise.

En outre, la notion de santé au travail doit désormais s’entendre, non seulement

comme la préservation de la santé physique, mais aussi, de la santé mentale du salarié27. A

cet égard, plusieurs changements vont intervenir : les services médicaux du travail vont être

renommés « les services de santé au travail », par la loi de modernisation sociale du 17

janvier 2002 ; un changement de vocabulaire qui illustre cette volonté d’inscrire la santé au

travail dans une démarche globale et collective. Cette loi va, en outre, introduire la notion de

santé mentale dans le Code du travail. Le décret du 28 juillet 2004, va apporter des

modifications visant à renforcer l’action du médecin du travail sur le milieu du travail,

favoriser la prévention collective par le concours des intervenants en prévention des risques

professionnels, moduler la périodicité des examens médicaux annuels.

Nonobstant l’ensemble des ces mesures, il semble qu’aujourd’hui la réforme de la

médecine du travail soit inachevée, des difficultés persistent et des incertitudes demeurent

concernant son avenir28. Dans un contexte plus récent, la loi du 9 novembre 2010 portant

réforme des retraites, intégrait un projet de réforme des services de santé au travail, dont

un volet important sur la prévention de la pénibilité faisant du médecin du travail un acteur

central de ce dispositif. Lors de l’examen de la constitutionnalité du texte ces dispositions

ont été invalidées par le Conseil constitutionnel, car sans lien avec la réforme des retraites.

Un projet de loi spécifique, reprenant l’intégralité de ces dispositions a été déposé au Sénat

le 10 novembre 2010.

27 LEROUGE (L.), La reconnaissance d'un droit à la protection de la santé mentale en droit du travail, LGDJ, 2005, coll. « Thèses ». 28 AMAUGER-LATTES (M-C.), « Pénurie de médecin du travail et visites médicales obligatoires, quelles responsabilités ? Quelles perspectives ? », Dr. Soc, Avril 2011, p.351.

Page 17: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

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Notre axe de réflexion sera principalement orienté sur le suivi médical individuel des

salariés par le médecin du travail, fondement et aspect original du système français en

matière de santé au travail. Cible de vives critiques, et parfois mis en retrait par une volonté

législative d’ancrer la prévention des risques professionnels dans une démarche plus globale

et collective, cet aspect de la prévention n’est pas pour autant à négliger. Néanmoins, il

semble souhaitable d’adapter ce suivi29, compte tenu des difficultés actuelles : « les acteurs

de la santé au travail que sont les employeurs et les médecins du travail » n’étant « plus en

mesure de respecter les exigences légales actuellement en vigueur »30, ainsi que des

nouveaux enjeux existants en matière de santé et de sécurité au travail.

A ce titre, il conviendra d’envisager de quelle manière le médecin du travail assure-t-il

son rôle de préventeur concernant le suivi individuel des salariés en matière de santé et de

sécurité au travail et dans quelle mesure est-il souhaitable de voir ce rôle évoluer ?

Afin de répondre à cette problématique, nous examinerons, en premier lieu, quels

sont les acteurs intervenant en matière de santé et sécurité au travail ? Il s’agira de mettre

en évidence, les compétences, les responsabilités ainsi que les moyens d’actions, dont ils

disposent dans ce domaine, afin d’assurer l’efficacité de la prévention des risques

professionnels au sein de l’entreprise. Il conviendra d’aborder ensuite le rôle spécifique

occupé par le médecin du travail, en axant plus particulièrement notre propos sur l’intérêt

du suivi médical individuel des salariés, en tant que moyen contribuant à l’essor de la

prévention (Partie 1).

En second lieu, il s’agira d’envisager que, face à l’émergence de nouveaux enjeux en

matière de santé et de sécurité au travail, le rôle du médecin du travail tend à évoluer et doit

nécessairement s’adapter afin d’assurer une prévention effective des risques professionnels.

A cet égard, il conviendra notamment d’examiner les difficultés auxquelles le médecin du

travail peut être confronté, dans la mise en œuvre du suivi individuel des salariés, mais

également, des moyens dont il dispose afin de l’optimiser. Dès lors, notre propos sera

notamment orienté sur les apports de la loi du 20 juillet 2011, relative à l’organisation de la

médecine du travail (Partie 2).

29 WOLMARK (C.), « La médecine du travail est elle menacée ? », RDT, Février 2011, p.86. 30 AMAUGER-LATTES, (M-C.), « Pénurie de médecin du travail et visites médicales obligatoires, quelles responsabilités ? Quelles perspectives ? », Dr. soc, Avril 2011, p.351.

Page 18: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

12

PARTIE 1 – LES ACTEURS DE LA PREVENTION EN MATIERE DE SANTE

ET DE SECURITE AU TRAVAIL :

Afin d’assurer l’efficacité du dispositif de prévention en matière de santé et sécurité

au travail et d’éviter la réalisation du risque professionnel, de véritables moyens existent au

sein de l’entreprise. Cela se caractérise tant par la diversité des acteurs (Titre 1), que par le

rôle spécifique exercé par le médecin du travail en matière de surveillance médicale

individuelle des salariés (Titre 2).

L’originalité du dispositif français repose effectivement sur l’existence d’une double

approche de la prévention qui se traduit à la fois, au niveau individuel, par la mise en œuvre

d’une surveillance médicale de chaque salarié par le médecin du travail, mais également, au

niveau collectif, par la coordination d’un ensemble d’acteurs au sein de l’entreprise.

Sous l’influence de la législation européenne, les récentes réformes illustrent la

volonté de favoriser davantage l’approche globale et collective de la prévention, et ce,

parfois aux dépens de l’approche individuelle. Or, accorder la primauté à l’une ou l’autre des

dimensions ne semble pas pertinent, dans la mesure où cette double approche de la

prévention fonde, au contraire, la « richesse » du dispositif français en matière de santé et

de sécurité au travail. Dès lors, il conviendra d’envisager dans quelle mesure ces deux

approches sont des moyens d’actions complémentaires permettant l’efficacité du dispositif

de prévention.

Page 19: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

13

TITRE 1 - La diversité des acteurs en matière de prévention des risques

professionnels :

A la logique originelle de réparation des risques professionnels mise en place par les

lois du 9 août 1989 et du 25 octobre 1919, tend désormais à se substituer celle de

prévention des risques professionnels. L’objectif de la prévention consiste à anticiper la

survenue du risque professionnel afin d’éviter qu’il ne se réalise. Pour atteindre cette

finalité, il s’avère nécessaire d’identifier, en amont, les facteurs susceptibles d’engendrer des

effets dommageables à l’encontre des salariés, dans le cadre de l’exercice de leur prestation

de travail. C’est en effet l’identification des risques professionnels qui va ensuite permettre

la mise en place de mesures de prévention adéquates au sein de l’entreprise, étant donné,

qu’« il ne peut y avoir de prévention efficace sans connaître les risques dont on veut se

protéger »31.

Se pose alors légitimement la question de savoir quels acteurs vont intervenir en

matière de prévention de la santé et de la sécurité au travail ? C’est en premier lieu,

l’employeur qui occupe une place prépondérante dans ce domaine. Egalement, les salariés,

en tant qu’« acteurs et bénéficiaires de la politique de santé au travail »32, sont tenus de

concourir à la prévention des risques professionnels. En relation avec le médecin du travail, il

conviendra d’aborder le rôle spécifique de ces deux acteurs, compte tenu des obligations qui

leurs incombent (Chapitre 1).

Néanmoins, la mise en œuvre de mesures de prévention relève aussi d’autres acteurs

tels que, par exemple, le Comité d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail ou bien

encore les intervenants en prévention des risques professionnels, parmi lesquels le médecin

du travail occupe un rôle de pivot. Dès lors, bien que le degré de responsabilité varie en

fonction des acteurs concernés, conformément aux ambitions européennes, la prévention

en matière de santé et de sécurité au travail peut être appréhendée comme une véritable

préoccupation d’ordre collectif nécessitant la coordination de tous (Chapitre 2).

31 CARON (V.), « Quel bilan pour le document unique », Sem. Soc. Lamy, n°1232, 17 Octobre 2005. 32 DELLACHERIE (C.), « L’avenir de la médecine du travail », Avis du Conseil Economique et Social, 2008, p.7.

Page 20: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

14

Chapitre 1- Les obligations des parties au contrat de travail en tant que moyen

contribuant à l’essor de la prévention :

La prévention en matière de santé et de sécurité au travail concerne, dans un premier

temps, les parties au contrat travail ce qui peut s’expliquer par le fait que les dispositions

légales confèrent, à l’employeur et aux salariés, le respect d’une obligation de sécurité dans

ce domaine. Ensuite, puisque, corrélativement aux compétences spécifiques du médecin du

travail en matière de santé et de sécurité au travail, il est permis de penser que,

représentant l’échelon le plus proche du risque professionnel, les parties au contrat sont

aussi les mieux à même d’en avoir connaissance.

D’une part, si l’employeur occupe une place prépondérante au cœur du dispositif de

prévention, cela se justifie par l’existence du lien de subordination juridique inhérent au

contrat de travail33. Doté d’importantes responsabilités en matière de santé et de sécurité

au travail, il doit mettre en place des actions préventives au sein de l’entreprise. Sous

l’impulsion, tant du droit européen, que de la jurisprudence interne, force est d’observer

que l’obligation de sécurité à la charge de l’employeur tend à évoluer et à devenir de plus en

plus stricte et précise en vue d’assurer une véritable effectivité de la sécurité et de la santé

au profit des salariés. A ce titre, la directive Européenne n°89/391/CEE du 12 juin 1989,

énonce, par exemple, dans son article 5 que « l’employeur est obligé d’assurer la sécurité et

la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail » (Section 1).

D’autre part, si l’obligation de sécurité de l’employeur dans ce domaine semble bien

ancrée dans le contentieux judiciaire, concernant en revanche l’obligation de sécurité du

salarié, ses effets sont plus relatifs. Dès lors, il conviendra d’envisager l’existence d’un

principe de « participation équilibrée » entre les parties aux contrats, introduit par la

directive européenne du 12 juin 1989 (Section 2).

33 Cass. Soc, 13 novembre 1996, N° 94-13.187, Sté générale c/ URSSAF de la Haute-Garonne.

Page 21: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

15

Section 1. Le rôle de l’employeur en tant qu’acteur central du dispositif :

En parallèle de l’action menée par le médecin du travail, l’employeur, titulaire de

véritables obligations en matière de santé et de sécurité au travail34, peut être considéré

comme l’acteur central du dispositif de prévention. La mise en place de mesures de

prévention dans ce domaine, repose principalement sur celui-ci, ce qui s’explique tout

d’abord compte tenu des enjeux en cause. D’un point de vue économique tout d’abord, les

AT/MP sont coûteux puisqu’ils engendrent l’augmentation du taux de cotisations dont les

employeurs sont redevables. De plus, les accidents du travail et les maladies professionnelles

peuvent conduire à la perte d’un personnel de qualité et occasionner des coûts en matière

de formation professionnelle pour le chef d’entreprise. D’un point vue organisationnel

ensuite, les absences répétées du salarié pour cause d’accidents ou de maladies peuvent

perturber le fonctionnement de l’entreprise35. Compte tenu de ces divers enjeux, au-delà

des obligations légales qui lui incombent, il est donc dans l’intérêt de l’employeur, de mettre

en place des mesures de prévention efficaces au sein de son entreprise, afin d’éviter la

réalisation du risque professionnel.

§1. La mise en œuvre de la prévention des risques professionnels :

Concernant la mise en œuvre de la prévention, l’employeur doit dans un premier

temps s’assurer du respect des dispositions législatives et réglementaires en matière de

santé et de sécurité au travail. Néanmoins, le simple respect de ces dispositions s’avère

insuffisant, l’employeur qui, en vertu des dispositions légales doit prendre « les mesures

nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des

travailleurs »36. En coordination avec d’autres intervenants, en particulier le médecin du

travail et le CHSCT, l’employeur est également tenu de procéder à une évaluation des

risques professionnels, mais également, de définir une politique de prévention adéquate au

sein de l’entreprise. A cette fin, il devra s’inspirer des principes généraux de prévention

résultant de la loi no 91-1414 du 31 décembre 1991, issue de la transposition de la directive

cadre n°89/391/CEE du 12 juin 1989.

34 MORVAN (P.), « Sécuritas omnia corrumpit ou le principe selon lequel il incombe à l’employeur de protéger la sécurité et la santé des travailleurs », Dr.soc, N°6 juin 2007, p.674. 35 TEYSSIE (B.), « Sur la sécurité dans l’entreprise », Dr. Soc, N°6 juin 2007, p.671. 36 Article L.4121-1 du Code du travail.

Page 22: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

16

A. L’information et la formation des salariés :

Diverses mesures vont alors être mises en œuvre par l’employeur, notamment des

actions de prévention des risques professionnels, d’information et de formation des

salariés37. L’information des salariés peut concerner, par exemple, les modalités d'accès au

document unique d'évaluation des risques38, le rôle du service de santé au travail et, le cas

échéant, des représentants du personnel en matière de prévention des risques

professionnels. Cette information peut être transmise par l’employeur selon diverses

modalités : réunion d'information, note individuelle adressée aux salariés, affichage39.Le

chef d’établissement est également tenu d’organiser une formation pratique et appropriée à

la sécurité au bénéfice, par exemple, des travailleurs qu'il embauche ou bien à la demande

du médecin du travail, au profit des travailleurs qui reprennent leur activité après un arrêt

de travail d'une durée d'au moins vingt et un jours40. Il est d’ailleurs utile de relever que le

médecin du travail sera associé à l'élaboration des actions de formation à la sécurité et à la

détermination du contenu de l'information dispensée aux salariés41. Ces deux types de

mesures représentent, à notre sens, un moyen efficace de faire du salarié, par l’accès à la

connaissance des risques, un acteur du dispositif de prévention.

B. Une démarche d’évaluation des risques :

Concernant l’évaluation des risques, depuis un décret du 5 novembre 200142, les

employeurs doivent recenser les risques existants au sein de l’entreprise, évaluer leur

gravité, leur probabilité de survenue, les résultats de cette démarche étant transcrits dans le

document unique. Ayant « pour ambition d’aider les employeurs à structurer leur démarche

de prévention » 43, le document unique est un moyen qui permet de mettre en évidence le

respect par l’employeur de son obligation légale d’inventorier et d’évaluer les risques

professionnels et par conséquent de chercher les solutions d’évitement de ceux-ci.

37 Article L.4121-1 du Code du travail. 38 Article R.4121-1 du Code du travail. 39 GACIA (N.), « La gestion préventive des risques en matière de sécurité et de santé au travail », JCP S, n° 11, 10 Mars 2009, 1110. 40 Article L.4141-2 du Code du travail. 41 Article R.4141-6 du Code du travail. 42 Décret n° 2001-1016 du 5 novembre 2001. 43 CARON (V.), « Quel bilan pour le document unique », Sem. Soc. Lamy, n°1232, 17 Octobre 2005, p. 75.

Page 23: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

17

A partir du document unique, l’employeur doit également élaborer un programme

annuel de prévention des risques professionnels qui doit fixer la liste détaillé des mesures

devant être prises, au cours de l’année à venir, afin de satisfaire notamment aux

prescriptions figurant dans les principes généraux de prévention. La mise en place de

l’évaluation des risques par l’employeur constitue une étape préalable indispensable dans la

démarche de prévention. Située en amont de la réalisation du risque, elle traduit une

approche résolument nouvelle de la sécurité et de la santé au travail induite par la directive

cadre du 12 juin 1989. L’évaluation des risques illustre la volonté d’une transition d’un

système de santé qui se contente de repérer l’éventualité d’une maladie et ses

conséquences pour l’aptitude d’un individu, vers un renforcement de la prévention primaire

qui consiste à anticiper la réalisation du risque44.

De surcroît, en cas de contentieux, c'est-à-dire si le risque professionnel se réalise, la

mise en place des mesures précitées sera un moyen efficace pour le chef d’entreprise

d’apporter la preuve qu’il a respecté le devoir de prévention qui lui incombe, en vertu de

l’obligation de sécurité résultat, dont il est titulaire.

§2. Une responsabilisation croissante de l’employeur en matière de prévention des risques

professionnels :

Face à une responsabilisation croissante de l’employeur, en matière de santé et de

sécurité au travail, se traduisant par l’émergence de nombreux contentieux ayant trait à ce

domaine, la mise en œuvre de mesures de prévention s’avère d’autant plus indispensable.

A. L’extension du domaine de l’obligation de sécurité résultat :

Effectivement, depuis une série d’arrêts du 28 février 200245, il est de droit constant «

qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci

d'une obligation de sécurité de résultat » en matière de protection de la santé et de la

sécurité. En l’espèce, plusieurs salariés victimes de maladies professionnelles, contractées

suite à une exposition à l’amiante, avaient intenté un recours contre leurs employeurs afin

d’obtenir une indemnisation de leur préjudice.

44 AUBIN (C.), PELISSIER (R.), DE SAINTIGNON (P.), VEYREY (J.), CONSO (F), FRIMAT (P.), « Rapport sur le bilan de réforme de la médecine du travail », Octobre 2007, p.10. 45 Cass. Soc, 28 Février 2002, N° 99-18.389, N° 00-10.051, N° 00-11.793, N° 99-21.255, N° 99-17.201 N° 00-13.172.

Page 24: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

18

Dans ces arrêts, la Cour de Cassation énonce que « le manquement à cette obligation a

le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité

sociale, lorsque l'employeur, avait ou aurait dû, avoir conscience du danger auquel était

exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver », la

reconnaissance de la faute inexcusable permettant au salarié de bénéficier de la réparation

intégrale de son préjudice.

Cette définition, reprise par la chambre sociale de la Cour de Cassation, a ensuite été

transposée aux accidents du travail46, puis étendue à d’autres domaines. Ainsi, l’obligation

de sécurité résultat a désormais vocation à s’appliquer, par exemple, en matière de lutte

contre le tabagisme47, mais également, concernant l’obligation pour l’employeur de faire

procéder aux visites médicales de reprises48, ou bien encore, à sa nécessité d’agir en

présence d’une situation de harcèlement moral49. Cette jurisprudence va avoir pour effet de

transformer le paysage juridique en matière de santé et sécurité au travail. Si « l’obligation

de sécurité résultat a trouvé et continue de trouver son fondement dans l'impératif de

prévention, source première de son dynamisme »50, le développement de contentieux dans

ce domaine permet surtout de contribuer à la mise en œuvre des mesures de prévention par

l’employeur au sein de l’entreprise. Véritable obligation de résultat et non pas seulement de

moyen, il résulte indéniablement de son extension un accroissement des effets à l’égard de

l’employeur.

B. Les effets de l’extension du domaine de l’obligation de sécurité-résultat :

Ainsi, le renforcement de l’indemnisation du salarié en raison de la faute inexcusable

de l’employeur ne peut que contribuer à l’essor de la prévention des risques et à la

protection de la santé dans l’entreprise. Effectivement, la réparation du préjudice s’avérant

coûteuse pour l’employeur, l’émergence de nombreux contentieux relatifs à l’obligation de

sécurité résultat ne peut qu’encourager ce dernier à mettre en place des actions

préventives, afin d’éviter l’engagement de sa responsabilité.

46 Cass. Soc, 11 avril 2002, N°00-16.535. 47 Cass. Soc, 29 juin 2005, N°03-44.412. 48 Cass. Soc, 28 février 2006, N°05-41.555. 49 Cass. Soc, 21 juin.2006, N°05.43.914. 50 VERKINDT (P.Y), « L'obligation de sécurité de résultat... encore et toujours ! ! », Cahiers de droit de l'entreprise n° 1, Janvier 2011.

Page 25: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

19

Il semble légitime de considérer qu’en facilitant l’engagement de la responsabilité

des entreprises, cela incite à investir davantage dans les mesures de prévention51. Il est

néanmoins possible de nuancer cette opinion. S’il est aisé de comprendre que l’obligation de

sécurité-résultat puisse contribuer à la prévention, il est aussi permis de penser qu’un

engagement quasi-systématique de la responsabilité patronale puisse conduire à un

désengagement de la part de l’employeur : la mise en place de ces mesures lui étant

coûteuses.

A cet égard, deux arrêts récents de la Cour de Cassation en date du 3 février 201052,

illustrent avec justesse cette idée. D’après ces deux décisions, le fait que l'employeur ait pris

des mesures pour faire cesser des agissements de harcèlement moral, au sein de

l’entreprise, ne suffit pas à exécuter correctement et pleinement l'obligation de sécurité

dont il est débiteur. Il convient donc de rester vigilant sur ce point afin d’éviter un

basculement vers l’effet inverse souhaité.

§3. Les conséquences de l’extension du domaine de l’obligation de sécurité-résultat sur le

rôle du médecin du travail :

Toutefois, outre le renforcement par l’employeur des mesures de prévention, en

matière de santé et de sécurité au travail, que tend à conférer l’émergence de contentieux

relatifs à l’obligation de sécurité résultat, il est possible d’en constater un autre impact

positif. Cette jurisprudence conduit à valoriser et à renforcer le rôle de prévention dévolu au

médecin du travail. Tout d’abord, parce que le médecin du travail est le conseiller de

l’employeur en ce qui concerne l’amélioration des conditions de vie et de travail dans

l’entreprise, l’hygiène, l’adaptation des postes, des techniques, des rythmes à la physiologie

humaine. Dès lors, afin de s’assurer du respect de son obligation de sécurité résultat,

l’employeur va devoir s’appuyer sur ces compétences.

Ensuite, parce que l’organisation du suivi médical des salariés fait partie intégrante de

la prévention des risques professionnels dont l’employeur a la charge. Ainsi, le fait pour

l’employeur de se soustraire à la législation, relative à l’organisation des différentes visites

médicales, l’expose à des sanctions.

51 SARGOS (P.), « L’évolution du concept de sécurité au travail et ses conséquences en matière de responsabilité », JCP G, n° 4, 22 Janvier 2003, p.121. 52 Cass. Soc, 3 février 2010, N°08-44019 et N°08-40.144.

Page 26: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

20

En ce sens, la Cour de Cassation a, par exemple, décidé que manque à son obligation

de sécurité résultat, l’employeur « qui laisse un salarié reprendre son travail, après une

période d’absence pour accident du travail d'au moins huit jours, sans le faire bénéficier

d'une visite médicale, destinée à apprécier son aptitude, par le médecin du travail »53.

Enfin, car l’employeur doit tenir compte des préconisations et des avis médicaux

délivrés par le médecin du travail. La Cour de Cassation a, par exemple, rappelé qu’en vertu

de son obligation de sécurité résultat, en matière de protection de la santé et de la sécurité

des travailleurs, « l’employeur doit en assurer l’effectivité en prenant en considération les

propositions de mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes,

justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge, à la résistance physique ou à

l’état de santé physique et mentale des travailleurs, que le médecin du travail est habilité à

faire en application de l’article L. 4624-1 du code du travail »54.

D’une part, ces deux exemples mettent en évidence l’importance que confère la Cour

de Cassation au rôle du médecin du travail en tant que véritable acteur au sein du dispositif

de prévention. D’autre part, ils traduisent le contrôle de plus en plus strict opéré par les

juges, concernant le respect par l’employeur de son obligation de sécurité résultat, en

rappelant qu’il est tenu d’en assurer « l’effectivité ». Ainsi, la simple mise en place des

mesures de prévention par le chef d’entreprise apparait désormais insuffisante, ce dernier

devant s’assurer qu’elles remplissent leur objectif.

Cependant, « il ne saurait y avoir dans une entreprise un responsable absolu et des

sujets passifs. Il y a des êtres humains qui, sauf à nier leur humanité et les devoirs qu'elle

implique, doivent mutuellement coopérer pour la sécurité de tous »55. Au-delà de la

responsabilité qui pèse sur l’employeur, en matière de santé et de sécurité au travail,

d’autres intervenants ont également un rôle à jouer au sein de l’entreprise, ce qui est

notamment le cas du salarié.

53 Cass. Soc, 28 février 2006, N°05-41555. 54 Cass. Soc, 23 septembre 2009, N°1872. 55 SARGOS (P.), « L'évolution du concept de sécurité au travail et ses conséquences en matière de responsabilité », JCP G, 200 3, n° 4, p.121.

Page 27: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

21

Section 2. Un principe de participation équilibrée avec le salarié :

Le propos précité traduit la nécessité d’associer les salariés à la politique de

prévention, en matière de santé et de sécurité au travail, afin de développer une

« participation équilibrée » entre eux et les employeurs. Issu de la transposition de l’article

13 §1 de la directive cadre 89/391/CEE du 12 juin 1989, l’article L.4122-1 du Code du travail

dispose, à cet égard, qu’il « incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa

formation, et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celle des autres

personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail ». Titulaires d’une obligation

de sécurité, les salariés doivent alors apporter leur concours en matière de prévention de

leur santé et de leur sécurité, ainsi que celles des personnes concernées par leurs actions au

sein de l’entreprise.

§1. La mise en œuvre et les effets relatifs de l’obligation de sécurité du salarié :

Afin de respecter son obligation de sécurité, le salarié est d’abord tenu de se

conformer aux instructions qu’il reçoit de la part de l’employeur, qu’il s’agisse, des

consignes de sécurité, des instructions indiquées dans le règlement intérieur56, ou bien

encore, des informations communiquées lors de la formation à la sécurité. En cas de

manquement à cette obligation de sécurité, l’employeur dispose, en vertu de son pouvoir

disciplinaire, de la possibilité de sanctionner le salarié, et notamment de le licencier pour

faute grave. Tel peut être le cas d’un salarié qui, par exemple, ne respecterait pas des

instructions relatives à l’hygiène et à la sécurité prévues au sein du règlement intérieur.

Ainsi, la Cour de Cassation a considéré comme justifié, le licenciement pour faute

grave d’un salarié ayant été soumis par son employeur, conformément à une disposition du

règlement intérieur, à un contrôle de son imprégnation alcoolique, alors qu'il conduisait un

véhicule dans lequel il transportait un autre salarié sur un chantier57.

56 Article L.1321-1 du Code du travail. 57 Cass. Soc., 22 mai 2002, N°99-45,878.

Page 28: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

22

Néanmoins, il convient de relativiser la portée de l’obligation de sécurité à la charge du

salarié, moins contraignante que l’obligation de sécurité résultat qui pèse sur l’employeur,

ce qui justifie l’opinion selon laquelle « il n'y a pas de parallèle à établir entre l'obligation de

sécurité pesant sur l'employeur et l’obligation du salarié »58. Simple obligation de moyen et

non de résultat, la mise en place de l’obligation de sécurité à la charge du salarié ne semble

pas conduire à une « forme de transfert de risques du chef d’entreprise vers le salarié »

créant « une sorte de cogestion » ni même une « coresponsabilité » des parties dans le

domaine de la santé et de la sécurité au sein de l’entreprise. Au-delà des sanctions

disciplinaires auxquelles le salarié s’expose, en cas de non respect de son obligation, les

effets de son obligation de sécurité apparaissent donc relatifs59.

