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UNIVERSITÉ LYON 2 Institut d'Etudes Politiques de Lyon LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ANTARCTIQUE Julien VELCOF Séminaire « Droit international public » Sous la direction de M. Moncef Kdhir Soutenance le 7 septembre 2009.

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UNIVERSITÉ LYON 2 Institut d'Etudes Politiques de Lyon

LE STATUT INTERNATIONAL DEL’ANTARCTIQUE

Julien VELCOFSéminaire « Droit international public »

Sous la direction de M. Moncef KdhirSoutenance le 7 septembre 2009.

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Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6

CHAPITRE INTRODUCTIF : Description du continent : Un univers particulier,conquis récemment. . . 10

Le milieu naturel 1 . . 10

L’homme dans l’Antarctique 3 . . . 15

Titre premier Des origines jusqu'a son aboutissement ; le traite sur l’antarctique de 1959 . . 21

Chapitre I : La question de la souveraineté. . . 21

Section 1 : les affirmations de souveraineté.14 . . 23Section 2 : les positions de contestation . . 32

Chapitre II : Le Traité sur l’Antarctique de 1959. . . 40Section introductive : la troisième Année Géophysique Internationale. . . 40Section 1 : Principes fondamentaux et objectifs du Traité sur l’Antarctique. . . 43Section 2 : Les principes de fonctionnement ; la structure du Système Antarctique.. . 53Section 3 : Les conventions . . 63

Titre second : l’evolution du statut de l’antarctique et son devenir . . 68Chapitre I : La « tentative » de Wellington et le Protocole de Madrid. . . 68

Section 1 : Origines et échec de la Convention pour la réglementation des activités

sur les ressources minérales antarctiques (2 juin 1988)80 . . 70

Section 2 : le Protocole de Madrid ou la nouvelle consécration du Continent85. . . 74Chapitre II : L’Antarctique face à l’ONU et au droit de la Mer : un futur « patrimoinecommun de l’Humanité » ? . . 76

Section 1 : Un traité en dehors de tout cadre ONUsien . . 76Section 2 : « Intérêt de l’Humanité » contre Patrimoine commun de l’Humanité. . . 77

Conclusion . . 80Bibliographie . . 83

Articles . . 83Ouvrages . . 85Memoires et these . . 86Ouvrages generaux . . 87Sites internet . . 87

Annexes . . 89Annexe 1 : Texte du Traité de Washington du 1er décembre 1959. . . 89Annexe 2 : liste des états signataires du traite sur l’antarctique . . 95annexe 3 : pretentions territoriales sur l’antarctique . . 98Annexe 4 : Le monde vu de l’Antarctique . . 99Annexe 3 : Les prétentions territoriales sur le Continent. . . 100Annexe 5 : Principales bases scientifiques et population antarctique . . 101

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Annexe 6 : carte de la zone de compétence de la CCAMLD. . . 102

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Remerciements

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RemerciementsA mes parents, qui m’ont accompagné à travers ces années passées à l’IEP. Pour leur soutien,encore et toujours.

A mes amis, présents quant l’avancée de ce mémoire se faisait difficile.

A Monsieur Moncef Kdhir, responsable du séminaire de droit international public, pour avoiraccepté de diriger mon mémoire ; pour ses conseils et sa disponibilité.

Je tiens également à remercier

- M. Rollon Mouchel-Blaisot, Préfet, Administrateur supérieur des Terres Australes etAntarctiques Françaises (TAAF),

- M. Armel Kerrest, Professeur à l’Université de Bretagne Occidentale (Brest), Institut du droitdes espaces internationaux,

- Madame Sophie Perrez, Maître de conférences à l’Université de Nice Sophia-Antipolis,Institut du droit de la paix et du développement,

Pour leurs réponses détaillées et l’attention qu’ils ont bien voulu à mon projet.

Je veux aussi remercier chaleureusement l’agence de dépannage informatique « PC Plus »de Sarajevo, pour avoir réussi à sauver mon mémoire après le crash inopiné de mon ordinateurportable.

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LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ANTARCTIQUE

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Introduction

« Tout espace où s’exercent des activités humaines doit être soumis à un régimede droit, sinon l’anarchie y règne ou y régnera tôt ou tard. »

Gilbert Gidel, 1948Comme le rappelle Josyane Couratier, « L’Antarctique, terre lointaine, hostile, difficile

d’accès et depuis plus de deux siècles réservée à un petit nombre, n’a que trèsépisodiquement dévoilé ses mystères au grand public. » Malgré les descriptions faites parles premiers explorateurs, qui en leur temps avaient suscité enthousiasme et curiosité du

public, et les progrès techniques qui peu à peu permirent de mieux le comprendre, le 6e

Continent – environ 1/10e des terres émergées – est resté particulièrement ignoré jusqu’à ily a peu. Vierge de toute activité économique, de population, de réseau de communication,il n’était, presque jamais, mentionné dans la presse. A fortiori n’avait-il donc pas de « vie »politique au sens où l’on pourrait l’entendre classiquement. Aucune crise, aucune révolution,aucun phénomène de pouvoir ne venait rappeler son existence.

La différence est saisissante avec les régions polaires, de l’hémisphère Nord. Ainsi,l’Alaska, la Sibérie et le Grand Nord Canadien font l’objet d’une exploitation intensive.Anchorage est une escale aérienne fréquentée. Mourmansk, bordant la Mer de Barents,constitue la plus grande base navale du monde. Le Spitzberg norvégien, situé environ au 80°de latitude Nord, abrite des mines qui fonctionnent en permanence, et en été il accueille detrès nombreux touristes. Les réactions suscitées un temps dans l’opinion par la persistancede la chasse aux phoques, ou la chasse traditionnelle à la baleine chez les esquimaux, nousont rappelé la dimension « humaine » de ces latitudes.

Il n’en est rien de l’autre côté du planisphère. Le premier trait qui frappait l’attentionquand on évoquait l’Antarctique, continent « tassé » au sud, c’était donc ce vide relatif, ce

silence qui l’entourait. Bien qu’isolé, et franchement inhospitalier, le 6e Continent n’en avaitpas moins fait l’objet de revendications, et de contestations, de la part de certains pays,rivalités politiques qui furent finalement gelées lors de la signature du Traité sur l’Antarctique

du 1erdécembre 1959. La région tout entière située au Sud du 60e parallèle avait désormaisun statut précis, composition juridique sans précédent en droit international, dans le but depréserver le continent et d’y favoriser la recherche.

Traité majeur, mais conçu par un petit club de puissances occidentales, et en dehorsde tout cadre ONUsien, ce dernier n’a donc pas reçu toute l’attention qu’il méritait et,quand il n’intéressait pas, il était décrié par ses détracteurs qui contestait son caractèrefermé et exclusif. La recherche scientifique s’y poursuivait mais l’Antarctique restait « legrand oublié de la politique internationale ». (O. Dolfuss) Peut-être pour son plus grandintérêt. Puis brusquement, pendant quelques années (un peu moins aujourd’hui), tous lesprojecteurs se sont braqués sur ce continent oublié. L’alerte jetée par les scientifiques aprèsla découverte de trous dans la couche d’ozone dans les années 1980 avait mis en évidencele rôle essentiel de l’extrême-sud de la planète sur le climat mondial. En même temps,les campagnes de presse des mouvements écologiques dévoilaient à l’opinion l’étrangebeauté, intacte, de cet univers de glace menacé par l’intrusion rapide et désordonnée de

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Introduction

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l’Homme. On s’inquiétait à l’époque. « Verrait-on bientôt l’immensité blanche hérissée dederricks et de plate-formes pétrolières ? Les colonies de phoques, de manchots, de pétrels,seraient-elles bientôt obligées de plier bagage devant l’invasion de leur territoire par lesinstallations de forage, puits, mines, et leur cohorte de matériel en tous genres ? » (J.Couratier, 1988) Pire, les catastrophes en mer ou même les simples fuites et déversementsde routine ne menaçaient-elles pas d’endommager à jamais cet univers immuable, préservédepuis les origines ?

Toutes ces craintes, aggravées par les accidents survenus à des pétroliers ou naviresde transport au large des côtes de l’Antarctique au début de 1989, et suivis du désastrede l’Exxon Valdez, dans l’Arctique, aboutirent à une initiative en faveur de la création d’uneréserve mondiale, d’un « parc mondial », incluant l’ensemble du continent antarctiqueet des eaux du même nom. Ce fut le Protocole de Madrid en 1991, rajout magistral auTraité sur l’Antarctique vieillissant et qui réglait quelques problèmes oubliés, pour certainsvolontairement, lors de sa signature en 1959.

Toutefois, si salutaire qu’ait été l’action des médias à certains égards, elle n’a révélé quede façon partielle la réalité antarctique. C’est que traditionnellement, deux groupes humainsuniquement ont détenu – et de façon presque exclusive – la « connaissance » relative à cescontrées depuis leur découverte : les explorateurs et les scientifiques. (J-P Puissochet)

Les expéditions antarctiques de la fin du XVIIIe siècle jusqu’au milieu du XXe siècle,entre lesquelles se sont parfois écoulées plusieurs décennies, ont été les premiers vecteurs

de cette connaissance du continent. Après la 2e Guerre Mondiale, c’est surtout auxscientifiques qu’il appartiendra de faire la lumière sur les mystères qu’il recèle. On ne sauraitoublier, pour être tout à fait exhaustif, les chasseurs de phoques, baleines et manchots, dontles découvertes furent parfois déterminantes dans la région.

Entre ces rares épisodes de notoriété, qui semblent avoir culminé pendant la coursepour la conquête du pôle sud (1911) et l’année géophysique internationale (1957), que dezones d’oubli, même après la signature du Traité sur l’Antarctique, en 1959 ! Depuis sadécouverte, lorsque des intérêts nationaux se sont manifestés pour l’Antarctique, ils ont étéle fait de seulement quelques Etats, qu’ils soient animés d’une politique d’expansion en tantque grande puissance, et / ou de desseins économiques plus limités, tels la chasse à labaleine ou au phoque.

Le désintérêt envers l’Antarctique qui a caractérisé une large partie de la communautéinternationale trouve son origine dans la conviction – très longtemps répandue – que cecontinent rébarbatif demeure avant tout une terre de rêve et d’aventure, un vaste laboratoireà ciel ouvert où des professeurs curieux s’isolent volontiers, mais qui ne présente pas ungrand attrait pour le commun des mortels, surtout depuis le déclin décisif de la chasse àla baleine.

Vers le milieu des années 1970, cette indifférence a commencé à s’effacer pour faireplace à de nouvelles interrogations, d’ordre économique et écologique. Cet intérêt nouveaun’a fait que s’amplifier depuis cette époque, alors que la région était de mieux en mieuxconnue, et que s’affirmait la pression des groupes de protection de l’environnement.

En 1983, c’est un intérêt de caractère réellement politique qui est apparue au seinde la communauté internationale dans son ensemble. Il s’est illustré à travers la pressiondu mouvement dit des Non-Alignés qui réussit à inscrire la « question Antarctique » à

l’ordre du jour de la 38e assemblée générale des Nations Unies. Cette initiative a donnélieu à la rédaction d’un rapport détaillé du secrétariat de l’ONU, comprenant un résumé

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LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ANTARCTIQUE

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de la plupart des informations disponibles sur la situation géopolitique de l’Antarctique.Ce document, long de 300 pages et avec une bibliographie très complète, fut distribué à

toutes les délégations présentes à l’ONU. On est donc passé, lors de la 39e AssembléeGénérale pendant laquelle il a été distribué, soit juste un an, d’une ignorance presque totaleà l’égard de l’histoire, des richesses et du statut juridique du continent, à une publicitégénérale assurée de manière particulièrement efficace par cette tribune universelle qu’estl’ONU. Les préoccupations grandissantes en matière d’environnement depuis 1988 se sontévidemment répercutées sur le débat au sein de l’organisation mondiale quant à la questionde l’Antarctique.

L’association de quatre séries d’évènements explique ce changement presque soudain.Les trois premières sont apparues à peu près à la même époque c’est-à-dire dans le milieudes années 1970.

Le choc pétrolier de 1973, a illustré brusquement la dépendance de plusieurs Etatsà l’égard de sources trop limitées d’approvisionnement et a suscité une curiosité nouvelle

pour les gisements d’hydrocarbure que pouvait peut-être recéler le 6e Continent. Du coup,les obstacles techniques, jugés longtemps insurmontables, nés des conditions locales tropdifficiles, ont pu alors paraître possibles à contourner à terme. Parallèlement, l’évolution dela IIIe conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, allant dans le sens d’une extensiondes droits des Etats sur les ressources des eaux voisines de leurs côtes, ont repousséles flottes de grande pêche vers les zones maritimes non contrôlées, dont celles entourantl’Antarctique. Enfin, c’est vers cette époque que les mouvements écologistes ont commencéà déployer leur action de façon vraiment organisée à l’échelle mondiale. Leur intérêt s’estnaturellement porté vers le continent austral, considéré avec raison comme une réservenaturelle sans équivalent. La protection des cétacées dont les eaux antarctiques constituentun des derniers refuges a été, en outre, l’un des principaux points de leur revendications.

La possibilité, à terme, de l’exploitation des ressources naturelles, purementhypothétique pour les hydrocarbures – et d’ailleurs proscrite par le Protocole de Madridde 1991 – ainsi que le souci de la protection de toute la région antarctique, ont conduitdes experts à s’interroger sur l’autorité de contrôle de ces régions et donc sur leur statutjuridique. Ce sera la convention mort-née de Wellington en 1988 qui voulait envisager uneexploitation industrielle du continent, techniquement possible aux termes du Traité de 1959.La pression écologiste à l’époque permettra finalement de donner un caractère inviolableau continent.

Enfin, les conclusions de la Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, endécembre 1982, et au sein de laquelle était né le concept de « Patrimoine Commun del’Humanité », ainsi que la pression du « Groupe des 77 » en faveur d’un nouvel ordremondial, Antarctique inclus, a poussé un certain nombre de pays en développement à

s’intéresser dès l’année suivante aux ressources du 6e Continent. C’est à l’initiative de l’Indeet de la Malaisie que l’ONU a été saisie de la « question antarctique ».

Les recherches et les discussions qui s’en sont suivies ont mis en lumière, pour denombreux Etats qui l’ignoraient encore, l’existence d’un « système antarctique », soit unrégime juridique à la fois cohérent et efficace dont découle une sorte d’administrationrégionale multilatérale basée sur deux postulats primordiaux : paix et coopération.

Comme le souligne J. Couratier, « Paix et coopération, deux mots familiers aux oreillesdes habitués de l’ONU ne constituent-ils pas les piliers de l’organisation, autours desquels

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Introduction

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s’est construit le Système Onusien ? Or, de l’examen des règles et normes qui régissentl’Antarctique ainsi que de la pratique en vigueur, il ressort » :

Que la paix est une réalité effective qui dure dans cette région, sans interruption nidifficulté majeure, depuis la signature du Traité sur l’Antarctique il y a soixante ans ;

Que la coopération est une longue tradition qui remonte dès les premières expéditionsconnues. Née de la solidarité humaine qui s’est développée face à la rudesse des éléments,elle constitue un mode de vie quotidien en Antarctique.

On s’est aussi aperçu que ce régime, unique et propre à seul continent, tout entier, n’estpas resté immobile, bien au contraire. Il a su, au fil des années, faire face aux problèmesnouveaux, y apporter des solutions, parfois d’une grande originalité, et toujours efficaces.On a, pour ce faire, utilisé des procédés normatifs et des mécanismes variables caractériséspar l’extrême souplesse avec la préoccupation d’une application effective et rapide.

Le développement d’un statut unique tout d’abord, puis d’un droit dérivé ensuite,composé de règles déduites à partir de certains principes directeurs immuables – principeset règles et, plus tard, institutions formant un tout cohérent et autonome – a conduit àdésigner l’ensemble de ces éléments et des rapports qui les unissent sous l’expressionde « système antarctique ». Sans doute est-ce par opposition et par comparaison avecle système des Nations Unies, caractérisé lui par une institutionnalisation rigide et uneproduction normative très dense.

Par delà les arguments des uns et des autres (certains Etats, nous le verrons, ayantdemandé la fin du régime antarctique, attaques pour l’instant suspendues suite au Protocolede Madrid en 1991 qui consacre le continent seulement « à la paix et à la science »), lesystème antarctique, du fait de sa réussite, mérite de retenir l’attention.

Le présent mémoire a pour but d’examiner le contenu et le fonctionnement du Traité surl’Antarctique de 1959, afin d’en déterminer les carences éventuelles, et d’en faire apparaîtreles caractères essentiels. Les perspectives d’évolution du statut de l’Antarctique sont eneffet liées à la fois au fonctionnement interne du Traité, et à la façon dont il est perçu parla communauté internationale.

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LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ANTARCTIQUE

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Carte générale de l’Antarctique

CHAPITRE INTRODUCTIF : Description du continent :Un univers particulier, conquis récemment.

Le milieu naturel 1

1 Pour une description physique complète du continent, se référer à l’encyclopédie Larousse ou à l’Encyclopedia

Britannica. On consultera également celle offerte par André CAILLEUX dans son ouvrage Géologie de l’Antarctique

(Sédès, 1963) ; Pierre CHARPENTIER Notes de voyage en Antarctique et au pôle Sud (revue défense nationale, août-

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Introduction

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L’Antarctique – ou pour être précis l’Antarctide si l’on considère la masse continentaleantarctique per se, les nombreuses îles avoisinantes et les mers qui les baignent, que couvre

le Traité de Washington du 1er décembre 1959 – constitue un immense ensemble de 34

millions de kilomètres carrés s’étendant entre le Pôle Sud et le 60e degré de latitude Sud,soit le quart de la superficie du globe. La nature particulière de l’ensemble rend souventdifficile la différenciation entre le continent et la mer proprement dire. On distingue souventcependant « deux » antarctiques : l’une orientale, massive et relativement plate, l’autre,occidentale, volcanique, montagneuse et aux côtes découpées.

Un « continent glaciaire » : L’Antarctique est un continent 2 plus grand que toute

l’Europe, jusqu’à l’Oural, puisque avec ses 14 millions de kilomètres carrés il recouvre prèsde 10% des terres émergées. Ceinturé par l’océan Glacial Antarctique, il est complètementdétaché et isolé des autres continents : 3 980 km de l’Afrique, 3 100 de l’Australie, tandisque la péninsule Antarctique est à 1 000 km de l’extrême pointe de l’Amérique du Sud. Acertains égards cependant, il semble être un prolongement de cette dernière (voir la cartedu continent Antarctique page précédente) puisque les chaînes des monts Sentinelles, desmonts Horlick et de la Reine Maud sont la continuation de la Cordillère des Andes, avecdes hauts sommets qui culminent à 5 140 m (mont Vinson), à 4 603 m (mont Markham)et 4 530 (mont Kirkpatrick), et des volcans dont les plus connus sont l’Erebus, le plus haut(3 743 m), dans l’île de Ross et le mont Terror (3 093 m). A l’exception de cette dernièrezone volcanique, l’Antarctique apparaît comme le seul continent exempt de séismes.

septembre 1971, pp. 1267-1289) ; E. AUBERT DE LA RUE, Les terres Australes, PUF, Que-Sais je ? n° 603, 1953. Egalement

le premier chapitre du livre de Josyane Couratier, « Le système Antarctique. »2 Ce qui le différencie en cela de l’Arctique, qui est une vaste mer gelée.

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LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ANTARCTIQUE

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Source : P-E Victor, « Adieu l’Antarctique », 2007.La majeure partie du continent est constitué par l’inlandsis, vaste coupole glaciaire

découpée par quelques vallées sans glaces à profil en « U », appelées oasis. Le désertde glaces éternelles recouvre environ 97% de la superficie totale et masque le relief sous-jacent, très hétérogène. L’Antarctique est le continent le plus haut du monde, avec unealtitude moyenne de 1 800 m. Mais la couche de glace elle-même atteint entre 2 000 et 4 800mètres d’épaisseur, ce qui laisse supposer que de nombreuses terres se sont affaisséessous un poids de 30 millions de milliards de tonnes et sont situées à près de 600 m endessous du niveau de la mer. De sorte que, si cette glace venait à fondre, le continent,d’apparence massive et homogène, se transformerait en un véritable archipel. Représentantà lui seul 90% de la surface glaciaire du monde, l’Antarctique renferme 70% des réservesmondiales d’eau douce dont la fonte rapide produirait des gigantesques cataclysmes surtoute la surface du globe : l’élévation d’une soixantaine de mètres du niveau des mers etdes océans engloutirait la plupart des terres situées en bordure du littoral maritime et desgrandes villes come Paris, Londres, New York, Tokyo.

Ces glaces dérivent du centre du continent vers les côtes sous forme d’immensesplate-formes, avançant vers la mer à raison de 100 à 1 000 m par an en moyenne et s’ydéversent en empruntant le lit de profondes vallées sous-glaciaires submergées dont laprofondeur atteint 1 300 mètres avec le glacier de l’Astrolabe près de la base française deDumont d’Urville. Le pack antarctique, poussé par les vents, décuple presque sa superficiede mars à septembre. En hiver, il peut s’étendre jusqu’au 55e degré de latitude Sud, cequ’on appelle la « convergence antarctique ». La plate-forme de Ross, la plus importante,représente environ deux fois la superficie de la Nouvelle-Zélande. Quant aux icebergs quis’en détachent, ils peuvent atteindre des dimensions gigantesques (plus de deux fois la

superficie de la Corse) et dériver jusqu’au 35e degré Sud dans les océans Atlantique etIndien. L’ensemble constitue, même en été, un redoutable obstacle à la navigation. On verrapar ailleurs combien cette activité de l’inlandsis rend très aléatoire toute exploitation oumême simplement prospection des ressources minérales.

Un climat très rigoureux fait de l’Antarctique le continent le plus froid, le plus sec, leplus venteux et… le plus impénétrable au monde. Cela est essentiellement dû à la situationgéographique du continent, son altitude et l’importance de l’inlandsis.

Sa température y est variable mais dépasse rarement zéro degré centigrade. Dans leurbase Palmer, au nord de la péninsule Antarctique, les scientifiques américains ont enregistrédes variations entre – 10 et + 2° C, et dans leur base de Siple, à l’ouest, dans la terred’Ellensworth, entre – 52 et + 7° C. Le 21 juillet 1983, la température record la plus bassejamais enregistrée à la surface de la terre a été relevé dans la station russe de Vostok :- 89,2 °C. La température y serait même descendue jusqu'à -91 °C pendant l'hiver 1997mais ce chiffre n'a pas été confirmé par les scientifiques. Cette station, comme celle néo-zélandaise de Vanda, sont d’ailleurs les seules du continent à ne jamais connaître la pluie,la neige ou la glace.

Sur cette immense masse de glace règne un puissant anticyclone qui engendre, commenous venons de le dire des températures très basses, mais aussi des vents violents dits

catabatiques. Ils soufflent fréquemment en cyclones qui prennent naissance entre le 60e et

le 70e degré de latitude Sud, et circulent d’est en ouest le long des côtes. Ils atteignent enmoyenne 6,5 m/s, et on a constaté des vitesses encore plus grandes de 33 m/s. Le record

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Introduction

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semble avoir été atteint à la base russe de Mirnyy, dans l’Antarctique orientale avec 226km/h.

Les précipitations sont faibles mais régulières, sous forme de neige (350 mm dans lapéninsule et seulement 70 mm dans l’inlandsis), ou d’embruns verglaçants. Une large partiedu rayonnement solaire est réfléchie par la calotte glaciaire vers les espaces sidéraux, d’oùle froid très rude malgré l’ensoleillement intense. En revanche, dans la péninsule Antarctiqueet la région orientale, les précipitations neigeuses peuvent atteindre 500 mm par an.

Un écosystème fragile. Il n’est alors pas surprenant qu’une terre aussi inhospitalièresoit demeurée vierge de tout peuplement humain. Bien plus, la rigueur extrême du climatempêche presque tout développement de la vie animale ou végétale à l’intérieur ducontinent, celle-ci se concentrant dans les zones maritimes, sur les côtes, les îles et lesarchipels.

La vie végétale est d’ailleurs pratiquement absente ou réduite à sa plus simpleexpression, tandis que la vie animale est quasi exclusivement conditionnée, directement ounon, par le milieu marin.

La vie végétale terrestre se concentre dans les « dry valleys », où des roches sontcouvertes d’une fine couche de mousse, de lichens et d’algues. Mais son domaine deprédilection est constitué par les océans alentours qui seraient une des régions la plus richedu monde en plancton, la base de la chaîne alimentaire aquatique. A proximité des côtesprospèrent également de très nombreuses variétés d’algues fixes unicellulaires. Toutes cesalgues servent de nourriture à de minuscules animaux marins.

La vie animale y est un peu plus importante et beaucoup mieux répartie. Si l’on metà part les innombrables variétés d’invertébrés (éponges, céphalopodes – en particulier lescalmars – et mollusques qui pullulent entre 4 et 200 m de profondeur), la faune marine,particulièrement importante, est d’abord représentée par le « krill », variété de petite crevetterose, que l’on rencontre dans toute la zone de convergence antarctique, surtout dans sapartie occidentale. Il constitue une nourriture extrêmement abondante et riche pour la plupartdes espèces de poissons, d’oiseaux antarctiques, de baleines et de phoques. Les réservesactuelles de krill pourraient varier, selon les estimations, entre 45 millions et plus de 7milliards de tonnes et les possibilités de production entre 25 millions et 2 milliards et demi detonnes par an. Mais ces chiffres ne doivent pas faire illusion car le krill constitue la nourritureessentielle de la plupart des espèces vivantes de l’Antarctique et surtout, directement ouindirectement, des grands prédateurs que sont l’éléphant de mer, le cachalot et le phoqueléopard.

On comprend donc l’immense intérêt que présente une réglementation de sonexploitation pour le maintien de l’écosystème. En effet, le krill est pêché en très grandesquantités par des pays comme le Japon ou la Russie pour fabriquer des farines pouranimaux et nombre de scientifiques estiment qu’il pourrait constituer la solution idéale auproblème de la faim dans le Tiers Monde.

Les céphalopodes (calmars, poulpes) constituent à peu près 20% de la fauneantarctique. Les diverses variétés de poissons, raie, hareng…etc. sont en des proportionsbeaucoup plus faibles et sont directement menacées par le risque de surexploitation.

Les phoques vivent en partie sur la terre ou sur la glace, en partie dans l’eau. Ilsconstituent une population d’environ 15 millions d’individus, groupés dans six espècesdifférentes.

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LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ANTARCTIQUE

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Les mammifères marins cétacés, comme le dauphin, ont pu se développerconsidérablement grâce à l’abondance de la nourriture et à l’absence, hormis l’orque, degrands prédateurs. Mais ils ont été victimes de véritables carnages de la part de l’homme.Quant aux baleines, autrefois très nombreuses, elles ont été décimées d’une manièreconsidérable ; en 1937 a été enregistré la prise la plus élevée avec 45 000 animaux tués ausud de la convergence antarctique, pour leur viande ou leur huile. Actuellement la baleinen’est pratiquement plus pêchée dans la région (le Japon faisant exception) et leur nombretend à augmenter.

Les manchots sont les animaux consommant le plus de krill. Ils vivent en colonies deplusieurs milliers d’individus. Les plus connus sont les manchots d’Adélie et les manchotsempereurs. Mais 35 autres espèces d’oiseaux (mouettes, albatros, goéland…) ont étérecensées qui se concentrent dans des zones relativement étroites.

Des ressources minérales variées mais d’accès difficile. Sur un tel continent, laprospection des ressources minérales s’avère évidemment hasardeuse, voir périlleuse, surterre plus encore que sur mer.

Les ressources minérales terrestres principales sont le fer et le charbon. Ce dernier aété le premier minerai découvert dans l’Antarctique en 1907 mais la structure rocheuse étantenfouie trop loin sous la glace, son exploitation n’a jamais été possible. On suppose pourtantque les gisements de la chaîne trans-antarctique et des monts du Prince-Charles seraientpeut-être les plus vastes du monde (plus de 100 000 km2). Mais il s’agit d’un charbon demédiocre qualité, d’exploitation et de transport difficile et actuellement non rentable. Pour lesmêmes raisons que pour le charbon, les gisements de fer, jointes à l’existence des réservesconsidérables et facilement accessibles ailleurs dans le monde, empêchent actuellementtoute exploitation rentable.

La projection des caractéristiques géologiques d’autres continents de l’hémisphèreaustral (Amérique du Sud, péninsule africaine), de structure et d’âge comparables, ainsique de multiples prospections régionales laissent à penser que l’Antarctique, notamment lapéninsule Antarctique, recèle également des filons de cuivre et de molybdène, mais de faibleconcentration. Quant aux gisements de nickel, de cobalt et de chrome, ils seraient parmiles plus importants du monde. Enfin des traces d’uranium et de thorium, d’or et d’argent, debéryl et de cristal de roche ont été également relevées.

Mais un véritable exercice de prospection générale n’a jamais été réellement menéedans le continent, et le Traité de Madrid, signé en 1991, n’a fait que la freiner plus encore.Toutefois de nombreux indices indiquent que l’Antarctique contient de nombreux gisementsde minerais riches, de gaz et de pétrole, argument avancé en 1988 lors de l’élaboration,mort-née, de la Convention de Wellington qui devait entrouvrir le continent à une exploitationindustrielle… L’épaisseur de l’inlandsis et le mouvement de la glace ne laissent que peud’espoir, aujourd’hui comme il y a vingt ans, en l’état actuel de la technologie, d’avancerdes données plus précises.

En ce qui concerne les ressources minérales marines, le plateau continental des mersde Ross et de Weddell, d’Amundsen et de Bellingshausen recèleraient de très importantsgisements d’hydrocarbures. On estime que plusieurs dizaines de milliards de barils depétrole pourraient être extraits du plateau continental de l’Antarctique occidental (autantque les réserves actuellement connues des Etats-Unis !) ainsi que 3,35 milliards de mètrescubes de gaz. Mais la banquise flottante rend très difficile la manœuvre des naviresde prospection, et la dérive des icebergs, nombreux et massifs, constituerait un dangerpermanent pour l’exploitation. La question est de toute façon scellée, pour l’instant, jusqu’en

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2048, le Protocole de Madrid, entré en vigueur en 1998, interdisant toute exploitationindustrielle et commerciale du continent pour les 50 années à venir.

Enfin on sait que la calotte glaciaire représente 70% des réserves d’eau douce dumonde. Une société commerciale franco-saoudienne, « Iceberg Transport internationalLtd », prévoyait, entre autres, de remorquer les icebergs jusqu’aux pays voisins et avait étécrée dans les années 1980, sans que suite ne soit réellement donnée à ce projet.

L’homme dans l’Antarctique 3 .

Un certain flou entoure les premiers chapitres de l’histoire humaine en Antarctique. Une telleincertitude est toute naturelle quand on se rappelle les difficultés d’accès il y a seulement60 ans. Mais elle est sans doute entretenue – tantôt à dessein, tantôt de bonne foi – parles Etats dont les premiers explorateurs du continent seraient les ressortissants. On nepeut en effet ignorer l’importance jusqu’à une date récente de l’élément « découverte »dans l’établissement de la souveraineté sur des territoires sans maître apparent (nousreviendrons plus en détail sur cet élément plus loin dans notre analyse).

Une fois admise cette remarque, on peut tout de même retracer une certainechronologie sur laquelle les historiens s’accordent. Pour le reste, il faudra se contenter dereprendre les différentes versions nationales…

Les hypothèses : L’existence du Continent Antarctique était supposée dès l’Antiquitépar les Grecs, qui pensaient qu’il devait faire pendant aux terres de l’hémisphère Nord.(Antarctique vient de anti arktos, ou « opposé à l’ours » ou Arctique).

Certaines légendes maories remontant au VIIe siècle 4 font état d’un continent de

glace. Néanmoins, bien que l’audace des navigateurs polynésiens à travers le Pacifiquesoit attestée par de nombreux éléments, ni la construction de leurs embarcations, ni leursvêtements ne permettent de conclure qu’ils auraient pu survivre dans un environnementaussi hostile que celui de l’Antarctique si jamais ils l’avaient atteints. Tout au plus ont-ils purencontrer quelques îles ou archipels sub-antarctiques.

Les cartes européennes datant du Moyen-âge indiquent parfois une « Terra Australis

incognita » 5 , aux contours bien fantaisistes, puisque inconnus. Mais c’est à partir de la

Renaissance que l’on se met à sa recherche. Le XVIe siècle est en Europe une époqued’agitation exploratrice. Espagnols et Portugais se taillent les premiers un empire colonialgigantesque. A leur suite, Anglais, Hollandais et Français se lancent dans la course. Ilsse heurtent aux établissements antérieurs et aux prétentions des puissances ibériques quibénéficient d’un appui moral très important à l’époque : celui du Souverain Pontife. Cedernier a, en effet, par la Bulle Inter Coetera du 4 mai 1492, divisé les terres qui restent alorsà découvrir entre le Portugal et l’Espagne. La ligne de partage est tracée de pôle à pôle et

3 Se référer notamment à l’ouvrage de Paul-Emile VICTOR (2007), dans sa première partie, ainsi qu’au chapitre II

« L’homme et l’antarctique » du livre de Josyane COURATIER (1991).4 D’après le récit de l’ethnographe Percy Smith, Hawaiki, 1921, p 175, une légende de Rarotonga a fait état de l’expédition

d’un polynésien intrépide qui, vers 650 de notre ère, aurait été arrêté dans sa progressions vers le Sud austral par « … le brouillard,l’obscurité, la mer gelée… et des choses qui sont des rocs… complètement nus et sans végétation. »

5 Voir l’ouvrage d’André CAILLEUX (1967) ainsi que celui de Jean-François DA COSTA : La souveraineté en Antarctique,L.G.D.J, 1958, page 45.

