le soufisme au mali du xix siecle a nos jours

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Page 1: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

0

UNIVERSITÉ DE STRASBOURG

ÉCOLE DOCTORALE DES HUMANITES

Groupe d’Études Orientales, Slave et Néo-hellénique (GEO)

THÈSE présentée par :

Hamadou BOLY

soutenue le 24 juin 2013

pour obtenir le grade de : Docteur de l’Université de Strasbourg

Discipline/ Spécialité : Études méditerranéennes et orientales

LE SOUFISME AU MALI DU XIXème SIECLE

A NOS JOURS

Religion, politique et société

THÈSE dirigée par :

GEOFFROY Eric Université de Strasbourg

RAPPORTEURS :

M. TRIAUD Jean-Louis Université de Provence

Mme. TAMARI Tal CEMAF, CNRS

AUTRES MEMBRES DU JURY :

M. GRIL Denis Université de Provence

Page 2: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

1

Résumé

La plupart des historiens maliens considèrent le VIIème siècle de l’ère chrétienne comme la

date de l’avènement de l’islam au Mali, alors que le soufisme n’y fit probablement son

apparition qu’à partir du XVème siècle. Cette apparition soufie se caractérise alors par des

pratiques individuelles et disséminées ici et là. Il faut donc attendre l’aube du XIXème siècle

pour voir une véritable émergence du soufisme et une large expansion de l’islam avec les

efforts déployés par Sīdī al-Muẖtār al-Kabīr, l’instauration de l’Etat musulman du Macina et

le ǧihād lancé par al-Ḥāǧ ‘Umar. Les deux voies spirituelles, Qādiriyya et Tiǧāniyya entreront

en opposition, mais feront résistance à l’intrusion coloniale dans le pays. Après

l’indépendance du Mali, en 1960, les soufis participeront activement à la vie politique et

sociale du pays. Enfin les soufis maliens sont à l’origine de maintes œuvres intellectuelles

destinées à faire connaître leur voie spirituelle.

Mot-clés : soufisme, Qādiriyya, Tiǧāniyya, Muẖtāriyya ésotérique, cheikh, œuvres,

mystiques

Résumé en anglais

For the most part, Malian historians see and consider the 7th century of the Christian era as

the advent of Islam in Mali, while Sufism most likely came into existence there by the 15th

century only. This Sufi first appearance is then characterized by spread and individual

practices here and there. It is only at the dawn of the 19th century that a true emergence of

Sufism and a great expansion of Islam through the efforts made by Sīdī al-Muẖtār al-Kabīr,

the establishment of the theocratic state of Macina, and the call to jihad by al-Ḥāǧ ‘Umar can

be seen. The two spiritual paths known respectively as Qādiriyya and Tiǧāniyya will come

into conflict but they will both resist colonial intrusion into their country. After Malian

independence in 1960, Sufis will take an active part in political and social life of the country.

Finally, Malian Sufis are behind numerous intellectual works meant to make their spiritual

paths known.

Key words : sufism, Qādiriyya, Tiǧāniyya, Muẖtāriyya, esoterism, mystic, shayk

Hamadou BOLY

LE SOUFISME AU MALI DU XIXEME SIECLE A NOS JOURS : RELIGION, POLITIQUE ET SOCIETE

Page 3: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

2

REMERCIEMENTS

Qu’il me soit permis ici de rendre un hommage tout particulier à mes parents, tous

les deux décédés dans la même semaine, je leur suis infiniment redevable.

Je voue une reconnaissance toute particulière à Monsieur Eric Geoffroy qui n’a

ménagé aucun effort pour guider mes pas, non seulement au cours de la direction du

présent travail, mais déjà lors de mon mémoire de master. Je tiens donc à le

remercier pour la disponibilité, le sens des responsabilités et l’humanisme, qu’il a

manifestés tout au long de mon cursus universitaire à Strasbourg.

Mes sincères remerciements vont également à Mme Annick Messner, pour son

soutien moral et sa relecture minutieuse de mes travaux ; elle n’a jamais cessé de

m’apporter tout ce dont j’ai besoin pour la bonne réalisation de ce travail.

Je remercie aussi du fond du cœur le professeur émérite Astérios Argyriou qui,

par amitié, a bien voulu m’accorder son soutien intellectuel et ses conseils précieux

qui m’ont considérablement éclairé dans la présente thèse. Je remercie vivement Dr.

Mohamed Diagayeté qui m’a beaucoup aidé à découvrir les précieux manuscrits de

l’IHERIAB.

De nombreux amis m’ont soutenu dans les moments les plus difficiles de la vie,

notamment Adem Dereli et Ifakat et ses enfants (Anas, Malikael, et Marwa) ; je les

remercie infiniment. Mes remerciements vont également à mes amis qui m’ont

soutenu : cheikh Abdel Hakim Bousandel, Dr. Sindy Berthé, Abdourahmane

Traoré, Amidou Dembelé, Hassan Akoudad, Ahmed Akoudad, Moussa Belfort,

Youssouf Gadouri, Nelly, Alper, et Ballé Niane. Enfin, j’exprime ma profonde

gratitude à mon épouse et à mes trois enfants pour leur patience, et à tous ceux et à

toutes celles, qui, de près ou de loin, m’ont aidé dans l’aboutissement de ce travail.

Page 4: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

3

LISTES DES SIGLES ET ABREVIATIONS

A.M.U.P.I : Association Malienne pour l’Unité et le Progrès de l’Islam

A.N.M : Archives Nationales du Mali

A.O.F : Afrique Occidentale Française

B.N.F. : Bibliothèque Nationale de France

B.N.U : Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg

C.F.A : Communauté Financière Africaine

C.M.S : Communauté Musulmane des Soufis

C.N.R.S : Centre National de la Recherche Scientifique

ENDA-TW : Environment Development Action in the Third World

F.E.M.A.P.H : Fédération Malienne des Associations des Personnes Handicapées

H.C.I.M : Haut Conseil Islamique du Mali

I.F.A.N : Institut Français d’Afrique Noire

I.H.E.R.I.A.B : Institut des Hautes Etudes et de Recherches Islamiques Ahmed

Baba1

O.N.G : Organisation Non Gouvernementale

P.S.P : Parti Soudanais Progressiste

R.D.A : Rassemblement Démocratique Africain

U.C.M : Union Culturelle Musulmane

U.S.A.I.D: United States Agency of International Development

1 Ce nom date de 2001, son ancien nom était : C.E.D.R.A.B. (Centre de Documentations et de Recherches

Ahmed Baba)

Page 5: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

4

SYSTÈME DE TRANSLITTÉRATION

Au cours du présent travail, nous avons choisi d’utiliser le système de translittération

Arabica pour les mots arabes :

Nous avons cependant conservé

l’orthographe française de certains mots

issus de l’arabe comme : Coran, sourate,

calife, cheikh, soufi etc. Certains noms

propres plus fréquents sont transcrits selon

l’orthographe française, comme La Mecque,

Médine.

La première lettre hamza (’) ne sera pas

transcrite au début. Quant à la lettre (t)

marbūta, elle sera transcrite seulement en

état d’annexion.

q

k

l

m

n

h

w

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voyelles

brèves

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voyelles

longues

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Page 6: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

5

SOMMAIRE

INTRODUCTION……………………………………………………………….…6

PARTIE I : LE SOUFISME AU MALI DURANT LA PERIODE

PRECOLONIALE (1800-1878)………………………………………………….15

Chapitre I : Méthodologie et la critique des sources………………………………16

Chapitre II : L’avènement du soufisme au Mali …………………………………..29

Chapitre III : La Qādiriyya et la Tiǧāniyya durant la période précoloniale……….44

Chapitre IV : Les ouvrages des soufis de premier plan au Mali et leur

portée……………………………………………………………………………….83

PARTIE II : LE SOUFISME DURANT LA PERIODE COLONIALE (1878-

1960)……………………………………………………………………………...118

Chapitre I : La colonisation française et la résistance armée des soufis……… ..119

Chapitre II : Apparition et émergence de nouvelles voies spirituelles au Mali…132

Chapitre III : Les enjeux du colonialisme et les répercussions de la colonisation sur

le plan religieux…………………………………………………………………...177

PARTIE III : LE SOUFISME AU MALI DURANT LA PERIODE

POSTCOLONIALE (1960-)…………………………………………………….190

Chapitre I : L’indépendance du Mali en 1960 et l’expansion du soufisme………191

Chapitre II : Les formes de présence politique et sociale des soufis dans le Mali

indépendant……………………………………………………………………….232

Chapitre III : Les œuvres intellectuelles des soufis d’aujourd’hui ……………..266

CONCLUSION…………………………………………………………………..315

Page 7: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

6

INTRODUCTION

Page 8: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

7

INTRODUCTION

Le Mali se présente comme un pays hétérogène, composé de régions bien

distinctes et peuplées de différentes ethnies, elles-mêmes porteuses d’un patrimoine

culturel qui leur est propre. 90% de la population étant musulmane, l’islam pourrait

donc apparaitre comme un élément de cohésion unificateur, mais lui aussi se

ramifie. Une de ses voies cependant, bien qu’également subdivisée, se veut

particulièrement pacificatrice et unificatrice, le soufisme.

Le terme « soufi» n’existait pas à l’époque du Prophète. Certains pensent que

ce terme n’a vu le jour que deux siècles après l’Hégire.2 D’après Denis Gril, c’est le

terme zuhd qui était récurrent pour qualifier une personne spirituellement

accomplie : « Zuhd est le terme qui revient le plus souvent pour caractériser la

spiritualité des deux premiers siècles. La traduction par ‘‘ascèse’’ ne rend

qu’imparfaitement son sens.»3 Quant au néologisme « soufisme », il n’est apparu

qu’en 1821, selon Christian Bonaud, forgé par un pasteur allemand ».4

Par ailleurs, le terme « soufi » a suscité beaucoup de divergences. Certains

courants musulmans le considèrent comme une innovation religieuse illégale, alors

que d’autres fustigent ce genre d’approche simpliste et superficielle en affirmant

que c’est le contenu qui prime et non le nom. Certains cheikhs comme Aḥmad

Kuftārū Naqšbandī (m. 2004), écrit Eric Geoffroy, prônent le retour à une réforme

de la terminologie soufie qui serait alors exclusivement coranique et proposent de

remplacer le mot taṣawwuf, par iḥsān, recherche de la perfection, ou par tazkiat al-

nafs, purification de l’âme.5

Le maître spirituel nigérian qādirī Ousman Dan Fodio (m.1815), qui demeure

l’une des références des soufis maliens, utilisa, il y a plus de deux siècles, cette

terminologie purement prophétique (al-iḥsān) pour parler du soufisme dans son

2 SUHRAWARDĪ Abū Ḥafṣ Umar, ‘Awārif al-Ma‘ārif, Beyrouth, éd. Dar al-Ma‘rifa, 1984, p.66. 3 GRIL Denis, « Les débuts du soufisme », in POPOVIC Alexandre et VEINSTEIN Gilles, (dir.) Les voies

d’Allah, Paris, éd. Fayard, 1996, p. 31. 4 BONAUD Christian, Le soufisme : al-tasawwuf et la spiritualité islamique, Paris, Maisonneuve et Larose,

2002. p.7. 5 GEOFFROY Eric, Soufisme, réformisme et pouvoir en Syrie contemporaine, Egypte-Monde arabe, n°29

CEDEJ, Le Caire, 1997, p. 300.

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8

célèbre recueil « Iḥyā’ al-Sunna » : « al-Iḥsān, qui est le soufisme, consiste à imiter

le Prophète dans toutes ses actions en adorant Dieu comme si tu le vois ».6

Sur le plan étymologique, pour certains, le terme ṣūfī dérive du mot ṣūf, la

laine, en référence aux ascètes qui s’habillaient de laine. D’autres sont d’avis que ce

mot dérive de ṣuffa, cour de la mosquée du Prophète, où se réunissaient certains

compagnons du Prophète. Une troisième interprétation le fait venir de ṣaff, le

premier rang dans la prière et enfin, une quatrième avance, comme origine ṣafā,

pureté. Nous savons qu’aucune de ces interprétations n’est plausible sur le plan

linguistique sauf la première et la dernière.7

Selon l’auteur de « ‘Awārif al-ma‘ārif », ouvrage très populaire dans les milieux

soufis du Mali, les définitions du soufisme données par les cheikhs comptent plus

de mille variantes, puis il résume sa pensée en ces mots : « Le soufisme est une

purification continuelle du cœur en s’en remettant constamment et totalement au

Seigneur. (……) Dans ce sens, quatre choses sont indispensables : manger peu,

dormir peu, parler peu, et garder la solitude.»8.

Si l’on se réfère à cette définition, le soufisme se résume à la purification du

cœur par des pratiques relevant de l’« ascétisme ». Abū al-Qāsim al-Qušayrī

(m.1072), auteur de Risāla al-Qušayriyya, quant à lui, donne la définition suivante :

« Le soufisme est un état dans lequel toute trace humaine a disparu »9. Cette

définition décrit essentiellement la fin recherchée du soufisme, à savoir se libérer

totalement de son ego pour se consacrer au divin.

La compréhension du soufisme adoptée par les soufis du Mali ne diffère pas

fondamentalement de ces différentes variantes susmentionnées. A cet égard, nous

avons pu constater que la définition du soufisme à proprement parler n’est pas très

explicite dans les écrits des cheikhs maliens de premier plan, tels cheikh Sīdī al-

Muẖtār al-Kabīr (m.1811), cheikh al-Bakkay al-Kuntī (m. 1865) et cheikh Āmadu

6 DAN FODIO Ousman ‘Ihyâ’ al-sunna wa iẖmād al-bid’a, Sokoto, s.d., Librairie Alhaǧ Abdallah, p. 170. 7 AL-ǦILANI Abd al-Qādir, al-Ġunya li ṭālibī ṭarīq al-ḥaqq, Beyrouth, éd. Dar al- Ṣādir, 2007, p. 183. 8 SUHRAWARDĪ Abū Ḥafṣ Umar, ‘Awārif al-Ma’ārif, op. cit., pp.64,128. 9 QUŠAYRĪ Abū al-Qāsim, Risāla al-qušayriyya, Beyrouth, éd. Dar al-Sādir,1986, p.31.

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9

al-Māsinī (m. 1845). Cependant, le grand guide spirituel, cheikh Sīdī al-Muẖtār al-

Kabīr, auteur prolifique et instaurateur de la Qādiriyya au Mali, révèle

implicitement sa compréhension du soufisme dans une lettre de conseils adressée à

ses disciples : « Mes chers disciples, je vous rappelle que le ḏikr, invocation

d’Allah, constitue un grand élément de notre spiritualité, cette spiritualité ne

s’accomplit qu’en s’adonnant entièrement au Seigneur, puis au cheikh ».10 Cet

extrait met en évidence trois éléments essentiels du soufisme : soumission totale à

Dieu, intensification du ḏikr et recours à un maître spirituel sous l’égide duquel

s’exercent les actions spirituelles.

Par ailleurs, dans de nombreuses poésies composées sur la spiritualité, cheikh

Muḥammad Su‘ād (m.1852) livre implicitement sa pensée sur le soufisme. Pour lui,

le soufisme, c’est savoir tenir les brides de son âme et inviter également les autres à

faire de même.11 Cette définition explicite, selon ce dernier, le double rôle du

soufisme : maitriser son âme en l’éloignant du basculement dans les interdits, puis

inciter son entourage à s’impliquer dans le même exercice.

D’autres soufis contemporains du Mali se sont également exprimés sur le

soufisme. L’écrivain soufi Amadou Hampâté Bâ (m.1991) expose dans ses écrits la

conception du soufisme, telle que formulée par son maître spirituel Tierno Bokar

avant que lui-même ne l’adopte. La réponse donnée par son guide spirituel est

édifiante :

« Tierno, lui demandai-je un jour, quels sont les rôles respectifs de la šarī‘a (loi

révélée) et de la mystique ?

-La šarī‘a et la mystique, enseignement initiatique, me répondit-il, sont deux

aspects différents de la Religion, mais qui se complètent et ne doivent pas aller

l’un sans l’autre. L’objectif essentiel de la šarī‘a est, par sa sévérité même, de

préserver l’homme du libertinage de l’irréligion. La mystique, elle, sera

semblable à une irrigation. Son rôle consiste à ouvrir l’esprit humain à la

10SĪDĪ al-Muẖtār, Al-’Awrād al-Qādiriyya, ms, n° 6243. I.H.E.R.I.A.B., Tombouctou, fol.1. Traduction

personnelle. 11 SU‘ĀD Muḥammad, Tark al-dunyā, ms n° 5882, I.H.E.R.I.A.B., Tombouctou,, fol.1.Traduction personnelle.

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10

connaissance en Dieu, ma‘rifa, laquelle est comparable à une eau subtile.

Vient-elle à manquer, l’esprit devient tout pareil à un sol aride et brûlant. » 12

Tierno Bokar concevait donc le soufisme comme une nourriture sine qua non de

l’âme, sans laquelle l’âme reste sous le feu de la soif et de la faim.

Dans son ouvrage « A la lumière du soufisme », qui fera plus tard objet de notre

étude, cheikh Bilal Diallo donne clairement sa définition du soufisme. Cependant

celle-ci s’apparente à la définition courante que l’on trouve dans tous les ouvrages

soufis. « Ce mot provient du mot arabe « elsouf » c'est-à-dire la laine blanche que

portaient les premiers mystiques. Le soufisme occupe la place ésotérique de

l’islam »13 . Mais ce qui attire notre attention est qu’il va bien au-delà de tout cela,

pour qualifier Dieu même de soufi : « Le soufisme est l’Alpha et l’Oméga, je veux

dire qu’au commencement était le soufisme, le soufisme était avec les prophètes, les

prophètes étaient avec Dieu et Dieu dans son ésotérisme absolu est soufi ».14

Il existe deux éléments centraux dans le soufisme : la tarîqa, et le guide

spirituel. En ce qui concerne la tarîqa, nombreux sont les chercheurs qui utilisent le

terme confrérie pour traduire ce terme. Rachida Chih l’adopte non sans l’avoir

comparé avec d’autres termes synonymes envisageables : « Comment traduire

tarîqa ? Confrérie, voie ou ordre ? Le terme importe peu si le chercheur prend

d’emblée la précaution de décrire l’objet, de montrer comment il fonctionne et

s’étend dans l’espace. Confrérie me semble être le terme le plus approprié pour

traduire le mot arabe tarîqa ».15 Pour notre part, nous utiliserons dans la présente

étude tous ces termes (tarîqa, confrérie et ordre) pour désigner une voie spirituelle.

Mais le premier terme d’origine arabe francisé sera le plus souvent employé.

12 BA Amadou Hampate, Vie et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara, Paris, éd. Seuil, 1980,

p.130. 13 DIALLO Bilal, A la lumière du soufisme, Bamako, éd. Imprimerie Delta Service, s. d. p. 19. 14 Ibid., p.19. 15 CHIH Rachida, Le soufisme au quotidien : confréries d'Egypte au XXe siècle, Nilsson, Actes sud, 2000. p. 17.

Page 12: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

11

Quant au guide spirituel, il constitue le pivot de la tarîqa autour duquel

gravitent tous les éléments de la voie. Tous les ouvrages soufis évoquent la place

prépondérante qu’occupe le cheikh dans la confrérie. Sous le chapitre « fī ’adabih

ma‘a šayẖih », Abd al-Qādir al-Ǧīlānī incite les aspirants à une obéissance stricte à

leurs maîtres spirituels et affirme que s’opposer à son cheikh est un poison qui tue,

mais sans toutefois accorder la qualité d’infaillibilité à ce dernier.16 Avant lui un

auteur soufi de premier plan, Abū Tālib al-Makkī (m. 996), citant les sept

caractéristiques indispensables au novice, met l’accent sur l’obligation de se

soumettre à un cheikh véridique, qui lui garantira un bon cheminement spirituel.17

Les soufis maliens ne font pas exception. Certains de leurs écrits incitent à

l’obéissance aveugle envers un guide spirituel. Cheikh Āmadu al-Māsinī (m.1845),

fondateur de l’Etat musulman du Macina, dans son célèbre ouvrage « al-’Iḍṭirār »

que nous étudierons plus loin, corrobore le fait qu’un novice doit obéir à son cheikh,

même si ce dernier lui ordonne de renoncer à ce qui est recommandé par la šarī‘a,

comme le fait d’occuper le premier rang dans la prière, ṣalāt.18

Le soufi malien contemporain Bilal Diallo, va même au-delà de cette

conception, puisqu’il incite, dans certains cas, le disciple à considérer son cheikh

comme son Dieu : « Il y a aussi des états d’âme parmi les étapes spirituelles, à ce

niveau l’aspirant considère son cheikh comme Dieu, comme le Prophète, comme

son père, comme sa mère et comme sa vie »19 Un cheikh a certes un grand rôle à

jouer dans l’éducation spirituelle de son disciple, mais cela, suffirait-il à lui conférer

le rang de perfection ou d’infaillibilité, ‘iṣma, réservé aux seuls prophètes comme

l’énonce la šarī‘a elle-même ?

Enfin, le soufisme se réfère-t-il à la šarī‘a ? Quelle relation entretiennent ces

deux aspects de l’islam ? Si la šarī‘a est perçue comme l’aspect extérieur de l’islam,

le soufisme en serait l’aspect intérieur. Dès lors, ces deux aspects sont-ils

16 AL-ǦILANI Abd al-Qādir, al-Ġunya li ṭālibī ṭarīq al-ḥaqq, op. cit., p. 192. 17 ABU ṬALIB al-Makkī, Qūt al-Qulūb, Le Caire, éd. Dar al-kutub al-‘ilmiyya, 2007, t.1, p.94. 18 AL-MĀSINĪ Āmadu, Al-iḍṭirār ilā Allāh fī iẖmād ba‘ḍ mā tawaqqad min al-bida‘ wa ḥyā’ ba‘d mā indarasa

min al-sunan, ms., n°1019, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, fol.16. 19 DIALLO Bilal, op. cit., p. 125.

Page 13: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

12

complémentaires ou contradictoires ? Les écrits des soufis authentiques excluent

toute contradiction entre le soufisme et la šarī‘a. Dans son ouvrage « Futūḥ al-

Ġayb » cheikh Abd al-Qādir al-Ǧīlānī exhorte explicitement ses disciples à

s’agripper aux cordes de šarī’a, en considérant les aspects extérieur et intérieur de

l’islam comme indissociables et complémentaires.20

En effet, le soufisme au Mali repose sur les éléments suivants :

- L’affiliation à une tarîqa

- La soumission à un guide spirituel

- La purification du cœur

- La pratique continuelle des exercices spirituels

Mais le soufisme au Mali est également un soufisme engagé, préoccupé par les

problèmes politiques et sociaux que traverse le pays. Ceci s’est confirmé tant dans

l’Histoire, qu’au cours des événements récents, comme nous le verrons au cours de

ce travail.

Nous avons pu constater que le soufisme du Mali est mal connu et

insuffisamment étudié, d’où le sujet de la présente thèse. Nous avons donc tenté de

retracer le soufisme au Mali dès son émergence, et principalement, du XIXème

siècle à nos jours, en analysant comment cohabitaient et s’imbriquaient les intérêts

religieux, politiques et sociaux en jeu. En conséquence, notre sujet de recherche

s’articule ainsi :

« Le soufisme au Mali du XIXème siècle à nos jours : religion, politique et société »

Le cadre chronologique de notre étude s’étend donc de l’aube du XIXème

siècle à nos jours (2013). Le point de départ n’est pas innocent, car le début du

XIXème siècle marque un tournant fort pour le soufisme au Mali. En effet, si la

présence soufie est supposée au Mali dès le XVème siècle, sa structuration, son

organisation et son rayonnement cependant, ne se manifestent explicitement qu’à

partir du XIXème siècle, d’où la raison de la chronologie retenue pour ce travail.

Dans la première moitié du XIXème siècle, les confréries soufies se sont

20AL-ǦĪLĀNĪ ‘Abd al-Qādir Futūḥ al-Ġayb, Le Caire, éd. Maktaba Muṣṭafā al-Bābī al-Ḥalabī,1973, pp.6-7.

Page 14: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

13

constituées, les zāwiya ont été créées et les disciples se sont rassemblés autour de

maîtres spirituels bien confirmés, comme cheikh Sīdī al-Muẖtār al-Kabīr (m.1811),

cheikh al-Bakkay al-Kuntī (m.1865) et cheikh Āmadu al-Māsinī (m.1845), etc.

Quant au cadre géographique de notre travail, il comprend les limites du

Mali d’aujourd’hui, car l’ancien Soudan français (Mali) englobait, au début du

XXème siècle, les territoires actuels du Niger et du Burkina Faso.21 Après son

indépendance en 1960, le Mali, situé en Afrique occidentale, compte une superficie

de 1 241 238 km2, soit presque deux fois la France. Il est limité au Nord par

l’Algérie et la Mauritanie, au Sud par la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, à l’Est par

le Niger, à l’Ouest par le Sénégal et au Sud-ouest par la Guinée. Il se divise en huit

régions administratives : Kayes, Koulikoro, Sikasso, Ségou, Mopti, Tombouctou,

Gao et Kidal. La population du Mali s’élève aujourd’hui à 16 millions d’habitants,

inégalement répartis sur tout le territoire. La capitale Bamako compte environ deux

millions d’habitants.22

L’étude du soufisme au Mali a retenu notre intérêt, non seulement parce que

cette voie spirituelle est insuffisamment connue, mais aussi parce qu’elle est un

marqueur de la vie religieuse, politique et sociale de milliers de nos compatriotes.

En conséquence, nous nous sommes posé les questions suivantes : quand et

comment le peuple malien a-t-il embrassé ce courant mystique ? Le soufisme a-t-il

joué le rôle pacificateur dans la société malienne d’hier et d’aujourd’hui ? Ces voies

spirituelles continuent-elles d’influencer le pouvoir public jusqu’à nos jours ? Telles

sont, entre autres, les problématiques auxquelles nous tenterons de répondre dans la

présente étude.

Indissociable de l’histoire du pays, le sujet en recouvre trois périodes

marquantes : le soufisme durant la période précoloniale, durant la période coloniale

(1878-1960) et durant la période postcoloniale (1960-). Dans la première partie,

après la présentation de la méthodologie et la critique des sources, nous allons

étudier l’avènement du soufisme au Mali, l’émergence de la Qādiriyya et de la

21 SPITZ George, Le Soudan français, Paris, éd. Maritimes et Coloniales, 1955, p.12. 22 http://www.populationdata.net/index2.php?option=pays&pid=131&nom=mali (consulté le 4/4/2013)

Page 15: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

14

Tiǧāniyya et les œuvres intellectuelles des soufis de l’époque précoloniale. La

deuxième partie sera consacrée à la résistance des soufis à l’occupation française, à

l’apparition des nouvelles voies spirituelles et aux répercussions de la colonisation

sur le plan religieux. La troisième partie étudiera l’expansion du soufisme après

l’indépendance du Mali, les formes de présence politique et sociale des soufis et la

production intellectuelle de ces derniers.

.

Page 16: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

15

PREMIERE PARTIE

LE SOUFISME AU MALI DURANT LA PERIODE

PRECOLONIALE (1800- 1878)

Page 17: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

16

PREMIERE PARTIE : LE SOUFISME AU MALI DURANT LA

PERIODE PRECOLONIALE (1800- 1878)

La première partie de ce travail comprend quatre chapitres. Dans le premier

nous présenterons notre méthodologie et critiquerons les sources. Le deuxième

chapitre tentera d’analyser la date de l’apparition de l’islam et du soufisme au Mali,

tout en mettant en exergue certains aspects convergents entre soufisme et religion

ancienne du pays. Puis, dans le troisième chapitre, nous tracerons l’itinéraire des

voies spirituelles au Mali avant la colonisation française et chercherons à voir quel

rôle elles ont joué dans l’islamisation du Mali, et quelles étaient les caractéristiques

soufies de cette époque précoloniale. Le quatrième chapitre enfin, étudiera les

œuvres intellectuelles les plus importantes des soufis maliens de la période

précoloniale, la portée de ces œuvres et leur impact.

Page 18: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

17

CHAPITRE I : METHODOLOGIE ET LA CRITIQUE DES SOURCES

Le soufisme au Mali a fait l’objet de plusieurs études universitaires et non

universitaires. Mais ces études ont abordé de façon partielle le soufisme du Mali

en menant des recherches sur une tarîqa bien précise, dans une période limitée et

souvent très brève. En effet, des travaux universitaires ont bien été consacrés à une

confrérie soufie malienne, le Hamallisme ou la Hamawiyya. Les plus

remarquables sont entre autres : l’ouvrage d’Alioune Traoré «L’islam et la

colonisation en Afrique : Cheikh Hamahoullah, homme de foi et résistant» publié

en 1983. Il y étudie la personnalité du cheikh Hamallah, sa voie spirituelle et sa

résistance face à l’administration coloniale. Sa préoccupation était de donner une

nouvelle et pure image du cheikh Hamallah. Il s’agit donc d’une étude consacrée

à une seule voie spirituelle et qui ne couvre que la première moitié du XXème

siècle.

Par ailleurs, Seydina Oumar Dicko a également étudié ce même courant

hamalliste dans un ouvrage intitulé « Hamallah le protégé de Dieu » publié en

2002. Cet ouvrage fait une étude sommaire du hamallisme. Une autre étude

universitaire a été également consacrée à cette même voie spirituelle hamalliste

par Boukary Savadogo, sous le titre « Confrérie et pouvoir, la Tijâniyya

hamawiyya en Afrique de l’Ouest : 1909-1965 ». C’est une thèse dirigée par Jean-

Louis Triaud à l’Université de Provence et soutenue en 1998. Ce dernier a élargi

son champ d’étude pour couvrir le hamallisme au Mali, au Niger, au Burkina Faso

et en Côte d’Ivoire.

Dans un autre domaine, une thèse a été soutenue à l’Université de Strasbourg

en 1989, par Seydou Cissé. L’objet de la recherche portait sur « L’islam et

l’éducation musulmane au Mali ». L’auteur y étudie de manière très succincte le

soufisme du Mali. Ce qui est d’ailleurs normal, car la vocation de cette étude,

n’était pas de retracer le soufisme.

Page 19: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

18

Le soufisme au Mali a été également abordé dans un contexte plus général de

manière évidemment partielle, notamment dans les travaux de David Robinson « La

guerre sainte d’Al-Hajj ‘Umar : le Soudan occidental au milieu du XIXème siècle »

publiés en 1985. Est d’une importance majeure pour notre recherche,

l’ouvrage collectif publié en 1997, sous la direction de David Robinson et Jean-

Louis Triaud, intitulé : « Le temps des marabouts : itinéraires et stratégies

islamiques en Afrique occidentale française, 1880-1960 ». Ainsi que l’ouvrage

collectif dirigé par Jean-Louis Triaud et David Robinson «La Tijâniyya : une

confrérie musulmane à la conquête de l’Afrique » publié en 2000.

Pour la réalisation de cette recherche, nous allons nous reporter, pour

l’étude de la première partie, aux divers manuscrits qui se révélaient

indispensables pour l’appréhension du soufisme de la période précoloniale. Nous

avons donc visité le Centre Ahmed Baba de Tombouctou au sein duquel sont

disponibles des milliers de manuscrits, répartis en collections, ayant trait aux

diverses thématiques dont le soufisme. Les plus anciens remontent au XIIIème

siècle, précisément en 1204 de l’ère chrétienne.

Afin de discerner la date approximative de l’apparition du soufisme au Mali,

nous avons consulté, tour à tour, tous les écrits traitant de l’histoire du Mali. Mais

nous avons pu constater que toutes ces sources n’évoquaient en aucune façon une

date supposée pour l’avènement du soufisme au Mali. En revanche, deux ouvrages

se sont révélés importants pour cette question : l’un est intitulé « Tārīẖ al-fattāš »

écrit probablement par Maḥmūd Ka‘atī (m.1593 ou 1552), et sa descendance

notamment son petit-fils Ibn al-Muẖtār selon la divergence des chercheurs, et

l’autre portant le titre de «Tārīẖ al-Sūdān » rédigé par Abd al-Raḥmān al-Sa‘adī

(m.1655). Ces deux ouvrages traduits de l’arabe en français par O. Houdas et M.

Delafosse, ont été publiés en 1913-1914 par Ernest Leroux. Le second ouvrage a

même été réédité également en 1964, par Adrien-Maisonneuve. Cependant, nous

avons opté pour une traduction personnelle des passages concernant notre sujet de

recherche. Reconnus indispensables pour l’histoire du Mali, ces ouvrages ont

Page 20: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

19

l’avantage d’évoquer des passages à caractère ésotérique et de citer des textes de

littérature soufie.

En se fondant sur eux, nous avons estimé que le Mali aurait connu une présence

soufie d’une manière ou d’une autre dès le XVème siècle.

Dans ce même Centre des manuscrits, nous avons consulté plusieurs autres

manuscrits. Parmi les plus remarquables figurent les manuscrits de l’un des plus

grands soufis de l’époque précoloniale et instaurateur de la Qādiriyya au Mali, Sīdī

al-Muẖtār al-Kabīr (m.1811). Les manuscrits consultés se présentent comme

ouvrages et certaines missives adressées à ses enfants et à ses disciples, les incitant

à s’attacher davantage au soufisme, notamment à la Qādiriyya. Trois de ses

ouvrages seront étudiés : le premier s’intitule « Ǧaḏwat al-’anwār fī al-ḏabb an

manāṣib awlyā’ Allāh al-aẖyār : Braise incandescente pour la défense de la place

des saints élus d’Allah », le second porte le titre « Al-Kawkab al-waqqād fī ḏikr

fadā’il al-mašāyiẖ wa ḥaqā’iq al-awrād : Etoile étincelante en l’honneur des

mérites des cheikhs, et de leurs formules d’invocation », et le dernier est intitulé

« Kašf al-labs fīmā bayna al-rūḥ wa al-Nafs : Lever le voile sur l’amalgame qui se

fait entre l’âme et l’esprit ». Tous ces manuscrits nous ont permis de déceler la

vision mystique de ce guide, ainsi que sa méthode de diffusion du soufisme dans le

Mali précolonial.

Nous avons également eu accès aux manuscrits d’un autre soufi de premier

plan, Muḥammad Sīdī al-Muẖtār (m. 1826), qui fut l’héritier spirituel de son père

Sīdī al-Muẖtār. Son ouvrage est consacré à la biographie de ses parents « Ṭarā’if wa

talā’id fī karāmāt al-wālida wa al-wālid : Histoires authentiques pour évoquer les

miracles de mes parents ». Ce manuscrit est également éclairant sur le soufisme de

l’époque précoloniale, relatant notamment la formation exotérique et le vécu

spirituel des soufis maliens d’antan. Une traduction partielle de « Ṭarā’if » a été

faite par Mahmoud Zouber.

Est d’une importance capitale également, un autre manuscrit du cheikh Āmadu

al-Māsinī (m.1845), le fondateur du régime musulman qu’il dirigea de 1818 à

Page 21: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

20

1845. Ses enfants reprirent le flambeau jusqu’à l’effondrement final du régime en

1862. Dans son ouvrage, qu’il intitula « Al-iḍṭirār ’ilā Allāh fī iẖmād ba‘ḍ mā

tawaqqad min al-bida‘ wa iḥyā’ ba‘d mā indarasa min al-sunan : S’en remettre à

Allah pour éteindre les innovations religieuses et ressusciter les sunnas disparues »,

ce cheikh consigna sa pensée mystique et exigea le retour à l’orthodoxie

musulmane. L’ouvrage de ce cheikh qādirī nous a édifié sur trois éléments

cruciaux : le lien étroit qu’entretenaient le soufisme et la šarī‘a à cette époque, l’art

de gouverner un peuple avec les principes islamiques, et la nature des actions

sociales engagées par un régime musulman.

En outre, l’ouvrage de Muḥammad ‘Alī Perèǧo, disciple du cheikh Āmadu al-

Māsinī que nous étudierons plus tard est également éclairant sur la vie de son maître

spirituel en particulier et sur le soufisme de l’époque précoloniale en général. Il

s’intitule « Fatḥ al-Ṣamad fī ḏikr šy’in min aẖlāq šayẖinā Aḥmad : Ouverture à

Allah le Seul à être imploré, pour évoquer les attributs de notre cheikh Aḥmad ».

En ce qui concerne l’étude de la tarîqa Tiǧāniyya, nous allons nous référer

principalement au bréviaire de la Tiǧāniyya « Ǧāwāhir al-ma‘ānī », rédigé sous le

contrôle du fondateur de la Tiǧāniyya lui-même, par son disciple Harāzim ‘Alī.

L’ouvrage étant en arabe, nous avons traduit les passages concernant notre sujet de

recherche. Mais nous avons découvert au tout dernier moment une traduction

française de cet ouvrage par Ravane Mbye, professeur à l’Université de Dakar, et

publiée en 2011.23 Cependant, nous avons préféré garder nos traductions.

Concernant les relations inter-confrériques (Tiǧāniyya et Qādiriyya), les

relations ont été parfois paisibles, et souvent hostiles. En ce domaine, les manuscrits

de quatre guides spirituels se sont révélés indispensables pour mieux saisir les

enjeux religieux et politiques de cette période précoloniale. Le premier manuscrit

est celui du guide spirituel qādirī Muḥammad Āmadu (m.?) intitulé « Bayān mā

ǧarā : Ce qui s’est passé ». Il y confie son opinion sur les relations tendues entre les

qādirīs et les tiǧānīs, et jette la responsabilité sur ces derniers en les accusant de s’en

prendre, sans aucune raison valable, à un régime musulman dirigé par les qādirīs.

23 Publication de Dar al-Buraq, Paris.

Page 22: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

21

Le second manuscrit est celui d’al-Ḥāǧ ‘Umar Tal (m. 1864) portant comme

titre « Bayān mā waqa‘ ». L’auteur tente d’y justifier la guerre qu’il mena contre ses

coreligionnaires qādirīs, tout en réfutant les arguments de ses adversaires sur

l’illégitimité d’une guerre interreligieuse. Bien que nous ayons consulté ce

manuscrit24 conservé à l’I.H.E.R.I.B. de Tombouctou, nous avons cependant préféré

nous référer aux travaux de Mahibou Sidi Mohamed et Triaud Jean-Louis, parce

que ces derniers ont eu le privilège de comparer le manuscrit de Tombouctou avec

d’autres manuscrits semblables. Leur travail porte le titre : « Voilà ce qui est arrivé

Bayān mā waqa‘a d’al-Ḥāǧǧ ‘Umar al-Fūtī Plaidoyer pour une guerre sainte en

Afrique de l’Ouest au XIXe siècle » et publié en 1983. La lettre d’al-Ḥāǧ ‘Umar

adressée aux gens de Macina est également édifiante. Il y informa les gens du

Macina que son ǧihād imminent au Macina ne vise qu’Āmadu III émir du Macina.25

Le troisième manuscrit est celui du cheikh al-Bakkay Kuntī (m. 1865). Ce

dernier joua un rôle majeur dans l’expansion de la Qādiriyya au Mali. Confronté à

une nouvelle tarîqa, la Tiǧāniyya, qui était en montée fulgurante et qui menaçait

ainsi sa tarîqa, il rédigea un ouvrage pour fustiger la voie du cheikh Ahmed Tiǧānī

et ses propagateurs dont Ibn Yerkoy Talfī, afin d’amoindrir son influence. Cet

ouvrage a pour titre «Buġyat al-ulf fī ǧawābi Ibn Yerkoy Talfī : Quête de

convergence dans la réponse à Ibn Yerkoy Talfī ».

Enfin, le quatrième manuscrit, également indispensable pour notre recherche

est celui du cheikh tiǧānī Ibn Yerkoy Talfī (m.1864). Ce fervent tiǧānī et disciple du

cheikh ‘Umar Tal œuvra avec brio dans l’expansion de la Tiǧāniyya au Mali,

notamment sur le plan intellectuel. Sa lettre pamphlétaire « Tabkiyat al-Bakkay :

Faire pleurer Bakkay » offre une description édifiante de la relation tiǧānī-qādirī

24 Tal ‘Umar, Bayān mā waqa‘a, ms., n°268, n°806, et n°839, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, ff.1-55, copiste: Al-

Wāfī Ibn Muḥammad, 1337H/1919. 25 Voir Annexe A n°9.

Page 23: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

22

dans le Mali précolonial. Dans son article récemment publié, Saïd Bousbina évoque

les incertitudes qui entourent la véracité de ce titre accordé à la lettre d’al-Bakkay :

« Cette lettre est communément connue sous le titre de « Tabkiat Al-Bakkay ». Nous

ne pouvons pas affirmer avec certitude que c’est Yerkoy Talfī lui-même qui la lui

avait donnée. En tout cas, ce titre ne figure pas dans l’exemplaire que nous avons

consulté au département des Manuscrits orientaux de la Bibliothèque nationale de

France »26

Pour notre part, nous nous sommes reporté dans cette étude au manuscrit de

Tombouctou sur lequel figure effectivement ce titre, mentionné à la fin par le

copiste.27 Nous avons également constaté le manque de certains éléments dans

l’analyse de Bousbina, car il n’évoque pas la divergence d’Ibn Yerkoy Talfī avec al-

Bakkay sur l’interprétation du mot « ’illiyīn » dans le Coran.

Un autre ouvrage d’Ibn Yerkoy Talfī soutenant les thèses tiǧānīes et portant le

titre «al-Ta’yīdāt al-Rabbāniyya li al-ǧamā‘a al-Tiǧāniyya : Soutien divin accordé

à la confrérie tiǧānīe » fera également l’objet de notre étude. Sont d’une

importance capitale également ses poèmes « Maǧmū‘ al-qaṣā’id » écrits dans les

divers sujets dont l’apologie et l’éloge (madḥ wa ṯanā’) du Prophète, du cheikh

Ahmed al-Tiǧānī, d’al-Ḥāǧ ‘Umar et du cheikh Āmadu, le fondateur du régime

musulman du Macina. Il y compose également des vers incitant al-Ḥāǧ ‘Umar à

venir faire le ǧihād au Macina.28 Tous ces manuscrits et d’autres encore, il faut le

signaler, sont rédigés directement en arabe par leurs auteurs, aucune traduction

n’existe à nos jours à notre connaissance, à part quelques exceptions signalées.

Pour la deuxième partie de notre travail traitant du soufisme durant la période

coloniale (1878-1960), nous nous reporterons aux manuscrits, aux archives du Mali,

aux ouvrages des autochtones et aux ouvrages des administrateurs coloniaux.

Concernant les manuscrits évoquant le soufisme de cette époque, nous avons

26 BOUSBINA Saïd, « Tabkiat Al-Bakkay Une lettre « lacrymogène » de Yerkoy Talfi à Ahmad Al-Bakkay Le

plaidoyer d’un défenseur de la Tijaniyya » in Odile Goerg et Anna Pondopoulo, (dir.) Islam et Sociétés en

Afrique subsaharienne à l’épreuve de l’histoire Un parcours en compagnie de Jean-Louis Triaud, Paris, éd.

Karthala, 2012, p.101. 27 Voir Annexe A n°13. 28 Voir Annexe A n°11.

Page 24: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

23

consulté les manuscrits de l’I.H.E.R.I.A.B de Tombouctou. Avec le concours du fin

connaisseur des manuscrits Dr. Mohamed Diagayeté, nous avons eu accès à une

missive originale écrite par l’une des personnalités les plus influentes du soufisme

de cette période, cheikh Hamallah Ibn ‘Umar (m.1943). Dans cette missive il

expose les préceptes de sa voie spirituelle, et justifie le degré de son authenticité par

rapport aux autres confréries. Tous les chercheurs dans le domaine du hamallisme

n’ont, nulle part, à notre connaissance, évoqué cette missive d’une importance

majeure pour la compréhension de la voie du Chérif de Nioro.

Des manuscrits du faqīh Muḥammad ibn Sulaymān, contemporain de

Hamallah, donnent également la description de la relation tendue entre Hamallah et

certains guides spirituels. Ibn Sulaymān lui-même compose une cinquantaine de

poèmes pour fustiger la voie spirituelle du maître spirituel de Nioro. Nous avons

également consulté les manuscrits d’un autre faqīh Sīdī Muḥammad ibn ‘Ābidīn,

contemporain du cheikh Hamallah, qui livrent la méthode d’argumentation et les

références religieuses reconnues par les guides spirituels de cette époque coloniale.

Concernant les archives, nous avons eu accès aux archives de Koulouba où se

situe le palais présidentiel de la République du Mali et à celles des A.N.M

(Archives Nationales du Mali) à Bamako dans le quartier de Hamdallaye, mais les

documents d’A.N.M étaient plus importants pour notre recherche. Les archives

consultées sont nombreuses, entre autres : les documents traitant de la politique

musulmane de la France dans ses colonies, la relation entre le régime colonial et les

guides spirituels, les récits de résistance de certains maîtres spirituels et les

décisions qui entravaient l’avancée de l’influence extérieure sur les musulmans de

l’A.O.F. Certains documents d’archives étant en langue arabe, nous avons traduit

les parties ayant trait à notre sujet de recherche, notamment le document envoyé par

les musulmans d’Allemagne en Afrique occidentale incitant les musulmans de

l’A.O.F. à une insurrection massive contre les colonisateurs de la terre musulmane.

Pour traiter des aspects politiques de l’époque coloniale, notre étude requérait

indubitablement des sources objectivement rédigées. Or les témoins autochtones et

contemporains de cette histoire n’ont quasiment rien écrit sur le sujet, mais la

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24

transmission orale de l’histoire, qui se perpétue de génération en génération,

demeure la source précieuse et intarissable pour toute appréhension des événements

de cette période coloniale. Il faudra attendre environ un siècle après la colonisation,

pour que certains historiens maliens tentent de consigner par écrit cette période

coloniale. Par conséquent, ce sont généralement les colonisateurs eux-mêmes qui se

chargèrent d’en faire leur champ de bataille intellectuelle avec toute la subjectivité

qui ne manque pas d’émailler leur appréciation. Car ils connaissaient mal le pays,

son esprit, ainsi que la religion des autochtones. Un agent colonial ne décrivait-il

pas de grands leaders spirituels et résistants de cette époque en ces termes ? : « Les

contrées échues à la France avaient été le théâtre de révolutions séculaires ; des

conquérants barbares tels El-Hadj Omar, Amahdou, Samory, les avaient pillées et

dévastées »29

Néanmoins, nous avons choisi pour notre étude de combiner les deux

sources : autochtones et étrangères, afin de conserver un regard critique et

d’analyser le plus objectivement possible les données collectées. A cet égard, nous

nous reporterons aux écrits des administrateurs coloniaux, notamment celui de

Frantz Jean, lieutenant chef de bataillon d’infanterie coloniale, intitulé « Etudes sur

le Soudans français » publié en 1907, et celui de Paul Marty (m.1938), intitulé

« Etudes sur l’islam et les tribus du Soudan » publié en 1920. Nous nous référons

également à l’ouvrage de l’administrateur colonial, Alphonse Gouilly, portant le

titre « L’islam dans l’Afrique Occidentale Française » publié en 1952.

Pour ce qui est des historiens maliens contemporains, nous aurons recours aux

œuvres historiques écrites par Amadou Hampate Bâ (m.1991) notamment à son

ouvrage co-écrit avec J. Daget traitant la période précoloniale « Empire peul du

Macina ». Cet ouvrage a pour référence la tradition orale. Le disciple de Tierno

Bokar y retrace l’histoire du régime musulman du cheikh Āmadu et parle de façon

sommaire du soufisme de cette époque précoloniale. Nous allons également nous

reporter à l’ouvrage traitant de l’histoire du Mali dans un cadre général «Grandes

29 FRANTZ Jean, Etudes sur le Soudan français, Paris, éd. Arthur Rousseau, 1907, p.3.

Page 26: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

25

dates du Mali » rédigé par l’historien et ancien Président du Mali, Alpha Oumar

Konaré, conjointement avec son épouse historienne malienne, Adama Bâ.

L’éminent historien Bakari Kamian auprès de qui nous avons effectué maintes

interviews à Bamako, nous a édifié sur l’histoire coloniale du Mali, non seulement

par ses conseils précieux mais aussi par ses œuvres historiques, notamment celle

intitulée «Les Dogon de 1893 à 1960 : la pénétration et la conquête française dans

la Boucle du Niger et les pays de la Volta, Burkina ». Mais il importe de signaler

qu’il tire également ses sources non seulement de la tradition orale mais aussi des

références coloniales. Enfin, les entretiens que nous avons eus à Paris avec

l’éminent historien Youssouf Tata Cissé, nous ont également éclairé sur les enjeux

politiques et religieux de l’époque précoloniale et coloniale.

Concernant la troisième partie de notre étude, nos sources seront constituées de

divers outils. Nous consulterons certaines thèses et mémoires traitant de la relation

entre l’Etat et la religion, notamment le mémoire non édité de Boubakar Sow

intitulé « l’Etat et la religion au Mali » et la thèse d’Issa Nassoko portant le même

titre. Les travaux de Louis Brenner dans ce domaine sont également édifiants

comme sa contribution « La culture arabo-islamique au Mali » dans l’ouvrage

collectif dirigé par Otayek René, « Le radicalisme islamique au sud du Sahara :

da‘wa, arabisation et critique de l'Occident » publié en 1993. Ainsi que son article

« Constructing muslim identities in Mali » dans l’ouvrage collectif qu’il a dirigé lui-

même « Muslim identity and social change in sub-saharan Africa, » publié en 1993.

Notre report aux textes officiels du pays sera également indispensable pour

traiter la cohabitation de l’Etat et de la religion, comme la Constitution du Mali, le

Code de la famille et des personnes et le Code pénal. Par ailleurs, les enquêtes de

terrain, les interviews, les entretiens, les sources journalistiques, et l’internet se

révélèrent des sources incontournables pour l’étude des faits récents.

Enfin, pour mieux saisir le soufisme au Mali d’aujourd’hui, nous allons

étudier huit ouvrages de maîtres soufis maliens contemporains : deux ouvrages du

guide spirituel hamalliste A. H. Bâ ; l’un s’intitule « Vie et enseignement de Tierno

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26

Bokar, le sage de Bandiagara » et l’autre porte le titre « Jésus vu par un

musulman ». Le troisième ouvrage est celui du guide spirituel tiǧānī Sa‘d ‘Umar

Touré, intitulé « al-’Aḍwā’ al-ṣāfia ‘alā al-’awrād al-tiǧāniyya : Les lumières

luisantes sur les formules d’invocation tiǧānīe. Quatre ouvrages du maître spirituel

qādirī Bilal Diallo seront étudiés, ils portent les titres suivants :

1-Sourate Ikhlaç

2-A la lumière du soufisme

3-La Tijania, voie spirituelle du cheikh Ahmed Tijane

4-Ayatal Koursi, le verset du Trône

Le huitième et dernier ouvrage est celui du cheikh qādirī Mahmūd Muḥammad,

intitulé « al-Mawāqif wa al-ẖuṭwāt fī ’uṣūl al-’awrād wa ‘ādāb al-da‘awāt

min’aḥādīṯ Sayyid al-sādāt : Etapes et démarches sur les fondements des formules

de prières et recommandations pour les bénédictions à partir des hadiths ».

Nous procéderons ainsi à une lecture descriptive et analytique de l’histoire du

soufisme au Mali, et de l’influence de voies spirituelles sur le plan religieux

politiques et sociaux, tout en analysant les ouvrages soufis les plus remarquables du

XIXème siècle à nos jours.

Après les sources écrites, nous aurons recours aux sources orales. C’est ainsi

que nous avons d’une part consigné des observations de terrain, au Mali et en

France, et d’autre part nous avons mené des entretiens et des interviews auprès des

guides spirituels et auprès de leurs disciples, au Mali et en France, sans toutefois

utiliser de fiches ou de questionnaires organisés, car nous n’étions pas dans la

démarche des sociologues.

Les sources orales, rappelons-le, sont d’une importance considérable dans la

société malienne, car maints guides spirituels disparus n’ont pas laissé, ou peu laissé

d’écrit explicitant leur vie et leur pensée. Par conséquent, les récits de leur vie sont

confiés à la tradition orale, comme pour le maître spirituel de la Tarbiya. A cet

égard, les griots traditionnistes 30 et certains maîtres spirituels de la société malienne

30 TAMARI Tal, Les castes de l’Afrique occidentale, artisans et musiciens endogames, Nanterre, Société

d’ethnologie, 1997, pp.55-56.

Page 28: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

27

sont chargés de la transmission fidèle de toutes les données et les faits historiques

du pays, d’où l’importance et l’indispensabilité des sources orales. Théodore

Monod dit avec lucidité : « Certains peuples sans avoir écrit leurs chroniques, ont

bien confié à la tradition orale le soin de conserver leur histoire (… ) La mémoire

des hommes, là où il existe des traditionnalistes de profession, n’est ni moins fidèle

ni plus fidèle que le document écrit.»31

Par ailleurs, nos enquêtes de terrain nous ont amené à effectuer des

déplacements au Mali, et en France. Au Mali, nous avons visité Bamako, Ségou,

Mopti, Tombouctou, Koro, Douentza, et Diougani, non seulement pour consulter les

manuscrits et les archives contenant l’histoire et les enseignements du soufisme,

mais nous avons également enquêté, et interviewé les guides spirituels et leurs

disciples. En France, nous avons gagné Paris pour exploiter les ouvrages d’ordre

ésotérique à la BnF (Bibliothèques Nationale de France), à l’Institut du Monde

Arabe, et à la bibliothèque de l’Orient Monde Arabe. Nous nous sommes rendu

également à Montluçon où repose Hamallah, l’une des figures marquantes du

soufisme du Mali de l’époque coloniale, afin de mener des enquêtes

complémentaires le concernant, mais nous y avons quasiment rien trouvé qui puisse

enrichir notre recherche. Le gardien du cimetière nous a confirmé que c’est la

tombe la plus visitée, mais ne connaît personne en ville qui puisse nous renseigner

sur le chérif de Nioro.

Toutes ces recherches ne se passèrent certes pas sans difficultés. Nous étions

même confronté à de nombreuses difficultés, entre autres :

- Le manque des références abordant ce sujet :

Bien que la BNU (Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg) soit riche,

nous n’y avons trouvé qu’une seule référence consacrée à une partie du soufisme au

Mali, à savoir «Hamallah le protégé de Dieu » par Seïdina Oumar Dicko, et

d’autres ouvrages traitant du soufisme du Mali dans un contexte général, dont les

31 BA Amadou Hampate et J. DAGET, L’empire peul du Macina, Paris, éd. Mouton et Co La Haye, 1962, p.11.

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28

travaux de Jean-Louis Triaud et David Robinson, notamment l’ouvrage intitulé « La

Tijâniyya : une confrérie musulmane à la conquête de l’Afrique ».

- L’illisibilité de certains manuscrits et de certains documents d’archives

Certains documents originaux concernant notre sujet de recherche étaient

difficilement lisibles, en raison de la vétusté des documents d’une part, et d’autre

part de la nature même de la calligraphie des textes, comme les manuscrits du

cheikh Sīdī al-Muẖtār al-Kabīr.

- La difficulté de rencontrer certains guides spirituels

La rencontre de guides spirituels est un obstacle majeur auquel sont confrontés les

chercheurs. Cela tient à leur indisponibilité vis-à-vis des chercheurs d’une part, et

d’autre part au manque de moyens financiers pour faciliter cette rencontre, car les

intermédiaires chargés d’organiser la rencontre tergiversent lorsqu’ils ne reçoivent

pas de présents de la part des chercheurs. A cet égard, au Mali, nous avons eu

l’opportunité de nous entretenir avec le guide spirituel tiǧānī et président de la

Ligue Nationale des Soufis, Thierno Hadi Thatiam, qui nous a livré des

informations fort intéressantes sur le soufisme du Mali d’aujourd’hui.

Nous avons également interviewé le guide spirituel qādirī et président de la

Communauté Malienne des Soufis, Bilal Diallo. Ce dernier nous a également éclairé

sur les voies spirituelles contemporaines du Mali. En outre, la rencontre avec le

guide spirituel qādirī, fin connaisseur du soufisme du Mali, Bakkay Tal, fut capitale

pour l’enrichissement de cette étude. Figurent parmi nos informateurs, le fils de

l’instaurateur de la Tarbiya au Mali, cheikh Munīr Haidara, et le petit-fils du porte-

parole d’al-Ḥaǧǧ ‘Umar Tal, cheikh Ibrahim Thiam. Ces derniers nous ont livré des

données originales sur la Tarbiya, et sur l’itinéraire du cheikh ‘Umar Tal,

notamment en ce qui concerne son conflit avec le régime musulman du Macina.

Notre rencontre avec le président de la plus haute institution musulmane du Mali

(H.C.I.M.), Mahmūd Dicko nous a permis de saisir certains éléments cruciaux pour

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29

notre recherche : la spiritualité du courant salafī, et la relation entre les guides

spirituels des différents courants mystiques et les autorités maliennes d’aujourd’hui.

Par ailleurs, dans la région parisienne (Vitry) nous avons rencontré un vieux

hamalliste, Abū Bakr Fofana32 qui a eu le privilège de connaître le Cheikh

Hamallah, parce que son père Muḥammad Fofana était l’un des muqaddams

nommés par Hamallah lui-même à Dakar. Ce dernier nous a livré des informations

originales sur cette partie du soufisme du Mali, le hamallisme. Les informations

recueillies auprès du hamalliste Abba Omar Maïga sont également très édifiantes

sur ce courant.

32 A ne pas confondre avec Aboubacar Fofana, sommité religieuse de la Côte d’Ivoire, pour plus de détails sur ce

personnage ivoirien voir : Marie Mirang-Guyon et El-Hadj Moussa Touré, « Imam, autorité religieuse et sphère

publique en Côte d’Ivoire La figure emblématique du cheikh Aboubacar Fofana » in Odile Goerg et Anna

Pondopoulo, (dir.) Islam et Sociétés en Afrique subsaharienne à l’épreuve de l’histoire Un parcours en

compagnie de Jean- Louis Triaud, Paris, éd. Karthala, 2012, p.315.

Page 31: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

30

CHAPITRE II : L’AVENEMENT DU SOUFISME AU MALI

Mener une recherche sur le soufisme au Mali conduit inévitablement à donner

d’abord un synopsis historique de l’islam dans cette zone. Car le soufisme est non

seulement tributaire de l’islam, mais aussi il représente sa voie intérieure qui

l’illumine, conduisant les aspirants au plus haut sommet spirituel.

1-Aperçu historique de l’islam au Mali

La date précise de l’avènement de l’islam au Mali ne fait pas l’unanimité des

historiens. En se reportant à la tradition et aux sources orales du pays, nombreux

sont les historiens maliens qui affirment que le Mali a connu la présence musulmane

dès le VIIe siècle, soit au premier siècle de l’Hégire, 33 même si à cette époque il n’y

eut pas de présence massive de l’islam. Cette présence se manifesta plutôt de

manière sporadique par des individus jusqu’à l’arrivée des Almoravides au XIème

siècle. L’existence d’une mosquée à Kumbi Salih, ville située à 320 kilomètres au

nord de Bamako, dont la date remonterait au VIIIème siècle de l’ère chrétienne,

prouve que l’islam s’est déjà confirmé au VIIIème siècle au Mali.

Dans un entretien qu’il nous a accordé, Youssouf Tata Cissé précise même la

date de 670 de l’ère chrétienne comme étant la date de la pénétration de l’islam au

Mali.34 Le Mali aurait connu la présence musulmane dès 647 de l’ère chrétienne,

soit quinze ans après la mort du Prophète selon Bakari Kamian. Il précise que cette

présence musulmane a été notée dans la région de Kidal, notamment à Kelsuq.35

Cependant, hors de la tradition orale nous n’avons trouvé d’autres éléments forts qui

permettraient de confirmer cette hypothèse. Dans leur fameux ouvrage destiné à

33 SANANKOUA Bintou, Art. « Femmes, islam, et droit de la famille au Mali » in Islam et société de l’Afrique

subsaharienne, Dakar, 2008, p.2. sous :

http://www.genreenaction.net/IMG/pdf/Femme_Islam_et_droit_de_la_famille_au_Mali.pdf (consulté le

28/3/2013). 34 Entretien effectué à Paris, le 1/4/2013. 35 Interview effectuée à Bamako, 1/8/2012.

Page 32: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

31

l’histoire du Mali « Grandes dates du Mali », les deux historiens maliens, Alpha

Oumar Konaré et Adam Ba, l’ancien président de la République et son épouse,

passent étonnamment sous silence la date de la pénétration de l’islam au Mali.

Il est à noter cependant que l’administrateur colonial, Alphonse Gouilly met

en doute cet avènement rapide de l’islam en Afrique occidentale, et attribue cette

narration historique à des historiens arabes, tout en admettant l’existence précoce de

liens commerciaux entre Afrique occidentale noire et les pays du nord de l’Afrique.