Tout d’abord, parce que le non respect de l’obligation de sécurité par le salarié se

trouve sans incidence sur le principe de la responsabilité de l’employeur qui ne pourra s’en

exonérer en arguant, par exemple, un manquement de ce dernier. Même si l’employeur

dispose d’un pouvoir de sanction à l’encontre du salarié, les effets de l’obligation de sécurité

sont aussi relatifs, dans la mesure où l’appréciation d’un manquement supposé du salarié

par les juges, sera toujours et nécessairement contextualisée60. C’est à dire que, si

l’employeur n’a pas convenablement respecté ses obligations en matière de prévention des

risques professionnels, dans le cadre d’un contentieux, les sanctions disciplinaires prises à

l’égard du salarié seront difficilement fondées. Effectivement, les juges s’attacheront à

examiner les faits reprochés au salarié en fonction des obligations de prévention qui

incombent à l’employeur concernant l’information, la formation, les instructions délivrées…

Enfin, si les effets de l’obligation de sécurité du salarié sont relatifs, cela peut

s’expliquer par le fait que les dispositions relatives à ce point, au sein de la directive cadre

89/391/CEE du 12 juin 1989, n’ont été transposées que partiellement en droit interne.

58 VERKINDT (P.Y.), « L'obligation de sécurité de résultat... encore et toujours ! ! », Cahiers de droit de l'entreprise n° 1, Janvier 2011. 59 FAVENNEC-HERY, « L’obligation de sécurité du salarié », Dr.soc, Juin 2007, p.687. 60 VERKINDT (P.Y.), « L'obligation de sécurité de résultat... encore et toujours ! ! », Cahiers de droit de l'entreprise n° 1, Janvier 2011.

Page 29: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

23

Si cette « transposition à minima » des obligations générales de sécurité du salarié

peut s’analyser comme « la résurgence d'une tradition travailliste française qui hésite à voir

dans le salarié un acteur de la sécurité peut-être de crainte que sa responsabilité puisse être

engagée ou son indemnisation diminuée »61, il n’en résulte qu’un impact limité en matière

de prévention.

L’obligation de sécurité du salarié s’analyse donc davantage comme un devoir de

prévention que comme une véritable obligation. Dès lors, conformément à la volonté

exprimée dans la directive européenne du 12 juin 1989, il n’est pas réellement envisageable

de traiter d’une véritable « participation équilibrée » entre l’employeur et le salarié en ce qui

concerne la prévention. Si les effets relatifs de l’obligation de sécurité du salarié se

légitiment, à juste titre, par le déséquilibre existant entre les parties au contrat travail, il n’en

demeure pas moins souhaitable d’impliquer le salarié de manière plus dynamique dans

l’impératif de prévention en matière de santé et de sécurité au travail.

§2. La nécessité d’impliquer le salarié en tant qu’acteur de la prévention :

Le salarié est effectivement le premier concerné par les risques professionnels, étant

donné que c’est lui qui en est victime. De même, favoriser les initiatives du salarié en

matière de prévention s’avère pertinent puisque c’est lui qui est directement bénéficiaire

des mesures mises en œuvre. En outre, compte tenu du degré de proximité du salarié avec

l’environnement de travail, c’est aussi le plus à même de pouvoir apporter des informations

utiles au médecin du travail sur les risques générés par son activité professionnelle. A cet

égard, il convient, à notre sens, d’associer le salarié aux initiatives de prévention au sein de

l’entreprise afin de lui conférer un véritable rôle d’acteur et non pas de l’envisager comme

un « sujet passif »62. Dès lors, encourager le dialogue et l’échange entre le salarié et le

médecin du travail semble être un élément clé de la réussite de la politique de prévention.

C’est pourquoi, le suivi médical individuel des salariés par le médecin du travail ne doit pas

être négligé. Au-delà d’apprécier l’aptitude des salariés, le suivi médical, s’il est utilisé à bon

escient, c'est-à-dire avec l’implication de ces derniers, peut être également un moyen

efficace d’améliorer la prévention des risques professionnels.

61 SARGOS (P.), « L'évolution du concept de sécurité au travail et ses conséquences en matière de responsabilité », JCP 2003, Ed.G, n° 4, p.121 62 SARGOS (P.), « L'évolution du concept de sécurité au travail et ses conséquences en matière de responsabilité », JCP 2003, Ed.G, n° 4, p.121.

Page 30: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

24

Bien que les effets de l’obligation de sécurité du salarié soient relatifs, il convient de

néanmoins de relever que la directive cadre 89/391/CEE du 12 juin 1989, a permis de faire

évoluer le rôle du salarié en matière de prévention des risques professionnels. S’il a pu être

affirmé avec exactitude, qu’en vertu du lien de subordination juridique, le salarié n’exerce

aucun contrôle sur les risques résultant de son activité professionnelle63, désormais, cette

affirmation peut être relativisée. La loi n° 82-1097 du 23 décembre 1982 a effectivement mis

en place un droit d’alerte et de retrait, à disposition de tout salarié ayant un motif

raisonnable de penser que la situation de travail dans laquelle il se trouve, présente un

danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé64. Dès lors, le salarié n’est plus un simple

sujet passif, mais aussi, l’acteur de sa propre santé et sécurité au travail.

La responsabilité du salarié dans ce domaine tend à s’accroitre et il dispose alors de

moyens d’actions. Toutefois, il convient de renforcer son rôle en ce sens. Les sanctions

existantes à son égard, bien que légitimes, étant encore peu dissuasives, il semble alors

nécessaire de privilégier la surveillance médicale individuelle comme un moyen permettant

de contribuer à l’essor de la prévention.

Compte tenu des obligations dont ils sont titulaires, la prévention en matière de

santé et de sécurité au travail repose donc, en premier lieu, sur les parties au contrat de

travail. En tant que spécialiste et par ses compétences particulières, le médecin du travail va

apporter à la fois ses conseils et son appui à l’employeur et au salarié. Néanmoins, il est

possible de constater une volonté d’inscrire la problématique de la santé et de la sécurité au

travail dans un cadre plus global, à savoir celui de l’entreprise, c'est-à-dire au-delà du cadre

exclusif de la relation contractuelle. A ce titre, en coordination avec le médecin du travail,

d’autres acteurs vont avoir vocation à intervenir dans ce domaine, tel que, par exemple, le

comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail, mais également, les intervenants

en prévention des risques professionnels (Chapitre 2).

63 CHAUMETTE (P.), «Les services sociaux et médicaux du travail, l’essor de l’humain dans l’entreprise », Thèse Droit, Rennes, 30 juin 1981. 64 Article L.4131-1 du Code du travail.

Page 31: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

25

Chapitre 2- La santé et la sécurité au travail une préoccupation d’ordre collectif

nécessitant la coordination des acteurs :

L’Organisation Internationale du Travail estime que 4% du PIB mondial serait gaspillé

à cause des AT/MP et que chaque année environ 2,31 millions de personnes décèdent à la

suite d’accidents ou de maladies liées au travail65. C’est pourquoi, compte tenu des enjeux

économiques mais aussi humains qu’elles impliquent, la santé et la sécurité au travail

doivent être envisagées comme des problématiques au cœur des préoccupations de

l’ensemble des acteurs de l’entreprise et non pas exclusivement du médecin du travail et des

parties au contrat de travail. Cette mobilisation des acteurs est d’autant plus justifiée, dans

la mesure où l’Organisation Internationale du Travail observe un recul notable des AT/MP

dans les pays industrialisés, ce qui tend à prouver que la prévention donne des résultats.

Afin de contribuer à l’essor du dispositif de prévention, il est alors nécessaire d’y associer

d’autres acteurs, ainsi que de privilégier le dialogue et l’information entre eux.

D’une part, selon les dispositions de la Convention N°187 de l’Organisation

Internationale du Travail, il faut établir : « la coopération entre la direction les travailleurs et

leurs représentants en tant qu’élément essentiel de prévention en milieu de travail »66. Outre

les obligations à la charge des parties au contrat de travail en matière de prévention des

risques professionnels, les représentants des salariés ont donc également un rôle à jouer

dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail. Afin d’illustrer cette coopération, il

conviendra d’envisager, à titre d’exemple, le rôle assumé par le comité d’hygiène de sécurité

et des conditions de travail en tant qu’instance représentative du personnel (Section 1).

D’autre part, suite aux différentes interventions législatives visant à réformer la

médecine du travail, il est possible de constater la volonté de développer une approche

pluridisciplinaire au sein des services de santé au travail. Issue de la transposition de la

directive cadre 89/391/CEE du 12 juin 1989, la loi dite de « modernisation sociale » du 17

janvier 2002, a renommé les services de médecine du travail en services de santé au travail.

65 Bureau International du Travail, « Les règles du jeu », Edition révisée 2009, p.58. 66 Convention N° 187 de l’Organisation Internationale du Travail du 15 juin 2006, sur le cadre promotionnel de la santé et la sécurité au travail.

Page 32: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

26

Ce changement de dénomination traduit, notamment, une transition vers une

nouvelle approche des risques professionnels au sein de l’entreprise, nécessitant des

compétences diverses et parfois autres que médicales, telles que, par exemple, celles des

intervenants en prévention des risques professionnels (Section 2).

Section 1. Le rôle pivot du CHSCT en matière de santé et de sécurité au travail :

L’article 11 de la directive cadre n°89/391/CEE du 12 juin 198967, prévoit que « les

employeurs consultent les travailleurs et leur représentants et permettent leur participation

dans le cadre de toutes les questions touchant à la santé et la sécurité au travail ». La

directive n° 2002/14/CE du parlement européen et du conseil du 11 mars 2002, relative à

l’information et à la consultation des travailleurs dans la communauté Européenne dispose

quant à elle que « les législations nationales doivent assurer l’information et la consultation

des représentants du personnels sur les décisions de nature à entraîner des modifications

importantes dans l’organisation du travail ».

Ces deux dispositions mettent en évidence la nécessité d’associer les représentants du

personnel à la prévention de la santé et de la sécurité dans l’entreprise. Dès lors, il

conviendra d’envisager le rôle du Comité d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail

en la matière, rôle qui tend d’ailleurs à s’accentuer68.

§1. Approche globale du rôle du CHSCT :

A. Les attributions du CHSCT en matière de santé et de sécurité au travail :

Obligatoire, depuis la loi n° 82-1097 du 23 décembre 1982 dans les établissements de

plus de cinquante salariés, le Comité d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail est

une instance représentative du personnel « dédiée à la prévention »69 qui traite

spécifiquement des questions relatives à la santé et à la sécurité au travail, ainsi que des

conditions de travail des salariés.

67 Directive n°89/391/CEE du 12 juin 1989, JOCE, N° L.183, 19 juin 1989. 68 GUEDES DA COSTA (S.), LAFUMA (E.), « Le CHSCT dans la décision d’organisation du travail », RDT, Juillet Août 2010 p.419. 69 BERTRAND (X.), « Conférence Tripartite sur les conditions de travail », Dossier de Presse, jeudi 4 oct. 2007.

Page 33: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

27

Ce comité, qui se réunit en général au moins une fois par trimestre, peut être

considéré comme le lieu où l’ensemble des intervenants se retrouvent. L’employeur, le

salarié, le médecin du travail, l’inspecteur du travail, vont échanger sur ces questions avec

pour objectif commun de contribuer à la protection de sécurité de la santé physique et

mentale des salariés, ainsi qu’à l’amélioration des conditions de travail70. A cet égard, le

CHSCT assure différentes missions d’analyses des risques professionnels auxquels peuvent

être exposés les salariés et de consultations sur les initiatives de l'employeur en la matière.

Le CHSCT est également associé à la recherche de solutions relatives, par exemple, à

l’aménagement des postes de travail, à l’environnement physique du travail, à

l’aménagement du temps de travail…

Tout comme l’employeur, il va devoir s’assurer du respect des dispositions législatives

et réglementaires. Cependant, ces attributions « ne sauraient se réduire à la seule

vérification de l’application de la réglementation »71, l’employeur devant l’informer et le

consulter sur un certain nombre de points. Par exemple, le CHSCT doit obligatoirement être

informé par l’employeur, en cas d’accident grave, lors de la première réunion tenue après la

survenance de celui-ci72.

De même, il doit être consulté en cas d’aménagement important, modifiant les

conditions d’hygiène et de sécurité ou les conditions de travail et avant toute transformation

importante des postes de travail, découlant de la modification de l’outillage, d’un

changement de l’organisation du travail73. De surcroît, le CHSCT peut procéder à des

inspections des locaux de travail74, mais aussi, mener des enquêtes en matière d’AT/MP75,

ou bien en cas de danger grave et imminent constaté par un représentant du personnel, ou

par l’intermédiaire d’un salarié ayant usé de son droit de retrait76.

70 Article L.4612-1 du Code du travail. 71 « Attribution et fonctionnement du CHSCT », RPDS, N°767-Mars 2009 p.87. 72 Article L.4614-10 du Code du travail. 73 Cass. Crim, 12 avril 2005, Sté Sollac, N°04-83101. 74 Article L.4612-4 du Code du travail. 75 Article L.4612-5 du Code du travail. 76 Article L.4131-2 du Code du travail.

Page 34: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

28

Enfin, lorsqu’un risque grave est constaté dans l’établissement ou en cas de projet

important de modification des conditions de travail77, le CHSCT pourra demander le recours

à un expert agrée. Si un représentant du personnel au CHSCT constate qu’il existe une cause

de danger grave et imminent notamment par l’intermédiaire d’un travailleur, il doit

immédiatement en aviser l’employeur ou son représentant et consigner cet avis par écrit sur

un registre spécifique78. L’employeur ou son représentant sera alors tenu de procéder à une

enquête avec le membre du CHSCT ayant donné l’alerte, afin de déterminer les mesures

préventives nécessaires à mettre en place pour y remédier.

B. Une instance permettant l’accès à la connaissance des risques professionnels :

De manière générale, le CHSCT participe ainsi activement à la promotion de la

prévention des risques professionnels dans l'établissement et peut mettre en œuvre toutes

initiatives qu'il estime utile dans cette perspective. A cet effet, il peut d’ailleurs proposer des

actions de prévention et si l'employeur s'y refuse, il devra motiver sa décision79. En l’absence

de CHSCT au sein de l’entreprise, ce sont les délégués du personnel qui vont assurer les

attributions du comité en matière de santé et de sécurité au travail80.

Le CHSCT est donc une instance dotée de diverses attributions, il est ainsi possible

d’affirmer, à juste titre, qu’il « constitue le pivot de l’action en matière de sécurité au travail

dans les entreprises d’au moins 50 salariés »81 et ce à plusieurs égards. Tout d’abord, parce

que le CHSCT est un lieu d’échange des informations permettant l’accès à la connaissance

des risques et à la construction d’un savoir, dans le domaine de la santé et de la sécurité au

travail, ce qui constitue un élément fondamental afin d’améliorer la politique de prévention

au sein de l’entreprise. C’est effectivement, l’acquisition de ce savoir qui va permettre la

mise œuvre d’actions préventives, tel que l’illustre le propos selon lequel, « l’acquisition des

connaissances sur les risques et la construction d’un savoir ordonné sur la sécurité sont de

nature à renforcer l’action en faveur de la prévention »82.

77 Article L.4614-12 du Code du travail. 78 Article D.4132-1 du Code du travail. 79 Article L.4612-3 du Code du travail. 80 Article L.2313-6 du Code du travail. 81 VERKINDT (P.Y), « Le rôle des instances de représentation du personnel en matière de sécurité », Dr. Soc, N° 6 Juin 2007, p. 697. 82 VERKINDT (P.Y), « Le rôle des instances de représentation du personnel en matière de sécurité », Dr Soc, N° 6 Juin 2007, p. 697.

Page 35: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

29

Dès lors, l’action du CHSCT s’inscrit parfaitement dans la perspective européenne qui

consiste à renforcer la prévention primaire. Ensuite, parce que, lors des réunions du CHSCT

l’ensemble des intervenants c'est-à-dire l’employeur, les salariés, le médecin du travail

possèdent le même objectif, à savoir, la préservation de la santé et de la sécurité des

travailleurs. En effet, le CHSCT ne disposant pas de pouvoir de décision, « en dépit des vœux

de certains », cela permet de ne pas envisager l’instance comme un lieu de confrontation

des intérêts mais au contraire comme un lieu d’action commun. De plus, « lui accorder

semblable prérogative aurait eu pour résultat de lui transférer une partie des responsabilités

qui incombent au chef d'entreprise dans le domaine de la prévention des risques ce que nul

ne souhaitait vraiment »83.

Enfin, parce que si le risque professionnel se réalise, il convient en effet de ne pas se

limiter à une vision utopique de l’instance, le CHSCT dispose également de moyens d’actions,

tels que, la possibilité de mener d’une enquête, suite à un accident du travail, afin d’éviter

qu’il ne se reproduise. A cet égard, il semble nécessaire de promouvoir le rôle de cette

instance tout comme le préconise le Plan de Santé au travail 2005-2009, par exemple,

« auprès des salariés afin qu’ils participent plus spontanément à l’objectif commun de

protection de la santé au travail et de prévention des risques professionnels ».84

§2. L’extension des attributions du CHSCT :

Force est d’observer que le rôle du CHSCT tend à prendre de l’ampleur, par l’expansion

du champ de sa compétence consultative85, notamment en ce qui concerne la prise en

compte de la protection de la santé mentale des salariés. Sur ce point, il est possible de se

référer à l’arrêt Mornay rendu par la chambre sociale de la Cour de Cassation, en date du 28

novembre 2007, selon lequel : « les évaluations annuelles, notamment en tant qu'elles

peuvent être de nature à générer une pression psychologique sur les salariés, constituent un

projet de l'employeur devant être soumis à la consultation du CHSCT »86.

83 TEYSSIE (B.), « Les missions du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail », JCP S, n° 23, 5 Juin 2007, 1441. 84 Plan de santé au travail 2005-2009, p.65. 85 GUEDES DA COSTA (S.), LAFUMA (E.), « Le CHSCT dans la décision d’organisation du travail », RDT, Juillet Août 2010 p.419. 86 Cass. Soc, 28 nov. 2007, N° 06-21.964.

Page 36: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

30

En l’espèce, la Cour de Cassation estimait que la mise en place des entretiens

individuels pouvait avoir une incidence « sur le comportement des salariés, leur évolution de

carrière et leurs rémunérations » et que « les modalités et les enjeux de l’entretien étaient

manifestement de nature à générer une pression psychologique entraînant des répercussions

sur les conditions de travail ». Par conséquent, en présence d’un projet de l’employeur

modifiant les conditions de travail des salariés, la consultation du CHSCT, en charge de la

protection de la santé des salariés, était indispensable.

Considéré parfois, selon l’opinion d’une partie de la doctrine, comme une immixtion

trop importante dans le pouvoir de direction de l’employeur87, le renforcement des

compétences du CHSCT peut aussi être envisagé comme favorable au développement de la

prévention des risques professionnels. De plus, tout comme l’extension de l’obligation de

sécurité résultat à la charge de l’employeur, le renforcement des compétences consultatives

du CHSCT, en particulier en ce qui concerne la protection de la santé mentale des salariés,

conduit à valoriser le rôle dévolu au médecin du travail. La préservation de la santé mentale

des salariés est, effectivement, une notion complexe à appréhender et nécessitant des

compétences d’ordres médicales. Or, parmi les membres du CHSCT, il est sûrement le plus

qualifié pour apporter des conseils adéquats, même s’il ne dispose pas d’une formation

approfondie dans ce domaine.

L’une des difficultés, auxquelles les services de santé au travail sont confrontés, résulte

d’une approche historique française exclusivement centrée autour du suivi médical

individuel et de la notion d’aptitude, notamment, par rapport à d’autres modèles européens,

où la prévention des risques professionnels, revêt davantage une dimension globale et

collective. En ce sens, sous l’impact normatif du droit européen, il est possible de constater

une ambition législative visant à favoriser une approche pluridisciplinaire, en matière de

santé et de prévention des risques professionnels, entre autre, par le biais des intervenants

en prévention des risques professionnels, dont l’action vient enrichir les compétences du

médecin du travail.

87 Cass. Soc, 5 mars. 2008, SNECMA, N° 06-45888, RPDS 2008, N°757.

Page 37: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

31

Section 2. Le développement d’une approche pluridisciplinaire :

C’est l’article 7 de la directive cadre n°89/391/CEE du 12 juin 1989, transposé en droit

interne, par la loi n° 2002-73 de modernisation sociale du 17 janvier 2002, qui se trouve à

l’origine du développement de l’approche pluridisciplinaire, en matière de santé et de

prévention des risques professionnels, et de la mise en place du dispositif des IPRP. Cet

article impose aux employeurs une obligation de désigner un ou plusieurs travailleurs pour

s’occuper des activités de protection et des activités de prévention des risques

professionnels ou de recourir, si les compétences internes sont insuffisantes, à des

compétences (personnes ou services) extérieures à l’entreprise.

§1. L’apport de compétences techniques et organisationnelles en matière de prévention :

La mise en œuvre de pluridisciplinarité en matière de prévention, qui « consiste en des

actions communes de plusieurs spécialistes de différentes disciplines, vers un même

objectif »88, répond également aux souhaits exprimés par les partenaires sociaux au sein de

l’accord national interprofessionnel du 13 septembre 2000, notamment, pour faire face à un

contexte démographique défavorable des médecins du travail.

Depuis la loi de modernisation sociale de 2002, dans le cadre de leurs missions, les

services de santé au travail sont désormais habilités à faire appel, en liaison avec les

entreprises concernées, aux compétences d'experts spécialisés dans l'approche technique et

organisationnelle tels que les intervenants en prévention des risques professionnels. C’est

un décret du 24 juin 200389 qui va mettre en œuvre, l’obligation faite par la loi aux

entreprises de faire appel à une structure de prévention compétente, en ce qui concerne la

santé et la sécurité au travail. Un arrêté du ministre du travail du 24 décembre 2003, « relatif

à la mise en œuvre de l’obligation de pluridisciplinarité dans les services de santé au travail »

est ensuite venu préciser l’indispensable interaction entre les services de santé au travail et

les intervenants extérieurs, ainsi que les critères et les modalités d’habilitation des IPRP.

Les IPRP peuvent se définir comme des préventeurs dotés de compétences

techniques, organisationnelles ou médicales, dont la mission consiste à participer à la

prévention des risques professionnels et à l’amélioration des conditions de travail dans les

88 Bilan de la mise en œuvre de la pluridisciplinarité en matière de santé et de prévention des risques professionnels pour la Direction Générale du Travail, Décembre 2007. 89 Décret n°2003-546 du 24 juin 2003, J.O, 26 juin 2003.

Page 38: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

32

services de santé au travail, en complément de l’action conduite par le médecin du travail.

Ces intervenants sont multiples, ils peuvent soit être rattachés au domaine médical, c’est le

cas des infirmiers, mais également, spécialisés dans d’autres domaines, c’est le cas : des

ergonomes, des psychologues, des assistants sociaux, des techniciens et ingénieurs

d’hygiène et sécurité, des épidémiologistes, des toxicologues. Afin de renforcer la prévention

des risques professionnels, les IPRP peuvent également être des professionnels spécialisés,

en fonction des différents secteurs d’activités économiques en cause, ou bien encore, en

fonction de risques spécifiques liés à l’activité professionnelle tels que l’exposition au bruit,

aux rayonnements ionisants, à des produits chimiques ou nucléaires...

Compte tenu de l’évolution actuelle des relations de travail, entre autre, du

changement des modes d’organisation du travail, du développement des risques

psychosociaux, les risques professionnels se diversifient et nécessitent des compétences

parfois autres que des compétences médicales. Il est ainsi affirmé, par les pouvoirs publics,

que « si la médecine du travail demeure la clé de voûte de la prévention en entreprise, elle

n’est plus seule. Son action est renforcée par l’apport de compétences nouvelles. Le passage

s’est opéré d’une vision purement et quasi-exclusivement médicale de la prévention, vers une

approche globale de la santé, approche qui requiert des compétences techniques et

organisationnelles »90. Dans l’exercice de sa mission préventive qui consiste à éviter toute

altération de la santé des travailleurs, du fait de leur travail, le médecin du travail peut donc

désormais s’appuyer sur les compétences spécifiques des IPRP.

§2. Approche critique de la pluridisciplinarité :

Bien que critiquée, la pluridisciplinarité permet de contribuer au renforcement de la

prévention des risques professionnels, mais aussi, d’optimiser le suivi médical individuel des

salariés. Comme le relève l’avis du Conseil Economique et Social sur L’avenir de la médecine

du travail la mise en œuvre de la pluridisciplinarité, a été la cible de critiques parfois

difficilement acceptées par certains médecins du travail.

90 Bilan de la mise en œuvre de la pluridisciplinarité en matière de santé et de prévention des risques professionnels pour la Direction Générale du Travail, Décembre 2007.

Page 39: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

33

En effet, l’approche pluridisciplinaire a notamment été instaurée, en réponse à un

contexte démographique critique des médecins du travail, ayant conduit à envisager que

cette réforme intervenait « par nécessité plus que par objectif de renforcer l’efficacité du

système sans qu’elle soit suffisamment conçue comme une condition d’une véritable réussite

du nouveau concept de santé au travail » 91 .

Il est vrai qu’en raison de la pénurie des médecins du travail, du manque d’attractivité

de la profession, ainsi que des difficultés rencontrées par les services de santé au travail

concernant le respect des exigences légales en vigueur92, la pluridisciplinarité peut être

considérée comme une solution adéquate pour répondre à ces diverses problématiques.

Cependant, envisager la pluridisciplinarité sous cet angle restrictif ne semble pas

souhaitable. Dès lors, il convient, à notre sens, d’adopter une autre conception.

Effectivement, la mise en place des équipes pluridisciplinaires permet d’abord au médecin

du travail, dont le temps est précieux, d’en disposer de davantage, afin de mener des actions

en milieu du travail. Or, l’action en milieu du travail, pourtant indispensable à la prévention

des risques professionnels, manque aujourd’hui d’effectivité.

Ainsi, le fait que le médecin puisse être épaulé, par les IPRP, dans l’exercice de sa

mission, ne peut que contribuer au renforcement de la prévention des risques

professionnels. Néanmoins, tel que le suggère également le rapport du Conseil Economique

et Social, une double condition doit être respectée : les intervenants doivent remplir « des

tâches sur lesquelles la compétence du médecin n’est pas indispensable et le temps libéré lui

permet de se réinvestir sur des actions en milieu de travail dans l’objectif prioritaire de la

prévention »93.