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passe au large des îles du Cap Vert. Cette décisions sera confirmée dans son principe entreles deux souverains intéressés par le Traité de Tordesillas l’année suivante. Cette situation,qui engendre frustration et ambition pour les nations écartées du partage, donne naissanceen France à l’espoir d’un Eldorado austral, de climat agréable, et que nul n’aurait encoredécouvert. Aussi les cartographes de l’époque donnent-ils libre cours à leur imagination.L’interprétation erronée de certains voyages en terre inconnue y concourt d’ailleurs, tellel’expédition de Gonneville qui aurait pris possession en 1503 d’une contrée « riche et fortpeuplée », probablement le Brésil. Mais l’on considéra, pendant plus d’un siècle et demi,que Gonneville avait bien débarqué sur la Grande terre Australe.

Ce n’est que deux siècles plus tard que des expéditions vers l’extrême Sud seront ànouveau envisagées en Europe.

L’approche du Continent. Il semble que ce soit le Français Bouvet qui découvrit lapremière île sub-antarctique. Commissionnée par la Compagnie Française des Indes, ill’atteindra en 1739. Il la contournera sans pouvoir pourtant y aborder. Il lui donnera sonnom ; l’île Bouvet est située par 54° S et 5° E.

Plus tard, en 1772, Marion Dufresne et Crozet découvrent les îles qui portent leursnoms ainsi que celle du Prince Edouard. Ces îles sont situées respectivement au 46°53’Set 37°45’E ; 46°S et 50°30’E ; 46°36’S et 37°57’E.

Kerguelen explore à la même date l’archipel qui gardera son nom. Il s’étend du 48°27’au 50°S et du 68°27’ au 70°35’E.

De 1772 à 1775, l’Anglais Cook entreprend un voyage tout autours du continent austral.Bien qu’il n’ait pas atteint l’Antarctique lui-même, son expédition a permis d’affirmer quecette masse continentale, si elle existait réellement, se trouvait au Sud du 60°S.

Cependant, selon certains auteurs chiliens (nous verrons plus loin que le pays sedispute avec l’Argentine et le Royaume-Uni, la souveraineté sur une partie du continent), lemérite des premières expéditions jusqu’au 64°S, soit presque le Cercle Polaire, reviendraità l’Amiral Gavriel de Castilla, chargé en 1603 de reconnaître les côtes Sud-ouest du vice-royaume espagnol du Chili. Ses découvertes auraient été consignées et confirmées en 1761par le gouverneur Manuel De Amiat y Junient.

Pour les Argentins en revanche, ce sont des navires espagnols qui auraient découvertla Géorgie du Sud, vers le milieu du XVIIIe siècle. Le commandant de l’expédition, parti deLima et en route pour Cadix, après avoir dérivé à la suite d’une tempête, se serait trouvéprès d’une île de cet archipel que le capitaine aurait baptisé San Pédro.

Quoiqu’il en soit, les récits de Cook relatifs à l’abondance des colonies de phoques àfourrure dans les îles subantarctiques qu’il avait visitées suscita un tel intérêt sur le plancommercial que, dès le dernier quart de siècle, la chasse se développa rapidement. En1792, il y avait déjà dans la région 102 navires affrétés pour la chasse au phoque ou àl’éléphant de mer. Bientôt les expéditions baleinières vinrent se joindre aux précédentes.Américains, Argentins, Australiens, Britanniques, Français y participaient. La concurrenceétait vive ; aussi chaque équipage gardait-il secrets ses itinéraires de chasse. Il est à peuprès certain que des baleiniers ou phoquiers de la fin du XVIIIe ont longé le continentantarctique lui-même et y ont probablement débarqué. Néanmoins, c’est seulement en 1820que ce dernier fait officiellement son entrée dans l’Histoire contemporaine. L’Antarctique estcette année-là l’objet de trois découvertes presque simultanées : le britannique Bransfield,le russe Von Bellingshausen et l’américain Palmer se disputent l’honneur d’avoir le premierapproché le sixième Continent. Ce dernier sera le premier à y débarquer en février 1821.

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La découverte du navigateur russe est la conclusion d’une longue expédition dans les

mers de l’extrême Sud qui dura de 1819 à 1821. 6 Il fait peu de doutes, dans le cas de Palmer

au moins, que l’épuisement des colonies de phoques à fourrure de la zone antarctique et larecherche toujours plus au Sud de nouveaux terrains de chasse ont joué un rôle déterminantdans la découverte de 1820. Les mêmes motifs ont conduit à la découverte des Shetlandsdu Sud (1819), et des Orcades du Sud la même année.

A partir de cette date, les progrès techniques vont permettre l’exploration du continentantarctique d’une manière plus aboutie, donnant bien vite lieu à une farouche compétitioninternational.

La recherche du pôle magnétique (cf : Carte page 26) : Si l’intérêt économiquede l’Antarctique se maintient au XIXe siècle, puisque les compagnies de chasse à labaleine, à l’éléphant de mer et même au manchot, intensifient leur activité, d’autres intérêtsdevaient bientôt susciter de nouvelles expéditions. En effet, la curiosité scientifique autoursdu continent inconnu se développe. Après les découvertes de 1820, certains navigateurspoursuivent inlassablement l’effort de reconnaissance, allant toujours plus au sud. LesBritanniques Weddell, qui découvre la mer qui porte maintenant son nom et Briscoe, quilui découvre la Terre d’Enderby, appartiennent à cette catégorie. Vers 1830, ce sont lesrecherches dans le domaine du magnétisme terrestre qui poussent à la découverte despôles magnétiques. Celui du Nord sera vite atteint, en 1831 par l’Anglais Ross, mais il resteà découvrir le pôle magnétique Sud. Trois expéditions seront organisées à cet effet, avecl’appui des autorités de leur pays d’origine.

La première (1837-1840) est celle du français Dumont d’Urville. Elle va se dérouler endeux temps. Il navigue tout d’abord dans l’Atlantique Sud, au large des îles sub-antarctiqueset au nord de la péninsule. Dans un second temps, il s’aventure dans le Pacifique etdécouvre, après deux tentatives d’approche, une terre qu’il baptise Adélie, du nom de sonépouse. Le 21 janvier 1840, il y plante le drapeau français et porte un toast au Roi Louis-Philippe Ier qui parraine l’expédition.

La deuxième expédition fut celle de l’américain Wilkes (1839-1842), composée de sixnavires. Ses travaux s’avérèrent particulièrement utiles, car il reconnut plus de 2 500 kmde côtes le long de la terre qui porte désormais son nom. Cette expédition est égalementintéressante à un autre titre : les crédits de l’expédition furent votés par le Congrèsaméricain. Par ce geste, le jeune Etat montrait sa détermination de figurer parmi les nationsqui relevaient le défi de l’Antarctique, soit déjà une politique de Grande Puissance.

Enfin, la troisième expédition (1839-1843), fut celle de l’anglais Ross qui avait déjàdécouvert le pôle magnétique Nord. Elle sera la plus fructueuse, non seulement sur le plandes mesures magnétiques mais également sur celui des découvertes. Il découvre en effetla mer qui porte son nom ainsi que la Grande Barrière de glace, qu’il longe pendant près de600 km. Il découvre également la Terre Victoria dont il prend possession au nom de la jeunesouveraine anglaise. En dernier lieu, il aperçoit en 1841 sur une île qui porte maintenantson nom, deux volcans, dont un en éruption, qu’il baptise Erebus et Terror, du nom de sesnavires.

Malgré ce triple effort, cependant, le pôle magnétique Sud n’était pas encore localisé.

6 Ce voyage a été relaté par l’intéressé. Taddei Von Bellingshausen : The voyage of captain Bellingshausen to the AntarcticSeas 1819-1821 (Kraus Reprint, 1967).

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L’ « épopée héroïque » (cf : Carte ci-dessus) : Le continent va rester l’objet d’uneattention épisodique de la part des scientifiques jusqu’à la fin du XIXe siècle. Il convientde noter cependant l’expédition océanographique britannique du Challenger (1872-75). Lapremière Année Polaire Internationale (1881-82), essentiellement tournée vers le pôle Nord,n’aura pas d’impact sur les terres australes.

Une fois encore, les contraintes économiques seront à l’origine de nouvellesdécouvertes dans cette région du monde. Devant le dépeuplement des colonies de baleinesde l’Arctique, l’intérêt des chasseurs se replie alors vers l’extrême Sud. La recherche denouvelles zones de pêche amène le norvégien Bull jusqu’au Cap d’Adare en 1895. Un deses compagnons, Borchgrevink, sera le premier à passer un hiver à terre en 1899. L’annéeprécédente, le belge Adrien De Guerlache avait été le premier à hiverner en mer, son navireétant prisonnier de la banquise. La dernière expédition, internationale, Amundsen et lepolonais Arctowski, y participant, est sans doute la plus complète sur le plan scientifiquequi ait été mise sur pied jusqu’alors. Elle inclut des mesures et relevés magnétiques,géologiques, astronomiques et zoologiques. Grâce à elle, la confirmation de l’existence d’unvaste continent polaire est avérée, par la mise en évidence d’une plateforme continentale.

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Mais c’est bien sûr la course aux pôles qui captive l’imagination du public à partirde 1900. Or cette opinion prend une importance grandissante avec le développement dela presse à grand tirage. Du côté des gouvernements, l’influence de l’ère victorienne –nationalisme et expansion coloniale – se fait toujours sentir. Enfin, le congrès internationalde géographie qui se tient à Londres en 1895-96 désigne les deux régions polaires comme« zones d’exploration prioritaires. » De l’association de tous ces éléments naîtront la ferveuret l’endurance des explorateurs dont le nom reste désormais gravé dans la mémoirecollective.

L’anglais Scott, lors de sa première expédition entre 1901 et 1904 procède à lapremière ascension en ballon près du détroit de Mac Murdo. L’allemand Von Drygalski passel’hiver près de l’île qui porte son nom (66°S – 94°E) et rapporte d’importantes donnéesen océanographie. Le suédois Nordebskjold fait d’importantes découvertes près de lapéninsule antarctique. Il exhume notamment des fossiles de climat tempéré qui témoignentd’un passé climatologique bien différent. L’écossais Bruce installe enfin la première basepermanente d’observation météorologique dans les Orcades du Sud. Le français Charcot,au cours de deux expéditions, de 1903 à 1905, et de 1908 à 1910, explore plus de 2 000km de terres nouvelles, le long de la terre de Graham. Il établit une carte de l’antarctique« américain » (de la Péninsule antarctique jusqu’à la Terre Mary-Bird), jusqu’au 70° de

latitude Sud qui fera longtemps autorité. 7

L’américain Peary ayant atteint le pôle Nord en 1911, la course au pôle Sud s’accélère.L’anglais Shackleton avait déjà fait une première tentative infructueuse en 1909. Il devras’arrêter, par manque de vivres, à 175 km du but. Cependant son expédition n’est pas sansrésultat : il localise le pôle magnétique et escalade l’Erebus jusqu’au sommet !

C’est au cours de l’été austral 1911-1912 que le pôle est atteint, successivement parAmundsen, qui y plante le drapeau norvégien le 14 décembre, et par Scott le 17 janviersuivant. Des erreurs fatales dans l’organisation de son expédition devait causer la fintragique du britannique sur le chemin du retour.

Quatre autres expéditions allaient clore ce chapitre héroïque : celle de l’australienMawsone (1911-1914), le long de la côte orientale du continent ; celle du japonaise Shirase(1911-1912) dans la mer de Ross ; celle de l’allemand Kilchner dans la mer de Weddell lamême année ; et enfin la tentative ratée de traversée transantarctique de Shackleton en1915.

L’âge mécanique (cf : Carte page 26) : Durant l’entre deux guerres, l’aviation vadonner un tour nouveau à l’exploration antarctique. Bien que l’anglais Wilkes ait été lepremier à introduire l’avion dans le Grand Sud, c’est aux américains que revient le méritede son utilisation comme mode d’exploration. Byrd survole le pôle pour la première fois en1929. Entre 1928 et 1941, il entreprend trois campagnes de reconnaissance aérienne de larégion qui porte le nom de son épouse : Mary Byrd Land. Ellsworth organisera lui le premiervol transantarctique, de la péninsule jusqu’à la plate-forme de Ross, en 1935. L’allemandeRitscher reconnaîtra la Terre de Maud en 1939 et en établira des cartes très précises.

L’après-guerre voit une intensification de l’activité des deux Etats qui émergentcomme des super puissances. Les Etats-Unis, tout d’abord avec les opérations« Highjump » (1945-46) et « Windmill » (1947-48) se livrent à une reconnaissance détailléede presque toutes les côtes du continent. Il s’agit cette fois d’expéditions qui ont le soutien

7 Sur le récit de cette expédition, on consultera : Jean-Baptiste CHARCOT, Le « Pourquoi pas ? » dans l’Antarctique, 1908-1910.Ed. Flammarion, 1912, 252 pages.

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actif du gouvernement et qui mobilisent un équipement et un personnel considérables. Lapremière est organisée par la U.S. Navy et comprend pas moins de 13 navires, 25 avionset 4 000 hommes ! Sans doute ce déploiement alerte Moscou car après une absencede plus de 125 ans dans la région antarctique, depuis l’expédition de Bellingshausen, laRussie soviétique envoie en 1946-47 puis 1951-52 deux expéditions qui sillonnent l’extrêmeSud de l’océan Atlantique. Déjà pendant la Deuxième Guerre Mondiale, l’Allemagne, enréquisitionnant la flotte baleinière norvégienne et s’installant dans les îles Kerguelen, avaitattiré l’attention sur le potentiel d’exploitation stratégique de la région.

Les autres puissances multiplient aussi les expéditions. En France, l’aventureantarctique est alors associée au nom de Paul-Emile Victor, chargé d’organiser lesExpéditions polaires françaises. Quatre campagnes vont ainsi avoir lieu entre 1947 et 1953.8 Mais le coût de ces voyages ne cesse d’augmenter, en même temps que s’amélioreles équipements deviennent de plus en plus techniques L’appui des fonds publics devientindispensable et le développement d’une coopération internationale pour répartir les coûtsest de plus en plus souhaitable. C’est évidemment au sein du Commonwealth – qui bénéficiedéjà d’une expérience en la matière depuis 1929-1931 avec l’opération « Banzare » (British,Australian, New-Zealand Antarctic Research expedition) – que cette opération prend placele plus spontanément. Aussi la première traversée trans-antarctique par voie terrestre(1955-57) est-elle le fruit d’une mise en commun des efforts de ces Etats.

L’Année Géophysique Internationale, entre 1957 et 1958, officialise la coopération

scientifique sur le 6e continent et clôt un long chapitre de l’histoire antarctique : celui desexplorations. Désormais, la technologie permet de réduire de plus en plus la part de risque,et d’aventure, mais elle ouvre, avec le développement de la recherche scientifique, unimmense champ d’investigations nouvelles.

8 Cf. Expéditions de Paul-Emile VICTOR 1947-1953 in DA COSTA (précité), pages 81 sqq. Et bien sûr, l’ouvrage de Paul-EmileVICTOR lui-même, Planète Antarctique, nouvelle terre des hommes. (1992)

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Titre premier Des origines jusqu'a son aboutissement ; le traite sur l’antarctique de 1959

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Titre premier Des origines jusqu'ason aboutissement ; le traite surl’antarctique de 1959

L’étude du régime de l’Antarctique présente un double intérêt, qui réside d’une part dansles différentes revendications territoriales émises par un certain nombre de gouvernementssur cette région, d’autre part dans le statut original institué par le Traité de Washington du

1er décembre 1959.Un traité international, par nature, concilie les différents intérêts des Etats signataires et

se veut porteur d’une solution commune, profitable à tous. Dans le cas, plus spécial encorede l’Antarctique, il était très important que le règlement juridique du continent prenne encompte un certains nombre d’éléments, tout notamment sa situation géographique et lesvisées qu’avaient sur lui les Etats parties au Traité.

L’étude des diverses prétentions territoriales qui ont été soulevées offre une illustrationdes divergences que ces Etats ont dû affronter et concilier au cours de la négociation duTraité sur l’Antarctique. Le Traité ainsi conçu, toujours en vigueur, est la clé de voûte du« système antarctique », composition juridique sans précédent, régulièrement enrichie, quirégit le 6e Continent. Nous présenterons donc comment ces intérêts, souvent opposés,ont pû être conciliés lors de l’adoption du régime juridique de l’Antarctique et ont donnénaissance aux grands principes du Traité de 1959 et à sa structure.

Examinons donc dans un chapitre 1 : les revendications unilatérales des Etats puis,dans un chapitre 2 : l’élaboration du régime juridique de l’Antarctique et son contenu.

Chapitre I : La question de la souveraineté.note de titre 9

« Tout espace où s’exercent des activités humaines doit être soumis à un régime dedroit, constatait Gilbert Gidel en 1948, sinon l’anarchie y règne ou y régnera tôt ou tard.Or, la base normale du régime juridique en un lieu donné est la souveraineté territoriale,génératrice, pour l’autorité qui en est titulaire, de droits et de devoirs à l’égard des personnes

qui se trouvent sur ce territoire ou qui sont dans un certain rapport avec lui. » 10

9 Pour une présentation particulièrement complète et détaillée des différentes questions des souverainetés en Antarctique, onconsultera l’ouvrage de référence sur ce sujet, de Jean-François DA COSTA, Souveraineté sur l’Antarctique, LGDJ, 1958, dontplusieurs démonstrations sont reprises dans ce chapitre. On étudiera aussi avec intérêt l’article argumenté de René-Jean DUPUY,Le statut de l’Antarctique, paru dans l’édition de 1958 – un an avant la signature du Traité de Washington – de l’Annuaire françaisdu droit international.

10 Cité par Alain GANDOLFI, Le système Antarctique, 1989, p 15.

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LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ANTARCTIQUE

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Alain Cailleux écrit ainsi, dans son ouvrage paru en 1967, soit moins de 10 ans aprèsl’adoption du Traité de Washington, que « les questions de souverainetés se [posaient] dansl’Antarctique d’une manière différente des autres parties du monde pour au moins deux

raisons. » 11 :

« D’abord, elle [la région Antarctique] a été connue et pénétrée bien plustard, à un stade beaucoup plus avancé de la civilisation, où les techniquesd’exploitation et d’occupation sont bien plus perfectionnées qu’auparavant. Etsurtout, tandis que le reste du monde se partage entre deux sortes d’espacesjuridiquement différentes – les terres et les eaux territoriales – d’une part, et lahaute mer, de l’autre, en Antarctique une troisième sorte d’espace, bien distinctedes deux autres, la glace continentale, occupe 98% de la surface, c’est-à-direincomparablement plus qu’aucun autre continent, et elle ne peut donc pas êtrenégligée. »

Il y a donc eu, du fait de la situation géographique particulière du 6e continent, un contentieuxhors normes quant à son appropriation et son partage.

La recherche de la grande terre Australe a été entreprise, on l’a vu, dans un but decolonisation. Que ce continent soit resté si longtemps dérobé à l’approche de l’Homme,puis à son emprise, du fait de conditions climatiques extrêmes, n’a pas fait disparaitrel’ambition initiale des gouvernements. Au fur et à mesure que se confirmait l’existencede ressources naturelles locales, et donc susceptibles d’exploitation, et que les progrèstechniques s’amélioraient, permettant de procéder à cette exploitation, se réveillait en mêmetemps le vieux rêve d’appropriation nationale exclusive.

Cette tendance, qui se dessine à partir du début du XXe siècle, est cependant àdissocier des actes symboliques de prise de possession qui, conformément à la pratiqueinternationale en vigueur depuis le début des grandes découvertes, accompagnait toutdébarquement d’un navire sur un rivage inconnu et n’appartenant à aucun souverain.Dans les contrées lointaines de l’extrême Sud, une telle prise de possession gardait eneffet un caractère purement théorique, dans la mesure où ces terres ne paraissaient passusceptibles de permettre un établissement permanent. Du XVIe jusqu’au début du XXesiècle, il semble donc que les « actes » (planter un drapeau, déposer une médaille, laisserune inscription, procéder à une cérémonie ou une messe suivie d’un procès verbal…)pratiqués par les navigateurs, n’ont pas d’autres conséquences véritables que de célébrerla gloire du monarque dont ils arborent le pavillon. Ces proclamations se déroulent le plussouvent dans un environnement assez insolite comme en témoignent les expériences de

Dumont d’Urvilleet celle de Ross. 12

En l’absence de toute possibilité de contrôle effectif émanant des Etats, les ressourcesde la région – phoques, éléphants de mer, manchots puis baleines – sont offertes sans

limitation à qui peut les prendre, et l’Antarctique est, de factoune res communis 13 , qu’il

11 André CAILLEUX, L’Antarctique, PUF - Que-Sais je ? 1967, p 107.12 Cité par CAILLEUX, p 14:l’explorateur anglais proclame « devant une grande assemblée de manchots criards et puants,

que cette terre n’appartient pas à eux mais à sa Majesté britannique, la Reine Victoria », in DEBEHAM, précité.13 Le Res communis est une expression latine utilisée en droit des biens qui désigne une chose ou un bien commun, c'est-

à-dire qui - de par sa nature - ne peut être appropriée. Elle appartient à tout le monde, à toute l'humanité et est de ce fait accessible

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Titre premier Des origines jusqu'a son aboutissement ; le traite sur l’antarctique de 1959

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s’agisse de la terre ou de la mer. Comme cela est généralement le cas dans le cadred’espaces non appropriés, et dont l’exploitation n’est pas réglementée, la surexploitation faitplaner une menace d’extinction sur leurs ressources. Dès lors, se développe la tentation del’appropriation individuelle par les nations les plus intéressées par cette exploitation.

Aussi, l’appréciation que l’on porte au XXe siècle sur les prises de possession ayant eulieu dans les siècles passés en Antarctique change : les Etats dont les ressortissants ontété les auteurs prétendent alors « réactiver » ces « titres », c’est-à-dire leur redonner toutela valeur juridique qui leur est en théorie reconnue.

D’ailleurs, le mouvement d’appropriation des terres polaires qui se dessine dansl’hémisphère Nord à la même époque – avec l’apparition de la « Théorie des Secteurs »formulée par le canadien Poirier en 1907 – déclenche dans l’hémisphère sud une réactionimmédiate bien logique. Sept Etats : l’Argentine, le Royaume-Uni, la France, le Chili,l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Norvège vont ainsi successivement, entre 1908et 1941, proclamer, ou réaffirmer solennellement, leur souveraineté sur une partie del’Antarctique. Trois d’entre eux ont d’ailleurs des revendications concurrentes : la Grande-Bretagne et les deux pays latino-américains.

Section 1 : les affirmations de souveraineté.14

Depuis le début du XXe siècle, certains Etats ont revendiqué, chacun pour leur part, uneportion plus ou moins grande du continent Antarctique, qu’ils ont prétendu soumettre àl’exercice de leur souveraineté. Pour présenter ces revendications, il est nécessaire d’enétudier la nature, le fondement et la portée juridique.

La conférence de Berlin en 1885, avait modifié les règles coutumières relatives àl’acquisition de la souveraineté sur les « terres sans maître », pour lesquelles la découvertejouait un rôle fondamental et presque exclusif. L’occupation effective, concrète, devint alors

le critère déterminant. 15 On comprend ainsi que les mesures « d’administration » dans la

région se soient multipliées à partir de 1908.Quelles sont ces revendications et sur quelles bases juridiques ont-elles été formulées ?Telles sont les deux premières questions auxquelles nous tenterons de répondre en

distinguant les revendications fondées sur des titres historiques et juridiques et cellesfondées sur des titres géographiques.

§ 1 : l’appel aux titres historiques et juridiques.Un certain nombre de revendications territoriales sur l’Antarctique ont été fondées sur destitres historiques ou bien sur des titres juridiques. La découverte de ce continent par unEtat, ou bien le contrôle effectif qu’il y exercerait, permettrait à celui-ci d’acquérir un droitde souveraineté. Ces deux fondements distincts ont été retenus à diverses reprises, soitséparément, soit conjointement.

et utilisable par tous. En droit international, le res communis du droit romain se rapproche de la notion d'héritage ou de « patrimoinecommun de l'homme ». Nous reviendrons sur cette notion plus loin dans notre présentation.14 On consultera ce sujet la thèse de J-E Blumerau, « le statut juridique de l’Antarctique », Paris II, 1975.

15 Cité par COURATIER, précité : M. SALOMON, De l’occupation des territoires sans maîtres. Ed A. Giard et Brière – Paris,1889.

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A. La découverte 16

C’est sur la base de cette notion de découverte que le Royaume-Uni, la Norvège, la Franceet, plus tard, la Russie – alors soviétique – ont prétendu posséder des droits de souverainetésur certaines zones du continent antarctique.

Le Royaume-Unis fut officiellement le premier gouvernement à émettre une vraierevendication territoriale, très vaste d’ailleurs, sur l’Antarctique. Elle s’appuyait sur lesexpéditions menées depuis le XVIIIe siècle par les explorateurs britanniques, dont cellesde Scott et de Shackleton entre 1901 et 1911. Depuis 1833, les îles Falklands, étaientd’ailleurs soumise à la common law anglaise, comme l’était à l’époque tout territoire,découvert par la Grande-Bretagne et ne possédant pas d’organisation constitutionnelle.L’adaptation ultérieure de certaines règles juridiques applicables à ces territoires relevaitde la compétence du parlement britannique. Cette compétence fut transmise au pouvoirexécutif – la Couronne – par le « Settlement Act » de 1887, qui légiférait par « lettrespatentes » ou « ordres du conseil ».

C’est donc par lettres patentes du 21 juillet 1908 que le gouvernement de Sa Majesté

réclama le secteur compris entre le 20e et le 80e degré de longitude Ouest, en mêmetemps qu’il nommait le gouverneur de la colonie des îles Falklands, « gouverneur de laGéorgie du Sud, des Orcades du Sud, des Shetland du Sud, des îles Sandwich et de laterre de Graham ». C’est ainsi la première fois que la législation britannique mentionnaitexpressément ces territoires à des fins d’administration, disposition qui fut donc considéréepar certains comme une mesure d’annexion. Les limites géographiques du secteur furentprécisées par une deuxième lettre patente du 28 mars 1917. Le secteur annexé comprend

« toutes les îles et territoires entre le 20e de longitude 0 et le 50° de longitude 0 qui sontsituées au sud du 50° parallèle de la latitude S et toutes îles et territoires entre le 50° delongitude 0 et le 80° de longitude 0 qui sont situés au sud du 58° parallèle de latitude Sud. »17 C’est donc implicitement jusqu’au Pôle que s’étend la zone revendiquée… Ce secteursera réorganisé administrativement par ordre du Conseil du 26 février 1962.

Se fondant sur le titre historique que lui conféraient les expéditions de Dumont d’Urvilleet du commandant Charcot, la France, à son tour, promulgua un décret, le 21 novembre1924, portant sur « l’organisation des îles Saint-Paul et Amsterdam, des Kerguelen et de

Crozet, ainsi que de la Terre Adélie. 18 » Ces territoires furent placés sous l’autoritéadministrative du gouverneur général de Madagascar. Cette mesure avait surtout pourobjectif de protéger les richesses économiques de ces territoires : le ministre des coloniesprécisait dans son rapport au Président de la République en 1924 que : « c’est en vued’exercer sur l’exploitation de ces richesses nationales le contrôle effectif et suivi quis’impose [qu’il] a paru nécessaire de pourvoir à l’organisation administrative de ces îles et

16 R. WAULTRIN, « Le problème de la souveraineté des pôles » in RGDIP, volume XVI (1909), pp 649 à 660. Pour cet auteur,

compte tenu des circonstances polaires, la simple découverte suivie d’une notification aux autres Puissances suffit à

justifier l’appropriation. L’occupation n’est pas requise.17 Se référer à la Cour Internationale de Justice, Affaire relative à l’Antarctique ; Royaume-Uni contre Chili et Royaume-Uni

contre Argentine. 1955. Requête introductive d’instance, p 15.18 Cité par BLUMEREAU, p 21 : Un premier décret du 27 mars 1924 avait réservé aux Français les droits miniers, de chasse et

de pêche sur ces territoires. (JO, 29 mars 1924, p 3004 –texte en annexe). Les îles Saint-Paul et Amsterdam avaient été rattachéesdès 1843 à la Réunion (arrêté du 8 août 1843 du gouvernement de l’île Bourbon).

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terres australes, d’envisager à cet effet, leur rattachement à un gouvernement colonial déjà

constitué. » (Blumereau, 1975). Un nouveau décret sera publié le 1er avril 1938, affirmant lesdroits de souveraineté de la France dans cette partie de la terre australe géographiquement

délimitée ; soit le secteur compris entre le 136e et le 142e méridien de longitude Est,mais seulement entre 66 et 67° sud, et non jusqu’au pôle ; « exemple de sagesse quine sera malheureusement ni suivi, ni même poursuivi » puisque la France, s’alignant surses voisins, étendra finalement tout son secteur jusqu’au pôle (Cailleux, 1967, p 110). Parla loi du 6 août 1955, ce secteur sera enfin érigé en circonscription distincte, dotée del’autorité administrative et financière. Cette circonscription fut nommée « Terres Australeset antarctiques Françaises. » et son statut a été précisé par les décrets des 13 janvier et18 septembre 1956.

La Norvège, qui avait déjà réclamé l’île Bouvet en 1928, et, inquiète de l’expéditionallemande de Ritscher dans la région, délimita son secteur le 14 janvier 1939, par ordre du

conseil royal: celui situé entre le 45e degré de longitude est et le 20e degré de longitude

ouest, dénommé « secteur de la Reine-Maud. » 19 Cette revendication se fondait elle aussisur un titre historique – les découvertes des explorateurs norvégiens, dont Roald Amundsen– et avait principalement pour but de faire échec aux mesures fiscales que le gouvernementaustralien faisait supporter à la Norvège sur ses opérations de chasse à la baleine. Leministre norvégien des affaires étrangères estima ainsi que cette décsion donnait à son paysl’assurance qu’au-delà de cette limite de trois milles marins, « aucune charge ni restriction nepourraient être imposées par quelque gouvernement que ce soit. » (déclaration du ministre,1939). A l’intérieur de ce secteur se trouve aussi l’île Pierre Ier, déjà revendiquée en 1931,pourtant découverte par les russes en 1821. Aussi le gouvernement soviétique fit-il savoirà la Norvège, le 27 janvier 1939, qu’il « réservait son opinion quant au point de savoir àquel Etat appartenait le territoire découvert par les navigateurs russes Bellingshausen et

Lazarev. » 20 De cette façon, sans revendiquer ouvertement un secteur de l’Antarctique,

l’Union Soviétique montrait cependant que la découverte seule pouvait éventuellementjustifier l’acquisition d’un droit de souveraineté sur le continent. C’est du reste en invoquantdes expéditions menées dès 1820 que le gouvernement de Moscou rappellera avec forceses « réserves » sur toute appropriation de l’Antarctique, dans un mémorandum adressé le7 juin 1950 à tous les Etats intéressés.

A côté de la découverte, titre purement théorique, existe un titre juridique, mis en avantpar les Etats-Unis : le principe de l’activité de contrôle.

B. L’administration ou « l’activité de contrôle » : la « théorie de l’effectivité. »Ce principe conduit à reconnaître un titre de souveraineté à l’Etat qui aurait, sur un territoiredéterminé, exercé pendant un certain temps, des activités de contrôle ainsi qu’une autoritésuffisante. Plus connue sous le nom de « théorie de l’effectivité », elle a été énoncée pour lapremière fois par l’Acte de Berlin de 1885. Il est utile de revenir rapidement sur les originesde cette théorie si l’on veut bien comprendre comment certains Etats ont pu en faire lefondement juridique de leurs revendications territoriales sur l’Antarctique.

19 Cf : carte page 45 :Il est très intéressant de noter que le secteur revendiqué par la Norvège n’est pas délimité au sud et netouche pas le pôle, tandis qu’au nord il n’y a pas de limite dans l’océan ; parce que, si elle reconnaissait la validité de la Théorie dessecteurs, on pourrait contester à la Norvège l’île Jan-Mayen dans l’hémisphère Nord.

20 Cité par F. DE HARTING : Les conceptions soviétiques du droit de la mer. LGDJ, 1960, p 43.

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L’origine de la « théorie de l’effectivité » : le précédent de la Conférence deBerlin de 1885.A la suite de leurs rivalités coloniales en Afrique, les puissances européennes décidèrentde se réunir afin de décider dans quelles conditions devrait dorénavant s’effectuer la prisede possession des territoires africains qui n’étaient pas encore colonisés. La conférence deBerlin (novembre 1884 à février 1885) adopta le principe de l’effectivité, selon lequel touteoccupation nouvelle de territoires ne conférerait sa possession à l’Etat occupant que si ellerépondait à deux conditions énoncées par les articles 34 et 35 du chapitre VI de l’acte de1885.

