le statut pÉnal de l’enfant mineur

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R.I.D.C. 1-2004 LE STATUT PÉNAL DE L’ENFANT MINEUR ÉTUDE DE DROIT COMPARÉ * PRÉSENTATION DU THÈME Jacques ROBERT ** Le mardi 25 février 2003 dernier, à Sainte Eulalie (près de Bordeaux) se tenait une réunion publique d’information sur le futur centre éducatif fermé qui doit se tenir dans cette commune. La population de la commune, rassemblée, s’entassait dans la salle des fêtes pour entendre les responsables du Centre. A partir du 17 mars, huit jeunes de 13 à 16 ans seront en effet installés dans une immense maison bourgeoise du XIXe siècle en marge du village. Le domaine de sept hectares a été acheté à des propriétaires privés par l’Association Orientation-Rééducation des enfants. On s’active à réaménager les lieux mais, prévient le directeur, s’il est prévu de poser une clôture à détection magnétique à 2 mètres de haut, il n’y aura ni sirènes, ni barbelés, ni mirador… « Pourquoi, ici, chez nous » gronde la salle ? Parce que Sainte-Eulalie présentait les meilleures conditions : vingt-sept personnes à temps complet seront présentes avec, en permanence, deux encadrants par jeune 24 heures sur 24 et un appel toutes les deux heures. C’est un dispositif unique… Mais si un tiers de ces gosses se tiennent à carreau, les autres vont vouloir se faire la malle. Ils cambrioleront les premières maisons et y casseront les voitures ». « J’espère que l’on ne sera pas la « Star Academy » de la délinquance ». « Si nous ne pouvons pas apporter une réponse à ces jeunes, demain ils nous mèneront une vie plus impossible encore ». La peur de l’autre c’est proche de la haine. Brouhaha général dans la salle. * Interventions présentées lors de la Table ronde organisée par le Centre français de droit comparé le 24 juin 2003 au centre Vaugirard de l’Université de Paris II (Panthéon-Assas). ** Président du Centre français de droit comparé, ancien membre du Conseil constitutionnel, professeur émérite à l’Université de Paris II.

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Page 1: LE STATUT PÉNAL DE L’ENFANT MINEUR

R.I.D.C. 1-2004

LE STATUT PÉNAL DE L’ENFANT MINEUR ÉTUDE DE DROIT COMPARÉ*

PRÉSENTATION DU THÈME

Jacques ROBERT**

Le mardi 25 février 2003 dernier, à Sainte Eulalie (près de Bordeaux) se tenait une réunion publique d’information sur le futur centre éducatif fermé qui doit se tenir dans cette commune. La population de la commune, rassemblée, s’entassait dans la salle des fêtes pour entendre les responsables du Centre.

A partir du 17 mars, huit jeunes de 13 à 16 ans seront en effet installés dans une immense maison bourgeoise du XIXe siècle en marge du village. Le domaine de sept hectares a été acheté à des propriétaires privés par l’Association Orientation-Rééducation des enfants. On s’active à réaménager les lieux mais, prévient le directeur, s’il est prévu de poser une clôture à détection magnétique à 2 mètres de haut, il n’y aura ni sirènes, ni barbelés, ni mirador…

« Pourquoi, ici, chez nous » gronde la salle ? Parce que Sainte-Eulalie présentait les meilleures conditions : vingt-sept personnes à temps complet seront présentes avec, en permanence, deux encadrants par jeune 24 heures sur 24 et un appel toutes les deux heures. C’est un dispositif unique… Mais si un tiers de ces gosses se tiennent à carreau, les autres vont vouloir se faire la malle. Ils cambrioleront les premières maisons et y casseront les voitures ». « J’espère que l’on ne sera pas la « Star Academy » de la délinquance ».

« Si nous ne pouvons pas apporter une réponse à ces jeunes, demain ils nous mèneront une vie plus impossible encore ». La peur de l’autre c’est proche de la haine. Brouhaha général dans la salle.