En outre, la mise en place de la pluridisciplinarité contribue à optimiser le suivi médical

individuel des salariés. Face à l’émergence des nouveaux risques professionnels, tels que,

par exemple, les risques psychosociaux, il semble opportun pour le médecin du travail de

pouvoir faire appel à des spécialistes dans ce domaine.

91 DELLACHERIE (C.), « L’avenir de la médecine du travail », Avis du Conseil Economique et Social, 2008, p.15. 92 AMAUGER-LATTES, (M-C.), « Pénurie de médecin du travail et visites médicales obligatoires, quelles responsabilités ? Quelles perspectives ? », Dr. soc, Avril 2011, p.351. 93 DELLACHERIE (C.), « L’avenir de la médecine du travail », Avis du Conseil Economique et Social, 2008, p.18.

Page 40: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

34

Tout comme l’illustre la médiatisation relative aux suicides sur le lieu de travail, force

est de constater des interférences de plus en plus importantes entre la vie professionnelle et

la vie extra-professionnelle du salarié. Les frontières entre ces deux sphères ont tendances à

devenir de plus en plus étroites et la souffrance au travail peut engendrer pour l’individu des

troubles spécifiques, en dehors de son lieu de travail, liés, par exemple, à une situation de

stress se matérialisant par des troubles du sommeil, des troubles alimentaires, des

addictologies. Or, c’est précisément dans ces situations que l’orientation du médecin du

travail vers des spécialistes peut s’avérer utile.

Enfin, d’un point de vue pratique, la pluridisciplinarité semble relativement bien

accueillie par les acteurs de terrain. A cet égard, il apparaît qu’un « certain nombre de

directeurs de services de santé au travail interentreprises, qui ont mis en œuvre la

pluridisciplinarité depuis plusieurs années, ont tous confirmé le succès de cette initiative et la

satisfaction unanime tant des médecins du travail que des employeurs et surtout des salariés

suivis par ces équipes »94. C’est pourquoi, la pluridisciplinarité ne doit ni être perçue comme

une menace pour la profession, ni comme une volonté de démédicaliser la santé au travail,

mais comme un moyen d’action permettant d’agir collectivement afin d’améliorer la

prévention des risques professionnels au sein de l’entreprise.

Conformément aux dispositions de la directive européenne du 12 juin 1989, il est

possible de constater que le dispositif de prévention, en matière de santé et de sécurité au

travail, tend à s’inscrire dans une dimension d’ordre collectif mobilisant un ensemble

d’acteurs au sein de l’entreprise. En coordination avec le médecin du travail, en matière de

prévention chacun a alors un rôle à jouer, tant par les moyens d’actions, que par les

compétences dont il dispose.

A cet effet, il parait indispensable de renforcer la coordination et l’interaction entre

l’ensemble de ces « préventeurs » afin de parvenir à un système de santé au travail

cohérent, unifié et donc efficace. Ainsi, « une véritable mutation de la médecine du travail

vers un système de santé au travail » suppose « une prise de conscience par tous les acteurs

94 LEFRAND (G.), Rapport sur la proposition de loi, adoptée par le sénat relative à l’organisation de la médecine du travail, 15 juin 2011, N°3529.

Page 41: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

35

concernés des impératifs de la prévention ainsi que le développement d’une indispensable

culture partagée de la prévention des risques »95.

Néanmoins, si l’approche collective de la prévention des risques professionnels,

constitue un véritable enjeu de la réussite du dispositif Français, en matière de santé et de

sécurité au travail, il ne faut pas pour autant en négliger l’approche individuelle. La mise en

œuvre du suivi médical individuel des salariés, par le médecin du travail, est également un

moyen d’action nécessaire à prendre en considération afin d’assurer l’efficacité du dispositif

de prévention (Titre 2).

TITRE 2- Le rôle spécifique du médecin du travail en matière de prévention :

En France, la loi du 11 octobre 1946 est à l’origine de la mise en place des services

médicaux du travail. L’article premier, toujours en vigueur, dispose que : « le rôle du médecin

du travail est exclusivement préventif. Il consiste à éviter toute altération de la santé des

travailleurs du fait de leur travail, notamment en surveillant leurs conditions d’hygiène au

travail, les risques de contagion et leur état de santé »96. Afin de remplir cet objectif de

prévention, le médecin du travail est titulaire de missions diversifiées qui s’exercent selon

deux axes, le suivi médical individuel des salariés et l’action sur le milieu du travail.

Si les orientations législatives actuelles traduisent la volonté de renforcer l’action sur

le milieu du travail97, il est néanmoins possible de constater que le suivi médical individuel

par le médecin du travail occupe une place prépondérante en matière de prévention. Cela

peut s’expliquer par le fait, qu’en tant qu’activité première des services médicaux du travail,

« les textes et la pratique ont orienté la médecine du travail vers un mode d’exercice où

prédomine une approche clinique individuelle de la santé au travail, centrée autour de la

notion d’aptitude »98. Effectivement, ce n’est qu’à partir du décret du 20 mars 1979, avec

l’introduction de la notion de « tiers temps », que l’action en milieu du travail va se

développer.

95 DELLACHERIE (C.), « L’avenir de la médecine du travail », Avis du Conseil Economique et Social, 2008, p.18. 96 Article L.4622-3 du Code du travail. 97 Loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, Décret du 28 juillet 2004. 98 AUBIN (C.), PELISSIER (R.), DE SAINTIGNON (P.), VEYRET (J.), CONSO, (F.), FIRMAT (P.), « Rapport sur le bilan de la reforme de la médecine du travail », Octobre 2007, p.5.

Page 42: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

36

Cependant le suivi médical individuel, par le médecin du travail, est cible de diverses

critiques. A cet égard, de nombreux rapports99 ont mis en lumière les carences du système

français de santé au travail : recrudescence et diversification des maladies professionnelles,

catastrophe sanitaire de l’amiante, par exemple. Or, ces constats ont conduit à remettre en

cause l’utilité du suivi médical individuel, dans la mesure où cette approche est

prédominante au sein du dispositif de prévention. Ils ont conforté l’idée selon laquelle,

l’activité clinique du médecin du travail « qui se contente de repérer l’éventualité d’une

maladie et ses conséquences pour l’aptitude d’un individu »100, ne serait pas un moyen

d’action suffisant afin d’assurer une prévention efficace des risques professionnels. Dès lors,

il serait souhaitable d’opérer un basculement d’une logique de prévention secondaire vers

une logique de prévention primaire, fondée sur l’évaluation, à priori, des risques

professionnels et ciblée sur l’action sur le milieu du travail.

Même si cette analyse est pertinente, le suivi médical individuel et l’action sur le milieu

du travail ne sont pas des approches incompatibles, ni exclusives l’une de l’autre, mais au

contraire, complémentaires. A ce titre, il conviendra d’envisager que l’existence d’une

surveillance médicale individuelle, exclusivement préventive, de chaque salarié par le

médecin du travail, illustre avec justesse le particularisme du système de santé et de sécurité

au travail français (Chapitre 1). Il conviendra d’examiner ensuite la manière dont le suivi

médical individuel des salariés va être mise en œuvre, notamment par l’exercice des

examens médicaux, afin de déterminer dans quelle mesure ce suivi est un véritable moyen

permettant de contribuer à l’essor de la prévention des risques professionnels (Chapitre 2).

99 LEFRAND (G.), Rapport sur la proposition de loi, adoptée par le sénat relative à l’organisation de la médecine du travail, 15 juin 2011, N°3529. 100 AUBIN (C.), PELISSIER (R.), DE SAINTIGNON (P.), VEYRET (J.), CONSO, (F.), FIRMAT (P.), « Rapport sur le bilan de la reforme de la médecine du travail », Octobre 2007, p.10.

Page 43: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

37

Chapitre 1- Le suivi médical individuel préventif des salariés par le médecin du

travail : un particularisme du dispositif français de prévention :

Le système français de santé au travail dispose de caractéristiques qui lui sont

propres et indéniablement liées à son évolution historique, telles que l’existence d’un suivi

médical individuel, ce qui tend à le différencier d’autres modèles. Ainsi, il conviendra tout

d’abord d’opérer une comparaison entre le système français de santé au travail, avec le

modèle britannique et le modèle québécois (Section 1). Nous aborderons ensuite le

caractère exclusivement préventif de ce suivi, étant donné qu’il représente également une

spécificité du système français. Dès lors, si ces caractéristiques peuvent être à l’origine de

difficultés, il conviendra d’examiner dans quelle mesure elles représentent également un

atout (Section 2).

Section 1. Approche comparative en matière de santé et de sécurité au travail:

L’approche comparative entre le système français en matière de santé et de sécurité

au travail et le modèle britannique, ainsi que québécois, traduit un intérêt particulier dans la

mesure où il est possible de constater que le suivi médical individuel est un aspect peu

développé dans ces deux pays.

§1. Le modèle britannique

A. L’Health and Safety at Work Act:

En Grande Bretagne, le droit à l’hygiène et à la sécurité est régi par « une multitude

de sources juridiques ce qui en fait un système complexe (loi du parlement, règlement,

conventions collectives, contrat de travail, Common Law) ». Concernant la protection de la

santé des travailleurs, elle est essentiellement réglementée par « l’Health and Safety at

Work Act de 1974 »101. Cet acte du Parlement britannique pose les principes généraux ainsi

que les devoirs, qui incombent à l’employeur et aux salariés, en matière de santé, de

sécurité et de bien être au travail. Sur ce point, le système britannique de santé au travail se

rapproche donc du système français, ce qui s’explique par l’impact du Droit européen et plus

particulièrement de la directive cadre n°89/391/CEE du 12 juin 1989.

101 LEROUGE (L.), MUSIALA (A.), « L’obligation de sécurité de l’employeur en Europe », RDT, 2008, p. 124.

Page 44: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

38

Cependant, si tout comme en France, l’employeur doit procéder à une évaluation des

risques professionnels, « le Royaume-Uni considère que la directive du 12 juin 1989 ne peut

pas imposer une obligation de sécurité de résultat »102. Effectivement, « l’Heath and Safety

at Work Act » de 1974 prévoit que l’employeur doit s’assurer de la santé, de la sécurité et le

bien être de tous ses travailleurs sur les lieux de travail, pour autant que se soit

raisonnablement praticable (« so far as is reasonably practicable »)103. Or, ce principe

permet à l’employeur « de se soustraire à l'obligation de veiller à la sécurité de ses salariés si

le coût des mesures en terme de temps, d'argent et de sacrifice est plus élevé de façon

nettement disproportionnée que les avantages attendus »104. Ce principe, ayant fait l’objet

d’un recours en manquement de la Commission contre le Royaume-Uni, rejeté par la CJCE le

14 juin 2007105, met en évidence les divergences d’interprétations et de conceptions qui

peuvent exister entre les Etats-Membres, en matière de santé et de sécurité au travail.

B. L’absence d’un suivi médical individuel par le médecin du travail au sein du système britannique :

Ensuite, et c’est particulièrement cet aspect qui retient notre attention, au Royaume-

Uni, aucun texte de portée générale n’impose la présence d’un médecin du travail au sein de

l’entreprise. La mise en œuvre de la prévention des risques professionnels ne repose pas,

comme en France, sur un suivi médical individuel des salariés. L’exercice d’examens

médicaux de chaque salarié par le médecin du travail : visites d’embauches, visites

périodiques, visites de reprises, n’existent pas en Grande-Bretagne. Au sein du système

britannique, la santé au travail est avant tout appréhendée de manière collective : « la

priorité est donnée à la prévention primaire et le facteur individuel n’est pratiquement pas

envisagé »106. Dans la mesure où l’employeur s’assure que les conditions de travail ne

nuisent pas à la santé des travailleurs, il dispose d’une libre appréciation dans l’organisation

des services de santé au travail.

102 LEROUGE (L.), MUSIALA (A.), « L’obligation de sécurité de l’employeur en Europe », RDT, 2008, p. 124. 103 CHAUMETTE (P.), « La sécurité pour autant que ce soit raisonnablement praticable ? », Dr. Soc, Septembre-Octobre 2007, p.1037. 104 LEROUGE (L.), MUSIALA (A.), « L’obligation de sécurité de l’employeur en Europe », RDT, 2008, p. 124. 105 CJCE 14 juin 2007, aff. C-127/05, Commission c./Royaume-Uni. 106 AUBIN (C.), PELISSIER (R.), DE SAINTIGNON (P.), VEYRET (J.), CONSO, (F.), FIRMAT (P.), « Rapport sur le bilan de la reforme de la médecine du travail », Octobre 2007, p.11.

Page 45: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

39

Cette comparaison représente un certain intérêt puisqu’elle peut amener à

s’interroger sur l’utilité du suivi médical individuel par le médecin du travail en France.

Effectivement, même si nous ne disposons pas de données chiffrées précises sur le sujet

permettant d’appuyer notre raisonnement, il est permis de penser que l’absence de ce suivi

médical individuel par le médecin du travail, ne conduit pas pour autant à remettre en cause

l’efficacité du système de santé au travail britannique. Au contraire, « cette efficacité serait

d’ailleurs démontrée par les statistiques dont il ressort que le Royaume-Uni est depuis

longtemps l’un des Etats Membre enregistrant le plus faible nombre d’accidents du

travail »107. Sans doute parce que « cette carence » est palliée par d’autres moyens

d’actions.

Néanmoins, envisager la prévention de la santé au travail sous le seul angle de la

dimension collective peut poser des difficultés. De part la dimension subjective qu’elle

implique, la notion de santé de travail suppose, à notre sens, la prise en considération des

spécificités physiques et psychiques de chaque individu face à son environnement de travail.

Les effets du travail sur la santé peuvent être variables selon la résistance et la capacité

d’adaptation des personnes. En France, l’existence d’une surveillance médicale renforcée au

profit de certaines catégories de salariés, telles que, les salariés mineurs, les salariés

handicapés, les femmes enceintes, représente un exemple pertinent afin d’appuyer notre

propos.

De plus, parce qu’elle fait appel à la perception de chaque individu, la santé en relation

avec le travail revêt un caractère subjectif dont le médecin du travail doit tenir compte. Cet

aspect individuel et subjectif est particulièrement présent en ce qui concerne la santé

psychique des salariés. Par exemple, face à une situation de stress au travail, deux salariés

ne vont pas nécessairement réagir de manière similaire et les effets de cette situation sur la

santé peuvent différer. Cela s’explique notamment par le fait que l’état de santé psychique

des salariés peut résulter de « facteurs très divers et pour partie extérieurs à la relation de

travail »108. En effet, en tant que composante individuelle de la personne, l’état de santé se

107 CHAUMETTE (P.), « La sécurité pour autant que ce soit raisonnablement praticable ? », Dr. Soc, Septembre-Octobre 2007, p.104. 108 MARTINEZ (J.), « Les mouvements d'extension du droit de la santé au travail », JCP S, n° 16- 14, Avril 2009.

Page 46: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

40

manifeste, au sein de la relation professionnelle, mais également, dans le cadre de la vie

personnelle du salarié.

Ainsi, une situation de stress au travail peut être liée, par exemple, à un rythme de

travail intensif, mais aussi, résulter de facteurs extérieurs à la relation contractuelle, tels que,

par exemple, des problèmes familiaux. Le suivi médical individuel par le médecin du travail a

l’avantage de prendre en considération cet aspect subjectif ce qui représente un intérêt non

négligeable. Lors des visites médicales, au-delà du strict examen clinique, le médecin du

travail s’entretient avec le salarié, ce qui peut être l’occasion de mettre en exergue

d’éventuelles difficultés d’ordres psychiques, auxquelles il serait confronté.

En outre, l’appréciation des situations individuelles par le médecin du travail est

également un moyen lui permettant d’acquérir une connaissance globale des risques

professionnels existants au sein de l’entreprise. Si, dans le cadre du suivi médical individuel,

le médecin du travail constate, de manière récurrente, l’existence d’atteintes à la santé

auprès de plusieurs salariés d’une même entreprise, ce point va nécessairement retenir son

attention. Dès lors, l’examen des situations individuelles, lorsqu’elles sont mises en

interactions, apparait comme un moyen d’action efficace afin de contribuer à la mise en

œuvre de mesures préventives au niveau collectif. C’est notamment en cela que la

surveillance médicale individuelle par le médecin du travail traduit tout son intérêt.

Enfin, si en France la médecine du travail est exercée par des médecins spécialisés,

c'est-à-dire à des docteurs spécialistes en médecine du travail ou détenteurs d'un autre

diplôme autorisant l'exercice de la médecine du travail, au Royaume-Uni, la médecine du

travail peut être pratiquée par des médecins généralistes, des infirmières spécialisées. Le fait

qu’en France, le suivi médical soit exercé par des spécialistes, représente aussi une

particularité du système de santé au travail, d’autant plus, que conformément aux

dispositions légales, le rôle du médecin du travail dans l’exercice de ce suivi est

exclusivement préventif.

§2. Le modèle québécois :

Le modèle québécois, en matière de santé et de sécurité au travail, présente

également des particularités intéressantes, dans la mesure où la surveillance médicale

individuelle des salariés est également peu développée. En effet, le modèle québécois est

Page 47: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

41

principalement ciblé sur une prévention primaire des risques professionnels. C’est en 1979

qu’est intervenue une réforme de la loi sur la santé et la sécurité au travail.

Cette loi prévoit la mise place de services de santé au travail intégrés au sein du

réseau de santé publique. Parmi ses objectifs principaux elle énonce notamment la nécessité

: « d’éliminer à la source même les dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique

des travailleurs »109. La priorité est donc accordée à l’action sur le milieu du travail. Dès lors,

la mission préventive du médecin du travail consiste, avant tout, à identifier et apprécier les

risques professionnels. A cet effet, les médecins du travail peuvent se rendre régulièrement

sur les lieux de travail dans le but de définir des programmes de santé.

« L’approche médicale individuelle a été délaissée au profit d’une approche de santé

publique qui s’attaque d’emblée aux risques des milieux de travail »110. Ce propos met en

évidence le fait, qu’au sein du système québécois, le médecin du travail n’exerce pas un suivi

médical individuel de chaque salarié, comme c’est le cas en France. Par exemple, au Québec,

il n’y a pas de visites médicales d’embauches et les visites médicales périodiques ne sont

mises en œuvre que « lorsqu’il existe des moyens de preuve suffisants de leur pertinence et

de leur nécessité pour prévenir les atteintes à la santé »111.

La surveillance médicale individuelle est ainsi peu présente au sein du dispositif de

prévention québécois, néanmoins, elle n’est pas non plus totalement inexistante. En effet, la

loi indique explicitement que le programme de santé doit prévoir « les mesures visant à

identifier et à évaluer les caractéristiques de santé nécessaires à l’exécution d’un travail, les

mesures visant à identifier les caractéristiques de chaque travailleur de l’établissement, afin

de faciliter son affectation à des tâches qui correspondent à ses aptitudes et de prévenir

toute atteintes à sa santé, sa sécurité et son intégrité physique, ainsi que les mesures de

surveillance médicale individuelle du travailleur, en vue de la prévention et du dépistage

précoce de toute atteinte à la santé, pouvant être provoquée ou aggravée par le travail »112.

109 PLANTE (R.), BHERER (L.), « La médecine du travail au Québec une pratique de santé publique », Santé et Travail, Santé, société et solidarité, N°2, 2006, p. 16. 110 PLANTE (R.), BHERER (L.), « La médecine du travail au Québec une pratique de santé publique », Santé et Travail, Santé, société et solidarité, N°2, 2006, p. 17. 111 PLANTE (R.), BHERER (L.), « La médecine du travail au Québec une pratique de santé publique », Santé et Travail, Santé, société et solidarité, N°2, 2006, p. 15. 112 PLANTE (R.), BHERER (L.), « La médecine du travail au Québec une pratique de santé publique », Santé et Travail, Santé, société et solidarité, N°2, 2006, p. 17.

Page 48: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

42

La surveillance médicale individuelle peut donc être mise en œuvre dans certaines

circonstances, cependant, elle ne représente pas l’axe majeur du dispositif de prévention tel

qu’en France.

Concernant l’approche critique du modèle québécois, en matière de santé et de

sécurité au travail, les avis sont partagés. Le dispositif semble efficace : à l’appui de ce

constat, il est notamment évoqué que cette approche de prévention permettrait « de se

concentrer sur les composantes de l’organisation du travail susceptibles de provoquer des

problèmes et de conserver une distance par rapport à des situations particulières » 113. Cette

analyse semble juste : même si la surveillance médicale individuelle représente un élément

clé de l’efficacité du dispositif de prévention, l’action sur le milieu du travail et notamment

l’approche technique et organisationnelle de celui-ci, est également indispensable afin

d’enrichir ce dispositif.

Néanmoins, tout comme pour le modèle britannique, le fait que l’aspect individuel de

la prévention ne soit que peu pris en compte peut conduire à l’émergence de difficultés. Afin

de soutenir l’exactitude de notre propos, il convient de relever qu’au Québec : « les

responsables syndicaux ou patronaux acceptent difficilement les pratiques mises en œuvres

et exercent des pressions pour que les travailleurs soient soumis à la surveillance

médicale »114. Il apparaît ainsi qu’un dispositif de prévention, en matière de santé et de

sécurité au travail, avant tout ciblé sur l’action sur le milieu du travail et qui « délaisse » le

suivi médical individuel, ne soit pas nécessairement une solution satisfaisante.

Section 2. Le rôle exclusivement préventif du médecin du travail :

Le Code du travail prévoit expressément que le rôle du médecin du travail est

exclusivement préventif115. Il conviendra d’étudier, la signification, les justifications, ainsi

que les difficultés de cet aspect exclusivement préventif du suivi médical individuel par le

médecin du travail. Bien qu’exclusivement préventif, il conviendra d’envisager ensuite dans

quelle mesure ce suivi traduit un véritable intérêt.

114 PLANTE (R.), BHERER (L.), « La médecine du travail au Québec une pratique de santé publique », Santé et Travail, Santé, société et solidarité, N°2, 2006, p. 19. 115 Article L.4622-3 du Code du travail.

Page 49: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

43

§1. Signification, justifications et difficultés :

Ce rôle exclusivement préventif du médecin du travail signifie que, sauf en cas

d’urgence, il ne peut pas dispenser de soins aux salariés. L’exercice de sa mission se limite

donc à anticiper les atteintes physiques ou psychiques éventuelles dont les salariés

pourraient être victimes, lors de l’exercice de la prestation de travail, afin d’éviter qu’elles ne

se réalisent. Le choix d’une médecine du travail exclusivement ciblée sur la prévention, fait

par le législateur, lors de l’adoption de la loi qui met en place les services médicaux du travail

en 1946, n’a jusqu’alors jamais été remis en cause. Cet aspect exclusivement préventif du

rôle du médecin du travail, se justifie par le fait que le salarié ne dispose pas du libre choix

de son médecin puisqu’il lui est imposé par l’employeur. Or, c’est précisément l’existence du

libre choix laissé au patient, en matière de médecine libérale, qui permet la dispense de

soins curatifs, soins qui ne peuvent pas être prodigués par le médecin du travail. Si la

limitation du rôle du médecin du travail à une fonction exclusivement préventive en matière

de santé au travail se trouve légitimée, l’absence de libre choix du médecin par le salarié

n’est pas sans poser de difficultés. Cette spécificité tend à rendre plus complexe l’efficacité

du suivi médical individuel des salariés par le médecin du travail au sein de l’entreprise.

Dans la mesure où le médecin du travail est imposé au salarié, il peut s’avérer délicat

pour ce dernier d’instaurer une relation de confiance avec le salarié et d’opérer un suivi

efficace de celui-ci comme peut le faire le médecin libéral à l’égard de son patient. Cette

difficulté est par ailleurs accentuée, par le statut particulier du médecin du travail. En tant

que salarié de l’entreprise, il se trouve sous le contrôle et est soumis à la subordination

administrative de l’employeur ou du président du service interentreprises.

Le médecin du travail est alors placé dans une position ambivalente qui peut susciter

des réserves de la part de certains salariés, concernant la communication d’un problème de

santé, qui soit d’ailleurs ou non en lien avec le travail.

Effectivement, lors des différentes visites médicales, le médecin du travail est tenu de

déterminer l’aptitude de l’état de santé du salarié avec le poste occupé. Or, si le salarié est

déclaré inapte116 par le médecin du travail, il pourra se voir imposer la rupture de son

116 Cass. Crim, 6 juin 1972, N°70-90.271.

Page 50: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

44

contrat de travail par son employeur selon le respect de certaines conditions117. Même si

l’objectif d’une telle procédure consiste avant tout à préserver sa santé, il est légitime de

penser que le salarié concerné n’adhère pas à cette vision, privilégiant l’aspect économique.

Le salarié reste « maître de ce qu’il décide de dire au médecin du travail. Il est dès lors peu

probable que le candidat à un emploi, révèle lors d’une visite d’embauche des éléments sur

son état de santé risquant de mettre en jeu son emploi »118.

De surcroît, le fait que le suivi médical individuel par le médecin du travail soit

exclusivement préventif, peut conduire à dévaloriser la profession, voir à remettre en cause

son utilité auprès des employeurs tout comme des salariés. Concernant les employeurs, il est

possible de se poser la question suivante : en l’absence du caractère obligatoire de la

médecine du travail qui s’impose à eux, y auraient-ils recours ? Concernant les salariés, cette

conception pourtant erronée, peut résulter d’une tendance selon laquelle, par défaut de

confiance ou d’information, en cas de problèmes de santé, même s’ils sont en lien avec le

travail, le salarié estime parfois que son médecin libéral sera mieux à même de répondre à

ses attentes.

§2. L’intérêt du suivi médical individuel préventif :

C’est pourquoi, afin d’assurer un suivi efficace, il est préconisé au médecin du travail

d’instaurer une véritable relation de confiance avec les salariés, afin que ces derniers ne

perçoivent pas le service de santé au travail comme le prolongement des pouvoirs de

l’employeur. A cet égard, il semble indispensable de rappeler que le médecin du travail, est

aussi le conseiller du salarié, que son indépendance dans l’ensemble de ses missions est

garantie par la loi119 et qu’il est soumis au respect du secret professionnel120, sa violation

faisant l’objet de sanctions pénales121. De plus, le médecin du travail doit garder le secret sur

les constatations médicales effectuées, concernant à la fois le diagnostic, mais aussi le

traitement122.

117 ANNEXE 1, Procédure de licenciement pour inaptitude. 118 GOSSELIN (H.), « Aptitude et inaptitude Médicale au travail: diagnostic et perspectives », Janvier 2007, p.21. 119 Article L.4622-3 et L.4622-4 du Code du travail. 120 Article R.4127-4 du Code de la santé publique. 121 Article 226-23 du Code pénal. 122 Cass. Soc, 10 juillet 2002, N°00-40.209.