Pour lui l’islam n’a touché cette zone qu’à partir du XIème siècle. Il écrit à ce

propos :

« Sans croire, comme les historiens arabes, que la pénétration musulmane en

Afrique noire remonte au VIIème siècle et au célèbre chef arabe Oqba ibn

Nāfi‘ qui aurait entrepris la conversion des habitants de l’actuelle Mauritanie,

nous pouvons admettre que les Bilād al-Sūdan ont noué de bonne heure des

relations commerciales avec l’Afrique noire, à laquelle ils procuraient de l’or,

de l’ivoire et des esclaves. L’islamisation ne commence en effet dans cette

région qu’avec les Almoravides. Là encore elle a rencontré beaucoup de

résistance, puisqu’il n’a pas fallu moins de cinq assauts pour donner à l’islam

noir son aspect actuel ».36

Un autre administrateur colonial, Maurice Delafosse (m.1926), propose une date

plus proche du VIIème siècle comme la date de l’avènement de l’islam au Soudan

français (Mali) : « L’islam a fait son apparition dès le VIIIème siècle de notre ère

dans les pays qui constituent aujourd’hui le Soudan français »37

Quoi qu’il en soit, la vraie expansion de l’islam au Mali fut l’œuvre des

Empires qui s’y sont succédé. Dans la suite, nous allons brosser un tableau

historique succinct qui mettra en évidence le processus de l’islamisation du pays à

travers les siècles jusqu’au début de notre chronologie retenue (XIXème siècle) :

1.1. Empire du Ghana et la diffusion de l’islam

L’Empire du Ghana fut le premier empire qui joua un rôle majeur dans la

diffusion de l’islam au Mali. Cet Empire animiste, qui florissait déjà au IVe siècle

36 GOUILLY Alphonse, L’islam dans l’Afrique Occidentale Française, Paris, éd. Larousse, 1952, p.46. 37 DELAFOSSE Maurice, Le haut Sénégal-Niger, T.III, Paris, Maisonneuve et Larose, 1972, p.186.

Page 33: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

32

au Mali, fut dominé en 1076, après une décennie de guerre, par les Almoravides,

venant d’Afrique du Nord sous l’égide d’Abū Bakr ibn ‘Umar (m.1087). Kumbi

Salih, la capitale de l’Empire, s’effondra sous les coups des envahisseurs, et

l’empereur se convertit à l’islam. Sa conversion entraina des conversions massives

de son peuple. Par la suite, douze mosquées furent dénombrées dans cet Empire.38

En revanche, certains historiens soutiennent la thèse selon laquelle l’Empire du

Ghana entretenait des bonnes relations avec les Almoravides et que l’Empire et ses

sujets embrassèrent l’islam pacifiquement sans qu’il n’y ait aucune confrontation.

« On a longtemps cru que l’islamisation du Ghana était due à la conquête

almoravide en 469/1076. Les récents travaux d’auteurs tels que D.C. Conrad,

H. J. Fisher, L.O. Sanneh et M. Hiskett ont sérieusement mis en doute cette

hypothèse et on a de plus en plus tendance à estimer que cette conquête n’a

jamais eu lieu et que les deux puissances ‘‘Empire du Ghana et Almoravide’’

ont toujours entretenu des relations amicales »39

Ceci prouve, au-delà des divergences, l’ancienneté de l’islam sur le sol malien.

1.2. Empire du Mali et l’expansion de l’islam

L’Empire du Mali fondé probablement en 1230 de l’ère chrétienne par Soudiata

Keita, se construisit sur les ruines de l’Empire du Ghana. Il va connaître son apogée

au XIVème sous le règne de Kanko Moussa, éminent sultan du Mali, qui régna de

1307 à 1332. Kanko Moussa effectua un pèlerinage historique aux lieux saints de

l’islam en 1324, pèlerinage pendant lequel non seulement il s’acquitta du cinquième

pilier de l’islam, ḥaǧǧ mais noua également des relations étroites avec les savants

de Ḥiǧāz et d’Egypte.40

L’histoire nous apprend qu’à son retour, il était accompagné d’éminents savants

musulmans qui devaient instruire le peuple du Soudan (Mali), tel Abū Isḥāq Ibrāhīm

al-Sāḥilī (m.1346), architecte et poète d’Andalousie. A la demande de l’empereur,

ce dernier construisit deux mosquées dans l’Empire, l’une à Gao et l’autre à

38KONARE Alpha Oumar et BA Adam, Grandes dates du Mali, Bamako, éd. Imprimerie du Mali, 1983. p.13. 39 HRBEK Ivan, « La diffusion de l’islam en Afrique au sud du Sahara » in M. EFASI et I. MRBEK, (dir.),

Histoire générale de l’Afrique, Paris, Unesco, 1990. p.100. 40 AL-SA‘ADĪ ‘Abdurraḥmān, Tārīẖ al-Sūdān, Paris, éd. Ernest Leroux, 1898, p.7.

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33

Tombouctou, qui deviendront des universités florissantes, fréquentées par des

érudits et des disciples issus de tous lieux.

L’expansion se poursuivit également sous le règne de Mansa Souleymane

(m.1360), le successeur de Kanko Moussa. A son retour de pèlerinage, au milieu du

XIVème siècle, Mansa Souleymane approvisionna le pays d’innombrables livres

afin de propager le savoir islamique dans son royaume. Ce fut un véritable succès

sur le plan scientifique. C’est sous son règne que le célèbre voyageur et explorateur

Ibn Baṭṭūṭa (m.1369) explora Tombouctou. Les témoignages d’Ibn Baṭṭūṭa montrent

à quel point l’islam était ancré au cœur des préoccupations de l’ancien Soudan

français :

« Le jour de la fête étant entré chez le juge, et ayant vu ses enfants enchaînés,

je dis : ‘‘ Est-ce que tu ne les mettras pas en liberté ?’’ Il répondit : ‘‘ Je ne le

ferai que lorsqu’ils sauront par cœur le Coran’’. Un autre jour, je passai devant

un jeune nègre. Je dis à la personne qui m’accompagnait : ‘‘ Qu’a fait ce

garçon ? Est-ce qu’il a assassiné quelqu’un ?’’ Le jeune nègre entendit mon

propos et se mit à rire. On me dit : Il a été enchaîné uniquement pour le forcer à

apprendre le Coran de mémoire »41.

Il ajouta en décrivant le caractère des habitants de l’ancien Soudan français :

« Le sultan n’y tolère aucune injustice. Tout le monde y vit en sécurité sans

craindre d’être volé ou spolié, la prière est au cœur de leur souci, les mosquées

sont remplies, les étrangers sont assurés qu’après leur mort leurs biens seraient

confiés à des hommes de confiance pour qu’ils les rendent à qui de droit,

quelques soient la qualité et la valeur de leur bien. Les parents frappaient même

leurs enfants pour un manquement à la prière »42.

L’islam suit son expansion après l’empire du Mali sous un autre empire lui

succédant, l’Empire du Songhay

1.3. Empire du Songhay et la propagation de l’islam

41 Ibn Baṭṭūṭa, Voyages d’Ibn Baṭṭūṭa, Paris, éd. Anthropos, t.4, 1968, p.423. Trad. C. Defremery et B.R.

Sanguinetti.

42 Ibn Baṭṭūṭa, Voyages d’Ibn Baṭṭūṭa, op. cit., p.421.

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34

L’Empire du Songhay au XVème siècle (1464-1591) se substitua à l’Empire du

Mali et joua un rôle décisif dans l’expansion de l’islam. Cet Empire atteignit son

apogée sous le règne d’Askia Muḥammad (m.1528) et de son fils Askia Dawūd

(m.1582). Au sujet de ce premier, le célèbre historien malien Maḥmūd Ka‘tī

(m.1593) écrit :

« Il était un roi qui avait tant aimé les savants et les étudiants le plus généreux

et le plus pieux. Il était à la fois intelligent et malin. En ce qui concerne les

savants, il fut modeste et très généreux envers eux. Pour les autres citoyens

musulmans, il mettait toujours en avant leurs intérêts, tout en les aidant à

accomplir convenablement leurs devoirs religieux. Il avait éradiqué toute

innovation en matière de religion, toute injustice et toute pratique non

conforme à l’islam, voulant ainsi instaurer le vrai islam. Il avait nommé des

imams et des qādīs dans chaque ville qui en avait besoin, notamment à

Tombouctou, à Djenné et toutes les autres villes »43

Lors de son pèlerinage aux lieux saints de l’islam, écrit Maḥmūd Ka‘tī, Askia

Muḥammad fut même investi publiquement par la sommité religieuse de la Mecque,

chérif Ḥusnī Mawlāya al-‘Abbas, comme son représentant au Bilād al-Sūdān en lui

conférant un sabre, un bonnet vert et un turban blanc. Il réussit à convaincre bon

nombre des ulémas à retourner avec lui au Mali ; parmi eux la figure marquante,

Chérif Aḥmad Ṣaqalī, de la lignée mohammadienne. Les ulémas qui

l’accompagnèrent, participèrent grandement à asseoir les sciences islamiques et la

culture musulmane dans l’Empire. Askia laissa son empreinte aux lieux saints en y

achetant des biens mobiliers qu’il destina à un usage pieux, waqf, en faveur des

ulémas et des disciples originaires de son Empire ; les érudits recevaient des salaires

respectables et un traitement particulier.44

Askia Dawūd (m. 1582) acheva l’action d’islamisation des pays de son père.

Sous son règne, l’empire atteignit son apogée sur tous les plans économique, social

et scientifique. Il fut même le premier à instaurer des bibliothèques publiques. Son

43 KA‘ATĪ Maḥmud, Tārīẖ al-Fattāš, Paris, éd. Ernest Leroux, 1913, p.59. Traduction personnelle. 44 KA‘TĪ Maḥmūd op. cit., p.12-18.

Page 36: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

35

attachement aux sciences coraniques fut maintes fois rappelé par les historiens du

Mali ; par ailleurs, il fut lui-même ḥāfiẓ (qui connait tout le Coran par cœur)45

Alphonse Gouilly souligne l’avancée scientifique florissante qu’a connue cet

Empire sous le règne d’Askia Dawūd :

« Les choses de l’esprit sont loin d’être négligées : Gao, Tombouctou, Djenné,

jusque-là simples places de commerce acquièrent la réputation de villes

savantes et pieuses qu’elles ont conservée. Elles deviennent le rendez-vous des

juristes, des lettrés orientaux ou maghrébins. La renommée des hommes de

savoir soudanais grandit même au point que les plus célèbres universités

d’Orient font appel à leur enseignement, tel Ahmed ibn Abder-Rahim qui

professera à Al-Azhar. Cette culture, au surplus, n’est rien moins que le

privilège d’une élite ; l’instruction est publique et obligatoire pour tous les

garçons et toutes les filles nés libres : Djenné, dans sa belle époque, aurait

compté plus de soixante écoles fréquentées par douze mille élèves et

étudiants ».46

Cet empire Songhay vécut ses derniers jours à la fin du XVIème siècle (1591),

avec l’invasion du sultan du Maroc Aḥmad Manṣūr al-Ḏahbī. L’armée d’occupation

céda rapidement en 1612 la place au règne des Arma, règne sous lequel l’islam va

connaître le déclin et la dégénérescence au Mali. Cet état de décadence persistera

jusqu’au début du XIXème siècle, date retenue pour le début de cette étude. Cette

époque marquera un nouvel essor de l’islam, marqué par l’influence déterminante

des guides soufis qui contribueront grandement à l’expansion de l’islam dans

l’ancien Soudan français (Mali).

L’historien malien E. Yattara résume le processus de propagation de l’islam au Mali

en ces termes :

« C’est à partir de l’Afrique du Nord, à travers le Sahara, que l’islam va

s’implanter progressivement au Mali. Les premiers contacts avec l’islam ont eu

lieu au Nord-Est du Mali ‘‘Gao’’ et au Nord-Ouest ‘‘Sud-Est de la

Mauritanie’’, par les voies suivantes : les échanges commerciaux, le pèlerinage

45 KA‘TĪ Maḥmūd, op. cit., p.93. 46 GOUILLY Alphonse, op. cit., p.62.

Page 37: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

36

aux lieux saints de l’islam, les échanges culturels et scientifiques, la politique

de certains souverains du Soudan Occidental, et les récits des voyageurs arabes

sur le Soudan. »47

Si l’islam a marqué sa présence au Mali probablement dès le septième siècle,

cependant le soufisme y a fait tardivement son apparition.

2. Apparition du soufisme au Mali

Les sources locales restent muettes quant à la date précise de l’apparition du

soufisme au Mali. Cependant deux ouvrages authentiques de l’histoire du pays

usent d’une littérature proprement soufie pour qualifier certaines personnes

spirituellement accomplies sans toutefois employer le terme « soufisme ».

2.1. Les traces du soufisme dans le Tārīẖ al-fattāš

L’auteur ou plutôt les auteurs du Tārīẖ al-fattāš, Maḥmud Ka‘tī et sa

descendance y emploient des termes purement soufis. Si l’on admet qu’une partie

de cet ouvrage a été rédigée par Maḥmud Ka‘tī, comme le confirment Delafosse et

Houdas,48 cela pourrait laisser penser que le Mali a été touché par le soufisme,

d’une manière ou d’une autre, dès le XVème siècle, car Maḥmud Ka‘tī (1468- 1552

ou 1593) vécut indiscutablement une partie du XVème siècle. Mais ce soufisme

n’était que le fait d’individus, ne portait pas d’étiquette confrérique et ne déployait

pas d’ampleur tangible.

A cet égard, nous y lisons en particulier :

« Le qādī Usmān était mukāšif (qui a reçu un dévoilement spirituel) walī (saint), et

zāhid (ascète) ; sa tombe est un lieu sacré où l’invocation de Dieu est vite exaucée.

J’ai personnellement expérimenté ceci, car il m’arrivait de formuler des vœux

47 YATTARA Elmouloud, art., « L’islam et les voies de sa diffusion au Mali du VIIIème au XVIème siècle »

Université de Bamako, septembre 2007, p.2. sous :

http://www.soninkara.com/index2.php?option=com_content&do_pdf=1&id=825 (consulté le 28/3/2013).

48 KA‘ATĪ Maḥmūd, op. cit., p.xix.

Page 38: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

37

auprès de sa tombe, lesquels ne tardaient pas, par la suite, à se concrétiser comme je

voulais »49.

Tārīẖ al-Fattāš emprunte certains extraits à la Risālat al-Qušayriyya, ouvrage d’un

soufi de premier plan, ‘Abd al-Karīm al-Qušayrī (m.1072), afin de corroborer sa

propre expérience spirituelle :

« D’après Qušayrī, les Bagdadiens disent que l’invocation à la tombe de Ma‘rūf al-

Ḫarẖī est un antidote éprouvé, tiryāq muǧarrab,»50

Il poursuivit pour signaler l’importance spirituelle des tombes des saints :

« La tombe de Sidi Yaḥyā est également sacrée ; nous en témoignons, car nous

avons vu plusieurs personnes y faire des invocations. Ils étaient tous satisfaits,

leurs vœux ayant été réalisés. Des invocations, du’ā’ effectuées à la tombe du

grand et éminent juriste, faqīh Muḥammad Bagayogo sont vite exaucées. La

tombe d’Alfa Muḥammad Tul est encore spéciale : j’ai maintes fois vu les

lépreux guérir sur place suite à leur invocation auprès de sa tombe.»51.

Les termes employés par Tārīẖ al-Fattāš comme mukāšif, walī, zāhid et la référence

faite aux maîtres spirituels de premier plan comme al-Qušayrī avec le culte des

tombes qu’il évoque, sont entre autres des signes forts prouvant la présence de

notions soufies dans le Mali du XVème siècle. Le second ouvrage Tārīẖ al-Sūdān

continue dans la même veine.

2.2. Les traces du soufisme dans le Tārīẖ al-Sūdān

La présence des notions soufies se confirme davantage aux XVIème et

XVIIème siècles au Mali. Le deuxième ouvrage historique du pays, dans lequel

nous trouvons explicitement les traces du soufisme, est celui d’Abd al-Raḥmān al-

Sa‘adī (m.1655), auteur du Tārīẖ al-Sūdān. Après avoir cité les noms des saints de

Djenné, il révèle : « Nous avons cité leur nom dans notre recueil pour leur

renommée de savant et afin de recevoir leur baraka »52

49 KA‘ATĪ Maḥmūd, op. cit., p.90. Traduction personnelle. 50 Ibid. p.90. 51 Ka‘tī Maḥmud, op. cit., p. 91. Traduction personnelle. 52 AL-SA‘ADI, ‘Abd al-Raḥmān Tārīẖ al-Sūdān, Paris, éd. Adrien-Maisonneuve, 1964, p.19.

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38

Parlant de Tombouctou et de l’un de ses imams, il lui attribue des attributs purement

soufis :

« C’est un lieu de rencontre des saints et des zāhid ‘‘ascètes’’ ; son imam

Yaḥyā Tadlisī fut un saint vertueux et quṭb kāmil ‘‘pôle complet’’. Parmi les

saints qui habitèrent Tombouctou, ‘Abd al-Raḥmān ibn Abī Bakr qui fut l’un

des abdāl ‘’substituts’’. Sīdī Muḥammad Bakrī fut également ‘ārif bi Allah et

quṭb ‘‘Pôle’’ ; al-Ḥāǧ Maḥmūd fut également saint et opéra maints miracles,

karāmāt. Appelé en son absence par des sinistrés, il les entendit et vint leur

apporter son assistance ; ce sont des grandes mukāšafāt et karāmāt pour lui »53.

Dans cet extrait apparaissent également des termes purement soufis. Les

termes comme baraka, quṭb kāmil, abdāl, ‘ārif, mukāšafat, et karamāt sont bien

imprégnés de sens ésotérique, tout en observant que le soufisme n’était pas à cette

époque (XVI-XVIIème siècle) bien organisé et bien structuré. Mais ces deux

références demeurent dans le silence absolu quant à la précision de l’avènement et

de l’introducteur du soufisme au Mali.

Le célèbre érudit malien Aḥmad Bābā al-Tumbuktī (m.1627), et maître

exotérique de l’auteur de Tārīẖ al-Sūdān, produisit des œuvres à caractère mystique

dont la plus connue est intitulée « Ġāyat al-’āmāl fī fadā’il al-niyyāt ‘alā al-

’a‘māl : Espoirs atteints dans la suprématie de l’intention sur les œuvres ». Nous

n’avons pas eu accès à cet ouvrage composé de 26 folios et terminé par son auteur

en 1592. Cependant, le chercheur malien et biographe d’Aḥmad Bābā al-Tumbuktī,

Mahmoud Zouber, qui eut lui le privilège de le consulter, donne certaines précisions

importantes sur ce manuscrit :

« Il existe de cet ouvrage deux copies manuscrites : l’une à la bibliothèque

national de Tunisie sous le n° 3784 (fol.1-8) et l’autre à la bibliothèque de

zāwiya de Tamgrout (Maroc). On est très peu renseigné sur le premier

manuscrit. Le second, quant à lui, porte le n° 2999 /4, il a été copié en 1626 à

Tombouctou par un lettré de cette ville nommé Muḥammad ibn Muḥammad al-

Muẖtār (….) Dans cet ouvrage, le texte qui semble avoir eu plus d’influence

sur notre auteur est le développement d’Abū Ḥāmid al-Ġazālī dans son Iḥyā’.

53 AL-SA‘ADI ‘Abd al-Raḥmān op. cit., pp.20, 21, 23, 31. Traduction personnelle.

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39

Telle est la substance de la Ghāyat al-Āmāl. C’est un véritable traité de

psychologie spirituelle »54.

Selon Zouber, cet ouvrage comporte une introduction, quatre chapitres et une

conclusion. Ahmed Bābā y traite de l’importance de la purification du cœur et de la

suprématie des œuvres de celui-ci sur les œuvres corporelles. Il y rappelle la

nécessité d’Iẖlāṣ (sincérité) pour la validité de toute action dévotionnelle. Enfin, cet

ouvrage ne fait que confirmer encore que les concepts soufis se répandirent de façon

nette au XVI-XVIIème siècle au Mali.

En outre, Aḥmad Bābā lui rapporte dans son célèbre ouvrage « Kifāyat al-

Muḥtāǧ li ma‘rifat man laysa fī dībaǧ » 55 qu’il étudia l’ouvrage mystique d’Ibn

‘Aṭā’ Allah, connu sous le nom « Hikam Ibn ‘Aṭā’ Allah », tout en affirmant que cet

ouvrage fut la source d’études ésotériques à Tombouctou à son époque.

Si les sources indigènes selon nos recherches n’évoquèrent pas de façon

explicite la date de l’apparition du soufisme au Mali, les sources étrangères s’y sont

appliquées. A cet égard, certains auteurs comme Sulaymān Salīm, avancent l’idée

selon laquelle la pénétration du soufisme au Mali fut l’œuvre de Sīdī al-Biqā‘ā’ī

(m.1515), tout en confirmant le XVème siècle comme le siècle d’apparition du

soufisme au Mali.56 Mais cet auteur ne nous a livré aucun élément fiable pour étayer

l’affirmation qui attribue au cheikh Sīdī al-Biqā‘ā’ī l’œuvre d’introduction du

soufisme au Mali, ni la preuve pour appuyer l’apparition du soufisme au XVème

siècle au Mali.

Dans un passage de son ouvrage, Alphonse Gouillly corrobore cette date du

XVème siècle pour la pénétration du soufisme au Mali, et en fait l’œuvre d’un

érudit algérien Mohammad ibn Abd al-Karīm al-Maġīlī (m.1504) :

« Vers le XVe siècle, l’ordre ‘‘qādirī’’ fut introduit dans le Sahel nigérien et

soudanais par un certain Mohammed Abdel Karim al-Maghili dont le nom est resté

dans l’histoire du Maghreb à cause des persécutions qu’il exerça contre les juifs du

54 ZOUBER Mahmoud, Aḥmad Bābā de Tombouctou (1556-1627) sa vie et son œuvre, Paris, éd. Maisonneuve

et Larose, 1977, pp.180,184. 55 BĀBĀ Aḥmad, Kifāyat al-Muḥtāǧ li ma‘rifat man laysa fī dībaǧ, Beyrouth, Dār Ibn Hazm, 2002, pp.239,242. 56 SALIM Sulaymān, al-Taṣawwuf al-’islāmī, Le Caire, éd. Dār Kutub al-Miṣriyya,1988, p.609.

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40

Touat. Il eut pour disciple Sidi Al Bekkaya (m. vers 1504) de la famille des Kounta,

famille célèbre dans le Sahara central si bien identifiée au Qadirisme que son nom

est devenu dans ces régions synonyme de cet ordre »57.

En revanche, en se reportant au Tārīẖ al-Fattāš nous nous apercevons que nulle

part l’historien Ka‘atī témoin oculaire de l’époque n’a parlé de l’introduction du

soufisme ou de l’initiation au soufisme faite par Maġīlī, bien qu’il confirma que

Maġīlī ait bien attesté et reconnu la légitimité du khalife Askia Muḥammad après

l’avoir rencontré dans son Empire.58

Il est à souligner que le soufisme, dans sa forme collective, avec une visibilité

manifeste, fit tardivement son apparition au Mali. Les auteurs étrangers, dont nous

avons pu consulter les ouvrages, s’accordent pour affirmer que le soufisme sous sa

forme confrérique toucha l’Afrique occidentale en général au XVII-XVIIIème

siècle. A ce sujet T. Zarcone écrit :

« La pénétration en Afrique de l’Ouest et en Afrique orientale s’est faite

seulement à partir du XVIIe siècle. Au nord du continent africain, ce sont les

descendants de deux fils de ‘Ab al-Qâdir al-Djîlânî qui, depuis l’Espagne ont

introduit la confrérie ‘‘qādirīe’’ à Fès au Maroc, et constitué la grande famille

des Churafâ Djîlâniyyûn (ou Qâdiriyûn). L’ordre rencontre un grand succès au

Maghreb. »59

Triaud souligne également la date de l’avènement des voies spirituelles en Afrique

occidentale :

«Aucune preuve sérieuse ne témoigne de l’existence de l’organisation de

soufies structurées avant le XVIIIe siècle. Un décalage important de plusieurs

siècles sépare donc l’éveil des confréries au Maghreb de leur diffusion en

Afrique noire. L’histoire du confrérisme ouest-africaine ne dépasse guère deux

siècles. Il convient donc de remettre en question l’image simplificatrice,

souvent diffusée, d’un ‘‘islam noir’’ qui s’identifierait entièrement aux

confréries. En réalité, l’Afrique occidentale et centrale est une des régions du

57 GOUILLY Alphonse, op. cit., p.97. 58KA‘TĪ Maḥmūd, Tārīẖ al-fattāš, op. cit., p.12. 59 ZARCONE Thierry, « La Qâdiriyya », in POPOVIC Alexandre et VEINSTEIN Gilles, (dir.) Les Voies

d’Allah, Paris, éd. Fayard, 1996, p.464.

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41

monde musulman où l’implantation des voies spirituelles a été la plus

tardive. »60

Selon nos enquêtes de terrain, le soufisme individuel aurait atteint le Mali au

XVème siècle, mais le soufisme sous sa forme confrérique n’y a été connu qu’avec

l’émergence de la Muẖtāriyya, une branche qādirīe attribuée au cheikh Sīdī al-

Muẖtār al-Kabīr qui vécut au XVIII /XIXème siècle (m.1811). Le soufisme collectif

une fois établi au Mali, connaitra une expansion expéditive.

Comment peut-on expliquer l’adhésion rapide des populations du Mali au

soufisme ? Le seul prosélytisme, ou parfois le ǧihād des guides spirituels, suffit-il

pour répondre à cette question ?

3. Le soufisme et la religion ancienne du Mali

Si l’islam est ancien sur le sol malien où il fit son apparition probablement dès le

VIIème siècle de l’ère chrétienne, son expansion exponentielle dans le pays à partir

du XIXème siècle fut cependant, comme nous le verrons, l’œuvre des maîtres

soufis. Le soufisme fut donc le véritable vecteur de l’islam au Mali. Mais il y a ici

lieu de poser la question suivante : y a-t-il un rapport entre la religion traditionnelle

malienne et l’esprit soufi ?

Sous le chapitre « Les fétiches ont tremblé »,61 V. Monteil tenta de déceler les

causes du succès de l’islam en Afrique occidentale. A cet égard, il nota huit points

qui furent, selon lui, à l’origine de ce succès, notamment la simplicité de la foi

musulmane, sans parvenir, à notre sens, d’en discerner les véritables causes.

L’auteur de « L’islam dans l’Afrique occidentale française » en évoquant également

le rite religieux des habitants de l’Afrique occidentale souligne que ces derniers

n’ont éprouvé aucune gêne en donnant leur adhésion à l’islam grâce à leur stricte

discipline qu’ils observaient déjà dans leur religion ancienne,62 mais sans toutefois

pouvoir faire une comparaison édifiante.

60 TRIAUD Jean-Louis, « L’Afrique occidentale et centrale », in POPOVIC Alexandre et VEINSTEIN Gilles,

(dir.) Les voies d’Allah, Paris, éd. Fayard, 1996, p. 418. 61 MONTEIL Vincent, L’islam noir, Paris, éd. Seuil, 1964, p. 49. 62 GOUILLY Alphonse, Islam dans l’Afrique occidentale française, op. cit., pp.35-37.

Page 43: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

42

Le succès de l’islam au Mali, notamment sous sa forme soufie, revient

principalement à l’existence d’une convergence organisationnelle entre le soufisme

confrérique et la religion ancestrale du pays. Le fétichisme comme religion

ancienne du Mali, avant l’avènement de l’islam, était structuré et hiérarchisé à

l’instar des confréries soufies. Les membres appartenant aux confréries animistes

étaient soumis à des règles très strictes.

La religion traditionnelle se constituait de divers éléments, entre autres 63:

- La case isolée et encerclée par une cloison, pour mieux camoufler le centre des

activités rituelles. Ceci représente clairement les zāwiyas dans le soufisme, où les

aspirants s’isolent pour effectuer des exercices spirituels.

- La cotisation des membres appartenant au fétichisme dans le but d’entretenir leur

temple animiste et de venir en aide aux plus démunis de la société. Ce point

correspond de façon nette aux présents dits « ḥadiyya » dans le soufisme. Ces

cadeaux sont également destinés à financer le guide spirituel et toutes les activités

rituelles de la confrérie soufie.

- Le chef de la confrérie traditionnelle qui joue un rôle prépondérant dans la gestion

du culte animiste et préside les assises rituelles. Il est ainsi similaire au cheikh dans

les voies spirituelles, car ce dernier en est aussi le centre autour duquel tournent tous

les composants de la tarîqa.

- Le test des nouveaux adhérents à la confrérie fétichiste qui se tient sous l’égide du

chef des fétichistes. Ce test consiste à soumettre le néophyte à l’épreuve physique et

intellectuelle. Une fois assuré qu’il résiste aux conditions dures de la vie et qu’il

connaît suffisamment la tradition ancestrale qui régit la confrérie, il y est

ouvertement admis. Un casque traditionnel lui est délivré en signe d’appartenance.

Ceci constitue également un point de convergence avec le soufisme. Car le nouvel

aspirant voulant se soumettre à une tarîqa subit en général une épreuve de la part du

guide spirituel avant d’y être admis. Une fois les épreuves réussies, le novice

63 Enquêtes de terrain à Koro où les cultes animistes s’exercent encore publiquement, août 2011.

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43

recevra un bonnet blanc et parfois un habit particulier ou un chapelet comme signes

d’appartenance.

- La cérémonie composée de musique et de danse rituelles, régulièrement organisée

par la confrérie traditionnelle pour rendre hommage à leur fétiche et consolider les

liens sociaux entre les adeptes. Les confréries soufies offrent également des

prestations semblables, le sam‘ et le raqs représentant dans le soufisme la musique

et la danse rituelles, auxquels s’adonnent les soufis à des fins spirituelles.

- Le passage d’un niveau inférieur à un niveau supérieur dans la religion animiste

s’effectue en fonction de l’âge des adeptes. Les plus jeunes doivent une obéissance

totale aux plus âgés, alors que ces derniers doivent une protection et une solidarité

indéfectibles à l’égard des jeunes. Le soufisme est également constitué de

différentes étapes, commençant par mouride, le novice, puis muqaddam, khalife et

terminant par cheikh. Ces étapes sont accessibles en fonction du degré spirituel des

aspirants. L’obéissance aveugle est requise pour les adeptes occupant les étapes

supérieures, ces derniers veillent également, en contrepartie, au bon exercice

spirituel des novices.

- La retraite dans des lieux sacrés des animistes, afin d’entrer en communion avec

les esprits de la nature fort conseillée par la confrérie traditionnelle. Cette retraite

prônée par la religion ancienne du Mali est remarquablement identique aux retraites

spirituelles ẖalwa observées par toutes les confréries spirituelles.

Ces pratiques décrites dans la religion traditionnelle du Mali, correspondant

singulièrement aux pratiques adoptées dans le soufisme, ont particulièrement

fasciné le peuple malien, qui n’a éprouvé aucune gêne pour se convertir à l’islam

sous sa forme soufie. Car il s’y reconnut aisément et ne fit qu’échanger un style

cultuel pour un autre quasiment identique sur le plan organisationnel. Le soufisme a

ainsi connu une adhésion étendue et une forte influence, sur la population de

l’ancien Soudan. Nous avons même observé que certains auteurs sont allés très loin,

en restreignant l’islam des Africains noirs aux confréries soufies : «Le musulman

Page 45: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

44

noir en particulier ne conçoit plus l’islam que sous la forme de l’affiliation à une

voie mystique »64

Si la majorité musulmane est affiliée à des voies mystiques au Mali du

XIXème siècle, cependant, persistent également ceux qui se refusent à toute

affiliation confrérique, et ne revendiquent que l’islam tout court, d’où l’inexactitude

de généraliser l’emprise des confréries soufies. Paul Marty, évoquant la biographie

de certains soufis du XIXème siècle, non rattachés à aucune confrérie au Soudan

français, cite une dizaine de personnes et les appelle « Les indépendants »65 . Ce

refus de toute étiquette confrérique est connu dans le soufisme du Mali d’hier et

d’aujourd’hui également, même si le nombre fut à l’époque précoloniale infime par

rapport à ceux rattachés aux confréries, car une culture confrérique régnait à

l’époque et finit par engendrer cet adage :

« Ne pas être affilié à une voie religieuse, c’est faire preuve d’une foi très tiède »66.

Aujourd’hui la présence de soufis « autonomes » au Mali est patente, et le président

de la Ligue Islamique des Leaders Soufis du Mali, Tierno Hady Thiam nous a

également confirmé le phénomène.67

Ce groupe soufi non affilié se reporte sans en avoir conscience à une citation de

Baḥā al-Dīn Naqšabandī : « Le rattachement à tel ou tel maître ne sert à rien, il faut

chercher seul et en soi ».68 Suhrawardī ne disait-il pas : « Celui qui n’a reçu aucun

dévoilement spirituel, kašf peut parfois être mieux que celui qui l’a reçu. » ?69

Cheikh Bakkay, le guide spirituel qādirī, nous révèle :

« Celui qui invoque Dieu avec ténacité sans être affilié à aucune tarîqa et multiplie ses

actions dévotionnelles ‘‘prière ṣalat, jeûne ṣiyam, retraite spirituelle ẖalwa’’ pourrait être

mieux qu’un novice affilié à une confrérie et qui en fait moins »70

Etudions maintenant en détail le rôle majeur joué par les soufis de premier plan

dans l’expansion de l’islam au Mali du XIXème siècle. 64 GOUILLY Alphonse, op. cit., p.85. 65 MARTY Paul, Etudes sur l’islam et les tribus du Soudan, Paris, éd. Ernest Leroux, 1920, t.II, p. 158. 66 MARTY Paul, op. cit., t.II, p.141. 67 Entretien effectué le 06/09/2011 à Bamako, Mali 68 GEOFFROY Eric, Initiation au soufisme, op, cit, p.214 69 Suhrawardī, ‘Awārif al-ma‘ārif, op. cit., p.129. 70 Entretien effectué le 28/08/2011 à Diougani, Mali

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CHAPITRE III

LA QADIRIYYA ET LA TIǦANIYYA AU MALI DURANT LA PERIODE

PRECOLONIALE

Ces deux voies spirituelles (Qādiriyya et Tiǧāniyya) marquèrent l’histoire religieuse

du Mali du XIXème siècle. Elles contribuèrent grandement à l’islamisation du pays

et changèrent radicalement la vie du peuple malien :

I- La Qādiriyya, première tarîqa au Mali

La Qādiriyya, bien structurée après la mort de son éponyme, se répandit largement

dès le XIVème siècle dans plusieurs régions d’islam. Les deux siècles suivants

(XVème-XVIème siècles) représentent l’âge d’or, et son expansion toucha

quasiment tout le monde musulman.71

L’expansion étendue de la Qādiriyya se fit tardivement au Mali. En effet, il

faut attendre la fin du XVIIIème siècle et le début du XIXème siècle pour y voir

clairement la constitution des zāwiyas qādirīes. Cette voie spirituelle fut introduite

au Mali par les Kunta, une tribu très célèbre du sud du Sahara. Le principal

protagoniste fut cheikh Sīdī al-Muẖtār al-Kabīr (m.1811) dont nous parlerons

bientôt.

La tarîqa Qādiriyya se pratique de diverses manières selon les confréries et les

pays. Alfred Le Chatelier fait remarquer, en citant l’Irak, l’Egypte et l’Algérie, que

71 ZARCONE Thierry, « La Qâdiriyya », in POPOVIC Alexandre et VEINSTEIN Gilles, (dir.) Les Voies

d’Allah, op.cit., p.464.

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les ḏikrs qādirīs diffèrent d’un pays à l’autre.72 Nous avons également observé, lors

de nos enquêtes de terrain, ce phénomène de divergence au sein d’un même pays

(Mali).73 La Qādiriyya prend au Mali diverses formes de pratique, mais le

dénominateur commun réside dans les points suivants :

- Etre initié par un cheikh qādirī. Cette initiation se déroule à partir du processus

suivant :

Le cheikh reçoit le nouveau novice en lui expliquant d’abord le sens de la tarîqa,

son origine, son objectif et les règles indispensables à observer (’ādāb). Certains

maîtres spirituels effectuent au préalable un test de la sincérité du nouvel aspirant.

Le guide spirituel une fois rassuré, lui ordonne de tendre ses deux mains sur

lesquelles il va étendre les siennes et réciter les deux versets coraniques suivants :

« Nous suivons la religion de Dieu ! Et qui est meilleur que Dieu en Sa religion ?

C'est Lui que nous adorons».74

« Ceux qui te prêtent serment d’allégeance ne font que prêter serment à Dieu. La

main de Dieu est posée sur leurs mains. Quiconque est parjure est parjure à son

propre détriment. Dieu apportera bientôt une récompense sans limite à quiconque

est fidèle à l’engagement pris envers lui » 75

D’après Marty, le cheikh qādirī procède d’abord à une consultation pieuse, istiẖāra

au sujet du nouveau novice voulant adhérer à la tarîqa, et c’est à partir de cette

étape que le nouvel aspirant est admis, si évidemment la réponse est positive :

« Le Qaderisme s’écarte plus encore de l’islam orthodoxe. Il est enveloppé de

pratiques grossières du fétichisme d’antan. C’est ainsi que le moqaddem qadiri,

avant de se prononcer sur une demande d’affiliation, accomplit les rites de la

consultation du sort et de l’appel d’en haut (istikhara). Quand il a obtenu, par la

72 LE CHATELIER Alfred, Confréries musulmanes du Hedjaz, Paris, éd. Ernest Leroux, 1887, pp.27-28. 73 Enquêtes menées à Ségou, Bamako, Tombouctou, et Koro, août 2011. 74 Coran : 2,138. 75 Coran : 48,10.

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voie de la révélation, la réponse favorable du cheikh Sidi Abd El-Qader, il

donne l’initiation, un vendredi, après la prière de l’après- midi. Il n’y a pas

d’exemple d’ailleurs que cette initiation ait été refusée ».76

Il y a deux points à élucider sur ce passage :

a- D’abord, jeter le discrédit sur l’orthodoxie de la Qādiriyya pour raison

d’observation d’istiẖāra, nous semble inexact, car la prière de la consultation

pieuse, ’istiẖāra, est strictement orthodoxe selon la šarī‘a. Les hadiths authentiques

à ce sujet sont foisonnants, Buẖārī l’a également rapporté.77

b- Cette consultation préalable n’est pas bien connue dans la Qādiriyya malienne.

Certains cheikhs qādirīs, avec qui nous nous sommes entretenu, affirment que

l’istiẖāra du cheikh n’est pas obligatoire pour recevoir un adhérent à la tarîqa, de

même que le jour du vendredi n’est pas requis ; il est simplement conseillé et laissé

à la volonté de chaque muqaddam.78

- Ensuite, le maître spirituel offre à son nouveau disciple un chapelet, subḥa en lui

demandant d’observer quotidiennement les invocations suivantes :

- Ḥasbunā Allah wa ni‘mal wakīl (200 fois) : Dieu seul nous suffit. N’est-il pas le

Meilleur protecteur ?

- Astaġfiru Allah (200 fois) : Je demande pardon à Dieu.

- Lā ’ilāḥa’illā Allah al-Malik al-Ḥaqq al-Mubīn (100 fois) : Il n’est de divinité

autre que Dieu, le Réel évident.

- Allāhumma ṣalli ‘alā sayyidinā Muḥammad wa ‘alā ’āli sayyidinā Muḥammad

wa sallim (100 fois) : Ô Dieu, bénis Muḥammad et sa famille et salue les.

Un autre ḏikr se pratique en collectif appelé « waẓīfa ». Les aspirants s’assemblent

dans la nuit du jeudi au vendredi pour s’en acquitter. Marty cite les ḏikrs suivants

observés dans la waẓīfa :

76 MARTY Paul, Etudes sur l’islam et les tribus du Soudan, op. cit., t.II, p. 140.

77 AL-BUHĀRĪ Muḥammad, al-Ǧāmi‘ al-ṣaḥīḥ, Damas, éd. Dār Ibn Kaṯīr, 1993, p.432

78 Entretien effectué auprès des cheikhs qādirīs : Bakkay Tal à Diougani 28/8/11, Bilal Diallo à Bamako, le

6 /9/11.

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« O mon Dieu, soyez satisfait de l’âme de celui qui fut le refuge des hommes et des

génies, mon seigneur est mon maître, Abd al-Qādir al-Ǧīlānī, ainsi que tous nos

maître du premier au dernier » (3 fois). « Il n’y a d’autre dieu que toi. Que ta gloire

soit proclamée. J’étais parmi les injustes. O Dieu ! O bienveillant ! Je réclame ton

indulgence pour les actions que les destins ont entrainé dans leur cours » (7 fois).79

Mais nos recherches de terrain révèlent que les qādirīes observent aujourd’hui la

waẓīfa de façon différente avec des formules diverses. Certains parmi eux lisent le

Dalā’il al-ẖayrāt80 lors de waẓīfa et d’autres se consacrent à la lecture de sourate

Yāsīn.81

Les trois catégories du ḏikr, qui sont évoquées maintes fois par les soufis, sont

également reconnues dans la Qādiriyya malienne ; ils tiennent à ce que leurs

aspirants les pratiquent minutieusement ; celles-ci sont les suivantes :

1- Ḏikr al-’awqāt : ḏikr pratiqué par le novice après chacune de cinq prières

obligatoires quotidiennes al-ṣalawāt al-ẖams

2- Ḏikr al-ǧalāla : il s’agit du ḏikr qui est individuellement pratiqué dans un

isolement absolu loin des pensées temporelles, tout en se concentrant sur la

contemplation du Tout Puissant.

3- Ḏikr al-ẖaḍra : ce dernier est pratiqué par groupe d’aspirants sous l’égide d’un

guide spirituel.82

Pour Marty, ce sont les saints parmi les qādirīs qui observaient ce ḏikr après

chacune des cinq prières de la journée al-ṣalawāt al-ẖams tandis que les novices ne

les récitaient qu’après la prière du crépuscule, maġrib.83 Cette affirmation ne nous

semble pas incontestable, car les novices, selon nos enquêtes de terrain, étaient et

79 MARTY Paul, op. cit., t.1, p.139. 80 Infra., pp.219-221. 81 Visite des zāwiyas qādirīes : celle de Diougani, le 28/8/2011, et celle de Bamako (Magnabougou), le

9/9/2012. 82 DEPONT Octave, et COPPOLANI Xavier, Les confréries religieuses musulmanes, Paris, éd. Jean

Maisonneuve, 1897, p.88. 83 Ibid., t.1, p. 138.

Page 50: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

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sont également autorisés à réciter ce ḏikr après chacune des cinq prières de la

journée.

Le guide spirituel est également habilité à augmenter le nombre désigné des

invocations selon la motivation et le courage de son novice ; il peut lui assigner un

nombre allant de deux cent à mille, puis de mille à un million. Si ce dernier avance

sur son chemin spirituel, il lui ordonnera d’observer le jeûne tous les lundis et tous

les jeudis, puis les trois mois successifs de raǧab, ša’bān et ramadān (7, 8, 9 du

mois lunaire)

Le disciple subira également un test : son maître le mettra à l’épreuve, qui

consiste à l'inciter à faire des actions répréhensibles par la šarī’a, pour voir s’il

obéira à son maître contre la šarī’a ou pas. S’il désobéit à ce dernier, il franchira

immédiatement un pas considérable dans la voie, car ceci prouve qu’il a acquis la

maturité dans la compréhension des enseignements de la šarī’a. Dans le cas

contraire, le novice gardera son premier statut de néophyte et recevra une

instruction spirituelle et juridique intenses.

Le célèbre cheikh du Mali Seku Sālā (m. 1981) subit, lors de son initiation à la

Qādiriayya, l’épreuve suivante de la part de son maître spirituel : fumer la cigarette,

aller mendier dans la ville et habiter chez son maître constamment dans son village.

Le novice, après une réflexion approfondie, désobéit à son cheikh et répliqua :

« Mon maître, je ne veux pas fumer, c’est déconseillé par la šarī’a, je ne peux pas

également aller mendier, car, aux yeux de la šarī’a, je ne suis pas nécessiteux au

point d’avoir droit à une mendicité légale ; quant à habiter avec toi, je préfèrerai

rentrer chez moi pour diffuser cette lumière, si vous le permettez. »

A sa réponse, le cheikh lui dit : « J’en suis ravi, je te nommerai mon muqaddam et

tu me représenteras dans ta ville natale, car tu manifestes déjà de bons signes et des

avancées spirituelles. »84.

84 Informations recueillies auprès du cheikh qādirī Bakkay Tal, à Diougani au Mali, le 28/08/ 2011.

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- Le nouvel initié recevra également de son maître un turban blanc et un bonnet

vert, mais ces dons sont rarement faits aujourd’hui pendant l’initiation d’un disciple.

- L’initié qādirī sera également soumis à une contribution financière annuelle selon

sa capacité financière. Par conséquent, il enverra à son guide spirituel, chaque

année, des cadeaux (argent, bêtes, poulets, récoltes)

- Le pacte écrit reste réservé aux khalifes, représentants des cheikhs en diverses

régions ; ils le reçoivent lors de leur investiture.

La hiérarchisation spirituelle qādirīe du Mali se compose ainsi, du plus bas au

sommet de l’échelle :

1- Seyyidna : le disciple est au début de son ascension spirituelle. Il est également

appelé « murīd » dans certains milieux qadirīs au Mali.

2- Muqaddam : à ce titre, le novice atteint un niveau élevé de son parcours

spirituel, à tel point qu’il est susceptible de représenter la tarîqa dans d’autres

régions.

3- Khalifa : désigné par le cheikh fondateur de la voie spirituelle, il détient le plus

haut titre après le cheikh. C’est lui qui nomme les muqaddam.

4- Cheikh : titre suprême de la hiérarchie de la tarîqa. Mais dans le contexte

malien, nous avons constaté que cette appellation est courante pour toute personne

dévote et pieuse, sans prendre en considération la hiérarchie établie par la tarîqa.

1. Les qādirīs et la propagation de l’islam au Mali

Si l’islam connut une florissante expansion au cours des XVème et XVIème

siècles au Mali, il doit cependant sa propagation la plus vaste aux soufis du XIXème

siècle d’où la chronologie retenue pour ce travail. Sīdī al-Muẖtār al-Kabīr, le grand

restaurateur de la tarîqa Qādiriyya au Mali, vécut dans la première décennie du

XIXème siècle, où sa renommée et son action en vue de répandre l’islam aux quatre

coins du pays atteignirent leur point culminant. Nous verrons comment cette figure

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la plus remarquable de la Qādiriyya a influencé et influence encore le Mali. Quelles

étaient sa conception du soufisme et sa méthode de diffusion de l’islam ?

1.1. Sīdī al-Muẖtār al-Kabīr (m.1811), fondateur de la Muẖtāriyya au Mali

Cheikh Sīdī al-Muẖtār al-Kabīr ibn Aḥmad est né dans l’Azaouad au nord du

Mali. La date de sa naissance fait l’objet de divergences, cependant toutes les dates

évoquées se situent entre 1722 et 1730 de l’ère chrétienne. Selon nos enquêtes de

terrain, la tradition locale adopte comme date de sa naissance celle de 1727. Pour sa

descendance, dont certains membres résident à Tombouctou, il était âgé de 84 ans

quand il mourut, sachant que tous ses biographes sont unanimes sur la date du décès

(1811). Ceci situerait donc sa date de naissance en 1727. En effet, le guide suprême

de la Qādiriyya malienne, décédé le 29 mai 1811, fut inhumé à Abū al-Anwār au

nord du Mali.

Sa généalogie remonte, selon la famille Kunta, au compagnon du Prophète, le

célèbre propagateur de l’islam en Afrique du Nord ‘Uqbat ibn Nāfi’ (m.683). Pour

Marty cette généalogie relève de la légende et évoque le flou qui l’entoure.85

D’après Ṭarā’f wa ṭalā’id,86 écrit par son fils Sīdī Muḥammad (m. 1826), il perdit

en bas âge ses parents connus pour leur érudition, et s’orienta très vite vers

l’apprentissage des sciences religieuses. Il fut initié à la Qādiriyya par un guide

spirituel, Sīdī ‘Alī ibn Naǧīb (m.1757). L’histoire ne dit pas grand-chose sur la

biographie de ce dernier, cependant, son nom figure dans toutes les silsila (chaînes

spirituelles) qādirīes maliennes auxquelles nous avons accédé.87 Le cheikh Ibn

Naǧīb accorda à son disciple Sīdī al-Muẖtār le titre de muqaddam, représentant

spirituel, à la fin de sa formation avec le pouvoir de le conférer. Au-delà de sa

85 Marty paul, op. cit., t.1, pp.3-4. 86 . SĪDĪ Muḥammad, Ṭarā’if wa talā’id fī karāmāt al-wālida wa al-wālid, ms., n° 14., I.H.E.R.I.A.B,

Tombouctou, fol. 22. 87 Voir Annexe A n°23.

Page 53: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

52

formation ésotérique, il reçut également une solide formation en sciences

exotériques.

Les livres religieux et littéraires qu’il étudia, cités par son fils dans son ouvrage,

Ṭarā’f wa ṭalā’id, et repris également par Marty, permettent de retracer la formation

qu’il reçut. En tout premier lieu, ce qui attire notre attention dans sa formation, est

l’absence totale d’ouvrages soufis. Dans les 35 pages qu’il a consacrées à la vie de

Sīdī al-Muẖtār, Marty ne cite, à aucun moment, un seul ouvrage mystique étudié par

ce dernier.88 Son premier biographe et témoin de sa vie, son fils Sīdī Muḥammad,

n’a également rien mentionné concernant les livres ésotériques étudiés par son père.

Ceci indique, à notre avis, que la formation soufie des disciples fut pratique avant

d’être théorique. Nous verrons plus tard, au contraire, que les soufis qui lui

succéderont mentionneront clairement les ouvrages soufis les plus connus qui firent

l’objet de leur étude pendant leur carrière de novice, tels Risālat Qušayriyya de

Qušayrī, Iḥyā ‘ulūm al-dīn de Ġazālī.

Cependant, il en ressort que cheikh Sīdī al-Muẖtār fut un malékite, il

n’échappa donc pas à la tendance dominante à son époque en Afrique Occidentale.

Les ouvrages juridiques qu’il étudia prouvent explicitement cette thèse, car ils

appartiennent tous à l’école malékite. Il en résulte également que Sīdī al-Muẖtār

acquit une formation exotérique très solide aux yeux de ses contemporains, comme

le prouvent les ouvrages étudiés, car ils constituaient le sommet le plus élevé de

formation à son époque. Le cheikh, après cette formation solide, se vit lui-même

promu parmi les muǧaddid, les générateurs de l’islam, comme il l’annonce

explicitement dans l’introduction de son livre « Hidāyat al-ṭulāb ».89

Sa conception de la Qādiriyya émane de divers manuscrits auxquels nous

avons eu accès à Tombouctou. Pour lui, le wird de la qādiriyya figure parmi les plus

élevés et les plus précieux des wird, et revêt un très haut intérêt. Il se manifeste dans

le fait que les tenants de ce wird aboutiront à la satisfaction divine, à condition

88 MARTY, op. cit., t.1, pp. 27-62. 89 SĪDĪ al-Muẖtār al-Kabīr, Hidāyat al-ṭulāb, ms., n°15, I.H.E.R.I.B, Tombouctou, fol.1.

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53

d’observer minutieusement les formules des prières qādirīes, même si des péchés

sont commis. Pour ce faire, l’aspirant est invité à pratiquer les invocations qādirīes

en étant assis orienté vers la qibla, en baissant la tête et en se souvenant de sa future

tombe. Il doit ensuite dresser devant lui l’image spirituelle de son maître et imaginer

également que ce dernier fait de même avec son maître, jusqu’à ce que la chaîne

aboutisse au Prophète lui-même orienté vers son Dieu. Pratiquer constamment le

wird qādirī ainsi a une grande influence spirituelle dans le cœur et ouvre les portes

au kašf, dévoilement spirituel. 90

Dans ses enseignements qādirīs Sīdī al-Muẖtār souligne :

« Si tu es amené à choisir entre deux choses, choisis la plus proche de la piété

et entre la vie temporelle et la vie spirituelle, choisis cette dernière ; si tu

satisfais ton créateur, il fera satisfaire de toi sa créature ; si tu crains Dieu, il

fera craindre les autres de toi. Le don divin le plus précieux est distribué en

fonction de notre piété, et les sanctions célestes descendent selon nos péchés.

Sois pour Dieu, en récompense, il sera pour toi ; réalise ta foi en Dieu, car Dieu

défend ceux qui croient fermement en lui »91.

Dans la suite du manuscrit, il cite la chaîne spirituelle, silsila qui le lie

spirituellement au Prophète à travers les sommités religieuses dont les plus connues

sont : son maître initiateur à la Qāqiriyya Sīdī ‘Alī Ibn Naǧīb, Abd al-Karīm al-

Maġīlī, Ǧalāl al-Dīn Suyūṭī, ‘Abd al-Qādir al-Ǧīlānī al-Ġazālī, Ḥasan al-Baṣrī, ‘Alī

ibn ’Abī Ṭālib, terminant par le Prophète. 92

Après le décès de son maître spirituel, Sīdī al-Muẖtār prit le titre de « cheikh

al-tarīqa qādiriyya » en 1757, et construisit cette même année une puissante zāwiya

d’où son prosélytisme qui fusa dans tout le Sahara. Il envoya ses disciples pour

répandre la Qādiriyya dans l’ancien Soudan français ainsi que dans les pays

limitrophes du Mali. Cet effort inlassable contribua grandement à l’islamisation des

peuples païens et également à l’expansion de la Qādiriyya. Au bout de quelques

90 SĪDĪ al-Muẖtār al-Kabīr, Al-’Awrād al-Qādiriyya , ms., n° 6243, I.H.E.R.I.B, Tombouctou, , fol. 1.

Traduction personnelle. 91 SĪDĪ al-Muẖtār al-Kabīr, al-Waṣiyya , ms., n° 2588, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, fol.1. Traduction

personnelle. 92 Ibid., fol.1.

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54

années, sa notoriété dépassa les frontières pour atteindre l’Egypte. Il se livra à

maintes correspondances intellectuelles avec le célèbre érudit égyptien Murtaḏa

Zubaydī (m.1790), auteur du fameux dictionnaire arabe «Tāǧu al-‘Arūs ». Son fils,

témoin oculaire de l’époque, souligne l’étendue de son influence :

« Les cheikhs avaient des partisans et des disciples aux lieux les plus éloignés et

parmi les notables et les familles nobles de divers pays. C’est ainsi que le souverain

du Bornou ‘‘Tchad’’ s’était placé sous son obédience, de même que les émirs peuls

de Macina et des pays de Haoussa. Aussi la majorité de leurs savants

reconnaissaient-ils son autorité spirituelle ; beaucoup de tribus touarègues ainsi que

la population noire Bambara et Songhay lui étaient soumises »93.

Le prosélytisme qādirī de Sīdī al-Muẖtār se caractérisait par l’ouverture aux

autres ; il prôna la paix et cultiva la tolérance religieuse à tel point qu’on lui accorda

une nouvelle voie spirituelle, à savoir « la Muẖtāriyya ». Sa tarîqa ne diffère pas

fondamentalement de la Qādiriyya mère, cependant les caractéristiques les plus

notoires sont les suivantes :

- Recherche et diffusion de la paix

L’histoire a retenu du fondateur de la Muẖtāriyya ses efforts inlassables pour

instaurer la paix entre les diverses tribus qui guerroyaient et s’entretuaient. A titre

d’illustration nous pouvons citer son implication dans la conciliation entre une tribu

Touarègue et une tribu Arma :

« Les Armas de Tombouctou ayant tué le chef des Touaregs, Kel Tadmekket

Bititi, ceux-ci enflammés du désir de vengeance assiégèrent la ville si

étroitement que les habitants furent réduits à manger les animaux morts, la

famine faisant de nombreuses victimes. C’est alors que le cheikh envoya des

notables Kounta aux Armas et les contraignit à la paix moyennant le versement

aux assiégeants de mille vêtements, de dix chameaux et de mille pièces d’or. Il

93 SĪDĪ Muḥammad, Ṭarā’if wa talā’id fī karāmāt al-wālida wa al-wālid, ms., n° 14., I.H.E.R.I.A.B,

Tombouctou. fol. 22. Trad. Mahmoud Abdou Zouber.

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55

amena ainsi les Touaregs à accepter la compensation pécuniaire pour leurs

morts, alors que, suivant leur coutume, ils n’acceptaient pas le prix du sang »94.

Jean-Louis Triaud fait remarquer également cette volonté inextinguible de ramener

la paix et la sérénité dans la société :

« Dans le domaine de la vie sociale, la confrérie Kounta se caractérise par une

attitude fermement apolitique. Hostile au jihad, elle se tient hors de portée des

pouvoirs. Son autorité est celle d’un arbitre suprême, dont la baraka et le

pouvoir de malédiction suffisent pour assurer une large reconnaissance parmi

les faibles comme les puissants. L’activité des marchands kounta complète cet

empire informel, dont le rayonnement vers le sud, par la moyenne vallée du

Niger, pénètre progressivement jusqu’à Kankan et Touba ‘‘en Guinée’’,

N’diassane ‘‘Sénégal’’ et dans le monde hausa ‘‘Nigeria’’ ».95

- Culture de l’ouverture et tolérance

La Muẖtariyya enseigne la tolérance dans tous ses aspects sociaux, culturels et

religieux. A son époque existait toujours l’esclavage au Mali, mais le cheikh

s’employait à ce qu’il n’y ait pas de différence entre lui et ses esclaves sur le plan

vestimentaire ou alimentaire. Un témoin de l’époque rapporte :

« Ses esclaves étaient vêtus par lui comme les hommes libres et pourvus de

tout le reste comme les membres de sa propre famille. Il leur confiait des

chameaux, leur laissait la licence de les utiliser à leur profit et de jouir

librement du pécule qu’ils en retiraient. Il veillait à ce que certains d’entre eux

fussent assidus à leur devoir religieux, il les réunissait et les interrogeait sur ce

qui leur avait été enseigné ».96

Cette tarîqa sous l’égide d’al-Muẖtār cohabitait paisiblement avec les autres

courants spirituels : une amitié intellectuelle, dit Hampaté Bâ, existait entre le guide

suprême de la Qādiriyya cheikh Sīdī al-Muẖtār (m. 1811) et le fondateur de la

Tiǧāniyya cheikh Aḥmad Tiǧānī (1815). Les successeurs semblent avoir emprunté

94 Ms., n° 14., I.H.E.R.I.A.B, op. cit., fol. 23. Trad. Mahmoud Abdou Zouber.

95 TRIAUD Jean-Louis, « L’Afrique occidentale et centrale », op. cit., p. 420. 96 Ms., n°14, op. cit., fol. 16. Trad. Mahmoud Abdou Zouber.

Page 57: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

56

un autre chemin hostile et intolérant, provoquant une guerre interreligieuse, comme

nous le verrons dans les chapitres suivants.

Cette ouverture religieuse que Sīdī al-Muẖtār instaura dans sa voie spirituelle

influencera, par la suite, l’attitude de sa descendance vis-à-vis des explorateurs

européens qui vinrent en visite. Au moment où ils furent exposés à tout risque de

maltraitance, voire d’assassinat de la part de certains religieux, ses descendants les

accueillirent et les protégèrent avec une tolérance rarissime.

Dans ce sens, l’histoire retint l’accueil humain accordé par cheikh Aḥmad al-

Bakkay (m.1865), petit-fils du cheikh al-Muẖtar al-Kabīr, à l’explorateur allemand

Heinrich Barth (m.1865) ayant effectué un voyage d’exploration en Afrique

occidentale de 1850 à 1855. Il se rendit à Tombouctou97 en septembre 1853 où il

séjourna sept mois sous la protection et l’hospitalité d’al-Bakkay, chef suprême de

la Qādiriyya au Mali. Ce fut à l’époque où le régime musulman de Macina, dont

nous parlerons bientôt, s’emparait de toute personne non musulmane.

Cette tolérance religieuse et l’ouverture vers l’autre furent reconnues, écrit

Paul Marty, par un colonel français, Edgard de Trentinian (m. 1942) en 1895. Celui-

ci fit élever un mausolée à cheikh Sīdī al-Bakkay, enterré à Sarédina au Mali, en

souvenir des services rendus à Barth et à son observation des valeurs humaines

universelles. 98

- Orthodoxie et la conformité à la šarī‘a :

La Qādiriyya prêchée par cheikh Sīdī al-Muẖtār se voulait orthodoxe, pure et

conforme à la šarī‘a. Ne disait-il pas que le soufisme et la šarī‘a se corroborent l’un

par l’autre ? Il dispensait un double enseignement, exotérique et ésotérique avec une

maîtrise égale. Son fils Sīdī Muḥammad dans le « Ṭara’if wa Talā’id » nous révèle

le rigorisme et l’austérité que prônait son père :

97 Voir Annexe C n°3. 98MARTY Paul, op. cit., t.I, p.93.

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57

« Il nous est interdit, contrairement à ce qui se passe dans certaines confréries,

de nous abandonner aux jeux bouffons, aux pratiques ostensibles d’ascétisme,

aux évanouissements, à la danse, aux éclats de voix pour louer Dieu avec

exagération, à des soupirs ridicules, à des crises blâmables. En revanche,

beaucoup de nos cheikhs n’interdisent ni ne condamnent les chants. On ne doit

pas se revêtir de haillons ou de vêtements spéciaux et bariolés. Certaines

cheikhs les ont admis, nous non »99.

Parlant de son ascétisme, l’auteur de « Ṭarā’f wa Talā’id » écrit :

« Le cheikh n’accordait aucune attention à la qualité des vêtements non plus

qu’à celle des mets. Ses vêtements étaient toujours simples et il ne possédait

que ceux qu’il portait sur lui. Il n’eut jamais de meubles ou d’habitations de

luxe et il ne tint jamais de richesses en réserve ; il ne porta jamais une somme

d’argent sur lui et n’eut jamais un ustensile réservé à son usage ; il se servait de

la première monture venue, soit un cheval sellé à la manière des gens les plus

modestes soit un chameau ou une chamelle quelconque, sans apparence ; il se

déplaçait souvent à pieds, même nus ; il distribuait tout ce qu’il avait et ne

s’inquiétait jamais d’un objet perdu ».100

- Intérêt particulier accordé à la formation exotérique de ses disciples

Sīdī al-Muẖtār mettait l’accent sur la formation exotérique de ses novices ; il

s’en chargeait lui-même, contrairement à ce que nous observons aujourd’hui dans

les milieux soufis au Mali. Il disait que la faible formation en science exotérique

peut entraîner un égarement inévitable dans l’ascension spirituelle d’un aspirant ; il

conférait aux jeunes disciples un accueil gracieux et remarquable, à tel point que,

quand il fut interrogé à ce sujet, il donna la réponse identique à celle du Prophète :

« Au cours de ma mission les jeunes se sont serrés autour de moi alors que les

hommes d’âge m’ont combattu.»101.