L’article 34 pose tout d’abord une condition de forme, à savoir une notification de lapossession aux autres puissances signataires. On y lit en effet que : « la Puissance quidorénavant prendra possession d’un territoire sur les côtes du continent africain situé endehors de ses possessions actuelles, ou qui, n’en ayant pas eu jusque là, viendrait à enacquérir, et de même la Puissance qui y assumera un protectorat, accompagnera l’acterespectif d’une notification adressée aux autres puissances signataires du présent Acte, afinde les mettre à même de faire valoir, s’il y a lieu, leurs réclamations. »

L’article 35 exige quant à lui, une condition de fond, à savoir l’institution dans leterritoire nouvellement possessionné d’une « autorité suffisante », en prévoyant que :« les puissances signataires du présent acte reconnaissent l’obligation d’assurer, dans lesterritoires occupés par elles, les sur les côtes du continent africain, l’existence d’une autoritésuffisante pour faire respecter les droits acquis et, le cas échéant, la liberté du commerceet du transit dans les conditions où elle serait stipulé. »

Dans l’Acte final de la conférence de Berlin, apparaît donc un élément nouveau dans laprise de possession du territoire : l’élément « matériel » de l’occupation effective, qui vients’ajouter à cet élément psychologique qu’est l’animus possidendi, c’est-à-dire la volonté des’approprier le territoire en question. Cette théorie de l’effectivité fut retenue par les Etats-Unis en ce qui concerne l’Antarctique.

La théorie de l’effectivité appliquée à l’Antarctique. 21

Elle fut énoncée une première fois le 13 mai 1924 par le Secrétaire d’Etat américain, CharlesEvan Hughes : « l’opinion de mon département est que la découverte des terres inconnuesau monde civilisé, même si elle est accompagnée d’une prise de possession officielle, neconstitue pas un droit de souveraineté fondé, à moins qu’elle soit suivie par une installationeffective sur les nouvelles terres. »

21 -T. BALCH, « The Arctic and Antarctic regions and the law of the nations” in AJIL, volume IV (1910). Pour l’auteur, une

occupation effective est nécessaire pour valider la souveraineté. - P. FAUCHILLE : « Le domaine polaire ou glaciaire » in

Traité de droit international public, 8e édition, tome II (1925) , pp 531 à 538 et 651 à 663 : la glace permanent ou domaine

« glaciaire » est susceptible d’une « occupation d’exploitation » et non d’une occupation « d’habitation ». Il rejette la thèse

de Waultrin (cf : note p 33). En revanche, la glace mobile ou flottante n’est pas, selon cet auteur, assimilable à la terre

ferme dans ses utilisations. - G. SMEDAL, De l’acquisition de souveraineté sur les terres sans maîtres en région polaire.

(traduit du norvégien), Edition Rousseau 1932. Les règles classiques du droit international s’imposent : une occupation

continue est nécessaire. Mais elle n’a pas à s’étendre sur tout le territoire. - C.C. HYDE, “Acquisition of sovereignty over

polar aeras”, in Iowa Law Review, 1934, p 286-288.

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Cette position fut ensuite réaffirmée en 1946, par le secrétaire d’Etat Dean Acheson.Par ailleurs, comme aucun pays, ne s’était établi d’une manière véritablement permanenteet suffisamment longue sur les secteurs qu’ils revendiquaient, les Etats-Unis considérèrentqu’aucun d’entre eux n’avait de droit de souveraineté, et les expéditions américaines surl’Antarctique ne tenaient aucun compte de ces prétentions.

De son côté, l’Union Soviétique, qui envoyait des expéditions depuis le début du XIXesiècle, refusait elle-même de reconnaitre les prétentions soulevées. Elle s’y refusa d’autantplus fermement à partir de 1948, quand cette année là, le Président Truman qui avait lancéune invitation à huit pays intéressés, dans le but de trouver une solution pour l’Antarctique,évita soigneusement d’inviter le gouvernement de Moscou.

En plus de ces appels aux titres historiques ou juridiques – « découverte » ou « autoritéde contrôle » - quelques Etats basèrent leurs revendications de souveraineté sur un titregéographique.

§ 2 : L’appel aux titres géographiques.L’appel aux titres géographiques est fondé tantôt sur la théorie de la contiguïtégéographique, tantôt sur celle de la continuité géologique. Nous les étudieronssuccessivement.

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Source : P-E Victor, « Adieu l’Antarctique », 1992.

A. La théorie de la contiguïté.Elle fut d’abord utilisée pour l’hémisphère Nord, avant d’être étendue au pôle Sud.

L’origine de la « théorie de l’effectivité » : le précédent de la Conférence deBerlin de 1885.Il est assez difficile de dater avec prévision cette théorie qui justifia, bien avant le XXe siècle,l’extension d’Etats riverains d’océans à des territoires situés plus à l’intérieur d’un continent,et sur lesquels aucun contrôle n’était à l’époque possible, faute de moyens matériels pour ypénétrer. On peut tout de même citer un exemple d’application de la théorie de la contigüitégéographique, avancée par Laurence M. Gould, lors de la formation des Etats-Unis par lescolonies américaines dans leur conquête des territoires de l’Ouest.

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La théorie de la contiguïté fut appliquée, au début du siècle, à l’Arctique, par leDanemark, le Canada, les Etats-Unis, la Russie et la Norvège. En fait, ce n’est pas de lathéorie de la contiguïté qu’il convient à proprement de parler ici, mais d’une extension decelle-ci, appelée « théorie des secteurs. » En effet, la première s’applique à des territoiresterrestres, tandis que la théorie des secteurs fut imaginée pour le cas de région séparéesdu continent par une mer ou un océan. Il s’agit donc d’une fiction, tant géographiqueque juridique, puisqu’il ne saurait vraiment exister de contiguïté, mais plutôt une simple« proximité » géographique. (Blumereau)

La « théorie des secteurs » fut énoncée pour la première fois concernant le PôleNord, par Pascal Poirier, le 20 décembre 1907, devant le Sénat canadien : « pour toutEtat s’étendant à l’intérieur du cercle polaire, la souveraineté s’étend à tout glace ou terre

jusqu’au Pôle, sauf évidemment si elle appartient déjà à un autre Etat. » 22

Selon Poirier, il s’agit donc de tracer, à partir de deux points d’appui sur le reborddu continent, les deux côtés d’un angle ayant pour sommet le Pôle, ici Nord : lesterres comprises à l’intérieur de cet angle sont alors considérées comme relevant de lasouveraineté de l’Etat continental. Dans l’Arctique, c’est le cas pour la Norvège, le Canada,la Russie, le Danemark et les Etats-Unis via l’Alaska. C’est ainsi que le Canada, dont leterritoire atteint le cercle polaire, délimita un secteur arctique sur lequel il proclama, le 10juin 1925, sa souveraineté. La Russie fit de même par une proclamation du 15 avril 1926.

L’application de la théorie des secteurs à l’Antarctique. 23

C’est sur cette même théorie que se sont appuyés un certains nombre d’Etats pour justifierleurs prétentions territoriales sur le continent. Mais ici, le secteur était délimité, non plusà partir du territoire de l’Etat revendiquant, mais des points ou régions de l’Antarctiquedécouverts par ce même Etat, cette application conduisant inévitablement à tracer deszones parfois très étendues.

Outre le Royaume-Uni, qui fonde également ses revendications sur la découverte, c’estle cas, de facto, de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie. En effet, en 1926, la CouronneBritannique décida, lors de la Conférence Impériale, de céder à ses Dominions de l’extrême-Sud les secteurs antarctiques les plus proches de leur territoire.

C’est l’Ordre en Conseil du 30 juillet 1923 qui manifeste publiquement, pour la premièrefois, la revendication de souveraineté de la Reine d’Angleterre sur la « Dépendance deRoss », placée sous l’autorité du gouverneur de Nouvelle-Zélande. Par un acte du 30 juillet

22 Cité par COURATIER (1991), p 63 : A l’époque, Poirier, sénateur, s’inquiétait de la progression des explorateurs de toutesnationalités vers le grand nord. Il prétend ainsi réserver à la souveraineté des Etats dont les territoires sont limitrophes du CerclePolaire Arctique, toutes les zones terrestres et maritimes situées à l’intérieur d’un secteur ayant son sommet au pôle nord et délimitéau sud par le Cercle Polaire Arctique et les points extrêmes du territoire national sur ce cercle. La doctrine soviétique de la premièremoitié du XXe siècle s’est enthousiasmée pour cette théorie (cf : LAKHTINE : Rights over the Arctic, in AJIL n*24, 1930.)23 Un effort a été tenté pour diviser l’Antarctique en quatre quadrants : sud-américain entre 0°et 90° W, pacifique entre

90° et 180° W, australien entre 180° et 90°E, africain entre 90° E et 0. Cette division fut d’abord présentée par Fauchille

qui préconisait l’administration conjointe de chaque secteur par les Etats du continent correspondant. Elle a été reprise

en 1944 par le chilien Pinochet de la Barra, dans une conception plus nationaliste puisqu’il professe que dans chaque

quadrant, seuls ont des droits préférentiels, les peuples les plus proches de l’Antarctique. Cette thèse a pour effet

de donner l’avantage dans leurs quadrants à l’Argentine et au Chili, qui font également appel à l’idée de continuité

géophysique existant entre la Patagonie et la Terre de Graham (voir plus loin sur ce sujet).

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suivant, cette dernière confirma sa revendication sur les Dépendances de Ross (« Ross

dependencies »), secteur situé entre me 160e degré est et le 150e degré ouest : « la côtede la Mer de Ross ainsi que les îles et territoires adjacents […] qui sont situés au sud du

60e degré de latitudes sud font partie de la colonie britannique. » 24 Cette revendication de

souveraineté fut justifiée par le Premier Ministre de Nouvelle-Zélande par la nécessité deprotéger les baleines qui vivaient dans cette région polaire, et qui constituaient une réserve

d’huile appréciable. 25

En 1933, l’Australie revendiqua à son tour le secteur situé entre le 160e et le 45e degréde longitude Est, soit presque la moitié du continent ( !). Ce secteur inclus la terre de Wilkes,et a été délimité par Ordre du Conseil de Sa Majesté en date du 7 février 1933, et approuvépar « l’Australian Territory Acceptance Act » du 13 juillet 1933. Lors de la présentationdu projet de loi devant le parlement, le ministre australien des Affaires Etrangères avaitsouligné que « Si nous ne prenons pas ce secteur et n’y proclamons pas notre souveraineté,quelque autre pays le fera, et c’est indubitablement de l’intérêt de l’Australie d’entrer en

possession de cette terre, avec ses richesses inconnues, si proches de nos côtes. » 26 La

loi rentra en vigueur en 1936 et, aux termes du texte, l’Australie exerce sa souveraineté surle territoire mentionné précédemment (étendu aux îles Heard, Mac Donald et Macquarie),la Terre Adélie, française, exceptée.

Mais, si elle avait pu être utilisée de façon satisfaisante pour l’hémisphère Nord,l’application de la théorie des secteurs à l’Antarctique souleva, nous le verrons, de sérieusescritiques.

B. La théorie de la contiguïté géologique.On peut introduire cette théorie comme une seconde extension de la théorie de la contigüitégéographique. Mais si la théorie des secteurs faisait abstraction de tout rattachementterrestre, celle-ci prend en compte la contigüité géologique qu’assurent les fonds marinsentre les terres de l’Etat continental et les régions auxquelles cet Etat entend étendre sasouveraineté. (Blumereau)

L’Argentine et le Chili se sont appuyés ainsi sur cette théorie pour revendiquer chacunun secteur de l’Antarctique.

Ce continent serait, selon ces deux Etats, rattaché à leur territoire respectif par le biaisdu plateau continental. Deux fois, en 1925 et 1927, l’Argentine revendiqua implicitement lasouveraineté sur les îles Orcades du Sud en sollicitant de l’Union Télégraphique Universelleà Berne l’attribution d’un indicatif. Cette revendication devait être maintenue et complétée àtravers différents échanges de notes diplomatiques avec le Royaume-Uni et la formulationde réserves expresses quand à l’étendue du territoire argentin lors de plusieurs conférences

internationales (10e congrès de l’Union postale universelle en 1934, conférence baleinièrede 1937, déclaration de Panama en 1934.) Les limites des revendications argentines serontfinalement rendues publiques en 1940 par le décret du 30 avril. Le secteur argentin s’étend

du 25e au 74e degré de longitude Ouest et au Sud du 60e parallèle jusqu’au pôle. A compter24 « Colonie britannique » bien sûr car, en 1923, la Nouvelle-Zélande était encore un dominion de la Couronne anglaise.25 Cette justification sera reformulée en 1925 par le ministre des colonies du Royaume-Uni.26 Cité par SWAN : Australia in the Antarctic. P 208

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de cette date, l’Argentine a développé une intense activité dans cette zone. Les missionsde reconnaissance et d’études se multiplièrent, la construction de bases se développaainsi que les mesures administratives d’encadrement. En 1957, elle étendra à nouveau sesprétentions à un second secteur, que le décret loi du 28 février définit en ces termes : « Leterritoire national de la Terre de Feu, l’Antarctide et les îles de l’Atlantique comprennent en

outre le secteur argentin situé entre les méridiens 23° et 74° de longitude ouest. » 27

Pour le Chili – malgré une mission de grande envergure lancée en 1906, chargéed’étudier « les moyens d’explorer et occuper les îles et territoires de l’Antarctique américain »qui tournera court – il faut attendre 1939 pour que le pays revendique pour la première foisde façon véritablement officielle des droits de souveraineté sur une partie de l’Antarctique ;il réserve en effet les « droits qu’il pourrait avoir » sur le secteur annexé par la Norvège dansune correspondance diplomatique échangée avec cet Etat.

L’année suivante, le 6 novembre 1940, le gouvernement chilien fixe par décret leslimites du secteur antarctique qui fait partie du territoire national. Il y affirme ses droitsouverains sur « les terres, îles, îlots, récifs, glaciers, connus ou à découvrir, ainsi que surleur mer territoriale respective, situés entre les méridiens 53° et 90° de longitude ouest,secteur comprenant notamment la longue presqu’île de Palmer ou de Graham. » Deux ansplus tard, en 1942, une Commission Antarctique Chilienne est créée. Cependant, c’est par laconstruction de deux bases scientifiques, une dans les Shetlands du Sud, l’autre au Nord dela péninsule antarctique, que le Chili consolide vraiment son implantation après la deuxièmeguerre mondiale.

Telles sont donc les théories sur lesquelles reposent les différentes prétentionsterritoriales sur l’Antarctique : théories historiques et juridiques de la découverte etde l’effectivité ; théories géographiques des secteurs et la continuité géologique. Ainsiformulées par les gouvernements revendiquant, elles n’échappent pas à un certain nombrede critiques.

27 Décret-loi n* 2191 du 28 février 1957.

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Représentation des principales bases de recherches et des « secteurs nationaux »réclamés par les sept Etats « possessionnés » (définition page suivante) avant le geldes revendications par le Traité de Washington en 1959. On note qu’environ 20% de lasuperficie du continent ne fait l’objet d’aucune réclamation, la Terre Marie-Byrd, parfoisappelée « secteur » ou « antarctique américain ».

Section 2 : les positions de contestationLes affirmations de souveraineté des sept nations sur l’Antarctique – les Etats dit

« possessionnés » 28 – étalées entre 1908 et 1940, ne rencontrèrent qu’une indifférence

générale de la part de la Communauté internationale. Les premières annexions britanniquesdans le secteur « américain » de l’Antarctique ne suscitèrent ni protestation, ni réserve dela part d’aucun Etat. D’ailleurs, au sein même du Commonwealth, lorsque le Royaume-

28 Dans le jargon des Etats actifs dans l’Antarctique, désigne les Etats ayant des revendications de souveraineté. Le vocabulaireanglais les désigne sous l’expression, plus illustrée, de « claimant » (littéralement « réclamant ») ou « Etat-revendiquant ».

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Uni invita ses Dominions de l’hémisphère Sud à revendiquer un secteur à l’occasion de laConférence impérial de 1926, l’Afrique du Sud s’y refusa et rejeta par la même occasionla théorie des secteurs

Ce silence presque généralisé du reste de la communauté internationale s’explique engrande partie par le désintérêt qu’elle portait alors à l’Antarctique : les expéditions demeurentencore risquées, sont onéreuses et ne rapportent alors que la gloire. La seule activitérentable reste la chasse à la baleine. Or, celle-ci n’intéressera de nombreux Etats qu’aprèsl’apparition des navires-usines, à la fin des années 1920. Et à ce moment là, elle se surtouten haute mer, domaine par nature non susceptible d’appropriation.

Dans les années 1930, les gouvernements français, britannique, australien et néo-zélandais vont se reconnaître mutuellement leurs revendications. Malheureusement poureux, ils sont bien les seuls. Les Etats-Unis ont déjà fait connaitre leur point de vue : ils nereconnaissent aucune revendication dans l’Antarctique ; ils n’en formulent aucune non plus ;mais ils réservent tous les droits découlant des découvertes et activités présentes, passéesou futures de leurs ressortissants. L’Union Soviétique adopte exactement la même positionet la maintient. Cette situation complexe deviendra vite intenable comme nous allons àprésent l’expliquer.

Comme nous l’avons vu, certaines parties du continent antarctique sont revendiquéesconcurremment par deux ou plusieurs puissances, chacune d’entre elles invoquant un titrede souveraineté différent. Afin de mieux comprendre la genèse du Traité sur l’Antarctique,il convient d’exposer ces conflits et de souligner l’attitude des deux super-grands, UnionSoviétique et Etats-Unis.

§ 1 : Les conflits de souveraineté en Antarctique. 29

Plusieurs « titres » entrent en concurrence sur certaines régions de l’Antarctique. Aumoment où fut élaboré le Traité de Washington, deux conflits majeurs de souverainetéopposaient cinq pays ; le premier mettait en rivalité l’Union Soviétique et la Norvège; lesecond le Royaume-Uni d’une part, le Chili et l’Argentine d’autre part.

A. Le conflit entre la Norvège et l’URSS :Ce conflit concerne l’île Pierre Ier. Cette terre, nous l’avons dit plus haut, est « revendiquée »par l’Union Soviétique sur la base de sa découverte en 1821 par les navigateurs russesVan Bellingshausen et Lazarev. Or, cette île se trouve incluse dans le secteur norvégien

compris entre le 45e degré de longitude est et le 20e degré de longitude ouest (secteur dela Reine-Maud).

B. Le conflit entre le Royaume-Uni, l’Argentine et le Chili :

29 En plus de l’article de René-Jean Dupuy de 1958 et de l’ouvrage de Da Costa, cités plus haut, on consultera les

ouvrages suivants : G.GIDEL : « Aspects juridiques de la lutte pour l’Antarctique. » Publié par l’Université de Valladolid,

Ed. Martin (Chili), 1951. Publié également par l’Académie de Marine, Paris, 1948. E.W.H. CHRISTIE, The Antarctic Problem.

Ed G Gallen and Unwin, Londres, 1951. On lira également avec intérêt les articles suivants: J. DANIEL « Conflict of

sovereignties in the Antarctic. » YWBA, 1949, pages 241 sqq. P. TOMA, « Soviet attitude towards the acquisition of

sovereignty in Antarctica », AJIL, 1956, p 661 sqq. J. P. BERNHARDT, « Sovereignty in Antarctica », California Western

Journal of International law, 1975, pages 297 sqq.

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LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ANTARCTIQUE

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Plus complexe, il résume toutes les contradictions des revendications de souverainetés surle continent et les problèmes inhérents.

La souveraineté sur le secteur compris entre les méridiens 74° et 53° de longitude ouestest revendiquée par trois Etats : le Royaume-Uni et les deux républiques sud-américaines.Ces deux dernières décident, dès 1948, de « geler » pour un temps leurs prétentions surle secteur qui leur est commun et signent à cet effet un accord, le 4 mars 1948 pour la« défense conjointe de leurs droits dans l’Antarctique. » L’initiative n’est pas du tout au goûtde la Grande-Bretagne qui proteste, invoquant de sa souveraineté sur le même territoire.En 1958, l’Argentine et le Chili s’engagent réciproquement à s’abstenir de tout acte desouveraineté sur l’île de Snipe qui faisait l’objet d’un différend, jusqu’à ce qu’un traité définitifsoit conclu ; ceci afin d’éviter tout précédent d’administration dans l’île, dont l’un des deuxgouvernements pourrait alors ultérieurement se justifier pour y proclamer sa souveraineté.Cette entente leur permet d’opposer un front commun aux prétentions britanniques.

Cette région est convoitée avec le même intérêt par les trois pays puisqu’il s’agit là d’unezone stratégique importante : le contrôle du détroit de Drake, seul passage entre l’Atlantiqueet le Pacifique en cas de fermeture du canal de Panama ou du détroit de Magellan. En outre,la péninsule, libre de glace l’été, est plus aisément exploitable que bien d’autres partiesdu continent. A la suite de divers incidents entre les flottes de l’Argentine et du Royaume-Uni, une trêve navale est signée le 28 janvier 1949 entre les trois Etats qui s’engagent à ne

pas faire pénétrer de navires de guerre au sud du 60e parallèle. En 1951, l’Argentine faitsavoir à la Grande-Bretagne, dans un échange de notes, que son occupation sur le secteurobjet du litige – en particulier l’île Laurie dans les Orcades du Sud, où elle avait installéune station météorologique en 1904 – prime les droits de découverte anglais. La trêvenavale de 1949 n’empêche pas cependant que le différent atteigne en 1952 des proportions

alarmantes. 30 Le Royaume-Uni inclut dans ses « Dépendances des îles Falklands »

31

, les îles Sandwich du Sud, les Orcades du Sud, la Géorgie du Sud, les Shetlands duSud, et les Terres de Graham et de Coats. Il invoque, pour justifier ses revendications,les découvertes britanniques historiques de ces terres antarctiques, le caractère continuet pacifique des manifestations de la souveraineté britannique dans ces territoires depuisla date de leur découverte, enfin l’incorporation de ces territoires dans les possessions dela Couronne Britannique. Le Royaume-Uni se heurte ainsi aux prétentions de l’Argentinequi justifie ses revendications sur la base de la contigüité et d’actes de souveraineté ; etdu Chili qui fait de certains de ces territoires « l’Antarctique chilien. » En 1948 et 1951, laGrande-Bretagne a tenté de soumettre le litige à l’arbitrage international mais en vain. En1955, il déposa une requête devant la Cour internationale de Justice contre chacun desdeux Etats, les invitant à se soumettre à la juridiction de la Cour. Mais l’Argentine et le Chilirefusèrent, et une ordonnance du 16 mars 1956 ordonna la radiation des deux instances.Tous les autres Etats « possessionnés » (France, Norvège, Nouvelle-Zélande et Australie)se prononcèrent d’ailleurs en faveur du Royaume-Uni, refusant ainsi les revendicationschiliennes et argentines.

30 Le 3 février 1952, une expédition britannique débarque, à l’extrémité de la presqu’île de Palmer, dans le but de reconstruirela station de Hope Bay, qui avait brûlé quelques temps auparavant. Mais elle doit rebrousser chemin sous la menace d’un groupe desoldats argentins qui ouvrent le feu sur les marins britanniques. Il fallut l’intervention immédiate de l’ambassadeur anglais à BuenosAires auprès du gouvernement argentin pour que les marins puissent redescendre à terre et que l’expédition projetée pût être menéeà bien. De même, en 1954, les britanniques expulseront les argentins de l’île de la Déception.

31 Les « îles Falklands » elles-mêmes, qui ne font pas partie de l’Antarctique, puisque situées au nord du 60e parallèle, sontrevendiquées par l’Argentine, qui les appelle « îles Malouines ».

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Titre premier Des origines jusqu'a son aboutissement ; le traite sur l’antarctique de 1959

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Cependant, la tension dans le secteur n’est pas unique. En 1948 intervient la signaturedu Traité de Rio qui étend jusqu’au Pôle Sud la défense du continent américain contre lesautres puissances, soit le camp socialiste en formation. Les deux Etats latino-américainssont naturellement à l’origine de cette disposition qui contraint, implicitement les Etats-Unis à soutenir leur cause en Antarctique en cas de conflit armé avec le Royaume-Uni. Un antagonisme américano-britannique pourrait aussi bien se développer à la faveurd’incidents du type de celui de l’île de Stonington au cours duquel anglais et américains

faillirent en venir aux mains propos de l’emplacement d’une base. 32 Il devenait urgent de

trouver une solution.

* Les revendications formulées par les trois derniers pays se superposant sur laPéninsule Antarctique et la Mer de Weddell (entre 53° et 74°).

§ 2 : La position des deux super-grands : les Etats-Unis et l’URSS

32 Francis AUBURN, Antarctic Law and Politics, Ed. C. Hurst and Cy., Londres (1982) pp 84-85.

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LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ANTARCTIQUE

36

Par opposition avec les revendications traditionnelles des sept Etats possessionnés, lespositions des Etats-Unis et de l’URSS, les deux puissances dominant le monde aulendemain du second conflit mondial, sur la question de l’Antarctique furent déterminantesdans le règlement du problème.

Les Etats-Unis affirment clairement leur doctrine concernant les régions polaires del’extrême-sud en 1924. Dans une note verbale, le Secrétaire d’Etat Hughes, s’adressant auSecrétaire de la Marine, considère que la souveraineté en Antarctique doit reposer sur lesmêmes fondements qu’ailleurs : elle ne peut résulter que de l’occupation permanente, c’est-à-dire l’établissement d’une colonie. C’est pourquoi il refuse d’envisager que les Etats-Unisaient des droits résultant des seules découvertes de Palmer et de Wilkes au XIXe siècle.

Cette attitude sera maintenue dans les années 30 malgré la Jurisprudence dela Cour Internationale de Justice qui, dans l’affaire relative à la Souveraineté sur leGroenland Oriental (1933), estima que pour les territoires polaires, l’appréciation de lanotion « d’occupation effective » devait être nuancée en fonction des circonstances locales.En particulier, il n’apparait pas nécessaire que tout le territoire revendiqué soit l’objet

d’établissements permanents. 33 C’est ainsi qu’en 1930, lors de l’expédition de Byrd qui

transitait par la Nouvelle-Zélande et devait prendre appui sur le territoire de la dépendancede Ross, le gouvernement refusera de demander l’autorisation néo-zélandaise, comme ilen est prié par les autorités locales et ce, malgré les protestations britanniques. Cependant,l’explorateur devait à titre purement privé ( !) déposer à en quelques endroits des marquescorrespondant à une prise de possession, en particulier sur le territoire qui fut baptisé dunom de son épouse…

Roosevelt, sous la pression d’une partie du Congrès, cherchera brièvement à modifiercette attitude. Il donna des instructions secrètes ( !) à Ellsworth en 1938 pour que celui-ci procède, au nom des Etats-Unis, à une prise de possession de tout le territoire qu’ilexplorera, et sans égard pour les annexions déjà proclamées. Des instructions lui sontmême transmises en 1939, lui enjoignant de démontrer la possibilité d’une occupationpermanente d’une portion du continent. Il fait même étudier la possibilité de modifierla position juridique des Etats-Unis et de revendiquer un secteur. Il n’en continue pasmoins de contester la validité des revendications des autres Etats, comme en témoigne lacorrespondance diplomatique avec la France au début de 1935 (cette dernière s’opposantau survol de la Terre Adélie par les avions américains) ; dans sa réponse, le Départementd’Etat faisait savoir qu’il ne saurait considérer comme valide un titre de souveraineté fondésur la seule découverte.

Après la guerre, les opérations « High Jump » et « Windmill » en 1946-47 (13 navireset 4000 hommes) eurent pour objectif officieux de « consolider et d’étendre le plus possible

33 Sur de tels territoires, les actes constitutifs d’une occupation effective ne peuvent être nombreux, ni apparemment d’unegrande portée. Il est donc intéressant de noter que le juge international a tenu compte, dans chacune de ses décisions, de l’originalitéde ces régions et qu’il a consenti à un assouplissement du principe d’effectivité : Affaire de l’Île de Palmas (Etats-Unis contre Pays-Bas)en 1928 Affaire de l’Île de Clipperton (France contre Mexique) en 1931 Affaire de la souveraineté sur le Groenland Oriental (Danemarkcontre Norvège) en 1933 Dans ces trois affaires, on perçoit une remarquable continuité à propos des critères retenus pour reconnaitrela souveraineté d’un Etat sur un territoire. La seule découverte est jugée trop insuffisante et l’occupation effective est nécessaire.Cependant, les circonstances locales (éloignement, séparation par la mer, rigueur du climat…) autorisent une appréciation nuancéede cette occupation. Dans tous les cas, en l’absence d’une situation répondant parfaitement à ces critères, c’est la notion d’un titred’une « valeur supérieure » à celui de l’Etat concurrent qui emportera la conviction des juges et des arbitres. Dans la sentence arbitralerendue dans l’affaire de l’île de Palmas, le juge parlera de « titre meilleur » dans l’appréciation d’une revendication de souverainetélitigieuse.

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la souveraineté américaine sur l’Antarctique. » Cependant, à partir de 1948, du fait de larivalité entre le Royaume-Uni, le Chili et l’Argentine, la situation devint si explosive sur

le 6e Continent, ou du moins sur la partie susceptible d’intéresser les américains, queWashington préféra opter en faveur d’une attitude différente : celle de l’internationalisation.Les difficultés soulevées par leurs propositions dans ce domaine (tous les possessionnés,sauf le Royaume-Unis, les ayant tout de suite rejetés) persuadèrent presque les autoritésaméricaines de poursuivre dans la voie d’une revendication. C’est le secteur non revendiquéà ce jour (Terre Marie-Byrd) qui fit l’objet des spéculations les plus nombreuses en 1955.Mais l’Année Géophysique Internationale devait changer le cours des évènements.

- L’intérêt soviétique pour l’Antarctique, plus tardif, se manifeste à peu près à la mêmeépoque. La grande expédition baleinière et océanographique de la Slava en 1946-47semble être le prélude à une réunion de la société de géographie de l’URSS qui, en 1949,rappelle les découverts de Lazarev et Bellingshausen entre 1819 et 1821, et exprime sonintérêt renouvelé pour le continent. La position de l’Union Soviétique sur la question estd’ailleurs très nette. Le 10 février 1949, la société de géographie de Leningrad rappelleclairement qu’elle considère toutes les conventions entre d’autres Etats, relatives au partagede l’Antarctique, comme nulles et non avenues. Les participants rédigeront une résolutionen trois paragraphes, aux termes de laquelle :

- La découverte du continent est imputable aux explorateurs russes ;- l’URSS a un droit indiscutable à prendre part à toute solution des problèmes de

l’Antarctique ;- aucune tentative de résoudre ces problèmes sans le concours de l’URSS n’est

acceptable.Cette position fut communiquée aux sept Etats « possessionnés » et aux Etats-

Unis dans un mémorandum daté du 7 juin 1950. Celui-ci rappelle en outre l’intérêtéconomique du continent pour « certains » Etats, dont bien sûr l’Union Soviétique,notamment en matière de chasse à la baleine. En conclusion il appelle à la négociationd’un régime qui « concorde avec les intérêts légitimes de tous les Etats concernés. »La Guerre froide était alors à son apogée et la perspective d’une présence soviétiquedans l’Antarctique n’était pas pour plaire au club des Possessionnés, tous membres ducamp occidental. (Victor) L’année géophysique internationale leur permettra l’installation demultiples bases, notamment dans le secteur australien. « Les soviétiques ayant débarqué

à Mirny 34 , ils y entreprennent des travaux qui paraissent pour certains être destinés à

des rampes de lancement de fusées… » (Cailleux, p 67) Nous avons déjà vu tout l’intérêtstratégique que représente le passage de Drake et en outre, on envisageait d’utiliser desescales antarctiques pour les vols intercontinentaux dans l’hémisphère Sud. Cette intrusionsoudaine de l’URSS en Antarctique semble faire craindre une surenchère de démonstrationmilitaire, principalement du côté américain, qui construisent des aérodromes destinés àrecevoir des avions gros-porteurs. Parallèlement, il apparaissait peu réaliste d’espérer queMoscou se désintéresserait de l’Antarctique à long terme.

34 René-Jean Dupuy, « Le statut de l’Antarctique » (AFDI, 1958), p 207 : « Le drapeau soviétique y a été arboré le 13 février1956. Le fait que cette cérémonie n’est point été accompagnée de déclaration de souveraineté ne suffit pas à calmer les appréhensionsde l’Australie. De même, une expédition soviétique a planté le pavillon de l’URSS au Pôle Magnétique le 18 décembre 1957, et surl’île Zovodoski, au nord de l’Archipel des Sandwich du Sud le 5 janvier 1958. Ce dernier évènement a d’ailleurs entrainé une note dugouvernement britannique au gouvernement de l’Union Soviétique l’avisant “qu’il lui serait reconnaissant d’être désormais averti aupréalable de tout projet de débarquement sur un territoire britannique de l’Antarctique.” »

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LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ANTARCTIQUE

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§ 3 : « L’imbroglio »La multiplicité des arguments historico-juridiques avancés de part et d’autre laissait présagerdes contestations et rivalités sans fin entre les différents Etats prétendants, ainsi quel’émergence de nouvelles revendications arguant de la légitimité déjà reconnue à d’autres.Le Pérou par exemple, au nom de la Théorie des secteurs et de titres hérités de l’Espagne,pouvait tout aussi bien réclamer une partie du continent austral. Il en est de même pour leBrésil, pouvant utiliser les mêmes arguments, avec les titres de l’ancien empire du Portugal.

L’argument de la découverte et du séjour d’une expédition pourrait aussi être invoquépar le Japon au nom de l’expédition Chohu Shirase de 1911-1912, qui ne put toutefoisdébarquer à cause de la banquise. Cependant, par le Traité de San Francisco de 1951, leJapon a renoncé à toutes prétentions sur l’Antarctique.