Page 51: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

45

Il apparait également souhaitable que le médecin du travail informe les salariés sur la

possibilité de solliciter des consultations médicales de manière spontanée, ce qui

permettrait de favoriser la relation de confiance. Enfin, qu’elles soient obligatoires ou

facultatives, à notre sens, les visites médicales doivent être envisagées comme un espace de

dialogue et d’échange. Au-delà du strict examen clinique, elles doivent aussi être conçues

comme un moyen de recueillir des informations utiles à l’action sur le milieu du travail. Afin

de mettre en œuvre une prévention efficace au sein de l’entreprise, cela suppose

l’identification des facteurs de risques professionnels existants. Or, cet objectif va pouvoir

être réalisé, en partie par l’intermédiaire des informations communiquées par les salariés au

médecin du travail, lors des visites médicales. Tout comme l’énonce avec justesse le propos

suivant : « c’est dans le cabinet médical que les salariés peuvent s’exprimer librement, et en

fait, l’approche individuelle et la dimension collective sont complémentaires et s’alimentent

l’une l’autre. Les médecins se forgent la meilleure connaissance sur les situations de travail

en échangeant avec ceux qui les vivent. L’entretien clinique est donc primordial pour faire le

lien entre atteinte à la santé et travail »123.

Dès lors, même si dans le cadre du suivi médical individuel, le rôle du médecin est

exclusivement ciblé sur la prévention et que le salarié ne dispose pas du libre choix de son

médecin, cette caractéristique ne remet pas en cause l’utilité de ce suivi. Il est alors

indispensable de s’appuyer sur une logique selon laquelle, le suivi médical individuel est l’un

des moyens les plus adéquat pour mener une action efficace sur le milieu du travail et

contribuer à l’essor de la prévention au sein de l’entreprise. A cet égard, il convient ensuite

d’envisager la mise en œuvre concrète de ce suivi, par le biais des examens médicaux

(Chapitre 2).

123 Intervention du 27 janvier 2011, du Sénateur socialiste Jean Pierre Godefroy.

Page 52: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

46

Chapitre 2- La mise en œuvre du suivi individuel par le biais des examens

médicaux :

En tant que conseiller du chef d’entreprise, des salariés, des représentants du

personnel, le médecin du travail doit prévenir la réalisation des risques professionnels,

améliorer et adapter les conditions de travail, afin que la santé et la sécurité des travailleurs

soit préservée au sein de l’entreprise. Afin d’exercer ce rôle préventif, le médecin du travail

opère notamment une surveillance médicale individuelle de tous les salariés au sein de

l’entreprise. Il conviendra d’examiner la mise en œuvre de ce suivi par le médecin du travail,

en déterminant son objectif et ses spécificités (Section 1), puis ses modalités (Section 2), afin

d’en aborder l’aspect critique (Section 3).

Section 1. Approche globale du suivi médical individuel:

Avant d’aborder la mise en œuvre du suivi individuel par le médecin du travail, il

convient tout d’abord de définir les notions d’aptitude et d’inaptitude médicale, de rappeler

quelles sont les différents examens médicaux prévus par les dispositions légales, ainsi que

d’expliquer la distinction existante entre la surveillance médicale simple et la surveillance

médicale renforcée.

§1. La détermination de l’aptitude médicale du salarié en tant qu’objectif du suivi :

La surveillance médicale individuelle consiste, en particulier, à déterminer l’aptitude

du salarié à son poste de travail. Il n’existe pas de définition juridique de l’aptitude médicale

dans le Code du travail. Néanmoins, elle peut se définir comme la compatibilité de l’état de

santé du salarié, avec les risques pouvant résulter de son activité professionnelle, ainsi

qu’avec les exigences du poste de travail occupé. Compétence exclusive du médecin du

travail, la détermination de l’aptitude médicale ou, le cas échéant de l’inaptitude médicale, a

pour finalité de s’assurer que le salarié dispose de la capacité d’exécuter les tâches prévues

par son contrat de travail et de s’adapter à son poste de travail, sans que cela n’entraîne

d’altération pour sa santé. La surveillance médicale individuelle des salariés par le médecin

du travail va s’exercer à différents moments de la relation de travail et se caractériser par le

biais d’examens médicaux qui vont donner lieu à la délivrance d’une fiche médicale

d’aptitude.

Page 53: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

47

A l’occasion des visites médicales, le médecin du travail est amené à délivrer soit un

avis d’aptitude médicale, soit un avis d’inaptitude. S’agissant de la délivrance d’un avis

d’aptitude médicale cela ne pose pas de difficultés particulières. Il signifie que l’état de santé

du salarié se trouve en adéquation avec les exigences du poste de travail occupé. Dès lors, la

relation contractuelle peut s’exécuter normalement. Cependant, concernant la délivrance

d’un avis d’inaptitude médicale par le médecin du travail, les enjeux sont plus importants,

puisque cet avis va avoir un effet sur la relation contractuelle et sur l’emploi du salarié.

Effectivement, il convient de rappeler que, selon les dispositions légales, aucun salarié ne

peut être sanctionné ou licencié en raison de son état de santé ou de son handicap124.

Néanmoins, en cas d’inaptitude médicale constatée par le médecin du travail, l’employeur

aura la possibilité de procéder au licenciement du salarié, sous certaines conditions, telle

que l’impossibilité de reclasser le salarié inapte et selon le respect d’une procédure

spécifique125.

Il convient également de préciser qu’il existe différents types d’avis d’inaptitudes.

L’inaptitude peut être d’origine professionnelle, lorsqu’elle résulte d’un accident du travail

ou d’une maladie professionnelle, ou d’origine non professionnelle, lorsqu’elle résulte d’une

maladie ou d’un accident non professionnel. En outre, l’inaptitude du salarié à son poste de

travail peut être partielle, c'est-à-dire que ce dernier reste capable d'accomplir une partie

des tâches correspondant à son poste ; ou bien totale, ce qui signifie qu’il ne peut plus

accomplir aucune des tâches correspondantes à son poste, mais reste capable de tenir un

emploi différent. Quelle soit partielle ou totale, l’inaptitude peut être également définitive

ou temporaire, lorsque le salarié est susceptible de recouvrer ses capacités, à brève

échéance.

Déterminées lors des examens médicaux, les notions d’aptitude et d’inaptitude

médicale se trouvent au cœur du système de santé au travail français et ses enjeux sont

considérables, étant donné qu’elles peuvent engendrer d’importantes conséquences sur

l’emploi des salariés. Cependant, il s’agit de notions complexes qui peuvent conduire à

l’émergence de plusieurs difficultés.

124 Article L.1132-1 du Code du travail. 125 ANNEXE 1, Procédure de licenciement pour inaptitude.

Page 54: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

48

A titre d’exemple, il est courant dans la pratique, que les employeurs opèrent une

confusion entre la notion d’inaptitude médicale et celle d’invalidité qui sont pourtant

autonomes. La notion d’invalidité, qui se rapporte à l’état d’une personne ayant subi d’une

manière durable une réduction des deux tiers de sa capacité de travail ou de gain, est une

notion de sécurité sociale126. Elle ne se trouve pas en lien directe avec le Droit du travail,

puisqu’elle n’a pas d’incidence sur l’exécution du contrat de travail. Il n’est ainsi pas possible

pour l’employeur d’envisager le licenciement d’un salarié, au seul motif qu’il est déclaré

invalide127. Comme le soulève avec exactitude le rapport Gosselin : malgré la proximité de

ces notions « en ce qu’elles s’appuient sur l’impossibilité pour l’assuré social d’occuper tout

emploi » elles sont indépendantes, « dans la mesure par exemple où la mise en invalidité de

deuxième catégorie, prononcée par le médecin conseil de la caisse primaire d’assurance

maladie ou de la MSA, n’est pas incompatible avec la constatation par le médecin du travail

de l’aptitude du salarié au poste de travail »128.

De plus, les notions d’aptitude et d’inaptitude médicale peuvent conduire à des

difficultés pratiques pour les employeurs, en particulier, s’agissant des avis d’aptitude avec

réserves. Le médecin du travail se retrouve souvent au cœur « d’un conflit entre le droit à la

santé et l'emploi du travailleur ». Dès lors, il peut être soumis à la tentation « d'éviter

l'emploi du mot fatidique d'inaptitude et de lui préférer celui d'aptitude quitte à l'assortir de

nombreuses réserves »129.

S’il est possible d’identifier des difficultés et des critiques autour de la pertinence des

notions d’aptitude et de l’inaptitude médicale130, force est de constater, que la place de la

vérification de l’aptitude au poste de travail reste cependant prépondérante dans le suivi

médical individuel des salariés par le médecin du travail.

126 Articles L.341-1 et R.341-2 du Code de sécurité sociale. 127 Cass. Soc. 13 mars 2001, N° 98-43.403, Cousin c/ Sté Bally France et a.SA Bally France et a : L'employeur ne peut pas licencier le salarié en raison de son état d'invalidité. Un licenciement fondé sur l'invalidité est nul au titre de l'article L.1132-1 du Code du travail car lié à l'état de santé du salarié. 128 GOSSELIN (H.), « Aptitude et inaptitude Médicale au travail: diagnostic et perspectives », Janvier 2007, p.5. 129 VERKINDT (P.Y.), « Avis d'aptitude avec réserves = avis d'inaptitude ? », JCP S, n° 37, 11 Septembre 2007, 1671. 130 GOSSELIN (H.), « Aptitude et inaptitude Médicale au travail: diagnostic et perspectives », Janvier 2007, p.5.

Page 55: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

49

§2. Les différents examens médicaux prévus par les dispositions légales :

De manière générale, la notion de suivi médical individuel des salariés se rapporte à

l’activité clinique du médecin du travail. Cette approche clinique individuelle fut l’activité

première de la médecine du travail, ce qui peut s’expliquer par le fait qu’elle est la plus aisée

à mettre en œuvre, mais aussi, qu’elle a « l’avantage de ne pas remettre en cause

l’organisation du travail dans l’entreprise et de la production, ainsi que les pouvoirs du chef

d’entreprise»131. De plus, cet ancrage historique permet de comprendre la prédominance de

l’approche individuelle de la prévention existante dans le système de santé au travail

français. Effectivement, l’action sur le milieu du travail, introduite à partir du décret du 20

mars 1979, a mis un certain temps à trouver une réelle effectivité dans la pratique.

Le Code du travail prévoit trois types d’examens médicaux obligatoires qui vont être

exercés par le médecin du travail à différents moments de la relation contractuelle. Il s’agit

de la visite d’embauche132, des visites périodiques133 et la visite de reprise134. L’exercice de

ces examens par le médecin du travail est primordial étant donné qu’ils font partie

intégrante des obligations de l’employeur qui, en cas de manquement, pourra se voir

sanctionné. Outre ces visites médicales obligatoires, le Code du travail prévoit également

l’exercice d’examens médicaux facultatifs par le médecin du travail. Il s’agit de la visite de

pré-reprise135, de la visite à la demande du salarié ou de l’employeur136 et des examens

complémentaires137. A ce titre, il conviendra d’envisager, l’intérêt de ces différents examens,

leurs contenus, ainsi que les sanctions existantes en cas non respect.

Concernant ces visites, il est utile de préciser que leur organisation relève de la

responsabilité de l'employeur. Ainsi, le temps consacré aux visites médicales et aux examens

complémentaires est, soit pris sur le temps de travail des salariés, sans qu’aucune retenue

de salaire ne puisse être opérée, soit rémunéré comme du temps de travail normal, dans le

cas où les examens ne peuvent pas avoir lieu sur le temps de travail. Le temps de trajet et les

131 CHAUMETTE (P.), «Les services sociaux et médicaux du travail, l’essor de l’humain dans l’entreprise », Thèse Droit, Rennes, 30 juin 1981. 132 Articles R.4624-10 et R.4624-11 du Code du travail. 133 Articles R4624-16 et R.4624-17 du Code du travail. 134 Articles R.4624-21 et R.4624-22 du Code du travail. 135 Article R.4624-23 du Code du travail. 136 Article R.4624-18 du Code du travail. 137 Articles R.4624-25 à R.4624-27 du Code du travail.

Page 56: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

50

frais de transport nécessaires pour ces examens se trouvent également à la charge de

l'employeur.

§3. La distinction entre la surveillance médicale simple et la surveillance médicale

renforcée :

Au préalable, il est nécessaire de rappeler que, depuis le décret N°2004-760 du 28

juillet 2004, complété par la circulaire du 7 avril 2005138 relative à la réforme de la médecine

du travail, les dispositions règlementaires opèrent une distinction entre la surveillance

médicale « simple » et la surveillance médicale « renforcée »139. L’intérêt de la distinction

tient au fait, qu’en fonction du type de surveillance dont bénéficie le salarié, la mise en

œuvre des examens médicaux par le médecin du travail diffère, notamment, en ce qui

concerne la fréquence. La surveillance médicale renforcée par le médecin du travail

bénéficie aux salariés, soit en raison de caractéristiques qui leurs sont propres, soit en raison

des risques professionnels spécifiques auxquels ils sont exposés.

A cet égard, certaines catégories de salariés, en raison de leur situation personnelle,

telles que, par exemple, les travailleurs handicapés, les femmes enceintes, les travailleurs

mineurs, doivent être soumis à une surveillance médicale renforcée. En plus de ces

catégories définies par le Code du travail, certains salariés sont soumis à une surveillance

médicale renforcée, en raison de l’exposition à des produits particuliers ou à la réalisation de

certains travaux énoncés par les règlements. Tel est le cas, par exemple, des salariés exposés

au bruit, à l’amiante, à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la

reproduction.

Section 2. L’exercice des examens médicaux par le médecin du travail :

Dans le cadre du suivi individuel des salariés, le Code du travail prévoit que le médecin

du travail peut être amené à exercer différents examens médicaux. A cet égard, il

conviendra de distinguer les visites médicales obligatoires (visite médicale d’embauche,

périodiques et de reprise) et les visites médicales facultatives (visite médicale de pré-reprise,

à la demande et les examens complémentaires).

138 Circulaire DRT N° 2005-03 relative à la réforme de la médecine du travail. 139 Article R.4624-19 du Code du travail.

Page 57: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

51

§1. Les visites médicales obligatoires :

A. La visite médicale d’embauche :

Selon le Code du travail, tout salarié doit en principe faire l’objet d’un examen médical

avant son embauche, ou au plus tard avant l’expiration de sa période d’essai, quelque soit,

l’effectif de l’entreprise, la durée et le type de contrat de travail. Par exception, cette visite

médicale doit obligatoirement avoir lieu avant l'embauche, pour les salariés soumis à une

SMR140. L’objectif de la visite médicale d’embauche consiste à rechercher si le futur salarié

ne serait pas atteint d’une affection dangereuse, pour les autres salariés occupant

l’entreprise, et, d’apprécier s’il est apte à exercer les tâches prévues par son contrat de

travail. Le cas échéant, cette visite peut être aussi l’occasion pour le médecin du travail de

proposer des adaptations du poste de travail ou l'affectation du salarié à un autre poste au

sein de l’entreprise141.

En pratique, cette visite médicale se déroule en deux temps. Tout d’abord, le médecin

du travail va s’entretenir avec le salarié. A cet égard, il peut lui poser diverses questions, par

exemple, sur son état général de santé, son hygiène de vie, sur son activité professionnelle

antérieure, dans le but de déceler des risques professionnels éventuels auxquels le salarié

aurait pu être précédemment exposé. Ensuite, le médecin du travail procède à un examen

clinique du salarié au titre duquel il peut contrôler, par exemple, sa vue, son ouïe, sa

résistance à l’effort physique. Lors de cette visite d’embauche, le médecin du travail va

constituer un dossier médical142, soumis au secret professionnel, qui va permettre le suivi de

l’état de santé du salarié, dans lequel il va consigner les différents résultats des examens. Ce

dossier médical sera ensuite complété par le médecin lors des consultations ultérieures.

Suite à la visite médicale d’embauche, le médecin du travail établit une fiche médicale

d’aptitude ou, le cas échéant, d’inaptitude médicale en deux exemplaires, destinés au salarié

et à l’employeur qui doit la conserver143. En raison du secret professionnel, cette fiche

médicale d’aptitude, également délivrée lors des visites périodiques et de reprises, ne doit

en aucun cas mentionner des considérations d’ordre médical.

140Articles R.4624-10 du Code du travail. 141Article R.4624-11 du Code du travail. 142Article D.4624-46 du Code du travail. 143Article D.4624-47 du Code du travail.

Page 58: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

52

La visite médicale d’embauche est une condition de validité du contrat de travail qui

s’impose à chacun des cocontractants et, en cas de non respect de cet examen, l’employeur

s’expose à des sanctions pénales. Le fait que le salarié, qui, convoqué à deux reprises, ne se

soit pas rendu à la visite médicale d’embauche, n'exonère pas l’employeur de ses

obligations144.

Bien que les sanctions soient dissuasives, contrairement aux dispositions du Code du

travail, il est fréquent, en pratique, que la visite médicale d’embauche soit effectuée après

l’expiration de la période d’essai. Cette situation peut tout d’abord s’expliquer par le fait

que, compte tenu du contexte démographique défavorable des médecins du travail, il est

parfois difficile de respecter les dispositions en vigueur. Ensuite, parce que les parties au

contrat de travail, peuvent être amenées à considérer cet examen comme une simple

formalité. Néanmoins, il est recommandé au chef d’entreprise d’être vigilant sur ce point. En

effet, une décision récente de la Cour de Cassation a indiqué, qu’en vertu de l’obligation de

sécurité-résultat dont il est titulaire, l’employeur est tenu d’assurer l’effectivité de la visite

médicale d’embauche. Dès lors, l’employeur qui n’aurait pas respecté la mise en œuvre de

cette visite, dans les conditions prévues par le Code du travail, cause nécessairement un

préjudice au salarié et lui est, à cet égard, redevable de dommages et intérêts145.

Tel que le souligne, l’avis du Conseil Economique et Social relatif à « l’avenir de la

médecine du travail », la visite médicale d’embauche doit être l’occasion pour le médecin du

travail, d’informer le salarié sur son poste de travail, des principaux risques auxquels il est

exposé et des mesures de préventions adaptées.

La visite d’embauche devrait également permettre au médecin du travail de définir les

modalités et la périodicité du suivi médical à mettre en œuvre de façon personnalisée146.

Toutefois, force est de constater, que cette proposition n’a pour le moment pas été prise en

considération par le législateur. Dans le cadre de la surveillance médicale simple, la

périodicité des visites reste fixée par le Code du Travail, même si le médecin du travail a la

possibilité de demander un suivi individuel plus rapproché en fonction de situations

particulières.

144 Cass. Crim.4 Mai 1976, Dr. Soc, 1977, p.47. 145 Cass. Soc, 5 octobre 2010, N° 09-40.913, Kamara c/Leblay et a. 146DELLACHERIE (C.), « L’avenir de la médecine du travail », Avis du Conseil Economique et Social, 2008, p.25.

Page 59: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

53

B. Les visites médicales périodiques :

En principe, chaque salarié doit bénéficier d'examens médicaux périodiques au moins

tous les vingt quatre mois. Par exception, pour les salariés soumis à une SMR, le médecin du

travail est juge de la fréquence et de la nature des examens médicaux périodiques pratiqués,

sachant qu’ils devront être renouvelés au minimum une fois par an. L’objectif des visites

médicales périodiques consiste à s’assurer du maintien de l’aptitude médicale du salarié au

poste de travail occupé. Concernant le contenu de cet examen, il est identique à la visite

médicale d’embauche. Cet examen n’est pas une simple formalité : le refus du salarié de se

soumettre à la visite médicale périodique pouvant constituer une cause réelle et sérieuse de

licenciement147. Dès lors, si l’employeur est dans l’obligation de respecter la mise en œuvre

des examens médicaux, le salarié s’expose également à des sanctions en cas de non respect

des textes réglementaires. A notre sens, cette position jurisprudentielle se trouve justifiée

parce qu’elle est en adéquation avec le principe de « participation équilibrée » des parties au

contrat de travail, en matière de santé et de sécurité au travail, prévu par la Directive

Européenne du 12 juin 1989.

C. La visite médicale de reprise :

Les salariés doivent obligatoirement bénéficier d’une visite médicale de reprise, dans

plusieurs circonstances : suite à un congé maternité, suite à une absence pour cause de

maladie professionnelle, suite à une absence d’au moins huit jours pour cause d’accident du

travail, suite à une absence d’au moins vingt et un jours pour cause de maladie ou d’accident

non professionnels, suite à des absences répétées pour raisons de santé148. Cet examen a

pour objectif d’apprécier l’aptitude du salarié à reprendre son ancien emploi, la nécessité

d’une adaptation des conditions de travail ou d’une réadaptation du salarié ou

éventuellement de l'une et de l'autre de ces mesures. La visite médicale de reprise doit

intervenir, à l’initiative de l’employeur au plus tard dans les huit jours de la reprise du travail

par le salarié149. Le défaut d’organisation de la visite de reprise par l’employeur constitue,

selon les juges, un manquement de ce dernier à son obligation de sécurité de résultat en

matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Sur ce point, la Cour de

147 Cass. Soc, 29 mai 1986, N° 83-45409, El Yacoubi c/ Sté Automobiles Peugeot : Bull. civ. V, no 262. 148 Article R.4624-21 du Code du travail. 149 Article R.4624-22 du Code du travail.

Page 60: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

54

Cassation a précisé que, lorsque l’employeur s’abstient d’organiser la visite médicale de

reprise, le contrat de travail du salarié reste suspendu, mais également, que le non respect

de cette obligation cause nécessairement un préjudice au salarié150. En outre, l’absence

d’organisation de la visite médicale de reprise permet au salarié de prendre acte de la

rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur151.

Il convient de préciser que, lorsque le médecin du travail constate l’inaptitude

médicale du salarié, lors de la première visite de reprise, l’employeur devra organiser une

seconde visite de reprise dans un délai de quinze jours calendaires. Ce n’est qu’à l’issue de

cette seconde visite de reprise, si l’inaptitude médicale par le médecin du travail est

confirmée, qu’il pourra alors envisager le licenciement du salarié, sous réserve de remplir

l’obligation de reclassement qui lui incombe152. Une seconde visite de reprise n’est pas

indispensable lorsque le médecin du travail constate « un danger immédiat pour la santé ou

la sécurité de l’intéressé ou celles des tiers »153. Dans ce cas, le médecin du travail devra

indiquer clairement sur la fiche d’inaptitude remise au salarié qu’une seule visite est

nécessaire. Sur ce point, la jurisprudence a précisé que ce dernier doit mentionner sur l’avis,

soit la situation de danger, soit la référence à l’article R.4624-31 du Code du travail en

précisant qu’une seule visite est effectuée154.

§2. Les visites médicales facultatives :

A. La visite médicale de pré-reprise :

Contrairement à la visite médicale de reprise, qui intervient à l’initiative de

l’employeur, à l’issu de l’arrêt de travail du salarié, la visite médicale de pré-reprise a lieu

pendant l’arrêt de travail du salarié. Elle ne met donc pas fin à la suspension du contrat de

travail et ne donne pas lieu à la délivrance d’un certificat d’aptitude par le médecin du

travail. La visite médicale de pré-reprise peut exclusivement être sollicitée par le salarié, son

médecin traitant ou le médecin conseil des organismes de sécurité sociale. Il convient de

150 Cass. Soc, 13 décembre 2006, N°05-44580. 151 Cass. Soc, 16 juin 2009, N° 08-41519. 152 ANNEXE 1, Procédure de licenciement pour inaptitude. 153 Article R.4624-31 du Code du travail. 154 Cass. Soc 20 janvier 2010 n° 08-45270, Cass. Soc, 21 mai 2008 n° 07-4138, Cass. Soc, 19 janvier 2005 n° 03-40765.

Page 61: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

55

préciser que, l’avis du médecin du travail devra de nouveau être sollicité à la fin de l’arrêt de

travail du salarié, lors de la reprise effective de l’activité professionnelle.

La visite médicale de pré-reprise a pour objectif de faciliter la recherche des mesures

nécessaires lorsqu’une modification de l’aptitude au travail du salarié est prévisible155. Celle-

ci est généralement peu sollicitée en pratique, néanmoins, elle représente un véritable

intérêt. Elle est notamment l’occasion pour le médecin du travail d’échanger avec le salarié,

d’envisager des adaptations, des aménagements de son poste de travail, compte tenu de

son état de santé. Même si la réalisation de la visite de pré-reprise ne dispense pas

l’employeur de son obligation d’organiser la visite médicale de reprise, elle peut être un

moyen efficace d’anticiper le reclassement éventuel du salarié, dans une véritable logique de

maintien dans l’emploi.

B. Les visites médicales à la demande :

S’il le souhaite, en dehors des visites médicales périodiques prévues par le Code du

travail, le salarié peut demander à bénéficier d’un examen médical par le médecin du travail.

A cet effet, il peut prendre directement contact avec le médecin du travail, sans avoir à

motiver sa demande auprès de l’employeur, cette démarche ne pouvant donner lieu à une

sanction à son encontre156. Le salarié n’est pas tenu d’exposer à l’employeur les motifs de sa

demande protégés par le secret médical. Un examen médical spontané peut également être

demandé par l’employeur afin de s’assurer du maintien de l’aptitude médicale du salarié.

Cette faculté peut s’avérer utile, par exemple, en cas de changement de poste de travail du

salarié.

C. Les examens complémentaires :

Enfin, le médecin du travail peut prescrire des examens complémentaires nécessaires à

la détermination de l'aptitude médicale du salarié au poste de travail, notamment, au

dépistage des affections comportant une contre-indication à un poste de travail, mais aussi,

au dépistage des maladies à caractère professionnel ou dangereuses pour l'entourage. Bien

155 Article R.4624-23 du Code du travail. 156 Article R.4624-18 du Code du travail.

Page 62: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

56

qu’ils soient facultatifs, les examens médicaux complémentaires s'imposent au salarié sous

peine de sanctions disciplinaires157.

Section 3. Approche critique du suivi médical individuel :

Force est d’observer que l’efficacité du suivi médical individuel par le biais des

examens médicaux est régulièrement remis en cause. Telle que le souligne l’affirmation

suivante : « Comme l’a montré le scandale de l’amiante, ces visites ne représentent bien

souvent sur le plan sanitaire qu’une sécurité illusoire ». Afin d’appuyer ce propos il est

énoncé que : « le service de santé au travail est encore aujourd’hui trop souvent conçu

comme une obligation de moyens reposant sur la réalisation d’un nombre requis de visites

médicales »158. Cela illustre avec justesse la nécessité d’adapter les modalités de

fonctionnement du suivi médical individuel, afin qu’il se trouve en adéquation avec les

besoins en matière de santé au travail.

Bien qu’il soit possible de relever, « un réel attachement des salariés et des

représentants syndicaux à la visite médicale, ressentie et présentée comme un acquis

social »159, il n’en demeure pas moins l’existence de difficultés. Si la surveillance médicale

individuelle par le médecin du travail, « permet une observation privilégiée à la fois sur la

personne et le poste de travail concerné »160, elle fait néanmoins l’objet de diverses critiques.