- Culture des miracles pour tous les saints qādirīs

99 Ms., n°14, op. cit., fol. 18. Trad. Mahmoud Abdou Zouber. 100 Ms., n°14, op. cit., fol. 23. Trad. Mahmoud Abdou Zouber. 101 Ms., n°14, op. cit., fol. 19. Trad. Mahmoud Abdou Zouber.

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58

D’après la pensée de la Muẖtāriyya, tous les saints qādirīs accomplissent des

miracles, karāmāt. Cette culture, répandue dans les milieux de la Qādiriyya

Muẖtāriyya, fait que même les novices un peu avancés dans l’ascension spirituelle

commencent à prétendre faire des miracles. Cette culture des miracles persiste à nos

jours. Pour illustration, on accordait à un certain cheikh Sālā (m. 1981) une karāma

qui se manifesta lors de son voyage : l’heure de prière arrivée, il marqua une pause

pour s’acquitter de la salāt. Alors il se trouva qu’un chasseur portant un dindon, le

produit de sa chasse, vint prier derrière lui sans savoir que ce dernier était un

cheikh. Après sa prière, le chasseur rentra chez lui pour préparer sa proie. Mais se

rendit compte que la viande du dindon demeurait telle quelle après maintes

cuissons. On lui dit que c’était un miracle du cheikh derrière qui il avait accompli sa

prière, car quiconque assiste à la prière du cheikh ne sera plus non seulement sujet à

l’enfer, et que, éventuellement, même la bête qui y était présente demeurera saine et

sauve.

Les récits hagiographiques comme celui-là ne manquent pas dans les écrits, et

on accorde au fondateur de Muẖtāriyya des miracles innombrables. Nous en

retiendront deux, à titre d’illustration. Son fils Sīdī Muḥammad (m.1826) écrit :

« C’est grâce au pouvoir surnaturel du cheikh que la région dite d’Ard al-

Horra devint salubre pour les hommes et les animaux alors qu’à son arrivée les

habitants se plaignaient de la mauvaise qualité de ses pâturages et des miasmes

qui l’infectaient. (…) Le cheikh avait aussi le pouvoir de guérir les maladies ;

parmi les exemples cités il y a des cas d’hémiplégie de la face, des cas de

fièvre paludéenne et d’ophtalmie »102.

L’instaurateur de la Qādiriyya au Mali confia ses pensées dans dizaines voire

centaines d’ouvrages. Il fut un auteur prolifique, certains disent qu’il composa

autant d’ouvrages qu’il eut d’années (84), les autres avançant qu’il en écrivit 314.103

Lors de notre recherche de terrain, nous avons observé que les manuscrits le

concernant dans le Centre des manuscrits de Tombouctou révèlent que ses œuvres

102 Ms., n°14, op. cit., ff. 26- 26. Trad. Mahmoud Abdou Zouber 103 GAUDIO Attilio, Les populations du Sahara occidental : histoire, vie et culture, Paris, éd. Karthala, 1993,

p.127.

Page 60: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

59

sont nombreuses dont trente cinq sont consultables. Nous étudierons certains de ses

ouvrages ci-après, au quatrième chapitre.

Le rôle de Sīdī al-Muẖtār fut tout à fait considérable dans l’islamisation du

Mali. Après sa mort en 1811, son fils Sīdī Muḥammad lui succéda dans la mission

d’islamisation du pays en assurant également la direction spirituelle de sa tarîqa

Muẖtāriyya. En 1826 il mourut et céda sa place à ses deux fils : Sīdī al-Muẖtār al-

Ṣaġīr, le petit, appelé ainsi pour le distinguer de son grand-père Sīdī al-Muẖtār al-

Kabīr, le grand et Sīdī Aḥmad al-Bakkay. Le premier hérita du pouvoir spirituel de

son père, et son frère l’épaula dans sa gestion confrérique de la Muẖtāriyya, tout en

répandant davantage l’islam jusqu’à sa mort en 1847.

A partir de cette date (1847) Sīdī Aḥmad al-Bakkay succéda alors à son frère

et poursuivit l’expansion de l’islam et de la tarîqa de son grand-père conjointement.

Son rôle fut tout à fait remarquable. En outre, il vécut les grands évènements du

XIXème siècle : la fondation et l’effondrement de l’Etat musulman instauré par les

peuls du Macina, qui étaient également sous l’obédience spirituelle de son grand-

père. Nous verrons son opposition farouche aux tiǧānīs qui menaçaient son autorité

spirituelle. Il mourut en 1865 en défendant ce dit Etat.

Nous allons donc maintenant porter notre intérêt sur le fondateur de cet Etat

musulman qui a fort marqué son époque et a grandement contribué tant à

l’islamisation du Mali qu’à l’expansion de la Qādiriyya.

1.2. Āmadu Ḥammadi Bubu (m.1845), fondateur du régime musulman

Āmadu Ḥammadi est né à Malanafal, un village situé à 20 kilomètre de Tétenkou,

cercle de Mopti. La date de sa naissance fait l’objet de divergences entre les

historiens, celles retenues sont 1773, 1775, 1776. D’après la tradition locale,

consignée dans une source devenue indispensable pour l’histoire de cette époque

Page 61: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

60

« L’Empire peul du Macina », les dates de 1775 et 1776 demeurent les plus

plausibles, tout en hésitant à en désigner une.104

Selon les historiens du Mali, les étapes d’apprentissage à son époque

consistaient, comme l’affirme B. Sanankoua, à apprendre d’abord dans sa région

natale et ses alentours ; une seconde étape nécessitait que le disciple se rende à

Djenné ; enfin, la formation supérieure ultime s’achevait à Tombouctou, puis,

probablement, lors du pèlerinage à la Mecque. La formation d’Āmadu ne dépassa

pas celle de Djenné. Il n’a donc pas reçu de formation très poussée quand il fut le

commandeur des croyants, Amīr al-mu’minīn, mais il eut recours à l’autodidactie

pour achever sa formation lors de son règne.

Après avoir mémorisé et écrit par cœur tout le Coran, il s’orienta vers les

sciences religieuses dispensées par Alfā Āmadu, l’imam de Sono, un village proche

de Djenné. Il fut par la suite initié à la tarîqa Qādiriyya par un soufi, Kabara Farma,

dont l’histoire nous est très sommairement connue. Ce maître spirituel marqua

considérablement sa vie religieuse. Il lui fit découvrir les ouvrages des grands

mystiques comme cheikh Abd al-Qādir al-Ǧīlānī qu’il admira et dont les

enseignements l’influencèrent grandement.

Suite à son rêve durant lequel il vit qu’un Etat musulman serait bientôt fondé

au Mali, il rentra en ẖalwa (retraite spirituelle) et y passa, dit Amadou Hampaté Ba,

quatre mois sans communiquer avec personne. Il finit par avoir la certitude, par un

dévoilement spirituel, kašf, qu’il serait le fondateur de ce dit Etat. Dès lors, il

commença à préparer le terrain pour affronter d’abord les païens puis les

musulmans qu’il jugeait hypocrites. Il reçut l’appui spirituel des maîtres qādirīs de

son époque, cheikh Usmān Dan Fodio, le guide suprême de la Qādiriyya du Nigeria.

De la part de celui-ci il reçut deux choses cruciales pour la création de son Etat

musulman envisagé :

104 BÂ Amadou Hampate et J. DAGET, L’Empire peul du Macina, Paris, éd. Mouton et Colaye, 1962, p.20.

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61

1- Le guide spirituel nigérian lui envoya des drapeaux qu’il bénit ainsi qu’une

missive dans laquelle il confirmait la légitimité de sa guerre sainte contre les

infidèles.

2- Il conféra également le titre de « cheikh » à Āmadu Ḥammadi Bubu, dès lors il

ne sera plus connu que sous le nom de « cheikh Āmadu » Ces deux facteurs

contribuèrent explicitement à déclencher la guerre sans merci contre toutes les

personnes mécréantes. L’étendard de ǧihād fut brandi, ses disciples et ses alliés

s’organisèrent militairement et psychologiquement pour saper les piliers de

l’idolâtrie aux alentours de Djenné.

La première bataille livrée fut celle de Nukuma en 1818. Les idolâtres et leurs

alliés furent sévèrement défaits, cheikh Āmadu et ses alliés remportant

victorieusement la bataille. Ce fut le début de l’instauration d’un Etat musulman ,

localement appelé « Dīna », c’est-à-dire « la religion » en langue peule, un mot

arabe un peu déformé. A cet égard, il fonda une nouvelle capitale qu’il appela

« Ḥamdallahi », qui signifie « louange à Dieu ».

Cheikh Āmadu instaura la šarī‘a dans son nouvel Etat et l’appliqua avec

détermination et fermeté. Le pouvoir exécutif, législatif et judiciaire appartenait à

un grand Conseil appelé en peul « Batu mawdo » de quarante marabouts assistés par

soixante arbitres suppléants, ainsi qu’à un Conseil privé de trois personnes dont

cheikh Āmadu qui prit le deuxième titre « Amīr al-Mu’minīn », commandeur des

croyants, et de deux autres conseillers choisis dans le grand Conseil. Donc son

régime était loin d’être totalitaire. Il veillait à ce qu’aucune décision allant à

l’encontre de šarī‘a ne soit prise. Cette organisation administrative permit à son

régime musulman instauré de régner environ un demi-siècle (1818-1862).

Cheikh Āmadu mit l’accent sur l’instruction et l’éducation des habitants de

son Etat, après avoir mis en place des centaines d’écoles coraniques et rendit

obligatoire la scolarité des garçons et des filles sans distinction aucune. Tout père de

famille refusant d’inscrire son enfant faisait l’objet d’interpellation de la part du

grand Conseil. Amadou Hampâte Ba (m.1991) dresse un tableau des matières qui y

étaient enseignées :

Page 63: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

62

« Les sciences dites principales comprenaient le Coran, le tafsīr ou

commentaires du coran, le hadith ou ensemble des traditions relatives aux faits

et gestes du Prophète, tawhid ou connaissance de Dieu et de ses attributs,’usul

ou principes du droit canon et le tassawuf ou mystique philosophique. Les

sciences dites auxiliaires n’étaient enseignées que dans un petit nombre

d’écoles ; c’était le naḥw ou grammaire, le ṣarf ou syntaxe, le ma‘ānī ou

rhétorique, le bayān ou éloquence et le manṭik ou logique. L’enseignement des

filles était assuré par des femmes. Cheick Amadou lui-même dans son école

particulière donnait des leçons sur le Coran le matin et sur la vie de

Mohammed l’après -midi »105.

Après l’établissement de son régime, il fut soutenu moralement par les oulémas

les plus éminents de la région, entre autres cheikh Sīdī Muḥammad (m. 1826), guide

spirituel de la Qādiriyya. Nous lisons dans une missive qu’il envoya au

commandeur des croyants son soutien absolu :

« Toute insurrection contre cheikh Āmadu est considérée aux yeux de la šarī‘a

comme une apostasie, nous sommes tous tenus de l’épauler dans sa mission

d’islamisation du pays, et la moindre des choses c’est de le laisser œuvrer et de ne

pas obstruer son chemin »106.

Il reçut également l’aide morale du cheikh Sīdī al-Muẖtār al-Ṣaġīr ibn cheikh Sīdī

Muḥammad (m.1846), grand chef des qādirīs maliens après son père. A ce sujet, il

écrit : « Suite aux œuvres réformatrices d’Āmadu en instaurant la tradition du

Prophète et en réprouvant les innovations religieuses, il mérite d’être considéré

comme l’un des grands réformateurs dans les Bilād al-Sūdān »107.

Mais au fil du temps, l’Etat musulman , par son rigorisme et son intolérance

vis-à-vis des non musulmans, finit par irriter certains oulémas qui commencèrent à

dialoguer avec ce dernier. Soulignons d’abord certaines applications rigoureuses de

la šarī‘a qui eurent lieu :

1- Exigence d’assister à la ṣalāt al-ǧamā‘, la prière commune, dans les mosquées.

105 BÂ Amadou Hampate et J. DAGET, op. cit., p.49. 106 SĪDĪ Muḥammad, al-Risāla , ms., n° 186, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, fol.1. Traduction personnelle 107 SĪDĪ al-Muẖtār al-Ṣaġīr, Naṣīḥa, ms., n° 178, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, , fol.1. Traduction personnelle.

Voir Annexe A n°4, dans lequel le chef de la Dīna incite ses coreligionnaires à suivre Sīdī al-Muẖtār al-ṣagīr.

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63

2- Application de la peine capitale.

3- Interdiction de la culture du tabac sur tout le territoire de l’Etat.

4- Rupture de toute relation avec les empires païens de l’époque, tel le royaume de

Bambara de Ségou.

5- Port obligatoire du voile pour toutes les femmes.

6- Interdiction aux vieilles femmes de sortir pour aller au marché.

7- Instauration d’impôts sur les vaincus.

8- Interdiction aux infidèles d’accéder au territoire de la Dīna.

9- Interdiction des chants et de la danse, surtout lors de la cérémonie habituelle de

la transhumance des vaches.

Cette prise de position rigoureuse du régime musulman contraignit les

explorateurs chrétiens à changer hypocritement leur prénom pour un prénom

musulman. Ceci afin d’échapper aux exactions du dit régime. Les français René

Caillié (m.1839) 108 et Eugène Mage (m.1869) ainsi que l’allemand Barth (m.1865)

n’ont pas hésité à se faire passer pour musulmans lors de leur séjour sur le territoire

de la Dīna. Mais ils ont, par la suite, donné dans leurs rapports une image très

négative de ce régime musulman .109

Bien que cheikh Āmadu soit un qādirī de l’obédience d’al-Muẖtāriyya qui

prônait, comme nous l’avons vu, la tolérance au sens strict du mot, il ne fut pas, sur

ce point, influencé par son maître spirituel. Son successeur le suivit également dans

ce sens. Ceci conduira cheikh al-Bakkay, chef spirituel de la Qādiriyya et petit-fils

de Sīdī al-Muḥtār, à rappeler à Āmadu Seku, fils du fondateur du régime musulman

, les principes de leur tarîqa, à savoir la tolérance et la paix avec les musulmans et

les non musulmans. Dans un entretien, il lui demanda les choses suivantes :

« Lever l’interdiction que tu as faite de cultiver du tabac sur tout ton

territoire.

108 Voir Annexe C n°2. 109 SANANKOUA Bintou, Un empire peul au XIXème siècle : la Diina du Maasina, Paris, éd. Karthala, 1990,

pp.14-15.

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64

Permettre aux femmes des nomades de Katawane à Douentza de ne pas

observer la retraite, ni le port du voile imposé par la Dina, cette

coutume est contraire à leurs habitudes et les gêne considérablement.

Permettre aux vieilles femmes veuves de Hamdallahi de sortir pour aller

au marché, vaquer à leur affaires et gagner leur vie ; elles ne le font pas

pour séduire.

Contacter une alliance avec Ségou pour entretenir de bonnes relations

avec les chefs de bambara (non musulmans)

Cesser d’envoyer des lettres interprétant les lois et imposant des

mesures rigoureuses »110.

Quelle fut la réaction de la Dīna face à ces demandes formulées par le plus

grand guide de la Qādiriyya de l’époque ?

Selon Bintou Sanankoua, le fondateur du régime musulman s’inspira plus tard des

instructions rigoureuses de l’imam al-Maġīlī, qui est, on l’a vu, considéré, selon

certains historiens, comme l’introducteur du soufisme au Mali. En effet, Maġīlī fut

un érudit de Tlemcen qui influença grandement ses contemporains et la postérité. Il

fut un auteur prolifique en sciences islamiques et connu pour avoir mené un ǧiḥād

incessant, non seulement contre les mécréants mais aussi contre ses coreligionnaires

qu’il jugeait comme des hypocrites, munāfiqūn.111

En revanche, le régime musulman du Macina ne doit pas être réduit à ces

aspects négatifs. Il importe de noter qu’en dépit de l’intolérance de la Dīna vis-à-vis

des non musulmans, il fit preuve durant son règne d’une tolérance religieuse

interne ; autrement dit, il était très tolérant avec les adeptes issus d’autres voies

spirituelles que la sienne. Cet Etat qui fut qādirī d’obédience autorisait

l’enseignement de la Tiǧāniyya sur son territoire. Un théologien, Abd al-Karīm, à

propos duquel nous ne disposons que peu d’informations, dispensa dans la capitale

du régime musulman (Hamadallahi) les enseignements de la Tiǧāniyya sans que

cela ne choque personne, bien que la majorité des habitants de la Dīna soit des

qādirīs. Le fondateur du régime lui-même, cite Hampaté Ba, n’a pas manqué de

110 BÂ Amadou Hampate et J. DAGET, op. cit., p.277. 111 SANANKOUA Bintou, Un empire peul au XIXème siècle, op. cit., p.61.

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65

donner le nom du cheikh Aḥmad al-Tiǧānī à son premier enfant, affichant ainsi une

grande tolérance entre les coreligionnaires.112

L’histoire témoigne également que les habitants de la Dīna ont connu le bien-être, la

richesse et la justice sociale à cette époque.

Il en ressort que la Qādiriyya fut la première tarîqa soufie introduite au Mali

et qu’elle y a joué un rôle majeur dans l’expansion de l’islam.

Cette tarîqa présenta les caractéristiques suivantes durant la période précoloniale :

1- Sous l’égide de Sīdī al-Muẖtār et de sa descendance : tolérance et ouverture

envers les autres, tout en observant l’orthodoxie dans la pratique.

2- Sous l’Etat musulman du cheikh Āmadu : l’application rigoureuse de la šarī’a

et moins de tolérance et de flexibilité envers les non musulmans.

3- Mais durant cette période, se manifeste plus de tolérance envers les

coreligionnaires (qādirīs et tiǧānis). Cette tolérance interreligieuse sera perdue, nous

verrons, avec l’arrivée d’al-Haǧ ‘Umar Tal, guide suprême de la Tiǧâniyya de son

époque au Mali.

4- Les guides spirituels connurent un haut niveau dans les sciences aussi bien

exotériques qu’ésotériques. Nous verrons que ce point différencie les soufis de

premier plan de ceux d’aujourd’hui.

5- Des œuvres sociales étaient engagées par les maîtres soufis de cette période

précoloniale. Sīdī al-Muẖtār al-Kabīr était soucieux d’instaurer le bon traitement

voire l’égalité relative entre esclaves et notables sur le plan alimentaire,

vestimentaire et matrimonial. Cheikh Āmadu instaura le droit d’instruction tant pour

les enfants issus des familles riches que ceux issus des familles pauvres.

6- Abondance de la littérature soufie rédigée par les maîtres spirituels de cette

époque précoloniale, comme nous le verrons dans le chapitre suivant.

Les tiǧānis, après les qādirīs, joueront également un rôle important dans

l’islamisation du Mali et dans l’expansion du courant soufi.

112 BÂ Amadou Hampate et J. DAGET, op. cit., 1962, p.235.

Page 67: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

66

II. La Tiǧāniyya, une deuxième branche soufie au Mali

Il conviendrait, avant de parler de la Tiǧāniyya malienne, de présenter le

fondateur de la Tiǧāniyya de façon concise. Cheikh Ahmed al-Tiǧānī (1737-1815)

fonda sa voie spirituelle en Algérie vers 1781/1782. Cette confrérie s’étendit au

Maghreb plus particulièrement en Algérie où le Cheikh Tiǧānī commença à diffuser

sa tarîqa, et au Maroc, à Fez, où il acheva son œuvre et vécut ses derniers jours.

Les détails les plus précis concernant la vie du cheikh Tiǧānī sont inclus dans un

ouvrage authentique de la Tiǧāniyya, intitulé « Ǧawāhir al-Ma‘ānī wa bulūġ al-

’amānī fī fayḍ ’Abī al-‘Abbās al-Tīǧānī : Perles de sens et la réalisation des vœux

dans le flux d’Abū al-‘Abbās al-Tiǧānī », rédigé par Alī Ḥarāzim Barrāda, un

khalife nommé par le fondateur de la Tiǧāniyya lui-même. Son ouvrage approuvé

par Ahmed Tiǧānī demeure incontournable pour la compréhension de la tarīqa

tiǧānie. Nous trouvons des signes de cette approbation dans le corps même de

l’ouvrage :

« Le serviteur de son seigneur Ahmed ibn Muḥammad al-Tiǧānī affirme avoir

agréé tout le contenu de cet ouvrage, du début à la fin. Je l’ai approuvé de

façon parfaite et constante pour notre bien aimé al-Ḥāǧ ‘Alī Ḥarāzim Barrāda

ibn al-Ḥāǧ al-‘Arabī al-Fāsī. Je donne ainsi mon accord pour mettre en pratique

tout le contenu ainsi que les secrets particuliers du livre qui a été dicté par moi-

même. Je donne également pouvoir d’accorder cette Iǧāza à toute personne

estimée méritante en prenant en considération les conditions bien établies dans

notre voie. Cette Iǧāza lui fut livré jeudi, le dernier jour du mois de Raǧāb

1215 de l’Hégire. Ecrit et accordé par Ahmed, fils de Muḥammad al-Tiǧānī

»113

La Tiǧāniyya malienne suit, dans sa pratique soufie, les enseignements contenus

dans le Ǧawāhir al-Ma‘ānī, une source tiǧānīe d’une importance indispensable pour

toute étude abordant la Tiǧāniyya. Selon cette source authentique de la Tiǧāniyya,

la tarîqa tiǧānīe repose sur trois litanies obligatoires :

113 ḤARAZIM ‘Alī, Ǧawāhir al-ma‘ānī wa bulūġ al-‘amānī fī fayḍ Abī al-‘Abbās al-Tiǧānī, Paris, éd.. Dar Al-

bouraq, 2011, p.1469.Traduction personnelle.

Page 68: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

67

Le lāzim, la waẓīfa, et le taḥlīl ou ḥaḍra

1-Le Lāzim : mot qui signifie littéralement « indispensable, nécessaire » est une

invocation quotidienne effectuée matin et soir, de manière isolée, à voix basse. Le

lāzim est une prière tiǧānīe absolument obligatoire. Dès qu’un disciple de la

confrérie s’abstient volontairement de la faire, il rompt le contrat moral qui le lie à

la Tiǧāniyya. Cette prière consiste à répéter, chaque jour, 100 fois, chacune des

formules ou expressions suivantes114 :

- Astaġfirullāh : Je demande pardon à Dieu,

- Ṣalāt al-fātiḥ : Prière ouvrante :115

ي إلى ص اللهم صل عل ر الحق بالحق و الهاد ما أغل ق و الخات م ل ما سبق، ناص د، الفات ح ل نا محم ى سي د را

يم ه العظ قدار ه و م ، و على آل ه حق قدر المستق يم

Prière ouvrante traduite par A.H. Bâ :

« Ô mon Dieu ! Prie sur notre Seigneur Muḥammed qui a ouvert ce qui était clos; et

qui a clos ce qui a précédé; le soutien de la Vérité par la Vérité et le guide sur Ton

droit chemin, ainsi que sur sa famille, selon sa valeur et à la mesure de son immense

dignité.»116

- Lā- ilāḥa illallāḥ, 100 fois : il n’y a de divinité que celle de Dieu

2- La Waẓīfa : signifiant littéralement « la fonction » est une invocation effectuée

une à deux fois par jour, en groupe, à haute voix. Elle comprend :

- Astaġfirullāh : Demande de pardon à Dieu : 100 fois

- Ṣalāt al-fātiḥ : Prière ouvrante : 50 ou 100 fois

- Lā- ilāḥa illā Allāh : il n’y a de divinité que celle de Dieu : 100 ou 200 fois

- Ǧawharat al-kamāl : la Perle de perfection : 11 fois :

114 ḤARAZIM ‘Alī, Ǧawāhir al-ma‘ānī,op. cit., p343. 115 ḤARAZIM ‘Alī, Ǧawāhir al-ma‘ān, op.cit., p.371. 116 BÂ Amadou Hampate, Vie et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara, op. cit., p.155.

Page 69: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

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ان المتكونة طة بمركز الفهوم والمعانى ونور األكواللهم صل وسلم على عين الرحمة الربانية والياقوتة المتحققة الحائ

الالمع اآلدمى صاحب الحق الربانى البرق األسطع بمزون اإلرباح المالئة لكل متعرض من البحور و األوانى،ونورك

ق عين الذى مألت به كون الحائط بأمكنة المكانى. اللهم صل وسلم على عين الحق التى تتجلى منها عروش الحقائ

إلي رف األقوام صرا التام األسقم اللهم صل وسلم على لعة الحق بالحق ، الكنز األعظم ، إفاضت منالمعا

إحاة النور المطلسم صلى هللا عليه وعلى آله

صالة تعرفنا بها إياه 117

A.H. Ba en propose la traduction suivante :

« Ô mon Dieu, répands tes grâces et accorde le salut à la source de la

Miséricorde divine et au diamant étincelant versé indéfiniment dans la vérité.

Celui qui est au centre de toutes formes de compréhensions et de significations.

Il est la lumière des êtres en cours de formation humaine, il possède la Vérité

divine tel l'éclair immense traversant les nuages précurseurs de la pluie

bienfaisante des Miséricordes divines, qui emplissent sur leur chemin aussi

bien les grandes étendues d'eau que les petites. Il est ta lumière brillante qui

s'étend sur toute l'existence et l'englobe dans tous ses lieux. Ô mon Dieu,

répands tes grâces et accorde le salut à la source de la Vérité qui est à l'origine

des connaissances les plus justes, tel ton sentier parfaitement droit par lequel se

manifestent les majestueuses réalités. Ô mon Dieu, répands tes grâces et

accorde ton salut à la manifestation de la Vérité par la Vérité, au trésor le plus

sublime, au flux venant de toi et retournant vers toi, et à la quintessence des

lumières dissimulées à toute connaissance. Que Dieu répande ses grâces sur lui

et sur sa famille, grâces par lesquelles, Ô mon Dieu, Tu nous le feras

connaître.»118

Ǧawharat al-kamāl : cette formule litanique qui se lit 11 ou 12 fois, posera

problème plus tard, nous le verrons, au sein de la Tiǧāniyya malienne.

3- Tahlīl : Lā-’ilāḥa illā Allāh : il n’y a de divinité que celle de Dieu : à réciter

sans limite. Le Tahlīl doit être récité après la prière d’al-‘asr, le vendredi, en

groupe ; en cas de voyage ou d’absence de ses confrères tiǧānīs, il est également

permis de le réciter tout seul.119

117 ḤARAZIM ‘Alī, Ǧawāhir al-ma‘ānī, op. cit., p.1409. 118 BÂ Amadou Hampate, Vie et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara, op. cit., p.167. 119ḤARAZIM ‘Alī Barrāda, Ǧawāhir al-Ma‘ānī, op. cit., p. 345.

Page 70: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

69

Cette pratique hebdomadaire marque une distinction majeure entre les tiǧānīs

et les autres courants soufis au Mali. Si les qādirīs préfèrent une récitation inaperçue

et discrète de leur ḏikr, les tiǧānīs eux optent pour la solennité de leur pratique du

ḏikr. Ainsi les tiǧānīs se rassemblent autour d’un drap blanc tous les vendredis pour

accomplir ce wird, dans la croyance que le Prophète, ou dans certaines versions, le

cheikh Ahmed Tiǧānī, apparaîtra lors de leur ḏikr. Nous verrons que cette pratique,

notamment la question du drap blanc, fera l’objet de controverses de la part des

qādirīs.

D’autres ḏikrs surérogatoires sont également mentionnées dans le bréviaire de

la Tiǧāniyya « Ǧawāhir al-Ma‘ānī » mais demeurent peu connues de la Tiǧāniyya

malienne d’aujourd’hui :

1- Yāqūtat al- Ḥaqā’iq

2- Du‘ā’ al-Sayfī, Ḥirz al-Yamānī

3- Al-’asmā’ al-‘idrīsiyya

4- Fātiḥat al-Kitāb bi al- ẖāṣiyyat al-Ma‘lūma

5- Salāt Raf‘ al-’a‘māl

6- Wazīfat al-Yawm wa al-Layla

7- Istiġfār Sayyidinā ẖaḍir

8- Al-Musabba‘āt al-‘ašr.120

Si les tiǧānīs de la période précoloniale prononçaient les invocations tiǧānīes,

obligatoires et surérogatoires, la plupart de nos contemporains, comme le révèlent

nos enquêtes de terrain, ignorent ou pratiquent peu ces invocations

surérogatoires.121

Les conditions d’affiliation à la voie spirituelle tiǧānīe sont au nombre de 23 à

être respecté par tout adepte. Vingt et une revêtent un caractère obligatoire et deux

sont vivement conseillées. Elles constituent un lien spirituel et un pacte moral qui

permettent à tout adepte de vivre pleinement sa tarīqa.

120 ḤARAZIM ‘Alī, Ǧawāhir al-ma‘ānī, p.347. 121 Enquêtes à Bamako, les zawiyas tiǧānīes, 06 /09/2011.

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70

Pour le détail de ces 23 conditions, il serait utile de se reporter à la source même de

la Tiǧāniyya, «Ǧawāhir al-Ma‘ānī » rédigé par Ḥarāzim Barrāda, le khalife direct

du fondateur de la Tiǧāniyya, ou encore aux écrits de secondes mains comme «al-

Rimāḥ » d’al-Ḥaǧ ‘Umar Tal, ou à l’ouvrage collectif dirigé par Jean-Louis Triaud

et David Robinson.122

Cependant, parmi ces 23 commandements, 4 retiennent particulièrement notre

attention :

1- Le postulant doit se libérer de toute obédience envers une autre tarîqa.123

Cette position tiǧānīe nous interpelle, car la Qādiriyya malienne ne connaît pas cette

fermeture. A titre d’exemple A.H.Bâ rapporte l’attitude du grand-père (al-Ḥāǧ

Seydu Hann) de son maître spirituel, Tierno Bokar : « Bien qu’appartenant à l’ordre

qādirī, il n’hésita pas à se placer sous l’obédience d’El Hadj Omar » 124

A cet égard, le soufi égyptien Ahmed al-Tâhir n’a-t-il pas raison de déplorer ce

fanatisme confrérique, et ce sectarisme qui ne fait que creuser davantage le fossé

entre les confréries soufies, et encourager le rejet mutuel 125 ?

Pourquoi un disciple ne peut- il pas pratiquer divers enseignements soufis s’il se

sent apte à les faire ? Pour quelle raison la Tiǧāniyya se présente-t-elle comme une

clôture de toutes les voies spirituelles ? Toutes ces questions, nous le verrons dans

le quatrième chapitre, feront l’objet de discussions entre tiǧānīs et qādirīs.

Le deuxième commandement qui nous interpelle est celui ordonné par la quasi-

totalité de voies spirituelles :

2- Ne jamais proférer d’injures ou de critiques à l’adresse du cheikh.126

122 TRIAUD Jean-Louis et David ROBINSON, La tijâniyya : une confrérie musulmane à la conquête de

l’Afrique, Paris, éd. Karthala, 2000, pp.9-36. 123 ḤARAZIM ‘Alī, Ǧawāhir al-ma‘ānī, op. cit., p.343. 124 BÂ Amadou Hampate, Vie et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara, op. cit., p.18. 125 CHIH Rachida, Le soufisme au quotidien, Nilsson, Actes sud, 2000. p. 146. 126 ḤARAZIM ‘Alī, Ǧawāhir al-ma‘ānī, op. cit., p.417.

Page 72: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

71

L’injure est toujours répréhensible selon la šari‘a. Et, si le maître commet des actes

critiquables, sera-t-il également à l’abri de toute critique ? Le principe‘iṣma,

infaillibilité, est-il accordé aux cheikhs à l’instar des prophètes ? En ce sens, Abd al-

Qādir al-Ǧīlānī dans son ouvrage « al-Ġunya li ṭālibī ṭarīq al-ḥaqq» précise que le

disciple peut gentiment critiquer son maître spirituel par des signes et des allusions,

s’il commet une erreur sans le blesser.127

Un troisième commandement met en garde les adeptes qui souhaiteraient un jour

quitter la tarîqa Tiǧāniyya:

3- Risquer un grave désagrément spirituel en abandonnant l’ordre après y avoir

été affilié 128.

Un musulman est-il tenu d’observer une voie spirituelle précise, à plus forte raison

d’y demeurer éternellement ?

Le dernier commandement tiǧānī qui a retenu notre attention est le suivant :

4- Ne jamais réciter la Ǧawharat al-kamāl, la Perle de perfection, sans ablutions

rituelles.129

Faut-il signaler que le bréviaire de la Tiǧāniyya va encore plus loin, lorsqu’ il

évoque les mérites de ṣalāt al-fātiḥ, en plaçant celle-ci devant le texte coranique en

mérite : « Le fait de réciter salāt al-fātih une fois équivaut six fois la lecture

intégrale du Coran »130 ?

Le texte islamique le plus sacré, à savoir le Coran, ne bénéficie pas de

l’unanimité des oulémas sur l’obligation antérieure d’ablutions rituelles avant sa

lecture. Une question importante se pose ici : comment concilier les enseignements

de la šarī‘a connus et les enseignements prétendus révélés par le Prophète à un

cheikh, lorsque ces deux entrent en opposition ?

127 AL-ǦILANI Abd al-Qādir, al-Ġunya li ṭālibī ṭarīq al-ḥaqq, Beyrouth, éd. Dar al- Ṣādir, 2007, p. 188. 128 ḤARAZIM ‘Alī, Ǧawāhir al-ma‘ānī, op. cit., p341. 129 ḤARAZIM ‘Alī, Ǧawāhir al-ma‘ānī, op. cit., p.345. 130 ḤARAZIM ‘Alī, Ǧawāhir al-ma‘ānī, op. cit., p.373. Traduction personnelle.

Page 73: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

72

Il est à noter que cette tarîqa Tiǧāniyya fit son apparition au Mali, en

empruntant de multiples voies, même si celle d’al-Ḥāǧ ‘Umar fut et demeure la plus

marquante. A.H. Bâ résume, en ces mots, ces différentes voies de pénétration de la

Tiǧānyya en Afrique Noire : « On sait que la Tijanyya, confrérie née en Algérie

dans les plus pures traditions du soufisme, avait pénétré le monde noir selon trois

voies : l’une qui venait directement du nord, descendant de l’Algérie vers le Soudan

et Tombouctou ; l’autre qui venait de l’ouest, par le fleuve Sénégal ; la troisième,

enfin qui venait de l’est par l’entremise d’El-Hadj qui l’avait ramenée de la

Mecque »131.

En revanche, nos enquêtes de terrain 132 révèlent que Tombouctou ne connut la

Tiǧāniyya qu’avec l’avènement d’al-Ḥāǧ ‘Umar Tal. C’est suite à son ǧihād

inlassable que la Tiǧāniyya atteignit Tombouctou pour se heurter à la Qādiriyya,

voie spirituelle qui s’y enracina grandement. La Tiǧāniyya connut un grand succès

au Mali où elle supplanta, dans de nombreuses régions, la tarîqa Qādiriyya. Cette

réussite peut s’expliquer, à notre avis, par divers facteurs, entre autres :

- L’étendue de la promesse énoncée par la Tiǧāniyya

Selon la Tiǧāniyya, tous ses adeptes seront épargnés de l’enfer et entreront avec

certitude au Paradis. Cette promesse confirmée et consolidée par les textes du

bréviaire de la tarîqa a grandement séduit les profanes, qui s’y convertirent

massivement. Citons à titre d’illustration un extrait de ces textes prometteurs :

« Le Seigneur de l’existence, que la paix et le salut soient sur lui, m’a dit en

état d’éveil et non en état de sommeil : ‘‘tu es parmi les assurés et les élus de

Dieu, et toute personne qui te verra sera également assurée, s’il meurt avec foi ;

et quiconque te servira d’une manière ou d’une autre rentrera au paradis sans

compte ni châtiment.’’ J’ai également demandé auprès du Prophète que soit

épargné de l’enfer tout novice qui me prendra comme son cheikh, qui se

rattachera à mon wird, me rendra une pieuse visite ou fera des bénédictions,

du‘ā, pour moi ; il me répondit : ‘‘Je te le garantis, ta demande est

exaucée’’ »133

131 BÂ Amadou Hampate, Vie et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara, op. cit., p.55. 132 Enquête effectuée à Tombouctou, 01/08/2011. 133 ḤARAZIM Alī Barrāda, Ǧawāhir al-Ma‘ānī, op. cit., p. 361. Traduction personnelle.

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Certes, un tel discours, apportant de telles certitudes, ne laissera pas indifférents les

profanes. C’est pourquoi les ulémas qādirīs, comme nous le verrons, ne tardèrent

pas à réfuter ce discours tiǧānī qu’ils jugèrent outrancier et illusoire.

- L’incitation à quitter les autres voies spirituelles

Pour attirer de nouveaux disciples, la Tiǧāniyya assure que tout disciple qui se

détache de son ancienne tarîqa au profit de la sienne ne subira aucune malédiction.

En revanche, quiconque quittera la Tiǧāniyya pour une autre tarîqa en subira

inéluctablement les mauvaises conséquences, comme l’annonça le fondateur de la

Tiǧāniyya dans « Ǧawāhir al-Ma‘ānī, ».134

- Le ǧihād incessant des tiǧānīs

Le succès de la Tiǧāniyya au Mali revient également au ǧihād inlassable d’al-Ḥāǧ

‘Umar, qui mena une guerre, non seulement contre les païens, mais aussi contre les

musulmans qu’il traita d’hypocrites, munāfiqūn. Ce point nous conduira à étudier ce

cheikh toucouleur et son rôle dans l’introduction et la diffusion de la Tiǧāniyya au

Mali.

1. Les tiǧānīs et l’expansion de l’islam au Mali

Si l’introduction de la Tiǧāniyya en Afrique occidentale notamment en

Mauritanie fut l’œuvre de l’érudit mauritanien Muḥammad al-Ḥāfiẓ (m.1830),

muqaddam du fondateur de la Tiǧāniyya lui-même,135 cependant l’instauration de

cette voie spirituelle et sa diffusion au Mali reviennent au cheikh ‘Umar Tal. Ce

dernier contribuera grandement à l’islamisation du Mali sous l’étendard tiǧānī.

1.1. Al-Ḥāǧ ‘Umar Tal (1797-1864) et la diffusion de la Tiǧāniyya au Mali

La propagation de la Tiǧāniyya au Mali fut principalement l’œuvre d’al-Ḥāǧ ‘Umar

Tal. Les récits historiques le font naître entre 1794 et 1797 à Halwar (actuel

Sénégal). Si des incertitudes demeurent quant à sa date de naissance, l’unanimité se

134 ḤARAZIM Alī, op. cit., p. 341. 135 TRAORE Alioune, Islam et colonisation en Afrique : Cheikh Hamahoullah, homme de foi et résistant, Paris,

éd. Maisonneuve et Larose, 1983, p.39.

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fait sur la date de sa mort, 1864, au Mali dans les grottes de Deguimberé, près de

Bandiagara.136

Après avoir reçu une formation religieuse auprès d’un certain Abd al-Karīm137

dans son pays natal, il décida de se perfectionner en sciences religieuses aux lieux

saints de l’islam, où il en profita pour s’acquitter du cinquième pilier de l’islam.

C’est lors de ce pèlerinage qu’il fit une rencontre historique avec un maghrébin

tiǧānī, Muḥammad al-Ġālī, investi comme Khalife de la Tiǧāniyya de tous les

Ḥiǧāz par cheikh Ahmed Tiǧānī lui-même. Ce maître spirituel l’amena à

approfondir sa connaissance ésotérique et lui accorda finalement le titre de Khalife,

avant de l’inciter à retourner dans son pays pour y entreprendre l’expansion de cette

nouvelle voie spirituelle. Al-Ḥāǧ ‘Umar témoigna dans son célèbre ouvrage,

« Rimāḥ », du titre qu’il reçut :

« Lors de notre présence en la mosquée du Prophète, cheikh al-Ġālī me dit :

‘‘Nous déléguons des muqaddams pour nous représenter dans divers pays en

leur accordant notre wird, quant à toi tu comptes parmi les khalifes du cheikh

Tiǧānī et non parmi les muqaddams’’. Ce dernier me dit en outre : ‘‘J’ai livré à

Umar fils de Sa‘īd tout ce dont il a besoin de cette tarîqa, ses secrets et ses

invocations, toi tu ne fais que transmettre’’ »138.

L’écrivain malien A.H. Bâ rapporte que le maître spirituel du Hiǧāz s’adressa à son

disciple, qui s’apprêtait à rentrer chez lui en ces termes : « ‘‘Va balayer les pays.’’

Telle fut la consigne qu’El-Hadj Oumar reçut de son maître en même temps que la

dignité de Cheick et khalife de l’ordre Tidjaniya »139.

Al-Hāǧ ‘Umar, une fois rentré, n’eut de cesse de se livrer au prosélytisme afin

de répandre la voie de cheikh Ahmed Tiǧānī. Il prépara également ses disciples

psychologiquement et militairement, dans le but de conquérir non seulement les

royaumes païens mais un Etat musulman bien établi ne sera pas non plus épargné.

Il quitta son pays natal après un échec subi pour conquérir les Empires du Mali. 136 KONARE Alpha Oumar et BA Adam, Grandes dates du Mali, Bamako, éd. Imprimerie du Mali, 1983. p.48-

60. 137 THIAM Muḥammad ‘Alī, La vie d’El Hadj Omar Qaçida en Poular, Paris, éd. Institut d’ethnologie, 1935.

p.8. Transcription, traduction, notes et glossaire par GADEN Henri, ancien gouverneur des Colonies. 138 TAL al-Hāǧ ‘Umar, Rimāḥ ḥizb al-Raḥīm alā nuḥūr ḥizb al-Raǧīm, Le Caire, éd. Maktabat Muṣtafā al-Bābī

al-Ḥalabī, t.1., 1963, p. 9184. Traduction personnelle. 139 BÂ Amadou Hampate et J. DAGET, op. cit., p.239.

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A ce sujet, Alphonse Gouilly écrit : « Ce qu’il faut retenir de l’aventure d’Al-

Hadj Omar, c’est son échec au Sénégal. Il a essayé sans succès de régner sur son

pays natal. Au demeurant, depuis son retour de la Mecque (1838), il s’efforçait d’y

gagner des adeptes à sa cause. Nul n’est prophète en son pays »140.

En effet, il lança son ǧiḥād en 1852, et remporta une série de victoires contre les

animistes. En 1854, il détruisit le royaume de Kartha, et envahit le royaume de

Khasso en 1857. Il conquit et prit le royaume Bambara de Ségou en 1861. Jusqu’à

cette dernière date la conquête d’al-Hāǧ semble cohérente sur le plan religieux.

Mais après avoir soumis les royaumes païens, il entreprit une bataille difficilement

compréhensible, à savoir la conquête d’un Etat musulman , la Dīna.

Pour quelles raisons al-Haǧ ‘Umar a-t-il détruit le régime musulman du

Macina après l’exécution du chef du régime appelé « Amīr al- Mu’minīn », Āmadu

Āmadu, le commandant des croyants ?

Nos historiens invoquent, à ce sujet, diverses raisons pour expliquer cette guerre

fratricide ; parmi elles :

1- Des raisons politiques

2- La rivalité personnelle

3- La fatalité

4- Des motifs religieux

- Bintou Sanankoua, semble pencher pour la première raison et minimiser les autres.

Elle accuse les deux partis (Māsinanké et Futanké) de vouloir taire cet épisode de

leur histoire : « Masinanké et Futanké gardent dans une complicité tacite le silence

sur leur histoire commune relative à l’occupation futanké du Maassina. Tout se

passe comme si les descendants de Seku Amadu et d’Al-hadjji Oumar avaient honte

d’évoquer une guerre fratricide qui a priori ne se justifiait pas. »141

140 GOUILLY Alphonse, op. cit., p.46. 141SANANKOUA Bintou, Une empire peul au XIXème siècle, op cit. p.13.

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- Ayant des ascendants dans les deux parties (Massinanké et Foutankè), l’historien

et écrivain malien A.H. Bâ, après avoir évoqué la question dans son célèbre ouvrage

« L’Empire peul du Macina », ne semble pas vouloir expliciter sa position envers

cette guerre fratricide incompréhensible :

« Des traditions contradictoires font en effet d’El Hadj Oumar, tantôt un cheikh

sublime, tantôt un despote sanguinaire qui incendie et pille tout sur son

passage. S’il est vrai que la calomnie est la rançon de la grandeur, on ne peut

contester qu’El Hadj Oumar fût un grand homme. En quittant Médine, il était

bien décidé à ne jamais devenir roi ni courtisan de roi, c'est-à-dire marabout

officiel. La preuve en est cette déclaration qu’on lui prête : « ‘‘Je n’ai pas

fréquenté les rois et je n’aime pas ceux qui les fréquentent ’’»142

Quant à Youssouf Tata Cissé, il nous confia, lors d’un entretien, sa pensée sur

l’aventure d’al-Ḥāǧ ‘Umar. Pour lui cette guerre relevait d’ambitions égoïstes et

personnelles : vouloir à tout prix dominer les autres. Il affirma que cette guerre

n’avait rien à voir avec l’islam, et que le guide suprême de la Tiǧāniyya, à son

arrivée au Mali, trouva des centaines de mosquées en place.143

Mais il faut souligner que tous ces historiens non arabisants n’ont pas un accès

direct aux écrits d’al-Ḥāǧ ‘Umar Tal ni aux écrits de Muḥammad Āmadu, l’auteur

de « Bayān mā ǧarā ». Ils n’ont pas été formés non plus à la jurisprudence

islamique afin de saisir à juste titre les enjeux religieux de cette guerre

interreligieuse. Or nous savons que les protagonistes de cette guerre se reportent

tous les deux aux sources religieuses (Coran et hadiths) ; par conséquent, tout

jugement émis hors de ces sources est naturellement partiel et partial.

Pour notre part, nous demeurons perplexe face à cette guerre fratricide, car Al-

Ḥāǧ ‘Umar est lui-même l’auteur d’un ouvrage intitulé «Taḏkirat al- ġāfilīn ‘an

qubḥ ‘iẖtilāfi al- mu’minīn : Rappel à ceux qui ne prêtent pas attention aux méfaits

causés par la divergence entre croyants », ouvrage qu’il rédigea pour réconcilier les

musulmans du pays du Hawsa lors de son retour de la Mecque. On y lit en

particulier :

142 BÂ Amadou Hampate et J. DAGET, L’Empire peul du Macina, op. cit., p.240. 143 Entretien effectué à Paris, le 1/4/2013.

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77

« Lors de mon long périple aux lieux saints de l’islam, je passai par les pays de

Hawsa, où je trouvai la discorde qui s’enflammait entre nos frères musulmans.

Je voulus donc les réconcilier, mais de peur de ne pas être saisi par cette affaire

qui me retarderait de mon pieux voyage à la Mecque, je pris donc la résolution

de reporter cette réconciliation à mon retour de la Mecque, cependant je les

quittais triste, en pleurs. A mon retour j’appris que cette discorde, fitna,

persistait toujours. Je me suis alors dit qu’il fallait maintenant impérativement

entreprendre une réconciliation pour mettre un terme à cette animosité. Cette

noble entreprise paraissait impossible aux yeux des protagonistes. Malgré cette

circonstance délicate, bien que l’affaire soit délicate, j’étais obsédé par l’idée

d’instaurer un dialogue constructif entre mes frère musulmans, et, motivé par

divers versets et hadiths incitant à la réconciliation, je m’y lançais »144.

Dans un autre passage de ce manuscrit, il poursuit :

« Et lorsque je me suis aperçu que la simple parole ne suffisait pas pour réconcilier

au mieux mes frères dans la discorde, je décidais donc d’écrire un ouvrage en ce

sens, composé de vers, ces vers étant au nombre des lettres qui constituent deux

versets de sourate al-ḥuǧrāt »145.

Comme cette réconciliation lui tenait à cœur, il rédigea cet ouvrage en dépit des

conditions très difficiles, comme il le mentionna lui-même : « Sache que ces vers

ont été composés dans des circonstances extrêmement délicates, car j’étais

préoccupé par la maladie de mon frère et celle de mon épouse, les deux étaient, au

moment de la rédaction de cet ouvrage, entre la vie et la mort. En outre, j’étais

également exténué et affaibli par mes longs périples »146.

Comment comprendre alors que l’auteur d’un tel ouvrage puisse plus tard se lancer

dans une guerre fratricide contre ses propres coreligionnaires ? Comment a-t- il pu

si brusquement et si brutalement changer d’opinion ? Y a-t-il eu dialogue ou

tentative de réconciliation entre les protagonistes avant la guerre ?

144 TAL ‘Umar, Taḏkirat al- ġāfilīn ‘an qubḥ ‘iẖtilāfi al- mu’minīn, ms., n° 1328, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou,

fol. 3.Traduction personnelle. 145 Coran : 49, 9-10. 146 Ms., n° 1328, op. cit., fol. 4. Traduction personnelle

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78

Maintes correspondances entre les deux leaders spirituels témoignent que ces

derniers échangèrent effectivement des missives. Dans son ouvrage « Bayān mā

waqa‘a », rédigé pour justifier cette guerre fratricide, al-Ḥāǧ ‘Umar affirma même

avoir reçu cinq lettres de la part du chef de Dīna : « Sache, ô le lecteur équitable –

que la miséricorde de Dieu soit sur toi !- que cet Aḥmad b. Aḥmad nous a envoyé

cinq lettres. La première est celle qui nous est parvenue à Nioro (….) La seconde est

celle qui est arrivée à Sabouciré, la troisième, la quatrième et la cinquième, celles

qui nous sont parvenus quand nous étions à Sansandi »147.

Il y présenta, pour légitimer cette guerre, des arguments qui, selon la šarī‘a,

s’avèrent difficilement recevables. Ses arguments s’articulent autour des axes

principaux suivants :

1- La solidarité avec les non musulmans, muwālāt al-kuffār : il accusait le

commandeur des croyants du Macina d’avoir accueilli sur son territoire le roi de

Ségou, qui selon lui, était encore animiste, et dont il contestait la conversion à

l’islam.

2- L’ignorance de son adversaire : il mettait en cause son aptitude intellectuelle à

pouvoir diriger les croyants.

3- Le laxisme du chef du régime du Macina dans l’application de la šarī‘a.148

Ces arguments évoqués par al-Ḥāǧ ‘Umar suffiraient-ils pour justifier une

guerre interreligieuse qui se solda par des milliers de victimes, et qui, par la suite, fit

disparaître une gigantesque bibliothèque appelée « Bèmal Dewtè » : « Maison des

livres » en peul ? Comment peut-on, selon la šarī‘a, contester la conversion à

l’islam d’une personne qui se déclare publiquement converti ? Faut-il être le plus

érudit de la communauté pour avoir la légitimité de diriger les croyants ? La šarī’a

doit-elle être appliquée selon l’interprétation d’un seul faqīh ? Al-Ḥaǧ ‘Umar

parvint-il à convaincre ses conseillers les plus proches de combattre ses

coreligionnaires ?

147 MAHIBOU Sidi Mohamed, TRIAUD Jean-Louis, Voilà ce qui est arrivé Bayān mā waqa‘a d’al-Ḥāǧǧ ‘Umar

al-Fūtī Plaidoyer pour une guerre sainte en Afrique de l’Ouest au XIXe siècle, Paris, éd. CNRS, 1983, p.83. 148MAHIBOU Sidi Mohamed, TRIAUD Jean-Louis. Op. cit., pp.33-34.

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79

Son conseiller intime et porte-parole, Muḥammad ‘Alī Thiam (m.1911) ne fut

pas convaincu du bien-fondé de la guerre armée interreligieuse. Il s’abstint quand

son cheikh s’obstina à s’y lancer. Or c’est ce dernier qui avait composé des

nombreux vers en son honneur (1200 vers)149. Lors d’un entretien avec son petit-fils

Ibrahim Hādī Muḥammad ‘Alī Tiam, ce dernier nous confia :

« Notre grand-père Muḥammad ‘Alī Tiam, l’homme le plus proche d’al-Haǧ

‘Umar, s’opposa fermement à son ami, quand ce dernier voulut entreprendre

une guerre contre le régime du Macina, dirigé à cette époque par Āmadu

Āmadu, le petit-fils du fondateur du régime musulman . Il conseilla avec

sincérité le guide suprême de la Tiǧāniyya de favoriser toujours la paix et la

réconciliation avec ses confrères en islam, mais hélas, ce fut un dialogue des

sourds ; al-Ḥāǧ ‘Umar s’obstina et mon grand- père renonça à sa compagnie et

rentra chez lui à Fouta Toro »150.

Si le porte-parole d’al-Ḥāǧ ‘Umar ne le suivit pas dans cette guerre fratricide, il

n’accorda pas non plus son soutien moral aux adversaires de son maître spirituel.

Car certains passages de sa célèbre qaṣīda (un ensemble des vers) critiquent de

façon acerbe les leaders religieux du régime musulman du Macina. Muḥammad

‘Alī Thiam évita donc une guerre armée pour se lancer dans une guerre verbale.151

Cette ferveur à mener le ǧihād contre les coreligionnaires pourrait-elle être

orientée uniquement vers un ennemi commun (les colonisateurs) ? Pour quelles

raisons Al-Ḥāǧ ‘Umar évita-t-il les colonisateurs français hormis quelques heurts

qu’il eut, notamment en 1857, avec ces derniers venus libérer le fort de Médine

(région du Kayes) assiégé par ses adeptes ?152

149 THIAM Muḥammad ‘Alī, La vie d’El Hadj Omar Qaçida en Poular, Paris, éd. Institut d’ethnologie, 1935.

p.289. Transcription, traduction, notes et glossaire par GADEN Henri, ancien gouverneur des Colonies. 150 Entretien avec le petit-fils du porte-parole d’al-Ḥāǧ ‘Umar, effectué à Ségou le 26/08/2011. 151 THIAM Muḥammad ‘Alī, La vie d’El Hadj Omar Qaçida en Poular, op. cit., p.199-200. 152 Pour les détails de ces heurts, cf. ROBINSON David, La guerre sainte d’Al-Hajj ‘Umar : le Soudan

occidental au milieu du XIXème siècle. Paris, éd. Karthala, 1988, p.194. Voir aussi LY TALL Madina, Un islam

militant en Afrique de l’Ouest au XIXème siècle, la tijāniyya de Seku ‘Umar Futiyou contre les pouvoirs

traditionnels et les puissances coloniales, Paris, éd. L’Harmattan, 1991, p.279.

Page 81: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

80

Il existe également une version de cette guerre écrite par le fils d’Āmadu Āmadu,

« Sache que le début de l’inimitié qui se déroula entre Āmadu Āmadu et al-Ḥāǧ

‘Umar relève de l’âme instigatrice querelleuse d’al-Ḥāǧ ‘Umar, qui s’inspira de

souffles sataniques, car il était entouré d’une armée puissante et d’une troupe

innombrable. Après avoir vaincu plusieurs royaumes animistes, il mobilisa sa

force militaire pour se diriger vers Macina, dans le dessein de livrer bataille

aux peuls. Il était prédestiné que le territoire du Macina allait subir des grandes

épreuves. C’est ainsi qu’al-Ḥāǧ ‘Umar s’adressa à Āmadu Āmadu comme on

s’adresse à un mécréant, lui adressant ce verset révélé au sujet des mécréants :

Ô notre peuple ! Répondez au prédicateur de Dieu et croyez en lui. »153

Dans un autre passage, il écrit :

« Lorsque Āmadu Āmadu eut reçu la missive, il convoqua le grand Conseil

pour débattre de la réponse adéquate, conforme à la šarīa‘a. Après une

discussion divergente, les jurisconsultes du régime se mirent d’accord sur le

point suivant : ne pas combattre al-Ḥāǧ ‘Umar, sauf s’il rentre à Hamdallay

pour nous combattre et menacer notre sécurité. Dans ce cas nous serons obligés

de nous défendre conformément à un passage de Muẖtaṣar, ouvrage juridique

de Ḫalīl : ‘‘Il est licite de se défendre contre un agresseur’’»154.

A la fin du manuscrit il décrit la fin tragique d’al-Ḥāǧ ‘Umar qui fut assiégé à

Hamdallay :

« Il fuit et se réfugia dans une grotte, l’armée peule se dépêcha pour le déloger.

A leur arrivée il cria : ‘‘Soyez patients et attendez moi, je descendrai vers

vous’’. Mais quand il vit leur détermination à le capturer, il rentra vite dans la

grotte et alluma un feu à l’entrée. Les peuls attisèrent davantage ce feu en y

jetant du bois et du foin. Al-Ḥāǧ ‘Umar y périt tragiquement, avec ses enfants

et ses épouses.»155 .

L’opinion de gens du Macina sur cette guerre est patente dans ce manuscrit

« Bayān mā ǧarā ». Al-Ḥāǧ ‘Umar y est présenté comme un agresseur et un

musulman qui s’insurge contre une autorité musulmane établie.

Quoi qu’il en soit, cette guerre interreligieuse a grandement joué contre l’union

des tiǧānīs et qādirīs de son époque. Si le ǧihād du cheikh toucouleur a contribué à

l’expansion de l’islam au Mali sous l’obédience tiǧānīe, il a cependant creusé un

153 Muḥammad Āmadu Āmadu, Bayān mā ǧarā , ms., n°27. I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, fol.3. Traduction

personnelle 154 Ms n°27, op. cit., fol. 10. Traduction personnelle 155 Ms n°27, op. cit., ff. 34-35. Traduction personnelle.

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81

fossé de discorde et a provoqué une scission interne dans les rangs des voies

spirituelles. Suite à cette guerre, la Tiǧāniyya prit de l’ampleur au Mali et se

substitua quasiment dans toutes les régions conquises à la Qādiriyya. Des qādirīs se

rangèrent derrière la bannière de la voie umarienne, certains par crainte pour leur

vie, et d’autres par conviction.

Ainsi le disciple d’al-Ḥāǧ ‘Umar le plus zélé et le plus dévoué, Ibn Yerkoy

Talfī, qui changea de tarîqa et passa de la Qādiriyya à la Tiǧāniyya, joua également

un rôle majeur dans l’expansion de la voie de cheikh Ahmed al-Tiǧānī au Mali. Il

fut son porte-parole et le défenseur infatigable de sa cause. Il répandra la Tiǧāniyya

par la voie intellectuelle : en l’enseignant et en rédigeant des ouvrages sur l’exégèse

et pour l’apologie et la défense de cette nouvelle voie spirituelle au Mali. Ses

ouvrages feront l’objet de notre étude au chapitre suivant.

1.2. al-Muẖtār ibn Yerkoy Talfī (m. 1864) et la diffusion de la voie tiǧānīe au

Mali

al-Muẖtār ibn Wadī‘at Allah, plus connu sous l’appellatif «Yerkoy Talfī », fut

une sommité religieuse tiǧānīe du Macina. Si certains historiens évoquent 1864

comme date de sa mort, la date de la naissance reste cependant obscure. A cet

égard, David Robinson propose les années se situant entre 1810 et 1820 comme

date de sa naissance.156 Nous ne disposons pas d’éléments révélateurs ni sur son

éducation ni sur sa formation intellectuelle. Comme il est issu d’une famille

d’intellectuels, il est fort probable qu’il y ait reçu une instruction préalable, avant de

gagner Tombouctou pour parfaire ses études, comme le suppose Mohamed

Diagayeté, un historien malien.157

156 ROBINSON David, « Yirkoy Talfi et le Masina au XIXe siècle ; un propagandiste de la Tijaniyya

umarienne » in Islam et Société au Sud du Sahara, ( I.S.S.S.), Paris, n°. 4, 1990, pp. 143-148. 157 DIAGAYETE Mohammad, al-Fullāniyyūna wa ’ishāmuhum fī al-ḥaḍārat al-’islāmiyyat bi Mālī ẖilāl al-

qarnayni (XVIII / XIX), Université Zitouna, Tunisie, 2006, (dactylogr, Thèse 3e cycle, directeur : Tawfik ibn

‘Amir), p. 97.

Page 83: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

82

Il fut le représentant de sa ville Diré auprès de la Dīna, sous le règne d’Āmadu

cheikh Āmadu, fils du fondateur du régime musulman . Il entretenait des relations

excellentes avec ce dernier et détenait également dans la capitale du régime une

assise du savoir, maǧlis al-‘ilm, vers laquelle se ruaient les disciples issus de divers

horizons. Mais avec l’avènement d’Āmadu Āmadu, le petit-fils du fondateur, les

choses changèrent et leur relation empira. Ibn Yerkoy Talfī jugea le nouveau

commandeur des croyants incompétent et critiqua sa manière de mettre en œuvre la

šarī‘a. Suite à cette mésentente, l’uléma de Diré n’hésita pas inciter al-Ḥāǧ ‘Umar à

venir occuper la capitale du régime musulman .158 Par la suite, il quitta Hamdallay

pour rallier son nouveau maître spirituel.