L’Afrique du Sud, à son tour, s’est brusquement découvert un intérêt pour le continentaprès la Deuxième Guerre Mondiale. Après une première expédition en 1947, l’Afrique duSud proclama l’année suivante sa souveraineté sur les îles Marion et Prince-Edouard quele Royaume-Uni finit éventuellement par lui céder. Sa présence réelle sur le continent nedate toutefois que de 1960, date à laquelle elle reprit à l’Institut polaire norvégien d’Oslo lastation norvégienne qui se trouvait sur la terre de la Reine-Maud.

De même, la Belgique, dès 1948 avait elle aussi notifié son exigence d’être partie à unéventuel arrangement.

Selon l’expression de Paul-Emile Victor, le « droit est flou » dans la région del’Antarctique. « Ce flou juridique, qui nourrit virtuellement, et au gré des fluctuationsd’intérêts, toutes les revendications possibles, est évidemment dangereux. Chacun argüede bonnes raisons pour justifier sont établissement dans une zone. Autant de légitimitésconcurrentes ne pouvaient que dégénérer en litiges, voire en tensions. » (P-E Victor, 1992,p89).

Pour André Cailleux, il était clair que « le respect des souverainetés, ou sa contestation,conduisent à des situations baroques ». Ainsi, il écrit en 1967, soit moins de dix ans aprèsla signature du Traité de Washington :

« Le principe des secteurs n’[était] pas tenable. Les américains ayant établi unestation au pôle Sud, osera-t-on prétendre que leur poste météorologique estplacé sous la souveraineté des néo-zélandais, leur alternateur sous celles desfrançais, et leur cuisine sous celle des australiens ? … La limite des secteursaustraliens et néo-zélandais […] est d’une absurdité qui fait rire les intéresséseux-mêmes. […] A la station McMurdo, pour ne pas froisser les bons néo-zélandais, les américains leur postent leur courrier à poster. Les timbres sontnéo-zélandais (acte de souveraineté !) mais l’avion qui transporte ensuite lecourrier est bel et bien américain. L’auteur de cet ouvrage a été témoin dela scène suivante : sur le col qui sépare les deux stations, le conducteur duvéhicule américain aperçoit un véhicule néo-zélandais venant en sens inverse.De quel côté le croiser ? “Si je prends ma gauche, dit l’américain, j’ai l’air dem’incliner devant la souveraineté de la Nouvelle-Zélande ; et si je prends madroite, je suis impoli. ” Une grosse mare d’eau se trouve heureusement à pointnommé pour imposer un passage obligé et trancher le cas de conscience. »

André Cailleux, L’Antarctique, 1967, pp113-114

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Pour citer encore une fois cet auteur, avec la situation politico-juridique en antarctique« on touche ici au burlesque ou à la puérilité. » Au début des années 50, l’imbroglio étaitcomplet et tout semblait converger vers de futures tensions. La fin de la Seconde GuerreMondiale était encore proche, la guerre de Corée venait de commencer, la guerre froide seconfirmait. Il était urgent de trouver une solution juridique, c’est-à-dire politique.

Depuis les derniers découpages des frontières européennes entre Staline et Churchillen 1944 et 1945, on allait se retrouver à « découper » un continent entier ayant la doubleparticularité d’être vide de tout habitant et de mobiliser des critères de partage tout aussicompliqué que s’il était habité ! Les précédents historiques n’étaient d’aucun secours :impossible de prendre leçons des guerres successives entre Anglais, Français, Espagnolspour le partage du continent américain du XVe au XIXe siècle ; ni du précédent australiendécoupé de facto entre aborigènes et bagnards de la Couronne Britannique à partir de 1788 ;ni du « partage » du continent africain entre puissances européennes à la Conférence deBerlin de 1884-1885. De plus, aucune guerre n’avait eu lieu en Antarctique, la frontière étantsouvent l’expression d’un front final. « Tout était à inventer » selon l’expression de Paul-

Emile Victor, et rapidement. 35

L’initiative vint du côté des Etats-Unis. Une première fois en 1947, ils appelèrent àune conférence devant régler le problème en internationalisant le continent et en mettantsur pied une procédure pacifique de règlement des différends éventuels. Mais le régimeproposé semblait susceptible de déboucher soit sur une tutelle internationale, soit surun condominium soviéto-américain. Les sept Etats possessionnés, ne voyant dans cetteproposition qu’un moyen pour les Etats-Unis de défendre leurs seuls intérêts, refusèrent enbloc cette solution. D’autant plus que la détérioration des relations Est-Ouest et le blocus deBerlin avaient rendu impossible l’adhésion de l’URSS au projet. C’est dans cette atmosphère

d’incertitude que l’Inde demanda par deux fois, en 1956 36 et 1958, d’inscrire à l’ordre du

jour de l’Assemblée Générale « la question du continent Antarctique », en demandant à tousles Etats de n’utiliser le continent « qu’à des fins pacifiques et à décider, en particulier, quenul ne se serve de cette région d’une façon qui pourrait étendre à cette région l’influence etles effets des tensions déjà existantes. » La Suède se déclare d’accord, la Grande-Bretagnesemble hésiter mais devant l’opposition très vive de l’Argentine et du Chili – isolés faceaux autres Etats possessionnés – ce projet n’eut pas de suite. Pourtant, dans les cercles

35 En 1958, lors des travaux préparatoires pour la Conférence Diplomatique, René-Jean Dupuy relevait les quatre formes« d’internationalisation » suggérées du continent Antarctique (AFDI, pp 215-218): L’institutionnalisation superétatique, avec la créationd’une autorité internationale dans le cadre de l’ONU. Cette solution ne pouvait convenir à personne, pas plus aux possessionnés quirefusaient de perdre leurs secteurs, ni autres pays, soucieux de gagner une influence politique dans la région. La tutelle déléguée,l’internationalisation reposant alors sur une délégation de l’ONU de l’administration du territoire à un ou plusieurs de ses membres.On risquerait alors, soit la mainmise d’un seul pays sur tout le continent ( !), soit une multiplication des secteurs sous tutelle, situationexplosive. Le condominium (solution déjà préconisée par Fauchille en 1925) : fondée sur un accord entre les puissances intéressées,elle réaliserait de fait une annexion collective de l’Antarctique, placé sous l’hégémonie restreinte d’un petit nombre d’Etats, peut-être même des seuls Etats-Unis et URSS. Mais se pose alors la question de l’accès au continent pour le reste de la communautéinternationale. L’internationalisation contractuelle, qui résulterait d’un partage de l’Antarctique tant sur la base de droits et de titresexistants qu’à la suite de divers marchandages et concessions. Cela suppose donc d’abord un règlement territorial aboutissant à unpartage conventionnel de l’Antarctique et d’autre part, la soumission de ce territoire à un statut déterminé par le traité et exécuté parchaque Etat sous sa responsabilité. Avec le Traité de Washington on s’orientera dans cette direction.

36 La même année, la Nouvelle-Zélande, inquiète d’une utilisation possible par les américains de leur base de McMurdo à desfins militaires, avait aussi timidement suggéré une « restriction des souverainetés » dans la région ; mais invitée à s’expliquer parl’URSS sur les modalités juridiques d’une telle proposition, elle abandonna.

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LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ANTARCTIQUE

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onusiens, on avait sérieusement envisagé une internationalisation des régions polaires,

notamment sous le contrôle de l’UNESCO 37 , sans que cela ait débouché sur aucune

action concrète.C’est alors que fut lancée cette idée tout à fait originale de mettre sur pied une « année

géophysique internationale » en vue de la réalisation d’un programme de recherchesconcertées. Les Nations Unies fixèrent la date de l’Année géophysique à 1957-1958, dansle but affiché de créer un climat propre à la résolution de cette situation potentiellementexplosive, la coopération scientifique internationale permettant de taire un moment lesrivalités géopolitiques.

Chapitre II : Le Traité sur l’Antarctique de 1959.

Section introductive : la troisième Année Géophysique Internationale.« Aujourd’hui, plus de trente ans après, j’en suis encore à m’émerveiller dusuccès sans précédent de cette expérience humaine exceptionnelle. Qu’on ysonge ; dix ans après la Deuxième Guerre Mondiale, en pleine guerre froide, onréussit à mettre sur pied un organisme international totalement indépendant, nongouvernemental, avec pour seul but la recherche scientifique dans l’Antarctique,

au bénéfice de tous. Du jamais vu. » 38

Paul-Emile Victor, 1992, p 93.Les études géophysiques prévoyaient pour 1957-1958 un regain d’activité solaire.

Pour en étudier les manifestations en liaison avec les phénomènes terrestres, il étaitnécessaire de créer un ensemble de postes d’observation scientifique, et tout notammenten Antarctique, dont le Conseil international des unions scientifiques avait soulignél’importance. Le moment semblait donc bien choisi pour lancer une « veille » de rechercheet de coopération internationale, reprenant et élargissant les objectifs des deux premières

Années polaires de 1882-1883 et 1932-1933. 39 Pour concrétiser cette extension à tout le

globe, émergea alors l’idée d’une Année géophysique internationale (AGI). Dans le cadrede celle-ci, un poste de secrétaire général adjoint du Comité scientifique de l’AGI est créépour l’Antarctique et confié à un français.

37 J. HANESSIAN, « The Antarctic Treaty », I.C.L.Q, 1960 p 455 et suivantes. C’est J. Huxley, directeur exécutif de l’UNESCOqui proposa de transformer l’Antarctique en “Terre de Science” sous le contrôle de l’organisation.38 De 1949 à 1952 s’était déjà déroulée une première expédition internationale autours de l’Antarctique : norvégienne-

britannique-suédoise.39 La « Quatrième Année polaire internationale » a eu lieu tout dernièrement. Afin d’assurer la couverture complète et égale

de l’Arctique comme de l’Antarctique, l’API 2007-2008 a couvert deux cycles annuels complets, entre mars 2007 et mars 2009, et afait intervenir plus de 200 projets, des milliers de scientifiques de plus de soixante nations pour étudier une vaste palette de sujetsde recherche physiques, biologiques et sociaux.

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Titre premier Des origines jusqu'a son aboutissement ; le traite sur l’antarctique de 1959

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Le comité spécial de l’Année Géophysique Internationale a volontairement mis de côté

politique et idéologie 40 ; tous les comités scientifiques nationaux furent invités à faireconnaître parmi les sujets d’observation proposés, ceux qu’ils voulaient étudier et dansquelles conditions. Le CSAGI se charge d’assurer la centralisation et la publication desdonnées recueillies à l’issue de ces observations.

Douze gouvernements vont ainsi faire des propositions, 67 pays participent à l’Annéegéophysique, mobilisant plus de 25 000 hommes de science et techniciens, et 4000

établissements scientifiques ou bases d’observation, entre le 1er juillet 1957 et le 31décembre 1958, dans un enthousiasme et une bonne volonté rarement égalés dans lacoopération internationale.

Cinquante-cinq stations sont établies autours du continent et sur des îles avoisinantes :les Soviétiques en installent quinze, dont six sur l’inlandsis et cinq sur la côte orientale(bases de Vostok, Mirny et Pionerskaïa notamment). Les Etats-Unis répartissent les leurs– cinq – sur tout le continent, et en particulier à Scott-Amundsen (à l’emplacement exactdu pôle géographique), à Byrd et surtout à McMurdo, où ils créent une véritable petite ville.La France, en Terre Adélie, aménage les bases Dumont d’Urville, sur l’archipel de PointeGéologie, et Charcot dans l’intérieur près du pôle magnétique. La péninsule Antarctiqueavec les terres de Graham et de Palmer, ainsi que les côtes de la Mer de Weddell voients’édifier plus de 25 stations relevant de neuf Etats, dont neuf argentines, quatre chiliennes

et quatre anglaises 41 . Les autres sont dispersées sur l’ensemble du continent.

Ces stations mettent en œuvre huit programmes scientifiques principaux portantsur des domaines aussi variés que les aurores boréales, les rayons cosmiques, legéomagnétisme, la glaciologie, la gravité, la physique ionosphérique, la météorologie ouencore la séismologie. La France, pour sa part, reçoit la responsabilité des programmeslongitudes et latitudes, océanographie et gravimétrie.

Les études cartographiques devaient toutefois donner lieu à quelques frictions. L’UnionSoviétique proposa, étant donnée l’ampleur de la tâche, un effort conjoint. Elle se heurtaau refus des occidentaux qui souhaitaient, du fait des implications politiques et stratégiquesd’un tel exercice, qu’il ne fût pas entrepris. Aussi l’URSS décida-t-elle en dernière analysede procéder toute seule aux relevés l’intéressant. Mais c’est le seul cas où la coopérationait connu quelque difficulté. Dans l’ensemble, la coopération entre équipes de scientifiques

des 11 nationalités engagées en Antarctique 42 a été d’une cordialité et d’une qualité tout à

fait exceptionnelle qui ne devait pas manquer d’avoir des conséquences durables. Ce sontles échanges d’experts entre bases relevant d’Etats différents pendants les observationsmétéorologiques qui en furent la meilleure illustration. Les soviétiques ne furent à aucunmoment tenus à l’écart de ce mouvement.

Les travaux de l’AGI permirent ainsi de recueillir un énorme butin d’information en mêmetemps qu’ils marquèrent le début de l’utilisation des satellites artificiels. Le gouvernement

40 Les Américains ont insisté, au début de l’AGI, pour que les cartes imprimées à l’attention des participants ne comportentpas l’indication des différents secteurs.

41 La construction de telles bases d’observation dans la Mer de Weddell mit ainsi virtuellement fin en 1955 à la rivalité chileno-argentino-britannique sur ce territoire. Cet accord pris la forme d’une déclaration dont les termes furent unanimement adoptés par la

1ère Conférence sur l’Antarctique à Paris, le 6 juillet 1955.42 Il s’agit de l’Argentine, de l’Australie, la Belgique, le Chili, les Etats-Unis, la France, le Japon, la Norvège, la Nouvelle-

Zélande, le Royaume-Uni et l’Union Soviétique.

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français décida d’ailleurs de maintenir d’une manière permanente ses bases de Terre Adélieet un comité national pour la recherche antarctique fut créé. Mais l’acquit évidemment leplus intéressant est la volonté des Etats participants à l’AGI de poursuivre, après sa clôture,la recherche scientifique sur les principes mêmes qui l’avaient animée, c’est-à-dire la libertéde recherche et la coopération internationale qui seront les bases du Traité de Washingtoninstituant un statut de l’Antarctique.

Dès la conférence de Moscou en juillet 1958, la question qui se pose aux participants àl’AGI est de savoir comment perpétuer cet effort commun extraordinaire accompli ensemble.L’idée était ainsi née, dans la pratique elle-même, que le sixième continent devrait êtredoté d’un régime juridique particulier, permettant de préserver et développer cette vocationscientifique de l’Antarctique. Le gouvernement des Etats-Unis propose alors à l’Afriquedu Sud, à l’Argentine, à l’Australie, la Belgique, le Chili, à la France, au Japon, à la

Norvège, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et l’URSS 43 de conclure un traité faisant

de l’Antarctique une zone de paix exclusivement destinée à la libre recherche scientifiquedans l’intérêt de l’humanité tout entière. C’est la Conférence de Washington (15 octobre

– 1er décembre 1959) et le Traité qui en est issu qui devaient perpétuer l’AGI dans cetterégion du monde.

La proposition lancée par les Etats-Unis est favorablement accueillie et, le 1er

décembre 1959, est signé à Washington le « Traité établissant le statut de l’Antarctique. » Cetraité entre en vigueur le 23 juin 1961 après avoir été ratifié par les douze Etats. Il consacreun des plus grands succès de la diplomatie depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

Avec la signature du Traité sur l’Antarctique, et pour la première fois depuis le début dela guerre froide, les deux camps se mirent d’accord pour soustraire un continent tout entier,d’une importance fondamentale pour la science et l’avenir de l’humanité, aux disputes et

aux convoitises 44 . (Victor, 1992)Par cet accord solennel, douze puissances diverses – mais qui comptent parmi elles

les deux supergrands – s’imposent en véritable législateurs internationaux 45 et donnent un

43 La Belgique avait en effet participé à de nombreuses expéditions et le Japon avait été considéré pendant longtemps, jusqu’auTraité de San Francisco en 1951, comme un Etat pouvant avoir des prétentions sur l’Antarctique. L’Allemagne, qui avait également étéécartée du groupe des prétendants à la souveraineté au lendemain de la Seconde guerre mondiale, mais qui avait pourtant participéà l’AGI, se trouvait définitivement écartée. Quant à l’Afrique du Sud, c’est sur des critères de contigüité géographique (voir p 54)qu’elle reçut une invitation du président Eisenhower. On prit soin cette fois-ci d’inviter l’URSS, boudée lors de la première tentativede règlement américaine en 1947-48, mais il est vrai que depuis cette dernière avait clairement affiché un point de vue allant dans lesens des Etats-Unis. Il est intéressant de noter que les Etats-Unis, par réel souci de conciliation, précisèrent immédiatement que lefutur Traité n’entrerait en vigueur que « rectifié par toutes les parties », sans que celles-ci « n’aient à renoncer à ses affirmations desouveraineté »… L’affirmation de R.J Dupuy selon laquelle « affectant la forme d’un contentieux territorial, le problème de l’Antarctiqueest inextricable » (ADFI, 1958) était vérifiée.

44 Un précédent particulièrement intéressant est fourni par la Convention de Paris du 9 février 1920 qui concerne précisémentun territoire polaire, le Spitzberg, objet de contentieux entre la Russie et la Norvège. On en vint à un régime dont l’objet, comme lerappelle le préambule de la convention, était « en reconnaissance de la souveraineté de la Norvège sur le Spitzberg… de voir cesrégions pourvues d’un régime équitable propre à amorcer la mise en valeur et l’utilisation pacifique. » Deux objectifs étaient poursuivispar les signataires : sur le plan militaire, la neutralisation du Spitzberg ; sur le plan économique, le régime de la porte ouverte.

45 René-Jean Dupuy parle ainsi « d’aristocratie conventionnelle » (AFDI, 1960).

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statut à l’Antarctique, pour une durée minimum de trente ans 46 , en se réservant de pouvoirdévelopper les principes qu’ils ont posés et d’en contrôler l’observation et la mise en œuvre.

L’Antarctique ne pouvait être autre chose, dans cette optique, qu’une vaste zonede coopération scientifique, internationale, dans l’esprit qui avait prévalu lors de l’AnnéeGéophysique Internationale. Les préoccupations de souverainetés devaient être écartées –de la façon la plus « souple » possible – et, puisque la question de l’exploitation économiquedes ressources du continent était liée au problème des souverainetés, elle devait être évitéedans un premier temps.

Les principes et objectifs définis par le Traité (Section 1), la structure mise en place etqui en découle (Section 2) s’inscrivent dans la ligne de ces considérations.

Section 1 : Principes fondamentaux et objectifs du Traité surl’Antarctique.

Le Traité de Washington met en avant quelques principes politiques qui serviront defondement à l’ensemble du « Système Antarctique ».

Conformément aux objectifs des participants à la Conférence diplomatique, le régimemis en place par le Traité repose sur deux piliers fondamentaux : la non-militarisation et lacoopération scientifique. C’est ce qui est d’ailleurs mis en avant dès les premières lignesdu préambule. Aussi, l’ensemble des dispositions s’organise autours de la mise en œuvrede ces deux principes. Cependant, le Traité est éloquent, autant par ses silences asseznombreux – qu’il s’agisse de la juridiction, de l’exploitation des ressources ou du règlementdes différends – que par les grands points d’accord qu’il reflète.

§ 1 : La paix, condition de la coopération« On peut s’interroger afin de savoir lequel des objectifs de paix ou de coopérationscientifique fut le plus important dans l’esprit des rédacteurs du Traité. » (Couratier, 1991,p 245) On pourrait penser que, dans la lignée de l’AGI, il fallait maintenir et renforcer lacoopération en matière de recherche scientifique, cette coopération exigeant une garantiede paix sur le continent antarctique. Mais il est plus probable que les rédacteurs du Traitéaient surtout voulu éviter que ne se développe un nouveau théâtre de conflits. Pour cela, ilfallait en tarir les sources et essayer une expérience de coopération scientifique dans unedes rares zones où, par cela même, elle devenait possible. Ces considérations ont joué de

façon diverses. Mais l’expérience a montré que la paix sur le 6e continent pouvait ne pas êtreun vain mot et exister concrètement. De toute façon, son maintien est une condition sine quanone du développement de cette coopération dans la recherche. La Traité de Washingtona estimé qu’elle devait passer par le gel des prétentions territoriales et la non-militarisationdu continent. (Dupuy)

Le « gel » des prétentions territoriales. 47

46 Cette durée a été prolongée par le « Protocole de Madrid », relatif à la protection de l'environnement en Antarctique, signéle 4 octobre 1991. Nous développerons cet élément plus loin dans notre analyse.

47 On retrouve ici la « solution médiane », selon ses propres mots, offerte par René-Jean Dupuy en 1958: « gel du contentieuxavec tolérance de l’exercice de compétences, d’administration par les autorités étatiques là où elles existent effectivement au moment

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L’expression exacte de « gel », particulièrement bien choisie au regard de la régionconcernée, se trouve dans le dans le corps du Traité lui-même: elle découle de l’impuissancede ses signataires à parvenir au règlement des problèmes de souveraineté. L’article IV duTraité est une disposition-clé. En effet, le statu quo territorial était la condition indispensablede participation de plusieurs Etats à la négociation. Ainsi, la France s’est attachée aumaintien de ses droits sur les îles australes et sur la Terre Adélie. Le chef de ses délégation adéclaré notamment que « la République française entend affirmer à nouveau la souverainetéqu’elle exerce sur la Terre Adélie. Elle rappelle les bases historiques et juridiques surlesquelles reposent ses droits ainsi que les textes législatifs qui les ont consacrés. »Soutenue tout particulièrement par le Chili et l’Argentine, la thèse française a été combattuepar l’Union Soviétique et les Etats-Unis.

Chaque Etat campant en fait sur ses positions habituelles, la perspective d’un abandondes souverainetés tomba vite à l’eau et il ne restait plus qu’à consacrer le statu quo, sansque ne soient déniées, ou au contraire reconnues, les prétentions des Etats en la matière.(Guillaume, 1994)

L’article IV du Traité précise à cet égard qu’aucune disposition ne peut être interprétéecomme constituant de la part d’aucune des Parties contractantes « une renonciation àses droits de souveraineté territoriale, ou aux revendications territoriales précédemmentaffirmées par elle dans l’Antarctique […] (ou) un abandon total ou partiel d’une basede revendication […] qui pourrait résulter de ses propres activités ou de celles de sesressortissants dans l’Antarctique ou de tout autre cause. » Le paragraphe Ier est ainsidestiné à protéger les droits et positions de chacun des trois groupes d’Etats présents à laConférence : les Possessionnés, les « Possessionnés virtuels » qui réservent leurs droitspour une revendication éventuelle et ceux rejetant toute prétention de souveraineté. Lestrois alinéas a), b) et c) selon l’interprétation que l’on peut en faire, protègent ainsi chacunedes positions juridiques défendues par les différents signataires… Ainsi, le Traité entendrespecter les différentes positions de chaque partie concernant « la reconnaissance ou lanon-reconnaissance par cette Partie du droit de souveraineté, d’une revendication ou d’unebase de revendication de souveraineté territoriale de tout autre Etat. » Le maintien du statuquo se traduit enfin par le fait qu’aucune autre revendication de souveraineté territoriale nepourra être émise, ni contestée, après l’entrée en vigueur du Traité, et pendant toute sa

durée 48 , sur la base des activités qu’il aura prévues. Le paragraphe 2 de l’article IV est

donc de la plus haute importance. On a dit en effet que le paragraphe Ier était destiné à« photographier » la situation juridique de l’Antarctique sur le plan territorial. Le paragraphesuivant en revanche serait destiné à « geler » cette situation pour la durée du Traité.

Aussi le Traité ne résout rien de façon vraiment définitive, mais il dépasse une situationde fait susceptible de dégénérer en conflit international. Il s’adapte soigneusement auxpositions des différentes Parties. Ainsi que le souligne René-Jean Dupuy, « le gel établitpar le Traité place le régime de l’Antarctique au cœur d’une tension, suscitée par le désirde rassurer les douze signataires : laisser aux détenteurs de secteurs leurs illusions,autoriser les censeurs américains et russes à croire le système actuel purgée des vices del’ancien. » (AFDI, 1960).

du traité sans que cela puisse être considéré comme une reconnaissance des titres. » (p 229). On ne peut que saluer la brillance del’analyse juridique du problème de l’Antarctique par Dupuy et l’anticipation de la solution trouvée.

48 Entré en vigueur le 23 juin 1961, le Traité sur l’Antarctique, prévoyait une durée d’application de trente ans, soit jusqu’en1991. Le Protocole de Madrid, signé le 4 octobre de la même année, évita la réouverture du difficile dossier du statut de l’Antarctique,promu alors « réserve naturelle consacrée à la paix et à la science », avec un moratoire de 50 années interdisant toute autre activité.

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L’article IV a été le plus controversé de toutes les clauses du Traité sur l’Antarctique.Ecrit volontairement avec un degré d’ambigüité qui seul pouvait le rendre acceptable àtous les participants de la négociation, il s’offre à de multiples interprétations. Son plusgrand mérite, cependant, est d’exister puisqu’il a permis à chaque Etat d’afficher, au moinsofficiellement, le sentiment que sa position juridique était protégée.

Ainsi on peut conclure que, sur le fond, cet article-clé ne résoud rien ; il constitue

simplement « un accord sur le désaccord. » 49 Cette situation explique que l’on ne put

parvenir à une solution sur deux questions intimement liées au problème de la souveraineté :

la juridiction et l’exploitation des ressources. 50

Il faut reconnaître que, grâce à ce gel, les chevauchements des secteurs anglais,argentin et chilien (voir la carte p 50) n’ont plus occasionné de tension majeure comme avantle Traité, bien que chacun des trois pays, dans ses interventions à l’ONU sur la « QuestionAntarctique » ait encore hautement affirmé sa souveraineté sur les territoires disputés, oubien que l’URSS ait insisté avec force sur le fait que, si elle n’émettait pas pour l’instant deprétention territoriale, la découverte en premier du continent antarctique par ses navigateurspourrait, le cas échéant, lui conférer des droits…

De plus, si le Traité de Washington a réglé momentanément le problème, il n’a bienentendu pas du tout diminué l’intérêt hautement stratégique de la zone Antarctique, tant sur

le plan mondial que sur un plan purement régional. 51 Le détroit de Drake, qui relie les

océans Pacifique et Atlantique, représente un enjeu considérable. (On a déjà vu la rivalitéentre la Grande-Bretagne, le Chili et l’Argentine à ce sujet et l’importance du traité qui y

mit fin, sur médiation du Pape, en 1984 52 ). Le détroit sépare en effet les deux « têtes depont » que sont, du côté de l’Antarctique, la terre de Graham, les Orcades, les Shetland etles Sandwich du Sud, et, du côté du continent américain, la Terre de Feu, le cap Horn, lechenal de Beagle et, plus au nord, les Falkland britanniques.

Dans une note au secrétaire général de l’ONU en 1962, le gouvernement chilien nedéclare pas moins que : « les revendications territoriales sur l’Antarctique ont été geléesdans le but de protéger les droits souverains de tous les pays faisant valoir de telles

49 René-Jean DUPUY : « Le Traité sur l’Antarctique », A.F.D.I, 1960.50 La seconde fut longuement évoquée pendant les discussions préparatoires antérieures à la Conférence diplomatique.

L’exploitation des ressources constituant l’un des principaux bénéfices qu’un Etat peut espérer tirer de l’exercice de la souveraineté surun territoire, il n’est pas étonnant que l’on ait alors abouti à une impasse. Les positions antagonistes sur cette question demeurèrentirréductibles. En conséquence, il fut décidé d’écarter du Traité toute mention de cette question. Pour les ressources minérales, lareconnaissance géologique du continent était très médiocre et débutait seulement. L’exploitation paraissait encore lointaine étantdonnées les difficultés physiques inhérentes à la région et la disponibilité d’autres sources d’approvisionnement plus faciles d’accès et àmoindre coût. En 1988, la Convention de Wellington « pour la réglementation des activités sur les ressources minérales antarctiques »,mort-née, avait tentée de concilier protection de l’environnement et exploitation des ressources minérales. Elle fut enterrée par leProtocole de Madrid.

51 Pour une analyse plus contemporaine de ce sujet, on lira avec intérêt l’article de Marie-Françoise LABOUZ, Les aspectsstratégiques de la question de l’Antarctique, paru dans la Revue Générale de droit international public (RGDIP) en 1986. (pp579-595).On consultera également l’ouvrage de H. COUTEAU-BEGARIE, La géostratégie de l’Atlantique Sud, publié aux PUF en 1985 (214pages).

52 BROUILLET, A, « La médiation du Saint-Siège dans le différend entre l’Argentine et le Chili sur la zone australe », in AFDI,1979, pp 47-73.

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revendications et les positions juridiques de toutes les nations qui n’en présentent pas. […]Cet arrangement est essentiel à la survie de la coopération antarctique. » ( !)

Quant au gouvernement français, il estime, après avoir ratifié le Traité, que « la remiseen cause de l’équilibre que le Traité de Washington est parvenu à instaurer et qui a permisde préserver la paix et la sécurité dans cette région du globe ne profiterait à aucun Etat,qu’il soit ou non signataire du Traité. »

Ce gel des revendications territoriales aurait cependant été insuffisant à lui seul pourmaintenir la paix, si l’Antarctique n’avait pas fait en même temps l’objet d’une certaineneutralisation.

La neutralisation de l’Antarctique.Lorsque la signature du Traité sur l’Antarctique fut annoncée, on applaudit tout

principalement la non-militarisation à l’échelle de tout le Continent. Cet aspect devait, dansle contexte de Guerre Froide de l’époque, frapper le plus l’imagination de l’opinion. Letraité marque en effet une étape majeure dans les relations internationales puisqu’il futle premier instrument juridique à concrétiser les idées sur le désarmement. Mais il estégalement remarquable à d’autres points de vue, à savoir l’étendue de la zone couverte parle principe de non-militarisation et les moyens mis en œuvre pour s’assurer de l’applicationdes obligations conventionnelles à cet égard. Ce dernier point mérite d’être souligné, quandon sait le problème de la vérification est le nœud dans toute négociation sur le désarmement.

Le régime de neutralisation de l’Antarctique se décline au sein de cinq articles : lesarticles Ier, V, VI, VII et VIII.

Cette « neutralisation » de la région suppose que, directement ou indirectement, aucuneactivité de caractère militaire ou susceptible d’entrainer un désaccord entre Etats, ne pourraêtre conduite dans l’Antarctique. Pour cela, l’Antarctique doit être un continent non-militariséet non-nucléarisé.

A. La non-militarisation :Le principe même de la non-militarisation est énoncé dans la première phrase duparagraphe Ier de l’article Ier : l’Antarctique est réservé à des usages pacifiques. Sont enconséquences « interdites entre autres, toutes mesures de caractère militaire, telles quel’établissement de bases, la construction de fortifications, les manœuvres et essais d’armesde tout genre. » Cette liste n’est pas limitative ainsi que l’indique l’inclusion de l’expression« entre autres » après le mot « interdites. » On note ainsi que cette prohibition a un caractèretrès large. Le Traité établit donc une zone démilitarisée, ou plutôt non-militarisée, car il n’y ajamais eu de véritables installations militaires sur ce continent, bien que des plans aient étéétablis à cet égard par divers Etats et que des démonstrations de force aient plus ou moinseu lieu au plus fort du conflit pour la Terre de Graham.

Mais cette interdiction représente bien le minimum sur lequel il y a eu accord : les« mesures » en question présentant en effet un caractère militaire évident et qui ne peutêtre nié. En revanche, toute activité menée par le personnel de l’armée ou le matériel decelle-ci n’a bien évidemment pas forcément un caractère militaire. C’est ce que reconnaîtle paragraphe second de ce même article qui ne s’oppose pas à l’emploi de personnelet matériel militaires dans la mesure où ils sont utilisés seulement pour la recherchescientifique, ou pour toute autre fin pacifique conforme aux principes énoncés par le Traité.Cette restriction était bien sûr nécessaire ; en effet, à l’époque de la signature du Traité (etc’est encore le cas aujourd’hui dans une certaine mesure), seuls les Etats peuvent conduire

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des activités sur le sixième continent, et avec des moyens en matériel et en personnel que

seule l’Armée peut fournir. 53 (Perez, 1989)

Evidemment, le paragraphe 2 peut se prêter à une interprétation extensive desutilisations de personnel militaire. En effet, la frontière entre activités strictement civiles etpurement militaires est souvent théorique. De plus, le poids énorme de l’appareil logistiqueen Antarctique, rendu nécessaire par un environnement franchement hostile, aboutit à laprésence de personnel non scientifique en nombre bien supérieur au personnel scientifiqueproprement dit. Aussi les soviétiques de l’époque ont manifesté leur étonnement, devant

le ratio existant entre les deux groupes dans les bases américaines. 54 Il est bien évident

que cette utilisation peut laisser planer des soupçons sur le strict respect des principesdu Traité, mais l’on verra que des dispositions ont été prévues, notamment l’édiction derecommandations par la Réunion des Puissances consultatives, et la possibilité, pourchacune d’entre elles, d’envoyer chez les autres des observateurs pour s’assurer qu’ilsagissent conformément aux principes du Traité.