Pour autant, les visites médicales représentent un véritable moyen pour le médecin du

travail d’exercer une prévention efficace des risques professionnels.

Ces examens permettent l’acquisition d’un ensemble de connaissances relatives aux

risques professionnels. Or, lorsqu’elles sont mises à profit, elles peuvent bénéficier tant au

salarié en tant qu’individu qu’à l’ensemble des salariés de l’entreprise, ainsi que contribuer à

l’effectivité de l’obligation de sécurité résultat dont l’employeur est titulaire. A notre sens,

adapter le fonctionnement du suivi médical individuel par le médecin du travail, apparait

cependant souhaitable. Afin d’améliorer ce suivi médical individuel par le médecin du travail,

plusieurs perspectives semblent envisageables.

157 Cass. Soc, 20 mai 1980, Bull.civ. V n° 435. 158 LEFRAND (G.), Rapport sur la proposition de loi, adoptée par le sénat relative à l’organisation de la médecine du travail, 15 juin 2011, N°3529. 159 AUBIN (C.), PELISSIER (R.), DE SAINTIGNON (P.), VEYRET (J.), CONSO, (F.), FIRMAT (P.), « Rapport sur le bilan de la reforme de la médecine du travail », Octobre 2007, p. 33. 160 DELLACHERIE (C.), « L’avenir de la médecine du travail », Avis du Conseil Economique et Social, 2008, p.23.

Page 63: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

57

A cet égard, le rapport du Conseil Economique et Social relatif à l’avenir de la

médecine du travail161 propose, notamment, de supprimer le caractère systématique des

visites médicales. Dans le cadre de la surveillance médicale simple, le médecin du travail

disposerait alors de la possibilité de déterminer la fréquence de ces examens, en fonction de

l’état de santé du salarié et des risques auxquels il est exposé. L’objectif de prévention serait

ainsi ciblé, individualisé et modulé en fonction des besoins de chacun en matière de santé au

travail. Laisser une plus grande marge d’appréciation au médecin du travail, dans la

détermination des modalités du suivi médical individuel, permettrait ainsi d’opérer une

transition d’un système de santé au travail, fondé sur le respect d’obligations règlementaires

vers un système davantage basé sur l’aspect qualitatif.

De même, il serait judicieux d’envisager une collaboration plus étroite entre le

médecin du travail et les infirmiers au travail, dont la spécialisation et la formation

pourraient être valorisées. Par exemple, dans le cadre de la surveillance médicale simple, il

serait possible de leurs confier l’exercice des visites périodiques, tout en favorisant l’accès et

l’information des salariés sur la faculté de recours aux consultations médicales spontanées

lorsqu’ils en ressentent le besoin. Malgré la pertinence de ces propositions, elles ne

semblent pas encore avoir trouvées réellement écho, notamment, dans le cadre de

l’adoption de la récente réforme du 20 juillet 2011 relative à l’organisation de la médecine

du travail162.

En outre, il est reproché au suivi médical individuel d’apprécier en priorité l’aptitude

des salariés à occuper leur emploi, compte tenu des contraintes de cet emploi, plutôt que

d’agir réellement sur ces contraintes163. En ce sens, il se trouverait en opposition par rapport

au principe selon lequel, il convient d’adapter le travail à l’homme et non l’inverse164.

Toutefois, envisager le suivi médical individuel d’une part et l’action sur le milieu du travail

d’autre part, ne parait pas être une approche souhaitable. Il semble davantage pertinent de

considérer comment ces deux aspects peuvent être complémentaires.

161 DELLACHERIE (C.), « L’avenir de la médecine du travail », Avis du Conseil Economique et Social, 2008, p.25. 162 Loi N° 2011-867 du 20 juillet 2011 relative à l’organisation de la médecine du travail, J.O, 24 juillet 2011. 163 AUBIN (C.), PELISSIER (R.), DE SAINTIGNON (P.), VEYRET (J.), CONSO, (F.), FIRMAT (P.), « Rapport sur le bilan de la reforme de la médecine du travail », Octobre 2007, p.9. 164 Article L4121-2 du Code du travail.

Page 64: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

58

Comme nous avons eu l’occasion de le mettre en évidence, la pluralité d’acteurs, par

les moyens et les compétences dont ils disposent, et lorsque leurs actions sont coordonnées

en matière de santé et de sécurité au travail, permet d’assurer l’efficacité du dispositif de

prévention. Dispositif au sein duquel le médecin du travail a un véritable rôle à jouer. Si la

prévention nécessite l’action sur le milieu du travail et qu’elle doit s’inscrire dans un cadre

collectif, notamment afin d’acquérir une vision globale des risques professionnels, elle se

traduit également par la mise en œuvre du suivi médical individuel qui constitue un apport

majeur. En effet, l’intérêt de ce suivi réside dans le fait qu’il permet de prendre en

considération les spécificités de chaque individu, ce qui parait indispensable en raison du

caractère subjectif qu’implique la notion même de santé.

Ensuite, parce c’est aussi l’appréciation des situations individuelles, dans le cadre du

suivi, qui va permettre l’acquisition de la connaissance des risques professionnels, ce qui

contribue indéniablement à l’essor de la prévention au niveau collectif. Dès lors, il serait

souhaitable de parvenir à un équilibre entre l’action sur le milieu du travail et la surveillance

médicale individuelle par le médecin du travail, bien que cet objectif semble, à l’heure

actuelle, difficilement réalisable compte tenu du contexte démographique défavorable des

médecins du travail.

Sans doute faudra t’il attendre quelque temps afin d’examiner avec plus de recul les

effets de la récente réforme relative à l’organisation de la médecine du travail165. Bien que le

suivi individuel par le médecin du travail représente, à notre sens, un véritable moyen

d’action en matière de prévention, il nécessite des adaptations, notamment afin de

répondre aux nouveaux enjeux existants en matière de santé et de sécurité au travail. A cet

égard, il conviendra d’envisager ensuite, les évolutions souhaitables du rôle du médecin du

travail dans le cadre du suivi individuel, afin de parvenir, dans la mesure du possible, à une

prévention effective de la santé et de la sécurité au travail des salariés (Partie 2).

165 Loi N° 2011-867 du 20 juillet 2011 relative à l’organisation de la médecine du travail, J.O, 24 juillet 2011.

Page 65: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

59

PARTIE 2 : LA NECESSAIRE ADAPTATION DU DISPOSITIF DE

PREVENTION AFIN DE GARANTIR L’EFFECTIVITE DE LA SANTE ET DE

SECURITE AU TRAVAIL :

Afin d’assurer une prévention efficace, en matière de santé et de sécurité au travail, il

a précédemment été démontré que de véritables moyens existent au sein de l’entreprise. En

effet, la diversité des acteurs et notamment de leurs prérogatives, ainsi que de leurs

compétences, permet de contribuer à l’essor de la prévention des risques professionnels au

sein de l’entreprise. Plus spécifiquement, il a été envisagé qu’en matière de prévention le

rôle du médecin du travail, dans le cadre du suivi médical individuel des salariés, s’avère

essentiel afin de concourir à l’efficacité du dispositif.

Néanmoins, cette analyse a également été l’occasion de mettre en lumière les

difficultés auxquelles le médecin du travail peut être confronté dans la mise en œuvre de ce

suivi, difficultés, qui ont actuellement tendance à s’accentuer. En effet, depuis la mise en

place des services médicaux par la loi du 11 octobre 1946, force est d’observer que les

relations de travail ont connu de profondes évolutions. Au cours des vingt dernières années,

« les transformations technologiques, organisationnelles et managériales du monde du

travail et de son environnement, qui s’inscrivent désormais dans un contexte mondialisé, sont

autant d’éléments qui impactent la santé au travail en modifiant la nature et la gravité des

risques auxquels sont exposés les salariés »166.

Ainsi, afin de garantir une prévention effective des risques professionnels au sein de

l’entreprise, il est indispensable que dans le cadre du suivi individuel, le rôle du médecin du

travail soit en adéquation avec les besoins des salariés, en matière de santé et de sécurité au

travail. Dès lors, le médecin du travail va nécessairement devoir tenir compte de ces

évolutions afin de mettre en œuvre un suivi individuel des salariés qui soit adapté.

166 DELLACHERIE (C.), « L’avenir de la médecine du travail », Avis du Conseil Economique et Social, 2008, p.11.

Page 66: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

60

Or, il conviendra d’envisager que ces évolutions tendent parfois à compliquer le suivi

dans la mesure où elles conduisent, par exemple, à l’émergence de nouveaux risques

professionnels, tels que, par exemple, le développement des risques psychiques167.C’est

pourquoi, il s’agira d’examiner dans quelle mesure l’évolution des relations de travail peut-

elle impacter sur le rôle du médecin du travail en matière de suivi individuel ? (Titre 1).

Néanmoins, si le médecin du travail doit faire face à de nouveaux enjeux en matière de santé

au travail, il est possible de constater qu’il dispose, à cet effet, de différents moyens afin

d’optimiser le suivi individuel des salariés (Titre 2).

Il convient de préciser que l’ensemble de notre propos sera plus particulièrement axé

sur les apports de la loi du 20 juillet 2011, relative à l’organisation de la médecine du travail,

en matière de suivi individuel des salariés.

167 Les risques psychiques ou risques psychosociaux ne sont pas définis juridiquement. Ils sont à l’interface de l’individu et de sa situation de travail d’où le terme de risque psychosocial. Sous l’entité de risques psychosociaux on entend stress, mais aussi violences internes (harcèlement moral, harcèlement sexuel) et violences externes (exercées par des personnes extérieures à l’entreprise à l’encontre des salariés) http://www.travailler-mieux.gouv.fr/Les-RPS-c-est-quoi.html ; LEROUGE (L.), La reconnaissance d'un droit à la protection de la santé mentale en droit du travail, LGDJ, 2005, coll. « Thèses ».

Page 67: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

61

TITRE 1- Le rôle du médecin du travail face aux nouveaux enjeux en matière de

santé et de sécurité au travail :

L’évolution des relations du travail se manifeste sous différents angles : économiques,

sociales, mais aussi, juridiques. Les transformations du monde du travail résultent en partie

de la croissance, des activités de services, mais également du développement des nouvelles

technologies. Or, l’ensemble de ces transformations va nécessiter la capacité d’adaptation

des salariés soumis à de nouvelles contraintes physiques et psychiques. Il conviendra

d’étudier les conséquences de ces évolutions, en matière de santé et de sécurité au travail

dans la mesure où, en fonction de celles-ci, le médecin du travail va devoir ajuster le suivi

individuel des salariés (Chapitre 1).

Si « le droit du travail prend appui, depuis son origine, sur des considérations relatives à

la protection de la santé du corps des salariés face aux risques d'accidents du travail »168, il

est néanmoins possible de constater que le rôle du médecin du travail s’inscrit désormais

dans un cadre plus large. Dès lors, le suivi individuel des salariés implique à la fois,

l’identification par le médecin du travail, des risques professionnels physiques, mais

également, celle des risques professionnels psychiques. Il conviendra d’examiner, qu’en

insérant explicitement la notion de santé mentale dans le Code du travail, la loi de

modernisation sociale du 17 janvier 2002, impacte directement sur le rôle du médecin du

travail en matière de suivi individuel des salariés (Chapitre 2).

168 DEJOURS (C.), ROSENTAL (P.A), « La souffrance au travail a-t-elle changé de nature ? », RDT, N° 1 janvier 2010, p. 9.

Page 68: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

62

Chapitre 1- L’impact des évolutions économiques et sociales sur le suivi

individuel :

Ces vingt dernières années, le travail a connu d’importantes transformations tant au

niveau de son contenu que de son organisation. D’un point de vue économique, dans un

contexte où l’emploi est fragile (montée en puissance du chômage et développement des

emplois précaires), où les exigences des employeurs en matière de productivité tendent à

s’accroître, la compétitivité entre les salariés, ainsi que les rythmes de travail s’intensifient,

ce qui n’est pas dépourvu de conséquences pour les salariés en matière de santé et de

sécurité au travail. D’un point de vue social, les interférences entre la vie professionnelle et

extra-professionnelle du salarié sont de plus en plus présentes et, tel que le souligne le

propos suivant, le médecin du travail se trouve confronté à « des pathologies qui dépassent

le strict cadre du travail mais rejaillissent sur lui (conditions de vie précaires, déstructuration

familiale, addictions, vieillissement de la population) »169. Tant de facteurs qui interagissent

les uns sur les autres, ce qui ne facilite pas le rôle du médecin du travail dans la mise en

œuvre du suivi individuel. Ainsi que l’indique le rapport relatif au bilan de la réforme de la

médecine du travail, « les évolutions économiques et sociales représentent des défis

importants en termes de santé au travail »170. A ce titre, il s’agira d’aborder les

conséquences des transformations en matière d’emploi sur la mise en œuvre du suivi

individuel des salariés (Section 1) ainsi que d’étudier la diversité des facteurs pouvant

nécessiter l’ajustement de ce suivi par le médecin du travail (Section 2).

169 LEFRAND (G.), Rapport sur la proposition de loi, adoptée par le sénat relative à l’organisation de la médecine du travail, 15 juin 2011, N°3529. 170 AUBIN (C.), PELISSIER (R.), DE SAINTIGNON (P.), VEYRET (J.), CONSO, (F.), FIRMAT (P.), « Rapport sur le bilan de la reforme de la médecine du travail », Octobre 2007, p.40.

Page 69: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

63

Section 1. Les transformations en matière d’emploi et la continuité du suivi :

Concernant les évolutions des relations de travail ayant un impact en matière de suivi

individuel, conformément au rapport précité, il convient tout d’abord de se référer, à

l’expansion des formes atypiques d’emploi, ainsi qu’au développement de la mobilité

professionnelle.

§1. Le développement des formes atypiques d’emploi :

« Le développement de formes atypiques de travail qui s’écartent du modèle

traditionnel fondé sur le contrat de travail à durée indéterminée est un véritable défi pour la

médecine du travail »171. Au regard de cette affirmation, force est de constater que, si en

principe, le contrat à durée indéterminée est la forme normale de la relation contractuelle

de travail, ces dernières années, les contrats de travail spéciaux se sont développés. Le

recours au contrat de travail à durée déterminée ou bien encore le recours au travail

intérimaire, par exemple, s’est accentué. Il est également moins fréquent que les salariés

réalisent l’ensemble de leur carrière au sein d’une même entreprise, ces derniers étant

davantage mobiles. Or, le développement des formes atypiques d’emploi et de la mobilité

professionnelle sont deux facteurs qui peuvent poser des difficultés dans la mise en œuvre

du suivi individuel par le médecin du travail, en ce qui concerne à la fois, sa continuité et son

efficience.

La mise en œuvre du suivi médical individuel, par le biais des examens médicaux,

semble tout d’abord mieux adaptée aux salariés en CDI qu’aux salariés en CDD.

Effectivement, dans le cadre du suivi des salariés en CDD, les changements fréquents

d’employeurs ne permettent pas d’établir une relation stable entre ces travailleurs et le

médecin du travail. La notion même de suivi implique en effet l’idée de durée et de

continuité. Ensuite, compte tenu du caractère variable des postes de travail et de la diversité

des tâches qu’ils peuvent être amenés à exécuter, la capacité d’adaptation des salariés en

CDD ou intérimaires est fortement sollicitée. De plus, ces derniers sont souvent exposés à

des risques professionnels multiples.

171 AUBIN (C.), PELISSIER (R.), DE SAINTIGNON (P.), VEYRET (J.), CONSO, (F.), FIRMAT (P.), « Rapport sur le bilan de la reforme de la médecine du travail », Octobre 2007, p.40.

Page 70: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

64

Dès lors, il peut s’avérer délicat pour le médecin du travail d’identifier et d’évaluer

avec précision l’ensemble des risques auxquels le salarié a pu être exposé et d’assurer un

suivi individuel efficace. En effet, « le développement des formes atypiques d’emploi, qu’il

s’agisse du travail temporaire ou des contrats à durée déterminée, rend le suivi des salariés

plus difficile et complique encore la compréhension du risque »172.

Concernant les salariés temporaires, il convient de relever, qu’en matière de suivi

médical individuel, le Code du travail prévoit des dispositions particulières qui prennent en

compte la spécificité de leur situation. Ainsi, par exemple, l’examen médical d’embauche,

effectué par le médecin du travail de l’entreprise de travail temporaire, peut avoir pour

objet de rechercher si le salarié est médicalement apte à exercer plusieurs emplois dans la

limite de trois173.

Selon un aspect plus subjectif, l’extension des formes d’emploi précaire, tel que le

recours au CDD ou à l’intérim peut avoir tendance à générer un sentiment d’insécurité

auprès des salariés. Or, cette situation peut se répercuter sur la santé des individus. Telle

que l’expose avec justesse cette idée : « la précarité de l’emploi, lorsqu’elle est en lien avec

l’incertitude de l’emploi et la notion de discontinuité qui peut lui être attachée rendent le

travailleur plus vulnérable aux risques ». De plus, l’intermittence entre l’emploi et la

précarité du travail aurait pour conséquence de favoriser le développement d’atteintes chez

les salariés, notamment d’ordre psychique174. A cet égard, il semble souhaitable que, dans le

cadre du suivi individuel des salariés en contrat précaire, le médecin du travail soit

particulièrement vigilant.

De surcroît, le développement des formes atypiques d’emploi ne concerne pas

exclusivement le recours au CDD ou à l’intérim. A titre d’exemple, il est possible de citer le

cas du travail à domicile qui permet d’illustrer les difficultés auxquelles le médecin du travail

peut être confronté.

172 DELLACHERIE (C.), « L’avenir de la médecine du travail », Avis du Conseil Economique et Social, 2008, p.12. 173 Article R.4625-9 du Code du travail. 174 LEROUGE (L.), « Les effets de la précarité du travail sur la santé : le droit du travail peut-il s'en saisir ? » Revue électronique PISTES, vol. 11, n° 1, mai 2009, http://www.pistes.uqam.cam.

Page 71: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

65

Effectivement, tel que le souligne le rapport relatif au bilan de la réforme du travail, il

est aisé de comprendre : « que les milieux de travail spécifiques, comme le domicile du

salarié ou de l’employeur, ne se prêtent pas au mode d’intervention habituels de la médecine

du travail »175.

En raison de l’évolution des relations de travail et du développement des formes

atypiques d’emploi, lors de la seconde conférence sociale sur les conditions de travail du 27

juin 2008, il avait notamment été suggéré de mener une réflexion concernant le suivi

individuel de certaines catégories de travailleurs. Effectivement, de nombreuses catégories

de travailleurs sont partiellement ou totalement privées de surveillance médicale. Dans le

cadre de l’adoption de la loi du 20 juillet 2011, le législateur semble s’être saisi de cette

problématique. Cette loi crée tout d’abord l’article L.4625-1 du Code du travail qui a pour

objectif d’adapter les dispositions en vigueur relatives à la médecine du travail à certaines

catégories de travailleurs qui, du fait de leurs contrats ou des modalités d’exécution de ceux-

ci, pourraient bénéficier d’un meilleur suivi médical avec des modalités différentes176. Ce

nouvel article prévoit notamment que les modalités de surveillance de l’état de santé de

certaines catégories de travailleurs, telles que, par exemple, les salariés temporaires, les

stagiaires de la formation professionnelle, seront déterminées par décret. Il précise en outre

que ces travailleurs devront bénéficier d’une protection égale à celle des autres travailleurs

et que ces modalités ne peuvent avoir pour effet de modifier la périodicité des examens

médicaux définie par le Code du travail.

Dès lors, garantir un niveau de protection de la santé de ces salariés qui soit

équivalent à celui dont bénéficient les autres travailleurs semble tout à fait légitime, de

même que le fait de tenir compte des spécificités de leur emploi afin d’ajuster le suivi

individuel. Dans le même ordre d’idée, la loi du 20 juillet 2011 crée également l’article

L.4625-2 du Code du travail.

175 AUBIN (C.), PELISSIER (R.), DE SAINTIGNON (P.), VEYRET (J.), CONSO, (F.), FIRMAT (P.), « Rapport sur le bilan de la reforme de la médecine du travail », Octobre 2007, p.40. 176 LEFRAND (G.), Rapport sur la proposition de loi, adoptée par le sénat relative à l’organisation de la médecine du travail, 15 juin 2011, N°3529, p.68.

Page 72: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

66

Cet article prévoit notamment la possibilité de dérogations par accord collectif de

branche étendu en matière d’organisation et de suivi de la santé au travail pour, les artistes

et techniciens intermittents du spectacle, les mannequins, les salariés du particulier

employeur, ainsi que les voyageurs, représentants et placiers. Ces possibilités de dérogations

en matière de suivi individuel se justifient, entre autre, par les spécificités de ces professions,

la diversité des tâches que ces travailleurs peuvent être amenés à exécuter, ainsi qu’en

raison de leur mobilité professionnelle fréquente.

§2. L’essor de la mobilité professionnelle :

S’agissant du développement de la mobilité professionnelle, elle peut également poser

des difficultés en ce qui concerne la continuité du suivi individuel. En effet, « la diversité et la

variabilité croissante des expositions au cours d’un parcours professionnel rendent de plus en

plus difficile le repérage des effets sur la santé »177. La mobilité professionnelle du salarié

peut compliquer l’évaluation par le médecin du travail des risques professionnels et des

conséquences à long terme de l’exposition à certains d’entre eux, notamment « à effets

diffus et différés »178. Or, lorsque le médecin du travail ne possède pas une connaissance

globale des risques professionnels auxquels les salariés ont pu être exposés ; mettre en

œuvre un suivi médical individuel ajusté n’est pas nécessairement une tâche aisée pour lui.

De plus, il se trouve tributaire des informations que le salarié peut et veut lui communiquer

à cet égard179. Dès lors, dans un contexte de mobilité professionnelle croissante et de

développement des formes atypiques d’emploi, il parait indispensable d’assurer, dans la

mesure du possible, une traçabilité complète des expositions, notamment, par le biais du

dossier médical en santé au travail.

177 DELLACHERIE (C.), « L’avenir de la médecine du travail », Avis du Conseil Economique et Social, 2008, p.12. 178 DELLACHERIE (C.), « L’avenir de la médecine du travail », Avis du Conseil Economique et Social, 2008, p.12. 179 AUBIN (C.), PELISSIER (R.), DE SAINTIGNON (P.), VEYRET (J.), CONSO, (F.), FIRMAT (P.), « Rapport sur le bilan de la reforme de la médecine du travail », Octobre 2007, p.40.

Page 73: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

67

Section 2. De nouveaux facteurs exigeants l’ajustement du suivi par le médecin du

travail :

Au-delà du développement des formes atypiques d’emploi et de la mobilité

professionnelle, d’autres facteurs doivent également être appréhendés par le médecin du

travail. En effet, certains d’entre eux peuvent produire des effets sur la santé du salarié et

nécessiter une adaptation dans la mise en œuvre du suivi individuel. A ce titre, il est

notamment possible de se référer, par exemple, au vieillissement de la population active,

aux interactions existantes entre la vie personnelle et la vie professionnelle du salarié, ainsi

qu’à l’intensification du travail.

§1. Le vieillissement de la population active :

Compte tenu de l’allongement de la durée de la vie active des salariés, les entreprises

se trouvent confrontées aux problématiques relatives au maintien dans l’emploi des salariés

âgés. Selon le rapport du Conseil Economique et Social : « la médecine du travail a un rôle de

toute première importance dans une approche globale des relations à établir entre les

conditions de travail, l’âge et la santé ». Le vieillissement de la population représente

effectivement un aspect devant être mis en relation avec la santé au travail. Tel que le

préconise ledit rapport, il apparait indispensable « de permettre l’emploi des travailleurs

âgés dans les meilleures conditions possibles »180.

Afin de remplir cet objectif, le médecin du travail a un véritable rôle à jouer. Avec l’âge,

les salariés sont indéniablement confrontés à des changements d’ordre physique. Si cela

n’affecte pas forcément l’efficacité de leur travail, ces changements peuvent cependant

nécessiter des aménagements concernant l’organisation de celui-ci, tels que, par exemple,

des adaptations du poste de travail. C’est pourquoi, à notre sens, le médecin du travail doit

apporter une attention particulière au suivi individuel des salariés âgés, afin de pouvoir

garantir leur maintien dans l’emploi, sans que cela n’entraîne d’altération pour leur santé.

Sur la question des salariés âgés, il convient de relever que le Code du travail prévoit

explicitement le bénéfice d’une SMR pour certaines catégories de salariés considérés comme

vulnérables, telles que, par exemple, les salariés mineurs, les femmes enceintes. Il peut ainsi

sembler surprenant que les salariés âgés ne bénéficient pas de ce suivi spécifique.

180 DELLACHERIE (C.), « L’avenir de la médecine du travail », Avis du Conseil Economique et Social, 2008, p.12.

Page 74: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

68

Cette carence mériterait sans doute plus ample réflexion. D’autant plus que le Code du

travail fait explicitement référence à l’âge des salariés comme un critère à prendre en

considération, par exemple, dans le cadre des mesures individuelles que le médecin du

travail est habilité à proposer181.

En outre, l’article L.4622-2 du Code du travail, modifié par la loi n° 2011-867 du 20

juillet 2011, dispose notamment qu’afin d’exercer leur mission préventive, les services de

santé au travail : « assurent la surveillance de l’état de santé des travailleurs en fonction des

risques concernant leur sécurité et leur santé au travail, de la pénibilité au travail et de leur

âge ». Ainsi, cette modification législative peut probablement s’analyser comme la volonté

de prendre davantage en considération ce critère de l’âge dans le cadre du suivi individuel

des salariés par le médecin du travail, compte tenu de l’allongement de la durée de la vie

active.

§2. Les interactions entre la vie personnelle et la vie professionnelle du salarié :

L’évolution des relations de travail tend également à mettre en évidence l’existence de

difficultés relatives aux interactions entre la vie professionnelle et la vie personnelle des

salariés. « Historiquement, une grande partie du droit du travail s’est construite sur le fait

qu’il fallait d’abord assurer puis développer une vie personnelle autonome par rapport à un

travail qui historiquement prenait tout le temps et la vie de la personne »182.

Actuellement, il est néanmoins possible de constater que le maintien de l’équilibre

entre ces deux sphères est parfois complexe. Si la durée du travail diminue, le travail semble

pourtant davantage s’immiscer dans la vie personnelle de certains salariés. Or, cela peut

produire des effets néfastes en matière de santé, notamment par l’émergence de divers

troubles, souvent d’ordre psychique. Tout comme l’illustre cette affirmation : « les courts-

circuits entre vie personnelle et vie professionnelle ont aussi hélas leur version tragique, celle

de certains suicides, où à l'évidence existe une cause professionnelle. Ils ont aussi leur version

récurrente, celle du stress et de la pression permanente »183.