Dès lors, il devint défenseur fervent de la Tiǧāniyya, après avoir renié son

ancienne tarîqa Qādiriyya. Certaines interrogations demeurent cependant : quelle

était sa position face à une guerre tiǧānīe-qādirīe ? Allait-il approuver son nouveau

guide spirituel ? A-t-il vécu avec son maître spirituel l’occupation de Hamdallay,

capitale du régime musulman ? Sur ce point deux versions contradictoires

coexistent :

- Selon certaines versions historiques, il conseilla à son cheikh de ne pas

entreprendre de guerre contre ses propres coreligionnaires. Mais devant la

détermination et l’obstination de son maître, il l’aurait quitté pour se réfugier dans

son village natal. En chemin, il aurait été victime d’une attaque perpétrée par

certains peuls qui le tenaient pour traître. Cette version est étayée par Mohammad

Diagayété.159

- D’autres sont d’avis qu’il fit la guerre aux côtés d’al-Ḥāǧ ‘Umar et vécut le siège

épouvantable que leur infligea, durant un an, la coalition kunta-peule (les qādirīs).

Cette thèse est corroborée par D. Robinson : « Il revient ensuite, paraît-il, à

Hamdullahi pour partager les mois durs du siège. Il s’échappe avec ‘Umar en

158 Voir Annex A n°11. 159 DIAGAYETE Mohammad, al-Fullāniyyūna wa ’ishāmuhum fī al-ḥaḍārat al-’islāmiyyat bi Mālī ẖilāl al-

qarnayni (XVIII / XIX), op. cit., p. 98.

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83

février 1864, se réfugie dans les falaises de Dégemberé, et est libéré par Tijani, le

neveu du Shaykh.»160.

Pour notre part, rien ne prouve qu’il quittât al-Ḥāǧ ‘Umar. Comment pouvait-il

déserter le champ de son nouveau maître spirituel qu’il considérait comme

infaillible ? N’a-t-il pas écrit dans une poésie qu’il veillait toute la nuit pour

invoquer son nom ? N’a-t-il pas consigné dans maintes poésies que son nouveau

guide spirituel est le seul, à son époque, à détenir le nom de Dieu le plus sublime ?

C’est lui qui prôna avec ferveur la Tiǧāniyya en ces mots : « Si les non tiǧānīs

connaissaient la juste valeur et la supériorité de la Tiǧāniyya, ils auraient passé toute

leur vie en pleurs et dans le regret de ne pas l’avoir adoptée comme tarîqa »161.

En effet, Ibn Yerkoy Talfī produisit une littérature abondante afin d’expliquer la

quintessence de sa nouvelle voie, et afin de répliquer ou de rétorquer aux pamphlets

de ses détracteurs. Ces écrits ont grandement permis de saisir les enjeux de la

Tiǧāniyya malienne de l’époque précoloniale.

En conclusion, nous pouvons noter que la Tiǧāniyya à l’époque précoloniale

se distinguait par les caractéristiques suivantes :

1- Volonté ardente de mener le ǧihād contre les musulmans non tiǧānīs

2- Prétention de supériorité et de prééminence sur d’autres voies spirituelles.

3- Relation tendue entre la Tiǧāniyya et les autres courants soufis.

4- Homogénéité de la Tiǧāniyya à cette époque précoloniale : unanimité sur les 12

grains. Nous étudierons la scission interne qui exista au sein de la Tiǧāniyya

malienne à l’époque coloniale avec l’avènement du cheikh Hamallah.

5- Abondance de la littérature soufie tiǧānīe.

Ce dernier point nous amène à nous intéresser, au chapitre suivant, aux écrits des

soufis de la période précoloniale au Mali, avant que nous ne mesurions leur impact.

160 ROBINSON David, « Yirkoy Talfi et le Masina au XIXe siècle ; un propagandiste de la Tijaniyya

umarienne » op. cit., pp. 143-148. 161 IBN YERKOY TALFI, Ta’yīdāt Rabbāniyya li al-ǧamā‘a al-Tiǧāniyya, ms., n° 862, I.H.E.R.I.A.B,

Tombouctou, fol. 7. Traduction personnelle.

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CHAPITRE IV : Les ouvrages des soufis de premier plan au Mali et leur

portée

Les soufis de premier plan au Mali composèrent de nombreux ouvrages en divers

domaines, religieux et linguistiques. Mais notre intérêt ne se portera que sur les

ouvrages ayant trait au soufisme. En tout premier lieu, nous nous intéresserons aux

ouvrages de l’instaurateur du soufisme au Mali, le guide suprême de la Qādiriyya

Muẖtāriyya, Sīdī al-Muẖtār al-Kabīr (m.1811).

I- Ouvrages écrits par les soufis qādirīs

1. Œuvres de Sīdī al-Muẖtār al-Kabīr (m.1811), l’instaurateur de la

Qādiriyya au Mali

Sīdī al-Muẖtār al-Kabīr, le fondateur de la Muẖtāriyya fut un auteur très

prolifique, il intervint dans divers domaines de la connaissance. Il est cependant

difficile d’apprécier la totalité de sa production. Nous avons vu plus haut que

certains historiens lui attribuaient 84 ouvrages et d’autres 314, traitant tous divers

thèmes.

Maḥmūd ibn Muḥammad Hamu, guide spirituel et conseiller pédagogique162

au Centre d’Animation Pédagogique à Tombouctou tenta de recenser tous les

ouvrages de Sīdī al-Muẖtār al-Kabīr. Il a ainsi dénombré 50 ouvrages et opuscules

qu’il a consultés lui-même. Trente-cinq d’entre eux se trouvent à l’Institut des

Hautes Etudes et de Recherches Islamiques d’Ahmed Baba (IHERIAB) de

Tombouctou. Les autres sont disséminés ici et là. Ils sont à l’état de manuscrits,

rédigés en arabe. A ce jour, il n’existe, à notre connaissance, aucune traduction

complète de ces œuvres. Nous étudierons 3 de ces ouvrages, les plus significatifs

pour notre sujet de recherche. Le premier se présente comme un ouvrage qui défend

les saints de Dieu, en faisant également l’apologie de la sainteté musulmane.

162 Interview effectuée à Tombouctou, le 30/07/2011. Infra., p.297.

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85

Le second évoque la quintessence du wird soufi et les mérites des guides spirituels.

Le dernier met en exergue la genèse de l’âme et de l’esprit de l’être humain.

La sainteté dans le soufisme :

1.1. Ǧaḏwat al-anwār fī al-ḏabb ‘an manāṣib awlyā’ Allāh al-aẖyār : Braise

incandescente pour la défense de la place des saints élus de Dieu163

Nous avons trouvé trois copies de cet ouvrage manuscrit à l’Institut des Hautes

Etudes et des Recherches Islamiques d’Ahmed Baba, ainsi qu’une copie à la

Bibliothèque de Mama Haidara à Tombouctou. Cet ouvrage se présente comme une

réfutation - ainsi que l’annonce son intitulé - contre al-Muẖtār ibn Būn,

contemporain du cheikh Sīdī al-Muẖtār. Ce dernier en effet, niait les miracles des

saints karāmāt. Pour y parvenir, Sīdī al-Muẖtār s’efforce de présenter des

arguments issus des deux sources principales de l’islam : le Coran et les hadiths. Il

décrypte le sens étymologique du terme walī et expose également la différence

essentielle entre un vrai saint, walī al-ḥaqq, et un faux saint, walī al-bāṭil.

Il y étudie également le sens étymologique du mot « miracle », karāmāt, ainsi

que la définition donnée par les grands ulémas. Puis il cite, en guise d’illustration,

bon nombre d’exemples de karāmāt accomplies par les compagnons du Prophète, et

les saints ultérieurement survenus. Il conforte encore ses argumentations à l’aide de

récits soufis dont la teneur ne laisse aucune place au doute concernant la véracité

des miracles des saints.

Il est à souligner que le détracteur de Sīdī al-Muẖtār finit par être convaincu lui-

même par les diverses preuves authentiques que recélait cet ouvrage. Il reconnut

enfin l’existence des miracles des saints. Et suite à son adhésion, il entreprit même

de correspondre amicalement avec Sīdī al-Muẖtār.

163 SĪDĪ al-Muẖtār al-Kabīr, Ǧaḏwat al-anwār fī al-ḏabb an manāṣib awlyā’ Allāh al-aẖyār, ms n° 2284,

I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou. fol.1.

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Cet ouvrage fut le point de départ d’une culture de la réfutation sous forme

d’ouvrage pour la génération ultérieure qādirīe. Nous verrons que les petits fils de

l’auteur emploieront également cette méthode pour répliquer à leurs détracteurs.

Grâce à ce livre, la culture de la sainteté est plus que jamais implantée dans le

soufisme du Mali. Un soufi malien ne conçoit plus une époque qui serait dénuée

d’un saint qui éclaire la communauté soufie dans la voie spirituelle. C’est ainsi que

la ville de Tombouctou, proche du berceau de la Muẖtāriyya, fut réputée comme

une ville qui porta sur son sol 333 saints. Cette ville est même appelée

communément « la ville des 333 saints ».

La quintessence des wirds et les mérites des guides spirituels dans le soufisme :

1.2. Al-Kawkab al-waqqād fī ḏikr fadā’il al-mašāyiẖ wa ḥaqā’iq al-awrād : Etoile

étincelante en l’honneur des mérites des cheikhs, et de leurs formules

d’invocation164.

Ce texte est l’un des principaux ouvrages soufis de Sīdī al-Muẖtār, il est

absolument incontournable pour la compréhension du soufisme de l’époque

précoloniale au Mali. Nous ne savons pas avec exactitude dans quelle partie de sa

vie, Sīdī al-Muḥtār rédigea cet ouvrage. Cependant, il est fort probable que ce soit

vers la fin de sa vie, car la maturité intellectuelle y est patente. L’Auteur y livre

l’essentiel de sa pensée soufie.

En particulier, il met en évidence les mérites et les bienfaits du wird avant de

citer de nombreux versets et hadiths afin de fonder sa légitimité. Il détermine les

caractéristiques d’un cheikh authentique, cheikh auprès de qui on peut solliciter un

wird et s’y soumettre, ce qui permettrait de s’accomplir spirituellement. L’auteur

parle abondamment de la sainteté, walāya : évoquant les conditions requises pour y

accéder, l’œuvre spirituelle accomplie par les saints, la relation disciple-maître, les

164 SĪDĪ al-Muẖtār al-Kabīr, Al-Kawkab al-waqqād fī ḏikr fadā’il al-mašāyiẖ wa ḥaqā’iq al-awrād, ms n° 1608,

I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou. fol.1.

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droits et devoirs réciproques, et son importance pour la progression sur le chemin de

l’ascension spirituelle.

- Il y fait la distinction suivante entre waḥy et ilhām :

« Waḥy : est une révélation spécifiquement réservée aux prophètes, la

communication divine se fait par l’intermédiaire d’un ange, tandis que

ilhām qui est également une forme de communication divine, se réalise par la

voie onirique, ou le songe, sans l’intervention d’un ange. A l’heure actuelle, il

ne reste que ilḥām, car la porte de waḥy est close à la suite du décès du

Prophète »165.

-Le sujet de la prière, du‘ā’, y est abordé en profondeur : qu’est-ce que le du‘ā’ ?

Quels sont ses mérites ? Comment la pratiquer de manière efficace ? Quel moment

opportun faut-il choisir pour que la réponse soit rapide et fructueuse ? A toutes ces

questions, l’auteur répondit avec précision et détails.

- Il aborde également la question de la crainte révérencielle et de l’espérance, ẖawf,

raǧā’, ainsi que de l’équilibre qu’un fidèle se doit de garder entre ces deux pôles

durant sa vie terrestre, tout en accordant une plus grande place à l’espérance à

l’approche de la mort.

- Il y mentionne les bienfaits de la prière de nuit, ṣalāt tahaǧǧud, qu’il juge

indispensable pour l’ascension spirituelle de tout novice. A cette fin, il étaye son

discours avec des versets coraniques et des hadiths, tout en citant également des

exemples de soufis de premier plan qui furent connus pour la constance de leur

prière de nuit.

Par ailleurs, Sīdī al-Muẖtār constatant qu’un disciple est toujours confronté à

des obstacles qui l’empêchent de progresser sur sa voie spirituelle, évoque ces

derniers avant d’indiquer le remède approprié :

« Satan, premier ennemi de l’être humain, est la première épreuve sur le

chemin d’un aspirant. Il existe en fait deux types de satans : le satan humain et

le diable satanique. Le mot satan dérive du verbe šaṭana ou šayṭana qui signifie

entraver et obstruer. Satan œuvre jour et nuit pour barrer, à l’être humain, la

voie du salut en l’empêchant d’invoquer Dieu. Sache que le satan humain

165 Ms., n° 1608, op. cit., fol. 9. Traduction personnelle.

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provoque plus d’égarement que le diable satanique, car il est visible, sait

distraire et faire oublier l’objectif essentiel de la vie, à savoir adoration de

Dieu. L’aspirant doit donc s’écarter des gens obnubilés par cette vie éphémère,

et doit s’accrocher à l’invocation de Dieu pour chasser le Satan »166.

Il y répond également à une série de questions concernant le ḏikr : quel est le

moment propice pour sa pratique ? Comment rattraper le ḏikr qui n’a pas été fait au

bon moment ? Peut-on augmenter la quantité de ḏikr, fixée par un cheikh ? Quel

ḏikr faire en des circonstances difficiles ?

Puis il vante les mérites de ceux qui savent allier connaissance et travail. A la

suite, il évoque les méfaits d’un travail sans connaissance, et dénonce la

connaissance non accompagnée de travail. L’auteur consigne encore des

invocations du Prophète qui se lisent en différentes circonstances. Enfin, il couronne

son ouvrage par des récits biographiques de certains prophètes, et de cheikhs, tout

en lançant un appel à l’imitation de ces personnages religieux de premier plan.

La genèse de l’âme et de l’esprit de l’Etre humain dans le soufisme :

1.3. Kašf al-labs fīmā bayna al-rūḥ wa al-nafs : Lever le voile sur l’amalgame qui

se fait entre l’âme et l’esprit 167

Sīdī al-Muẖtār consacre cet ouvrage à l’exégèse de l’âme et de l’esprit, à leur

force et à leur faiblesse, à leur finesse et à leur densité. Il évoque le lien qui rattache

ces deux éléments et comment procéder pour les purifier du péché et illuminer leur

obscurité. Il compare l’esprit dans le corps à une eau répandue à l’intérieur d’une

plante. Pour lui l’âme incarne l’aspect négatif de l’être humain, tandis que l’esprit

représente son aspect positif. Ainsi il démontre la susceptibilité de ces deux

éléments d’être influencés par les œuvres que nous accomplissons.

166 Ms., n° 1608, op. cit., fol.12. Traduction personnelle. 167 SĪDĪ al-Muẖtār al-Kabīr, Kašf al-labs fīmā bayna al-rūḥ wa al-nafs, ms., n° 3616, I.H.E.R.I.A.B,

Tombouctou, fol.1.

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Dans son ouvrage, il parle de l’importance de la purification intérieure et de la

purification extérieure. Il affirme que la porte de la sainteté reste close pour celui

qui ne réussit pas à accomplir ces deux formes de purification : extérieure et

intérieure. Il note à ce sujet :

« La religion de Dieu fut à travers les époques renforcée par les saints, et si on

se détourne des exercices spirituels, à savoir la purification de l’âme et du

cœur, on basculera certes dans la régression morale et perdra les protecteurs de

notre religion. Sachez que les péchés causent des nuisances gravissimes aux

cœurs, à l’instar de la nuisance du poison infiltré dans le corps. En outre, tous

les pécheurs en subiront tôt ou tard des néfastes conséquences :

- la privation de la lumière de la connaissance

- la difficulté des moyens d’existence, rizq

- l’obscurcissement du cœur

- l’annulation de la baraka

- la faiblesse de l’esprit

- et la privation de longévité. »168

Sīdī al-Muẖtār étudie encore la question de l’unicité de Dieu, tawḥīd en la

décomposant en trois éléments : l’unicité de Dieu en tant que Seigneurie, tawḥīd al-

rubūbiyya, l’unicité de Dieu dans l’adoration, tawḥīd al-’ulūhiyya, et l’unicité de

Dieu quant à ses nobles noms et attributs, tawḥīd al-’asmā’ wa al-ṣifāt. Il déduit

tous ces éléments de base du tawḥīd à partir de la sourate al-Iẖlāṣ.169

Par ailleurs, il évoque l’importance de la quête de la connaissance et cite la

bonne méthode, selon lui, pour l’acquérir. Il incite les aspirants à s’imprégner des

sciences exotériques avant d’acquérir les sciences ésotériques, afin de rester guidés

par la lumière des premières dans leur parcours spirituel.

168 SĪDĪ al-Muẖtār al-Kabīr, Kašf al-labs fīmā bayna al-rūḥ wa al-nafs, ms., n° 3616, I.H.E.R.I.A.B,

Tombouctou, fol.17. Traduction personnelle. 169 Coran : 112, 1- 4.

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-Il aborde également la notion de bid‘a, innovation religieuse, et en distingue deux

types : bid‘a répréhensible, bid‘a maḥẓūra, qui est une innovation religieuse

prohibée par la šarī‘a, et bid‘a apprécié, bid‘a ḥasana, qui relève de l’innovation

dans la sphère du monde, accepté par la šarī‘a.

- Enfin, cet ouvrage discute abondamment des divers courants de pensées

musulmans, en indiquant leurs origines, leur fondateur, leurs divergences et parfois

leurs convergences.

Les ouvrages de Sīdī al-Muẖtār, guide suprême de la Qādiriyya, abordant tous

les domaines des sciences religieuses seront une référence pour les soufis

postérieurs. Ceux-ci s’y reporteront dans leurs écrits, pour éclairer leur pensée

soufie, ou la corroborer. Même les tiǧānīs, rivaux des qādirīs au Mali, considéreront

ces ouvrages, comme des sources incontournables pour la compréhension du

soufisme. Sur le thème de bid‘a, le cheikh Āmadu allait également composer un

ouvrage très important.

Le onception de bid‘a de certains érudits soufis du Mali :

2. L’Œuvre du cheikh Āmadu (m.1845) fondateur du régime musulman du

Macina

2.1. Al-iḍṭirār ’ilā Allāh fī iẖmād ba‘ḍ mā tawaqqad min al-bida‘ wa iḥyā’ ba‘d mā

indarasa min al-sunan : S’en remettre à Dieu pour éteindre les innovations

religieuses et ressusciter les sunnas disparues.170

Nous estimons que cet ouvrage consacré entièrement à l’orthodoxie musulmane

fut écrit par cheikh Āmadu durant son règne, car il se perfectionna plus tard en

sciences religieuses après avoir fondé son régime musulman et approché les grands

ulémas de l’époque. Il ne fit pas d’études approfondies, nous l’avons vu, dans sa

170 AL-MĀSINĪ Āmadu, Al-iḍṭirār ilā Allāh fī iẖmād ba‘ḍ mā tawaqqad min al-bida‘ wa ḥyā’ ba‘d mā indarasa

min al-sunan, ms., n°1019, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, fol.1.

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jeunesse. Mais il sut profiter de son temps, en dépit de ses occupations régaliennes,

pour rehausser son niveau intellectuel.

Cet ouvrage, le plus célèbre qu’il rédigea, composé de 16 folios, comporte une

introduction et six chapitres. En introduction il n’annonce pas le plan de son

ouvrage, ni l’objet des différents chapitres, comme le feront ultérieurement ses

élèves dans leurs écrits. Par contre, il y mentionne le motif qui le conduisit à rédiger

cet ouvrage :

« Lorsque je constatai l’étendue des innovations religieuses et sataniques dans

la plupart des villes et villages du Soudan ‘‘Mali’’, à tel point que ces

innovations religieuses passaient pour des adorations révélées, ‘‘ibādāt’’ j’étais

accablé, car j’en connaissais les méfaits drastiques en matière de religion. Le

Prophète dit : ‘‘ Toute innovation religieuse est un égarement’’. Il dit

également : ‘‘Suivez-moi et n’innovez pas en matière de religion, car ceux qui

vous ont précédé ont péri pour avoir déformé les enseignements de leurs

prophètes. Par la suite, ils se sont égarés et ont égaré leurs adeptes.’’ Cette

observation amère obligea les ulémas à y remédier en reprouvant et dénonçant

toutes les innovations religieuses. Voilà pourquoi je fis d’abord une pieuse

consultation ‘‘istiẖāra’’ avant de rédiger cet ouvrage. »171.

L’innovation religieuse, bida‘, sera donc le fil conducteur des différents chapitres :

-Au premier chapitre, l’auteur évoque les bida‘ qui touchaient à l’appel à la prière,

āḏān. Il dénonce la non observance des critères imposés par la šarī‘a pour le choix

d’un muézin, tout en citant les huit critères qui s’imposent à tout musulman faisant

office de muézin : être musulman, doué de raison, pubère, homme, intègre, instruit,

connaissant le temps, et sain d’erreur de langage.

-Au deuxième chapitre, le lieu de l’appel à la prière fait l’objet de son étude. Il juge

comme bid‘a l’élévation d’un minaret et rappelle l’interdiction de l’appel à la prière

à l’intérieur de la mosquée.

-Il consacre le troisième chapitre à la question de la prière, ṣalāt, et aux innovations

religieuses qui y sont liées. Il cite, entre autres, le fait de reproduire la parole de

171 AL-MĀSINĪ Āmadu, Al-iḍṭirār ilā Allāh fī iẖmād ba‘ḍ mā tawaqqad min al-bida‘ wa ḥyā’ ba‘d mā indarasa

min al-sunan, ms., n°1019, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, fol.1. Traduction personnelle.

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l’imam en groupe, pour qu’elle soit entendue de ceux qui sont éventuellement en

bout du rang de prière, ṣaff al-ṣalāt.

-Au quatrième chapitre, le plus long, il exhorte les imams à réprouver le bid‘a qui

consiste à élever la voix à la mosquée lors des ḏikr, du‘a, lecture coranique ou

prière sur le Prophète. Il incite également les imams à empêcher les fidèles de se

réserver une place à la mosquée, ou de déplacer quelqu’un à la mosquée. Par

ailleurs, le fait de ne pas bien tenir en ordre le rang de prière, d’enterrer les morts

dans les mosquées, et de porter des habits longs qui trainent jusqu’à terre, sont

autant d’innovations religieuses à éviter, énonce-t-il.

-Le cinquième chapitre, évoque la couleur de l’habit qu’il convient d’observer, et

l’invocation après la prière. Concernant la première question, il qualifie

d’innovation religieuse le fait de porter régulièrement des habits noirs pour

prononcer le sermon du vendredi, ẖuṭbat al-ǧum‘a. Il précise que les hadiths

conseillent aux fidèles de porter généralement des habits blancs. Il rajoute que

s’abstenir de porter d’autres couleurs n’est pas conseillé, car le Prophète lui-même

n’a pas porté que des habits blancs.

Concernant la deuxième question, il estime que faire une invocation collective

après la prière est un bid‘a. Le Prophète et ses compagnons n’ont jamais connu cette

forme d’invocation, martèle-t-il. Cette invocation est connue présentement au Mali

sous l’appellation « accomplir fātiḥa ».

-Au sixième et dernier chapitre, il passe en revue diverses autres sortes

d’innovations religieuses, entre autres : accomplir la prière des fêtes musulmanes

(‘īd al-fiṭr, et ‘īd al-aḍḥā) à la mosquée sans aucune nécessité, alors que la sunna

veut que cette prière se fasse en plein air, hors de la ville autant que possible. De

même, il considère comme bid‘a la présence massive et dense de mosquées dans

une seule ville ; de même la prière surérogatoire appelée raġā’ib accomplie de nuit,

la moitié du mois ša‘bān et le premier vendredi du mois raǧab ; ainsi que le fait

d’apporter de l’eau à la mosquée à la fin de la lecture coranique, ẖatm, pour ensuite

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considérer celle-ci comme eau bénie servant à guérir ou à apporter des bonheurs.

Toutes ces bid‘a sont à réprouver, proclame-t-il.

Quelles sources ont-elles été exploitées dans cet ouvrage ? La lecture de cet

ouvrage laisse entrevoir deux sources principales, malékites et soufies.

Concernant les sources malékites de son ouvrage, à la première lecture, on

s’aperçoit que l’auteur est d’obédience malékite, et se reporte en général dans ses

analyses juridiques à l’ouvrage : al-Madẖal, un recueil de fiqh malékite, écrit par le

faqīh malékite Muḥammad ibn Muḥammad, connu sous le nom de « Ibn al-Ḥāǧ »

(m.1336). Il fait référence également à d’autres ouvrages de fiqh comme le célèbre

ouvrage d’Ibn Rušd, Avéroès (m.1198) intitulé « Bidāyat al-muǧtahid wa nihāyat

al-muqtaṣid », et à celui de Ḫalīl (m.1374) appelé « al-Muẖtaṣar ». Il se reporte

parfois à Fatḥ al-Bārī, l’exégèse de l’ouvrage d’al-Buẖārī rédigée par Ibn Ḥaǧar al-

‘Asqalānī (m.1448), mais l’ouvrage malékite al-Madẖal reste la référence principale

de son ouvrage.

Concernant les sources soufies de son ouvrage, le cheikh Āmadu ne cita que deux

ouvrages soufis comme références dans son ouvrage :

1- Qūt al-Qulūb d’Abū Ṭālib al-Makkī (m.996), un soufi de premier plan. Il ne le

cite que trois fois. En premier lieu, il emprunte à ce dernier son discours sur

l’ascétisme : «Et figure parmi les innovations religieuses le fait de porter des habits

dispendieux, de haute valeur, car la première génération pieuse ne porta jamais de

vêtement d’un coût de plus de sept à dix dirham, sauf exception»172.

Puis il rappelle l’avis d’al-Makkī sur le port des habits blancs : « Le port de l’habit

blanc comporte des avantages religieux, en revanche le port de l’habit noir ne figure

pas dans la sunna, et le fait de regarder celui qui le porte ne procure

aucune grâce »173.

172 Ms n°1019, op. cit., fol.10. Traduction personnelle. 173 Ms n°1019, op. cit., fol. 13. Traduction personnelle.

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Enfin, il cite al-Makkī à la dernière page de son ouvrage, pour corroborer sa pensée

selon laquelle les choses ont empiré avec le temps, donc rien ne sert de se perdre en

disputes avec les profanes sur les questions d’innovation religieuse, il faut juste les

expliciter : « Le bienfait est devenu mal, et le mal est devenu bienfait, c’est ainsi

que la sunna est devenu bid‘a, et le bid‘a est devenu sunna »174.

Le deuxième ouvrage soufi auquel il se reporte est celui de Sīdī al-Muẖtār.

2-Al-Kawkab al-waqqād que nous avons étudié,175 rédigé par Sīdī al-Muẖtār al-

Kabīr (m.1811) instaurateur de la Qādiriyya au Mali, et fondateur d’al-Muẖtāriyya.

Ce soufi malien n’est cité qu’une seule fois par le cheikh Āmadu. Celui-ci le

considère comme le régénérateur des sciences religieuses, muǧaddid, de son

époque, et il lui emprunta des invocations conformes à la sunna qui se lisent après

chaque prière obligatoire, ṣalawāt al-ẖams 176.

Cet ouvrage rédigé par le fondateur du régime musulman , le cheikh Āmadu, a

eu un grand impact sur ses élèves et ultérieurement sur les générations suivantes.

Les qādirīs, grâce à cette œuvre intellectuelle, semblèrent plus proches de

l’orthodoxie musulmane que les autres courants soufis au Mali. De nos jours, les

qādirīs qui suivent les pas du cheikh Āmadu ne pratiquent pas leur ḏikr à voix

haute, car ceci, nous l’avons vu, est qualifié de bid‘a dans l’ouvrage, contrairement

à ce que nous observons chez les tiǧānīs, qui hurlent leur invocation, hurlement

justifié, nous le verrons, à travers l’ouvrage de l’introducteur principal de la

Tiǧāniyya au Mali, al-Ḥāǧ ‘Umar Tal.

Les qādirīs ne croient pas non plus, grâce à ce livre, à une eau qui serait bénie,

parce qu’elle côtoie un lecteur du Coran ou un prêcheur. Cette croyance véhiculée

par les tiǧānī du Mali est devenue aujourd’hui une source de richesse matérielle

dont tirent profit les guides spirituels tiǧānīs. Car des quantités d’eau, dite bénie,

174 Ms n°1019, op. cit., fol. 16. Traduction personnelle. 175 Supra., p.85. 176 Ms n°1019, op. cit., fol. 15.

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sont vendues aux adeptes des confréries. Ceci génère une fortune immense pour les

guides spirituels.

On peut encore observer l’impact de cet ouvrage dans le fait que les qādirīs sont fort

réticents à la présence de nombreuses mosquées dans une seule ville. Ils y voient un

signe de scission et de discorde dans le rang des musulmans. La prière de raġā’ib

qui a été également dénoncée par le cheikh, fut délaissée par beaucoup de qādirīs du

Mali.

En revanche, l’une des innovations religieuses, bid’a, évoquée par le cheikh

Āmadu dans son ouvrage persiste toujours chez les qādirīs du Mali, à savoir : faire

une invocation collective, du‘a, après chacune des cinq prières obligatoires de la

journée. Elle est communément appelée au Mali « accomplir al-fātiḥa ». Nos

enquêtes de terrain ont montré que la plupart de qādirīs continuent à l’accomplir de

nos jours.177

Nous avons également consulté une œuvre du cheikh Āmadu al-Māsinī

portant le titre «Naṣīḥat al-šayẖ Aḥmad ibn Muḥammad ’amīr al-mu’minīn ». Cette

œuvre est constituée de 40 folios. Son sujet principal, comme le révèle son nom, est

de prodiguer ses conseils à ses coreligionnaires. Il y incite notamment à la crainte

révérencielle de Dieu et exhorte ses frères à suivre les pas du guide spirituelle Sīdī

al-Muẖtār al-Ṣaġīr (m.1847).178

177 Enquêtes à Tombouctou, Mopti, Ségou, et Bamako, en août et juillet 2011, 178 AL-MASINI Āmadu, Naṣīḥat al-šayẖ Aḥmad ibn Muḥamad ’amīr al-mu’minīn, ms., n°804.

I.H.E.R.I.A.B.Tombouctou. ff.1-40. Voir Annexe A n°4.

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Hagiographie et attributs d’un maître soufi :

3. Œuvre de Muḥammad ibn Alī Perèǧo (m. ?), guide spirituel qādirī

3.1. Fatḥ al-Ṣamad fī ḏikr šy’in min aẖlāq šayẖinā Aḥmad : Ouverture à Dieu, le

Seul à être imploré, pour évoquer les attributs de notre cheikh Aḥmad 179

Cet opuscule fut rédigé par l’un des disciples les plus proches du cheikh Āmadu, un

biographe authentique et témoin oculaire de sa vie. Il l’écrivit dans les 45 jours qui

suivirent le décès de son maître spirituel et fondateur du régime musulman du

Macina. Il se présente sous la forme d’un manuscrit arabe non traduit à nos jours à

notre connaissance. Il ne se compose que de 16 folios.

Nous ne disposons que de peu d’éléments sur la biographie de l’auteur lui-même, et

nous ne connaissons ni la date de sa naissance ni la date de son décès.

Dans cet ouvrage, Muḥammad ibn ‘Alī Perèǧo rend hommage à son maître

spirituel, cheikh Āmadu (m. 1845), et affirme que la teneur de cette biographie

serait pour lui et pour tous les disciples du cheikh une source de lumière et un

exemple à suivre. L’ouvrage se compose d’une introduction, de sept chapitres et

d’une conclusion, comme l’Auteur l’annonce lui-même dans le plan.180

-En introduction, il évoque l’importance de rappeler la vie des saints. Il affirme

qu’elle constitue un viatique inépuisable pour les aspirants, tout en étayant son

discours de citations de soufis de premier plan, comme Ǧunayd, Bišr al-Ḥāfī, et al-

Ġazālī :

« Si la rencontre des saints t’est impossible, la moindre des choses est

d’écouter et de lire leur biographie, pour percevoir leur effort inlassable dans

l’adoration de Dieu, et ta faiblesse dans ce domaine. La miséricorde de Dieu

descend lors de la citation des saints, le récit des saints fait partie des armées de

Dieu, il en fortifie les cœurs des novices et revivifie les cœurs morts »181 .

179 PEREǦO Muḥammad ‘Alī, Fatḥ al-Ṣamad fī ḏikr šy’in min aẖlāq šayẖinā Aḥmad, ms., n° 5285,

I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, fol. 1. 180 PEREǦO Muḥammad ‘Alī, Fatḥ al-Ṣamad fī ḏikr šy’in min aẖlāq šayẖinā Aḥmad, ms., n° 5285,

I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, fol. 1. 181 Ibid., fol.1. Traduction personnelle.

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-Le premier chapitre traite de la générosité et de l’ascétisme du cheikh Āmadu.

L’auteur y mentionne des exemples précis de cette générosité et à titre d’illustration

dit :

« Notre cheikh, le commandeur des croyants offrit mille quatre cents dīnārs à

l’Emir de Tombouctou, ‘Uṯmāna ibn al-Qā’id, après son apostasie pour l’attirer

vers l’islam. Il donna également à notre cheikh Mawlāya ‘Abd al-Qādir Sanūsī

quatre mille quatre cents dīnār lors de son investiture comme émir de

Tombouctou. Il accorda à l’émir Mangal deux mille dīnārs quand il le révoqua

de son poste »182.

Parlant de son ascétisme, il écrit :

« Bien qu’il soit le détenteur des trésors du régime, sa modestie et son humilité

étaient évidentes. Ceci se manifestait dans sa tenue vestimentaire : son turban,

son drap, sa chemise, son pantalon et ses chaussures. Tout cela n’équivalait pas

sept dīnār. Il s’habillait comme s’habillaient les plus démunis du pays, et

mangeait à l’instar d’eux, il disait : ‘‘ Je préfère la faim à la satiété ’’ »183.

-Au deuxième chapitre, Muḥammad ibn ‘Alī Perèǧo met en évidence la

connaissance et la mansuétude de son guide spirituel :

« Il était doué de deux types de connaissance : exotérique et ésotérique. Il

maîtrisait parfaitement toutes les sciences religieuses, notamment la science de

l’unicité de Dieu, al-Tawḥīd. Il était fort apte à trouver des origines ésotériques

à tous les versets coraniques et à tous les hadiths. A notre sens, ceci relève de

sa piété et de sa crainte révérencielle de Dieu. Un verset souligne : ‘‘Et

craignez Dieu. Alors Dieu vous enseignera et Dieu est Omniscient’’.

Concernant sa mansuétude, il ne se vengeait de personne pour lui-même, il ne

vouait de haine à personne, il amadouait même ses ennemis. Il nous arrivait, à

nous, ses disciples, de nous disputer en sa présence, sans qu’il nous gronde,

puis nous lui demandions pardon et il nous pardonnait »184.

-Le troisième chapitre évoque la constance des paroles et des actes du cheikh

Āmadu. Son aspirant souligne certaines de ses œuvres :

« Il priait beaucoup dans la nuit, tahaǧǧud. Il fut blâmé une fois pour son peu

de sommeil, et répondit : ‘‘Comment puis-je dormir beaucoup ?! Si je dormais

dans la journée ma responsabilité, en tant que chef du régime, serait mal

exercée, et si je dormais la nuit ma spiritualité serait mise en péril’’ Quand il

182 Ms n° 5285, op. cit., fol. 2. Traduction personnelle. 183 Ms n° 5285, op. cit., fol. 3. Traduction personnelle. 184 Ibid, Traduction personnelle.

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rencontrait quelqu’un, il était toujours le premier à le saluer, il aimait fort les

ulémas, protégeait l’islam et haïssait la discorde entre les musulmans »185.

L’auteur retient également certaines paroles du cheikh Āmadu qui devinrent

proverbiales :

« Je n’ai jamais cru qu’un adulte puisse mentir. Toute parole prononcée hors de

l’agrément de Dieu demeure sans aucune valeur. Toute fortune dépensée hors

de la cause de Dieu est une fortune perdue. Trouve des excuses à tes frères, et

fais du bien à celui qui te fait du mal. Si ce n’est la fréquentation des gens de

sciences, notre régime serait un royaume dictatorial. Demeurez patients à

l’écoute des sermons des prêcheurs, car ils représentent des remèdes efficaces

pour les croyants. La maison des gens pieux vaut mieux que la maison de la

richesse. Quiconque a craint Dieu, ne se venge pas pour lui-même. La vie d’ici-

bas est illusoire et nuisible »186.

-Le quatrième chapitre est consacré au courage et à la vaillance du cheikh, il y

mentionne :

« Avant qu’il ne soit le commandeur des croyants,’Amīr al-mu’minīn, il était

toujours invité au Palais des empereurs et des hauts responsables du Sudān,

mais il refusait catégoriquement de leur répondre, et s’écartait de leur

compagnie. Il renvoyait également leurs cadeaux qui ne cessaient de pleuvoir.

N’avez-vous jamais vu une telle personne à notre époque ?! Je l’avais entendu

dire une fois : ‘‘ Si j’avais la capacité de ne voir personne et de n’être vu de

personne pour me consacrer uniquement à Dieu, je l’aurais fait ’’ »187

-Le cinquième chapitre décrit sa patience et sa constance à prêcher. Son disciple le

plus éminent, au sujet de sa patience, rapporte :

« Sa patience se manifestait devant les diatribes souvent injustes qui lui étaient

adressées, il les recevaient avec un cœur ouvert, plein de patience. Il

récompensait ses ennemis du bien, et souriait devant ses pires détracteurs.

Lorsqu’il dispensait des cours, il répondait à toutes les questions de ses

aspirants, même à celles insensées. Grâce à cette patience, il était abordable par

toutes les classes de la société. Sa grande patience se manifesta également lors

de sa maladie. Il exerça sa responsabilité de chef du régime musulman en état

de santé, comme de maladie »188.

185 Ms n° 5285, op. cit., fol. 5. Traduction personnelle. 186 Ms n° 5285, op. cit., fol. 6. Traduction personnelle. 187 Ms n° 5285, op. cit., fol.7. Traduction personnelle. 188 Ms n° 5285, op. cit., ff. 8-9. Traduction personnelle.

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Concernant l’art de prêcher du cheikh Āmadu, l’auteur écrit :

« Quand il prêchait, chacun se sentait concerné. La plus grande partie de son

sermon se portait sur l’incitation de chacun à désobéir à sa passion, et à son

âme instigatrice. Parfois sa méthode consistait à exhorter chacun selon le mal

qui le concernait. Devant un groupe obnubilé par la vie d’ici-bas, il prêchait

l’ascétisme et les mérites de l’Au-delà. Devant un autre groupe obsédé par

l’arrogance et l’orgueil, il prêchait les bienfaits de la modestie et de l’humilité.

Dans ses prêches, il préférait la douce parole à la violence verbale »189.

-La citation de miracles, karāmāt, du saint de Macina fait l’objet du sixième

chapitre. Muḥammad ‘Alī Perèǧo en effet, rapporte certains des miracles de son

guide spirituel dont il fut lui-même le témoin oculaire :

« Figure parmi ses miracles l’exaucement rapide de ses prières, du‘ā. Ma

femme était gravement malade, elle faillit perdre la vie. C’est ainsi que je

demandai à mon maître spirituel d’intervenir. Il fit une courte lecture sur une

eau, puis la donna à boire à ma femme, une fois l’eau bue, elle guérit sur place.

Notre cheikh lisait parfois son livre sous la pluie sans que lui-même, ou son

livre, soient mouillés. Hamdallahi, la capitale de notre régime musulman était

une terre aride et pierreuse, grâce à ses invocations elle devint une terre fertile.

Il révélait parfois des intentions cachées au for intérieur, comme il le fit une

fois avec Ibrāhim ibn Yida. Il avait également la possibilité de disparaître des

yeux quand il le désirait. En somme ses miracles étaient innombrables »190.

-Le septième chapitre est consacré aux poésies écrites en honneur du cheikh Āmadu

de son vivant. L’auteur affirme que les poésies dédiées à son guide spirituel

dépassaient quarante qaṣīda (un ensemble de vers) et en écrit, en guise

d’illustration, cinq qaṣīda.191

Dans sa conclusion, Muḥammad ibn Alī Perèǧo mentionne la date de la mort de

son cheikh, selon la datation de l’Hégire : vendredi, 12 Rabī‘ al-awwal 1261 de

l’Hégire, soit 1845 de l’ère chrétienne. Il termine l’ouvrage par des vers posthumes

qu’il composa lui-même en honneur de son maître, tout en citant d’autres vers écrits

par certains ulémas dans le même sens.192.

189 Ms n° 5285, op. cit., fol.10. Traduction personnelle. 190 Ms n° 5285, op. cit., fol. 11. Traduction personnelle. 191Ms n° 5285, op. cit., ff. 11-14. 192 Ms n° 5285, op. cit., ff. 14-16.

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100

L’apologie de la Qādiriyya et l’explication de certains termes soufis :

4. L’œuvre du cheikh al-Bakkay al-Kuntī (m.1865), maître spirituel qādirī

4.1. Buġyat al-ulf fī ǧawāb Ibn Yerkoy Talfī : Quête de convergence dans la réponse

à Ibn Yerkoy Talfī.193

La visée principale de cette œuvre manuscrite composée de 39 folios consiste à

donner la réplique aux thèses tiǧānīes défendues par Ibn Yerkoy Talfī, le nouveau

disciple fervent d’al-Ḥāǧ ‘Umar. Etant donné qu’il s’agit d’un livre pamphlétaire,

l’auteur se lance directement dans une réponse, point par point, à son adversaire,

sans annoncer dans son introduction ni le plan ni les chapitres de son ouvrage. Mais

il mentionnera cependant, comme nous le verrons, la raison de la rédaction de son

ouvrage à la fin de l’opuscule. Nous allons donc retenir les questions les plus

pertinentes pour notre étude :

Cheikh al-Bakkay, dans l’extrait ci-dessous, répond à la question de la

répartition de l’iǧtihād (effort d’interprétation de la jurisprudence islamique), en

exotérique et en spirituel, autrement dit : la distinction dans l’effort juridique, entre

exotérique et spirituel. Selon lui le terme d’ « effort juridique spirituel » n’existe pas

dans le lexique soufi :

« Vous prétendez qu’il y a deux efforts juridiques, iǧtihād : l’exotérique et

l’ésotérique ; que le premier relève de conditions bien précises, à savoir être

féru en fiqh, que le second procède d’une spiritualité avancée. Cette répartition

me semble erronée, car il n’y a qu’un iǧtihād, qui consiste à contempler

profondément les textes scripturaires pour en déduire les aspects juridiques. En

revanche, il n’existe pas d’iǧtihād spirituel. Ce dernier relève de la grâce

divine, et par conséquent, il est appelé ilhām. Celui qui le reçoit est appelé

mulham et ne fournit absolument aucun effort pour l’obtenir. C’est une

miséricorde accordée par Dieu à celui qu’il choisit, en sachant que les

mulhamūn ont été d’un nombre infime dans toutes les époques. Leur existence

est souvent même contestée par certains ulémas, tandis que les muǧtahidūn

sont nombreux à travers les époques et leur reconnaissance est unanime »194.

193 Al-Bakkay al-Kuntī, Buġyat al-ulf fī ǧawābi Ibn Yerkoy Talfī, ms., n° 985, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou,

fol .1. Traduction personnelle. 194 Al-Bakkay al-Kuntī, Buġyat al-ulf fī ǧawābi Ibn Yerkoy Talfī, ms., n° 985, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, fol .

6. Traduction personnelle.

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101

Suite à cette discussion, l’auteur renvoie le lecteur, afin d’approfondir sa

connaissance sur le sujet en question, à l’un de ses ouvrages qu’il intitula « Ḏaẖīrat

al-sarmad fī naṣīḥat šayẖ Aḥmad : Provision perpétuelle pour le conseil du cheikh

Ahmed. Cet ouvrage signalé est resté, nous semble-t-il, dans les replis poussiéreux

de l’histoire, car nous n’avons pu, même après une longue recherche, le retrouver.

Dans le passage suivant, le guide suprême de la Qādiriyya de l’ancien Soudan

français explique la raison profonde de la législation de la šaī‘a, en réfutant la thèse

de son détracteur qui la réduisait à la purification des âmes :

« Sache que la šarī‘a n’a pas été établie uniquement pour purifier les êtres

humains de leurs péchés comme tu le prétends. Elle fut établie par Dieu en

premier lieu pour qu’Il soit connu de sa créature, puis vient en second lieu la

purification des pécheurs de leurs péchés. Car les péchés ne sont pas connus

avant la šarī‘a, c’est elle qui les a désignés et leur a donné un nom, par

conséquent toute violation de ses commandements et de ses règles est jugée

comme péché »195.

Le petit-fils du cheikh Sīdī al-Muḥtār décrie dans l’extrait suivant l’attitude de

son adversaire Ibn Yerkoy Talfī qui rallia la tarîqa Tiǧāniyya au détriment de la

Qādiriyya, en disant : Quel fruit cueillir d’une tarîqa qu’a fermé la porte de la

sainteté, quand elle déclare que cheikh Ahmed Tiǧānī est le sceau des saints ? :

« Je suis abasourdi de te voir changer le wird qādirī qui est le plus noble et le

plus prééminent, pour un wird tiǧānī dont l’authenticité est mise en cause. Les

tiǧānīs refusent à eux-mêmes et à d’autres soufis la sainteté, sous prétexte que

la porte de sainteté est close avec l’avènement de leur maître spirituel.

Quelle importance y a-t-il dans l’imitation et le suivi d’une tarîqa qui ne

permet pas d’aboutir à la sainteté ? Nous avons rencontré des personnes qui ont

connu le fondateur de votre tarîqa, et il s’avère qu’il n’a jamais dit ce que vous

lui attribuez. Nous avons également lu l’ouvrage rédigé par son disciple en

hommage à sa vie et à ses miracles. Ce dernier rapporte lui-même dans

l’ouvrage que le cheikh Ahmed Tiǧānī lui ordonna de détruire cet ouvrage jugé

incompatible avec ses pensées, car il y citait des rétributions précises pour des

ḏikr. Nous savons certes que ceci ne relève pas de la compétence des cheikhs

de voies spirituelles, mais plutôt de celle des prophètes. La compétence des

195 Ms., n° 985, op. cit., fol. 18. Traduction personnelle.

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102

cheikhs se limite uniquement à expliquer la valeur et la quintessence des ḏikr,

mais pas de déterminer eux-mêmes leurs récompenses »196.

Selon Al-Bakkay, son adversaire, Ibn Yerkoy Talfī fait l’amalgame entre des

termes soufis et il tente de le corriger, en lui refusant de qualifier le Prophète de

cheikh :

« Les tiǧānīs prétendent qu’ils n’ont d’autre cheikh que le Prophète lui-même,

en faisant de cela un privilège spécifique à leur tarîqa. Ceci est pur mensonge.

Soit ils mentent à propos de leur cheikh en lui attribuant cette assertion, soit

leur cheikh lui-même n’est pas un véritable cheikh, s’il profère un tel discours,

car le Prophète occupe une place plus élevée que celle de cheikh. Il ne doit pas

en outre être appelé cheikh, car les cheikhs sont ses serviteurs pour l’éducation

spirituelle des fidèles »197.

Au passage suivant, l’auteur s’en prend farouchement à son détracteur et dénonce

avec la dernière rigueur le commandement de la tarîqa Tiǧāniyya, qui interdit à ses

adeptes de visiter les autres saints non tiǧānīs :

« Les tiǧānis mentent de nouveau à propos du Prophète, en disant qu’il leur a

ordonné de ne pas visiter un autre saint, non tiǧānī. Comment ose-t-on imputer

un mensonge au Prophète ?! Comment peut-il dire hier aux fidèles de visiter

tous les saints de Dieu et l’interdire aujourd’hui, uniquement pour les tiǧanīs ?

De telles absurdités sont inconcevables. Ce commandement régi par leur tarîqa

est un égarement évident, et relève des œuvres sataniques. Ne savent-ils pas

que quiconque a haï les saints de Dieu, Dieu le haïra, et quiconque les a aimés,

Dieu l’aimera ?»198.

Pour illustrer les méfaits de ce commandement, cheikh al-Bakkay retient un

exemple issu de sa propre expérience vécue : l’exemple d’un jeune tiǧānī hésitant

qui voulait changer ses assises spirituelles, mais qui se heurtait à ce commandement

tiǧānī entravant sa volonté :

« Un jeune homme de 20 ans issu de la Tiǧāniyya vint me visiter du Maghreb,

il me dit : ‘‘J’ai entendu parler de vous, et je suis venu vous visiter, voire me

soumettre à votre enseignement exotérique et ésotérique. Le seul obstacle est

l’une des conditions, parmi les conditions de la Tiǧāniyya, qui stipule la non

fréquentation des autres saints non tiǧānīs. Cette condition contrecarre ma

volonté de tirer profit des enseignements constructifs des autres cheikhs.

196 Ms., n° 985, op. cit., fol. 25. Traduction personnelle 197 Ms., n° 985, op. cit., fol. 27. Traduction personnelle 198 Ms., n° 985, op. cit., fol. 28. Traduction personnelle

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103

Pourriez-vous me dire si je change ma tarîqa Tiǧāniyya pour m’affilier à la

tarîqa Qādiriyya, cela serait-il nuisible à ma spiritualité ? ’’ Je lui répondis :

‘‘Certes Dieu t’a guidé et t’a orienté dans le bon sens. Cette condition stipulée

par la Tiǧāniyya n’a aucun fondement scripturaire. C’est plutôt un égarement

explicite. Car tous les saints de Dieu sont des frères qui éprouvent un amour

réciproque, et tout saint empêchant son disciple de visiter un autre saint n’est

plus saint »199.

Poursuivant, le cheikh Kuntī al-Bakkay s’attaque encore à une autre pratique

tiǧānīe, qu’il juge incompatible avec la šarī’a, voire proche de l’idolâtrie, à savoir la

croyance en la présence du Prophète lors du ḏikr, et l’accueil qui lui était réservé, à

l’aide d’un drap blanc autour duquel le ḏikr était pratiqué :

« Figure dans leurs mensonges encore la prétention qui consiste à dire que le

Prophète lui-même vient et s’assoit avec eux lors du ḏikr, souvent accompagné

de danse, raqṣ, raison pour laquelle, ils étalent un drap blanc qu’ils encerclent

en guise d’accueil du Prophète. Si les tiǧānīs raisonnaient, ils n’auraient pas

proféré un tel discours induisant en erreur et mentant sur le Prophète. Ne

savent-ils pas que les gens de l’Au-delà n’ont absolument pas besoin des objets

de ce bas monde ? Cette pratique tiǧānīe n’est comparable qu’au veau d’or

adoré par les fils d’Isrā’īl. »200.

A la fin de son ouvrage, cheikh al-Bakkay explique les causes qui le poussèrent

à rédiger cet ouvrage, en notant que ce sont ses aspirants qui l’incitèrent à répondre,

selon lui, aux discours mensongers, démesurés et outranciers d’Ibn Yerkoy Talfī, et

tout en précisant ne pas vouloir dénigrer le cheikh Ahmed al-Tiǧānī lui-même, mais

plutôt rétorquer aux propos indignes qui lui sont prêtés :

« Nous ne reprochons rien à cheikh Tiǧānī lui-même, mais ce sont paraît-il,

ses adeptes qui ont, certes, menti à son sujet, en lui attribuant des propos qu’ils

n’a jamais tenus. La plupart de ses adeptes vivant chez nous sont des fous,

tenant des discours aberrants, de plus, mal instruits en matière de sciences

religieuses. J’évitais toujours d’aborder leur sujet, ce sont mes disciples qui ont

exigé que je réponde à ce poète ‘‘Ibn Yerkoy Talfī’’ qui prononça beaucoup

d’absurdités dans ses poésies, notamment en prétendant que le Mahdī adoptera

le wird tiǧānī, quand il fera son apparition à la fin des temps, et que leur cheikh

Tiǧānī détient un degré spirituel plus élevé que celui d’Abd al-Qādir al-Ǧīlānī.

199 Ms., n° 985, op. cit., fol. 29. Traduction personnelle 200 Ms., n° 985, op. cit., fol. 31. Traduction personnelle

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104

C’était donc une obligation religieuse de mettre en lumière la bonne voie et de

distinguer la voie lumineuse de celle obscure.»201

Enfin, al-Bakkay résuma cet ouvrage en poèmes, Qaṣīda nūniyya, chaque mot se

terminant par nūn, pour rendre ses arguments mieux mémorisables.202

Cheikh al-Bakkay ne se contenta pas de ça, mais écrivit encore cent vers

environ, Qaṣīda rā’iyya où chaque vers se termine par la lettre rā’ pour convaincre

l’ensemble de gens de Futa du bien-fondé de la Qādiriyya, tout en traitait la

Tiǧāniyya de bid‘a.203 Nous verrons ci-dessous la réplique qu’Ibn Yerkoy Talfī fit

aux propos du cheikh al-Bakkay. Ce qui sera révélateur de la relation qādirīe-tiǧānīe

à l’époque précoloniale.

Enfin l’apport des ouvrages qādirīs au soufisme du Mali se résume comme suit :

- Explication abondante des termes soufis

- Volonté de combiner entre le soufisme et l’orthodoxie

- Expansion du soufisme sur le plan intellectuel

- Consolidation de la formation exotérique et ésotérique des disciples.

Nous allons donc maintenant analyser les ouvrages écrits par les tiǧānīs au Mali à

l’époque précoloniale. Nous verrons que ces ouvrages prendront le caractère

satirique de pamphlets et de diatribes. La relation deviendra tendue entre les deux

courants soufis, qādirī et tiǧānī. La concurrence et la rivalité confrérique seront

généralisées.

201Ms., n° 985, op. cit., fol. 32. Traduction personnelle 202 Voir Annexe A n° 6. 203 Al-BAKKAY Aḥmad al-Kuntī, Qaṣīda fī nuṣḥ al-fūtiyīn, ms., n°985, I.H.E.R.I.A.B. Tombouctou. ff.1-8.

Voir Annexe A n° 7-8.

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105

II- Les ouvrages écrits par les soufis tiǧānīs du Mali

L’apologie de la Tiǧāniyya et la réfutation des thèses qādirīes :

5. L’œuvre d’al-Ḥāǧ ‘Umar Tal, le guide suprême de la Tiǧāniyya au Mali

5.1. Rimāḥ ḥizb al-Raḥīm alā nuḥūr ḥizb al-Raǧīm : Lance du parti du Tout

Miséricordieux sur les nuques du parti du Satan banni.

Cheikh Tal fut un auteur prolifique. Certains de ses ouvrages comme Taḏkirat

al-ġāfilīn et Bayān mā waqa‘a ont été évoqués plus haut.204 Nous étudierons ici son

ouvrage le plus connu et le plus utilisé par les soufis du Mali, Rimāḥ ḥizb al-Raḥīm

alā nuḥūr ḥizb al-Raǧīm. Cet ouvrage rédigé par le cheikh toucouleur a été publié

au Caire par l’Edition al-’Istiqāma en 1927 en marge de l’ouvrage mère de la

Tiǧāniyya « Ǧawāhir al-ma‘ānī ». En 1973, il fut également publié par l’Edition

Dār al-kitāb al-‘arabī à Beyrouth. Le même ouvrage fut publié de nouveau en 1988

à Beyrouth par l’Edition Dār al-ǧīl.205 Concernant notre étude, nous nous sommes

reporté à la version publiée en 1963 par l’Edition de Maktabat Muṣtafā al-Bābī al-

Ḥalabī du Caire, la seule édition qui nous était accessible. L’ouvrage d’al-Haǧ

‘Umar Tal se compose d’une introduction et de cinquante-cinq chapitres. Ces

derniers recouvrent trois préoccupations principales :

- Répliquer aux détracteurs de la tarîqa Tiǧāniyya

- Expliquer la voie spirituelle tiǧānīe

- Présenter le degré de spiritualité atteint par l’auteur lui-même

1- Chapitres à vocation de réfutation :

Bon nombre de chapitres ont uniquement pour but de répliquer aux détracteurs,

tandis que d’autres sont consacrés conjointement à la réplique et à l’explication.

Dès le premier chapitre, Al-Ḥāǧ ‘Umar Tal annonce explicitement l’objectif

204 Supra., pp. 75-78. 205 AL’AZMĪ Aḥmad, « Qirā’at wa ta’ammulāt fī ba‘d mu’allafāt al-Ḥāǧ ‘Umar al-fūtī » in ‘Abd al-Ǧalīl al-

Tamīmī, (dir.), Al-ṯaqāfat al-‘arabiyyat al-’islāmiyya, bi ǧanūb al-ṣaḥrā’ ġarb ’Ifrīqiyā namūḏaǧan, Zaghouan,

éd. Mu’assat al-Tamīmī, 1997, p.8.

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106

principal de cet ouvrage : réfuter les thèses de ses détracteurs. « Sache que notre

but dans la rédaction de ce livre béni se résume à la réfutation et au bannissement

des propos des détracteurs et à la défense des fidèles saints, car soutenir ces derniers

relève d’un ordre divin et prophétique ».206

C’est ainsi qu’il met en garde les détracteurs des saints, et corrobore son

discours en citant bon nombre d’ulémas selon lesquels, le corps des saints est une

viande empoisonnée, celui qui en mange, en meurt. Il note qu’aucun fidèle, quel que

soit son niveau d’érudition, ne pouvait aboutir à la satisfaction divine sans passer

par ces saints. Il affirme par ailleurs qu’un soufi peut être appelé à l’opulence et à la

richesse matérielle, en réfutant toute thèse qui veut qu’un soufi demeure toujours

nécessiteux et besogneux.

Quant au ḏikr, fallait-il le réciter à haute ou à basse voix ? Sur ce point, il

répond également à ses adversaires qui qualifiaient de bid‘a tout ḏikr collectif

pratiqué à haute voix. Il cite bon nombre d’ulémas qui le rendaient licite,

notamment le polygraphe égyptien, Ǧalāl al-Dīn al-Suyūṭī et l’érudit en sciences de

hadith, Ibn Ḥaǧar al-‘Asqalānī.207

Puis il s’attaque avec ardeur à ceux qui niaient le bien-fondé du drap blanc que

les tiǧānīes encerclent, lors de leur ḏikr. Pour prouver l’originalité de cette pratique,

il se reporte au propos de leur maître spirituel Muḥammad al-Ġālī, qui, à son tour,

affirmait qu’Ahmed al-Tiǧānī, le fondateur de la voie, lui avait confié la légitimité

de cette pratique spirituelle.

Al-Ḥāǧ ‘Umar Tal discute également de la possibilité d’avoir la vision du

Prophète en état d’éveil. Il tient un long discours pour confirmer cette possibilité,

tout en citant comme à l’accoutumée, tous les ulémas qui, à sa connaissance,

avaient adopté cette opinion, notamment l’érudit égyptien, Ǧalāl al-Dīn al-Suyūṭī

(m.1505) et le fondateur de la tarîqa Šāḏiliyya, Abū Ḥassan al-Šāḏilī (m.1258).

206 TAL al-Hāǧ ‘Umar, Rimāḥ ḥizb al-Raḥīm alā nuḥūr ḥizb al-Raǧīm, Le Caire, éd. Maktabat Muṣtafā al-Bābī

al-Ḥalabī, t.1., 1963, p. 9. Traduction personnelle. 207 TAL al-Hāǧ ‘Umar, op. cit., p.161.

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107

Il rapporte au sujet du premier le fait que celui-ci avait vu le Prophète en état

d’éveil plus de soixante-dix fois.208

2- Chapitres consacrés à l’exégèse de la Tiǧāniyya :

Tout au long de plusieurs chapitres, l’auteur expose, mais de façon

désordonnée, les principes et la base de la Tiǧāniyya : les conditions d’adhésion, les

relations entre le cheikh et son novice, les ḏikr obligatoires, les ḏikr surérogatoires

et les mérites de la voie spirituelle d’Ahmed al-Tiǧānī. Pour ce faire, il se réfère

principalement au texte de l’ouvrage original de la Tiǧāniyya, « Ǧawāhir al-

ma‘ānī ». Les passages de ces chapitres les plus importants à retenir, sont les

suivants :

- Tous les flux spirituels émanent du Prophète puis se répandent sur les êtres

vivants. Ceci explicite la réalité mohammadienne, al-ḥaqīqa al-muḥammadiyya.

- Aucun fidèle ne peut accéder à la sainteté sans passer par les guides spirituels

des voies spirituelles. Donc s’approprier un wird sans l’autorisation préalable d’un

cheikh authentique sera certes inutile.

- Le père spirituel a plus de force et de mérite que le père biologique pour le salut

de l’âme. Il faut totalement s’en remettre à son autorité.

- Le wird tiǧānī est inégalable, car son fondateur est le sceau des saints. Son

autorité spirituelle prédomine sur celle de tous les autres saints.209

3- Chapitres voués aux informations concernant l’auteur lui-même :

Dans ces chapitres, l’auteur évoque encore la formation spirituelle qu’il avait

reçue de son maître Muḥammad al-Ġālī avec qui il avait passé plus d’un an à la

Mecque et à Médine. Il retrace ses origines spirituelles, remontant jusqu’au

fondateur de la Tiǧāniyya, tout en affirmant avoir été investi comme khalife du

cheikh Ahmed al-Tiǧānī lui-même. 210

208 TAL al-Hāǧ ‘Umar, op. cit., p.198. 209 TAL al-Hāǧ ‘Umar, op. cit., pp. 96, 132. 235, 142, 245, 268. 210 TAL al-Hāǧ ‘Umar, op. cit., p. 184.