Aucune des Grandes Puissances présentes dans la zone n’est dupe cependant. Demultiples activités aux implications plus ou moins militaires peuvent donc être, et sontconduites en Antarctique. Si, de source officielle, leur méconnaissance n’est pas en cause,on a dit un temps officieusement que l’Union Soviétique, dans ses stations, possédait desappareils très sophistiqués lui permettant d’observer les mouvements de la flotte américaine

au large du 60e parallèle et dans le Détroit de Drake ; que les Etats-Unis n’auraient pastoujours des buts strictement pacifiques ; et on a fait remarquer que les cartes détailléesétablies par l’Argentine opèrent une distinction trop subtile entre les stations scientifiqueset les « bases d’exercice »…

L’article VI, qui pose la portée géographique du Traité de Washington, doit être êtrerelié, en ce qui concerne le désarmement, à l’article Ier : « Les dispositions du présentTraité s’appliquent à la région située au sud du 60° degré de latitude Sud, y compristoutes les plates-formes glaciaires. » Cependant, toujours selon cet article, « rien dans leprésent Traité ne pourra porter préjudice ou porter atteinte en aucune façon aux droits ouà l’exercice des droits reconnus à tout Etat par le droit international en ce qui concerne lesparties de haute mer se trouvant dans la région ainsi délimitée. » Cette incidence est depremière importance car elle fixe les limites géographiques de la non-militarisation. Le droitinternational coutumier aussi bien que conventionnel réserve expressément d’importanteslibertés en haute mer dans le domaine militaire : la liberté de navigation des flottes militaires,la liberté de procéder à des manœuvres et celles de procéder à des expériences detoutes sortes y compris nucléaires, résultent à la fois de la pratique générale des Etats etdu principe selon lequel en droit international ce qui n’est pas expressément interdit estautorisé.

En conclusion, la non-militarisation ne s’applique, en vertu des articles Ier et VI, qu’aucontinent lui-même et aux îles, ainsi qu’aux plates-formes de glace. Ce dernier élément doitêtre souligné car il reflète le malaise éprouvé par les rédacteurs du texte face à la définitiondes limites terrestres de l’Antarctique. Cet univers glaciaire a imposé – nous l’avons vu – une

53 Cet appui logistique de l’armée est essentiel pour le Chili et l’Argentine, dont les bases sont ravitaillées et administréespar les forces armées ; il est important pour les Etats-Unis qui dépendent de l’U.S. Navy pour leurs liaisons en Antarctique. Même laNouvelle-Zélande, plus proche, ne pourrait assurer l’exécution de son programme antarctique sans l’appui des militaires.

54 On avait ainsi constaté qu’il y a alors, dans les bases scientifiques américaines, 1 scientifique pour 10 agents des forcesarmées !

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approche nouvelle en droit international. Devant l’incertitude ancienne créée par le domaineglaciaire – terre ou eau ? – on a adopté une attitude pragmatique : les plates-formes qui sontplus ou moins permanentes, sont incorporées au régime fixé pour le continent auquel ellesse rattachent et dont elles ne se distinguent pas en en pratique. Leurs limites extérieuresexactes sont cependant laissées dans le vague, la glace se détachant dans l’océan de façonaléatoire. Sont ainsi incluses dans le régime les immenses plates-formes de Ross et de

Filchner qui représentent 1/6e de la superficie du continent.

Source : « Adieu l’Antarctique », 1991. Dessin de Paul-Emile VictorLes articles VII et VII sont parmi les dispositions les plus originales, non seulement du

Traité, mais de la littérature conventionnelle internationale, puisqu’ils instaurent un systèmeoriginal de vérification de l’application des causes de démilitarisation. Le système retenuest d’une extrême souplesse : les Etats décident, à leur gré, du moment, du lieu, et del’étendue des inspections auxquelles ils procèdent sur les installations des autres partiesau Traité. Cette totale liberté d’organisation est le meilleur moyen de garantir l’efficacitédu système. Surtout, les « observateurs » ont accès, « à tout moment, à toute région

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de l’Antarctique, et à toutes les installations qui s’y trouvent, ainsi qu’à tout navire ouaéronef situés aux points d’embarquement ou de débarquement du fret et du personneldans l’Antarctique » (paragraphes 2 et 3 de l’article VII).

Deux obligations sont demandées à l’Etat qui souhaite inspecter. En premier lieu, il doitcommuniquer aux autres Parties le nom de ses observateurs ainsi que la date de fonctionde ceux-ci. On remarquera qu’il n’existe pas d’obligation de notification de l’inspection elle-même, ni de la date à laquelle elle débutera. L’Etat qui inspecte peut donc bénéficier del’effet de surprise. En second lieu, les rapports d’inspection doivent être communiquésaux autres Parties (article IX, paragraphe 3). Cette formule, dont les avantages ont étésoulignés, a pourtant été critiquée. Seuls les Etats les plus puissants peuvent assumer lacharge financière de telles opérations. Pour pallier à cet inconvénient, il n’est pas rare quela puissance qui organise l’inspection invite des observateurs d’autres Etats à se joindre àl’expédition.

B. La non-nucléarisation :La présence de l’article V dans les dispositions sur le désarmement n’est pas évidenteau premier abord. L’interdiction des essais nucléaires était implicitement visée par lesdispositions précédentes concernant l’interdiction des armes de toutes sortes. Pourtant,lors des négociations, des divergences suffisamment fortes étaient apparues entre lesdélégations soviétique et américaine pour que l’on pût craindre l’issue de la Conférencemenacée. Finalement, l’esprit de conciliation, et surtout le souci de la précision quant auxquestions militaires en antarctique, l’a emporté et les rédacteurs du Traité ont jugé bon derevenir sur la question et de lui consacrer un article entier, le V ; le Traité sur l’Antarctiquedevenait ainsi le premier accord international sur l’interdiction des essais nucléaires. Quandon songe au climat de tension internationale qui régnait à l’époque, on mesure toutel’importance de l’effort accompli par les gouvernements.

En fait, le paragraphe Ier de l’article V vise double objectif. D’abord, sur le planpsychologique, par son caractère explicite, il renforce l’interdiction générale de l’article Ierd’une façon qui ne peut que frapper, positivement, l’opinion à une époque où la psychosede la guerre atomique est palpable et le spectre d’Hiroshima encore présent dans tous lesesprits. Il mentionne ainsi que « toute explosion nucléaire dans l’Antarctique est interdite,ainsi que l’élimination dans cette région des déchets radioactifs. » Il était nécessaired’apporter cette précision exacte. On voit, à la lumière de ce qui s’est passé – et continue

encore – sur d’autres continents, combien une interdiction explicite était judicieuse 55 ;

de même que d’évoquer la question des déchets. Cette portée environnementaliste estalors plutôt neuve puisque les utilisations pacifiques des explosions nucléaires sont aussiprohibées. La pression des Etats voisins de la zone, notamment l’Argentine, inquiets deseffets mal connus de ces explosions sur l’environnement, a été déterminante pour l’inclusionde ce paragraphe. En effet, il eût été tentant, pour certains Etats peu scrupuleux, d’utiliserce continent vierge dans ce but… En conséquence, sauf dans le cas des explosions,l’utilisation des matières fissibles est donc autorisée sur le continent, à condition d’évacuerles déchets radioactifs. Aussi les Etats-Unis ont-ils pu approvisionner régulièrement le

55 A l'heure actuelle, on compte, avec l’Antarctique, quatre zones strictement exemptes d'armes nucléaires : l'Amérique latineet les Caraïbes : le traité de Tlatelolco a été signé en 1967 et est entré en vigueur en 1969. le Pacifique Sud : le traité de Rarotongaa été signé en 1985 et est entré en vigueur en 1986. l'Asie du Sud-Est : le traité de Bangkok a été signé en 1995 et est entré envigueur en 1997. De plus, la Nouvelle-Zélande est devenue en 1987 le premier État à se déclarer zone exempte d'arme nucléaire.La Mongolie a fait de même en 1992.

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réacteur nucléaire de la base de Mc Murdo jusqu’à la fin des années 1960, malgré le coûtélevé du transport du combustible usagé.

Le second paragraphe va plus loin encore. Il précise qu’ « au cas où seraientconclus des accords internationaux auxquels participeraient toutes les Parties consultativesconcernant l’utilisation de l’énergie nucléaire, y compris les explosions nucléaires etles déchets radioactifs, les règles établies par de tels accords seront appliquées dansl’Antarctique. » Il est évident que ces dispositions ne sont destinées qu’à conforter

l’interdiction et non à en restreindre la portée. 56 Ce paragraphe peut sembler de nos

jours dépassé, ayant pour but principal, à l’époque, de réserver la possibilité d’étendre àl’Antarctique un accord général que l’on espérait assez proche sur l’utilisation de l’énergieatomique.

Pendant la 38e session de l’Assemblée générale de l’ONU, presque tous lesintervenants se sont plu à souligner, mais à des degrés divers, l’importance qu’ilsaccordaient à ce que l’Antarctique demeurât une zone non militarisée et non nucléarisée.Il est évident que les pays les plus proches géographiquement du continent étaientplus particulièrement concernés, la question touchant directement à leur propre sécuriténationale. Ainsi, le gouvernement chilien, dans un rapport au secrétaire général de l’ONU,déclare :

« La réalisation fondamentale du Traité a été de créer réellement et effectivement laseule zone de paix du monde à englober un continent tout entier, absolument dépourvude base militaires et d’armements. L’équilibre juridico-politique atteint explique cette grandeconquête, qui s’étend au-delà de la zone visée par le Traité et dont bénéficient, sansdistinction aucune, tous les habitants du globe. […] L’Antarctique est indivisible. Ladémilitarisation et la dénucléarisation sont inséparables de l’équilibre politique visé à l’articleIV et de la liberté de la recherche scientifique. »

Les pays en voie de développement eux-mêmes, qui ne sont pourtant pas tendres

pour le Traité de Washington et le système qu’il a établi 57 , reconnaissent, pour la plupart,

les bienfaits de cette non-militarisation et de cette non-nucléarisation de l’Antarctique.Ces principes n’ont jamais été remis en cause et, pour le secrétaire général de l’ONU, ils’agit là d’ « une des contributions les plus importantes de l’après-guerre à la préventionde la prolifération des armes nucléaires et à la cessation de la course aux armementsnucléaires. » Il s’agit aussi d’une garantie donnée de l’utilisation de l’Antarctique à desactivités strictement pacifiques de recherche et de coopération scientifiques. Le Traité deWashington a l’immense mérite, précisait un rapport du Ministère Français des Affairesétrangères au lendemain de sa signature, il y a cinquante ans, de « définir le cadre danslequel s’exercera désormais l’activité des pays qui s’intéressent aux régions australes ; on

56 Cela a été le cas de divers accords postérieurs au Traité sur l’Antarctique : le Traité de Tlateloco sur la dénucléarisationdu continent sud-américain, le Traité sur les principes régissant les activités des Etats en matière d’exploration et d’utilisation del’espace atmosphérique et extra-atmosphérique, le Traité visant à l’interdiction de placer des armes nucléaires et autres armes dedestruction massive sur le fond des mers et des océans ainsi que dans leur sous-sol, et les dispositions pertinentes de la partie XIIde la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer (1982), en ce qu’elles concernent la protection et la préservation du milieumarin contre toute pollution.

57 On parlait ainsi dans les années 1970 et 1980 du « Groupe des 77 », opposés au « Système Antarctique » tel qu’organisépar le Traité de 1959 et ses Conventions dérivées. Leur voix ne se fit guère entendre et il semble que le Protocole de Madrid, signéen 1991, a manifestement – pour l’instant – calmé les interrogations sur le devenir du continent.

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peut espérer qu’il permettra d’éviter, dans une certaine mesure, la naissance de rivalitésdont les puissances possessionnées auraient inévitablement supporté les conséquences. »

§ 2 : La recherche scientifique et la coopérationLes puissances signataires du Traité de Washington se disent même persuadées, dansson préambule, qu’il « servira les intentions et les principes de la Charte des NationsUnies, [car] il est de l’intérêt de l’Humanité toute entière que l’Antarctique soit à jamaisréservée aux seules activités pacifiques et ne devienne ni le théâtre, ni l’enjeu de différendsinternationaux. » Liberté de la recherche et coopération entre Etats dans ce domaineapparaissent, là, sans doute plus qu’ailleurs, les conditions essentielles de la réussite decette recherche.

Les modalités de la liberté de recherche et de la coopération scientifique ne devaientpas donner lieu à trop de difficultés. Il s’agissait en effet de perpétuer un régime qui avait déjàfonctionné de façon très satisfaisante pendant 18 mois : la durée de l’AGI. C’est d’ailleurs ceque déclare expressément l’article II : « La liberté de recherche et la coopération à cet effet,telles que pratiquées pendant l’AGI, seront poursuivies conformément aux dispositions duprésent Traité. » Ce régime est défini par les articles III, VIII et IX.

A. La liberté de la recherche scientifique.La liberté de la recherche scientifique, pratiquée avec succès lors de l’Année géophysiqueinternationale, est un des objectifs essentiels poursuivis par le Traité. A l’inverse de l’articleIV, dont l’interprétation est susceptible de plusieurs approches, l’article II est d’une clartéexemplaire. Il stipule clairement, qu’indépendamment des affirmations de souverainetésde la part du club des « possessionnés », n’importe quel Etat partie pourra installer desstations, y poursuivre des recherches ou organiser des expéditions dans n’importe quelle

région du continent antarctique ou en mer, située au Sud du 60e parallèle, sans se voiropposer d’autres interdictions ou limitations que celles édictées en commun par les Partiescontractantes. Celles-ci devront, dans les territoires où se manifestent déjà leur présence,exercer leur mission dans la ligne des objectifs que fixe le Traité, sans en exclure les autresEtats qui souhaiteraient y adhérer, mais tout en étant soucieux de mettre le continent à l’abride toute revendication, de toute compétition , et à faire en sorte que l’activité qui y seraexercée le soit « dans l’intérêt de l’humanité tout entière […] conformément aux intérêtsde la science et aux progrès de l’humanité. » Cette liberté aboutira vite à l’installation detrès nombreuses stations, dont un grand nombre dans la péninsule de Graham, parfois siproches les unes des autres qu’elle ne sont séparées que par quelques kilomètres.

Toutefois, l’exercice de toute liberté comporte nécessairement des limites. C’est toutd’abord l’interdiction faite aux Etats de se livrer à certaines activités. C’est aussi l’obligationpour eux de prendre des mesures appropriées, compatibles avec la Charte des NationsUnies, en vue d’empêcher que nul n’entreprenne dans l’Antarctique, aucune activitécontraire au Traité. Cette obligation pèse plus particulièrement sur les Etats qui possèdentdes stations sur le continent et, bien entendu, sur ceux qui entendent exercer des droitsde souveraineté.

On verra quel poids auront ces propositions quand plus tard l’ONU, se penchant sur laquestion de l’Antarctique, voudra proclamer celui-ci « patrimoine commun de l’humanité »,avec toute l’ambigüité que peut contenir ce concept.

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Mais le principe de la liberté de recherche scientifique ne saurait, en lui seul, comblerles aspirations du Traité s’il ne s’accompagnait de celui de la nécessité d’une coopérationinternationale.

B. La coopération internationale.L’Antarctique, on l’a vu au début du présent mémoire, est un continent immense, lointain,isolé, « le plus inhospitalier des continents. » Il est donc évident que, devant les difficultésimmenses opposées aux chercheurs par les conditions naturelles et l’éloignement ducontinent, devant le coût gigantesque de toute installation, de toute expédition, les Etatsdoivent coopérer. La solidarité est le complément indispensable de cette liberté. N’en est-ilpas de même dans tous les domaines dont s’occupe la science ? (Couratier)

L’article III, paragraphe Ier n’est que la répétition de la procédure mise en place pendantl’AGI. Il prévoit une information mutuelle à propos des programmes nationaux afin d’éviter laduplication inutile des études et observations. Mais le Traité prévoit aussi des échanges depersonnel scientifique entre stations de la région, ainsi qu’une coopération poussée au seind’institutions particulières. Aucune définition exacte de la formule « recherche scientifique »ne figure dans le texte. S’agit-il de recherche pure ou bien la recherche appliquée est-elleautorisée ? Etant donné le précédent de l’AGI dont s’inspire le Traité, on peut conclureque seule la recherche pure est envisagée, la recherche conduisant à l’exploration desressources ayant alors été officiellement rejetée. De plus, le Traité lui-même n’envisagepas la question des ressources. Et c’est à dessein, car ce point est lié de façon irréductibleau problème de la souveraineté. Aussi la question resta ouverte jusqu’à la signature duProtocole de Madrid en 1991.

Mais cette coopération doit s’étendre également, le plus possible, à des relationsde travail avec les institutions spécialisées de l’ONU ainsi qu’avec d’autres organisationsinternationales intergouvernementales ou non gouvernementales. Le paragraphe 2 estimportant, car il prévoit l’établissement d’une coopération avec ces acteurs, ayant unintérêt scientifique ou technique en Antarctique. En ce qui concernent les premières,des rapports étroits ont été établis au fil des années avec l’Organisation météorologiquemondiale, l’Organisation mondiale de la santé, l’Organisation maritime internationale,l’Union internationale des Télécommunications.

D’autres relations de travail ont été nouées avec le Programme des Nations Uniespour l’environnement, la Commission pour la conservation des ressources biologiquesde l’Antarctique, la Commission océanographique intergouvernementale de l’UNESCO.Toutefois, une place de choix doit être réservée aux Comité scientifique pour les Recherchesantarctiques (CSAR ou plus couramment SCAR), considérée par les Parties contractantescomme une source essentielle d’informations scientifiques et comme un partenaire depremier ordre.

L’article VIII prévoit que le personnel scientifique échangé entre bases ou expéditionsreste soumis à la compétence juridictionnelle de l’Etat d’origine, solution qui reflète une

fois de plus la situation pratiquée pendant l’AGI. L’article IX, paragraphe 1er stipule que larecherche scientifique et la coopération internationale font l’objet de consultations entre lesgouvernements des Parties et peuvent donner lieu à des mesures coordonnées entre eux.

Enfin, l’importance des objectifs de recherche et de coopération scientifique est encoresoulignée par le paragraphe 2 de ce même article. L’intérêt conséquent manifesté par lesParties pour ces activités constitue le critère pour déterminer quelles seront les Parties

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contractives habilitées à participer au mécanisme de consultations établis par le paragraphe

1er. Or, c’est à travers ce mécanisme que le « système antarctique » s’est développé.

Section 2 : Les principes de fonctionnement ; la structure du SystèmeAntarctique.

Le Traité sur l’Antarctique contient également des règles de fonctionnement permettant lamise en œuvre de ses principes, ou « piliers » du système.

Les règles de fonctionnement du système prévus par le Traité contiennent quelquespoints forts, particulièrement originaux pour l’époque, qu’il s’agisse de consultationspériodiques sans institutionnalisation ou des rapports avec les tiers.

C’est bien parce que le nombre de ses membres était au départ très restreint quele Traité a pu être conclu. Il s’est renforcé progressivement par l’adhésion de nombreuxautres Etats. C’est également parce qu’il établit une structure organisationnelle la pluslégère possible et très souple qu’il a permis au système qu’il organise, non seulement defonctionner, mais encore de s’améliorer et de se développer. Le caractère hiérarchisé dusystème n’enlève cependant en rien de sa souplesse.

§ 1 : La zone d’application du TraitéL’article VI qui fixe le champ d’application du Traité ne règle qu’imparfaitement les problèmeset interrogations soulevés au cours de la négociation. Au moins point fort, cependant, fut

clairement tranché : celui de la limite septentrionale. C’est le 60e parallèle de latitude Sudqui a été retenu. Le fait qu’il représente la frontière des secteurs revendiqués (sauf dansle cas de la Norvège et du Royaume-Uni, cf. carte p 50) a été déterminant. Etant donné laformulation de l’article IV relative au statut territorial, il était pratique de s’en tenir à la régionoù cette clause susceptible d’interprétations multiples s’applique naturellement.

On notera d’ailleurs qu’une partie du territoire réclamé par le Royaume-Uni échappe

ainsi à l’emprise du Traité. 58 Sont également exclues du champ d’application un certain

nombre d’îles sub-antarctiques telles que les Malouines, Bouvet, l’île du Prince Edouard,les Kerguelen et Crozet, l’île Heard ou les îles Macquarie et Campbell. En revanche, sont

incluses les Orcades et les Shetland du Sud. Le 60e parallèle a donc à la fois un caractèresymbolique, lié à la question du statut territorial, et un caractère pratique résultant de sasimplicité. Les considérations scientifiques attachées à la Convergence Antarctique, alorsconsidérée comme trop imprécise, ou stratégiques, développées notamment à l’égard desîles entourant le Passage de Drake, n’ont pas été retenues.

Mais à l’intérieur de ce périmètre, il semble qu’il existe au moins un double régimejuridique. L’article VI dispose en effet que « rien ne pourra porter préjudice ou porteratteinte en aucune façon aux droits ou à l’exercice des droits reconnus à tout Etat par ledroit international en ce qui concerne les parties de haute mer se trouvant dans la régiondélimitée. » Une lecture rapide pourrait laisser croire que cette formulation est destinéeà protéger ou à rappeler les droits des Etats tiers dans les parties de haute mer situées

58 C’est celle qui s’étend au-delà du 60e parallèle, dans la partie orientale du secteur, et qui englobe les îles Sandwich et laGéorgie du Sud (cf. première carte).

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au Sud du 60e parallèle. Mais l’article VI va bien au-delà : puisqu’il vise « tout Etat », lesParties au Traité en bénéficient également. Il apporte en fait une limitation conséquenteau champ d’application de l’article Ier ainsi qu’à celui de l’article V pour les Etats qui ne

seraient pas Parties aux conventions sur l’immersion des déchets 59 . Manœuvres navales,expériences nucléaires ou immersion des déchets radioactifs peuvent donc – ou ont pu être– légitimement pratiquées en haute mer, dans la zone du Traité, et dans l’espace aérien

adjacent par certaines parties au Traité. 60

Quant à l’exploitation ou de la protection des ressources, en particulier biologiques, ellen’en est pas moins ambiguë. L’article VI réserverait aussi la liberté de pêche ou de la chasseen haute mer. Les mesures prévues à l’article IX paragraphe 1) concernant la protection etla conservation de la faune et de la flore ne s’appliqueraient par conséquent qu’aux espècesvivant à terre ou près de la côte dans une éventuelle mer territoriale.

§ 2 : Un système hiérarchisé.Certains commentateurs du Traité sur l’Antarctique ont dit qu’il instituait un systèmeinégalitaire, voir, ont dit certains, profondément injuste. Les pays en voie de développementont lancé contre lui des attaques violentes et en ont demandé, soit la disparition, soittout au moins une profonde transformation. Pour nous rendre compte de la portée de cescritiques, il convient d’examiner la hiérarchisation du système à travers ses membres et les« privilèges » que sont octroyées les Puissances consultatives.

A. Les Parties au système.Le Traité de Washington, en 1959, n’avait pas créé une organisation internationale àcaractère universel. Au contraire, les membres du « club Antarctique » sont à l’origineen nombre limité, d’où cette appellation donnée par ses détracteurs pour en indiquer lecaractère fermé.

Au départ, nous l’avons vu, douze Etats participèrent aux négociations, signèrent etratifièrent le Traité. Ce sont des pays particulièrement intéressés au continent antarctique,soit parce qu’ils y ont des prétentions territoriales, soit en raison de l’intérêt hautementstratégique du continent.

Mais le Traité reste largement ouvert à l’adhésion d’autres Etats. Depuis 1959, trente-six pays l’ont ainsi ratifié. Cette adhésion est inconditionnelle pour les pays membres del’ONU. Elle prend compte en effet dès le jour du dépôt de l’instrument d’adhésion auprès dugouvernement de l’Etat dépositaire, soit les Etats-Unis. La Pologne fut ainsi le premier paysnon signataire à y adhérer, avant même l’entrée en vigueur du Traité en 1961, de sorte que,dès cet instant, le système a fonctionné sur la base de treize Etats Parties.

Concernant les Etats non membres de l’ONU, ce qui demeure l’exception, leur adhésionne peut se faire que sur invitation des Parties contractantes habilitées à participer aux« réunions consultatives » dont il sera question ultérieurement. En effet, le Traité, aux termesdes paragraphes 1 et 2 de l’article IX, définit deux catégories de membres : les puissancesconsultatives et les autres, non consultatives.

59 Et 3 B.W BUSH, Antarctica and international law. A collection of international state and national documents, 3 vol, Ed.Oceana Publications, Inc. Dobbs-Ferr, 1982. P 67

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Les puissances consultatives : sont à l’origine au nombre de douze.Au terme du paragraphe 1, ce sont celles indiquées dans le préambule du Traité, soit cellesqui ont participé à sa rédaction et l’ont ratifié, avec toujours cette distinction entre les septpuissances Possessionnées et les cinq autres, celles « intéressées » par le Continent,réservant ou non leurs droits. La différence peut paraître inutile – l’article IV ayant « gelé »les prétentions territoriales sur l’Antarctique – mais on verra que la solution n’est pas aussisimple qu’on pourrait le croire, notamment dans l’éventualité d’une future exploitation desressources minérales du continent.

A cette première catégorie, il faut ajouter les « Parties contractantes ayant adhéré auTraité, aussi longtemps qu’elles démontreront l’intérêt qu’elles portent à l’Antarctique en ymenant des activités substantielles de recherche scientifique, telles l’établissement d’une

base ou l’envoi d’une expédition. » (paragraphe 2) 61 . « Elle est liée à la démonstration

matérielle et onéreuse de leur intérêt scientifique pour le 6e continent. » (J. Couratier, 1991,p 109). C’est le cas aujourd’hui de seize Etats, parmi lesquels la Pologne (1977), Brésil et

Inde (1983), Chine et Uruguay (1985), Bulgarie (1998)… 62 Le dernier Etat à être devenuPartie consultative fut l’Ukraine en 2004, qui avait adhéré au Traité douze ans plus tôt. Autotal, on compte aujourd’hui 28 Puissances consultatives.

Les puissances non-consultatives :Quant aux Etats ayant adhéré au Traité mais qui ne sont pas puissances consultatives, ilssont actuellement vingt. Ils proviennent de tous les continents, sauf de l’Afrique et du Mondearabe. Les Etats d’Amérique Latine ont rapidement vu dans l’Antarctique le prolongementnaturel de leur continent, et Canada (1988), Cuba (1984), Colombie (1989) ou Equateur(1990), ont adhéré au Traité. Les pays européens occidentaux furent bien plus tardifs (Italieen 1987, Pays-Bas en 1990) tandis que, du temps de la Guerre froide, la totalité desdémocraties populaires (Bulgarie, Roumanie, Hongrie…) l’avaient ratifié, emboitant le pasà la Pologne, et soucieuses de pouvoir apporter, si nécessaire, leur soutien au « grand frèresoviétique » lors des réunions. En Océanie, seule la Papouasie-Nouvelle-Guinée (1981)

s’est pour l’instant placée sous l’emprise du Traité. 63 Les deux derniers pays à l’avoir

rejoint sont la Biélorussie en 2006 et la Principauté de Monaco en 2008.61 Ces dispositions ont fait dire du Traité qu’il était profondément inégalitaire. En effet, il établit une distinction entre les

signataires du Traité et ceux qui y ont adhéré ultérieurement. Les premiers participent de droit aux réunions consultatives, même s’ilsn’ont aucune activité scientifique particulière ; les seconds doivent, non seulement mener des activités scientifiques de manière suivie,mais faire devant les premiers la preuve que ces activités soient substantielles et permanentes selon l’esprit du Traité, mais égalementemporter leur conviction et leur décision de les admettre comme Parties consultatives. Cette inégalité de droit sera confirmée par lapratique. Certains Etats (Norvège, Belgique), dont l’activité scientifique a parfois sensiblement ralenti au cours des années suivant lasignature du Traité, n’en ont pas moins participé à part entière à toutes les réunions consultatives tenues depuis 1961. On notera ainsiqu’il a fallu attendre 1977 avant qu’une autre puissance consultative ne soit admise… soit presque vingt ans. Bien plus, il résulte dela pratique que l’intérêt tangible ainsi manifesté par une Partie adhérente doit faire l’objet d’une constatation unanime de la part desEtats représentés aux Réunions consultatives pour que la voie soit ouverte à une participation pleine et entière à ces réunions.

62 Cf : en annexe, la liste complète des puissances consultatives et non consultatives du Traité sur l’Antarctique, avec leurdate de ratification et de leur élévation au premier statut. Les 21 autres puissances consultatives ne revendiquant pas de secteur enAntarctique ne reconnaissent aucune des prétentions des sept Possessionnés.63 De même, se référer à l’annexe consacrée afin de trouver une liste de toutes les puissances non consultatives et leur dated’adhésion au Traité sur l’Antarctique.

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B. Les « privilèges » des Parties consultatives. 64

Le système organisationnel est resté simple et souple, ce qui permet d’en limiter le coût.Le Traité de Washington n’avait en effet créé, au départ, aucune structure permanente65 , aucune organisation internationale, puisqu’il se contentait, et continue de, mettre enplace des réunions périodiques ordinaires, organisées alternativement par chacune despuissances dites consultatives, et des réunions extraordinaires auxquelles sont invitéestoutes les parties intéressées. De même, il crée un mécanisme d’observation des principesdu système, dénommée, à tort selon Alain Gandolfi, d’« inspection internationale. » c’estpourtant sous ce qualificatif que nous l’étudierons.

Les réunions consultatives.L’article IX du Traité pose les bases juridiques des Réunions Consultatives, préciseleurs compétences et les modalités de l’entrée en vigueur des recommandations qu’ellesformulent. Après presque 50 ans de travail, il apparaît comme « l’élément dynamique duTraité » : en effet, il en a assuré le développement et en a maintenu « l’esprit ». Le Traitéde Washington écarte en effet tout affrontement et recherche toujours le compromis afinde tenir compte des vues et des intérêts de toutes les parties dans le souci constant decomprendre les positions parfois divergentes des délégations.

Les réunions consultatives ordinaires sont l’organe principal de coopération entre lesParties au Traité de Washington. Elles constituent une sorte de « directoire » restreintde la « communauté antarctique ». Par crainte d’un début d’internationalisation, touteidée d’établir une organisation avait été repoussée par les Possessionnés les plusintransigeants. Néanmoins, les deux grandes nouveautés du Traité (démilitarisation etcoopération scientifique continue) militaient en faveur de l’établissement des consultations,au moins périodiques, entre les Parties afin d’assurer que ses objectifs seraient bienpoursuivis sans problème. Cette préoccupation est reflétée par l’article IX. Son paragraphe

1er prévoit que les signataires se réuniront dans les deux mois de l’entrée en vigueur duTraité, puis à des « lieux et intervalles appropriées » et « en vue d’échanger des informations,de se consulter sur des sujets d’intérêt commun concernant l’Antarctique, d’étudier, deformuler et de recommander à leurs gouvernements des mesures destinées à assurer le

64 Rappelons que ce principe de deux catégories d’Etats membres n’est pas propre au seul Traité sur l’Antarctique et

se retrouve dans d’autres accords et dans la pratique de nombreuses organisations internationales, y compris certaines

appartenant ay système des Nations Unies : c’est la place privilégiée et prépondérante de certains Etats membres au sein

d’un organe restreint. Ainsi le Conseil de Sécurité de l’ONU, où les « Cinq grands » sont membres permanents avec un

droit de véto, outils indispensables de leur prérogative de maintien de la paix dans le monde.65 Jusqu’en septembre 2004, date à laquelle fut créé le « Secrétariat du Traité sur l’Antarctique », basé à Buenos Aires. Sous ladirection de la Réunion Consultative, le Secrétariat exécute les tâches énoncées dans la mesure 1 (2003), qui peuvent être résuméescomme suit : Appuyer la Réunion consultative annuelle du Traité sur l’Antarctique et la réunion du Comité pour la protection del’environnement (CPE) Faciliter l’échange d’informations entre les Parties comme le requièrent le Traité et le Protocole relatif à laprotection de l’environnement Collecter, stocker, archiver et mettre à disposition les documents de la RCTA Fournir et diffuser desinformations sur le système du Traité sur l’Antarctique et les activités menées dans l’Antarctique, en Argentine. (source : site internetdu secrétariat : http://www.ats.aq/ )

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respect des principes et la poursuite des objectifs du Traité. » 66 Suit alors une listenon exhaustive de sujets qui peuvent l’objet de ces consultations. Y figurent bien sûr lesutilisations pacifiques du Continent – ce qui peut virtuellement recouvrir toute activité – et larecherche scientifique. Cependant ces discussions peuvent également porter sur l’exercicedes droits d’inspection, la juridiction ou la protection de la faune et la flore (alinéas d, eet f). Le but de ces réunions est d’intensifier la coopération internationale, la coordination,l’échange de données d’expérience et d’accélérer l’élaboration d’accords ultérieurs tendantà protéger le milieu naturel du continent.

Cet article est d’une suprême importance puisque c’est lui qui crée le cadre d’unecoopération intergouvernementale continue, sans institutionnalisation, jusqu’en 2004. (cf :note 3 p80)

Ces recommandations sont adoptées par consensus et ne sont considérées commeapplicables que lorsqu’elles ont fait l’objet d’une approbation unanime de la part desPuissances consultatives. Elles deviennent alors des dispositions réglementaires quidéveloppent et complètent celles des articles du Traité. Ce principe du consensus est trèsimportant car il signifie qu’aucune grande décision ne peut être prise qui soit contraireaux intérêts d’une des Parties. Outre qu’il en résulte un climat positif pour l’examen desdifférentes questions, cela garantit des recommandations équilibrées tenant compte del’opinion de tous les Etats participants.