* Interventions présentées lors de la Table ronde organisée par le Centre français de droit comparé le 24 juin 2003 au centre Vaugirard de l’Université de Paris II (Panthéon-Assas).

** Président du Centre français de droit comparé, ancien membre du Conseil constitutionnel, professeur émérite à l’Université de Paris II.

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REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 1-2004 156

Cette anecdote montre la difficulté d’innover, même quand il s’agit

d’enfants, peut-être, demain, de nos enfants ou petits enfants. Il ne s’agissait pourtant pas d’une prison, mais d’un nouveau Centre

éducatif fermé, à effectifs restreints, à risques calculés. L’un des dispositifs clés de la lutte contre l’insécurité.

Le principe de leur création a été adopté par la Loi Perben du 9 septembre 2002 qui réforme l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante. Cette ordonnance prônait la primauté de l’éducatif sur la répression.

Fondée, au sortir de la seconde guerre mondiale, par des résistants instruits sur la réalité carcérale par leur passage dans les geôles de Vichy, l’ordonnance tournait le dos, résolument, aux pratiques brutales de redressement des mineurs délinquants qui, au travers des maisons de correction d’avant guerre, avaient prouvé leur inefficacité.

Considérant que la France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains, cette ordonnance estimait que le reclassement des jeunes délinquants ne pouvait être obtenu par la surenchère punitive, mais par un travail de rééducation inscrit dans la durée et placé sous l’autorité d’une justice spécialisée.

On ne naît pas délinquant mais on le devient. Il faut donc travailler sur la personnalité du délinquant pour se donner les moyens de le juger autrement.

La priorité de la justice des mineurs n’est pas de sanctionner une transgression par le prononcé d’une peine synonyme de châtiment public, mais de comprendre l’adolescent comme un être en devenir qu’il convient d’accompagner.

A ce titre les innovations récentes – votées déjà ou en préparation- participent-elles de cette philosophie ou constituent-elles une régression ? Les mesures nouvelles posent d’évidentes questions :

1. Certes, dernière chance avant la prison et conçus pour six mois renouvelables, les Centres d’éducation fermés (CEF) n’ont rien à voir avec les anciennes maisons de correction. Mais leur spécificité ne réside-t-elle pas dans la contrainte juridique qui pèsera sur les jeunes qui y seront placés ? S’ils violent les obligations imposées par le juge en fuguant, ils pourront être envoyés en prison, dans des prisons déjà surpeuplées. Et puis ce huis clos avec l’équipe éducative est susceptible de nombre de conflits. Et l’épée de Damoclès qui pèse sur eux ne les poussera-t-elle pas à l’escalade ?

2. Le gouvernement a d’ailleurs bien l’intention de se doter, en dehors des CEF (qui portent mal leur nom car il n’y aura aucun mur d’enceinte) de véritables centres fermés mais dans un cadre pénitentiaire : l’EPSM (Etablissement pénitentiaire spécialisé pour mineurs).

Le premier est prévu pour 2006 (huit établissements programmés) pour

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cinquante à soixante jeunes, comme il en existe en Espagne, Belgique, Suède et Grande Bretagne. Mais on revient toujours à la prison.

3. Des sanctions éducatives, par ailleurs, peuvent être appliquées à partir de dix ans : restitution d’objets volés, interdiction de rencontrer ses complices, obligation de suivre un stage de formation civique….

4. Possibilité de punir plus sévèrement l’outrage à enseignant. Pourquoi ? Les agressions à leur encontre seraient-elles plus graves que celles touchant les chauffeurs de bus, les médecins ou les pompiers ?

Criminaliser les gamins des quartiers et juridiciariser l’espace scolaire ne sont pas des solutions. On a voulu croire que la violence à l’école était un produit importé de l’extérieur. En fait elle provient sans doute d’un relâchement de la discipline et de l’autorité des professeurs.