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108

Il y confirme avoir reçu le nom de Dieu le plus sublime, ism Allah al-’A‘ẓam,

puis évoque les divergences existantes à ce sujet entre les ulémas. Car certains

d’entre eux disent que tous les noms de Dieu sont sublimes sans aucune différence,

et qu’il n’y a absolument aucun nom divin réservé à certains fidèles, et pas aux

autres. Il finit par affirmer qu’un nom divin spécifique existe bien, et qu’il n’est

accessible qu’aux élus de Dieu. 211

La portée et l’influence de cette œuvre tiǧānīe s’avèrent importantes. La

Tiǧāniyya malienne la considère comme leur second Coran, ils s’y réfèrent pour

puiser des arguments en vue de réfuter les thèses de leurs détracteurs. En dépit de

l’importance de cet ouvrage, nous avons remarqué que son influence était plus

grande à l’époque coloniale qu’aujourd’hui. Ceci s’explique, à notre sens, par le fait

que la relation tiǧānīe-qādirīe fut extrêmement tendue à partir de la moitié du

XIXème siècle. Par conséquent, chaque tarîqa cherchait inlassablement les

ouvrages qui plaidaient pour leur voie spirituelle. Or, aujourd’hui la relation de ces

deux confréries, nous le verrons, tend vers l’excellence.

L’éloge de la Tiǧāniyya et l’explicitation de ses thèses :

6. Œuvres d’Ibn Yerkoy Talfī (m.1864) guide spirituel tiǧānī

6.1. al-Ta’yīdāt al-Rabbāniyya li al-ǧamā‘a al-Tiǧāniyya : Soutien divin accordé à

la confrérie tiǧānīe.212

Nous avons déjà étudié la vie de cet auteur au chapitre précédent,213 compte

tenu de son rôle majeur dans l’expansion de la Tiǧātiyya et de son ardeur forte à

réfuter intellectuellement tous les écrits dirigés contre sa voie spirituelle. L’ouvrage

est constitué d’une introduction et de cinq chapitres, mais il ne comporte que 13

folios. Dès son introduction, l’auteur annonce l’objectif de la rédaction de son

ouvrage :

211 TAL al-Hāǧ ‘Umar, op. cit., p.195. 212 IBN YERKOY TALFĪ, al-Ta’yīdāt al-Rabbāniyya li al-ǧamā‘a al-Tiǧāniyya, ms., n° 862, I.H.E.R.I.A.B,

Tombouctou, fol .1,Traduction personnelle. 213 Supra. p.80.

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« Lorsque j’ai constaté que la majorité de nos frères s’attaquaient aveuglement à

notre tarîqa par ignorance, alors j’ai pris la résolution d’apporter des

éclaircissements par cet opuscule, afin que certains d’entre eux puissent être éclairés

et en tirer profit ».214

Cette citation montre à quel point la Tiǧāniyya nouvellement installée au Mali

vers la moitié du XIXème siècle, était attaquée et ignorée par des ulémas du pays,

voire des profanes.

- En introduction, il traite la question de la soumission aux saints de Dieu et la mise

en garde contre toute opposition envers eux. Il écrit :

« Quiconque dénigre un saint de Dieu fera l’objet de malédiction et d’une

mauvaise issue. Son cœur mourra et sera percé d’une flèche divine

empoisonnée. Diverger sur des questions exotériques est concevable,

cependant les questions ésotériques ne peuvent faire l’objet de divergence, car

c’est une science divine spécifique que Dieu accorde à celui de son choix ; par

conséquent, il n’est pas possible de discuter ces questions et encore moins de

les nier, sauf pour les ignorants qui en font leur sujet de discussion. Comment

peut-on nier un miracle conféré à un saint, ou une spécificité accordée par

Dieu ? Surtout s’il s’agit d’une prétention qui ne va pas à l’encontre de la

šari‘a »215.

-Au premier chapitre, il discute de la licéité de changer d’école juridique, maḏhab,

ou de tarîqa, pour justifier le fait qu’il quitta la Qādiriyya pour la Tiǧāniyya. Il cite

bon nombre d’ulémas qui changèrent de maḏhab, notamment Ibn Daqīq al-‘īd qui

fut malékite puis chaféite, et Abū Ḥayyān qui fut zâhirite puis chaféite. Si le

changement de maḏhab n’est assurément pas interdit par d’éminents ulémas, il en

va de même concernant le passage d’une voie spirituelle à une autre, ajoute-t-il.

Puis il répond sur deux points obscurs de la Tiǧāniyya :

1- Comment la voie du cheikh Ahmed al-Tiǧānī peut-elle être la meilleure des

voies spirituelles, et son fondateur le sceau et le meilleur des saints ?

214 Ibid., fol.1,Traduction personnelle. 215 Ibid, fol.1.Traduction personnelle.

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« C’est en fait l’ordre divin qui veut que la Tiǧāniyya soit la meilleure des

voies spirituelles. Le Prophète lui-même, en état d’éveil, dit à Al-Tiǧānī qu’il

est le sceau des saints, et que son âme nourrira les âmes de tous les pôles, qutb,

jusqu’à la fin des temps, et que même ses simples adeptes surpasseront tous les

autres saints. Voilà pourquoi on doit adhérer à sa tarîqa sans jamais la

quitter »216.

2- Comment peut-on aboutir à une conciliation avec les qādirīs qui prétendent

également la même chose, en affirmant que leur wird qādirī est le meilleur ?

« Pas de contradiction, le wird qādirī était en effet le meilleur, mais seulement

jusqu’à l’apparition du wird tiǧānī. Après l’avènement de la Tiǧāniyya, les choses

ont fondamentalement changé. Ce privilège dont jouissait la Qādiriyya fut abrogé

au profit de la voie du cheikh Ahmed al-Tiǧānī »217.

-Le deuxième chapitre défend le commandement de la Tiǧāniyya qui interdit à ses

adeptes d’adopter une deuxième tarîqa après s’être affilié à celle-ci, voire même de

visiter un autre cheikh, non tiǧānī, mort ou vivant, en quête de la baraka. Les

arguments sont les suivants :

«Si la šarī‘a permet à un père de demander à son fils de rompre son jeûne

surérogatoire, il en va de même pour un cheikh, le père spirituel, qui est

également autorisé à ordonner à son aspirant de ne pas visiter un autre saint,

non tiǧānī. Le novice ne réussira jamais son parcours spirituel en étant guidé

par plusieurs maîtres spirituels. De même que deux dieux ne se partagent pas

un univers, ou que deux hommes ne partagent pas une épouse, de même un

musulman ne se tourne pas vers deux directions de prières, qibla»218.

-Au troisième chapitre, Ibn Yerkoy Talfī évoque la possibilité de voir le Prophète

en état d’éveil, reprenant ainsi la question déjà étudiée et adoptée par son guide

spirituel, al-Ḥāǧ ‘Umar.

-Le quatrième chapitre explique certains termes soufis comme quṭb dont il livre la

définition suivante :

216 Ms., n° 862, op. cit., fol. 4.Traduction personnelle. 217 Ibid., fol. 4. Traduction personnelle 218 Ms., n° 862, op. cit., fol. 5. Traduction personnelle.

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111

« Le quṭb : est un saint qui rassemble à lui seul tous les attributs divins qui sont

au nombre de 300. Il ne pourra cependant nourrir spirituellement les âmes des

autres saints qu’après avoir réuni tous les mérites spirituels. La grande

quṭbāniyya est donc la substitution totale accordée par Dieu à un pôle pour

gérer spirituellement cet univers de façon globale et en détail. Il y a deux types

de quṭb : le quṭb d’une région bien précise ‘‘quṭb al-quṭr’’ et le quṭb d’une

époque ‘‘quṭb al-dahr’’. Cependant le terme prend généralement ce dernier

sens, car à toutes les époques, il n’existe qu’un seul quṭb. Au demeurant, tous

les quṭb prédominent et sont supérieurs à tous les saints de leur époque »219.

-Au cinquième et dernier chapitre, Ibn Yerkoy Talfī parle longuement d’un autre

terme soufi peu connu voire contesté par les qādirīs du Mali, à savoir, ẖatmiyya (la

clôture de sainteté et de son plus haut degré). Il note :

« Sache que le degré de ẖatmiyya se situe entre celui des prophètes et celui des

quṭbs. Le saint occupant le degré de ẖatmiyya est chargé de nourrir

spirituellement les âmes des pôles, il est également le sceau des saints. Ce

degré qui fut réservé à notre cheikh Ahmed al-Tiǧānī, était convoité par le

grand saint Ibn ‘Arabī qui prétendait l’être. Il entendit un jour un appel céleste

qui lui disait : ‘‘Ce degré de ẖatmiyya, tu ne l’atteindras pas ; il est réservé à un

saint qui apparaîtra à la fin des temps’’. Dès lors il cessa d’y penser. En fait il

fut accordé à notre éminent cheikh al-Tiǧānī »220

- Enfin il termine son ouvrage par ces mots : « Je loue Dieu le Tout Puissant de

m’avoir permis de reconnaître aux gens de grâce leur grâce, sans nier à ẖātim sa

ẖātimiyya, ni à quṭb sa quṭbāniyya, contrairement à ce que font les ignorants. Voilà

donc les solides arguments consignés dans cet opuscule pour éclairer nos frères »221.

Il faut souligner qu’Ibn Yerkoy Talfī se réfère principalement aux écrits de son

nouveau maître spirituel, al-Ḥāǧ ‘Umar Tal dans la rédaction de cet ouvrage,

notamment « Rimāḥ ḥizb al-Raḥīm » que nous avons étudié.

219 Ms., n° 862, op. cit., fol. 9. Traduction personnelle. 220Ms., n° 862, op. cit., fol.12. Traduction personnelle. 221 Ms., n° 862, op. cit., fol. 13. Traduction personnelle.

Page 113: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

112

La défense des thèses tiǧānīes :

6.2. Tabkiyat al-Bakkay : Faire pleurer al-Bakkay 222

Cette seconde œuvre écrite par Ibn Yerkoy Talfī, le fervent défenseur de la

Tiǧāniyya, est une lettre pamphlétaire adressée au cheikh al-Bakkay pour réfuter ses

thèses émises à l’encontre de la Tiǧāniyya. Il est constitué de 38 folios.

Si son ouvrage « al-Ta’yīdāt al-Rabbāniyya li al-ǧamā‘at al-Tiǧāniyya » avait pour

but de faire connaître la Tiǧāniyya au Mali, et de rétorquer de façon générale à tous

les détracteurs, cette œuvre cependant ne vise que le cheikh al-Bakkay.

L’Auteur entre directement dans le vif du sujet sans même annoncer au préalable,

comme à l’accoutumée, son plan de travail. Il évoque d’emblée les questions qui

faisaient l’objet de sa contestation vis-à-vis d’al-Bakkay, et y répond avec ardeur.

Beaucoup de points abordés dans cet ouvrage ont déjà été étudiés dans l’ouvrage

précédent. L’objet de sa réfutation porte sur les questions suivantes :

- L’existence de la ẖatmiyya (la clôture de la sainteté)

Ibn Yerkoy Talfī y affirme que la notion de ẖatmiyya est bien connue dans le

soufisme. Elle consiste à affirmer que le soufisme a bien connu la clôture de la

sainteté qui est le degré le plus élevé, comme la prophétie a connu sa propre clôture

avec le sceau des prophètes, Muḥammad. Le disciple d’al-Haǧ ‘Umar Tal fait

référence à Ibn ‘Arabī, qui l’étudia également dans son célèbre ouvrage « al-

Futūḥāt al-makkiya ». Il évoque aussi al-Ša‘rānī et son ouvrage « Durar al-

Ġawwāṣ ». Puis, il présente son argumentaire et renvoie son adversaire à l’ouvrage

écrit par son père, intitulé « Ṭarā’if wa talā’id fī karāmat al-wālida wa al-wālid »,

où ce dernier mentionne explicitement la question de ẖatmiyya. Pour terminer, il

qualifie son détracteur d’ignorant qui nie tout ce qu’il ne connait pas.223

222 IBN YERKOY TALFI, Tabkiyat al-Bakkay, ms., n° 2786, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, fol.1.

223 IBN YERKOY TALFI, Tabkiyat al-Bakkay, ms., n° 2786, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, ff. 5-7.

Page 114: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

113

- Sens d’illiyyīn dans le Coran

La querelle suivante est d’ordre sémantique. Cette question n’a pas été évoquée par

Saïd Bousbina dans son article, c’est probable que cette partie manquait dans le

manuscrit de Paris auquel il s’est référé.224 Pour Ibn Yerkoy Talfī, le mot

coranique, illiyyīn, signifie « Paradis ». Il réfute donc les arguments d’al-Bakkay qui

donnait à ce mot, un autre sens. Pour ce dernier, en effet, le mot signifie « le livre »,

kitāb. Afin de trancher cette divergence, Ibn Yerkoy Talfī renvoie son détracteur à

deux ouvrages rédigés par son grand-père Sīdī al-Muẖtār, fondateur de la

Muẖtāriyya, l’un intitulé « al-Ǧur‘at al-ṣāfiyat » et l’autre « Kašf al-niqāb ‘an waǧh

Fātiḥat al-Kitāb ». Il assure que ce dernier partageait le même avis que lui, car son

argument est basé, comme le sien, sur l’étymologie du mot « illiyyīn » qui est dérivé

de « ‘alā » être élevé ; il s’agit donc du paradis le plus élevé où habite le

Prophète.225

- Se détourner des saints

Sur cette question, Ibn Yerkoy Talfī qualifie les propos d’al-Bakkay de

mensongers. Les propos de ce dernier, nous l’avons vu, consistaient à décrier la

conception tiǧānīe de saints. C’est ainsi que le novice fervent d’al-Ḥāǧ ‘Umar

affirme que les guides tiǧānīs interdisaient à leurs adeptes de visiter les saints non

tiǧānīs seulement dans le but de recevoir la baraka. A cet égard, il se reporte à

l’ouvrage d’Ibn ‘Arabī, « al-Futūḥāt al-makkiyya», à celui d’Ibn al-Mubārak « al-

Ibrīz », et à celui d’Abd al-Raḥmān al-Fāsī, « Ibtihāǧ al-qulūb », afin de corroborer

son discours. Nous nous demandons si Ibn Yerkoy Talfī avait eu accès direct à tous

ces ouvrages. Il note que ces éminents guides spirituels ont accordé au cheikh le

droit d’empêcher son disciple de visiter un autre saint sans la permission préalable,

et que ceci relève d’ādāb bien établis dans certaines voies spirituelles dont la

224 BOUSBINA Saïd, « Tabkiat Al-Bakkay Une lettre « lacrymogène » de Yerkoy Talfi à Ahmad Al-Bakkay Le

plaidoyer d’un défenseur de la Tijaniyya » in Odile Goerg et Anna Pondopoulo, (dir.) Islam et Sociétés en

Afrique subsaharienne à l’épreuve de l’histoire Un parcours en compagnie de Jean-Louis Triaud, Paris, éd.

Karthala, 2012, pp.101-114. 225 Ms., n° 2786, op. cit., fol.10.

Page 115: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

114

sienne. Il rappelle également que l’une des conditions d’affiliation à la Tiǧāniyya

est de ne pas abandonner ses frères musulmans226.

- La descente de la baraka du Prophète sur les créatures

Selon al-Bakkay la baraka du Prophète n’est pas descendue sur les créatures avant

sa prophétie. Sa baraka se répandit sur les créatures de Dieu, seulement après qu’il

ait été messager de Dieu. Par contre, Ibn Yerkoy Talfī réplique à cette thèse en

affirmant que la baraka prophétique fut prodiguée aux créatures avant même la

naissance du Prophète. 227

- Les tiǧānīs n’assisteront pas au jugement dernier

Al-Bakkay fustigea vivement cette croyance tiǧānīe. Dans sa réponse le disciple

d’Ḥāǧ ‘Umar explique que les tiǧānīs seront sous l’ombre du Trône lors du

jugement dernier. Pour étayer son propos, il se reporte à un hadith célèbre qui cite

sept catégories de fidèles qui seront à l’abri de toute peine le jour de la résurrection.

- Les tiǧānīs entreront au Paradis sans compte ni châtiment

Sur ce point, Ibn Yerkoy réplique que les tiǧānīs ne sont pas les seuls à prétendre

être assurés d’entrer au Paradis. Il rappelle que cette croyance existe également dans

la Qādiriyya, et cite un propos prêté à Abd al-Qādir al-Ǧīlānī : « Une liste

répertoriant mes adeptes m’a été présentée, ils seront tous épargnés de l’enfer »228.

- L’existence de Dā’irat al-faḍl (le cercle de la Grâce)

Ce cercle de la grâce est une rétribution divine, selon les tiǧānīs, difficilement

atteignable. Il s’agit d’un degré spirituel très élevé, une fois qu’un saint y accède, il

sera dispensé de toute injonction divine, autrement dit, il ne sera plus concerné par

l’application de šarī‘a. Al-Bakkay nie catégoriquement l’existence du cercle de

Grâce, auquel prétendent les tiǧānīs, et tient un discours ironique en disant que ce

serait un cercle empli de vaches, de chameaux et de moutons. Il rajoute que ni les

226 Ms., n° 2786, op. cit., fol. 12. 227Ms., n° 2786, op. cit., fol. 18. 228 Ms., n° 2786, op. cit., ff. 29, 30.

Page 116: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

115

prophètes ni les anges n’ont eu le privilège d’accéder à ce genre de cercle. Ibn

Yerkoy Talfī pour sa part décrie l’ignorance de son détracteur, sans toutefois

pouvoir donner un argument solide confirmant l’existence dudit cercle.229

- La prétention d’Ahmed Tiǧānī de connaître 300 savoirs qu’aucun des prophètes

ne possédait, sauf Muḥammad

Cette croyance tiǧānīe fut l’objet d’une critique fort amère de la part d’al-

Bakkay, et il juge apostat tout musulman qui y croit. Pour Ibn Yerkoy Talfī, le fait

que le cheikh Ahmed Tiǧānī possédait 300 types de connaissances que les autres

prophètes à l’exception de Muḥammad ignoraient, n’est pas une prétention inédite

dans le soufisme. Certains saints avant lui l’avait déjà prétendu. Et il renvoie son

adversaire à l’ouvrage « Ḫātam al-’awliyā’ » écrit par al-Ḫakīm al-Tirmiḏī. Il

explique, par exemple, qu’un simple fidèle de la communauté musulmane connaît la

sourate al-Fātiḥa, alors que tous les prophètes précédents l’ignoraient230.

Ce dernier ouvrage étudié revêt toute son importance, car il met bien en lumière les

points de divergence entre tiǧānīs et qādirīs. Enfin l’apport de la production

intellectuelle tiǧānīe se résume en ces mots :

- Contribuer à la richesse de la littérature soufie malienne

- Marquer la différence avec les autres courants soufis comme la Qādiriyya

- Favoriser l’expansion rapide et généralisée de la Tiǧāniyya au Mali

Ces six ouvrages analysés, empruntés aux voies spirituelles tiǧānīe et qādirīe

témoignent de l’avancée des sciences ésotériques au Mali du XIXème siècle.

Malheureusement, la plupart de ces ouvrages d’importance saisissante ne sont pas

publiées à notre connaissance, donc peu connues.

229 Ms., n° 2786, op. cit., fol. 30. 230 Ms., n° 2786, op. cit., ff. 34-38.

Page 117: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

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Nous retiendrons du soufisme de la période précoloniale (1800-1878) les points

suivants :

1- La constitution visible du groupe de disciples, autour d’un maître spirituel.

2- La solide formation exotérique et ésotérique des soufis de cette époque, comme

les ouvrages étudiés ci-dessus en témoignent.

3- L’intérêt porté à la sunna, ou l’orthodoxie musulmane et la répréhension de

bid‘a (innovation religieuse), comme en apportent la preuve :

a- Le cheikh Āmadu (m. 1845) rédigea son célèbre ouvrage étudié ci-dessus pour

dénoncer les bid‘a : Al-iḍṭirār ilā Allāh fī iẖmād ba‘ḍ mā tawaqqad min al-bida‘ wa

iḥyā’ ba‘d mā indarasa min al-sunan 231: S’en remettre à Dieu pour éteindre des

innovations religieuses et ressusciter des sunnas disparues.

b- Nuḥ ibn Ṭāhir (m.1860), disciple du fondateur de la Muẖtāriyya rédigea

« Ḫaṣā’iṣ al-Nabī »232: Spécificités du Prophète, un manuscrit composé de 5 folios,

dans lequel il explique les spécificités du Prophète afin d’éclairer les sunnas du

Prophète à suivre et de s’abstenir de l’imiter dans d’autres injonctions qui lui sont

spécifiques.

4- L’accent particulier mis sur l’amour du Prophète. Les écrits des soufis du Mali

élucident cette tendance accrue qui se manifeste dans la célébration et la

glorification des multiples qualités du Prophète, en exprimant leur amour pour lui et

en cherchant par tous les moyens à gagner le privilège d’être en sa compagnie.233

Les auteurs et les faits suivants le prouvent :

a- Sīdī al-Muẖtār al-Kabīr (m.1811) consacra un ouvrage à l’éloge et à la prière

sur le Prophète intitulé, Nafḥ al-ṭīb fī al-ṣalāt ‘alā al-Nabī al-ḥabīb : Eclat du

parfum pour la prière sur le Prophète bien aimé.234

231 Ms., n° 1019, op. cit., fol.1. 232 IBN ṬĀHIR Nūḥ, Ḥaṣā’iṣ al-Nabī, ms., n° 8912, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, ff.1-5. 233 SEYDOU Christiane, La poésie mystique peule du Mali, Paris, éd. Karthala, 2008, p. 55. 234 , SĪDĪ al-Muẖtār al-Kabīr, Nafḥ al-ṭīb fī al-ṣalāt ‘alā al-Nabī al-ḥabīb, ms., n° 402, I.H.E.R.I.A.B,

Tombouctou, ff.1-7.

Page 118: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

117

b- Ibn Yerkoy Talfī (m.1864) composa une cinquantaine de vers qui font l’éloge et

la manifestation de son amour envers le Prophète.235

c- Muḥammed Su‘ād (m.1852), un soufi prolifique dans le domaine de la poésie,

produisit des centaines de vers en l’honneur du Prophète.236

5-Les bonnes relations entretenues par les soufis durant la première moitié du

XIXème siècle, car les tiǧānīs et les qādirīs cohabitaient pacifiquement.

6-Les relations tendues entre tiǧānīs et qādirīs à partir de la deuxième moitié du

XIXème siècle avec la conquête d’al-Ḥāǧ ‘Umar (m.1864).

7-La guerre sanglante puis la guerre intellectuelle qui se manifesta par les diatribes

et les pamphlets du tiǧānī Ibn Yerkoy Talfī et du qādirī al-Bakkay Kuntī. Nous

verrons que cette discorde se poursuivra entre ces deux courants soufis, Qādiriyya et

Tiǧāniyya, jusqu’à l’arrivée des colonisateurs français, qui les trouveront fragilisés

par cette guerre fratricide, ce qui facilitera la mission coloniale. C’est cette période

que nous allons étudier en deuxième partie, en mettant en lumière les enjeux qui y

sont liés.

235 IBN YERKOY TALFI, Maǧmū‘ al-qaṣā’id , ms., n° 863, I.H.E.R.I.A.B,Tombouctou, ff. 1-8. 236 SU‘AD Muḥammad, Qaṣā’id al-madḥ, ms., n° 5882, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, ff. 1-5.

Page 119: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

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DEUXIEME PARTIE

LE SOUFISME AU MALI DURANT LA PERIODE

COLONIALE (1878-1960)

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DEUXIEME PARTIE

LE SOUFISME AU MALI DURANT LA PERIODE COLONIALE

(1878-1960)

Au cours de la première partie de ce travail, nous avons étudié comment les

deux voies spirituelles du Mali, la Tiǧāniyya et la Qādiriyya, se livrèrent une

bataille fratricide suite à la conquête d’al-Ḥāǧ ‘Umar Tal. Si ce dernier vécut ses

derniers jours en 1864, la flamme de la guerre fratricide allumée ne s’éteignit pas

avec sa disparition. Les adeptes de ces deux confréries continuèrent à s’entretuer

jusqu’à l’arrivée des colonisateurs français. Après 14 ans supplémentaires de

conflits inter-confrériques, de 1864 à 1878, les soufis se trouvèrent dépéris et

affaiblis au moment d’affronter de manière efficace les nouveaux envahisseurs du

pays. La colonisation effective débuta en effet en 1878 d’où la chronologie retenue

dans le cadre de notre recherche.

La deuxième partie de notre travail traitera, par conséquent, le soufisme sous la

période coloniale : pénétration coloniale dans le pays, résistance des soufis face à

cette colonisation française, naissance et émergence de nouvelles voies spirituelles

soufies, influence de la colonisation sur le soufisme, diffusion et caractéristiques du

soufisme de cette période. Retraçons d’abord l’intrusion coloniale au Mali.

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CHAPITRE I : LA COLONISATION FRANÇAISE ET LA RESISTANCE

ARMEE DES SOUFIS

1- L’intrusion coloniale au Mali

Les colonisateurs français entreprirent la colonisation du Mali à partir de la

deuxième moitié du XIXème siècle. L’administrateur colonial, le général Louis

Faidherbe (m.1889), étant éperdument épris par l’agrandissement des colonies

françaises, fut le premier à concevoir l’expansion du colonialisme vers le Mali. Sa

politique coloniale, comme le souligne Frantz, poursuivait trois objectifs :

« 1- La jonction du Haut Sénégal au Haut Niger par une ligne de postes. 2- La

possibilité de faire passer par ces voies les objets d’importation européenne pour en

faire le commerce sur le Niger et pour retourner par la même voie des matières

riches. 3- L’impossibilité de songer à cette même voie pour les marchandises

encombrantes des bords du Niger et l’importance qu’il y aurait à voir si on ne

pourrait pas utiliser à cet effet l’embouchure de ce fleuve. »237.

En provenance du Sénégal déjà occupé, les colonisateurs français débarquèrent

à Kayes en 1855 pour l’étude du terrain et les préparatifs préliminaires. Ce n’est que

plus tard que commencera la vraie occupation. En effet, les colonisateurs se

heurtèrent en 1878 à une farouche résistance de la part des habitants de Sabouciré,

ville devenue plus tard symbole de la résistance anticolonialiste. Car le roi de

Sabouciré, Niamodi Sissoko fut exécuté par les colonisateurs et la ville succomba

sous leur puissance militaire.238

En 1881, la ville de Kati fut prise et elle deviendra plus tard le bastion du

catholicisme. Puis les colonisateurs poursuivirent leur chemin pour occuper en

janvier 1883 la ville de Bado, près de Bamako. Les Bambara s’opposèrent

farouchement à leur occupation par les armes traditionnelles. Mais en raison de la

disproportion des forces en présence, la ville de Bado ne tarda pas à se soumettre à

la nouvelle administration coloniale. Le mois suivant de cette même année (février

237 FRANTZ Jean, Etudes sur le Soudan français, Paris, Arthur Rousseau, 1907, p.28 . 238 KONARE Alpha Oumar et BA Adam, Grandes dates du Mali, Bamako, éd. Imprimerie du Mali, 1983, p.64.

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121

1883) les troupes coloniales réussirent à dominer la ville stratégique du pays,

Bamako. Sept ans plus tard (1890) la ville de Ségou, siège du royaume Bambara, fut

occupée. Avec la prise de Ségou, la France étendit aisément son expansion

coloniale sur Djenné en 1893, et quelques jours après, sur deux autres villes

importantes du Mali, Mopti et Bandiagara.239 Le colonialisme français atteignit

Tombouctou, la ville la plus réputée de l’histoire malienne, en 1894. La ville de

Sikasso fut prise en 1898, puis, avec l’occupation de Gao en 1899, la colonisation

française toucha la quasi-totalité du pays.240

Durant la colonisation française, le Mali a connu diverses appellations : en

1880 l’administration coloniale le baptisa « Haut Fleuve », puis en 1890 elle le

désigna « Soudan français », avant de changer cette dénomination, neuf ans plus

tard, pour « le Haut Sénégal » ou « Moyen Niger » en 1899. Puis le Mali fut

dénommé « Sénégambie- Niger » en 1902, avant de prendre en 1904 deux ans plus

tard le nom de « Haut Sénégal- Niger ». Enfin, en 1920, réapparut la dénomination

« Soudan français ». C’est cette dernière appellation qui sera conservée jusqu’en

1960, date de l’indépendance du Mali. Rappelons que dès 1895, le Soudan français

fera partie de l’A.O.F (Afrique Occidentale Française) et sera dirigé comme les sept

autres colonies : Sénégal, Mauritanie, Guinée, Haute Volta, Dahomey, Côte

d’Ivoire, par un gouverneur général installé à Dakar, dirigé par un Commandant

supérieur, puis par un lieutenant-gouverneur en siège à Kayes jusqu’en 1908, puis à

Bamako à partir de cette date.241

239 KAMIAN Bakari, Les Dogon de 1893 à 1960 : la pénétration et la conquête française dans la Boucle du

Niger et les pays de la Volta, Burkina, Bamako, éd. Amecon, 2010, p. 224. 240 SPITZ George, Soudan français, Paris, éd. Maritimes et coloniales, 1955, p.46. 241 YATTARA Elmouloud, « Une histoire du Mali » 2007, p.3.sous : http://www.histoire-

afrique.org/IMG/pdf/Mali_independant.pdf (consulté le 28/3/2013).

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122

2-La résistance des soufis face au colonialisme français

La colonisation française du Mali ne fut pas sans susciter de résistance. Nous

avons vu comment certains animistes, même s’ils finirent par s’y soumettre,

tentèrent de livrer une certaine résistance face aux colonisateurs. Si certains cheikhs

soufis de la Mauritanie épaulaient sans réserve la colonisation française,242 ceux du

Mali ne suivirent pas la même voie. En général, les soufis maliens de l’époque

coloniale résistèrent farouchement et longuement contre les colonisateurs. Nous

verrons que les deux voies spirituelles connues à l’époque (Qādiriyya et Tiǧāniyya)

jouèrent chacune un rôle majeur pour repousser l’impérialisme français, même si à

un certain moment quelques-uns eurent recours à la négociation pour établir un

compromis de paix ou une trêve. Les figures soufies remarquables qui combattirent

la domination coloniale seront étudiées par la suite selon l’ordre chronologique.

Retraçons en premier lieu la résistance du cheikh Mamadou Lamine Dramé, le soufi

soninké.

2.1. Mamadou Lamine Dramé (m. 1887), un tiǧānī résistant

Mamadou Lamine Dramé, soufi résistant, est né à Goundiourou dans la région de

Kayes. Sa date de naissance n’est pas connue avec précision, cependant nos

historiens la situent entre 1830 et 1850. La première date est privilégiée par Alpha

Oumar Konaré et Adam Bâ.243 Quant à son décès, l’unanimité se fait sur l’année

1887. Ce cheikh surnommé Allah Komo Ciré, c’est-à-dire le « Favori de Dieu », est

un soufi d’obédience tiǧānīe.

Nous disposons de peu d’éléments sur sa formation spirituelle. Cependant la

taille de sa bibliothèque, qui fut portée par 24 personnes, révèle qu’il aimait les

livres et qu’il était probablement bien instruit. Certains historiens lui attribuent un

ouvrage qui est demeuré introuvable après une longue recherche de notre part,

242 PIGA Adriana, Les voies du soufisme au sud du Sahara, Paris, éd. Karthala, 2006, p.175. 243 KONARE Alpha Oumar et BA Adam, Grandes dates du Mali, op. cit., p.53.

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123

intitulé : Sa‘ādat al-nufūs fī iẖtiṣār al-ṣalawāt : Bonheur des âmes dans la prière

courte.244

Nous avons souligné plus haut que les étapes d’apprentissage au Mali au

XIXème siècle consistaient à s’instruire dans sa région, puis à poursuivre des études

avancées à Tombouctou. Cette dernière étape franchie, les apprenants se rendaient à

la Mecque pour parachever leur formation. Tout candidat à l’érudition était censé

franchir toutes ces étapes. Concernant cheikh Dramé, l’histoire a bien retenu son

voyage à Tombouctou puis à la Mecque où il séjourna sept ans dans le dessein

d’acquérir les connaissances nécessaires. Il visita, toujours dans cette quête du

savoir, entre 1872 et 1879, plusieurs pays musulmans, dont la Turquie. C’est à son

retour, en 1879, qu’il intensifia son prosélytisme et fit beaucoup de disciples.

C’est ainsi que cheikh Dramé éduqua activement ses adeptes tant sur le plan

spirituel que sur le plan militaire. Il prêcha la guerre sainte et sema le germe de la

haine des occupants français dans toute la région. Assuré d’avoir grandement

préparé le terrain, il lança son ǧihād en 1886 contre la présence française sur le sol

de ses ancêtres et se proclama même le mahdī de l’Afrique occidentale.

Lors des premiers heurts avec les colonisateurs en mars 1886, le cheikh soufi

et ses disciples firent preuve de grande bravoure. Ainsi réussirent-ils à repousser la

garnison coloniale en tuant une dizaine de combattants, faisant une trentaine de

blessés dans les rangs des ennemis. Ce fut une bataille victorieuse qui marqua fort

les esprits des habitants indigènes. Le cheikh eut alors sa réputation de saint

invincible répandue aux confins de tous les horizons du pays.

Mais la troupe coloniale, pour se venger, marcha sur la ville natale du cheikh

Dramé, Goundiourou, pour y perpétrer meurtres et destructions. Cette politique de

terre brûlée exaspéra hautement le guide soufi, et le poussa à s’organiser de

nouveau pour poursuivre sa bataille implacable contre l’envahisseur. Cependant, en

avril 1886, les colonisateurs, dans une attaque surprise, réussirent à tuer la majeure

244 SY Yaya, Mamadou Lamine Dramé, résistant sonninké dans l’Afrique Occidentale Française, consultable

sous : http://www.soninkara.com/histoire-geographie/histoire/mamadou-lamine-drame.html, (consulté le

20/4/2013).

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124

partie des combattants de Mamadou Lamine. En résistant infatigable, le Cheikh ne

se résigna pas. Seule l’exécution de son fils Šu‘ayb par les colonisateurs en juillet

1887 lui porta un coup très dur. La mort de ce dernier, qui avait été pour lui un

soutien indispensable, autant audacieux qu’actif, l’affaiblit considérablement.

Pour en finir avec cette opposition à l’impérialisme français, le gouverneur

général du Soudan français, Joseph Gallieni (m.1916), ordonna à ses troupes, en

novembre 1887, de lui ramener ce résistant soufi, mort ou vif. En décembre 1887,

les troupes coloniales pénétrèrent victorieusement dans le bastion du guide spirituel

tiǧānī, Toubacouta, non sans avoir commis un carnage horrible dont l’histoire se

souvient encore. Mais le principal personnage recherché, Mamadou Lamine, était

déjà hors de la ville. Il l’avait d’ailleurs quittée sur le conseil de ses fidèles

disciples, qui y restèrent pour la confrontation dramatique.

Le Favori de Dieu, n’échappera pas à la troupe coloniale. Traqué et blessé à

Maka-colibantan, un village proche de son bastion, il succombera à ses blessures.

Dans le souci de montrer publiquement sa dépouille afin de prévenir toute

éventuelle opposition, les ennemis du cheikh allèrent jusqu’à le décapiter, le 11

décembre 1887.245 Cependant la mort tragique de ce grand résistant n’a pas atteint,

comme nous le verrons, l’esprit combatif des autres résistants soufis.

2.2. Āmadu al-Ḥāǧ cheikh ‘Umar Tal (m 1898), un tiǧānī résistant

Ce soufi tiǧānī est le fils du guide suprême de la Tiǧāniyya. Son père al-Ḥāǧ

‘Umar Tal, après avoir conquis la ville de Ségou, le nomma comme chef religieux

et politique de la région, afin de continuer son avancée vers le Macina où il détruisit

un Empire musulman comme nous l’avons déjà mentionné antérieurement.

C’est ainsi qu’Āmadu al-Ḥāǧ ‘Umar régna à Ségou jusqu’à l’avènement des

colonisateurs, avec qui il eut des moments d’alliance et d’affrontement :

245 KI-ZERBO Joseph, « Mamadou Lamine Dramé » in Histoire de l’Afrique noire : d’hier à demain, Hatier,

Paris, 1972, p.418.

Page 126: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

125

« Ahmadu, fils et successeur d’al-Hdj ‘Umar, fondateur de l’empire toucouleur était

résolu à défendre son empire et à en préserver l’indépendance et la souveraineté.

Pour atteindre ces objectifs, il choisit tour à tour l’alliance et l’affrontement armé

(…) Il invita tous les musulmans de l’empire à prendre les armes pour la défense de

la foi »246.

Se sentant menacé en 1885, il prépara spirituellement et militairement ses

adeptes afin de barrer la route aux troupes colonisatrices à Nioro. Action sans

succès, car le colonel Archinard et son armée attaquèrent Nioro en 1890 et

gagnèrent la bataille et se dirigèrent enfin vers Ségou pour l’occuper. Le fils du

guide suprême de la Tiǧāniyya ne recula pas après cette défaite. Au contraire, il

lança une campagne farouche contre les colonisateurs et réussit à fédérer à sa cause

la quasi-totalité des peuls, des bambaras et des miankas de la région, qui lui

apportèrent soutien matériel et moral, afin d’endiguer la route des nouveaux

arrivants.247

Mais, après une série d’insuccès consécutifs le résistant soufi finit par rejoindre

son frère Munīr Tal au pays Dogon. Traqué et exténué par ces nombreuses batailles

livrées contre l’administration coloniale, il décida de s’exiler au pays de Hawsa au

Nigéria. C’est ainsi que les colonisateurs purent occuper aisément Bandiagara en

avril 1893. Ce résistant tiǧānī vécut ces derniers jours à Sokoto où il décéda en

1898.248 Mais sa disparition, nous le verrons, ne marque pas la fin de la résistance

des soufis.

2.3. Samori Touré (m.1900), un qādirī résistant

Samori Touré, une autre figure soufie, compte parmi les plus célèbres résistants à

la colonisation française. Les chercheurs qui se consacrèrent à ce personnage

religieux ont rarement souligné son caractère soufi. Son parcours ésotérique a été

246 BOAHEN A. Adu, « Initiatives et résistances africaines en Afrique occidentale de 1880 à 1914 » in

BOAHEN A. Adu (dir.), Histoire générale de l’Afrique, Paris, Unesco, vol.VII, 1989, pp.110-113. 247 KONARE Alpha Oumar et BA Adam, op. cit., p.72. 248 KAKE Ibrahima, L’Afrique coloniale, Paris, éd. A.C.C.T., 1990, p. 35.

Page 127: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

126

évoqué de manière insuffisante. Ce soufi d’obédience qādirīe est né vers 1830 à

Minianbaladou.249

Nous savons peu de choses quant à son initiation au soufisme, mais nos sources

s’accordent pour affirmer qu’il fut initié à la Qādiriyya. Khalil Fofana le présenta

comme un animiste qui se convertit à l’islam lors de sa captivité à Madina, un

village administré par Kayes250. Un autre biographe incontournable de sa vie, Y.

Person, désigna Konyé Morifin comme le guide spirituel qui lui apprit la pratique

religieuse ésotérique et exotérique251. Selon certains chercheurs, comme Seydou

Cissé, son initiation à la Qādiriyya fut assurée par un muqaddam qādirī, Karamogo

Sidiki Chérif Haïdara.252

En tout état de cause, sa formation religieuse et spirituelle n’est pas

suffisamment connue. En revanche, nous savons qu’il porta un grand intérêt à

l’islam, et qu’il en fit même la religion de son Empire en 1884. A l’occasion de

cette institutionnalisation de l’islam il se vit conférer le titre d’« almami » c’est-à-

dire imam. C’est à ce titre qu’il prêcha la guerre sainte.253 De même, il rendit le

vendredi un jour férié, et prohiba le tam-tam ainsi que toute percussion qu’il

attribuait aux fétichistes, à l’instar du régime musulman du Macina sous le règne du

cheikh Āmadu et de son fils Āmadu Seku.

Samori organisa son Empire en le conformant aux commandements de l’islam,

et mit un accent particulier sur deux aspects : l’enseignement coranique et la justice

sociale. Dans ce sens, il créa bon nombre d’écoles coraniques et rendit obligatoire

l’instruction de tous ses sujets. Ces écoles furent inspectées par Almami lui-même.

Il rétribuait les élèves les plus méritants et réprimandait ceux qui faisaient preuve de

négligence.

249 FOFANA Khalil, L’Almami Samori Touré Empereur : récit historique, Paris, Présence Africaine Edition

1998, p.10. 250 FOFANA Khalil, op. cit., p.19. 251 PERSON Yves, Samori, une révolution Dyula, Nimes, Imprimerie Barnier, 1968, p. 251. 252 CISSE Seydou, L’islam et l’éducation musulmane au Mali, Université de Strasbourg, 1989, (dactylogr, Thèse

3e cycle, directeur : Pierre Erny), p.112. 253 KONARE Alpha Oumar et BA Adam, op. cit., p.67.

Page 128: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

127

Concernant la justice, il organisa son Empire, comme l’indique Khalil Fofana, à

trois niveaux :

- La jurisprudence musulmane était la référence pour juger toutes les affaires

civiles de la population vivant sous son Empire.

- La justice était également dirigée par des conseillers compétents en šarī‘a pour

juger toutes les affaires du crime dans l’Empire.

- Concernant les affaires relatives à la haute trahison, Samori lui-même se

chargeait de les trancher selon le code musulman.254 Cependant, il n’échappe pas au

harcèlement des colonisateurs.

Almami Samori constituait un obstacle sérieux face à l’impérialisme des

colonisateurs français. Refusant de se soumettre aux troupes coloniales il livra une

résistance de longue haleine, seize longues années selon Khalil Fofana, de 1882 à

1898255 dix- huit selon Joseph Ki-zerbo de 1880 à 1898256. Quoi qu’il en soit, la

résistance d’Almami fut farouche et longue. Elle débuta par la missive envoyée par

le capitaine Monségur, commandant de la garnison de Kita, qui demanda au maître

soufi de se résigner et de ne pas gêner la mission prétendue civilisatrice de la

France. Ce dernier réagit sans tarder en attaquant les villes mises sous protectorat

français. Les colonisateurs s’engagèrent ainsi dans une guerre implacable contre

Samori. A cet égard K. Fofana souligne :

«Borgnis-Desbordes, haut-commandant des troupes coloniales à Kayes estima

que l’honneur de la France était en cause parce qu’il aurait été bafoué. Il fallait

une vengeance, le casus belli tant recherché était enfin trouvé pour éliminer un

adversaire qui gênait les ambitions de conquête coloniale. Ainsi débutait un

conflit armé qui dura seize longues années. Les troupes coloniales furent

contraintes de se replier sur le fleuve Niger, sous le harcèlement des intrépides

sofas. Le bilan des pertes était lourd du côté de l’armée samorienne qui venait

de subir le baptême du feu face à un armement moderne. Samori avait l’auréole

du chef de guerre noir qui avait affronté un armement moderne avec des fusils

à pierre sans être défait »257

254 Ibid., p.44. 255 Op.,cit., p.64. 256 KIZERBO Joseph, Le monde africain noir, histoire et civilisation, Paris, éd. Htier, 1972, p. 30. 257 Op. cit., pp. 64-65.

Page 129: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

128

Samori dut donc accepter, après avoir été affaibli par cette guerre

disproportionnée, un pacte dont les points essentiels furent d’arrêter toute hostilité

et de ne pas pénétrer dans le territoire de l’autre sans autorisation préalable.258 Ce

pacte était en fait une ruse de la part des colonisateurs pour mieux se préparer. Une

fois la troupe coloniale bien équipée, elle viola cet engagement et entreprit cette

fois-ci une guerre sanglante qui mettra un terme à l’Empire d’Almami Samori. Ce

dernier fut arrêté par les colonisateurs en septembre 1898. Déporté par la suite au

Gabon, il y décéda en juin 1900. 259

Les historiens maliens retiennent d’Almami Samori sa rigueur et sa conception

littérale de l’application de la šarī‘a. Non seulement, il imposait l’islam à des

peuples animistes vaincus, mais il faisait convertir également les tiǧānis à la

Qādiriyya, sa voie spirituelle, comme ce fut le cas au moment de l’occupation de

Kankan.260

En revanche, il modéra son caractère rigoureux vers la fin de sa vie, ayant

acquis une grande maturité spirituelle et intellectuelle. Il devint plus souple et plus

tolérant avec les animistes vaincus. Son biographe Khalil Fofana rapporte : « Par

ailleurs l’Almami s’était fait plus souple quant à la pratique de l’islam. Les peules

soumis n’étaient plus inquiétés dans leurs pratiques animistes. L’Empire a pu

connaître encore deux bonnes années de vie normale (1895-1897 » 261.

Ce qui nous interpelle dans l’histoire de ce soufi qādirī, ce sont les récits de

cruauté qui ont été rapportés par nos historiens à son sujet. Selon ceux-ci, Almami

décapita son beau-père suite à un problème familial non élucidé. Sa femme lui en

garda rancune et le manifesta en refusant de le suivre quand il fut capturé par les

colonisateurs. Selon les mêmes récits, il ordonnait également la décapitation des

vaincus et la cuisson de leurs têtes pour les exposer ensuite aux vautours.262

258 FOFANA Kalil, op. cit., p. 94. 259 A.N.M., n°250 I.E., Déportation et internement de Samory et ses fils, décès de Samory (1900-1905). 260 KONARE Alpha Oumar et BA Adam, op. cit., p.67. 261 FOFANA Kalil, op. cit., 114. 262 FOFANA Kalil, op., cit., p.72.

Page 130: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

129

Un soufi spirituellement accompli peut-il tout simplement se venger, voire être

aussi excessif dans sa vengeance ? Ces récits sont-ils crédibles ? Cette résistance

audacieuse et farouche, menée par les soufis contre le régime colonial dans la

deuxième moitié du XIXème siècle, se poursuivra également au XXème siècle sous

l’égide d’un guide spirituel, Zayn al-‘Ābidīn ibn Sīdī Muḥammad.

2.4. Zayn al-‘Ābidīn ibn Sīdī Muḥammad al-Kuntī (m. 1927), un qādirī

résistant

Zayn al-‘Ābidīn ibn Sīdī Muḥammad al-Kuntī est donc une autre figure de la

résistance. Son père était le petit-fils du fondateur de la Muẖtāriyya. Il est né dans le

village de Moussa Bango près de Tombouctou. La date de sa naissance fait l’objet

de divergences entre les historiens. Paul Marty propose 1848 comme l’année de sa

naissance,263 mais la date retenue par Attalio Gaudio est celle de 1850264. Quoi qu’il

en soit, ce soufi d’obédience qādirīe infligea à l’administration coloniale beaucoup

d’ennuis et de pertes.

Né dans une famille intellectuelle et enracinée dans le soufisme, il y reçut une

formation solide et avancée tant en sciences exotériques qu’en sciences ésotériques.

Il fut probablement initié par son père lui-même au soufisme dès son jeune âge.

Avec l’avènement de colonisateurs français, il se démarqua de sa tribu Kunta qui

accueillit favorablement l’administration coloniale. Il était fort nourri de haine et de

vengeance contre l’occupation française de la terre de ses ancêtres. Ceci est

expliqué, rapporte Paul Marty, par son contact supposé voire son affiliation à la

tarîqa Sanūsiyya connue pour son caractère anticolonial.265

A notre avis, il n’eut pas besoin de contacter la tarîqa Sanūsiyya pour s’opposer aux

colonisateurs, car la tendance générale de cette époque au Mali chez les soufis

263 MARTY Paul, op. cit., t.1, p.100. 264 GAUDIO Attilio, Les populations du Sahara occidental : histoire, vie et culture, Paris, éd. Karthala, 1993,

p.130. 265 Ibid. p.100

Page 131: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

130

consistait à ne pas se soumettre aux étrangers, notamment à ceux issus d’une

confession différente, voulant s’installer et diriger le pays.

Ce résistant infatigable organisa une puissante zāwiya et réussit à asseoir son

pouvoir spirituel dans tout le Sahara. Sa réputation de sainteté dépassa les limites du

Mali. Les récits des miracles qu’il accomplissait soutinrent auprès de la population

son caractère d’un résistant invincible, notamment sa capacité à provoquer

miraculeusement une pluie abondante pour inonder les champs des agriculteurs ou

pour semer des embûches devant les envahisseurs.

Zayn al-‘Ābidīn prépara psychologiquement ses disciples à la guerre sainte

contre la domination française. Pour mieux réussir sa mission, il s’efforça de

concilier les ennemis les plus farouches, notamment les tribus Chamba et Touareg,

les gagnant ainsi à sa cause, et constituant un front uni contre l’ennemi commun. Il

ne tarda pas à lancer son ǧihad contre les occupants de l’ancien Soudan français et

mena une guerre qui durera environ vingt ans, de 1892 à 1911.

La bataille la plus notoire qu’il conduisit fut celle de 1894. Il y combattit

farouchement les nouveaux occupants de Tombouctou, Klobb et Goldschen. A cette

occasion, il emporta une part considérable de butin, même s’il y perdit une

cinquantaine de ses vaillants disciples.266 Zayn al-‘Ābidīn livra également en 1897

une autre bataille implacable contre les colonisateurs. Il sema une panique terrible

dans le rang des ennemis au point que ces derniers prirent la fuite et se terrèrent à

Tombouctou. Il poursuivit les lieutenants Chevigné et Latour, combattants

colonisateurs jusqu’aux alentours de Tombouctou.267

Le guerrier soufi ne se résigna pas, et attendit que les circonstances

redeviennent propices pour poursuivre ses attaques contre les colonisateurs. C’est

ainsi qu’en 1909, il mena un autre combat meurtrier jugé inoubliable par

l’administration coloniale. Si 65 combattants de Zayn al-‘Ābidīn périrent dans cette

bataille, ils réussirent cependant à infliger aux colonisateurs réputés armés d’armes

266 MARTY, op. cit. t.I, p.103. 267 Ibid., p.103.

Page 132: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

131

les plus puissantes de l’époque une perte considérable : 16 tués dont le chef du

détachement militaire.

Le résistant qādirī, se sentant anéanti par la longue durée des combats, se retira

de cette scène d’affrontement avec l’administration française à partir de 1911, date à

laquelle se soumit aux Français bon nombre de ses guerriers, parmi lesquels son fils

Baba uld Zayn al-‘Ābidīn. Affaibli par l’âge, le cheikh préféra se confiner dans sa

zawiya et s’isoler de la vie tant agitée pour consacrer ses derniers temps à une vie

purement spirituelle, mais sans jamais faire acte de soumission ou reconnaître la

domination française. A cet égard, Marty rapporte : « Mais fera-t-il jamais sa

soumission ? Le colonel Klobb, quittant Tombouctou en 1899, disait : ‘‘La mort

seule nous délivrera d’Abdine’’ ».268

Le vieux soufi décéda en 1927 et les résistants animés par la continuation de

ǧihād de leur guide spirituel se retirèrent, après avoir été considérablement exténué

par la puissance coloniale.

A la fin de ce chapitre, nous pouvons dresser les caractéristiques communes de

ces résistants soufis.

- Insoumission et résistance contre les colonisateurs français

Tous les soufis susmentionnés, qu’ils soient d’obédience tiǧānīe ou qādirīe, étaient

décidés à s’opposer au projet colonial visant le pays et avaient opté pour une

résistance physique et armée. Au fil du temps, cette méthode, comme nous le

verrons, sera abandonnée au profit d’une autre méthode, moins hostile à l’égard de

l’administration coloniale.

- Volonté ardente d’instaurer un régime musulman

Nous avons explicitement vu que ces guides soufis disposaient tous d’un projet réel

d’instauration d’un Etat musulman . Certains d’entre eux concrétisèrent

268 MARTY Paul, op. cit. t.1, p.113.

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132

effectivement leur objectif pendant un long moment, avant d’être déstabilisés et

vaincus par les troupes coloniales françaises, comme le guide qādirī Samori Touré

et le tiǧānī Āmadu al-Ḥāǧ ‘Umar. Ils préconisèrent même, durant leur règne,

l’application la plus rigoureuse de la šarī‘a, en rendant obligatoire, par exemple, la

prière collective dans les mosquées, ṣalāt al-ǧamā‘a, et parfois en commettant des

erreurs évidentes, comme la contrainte des animistes à se convertir à l’islam.

- Quasi absence de tolérance vis-à-vis des non musulmans

Ces observations mettent aussi en évidence l’intolérance de ces guides soufis vis-à-

vis de leurs adversaires. La tolérance tant prônée par le soufisme ne fut pas mise en

œuvre pour traiter les adversaires vaincus. Nous avons évoqué plus haut avec

réserve les récits attribués à Almami Samori quant à la maltraitance des vaincus et

quant à sa cruauté absolument effarante.

Selon notre opinion, ces maîtres spirituels, étant tous d’obédience malékite ne

faisaient que mettre en pratique, de façon littérale, les textes du recueil malékite très

populaire à leur époque au Mali, à savoir Muẖtaṣar Ḫalīl, contenant un résumé

rédigé sur la jurisprudence de l’école malékite par l’érudit malékite Ḫalīl ibn Isḥāq

(m.1374). L’auteur y évoque sans ambages que l’envahisseur, quel qu’il soit, mérite

d’être attaqué et repoussé.269 Mais une nouvelle interprétation de ces textes

malékites émergera, nous le verrons, au fil du temps avec certains leaders spirituels.

Si ces guides soufis optèrent pour la résistance armée, il y en eut d’autres qui

choisirent une autre méthode de résistance, un voie pacifique et spirituelle.

269 IBN ISHAQ Ḫalīl Muẖtaṣar, Damas, éd. Dar fikr 1989, p.234.

Page 134: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

133

CHAPITRE II : APPARITION ET EMERGENCE DE NOUVELLES VOIES

SPIRITUELLES PENDANT LA PERIODE COLONIALE AU MALI

La période coloniale a connu, comme nous l’avons vu, des voies spirituelles plus ou

moins hostiles au projet colonial prétendant accomplir « une mission civilisatrice ».

Dans cette nouvelle phase, la résistance face à l’administration coloniale aura en

général un caractère moral et spirituel. Ce sera justement l’approche qui sera

adoptée par les nouveaux courants apparus au cours du vingtième siècle, le

Hamallisme, la Tarbiya et la Salafiyya. Penchons-nous en tout premier lieux sur le

Hamallisme, qui, selon l’ordre chronologique, précéda les deux autres courants au

Mali.

I- Le Hamallisme et la résistance pacifique face au colonialisme (1909-1943)

Le Hamallisme ou la Hamawiyya tire son nom de son fondateur. Mais ce nouveau

mouvement ne peut se comprendre sans élucider tout d’abord, la personnalité du

fondateur de cette nouvelle tarîqa, Hamallah. Par la suite, nous étudierons cette

nouvelle voie spirituelle et la forme de résistance pacifique qu’elle inspira face aux

colonisateurs.

1-cheikh Aḥmed Hamallah ibn ‘Umar (m. 1943)

Maintes études ont été consacrées à cette sommité religieuse et à sa voie spirituelle

selon des approches différentes. Selon certaines sources consultées, Cheikh

Hamallah est né à Kamba Sadio270 près de Nyamina, village situé au Mali à 200 km

de Bamako. Cependant certains auteurs avancent l’hypothèse selon laquelle

Hamallah serait né à Nioro du Sahel,271 ville malienne à 450 km de Bamako. Mais

270 DICKO Seïdina Oumar, Hamallah le protégé de Dieu, Paris, éd. Alboustane, 2002, p.57. cf. ULD TOLBA

Mohamed Yehdih « Les Confréries religieuses en Mauritanie, du spirituel au temporel », in Actes de 2002.,

http://archives-fig-st-die.cndp.fr/actes/actes_2002/tolba/article.htm (consulté le 15/3/2013)

p.34. cf. GOUILLY Alphonse, Islam dans l’Afrique occidentale française, Paris, éd. larose, 1952, p.135. 271 PIGA Adrina, Les voies du soufisme au sud du Sahara, Paris, éd. Karthala, 2006, p.193.

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134

la première hypothèse selon laquelle il est né à Kamba Sadio, est confortée par le

fait que les auteurs la défendant sont de la région, et que, de plus, ils ont mené des

enquêtes sur le terrain correspondant aux nôtres.272

Une controverse existe également quant à sa date de naissance. Selon les

résultats de nos enquêtes, il est né en 1881. Mais Paul Marty affirme que Hamallah

est né en 1886273 sans citer aucun argument pour conforter cette datation. Sa date de

naissance se situerait donc entre 1881 et 1886. Pour notre part, nous retiendrons l’an

1881 comme année de sa naissance, en nous fondant sur le cheikh Hamallah lui-

même, qui évoqua son âge devant plusieurs témoins crédibles et intègres, témoins

qui ont à leur tour confirmé ce fait à des chercheurs maliens dont Seïdina Oumar

Dicko.274

Quant à la formation religieuse de Hamallah, elle fut confiée à son oncle

Muḥammad uld Bouyé Aḥmed, dit Deh, qui lui apprit le Coran. Par la suite, il

étudia les sciences religieuses chez Moulaye Idriss de Banamba. Selon nos

informateurs, il abandonna tôt l’apprentissage des sciences exotériques, avant même

d’avoir atteint le niveau requis, pour se pencher sur les sciences ésotériques.275

Il était doué d’une intelligence remarquable. Aussi ses hagiographes rapportent-ils

qu’un saint du nom de Moulaye ’Abdullāh uld ’Abd al-Malik s’était rendu sous la

tente de son maître Deh pour voir Hamallah, réputé extrêmement intelligent.

L’ayant vu, il dit à son maître : « Tu n’as pas à apprendre à quelqu’un qui n’a pas

besoin d’apprendre pour connaître, renvoie-le chez son père.»276

Nous estimons que ce genre de discour hagiographique fut plus néfaste que

bénéfique pour le maître des hamallistes, car cela l’empêcha d’approfondir ses

connaissances exotériques auprès de savants des sciences religieuses. Par

conséquent, Adriana Piga en déduisit que Hamallah ne pouvait être placé dans la

272 Enquête de terrain, interview des hamallistes à Bamako le 10/10/09 273 MARTY Paul, op. cit., t. IV, p.219. 274 DICKO Seïdina Oumar, Hamallah le protégé de Dieu, Paris, éd. Alboustane, 2002, p.58. 275 Informations reçues du fils du muqaddam hamalliste Abū Bakr Fofana à la zâwiya hamalliste de Vitry dans

la région parisienne, le 11/02/2010. 276TRAORE Alioune, Islam et colonisation en Afrique : Cheikh Hamahoullah, homme de foi et résistant, Paris,

éd. Maisonneuve et Larose, 1983, p.61.

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135

lignée des grands marabouts lettrés, fondateurs de confréries et écrivains

prolifiques, comme cheikh ‘Umar Tal (m.1864) que nous avons étudié plus haut, ou

comme cheikh Aḥmadu Bamba (m.1927), fondateur de la tarîqa mouridiyya.277 En

effet, nous n’avons pas trouvé d’ouvrage attribué à Hamallah lui-même durant nos

enquêtes de terrain.

Boukary Savadogo confirme également que Hamallah n’a pas reçu de

formation de haut niveau, tout en affirmant que la seule formation qui lui est

reconnue, est celle qu’il aurait reçue auprès de son oncle Deh en Mauritanie. C’était

une formation de courte durée. 278 A ce sujet Paul Marty dit : « C’est un lettré mais

rien ne montre qu’il sera un grand savant. Il ne donne aucun enseignement, ni

coranique, ni supérieur ».279

En revanche, Alioune Traoré le range au nombre des grands savants en se

référant à la taille de sa bibliothèque personnelle qui comptait, dit-il, plus de 1500

volumes, puis il conclut : « Un homme dépourvu de culture ne pouvait disposer

d’une bibliothèque aussi importante. »280

Il est avéré que le savoir exotérique est une base indispensable à tout guide spirituel

pour mieux résoudre les difficultés d’ordre social et religieux de sa société. Le

fameux dicton soufi ne dit-il pas : « Tout soufi est faqīh et non l’inverse »281.

Hamallah n’ayant pas reçu une solide formation en sciences exotériques subira

beaucoup d’épreuves de la part de fuqahā’ de son époque, comme nous le verrons

avec la question de la prière abrégée, qaṣr al-ṣalāt. Si Hamallah ne reçut pas de

formation avancée en sciences exotériques, il fut cependant présenté comme une

sommité en sciences ésotériques. Sa première initiation à la voie spirituelle tiǧānīe

fut l’œuvre de son oncle Muḥammad uld Sherif. Par la suite, il renouvela son

attachement à la Tiǧāniyya auprès du maître spirituel de Nioro, Sherif al-Muẖtār.

277 PIGA Adrina, op. cit., p.122. 278 SAVADOGO Boukary, Confrérie et pouvoir. la Tijâniyya hamawiyya en Afrique de l’Ouest : 1909-1965,

Université de Provence, 1998, (dactylogr, Thèse 3e cycle, directeur : Jean-Louis Triaud), p. 220. 279 MARTY Paul, op. cit., t. IV, p. 220. 280 Ibid., p.61. 281 GEOFFROY Eric, Le soufisme en Egypte et en Syrie, sous les derniers Mamelouks et les premiers Ottomans :

orientations spirituelles et enjeux culturels, Damas, I.F.E.A.D., 1995, p.400.

Page 137: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

136

Cette tarîqa Tiǧāniyya à laquelle il s’affilia était une Tiǧāniyya umarienne, attribuée

à al-Ḥāǧ ‘Umar Tal étudié ci-dessus. Hamallah quittera, comme nous le verrons,

cette Tiǧāniyya umarienne pour prôner une réforme et un retour à la source

authentique de la Tiǧāniyya.