Le système antarctique ne traduit pas un univers clos. La répartition de ses membresen deux catégories ne fait qu’exprimer le rôle directeur des puissances qui effectuentd’importantes recherches dans la région et sont ainsi en mesure de contribuer utilementà son devenir, tout en respectant l’esprit du Traité. « L’accession au statut de puissanceconsultative n’est pas source de profits mais d’obligations et de responsabilités. » (Gandolfi)

L’inspection.Une réglementation sans contrôle semble souvent vouée à rester lettre morte. C’estpourquoi l’inspection internationale de l’Antarctique est un rouage essentiel pourl’application du Traité et la réalisation de ses objectifs. Elle pourrait avoir un rôleplus important encore avec le développement du système antarctique, sans que leProtocole de Madrid dans son application ait, pour l’instant, modifié substantiellement sonfonctionnement. Dans l’optique du Traité de Washington en effet, l’inspection sert le principede l’utilisation pacifique du continent antarctique.

On peut se demander tout d’abord comment les Parties au Traité ont pu accepter ainsil’idée d’une telle inspection, quant on sait le climat de méfiance et de guerre froide qui régnaità l’époque. Dans un rapport sur l’Antarctique en 1976, le secrétaire général de l’ONU asouligné la valeur d’exemple de ce système d’inspection par rapport au problème du contrôledes armements. Il semble bien en effet que, dans l’esprit des Parties, le rôle essentiel del’inspection mutuelle ait été au départ de veiller à une non-militarisation du continent.

A la volonté des Etats-Unis, qui avaient fait de ce principe une condition indispensableà la conclusion du Traité, s’opposait la grande réticence de l’URSS à l’égard de toutelimitation de souveraineté. L’inspection internationale est en effet difficilement compatible

66 Ainsi, la première « Réunion consultative du Traité sur l’Antarctique » (RCTA) ou en anglais, « Antarctic Treaty ConsultativeMeeting » (ATCM), s’est déroulée à Canberra, en Australie, du 10 au 24 juillet 1961. Trente-et-une autres ont suivis depuis, un peupartout dans le monde, la plus récente ayant eu lieu à Baltimore (Etats-Unis) du 6 au 17 avril 2009. La prochaine réunion est prévuepour mai 2010 à Punta del Este, en Uruguay.

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avec l’exercice de souveraineté, et les négociations faillirent bloquer sur ce point. Or le« gel » consacré des prétentions territoriales enleva les obstacles en ce domaine : lesréticences de l’Union Soviétique sont alors tombées ; quant aux Etats possessionnés,ils avaient déjà accepté en 1939 le principe du survol réciproque de leurs « territoires »antarctiques… Un refus du principe d’inspection eût été alors bien inapproprié.

D’autres éléments favorables ont aidé à la conclusion du Traité, notamment ledéroulement heureux de l’AGI ainsi que l’absence de références dans le Traité àl’exploitation des ressources. Rien ne s’opposait donc plus à ce que le Traité établît leprincipe de l’inspection.

On peut cependant s’interroger sur la véritable nature de l’inspection établie par leTraité. Certes, il a été dit qu’une réglementation sans réel contrôle n’a que bien peu dechances d’aboutir. Mais ici le système du contrôle repose sur la collaboration et la confianceentre les Parties ainsi que sur la réciprocité de leur prérogative. (J. Couratier)

L’inspection est nationale par ses agents mais de dimension internationale par saprocédure et son objectif. Des discussions serrées ont eu lieu lors des négociations. LesEtats-Unis tenaient à un contrôle national avec désignation par chaque Etat de ses propresinspecteurs ; la France et la Grande-Bretagne à un contrôle international qui aurait permis,avec la participation des petits Etats, une atténuation du « monopole » des seules grandesou moyennes puissances. Elles y ont finalement renoncé. En raison de la difficulté desproblèmes qu’il posait, le délégué français déclara accepter que des formes simplifiéessoient appliquées « pour le moment », mais estimait que l’on devrait un jour y substituer « uncontrôle international spécial dans le cadre d’une organisation mondiale du désarmement. »67

Le contrôle établi par le Traité est donc national parce que chaque Etat qui désirel’exercer choisit ses propres inspecteurs d’une manière discrétionnaire, sans avoir àsolliciter une quelconque autorisation. Et ceux-ci sont soumis directement à la juridiction del’Etat dont ils sont les nationaux.

Mais le système est quand même en partie internationalisé. On a dit qu’il étaitinégalitaire. Ceci n’est pas vraiment exact. Le Traité n’a pas créé un « club des grandespuissances ». Si le privilège d’inspecter est réservé aux Parties Consultatives, il est tout àfait possible pour tout Etat partie au Traité d’accéder au statut consultatif – avec toutefoisla difficulté que l’on connaît – et par conséquent de pouvoir procéder à des inspections. Ona également dit qu’il portait la marque de l’inégalité scientifique et technologique entre lesParties, mais il n’y a rien de comparable avec le traité de dénucléarisation ; qu’il y avait mêmeinégalité entre les Etats prévalant eux-mêmes, mais il ne s’agit que d’une inégalité de fait,liée aux obstacles financiers et techniques et qui peut facilement être surmontée si plusieurspays se groupent pour conduire en commun une inspection, ce qui n’est nullement interdit(le Royaume-Uni et l’Australie ont d’ailleurs procédé ainsi à de nombreuses reprises.)

Le système d’inspection est en partie international, d’abord par la notification aux autresEtats, de la part des Puissances inspectrices, de la nomination des inspecteurs et de leurcessation de fonctions. Il l’est également par son objet très large : l’inspection a un caractèreglobal ; elle peut porter sur toutes les activités qui ont lieu dans l’Antarctique, quelles quesoient les régions dans lesquelles elles se déroulent et quels qu’en soient les auteurs. Elle

67 Cette revendication, qui n’a jamais aboutie, fut pourtant reprise dans les années 1970 et 1980 lors de la contestation du« système antarctique » par certains pays en voie de développement, demandant que le continent soit placé sous administrationde l’ONU.

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peut porter sur les installations et les activités des Etats possessionnés ou non, puissancesconsultatives ou non consultatives.

Son champ d’observation est très vaste et le Traité précise que « toutes les zonesde l’Antarctique, stations comprises avec leurs installations et équipements […] ainsi quetous les navires et aéronefs aux points de chargement et de déchargement du frêt et dupersonnel en Antarctique doivent être ouverts en tous temps à l’inspection. » Le Traitéprévoit également la possibilité d’inspections aériennes « sur une ou toute région del’Antarctique. »

Enfin, il est facile de constater que cette inspection, quoique informelle, et contrairementà ce qu’on peut retrouver dans d’autres traités qui ont créé une inspection internationale,s’est révélée efficace, et dissuasive, d’ailleurs plus politiquement que techniquement.

Il faut aussi rappeler qu’aucune procédure particulière n’a été prévue, ni par le Traité,ni par les recommandations issues des Réunions consultatives. Aucun compte rendu n’aà être fait devant celle-ci, ne serait-ce que pour signaler que la mission s’est dérouléesans incident, mais l’usage s’est établi que les rapports d’inspection soient transmis auxreprésentants des Parties consultatives.

D’ailleurs, les pouvoirs d’inspection sont limités. C’est justement pourquoi que le Traitéévite d’utiliser le terme « d’inspecteurs » et qu’il préfère employer celui, plus modeste,« d’observateurs. » Leur seule mission, à l’exclusion de toute enquête, de tout pouvoird’injonction ou de mise en garde, se limite en réalité à l’observation, sans appréciation oucritique, des faits dont ils pourront avoir connaissance à seule fin d’en dresser rapport àleurs gouvernements respectifs.

L’Inspection a donc un but plutôt dissuasif que de sanction. C’est à l’Etat « inspecteur »que revient de faire, si nécessaire, les actions diplomatiques qui conviennent en cas demanquement constaté aux obligations du Traité. En cas d’incident ou de violation du traité,ou des recommandations des réunions consultatives, aucune disposition particulière n’apourtant été prévue, et on peut penser que les Parties en conflit devront avoir recours auxmodes de règlement pacifiques des différends prévus par le Traité.

L’amorce de « publicité » qui s’instaure petit à petit permet de prendre à témoin l’opinionpublique internationale du respect, ou de la violation, du Traité par un Etat. L’inspectionpermet ainsi d’assurer un contrôle efficace des Etats parties au Traité. Elle rend possibleun échange d’informations qui, sans elle, pourrait demeurer secrètes, et elle donne toute savaleur aux principes de non-militarisation et de non-nucléarisation de l’Antarctique. Enfin,elle a valeur d’exemple car c’est la première fois, concrètement, qu’un contrôle internationalde non-militarisation est ainsi confié directement aux Etats.

Aucune des nombreuses inspections effectuées jusqu’à ce jour n’a relevé de violationdu Statut de l’Antarctique. Ce sont les Etats-Unis qui, jusqu’ici, ont le plus souvent usé deleur droit d’inspection (une soixantaine de fois depuis 1964 : quatorze fois dans des stationsrusses, dont trois fois dans la même base de Bellingshausen). Les Etats se sont d’ailleurstoujours pliés de bonne grâce à ce contrôle, et les observateurs ont été « chaleureusementaccueillis dans chacune des stations visitées, sans exception […] et il ne faisait aucun douteque chacune d’entre elle respectait à la lettre le Traité sur l’Antarctique en se concentrantà des recherches purement pacifiques » rapporte ainsi un observateur français aprèsavoir visité une base australienne. En revanche, les autres Nations antarctiques n’ont pasbeaucoup utilisé leur droit d’inspection : ainsi l’Argentine deux fois, le Royaume-Uni etl’Australie, ensemble, une seule fois et, cela peut paraitre surprenant, les Russes jamais ;mais il est évident qu’ils ont pu contrôler le fonctionnement des stations des autres pays à

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travers les « visites amicales » effectuées dans le cadre de programmes d’échange prévuspar le Traité. (Cailleux, 1967)

En résumé, l’inspection internationale concrétise l’ouverture du Traité, dans sonorganisation et dans la souplesse de participation. D’autre part, elle assure le respect, strict,du Traité par des procédures souples. Elle apparaît donc comme un des éléments essentielsdu Statut de l’Antarctique.

Si, comme les Réunions consultatives, elle est l’apanage d’un nombre limité d’Etats,il ne semble pas que ces Etats fassent de ces « privilèges » un usage abusif. D’ailleurs lesystème antarctique, s’il est hiérarchisé, se caractérise en même temps par sa souplesse.

§ 3 : Un système souple.On a parfois critiqué la rigidité du système antarctique… En réalité, celui-ci se manifestepar son caractère largement ouvert et évolutif.

A. Son caractère ouvert.Le Traité, contrairement aux critiques formulées contre lui par certains pays (le « clubdes 77 » dans les années 1970), n’est pas resté « fermé » très longtemps. Au contraire,l’adhésion est facile, et l’admission au statut consultatif est moins rigide qu’il le fut pendantles premières années de fonctionnement, et les Réunions consultatives sont désormaislargement ouvertes, contrairement à l’hermétisme des débuts. Enfin, il institue tout unréseau de procédures de règlements pacifiques des différends qui pourraient intervenirentre les Parties.

L’adhésion.Le Traité, dans son article XII, stipule « qu’il restera ouvert à l’adhésion de tout Etatmembre des Nations Unies » – cette adhésion étant alors inconditionnelle, dès le dépôtde l’instrument d’adhésion auprès du gouvernement des Etats-Unis d’Amérique – « ou detout autre qui pourrait être invité à y adhérer avec le consentement de toutes les Partiescontractantes dont les représentants sont habilités à participer aux réunions mentionnéesà l’article IX du Traité », c’est-à-dire aux Réunions consultatives. En effet, on sait que lepréambule déclare que le Traité a été signé dans l’intérêt de l’humanité tout entière.

Les parties non consultatives ont été invitées, dès la 12e session, à participeraux travaux des Réunions consultatives, à titre d’observateurs. Ont également étéinvité les organisations internationales intéressées à assister aux réunions ordinaireset extraordinaires, ainsi qu’aux négociations sur l’élaboration du régime des ressourcesminérales ou du régime sur la conservation de la faune et de la flore marines.

On ne connaît pour l’instant aucun exemple d’un pays qui ait voulu adhérer au Traité

et qui s’en soit vu refusé l’accès. 68 Beaucoup de pays sont encore aujourd’hui en dehors

du système antarctique (Seulement 46 sont Parties au Traité, moins encore pour les

68 Du temps de la Guerre froide, comme pour les autres organisations internationales, l’adhésion / admission d’un nouvelEtat suivait une logique de « un puis un », soit l’entrée d’un pays du camp occidental, rapidement suivie par celle d’un pays du clansocialiste. Ainsi la Corée du Sud a adhéré au Traité en novembre 1986, suivie deux mois après de la Corée du Nord. De même, laRDA était devenue puissance consultative en 1987, six ans après la RFA.

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conventions, cf. annexes) mais cela résulte soit de leur indifférence, soit de leur opposition

à son égard. 69

L’élévation au rang de puissance consultative.Certes, les conditions d’admissions à ce statut sont sans doute difficile à remplir, surtout pourdes pays en voie de développement, car la recherche scientifique dans la région coûte trèschère et nécessite des moyens technologiques élaborés et coûteux également. En 1989, lescandidatures de l’Equateur et des Pays-Bas avaient ainsi été ajournées. Tel que l’écrit AlainGandolfi : « admettre sans condition tous les Etats adhérents aux réunions consultativesaboutirait sans dont à déterminer l’afflux de nouvelles adhésions au Traité, mais aussi àentrainer la paralysie de l’institution souple qui depuis [50] ans, assume la responsabilité dela mise en œuvre du Traité et de son évolution. » (1989, p 50).

Enfin, un différent grave entre deux Etats Parties ne saurait non plus conduire àl’exclusion de l’un d’entre eux, ce qui d’ailleurs risquerait d’ailleurs d’ôter toute efficacité auTraité. L’article XI stipule « qu’en cas de différend relatif à l’application ou à l’interprétationdu Traité, les parties en cause se consulteront pour tenter de régler ce différend parl’un des moyens variés qu’offre le droit international à cette égard : négociation enquête,médiation, conciliation, arbitrage, règlement judiciaire ou par tout autre moyen pacifique deleur choix. », ou faute de règlement, recours à la Cour internationale de Justice.

B. Son caractère évolutif.Le Traité de Washington est un traité cadre, c’est-à-dire qu’il ne pouvait que poser certainsprincipes et en déterminer la procédure destinée à les mettre en œuvre et à les développer.De plus, il prévoit lui-même à la modification de ses propres principes et mécanismes parune procédure de révision et d’amendement.

La mise en œuvre et le dépassement du Traité.Le Traité sur l’Antarctique est un traité cadre d’où naît un droit dérivé à travers lesrecommandations adoptées par les Réunions consultatives. Mais les Parties elles-mêmes,en concluant des conventions particulières qui intègrent les principales dispositions du Traitéet en élargissent le sens, rendent le système encore plus solide, avec le risque toutefoisd’en accroître sa complexité.

Les recommandations assurent la mise en œuvre du Traité ; elles traduisent une sortede pouvoir réglementaire d’application, mais d’une nature spéciale, puisque, adoptées parconsensus, elles doivent pour être applicables, faire l’objet d’une approbation unanime desgouvernements des puissances consultatives, sous la forme d’une loi interne ou d’un décret.

Au début, les recommandations étaient un peu insuffisante, par excès de prudenceet de timidité, puisqu’elles édictaient certaines dispositions seulement « dans la mesurecompatible avec les législations nationales.» Mais en 1964, une évolution s’est produitevers l’adoption de mesures plus nettes avec un appel lancé aux Parties pour modifier leurslégislations nationales. De plus, les recommandations ne se limitent plus à développer desdispositions explicites du Traité, mais à en interpréter l’esprit, comme en atteste toutes les

69 Les pays ouvertement opposés au système antarctique ne sont plus aujourd’hui qu’une petite poignée, parmi lesquelsl’Arabie Saoudite. A l’inverse, Inde, Brésil ou Chine, pourtant longtemps partisans farouches d’une internationalisation du continentsous égide de l’ONU, ont finalement adhéré au Traité dans les années 1980. Le Protocole de Madrid en 1991, consacrant l’Antarctique« à la paix et à la science » a beaucoup joué dans l’acceptation de ce système, puisqu’il en démontrait l’efficacité.

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mesures de protection de l’environnement. Au total, ont été adoptées depuis 1961 plusde 210 recommandations qui touchent essentiellement à la protection de l’environnement(48), à l’utilisation de l’Antarctique à des fins directement scientifiques (26), la coopérationinternationale et au fonctionnement même du Traité et des réunions consultatives (12), àla logistique et aux transports (7)… La réglementation ainsi adoptée a abordé, de plus, desdomaines aussi divers que le tourisme et ses conséquences, les sites et « monumentshistoriques » du continent (tels que les anciennes stations baleinières ou les stèlescommémoratives), la météorologie, la sécurité aérienne, l’assistance en cas d’urgence,voire, notamment pour les Etats possessionnées, la philatélie.

Mais les recommandations ne constituent pas seulement des développements aposteriori des dispositions du Traité. Parfois elles sont à l’origine de nouvelles conventionsqui constituent un dépassement du Traité.

Les conventions (voir plus loin, Section 3 p 91). Deux ont été adoptées tandisqu’une troisième fut abandonnée.

Les modifications du Traité et des conventions.Le droit que les Parties édictent à l’intérieur de la zone du Traité, crée, sous certainesréserves, des obligations pour les Tiers aussi bien que pour elles-mêmes. Mais ce droitdoit tenir compte des conditions qui président à son établissement ; il doit aussi pouvoirs’adapter à l’évolution de ces conditions.

Les Parties ont donc inscrit dans le Traité des dispositions assez souples pour pouvoirtenir compte à la fois du caractère indéfini de sa durée et de la possibilité de le faire évoluer.

Amendement. L’article XII du Traité précise qu’il peut être modifié ou amendé à toutmoment, par accord unanime entre les Parties consultatives : la modification entrera envigueur à leur égard après qu’elles l’auront toutes ratifiée. Mais il n’en sera de même àl’égard de toute autre Partie qu’après qu’elle l’ait elle-même ratifiée. Si elle ne l’a pas faitdans les deux ans, elle sera supposée avoir cessée d’être Partie au Traité. Ainsi un Etatnon consultatif ne saurait s’opposer à l’évolution du Traité dans le sens voulu par l’ensembledes Parties consultatives : c’est là encore une marque du caractère inégalitaire du Traité,mais qui est habituellement défendu puisqu’il va dans le sens de sa nécessaire évolution,dans l’intérêt de l’humanité. Il faut toutefois noter que, en sens inverse, l’opposition d’uneseule partie consultative à un amendement empêche son adoption, et qu’une Partie nonconsultative ne sauraitformuler, seule, un projet d’amendement.

Les conventions de Londres et de Canberra (voir ci-après) peuvent être amendées àtout moment, à la demande d’un tiers des Parties contractantes (celle de Londres) ou d’untiers de la commission (celle de Canberra). Les dispositions concernant la ratification et leretrait des membres n’ayant pas ratifié sont sensiblement les mêmes que dans le Traité, àl’exception des amendements à l’annexe de la convention.

Révisions. Le Traité évoque la possibilité d’une révision générale. Rappelons quece dernier a été conclu pour une durée indéfinie, et une telle révision - parfois réclaméepar certaines Parties – pourrait s’avérer souhaitable en cas de changement profond decirconstances.

Le Traité sur l’Antarctique comporte une clause dite « des trente ans ». Au terme dece délai, soit depuis le 23 juin 1991, chaque Partie peut demander la convocation d’uneconférence de toutes les Parties, consultatives ou non, « en vue de revoir le fonctionnementdu Traité. » Cette révision devra être approuvée à la majorité des participants, y compris

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des Parties consultatives, et ratifiée, comme pour les amendements particuliers, par toutesles Parties consultatives dans un délai de deux ans. Dans le cas contraire, à l’expiration dudélai, toute Partie pourra quitter le Traité moyennant un préavis de deux ans.

Le Traité de Washington a donc prévu, en même temps que son évolution, unesouplesse et des garanties suffisantes pour qu’il ne soit pas inconsidérément remis encause. Il évoque à cet égard la Charte de l’ONU et la possibilité de sa révision après dix ans.

Deux points majeurs doivent être soulignés. Tout d’abord, depuis l’expiration du délaide trente ans, aucune – et c’est très important – Partie au Traité n’a publiquement fait partde son désir ou de son ambition à le modifier. Aucune discussion, même informelle, en cesens n’a d’ailleurs eu lieu lors des réunions consultatives. Le sujet n’a pas non plus étéabordé à l’ONU. Cela peut être interprété comme une victoire du Traité sur l’Antarctique,malgré ses nombreux détracteurs, ou du moins une acceptation de ce dernier de la partde la communauté internationale, comme meilleur instrument de la préservation pacifique

du sixième continent puisque ayant prouvé son efficacité. 70 Deuxièmement, le Protocole

de Madrid, signé le 14 octobre 1991, interdisant toute activité autre que scientifique dansla région, avec un moratoire de 50 ans sur les activités minières et industrielles, a prouvéle dynamisme et l’efficacité du « système antarctique » ainsi que ses bonnes intentions,

renvoyant de fait la possible modification du Traité de 1959 à une date bien ultérieure 71 .

Section 3 : Les conventionsEn plus des très nombreuses recommandations, l’activité des Parties consultatives adébouché sur deux importantes conventions dans le but de préserver les « ressourcesvivantes » du continent.

Les recommandations n’ont une force obligatoire qu’entre les Parties consultatives liéesentre elles par le Traité sur l’Antarctique. On ne peut en effet en aucune façon invoquer àleur égard un quelconque caractère objectif qui, à l’instar de certains principes du Traité,seraient opposables à tout membre de la communauté internationale. La règle de la res

inter alios acta 72 ne peut être contournée.

Cet inconvénient se révéla à l’évidence concernant la protection de l’environnementqui apparut, au fil du temps, domaine où l’intervention du « Club » se fait la plus fréquente.Avec le développement du tourisme antarctique, le risque d’effets dommageables pour unenvironnement très fragile étant grand. L’augmentation constante des activités scientifiqueset de la présence des ressortissants des Etats membres du club antarctique n’était d’ailleurspas moins préoccupante de ce point de vue.

C’est pour remédier à cet état de fait que les Parties Consultatives décidèrent derecourir à la procédure conventionnelle, tout en prévoyant une ouverture aussi large quepossible à tous les utilisateurs potentiels de l’Antarctique. Ce mécanisme a été utilisé, dansl’ordre, pour la protection des phoques de l’Antarctique, puis pour la conservation de la

70 En témoignent ainsi l’adhésion du Guatemala en 1991, de l’Ukraine en 1992, de la Turquie en 1996, du Venezuela en 1999,de l’Estonie en 2001…

71 Même si l’adoption du Protocole de Madrid sur l’environnement en Antarctique ne constitue pas en soi une reconductiondu Traité sur l’Antarctique…

72 « Ce qui a été conclu entre certaines personnes ne profite ni ne nuit aux tiers. »

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faune et de la flore marines, puis pour le régime minier (nous reviendrons sur ce point) etsous une forme particulière pour la protection globale de l’environnement antarctique.

§ 1 : Une « quasi-convention » : les Mesures Convenues sur la conservationde la faune et de la flore antarctiques (2 juin 1964)73.Ces mesures, où figurent un préambule contenant des objectifs, une série d’articlescontenant des clauses opérationnelles et des « clauses finales », se présentent comme uneconvention, bien qu’elles n’en soient pas une au sens exact du terme.

Le champ d’application est a priori identique à celui du Traité de Washington (au sud

du 60e de latitude). Cependant l’article VII introduit un élément nouveau. Le paragraphe3 demande aux gouvernements de prendre « toute mesure raisonnable afin de réduirela pollution des eaux adjacentes à la côte et aux plate-formes glaciaires. » Bien que detelles mesures puissent couvrir des activités entreprises à terre, elles peuvent égalements’appliquer aux activités polluantes des navires croisant près des côtes. Il y adonc là, soitune exception au principe de respect des libertés de la haute mer, pourtant rappelé à l’articleIer paragraphe 2, soit l’affirmation que ces zones maritimes côtières ne sont pas de la hautemer.

La « convention » concerne la protection des mammifères et des oiseaux ainsi que lavégétation indigènes à l’Antarctique, ou bien s’y trouvant de façon occasionnelle lorsquele Sixième continent fait partie de leur « aire naturelle de distribution » (articles II, VI, IX).Les cétacés sont exclus car protégés par la Convention de 1946 sur la réglementation de lachasse à la baleine (article II). La référence aux « aires naturelles de distribution » s’appliqueaux espèces migratrices qui séjournent à un moment ou un autre en Antarctique. Etantdonné la rédaction de l’Article Ier, seules les espèces terrestres sont visées par ces mesures.

La protection est différente selon qu’il s’agit de la faune ou de la flore. En ce quiconcerne la première, il est interdit de « tuer, blesser, capturer ou harasser aucune espècesauf lorsqu’un permis autorise spécifiquement une telle capture » (article VI). En outre, lesgouvernements sont tenus de prendre des mesures pour « réduire la gêne engendrée parles activités de leurs ressortissants pour les animaux évoluant dans la zone » (article VII).

La flore est protégée sur tout le continent à travers l’interdiction d’introduire des espècesétrangères (article IX) à l’exception des cas où un permis déroge à cette interdiction.

Il est créé des « Zones Spécialement Protégées » à l’intérieur desquelles une protectionaccrue est assurée. Nulle plante, nulle espèces végétale ne peut y être prélevée sauf, làencore, après délivrance d’un permis. Les véhicules à moteur n’y sont pas autorisés (articleVIII).

Les gouvernements participant sont tenus de déployer des « efforts appropriés » pourque les tiers n’agissent pas de façon contraire aux objectifs de protection qu’incarnent cesMesures Convenues (articles X et XI). Ils doivent également se tenir mutuellement informésdes mesures qu’ils prennent pour appliquer ces Mesures et se transmettre la liste des permisaccordés et des données recueillies par eux sur la faune antarctique.

Ces Mesures ne peuvent être amendées qu’à l’unanimité des Parties Consultatives(article XIV).

Conscientes des limites de cet instrument juridique résultant du cercle trop restreintd’Etats auxquels elles s’adressent pour leur application, les Parties Consultatives décidèrent

73 Elles sont entrées en vigueur le 1er novembre 1982.

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alors d’ouvrir aux autres Parties au Traité la possibilité d’y « adhérer » par notification deleur acceptation de ces Mesures (article XIII, paragraphe 2).

§ 2 : La Convention sur la protection des phoques de l’Antarctique (1 er

juin 1972) 74 .

La possibilité d’une reprise à l’échelle commerciale de la chasse aux phoques en Antarctiquefit son retour dès 1964. A cette date, les activités de recherche entreprises par la Norvègeconduisirent à la conclusion que les stocks pourraient supporter sans difficultés une reprisede la chasse industrielle, pourtant suspendue au début du siècle. Afin d’écarter toutemenace de disparition de certaines espèces, les Parties Consultatives décidèrent doncde mettre sur pied un régime de protection avant le développement de la chasse àgrande échelle qui, semblait imminent. Les Mesures Convenues, couvraient seulement lecontinent et les plate-formes glaciaires, laissaient les phoques – qui vivent essentiellementdans l’eau ou sur la banquise – démunis de toute protection juridique. Il importait doncd’établir un outil juridique distinct visant à leur situation propre. Les Parties Consultatives,soucieuses d’obtenir l’adhésion des nations exploitantes potentielles, envisagèrent laconclusion contenant une clause d’adhésion plutôt que le recours à des Mesures Convenussous la forme de recommandation.

Le S.C.A.R. (« scientific committee on Antarctic research »), comme dans le cas desMesures Convenues, avait déjà préparé un « code de conduite » intérimaire à observer pourla chasse aux phoques. Ses dispositions furent adoptées lors de la IVe réunion consultativeen 1966. Un projet de convention, s’inspirant des principes proposés par le SCAR, fut

ensuite étudié lors de la Ve Réunion Consultative en 1968. Cependant, ce n’est que le 1er

juin 1972, à l’issue d’une conférence diplomatique tenue à Londres, que la convention surla Protection des Phoques de l’Antarctique sera signée.

Son champ d’application géographique couvre les mers situées au Sud du 60e de

latitude Sud (article 1er). Son champ d’application matériel concerne six espèces dephoques de la zone antarctique. Une annexe fixant les zones de chasse, les saisons,les méthodes, ainsi que les quotas globaux à respecter pour chaque espèce fait partieintégrante de la Convention. La capture de trois espèces, dont le phoque à fourrure etl’éléphant de mer est interdite. Ces dispositions peuvent être amendées à l’initiative detoute Partie Contractante et avec l’accord de 2/3 des Parties (article 9). Les Parties peuventégalement adopter d’autres mesures relatives à la chasse aux phoques (article 3) etorganiser des consultations en vue d’établir un système d’inspection et de contrôle, unecommission, ou la mise en œuvre de programmes scientifiques (article 6). L’article 5 prévoit,encore une fois, l’échange d’informations entre les Parties. Le SCAR est invité à fournirdes estimations régulières sur l’état des stocks et à indiquer les mesures pertinentes qu’ilconviendra de prendre à leur égard.

Cependant, l’exploitation commerciale n’ayant pas repris depuis l’entrée en vigueur dela convention, aucune des institutions prévues à l’article 6 n’a vu le jour. Aucun amendement

74 Elle est entrée en vigueur le 11 mars 1978 et a été ratifiée à ce jour par seize pays (11 des 12 Parties originelles du

Traité sur l’Antarctique, plus le Brésil, l’Allemagne, l’Italie, la Pologne et le Canada). La Nouvelle-Zélande a signé la

Convention mais ne l’a pas encore ratifié. Un Etat non signataire peut adhérer à la convention à l’invitation unanime des

Parties Contractantes.

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de l’annexe ni aucune mesure nouvelle n’a été nécessaire. Ce Traité est donc pour l’instanten sommeil.

§ 3 : La Convention sur la conservation de la faune et de la flore marines del’Antarctique (20 mai 1980)75 76.La pêche aux espèces pélagiques et au krill a été entreprise par plusieurs Etats dès la fin desannées 1970. Le développement de cette activité devint tel qu’à partir de 1975 les PartiesConsultatives chargèrent le SCAR d’évaluer les stocks de ces espèces afin d’envisagerl’adoption de mesures de conservation. En effet, l’interdépendance des espèces faisaitredouter des conséquences catastrophiques en chaîne si le krill venait à se raréfier dansles eaux antarctiques. Durant la Réunion Consultative de Londres en 1977, il fut décidé demettre en place un régime de conservation pour la faune et la flore marines de l’Antarctique.Il devait voir le jour sous la forme d’une convention conclue à Canberra cinq ans plus tard,

à l’issue de négociations dans le cadre de la 3e réunion consultative spéciale. 77 Plus

encore que pour la Convention sur la protection des phoques, le souci d’une adhésion desutilisateurs réels ou potentiels des eaux antarctiques, indépendamment de leur adhésionau Traité sur l’Antarctique, a milité en faveur du recours à la procédure conventionnelle.

Le champ d’application territoriale de la convention couvre la zone située au Sud dela Convergence Antarctique. Le champ d’application matériel s’étend à toutes les espèces

biologiques marines situées au Sud du 60e de latitude Sud ainsi qu’à celles situées au Sud

de la convergence et qui font partie de l’écosystème marin antarctique (article Ier). Cettesolution a prévalu après de longues discussions car elle a paru la plus à même de protégerefficacement les espèces visées.

La convention vise le maintien de « l’équilibre écologique entre les espèces » et laprévention d’une diminution qui mette ces espèces en danger d’extinction (article II). Unecommission est chargée d’adopter des mesures de conservation en vue de réaliser lesobjectifs de la convention (article VII). Cette commission, dotée de la personnalité juridiqueet d’une infrastructure permanente (article XIII et XVII) est assistée dans ses fonctions parun comité scientifique à vocation consultative (article XIV). Un système d’observation et decontrôle doit être mis en place par les Parties (article XXIV). Une formule de règlement desdifférends prévoit des consultations en vue de la solution de tout conflit par tous les moyenspacifiques (article XXV). Une annexe contient les principales règles de constitution d’untribunal arbitral pour le cas où cette solution serait choisie par les Parties à un différend.

La convention est ouverte à tout Etat intéressé par l’exploitation des ressourcesbiologiques marines couvertes par l’accord ou par la recherche scientifique concernantses ressources. Elle est également ouverte à l’adhésion des « organisations régionalesd’intégration économique », dans certaines conditions (article XXIX). En vertu de cettedisposition, la Communauté Economique Européenne a pu adhérer au Traité dès son entréeen vigueur qui est intervenue la 7 avril 1982. Or, comme l’explique Daniel Vignes (ADFI,

75 Elle est entrée en vigueur le 7 avril 1982 et compte à ce jour 31 Parties dont l’Union Européenne.76 Pour une présentation complète, on consultera l’article de D.VIGNES « La convention sur les ressources marines

vivantes de l’Antarctique. », AFDI, 1980, p 742 sqq.77 Ces réunions se sont tenues successivement à Canberra (février 1972), Buenos Aires (juillet 1978), Bernes (mars 1979),Washington (juin et septembre 1979) et Canberra (mai 1980).

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Titre premier Des origines jusqu'a son aboutissement ; le traite sur l’antarctique de 1959

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1980) c’était là un point très important pour les Parties Consultatives membres de cette

organisation. 78

La première réunion de la Commission visée à l’article VIII s’est tenue à Hobart, enTasmanie du 25 mai au 12 juin 1982. Les premières Recommandations réglementant lapêche dans la zone du Traité ont été adoptées en septembre 1984.