181 Article L.4624-1 du Code du travail. 182 COMBREXELLE, (J-D.), « Vie professionnelle et vie personnelle », Dr.Soc, N° 1 Janvier 2010, p.12. 183 COMBREXELLE, (J-D.), « Vie professionnelle et vie personnelle », Dr.Soc, N° 1 Janvier 2010, p.12.

Page 75: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

69

Se pose alors la question du rôle du médecin du travail face à cette problématique. S’il

est tenu de préserver la santé des salariés au sein de l’entreprise, ce qui inclue la

préservation de la santé mentale, la réalisation de cet objectif peut être difficile du fait des

interactions existantes entre la sphère personnelle et professionnelle du salarié. Par

exemple, identifier si une situation de stress ressentie par le salarié résulte ou non du travail,

s’avère délicat dans la mesure où les causes de celle-ci sont généralement multifactorielles.

Outre l’existence d’interactions entre la vie personnelle et professionnelle du salarié, il

convient également de constater une intensification du travail. Or, il s’agit d’un facteur

déterminant devant être pris en compte par le médecin du travail puisqu’il conduit à

l’émergence de nouveaux risques professionnels.

§3. L’intensification du travail :

Tel que le souligne le rapport relatif au bilan de la réforme de la médecine du travail,

« de nombreux travaux font état d’un fort mouvement d’intensification du travail au cours

des vingt dernières années ». A cet égard, plusieurs enquêtes ont été menées auprès des

salariés afin de mettre en lumière les conséquences de ce mouvement sur les conditions de

travail. Il ressort de ces enquêtes deux constats : un alourdissement de la charge mentale au

travail, mais également, un accroissement des efforts et des expositions physiques, y

compris dans le secteur tertiaire. Or, de tels phénomènes ont des effets sur la santé des

salariés qui se traduisent notamment par une croissance des troubles musculo-squelettiques

et des risques psycho-sociaux184.

A l’heure actuelle, force est d’observer que les exigences en matière de productivité

des employeurs sont de plus en plus accrues afin de faire face à la concurrence entre les

entreprises. A des fins économiques, l’objectif consiste pour eux à obtenir les meilleurs

rendements possibles avec un minimum d’effectif, ce qui peut compliquer les relations entre

les salariés ainsi placés en situation de compétition. Dès lors, il est aisé de comprendre que

l’intensification de la charge de travail ainsi que les nouveaux modes de management qui y

sont liés, puissent directement influer sur la santé des salariés.

184 AUBIN (C.), PELISSIER (R.), DE SAINTIGNON (P.), VEYRET (J.), CONSO, (F.), FIRMAT (P.), « Rapport sur le bilan de la reforme de la médecine du travail », Octobre 2007, p.41.

Page 76: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

70

De plus, les relations de travail ont tendance à s’individualiser, alors que les collectifs

de travail s’effacent, ce qui peut engendrer un sentiment d’isolement chez certains salariés

et participer à l’émergence de risques psychiques185. Enfin, dans un contexte où la crainte du

chômage est omniprésente, certains salariés préfèrent conserver leur emploi parfois aux

dépens de leur santé.

Quelle soit économique ou social, l’évolution des relations de travail a des

conséquences directes en matière de santé au travail, ce qui peut à la fois, compliquer le

suivi individuel des salariés par le médecin du travail, mais également, nécessiter

l’ajustement de celui-ci. De manière générale, il est possible de constater que plusieurs des

évolutions précitées possèdent un point commun : l’émergence de nouvelles pathologies

liées au travail, tels que, par exemple, les risques psychiques. Ainsi, il conviendra d’aborder

ensuite, le rôle du médecin du travail face à ces nouveaux risques professionnels se trouvant

au cœur des préoccupations juridiques actuelles (Chapitre 2).

Chapitre 2- De la préservation de la santé physique à la santé psychique des

salariés:

D’un point de vue historique, les lois relatives à la réparation des AT/MP186, ont

directement contribué à faire du « corps » du salarié la principale préoccupation des

employeurs, celles-ci ayant pour finalité la réparation des atteintes d’ordre physique. Dans

un contexte de mécanisation et face à la multiplication des accidents du travail, l’objectif de

prévention des employeurs consistait ainsi à protéger exclusivement la santé physique des

salariés. Lors de la mise en place des services médicaux du travail en 1946, le rôle du

médecin du travail s’est donc initialement centré autour de la vérification de l’aptitude

physique du salarié à occuper son poste de travail. Néanmoins, le législateur est récemment

venu préciser que la santé au travail ne se limite pas à la santé physique du salarié mais doit

également inclure la santé mentale187. A ce titre, il conviendra d’envisager l’apport de la loi

185 DELLACHERIE (C.), « L’avenir de la médecine du travail », Avis du Conseil Economique et Social, 2008, p.12. 186 Loi du 9 avril 1898 relative la réparation des accidents du travail, loi du 25 octobre 1919 relative à la réparation des maladies professionnelles. 187 La loi de modernisation sociale n°2002-73 du 17 janvier 2002.

Page 77: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

71

de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (Section 1) et plus particulièrement son impact

en matière de suivi individuel des salariés par le médecin du travail (Section 2).

Section 1. L’apport de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 :

Dans le cadre du suivi médical individuel, l’action du médecin du travail s’est ciblée à

l’origine sur la vérification de l’aptitude physique du salarié à occuper son poste de travail et

sur la prévention des risques professionnels d’ordre physique. Tel que le souligne cette

affirmation : « le corps du salarié est l’objet principal surveillé et protégé par le service

médical du travail, car ce corps est la source du travail du salarié ainsi que son moyen de

travail, en tant que tel soumis aux risques professionnels »188.

§1. L’évolution de la notion de santé au travail :

Néanmoins, en vertu du lien de subordination juridique inhérent au contrat de

travail189, le salarié met à disposition de son employeur non seulement « ses facultés

physiques » mais également « ses facultés intellectuelles »190. Partant de ce constat, il est

aisé de comprendre que le travail puisse engendrer des atteintes à la santé du salarié, tant

d’un point de vue physique que psychique. De plus, selon l’OMS, la santé peut se définir

comme un « état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas

seulement en une absence de maladie ou d'infirmité »191. Dès lors, au regard de cette

définition, la préservation de la santé du salarié par le médecin du travail implique de

prendre en compte l’aspect physique et psychique.

Cependant, ce n’est que dans un contexte récent et notamment suite à l’adoption de

la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 que la préservation de la santé psychique

des salariés au travail a réellement trouvé écho. Effectivement, si dans le cadre du suivi

médical individuel, le médecin du travail est toujours tenu de surveiller l’état de santé

physique du salarié, compte tenu des exigences de son poste de travail, son rôle s’inscrit

désormais dans un cadre plus large, devant également inclure la prévention des risques

professionnels d’ordre psychique.

188 CHAUMETTE (P.), Les services sociaux et médicaux du travail- l’essor de l’humain dans l’entreprise, Thèse de Droit Rennes, 1981, p.149. 189 Cass. Soc, 13 nov. 1996, N° 94-13.187, Sté générale c/ URSSAF de la Haute-Garonne. 190 CHAUMETTE (P.), «Les services sociaux et médicaux du travail, l’essor de l’humain dans l’entreprise », Thèse Droit, Rennes, 30 juin 1981, p.159. 191 Définition du préambule de 1946 à la Constitution de l'Organisation Mondiale de la Santé.

Page 78: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

72

Tel qu’il a été précédemment abordé, l’évolution des relations de travail et les

changements qui en résultent ont conduit à l’émergence de nouveaux risques pour la santé

des salariés « mettant davantage en jeu que par le passé une dimension psychique »192. Dès

lors, c’est notamment sous l’impact du Droit européen qu’un droit de la santé et de la

sécurité sur les lieux de travail s’est progressivement construit et « qui après avoir pris en

compte la santé physique des travailleurs, s’inscrit aujourd’hui dans une approche plus

globale du bien-être de la personne et de sa santé mentale »193

§2. Les conséquences sur le rôle du médecin du travail :

La prise en considération des risques professionnels psychiques a été actée par la loi

de modernisation sociale du 17 janvier 2002. En effet, cette loi a explicitement introduit la

notion de santé mentale dans le Code du travail en disposant que : « L'employeur prend les

mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des

travailleurs »194. Le législateur est ainsi venu préciser que la notion de santé des travailleurs

recouvrait tant l’aspect physique que psychique, conformément à la définition de l’OMS

précitée. L’ajout de la notion de santé mentale va conduire à d’importantes évolutions sur le

plan juridique, il est ainsi possible de se référer, par exemple, à l’essor en jurisprudence de la

notion de harcèlement moral195.

Si cette modification législative concerne en priorité les employeurs, puisque ce sont

eux qui sont expressément visés par le texte, elle va également avoir un impact direct sur le

rôle du médecin du travail. Tout d’abord, parce que le médecin du travail est le conseiller de

l’employeur, ensuite, parce que la préservation de la santé des salariés constitue l’essence

même de son rôle.

Dès lors, dans le cadre du suivi individuel des salariés, le médecin du travail doit

désormais s’assurer de la préservation de la santé mentale des salariés et prendre en

considération cette caractéristique. L’adjonction du qualificatif de santé mentale, dans le

Code du travail, suppose que le médecin du travail doit s’assurer tant de l’aptitude physique

192 BRESSOL (E), « Organisations du travail et nouveaux risques pour la santé des salariés », Avis du conseil économique et social, 2004, p.12. 193 BRESSOL (E), « Organisations du travail et nouveaux risques pour la santé des salariés », Avis du conseil économique et social, 2004, p.158. 194Article L.4121-1 du Code du travail. 195 Cass. Soc, 3 fév.2010, N°08-44019 et N°08-40.144 ;Cass. Soc, 21 juin.2006, N°05.43.914.

Page 79: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

73

que psychique du salarié à occuper son poste. Effectivement, aujourd’hui « l’entreprise doit

faire en sorte que le salarié demeure, non seulement physiquement mais aussi mentalement

apte à son poste de travail afin qu’il puisse l’occuper et s’y maintenir »196. Concrètement la

préservation de la santé mentale des salariés peut impliquer la mise en œuvre de mesures

relatives, par exemple, à la prévention des situations de stress ou de harcèlement moral au

sein de l’entreprise.

Face à ce nouvel enjeu, le médecin du travail a un véritable rôle à jouer. Cependant, la

prévention des risques psychiques est par nature complexe puisque le rapport entre le

travail et la santé mentale est parfois difficile à établir197. Cela s’explique notamment par le

fait que ces risques peuvent résulter de nombreux facteurs et impliquent une dimension

individuelle et subjective.

Enfin, concernant la prévention des risques psychiques, il est intéressant de relever

qu’en définissant les missions du médecin du travail, l’article L.4622-2 du Code du travail,

modifié par loi du 20 juillet 2011, précise qu’afin d’exercer leur mission préventive, les

services de santé « conduisent les actions de santé au travail, dans le but de préserver la

santé physique et mentale des travailleurs tout au long de leur parcours professionnel ».

Ainsi, en insérant expressément le qualificatif de santé mentale dans le Code du travail au

titre des missions préventives du médecin du travail, cela ne fait nul doute : ce dernier est

tenu de prendre en considération cet aspect dans le cadre du suivi médical individuel des

salariés.

Section 2. La prévention des risques psychiques dans le cadre du suivi individuel :

Tel qu’il a été démontré précédemment, la mise en œuvre du suivi individuel, par le

biais des examens médicaux, est un moyen efficace pour le médecin du travail de prévenir la

réalisation des risques professionnels au sein de l’entreprise. Dans le cadre du suivi

individuel, les constatations médicales ainsi que l’entretien avec le salarié permettent au

médecin du travail d’acquérir une connaissance des risques et de mettre en place des

actions préventives afin d’éviter qu’ils ne se réalisent.

196 BOURGEOT (S.), BLATMAN (M.), L’état de santé du salarié, Ed. Liaison, 2ème édition 2009, Coll. « Droit Vivant », p.9. 197 BRESSOL (E), « Organisations du travail et nouveaux risques pour la santé des salariés », Avis du conseil économique et social, 2004, p.66.

Page 80: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

74

§1. L’intérêt du suivi individuel dans la prévention des risques psychiques :

Si le suivi médical était à l’origine fondé sur l’identification des risques professionnels

d’ordre physique, dans le sens où il offre une « une observation privilégiée sur la

personne »198, il constitue également un moyen pertinent pour le médecin du travail

d’appréhender les risques professionnels d’ordre psychique. Toutefois, afin d’assurer une

prévention efficace de ce type de risques professionnels, il convient de suggérer des

perspectives d’améliorations souhaitables. .

Les examens médicaux sont en effet un lieu privilégié d’échange et de dialogue entre

le médecin du travail et le salarié. Ainsi, ils peuvent être l’occasion de mettre en évidence

l’existence d’éventuelles difficultés auxquelles ces derniers pourraient être confrontés dans

l’exercice de leur prestation de travail. Protégés par le secret médical, lors des visites, les

salariés disposent d’une liberté d’expression. A cet égard, ces visites représentent une

véritable opportunité pour le médecin du travail de recueillir un ensemble d’informations

utiles auprès des salariés. De même, elles peuvent lui permettre de diagnostiquer des

symptômes laissant présager l’émergence de risques psychiques chez un ou plusieurs

salariés. Dans de telles circonstances, le médecin du travail sera alors tenu « d’alerter les

préventeurs de l’entreprise, employeur, CHSCT, délégué du personnel, afin qu’une prise en

charge collective de la question puisse être menée dans l’entreprise »199.

Même si le suivi individuel contribue à la prévention des risques psychiques au sein de

l’entreprise, il ne permet pas à lui seul d’apporter une réponse satisfaisante en la matière.

Cela s’explique tout d’abord par le fait que, l’organisation d’une visite périodique bisannuelle

d’une durée moyenne de vingt minutes par salarié200, ne semble pas être une solution

adéquate à la prévention des atteintes d’ordre psychique. Effectivement, ces atteintes

nécessitent généralement d’apporter des solutions dans l’immédiat. A ce titre, la possibilité

de recours aux consultations médicales de manière spontanée peut représenter un intérêt.

Ces consultations permettraient d’apporter une réponse rapide et d’éviter de laisser

198 DELLACHERIE (C.), « L’avenir de la médecine du travail », Avis du Conseil Economique et Social, 2008, p.23. 199 ROCHE (C.), IMBEAUX(M.), SOULA (M-C.), SANDRET (N.), BOUAZIZ (P.), GRENIER-PEZE (M.), « subvertir le concept d’inaptitude » le médecin du travail face au harcèlement professionnel, http://www.comprendreagir.org/images/fichierdyn/doc/2007/medecin_travail_face_harcelement_professionnel_smt.pdf. 200 Dans le cadre de la surveillance médicale simple.

Page 81: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

75

perdurer, par exemple, une situation de stress ou de mal être au travail, qui, sur la durée,

peut produire des conséquences fortement préjudiciables pour la santé du salarié.

Néanmoins, cela suppose que le salarié soit informé de cette possibilité de recours et qu’une

relation de confiance soit établie entre le médecin du travail et ce dernier.

Ensuite, afin d’améliorer la prévention des risques d’ordre psychique au sein de

l’entreprise, lors des visites médicales, il pourrait être envisagé de faire remplir aux salariés

des questionnaires ayant trait à ce domaine. Tout en préservant leur anonymat, le

traitement de ces données pourrait être un moyen efficace de favoriser l’identification des

risques psychiques afin que le médecin du travail puisse conseiller l’employeur sur des

mesures pertinentes de prévention à mettre en œuvre.

Il convient également de rappeler, qu’au-delà de l’écoute précieuse que le médecin du

travail peut apporter aux salariés dans le cadre du suivi, il ne s’agit pas d’un spécialiste en

psychologie. Ainsi, lorsqu’il constate l’existence d’atteintes psychiques chez un salarié ou de

symptômes laissant présager l’émergence de tels risques, il semble souhaitable qu’il

s’appuie, notamment sur les compétences spécifiques des IPRP, par exemple, en orientant

les salariés vers des psychologues du travail.

§2. La nécessité de mobiliser un ensemble de compétences face à la pathologie psychique :

L’efficacité de la prévention des risques psychiques suppose ainsi la mobilisation de

l’ensemble des compétences des services de santé au travail. Tel que l’illustre avec

exactitude la phrase suivante : « développer des pratiques de coopérations, une

pluridisciplinarité qui ne soit pas une compilation de spécialistes mais la mise en commun des

savoir-faire de chacun, est une nécessité devant la pathologie psychique »201. En effet, c’est

en croisant les différents apports médicaux et sociaux, dans une approche pluridisciplinaire,

en plaçant les médecins du travail au cœur de la démarche et en facilitant l’expression des

201 ROCHE (C.), IMBEAUX(M.), SOULA (M-C.), SANDRET (N.), BOUAZIZ (P.), GRENIER-PEZE (M.), « subvertir le concept d’inaptitude » le médecin du travail face au harcèlement professionnel, http://www.comprendreagir.org/images/fichierdyn/doc/2007/medecin_travail_face_harcelement_professionnel_smt.pdf.

Page 82: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

76

salariés sur leur éventuel mal-être au travail, que la prévention des risques psychiques

pourra réellement être effective202.

Enfin, si dans le cadre du suivi individuel, l’évolution des relations de travail suppose la

prise en considération des risques psychiques par le médecin du travail, ce dernier ne doit

pas pour autant négliger la prévention des risques physiques. Sur ce point, le rapport du

Conseil Economique et Social indique que « les contraintes physiques traditionnelles

persistent et concernent encore aujourd’hui nombre de salariés exposés à des agents

chimiques ou biologiques, au bruit, à la poussière, à la chaleur ou au froid, manipulant des

charges lourdes ou encore soumis aux vibrations ». En effet, même s’ils sont diminués en

fréquence et en intensité d’exposition dans un certain nombre de secteur d’activité, les

risques traditionnels, liés aux agents physiques, chimiques, biologique, doivent faire l’objet

d’une attention accrue du médecin du travail203.

Par conséquent, traiter d’une transition des risques physiques vers les risques

psychiques n’est pas exact. Au contraire ces deux types de risques coexistent au sein de

l’entreprise, d’autant plus qu’ils présentent parfois des liens entre eux. Par exemple, il est

fréquent de constater qu’une situation de stress au travail se répercute sur la santé physique

du salarié, notamment par le développement de troubles du sommeil, alimentaires ou

autres addictologies. Concernant, la question des addictologies il est possible de constater

que l’article L.4622-2 du Code du travail, modifié par la loi du 20 juillet 2011, dispose

notamment que dans le cadre de leurs missions préventives, les services de santé au travail

doivent « conseiller les employeurs, les travailleurs et leurs représentants sur les dispositions

et mesures nécessaires afin de prévenir la consommation d'alcool et de drogue sur le lieu de

travail ».

Quoi qu’il en soit, la prévention de l’ensemble des risques professionnels doit être

appréhendée de manière globale pour être efficace. A cet effet, elle nécessite, à la fois les

compétences du médecin du travail dans le cadre du suivi individuel, mais également, les

compétences spécifiques d’autres acteurs, tels que les IPRP. Selon Monsieur Lefrand, le

médecin du travail seul, ne peut faire face aux exigences en matière de santé au travail et il

202 BRESSOL (E), « Organisations du travail et nouveaux risques pour la santé des salariés », Avis du conseil économique et social, 2004. 203 DELLACHERIE (C.), « L’avenir de la médecine du travail », Avis du Conseil Economique et Social, 2008, p.11.

Page 83: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

77

ne dispose pas de marge de manœuvre nécessaire pour adapter sa pratique aux évolutions

du monde du travail204. Si la première affirmation représente une certitude, la seconde

mérite cependant d’être nuancée à notre sens. En effet, même si des améliorations sont

souhaitables, le médecin du travail dispose néanmoins de moyens afin d’optimiser le suivi

individuel des salariés en matière de santé ce qu’il conviendra d’aborder ensuite (Titre 2).

TITRE 2- L’existence de moyens en vue d’optimiser le suivi individuel :

Si le suivi individuel des salariés est classiquement assimilé à l’activité clinique du

médecin du travail et à la détermination de l’aptitude, ou le cas échéant, de l’inaptitude

médicale du salarié, le rôle de ce dernier s’inscrit dans un cadre plus large. Le Code du travail

prévoit en effet que, le médecin du travail est habilité à proposer des mesures individuelles,

telles que, des mutations ou transformations de poste, justifiées par des considérations

relatives à l'âge, à la résistance physique ou à l'état de santé physique ou mentale des

travailleurs. L’article précise également que l’employeur est tenu de prendre en

considération ces propositions, et en cas de refus, de faire connaitre les motifs qui

s’opposent à ce qu’il y soit donné suite205. Il conviendra d’envisager que dans le cadre du

suivi individuel des salariés, cette prérogative du médecin du travail traduit un réel intérêt,

notamment en ce qui concerne le maintien dans l’emploi des salariés (Chapitre 1). Il s’agira

d’examiner ensuite, que l’adoption de textes législatifs récents, tels que, la loi du 9

novembre 2010 portant réforme des retraites et plus particulièrement la loi du 20 juillet

2011, relative à l’organisation de la médecine du travail, permettent également d’optimiser

le suivi individuel des salariés à divers égards (Chapitre 2).

204 LEFRAND (G.), Rapport sur la proposition de loi, adoptée par le sénat relative à l’organisation de la médecine du travail, 15 juin 2011, N°3529. 205Article L.4624-1 du Code du travail.

Page 84: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

78

Chapitre 1- La prise en considération par l’employeur des propositions du

médecin du travail :

Si la démarche de prévention consiste à anticiper la réalisation du risque professionnel,

il est néanmoins fréquent que les mesures mises en place, au sein de l’entreprise, soient

insuffisantes afin de l’éviter. Ainsi, lors des examens médicaux, le médecin du travail peut

être amené à constater que l’état de santé du salarié n’est plus compatible avec les

exigences de son poste travail ou qu’il peut être aggravé par celles-ci. Ce constat peut alors

conduire le médecin du travail à formuler un avis d’inaptitude206 du salarié à occuper son

poste ou bien encore un avis d’aptitude avec réserves. Quoi qu’il en soit le médecin du

travail sera tenu de motiver l’avis médical, qui ne doit pas être « qu’un simple constat mais

aussi une force de proposition »207. Dès lors, il conviendra d’envisager que, dans le cadre du

suivi individuel, par son pouvoir de proposition, le médecin du travail contribue au maintien

dans l’emploi du salarié, objectif qui est parfois difficile à concilier avec la préservation de la

santé de ce dernier (Section 1). Concernant cette prérogative du médecin du travail, il s’agira

ensuite d’examiner l’apport de la loi du 20 juillet 2011 en la matière (Section 2).

Section 1. L’équilibre entre la préservation de la santé du salarié et la logique de

maintien dans l’emploi :

Selon les dispositions légales, le rôle du médecin du travail est clairement défini, il

consiste à « éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail »208.

Ainsi la préservation de la santé des salariés au travail représente son objectif prioritaire.

Néanmoins, il convient de relever que « la délivrance de l’avis d’aptitude est devenu un

véritable passeport pour l’emploi, qu’il s’agisse d’en obtenir un ou de le conserver »209.

206 Il convient de préciser que l’inaptitude du salarié peut être consécutive à un accident du travail ou une maladie d’origine professionnelle, mais également, à un accident ou une maladie d’origine non professionnelle. 207 BOURGEOT (S.), BLATMAN (M.), L’état de santé du salarié, Ed. Liaison, 2ème édition 2009, Coll. « Droit Vivant », p.395. 208 Article L.4622-3 du Code du travail. 209 BOURGEOT (S.), BLATMAN (M.), L’état de santé du salarié, Ed. Liaison, 2ème édition 2009, Coll. « Droit Vivant », p.388.

Page 85: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

79

Dès lors, le médecin du travail doit s’efforcer de trouver un juste équilibre entre la

préservation de la santé et le maintien dans l’emploi du salarié ce qui n’est pas toujours une

tâche aisé à mettre en œuvre.

§1. La motivation de l’avis médical :

Concernant la motivation de l’avis médical, la circulaire DRT n° 2004-06 du 24 mai

2004, indique qu’il est souhaitable que, dans la mesure du possible, l’avis médical sur

l’aptitude au travail soit formulé non pas sous forme d’un constat d’inaptitude, mais en

mettant en évidence les aptitudes du sujet, en précisant seulement les aspects de la charge

de travail qui sont à exclure, par exemple, la station debout prolongée, le port de charges,

l’exposition à des irritants, etc. De plus, cet avis médical doit être complété, à chaque fois,

par une proposition du médecin, tendant selon les cas, soit à l’adaptation du poste de

travail, soit au reclassement de l’intéressé.

Un arrêt du Conseil d’Etat en date du 5 novembre 2003 précise également que : « le

médecin du travail doit indiquer, dans les conclusions écrites qu’il rédige, à l’issue de visites

médicales de reprise, les considérations de fait, de nature à éclairer l’employeur sur son

obligation de proposer au salarié un emploi approprié à ses capacités et notamment les

éléments objectifs portant sur ces capacités qui le conduisent à recommander certaines

tâches, en vue d’un éventuel reclassement dans l’entreprise ou au contraire à exprimer des

contre-indications »210.

Lorsque la démarche de prévention ne permet pas d’éviter l’altération de la santé du

salarié, dans le cadre du suivi individuel, le rôle du médecin du travail implique la recherche

de solutions adéquates. En effet, la mission du médecin du travail consiste, dans la mesure

du possible, à favoriser le maintien dans l’emploi du salarié tout en garantissant la

préservation de sa santé. Deux impératifs entre lesquels il est parfois difficile de trouver un

juste équilibre.

210 C.E, 5 novembre 2003, Ministre de l’Equipement, des transports, du logement du Tourisme et de la Mer c/.M.X.

Page 86: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

80

§2. Les mesures individuelles dans le cadre du reclassement :

Lorsque le médecin du travail constate une altération de la santé du salarié,

conformément à l’article L.4624-1 du Code du travail, il est habilité à proposer à l’employeur

des mesures individuelles, telles que des mutations et des transformations de postes. Cette

possibilité d’émettre des propositions a notamment vocation à s’appliquer dans le cadre du

reclassement du salarié. Si en vertu des dispositions légales, l’obligation de reclassement du

salarié repose sur le chef d’entreprise211 et non sur le médecin du travail, par son pouvoir

général de proposition et son rôle de conseil, il convient d’envisager que ce dernier participe

activement à la sauvegarde de l’emploi du travailleur.

Effectivement, « ces mesures proposées obligent l’employeur à reclasser le salarié dans

un emploi aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé. Le salarié est

titulaire d’un véritable droit au reclassement à l’encontre de son employeur, qui doit

procéder à des actes concrets de recherche de postes »212.