2-Le Hamallisme, une nouvelle tarîqa au Mali

C’est la rencontre du cheikh Sīdī Muḥammad Laẖḍar (m. 1909) qui eut un

impact considérable sur Hamallah et qui ébranla ses certitudes et bouleversa

radicalement sa conception spirituelle. Ce cheikh en provenance d’Algérie serait

arrivé en 1900 à Nioro, fief des hamallistes aujourd’hui, dans le but de promouvoir

la Tiǧāniyya, voie spirituelle qui était vouée au déclin en raison de la mort de son

propagateur principal al-Ḥāǧ ‘Umar Tal (m.1864).

Le cheikh de Nioro suivit les enseignements de son nouveau maître spirituel et

connut une ascension spirituelle très remarquable, à tel point que son guide spirituel

le désigna comme son successeur, en dépit de son jeune âge et malgré la présence

de grands disciples. A la mort de son cheikh algérien en 1909, Hamallah devint un

khalife et pratiqua un intense prosélytisme qui l’opposera non seulement à ses pairs

religieux mais aussi à l’administration coloniale 282. Que fut cette nouvelle tarîqa ?

Quelles sont ses caractéristiques ?

Dans un premier temps, le Hamallisme reposait sur les fondements et les

conditions de la Tiǧāniyya étudiée plus haut, sans aucune différence. Mais au fil du

temps, le Hamallisme va se dessiner, et s’approprier certaines spécificités que nous

évoquerons ci-après. Nous pouvons donc avancer que le Hamallisme n’est qu’une

branche confrérique et une ramification de la Tiǧāniyya qui a entrepris, selon son

fondateur, une réforme dans le sens d’un retour à l’orthodoxie.

282 BA Amadou Hampaté , Vie et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara, op. cit., p. 202.

Page 138: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

137

a- L’invocation de Ǧawharat al-kamāl : perle de perfection

La première distinction de la voie spirituelle de Hamallah concerne

l’invocation de la Perle de perfection, Ǧawharat al-kamāl. Cette invocation aurait

été inspirée, selon les tiǧānīs, d’une vision du prophète Muḥammad en état d’éveil

par cheikh Ahmed Tiǧānī, avec un ordre reçu de la réciter onze fois. Donc, le

nombre douze serait ainsi considéré comme une intrusion et une innovation des

disciples du fondateur de la voie. Selon les réformateurs, le retour à l’orthodoxie

exigerait la récitation par onze fois. Ce fut le discours prôné par cheikh Sīdī

Muḥammad Laẖḍar et, à la mort de celui-ci, repris par son disciple Hamallah.

Au Mali, la Ǧawharat al-kamāl constitue l’un des points les plus controversés

de la Tiǧāniyya malienne. Elle est à l’origine des dissensions internes de la

confrérie tiǧānīe. Les hamallistes la récitant onze fois ont été appelés « les onze

grains » ; et les autres tiǧānīs la récitant douze fois ont été dénommés « les douze

grains ». Mais selon nos enquêtes de terrain, la ferveur portée à ce chiffre n’est plus

aujourd’hui comme elle l’était jadis ; les « onze grains » et « les douze grains » ne

se disputent plus à cause du nombre de récitation de cette oraison. C’est plutôt la

tolérance qui règne aujourd’hui entre les anciens antagonistes.

Par ailleurs, en se reportant à la source authentique de la Tiǧāniyya « Ǧawāhir

al-ma‘ānī » rédigée sous le contrôle du cheikh Tiǧānī lui-même, la Perle de

perfection, Ǧawharat al-kamāl, doit être récitée onze fois.283 Ce chiffre y est

explicitement indiqué. Mais à l’arrivée du maître spirituel de Hamallah, Muḥammad

Laẖḍar au Mali, le nombre en vigueur était douze. Cheikh Hamallah, suivant son

nouveau guide, se réfère donc au bréviaire de la Tiǧāniyya «Ǧawāhir al-ma‘ānī ».

La nouvelle doctrine « Hamallisme ou Hamawiyya » fut attribuée au cheikh

Hamallah, parce qu’il donna une nouvelle impulsion à la Tiǧāniyya, comme le

souligne le philosophe et écrivain hamalliste Amadou Hampaté Bâ :

283 HARĀZIM ‘Ali, Ǧawāhir al-ma‘ānī wa bulūġ al-‘amānī fī fayḍ Abī al-‘Abbās al-Tiǧānī, Paris, éd.Dar Al-

bouraq, 2011, p.345.

Page 139: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

138

« Il arrive que dans la lignée d’une tarîqa apparaisse un maître spirituel hors du

commun, qui lui donne une nouvelle impulsion et introduit parfois une

innovation dans ses exercices spirituels, les disciples de ce maître donnent

dorénavant son nom à leur tarîqa bien que celle-ci demeure une émanation de

la tarîqa originelle, seul le nom changera. La plupart des voies spirituelles sont

en quelque sorte sorties les unes des autres »284.

Le Hamallisme prendra cependant, comme nous le verrons, un aspect très

différent, qui le distinguera des autres voies spirituelles, notamment lorsque le guide

suprême du Hamallisme subira des harcèlements de l’administration coloniale.

Nous pouvons tirer d’ailleurs certains éléments caractérisant la voie du shérif de

Nioro d’une interview que nous avons effectuée auprès d’un cheikh hamalliste qui

rencontra cheikh Hamallah lui-même à Dakar lors de sa déportation par

l’administration coloniale. Le fils du muqaddam hamalliste, Abū Bakr Fofana,

témoin oculaire de Hamallah, confirmait que ce dernier n’avait introduit aucune

innovation dans la Tiǧāniyya, mais qu’il la purifia :

« Nous sommes des tiǧānīs qui suivent la Tiǧāniyya pure et inaltérée,

Hamallah que j’ai eu la chance de rencontrer est notre guide spirituel. La

Tiǧāniyya orthodoxe dont nous nous réclamons a été prônée par notre maître

spirituel qui n’a fait que suivre scrupuleusement la voie d’Ahmad Tiǧānī.

Reportez-vous à l’ouvrage authentique de la tarîqa «Ǧawāhir al-ma‘ānī » pour

vérifier mes affirmations.»285.

Nous l’avons questionné pour connaître son point de vue quant aux allégations

émises par Alphonse Gouilly contre les hamallistes :

« Il est signalé que des messes noires sont en vogue depuis quelques temps. Les

hamallistes se réunissent en secret, hommes et femmes, pour chanter les litanies

d’Allah et celles de leur Cheikh. Ces réunions se terminent généralement par des

débauches sexuelles.» 286

Ce à quoi cheikh Abū Bakr Fofana répondit :

284 BA Amadou Hampate, Vie et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara, op. cit., p. 55. 285 Entretien avec le fils du muqaddam hamalliste, Abū Bakr Fofana à la zâwiya hamalliste de Vitry, dans la

région parisienne, le 11/02/2010. 286 GOUILLY Alphonse, L’islam dans l’Afrique Occidentale Française, Paris, éd. Larousse, 1952, p.160.

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139

« C’est une grave accusation à l’encontre des sincères hamallistes. Je vous réaffirme

que ce sont des diffamations contre notre voie spirituelle, si, à un moment donné, un

groupuscule se revendiquant du Hamallisme à tort, commettait ceci, cependant leur

appartenance à la voie n’était pas établie. Comment peut-on imaginer qu’un disciple

du Cheikh Hamallah moralement et spirituellement bien formé, puisse se permettre

de commettre ce genre de péché ! »

-Le même auteur vous attribue ce qu’il appelle « la prière hurlée » :

« Les vieilles confréries s’offensent soudain de voir les hamallistes pratiquer ce

qu’on a appelé la « prière hurlée ». Cette ostentation à hurler la prière, ou plutôt à

psalmodier des litanies avec balancements rythmiques du corps, pouvait à coup sûr

offenser des oreilles délicates »287.

Qu’en pensez-vous ? Le cheikh hamalliste répondit :

« Je ne nie pas l’existence de l’excès de certains hamallistes, mais ce n’est pas

l’image générale que l’on doit se faire du Hamallisme. La récitation de wird à haute

voix n’est pas prohibée, elle est plutôt souhaitée.»

Alphonse Gouilly vous attribue également le renversement de la qibla (direction de

la prière) :

« Vers 1935, les hamallistes du Soudan ‘‘Mali’’se prirent à faire oraison tournés

vers l’Ouest, c'est-à-dire dans une direction radicalement opposée à la Mecque, ils

prient tournés vers Nioro, appelée la Mecque du Hamallisme.»288

Cheikh Abū Bakr, que pourrez-vous dire sur ce point évoqué également dans son

ouvrage ?

« Le renversement de qibla est une grave erreur faite par certains hamallistes à un

moment donné. Ils étaient considérés comme hérétiques. Ceci n’a pas duré,

beaucoup d’entre eux ont rejoint la majorité hamalliste conservatrice.»

287 Op. cit., p.159. 288 Op. cit., p.156.

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140

-Gouilly a également évoqué la šahāda abrégée des hamallistes :

« En 1942, alors que les adeptes du Hamallisme sont sans nouvelles de leur cheikh,

on enregistre une nouvelle pratique, celle de l’abréviation de la profession de foi, en

arabe : šahāda. Au lieu de réciter, comme il est de règle : Il n’est de divinité autre

que Dieu, et Mahomet est l’envoyé de Dieu, les hamallistes s’en tiennent au premier

membre de la phrase : Il n’est de divinité autre que Dieu, à quoi ils ajoutent parfois :

et notre cheikh est Hamallah.» 289

Fils du muqaddam hamalliste, quel est votre point de vue sur la šahāda abrégée ?

« J’avoue que certains hamallistes profèrent cette šahāda que vous appelez

‘‘abrégée’’. Je ne vois pas d’inconvénient à la prononcer. Pour nous, elle n’est pas

abrégée, car sous sa forme que vous appelez ‘‘complète’’ la šahāda ne se rencontre

nulle part dans le Coran. On n’y trouve le plus souvent que la première proposition :

Il n’est de divinité autre que Dieu ; la seconde : Muḥammad est l’envoyé de Dieu,

ne lui est jamais juxtaposée. Cependant il n’y a aucun hamalliste qui nie la

prophétie de Muḥammad.»290

Enfin, nous pouvons aisément comprendre que cet administrateur colonial,

Gouilly, manquait d’objectivité dans son analyse sur le Hamallisme. Voulait-il à

tout prix discréditer les hamallistes en généralisant ce genre de discours inexact à

leur égard ? Un autre élément qui distingue le hamallisme repose sur la récitation de

la prière ouvrante, ṣalāt al-fātiḥ de façon croissante et élevée.

b- Récitation croissante de la prière ouvrante, ṣalāt al-fātiḥ

Si ce vieux hamalliste, témoin oculaire de Hamallah, nous a livré des informations

originales sur la voie du Chérif de Nioro, nous avons également eu accès à une

missive écrite par Hamallah lui-même. Il l’écrit en guise de réponse à des questions

qui lui furent posées par les expéditeurs Sīdī Muḥammad al-Ṭāhir et Muḥammad

Sadīd concernant sa voie spirituelle :

289 Ibid., p. 156. 290 Entretien avec le fils du muqaddam hamalliste Abubakr Fofana à la zâwiya hamalliste de Vitry (région

parisienne), le 11/02/2010.

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« Ce message émane d’Ahmed Hamallah à Sīdī Muḥammad al-Ṭāhir et à

Muḥammad Sadīd. Que Dieu vous accorde le salut éternel. Nous avons reçu

votre missive dans laquelle vous posez des questions pour être éclairés sur

notre tarîqa. Sachez que la condition primordiale de notre voie spirituelle

repose sur notre wird qui doit être exclusivement adopté sans associer d’autre

wird. Et quiconque viole cette règle subira des conséquences gravissimes et

périra inéluctablement ; que Dieu nous en préserve. Concernant la ṣalāt al-

fātiḥ, elle est constituée du nom de Dieu le plus sublime. Elle doit être récitée

matin et soir 500 fois. Et progressivement elle atteindra le nombre de mille fois

le matin et mille fois le soir. Tout aspirant qui y tiendra réussira le bonheur

divin d’ici-bas et celui de l’au-delà » 291

Cette lettre concise envoyée pour expliquer certains aspects de la tarîqa de

Hamallah confirme deux choses :

- La condition imposée par la Tiǧāniyya d’exclure toute autre affiliation.

- L’accent mis sur l’importance de la prière ouvrante, ṣalāt al-fātih.

Il s’avère donc que le nombre demandé pour la récitation du wird constitue ici

une réelle distinction. Car dans la Tiǧāniyya, nous l’avons vu, la prière ouvrante est

récitée 50 ou 100 fois. Mais le Hamallisme dépasse ce chiffre et incite ses adeptes à

adopter un nombre plus élevé de manière progressive, de 500 à 2000 fois par jour.

Nous constatons également que Hamallah n’évoque pas dans sa missive la question

de la Perle de perfection, Ǧawharat al-kamāl, question épineuse la plus

controversée qui avait semé la discorde dans le rang des tiǧānīs maliens. Ce serait

pour des raisons pédagogiques, nous semble-t-il.

Si la plupart des soufis maliens optèrent pour la résistance armée contre les

colonisateurs, cheikh Hamallah en décida autrement en résistant pacifiquement face

aux colonisateurs français.

291 HAMALLAH Aḥmad bn Umar, Risāla , ms., n° 6611, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, , fol.1. Traduction

personnelle.

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142

3. La résistance pacifique du cheikh Hamallah face à l’administration

coloniale

Le cheikh de Nioro prit ses distances avec les administrateurs coloniaux. Il ne les

fréquentait pas comme le faisaient ses contemporains, guides soufis. Cette attitude

suscita chez les colonisateurs la méfiance envers ce dernier. La neutralité du

comportement de Hamallah ne suffit pas pour échapper à la persécution de

l’autorité coloniale. Car tout guide spirituel qui ne collaborait pas avec eux était

perçu comme un danger potentiel.

En revanche, ceux qui collaboraient avec le régime colonial jouissaient de sa

protection et d’avantages matériels. Ils se voyaient même inviter lors de fêtes

françaises au même titre que les personnalités officielles. Cette politique coloniale

divisa les guides spirituels et réussit à rallier à leur cause plusieurs sommités

religieuses du pays. Il est indubitable que cette attitude de réserve adoptée par

Hamallah lui attira la grande confiance des indigènes. Son charisme et son prestige,

dû à son origine chérifienne, ainsi que sa réticence pacifique envers les

colonisateurs lui conféraient plus de crédit et de confiance aux yeux des siens. Mais

se sentant gênés par la montée en réputation de sainteté de Hamallah, ses rivaux

dénoncèrent sa nouvelle tarîqa à l’administration coloniale, en la présentant comme

une voie spirituelle hostile et antifrançaise.

Alphonse Gouilly rapporte que certains marabouts s’acharnèrent contre

Hamallah, déclarant à Bamako en 1937 devant la foule convoquée par le

commandant de cercle :

« Nous demandons à tous de ne pas écouter les sollicitations intéressées des

marabouts envoyés par cheikh Hamallah qui essaie depuis quelque temps de jeter le

trouble dans l’esprit musulman.»292

292 GOUILLY Alphonse, op. cit., 1952, p.42.

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143

Afin de mieux cerner les phases de confrontation de Hamallah et des hamallistes

avec l’administration coloniale, nous allons étudier, successivement cinq points :

- L’nternement de Hamallah à Mederdra (1926)

- L’incarcération de Hamallah à Adzopé (1930)

- La question de la prière abrégée de Hamallah après son retour à Nioro (1936)

- Le fratricide de Nioro-Assaba (1940)

- L’arrestation et l’exil de Hamallah en France (1941-1943)

3.1. Internement de Hamallah à Mederdra (1926)

L’année 1924 marqua le début du calvaire du cheikh Hamallah. Ses adeptes

entrèrent en opposition avec les disciples de la Tiǧāniyya umarienne dite « douze

grains ». Cette divergence évolua jusqu’à avoir des conséquences graves. Hamallah

fut convoqué par le gouverneur de Bamako, Terrasson de Fougères (m.1931), et fut

considéré comme le cerveau organisateur de cet incident. Le biographe de

Hamallah, Alioune Traoré rapporte le débat qui se déroula entre les deux hommes :

- « Tu es brave homme, lui dit-on, mais tes disciples sont turbulents, le

gouverneur général a décidé de t’exiler, je ne sais pas où tu iras, tout ce que je

peux te dire, c’est que tu ne verras pas ta famille ; tu indiqueras parmi tes

femmes celle que tu préfères comme compagne d’exil, et je la ferai venir ; je

n’admets ni réplique ni explication, j’ai dit aussi vrai que je m’appelle

Terrasson de Fougères, gouverneur de tout le Soudan. »l

Le marabout eut cependant le courage de répondre :

« Je paie mes impôts, je rachète mes prestations, je ne fais aucune espèce de

propagande, ni orale ni écrite, et je n’ai pas sur la conscience un seul acte

d’hostilité à l’égard de la France, et de ses représentants, si tu en connais, cite-

le moi, et je suis prêt à subir ta sentence, si ma culpabilité est démontrée ».

- « Tes enfants ne sont pas allés à l’école française ».

- « Mes enfants sont tous petits monsieur le Gouverneur, pour le moment, je

leur apprends le Coran comme je l’ai moi-même appris lorsque j’avais leur

âge ; plus tard ils pourront aller à l’école française, cependant, si tu désires qu’à

tout prix ils y aillent, tu n’as qu’à les prendre, je te les abandonne ».

- « Et puis tu as tort de t’abstenir de toute intervention auprès de tes talibés, si

turbulents et si querelleurs, ils troublent l’ordre public ».

Page 145: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

144

- « Monsieur le Gouverneur, j’ai déjà dit que je ne fais aucune espèce de

propagande. Tu es la personnification de l’autorité et tu as une armée, mais je

n’ai que mon chapelet, quand j’ai payé mon impôt et rempli toutes les

obligations imposées à un sujet, mon rôle est terminé. Je n’ai pas à m’occuper

de ceux qui troublent l’ordre public, ne serait-ce que pour ne pas empiéter sur

tes attributions ; d’ailleurs tu m’as jamais demandé d’intervenir auprès de

n’importe quel musulman dans aucune circonstance, désigne mes disciples qui

troublent l’ordre public ».

- « La conversation a assez duré, retourne à Bamako où tu es descendu, je te

ferai appeler lorsque j’aurai besoin de toi.»293

Nous constatons que Hamallah, lors de cette rencontre, s’est totalement soumis

à l’administrateur colonial dans ses réponses pour éviter une éventuelle

incarcération. Mais l’attitude d’indifférence et de non collaboration qu’il manifestait

suffisaient à le rendre coupable. Un complot semblait être ourdi pour l’éloigner de

sa zone d’influence. Son internement en Mauritanie pour une période de dix ans

était d’ores et déjà envisagé par l’administrateur colonial Terrasson de Fougères,

qui écrivit ceci à son supérieur :

« J’ai l’honneur de proposer au gouverneur général en conseil de

gouvernement l’internement du nommé Hamalla uld Mohammedu uld Seydou

Umar dit Chérif Hamallah marabout domicilié à Nioro, Soudan français. Cet

indigène a su, par son mysticisme et ses adroites pratiques, acquérir une

influence considérable non seulement parmi les tribus maures du Sahel et les

populations noires du Soudan, mais encore en Mauritanie, au Sénégal, en

Haute Guinée, et au Nigeria.

Hamallah s’immisce maintenant dans les affaires du pays et sa main se trouve à

l’origine de tous les incidents fâcheux qui se sont déroulés au cours de ces neuf

dernières années à l’Ouest. En juin 1924, une bagarre éclata à Nioro, entre les

parties d’al-Hajj Umar et les partisans de Hamllah, il fallut l’intervention

personnelle du commandant de cercle pour mettre fin au scandale. Hamallah

entreprit une lutte sans merci contre le marabout Tinouajiou Fah uld cheikh

Mohammed Elmehdi. La tribu Laghlal, affiliée à Hamallah, provoqua et

assaillit dans un but uniquement religieux la tribu Tinouajiou avec laquelle le

Chérif avait eu maille à partir. Au sujet du marabout Fah uld Cheikh

Mohammed Elmehdi, quatorze faits de vol, pillage et meurtre furent commis.

Hamallah, qui pouvait tout arrêter d’un mot, n’intervint pas et laissa faire, enfin

Hamallah, qui continue à nous ignorer et ne nous a pas donné un seul

293 TRAORE Alioune, Islam et colonisation en Afrique, op. cit., p. 132.

Page 146: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

145

témoignage de loyalisme même pendant la période de guerre, cherche à attirer

nos agents indigènes et à les détourner de leur devoir.

C’est pourquoi j’ai l’honneur de vous proposer contre cet indigène la peine de

l’internement prévue par l’article 22 du décret du 15 novembre 1924, cette

mesure apparaît à mon sens comme la plus efficace pour faire cesser une

agitation religieuse qui n’a que trop duré pour empêcher l’expansion d’une

secte très combative et hostile à nos actions, pour punir des ingérences

coupables dans les affaires du pays. Si vous partagez cette manière de voir, je

vous serais reconnaissant de bien vouloir revêtir de votre signature le projet

d’arrêté ci-joint portant condamnation à dix ans d’internement à Mederdra

(Mauritanie) contre le nommé Hamalla uld Mohammedu uld Seydou Umar dit

Chérif Hamallah. Signature : Terrasson de Fougères » 294

L’internement de cheikh Hamallah fut autorisé par le gouverneur général. Le

guide spirituel de Nioro quitta donc son fief pour cette première aventure qui ne

sera pas malheureusement la dernière. Il arriva au mois de juillet 1926 à Mederdra

en Mauritanie où il dut purger sa peine. Dans cette ville mauritanienne, cheikh

Hamallah se fit des nouveaux adeptes et réussit à convaincre les disciples des autres

confréries soufies d’adhérer à sa cause. Il était perçu aux yeux des habitants de

Medredra comme un véritable guide spirituel, insoumis aux volontés de

l’administration coloniale.

De nouveaux heurts entre les disciples hamallistes et ceux de la Tiǧāniyya

umarienne ne tardèrent pas à survenir. Dans la ville de Keadi en Mauritanie, des

querelles partisanes opposèrent les deux tendances soufies en février 1930. Le

chérif de Nioro fut tenu à nouveau pour responsable moral de cet incident. Le

régime colonial décida cette fois-ci de l’éloigner de la terre musulmane. Le choix de

l’administrateur colonial pour ce nouvel internement se porta sur la ville Adzopé,

une localité en Côte d’Ivoire majoritairement animiste.

294 A.N.M. n°142. 4E Politique musulmane, 1918-1960.

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146

3.2. Incarcération de Hamallah à Adzopé (1930)

Les évènements douloureux survenus à Kaédi entre les adeptes de Hamallah et

les disciples umariens conduisirent l’administration coloniale à prendre une position

décisive : « Le nommé Hamallah uld Mohamedu uld Seydna ‘Umar dit Chérif

Hamallah originaire de Nioro, Soudan français, interné à Méderdra en Mauritanie,

pour une période de dix années en vertu des dispositions de l’arrêté du 28 novembre

1925, sera transféré en Côte d’Ivoire pour y subir le restant de sa peine dans un

centre fétichiste qui sera désigné par le lieutenant-gouverneur de cette colonie.»295

En raison de cet arrêté, cheikh Hamallah dut quitter Mederdra pour purger le

reste de sa peine de dix ans à Adzopé, où il arriva en avril 1930. Cette fois-ci les

conditions de sa détention furent durcies, son contact avec les habitants était

étroitement surveillé et restreint. Hamallah sut exploiter le peu de liberté qui lui

était accordée vers la fin de sa peine de dix ans en accroissant son action de

prosélytisme. Cette œuvre s’avéra fructueuse, car il réussit à convertir un nombre

considérable d’animistes à l’islam et plus particulièrement à sa voie spirituelle des

« onze grains »296. Cette période se révéla comme la plus éprouvante pour le chérif

de Nioro. Car il apprit durant son séjour à Adzopé la triste nouvelle du décès de sa

mère et de son frère. Avant sa libération en janvier 1936, il entama la prière

abrégée, salat al-qaṣr qui n’était pratiquée que par les combattants de la foi,

muǧāhidīn, et plus tard par les voyageurs.

3.3. Question de la prière abrégée de Hamallah après son retour à Nioro

(1936) :

Hamallah, une fois libéré de sa détention à Adzopé, regagna son fief en janvier

1936. Mais sa nouvelle attitude surprit les habitants de Nioro. Ils constatèrent que le

Chérif de Nioro abrégeait ses prières. Pour justifier cette nouvelle pratique, ce

dernier déclara qu’il se fondait sur le verset coranique suivant :

295 A.N.M, n°0808. 4E Politique musulmane, 1918-1960. 296 TRAORE Alioune, op.cit., 1983, p.151.

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« Si vous courez le pays, il n’y aura aucun péché d’abréger vos prières, si vous

craignez que les infidèles ne vous surprennent ; les infidèles sont vos ennemis

déclarés. »297

Il est évident que cette pratique ne pouvait passer inaperçue auprès des

fuqahā’ (savants du droit musulman). C’est ainsi que Hamallah fit l’objet de

l’interpellation d’un faqīh, lui disant : « Quelles sont les raisons juridiques te

permettant d’abréger ta prière ? » « Avant je priais comme tout le monde, mais les

Blancs m’ont exilé en Côte d’Ivoire. Là j’ai commencé à diviser les prières ; on m’a

fait revenir à Nioro mais je ne suis pas encore libre, un jour ou l’autre, les mêmes

Blancs pourront peut-être me mettre à mort. Je ne peux donc abandonner ma

nouvelle façon de prier.»298.

Il est à constater que le cheikh, dans sa justification, détache le verset de son

contexte habituel et lui donne une interprétation particulière. La jurisprudence

musulmane permet-elle une telle attitude ? Quelle était la réaction des fuqahā’

contemporains de Hamalla ?

Cette pratique de la prière abrégée, adoptée par Hamallah, créa une véritable

controverse religieuse. Le grand faqīh Muḥammad Dukuré, muqqadam hamalliste

de Mourdian entra en opposition avec son maître spirituel et condamna la pratique

de la prière abrégée de Hamallah. Il finit par quitter le Hamallisme et produisit dans

ce sens des poèmes contestant la légitimité de la pratique de son ancien cheikh.299

Un autre faqīh, contemporain de Hamallah, appelé Muḥammad ibn Sulaym,

répliqua farouchement à l’interprétation de Hamallah et lui envoya un pamphlet

poétique composé de 53 vers, non seulement pour réfuter cette question précise (la

prière abrégée) mais aussi pour attaquer sa voie spirituelle. En voici un extrait :

297 Coran : 4,102. 298 TRAORE Alioune, Islam et colonisation en Afrique. op. cit., p.153. 299 Entretien effectué à Koro avec Abdullah Doumbia, professeur d’arabe, le 20/1/2012. Il m’a confirmé avoir lu

le manuscrit du cheikh Dukuré dans une biblithèque privée à Baraouély (Ségou) où il enseigne.

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148

« La voie de Hamallah n’est qu’un pur mensonge fondé sur la rupture et la

séparation des frères. Elle sème la zizanie, la mésentente et l’animosité entre

les coreligionnaires. Le Prophète prédit qu’à la fin des temps apparaîtront des

antéchrists induisant les musulmans à l’égarement et à l’erreur évidente. En

effet, Hamallah ne représente que l’un d’eux. Il prétendit avoir vu le Prophète,

c’est certes une illusion et une dérision. Louange à Dieu qui nous a épargné

d’être égarés de son droit chemin.»300

Nous avons également eu accès à un manuscrit d’un cheikh contemporain de

Hamallah, un faqīh nommé Sīdī Muḥammad ibn ‘Ābidīn. Celui-ci envoya une lettre

respectueuse et bien argumentée à Hamallah pour l’éclairer sur sa prière abrégée :

« Après mes meilleures salutations adressées à notre éminent cheikh Hamallah.

Sache que la simple peur ne justifie pas l’abrègement de la ṣalat. Car je me suis

reporté à nos références religieuses les plus authentiques pour retrouver votre

pratique, mais aucune phrase voire aucun mot ne la mentionne. Voici les

références que j’ai recherchées pour vous les présenter : Pour l’exégèse du

Coran : Tafsīr al-Ṭabarī, Tafsī al-Ḫāzin, Tafsīr al-Nasafī, Aḥkām al-Qur’ān

Ibn al-‘Arabī, al-Durru al-Manṯūr Suyūṭī, Rūḥ al-Ma‘ānī Alūsī, et al-Tafsīr al-

Kabīr Faẖr Dīn al-Rāzī. Concernant l’exégèse du hadith et le fiqh : le recueil

de notre imam, Mālik, Muwaṭṭa’, Kitāb al-Zarqānī, al-Muntaqā al-Bāǧī,

Tanwīr al-Ḥawālik Suyūṭī, Fatḥ al-Bārī šarḥ ṣaḥīḥ al-Buẖārī Ibn Ḥaǧar, et

Minhāǧ imam Muslim. Toutes ces références citées, unanimement reconnues

dans notre société, n’ont, nulle part, évoqué votre manière de comprendre.

C’est pour toutes ces raisons que je vous invite à normaliser votre ṣalāt ; que

Dieu nous guide sur son droit chemin ». 301

Sous le même prétexte, Hamallah n’assistait pas non plus à la ṣalāt al-ǧum‘a

(prière du vendredi). La majorité de ses disciples de nos jours ne l’observe pas non

plus selon nos enquêtes de terrain. Nous avons interrogé plusieurs hamallistes à ce

sujet, mais ils n’avancèrent aucun argument juridiquement convaincant, ils

répondirent : « Nous ferons la ṣalāt al-ǧum‘a après le retour de notre cheikh

Hamallah ; mais pourquoi s’intéresser à cette obligation et délaisser les autres

obligations les plus importantes, comme la purification du cœur ? »302.

300 MUḤAMMAD Yaḥyā Ibn Sulaym, Qaṣīdat ḏamm al-ḥamawiyya wa atbā‘ihā, ms., n° 5118,

I.H.E.R.I.A.B,Tombouctou, fol.1. Traduction personnelle. 301 SĪDĪ Muḥammad ’ibn ‘Ābidīn, Risālah, ms., n° 5915, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, fol.1. Traduction

personnelle. 302 Entretien avec les dix hamallistes dont l’imam de la zawiaya Muḥammad Garé et le fils du muqaddam

hamalliste Abū Bakr Fofana, à la zâwiya de vitry dans la région parisienne, le 11/02/2010.

Page 150: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

149

La question que nous avons posée suite à leur réponse est pourquoi ne pas combiner

les deux à la fois, (ṣalāt al-ǧum‘a et la purification du cœur) mais celle-ci resta sans

réponse.

Si certains ulémas conseillèrent sagement ou brutalement cheikh Hamallah de

renoncer à sa prière anormale, cependant certains de ses rivaux en profitèrent et

montèrent l’administration coloniale de nouveau contre le guide suprême du

Hamallisme, en indiquant que les hamallistes sont en préparation préalable de ǧihād

contre la France. Car l’abrègement de la prière fut révélé lors du ǧihād.

Le régime colonial, après avoir été convaincu, sans se donner la peine d’approfondir

son enquête, considéra cette nouvelle pratique de Hamallah comme une menace

évidente et indiscutable contre la France. Il estimait que le cheikh de Nioro voulait

armer psychologiquement ses adeptes par cette pratique, afin de mener une guerre

implacable et sans merci contre les nouveaux dirigeants du pays.

C’est dans cette circonstance que le Shérif de Nioro fut convoqué par le

commandant de cercle de Nioro et interpellé : « Pourquoi abrèges-tu tes prières ?

Pourquoi tiens-tu à te singulariser en abrégeant ta prière ? Te prends-tu maintenant

pour Prophète ? Gardant son calme Hamallah répondit : ‘‘Monsieur le Représentant

de la France, dites-moi s’il vous plait, combien de rak‘a, unité de la prière, sont

prescrites par la France ?’’ Surpris et vexé, l’administrateur français congédia sans

ménagement le marabout »303.

Nous constatons que l’administration coloniale ne voulut pas cette fois-ci

trancher sur une question relevant absolument du droit interne de la religion, pour

laquelle elle n’était aucunement compétente. Elle fit appel à un ennemi juré du

Hamallisme, Seydou Nour Tal (1880-1980), petit-fils du guide suprême de la

Tiǧāniyya « douze grains », dans le but de convaincre Hamallah de renoncer à sa

pratique abrégée de la ṣalāt. Hamallah voulant éviter une nouvelle incarcération se

soumit aux injonctions du guide spirituel de la Tiǧāniyya umarienne et renonça à la

303 TRAORE Alioune, op. cit., p.155.

Page 151: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

150

prière abrégée. Ses disciples le suivirent, et un calme éphémère régna de 1936 à

1940. Cette fois-ci ce furent les habitants eux-mêmes qui s’entretuèrent et

provoquèrent l’ire du régime colonial qui était d’ores et déjà aux aguets. Ces

combats fratricides sanglants eurent de graves conséquences sur le Hamallisme.

3.4. Fratricide de Nioro-Assaba (1940)

L’origine de ce fratricide est due à une question futile qui, nous le verrons,

occasionna l’internement définitif de Hamallah. D’après nos historiens, le fils aîné

de Hamallah, Baba Ṣaġīr, fut maltraité en 1938 à Akwawine, dans le cercle de

Nioro par une tribu, Tinouajiou, toujours réputée réfractaire au Hamallisme. Les

hamallistes préparèrent en catimini la vengeance du fils de leur guide spirituel. Ils

profitèrent de la démoralisation du régime colonial, affaibli par la défaite de la

deuxième guerre mondiale, pour mener une bataille farouche contre leurs ennemis.

Cet horrible carnage qui eut lieu en 1940 à Assaba, et connu sous le nom d’« affaire

Nioro-Assaba ».304

La tribu visée, tinouajiou eut lors de ce conflit fratricide et religieux une

centaine de victimes, et une perte de biens incalculable. Par la suite, le fils de

Hamallah, Baba Ṣaġīr, et ses partisans furent arrêtés aux motifs suivants : attentats

contre la sûreté de la colonie dans le but d’en troubler la paix intérieure et assassinat

d’un grand nombre de Tinouajiou.

Dès que Hamallah fut informé de ces évènements meurtriers sans précédent, il

fit parvenir une lettre à l’administrateur de Nioro pour condamner le massacre des

Tinouajiou :

« Au nom de Dieu clément et miséricordieux, salut au Prophète.

De Hamallah ibn Mohamed ibn Seydina Oumar, témoin de Dieu sur terre, qui

hait les choses proscrites par Dieu et son Prophète. Hamallah ne s’immisce pas

dans les choses défendues et ne participe jamais aux intrigues ou provoque des

bagarres. A plus forte raison qu’il ne soit l’instigateur ou l’auteur des incidents.

Que Dieu me préserve et m’écarte de pareilles intentions. Dieu sait que je n’ai

jamais participé à de pareils faits. Rien au monde ne me fera rentrer dans ces

304 Informations recueillies auprès du fils du muqaddam hamalliste Abū Bakr Fofana à la zâwiya hamalliste de

Vitry, dans la région parisienne, le 11/02/2010.

Page 152: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

151

voies, pas pour mes enfants, pas à cause de biens ni à cause de chefferie

quelconque. Dieu et son Prophète me suffisent. Ceux qui ont les mauvais

caractères et ne peuvent pas se dispenser des biens d’ici-bas, qui ont trop

d’affection pour leurs enfants, ne peuvent pas se suffire de Dieu. Je certifie que

Dieu est témoin de ce que j’avance.»305.

Cependant, en dépit de la lettre qu'il écrivit pour dénoncer ces tueries, étant donné

que ses adeptes et que ses deux enfants étaient impliqués dans ces évènements

horribles, la responsabilité morale lui en fut imputée par le régime colonial. En

effet, le régime colonial voyait l’affaire sous un autre angle :

« La manière dont les faits se sont déroulés indique déjà qu’il ne s’agit pas là

d’un pillage banal duquel sont coutumiers les Maures entre tribus ennemies.

L’acharnement et la cruauté dont ont fait preuve les agresseurs, leur volonté de

destruction totale de la tribu ennemie, ces livres saints déchirés et brûlés

trouvés sur les lieux mêmes du massacre et le fait que les agresseurs

appartiennent tous à la voie hamalliste à quelques rares exceptions, sont les

premiers éléments qui permettent de donner à cette affaire son sens véritable, et

pourtant d’en chercher la responsabilité profonde et lointaine. Cette affaire se

présente donc comme une affaire religieuse. Le fils du Cheikh Hamallah, chef

de confrérie, faisait la guerre sainte au nom de son père pour exterminer ses

ennemis réfractaires à la voie hamalliste ; ensuite les français seront leur

cible. »306.

L’administration coloniale punit sévèrement les protagonistes de ce carnage. Elle fit

fi de la lettre de Hamallah et assigna celui-ci de nouveau à dix ans d’internement en

Algérie, puis en France. Dans un rapport de l’administration coloniale, intitulé

«Cheikh Hamallah, l’agitateur soudanais », certains détails importants y sont

fournis. Nous lisons en particulier :

« Cheikh Hamallah, chef d’une secte musulmane du Soudan français a été le

propagandiste secret des incidents qui ont éclaté dans l’Assaba-Nioro en août

1940 et au cours desquels plusieurs tribus maures convaincues de l’impunité en

raison de notre défaite, pillèrent et massacrèrent des campements rivaux,

causant 170 victimes. Aucune inculpation positive n’ayant pu être retenue à la

charge de cheikh Hamallah, le Haut-Commissaire en A.O.F en accord avec le

Général Weygand, prononça contre lui une peine administrative de 10 ans

d’internement à subir dans une localité d’Afrique du Nord. Cheikh Hamallah

305 DICKO Seïdina Oumar, op. cit., p. 123. 306 A.N.M. 4E 4. Dossier Hamallah, rapport du lieutenant Rocaby, 1940. ff. 2-3.

Page 153: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

152

fut interné à Casseigne, département d’Oran où d’après des renseignements

fournis, il aurait continué d’exercer sur son entourage une influence néfaste.

Aussi à la fin de l’année 1942, le Secrétaire d’Etat aux Colonies, jugeant

inopportun son maintien en pays musulman a demandé au Ministère de

l’Intérieur d’envisager le transfert de l’agitateur soudanais en France.

Embarqué le 9 avril de l’année 1942 à Oran sur le vapeur Sidi Aïssa à

destination de Marseille, Cheikh Hamallah arriva le 12 avril et fut

immédiatement transféré à Vals-les-Bains »307

Ses disciples furent arrêtés et punis en fonction de leur implication dans cette guerre

fratricide selon l’administration coloniale. A cet égard S. Dicko souligne :

« Tous les hamallistes, furent parqués sur la place du Rag (actuelle place de la

République à Nioro) subdivisés en trois catégories : Groupe A, constitué

d’adeptes très influents, dix ans d'internement à Ansongo et Rharouss dans l'ex

Soudan-Français. Groupe B, constitué d’adeptes moins influents, cinq ans à

Ansongo et Rharous. Groupe C constitué d’adeptes modérés, comprenant les

vieillards, les femmes et les enfants, relaxés un jour après. La peine de mort a

été prononcée contre trente et une personnes, dont les deux fils de Hamallah.

L’exécution eut lieu le 11 novembre 1941 à Yelimani, au Mali. »308

Suite à ces événements, Hamallah fut définitivement éloigné non seulement du Mali

mais aussi du continent africain. Nous verrons cependant que Hamallah sera

disculpé dans les rapports ultérieurs par l’administration coloniale. Mais ce sera

après sa mort.

3.5. Arrestation et exil de Hamallah en France (1941-1943)

L’arrestation du Shérif de Nioro survint en juin 1941. Il fut déporté du Mali au

Sénégal, puis en Algérie et, enfin, il passa ses derniers jours de détention en France.

Les colonisateurs voulaient, après les évènements de Nioro-Assaba, éloigner

Hamallah définitivement de son fief. Cette fois-ci il partit pour ne jamais revenir à

Nioro. Hamallah ne purgea pas ses dix ans d’internement. Il passa moins d’un an en

Algérie, et par la suite, l’administration coloniale décida de l’écarter du continent

africain en l’envoyant en France, pour éradiquer définitivement son influence.

307 A.N.M, n° 259 AP/5, Cheikh Hamallah, l’agitateur soudanais, Rapport de la Direction Générale de la Sûreté

Nationale , 1918-1960.

308 DICKO Seïdina Oumar, Hamallah le protégé de Dieu, op cit. p.86.

Page 154: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

153

Arrivé en France, le guide suprême du Hamallisme tomba malade et fut hospitalisé

à Montluçon où il rendit l’âme le 16 janvier 1943.309

C’est aussi à Montluçon, qu’il fut inhumé dans le cimetière Est. La date du décès

du Shérif de Nioro fait l’objet de confusion. La date du 16 janvier figure sur l’acte

du décès, mais la plaque funéraire indique le 19 janvier comme date de sa mort.

Nous avons également vu cette dernière explicitement gravée sur sa tombe.310

Selon S. Dicko, la première date serait la date effective de son décès et la deuxième

celle de son inhumation.311

Soulignons que le décès du maître de Nioro ne fut porté à la connaissance de

ses adeptes que trois ans plus tard en 1945. Nous pouvons lire en effet, dans les

archives une circulaire adressée au Gouverneur Général de l’ancienne Afrique

Occidentale Française, en date du 7 juin 1945 portant le titre « Décès de Cheikh

Hamallah »

« J’ai l’honneur de vous transmettre ci-joint copie d’un rapport de la direction

de la Sureté Nationale qui vient de m’être adressé par le département et qui

établit le décès, à Montluçon au début de 1943, de Cheikh Hamallah. Je vous

prie de vouloir prendre les dispositions que vous jugez utiles pour que cette

nouvelle officielle soit portée à la connaissance des milieux hamallistes, afin de

couper court aux bruits divers qui ont circulé et qui circulent encore au sujet de

Hamallah. Vous voudrez bien me tenir informé des réactions de toutes sortes

que cette nouvelle pourra provoquer aussi bien dans les milieux hamallistes

eux-mêmes que dans les autres milieux musulmans de votre colonie. Signé

Cournarie.»312

Il importe de noter que cheikh Hamallah, selon la conception des hamallistes

maliens auprès de qui nous avons eu des entretiens, fut contraint de s’exiler en

France, mais sera de retour un jour pour diriger la communauté hamalliste. Pour

eux, l’hypothèse de sa mort est donc à bannir. A cet égard, les hamallistes maliens

sont hostiles à toute idée affirmant la mort de leur guide suprême. Leurs arguments

reposent sur les points suivants : 309 Voir Annexe B n° 1. 310 Voir Annexe C n° 1. 311 Op. cit., 109. 312 A.N.M n°259 AP/5, Décès de cheikh Hamallah, Circulaire du Gouverneur général de l’Afrique Occidentale

Française, le 7 juin 1945.

Page 155: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

154

- En partant en exil Hamallah confirma qu’il reviendrait un jour pour accomplir

sa mission.

- Sa mort a été déclarée en Guinée, alors que sa famille était au Mali. Pourquoi ne

pas annoncer la nouvelle de son décès aux personnes concernées ?

- Le médecin qui a rédigé l’acte de décès ne connaissait même pas Hamallah.

- Les dates données pour sa mort se contredisent, tandis que le document du

décès avance le 16 janvier 1943, la plaque funéraire propose le 19 janvier 1943.

- Tiémoko Diwara, l’instituteur ivoirien qui est déclaré avoir déposé sa dépouille

mortelle dans la tombe, ne l’avait jamais identifiée.

- Le retour de Hamallah n’est pas étranger à une certaine conception islamique ;

Hamallah serait de retour à l’instar du retour de Jésus et du Mahdī.313

En revanche, les intellectuels hamallistes comme A. H. Bâ affirmèrent sans

ambages la mort de leur maître spirituel Hamallah, en janvier 1943 :

« Le cycle de Mars, qui avait commencé en 1909, devait se terminer en 1945.

A cette date, depuis deux ans à peine, Chérif Hamallah reposera dans le

cimetière de Montluçon, mort des suites de sa déportation en janvier 1943. Le

docteur Charles Pidoux, qui devint plus tard notre ami, était à cette époque

incarcéré pour raisons politiques. Il y connut le Chérif Hamallah et nous fournit

un précieux témoignage sur la fin de la vie du Maître. C’est grâce à lui que

nous avons pu retrouver la tombe du Chérif à Montluçon ».314

Si nous n’avons pu rencontrer Amadou Hampâté Ba (m.1991) pour nous confirmer

avoir vu la personne qui témoigna du décès de Hamallah, cependant nous eûmes le

privilège de rencontrer un autre grand historien du Mali, Bakari Kamian qui déjeuna

également trois fois avec le même docteur Pidoux, codétenu de Hamallah. Il

rapporte ces mots édifiants :

« Je suis allé en personne à la rencontre de Bouyé, le seul enfant vivant du

cheikh Hamallah en 2003 à Nioro. Je me suis adressé à lui en disant :

‘‘Pourquoi ne croyez-vous pas à la mort de votre père Hamallah ?’’ Il me

répondit : ‘‘Parce qu’on n’a pas vu ses traces après sa mort prétendue, ni sa

canne ni sa bague ni rien.’’ Je lui ai dit : ‘‘Lorsque ton ennemi te tue, il tente

313Entretien avec Aba Oumar Maïga, le hamalliste, le 23/01/2010, à Bamako. 314 Bâ Amadou Hampate, Vie et enseignement de Tierno Bokar, op. cit., p.73, 86.

Page 156: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

155

indubitablement de faire disparaitre toutes tes traces.’’ Sinon, moi j’ai déjeuné

3 fois avec le docteur Pidoux, le codétenu de Hamallah, qui fut également

incarcéré par le gouvernement de Vichy. Ce dernier m’a clairement dit que

votre père est décédé »315.

Nous avons également rencontré des fidèles hamallistes en France, et plus

particulièrement dans la région parisienne. La grande majorité fréquente encore la

zāwiya de Vitry. Ils affirment reconnaître la mort de leur maître Hamallah, et se

rendent sur sa tombe à Montluçon. Le professeur Youssouf Tata Cissé, nous a

même affirmé avoir organisé des pèlerinages à Montluçon avec des fidèles

hamallistes.316

Le biographe du cheikh Hamallah, Alioune Traoré, donne également plusieurs

arguments pour le décès de Hamallah, entre autres :

« S’il était vivant, il aurait été libéré en 1951 puisqu’il était condamné à purger

une peine de dix ans d’internement à compter du 19 juin 1941. S’il avait pu

s’échapper et se mettre à l’abri quelque part sous d’autres cieux, il se serait

manifesté après la décolonisation de la Mauritanie et du Mali en 1960. Il aurait

pris contact avec sa famille. Enfin le Gouvernement français dont il était

l’illustre prisonnier, a annoncé officiellement sa mort en 1945. Il l’a confirmé

en 1964 et indiqué l’emplacement de sa tombe par la bouche du Général de

Gaulle lui-même »317.

Il est à remarquer donc que l’acceptation de la disparition de Hamallah constitue un

élément de particularité pour les intellectuels hamallistes et pour la communauté

hamalliste vivant en Europe loin du fief influent de Nioro.

Si l’administration coloniale tint cheikh Hamallah pour le cerveau organisateur

des incidents meurtriers dans l’ancien Soudan français, notamment le massacre de

Kaedi et celui d’Assaba, des rapports ultérieurs disculpèrent le Shérif de Nioro de

façon claire. Un extrait des archives maliennes datant de 1953 révèle ceci :

315 Entretien avec professeur Bakari Kamian à Bamako, le 24/07/2012. 316 Entretien avec le professeur, Youssouf Tata Cissé à Paris 1/4/2013. 317 TRAORE Alioune, op. cit., p.180.

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156

« Il est certain aujourd’hui que la responsabilité de Chérif Hamallah était moins

engagée dans les incidents de Nioro-Assaba qu’on ne l’a cru à l’époque. Le

Chérif a été en cette matière, comme précédemment au cours des incidents de

Kaedi, largement dépassé par des fractions qui ont vu l’occasion de satisfaire

de vieilles haines ou de vieux appétits. D’autre part poser le problème sur le

plan des ‘‘ abus du gouvernement Vichy’’ est une erreur totale. Il ne reste plus

qu’à considérer Hamallah comme premier résistant de l’Afrique et à demander

une médaille de la résistance à titre posthume. Le gouvernement avait à faire

face à des troubles sérieux mettant en péril l’ordre public. Les fils du Chérif ont

été pris les armes à la main et ont été fusillés. Même si à l’époque ils ne

faisaient que répondre à des attaques, cela ne constitue pas une excuse, étant

admis que les citoyens ne peuvent se faire justice eux-mêmes. »318.

Convaincus de l’innocence du Chérif de Nioro, les intellectuels hamallistes

n’hésitèrent pas à demander auprès de l’administration coloniale une sorte de

réparation et des dommages et intérêts pour le préjudice moral et physique

occasionné par la déportation et le décès de Hamallah. Nos archives contiennent

une motion datant de 1952 déposée par trois conseillers généraux hamallistes

Amadou Ba, Amadou Traore et Amadou Yattassaye, demandant une aide financière

auprès du régime colonial, pour la famille de Hamallah. L’extrait suivant nous

éclaire :

« Considérant qu’en juin 1941, le Chérif Hamallah a été injustement déporté,

que son fils aîné Baba et la majeure partie de sa famille ont été fusillés pour

réprimer une révolte pressentie par le gouvernement vichyste. Considérant que

le même gouvernement a donné l’ordre de raser la demeure du déporté

politique et que de ce fait le reste de sa famille demeure sans abri ni moyen de

subsistance. Considérant que lors de l’institution à Dakar du Tribunal

s’occupant des victimes de Vichy, l’affaire du Chérif Hamallah n’a pas été

évoquée, celui qu’on a injustement opprimé pour cette affaire ayant gardé une

certaine méfiance vis-à-vis de l’Administration. Considérant qu’il serait toute

justice que la France s’occupât de tous ses enfants sans discrimination raciale :

invitons le gouvernement à accorder un secours aux enfants mineurs du chérif

Hamallah : Sidi Tahar, Mohamedou uld Cheikhna et Aboubekrin laissés à la

charge de leur mère sans profession, ils vivent des modiques produits de la

‘‘Hedaya’’ que les fidèles adeptes accordent à leur maître religieux.»319

318 A.N.M., n° 1256/ 4E, Dossier du cheikh Hamallah, Politique musulmane. 1953. Voir Annexe B n° 4. 319 A.N.M, n° 259 AP/5, Motion déposée par les conseils généraux, le 8 novembre 1952. Voir Annexe B n°3.

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157

En réalité, le Hamallisme, comme nous le verrons dans la troisième partie de ce

travail, va retrouver son dynamisme après l’indépendance du Mali, et ses activités

actuelles sont en ascension remarquable. Nous retiendrons enfin que la réputation

de Hamallah et son influence reposaient essentiellement sur deux éléments :

- Le premier résidait dans sa résistance morale contre le régime colonial, son

indifférence et sa non collaboration avec ce dernier, au moment où la plupart de ses

pairs étaient soumis. Cette singularité a donc attiré l’attention de sa société. Les

profanes, eux-mêmes, le considéraient comme le vrai représentant de l’islam dans la

région.

-Le deuxième élément de sa réputation était son adoption d’une nouvelle pratique

« onze grains » au sein de la Tiǧāniyya malienne, pratique étrangère à l’ex-Soudan

français. Ceci suscita l’indignation des autres tiǧānīs « douze grains » de la région

qui considérèrent que Hamallah avait introduit une hérésie dans la société.

Il conviendrait de souligner maintenant les principaux points qui distinguent le

Hamallisme des autres voies spirituelles du Mali. Ces caractéristiques se résument

ainsi :

- L’exhortation au retour à la Tiǧāniyya originale.

- La récitation de la ǧawharat al-kamāl, Perle de perfection, 11 fois.

- L’incitation à réciter la prière ouvrante ṣalāt al-fātiḥ au-delà de cent fois.

- La récitation soutenue de lā-’ilāha illallāḥ, lors de funérailles et avant chaque

prière obligatoire, farīḍa. à haute voix.

- La non observation de la ṣalāt al-ǧum‘a par la majorité des hamallistes.

- La croyance au retour du guide spirituel disparu chez la majorité des

hamallistes.

- La résistance pacifique contre le régime colonial

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158

Si le Hamallisme se montra hostile au pouvoir colonial, sans toutefois s’en prendre

physiquement à lui, et fut par conséquent réprimé, un autre courant moins hostile,

appelé Tarbiya, apparut et enrichit le champ ésotérique du pays.

II- Tarbiya, une nouvelle tarîqa au Mali pendant la période coloniale

Comme précédemment, nous étudierons d’abord la personnalité de Māḥin

Muḥammad Haïdara, le fondateur ou plutôt l’importateur de cette tarîqa au Mali,

avant de mettre en évidence la quintessence de cette voie spirituelle et d’étudier sa

relation avec l’administration coloniale.

1. Cheikh Māḥin ibn Muḥammad ‘Arabī Haïdara (m.1991)

Selon nos enquêtes menées au siège de la tarîqa Tarbiya à Ségou, le guide

spirituel de la Tarbiya est né vers 1921 à Ségou. Cette vie riche de spiritualité

s’achèvera en 1991 à Ségou.320 Issu d’une famille conservatrice et intellectuelle,

cheikh Māḥin fit des études religieuses rudimentaires dans l’école coranique de son

père à Ségou en suivant également les pas de son grand-père, un érudit qui se

dénommait Sīdī Ibrāhim Haïdara. Après avoir acquis une solide formation

intellectuelle, il entreprit un voyage en Orient afin de se perfectionner davantage en

sciences religieuses. C’est ainsi qu’il visita le Nigéria, la Mecque et Médine. Il fut

grandement marqué par son séjour nigérian, où il rencontra cheikh Ahmed Tiǧānī,

homonyme du fondateur de la Tiǧāniyya, qui lui fit découvrir la voie ésotérique

appelée « Tarbiya » et l’initia ainsi à une nouvelle tarîqa spirituelle à laquelle il

s’adonna entièrement.

320Enquête de terrain à Ségou, le 26/08/2011.

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159

Animé du désir de saisir tout le secret de cette nouvelle voie, il se rendit au

Sénégal chez le fondateur même de la Tarbiya, Ibrāhīm Niass (m.1975).321 Une fois

sa formation ésotérique terminée, cheikh Niass le désigna comme son khalife au

Mali. Selon les informations recueillies auprès du cheik Ibrahim Thiam, petit-fils de

Muḥammad ‘Alī Thiam, le cheikh Niass lui-même visita Ségou trois fois pour

propulser davantage sa voie et épauler son khalife.322 C’est ainsi que la nouvelle

tarîqa, Tarbiya vit son essor au Mali après le retour du cheikh Māḥin au Mali dans

les années 50. Mais qu’est-ce que la Tarbiya ?

2. Tarbiya, ou voie de l’éducation spirituelle intensive

La tarbiya, sous l’égide du cheikh Māḥin, s’implanta dans les années 1950 au

Mali et précisément à Ségou. Le sens étymologique de la voie est fondamental pour

la compréhension de cette tarîqa. Littéralement, ce mot signifie « éducation » en

arabe. La Tarbiya est donc, selon nos enquêtes de terrain, une voie spirituelle qui

met un accent particulier sur l’éducation ésotérique de ses adeptes, en surveillant

strictement leurs actions et leurs paroles.

Nous pouvons également nous reporter à la définition énoncée par le fils du

propagateur de la Tarbiya au Mali, et actuel guide suprême de la voie, cheikh Munīr

Haïdara, afin de mieux cerner la tarîqa en question : « La Tarbiya se résume en

l’éducation et l’orientation des disciples vers la dévotion continuelle. Si la

Tiǧāniyya est une voie spirituelle accessible à tout disciple, cependant la Tarbiya est

une autre étape réservée aux élites de la Tiǧāniyya issues des douze grains. On y

accède après une éducation spirituelle très avancée, d’où son appellation ».323

321 Pour plus détails sur Ibrahim Niass, cf. Ousmane Kane, « Shaikh al-islam al-Hajj Ibrahim Niasse », in David

ROBINSON et Jean-Louis TRIAUD, (dir.), Le temps des marabouts : itinéraires et stratégies islamiques en

Afrique occidentale française, 1880-1960, Paris, éd. Karthala, 1997, pp.299-316.

322 Entretien avec cheikh Ibrahim Thiam à Ségou, le 25/8/2011. 323Entretien effectué auprès du guide suprême de la Tarbiya, Munīr Māḥin Haïdara, Ségou, le 26/8/2011.

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160

Nous pouvons aisément déduire de cette définition que la Tarbiya n’est qu’une

ramification de la Tiǧāniyya, qui a également pour piliers trois éléments essentiels :

les lāzim, waẓīfa, et taḥlīl, étudiés ci-dessus.324

En outre, l’adepte de la Tarbiya doit citer la Ǧawharat al-kamāl 12 fois. Ce dernier

point marque une différence majeure entre la Tarbiya et le Hamallisme, car ce

dernier, nous l’avons vu, exige seulement 11 fois pour la récitation de Ǧawharat al-

kamāl.

Il ressort également de cette définition que la tarîqa Tarbiya s’estime être

l’ultime degré dans l’ascension spirituelle de la Tiǧāniyya, compte tenu de

l’exercice intensif et de l’importance accordée à l’éducation du novice dans cette

tarîqa. Un autre point majeur, qui distingue cette tarîqa, est la prétention qu’un

adepte de la Tarbiya spirituellement accompli aura la capacité d’accéder à la vision

directe de Dieu en état d’éveil. Si la Tiǧāniyya mère se borne uniquement à la

possibilité de rencontrer physiquement le Prophète, sa ramification va plus loin, en

prétendant rendre possible la rencontre de Dieu, non pas à l’état onirique, mais en

état d’éveil. Cette croyance adoptée uniquement dans la Tarbiya ne cesse de faire

l’objet de tractations et d’oppositions auprès des autres confréries, et ceci depuis son

apparition au Mali et jusqu’à nos jours.

Pour accroître son influence et augmenter son audience, la Tarbiya instaura une

ziyāra annuelle qui se déroule le 20ème jour du mois ḏū al-qa‘da (11ème mois

lunaire) de chaque année au siège de la confrérie à Ségou. C’est un moment de

grande rencontre pour tous les adeptes intérieurs et extérieurs de la tarîqa, qui s’y

ruent avec des hadāyā (cadeaux pieux) afin de les offrir à leur cheikh et de

demander sa bénédiction, mais sans pouvoir le voir toutefois à cette occasion.

Il est à noter que le guide suprême de la Tarbiya était connu pour ses longues

durées de ẖalwa (retraite spirituelle). Il n’était visible qu’une fois par an. C’est à

l’occasion du mawlid (anniversaire de naissance du Prophète), qui marquait son

apparition annuelle pour rencontrer ses adeptes et leur concéder ses bénédictions.

324 Supra. p.66.

Page 162: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

161

Une fois mawlid terminé il se refugiait immédiatement dans sa ẖalwa jusqu’au

mawlid de l’année suivante.

Par ailleurs, quelle relation la Tarbiya entretenait-elle avec le régime colonial ?

Etait-elle tendue ou amicale ? Nous allons l’étudier.

3. Tarbiya et l’administration coloniale

D’après nos enquêtes de terrain, nous avons pu constater que la tarîqa Tarbiya

a su éviter le régime colonial et se mettre à l’écart, tout en axant son attention et ses

efforts sur la première caractéristique de la voie, à savoir éduquer ses adeptes de

façon permanente et intensive. L’instaurateur de la Tarbiya au Mali mit à son profit

l’expérience héritée de son grand-père en matière de relations avec le régime

colonial qui voulait freiner l’expansion de l’islam au Mali. Cet érudit de Ségou

connu sous le nom de « Niaro Karamogo » vécut lui aussi des épreuves terribles

sous le règne des colonisateurs français. Il connut dix ans d’internement dans les

prisons coloniales. Son prosélytisme incessant avait conduit la majeure partie des

villages aux alentours de Ségou à se convertir à l’islam. Ses actions prosélytes et

influentes le rendaient donc coupable aux yeux de l’administration coloniale.

Si la Tarbiya a connu moins de heurts avec l’administration coloniale, elle ne

fut cependant pas épargnée par des démêlés avec ses coreligionnaires. Cheikh

Māḥin, une fois rentré au Mali, en raison de cette nouvelle voie, fut confronté à sa

propre famille avant d’être banni par les autres confréries. Car les tenants de la

Tiǧāniyya umarienne, ou des « douze grains », virent en lui une source potentielle

de menace pour leur pouvoir spirituel. Ceci en dépit de la convergence générale que

l’on observe entre les deux voies spirituelles : Tiǧāniyya Tarbiya et Tiǧāniyya

umarienne.

La divergence serait due, nous semble-t-il, aux principes de la Tarbiya qui

consiste à affirmer que la Tarbiya est le stade suprême de la Tiǧāniyya et qu’elle est

un véritable pouvoir secret et unique de la Tiǧāniyya conduisant jusqu’à la vision

directe de Dieu. Ces allégations font toujours l’objet de critiques de la part des

hamallistes et des tiǧānīs umariens. Car ceux-ci se considèrent également comme

Page 163: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

162

les représentants de la Tiǧniyya originale et orthodoxe, celle qui n’a subi aucune

altération au cours de l’histoire.

La tarbiya, il faut le rappeler, réussit à se faire des adeptes au Mali, malgré son

implantation tardive dans le pays, mais son aire d’influence reste la quatrième

région du Mali (Ségou) où se trouve également son siège mère.