78 Daniel Vignes (AFDI, 1980). En effet, en vertu du droit communautaire, la compétence réglementaire et conventionnelle enmatière de pêche incombe totalement à la C.E.E., les Etats membres étant dessaisis. Dès lors, il convenait que la C.E.E négocie,signe et applique la Convention en lieu et place de la France, le Royaume-Uni, la Belgique, la RFA pour les questions touchant lapêche. En revanche, les Etats membres devaient également négocier et signer le texte en vertu de leur compétence résiduelle enmatière de recherche scientifique et de protection de l’environnement.

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LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ANTARCTIQUE

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Titre second : l’evolution du statut del’antarctique et son devenir

Le statut international de l’Antarctique a été défini par le Traité de Washington du 1er

décembre 1959. Composition politico-juridique hors-norme, développée en dehors du cadrede l’organisation des Nations Unies, elle a rapidement fait l’objet de critiques, quant à soncaractère fermé et exclusif. En fait, les différentes conventions adoptées successivementont montré toute la réactivité et l’efficacité du « système antarctique. »

Le développement le plus récent quant au statut de l’Antarctique a eu lieu en 1991,lors du protocole de Madrid, qui a consacré le continent tout entier « à la paix et à lascience », dénouement heureux d’une crise intestine au système à la fin des années 1980qui avait envisagé une exploitation industrielle des ressources de la région. En préservantofficiellement l’Antarctique de toute intrusion de l’homme, le Traité, ainsi mis à jour, prouvaitune fois encore la droiture de ses objectifs et sa volonté d’exister.

Parallèlement à la « tentative » de Wellington d’ouvrir le continent aux activités minières,deux réflexions sont venues appeler à une possible refonte du Traité : la Convention du droitde la mer en 1982 et la théorisation du « patrimoine commun de l’humanité. » En réaffirmantsolennellement le statut exceptionnel de l’Antarctique et la nécessité de le protéger, lesystème s’est donné encore un peu de temps avant une éventuelle modification.

Voyons donc dans un premier chapitre les deux derniers rebondissements du « systèmeantarctique », convention de Wellington et protocole de Madrid ; puis dans un deuxièmechapitre le futur du continent.

Chapitre I : La « tentative » de Wellington et leProtocole de Madrid.

Pour beaucoup de juristes, le Traité de Washington était incomplet. Ce qui a fait l’originalitéet la force du système antarctique fit aussi, au fil des années, son point faible : tout ce quin’avait pas été anticipé par ces textes conçus et écrits à l’automne 1959 pouvait donc êtrecontourné : « pas une ligne sur l’exploitation des ressources minières, rien sur le tourisme,rien sur la pêche, rien sur la protection de l’environnement, ni sur la navigation des sous-marins. Le traité, efficace et novateur en 1959, était nécessairement le reflet d’une époque.Et l’époque a changé. » (P-E Victor, 2007).

Les nouveaux Etats issus des indépendances des années 1960 affirmèrent plusieursthèmes de revendication : ils appuyèrent les principes d’universalité « un Etat, une voix »dans la gestion des affaires mondiales, ils tentèrent sans grand succès d’échapper à lalogique des blocs, et surtout contestèrent l’ordre juridique mis en place avant leur arrivéesur la scène internationale. Cette défiance a pu trouver un point d’appui dans le nouveaudroit de la mer développant la notion de « Patrimoine Commun de l’Humanité. »

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Titre second : l’evolution du statut de l’antarctique et son devenir

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Cette notion avait été développée afin d’exclure l’appropriation par un Etat ou un grouped’Etats des ressources des fonds marins ou sous-marins. Ces fonds devaient faire l’objetd’une exploitation commune et d’une redistribution des richesses. Le fait que l’humanitéentière soit ainsi investie de tous les droits protégeait les intérêts économiques mais aussipolitiques des pays en voie de développement. C’est sur ce principe que, dès 1979, le

groupe de ces pays, dit « groupe des 77 » 79 , demanda, au sein de la Conférencedes Nations Unies sur le droit de la mer (1982) que l’Antarctique soit déclaré patrimoinecommun de l’humanité. Car la limite des fonds marins s’arrêtant à la frontière des juridictionsnationales, cela n’était pas sans conséquence sur l’évolution du Traité sur l’Antarctique :fallait-il accepter la position de certains membres du groupe des 77 selon laquelle lajuridiction internationale des fonds marins (instituée lors de la Convention de Montego Bayen 1982) devait, en l’absence de souveraineté reconnue, étendre sa compétence sur lesespaces marins de l’Antarctique ? De la même façon, la notion de « Zone EconomiqueExclusive » (ZEE), dégagée lors de cette même convention de Montego Bay n’est pas sansconséquences. Car les Etats qui ne peuvent prétendre à une souveraineté territoriale ducontinent Antarctique récusent les ZEE de ceux qui pourraient s’en prévaloir.

L’attitude « trop prudente » (Victor, 1991) qui consista, au moment du Traité, en1959, à mettre « en attente » les questions difficiles a produit l’effet inévitable : l’évolutionpolitique et juridique de l’ordre mondial a posé, soudainement, à nouveau les problèmes desouverainetés et d’exploitation des richesses, étroitement liés. Le vide juridique de certainsaspects du Traité a constitué une menace pour la stabilité même de ce dernier et imposédes solutions intermédiaires, avant même que soit écoulé le délai de trente ans prévu auxtermes du Traité

Dès les années 1970, l’exploitation des hydrocarbures dans les régions polaires sembladevenir envisageable : les installations offshore de Prudhoe Bay en Alaska entrèrent enactivité, et le transport par tanker à travers la banquise était désormais possible, commeen atteste le voyage du Manhattan en plein hiver à travers la mer de Beaufort en 1969. Unnavire océanographique, le Glomar Challenger, au terme de sa campagne de recherche aularge de l’Antarctique en 1972 rendit un rapport- qui devait rester confidentiel - formulant deshypothèses assez optimistes sur les fonds sous-marins et les sous-sols de la région, signalencourageant parmi les milieux pétroliers. La même année, la Fondation Nansen organisaun premier séminaire posant la question de l’opportunité de laisser les activités d’extractionse développer dans la zone du traité sur l’Antarctique.

En 1973, après la guerre des Six-Jours, la hausse vertigineuse du prix du baril depétrole et la dépendance vis-à-vis du Moyen-Orient imposèrent une diversification dessources d’approvisionnement et une réévaluation de la rentabilité d’autres gisements.

Lors du deuxième choc pétrolier, en 1979, plusieurs Etats envisagèrent alorssérieusement l’exploitation des ressources minières de l’Antarctique. Cette prise deconscience d’une éventuelle pénurie, mais surtout l’inquiétude d’avoir pour longtemps unbaril cher modifia le regard que les Etats portaient sur le continent Antarctique.

79 Le Groupe des 77 aux Nations unies est une coalition de pays en développement, créée le 15 juin 1964 par la Déclarationcommune des 77 pays, conçue pour promouvoir les intérêts économiques collectifs de ses membres et créer une capacité denégociation accrue aux Nations unies. Créée par 77 pays, l'organisation a grandi et compte actuellement 130 pays membres.

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LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ANTARCTIQUE

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Section 1 : Origines et échec de la Convention pour la réglementationdes activités sur les ressources minérales antarctiques (2 juin 1988)80

Cette convention était tellement anticipatrice des capacités réelles des Etats à exploiterles ressources minérales de l’Antarctique qu’elle avait d’emblée, à son adoption, un intérêtpratique fort limité. Au surplus, il faut l’évoquer au passé puisque le Protocole de Madrid(voir infra, section 2) est venu presque immédiatement en suspendre l’application, ce qui

en a fait un « texte mort-né. » 81 Au sens strict – la convention n’étant que suspendue parl’effet moratoire du protocole – elle n’en existe pas moins et doit être étudiée à la fois entant que réserve normative pour l’avenir et comme ayant constitué en tout état de causeune phase intéressante de la construction du droit international s’appliquant à l’Antarctique.

§ 1 : L’hypothèse d’une exploitation des ressources du Continent et lecontenu de la ConventionCertains Etats signataires du Traité de Washington, tels la Nouvelle-Zélande ou le Chili,proposèrent de combler les manques trop grands du traité qui n’était plus adapté àl’évolution de la situation internationale.

Dès 1970, à Tokyo, les Parties Consultatives s’étaient penchées officieusementsur la question. Il s’agissait de réglementer, avant qu’il ne soit trop tard, c’est-à-direavant que la pression pour l’exploitation ne devienne trop forte. Car on constatait desdysfonctionnements dans les habitudes de travail du système antarctique. Le principe,jusqu’alors respecté, de la liberté des échanges d’informations sur les recherches menéesperdait de sa vigueur au fur et à mesure que les données sur les ressources minérales seprécisaient. Les nouvelles découvertes semblaient esquisser une exploitation que les Etatstentaient de justifier grâce à une argumentation juridique avantageuse ou une rétentiond’informations volontaire. L’établissement d’un régime minier fut envisagé à la IXe réunionconsultative (Londres, 1977). Mais le trop peu de données disponibles sur la faisabilité desactivités d’exploration et d’exploitation, ainsi que sur l’impact qu’elles pourraient avoir surl’environnement très fragile de la région, conduisaient les parties consultatives à une grandeprudence. Elles adoptèrent donc un « moratoire » sur les activités minières à caractèrecommercial au cours de cette même réunion, et mirent sur pied un groupe d’experts chargésd’étudier les conséquences futures de ces activités pour le milieu antarctique. Ce n’estqu’en 1982, une fois entré en vigueur le régime de conservation des ressources biologiquesmarines, que la mise en place d’un régime minier parut urgente.

Aux Etats-Unis, les firmes privées étaient en effet de plus en plus nombreuses àdemander des permis d’exploitation. En 1969, ce fut la Texaco ; en 1975, la compagnieAquatic Exploration de Houston qui chercha à former un consortium international en vued’effectuer des relevés sismiques dans la région. En 1978, la Gulf sollicita l’aval et laparticipation du gouvernement américain pour entreprendre des travaux d’analyse des sols,et éventuellement de forage. En France même, jusqu’en 1988, le ministère français del’industrie défendait à demi-voix le point de vue qu’il fallait ouvrir l’Antarctique aux activitésminières.

80 On consultera l’article très détaillé de Josyane Couratier, paru dans l’édition 1988 de l’AFDI (p764-785) : « La

convention sur la réglementation des activités relatives aux ressources minérales de l’Antarctique. »81 Voir J-P Puissochet, Le protocole au traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement, ADFI 1991, p 754-773.

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C’est ainsi qu’il fut décider d’ajouter au Traité de Washington une convention sur l’accèsaux sous-sols du continent. La convention de Canberra devait servir d’exemple en biendes points, qu’il s’agisse du fond ou de la forme. En particulier, il fut décidé de donner aunouveau régime la forme d’une convention dont la portée internationale serait, une foisencore, plus large que celle des recommandations. Les négociations se déroulèrent au sein

de la 4e Réunion Consultative Spéciale, dont les sessions débutèrent à Wellington en juin

1982 et s’étalèrent jusqu’en juin 1988. 82 Il fut alors convenue que la Nouvelle-Zélande

serait dépositaire de cette convention, car cette dernière avait été à l’origine, dès 1972, duprojet de règlement sur les ressources minérales. Ce devait donc être la « Convention deWellington » qui, en 1988, devait compléter les divers avenants au traité initial.

La pression des groupes écologistes, de plus en plus puissants, tout au long desdiscussions et leur volonté de faire interdire toute exploitation minière en Antarctiquedevait se traduire par une victoire presque complète de leurs thèses dans le textefinalement adopté à Wellington. Cependant, les Parties consultatives, afin d’éviter quecertains n’agissent en francs-tireurs et ne tentent d’exploiter de manière désordonnée,et dangereuse, les ressources du continent, préférèrent encadrer de façon préventive etstrictement réglementée une telle activité sans l’interdire totalement.

C’est pourquoi, à la question volontairement provocatrice « va-t-on voir l’immensitéblanche et glacée de l’Antarctique hérissée de derricks et de plate-forme pétrolières ? »,Josyane Couratier répondait alors « la publicité apportée par les associations écologistesàla négociation qui vient de s’achever à Wellington aurait pu le laisser redouter. La réalité estplus nuancée. » (ADFI 1988, p 764).

Ces deux objectifs, ont engendré un projet d’institutionnalisation assez complexe.Aux termes de la Convention, l’Antarctique devait être a priori fermé aux activités

minières. Celles-ci ne peuvent résulter que d’une double décision : celle d’une commissionqui délimite les zones éventuellement explorables et exploitables, puis celle d’un comitéde réglementation qui seul délivre des permis miniers à l’intérieur de ces zones. Lacommission est composée des représentants des Parties Consultatives et des Parties quidémontrent concrètement leur intérêt spécifique pour les activités visées par la Convention.Les membres du comité de réglementation sont également des représentations de Partiesconsultatives. Ils sont désignés en fonction de critères géographiques, politiques ouéconomiques. Toute délimitation de zone « ouverte » aux activités minières suppose l’avispréalable d’un comité scientifique et d’une réunion spéciale des Parties à la Convention.

Les candidats opérateurs doivent satisfaire à un nombre précis de conditionspréalables, de caractères technique et financier, au premier rang desquels doivent figurerdes garanties concernant la protection de l’environnement. Un mécanisme d’inspectiondoit également mis en place. Selon le texte, aucune compagnie ne pouvait se lancerdans l’exploitation de ressources antarctiques sans l’approbation initiale de l’Etat où elleavait son siège. Cette approbation prenant une valeur de coresponsabilité de la part del’Etat en question. S’il y avait des dégâts sur l’environnement, l’opérateur public ou privé,et l’Etat parrain étaient responsable juridiquement. Les litiges relatifs à la protection del’environnement dans l’Antarctique seraient soumis à la Cour internationale de Justice, ouà un tribunal international.

82 Sur cette négociation et ses enjeux, voir les articles de C. Beeby, K. Brennan et T. Scully in Antarctic Resources policy,respectivement pages 191, 217 eet 295.

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LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ANTARCTIQUE

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Ce dispositif est complété par un système de règlement des différends assez détailléqui prévoit l’intervention, au choix, de la Cour Internationale de Justice ou d’un tribunalarbitral, celui-ci fonctionnant selon les règles établies dans une annexe à la convention. Lerecours à ce système de règlements est facultatif, sauf pour certains litiges dont ceux relatifsà la protection de l’environnement. En outre, le Tribunal Arbitral peut prendre des mesuresprovisoires dans l’attente d’un règlement des litiges et elles ont un caractère obligatoirequand elles concernent l’environnement.

Un secrétariat pourrait être mis en place pour assurer le bon fonctionnement de laConvention (et ne vit donc jamais le jour).

L’Acte Final de la 4e Réunion Consultative spéciale contient plusieursrecommandations, dont une plus significative concerne le maintien du moratoire sur lesactivités minières jusqu’à l’entrée en vigueur de la Convention.

La sévérité du régime de Wellington fut encouragée par le retour, sur le devant de lascène internationale, des mouvements environnementalistes ; par les naufrages de plusen plus en plus fréquent de tankers chargés de pétrole ; et bien sûr par la catastrophede Tchernobyl en avril 1986. Des particules radioactives provenant de l’explosion de ceréacteur nucléaire furent d’ailleurs retrouvées dans les glaces de l’Antarctique.

Certaine zones furent exclues de toute activité minière, considérées commespécialement protégées. Toute autorisation d’extraction apparaissait donc bien contrôlée.Mais sur le terrain ? Les vérifications in situ étaient quasi-impossibles, et de toute façontrès coûteuses à mettre en œuvre. On pouvait arriver au paradoxe d’avoir à faire contrôlerles minerais extraits ou les conséquences sur l’écosystème local par un seul et mêmeintervenant. La partie pouvait devenir juge. Malgré ces réserves, la convention de Wellingtonconcernant l’exploitation des ressources minérales fut pourtant signée le 2 juin 1988. Restaità la ratifier. (Victor, 1991)

§ 2 : Le rejet de la Convention de Wellington.« Les menaces n’étaient pas pour la décennie 1990 ; mais pour le XXIe siècleet la suite. Wellington “ouvrait” à mes yeux la porte à l’exploration et, plustard, à une exploitation des richesses minières de l’Antarctique. Il fallait, aucontraire, “fermer” définitivement cette porte et préférer une solution faisantde l’Antarctique un parc naturel et scientifique mondial. Comme on l’avait faitpendant 30 ans : nature et recherche scientifique, un point c’est tout. Je l’aiexprimé, tout de suite après Wellington, dans une lettre au président Mitterrand.De son côté, Jacques-Yves Coustaud et sa fondation lancèrent la formidableidée d’une campagne internationale de signatures pour la préservation ducontinent Antarctique. Non seulement elle eut un succès et un retentissementconsidérables, mais cette campagne illustra, au bon moment : 1) le poidsgrandissant des organisations non gouvernementales ; 2) une nouvellecapacité de pression des opinions publiques, pour un peu qu’il s’agisse de“thèmes” précis, ciblés et mobilisateurs ; 3) l’influence réelle des groupesenvironnementalistes sur la conduite des affaires concernant la préservation dela nature. Pour l’Antarctique, en tout cas, les résultats étaient là. »

Paul-Emile Victor, 1991, p 102.

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Titre second : l’evolution du statut de l’antarctique et son devenir

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L’entrée en vigueur de la Convention de Wellington ne devait intervenir qu’à l’issue de lanotification par les 16 Parties Consultatives de l’époque de l’accomplissement des formalitésconstitutionnelles requises. A ce jour, elle n’est pas encore intervenue, deux notificationsmanquant à l’appel. En effet, si la signature de l’Acte Final à Wellington en juin 1988 a suscitéun enthousiasme certain parmi les négociateurs, à l’issue de près de dix ans de discussionsur le sujet, les évènements qui suivirent remirent très vite en question l’opportunité de cenouvel instrument juridique et firent envisager de le remplacer par un autre plus approprié.

La conjonction de divers accidents survenus dans la zone antarctique au cours de l’été

austral 1988-89, suivis de la catastrophe de l’Exxon Valdez près des côtes de l’Alaska 83 ,étoffèrent surabondamment les thèses alarmistes des mouvements écologistes.

En mai 1989, l’Australie prit les devants et déclara, à la surprise générale, qu’ellene ferait pas ratifier cette convention par le parlement de Canberra. Le Premier Ministre

Français de l’époque, Michel Rocard 84 , doté lui-même d’une culture et d’une sensibilitéenvironnementalistes, fut réceptif aux arguments des défenseurs de l’Antarctique, et fut lepremier en France à déclarer que « la France ne signera pas la convention de Wellington,dans les conditions présentes ; c’est clair. »

En août 1989, la France et l’Australie annoncèrent dans une déclaration commune quel’ « exploitation de l’Antarctique », quelles qu’en soient les conditions, était « incompatibleavec la protection » du fragile environnement du continent. Le naufrage, devant les côtesde la Péninsule Antarctique, du pétrolier argentin Bahia Paraiso, les conséquences sur lesoiseaux marins et les quelques rares photos dans les journaux, aidèrent au bon momentceux qui étaient favorables à l’interdiction. Or l’Australie et la France, faisaient partie du clubdes sept possessionnés, dont – on l’a vu – la signature était une condition indispensablepour l’adoption de la convention de Wellington. Le processus était donc bloqué.

Le revirement de ces deux pays trouvait son origine dans des causes à la foisobjectives, électorales, mais aussi économiques.

L’Australie, grand producteur de matières premières, n’avait objectivement pas d’intérêtà favoriser, même à très long terme, la concurrence future en laissant s’ouvrir l’exploitationde mines dans l’Antarctique. Par ailleurs, les élections de 1988 avaient mis en évidencela montée des Verts australiens, où ils avaient rassemblé 20% des suffrages. Le premierministre australien, Bob Hawke, estima donc que l’interdiction de l’exploitation minière enantarctique était un moyen de récupérer des voix, en vue des élections générales de 1990.

C’est ainsi que le processus d’entrée en vigueur de la convention de Wellington allaitprogressivement être rendu impossible. La Belgique, l’Italie, et bientôt la Nouvelle-Zélande,refusèrent à leur tour de la ratifier. Il fallait remettre à plat l’ensemble des textes su « Systèmeantarctique. » Ce délicat exercice sera évité l’année suivante grâce au Protocole de Madrid.

83 Elle eut lieu dans la Baie du Prince-William le 24 mars 1989 et fut une des marées noires plus épouvantables jamaissurvenue : 40 millions de litres s’étalèrent sur quelques 28 000 km2, décimant des milliers d’oiseaux et des centaines d’animaux.

84 Depuis, Michel Rocard a été nommé le 18 mars 2009 en Conseil des ministres, « Ambassadeur de France chargé desrelations internationales relatives aux pôles Arctique et Antarctique. »

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LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ANTARCTIQUE

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Section 2 : le Protocole de Madrid ou la nouvelle consécration duContinent85.

Au cours de la visite de M. Rocard, Premier Ministre français, à son homologue australienM. Hawke en août 1989, une déclaration conjointe lança le mouvement en faveur de la

transformation du 6e Continent en une réserve naturelle mondiale, qui serait fermée à touteactivité minière. Cette initiative donna lieu, lors de la XVe réunion consultative qui se déroulaà Paris en octobre suivant, à un projet de nouvelle convention rendant quasiment, voir en faittotalement, obsolète celle de Wellington. Non seulement l’idée d’un parc naturel fut reprise,mais un système très complet de contrôle de la protection de l’environnement dans toutesses composantes était aussi envisagé. (P-M Dupuy, 2002)

Même si tous ne se sont pas ralliés immédiatement à l’idée d’une nouvelle convention,l’ensemble des participants à la réunion ont accepté d’entreprendre une discussion globalesur la protection de l’environnement antarctique. Le cadre de la Réunion Consultativespéciale a, de nouveau, été retenu, le Chili proposant d’en être l’hôte en novembre 1990. Auprintemps 1991, les partisans de l’interdiction des activités minières triomphaient. A Madrid,en avril puis en juin, était parachevé un « Protocole sur la protection de l’environnementantarctique » qui complète le Traité de Washington et lui est annexé. Malgré les réticencesdes Etats-Unis, la pression de l’opinion publique conduisit bien vite la délégation de cet Etatà se rallier au protocole dont la signature devait intervenir en octobre 1991.

Outre la stricte interdiction de toute activité portant sur les ressources minérales,exceptées celles relevant de la recherche scientifique, le Protocole prévoit la création d’unecommission chargée de suivre l’évolution de l’environnement antarctique. Quatre annexestraitent ces aspects spécifiques de la protection de l’environnement : études d’impact, fauneet flore, pollution marine, gestion des déchets.

Le nouvel instrument, préparé en moins d’un an, se présente sous la forme, non pasd’une convention autonome, mais d’un protocole additionnel au Traité sur l’Antarctique,« relatif à la protection de l’environnement ». Il a été ouvert à la signature à Madrid

le 4 octobre 1991. 86 Cette formule du protocole a l’avantage d’utiliser la procédure

conventionnelle tout en liant étroitement le nouvel instrument au « Traité-mère. » (Couratier,1991)

Ce texte dispose en premier lieu, en son article 7 : « toute activité relative auxressources minérales autres que la recherche scientifique est interdite. » Il n’en précisecependant ni le cadre géographique de cette interdiction, ni ce qu’il convient d’entendre par« ressources minérales » ou « recherche scientifique ».

Sur le premier point, on peut penser que l’interdiction énoncée, comme pour le Traité

de Washington lui-même, s’applique au sud du 60e parallèle (ce qui pourrait poser desproblèmes délicats évoqués à propos de la Convention de Wellington en ce qui concerne lesgrands fonds marins internationaux et le plateau continental des Kerguelen et de Crozet).

85 On consultera l’article de Jean-Pierre Puissochet: « Le protocole au Traité sur l’Antarctique, relatif à la protection de

l’environnement » (Madrid, 4 octobre 1991), in AFDI 1991, pp 754-773.86 Il est entré en vigueur le 14 janvier 1998 et expirera à la même date de l’année 2048. A ce jour, il a été signé par 43 pays,

le dernier étant la Biélorussie le 15 août 2008. Parmi eux, 27 l’ont déjà ratifié (Allemagne, Inde, Uruguay, Pérou, Belgique…) et 16autres pas encore (Canada, Guatemala, Roumanie…)

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Titre second : l’evolution du statut de l’antarctique et son devenir

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Sur le second, on ne peut que noter que, selon l’acte final de la conférence, l’exploitationde la glace n’est pas interdite.

Quant au reste, la règle est bien claire : au régime d’autorisation organisé par laconvention de Wellington, est donc substitué un régime complet d’interdiction.

Le protocole de Madrid cherche par ailleurs à assurer une « protection globale del’environnement en Antarctique et des écosystèmes dépendants et associés ». A ceteffet, toutes les activités entreprises dans la zone doivent être soumises à une évaluationpréalable d’impact, conformément à des procédures plus ou moins rigoureuses selon lanature de ces activités. Il appartient donc à chaque partie contractante de prendre lesmesures appropriées à ce effet et de les notifier aux autres parties. Toutefois, le protocolene précise pas si cette responsabilité incombe à l’Etat de la nationalité ou du siège del’opérateur ou, le cas échéant, à l’Etat possessionné sur le territoire duquel l’activité doitêtre menée.

Par ailleurs, le Protocole de Madrid crée un comité consultatif pour la protectionde l’environnement et précise qu’il appartient aux parties consultatives, sur la base desavis qu’elles peuvent ainsi recevoir, de définir la politique générale de l’environnement« en Antarctique et des écosystèmes dépendant et associés. » La réunion des partiesconsultatives peut en outre adopter toute mesure nécessaire à la mise en œuvre duprotocole.

Ces mesures font l’objet d’annexes au protocole. L’annexe I traite de l’évaluationd’impact, l’annexe II de la faune et de la flore, l’annexe III de l’élimination et de la gestiondes déchets et l’annexe IV de la pollution marine. Ces annexes pourront être modifiées parles parties consultatives, et de nouvelles annexes devront être mises au point, en ce quiconcerne en particulier les règles de responsabilité (ce que, contrairement à la conventionde Wellington, le protocole de Madrid n’aborde pas).

Le respect du nouvel instrument pourra enfin être contrôlé par des observateursnationaux désignés conformément au Traité de Washington, ou, ce qui est plus nouveau,par des observateurs nommés au cours des réunions consultatives « pour effectuer desinspections conformément aux procédures arrêtées par elles. » Les rapports d’inspection,après examen par les parties consultatives, seront rendus publics.

A l’issue d’une période de 50 ans à compter de son entrée en vigueur, qui a eu lieu en1998, il pourra faire l’objet d’un réexamen sur la demande de l’une des parties consultatives.Tout amendement au protocole devra être adopté à la majorité des parties (y compris lestrois quart des parties consultatives) puis ratifié par les trois quart des parties consultatives.

En outre, si un tel amendement concerne le régime des ressources minérales, il devrapréserver à la fois les intérêts de l’environnement et ceux des Etats possessionnés.

Un retrait unilatéral demeure possible, mais compte tenu des procédures compliquéesretenues par la convention, il ne peut guère devenir effectif avant quarante-neuf ans.

Au total, le protocole de Madrid met en place en matière d’environnement un systèmede protection plus contraignant encore que celui né des recommandations adoptées enapplication du Traité de Washington, ou celui envisagé par la convention de Wellington. Ilconstitue un nouvel exemple, sans doute le plus abouti, du succès de ce traité, dans lequelil s’insère, et confie aux parties consultatives le soin d’assurer la mise en œuvre du nouveaurégime adopté.

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Chapitre II : L’Antarctique face à l’ONU et au droit de laMer : un futur « patrimoine commun de l’Humanité » ?

Section 1 : Un traité en dehors de tout cadre ONUsienLe Protocole de Madrid, on l’a vu, a permis de réduire fortement la contestation dont lesystème antarctique avait fait l’objet au sein des Nations Unies.

Cette contestation s’était développée depuis 1982, année au cours de laquelle lePremier Ministre de Malaisie avait suggéré, dans un discours à l’Assemblée Générale, que

l’Antarctique devienne « patrimoine commun de l’humanité. » 87

Cette suggestion était fondée sur une critique du Traité de Washington, présentécomme ayant créé un club fermé d’Etats riches ayant les moyens de se livrer à desexplorations scientifiques dans l’Antarctique et auquel les Etats du tiers-Monde ne peuventavoir accès. Elle tendait, après étude appropriée, à la création, pour l’administrationdu continent, d’une autorité internationale, placée sous la dépendance de l’AssembléeGénérale des Nations Unies et dans laquelle jouerait la règle de la majorité.

A la suite de ce discours, la question de l’Antarctique a été inscrite, pour la première fois,à l’ordre du jour de l’Assemblée en 1983. Une négociation difficile s’est alors engagée entreles parties consultatives et les auteurs de la résolution (Malaisie, Antigua et Barbade). Elle aabouti à l’adoption d’un texte qui se limitait à demander au Secrétaire Général de procéder,dans l’année, à une « étude complète et objective », prenant pleinement en compte lesystème du Traité de 1959 et tous autres facteurs appropriés. Ce rapport, pour l’essentielfavorable au système antarctique a été déposé par le secrétaire général en 1984. Mais iln’a été examiné par l’assemblée générale qu’en décembre 1985.

Celle-ci adopta alors trois résolutions. La première maintenait le point à l’ordre du jouret priait le secrétaire général de « mettre à jour et de développer » l’étude entreprise.La seconde affirmait que « toute exploitation des ressources de l’Antarctique » devraitnotamment « garantir la non-appropriation et la préservation de ces ressources, ainsique la gestion internationale et la répartition équitable des avantages en découlant. »Elle demandait, en outre, aux Parties consultatives de suspendre toute négociation àce sujet. Enfin, la troisième priait « instamment les parties consultatives au Traité del’Antarctique d’exclure le régime raciste d’apartheid de l’Afrique du Sud de la participationaux réunions. »

Ces recommandations furent renouvelées par l’Assemblée générale en 1986. Puis, en1987, l’Assemblée, après avoir une nouvelle fois demandé l’exclusion de l’Afrique du Sudet la suspension des négociations sur les ressources minérales, lança un appel aux partiesconsultatives pour que le secrétaire général des Nations Unies soit invité à participer àtoutes les réunions du système. Elle renouvela par la suite plusieurs ces divers appels, enexprimant le regret qu’ils n’aient été suivis d’aucun effets.

Lors de ces débats à New York, les Etats signataires du Traité de Washington separtagèrent, à partir de 1986, en ce qui concerne les résolutions concernant l’Afrique duSud, certains les approuvant, tandis que la plupart s’abstinrent ou refusèrent de participerau vote. Ces résolutions n’eurent aucune suite.

87 Le concept, tout nouvellement créé par la Convention de Montego Bay, concernait alors théoriquement les seuls grandsfonds marins, mais restait encore assez flou et donc sujet à de multiples interprétations.

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Par ailleurs, année après année, les signataires du Traité refusèrent de participer auvote d’autres résolutions concernant l’Antarctique et, par exemple, celle adoptée en 1990le fut par 101 voix contre 0, avec 7 abstentions, plus de 50 délégations étant absentes ouayant déclaré ne pas vouloir participer au scrutin.

Dans ces conditions, il est clair que les Etats signataires du Traité de Washington etles parties consultatives n’ont nullement l’intention de modifier le système pour répondreaux vœux de la majorité de l’Assemblée générale. Ces vœux ont d’ailleurs perdu beaucoupde vigueur après l’adoption du Protocole de Madrid, dont l’Assemblée générale salua lasignature tout en regrettant qu’il n’ait pu été négocié « avec l’entière participation de la

communauté internationale. » 88 Depuis que le protocole est entré en application en 1998,

il est très intéressant de noter que la question de l’Antarctique n’est pas revenue une seulefois dans l’hémicycle de l’ONU.

Quoi qu’il en soit, les débats des Nations Unies ont fait prendre conscience aux partiesconsultatives que leur travail n’était pas assez connue et qu’une meilleure présentation desréalisations accomplies permettrait de retoquer plus aisément certaines critiques, nées del’ignorance. Dans cette perspective il a été décidé de mieux informer les Etats contractantsdes travaux, d’ouvrir certaines des réunions consultatives à des experts désignés à titred’observateurs par des organismes scientifiques extérieurs (organisation mondiale de lamétéorologie, union internationale pour la conservation de la nature et des ressourcesnaturelles), de tenir désormais des sessions annuelles, enfin de publier progressivementles travaux passés et de rendre en principe publics les travaux futurs.

Ces efforts d’adaptation étaient nécessaires, car le monde a évolué depuis 1959 etle système mis au point à l’époque ne pouvait être maintenu tel quel. Mais, ce système,resté fidèle aux principes de la diplomatie traditionnelle, n’en a pas moins eu de grandsmérites et il convient de n’y toucher qu’avec prudence. Réunissant en un club des paysaussi divers, et parfois aussi opposés, que l’Argentine, la Grande-Bretagne, la Russieou l’Afrique du Sud, il a abouti à des résultats concrets appréciables. Ces résultats ontété obtenus dans la discrétion, loin des enceintes sur lesquelles se portait l’attention desmoyens de communication de masse. On peut espérer que les évolutions nécessaires netoucheront pas à l’essentiel : la volonté de résoudre les problèmes en recherchant, par voiedu consensus, des solutions techniquement valables. (Victor, 2007)

Section 2 : « Intérêt de l’Humanité » contre Patrimoine commun del’Humanité.