Dès lors, l’obligation de reclassement suppose que, s’il existe un poste disponible,

conforme aux recommandations du médecin du travail, au sein des différents

établissements de l’entreprise ou du groupe auquel elle appartient213, l’employeur sera tenu

de le proposer au salarié. Sur ce point, le Code du travail prévoit que la proposition de

reclassement doit nécessairement tenir compte des « conclusions écrites du médecin du

travail et des indications qu’il formule sur l’aptitude du salarié à exercer l’une des tâches

existantes dans l’entreprise ». Le Code du travail précise que « l’emploi proposé est aussi

comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre

telles que, mutations, transformations de poste de travail ou aménagement du temps de

travail »214.

211 Article L.1226-2 et L1226-10 du Code du travail. 212 LEROY (A.), « l’obligation de reclassement du salarié inapte », Travail et Sécurité, 2008, p.48 213 Cass. Soc, 25 mars 2009, N°07-41.708. 214 Article L.1226-2 et L1226-10 du Code du travail.

Page 87: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

81

Au titre de l’obligation de reclassement, l’employeur est ainsi tenu de prendre en

considération, les conclusions écrites et les propositions de mesures individuelles faites par

médecin du travail. En fonction de celles-ci, il devra proposer un poste adapté aux capacités

du salarié215. Ce n’est, qu’à défaut de pouvoir prendre en compte ces recommandations et

ces propositions, que l’employeur pourra envisager le licenciement du salarié pour

inaptitude et impossibilité de reclassement216. Si, avant de licencier le salarié, l’employeur

n’étudie pas les possibilités de donner suite aux propositions du médecin du travail, les juges

pourront considérer qu’il s’agit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse217.

En outre, l’employeur qui ne tient pas compte des recommandations et des

propositions du médecin du travail, est tenu de s’expliquer sur les motifs qui s’opposent à ce

qu’il y soit donné suite218. A cet égard, il doit exposer les raisons pour lesquelles, la prise en

compte des réserves ou restrictions proposées au poste du salarié, apparait impossible à

mettre en œuvre. L’employeur ne peut s’exonérer de son obligation de reclassement qu’en

justifiant des motifs l’empêchant de suivre les propositions du médecin219. Il doit ainsi être

prudent sur la prise en compte des recommandations et des propositions du médecin du

travail, lorsqu’il envisage le reclassement du salarié, d’autant plus que la jurisprudence ayant

trait à ce domaine est relativement stricte.

§3. Une jurisprudence aux contours stricts :

A titre d’exemple, il est possible de se référer à plusieurs arrêts de la chambre sociale

de la Cour de Cassation. Elle précise que l’employeur doit prendre en considération toutes

les propositions formulées par le médecin du travail. Dès lors, l’employeur qui ne tiendrait

pas compte de toutes les pistes proposées par celui-ci, ne peut prétendre avoir rempli son

obligation de reclassement220.

215 Cass.soc, 18 juillet 2000, N°97-44.897. 216 Cass. Soc, 19 mai 2004, N°03-40134. 217 Cass. Soc, 8 juillet 1992 : RJS 8-9/92 n° 973, Bull. civ. V n° 447 ; Cass. Soc. 9 mai 1995 : RJS 6/95 n° 638, Bull. civ. V n° 149. 218 Article L.4624-1 du Code du travail. 219 Cass. Soc, 19 décembre 2007, N° 06-46.134 ; Cass. Soc, 20 septembre 2006, N° 05-42-925. 220 BOURGEOT (S.), BLATMAN (M.), L’état de santé du salarié, Ed. Liaison, 2ème édition 2009, Coll. « Droit Vivant », p.426, Cass. Soc, 28 octobre 1998, Bull.civ.V, n°464.

Page 88: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

82

De même, il ne peut pas se retrancher derrière l’absence de propositions, formulées

par le médecin du travail, pour s’affranchir de son obligation de reclassement : il lui

appartient au besoin de les solliciter221.

Plus récemment, la Cour de Cassation est venue préciser que l’employeur devait

obligatoirement prendre en compte les recommandations et les propositions du médecin du

travail, en vue d’assurer l’effectivité de l’obligation de sécurité résultat dont il est titulaire222.

Or, le fait de rattacher la prise en compte des propositions du médecin du travail à

l’obligation de sécurité résultat pesant sur l’employeur, tend à donner plus de poids à celles-

ci et ainsi à valoriser le rôle du médecin du travail. Dès lors, telle que le souligne avec

exactitude cette affirmation, « c’est cette obligation de sécurité qui justifie l’obligation pour

l’employeur de suivre les propositions de son « conseiller » en matière de protection de la

santé, le médecin du travail. Plus que jamais la jurisprudence confère au médecin du travail

un rôle central dans la démarche de prévention »223.

Ainsi, le pouvoir général de proposition du médecin du travail représente un moyen

utile afin de participer au maintien dans l’emploi du salarié. L’objectif des recommandations

et des propositions du médecin du travail, consistant à rechercher, dans la mesure du

possible, toutes les solutions alternatives afin d’éviter la rupture du contrat de travail du

salarié. Néanmoins, bien que la jurisprudence précitée tend à conférer davantage une visée

préventive aux propositions du médecin du travail, force est de constater, qu’en pratique, il

est souvent amené à faire ces propositions de mesures individuelles, lorsque l’état de santé

du salarié est déjà altéré.

221 BOURGEOT (S.), BLATMAN (M.), L’état de santé du salarié, Ed. Liaison, 2ème édition 2009, Coll. « Droit Vivant », p.427, Cass. Soc, 24 avril 2001, Bull.civ.V, n°127. 222 Cass. Soc, 23 septembre 2009, N°1872. 223 LEROY (A.), « l’obligation de reclassement du salarié inapte », Travail et Sécurité, 2008, p.49.

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83

Section 2. Le renforcement des prérogatives du médecin du travail par la loi du 20

juillet 2011:

La loi du 20 juillet 2011 relative à l’organisation de la médecine du travail224, marque

une évolution significative concernant la prise en compte par l’employeur des propositions

formulées par le médecin du travail et tend ainsi à renforcer le rôle de ce dernier. Plusieurs

rapports ont mis en lumière, les limites de cette compétence du médecin du travail, dans la

mesure où, au titre de l’article L.4624-1 du Code du travail, l’employeur n’est tenu de

répondre au médecin du travail que sur les mesures individuelles qu’il est habilité à

proposer225. Si cet article demeure inchangé, la loi du 20 juillet 2011 crée un nouvel article,

l’article L.4624-3 du Code du travail dont il convient d’analyser la portée.

§1. L’article L.4624-3 du Code du travail :

A. Approche globale :

Cet article dispose, que lorsque le médecin du travail constate la présence d'un risque

pour la santé des travailleurs, il propose par un écrit motivé et circonstancié des mesures

visant à la préserver. L’employeur est tenu de prendre en considération les propositions du

médecin du travail et, en cas de refus, de faire connaître par écrit les motifs qui s'opposent à

ce qu'il y soit donné suite. L’article prévoit également, que lorsque le médecin du travail est

saisi par l’employeur d'une question relevant des missions qui lui sont dévolues, en

application de l'article L.4622-3 du Code du travail226, il doit faire connaître ses

préconisations par écrit. Enfin, conformément à ce nouvel article du Code du travail, les

propositions et les préconisations du médecin du travail et la réponse de l'employeur, sont

mises à la disposition, sur demande, notamment du CHSCT, à défaut, des délégués du

personnel, de l’inspecteur ou du contrôleur du travail, du médecin inspecteur du travail ou

des agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale et des organismes

mentionnés à l’article L. 4643-1 du Code du travail.

224 Loi N° 2011-867 du 20 juillet 2011 relative à l’organisation de la médecine du travail, J.O, 24 juillet 2011. 225 Proposition de loi relative à l'organisation de la médecine du travail, Rapport n° 232 (2010-2011), fait au nom de la commission des affaires sociales, déposée le 19 janvier 2011. 226 Article L.4622-3 du Code du travail : « Le rôle du médecin du travail est exclusivement préventif. Il consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, notamment en surveillant leurs conditions d’hygiène au travail, les risques de contagion et leur état de santé ».

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84

L’ajout de ce nouvel article au sein du Code du travail suggère remarques et analyses.

De manière générale, il permet tout d’abord d’organiser formellement l’échange qui peut

exister entre l’employeur et le médecin du travail, notamment par la transmission de

courriers écrits. Or, le fait de matérialiser le dialogue entre ces deux protagonistes, par des

courriers écrits représente, à notre sens, un certain intérêt. Effectivement, il est permis de

penser qu’en imposant la rédaction de courriers écrits, l’échange revêt un caractère plus

officiel et peut, à cet effet, conférer plus de poids aux propositions du médecin du travail.

B. Approche analytique :

Selon le premièrement de cet article, lorsque le médecin du travail constate

l’existence d’un risque pour la santé du salarié au sein de l’entreprise il propose à

l’employeur par écrit des mesures préventives. En premier lieu, il convient de relever une

différence entre la rédaction de l’article L.4624-1 et l’article L.4623-3 du Code du travail.

Si en vertu de l’article L.4624-1 du Code du travail : « le médecin du travail est habilité

à proposer des mesures », selon l’article L.4624-3 du Code du travail : « il propose des

mesures ». Le nouvel article apparait ainsi plus impératif et il semble supposer que si le

médecin du travail constate l’existence d’un risque pour la santé du salarié il ne dispose pas

du choix de mettre en œuvre cette prérogative. Ce point soulève plusieurs questions, dans le

cadre de ce nouvel article, pourrait-il être reproché au médecin du travail de ne pas avoir

proposé de mesures préventives alors qu’il aurait eu connaissance du risque pour la santé du

salarié ? De même, l’absence de propositions de mesures préventives par le médecin du

travail pourrait-elle être un argument invoqué par l’employeur pour s’exonérer de

l’obligation de sécurité résultat dont il est titulaire ? Compte tenu de la jurisprudence stricte

de la Cour de Cassation, probablement pas.

L’article précise ensuite, que l’employeur doit prendre en compte ces propositions, ou

le cas échéant, apporter une réponse écrite afin de faire connaître les motifs qui s’opposent

à ce qu’il y soit donné suite. Le pouvoir général de proposition du médecin du travail s’inscrit

désormais dans un cadre plus large et ces prérogatives en la matière sont renforcées. Tout

d’abord, parce que l’employeur est désormais tenu de se justifier, par écrit, auprès du

médecin du travail, lorsqu’il refuse de mettre en œuvre des mesures préventives suite à la

constatation d’un risque professionnel et non plus seulement lorsqu’il refuse de mettre en

Page 91: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

85

œuvre des mesures individuelles. Dès lors, ce nouvel article permet, à notre sens, au

médecin d’agir réellement en amont de la réalisation du risque, selon la logique de

prévention primaire souhaitée par la directive européenne du 12 juin 1989.

En effet, tel qu’il a été précédemment expliqué, dans le cadre de l’article L.4624-1 du

Code du travail, les propositions de mesures individuelles suggérées, par le médecin du

travail ont souvent vocation à s’appliquer, dans la pratique, lorsque la santé du salarié est

déjà altérée. Désormais, en indiquant explicitement que le médecin du travail propose des

mesures en présence d’un risque, le nouvel article L.4624-3 du Code du Travail, confère une

visée davantage préventive à ces propositions.

De plus, il est permis de penser que, si un risque professionnel se réalise, alors que le

médecin du travail avait suggéré à l’employeur la mise en œuvre de mesures préventives,

l’absence de réponse de ce dernier par un courrier écrit et motivé pourrait être sanctionnée,

au titre de l’obligation de sécurité résultat qui lui incombe.

Enfin, il convient de constater que le texte ne précise pas explicitement, si le médecin

du travail doit proposer des mesures de prévention à l’employeur, lorsqu’il constate

l’existence d’un risque à un niveau individuel ou bien si cela inclut également les risques

collectifs, conformément aux préconisations des rapports précités227. Néanmoins, selon

l’analyse suivante qui semble tout à fait pertinente, « Le premièrement du nouvel article L.

4624-3 définit le champ d’intervention du médecin du travail de manière très large en visant

toute présence d’un risque pour la santé des travailleurs. Contrairement à l’article L. 4623-1,

il ne s’agit donc pas d’un risque encouru à titre personnel par un salarié, lié à des critères

bien précis (âge, résistance, état physique et mental) et nécessitant des mesures

individuelles, mais bien d’un risque plus global, lié par exemple à l’environnement de travail.

Lorsque le médecin constate la présence d’un tel risque, il propose en conséquence des

mesures visant à préserver la santé des salariés »228.

227 Proposition de loi relative à l'organisation de la médecine du travail, Rapport n° 232 (2010-2011), fait au nom de la commission des affaires sociales, déposée le 19 janvier 2011. 228 LEFRAND (G.), Rapport sur la proposition de loi, adoptée par le sénat relative à l’organisation de la médecine du travail, 15 juin 2011, N°3529, p.48.

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86

Au titre du deuxièmement de ce nouvel article, il est ensuite intéressant de relever que

l’employeur dispose également de la possibilité de solliciter le rôle de conseil du médecin du

travail dans le cadre de ces missions préventives. Dans ce cas, le médecin du travail sera

également tenu de lui répondre. Cette disposition permet, à notre sens, d’équilibrer les

relations et les devoirs de chacun. Dès lors, si l’employeur est tenu de répondre aux

propositions du médecin du travail, il apparait légitime qu’à l’inverse, le médecin du travail

soit tenu de lui apporter des solutions lorsqu’il sollicite son rôle de conseil. Néanmoins, cette

faculté représente aussi un risque pour l’employeur : si un risque professionnel se réalise

n’est-il pas possible qu’il lui soit reproché de ne pas avoir usé de cette possibilité de solliciter

les conseils du médecin du travail ? Compte tenu de la jurisprudence stricte de la Cour de

Cassation en matière d’obligation de sécurité résultat de l’employeur, cela est envisageable.

Enfin, au titre du troisièmement du nouvel article, le fait que les échanges entre l’employeur

et le médecin du travail, se trouvent, à leur demande, à la disposition d’un ensemble

d’acteurs au sein de l’entreprise, traduit parfaitement la volonté actuelle que la prévention

en matière de santé et de sécurité au travail soit une préoccupation d’ordre globale et

collective.

Telle que l’illustre l’affirmation suivante concernant le commentaire du nouvel article

L.4624-3 du Code du travail : « ce texte ne fait en réalité que traduire dans la loi la

jurisprudence récente de la Cour de Cassation, de plus en plus exigeante pour les employeurs

en terme de prise en compte des recommandations des médecins du travail. Force est de

constater en effet que, dans la plupart des cas, ces recommandations demeuraient lettre

morte »229. Afin de pouvoir appréhender la véritable portée de cette nouvelle prérogative du

médecin du travail, il est nécessaire d’attendre l’interprétation de la Cour de Cassation.

Il conviendra d’envisager ensuite, que la loi portant réforme des retraites du 9

novembre 2010 en apportant des précisions relatives au dossier médical en santé au travail,

permet également d’optimiser le suivi individuel des salariés. Puis, il conviendra d’examiner

que la loi du 20 juillet 2011 relative à l’organisation de la médecine du travail constitue

également d’autres apports en matière de suivi individuel des salariés que ceux

précédemment évoqués (Chapitre 2).

229 PAILLEREAU (G.), « Réforme de la Santé au travail : analyse de la proposition de loi invalidée par le Conseil Constitutionnel », http://www.ephygie.com/reforme-de-la-sante-au-travail-analyse-de-la-proposition-de-loi-votee-par-le-senat/.

Page 93: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

87

Chapitre 2- Les apports législatifs récents en matière de suivi individuel :

Afin de contribuer à la démarche de prévention, il s’agira tout d’abord d’examiner dans

quelle mesure le dossier médical en santé au travail, dont les modalités ont été précisées par

la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, constitue un outil favorisant la

continuité et donc l’efficacité du suivi individuel des salariés par le médecin du travail

(Section 1). Il conviendra d’envisager ensuite une approche critique de la loi du 20 juillet

2011, en examinant à la fois ses apports, mais aussi ses limites, en matière de suivi individuel

des salariés (Section 2).

Section 1. Le dossier médical en santé au travail :

Dans le cadre de la démarche de prévention, le médecin du travail est tenu d’établir un

dossier médical en santé au travail (DMST) pour chaque salarié lors de la visite médicale

d’embauche, complété lors des visites médicales ultérieures230 et dont l’objectif consiste à

assurer le suivi de l’état de santé de ce dernier. Avant d’envisager l’intérêt de ce dossier en

matière de suivi individuel, il convient au préalable de distinguer le DMST et le dossier

médical personnel (DMP).

§1. La distinction entre le dossier médical en santé au travail et le dossier médical

personnel :

Le DMP a été créé par la loi du 13 août 2004 N°2004-810, relative à la réforme de

l'assurance maladie. Il s’agit d’un dossier dématérialisé partagé entre les professionnels de

santé qui contient un ensemble de documents de santé et d’informations utiles afin de

favoriser la coordination des soins en vue d’améliorer le suivi médical du patient. Il peut

contenir, par exemple, des résultats d'examens, des comptes rendus de consultation,

d'intervention, d'exploration ou d'hospitalisation.

230

Articles D.4624-46 et R.7214-20 du Code du travail.

Page 94: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

88

Le DMP obéit à des règles strictes concernant son accès. A cet égard, l’article L.161-36-

3 du Code de sécurité sociale précise que, même avec l’accord du patient, le médecin du

travail n’a pas accès au contenu de ce dossier sous peines de sanctions pénales231. Cette

interdiction d’accès du médecin du travail au DMP a fait l’objet de diverses critiques et force

est de constater que sur le sujet les opinions sont partagées. Ainsi, le rapport relatif au bilan

de la réforme de la médecine du travail indique que le fait d’exclure l’accès du médecin du

travail aux données du DMP va à l’encontre de l’objectif de traçabilité des expositions

professionnelles232.

Les arguments invoqués pour justifier cette interdiction d’accès reposent sur la

nécessité de protéger le patient et de préserver le secret médical. Dès lors, dans la mesure

où le salarié ne dispose pas de la faculté de choisir son médecin du travail, il peut paraître

tout à fait légitime qu’il reste libre de lui communiquer les renseignements concernant son

état de santé. De plus, le médecin du travail n’ayant qu’un rôle préventif, il est permis de

penser que lui donner accès à l’ensemble des informations relatives à l’état de santé du

salarié ne soit pas forcément utile.

Il est néanmoins possible de concevoir cette interdiction d’accès comme allant à

l’encontre de l’intérêt du salarié. A l’appui de cette idée, il est par exemple allégué que de

nombreux médecins du travail regrettent de ne pas avoir accès au DMP, alors qu’il est censé

être « un outil précieux pour les professionnels de santé ». Effectivement, selon la Haute

Autorité de la Santé, les médecins du travail sont parfois confrontés à des difficultés pour

obtenir des informations utiles à leur activité de prévention auprès du médecin traitant, tels

que, par exemple, les résultats d’examens complémentaires233. Dès lors, permettre au

médecin du travail d’accéder au contenu du DMP pourrait contribuer à améliorer la

prévention et le suivi individuel des salariés.

231 Article 226-13 du Code pénal : « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». 232 AUBIN (C.), PELISSIER (R.), DE SAINTIGNON (P.), VEYRET (J.), CONSO, (F.), FIRMAT (P.), « Rapport sur le bilan de la reforme de la médecine du travail », Octobre 2007, p 53. 233 Recommandations de la Haute Autorité de la Santé, Le dossier médical en santé au travail, janvier 2009, www.has-sante.fr.

Page 95: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

89

Selon le rapport relatif au bilan de la réforme du travail, s’il existe des raisons légitimes

justifiant que le médecin du travail ne puisse pas consulter le DMP, l’impossibilité de le

renseigner n’est en revanche guère compréhensible234.

A ce titre, tel que le préconise le rapport du Conseil Economique et social, il apparait

nécessaire de développer « la communication entre la médecine de ville et la médecine du

travail ». Dès lors, il serait par exemple envisageable « de créer un volet spécifique

expositions et risques professionnels » au sein du DMP afin qu’il soit accessible aux autres

professionnels de santé235. Sur ce point, la Haute Autorité de la Santé indique « qu’il serait

dans l'intérêt des patients que les professionnels de santé, toutes spécialités confondues

puissent avoir accès au dossier médical établi par le médecin du travail, aux risques

professionnels auxquels sont exposés leurs patients, puisque de très nombreuses pathologies

trouvent leur origine dans le travail »236. A notre sens, cette recommandation ne manque

pas de pertinence bien qu’elle ne semble pas encore avoir trouvé écho.

Même si le médecin du travail ne peut accéder au contenu du DMP, ni même le

renseigner, dans le cadre du suivi individuel, il est tenu d’établir un dossier médical en santé

au travail pour chaque salarié. Il s’agira d’aborder dans quelle mesure ce dossier représente

un moyen opportun d’optimiser la continuité du suivi individuel des salariés.

§2. Le DMST : un outil contribuant à la continuité du suivi individuel :

A titre préliminaire, il est nécessaire de préciser que la consécration législative du

DMST, au sein du nouvel article L.4624-2 du Code du travail, résulte non pas de la loi du 20

juillet 2011 relative à l’organisation de la médecine du travail, mais de la loi du 9 novembre

2010 portant réforme des retraites. Il convient de rappeler, qu’initialement, la réforme

relative à l’organisation de la médecine du travail était incluse dans la réforme des retraites,

mais qu’elle avait été invalidée par le Conseil Constitutionnel, en raison de l’absence de lien

direct avec l’objet initial du texte237. Néanmoins, le nouvel article L.4624-2 du Code du travail

234 AUBIN (C.), PELISSIER (R.), DE SAINTIGNON (P.), VEYRET (J.), CONSO, (F.), FIRMAT (P.), « Rapport sur le bilan de la reforme de la médecine du travail », Octobre 2007, p 53. 235 DELLACHERIE (C.), « L’avenir de la médecine du travail », Avis du Conseil Economique et Social, 2008, p.68. 236 Haute Autorité de la Santé, Le dossier médical en santé au travail recommandations, janvier 2009, http://www.has-sante.fr. 237 Décision n° 2010-617 DC du 09 novembre 2010.

Page 96: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

90

concernant le DMST a, quant à lui, été validé dans le cadre des dispositions relatives à la

pénibilité du parcours professionnel.

A. Définition, objectifs, contenu :

Plusieurs études ont mis en évidence le fait que le suivi individuel de la santé des

salariés, par le médecin du travail, n’était pas réellement satisfaisant et manquait de

continuité, notamment, concernant la traçabilité des expositions et des risques

professionnels auxquels ces derniers avaient pu être exposés238. Or, afin de mettre en œuvre

une prévention efficace en matière de santé au travail, dans le cadre du suivi individuel, le

rôle du médecin du travail consiste à établir le lien, entre l’état de santé du salarié et les

risques professionnels auxquels il est, ou a pu, être exposé.

A cet égard, il est indispensable que le médecin du travail puisse avoir accès à un

ensemble d’informations utiles lui permettant d’adapter son suivi, comme, par exemple,

l’historique des expositions professionnelles auxquelles le salarié a pu être soumis. D’autant

plus que, tel qu’il a été précédemment évoqué, dans un contexte marqué par le

développement des formes atypiques d’emploi et de la mobilité professionnelle, il peut être

difficile, pour le médecin du travail, de mettre en œuvre une prévention adéquate. En effet,

les conséquences à long terme des expositions à certains risques sont parfois délicates à

évaluer.

Nonobstant ces remarques, il convient d’envisager que le dossier médical en santé au

travail constitue un support d’information pouvant représenter un véritable intérêt, pour le

médecin du travail, dans la mise en œuvre du suivi individuel des salariés. Il doit ainsi

permettre de contribuer à la continuité et à l’ajustement de ce suivi, en matière de santé au

travail. Telle que l’illustre avec justesse l’affirmation suivante : « ce dossier, complété au fur

et à mesure des examens prévus par la réglementation de médecine du travail, est constitué

dans l’intérêt du salarié, pour permettre de suivre dans le temps l’évolution de son état de

santé. Il constitue pour le médecin du travail le support de sa mémoire et l’un des facteurs

garantissant l’efficacité de la prise en charge médicale»239.

238 AUBIN (C.), PELISSIER (R.), DE SAINTIGNON (P.), VEYRET (J.), CONSO, (F.), FIRMAT (P.), « Rapport sur le bilan de la reforme de la médecine du travail », Octobre 2007, p 53. 239 Lettre du Dr ROTHAN, chef de service de l’inspection médicale du travail du 21 juillet 1988.

Page 97: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

91

Selon la Haute Autorité de la Santé le DMST peut être défini « comme le lieu de recueil

et de conservation des informations socio-administratives, médicales et professionnelles,

formalisées et actualisées, nécessaires aux actions de prévention individuelle et collective en

santé au travail, enregistrées, dans le respect du secret professionnel, pour tout travailleur

exerçant une activité, à quelque titre que ce soit, dans une entreprise ou un organisme, quel

que soit le secteur d’activité »240.

Lors de la visite médicale d’embauche, le médecin du travail est tenu d’établir un

DMST, pour chaque salarié, qui sera ensuite complété lors des visites ultérieures. Le DMST

est évoqué au titre de plusieurs dispositions du Code du travail241. Soumis au respect du

secret professionnel et ne pouvant, sous aucun prétexte être communiqué à l’employeur, ce

dossier contient des données objectives, telles que, par exemple, l'identification du salarié,

les différents postes de travail occupés dans l'entreprise actuelle et les entreprises

précédentes, les antécédents médicaux et personnels, les conseils de prévention prodigués.

Des données subjectives peuvent également figurer, sur un support distinct du DMST, telles

que, des informations, comportant des éléments non médicaux, sans relation avec l’activité

de prévention relevant de la confidence du salarié, des notes personnelles du médecin du

travail242.

B. Approche analytique :

Le rapport relatif au projet de loi sur la réforme des retraites243 a mis en lumière

plusieurs limites concernant le DMST. Ainsi, ce rapport indique, par exemple, que « le

contenu du dossier médical ne fait que très peu de place au renseignement des risques

professionnels ». De même, il énonce que « la traçabilité des expositions professionnelles

ainsi que celle des conseils et des actions de prévention, dispensés par le médecin du

travail sont insuffisantes ».

240 Haute Autorité de la Santé, Le dossier médical en santé au travail recommandations, janvier 2009, http://www.has-sante.fr. 241Articles R.7214-20, D.4624-46, R.7214-21 et R.4412-56 du Code du travail. 242 Cass. Soc, 20 février 1986, Foures c/AMSIE, N°83-41671 : cet arrêt distingue deux catégories d’éléments dans le dossier médical du médecin du travail, le dossier lui-même et les notes de caractère strictement personnel du médecin. 243 LECLERC (D.), Projet de loi sur la réforme des retraites, Rapport n° 733, 29 septembre 2010, www.senat.fr.