En conclusion, il ressort que la tarîqa Tarbiya se caractérise comme suit :

- Education intensive des adeptes sur le plan spirituel

- Revendication de l’accessibilité à la vision de Dieu en état d’éveil

- Incitation à des longues retraites spirituelles

- Prétention de détenir l’ultime secret de la Tiǧāniyya

Si certaines confréries soufies se sont heurtées sans dénier le principe de la

hiérarchie établie dans les voies spirituelles, nous allons voir maintenant apparaître

un courant qui sera non seulement opposé au régime colonial, mais qui se heurtera

encore à toutes les confréries en place, et qui devra mener un dur combat sur le plan

de l’idéologie.

III. Apparition de la Salafiyya au Mali, un courant anti-confrérique et

anticolonial

Ce courant anti-confrérique fit son apparition au Mali dans les années

quarante. Malgré l’ancienneté de ce courant qui se veut réformiste dans le monde

musulman, il s’implanta tardivement au Mali. Les étudiants maliens diplômés de la

prestigieuse Université d’al-’Azhar furent grandement influencés par les pensées du

réformiste égyptien Muḥammad ‘Abduh (m.1905). Par conséquent, ils ne

manquèrent pas de les transplanter au Mali. Par ailleurs, les pèlerins maliens, qui

furent influencés par le courant wahhabite lors de leur séjour en Arabie Saoudite,

importèrent également les pensées de Muḥammad ibn ‘Abd al-Wahhab (m.1792) à

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163

leur retour et les implantèrent dans le pays. Chacun de ces deux mouvements se

voulaient réformistes avec une légère différence dans la méthode de prosélytisme.

Si les jeunes réformistes universitaires avaient une certaine sagesse dans leur

prêche, les pèlerins wahhabites, cependant qui étaient eux dans la plupart des cas

insuffisamment instruits, tenaient des discours virulents et acerbes à l’égard de leurs

adversaires soufis. Ils furent tous dénommés « wahabiaw », c’est-à-dire « adeptes

du wahhabisme » dans la langue locale, terme qu’ils jugent péjoratif. Eux-mêmes se

nomment « sunnamogow, ou salafuw », « les gens de sunna ».

1. La Salafiyya et ses promoteurs au Mali

Les précurseurs de ce courant anti-confrérique au Mali sont nombreux. Les

plus connus sont, entre autres : Muḥammad Fodé Keita et Kabiné Kaba,

universitaires diplômés d’al-Azhar, Muḥammad Abd al-Qādir Dukuré, Yakoub

Kamara, Muḥammad Sanūsī, Ahmed Yatabare, et Morikè Mangané.325 Une fois

installés au Mali dans les années quarante, ils mirent en œuvre leur projet réformiste

en créant une association connue sous le nom de « Šubbān al-Muslimūn : Jeunes

Musulmans ». Ce mouvement, qui se présentait comme anti-confrérique, s’opposa à

toutes les confréries soufies. Il brandissait le drapeau de la purification de l’islam et

prônait le retour à l’orthodoxie première.

Ces jeunes fervents, firent nous semble-t-il, la même analyse sur les

confréries au sein de la société malienne qu’un auteur non musulman de leur

époque, Sicard Jules, lorsque celui-ci écrivait : « Le but des confréries qui, dès le

premier principe, était d’ordre exclusivement spirituel, se réduit aujourd’hui à

l’exploitation de la crédulité et du fanatisme par les chefs, véritables parasites de la

société musulmane, qui en vivent par le produit des ziyāras »326.

325 Entretien avec Aboul Aziz Ahmed Yatabare, fils de l’un des promoteurs de la salafiyya au Mali, le 8/9/2012. 326 SICARD Jules, Le monde musulman dans les possessions françaises, Paris, Librairie Coloniale et Orientale

Emile Larose, 1928. p.61.

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164

Parallèlement, une autre association réformiste émergeait au Sénégal, à savoir

l’U.C.M. (Union Culturelle des Musulmans) fondée à Dakar en 1953 par Cheik

Touré, un intellectuel formé à l’Institut de Ben Badis de Constantine en Algérie.327

Cette association prit plus tard une dimension régionale, en créant des sections au

Mali, en Guinée, en Côte d’Ivoire, en Haute-Volta (Burkina) et en Mauritanie. Le

but de cette association était de purifier l’islam en combattant les pratiques des

charlatans, des superstitions et toute pratique corruptrice. Convaincus de partager

les objectifs de l’U.C.M., la Salafiyya malienne n’hésita pas à collaborer avec

l’association réformiste.

Ce courant réformiste malien ne se contenta pas seulement de critiquer les

confréries en place, mais proposa également une autre alternative sur le plan

spirituel qu’il jugeait authentique et conforme à l’orthodoxie musulmane dans sa

forme et sur le fond.

2. Salafiyya et spiritualité au Mali

La spiritualité de la Salafiyya du Mali n’a fait, à notre connaissance, l’objet

d’aucune étude à nos jours. Selon nos enquêtes de terrain, la Salafiyya malienne

prône la spiritualité musulmane à sa manière. Nous nous sommes efforcés de

déceler l’aspect spirituel de ce courant. Il est apparu d’abord que, de manière

générale, il y a une convergence entre ce courant et les voies mystiques du Mali sur

la nécessité d’acquérir une spiritualité et par la suite de la nourrir et de la raffermir.

Cette spiritualité exigée de tout musulman zélé est dénommée « Tazkiat al-nafs »

par les adeptes de Salafiyya, un mot qui signifie ‘‘ purification de l’âme’’ et que les

adeptes des autres ordres spirituels appellent « soufisme ». Sur ce point, la

divergence est de toute évidence absolument superficielle.

327 MOREAU René Luc, Africains Musulmans, des communautés en mouvement, Paris, éd. Présence Africaine,

1982, p.267.

Page 166: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

165

En revanche, la différence substantielle entre ce courant et celui des autres voies

soufies sur le plan spirituel, réside dans le contenu et dans son commentaire. Plus

précisément sur la manière d’atteindre cette spiritualité exigée par les deux

antagonistes.

Pour la Salafiyya malienne prônant la Tazkiat al-nafs, l’aspirant doit s’adonner

strictement aux exercices spirituels conformes à la sunna, le modèle du Prophète,

sans chercher une autre manière de pratiquer, et sans prétendre avoir reçu quelque

révélation, ni au cours d’un rêve ni en état d’éveil. En outre, si toutes les confréries

au Mali cautionnent l’affiliation à une tarîqa sous l’égide d’un cheikh qui guidera

l’ascension spirituelle du novice, le nouveau courant Salafiyya, quant à lui, permet à

l’aspirant d’accéder directement à la source spirituelle, sans obligation de se

soumettre à un quelconque guide spirituel. La conception et la définition de la

spiritualité de ce courant se résument en ces mots : « La spiritualité consiste à

purifier son cœur de tout mauvais caractère comme l’ostentation, l’animosité,

l’orgueil etc. et d’acquérir tout bon caractère comme la sincérité, l’altruisme,

l’humilité etc. »328

Il ressort de nos enquêtes de terrain que la spiritualité de ce courant repose sur

les éléments suivants :

a. Se repentir en permanence devant Dieu

Avant toute action, l’aspirant, selon ce courant, doit se repentir sans cesse devant

son Seigneur. Toutefois il est tenu d’accroître ce repentir lorsqu’il bascule dans le

péché en utilisant toute expression à sa portée servant à demander le pardon de

Dieu, sans limite du nombre ou de l’exigence de la formule précise. Il serait même

permis à l’aspirant de formuler cela dans sa langue maternelle. Mais, les deux

principales voies soufies au Mali, la Tiǧāniyya et la Qādiriyya, incitent également

leurs adeptes à titre impératif, nous avons vu plus haut, à solliciter le pardon de

328 Entretien avec l’imam salafī Seydou Bagayoko imam de la mosquée Sébénikoro, Bamako, le 1/9/2012.

Interview de Mahmūd Dicko, le président du Haut Conseil Islamique du Mali et imam de la mosquée al-Salam

Badalabougou, Bamako, le 2/9/2012.

Page 167: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

166

Dieu chaque jour, tout en précisant la formule et le nombre de fois à la réciter. Le

courant salafī prend en référence les versets et les hadiths suivants :

« O vous les croyants ! Revenez à Dieu avec un repentir sincère. Il se peut que votre

Seigneur efface vos fautes »329 « Dis : ô Mes serviteurs ! Vous qui avez commis des

excès à votre propre détriment, ne désespérez pas de la miséricorde de Dieu. Dieu

pardonne tous les péchés »330.

Un hadith rapporté par Muslim énonce le nombre de fois ‘‘ cent ’’ : « O les gens,

repentez-vous à Dieu, car moi-même (le Prophète) je me repens à Dieu cent fois par

jour »331 Un autre hadith cité par Buẖārī évoque un nombre supérieur à soixante-

dix : « Par Dieu, certes je demande pardon à Dieu et me repens à lui chaque jour

plus de soixante-dix fois »332

Se reportant à ces textes scripturaires, le courant réformiste en déduit que le

repentir et la demande de pardon sont à effectuer en permanence, sans limite du

nombre pour toute acquisition spirituelle, et que le nombre évoqué dans le hadith est

explicitement symbolique.

b. S’acquitter de toutes les obligations religieuses, al-farā’iḍ

Selon la conception de la Salafiyya malienne, le chemin vers l’ascension

spirituelle est barré à tout aspirant qui ne s’acquitte pas de manière parfaite de

toutes les prescriptions divines imposées. Cette étape est considérée dans ce courant

comme le début du cheminement vers une spiritualité, absolument nécessaire pour

le salut de l’âme dans les deux vies. Pour affermir cette allégation, souligne un

imam salafī, nous nous référons au hadith authentique qudsī suivant, rapporté par

Buẖārī : « Mon serviteur ne peut s’approcher de Moi par aucune adoration

supérieure à celle que Je lui ai imposée » 333

329 Coran : 66, 8. 330 Coran : 39,53. 331 ’IBN AL-ḤAǦǦAǦ Muslim, Ṣaḥīḥ, Riyad, éd. Dār ṭība, 2006, p. 432.

332 AL-BUḤĀRĪ Muḥammad, al-Ǧāmi‘ al-ṣaḥīḥ, Damas, éd. Dār Ibn Kaṯīr, 1993, p. 311. 333 AL-BUḤĀRĪ Muḥammad, al-Ǧāmi‘ al-ṣaḥīḥ , op. cit., p.122.

Page 168: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

167

Ce hadith indique clairement, selon la Salafiyya, que suivre l’injonction divine

est la meilleure voie pour accéder à la tazkiat al-nafs. Sur ce point, les autres voies

spirituelles au Mali en font également une condition pour toute purification du

cœur, mais nous avons constaté qu’elles n’accordent pas grande importance à cette

question. Certaines d’entre elles, nous le verrons, confèrent plus de crédit aux rituels

confrériques qu’aux injonctions imposées par la šarī‘a.

c. Accomplir autant que possible des prescriptions surérogatoires

Cette troisième étape est indispensable, confirment les guides salafīs, pour

prétendre à l’accomplissement spirituel. Elle accroît de façon significative la foi de

l’aspirant et purifie également son cœur. Cette disposition est déduite selon la

Salafiyya de la suite du hadith de Būẖārī susmentionné : « Mon serviteur ne cessera

pas d’accomplir les actions surérogatoires jusqu’à ce qu’il mérite mon amour »334

La Salafiyya incite ainsi l’aspirant à diversifier ses actions surérogatoires en

accomplissant les prières nawāfil al-ṣlāt, les jeûnes, nawāfil al-ṣiām, les dons,

nawāfil al-ṣadaqāt, les pèlerinages, nawāfil al-ḥaǧǧ etc. Si l’on compare aux autres

voies spirituelles du Mali, celles-ci incitent également de la même façon à toutes ces

adorations complémentaires. La différence tiendrait donc aux conditions

d’accomplissement de ces actions, c’est-à-dire comment les accomplir. Tandis que

les voies spirituelles prônent la ẖalwa, l’isolement dans une zāwiya ou un autre

endroit, pour effectuer les actes surérogatoires, le courant Salafiyya prend le

contrepied pour dénoncer le principe même de ẖalwa. Ce terme, disent-ils, n’existe

pas dans le vocabulaire de la šarī‘a en ce sens. ‘‘Comment peut-on concevoir passer

trois jours, un mois ou quarante jours dans un endroit isolé sans le quitter sous

prétexte d’y accomplir des prières et des jeûnes surérogatoires ?’’ interpelle un

guide salafī. ‘‘Ceci va à l’encontre des prescriptions connues, comme

l’accomplissement de la prière obligatoire, collectivement dans une mosquée, ṣalāt

al-ǧamā‘a.’’

334 Ibid., p.122.

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168

Ils s’efforcent ainsi de réfuter les arguments de leurs adversaires reposant sur la

ẖalwa faite par le Prophète à Gār ḥirā’ avant sa prophétie. Pour eux, cet isolement

pour l’adoration de Dieu fut abrogé, et le Prophète ne répéta guère cette ẖalwa après

sa prophétie. Par conséquent, nul ne peut y prétendre selon la Salafiyya.

Nous nous demandons pourquoi ne peut-on pas combiner les deux ? Un aspirant

voulant consacrer du temps à l’adoration de son Seigneur, n’a-t-il pas le droit de

s’isoler pour mieux entrer en contemplation, tout en prenant en considération les

horaires de la prière collective pour y assister ?

d. Lire le Coran de manière contemplative et méticuleuse

L’accès à la spiritualité demeure également lié, selon la spiritualité salafīe, à la

lecture minutieuse du Coran. L’aspirant doit impérativement lire le Coran en

s’employant à mettre en œuvre les injonctions qui y figurent, et en se gardant de

faire les actions répréhensibles qui y sont citées. Ainsi il lira dans le Coran les récits

des hommes de Dieu qui furent spirituellement accomplis, et s’efforcera de les

imiter. Sur ce point, il est appelé à lire l’intégrité du Coran en trois jours ou sept

jours maximum, afin de suivre les traces des compagnons du Prophète qui

atteignirent le degré culminant de la spiritualité. Les textes coraniques sur lesquels

est fondé ce principe, selon la Salafiyya, sont les suivants :

« Voici un Livre béni : nous l’avons fait descendre sur toi, afin que les hommes

méditent ses versets et que réfléchissent ceux qui sont doués d’intelligence »335

« Ne méditent-ils pas sur le Coran ? S’il provenait d’un autre que Dieu, ils y

trouveraient certes maintes contradictions. »336

Le hadith rapporté par Bayhaqī est également évoqué par la Salafiyya pour

conforter leurs arguments : « Les cœurs rouillent comme rouille le fer, seule la

lecture du Coran et le souvenir de la mort peuvent les dérouiller. »337

335 Coran : 38, 29 336 Coran : 4, 82 337 AL-BAYHAQĪ Abū bakr Ahmad Ibn Husayn, al-Sunan al-Kubrā, Beyrouth, éd. Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya,

2003, p. 132.

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169

Cet aspect évoqué par le mouvement réformiste pour consolider la spiritualité,

marque encore une autre distinction qui le sépare des autres voies spirituelles du

Mali, car si ces dernières incitent à la lecture coranique de façon générale,

notamment à la lecture de certaines sourates bien précises comme Iẖlāṣ,

Ma‘ūḏatayn et Yāsīn et/ou un verset précis comme Āyat al-Kursī, cependant elles

ne font pas de la lecture intégrale du Coran une prescription sine qua non de leur

tarîqa.

e. Prier sur le Prophète avec la formule al-ṣalāt al-’ibrāhīmiyya

L’aspirant est tenu, selon la Salafiyya, de multiplier la prière sur le Prophète,

notamment le jour du vendredi, sans que soit fixé un nombre précis : « Oui, Dieu et

ses anges bénissent le Prophète. O vous, les croyants ! Priez pour lui et appelez sur

lui le salut »338. Selon les guides du courant, l’aspirant doit privilégier la formule

d’al-ṣalāt al-’ibrāhīmiyya qui fut enseignée par le Prophète lui-même. Il serait

mieux, prône la Salafiyya, de se contenter de cette ṣalāt émanant du Prophète, pour

ne pas basculer dans l’innovation religieuse, bid‘a. Cette al-ṣalāt al-’ibrāhīmiyya

est rapportée par plusieurs recueils de hadiths dont al-Buẖārī.339

Si la Salafiyya veut se conformer strictement et littéralement à la formulation

de la ṣalāt enseignée par le Prophète, cependant les voies spirituelles maliennes

choisissent une ouverture vers des prières formulées par certains cheikhs. Aucune

tarîqa, comme nous l’avons vu, n’a prescrit al-ṣalāt al-’ibrāhimiyya comme

formule pour prier sur le Prophète. La Tiǧāniyya, convaincue d’avoir reçu une ṣalāt

de la part du Prophète lui-même lors d’une rencontre en état d’éveil entre ce dernier

et le fondateur de la voie, prône la ṣalāt al-fātiḥ. Certains tiǧānīs n’hésitent même

pas à proférer la supériorité de la ṣalāt al-fātiḥ sur toutes les ṣalāt ‘alā al-Nabī,

(prière sur Prophète).

338 Coran : 33, 56. 339 AL-BUḤĀRĪ Muḥammad, al-Ǧāmi‘ al-ṣaḥīḥ , op. cit., p.255.

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f. Se souvenir de la mort et visiter les tombes

Pour accroître sa spiritualité, le mouvement salafī du Mali préconise également

la visite récurrente des tombes afin de se rappeler de la mort et de raffermir sa foi. Il

est vivement recommandé aux aspirants d’accomplir toutes les actions allant dans

ce sens. Car l’oubli de la mort, comme le souligne toutes les voies spirituelles, est

un poison inéluctable qui menace toute ascension spirituelle. Pour instaurer cet

exercice spirituel les salafīs se reportent au verset suivant : « Où que vous soyez, la

mort vous atteindra, fussiez-vous dans des tours imprenables »340

Le hadith suivant, rapporté par Tirmiḏī incitant explicitement au rappel de la

mort, est également une référence scripturaire citée par la Salafiyya : « Rappelez-

vous de manière permanente le briseur des plaisirs. Qu’est-ce que le briseur des

plaisirs ? dirent les compagnons ; la mort dit le Prophète »341

Ce principe est certes un autre point de convergence entre la spiritualité salafīe

et celle des autres voies spirituelles au Mali. Mais dans le détail il existe

évidemment une divergence majeure, à savoir ce qu’il convient de faire lorsque l’on

visite une tombe. Les tiǧānīs et les qādirīs visitent en général les tombes réputées

abriter des saints, et y consacrent un culte plus ou moins différent selon leur

affiliation. Certains y déposent des offrandes et formulent des vœux auprès du mort

présumé saint. Tandis qu’un adepte de la Salafiyya ne fait aucune distinction entre

les tombes musulmanes et réprouve farouchement tout culte des saints, en se

bornant uniquement à y faire des prières, du‘a pour les défunts, injonction

unanimement reconnue par toutes les tendances musulmanes.

g. Scruter son âme incitatrice au mal, muḥāsabat al-nafs

Surveiller son âme instigatrice du mal est un exercice spirituel adopté par la

Salafiyya comme un moyen de préserver sa pureté et d’avancer dans le

cheminement spirituel. En conséquence, l’aspirant est convié à faire chaque jour à

l’heure du coucher un bilan de la journée sur le plan spirituel, en se posant les

340 Coran : 4,78 341 AL-TIRMIḎI Muḥammad ibn ‘Isā, Sunan, Beyrouth, éd. Dār ’Iḥyā’ al-turāṯ al-‘arabī, Rāǧiḥī, 2004. p. 301.

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questions suivantes : Qu’ai-je fait pendant cette journée comme bonnes ou

mauvaises œuvres ? Pourrais-je faire mieux ? Que faut-il rattraper demain ?

Comment agir pour améliorer mon ascension spirituelle ?

En répondant à ces questions, l’aspirant prendra conscience des défaillances à

corriger et du manque dans ses œuvres à combler. A l’appui du bien fondé de cet

exercice conduisant à accroître la spiritualité, la Salafiyya évoque les textes

scripturaires suivants : « O vous qui croyez ! Craignez Dieu. Que chacun considère

ce qu’il a préparé pour demain ! Craignez Dieu ! Dieu est parfaitement informé de

ce que vous faites »342

Un hadith rapporté par Tirmiḏī est également mentionné par la Salafiyya : « Un

doué d’intelligence est celui qui sut s’inspecter et se surveiller afin de mieux œuvrer

pour l’après mort. »343 Un autre récit incitant à l’introspection de soi, relaté par

Imam Aḥmad qui l’attribue au khalife ‘Umar ibn al-Haṭāb, dit : « Jugez-vous avant

que vous ne soyez jugés, pesez vos œuvres avant qu’elles ne soient pesées. Ceci

vous permettra d’avoir des comptes faciles à rendre devant Dieu le jour de la

résurrection »344

Qui, finalement, selon la Salafiiyya malienne, soutiendra l’aspirant dans son

effort d’introspection ? Pour le mouvement réformiste niant toute sorte de

hiérarchisation dans les confréries, l’aspirant doit être épaulé par l’ensemble des

fidèles sans distinction aucune, car la responsabilité est collective, et elle n’incombe

pas à une personne désignée comme cheikh. La Salafiyya se reporte au verset

suivant appelant à l’entraide collective sur tous les plans du bien : « Entraidez-vous

dans l’accomplissement des bonnes œuvres et de la piété et ne vous entraidez pas

dans le péché et la transgression ».345

Mais comment les autres voies spirituelles maliennes appliquent-elles ce

principe de muḥāsabat al-nafs ? Les principales voies spirituelles au Mali prennent

évidemment en considération cet exercice spirituel « auto-inspection », mais la

342 Coran : 59,18 343 AL-TIRMIḎI Muḥammad ibn ‘Isā, Sunan, op. cit., p.244. 344 IBN HANBAL Aḥmad, al-Musnad, Beyrouth, Mu’assa al-Risāla, 2001, p.119. 345 Coran : 5, 2.

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dissemblance réside dans le soutien moral qu’on pourrait accorder à l’aspirant pour

l’aider à réaliser aisément ce devoir spirituel. Les voies spirituelles confèrent

uniquement la mission de suivi d’un novice à un guide spirituel. Ce dernier,

exerçant pleinement son pouvoir sur son adepte, est censé lui ouvrir les horizons

divers de la spiritualité afin de lui faciliter son ascension spirituelle.

La question cruciale que nous nous posons est de savoir si ces novices placés

sous l’égide d’un cheikh ont plus de chance de s’accomplir spirituellement, ou si les

novices soutenus collectivement dans leur quête de spiritualité par les fidèles

parviennent-ils à s’élever spirituellement ?

Selon nos enquêtes de terrain, dans le contexte malien, aucune méthode ne peut

prétendre surpasser l’autre. Mais nous pourrions proposer de combiner les deux, à

savoir être soutenu par une personne pieuse appelée cheikh ou non, peu importe les

termes, et avoir aussi un milieu propice où les fidèles s’épaulent mutuellement pour

fortifier leur spiritualité.

Après cette analyse de la spiritualité de la Salafiyya malienne comparée à celle

des voies spirituelles en place, nous pouvons retenir les points suivants :

- Convergence sur la nécessité de quête spirituelle et divergence superficielle sur

les terminologies comme tazkiat al-nafs et soufisme.

- Négation par la Salafiiyya de toute la hiérarchie établie dans les autres

confréries.

- Souci de se reporter à des textes scripturaires pour fonder les piliers qu’exige la

spiritualité salafīe.

- Réfutation de toute prétention à la possibilité de voir le Prophète en état d’éveil

par les adeptes de la Salafiyya, à plus forte raison d’avoir la vision directe de Dieu

- Limitation à la ṣalāt ’ibrāhīmiyya pour toute prière sur le Prophète.

- Désapprobation de tout culte de saints de la part de la Salafiyya

Dix ans après son implantation au Mali, ce courant salafī atteignit son apogée et

vécut son âge d’or. En raison de ses visées anticoloniales, il fut même épaulé et

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soutenu par un parti politique actif à tendance anticoloniale d’importance cruciale :

le RDA (Rassemblement pour la Démocratie Africaine).

3. Salafiyya et administration coloniale

Le Gouvernement colonial se sentant menacé par la complicité d’un courant

religieux réformiste anticolonial et d’un parti à tendance indépendantiste décida

d’obstruer leur avancée, en incitant leurs détracteurs à les attaquer. Un mouvement

anti-salafī ne tarda pas à se former. En mai 1957, suite au refus de l’administration

coloniale d’autoriser la construction d’une mosquée et d’une medersa salafīes, une

rixe opposa les soufis complices aux salafīs. Ce fut un vrai carnage, l’année fut

qualifiée de « Wahabiya kele san » c’est-à-dire en langue locale : « l’année de

bataille contre les salafīs »346 C’est ainsi que l’administration coloniale monta les

protagonistes les uns contre les autres tout en regardant en spectateur. Car la

politique consistant à « diviser pour mieux régner » était bien mise en œuvre afin

d’affaiblir tous les antagonistes.

Interdits du droit d’avoir leur propre mosquée, les adeptes de la Salafiyya

accomplissaient souvent la prière du vendredi, ṣalāt al-ǧum‘a, avec les ingénieurs

égyptiens venus pour la construction de l’Hôtel de l’Amitié à Bamako. Il faut

attendre 1968, après l’indépendance, pour voir une première mosquée salafīe au

Mali. C’est un salafī, Moriké Mangané, qui céda une partie de sa maison pour

construire la première mosquée salafīe à Bamako (Badialan), dénommée « Masǧid

al-nūr : Mosquée de la lumière ».347

Soulignons, cependant, que ce mouvement salafī constitué de jeunes

intellectuels et de profanes fervents, réussit, en dépit des complots ourdis, à mener

une campagne intellectuelle en défaveur du régime colonial et à mettre en œuvre

son projet réformiste axé sur les éléments suivants :

346 Le vieux Abdoullah Cissé, un adepte salafī, à Baraouély âgé de 95ans, vécut ces évènements et nous livra les

informations. 347 Entretien avec Abdoul Aziz Yatabaré, le 8/9/2012. Son père était également imam de cette mosquée.

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- Eveiller les consciences longtemps plongées dans une léthargie profonde, pour

se rebeller, mais pacifiquement, contre la colonisation des terres des ancêtres.

- Dénoncer la collaboration des guides soufis, à de rares exceptions, avec

l’administration coloniale.

- Stigmatiser le port des amulettes et toutes les pratiques superstitieuses.

- Dénoncer l’ignorance des marabouts et celle des guides des confréries soufies

- Développer un pouvoir économique parmi les membres du mouvement, à telle

enseigne qu’être salafī équivalait à être riche et indépendant économiquement

- Vulgariser l’instruction islamique et renouveler la méthode obsolète

d’enseignement religieux en créant des medersas, dans lesquelles les matières

religieuses et modernes sont enseignées sur un pied d’égalité.

Le mouvement réformiste ne se renfermait pas, mais s’ouvrait à tout autre courant

œuvrant dans le champ de la réforme religieuse et sociale. C’est dans ce sens qu’il

convient d’inscrire sa participation active au grand congrès organisé par l’U.C.M. en

décembre 1957, à Dakar. En effet, l’U.C.M. convia tous ses adhérents et ses

sympathisants à tenir un grand congrès à Dakar pour réclamer les droits des

musulmans relatifs à la vie sociale et politique. Plusieurs sous-régions envoyèrent leurs

délégations. Cette grande rencontre retint diverses revendications. Da Dakor évoque

même dix-sept vœux adressés au régime colonial.348 Retenons ici cinq points les plus

essentiels :

- Encourager l’enseignement de la langue arabe, marginalisée par

l’administration coloniale afin d’obstruer l’avancée de cette langue depuis fort

longtemps établie au Mali.

- Reconnaître le droit de créer des écoles islamiques modernes (medersas) sans

l’immixtion de l’administration coloniale.

- Avoir droit au recrutement d’enseignants qui auraient les compétences requises

pour assurer cet enseignement et par la suite concrétiser leurs objectifs, et non

prendre les enseignants proposés par le régime colonial, qui parlent à peine la

langue arabe classique. 348 DA Dakor, L’islam et l’Etat dans les pays de l’Afrique de l’Ouest, (Sénégal, Niger, Burkina Faso), Université

de Poitiers, 1989, (dactylogr, Thèse 3e cycle, directeur : non mentionné ). 2 vol., p.163.

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- Instaurer des tribunaux musulmans et accorder aux populations la possibilité

d’y recourir.

- Supprimer le Bureau des Affaires Musulmanes qui fut, comme nous le verrons,

perçu comme un outil de surveillance et d’espionnage.

Ces signes de réveil musulman enflammèrent la peur de l’islam qui anima

longtemps l’administration coloniale, et qui, d’ailleurs il faut le rappeler, donna

l’alarme dans un texte suivant :

« Sur le front d’expansion de l’islam, il importe de promouvoir une politique plus

ferme, par l’organisation de la résistance chrétienne et animiste. Mais, en la matière,

il ne faut se bercer d’illusion : l’Afrique Occidentale Française est trop engagée

dans la voie de l’islam, et le déséquilibre des forces est déjà trop poussé pour que

notre action puisse espérer être autre chose qu’une action retardatrice »349.

Ce courant salafī poursuivit son œuvre de prosélytisme et ne cessa de se faire des

adeptes et d’accroître son influence, malgré la politique répressive du régime

colonial. Aucun arrêt à l’avancée et à l’expansion du courant salafī au Mali n’est à

constater d’hier à nos jours.

Pourquoi le courant salafī a-t-il connu tant de succès au Mali ? Cette question

nous conduit aux observations suivantes évoquées également par J. L. Amselle 350.

Mais les causes essentielles de ce succè reposent sur les points suivants:

-A l’arrivée de la salafiiyya au Mali, il n’y avait que des confréries qui se

complaisaient avec le régime colonial en collaborant avec ce dernier en parfaite

symbiose. Le hamallistes qui incarnaient la résistance étaient d’ores et déjà affaiblis

et leur guide spirituel déporté. La population était donc en attente d’un nouveau

courant en qui elle verrait un désir ardent de les libérer d’un régime qui exploitait

349 Cité par Jean-Louis Triaud, « Le crépuscule des Affaires musulmanes en AOF, 1950-1956 » in David

ROBINSON et Jean-Louis TRIAUD, (dir.), Le temps des marabouts : itinéraires et stratégies islamiques en

Afrique occidentale française, 1880-1960, Paris, éd. Karthala, 1997, p.495. 350 AMSELLE Jean-Loup, « Le wahhabisme à Bamako (1945 -1985) » in Revue Canadienne des Etudes

Africaines, Vol. 19, n° 2. 1985, p.346.

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leur richesse. C’est dans ce contexte qu’arrivèrent certains de leurs compatriotes

porteurs d’un nouveau projet de réforme et de résistance.

-En outre, nous savons pertinemment que la société malienne est composée de rangs

sociaux : supérieur, intermédiaire et inférieur. Certains clans classés inférieurs ne

pouvaient pas contracter de lien matrimonial avec un autre jugé supérieur, comme

souligne Tamari Tal : « En général, les gens de caste ne pouvaient épouser ni les

personnes libres, ni les membres des autres castes. Il existe cependant quelques

exceptions »351

Dans ce contexte, le nouveau courant réussit à conquérir les cœurs en mettant en

avant le principe musulman selon lequel tous les musulmans sont égaux sans

distinction de race ou de classe sociale, et en incitant ainsi la population à l’abandon

d’une coutume qui ne relève que de la tradition animiste.

-Il était aussi clair que les marabouts charlatans ont longtemps tiré profit de la

crédulité de ceux qui croyaient à leur superstition. La Salafiyya ayant dénoncé ces

pratiques réussit à attirer l’attention des profanes exploités par ces marabouts

charlatans.

-La Salafiyya attira également la population malienne en réussissant à rendre plus

dynamique l’économie et le commerce dans le pays. Car il est tout à fait

remarquable que les adhérents de ce courant détenaient les rênes du pouvoir

financier au Mali.

Avant de clore ce chapitre, il importe de noter que le Mali connait aujourd’hui

un nouveau mouvement qui se revendique de la Salafiyya et applique la šarī‘a par

la force selon sa vision obscurantiste. Ce dernier n’est pas une continuité du courant

salafī que nous avons étudié et n’a rien à voir avec celui-ci. Car ce nouveau

mouvement égaré, dénommé Anṣār al-Dīn (les défenseurs de la religion),352 était

épaulé par divers groupes déviationnistes venus d’ailleurs, comme le MUJAO

351 TAL Tamari, Les castes de l’Afrique occidentale, artisans et musiciens endogames, Nanterre, Société

d’ethnologie, 1997, p.44. 352 A ne pas confondre ce nouveau courant avec Ansār Dīn, confrérie soufie du guide spirituel Chérif Ousmane

Madanī Haidara., infra. p.202.

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(Mouvement pour l’Unicité et Jihad en Afrique de Ouest) d’origine algérienne et

mauritanienne, l’AQMI (Al-Qayda au Maghreb Islamique) d’origine algérienne et

le Boko Haram (l’Education occidentale est un péché) d’origine nigériane. Profitant

de la faiblesse de l’Etat malien, occasionnée par le coup d’Etat du 22 mars 2012, ces

différents courants se sont coalisés pour occuper le Nord du Pays et y instaurer une

horreur indescriptible qu’ils appellent « charia ». Enfin, au cours du mois de janvier

2013, ils en ont été chassés par l’armée malienne soutenue par les forces françaises

et africaines.

Enfin, nous pouvons résumer ce chapitre en ces mots : les trois courants

étudiés (Hamallisme, Tarbiya, et Salafiyya) étaient tous hantés par la réforme tant

sur le plan spirituel que social. Ils prônaient la paix dans la société et évitaient les

heurts avec l’administration coloniale. Si les guides spirituels de ces dits courants

étaient pacifiques, cependant le régime colonial a toujours utilisé la politique du

« bâton et de la carotte ». Tantôt il réprimait les soufis et tantôt il les amadouait.

Mais quelle était donc sa réelle politique face aux religieux ? Quelles ont été les

répercussions de cette politique sur le paysage religieux ? Ceci nous conduira au

troisième chapitre de cette deuxième partie.

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CHAPITRE III : LES ENJEUX DU COLONIALISME ET LES

REPERCUSSIONS DE LA COLONISATION SUR LE PLAN RELIGIEUX

Consciente du pouvoir détenu par les religieux et de leur influence patente sur la

population fortement ancrée dans sa croyance religieuse, l’administration coloniale

s’efforça d’approcher puis de manipuler les guides spirituels, afin de pouvoir faire

accepter plus aisément sa politique coloniale.

Mais le monde musulman était alors en pleine mutation, avec la renaissance

musulmane en Orient, fin du XIXème siècle, sous l’influence des réformistes

comme Muḥammad ‘Abduh (m. 1905) en Egypte et de son maître Ǧamāl al-Dīn al-

Afġānī (m.1897) qui dénonçaient dans les journaux et ouvrages la domination

étrangère et la poussée de l’impérialisme européen en terre d’islam. En

conséquence, le régime colonial s’inquiéta grandement de la propagation de ces

courants réformistes et anticoloniaux. Cette préoccupation est lisible dans une lettre

envoyée par le Consul Général de France au Caire, en date du 21 novembre 1900,

au ministre des affaires étrangères M. Delcassé. Une copie fut adressée au

Gouverneur Général des colonies françaises, dont le Soudan français (Mali) : « La

campagne entreprise depuis près de deux ans contre la politique musulmane en

Afrique, par les principaux journaux musulmans d’Egypte, que j’ai eu à plusieurs

reprises l’occasion de signaler, loin de se ralentir, semble avoir pris ses derniers

temps une recrudescence nouvelle »353.

Suite à cette communication confidentielle, le Gouverneur Général des colonies

fut appelé à réagir, afin de contenir ces informations anticoloniales qui planaient à

l’horizon sur les colonies françaises. Les prosélytes et les prêcheurs étrangers furent

mis sous une surveillance étroite, comme en atteste cette dépêche envoyée au

Gouverneur Général de l’A.O. F. le 19 janvier 1901 :

« Pour faire suite à ma dépêche du 03 juillet dernier, relative à la surveillance

dont doivent être objet les émissaires du Gouvernement Ottoman et du Grand

Chérif de la Mecque, susceptible de pénétrer chez nos ressortissants de

l’Afrique occidentale. Je vous prie de redoubler de vigilance et de me faire

353 A. N. M, n°4E 2. Correspondance de M. Cogordan, Agent et Consul Général de France au Caire, le 21

novembre 1900, Politique musulmane de 1901-1912. Voir Annexe B n° 5.

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connaître, après information aussi complète que possible, le résultat des

observations qu’elle aura motivées en ce qui concerne les territoires placés

sous votre direction politique. Agréez, Monsieur le Gouverneur Général, les

assurances de ma considération la plus distinguée. Pour le Ministre des

colonies. Signé : G. Binger »354

En effet, une missive écrite en arabe par les musulmans résidant en Allemagne

fut envoyée dans tout le monde musulman pour inciter les musulmans à une

insurrection totale et à un soulèvement massif contre l’occupation étrangère en terre

d’islam. Ce message instigateur eut un écho et fut bien accueilli dans tous les

milieux musulmans. Les Archives Nationales du Mali en détiennent une copie, dont

voici un extrait datant de 1910 :

« Nous musulmans, résidant en Allemagne, avons le devoir de conseil pour nos

coreligionnaires. Nous vous écrivons ce message fraternel avec le sang de nos

cœurs, en vous demandant de diffuser le plus largement possible son contenu

dans les mosquées, les zawyias et tous lieux habités par les fidèles musulmans.

En effet, les versets coraniques énoncent explicitement

‘‘ Les croyants sont des frères’’ ‘‘ô vous qui croyez ! Vous indiquerai-je un

commerce qui vous sauvera d'un châtiment douloureux ? Vous croyez en Dieu

et en Son messager et vous combattez avec vos biens et vos personnes sur le

chemin de Dieu, et cela est bien meilleur pour vous, si vous saviez !’’

‘‘Combattez sur le sentier de Dieu ceux qui vous combattent, et ne transgressez

pas. Certes. Dieu n'aime pas les transgresseurs !’’ ‘‘Quiconque transgresse

contre vous, transgressez contre lui, à transgression égale. Et craignez Dieu. Et

sachez que Dieu est avec les pieux.’’

En vertu de ces versets, nous vous demandons, nos chers fidèles, de combattre

l’impérialisme occidental et de résister farouchement contre son occupation des

terres musulmanes »355

Face à toutes ces menaces l’administration coloniale décida de contrôler de près

ses sujets et mit en place une politique musulmane qui consistait à isoler strictement

les musulmans de l’A.O.F de toute influence extérieure. Dans ce sens, elle alla très

loin interdisant même plusieurs fois le pèlerinage à la Mecque de peur de contacts

potentiels entre les pèlerins africains et les musulmans réformateurs qui prêchaient

l’anticolonialisme. Afin d’éviter toute contestation ou soulèvement que pourrait

354 A.N.M n° 100, Correspondance du ministre des colonies, Service des Affaires Musulmanes et Sahariennes,

1901. Voir Annexe B n° 6. 355 A.N.M, n°4E3. Missive des musulmans en Allemagne, Politique musulmane, 1910. Traduction personnelle

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susciter cette interdiction, le régime colonial prétexta la présence à la Mecque de la

peste susceptible de contaminer les visiteurs des lieux saints de l’islam.

Une dépêche ministérielle intitulée « Interdiction du pèlerinage à la Mecque »,

datant de 10 janvier 1903, rapporte :

« Le Gouvernement de la République a décidé qu’il n’y aurait pas lieu

d’autoriser cette année encore le pèlerinage à la Mecque de nos ressortissants

musulmans. Cette décision a été prise notamment en raison des dangers

particulièrement graves que présente pour la sauvegarde de la santé publique.

Car plusieurs régions musulmanes sont contaminées par la peste ou le choléra,

comme l’Egypte. Je vous prie en conséquence de vouloir bien faire connaître

aux autorités religieuses, autant que possible, les motifs pour lesquels

l’administration française s’est vue à regret obligée d’interdire de nouveau le

pèlerinage à la Mecque. Agréez M. le Gouverneur Général les assurances de

ma considération la plus distinguée. Le ministre de Colonies, signé : Gaston

Doum.»356.

C’est ainsi que prendra réellement corps la politique musulmane du régime colonial,

dont les guides spirituels seront les premières victimes.

1. Mise en place des institutions servant la politique musulmane par

l’administration coloniale

L’administration coloniale décida d’encadrer le phénomène religieux dans

toutes ses colonies d’Afrique Occidentale et institua, par un arrêté du 28 avril 1916,

un Comité Consultatif des Affaires Musulmanes. Elle prit pour membres de ce

Comité des chefs religieux indigènes. Une lettre en arabe fut envoyée à chacun des

membres désignés, afin de lui donner des explications générales sur les services

qu’il serait éventuellement appelé à rendre dans ce cadre. Les membres indigènes

désignés étaient au nombre de 20 notables musulmans de l’A.O.F.

Au Mali, appelé à cette époque « Haut Sénégal Niger », puis, ultérieurement,

Soudan français, les membres appelés à siéger dans ce Comité furent les suivants :

356 A.N.M, n° 4E1, Interdiction du pèlerinage à la Mecque en 1903, Correspondance du Ministère des Colonies.

Voir Annex B n° 10.

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- Abū ‘Ābbās Aḥmad Bāba, cadi de Tombouctou.

- L’imam Muḥammad ibn Suyūṭī, professeur à la Medersa de Tombouctou. 357

Le Comité était composé du chef du service des affaires civiles, du chef du

Cabinet Militaire, de l’officier interprète chargé de la section des affaires

musulmanes, tous français, et de notables musulmans indigènes des colonies de

l’A.O.F, spécialement qualifiés pour leur savoir, leur influence morale, et désignés

par décision du Gouverneur Général. Ces notables étaient consultés par

correspondance ou parfois directement lorsqu’un cas urgent se présentait ; ils

recevaient des soutiens financiers de la part de l’administration coloniale dans le

dessein de les inciter à collaborer pleinement et sincèrement. De manière générale,

ce Comité était invité à donner son avis sur les questions intéressant l’islam et les

indigènes musulmans de l’Afrique Occidentale Française.

Comment les guides soufis perçurent-ils ce Comité ? Leur perception était

divergente en fonction de la relation entretenue avec l’administration coloniale.

Tandis que les hamallistes le considéraient comme un moyen d’instrumentalisation

des guides spirituels, les tiǧānīs umariens et certains qādirīs, qui collaboraient avec

le régime, voyaient en ce Comité une promotion de l’islam et un respect manifesté

de la part des colonisateurs.

Le régime colonial, pour gérer le phénomène religieux, ne se contenta pas de

ce Comité consultatif des affaires musulmanes. Le 15 mai 1916, il mit également

sur pied un Bureau de Presse Musulmane. Ce Bureau avait pour objectif de préparer

des articles en langue arabe, destinés à combattre dans les journaux anti-français,

l’effet des libelles dirigés contre l’œuvre coloniale. Ce Bureau de presse musulmane

était composé d’un administrateur chargé de la direction du service, d’un secrétaire

arabe, et d’un expéditionnaire. Le budget nécessaire pour le bon fonctionnement

dudit bureau s’élevait à 23.000 francs.358

357 A.N.M, n° 444, Décision portant désignation des membres indigènes du Comité Consultatif des Affaires

Musulmanes, le 28 avril 1916. Service des Affaires Civiles. Voir Annexe B n° 8. 358 A.N.M, n° 4E2. Création du Bureau de Presse Musulmane le 15mai 1916, Services des Affaires Civiles.

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Cet organe, institué par l’administration coloniale, fut en fait une véritable

agence de renseignement chargée de noter soigneusement et d’analyser, pour ce qui

touchait à l’islam, tous les mouvements de l’opinion orientale ou européenne tels

qu’ils se reflétaient dans la grande presse. Le secrétaire arabe y assumait le

dépouillement des journaux d’Orient, afin d’alerter les responsables coloniaux du

danger potentiel que représentait tel journal, et qui ferait, par la suite, l’objet de

censure avec une sévérité sans faille. L’accent était grandement mis sur la mission

de ce secrétaire arabe.

Un extrait des Archives Nationales du Mali exprime bien l’inquiétude de

l’administration coloniale face à l’anticolonialisme fulgurant en Orient, d’où

l’attention particulière accordée aux journaux arabes susceptibles éventuellement

d’influencer les guides spirituels de l’A.O.F :

« Il suffit que la surveillance porte principalement sur les organes de la langue

arabe, les seuls susceptibles d’exercer une influence en nos établissements

africains, où toute autre langue écrite que celle du Coran est totalement ignorée

de la masse indigène. La presse arabe est d’ailleurs, à n’en pas douter, la plus

vivace, la mieux rédigée et, plus que toute autre, elle est le miroir des diverses

nuances de ce sentiment confessionnel islamique qui détermine seul l’activité

sociale des mahométans »359.

Comment les guides soufis réagirent-ils à cette censure ? Nous ne disposons pas

d’éléments dans les archives ou dans les manuscrits évoquant la réaction des

maîtres spirituels face à cette censure. Mais il est fort probable, à notre avis, que ces

derniers ne manifestèrent pas leur objection à la censure de ces journaux de façon

explicite, soit par crainte de répression, soit par obéissance aveugle au régime

colonial. Quoi qu’il en soit, les sources demeurent silencieuses sur leur réaction.

L’enseignement religieux dispensé en langue arabe, en raison de sa teneur, faisait

aussi l’objet de contrôle et de surveillance, afin d’éradiquer tout passage susceptible

d’attiser la haine contre le colonialisme.

359 A.N.M, n° 4E2, Correspondances du Gouverneur général de l’A.O.F, CLOZEL à M. le Gouverneur du Haut-

Sénégal et Niger, le 15 mai 1916. Services des Affaires Civiles.

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2. Surveillance étroite de l’enseignement confessionnel par le régime colonial

L’administration coloniale ne manquait pas d’idées afin de fortifier sa

mainmise sur les maîtres soufis qu’elle considérait toujours comme un danger

potentiel pour sa mission prétendue « mission civilisatrice ». Et c’est dans ce cadre

qu’il faut inscrire sa décision de contrôler l’enseignement religieux. En effet, le

régime colonial mit en place des conditions extrêmement contraignantes pour toute

ouverture d’une école coranique, ceci afin de freiner la poussée de l’enseignement

coranique. A ce sujet P. Seck rapporte :

« Faidherbe décidait de réglementer l’enseignement coranique. Les écoles

coraniques, dorénavant, ne devraient fonctionner régulièrement que sous une

double condition :

- Bénéficier de l’autorisation écrite du Gouverneur, lequel décide après avis

d’une commission d’enquête et de vérification.

- Mettre quotidiennement les élèves d’âge scolaire à la disposition des écoles

françaises afin qu’ils y reçoivent, dans le cadre des cours du soir, une

instruction française.»360.

Cette nouvelle réglementation de l’enseignement coranique subit une résistance

farouche de la part des guides soufis. Car ils considéraient l’école coloniale comme

un vecteur d’acculturation et d’altération des valeurs sociétales héritées des

ancêtres. Certaines familles musulmanes, pour échapper à l’inscription coercitive

de leurs enfants à l’école coloniale, se déplacèrent pour habiter loin des lieux où

étaient installées ces écoles coloniales. D’autres obtinrent une dispense de

l’instruction française pour leurs enfants, moyennant la cession d’animaux

domestiques qu’ils possédaient comme seule richesse. Ce fut le cas du maître

coranique, le vieux ‘Alī Isḥāq. Ses parents, se voyant contraints d’inscrire leur

enfant à l’école coloniale, négocièrent avec le représentant de l’administration

coloniale en lui offrant un veau, afin de dispenser leur enfant de l’instruction

française coercitive.361

360 SECK Papa Ibrahima, La stratégie culturelle de la France en Afrique, l’enseignement colonial (1817-1960),

Paris, éd. L’Harmattan, 1993, p.157. 361 ‘Alī Isḥāq Interviewé le 05/ 01/2012 à Koro, Mali.

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Le Journal officiel de l’A.O.F révéla des statistiques embarrassantes pour le

régime colonial, car les effectifs de la rentrée scolaire de 1905 furent extrêmement

décevants, tandis que 34.000 enfants s’inscrivaient à l’école coranique en janvier

1905 dans l’A.O.F., l’école française à la même date ne reçut que 7.000 inscrits.362

Conscient de l’échec de cette politique, le régime colonial assouplit alors sa

position et renonça à appliquer strictement les conditions préalables rigoureuses

relatives à l’ouverture de toute école coranique. Le régime opta cette fois-ci pour

l’intégration de l’enseignement religieux dans son système éducatif, afin de gagner

les milieux soufis à son projet éducatif et redorer par là-même son image :

« Montrer l’utilité de l’enseignement français et faire tomber les préjugés populaires

attachés à la scolarisation coloniale en y associant un enseignement arabe. Permettre

l’enseignement coranique et le réglementer afin d’en assurer le contrôle

administratif et le rapprocher de l’école française » 363 Tel fut le discours tenu par

un administrateur colonial.

Ainsi, l’administration coloniale créa une medersa à Djenné en 1908, et une

autre à Tombouctou en 1911,364 afin de mettre en œuvre sa nouvelle politique

concernant l’enseignement religieux. Elle assura ainsi le contrôle administratif et

surveilla étroitement le contenu des matières enseignées. Si l’enseignement

religieux subit cette contrainte qui entravait son développement, les guides spirituels

cependant, qui étaient le cerveau créateur de la teneur de l’enseignement religieux,

ne furent pas épargnés non plus.

3. Contrôle des guides spirituels par les colonisateurs

L’administration coloniale ne se contenta pas de créer des institutions

musulmanes, dont elle assurait elle-même le contrôle, ni de surveiller

l’enseignement confessionnel ; elle alla encore plus loin, jusqu’à ficher les noms de

tous les guides spirituels influents. Les agents du régime colonial sillonnaient les

villes et les villages pour surveiller les mouvements, les activités et les agissements

362 Journal officiel de l’A.O.F. n° 29 du 22 juillet 1905, Rentrée scolaire en A.O.F. 363 SECK Papa Ibrahima, op. cit., p.156.

364 KONARE Alpha Oumar et Adam BA, op. cit., p.105.

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des leaders spirituels jugés défavorables à la cause française. A. Piga souligne qu’à

partir du gouverneur William Ponty (m.1915) lui-même et tous ses successeurs,

pour une gestion plus efficace de l’A.O.F, exigèrent des administrateurs coloniaux

un énorme travail de mise en fiches, de compilation et de classification de tous les

ordres soufis implantés dans l’empire colonial afin de mieux les surveiller.365

Les hamallistes, les plus agités et les plus turbulents selon les colonisateurs,

subirent une surveillance accrue, surtout après les incidents de Nioro-Assaba

évoqués plus haut. Les aspirants du Chérif du Nioro n’osaient plus extérioriser les

signes hamallistes, à savoir arborer les chapelets autour du cou ou bien détenir un

chapelet à onze grains. Ce qu’évoque parfaitement le témoignage d’un

contemporain de cette époque recueilli à Nioro en 1994 par Boukary Savadogo:

« Les militaires et les gendarmes sillonnaient Nioro, leur chef était Le Floch et ils

surveillaient surtout les maisons des télamides, ‘‘élèves’’de chaykana. Les hommes

avaient peur de se regrouper et ils évitaient de marcher ensemble. Nous avions peur

de prononcer le nom de notre cheikh. En parlant de shaykana ‘‘Hamallah’’, nous

disions ‘‘celui dont on ne peut pas dire le nom’’ »366

Ce témoignage indique le degré de psychose qui régnait à cette époque dans les

milieux soufis en général et dans les milieux hamallistes en particulier. Si certains

guides spirituels manifestèrent leur réticence, voire leur résistance, face au régime

colonial, d’autres, cependant accordèrent à l’administration coloniale leur soutien

indéfectible. Le cas de l’érudit de Tombouctou l’illustre parfaitement. En effet, un

certain qādī Muḥammad Maḥmūd Aruwānī (m.1973) épaula sans ambages la

mission colonisatrice de France, et mit son savoir au service du projet colonial. Sa

collaboration fut excessivement poussée, à tel point qu’il fut même incarcéré par les

nouvelles autorités du Mali après l’indépendance, au motif de haute trahison du

peuple malien.367

365 PIGA Adrianna, op. cit., p.170. 366 SAVADOGO Boukary, op. cit., p.282 367 CISSE Seydou, L’islam et l’éducation musulmane au Mali, op. cit., p. 121.

Page 187: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

186

Cette politique du régime colonial face aux guides spirituels nous interpelle.

Les lois françaises garantissant la liberté de conscience et le libre exercice des cultes

étaient-elles spécifiques à la France métropolitaine ? Quelle loi régissait donc

l’A.O.F en matière de liberté religieuse ?

L’analyse de Jean-Louis Triaud est édifiante sur la politique adoptée par

l’administration colonial en AOF face aux affaires musulmanes:

« Il est difficile de tirer des conclusions pour toute l’AOF. Comme on l’a dit, le

ministère n’avait pas une vue d’ensemble complète des évolutions en cours

(…..) Combattre les wahhabites, barrer la route à un développement de

l’enseignement arabe, établir une digue contre l’expansion islamique dans les

zones de contact entre la savane et la forêt, tels sont les objectifs déclarés de

l’administration à ses différents niveaux. Il y a, sur ces points, en théorie, une

assez grande unité de vues. Mais la pratique de terrain et les conséquences qui

en résultent pour les musulmans concernés – en dehors des cas connus – nous

échappent largement. »368.

Cette politique musulmane du régime colonial a largement entravé les actions

des guides spirituels. Elle produisit également des hypocrites dans les milieux

soufis. Certains d’entre eux rallièrent l’administration coloniale sans en être

convaincus, afin d’échapper à la machine répressive et redoutable du régime.

D’autres résistèrent, comme nous l’avons vu, et connurent la prison et l’humiliation,

voire la mort dans des conditions non élucidées à nos jours.

Dans cet état de psychose, les soufis de l’époque coloniale au Mali ont-ils fait des

productions intellectuelles ?

Cette période coloniale, qui s’étend sur la deuxième moitié du XIXème siècle et

sur la première moitié du XXème siècle, ne fut pas propice à l’émergence d’une

production intellectuelle soufie. Nous avions signalé plus haut un ouvrage attribué à

une figure soufie marquante du soufisme au Mali, Mamadou Lamine Dramé

(m.1887). L’ouvrage en question est intitulé « Sa‘ādat al-nufūs fī iẖtiṣār al-

ṣalawāt : Bonheur des âmes dans la prière abrégée » ; il demeure dans les replis

368 TRIAUD Jean-Louis, « Le crépuscule des Affaires musulmanes en AOF, 1950-1956 » in David ROBINSON

et Jean-Louis TRIAUD, (dir.), Le temps des marabouts : itinéraires et stratégies islamiques en Afrique

occidentale française, 1880-1960, Paris, éd. Karthala, 1997, p.518.

Page 188: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

187

poussiéreux de l’histoire. Nous n’avons jamais pu le consulter, même après une

longue recherche. A notre avis, cette passivité intellectuelle et cette rareté de

production soufie pourraient trouver leur explication dans deux éléments cruciaux :

a- Le climat politique et social défavorable à la production intellectuelle

Nous avons mis en évidence les enjeux politiques de cette époque coloniale qui

fut émaillée par des persécutions et des déportations de tous guides soufis, même

ceux affichant une simple neutralité. Car il n’existait que deux options : soit le

ralliement, soit la répression. Cette situation, nous semble-t-il, incita les guides

spirituels à s’investir plus dans le domaine pratique que théorique. C’est dans ce

cadre qu’il faut inscrire l’importance accordée par la tarîqa Tarbiya à l’éducation

spirituelle stricte des adeptes, afin de ne pas se fondre dans le moule du système

colonial et de résister davantage à toute acculturation ou assimilation voulue par les

colonisateurs. Les hamallistes, quant à eux, afin de maintenir vive leur tarîqa,

mirent l’accent sur la pratique spirituelle et prônèrent parallèlement la discrétion,

ainsi que nous l’avons déjà constaté.

Le courant Salafiyya ne resta pas non plus à la marge de ce pragmatisme. Afin

de faire concurrence à l’enseignement donné par l’administration coloniale et

d’épargner à tout adepte la velléité d’être ébloui par la culture occidentale, il mit en

place de nouvelles méthodes d’enseignement religieux et misa sur la bonne qualité

de l’enseignement moderne. Ceci tendrait à prouver que la domination extérieure et

l’occupation étrangère peuvent peser négativement sur l’intelligentsia d’une nation.

Car nous avons clairement vu que les soufis de l’époque précoloniale ont

abondamment produit sur le plan intellectuel, en dépit de quelques conflits

intérieurs et interreligieux.

b- La décadence du savoir religieux

Si les soufis de premier plan au Mali furent hautement instruits, comme le

prouvent les écrits qui ont été transmis, ceux qui leur succédèrent de 1878 à 1960 le

furent moins. Soulignons cependant que l’absence quasi-totale de toute production

intellectuelle ne fut pas uniquement liée à un climat hostile à leur égard ; car il

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188

convient d’élargir l’analyse pour mieux saisir la réalité de choses : les soufis qui

prirent le relais se contentèrent de façon générale d’ouvrages écrits par leurs

prédécesseurs et crurent que la porte de l’iǧtihād (effort juridique) était d’ores et

déjà fermée. Cette conception erronée a nui de manière considérable aux sciences

religieuses et a causé une stagnation quasi permanente de ses sources. Les soufis de

l’époque coloniale, nous semble-t-il, se rattachèrent donc aux écrits des maîtres

spirituels antérieurs, qui devinrent leur référence et leur source intarissable

d’inspiration.

A la fin de cette deuxième partie de notre travail, évoquons maintenant les points

essentiels qu’il convient de retenir sur le soufisme au Mali de cette période

coloniale :

- Naissance des nouvelles voies spirituelles, telles le Hamallisme, la Tarbiya et la

spiritualité de la Salafiyya.

- Mise en place par le régime colonial d’une politique musulmane caractérisée

par une volonté de contrôle des religieux, le pragmatisme, la répression souvent et

l’amadouement parfois (politique du bâton et de la carotte).

- Combativité farouche de la plupart des soufis dans cette période coloniale face

aux colonisateurs. La résistance armée fut adoptée par certains guides soufis :

Mamadou Lamine Dramé (m.1887) Āmadu Tal (m.1898) Samori Touré (m. 1900)

et Zayn al-‘Ābidīn (m. 1927).

- Adoption de la résistance pacifique cependant, par certains autres soufis,

représentée par le cheikh Hamallah (m.1943) et le cheikh Māḥin (m. 1991).

- Domination des colonisateurs due à la supériorité armée d’une part, et à la

désorganisation des soufis résistants d’autre part.

- En conséquence, rareté, voire inexistence de la production intellectuelle soufie

durant cette époque coloniale.

Page 190: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

189

- Adhésion de certains soufis aux partis politiques à tendance anticoloniale afin

de lutter pour l’obtention de l’indépendance du Mali.

Toute cette période a été certes négative et stérile pour le soufisme du Mali, mais

tous ces excès allaient cependant favoriser la lutte pour l’indépendance, lutte dans

laquelle les chefs soufis tiendront un rôle majeur. Ce dernier point nous conduira à

la troisième partie de ce travail, qui mettra en évidence la lutte des soufis pour

l’indépendance du Mali et leurs stratégies de diffusion du soufisme.

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TROISIEME PARTIE

LE SOUFISME AU MALI PENDANT LA PERIODE

POSTCOLONIALE (1960-)

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191

TROISIEME PARTIE

LE SOUFISME AU MALI PENDANT LA PERIODE POSTCOLONIALE

La troisième partie de ce travail traitera du soufisme pendant la période

postcoloniale. Nous y étudierons le rôle des soufis dans la lutte pour l’indépendance

du Mali, leur stratégie pour la diffusion du soufisme, les nouvelles relations

entretenues avec les nouvelles autorités indigènes et leurs contributions sociales

dans le Mali indépendant. Enfin, nous mettrons en lumière les œuvres intellectuelles

des soufis d’aujourd’hui, leur portée et leur impact.

Page 193: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

192

CHAPITRE I : L’INDEPENDANCE DU MALI EN 1960 ET L’EXPANSION

DU SOUFISME

Il conviendrait de rappeler de manière concise les éléments précurseurs qui

conduisirent le Mali à accéder à son indépendance, ce qui permettrait de mieux

saisir le sujet en question. Tout d’abord, il est assez évident que les soldats de

l’A.O.F, enrôlés de gré ou de force dans l’armée française, vinrent au secours de la

France lors de deux guerres mondiales. A ce propos, il convient de se poser la

question suivante : la participation de ces vaillants combattants à la libération de la

France de l’occupation allemande fut-elle à l’origine de l’obtention de

l’indépendance des pays ouest africains ? La France voulut-elle récompenser ses

sujets en leur accordant l’indépendance à laquelle ils aspiraient ?

Nous savons certes que cette indépendance franchira plusieurs étapes avant

d’être acquise. L’ouvrage du grand historien malien B. Kamia, aujourd’hui publié,

« Des tranchées de Verdun à l'église Saint-Bernard : 80000 combattants maliens au

secours de la France, 1914-18 et 1939-45 », dans le dessein d’expliciter le rôle

majeur joué par les combattants de l’A.O.F en général, et par les maliens en

particulier, révèle que la France dut subir des pressions importantes avant qu’elle ne

consente à accorder l’indépendance à ses anciennes colonies.