Quel impact ces concepts nouveaux ont-ils eu au Sud du 60e parallèle de latitude Sud ?En ce qui concerne l’attribution du statut de « patrimoine commun de l’Humanité » à la

zone du Traité sur l’Antarctique tout d’abord, on constate la farouche résistance des PartiesConsultatives.

Cette opposition d’Etats dont la représentativé au niveau international n’a pas besoind’être démontrée fait disparaitre le consensus qui aurait été nécessaire pour érigerl’Antarctique en Patrimoine Commun de l’Humanité. On vient de voir en effet que ce concepta été intégré dans le droit positif sous forme coutumière uniquement. Le jus cogens quecertains seront tentés d’invoquer en l’espèce demeurera inopérant du fait du caractèreéminemment contestable de cette notion aux yeux d’un certain nombre d’Etats occidentaux.

88 Résolution 46 / 41 du 6 décembre 1991.

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89 En outre, les revendications territoriales et le régime mis en place pour le 6e Continentdepuis 1959 s’opposeraient à une telle transformation du statut juridique de cette région.

Néanmoins, l’existence «d’intérêts de l’Humanité » en Antarctique a été tout à faitreconnue à maintes reprises par les membres du Club. Il apparait déjà dans le préambuledu Traité de Washington et justifie la neutralisation et la coopération scientifique sansfrontière. Mais c’est au cours de la Réunion Préparatoire Spéciale de Paris en 1976 quecette préoccupation est appliquée au domaine des ressources minérales. Elle figure parmiles « quatre principes » issus de la Réunion et que l’on retrouvera constamment désormaisau cœur de la négociation du régime minier. Selon le quatrième de ces principes, en effet,« Les parties consultatives en traitant la question des ressources minérales en Antarctique

ne devraient pas porter atteinte aux intérêts de l’Humanité toute entière en Antarctique. » 90

Concernant le transfert des connaissances propres à l’Antarctique, la publicationrégulière des résultats des recherches et d’observation dans les publications spécialiséesa pu échapper à un grand nombre. Mais la communauté scientifique internationale semblebien au courant. Cette information ira en s’améliorant du fait de «l’ouverture » pratiquéedepuis 1983 par les Parties Consultatives.

Enfin, la redistribution d’avantages en nature ou en espèces tirés de l’exploitation desressources demeure éminemment théorique. La Convention de Canberra n’exclut aucunEtat, quel qu’il soit, des eaux de haute mer – ni même de l’ensemble des eaux situées au

Sud du 60e Sud. Mais elle ne prévoit pas non plus de redistribution « d’excédents » danscette zone, les Etats « côtiers » n’y fixant pas de quotas de prises autorisées comme c’estle cas ailleurs. C’est la régime de la liberté, bien que l’on ait indiqué combien les conditionslocales rendaient illusoires cette liberté d’accès pour de nombreux Etats.

Par contre, pour les ressources minérales, une certaine redistribution des revenus aété envisagée. Plusieurs Parties Consultatives ont, bien des années avant le début de lanégociation du régime minier proprement dit, estimé qu’il était opportun de prévoir un fondalimenté par une partie des bénéfices tirés de l’exploitation du plateau continental au profitdes pays en développement. Cette idée était reprise par la délégation du pays hôte, aumoment où la phase réelle de négociation était entamée à Wellington en juin 1982.

Une autre manifestation de la volonté de préserver les « intérêts de l’Humanité » résidedans « l’ouverture » du régime aux autres Etats, sans discrimination. Aucun des Etats quine sont ni parties consultatives ni Parties au traité de 1959, ni leurs opérateurs, ne seraientexclus a priori dès lors qu’ils rempliraient les conditions précises fixées par le régime etqu’ils en respecteraient les normes et principes, et en particulier celles et ceux relatifs à laprotection de l’environnement.

De façon plus concrète, l’article 14 de la Convention de Wellington interdit toutediscrimination entre les Etats et à l’égard de leurs opérateurs. Cette disposition estclairement destinée à rassurer les pays défavorisés qui pourraient redouter d’être exclusdéfinitivement d’activités qui requièrent une capacité financière et technologique horsde leurs moyens. L’article 6 pose le principe de coopération et de participation auxactivités antarctiques de toutes les parties intéressées et en particulier des Etats endéveloppement. Pour mettre en pratique ces bonnes intentions, plusieurs mesures ont

89 C’est, entre autres, le cas de la France qui a refusé d’entériner les dispositions relatives au jus cogens de la Conventionde Vienne sur le droit des Traités.

90 Rapport final de la réunion. Paris, 28 juin – 10 juillet 1976.

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été prises. Tout d’abord, la composition des Comités de réglementation doit refléterune « représentation équitable adéquate des pays en développement membres de lacommissions. » Cette dernière, au moment où elle statue sur les demandes de « définition »des zones, élabore des formules propres à assurer la participation des pays en voiede développement aux activités minières envisagées. La même obligation incombe auxcomités de réglementation. Il existe également à la charge du comité consultatif où toutesles parties sont représentées, une obligation d’aide et d’information des pays en voie dedéveloppement sur les matières relevant de sa compétence. Enfin, les signataires se sontengagés dans l’Acte Final à augmenter la représentation des pays en développement enfonction de l’accroissement de la taille de la Commission.

Là encore, cependant, comme pour les ressources vivantes, un barrage de fait vas’opérer, étant donné le coût financier d’une participation à l’exploitation et le niveautechnologique requis pour ce faire. Certes, diverses formes d’associations entre pays endéveloppement et Etats industrialisés peuvent être envisagées pour que cette participationprenne corps. Pourtant, on ne peut nier que le handicap demeure. Mais il n’y a pasd’incohérence avec la position des parties consultatives sur ce point et selon laquelle nousne sommes pas en présence de l’exploitation du Patrimoine Commun de l’Humanité. (Victor,2001)

En conclusion, on peut estimer qu’il existe, en ce qui concerne les enjeux politiques,économiques, écologiques de la communauté internationale en Antarctique deux approchesqui ne se recoupent que partiellement. A la thèse maximaliste et globalisante du Tiers-Monde s’oppose le concept d’intérêt de l’Humanité, plus restreint dans les contraintes qu’il

impose aux « gestionnaires » du 6e Continent. Cependant, les différences sont peut-êtreplus dans la forme que dans la substance ou les objectifs poursuivis.

Le concept d’intérêt de l’Humanité n’est pas nouveau puisqu’il a été invoqué pour les« Grands Fonds Marins » et pour l’espace extra-atmosphérique il y a bientôt trente ans. Dansle cas d’une application à l’Antarctique, cela renforcerait la thèse selon laquelle on pourraitbien se trouver en présence d’un nouveau principe du droit international. (P-M Dupuy)

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Conclusion

« En retard, à l’écart, l’Antarctique s’est trouvé en fait… à l’abri. C’est peut-être sa chance. Et la nôtre. C’est en tout cas cette distance et ce “retard” quiaident l’Antarctique à être… en avance. A faire modèle. Ou, en tout cas, à faireréfléchir. »

Paul-Emile Victor, Adieu l’Antarctique, 1991, p 199.En 1967, soit moins d’une décennie après son entrée en vigueur, André Cailleux

écrivait, concernant le futur du Traité sur l’Antarctique :« Pour l’avenir, il est difficile de prévoir comment évoluera la situation. A priori, on peut

envisager quatre solutions :

1. Un accord sur un partage des souverainetés ;2. Condominium des nations intéressées ;3. Internationalisation sous la juridiction des Nations Unies ;4. Statut original. »

Ecrivant lui même, avec une très fine anticipation, que « la première solution paraît exclue »et que « les deux suivantes ont quelques chances de se réaliser mais peu. Reste le statutoriginal. » (p 119). Cinquante ans après, nous en sommes restés là.

A continent hors-norme, Traité hors-norme.Un demi-siècle s’est déjà écoulé depuis lasignature du Traité de Washington, instaurant un Statut de l’Antarctique. Le « club » desdouze Etats originairement parties au Traité compte maintenant quarante-six membres, etd’autres continuent encore de les rejoindre. Le « Système Antarctique » regroupe à ce jourles principales puissances mondiales, et des pays en développement, au total près de 80%de la population de la planète. (Gandolfi)

Dans deux ans, on célébrera bientôt le cinquantième anniversaire de son entrée envigueur (1961), et les vingt ans du Protocole de Madrid (1991). Il sera peut-être alorsl’occasion de faire un bilan du Traité et de prendre un nouveau départ si aucune PartieConsultative ne demande sa révision, ce qui est fort probable.

En l’état actuel des choses, la logique du Traité a produit trois conventionscomplémentaires, dont une centrale, et a réussi à en écarter une quatrième, ainsi que prèsde 150 recommandations approuvées en quasi-totalité, et qui constituent, avec l’instrumentoriginel, un ensemble extrêmement précieux de réglementation antarctique.

Des progrès extraordinaires ont été accomplis dans la recherche scientifique, dans lacoopération internationale et la protection de l’environnement en Antarctique. Des formules

juridiques nouvelles ont été trouvées pour la gestion particulière qu’exigeait le 6e Continent,ce dernier ayant été finalement consacrée « terre de paix et de science » et strictementréservé aux activités relevant de ces deux critères.

Le système antarctique, tel qu’il fonctionne, est donc à préserver et à conserver. Maiscertaines questions doivent être soulevées.

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Conclusion

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Posons les choses très simplement : la signature du Protocole de Madrid a prouvé que,en dépit des nombreuses critiques sectorielles qui avaient été formulé contre le Traité surl’Antarctique, et le comportement des puissances qui l’appliquent, il paraît bien difficile defaire mieux ; difficile de parvenir à un meilleur statut juridique de la région. Le système estpeut-être inégalitaire et hiérarchisé – nous avons vu plus en profondeur la réalité de cesdeux qualificatifs – mais n’est-il pas le reflet « très fidèle des rapports de puissance dans lemonde, et est-il seul à ne pas tenir compte dans sa structure et ses règles de fonctionnementde l’idée de stricte égalité juridique des Etats ? » (Gandolfi, p 118). « En réalité, c’est unsystème qui contraint plus qu’il ne privilégie les Etats qui y sont parties par rapport aux tiers,et les Puissances consultatives par rapport aux Parties simplement contractantes. Car leslourdes responsabilités qu’il génère nécessitent également de lourds sacrifices de ceux quiles ont endossées et les assument. » (Gandolfi)

« Or le Traité de l’Antarctique est aussi un des seuls instruments juridiquesinternationaux à fonctionner efficacement et harmonieusement. » (Perez, p 89) En terme de« bilan », il faut en conclure qu’il est largement positif, qu’on l’appréhende sous l’angle dela réalisation d’objectifs politiques – ainsi le désarmement général du continent, le « gel »de l’enjeu territorial, l’égal accès de tous les pays pour y mener des missions scientifiques– de la conformité au droit international, incontestable, ou bien de la contribution majeurau développement de la coopération dans la région. Nous avons vu que le bénéfice desobjectifs politiques en Antarctique a dépassé le seul cadre régional et s’est étendu àl’ensemble de la planète, qu’il s’agisse de l’équilibre militaire ou des progrès de la science.

Toutefois, l’évolution interne du Système Antarctique n’est pas sans poser quelquesproblèmes. Nous avons déjà vu qu’elle avait été la « crise » entre le Traité sur l’Antarctiqueet le « Groupe des 77 » à propos d’une modification du statut juridique du continent. Ilimporte aussi d’évoquer les changements survenus dans « l’esprit » de ce traité. Déjà,

comme le rappelle J. Beck 91 , l’arrivée en nombre de nouveaux venus parmi le club,petit au départ, des Parties Consultatives, a modifié sensiblement la physionomie du club.« L’esprit de camaraderie, voir la complicité, typiques de “l’époque classique”, pourraients’estomper, affectant cet “esprit du Traité”, si propice au consensus. » (Couratier, p 357).Les nouveaux venus ayant rejoint le « système » plus tardivement, n’ont pas la mémoirecollective des premiers signataires, mais ils apportent avec eux des idées nouvelles, àl’influence desquelles le système Antarctique, du fait de sa longue marginalisation, avaitpu échapper. Ce renouveau de l’esprit du Traité a trouvé sa plus belle illustration lors del’adoption du Protocole de Madrid. « Vieux » Traité, ce dernier est né au plus fort de laGuerre Froide et s’est épanoui avec la Détente ; la scène antarctique fut en effet l’un deslieux privilégiés du condominium américano-soviétique sur le monde, à l’abri de l’influencedu Groupe des 77 ou des Non-Alignés. On a cru un temps que la fin de l’URSS et l’adhésionde la Chine et de l’Inde au Traité en bouleverseraient le fonctionnement; il n’en fut rien.Mieux, les adhésions sucessives, l’activité soutenue du système antarctique au cours desannées 1990, l’entrée en vigueur du protocole de Madrid en 1998, puis la création d’unSecrétariat Général de l’Antarctique, à Buenos Aires, en 2004, ont montré toute la vitalitéde ce dernier. La pression extérieure, très forte à la fin des années 1980, sur la question desressources, a finalement débouché sur un moratoire complet, de 50 ans, bannissant touteautre activité que scientifique : cette nouvelle disposition a prouvé une fois de plus l’espritde consensus animant le Traité de 1959 et sa volonté de s’adapter aux changements de lascène internationale. Il a aussi rappelé la dimension « écologique » fondamentale du Traité.

91 Polar Record, janvier 1985.

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Le « système Antarctique » nous offre également un modèle unique de gestioninternationale et représente une grande contribution à la théorie des organisationsinternationales. La question d’appliquer un tel régime à d’autres régions du globe a étéposée plusieurs fois depuis trente ans. C’est ainsi qu’il avait été envisagé de l’utiliserpour l’Arctique. Mais la proximité géographique des Etats, tout notamment les deuxSuperpuissances et de leurs zones de défense, avait conduit à l’échec. En revanche, cequi est transposable à d’autres domaines de gestion c’est la « structure bicéphale » (F.Sollie), caractérisée par une branche très active, la science, plus ou moins indépendante del’emprise gouvernementale, et la branche politique, qui exerce le contrôle. Ainsi, l’équilibreréussi de ces deux branches sera copié dans la Convention sur la conservation de la fauneet de la flore marines de l’Antarctique, adoptée en 1980, et le régime minier envisagé parla Convention de Wellington huit ans plus tard.

Enfin, il importe de souligner toute l’importance qu’a eu, et continue d’avoir, le SystèmeAntarctique, dans le développement progressif du droit, non au niveau des institutionsmais à celui des principes. La notion « d’intérêt commun de l’Humanité » a peu à peugagné, au travers du système, une existence autonome, porteuse d’effets juridiques quise sont peu à peu précisés. Son apparition est d’un intérêt particulier alors que le conceptde « Patrimoine commun de l’Humanité » ne parvient pas à rassembler l’ensemble de lacommunauté internationale. Toutefois, le régime juridique attaché à cette notion n’étant pasencore complètement défini, nous sommes pour l’instant dans une phase de transition, auterme de laquelle un régime suis generis sera adopté. La formule de « l’Intérêt commun del’Humanité » a manifestement un bel avenir devant elle, puisqu’elle permettrait de concilierles intérêts des Etats peux nombreux, maitrisant une technologie avancée, et ceux de laCommunauté internationale. En l’absence d’intégration du concept de Patrimoine Communde l’Humanité dans le droit positif, elle est peut-être une étape de l’évolution qui paraîtinévitable dans le sens d’une approche plus universelle de la gestion des ressources. Seull’avenir nous le dira.

« S’il [l’Antarctique] n’était pas doté de cet environnement et ce climat extrême,il serait devenu l’objet d’enjeux autrement plus sérieux de la part des Etats. Il aen quelque sorte imposé aux hommes une sorte de sagesse, qui, il faut l’espérerdurera encore longtemps. » (Perez, 1989, p 90)

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LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ANTARCTIQUE

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Annexes

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Annexes

Annexe 1 : Texte du Traité de Washington du 1erdécembre 1959.

Les Gouvernements de l’Argentine, de l’Australie, de la Belgique, du Chili, de laRépublique Française, du Japon, de la Nouvelle-Zélande, de la Norvège, de l’Union Sud-Africaine, de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, du Royaume- Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, et des Etats-Unis d’Amérique,

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LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ANTARCTIQUE

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Reconnaissant qu’il est de l’intérêt de l’humanité tout entière que l’Antarctique soit àjamais réservée aux seules activités pacifiques et ne devienne ni le théâtre ni l’enjeu dedifférends internationaux;

Appréciant l’ampleur des progrès réalisés par la science grâce à la coopérationinternationale en matière de recherche scientifique dans l’Antarctique;

Persuadés qu’il est conforme aux intérêts de la science et au progrès de l’humanitéd’établir une construction solide permettant de poursuivre et de développer cettecoopération en la fondant sur la liberté de la recherche scientifique dans l’Antarctique tellequ’elle a été pratiquée pendant l’Année Géophysique Internationale;

Persuadés qu’un Traité réservant l’Antarctique aux seules activités pacifiques etmaintenant dans cette région l’harmonie internationale, servira les intentions et les principesde la Charte des Nations Unies;

Sont convenus de ce qui suit:Art. I1. Seules les activités pacifiques sont autorisées dans l’Antarctique. Sont interdites,

entre autres, toutes mesures de caractère militaire telles que l’établissement de bases, laconstruction de fortifications, les manœuvres, ainsi que les essais d’armes de toutes sortes.

2. Le présent Traité ne s’oppose pas à l’emploi de personnel ou de matériel militairespour la recherche scientifique ou pour toute autre fin pacifique.

Art. IILa liberté de la recherche scientifique dans l’Antarctique et la coopération à cette

fin, telles qu’elles ont été pratiquées durant l’Année Géophysique Internationale, sepoursuivront conformément aux dispositions du présent Traité.

Art. III1. En vue de renforcer dans l’Antarctique la coopération internationale en matière

de recherche scientifique, comme il est prévu à l’Article II du présent Traité, les PartiesContractantes conviennent de procéder, dans toute la mesure du possible:

(a) à l’échange de renseignements relatifs aux programmes scientifiques dansl’Antarctique, afin d’assurer au maximum l’économie des moyens et le rendement desopérations;

(b) à des échanges de personnel scientifique entre expéditions et stations dans cetterégion;

(c) à l’échange des observations et des résultats scientifiques obtenus dansl’Antarctique qui seront rendus librement disponibles.

2. Dans l’application de ces dispositions, la coopération dans les relations detravail avec les Institutions Spécialisées des Nations Unies et les autres organisationsinternationales pour lesquelles l’Antarctique offre un intérêt scientifique ou technique, seraencouragée par tous les moyens.

Art. IV1. Aucune disposition du présent Traité ne peut être interprétée:(a) comme constituant, de la part d’aucune des Parties Contractantes, une renonciation

à ses droits de souveraineté territoriale, ou aux revendications territoriales, précédemmentaffirmés par elle dans l’Antarctique;

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Annexes

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(b) comme un abandon total ou partiel, de la part d’aucune des Parties Contractantes,d’une base de revendication de souveraineté territoriale dans l’Antarctique, qui pourraitrésulter de ses propres activités ou de celles de ses ressortissants dans l’Antarctique, oude toute autre cause;

(c) comme portant atteinte à la position de chaque Partie Contractante en cequi concerne la reconnaissance ou la non reconnaissance par cette Partie, du droitde souveraineté, d’une revendication ou d’une base de revendication de souverainetéterritoriale de tout autre Etat, dans l’Antarctique.

2. Aucun acte ou activité intervenant pendant la durée du présent Traité ne constitueraune base permettant de faire valoir, de soutenir ou de contester une revendication desouveraineté territoriale dans l’Antarctique, ni ne créera des droits de souveraineté danscette région. Aucune revendication nouvelle, ni aucune extension d’une revendication desouveraineté territoriale précédemment affirmée, ne devra être présentée pendant la duréedu présent Traité.

Art. V1. Toute explosion nucléaire dans l’Antarctique est interdite, ainsi que l’élimination dans

cette région de déchets radioactifs.2. Au cas où seraient conclus des accords internationaux, auxquels participeraient

toutes les Parties Contractantes dont les représentants sont habilités à participer auxréunions prévues à l’Art. IX, concernant l’utilisation de l’énergie nucléaire y compris lesexplosions nucléaires et l’élimination de déchets radioactifs, les règles établies par de telsaccords seront appliquées dans l’Antarctique.

Art. VILes dispositions du présent Traité s’appliquent à la région située au sud du 60° degré de

latitude Sud, y compris toutes les plates-formes glaciaires; mais rien dans le présent Traiténe pourra porter préjudice ou porter atteinte en aucune façon aux droits ou à l’exercice desdroits reconnus à tout Etat par le droit international en ce qui concerne les parties de hautemer se trouvant dans la région ainsi délimitée.

Art. VII1. En vue d’atteindre les objectifs du présent Traité et d’en faire respecter les

dispositions, chacune des Parties Contractantes dont les représentants sont habilitésà participer aux réunions mentionnées à l’Art. IX de ce Traité, a le droit de désignerdes observateurs chargés d’effectuer toute inspection prévue au présent Article. Cesobservateurs seront choisis parmi les ressortissants de la Partie Contractante qui lesdésigne. Leurs noms seront communiqués à chacune des autres Parties Contractanteshabilitées à désigner des observateurs; la cessation de leurs fonctions fera l’objet d’unenotification analogue.

2. Les observateurs désignés conformément aux dispositions du par. 1 du présentArticle auront complète liberté d’accès à tout moment à l’une ou à toutes les régions del’Antarctique.

3. Toutes les régions de l’Antarctique, toutes les stations et installations, tout lematériel s’y trouvant, ainsi que tous les navires et aéronefs aux points de débarquementet d’embarquement de fret ou de personnel dans l’Antarctique, seront accessibles à toutmoment à l’inspection de tous observateurs désignés conformément aux dispositions dupar. 1 du présent Article.

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LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ANTARCTIQUE

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4. Chacune des Parties Contractantes habilitées à désigner des observateurs peuteffectuer à tout moment l’inspection aérienne de l’une ou de toutes les régions del’Antarctique.

5. Chacune des Parties Contractantes doit, au moment de l’entrée en vigueur duprésent Traité en ce qui la concerne, informer les autres Parties Contractantes et par la suiteleur donner notification préalable:

(a) de toutes les expéditions se dirigeant vers l’Antarctique ou s’y déplaçant, effectuéesà l’aide de ses navires ou par ses ressortissants, de toutes celles qui seront organisées surson territoire ou qui en partiront;

(b) de l’existence de toutes stations occupées dans l’Antarctique par ses ressortissants;(c) de son intention de faire pénétrer dans l’Antarctique, conformément aux dispositions

du par. 2 de l’Article I du présent Traité, du personnel ou du matériel militaires quels qu’ilssoient.

Art. VIII1. Afin de faciliter l’exercice des fonctions qui leur sont dévolues par le présent Traité

et sans préjudice des positions respectives prises par les Parties Contractantes en ce quiconcerne la juridiction sur toutes les autres personnes dans l’Antarctique, les observateursdésignés conformément aux dispositions du par. 1 de l’Art. VII et le personnel scientifiquefaisant l’objet d’un échange aux termes de l’al. 1 (b) de l’Art. III du Traité ainsi que lespersonnes qui leur sont attachées et qui les accompagnent, n’auront à répondre que devantla juridiction de la Partie Contractante dont ils sont ressortissants, en ce qui concerne tousactes ou omissions durant le séjour qu’ils effectueront dans l’Antarctique pour y remplir leursfonctions.

2. Sans préjudice des dispositions du par. 1 du présent Article et en attendant l’adoptiondes mesures prévues à l’al. 1 (e) de l’Art. IX, les Parties Contractantes se trouvant partiesà tout différend relatif à l’exercice de la juridiction dans l’Antarctique devront se consulterimmédiatement en vue de parvenir à une solution acceptable de part et d’autre.

Art. IX1. Les représentants des Parties Contractantes qui sont mentionnées au préambule du

présent Traité se réuniront à Canberra dans les deux mois suivant son entrée en vigueur et,par la suite, à des intervalles et en des lieux appropriés, en vue d’échanger des informations,de se consulter sur des questions d’intérêt commun concernant l’Antarctique, d’étudier,formuler et recommander à leurs Gouvernements des mesures destinées à assurer lerespect des principes et la poursuite des objectifs du présent Traité, et notamment desmesures:

(a) se rapportant à l’utilisation de l’Antarctique à des fins exclusivement pacifiques;(b) facilitant la recherche scientifique dans l’Antarctique;(c) facilitant la coopération scientifique internationale dans cette région;(d) facilitant l’exercice des droits d’inspection prévus à l’Art. VII du présent Traité;(e) relatives à des questions concernant l’exercice de la juridiction dans l’Antarctique;(f) relatives à la protection et à la conservation de la faune et de la flore dans

l’Antarctique.

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Annexes

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2. Toute Partie Contractante ayant adhéré au présent Traité conformément auxdispositions de l’Art. XIII a le droit de nommer des représentants qui participeront auxréunions mentionnées au par. 1 du présent Article, aussi longtemps qu’elle démontrel’intérêt qu’elle porte à l’Antarctique en y menant des activités substantielles de recherchescientifique telles que l’établissement d’une station ou l’envoi d’une expédition.

3. Les rapports des observateurs mentionnés à l’Art. VII du présent Traité seronttransmis aux représentants des Parties Contractantes qui participent aux réunionsmentionnées au par. 1 du présent Article.

4. Les mesures prévues au par. 1 du présent Article prendront effet dès leur approbationpar toutes les Parties Contractantes dont les représentants étaient habilités à participer auxréunions tenues pour l’examen desdites mesures.

5. L’un quelconque ou tous les droits établis par le présent Traité peuvent être exercésdès son entrée en vigueur, qu’il y ait eu ou non, comme il est prévu au présent Article,examen, proposition ou approbation de mesures facilitant l’exercice de ces droits.

Art. XChacune des Parties Contractantes s’engage à prendre des mesures appropriées,

compatibles avec la Charte des Nations Unies, en vue d’empêcher que personnen’entreprenne dans l’Antarctique aucune activité contraire aux principes ou aux intentionsdu présent Traité.

Art. XI1. En cas de différend entre deux ou plusieurs des Parties Contractantes en ce qui

concerne l’interprétation ou l’application du présent Traité, ces Parties Contractantes seconsulteront en vue de régler ce différend par voie de négociation, enquête, médiation,conciliation, arbitrage, règlement judiciaire ou par tout autre moyen pacifique de leur choix.

2. Tout différend de cette nature qui n’aura pu être ainsi réglé, devra être porté, avecl’assentiment dans chaque cas de toutes les parties en cause, devant la Cour Internationalede Justice en vue de règlement; cependant l’impossibilité de parvenir à un accord sur untel recours ne dispensera aucunement les parties en cause de l’obligation de continuer àrechercher la solution du différend par tous les modes de règlement pacifique mentionnésau par. 1 du présent Article.

Art. XII1. (a) Le présent Traité peut être modifié ou amendé à tout moment par accord

unanime entre les Parties Contractantes dont les représentants sont habilités à participeraux réunions prévues à l’Art. IX. Une telle modification ou un tel amendement entrera envigueur lorsque le Gouvernement dépositaire aura reçu de toutes ces Parties Contractantesavis de leur ratification.

(b) Par la suite une telle modification ou un tel amendement entrera en vigueur à l’égardde toute autre Partie Contractante lorsqu’un avis de ratification émanant de celle-ci auraété reçu par le Gouvernement dépositaire. Chacune de ces Parties Contractantes dontl’avis de ratification n’aura pas été reçu dans les deux ans suivant l’entrée en vigueur de lamodification ou de l’amendement conformément aux dispositions de l’al. 1 (a) du présentArticle, sera considérée comme ayant cessé d’être partie au présent Traité à l’expirationde ce délai.

2. (a) Si à l’expiration d’une période de trente ans à dater de l’entrée envigueur du présent Traité, une des Parties Contractantes dont les représentants sont

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LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ANTARCTIQUE

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habilités à participer aux réunions prévues à l’Art. IX, en fait la demande par unecommunication adressée au Gouvernement dépositaire, une Conférence de toutes lesParties Contractantes sera réunie aussitôt que possible, en vue de revoir le fonctionnementdu Traité.

(b) Toute modification ou tout amendement au présent Traité, approuvé à l’occasiond’une telle Conférence par la majorité des Parties Contractantes qui y seront représentées,y compris la majorité des Parties Contractantes dont les représentants sont habilitésà participer aux réunions prévues à l’Art. IX, sera communiqué à toutes les PartiesContractantes par le Gouvernement dépositaire dès la fin de la Conférence, et entrera envigueur conformément aux dispositions du par. 1 du présent Article.

(c) Si une telle modification ou un tel amendement n’est pas entré en vigueur,conformément aux dispositions de l’al. 1 (a) du présent Article, dans un délai de deuxans à compter de la date à laquelle toutes les Parties Contractantes en auront reçucommunication, toute Partie Contractante peut, à tout moment après l’expiration de cedélai, notifier au Gouvernement dépositaire qu’elle cesse d’être partie au présent Traité; ceretrait prendra effet deux ans après la réception de cette notification par le Gouvernementdépositaire.

Art. XIII1. Le présent Traité sera soumis à la ratification des Etats signataires. Il restera ouvert

à l’adhésion de tout Etat membre des Nations Unies, ou de tout autre Etat qui pourrait êtreinvité à adhérer au Traité avec le consentement de toutes les Parties Contractantes dontles représentants sont habilités à participer aux réunions mentionnées à l’Art. IX du Traité.

2. La ratification du présent Traité ou l’adhésion à celui-ci sera effectuée par chaqueEtat conformément à sa procédure constitutionnelle.

3. Les instruments de ratification et les instruments d’adhésion seront déposés près leGouvernement des Etats-Unis d’Amérique, qui sera le Gouvernement dépositaire.

4. Le Gouvernement dépositaire avisera tous les Etats signataires et adhérents dela date de dépôt de chaque instrument de ratification ou d’adhésion ainsi que de la dated’entrée en vigueur du Traité et de toute modification ou de tout amendement qui y seraitapporté.

5. Lorsque tous les Etats signataires auront déposé leurs instruments de ratification,le présent Traité entrera en vigueur pour ces Etats et pour ceux des Etats qui aurontdéposé leurs instruments d’adhésion. Par la suite, le Traité entrera en vigueur, pour toutEtat adhérent, à la date du dépôt de son instrument d’adhésion.

6. Le présent Traité sera enregistré par le Gouvernement dépositaire conformémentaux dispositions de l’art. 102 de la Charte des Nations Unies.

Art. XIVLe présent Traité, rédigé dans les langues anglaise, française, russe et espagnole,

chaque version faisant également foi, sera déposé aux archives du Gouvernementdes Etats-Unis d’Amérique qui en transmettra des copies certifiées conformes auxGouvernements des Etats signataires ou adhérents. En foi de quoi, les Plénipotentiairessoussignés, dûment autorisés, ont apposé leur signature au présent Traité.

Fait à Washington, le premier décembre mille neuf cent cinquante-neuf.

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Annexes

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Annexe 2 : liste des états signataires du traite surl’antarctique

Source : Wikipédia 2009.Les premiers signataires du Traité sont les douze pays qui se sont livrés à des

activités dans l’Antarctique durant l’Année géophysique internationale 1957-58 et qui ontensuite accepté l’invitation du Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique de participer àla conférence diplomatique à laquelle le Traité a été négocié à Washington en 1959. CesParties ont le droit de prendre part aux réunions visées à l’article IX du Traité (Réunionsconsultatives du Traité sur l’Antarctique ou RCTA).

Depuis 1959, trente-quatre autres pays ont adhéré au Traité. En vertu du paragraphe2 de l’article IX, ils ont le droit de participer aux réunions consultatives aussi longtempsqu’elles démontrent l’intérêt qu’elles portent à l’Antarctique en “y menant des activitéssubstantielles de recherche scientifique”. Seize des pays adhérents ont vu leurs activités

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LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ANTARCTIQUE

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dans l’Antarctique reconnues en application de cette disposition et il y a par conséquentaujourd’hui un total de vingt-huit Parties consultatives. Les autres dix-huit Parties nonconsultatives sont invitées à assister aux réunions consultatives mais elles ne participentpas à la prise des décisions.

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PARTIES CONSULTATIVES :

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LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ANTARCTIQUE

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1 Date à laquelle le Traité est entré en vigueur pour la Partie. Dans le cas des Partiesqui les premières ont signé le Traité, c’est la date à laquelle il est entré en vigueur, à savoir le23 juin 1961; dans le cas des pays qui y ont adhéré plus tard, c’est la date à laquelle ils ont

déposé leur instrument d’adhésion. 2 Le statut consultatif des Parties originelles, qui estpermanent, date de l’entrée en vigueur du Traité, à savoir le 23 juin 1961. Ces Parties sontindiquées par une astérisque *. S’agissant des autres Parties, la date mentionnée est celle

à laquelle la RCTA a conféré le statut consultatif à la Partie. 3 La date d’entrée en vigueurdu Protocole relatif à la protection de l’environnement pour cette Partie. Le Protocole estentré en vigueur le 14 janvier 1998.

annexe 3 : pretentions territoriales sur l’antarctique

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Annexes

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Annexe 4 : Le monde vu de l’Antarctique

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LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ANTARCTIQUE

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Source : « Adieu l’Antarctique », 1991.

Annexe 3 : Les prétentions territoriales sur leContinent.

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Annexes

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Source : « Adieu l’Antarctique », 2007.

Annexe 5 : Principales bases scientifiques etpopulation antarctique

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LE STATUT INTERNATIONAL DE L’ANTARCTIQUE

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Annexe 6 : carte de la zone de compétence de laCCAMLD.

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Annexes

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