Page 98: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

92

Initialement, il convient de rappeler que les modalités du DMST résultaient d’un arrêté

du 24 juin 1970 et étaient jusqu’alors définies dans la partie réglementaire du Code du

travail. La loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, opère un changement sur

ce point en créant un article spécifique, relatif au DMST : l’article L.4624-2 du Code du

travail. Désormais, le dossier médical en santé au travail a une valeur législative, ce qui

devrait, en principe, renforcer sa portée244.

Au titre du nouvel article L.4622-4 du Code du travail, le DMST est établi par le

médecin du travail et répond à trois objectifs. Tout d’abord, il doit retracer, dans le respect

du secret médical, les informations relatives à l’état de santé du salarié. Ensuite, ce dossier

doit participer à la traçabilité des expositions professionnelles auxquelles ce dernier a pu

être soumis dans l’exercice de sa prestation de travail. Enfin, il doit consigner les avis et les

propositions du médecin du travail, notamment celles formulées en application de l’article

L.4624-1 du Code du travail.

Il est possible de constater que le nouvel article a l’avantage d’être nettement plus

précis que l’article D.4624-46 du Code du travail, qui dispose: « qu’au moment de la visite

d'embauche, le médecin du travail constitue un dossier médical qu'il ne peut communiquer

qu'au médecin inspecteur du travail, ou, à la demande de l'intéressé, au médecin de son

choix. Ce dossier est complété après chaque examen médical ultérieur.

Le modèle du dossier médical, la durée et les conditions de sa conservation sont fixés par

arrêté du ministre chargé du travail ».

Désormais, aux termes du nouvel article L.4624-2 du Code du travail, les objectifs du

DMST apparaissent explicitement. Ainsi, en ajoutant que le DMST doit retracer les

expositions professionnelles et consigner les propositions de mesures individuelles du

médecin du travail, il semble que le législateur ait pris en compte les recommandations

précitées.

Or, à notre sens, ces nouvelles précisions permettent de clarifier le contenu et les

objectifs du DMST afin qu’il soit un véritable outil contribuant à l’essor de la prévention. Dès

lors, la continuité et l’efficacité du suivi médical individuel des salariés, par le médecin du

244 LECLERC (D.), Projet de loi sur la réforme des retraites, Rapport n° 733, 29 septembre 2010, www.senat.fr.

Page 99: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

93

travail, devraient être renforcées. Cependant, compte tenu du caractère récent de ces

précisions, il est pour le moment difficile d’évaluer la véritable efficience du DMST.

En outre, l’article L.4624-2 du Code du travail apporte des précisions en ce qui

concerne la communication du dossier. Il dispose tout d’abord que le DMST ne peut être

communiqué, à la demande de l’intéressé, qu’au médecin de son choix. En cas de risque

pour la santé publique, ou, à sa demande, le médecin du travail le transmet au médecin

inspecteur du travail. Ensuite, le dossier peut être communiqué à un autre médecin du

travail dans la continuité de la prise en charge, sauf si le salarié s’y oppose. Enfin, le salarié,

ou, en cas de décès de ce dernier, toute personne autorisée par les articles L. 1110-4 et L. 1111-7

du Code de la santé publique, peuvent demander la communication du DMST. A notre sens,

le fait que le salarié puisse s’opposer à la transmission du DMST, en cas de changement de

médecin du travail, s’avère critiquable dans la mesure où cela entrave la continuité du suivi

individuel et n’est absolument pas dans l’intérêt du travailleur.

Section 2. Approche critique : entre apports et controverses :

Depuis plusieurs années, de nombreux rapports245 ont mis en évidence les difficultés

auxquelles le système français de santé au travail était confronté. Ils « ont souligné la

nécessité d’adapter le dispositif « Médecine du travail à la française » pour mieux répondre

aux besoins de santé des salariés et des entreprises, pour développer une approche collective

de Santé-Travail, en intégrant le nécessaire suivi de santé personnalisé et pour concrétiser

l’approche pluridisciplinaire prévue par la directive européenne du 12 juin 1989 »246.

§1. La volonté de réformer le système français de santé au travail :

Depuis la fin des années 1970, le système français de santé au travail se trouve au

cœur du débat. Il est la cible de diverses critiques qui s’appuient sur différents constats,

parmi lesquels, il est notamment possible de citer, l’augmentation des maladies

professionnelles, le drame de l’amiante, l’inapplication des dispositions légales relatives au

tiers-temps, la démographie préoccupante des médecins du travail.

245 AUBIN (C.), PELISSIER (R.), DE SAINTIGNON (P.), VEYRET (J.), CONSO, (F.), FIRMAT (P.), « Rapport sur le bilan de la reforme de la médecine du travail », Octobre 2007 ; GOSSELIN (H.), « Aptitude et inaptitude Médicale au travail: diagnostic et perspectives », Janvier 2007 ; DELLACHERIE (C.), « L’avenir de la médecine du travail », Avis du Conseil Economique et Social, 2008. 246 WOLMARK (C.), « La médecine du travail est elle menacée ? », RDT, Février 2011, p. 86.

Page 100: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

94

Concernant par exemple, le contexte démographique défavorable, force est d’observer

que le nombre de médecins du travail ne cesse de diminuer, par conséquent ces derniers ne

sont plus en mesure d’accomplir toutes les missions qui leur incombent247. En effet, comme

le relève Madame Amauger-Lattes, « d’un côté la profession vieillit. En 2009, 55% des

médecins étaient âgés d’au moins 55 ans et dans les dix ans à venir 80% d’entre eux auront

atteint l’âge de la retraite. D’un autre côté, elle souffre d’un problème majeur de

recrutement qui est aujourd’hui moins lié à l’insuffisance du numerus clausus qu’à la crise des

vocations »248.

Or, cette situation engendre des conséquences directes en matière de suivi individuel.

Effectivement, en raison de cette « pénurie », les médecins du travail peuvent manquer de

temps et de disponibilité pour mettre en œuvre un suivi individuel de qualité des salariés.

Sur ce point, il est notamment possible d’évoquer la difficulté, en pratique, pour les

employeurs, d’organiser les visites médicales, conformément aux exigences légales en

vigueur. Ainsi que l’énonce avec justesse le Professeur Paul Frimat « l’écart s’est

progressivement accru entre les besoins de prévention et les possibilités réelles des médecins,

aussi bien en matière de temps que de moyens ou de fonctionnement »249.

C’est notamment pourquoi, il est aisé de comprendre la « détermination des pouvoirs

publics » de mener une réforme « face à un système qui de toute évidence ne peut plus

fonctionner correctement »250. Cette volonté de réformer le système français de santé au

travail a récemment été prise en considération, dans le cadre de l’adoption de la loi du 20

juillet 2011 relative à l’organisation de la médecine du travail. Il convient à ce titre

d’envisager de manière générale quels sont les apports, mais également les limites de ce

texte.

247 AMAUGER-LATTES (M-C.), « Pénurie de médecin du travail et visites médicales obligatoires, quelles responsabilités ? Quelles perspectives ? », Dr. Soc, Avril 2011, p.351. 248 AMAUGER-LATTES (M-C.), « Pénurie de médecin du travail et visites médicales obligatoires, quelles responsabilités ? Quelles perspectives ? », Dr. Soc, Avril 2011, p.351. 249 WOLMARK (C.), « La médecine du travail est elle menacée ? », RDT, Février 2011, p. 86. 250 AMAUGER-LATTES (M-C.), « Pénurie de médecin du travail et visites médicales obligatoires, quelles responsabilités ? Quelles perspectives ? », Dr. Soc, Avril 2011, p.351.

Page 101: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

95

§2. Approche analytique :

Tout d’abord, la loi du 20 juillet 2011 relative à l’organisation de la médecine du travail

modifie l’article L.4622-2 du Code du travail. Si l’objectif de la médecine du travail demeure

inchangé depuis la loi du 11 octobre 1946, à savoir « éviter toute altération de la santé des

travailleurs du fait de leur travail », cette disposition énonce désormais explicitement, les

missions des services de santé au travail. En effet, jusqu’à présent, seules les missions du

médecin du travail étaient définies dans le Code du travail. Cet ajout peut s’analyser comme

l’accomplissement de la transition souhaitée par la loi de modernisation sociale du 17 janvier

2002, de la médecine du travail vers les services de santé au travail, afin d’ancrer le dispositif

de prévention dans un cadre plus global et collectif.

L’article L.4622-2 du Code du travail détaille ensuite avec précision le contenu de ses

missions. A cet égard, les services de santé doivent conduire des actions en vue de préserver

la santé physique et mentale des travailleurs, conseiller les employeurs, les salariés et leurs

représentants, afin d’éviter ou de diminuer les risques professionnels, améliorer les

conditions de travail, prévenir ou de réduire la pénibilité et contribuer au maintien dans

l'emploi des travailleurs. Egalement, les services de santé sont tenus d’assurer la surveillance

de l'état de santé des travailleurs en fonction, des risques concernant leur sécurité et leur

santé au travail, de la pénibilité au travail et de leur âge, ainsi que de participer au suivi et

contribuer à la traçabilité des expositions professionnelles251.

L’article L.4622-4 du Code du travail modifié par la loi, précise notamment que les

missions précitées « sont exercées par les médecins du travail en toute indépendance et en

coordination avec les employeurs, les membres du CHSCT »… En outre, l’article L.4622-8 du

Code du travail, crée par la loi du 20 juillet 2011, dispose que ces missions « sont assurées

par une équipe pluridisciplinaire de santé au travail comprenant des médecins du travail, des

intervenants en prévention des risques professionnels et des infirmiers. Ces équipes peuvent

être complétées par des assistants de services de santé au travail et des professionnels

recrutés après avis des médecins du travail. Les médecins du travail animent et coordonnent

l’équipe pluridisciplinaire ».

251 Article L.4622-2 du Code du travail.

Page 102: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

96

Enfin, au titre du nouvel article L.4644-1 du Code du travail, l’employeur devra

désigner, au plus tard le 1er juin 2012, « un ou plusieurs salariés compétents pour s'occuper

des activités de protection et de prévention des risques professionnels de l'entreprise ». Il est

également précisé que « le ou les salariés ainsi désignés par l'employeur, bénéficient à leur

demande, d'une formation en matière de santé au travail ». Cette nouvelle disposition du

Code du travail prend en considération la volonté exprimée au sein de l’article 7 de la

directive européenne du 12 juin 1989, selon lequel : « l’employeur désigne un ou plusieurs

travailleurs pour s’occuper des activités de protection et des activités de prévention des

risques professionnels de l’entreprise ». Favoriser les initiatives du salarié en matière de

santé au travail semble pertinent et ce texte représente, à notre sens, un apport dans la

mesure où c’est le salarié qui est le premier concerné par les risques professionnels, mais

également, le bénéficiaire des mesures mises en œuvre.

Au regard de l’ensemble de ces dispositions, il est possible de constater l’intention du

législateur d’inscrire la prévention, en matière de santé et de sécurité au travail, au cœur

d’une démarche globale et collective nécessitant la coordination de l’ensemble d’acteurs au

sein de l’entreprise. Dès lors, le fait d’inscrire explicitement les missions des services de

santé au travail et de faire référence à l’ensemble des « préventeurs » dans le Code du

travail représente un véritable intérêt.

Effectivement, selon Monsieur Lefranc, « avec la multiplication des risques, il faut

admettre que le médecin du travail ne puisse pas tout prévenir et doit aujourd’hui partager

avec d’autres professionnels de la santé au travail son champ d’intervention »252. Le fait

d’épauler le médecin du travail dans sa mission de prévention par l’intervention de divers

acteurs, ne peut qu’améliorer le suivi individuel des salariés. A notre sens, il ne convient pas

d’envisager la réforme du système de santé au travail comme la seule réponse à la

« pénurie » des médecins du travail, mais davantage comme la nécessité de répondre aux

besoins des salariés, en matière de santé au travail, par la mobilisation d’un ensemble de

compétences.

252 LEFRAND (G.), Rapport sur la proposition de loi, adoptée par le sénat relative à l’organisation de la médecine du travail, 15 juin 2011, N°3529, p.7.

Page 103: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

97

Face à l’émergence de nouveaux risques professionnels, ainsi que nous avons eu

l’occasion de le démontrer, le fait que le médecin du travail puisse s’appuyer sur des

compétences autres que les siennes peut s’avérer réellement utile en matière de suivi

individuel. De plus, la loi du 20 juillet 2011 relative à l’organisation de la médecine du travail,

renforce le suivi individuel de certaines catégories de travailleurs en mettant en place un

suivi spécifique253. La mise en œuvre d’un suivi ajusté au cas par cas, semble être un choix

judicieux. Néanmoins, il est difficile pour le moment d’avoir le recul nécessaire afin

d’examiner, dans la pratique, si ce suivi spécifique sera bénéfique, mais surtout réalisable,

compte tenu du contexte démographique actuel défavorable des médecins du travail.

La loi du 20 juillet 2011 apporte ainsi plusieurs solutions et perspectives

intéressantes, toutefois, il est possible de nuancer sa portée notamment en matière de suivi

individuel. Le rapport du Conseil Economique et Social254 formulait effectivement des

propositions qui n’ont pas été prises en considération au sein de cette réforme, concernant

par exemple, la mise en place d’un suivi individuel plus personnalisé, par le médecin du

travail, de l’ensemble des salariés. Ainsi, le rapport préconisait de laisser une plus grande

marge de manœuvre dans la détermination de la fréquence des examens médicaux, en

fonction de la situation personnelle du salarié et des risques professionnels auxquels il était

exposé. En outre, depuis plusieurs années, il est possible d’identifier plusieurs controverses

autour de la pertinence des notions d’aptitude et d’inaptitude médicale. Ainsi, il était par

exemple proposé de transformer la procédure d’aptitude systématique en une procédure

ciblée de prévention des inaptitudes255. Or, cette problématique n’est pas abordée au sein

de la loi du 20 juillet 2011, relative à l’organisation de la médecine du travail, ce qui peut

paraitre surprenant.

253 Article L.4625-1 et L4625-2 du Code du travail. 254 DELLACHERIE (C.), « L’avenir de la médecine du travail », Avis du Conseil Economique et Social, 2008, p.25. 255 GOSSELIN (H.), « Aptitude et inaptitude Médicale au travail: diagnostic et perspectives », Janvier 2007.

Page 104: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

98

CONCLUSION

Depuis sa mise en place, le système français en matière de santé et de sécurité au

travail, se trouve en perpétuelle évolution et doit sans cesse s’adapter aux réalités du monde

du travail, afin de garantir une prévention efficace des risques professionnels au sein de

l’entreprise. D’abord ciblé sur une logique de réparation des risques professionnels, ce

système tend désormais à s’inscrire dans une véritable logique de prévention. Aujourd’hui

affirmée comme une valeur fondamentale, tant au niveau international, communautaire,

que national, la préservation de la santé et de la sécurité au travail « ne répond pas à un

phénomène de mode, mais correspond à une attente croissante de notre société et des

salariés »256. Afin de répondre à cette attente, il a été démontré que de véritables moyens

existent au sein de l’entreprise, notamment par la pluralité d’acteurs ayant vocation à

intervenir dans ce domaine. Plus particulièrement, il a été envisagé que le rôle du médecin

du travail, dans le cadre du suivi médical individuel des salariés, représentait un intérêt

majeur et s’avérait essentiel afin de contribuer à l’essor de la prévention. Effectivement, la

mise en œuvre des examens médicaux permet au médecin du travail, à la fois de tenir

compte des spécificités de chaque individu, mais également, d’acquérir une connaissance

globale des risques professionnels, ce qui représente un atout. Cette présente étude a

permis de mettre en évidence l’originalité et la richesse du système français et plus

particulièrement le fait qu’il est nécessaire de considérer l’approche collective et

individuelle, en matière de prévention, comme deux axes complémentaires. Cette analyse a

également été l’occasion de mettre en lumière, les difficultés auxquelles le médecin du

travail pouvait se trouver confronté, dans la mise en œuvre du suivi individuel des salariés,

notamment, compte tenu de l’évolution des relations de travail. En effet, les transformations

du travail, tant au niveau de son contenu, que de son organisation, conduisent à des

nouveaux enjeux en la matière, tels que par exemple, l’émergence des risques psychiques. A

cet égard, il a été examiné que le médecin du travail devait prendre en considération

l’ensemble de ces évolutions, afin d’adapter le suivi individuel et garantir l’effectivité de la

prévention, en matière de santé et de sécurité au travail.

256 COMBREXELLE (J-D), Quelques vérités simples sur la santé au travail, Dr.soc, Avril 2011 p.778.

Page 105: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

99

Sur ce point, il a été démontré que malgré ces nouveaux enjeux et l’apparition de risques

professionnels parfois difficiles à appréhender, le médecin du travail disposait de différents

moyens afin d’optimiser le suivi individuel des salariés. A ce titre, il a été examiné que le

médecin du travail représente une réelle « force de proposition » au sein de l’entreprise et

que, par ses prérogatives, il contribue directement à l’objectif de prévention des risques

professionnels. En outre, cette étude a permis d’analyser les apports législatifs récents, en

matière de santé et de sécurité au travail, tels que par exemple, la consécration du dossier

médical en santé au travail, par la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, qui

constitue également un outil indispensable garantissant l’efficacité du suivi. Enfin, il a été

envisagé les apports et les limites de la loi du 20 juillet relative à l’organisation de la

médecine du travail. Néanmoins, à notre sens, des questions restent en suspens et il est

notamment permis de s’interroger sur le fait de savoir si cette réforme permettra de pallier

les difficultés actuelles connues par le système français de santé au travail. Tel que le

soulignait le rapport du Conseil Economique et Social de 2008 relatif à l’avenir de la

médecine du travail, « notre assemblée considère que si la médecine du travail a un passé,

les médecins du travail ont un avenir, à condition de l’inscrire dans un cadre renouvelé,

dynamique et cohérent fédérant l’ensemble des acteurs de la santé au travail »257. Est-ce que

la loi du 20 juillet 2011 permet de répondre à cette attente ? Sans doute est-il trop

prématuré pour le dire. Quoiqu’il en soit, il convient néanmoins de rappeler que « s’il n’y a

de richesse que d’homme »258, alors préserver leur santé au travail doit demeurer une

priorité.

257 DELLACHERIE (C.), « L’avenir de la médecine du travail », Avis du Conseil Economique et Social, 2008, 90 p. 258 Jean Bodin.

Page 106: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

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Page 111: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

105

TABLE DES MATIERES :

SOMMAIRE

TABLE DES ABRIEVATIONS

INTRODUCTION : ..................................................................................................................................... 1

1. Approche préliminaire ........................................................................................................................ 1

a) Le travail une source de souffrance pour l'individu ? ......................................................................... 1

b) Approche globale du rôle du médecin du travail ................................................................................ 2

c) Les notions de santé et de sécurité au travail ..................................................................................... 3

2. Approche historique ........................................................................................................................... 5

a) Les prémices d'une réflexion en matière de santé au travail ............................................................. 5

b) La loi du 9 avril 1898 relative à la réparation des accidents du travail ............................................... 7

c) La loi du 11 octobre 1946 : l'institutionnalisation des services médicaux du travail .......................... 8

3. Approche évolutive............................................................................................................................. 9

a) L'impact des différentes réformes ...................................................................................................... 9

PARTIE 1 – LES ACTEURS DE LA PREVENTION EN MATIERE DE SANTE ET DE SECURITE AU TRAVAIL :

............................................................................................................................................................... 12

TITRE 1 - La diversité des acteurs en matière de prévention des risques professionnels : ................ 13

Chapitre 1- Les obligations des parties au contrat de travail en tant que moyen contribuant à

l’essor de la prévention : ...................................................................................................................... 14

Section 1. Le rôle de l’employeur en tant qu’acteur central du dispositif : .......................................... 15

§1. La mise en œuvre de la prévention des risques professionnels : ................................................... 15

A. L’information et la formation des salariés : ..................................................................................... 16

B. Une démarche d’évaluation des risques : ......................................................................................... 16

§2. Une responsabilisation croissante de l’employeur en matière de prévention des risques

professionnels : ..................................................................................................................................... 17

A. L’extension du domaine de l’obligation de sécurité résultat : ........................................................... 17

Page 112: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

106

B. Les effets de l’extension du domaine de l’obligation de sécurité-résultat : .................................... 18

§3. Les conséquences de l’extension du domaine de l’obligation de sécurité-résultat sur le rôle du

médecin du travail : ............................................................................................................................... 19

Section 2. Un principe de participation équilibrée avec le salarié : ...................................................... 21

§1. La mise en œuvre et les effets relatifs de l’obligation de sécurité du salarié : ............................... 21

§2. La nécessité d’impliquer le salarié en tant qu’acteur de la prévention : ........................................ 23

Chapitre 2- La santé et la sécurité au travail une préoccupation d’ordre collectif nécessitant la

coordination des acteurs : .................................................................................................................... 25

Section 1. Le rôle pivot du CHSCT en matière de santé et de sécurité au travail : ............................... 26

§1. Approche globale du rôle du CHSCT : .............................................................................................. 26

A. Les attributions du CHSCT en matière de santé et de sécurité au travail : ....................................... 26

B. Une instance permettant l’accès à la connaissance des risques professionnels : ............................. 28

§2. L’extension des attributions du CHSCT :.......................................................................................... 29

Section 2. Le développement d’une approche pluridisciplinaire : ........................................................ 31

§1. L’apport de compétences techniques et organisationnelles en matière de prévention : .............. 31

§2. Approche critique de la pluridisciplinarité : .................................................................................... 32

TITRE 2- Le rôle spécifique du médecin du travail en matière de prévention : ................................. 35

Chapitre 1- Le suivi médical individuel préventif des salariés par le médecin du travail : un

particularisme du dispositif français de prévention : ......................................................................... 37

Section 1. Approche comparative en matière de santé et de sécurité au travail: ................................ 37

§1. Le modèle britannique .................................................................................................................... 37

A. L’Health and Safety at Work Act: ...................................................................................................... 37

B. L’absence d’un suivi médical individuel par le médecin du travail au sein du système britannique :

…………………………….. ............................................................................................................................... 38

§2. Le modèle québécois : ..................................................................................................................... 40

Section 2. Le rôle exclusivement préventif du médecin du travail : ..................................................... 42

§1. Signification, justifications et difficultés : ........................................................................................ 43

§2. L’intérêt du suivi médical individuel préventif : .............................................................................. 44

Chapitre 2- La mise en œuvre du suivi individuel par le biais des examens médicaux : .................... 46

Page 113: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

107

Section 1. Approche globale du suivi médical individuel: ..................................................................... 46

§1. La détermination de l’aptitude médicale du salarié en tant qu’objectif du suivi : ......................... 46

§2. Les différents examens médicaux prévus par les dispositions légales : .......................................... 49

§3. La distinction entre la surveillance médicale simple et la surveillance médicale renforcée : ........ 50

Section 2. L’exercice des examens médicaux par le médecin du travail:.............................................. 50

§1. Les visites médicales obligatoires : .................................................................................................. 51

A. La visite médicale d’embauche : ....................................................................................................... 51

B. Les visites médicales périodiques : .................................................................................................... 53

C. La visite médicale de reprise : ............................................................................................................ 53

§2. Les visites médicales facultatives : .................................................................................................. 54

A. La visite médicale de pré-reprise : ..................................................................................................... 54

B. Les visites médicales à la demande : ................................................................................................. 55

C. Les examens complémentaires : ........................................................................................................ 55

Section 3. Approche critique du suivi médical individuel : ................................................................... 56

PARTIE 2 : LA NECESSAIRE ADAPTATION DU DISPOSITIF DE PREVENTION AFIN DE GARANTIR

L’EFFECTIVITE DE LA SANTE ET DE SECURITE AU TRAVAIL : ................................................................ 59

TITRE 1- Le rôle du médecin du travail face aux nouveaux enjeux en matière de santé et de sécurité

au travail : ............................................................................................................................................. 61

Chapitre 1- L’impact des évolutions économiques et sociales sur le suivi individuel : ..................... 62

Section 1. Les transformations en matière d’emploi et la continuité du suivi : ................................... 63

§1. Le développement des formes atypiques d’emploi : ...................................................................... 63

§2. L’essor de la mobilité professionnelle : ........................................................................................... 66

Section 2. De nouveaux facteurs exigeants l’ajustement du suivi par le médecin du travail : ............. 67

§1. Le vieillissement de la population active : ....................................................................................... 67

§2. Les interactions entre la vie personnelle et la vie professionnelle du salarié : ............................... 68

§3. L’intensification du travail : ............................................................................................................. 69

Chapitre 2- De la préservation de la santé physique à la santé psychique des salariés: ................... 70

Section 1. L’apport de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 : ........................................ 71

Page 114: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

108

§1. L’évolution de la notion de santé au travail : .................................................................................. 71

§2. Les conséquences sur le rôle du médecin du travail : ..................................................................... 72

Section 2. La prévention des risques psychiques dans le cadre du suivi individuel : ............................ 73

§1. L’intérêt du suivi individuel dans la prévention des risques psychiques :....................................... 74

§2. La nécessité de mobiliser un ensemble de compétences face à la pathologie psychique : ........... 75

TITRE 2- L’existence de moyens en vue d’optimiser le suivi individuel : ............................................ 77

Chapitre 1- La prise en considération par l’employeur des propositions du médecin du travail : .... 78

Section 1. L’équilibre entre la préservation de la santé du salarié et la logique de maintien dans

l’emploi : ................................................................................................................................................ 78

§1. La motivation de l’avis médical : ..................................................................................................... 79

§2. Les mesures individuelles dans le cadre du reclassement : ............................................................ 80

§3. Une jurisprudence aux contours stricts : ......................................................................................... 81

Section 2. Le renforcement des prérogatives du médecin du travail par la loi du 20 juillet 2011: ...... 83

§1. L’article L.4624-3 du Code du travail : ............................................................................................. 83

A. Approche globale : ............................................................................................................................ 83

B. Approche analytique : ....................................................................................................................... 84

Chapitre 2- Les apports législatifs récents en matière de suivi individuel : ....................................... 87

Section 1. Le dossier médical en santé au travail : ................................................................................ 87

§1. La distinction entre le dossier médical en santé au travail et le dossier médical personnel : ........ 87

§2. Le DMST : un outil contribuant à la continuité du suivi individuel : ................................................ 89

A. Définition, objectifs, contenu : .......................................................................................................... 90

B. Approche analytique : ....................................................................................................................... 91

Section 2. Approche critique : entre apports et controverses : ............................................................ 93

§1. La volonté de réformer le système français de santé au travail : ................................................... 93

§2. Approche analytique : ..................................................................................................................... 95

CONCLUSION : ....................................................................................................................................... 98

BIBLIOGRAPHIE : .................................................................................................................................. 100

TABLE DES MATIERES: ......................................................................................................................... 105

Page 115: Le suivi individuel des salariés en matière de santé et

109

ANNEXES: .................................................................................................................................................. I