5. Sanctionner financièrement les parents : suppression des allocations familiales aux parents d’enfants délinquants (récidivistes) placés (13-16 ans). Mais pointer du doigt la famille, c’est se référer encore à la famille « traditionnelle » qui n’aurait pas joué son rôle. Or la famille et la société ont changé. La généralisation du travail féminin, l’effondrement du mariage, la forte proportion des naissances hors mariage, des séparations et des divorces, les recompositions familiales, les familles monoparentales, l’évolution des rapports entre les générations, la fragilisation de la fonction paternelle… permettent-ils encore aux parents d’exercer pleinement leur autorité, de fournir aux enfants suffisamment de repères ?

C’est oublier que la famille n’est que l’une des instances de socialisation de l’enfant, bien souvent supplantée aujourd’hui, dès la pré-adolescence, par l’école, les médias, les camarades.

Pointer du doigt la famille, c’est encore évacuer le contexte social dans lequel s’inscrit son rôle. L’exercice d’un bon contrôle parental ne peut être que remis en cause par la situation matérielle et psychologique qui découle de l’échec socio-économique. Pénaliser financièrement les parents, souvent démunis, de mineurs délinquants ne saurait contribuer à la restauration de leur autorité parentale. Bien au contraire.

On voit l’ampleur des problèmes et des enjeux de notre sujet d’aujourd’hui.

Mais si l’on voulait être complet, le traitement d’un sujet comme le nôtre (le statut pénal de l’enfant mineur) devrait nous conduire aussi à nous interroger non pas seulement sur la répression de ses éventuels méfaits mais sur la protection de ces mêmes enfants contre les violences qui leur sont faites. A ce propos, il convient de noter le jugement sévère porté sur la France par le dernier rapport de la Commission des droits de l’homme de l’ONU : sévices sexuels, insuffisances du système judiciaire, maltraitance parentale…

Et puis, aussi, qu’est-ce que l’enfant ? A partir de quel âge est-on un enfant ?

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REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 1-2004 158

On sait qu’en droit pénal le fœtus n’est pas une personne même quelques instants avant sa naissance. Quelques instants après, il l’est. Alors qu’en droit civil, un enfant mort-né peut être inscrit sur le livret de famille de ses parents…

En décidant d’organiser ce soir une Table ronde sur cet enfant, le Centre français de droit comparé, que j’ai l’honneur de présider, affirme la continuité de son action. Déjà, l’année dernière, il avait organisé un même débat sur le « handicap » et le droit. Il est vrai que le Centre est le gardien d’une longue tradition, celle de mon prédécesseur, le président Marc Ancel, père de la « défense sociale ». Nous avons voulu rester fidèles à sa mémoire en nous penchant –comme il l’aurait si bien fait lui-même- sur le nouveau sort réservé, demain, aux mineurs délinquants.

Pour débattre sur un tel sujet, nous avons pensé qu’il fallait non seulement, pour la France, faire appel à un magistrat spécialement informé de ces questions, un membre du barreau qui plaide souvent des affaires de délinquance juvénile et deux professeurs de droit pour tâcher de faire la synthèse du droit positif et des espérances de demain, mais également sortir de nos frontières pour voir ce qui se passe chez nos voisins.

J’aurai donc dans un instant le grand plaisir de donner successivement la parole au président Philippe Chaillou, président de chambre à la Cour d’appel de Paris, à Mme Marie-France Ponnelle, avocat au Barreau de Paris, puis à nos deux collègues étrangers, Mme Nicky Padfield, professeur de criminologie à l’Université de Cambridge (Royaume-Uni) et M. José-Luis De La Cuesta, professeur à l’Université du Pays basque Donatia-San Sebastian (Espagne).

Enfin le professeur Jean Pradel, professeur à l’Université de Poitiers, pénaliste bien connu de nous tous, donnera – en résumant la somme de nos travaux – son avis autorisé sur les problèmes soulevés par notre thème.

Je remercie infiniment les personnalités réunies ce soir autour de moi d’avoir bien voulu répondre à notre appel malgré les lourdes obligations qui sont les leurs et les difficultés d’horaires et de transport qu’ils ont du résoudre aujourd’hui pour nous rejoindre.