C’est dans ce sens qu’il convient d’évoquer la Conférence de Brazzaville,

tenue fin janvier début février 1944 dans la capitale congolaise, pour revoir et

réviser la relation entretenue entre la France et ses colonies désormais bien

réveillées. Les élites africaines bien formées dans les écoles françaises, appelées

« les évoluées » à l’époque coloniale, n’admettaient plus le système colonial qui

leur refusait les droits fondamentaux reconnus à l’être humain. C’est ainsi que cette

réunion sans précédent, à laquelle participèrent, à l’exclusion totale de tout africain,

les gouverneurs des colonies d’Afrique française et les représentants des partis

Page 194: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

193

français,369 sous l’égide du général de Gaulle, aboutit à deux résultats majeurs

constituant un pas important dans la reconnaissance de la dignité des africains :

- Abolition totale du travail forcé dans un délai de cinq ans

- Représentation élue des africains à l’assemblée constituante française370.

Par la suite, les récits décomplexés des combattants africains, qui avaient

survécu à la deuxième guerre mondiale, contribuèrent grandement, lors de leur

retour, à démystifier la puissance de l’administration coloniale. Les soldats africains

côtoyèrent ceux qui étaient leur supérieur lors de batailles et avaient vu leur

faiblesse, car ils se refugiaient derrière eux en les prenant comme boucliers

humains. Tout cela contribua à briser le mythe de l’invincibilité des colonisateurs,

tout en conduisant à l’éveil de la conscience africaine.

Pour mieux garantir certains droits fondamentaux acquis lors de la

Conférence de Brazzaville et pour réclamer d’autres droits manquants, les élites

africaines sentirent le besoin impérieux de créer un parti autour duquel ils se

réuniraient et travailleraient main dans la main, afin d’atteindre leur objectifs

suprêmes, à savoir l’indépendance de leurs pays.

C’est dans ce cadre qu’il faut inscrire la création du fameux parti africain R.

D.A (Rassemblement Démocratique Africain). Ce parti anticolonial à inspiration

indépendantiste fut créé à Bamako en octobre 1946. Les représentants des pays de

l’A.O.F y affluèrent afin de prendre part aux travaux de leur nouveau parti, signe de

renaissance et de réveil. Il faut noter que Félix Houphouët-Boigny, l’ancien

président de la Côte d’Ivoire, fut désigné pour assurer la présidence du parti. Les

objectifs affichés de ce nouveau parti étaient les suivants :

- Réaliser une unité africaine à travers ce parti

- Demander l’amélioration de la situation des anciens combattants, des

fonctionnaires et des travailleurs

369 DE BENOIST Joseph Roger, Le Mali, Paris, éd. Harmattan, 1998, p. 107. 370 GERARD Claude, Les pionniers de l’indépendance, Saint- Romain- En- Gier, Éditions Intercontinents

Imprima, 1975, p. 17.

Page 195: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

194

- Développer l’enseignement et l’étendre à toutes les couches de la société

- Avoir une liberté réelle pour exercer un mandat politique, syndical et religieux

- Se doter d’une tribune libre pour véhiculer ses opinions politiques et sociales

- Tenir des élections honnêtes, sans ingérence de l’administration coloniale

- Enfin, préparer le terrain à l’indépendance des pays de l’A.O.F.371

Ces objectifs déclarés séduisirent grandement certains guides spirituels et leurs

adeptes qui avaient vécu une longue chaîne de répressions et de persécutions

infligées par le régime colonial français. C’est ainsi qu’ils envisagèrent de manière

optimiste un mouvement politique répondant à leurs aspirations. Ils ne tardèrent pas

à y adhérer et à lui apporter leur soutien moral et matériel.

Après une lutte sans cesse des partis politiques en A.O.F., notamment le

R.D.A., la France, sous pression intérieure et extérieure, décida enfin de s’orienter

vers la décolonisation de l’A.O.F. Elle organisa en 1958 un référendum dans lequel

les peuples colonisés furent invités à répondre : par « Oui » pour rejoindre une

Communauté franco-africaine qu’elle comptait former ; par « Non » pour accéder à

l’indépendance. Suite à ce référendum la Guinée fut le seul pays à manifester très

vite sa volonté d’accéder à l’indépendance. Le Mali, deux ans plus tard, le 22

septembre 1960, suite à l’échec de fédération avec le Sénégal, prit ses

responsabilités et proclama son indépendance.372

1. Rôle des soufis dans la lutte pour l’indépendance du Mali

Le rôle joué par les soufis dans la décolonisation du Mali n’a pas été

suffisamment claire. Il a été sommairement évoqué par Alioune Traoré.373 Dans son

chapitre intitulé « Le hamallisme dans la politique, les hamallistes et la

décolonisation », Boukary Savadogo étude le sujet de façon générale et réfute la

371 GERARD Claude, Les pionniers de l’indépendance, op. cit., p.30. 372 DOUMBI Fakoly, Le Mali 50 ans après, de Modibo Keita à Amadou Toumani Touré, Paris, MENAIBUC,

2010. p.17. 373 TRAORE Alioune, Islam et colonisation en Afrique : Cheikh Hamahoullah, homme de foi et résistant, Paris,

éd. Maisonneuve et Larose, 1983, p.98.

Page 196: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

195

thèse d’Alioune Traoré selon laquelle le hamallisme a adhéré au R.D.A.374 Par

ailleurs, nos enquêtes de terrain sur le sujet n’ont pas été non plus révélatrices. Par

conséquent, nous ne disposons pas d’éléments suffisants pour mieux cerner la

question. Cependant, la répression infligée aux soufis insoumis au régime colonial

pousse, certes, ces derniers à recourir à tous les moyens pouvant précipiter, d’une

manière ou d’une autre, le départ de l’administration coloniale.

Ils aspirèrent enfin à soutenir tous les efforts qui pourraient aboutir à

l’indépendance du Mali. Ce faisant, ils adhérèrent, selon nos informateurs,375 aux

partis politiques pour faire entendre leur voix, notamment le parti anticolonial de

l’époque, le R.D.A., qui disposait de sections locales partout en A.O.F. Les guides

spirituels mobilisaient des soutiens matériels au profit de leur candidat et lui

facilitaient la tâche politique.

C’est dans ce cadre qu’il faut citer le fervent et richissime adepte de Hamallah,

Yakoub Sylla, qui déploya des moyens colossaux au service du R.D.A. lors des

élections territoriales en mars 1957. Afin de corroborer les objectifs de

décolonisation qui se préparaient minutieusement à la fin des années 50, son fils

Amadou Yakoub Sylla n’hésita pas à se présenter également à la députation à Nioro

au nom du R.D.A. A. Piga évoque à juste titre ce rôle majeur joué par les soufis,

notamment les hamallistes, dans la lutte pour l’indépendance du Mali, et la manière

dont ce rôle a même conduit l’administration coloniale à modifier certaines données

géographiques pour contenir les activités anticoloniales :

« Il ne fait aucun doute que la persécution injuste à laquelle ont été soumis des

disciples a jeté les bases culturelles et politiques d’affirmation d’une identité

nationale. Ce n’est pas un hasard si la hamalliyya, après 1945, conflue

justement dans le Rassemblement Démocratique Africain, parti d’opposition

actif dans les colonies francophones de 1945 à 1958, au cours de la période qui

a immédiatement précédé l’époque des indépendances. Le rôle joué par la

rébellion hamalliste est si important qu’il a même conduit à faire modifier la

frontière territoriale entre la Mauritanie et le Mali en 1944, dans le seul but de

374 SAVADOGO Boukary, Confrérie et pouvoir : la Tijâniyya hamawiyya en Afrique de l’Ouest : 1909-1965,

Université de Provence, 1998, (dactylogr., Thèse 3e cycle, directeur : Jean-Louis Triaud), p. 350. 375 Entretien avec cheikh tiǧānī Ibrahim Thiam à Ségou, le 26/8/2011.

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196

pouvoir mieux contrôler les nombreuses poches inquiètes de disciples

hamallistes. »376

Dans la même veine de la lutte pour l’indépendance du Mali, le rôle des adeptes

de la Salafiyya fut également crucial. Ils entreprirent des actions allant dans le sens

d’éveil de la conscience et dans la sensibilisation de la population, notamment à

travers leur nouveau système éducatif, qui consistait à enseigner conjointement les

matières religieuses et scientifiques. Tous ces efforts conjugués aboutiront, enfin, à

la concrétisation de leur rêve. Mais comment les maîtres spirituels profitèrent-ils de

l’indépendance du Mali ?

L’indépendance une fois acquise, les soufis acquirent plus de liberté. Car la

nouvelle constitution du Mali indépendant garantit clairement la liberté religieuse,

la liberté d’expression et la liberté de conscience, tout en interdisant la torture, la

maltraitance, en somme la violation de tout droit humain. A cet égard, les textes

constitutionnels énoncent :

Article 1er : la personne humaine est sacrée et inviolable. Tout individu a droit à la

vie, à la liberté, à la sécurité et à l'intégrité de sa personne.

Article 2 : tous les Maliens naissent et demeurent libres et égaux en droits et en

devoirs. Toute discrimination fondée sur l'origine sociale, la couleur, la langue, la

race, le sexe, la religion et l'opinion politique est prohibée.

Article 3 : Nul ne sera soumis à la torture, ni à des sévices ou traitements

inhumains, cruels, dégradants ou humiliants. Tout individu, tout agent de l'Etat qui

se rendrait coupable de tels actes, soit de sa propre initiative, soit sur instruction,

sera puni conformément à la loi.

Article 4 : Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion,

de culte, d'opinion, d'expression et de création dans le respect de la loi.

En conséquence, profitant de ce climat favorable, les soufis purent diversifier leurs

voies et leurs stratégies pour diffuser le soufisme au Mali.

376 PIGA Adriana, Les voies du soufisme au sud du Sahara, Paris, éd. Karthala, 2006, p.187.

Page 198: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

197

2. Les voies et stratégies de diffusion du soufisme dans le Mali indépendant

Le soufisme au Mali a emprunté diverses voies pour se répandre. De nouvelles

méthodes, qui étaient jusqu’alors peu connues voire inexistantes, servirent à diffuser

le soufisme au Mali à plus grande échelle. C’est ainsi que les soufis ne manquèrent

pas d’utiliser leur charisme et leur rang social avantageux pour propager leur voie

spirituelle. Les disciples étaient également formés dans ce sens et reprenaient le

flambeau après leur maître spirituel. Les zāwiyas et les medersas ainsi que les

nouvelles technologies modernes (internet, radio, télévision et tous les supports

nouveaux) servirent entre autres à la diffusion de ces voies spirituelles. Les ziyāras

et les grandes conférences furent également des moyens de prosélytisme soufi dans

le pays. Mais quelles sont les différentes stratégies employées par les soufis pour

diffuser leur message mystique ? Et en tout premier lieu quelle était la personnalité

des guides soufis qui contribuèrent à l’expansion du soufisme dans le Mali

indépendant.

2.1. La personnalité des guides soufis dans l’expansion du soufisme au Mali

Nous avons déjà observé que le rôle que joue aujourd’hui la personnalité des

guides spirituels est prépondérant et l’emporte sur tous les autres aspects de la

diffusion du soufisme. Etant donné l’analphabétisme de la majorité des adeptes

soufis au Mali, arguments et conviction ne semblent pas entrainer l’adhésion des

masses au soufisme. Mais comme nous l’avons constaté, c’est plutôt le charisme et

la forte personnalité des guides soufis souvent tirés de leur classe sociale qui

priment, mais sans toutefois généraliser. Certains maîtres spirituels changent-ils leur

nom de clan (ǧamu) pour se faire aisément des disciples et avoir de l’influence, par

la suite, sur leur société? Nous savons qu’un guide spirituel appartenant à un rang

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198

social dit supérieur n’a pas souvent dans la société malienne le même prestige et le

même charisme qu’un autre appartenant à un rang social dit inférieur. Tamari Tal

rapporte :

« Il arrivait que des élèves de souche libre refusent d’étudier avec un maître de

souche nyàmakala, neeno, ou nyeenbe. Chez les soninké du Dyahunu ‘‘Mali’’,

l’homme de caste qui a appris une grande partie du Coran par cœur reçoit le

titre de Seire. Le Seire est habilité à écrire le texte des amulettes, et il peut en

l’absence de marabout au village, laver le corps des morts. Toutefois, il ne

reçoit jamais l’aumône, couramment offerte aux marabouts.»377.

Il importe donc de souligner la personnalité des maîtres spirituels dans la

diffusion du soufisme. A cet égard, les guides spirituels les plus influents dans la

période postcoloniale sont nombreux. Nous ne retiendrons donc, en guise

d’illustration, que les figures les plus marquantes pour l’expansion du soufisme

dans le Mali indépendant. Parmi ceux-ci figure le fils du fondateur du Hamallisme,

Muḥammad uld Hamallah.

2.1.1. Muḥammad uld Hamallah, un maître spirituel hamalliste (1938-)

Muḥammad uld Hamallah, connu sous le nom de « Bouyé », est aujourd’hui le

seul fils vivant du cheikh Hamallah. Il est né en 1938 à Nioro. Il avait trois ans

quand son père fut déporté en France en 1941. Il est à l’heure actuelle le premier

responsable de tous les hamallistes. Si le Hamallisme a connu un moment de

léthargie suite à la déportation de son fondateur à l’époque coloniale, il revient

aujourd’hui au cœur des activités religieuses et politiques. Car son guide spirituel

jouit d’une grande influence dans toutes les régions du Mali, notamment à Nioro,

son fief, à Kayes, à Ségou et à Bamako.

C’est ainsi qu’il usa de sa position sociale avantageuse pour une large diffusion

du soufisme sous la bannière de la tarîqa fondée par son père, le hamallisme, car il

s’inscrit dans le lignage chérifien et se réclame de son origine mohammadienne. Cet

377 TAL Tamari, Les castes de l’Afrique occidentale, artisans et musiciens endogames, Nanterre, Société

d’ethnologie, 1997, p.50.

Page 200: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

199

attribut lui accorde un énorme privilège dans une société bien ancrée dans l’islam,

observant un respect tout particulier à l’égard de toute personne s’attribuant des

origines chérifiennes.

En outre, la réputation de sainteté de son père, Hamallah (m.1943), lui confère

également aux yeux des profanes tous les atouts nécessaires pour réussir dans son

prosélytisme. En bénéficiant de ces deux éléments majeurs (la réputation de son

père et son lignage chérifien), il lui fut donné de pénétrer facilement au cœur des

néophytes. Par ailleurs, il faut noter que tous les guides spirituels jouèrent

également sur le système des alliances matrimoniales, en contractant des mariages

polygamiques. Ceci permettrait de gagner à leur voie spirituelle des centaines de

familles, voire des tribus entières.378 Le rôle des hamallistes dans l’expansion du

soufisme fut absolument capital. Un autre guide spirituel hamalliste, A. H. Bâ,

universellement connu, dispensa également ses enseignements ésotériques au Mali

comme nous allons voir.

2.1.2. Amadou Hampaté Bâ (m.1991), un guide spirituel hamalliste

Cette figure très célèbre dans les milieux intellectuels est née à Bandiagara en

1901 et décédée en 1991. Ce presque centenaire a connu un parcours extrêmement

riche. Maintes études ont été consacrées à son œuvre littéraire, philosophique et

traditionnelle. Cependant sa vie spirituelle n’a que peu retenu l’attention des

chercheurs. Rares sont les études qui éclairent sa filiation spirituelle et son parcours

soufi en dépit de son énorme contribution à l’expansion du soufisme au Mali et par

ailleurs.

Son parcours de départ ne l’orienta pas vers des études religieuses. Il fut formé

dans les écoles coloniales françaises. Une fois qu’il obtint son certificat d’études

primaires en 1919, il quitta l’école pour entamer sa vie professionnelle. N’ayant pas

effectué d’études avancées en matière de religion, il eut recours à l’autoformation.

C’est ainsi qu’il acquerra plus tard une grande culture grâce à son autodidactisme

378 Informations recueillies auprès du hamalliste Abba Omar Maïga, le 08/03/10.

Page 201: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

200

sans fin. Son parcours professionnel le conduisit à Ouagadougou où il fut initié au

soufisme pour la première fois par un cheikh peu connu, Babali Hawali Ba.379

La vie spirituelle d’A. H. Bâ sera grandement marquée lorsqu’il prendra le

wird de son guide spirituel Tierno Bocar (m.1938), un tiǧānī de « douze grains » qui

se convertira plus tard au hamallisme Tiǧāniyya de « onze grains ». A.H. Bâ. se

soumit entièrement à son second cheikh, Tierno Bocar, et le suivit également dans

sa nouvelle voie hamalliste, en dépit des difficultés que cela présentait pour lui.

L’extrait suivant, rédigé par A.H. Bâ lui-même, explicite sa conversion au

hamallisme ainsi qu’à sa chaîne d’affiliation jusqu’à Ahmed Tiǧānī, fondateur de la

Tiǧāniyya:

« Mon vœu est d’être derrière toi en toutes choses. Même dans le paradis, je

voudrais que tu entres avant moi et que je ne fasse que te suivre. Je serai

partout avec toi et inconditionnellement avec toi. Aussi je te demande

maintenant de me renouveler mon wird. Et je lui tendis mes mains ouvertes

dans l’attitude de celui qui reçoit. Il procéda au tajdid, puis énonça la chaîne de

transmission : ‘‘Abou Bokar Salif (c'est-à-dire lui-même) Amadou Hama Ullah

(Chérif Hammallah) Cheikh Mohammad Lakhdar, Cheickh Tahar, Cheikh

Ahmed Tidjani et Seïdna Mohammad, le prophète de Dieu’’. Telle est la chaîne

que j’ai reçue de lui, puis il me bénit »380.

Les efforts entretenus par le disciple de Tierno Bocar dans le sens de la diffusion

du soufisme sont remarquables. Intellectuel, il usa de cet atout pour organiser des

grandes conférences durant lesquelles il sensibilisait son auditoire aux bienfaits du

soufisme, et défendait notamment le hamallisme qui fut diabolisé par le régime

colonial. A propos des efforts qu’il fournit pour éclairer les thèses soufies en

général et celles du hamallisme en particulier, il écrit lui-même :

« Je lui ‘‘son guide spirituel’’ demandai l’autorisation de me rendre à Dakar,

car à ma connaissance, la source de toutes les difficultés des « onze grains » se

trouvait en cette ville, en la personne de certains marabouts toucouleurs qui

avaient l’oreille du gouvernement général. L’idée me vint au moment même de

réaliser dans cette ville une conférence publique sur l’islam et sur la Tidjaniya

379SANANKOUA Bintou, « Amadou Hampât Bâ (1900-1991) » in David ROBINSON et Jean-Louis TRIAUD,

(dir.), Le temps des marabouts : itinéraires et stratégies islamiques en Afrique occidentale française, 1880-1960, Paris, éd. Karthala, 1997, p.402. 380 BA Amadou Hampate, Vie et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara, Paris, éd. Seuil, 1980,

p.98.

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201

de manière à mettre au clair une fois pour toutes cette affaire. Je me proposai

d’y aborder une étude approfondie des rites de la Tidjaniya et de leur

signification, les adeptes se contentant le plus souvent d’une adhésion

superficielle ou insuffisamment éclairée. J’espérais naïvement peut-être que

cela contribuerait à dissiper les malentendus. Quoi qu’il en soit, je ne parlai pas

à Tierno de cette idée qui m’avait traversé l’esprit. Lors de mon séjour à Dakar,

je pus réaliser, sous l’égide d’une association qui venait se constituer sous le

nom de « Fraternité musulmane », ma première conférence publique sur l’islam

et la Tidjaniya. Cette conférence connut un grand succès. Hélas, ce succès ne

put qu’exaspérer davantage le grand marabout Tal qui était déjà acharné à la

perte de Tierno.»381

Il écrivit de nombreux ouvrages ésotériques, qui feront plus tard l’objet de notre

étude, contribuant à faire connaître sa pensée mystique dans les milieux

intellectuels. C’est ainsi que le cheikh Bâ fit du milieu intellectuel son aire

d’influence.

2.1.3. Muḥammad Tunkara, un leader spirituel tiǧānī (m. 2012)

Cheickh Muḥmmad Tunkara, communément appelé « Guidio Almamy », est un

guide spirituel tiǧānī très réputé. Ce centenaire est né à Guidio, village près de

Ségou vers 1910. Le long cycle de sa vie s’est achevé le 20 novembre 2012.

Il fit ses études religieuses à Djenné auprès d’un maître coranique peu connu,

Somono Sonfo. Ce dernier l’initia à la Tiǧāniyya et lui transmit tout le savoir

mystique dont il disposait. Une fois bien imprégné d’enseignement ésotérique, ce

soufi entreprit un long voyage, afin de parfaire sa formation religieuse. C’est dans

ce sens qu’il parcourut tous les pays d’Afrique occidentale et séjourna longtemps au

Nigéria, afin de mieux préparer son périple qui le conduira aux lieux saints de

l’islam.382

381 Op. cit., pp.99-100. 382 Bamako Hebdo, n°67, “Almamy Guidio n’est plus” 24/11/2012.

Page 203: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

202

Une fois installé en Arabie Saoudite, le vieux mystique accomplit une action

miraculeuse qui marqua fort les habitants de la Mecque. Ses disciples racontent

qu’un saoudien du nom de Mubarak, directeur adjoint de la sécurité, était confronté

à une difficulté majeure, à savoir qu’il avait creusé un puits par l’intermédiaire

d’une entreprise américaine, mais que l’eau n’avait jamais jailli. Le puits demeurait

tari ; il avait perdu ainsi la somme colossale qu’il avait investie. Sur le conseil de

ses connaissances, il sollicita l’aide du vieux mystique. Ce dernier lui demanda

d’amener trois cailloux issus du même puits. Une fois sa bénédiction accomplie, les

cailloux furent jetés dans le fameux puits. Ce fut l’inondation, et le puits demeura

intarissable.383

A son retour au Mali, il fut sollicité par les gens de Guidio, son village natal,

pour diriger leur mosquée et assumer l’imamat. Mais le guide spirituel, souhaitant

se réfugier totalement dans la retraite spirituelle, refusa et tenta de se cacher. Les

habitants de Guidio, fermement déterminés, allèrent à sa recherche et le supplièrent

de se faire imam pour leur village. Finalement, il se soumit à leur demande, d’où

son nom « Guidio Almamy » signifiant l’imam de Guidio.

Il est à souligner que l’influence de ce guide spirituel s’exerça davantage sur la

population aisée, les commerçants fortunés et les hauts fonctionnaires. Ces derniers

constituaient un nombre important de ses disciples. Lors de son inhumation à

Ségou, l’ancien premier ministre en exercice était également présent pour présenter

ses condoléances et celles du Gouvernement. Sa personnalité fut déterminante pour

la diffusion du soufisme dans les milieux aisés, notamment à Ségou et à Bamako.

2.1.4. Sa‘ad ‘Umar Touré (m.1997), un guide spirituel tiǧānī

Cette figure tiǧānīe très influente est née vers 1909 à Ségou. Après avoir appris

le Coran auprès de son père ‘Umar Touré, il s’orienta vers les oulémas de son pays

pour parfaire sa formation. Il étudia les sciences linguistiques et littéraires chez un

érudit nommé cheikh Aḥmad al-Madanī. Il fréquenta également les maǧlis (assises)

383 Enquête effectuée dans les milieux des disciples d’Almamy Guidio, Bamako, 10/09/2012.

Page 204: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

203

du cheikh Muḥammad al-Amīn Thiam. Par ailleurs, il passa quatre ans dans les

écoles coloniales, où il apprit le français.

Il acquit une notoriété étendue dans toute l’Afrique occidentale, voire

internationale, grâce aux ouvrages qu’il rédigea, facilitant l’apprentissage de la

langue arabe et des sciences religieuses. Ses ouvrages comme ( al-Mabādi’ al-

ṣarfiyya : Les règles de conjugaison, al-Durūs al-naḥwiyya : Les leçons de

grammaire, Mu‘īn al-bāḥiṯīn fī qisma furūḍ al-wāriṯīn : Science de l’héritage, et

Ḥall al-masā’il : En jurisprudence islamique) devinrent des références et des

manuels didactiques dans plusieurs medersas de l’Afrique occidentale, et lui

assurèrent sa réputation.384

Lorsque les réformistes du courant Salafiyya s’installèrent au Mali dans les

années 40, il eut des divergences, voire des controverses houleuses avec ces

derniers. Il fustigea farouchement leurs thèses et rédigea des ouvrages afin de

défendre la Tiǧāniyya et réfuter sans relâche les enseignements propagés par ses

détracteurs. Nous analyserons plus loin son œuvre relative au soufisme. Cette

personnalité fervente du soufisme réussit ainsi, grâce à sa renommée intellectuelle, à

propager la voie spirituelle d’Ahmed Tiǧānī au Mali, notamment dans la ville de

Ségou et ses alentours. Son disciple orateur talentueux Ousmane Madani reprendra

le flambeau.

2.1.5. Ousmane Madani Haidara, un maître spirituel tiǧānī (1955-)

Né vers 1955 à Tamani (région de Ségou), Ousmane Madani Haïdara est un

guide spirituel d’une notoriété aujourd’hui quasi inégalable. Doué d’un talent

d’orateur et maîtrisant de manière remarquable le « bambara », langue mandingue

parlée dans la quasi-totalité de l’Afrique occidentale, il put répandre ainsi largement

ses messages ésotériques. Issu d’une Tiǧāniyya umarienne, il fut grandement

influencé par son maître spirituel Sa‘d ‘Umar Touré (m.1997) chez qui il fit ses

384 YAKOUB Ali, Ishām ‘ulamā’ al-’afāriqa fī al-ṯaqāfat al-‘arabiyya wa al-islāmiyya : ġarb ’ifrīqiyya

namūḏaǧan,Lagos, éd. Tanmola Publisher, s.d. p.31.

Page 205: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

204

études primaires, et qu’il suivit, par la suite, dans sa voie spirituelle. Il fréquenta

ensuite les assises maǧlis, d’un maître peu connu, appelé Ba Mama Worofana, pour

apprendre la jurisprudence islamique. N’ayant pas effectué d’études avancées en

sciences religieuses, il eut recours à l’autodidactisme.385

Ousmane Madani Haïdara se réclame d’origines chérifiennes comme Hamallah

et sa descendance. Dans ses prêches, il ne cesse de rappeler qu’il est l’héritier du

Prophète et qu’il divulguerait autant que possible la spiritualité de son grand-père

(le Prophète). Deux éléments majeurs lui permirent de répandre le soufisme au Mali

et même au-delà des frontières maliennes : son talent d’orateur et sa classe sociale

(chirifila) signifiant les descendants du Prophète. Cette classe sociale (chirifila)

continue, de nos jours, à jouir d’une vénération particulière dans la société

malienne.

Une nouvelle tarîqa, appelée « Anṣār Dīn ou Anṣāriyya », nom inspiré des

compagnons du Prophète à Médine, lui est attribuée. A l’origine, c’était une

association ayant obtenu son récépissé le 19 août 1991 mais transformée en tarîqa.

Ceci est dû au fait qu’il se distinguait des autres guides spirituels tiǧānīs par le

principe de « Bay‘a », serment indispensable pour adhérer à sa confrérie et signe

d’allégeance au maître spirituel. Pour les anṣarīs, il est obligatoire, en tant que

croyants, de faire la « Bay‘a » qui consiste à prendre six engagements sous l’égide

d’un guide spirituel :

1- Je n'associerai rien à Dieu

2- Je ne volerai jamais

3- Je ne commettrai point d'adultère

4- Je ne tuerai point mes enfants

5- Je ne calomnierai point

6- Je ne désobéirai point au Prophète.386

385 www.ansar-dine.fr. (consulté le 05/11/2012). 386 Confirmation donnée par le guide spirituel d’Anṣār Dīn de l’obligation de « Bay‘a » pour adhérer à sa confrérie

dans son prêche traditionnel du mawlid, le 25/02/2010 à Bamako.

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205

Ces six engagements se déduisent, d’après leur maître spirituel, du verset de la

sourate Mumtaḥina, l’Eprouvée : « O Prophète ! Quand les croyantes viennent te

prêter serment d'allégeance, et en jurent qu'elles n'associeront rien à Dieu, qu'elles

ne voleront pas, qu'elles ne se livreront pas à l'adultère, qu'elles ne tueront pas leurs

propres enfants, qu'elles ne commettront aucune infamie ni avec leurs mains ni avec

leurs pieds et qu'elles ne désobéiront pas en ce qui est convenable, alors reçois leur

serment d'allégeance, et implore de Dieu le pardon pour elles. Dieu est certes celui

qui pardonne, il est Miséricordieux.»387

Nos enquêtes de terrain révèlent qu’au cours du temps, le guide suprême de

l’Ansar Dīn a changé sa méthode de prêche. Il n’est plus virulent et provocateur à

l’égard des autorités maliennes et de ses pairs, comme il l’était au début de son

prosélytisme dans les années 80 avant d’obtenir sa reconnaissance officielle. Chérif

Haïdara prêche aujourd’hui l’union, la paix et le dialogue inter-confrérique et

interreligieux. Ne disait-il pas :

« Les musulmans doivent s'entendre, s'unir, s'aimer, se donner la main,

travailler pour le pays. Nous ne gagnerons rien dans l'égoïsme. Les chefs

religieux ne s'entendent pas. Les musulmans constituent au Mali une majorité

silencieuse, nous ne sommes consultés par personne. Comment peut-on être

nombreux et ne pas être écoutés par les pouvoirs publics. Parce qu'ils savent

qu'on ne s'entend pas. Les musulmans de notre pays doivent s’unir, s'ils veulent

être écoutés par l’Etat.»388.

En raison de ses discours fédérateurs des derniers temps, il a même été désigné

comme président de tous les prédicateurs du Mali. La puissante confrérie de

Haidara est implantée dans toutes les régions du Mali, son aire d’influence s’étend

non seulement sur tout le territoire malien mais aussi dans les sous-régions. Enfin, il

conviendrait de noter que la confrérie Anṣār Dīn du Chérif Haidara n’a aucune

relation, comme l’a déclaré maintes occasions ce dernier,389 ni idéologique ni

387 Coran : 60, 12. 388 Le guide spirituel d’Anṣār Dīn, lors de son discours traditionnel de mawlid, le 25/02/2010 à Bamako. 389 L’ndicateur de Nouveau, « Chérif Ousmane Haidara, guide d’Ansar Dine, le Prpophète n’a jamais contraint

un peuple à l’islam » le 26/02/2013, sous : http://www.malijet.com, (consulté le 27/04/2013). Voir aussi, Jeune

Afrique, « Mali : Cherif Haidara, prédicateur qui dit non à la ‘‘charia d’Iyad Ag Ghali » le 10/04/2012. Sous :

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206

amicale avec le mouvement du même nom récemment implanté au Nord du Mali et

dirigé par Iyad Aghali. Ce dernier prône la violence, prêche l’intolérance et

l’obscurantisme ; il imposait la šarī‘a par la force - faisant preuve d’une vision

foncièrement déviationniste - à la population du Nord du Mali, avant d’en être

chassé en janvier 2013 par l’armée malienne soutenue par les forces françaises et

africaines.

2.1.6. Bilal ‘Alī Diallo, un guide spirituel qādirī ( ?-)390

Plus connu au Mali sous le nom « Soufi Bilal », ce maître spirituel d’obédience

qādirīe est né à Ségou. Il sut exploiter sa personnalité dans la diffusion du soufisme

au Mali. Sa mère présumée sainte, originaire de Tombouctou, ville réputée pour

abriter 333 saints sur son sol, lui confère une place éminente dans les milieux

soufis. Ce maître spirituel au parcours atypique fut un ancien énarque ; il reçut sa

formation dans les écoles françaises ; mais une fois admis à l’université de Bamako,

il abandonna ses études à mi-parcours pour se consacrer au soufisme.

C’est ainsi qu’il sillonna toutes les régions du Mali, ainsi que les sous-régions en

quête de spiritualité. Il s’adonna à des exercices spirituels, ẖalwa, et relata avoir vu

le cheikh Aḥmad Tiǧānī en rêve. Ce dernier lui accorda, selon ses dires, le wird

tiǧānī. Ainsi, il garda ses deux affiliations, tiǧānīe et qādirīe. Imprégné de sciences

ésotériques et avancé dans son ascension spirituelle, il s’installa à Bamako où il créa

une ligue dénommée : la Communauté Musulmane des Soufis (C.M.S). Cet

organisme soufi lui permit de nouer le contact avec toutes les classes sociales du

pays et de diffuser aisément les enseignements soufis.

http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20120410130736/ (consulté le 27/04/2013). Voir aussi Info-

Matin « Appellation Ançardine par Iyad AG Ghali : Chérif Ousmane Madani Haidara lève l’équivoque » le

05/04/2012, sous : http://www.info-matin.com/index.php/actualite11/1983-appellation-ancardine-par-iyad-ag-

ghali--cherif-ousmane-haidara-leve-lequivoque (consulté le 27/04/2013). 390 Dans l’interviw du cheikh Bilal Diallo à Bamako, le 6 /9/2011, celui-ci n’a pas souhaité nous communiquer

son âge.

Page 208: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

207

Les prédictions qu’on lui attribue, accrurent sa notoriété et raffermirent le

caractère mystique de son personnage. En 2008, il prédisait : «‘‘Allah nous

gratifiera cette année d’une bonne pluviométrie et les semences fleuriront à

merveille. Mais les responsables et les hommes de pouvoir seront confrontés à des

problèmes en raison de certaines difficultés et de la cacophonie qui règneront sur la

terre.’’ Pour tester la véracité de ses prédictions, il n’y a qu’à voir les émeutes de la

faim et les crises qui éclatèrent un peu partout dans le pays » dit un disciple 391.

Son audience s’accroît également en raison des prêches qu’il effectue chaque

vendredi dans une mosquée aménagée dans sa maison à Bamako où les fidèles se

ruent pour écouter ses sermons en langue locale « bambara ». Il rédigea également

des œuvres ésotériques, dont « A la lumière du soufisme », afin de répandre ainsi le

soufisme à plus grande échelle, mais Bamako et Ségou demeurent son aire

d’influence. Ses ouvrages, qui contribueront enfin à parachever son œuvre

d’expansion du soufisme, feront plus tard l’objet de notre étude.

2.1.7. Lassana Kané, un guide spirituel qādirī ( ?-)

Présenté comme un descendant du Prophète, Lassana Youssouf Kané est un

soufi d’obédience qādirī. Son grand-père cheikh Muḥammad Kané fut un érudit qui

vint du septentrion du Mali pour s’installer à Ségou avec ses 300 disciples, tous

spirituellement accomplis. Eduqué dans ce milieu ésotérique, le guide spirituel

affirme que son héritage spirituel est infiniment authentique, parce qu’il affirme être

le 32e descendant d’Abd al-Qādir al-Ǧīlānī qui lui-même fut le 9e petit-fils du

Prophète. Cette position sociale accrédita grandement son discours ésotérique et lui

permit de diffuser le soufisme au Mali.

Présenté comme faiseur de miracles, sa personnalité lui confère également une

influence notoire. L’un de ses disciples évoquait en ces mots ses miracles qui

incitèrent les profanes à s’affilier à sa voie spirituelle :

391 Enquêtes de terrain à Bamako, le 17 juin 2011.

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208

- Faire tomber la pluie.

- Etre capable de se dédoubler, de communiquer avec un interlocuteur à distance

sans aucun moyen de communication (téléphone ou internet, etc.) et sans être en

contact physique avec lui.

- Disparaître de la vue de ses ennemis, en cas d’éventuelles attaques ou dans

d’autres situations catastrophiques.

Ces actions miraculeuses, attribuées à Lassana Kané, sont considérées comme des

karāmāt par ses disciples qui exploitent ce fait pour répandre davantage ses

enseignements mystiques. Son aire d’influence est principalement Ségou et

Bamako.

Toutes ces figures marquantes du soufisme au Mali ont, à grande échelle, contribué

à la diffusion exponentielle du soufisme dans le Mali indépendant. Leurs disciples

œuvrent également, il faut le noter, dans la même direction, comme nous allons

voir.

2.2. Le rôle des disciples dans l’expansion du soufisme au Mali

Les guides spirituels du Mali firent de leurs adeptes de véritables agents de la

diffusion du soufisme dans toutes les régions du pays. Certains d’entre eux

s’évertuent même à répandre la voie de leur maître spirituel au-delà des frontières

maliennes. C’est dans ce cadre qu’il convient de citer certains disciples les plus

actifs dans le prosélytisme soufi.

2.2.1. Disciples hamallistes dans la diffusion du soufisme

Certains disciples hamallistes jouèrent un rôle majeur dans l’expansion du soufisme

au Mali. Pour illustration retenons le cas des deux disciples les plus éminents :

Yacoub Sylla et Ismā’īl Dramé.

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209

Yacoub Sylla (m.1988), aspirant hamalliste de Nioro, contribua de manière très

remarquable à l’expansion de la tarîqa de son maître spirituel, cheikh Hamallah.

Ayant vécu à l’époque coloniale et postcoloniale, son prosélytisme fut même une

source d’inquiétude pour l’administration coloniale. En conséquence, il fut

également déporté en 1930, en Côte d’Ivoire. Il fut ainsi mis en accusation et

incarcéré par le régime colonial.

Une fois libéré, il innova une nouvelle méthode de prosélytisme. Cette fois-ci

il s’adonna à des activités commerciales qu’il fit fructifier de façon notoire et devint

immensément riche. Mais il mobilisa cette grosse fortune au profit de l’expansion

du hamallisme. Il faut noter que ses enseignements soufis, au demeurant, tendaient

vers la réforme de la société qu’il considérait en dérive totale. Ceci lui valut d’être

taxé d’innovation d’une nouvelle tarîqa que certains appelaient « le yacoubisme ».

A l’origine de cette nouvelle orientation, on évoque le rêve dans lequel il aurait reçu

le commandement spirituel suivant de la part de la fille du Prophète :

« Sa doctrine repose sur les entretiens qu’il aurait eus en rêve avec Fatima, fille

du Prophète ; celle-ci aurait dit son mécontentement de voir des femmes porter

des toilettes trop légères, des tissus de luxe, des voiles transparents et des

bijoux. Yacouba Sylla prescrivit la confession publique des péchés et

notamment de l’adultère dans un but de mortification et de purification. Il

proclama l’indépendance absolue de l’enfant dans la famille et de l’individu

dans la société ; enfin selon lui l’étude du Coran ne serait plus utile et

l’invocation lâ ilâha illallâh suffirait ; la fin du monde est proche ; le temps de

la pénitence est arrivé, il faut donc se consacrer à Dieu et il est inutile de

cultiver les champs ; l’égalité doit être absolue.»392.

Mais, dans un entretien accordé à Boukary Savadogo en 1994, par le fils de Yacoub

Sylla, ce dernier nie toute nouvelle voie spirituelle fondée par son père.393 A la mort

de Yacoub Sylla, en août 1988, il disposait d’ores et déjà au Mali, en Côte d’Ivoire

392 LAFEUILLE Roger, Le tijanisme à 11 grains ou hamallisme, Ouagadougou, Université du Burkina,

(mémoire inédit), 1993, p. 6. 393 SAVADOGO Boukary, Confrérie et pouvoir. la Tijâniyya hamawiyya en Afrique de l’Ouest : 1909-1965,

Université de Provence, 1998, (dactylogr, Thèse 3e cycle, directeur : Jean-Louis Triaud), p. 220.

Page 211: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

210

et au Burkina, des éléments nécessaires destinés à poursuivre la diffusion

hamalliste.

Le second disciple hamalliste fut lui aussi très influent, bien que très différent.

Ismā’īl Dramé un disciple hamalliste très populaire au Mali, fut connu pour ses

prêches sur la Radio Nationale (ORTM) chaque vendredi soir. Il faisait également

partie des fondateurs de la radio islamique qui émet à Bamako depuis 1994. La

journée du mardi était consacrée à ses prêches, par lesquels il a largement contribué

à répandre les thèses hamallistes. Son prosélytisme sur les ondes a raffermi

davantage les thèses du soufisme dans la société malienne. Il était désigné chaque

année comme guide des pèlerins de la filière gouvernementale pour les encadrer et

leur enseigner comment accomplir le pèlerinage à la Mecque. Mais d’autres

disciples soufis, non hamallistes, ont également contribué à la diffusion du soufisme

au Mali.

2.2.2. Les disciples non hamallistes dans la diffusion du soufisme

Le terme des disciples non hamallistes comprendra tous les aspirants tiǧānīs des

« douze grains » ainsi que les aspirants qādirīs. Si le rôle des disciples hamallistes

fut extrêmement considérable dans l’expansion du soufisme au Mali, celui des

disciples non hamallistes cependant n’est pas négligeable. Il convient de constater

que la bonne structuration dont jouissent les anṣārīs (disciples d’Ousmane Madani

Haidara) leur a permis de s’implanter dans toutes les régions du Mali, de manière

très coordonnée. C’est ainsi qu’ils peuvent œuvrer inlassablement à faire connaître

la pensée ésotérique de leur maître spirituel.

De façon générale, nous avons pu constater que les tiǧānīs umariens et

hamallistes sont plus actifs aujourd’hui sur le plan de la divulgation du soufisme

que leurs pairs qādirīs. Ces derniers, nous semble-t-il, adoptent dans la plupart des

cas la discrétion dans leur vie spirituelle. En dépit de l’ancienneté de la Qādiriyya

au Mali par rapport à la Tiǧāniyya, celle-ci l’emporte aujourd’hui par le nombre

Page 212: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

211

d’adeptes. Ce fait relève évidemment des actions prosélytes qu’adopta la voie

d’Ahmed Tiǧānī dès son implantation au Mali.

Si les disciples ont joué un rôle moteur dans l’expansion du soufisme au Mali, les

laboratoires authentiques du soufisme (les zāwiyas) continuent cependant à attirer

les nouveaux novices et à assurer leur formation mystique.

2.3. La place des zāwiyas dans la diffusion du soufisme

Sur le plan étymologique nous pouvons définir la zāwiya comme un coin, un

endroit isolé. Au sens soufi, Eric Geoffroy la décrit ainsi : « La zāwiya était une

école de vie intégrale. Laboratoire de l’expérience spirituelle collective en islam,

elle constituait un microcosme en dialogue avec le monde, échangeant avec lui

selon une respiration naturelle, et donnant toujours plus qu’elle ne recevait.»394. Les

zāwiyas ont joué également un rôle important dans l’évolution et dans l’expansion

du soufisme au Mali. Ces lieux, aménagés en général dans ou à côté de la maison

des guides spirituels, sont des véritables sources de formation et d’application des

préceptes soufis. Les zāwiyas sont aujourd’hui innombrables, éparpillées ici et là,

dans toutes les villes et dans tous les villages du Mali. Pour illustration, nous

retiendrons ci-après certaines zāwiyas les plus influentes du pays.

Les zāwiyas de Nioro du Sahel, celles des hamallistes et celles des tiǧānīs

umariens ont été le berceau de la Tiǧāniyya qui abrita ainsi les premières

communautés de fidèles. C’est à partir de ces zāwiyas que les voies spirituelles

tiǧānīes se sont diffusées dans le reste du pays. Cette ville, qui était une des

anciennes capitales d’al-Ḥāǧ ‘Umar Tal, est l’un des bastions aujourd’hui du

hamallisme. En effet, les grandes zāwiyas de Nioro ont des ramifications dans

toutes les régions du Mali ainsi que dans les sous-régions, comme la zāwiya

hamalliste de Raḥmatullaye, celle de Djibo au Burkina Faso, et la grande zāwiya

hamalliste de Gagnoa en Côte d’Ivoire.

394 GEOFFROY Eric, L’islam sera spirituel ou ne sera plus, Paris, éd. Seuil, 2009, p.193.

Page 213: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

212

Conscients de l’importance de la zāwiya dans la vie de leur voie spirituelle, une

nouvelle zāwiya hamalliste est en cours de construction, en remplacement de celle

qui date des années cinquante. Les disciples hamallistes se sont mobilisés pour

financer la nouvelle grande zāwiya de Nioro, d’un coût de plus de 555 millions de

francs CFA. Le maître spirituel lui-même a contribué à cette cause pour une somme

estimée à 50 millions de francs CFA, afin de donner l’exemple aux autres

donateurs.395

La zāwiya qādirīe de Dilly s’est illustrée également par son rôle capital dans la

diffusion du soufisme, dans la région de Koulikoro. Sa création, par le grand

mystique peul, Muḥammad ‘Abdullah Su‘ād (m.1852), remonte au XIXème siècle.

De nos jours elle continue à former les adeptes aussi bien sur le plan exotérique que

sur le plan ésotérique.

Retenons également la zāwiya de Kunta à Tombouctou ; elle est à l’origine d’une

diffusion large de la voie spirituelle de Ǧīlānī dans le Nord du pays. La

descendance du fondateur d’al-Muẖtāriyya y poursuit la propagation de la tarîqa de

leur grand-père, Sīdī al-Muẖtār al-Kabīr (m.1811).

La zāwiya qādirīe de Wouroboubou, il faut le rappeler, assura l’expansion du

soufisme dans la région de Mopti. Elle s’active aujourd’hui sous l’égide du guide

spirituel, Ibn Sāla, dans l’enseignement coranique et celui de l’ésotérisme. Enfin, la

puissante zāwiya qādirīe de Bamako, récemment créée et dirigée par Bilal Diallo,

constitue une institution moderne contribuant à la redynamisation et à la diffusion

du soufisme du pays.396 Si toutes ces zāwiyas ont participé au rayonnement du

soufisme au Mali, le rôle des medersas n’est pas moindre.

2.4. L’impact des medersas sur la propagation du soufisme

Les medersas se présentent comme des institutions privées, dispensant un

enseignement musulman bien structuré par rapport aux écoles coraniques. A cet

395 Informations recueillies auprès du hamalliste Abba Omar Maïga, le 08/03/10. 396 Enquêtes de terrain, à Bamako, Tombouctou et Mopti, août 2011.

Page 214: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

213

égard, la première medersa fondée au Mali, précisément à Kayes, par un indigène,

date de 1946. Elle fut l’œuvre d’un érudit al-Ḥāǧ Maḥmūd Ba (m.1978). Il faut

signaler ici l’inexactitude de la thèse de Louis Brenner selon laquelle cheikh Sa‘d

Touré fut le premier à fonder une medersa au Mali.397 Après avoir effectué des

études en sciences religieuses aux lieux saints de l’islam (Mecque et Médine), al-

Ḥāǧ Maḥmūd Ba rentra au Mali pour entreprendre une grande mission de réforme

au travers des nombreuses medersas qu’il créa.

Cette première medersa fondée à Kayes, appelée Medersa al-Falāḥ, s’assignait

le rôle de dispenser un enseignement éclairé, à l’aide de nouvelles méthodes

pédagogiques, qui rendaient le savoir musulman accessible à tous les niveaux,

prônant la diffusion d’une spiritualité axée uniquement sur l’orthodoxie. Sept ans

après, cette medersa fut vouée à la fermeture, fermeture provoquée par une décision

officielle du régime colonial, qui voyait en elle un danger potentiel contre son

système éducatif. Mais à la fin des années 50, les étudiants sortants d’al-Azhār

redynamisèrent cet enseignement religieux moderne et suivirent les pas de leur

prédécesseur Maḥmūd Ba, qui put, il faut le noter, créer 77 medersas dans

l’ensemble de l’Afrique occidentale.398

Ces jeunes diplômés, rassemblés dans une association dénommée « Šubbān

Muslimūn : les Jeunes Musulmans », contribueront également à répandre une

instruction spirituelle qui se voulait orthodoxe. A cet égard, la medersa salafīe qui

connut le plus de succès et de pérennité est, sans doute, la medersa « al-Ma‘had al-

Islāmī » créée par ladite association et dirigée par Ahmed Yatabare, et par la suite,

par ses descendants jusqu’à nos jours.399

Ce nouveau système d’enseignement combinant les matières religieuses et

modernes ne sera pas réservé aux réformistes du courant Salafiyya, car les guides

des autres confréries vont s’en inspirer.

397 BRENNER Louis, « La culture arabo-islamique au Mali » in OTAYEK René, (dir.), Le radicalisme islamique

au sud du Sahara : da‘wa, arabisation et critique de l'Occident, Paris, éd. Karthala, 1993, p. 178. 398 YAKOUB Ali, ’Ishām ‘ulamā’ al-’afāriqa fī al-ṯaqāfat al-‘arabiyya wa al-islāmiyya : ġarb ’ifrīqiyya

namūḏaǧan,op. cit., p.32. 399 Entretien avec Abd Aziz Yatabaré, directeur de la medersa al-Ma‘had al-Islamī, à Bamako, le 02/09/2012.

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214

C’est ainsi qu’une medersa vit le jour également en 1947 à Ségou, dirigée par

Sā‘d Touré, Bokar Thiam et Hāšim Thiam. Plus tard, chacun créera sa propre

medersa. Deux medersas connaîtront une existence durable, celle de Sā‘d Touré

appelée « Madrasa Sabīl al-falāḥ al-islāmiyya », et celle de Bokar Thiam,

dénommée « Madrasa Sabīl al-naǧāh wa la-flāḥ ». Les enseignants de ces medersas

d’obédience tiǧānīe umarienne œuvreront, à partir de leur nouvelle institution

éducative, à une diffusion large du soufisme au Mali. C’est dans les années

postcoloniales, avec une liberté quasiment acquise, que ces medersas vont connaître

leur apogée. Des milliers d’élèves en provenance de toutes les régions du Mali ainsi

que des sous-régions, comme la Côte d’Ivoire, le Burkina et le Sénégal, affluèrent

pour bénéficier de l’enseignement de ces medersas. Cheikh Sa‘d Touré souligne

l’importance de ce nouveau système éducatif :

« Je veux que mes élèves, dit Touré, soient à égalité avec les enfants de la ville

qui fréquentent l’école française. Quand ils se rencontrent, ceux-ci parlent des

matières qu’ils apprennent : la géographie, la géométrie etc. Aussi longtemps

que nos enfants demeurent muets devant eux, il y aura une séparation entre les

deux groupes. Mais s’ils apprennent les mêmes matières qu’eux, avec en plus

la religion, alors nos enfants leur seront supérieurs. De cette façon, ils attireront

aussi des camarades à la religion musulmane. »400.

Si les medersas furent peu nombreuses durant l’époque coloniale, elles

connurent cependant, dans le Mali indépendant, une explosion manifeste. Avec

l’avènement de l’indépendance en 1960, le premier président malien, Modibo Keita

(m.1977), un panafricaniste, promut les medersas dans le pays, afin de créer un

climat d’entente et une atmosphère amicale entre le Mali et les pays arabes. En

effet, il leva toutes les contraintes relatives à la création d’une medersa, jadis posées

par les colonisateurs français, et accorda même des subventions à ces nouvelles

écoles musulmanes.

Des diplômés maliens sortant de ces medersas étaient également intégrés dans

la fonction publique, et des bourses d’études leur étaient accordées dans le but de

parachever leur formation dans des pays arabes, notamment l’Egypte et la Tunisie.

400 Cité par : COULON Christian, Les musulmans et le pouvoir en Afrique noire : Religion et contreculture,

Paris, éd. Karthala, 1983, p.112.

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215

Les medersas, il faut le signaler, atteignirent leur point culminant sous la présidence

de Moussa Traoré (1968-1991). C’est ainsi qu’en 1985, en étant affiliées à

l’Education Nationale par le décret n°112 PG-RM du 30 avril 1985, les medersas

acquirent une plus grande reconnaissance de la part des autorités maliennes. Mais

les soufis du Mali ne se bornèrent pas en matière de diffusion du soufisme à la

création des medersas, ils mirent également en place une autre stratégie, les ziyāras.

2.5. Ziyāra ou rencontre annuelle des soufis au Mali

Ziyāra signifie littéralement la « visite », mais selon son acception soufie elle

signifie une « visite pieuse » qui se tient généralement dans les lieux sacrés. Au

Mali, toutes les confréries soufies organisent tous les ans des ziyāras pour rendre

hommage à leur cheikh, vivant ou mort. Elles en font non seulement des moments

propices au recueillement, mais aussi une aubaine pour répandre leurs voies

spirituelles et convaincre les hésitants. A cet égard, quatre ziyāras sont à retenir, car

ce sont les plus mobilisatrices et les plus influentes :

1- La Ziyāra de Nioro, fief des hamallistes

2- La Ziyāra de Dilly, centre influent des qādirīs

3- La Ziyāra de Tamani, berceau du guide spirituel des anṣārīs

4- La Ziyāra de Wouroboubou, fief des qādirīs

2.5.1. Ziāra de Nioro, fief des hamallistes

La ziyāra de Nioro se tient chaque année à l’occasion de l’anniversaire de la

naissance du Prophète, al-Mawlid al-nabawī. Tous les ans à cette date, les

hamallistes envahissent la ville de Nioro pour rencontrer le guide suprême du

hamallisme et l’unique descendant vivant de leur cheikh Hamallah. Il faut souligner

que le nombre des participants à cette ziyāra s’accroît de plus en plus, année après

année. En 2010, près de trente mille hamallistes, venus pour la ziyāra, ont été

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216

dénombrés dans la ville de Nioro, qui a connu une effervescence religieuse durant

toute une semaine.

Les activités religieuses, durant cette ziyāra, se tiennent sous l’égide du Shérif

de Nioro ; elles comportent les rituels suivants :

- Veillée spirituelle dans la grande zāwiya de Nioro

- Lecture du Coran

- Lecture des litanies hamallistes de façon collective

- Recueillement sur les tombes des saints

- Sacrifices distribués aux nécessiteux

- Allocution du guide spirituel dans laquelle il remercie ses adeptes pour leur

allégeance au hamallisme et les exhorte à lui consacrer leur vie.

Il faut également souligner que cette ziyāra est une occasion pour les adeptes

d’apporter leur soutien matériel au maître spirituel. C’est ainsi que chaque aspirant

contribue financièrement à la promotion de la tarîqa en finançant le guide spirituel

et toutes les activités de la confrérie. Il est évidemment constaté que les guides

spirituels au Mali figurent parmi les plus richissimes du pays, grâce aux dons, aux

offrandes et aux présents offerts lors de chaque ziyāra.401

Nous nous interrogeons pour savoir si l’aspect financier qui enrichit les ziyāras

constitue le fondement de la pérennisation des ziyāras qui sont très suivies. Ou si

c’est la piété qui les conduit à participer très régulièrement tous les ans. Comment

concevoir que certains adeptes, les plus nécessiteux, contribuent à l’enrichissement

matériel d’un cheikh déjà immensément fortuné ?

2.5.2. La ziyāra de Tamani, berceau du guide spirituel des anṣārīs

401 PELIZZARI Elisa et SYLLA Omar, La transmission du savoir islamique traditionnel au Mali : entre

soufisme tijani et écoles coraniques, Paris, éd. L’Harmattan, 2012, p.33.

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217

La ziyāra de Tamani dans la région de Ségou est une autre grande manifestation

soufie au Mali. Elle s’inscrit dans la lignée d’une visite pieuse rendue aux tombes

des parents et des grands-parents du guide spirituel d’Anṣār Dīne, qui sont entre

autres Madani Haidara, Chirfi Moussa Haidara, Mamadou Haidara et Moussa Fitini

Haidara. La ziyāra de 2012 a été marquée par une très forte participation de la part

des adeptes, venus de tous horizons. La présence de certaines sommités religieuses

a été également signalée, comme l’imam de la grande mosquée de Bamako, Kokè

Kallé, le muqqadam des tiǧānis umariens de Nioro, Amadou Thierno Hady Tal, le

qādī Alpha Kunta, ainsi que plusieurs prêcheurs connus au niveau national.

Lors de cette ziyāra, effectuée sous la houlette d’Ousmane Madani Haidara, un

grand nombre d’activités religieuses a été accompli :

- Visite sur les tombes des parents du maître spirituel des anṣārīs accompagnée de

prières pour le repos des âmes des défunts

- Lecture massive du Coran

- Prêche des sommités religieuses signalées ci-dessus, sur le thème du bien-fondé

de la ziyāra dans la šarī‘a et sur la manière dont le Prophète lui-même, ainsi que ses

compagnons, l’avaient perpétué par la suite ;

- Prières particulières pour le retour de la paix au Mali, frappé par une crise sans

précédent

- Incitation des participants à préserver l’union sacrée des musulmans au Mali,

afin de pouvoir œuvrer ensemble pour surmonter la crise actuelle du pays.

- Précisions données par le guide d’Anṣār Dīn, tenant à se démarquer du groupe

extrémiste, du même nom que sa confrérie, et qui occupait le Nord du Mali où il

appliquait la šarī‘ā selon sa vision, vision erronée. Cette ziyāra de 2012, la plus

mobilisatrice au Mali, a connu la participation des soufis venus de neuf pays.402

Elle se tient chaque année après la fête de l’‘īd al-’Aḍḥā (tabaski).

C’est grâce à ces ziyāras que le soufisme s’affirme année après année au Mali.

402 L’Indépendant, n° 988, le 01/11/2012, « Ziyāra de Tamani »

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218

2.5.3. La ziyāra de Wouroboubou, un fief des qādirīs

Wouroboubou, village situé dans le cercle du Macina, accueille chaque année une

ziyāra en signe de perpétuation de la mémoire d’un cheikh très célèbre, appelé Seku

Sāla Krembé, mort en 1982 à Bankass, dans la région de Mopti, et inhumé à

Wouroboubou. Cette ziyāra, rappelons-le, débuta en 1994 sous l’hospice de

Boubakar Seku Sāla. Dès lors, le nombre des participants ne cessa de croître. Des

milliers de qādirīs y affluent chaque année, au mois de mai avant la saison des

pluies, pour effectuer leur visite pieuse. Aujourd’hui l’héritage spirituel du cheikh

Sāla est assuré par son fils Ibrāhim, connu sous le nom de « Bara ». Selon les

disciples qādirīs avec qui nous nous sommes entretenu, les activités de cette ziyāra

se déroulent ainsi :

- Effectuer une prière collective et individuelle sur la tombe du cheikh Sāla

- Participer à une veillée spirituelle pendant laquelle des prêches et des sermons

sont tenus par les grands élèves du cheikh, jusqu’à l’heure de la prière de faǧr

(prière du matin)

- Organiser une autre prière après le faǧr pour bénir le pays et les participants de

la ziyāra

- Renouveler la moustiquaire ou le rideau blanc pendu sur la tombe du cheikh

- Organiser un concours hippique tout en récompensant les gagnants de la course

- Collecter, enfin, les offrandes et les dons au profit de la famille du cheikh

La ziyāra de Woroboubou se distingue par la participation de représentants de haut

niveau de l’Etat. Pour la ziyāra de 2010, les activités ont même été couronnées par

la présence de l’ancien Président de la République, Amadou Toumani Touré.403

2.5.4. La ziyāra de Dilly, centre influent des qādirīs

403 http://www.journaldumali.com, (consulté le 08/11/2012.)

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Dilly, village situé dans la région de Koulikoro, est l’un des grands fiefs qādirīs

du Mali. Ce village a connu la présence de sommités religieuses grâce auxquelles il

devint un bastion soufi incontournable du Mali. A cet égard, il conviendrait de citer

le cheikh Modibo Kane (m.1940), et sa mère Oumou Dilly (m.1942), très connue

comme femme spirituellement accomplie, étant également l’unique fille d’un autre

saint, Moḥammad ‘Abdullah Su‘ād (m.1852). Plus tard, le fils du cheikh Modibo

Kane, appelé Sīdī Modibo Kane,404 assurera l’héritage spirituel de cette famille

Kane de Dilly.405

Sīdī Modibo œuvra de façon remarquable à l’expansion du soufisme dans

toute la région de Koulikoro. Il mourut en 1990, et son frère et successeur spirituel,

Amadou Modibo Kane, reprit le flambeau et poursuivit son œuvre d’expansion du

soufisme jusqu’à sa mort en 2012. Aujourd’hui, l’autorité spirituelle de Dilly est

assurée par son fils, Modibo Amadou Modibo Kane. La ziyāra de Dilly se déroule

chaque année à l’occasion du mawlid. Pendant cette ziyāra on assiste à diverses

activités religieuses, entre autres :406

- La visite de la tombe du grand-père de la famille soufie, cheikh Muḥammad

‘Abdullah Su‘ād située à Dina, un village proche de Dilly.

- La visite de la tombe de Modibo Kane, de celle de sa mère Oumou Dilly et de

celle du plus célèbre guide spirituel, Sīdī Modibo Kane à Dilly.

- La lecture coranique collective pour le repos des âmes des défunts

- La prière nocturne, ṣalāt al-tahaǧǧud, dirigée par les membres de la famille

Kane.

- Les sermons des muqaddams qui sont également accordés aux novices

- L’intervention du cheikh pour exhorter à la piété et bénir la présence des

participants

- La collecte de dons en l’occurrence pour la provision de la famille Kane

404 Voir la lettre écrite par ce guide spirituel dans les Annexe A n° 22. 405 A.N.M. 4E 26-5, F.R. Marabouts, personnages religieux, Cercle de Nema, Politique musulmane, 1942. 406 Entretien avec des disciples de Dilly, Modibo Sangaré et Abdoulay Sangaré à Bamako, le 2/9/2012.

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220

Il est à constater que les exercices spirituels pratiqués lors de ziyāras sont en

majeure partie identiques entre les différentes voies spirituelles du Mali (lecture du

Coran, visite des tombes des saints, prières collectives, et prêche des guides

spirituels). Cependant, il importe de noter ici que la lecture du Dalā’il al-ẖayrāt par

les soufis maliens est également récurrente lors des ziāras et en d’autres occasions

par les soufis maliens. Nous parlerons donc de ce recueil du guide spirituel

marocain Muḥāmmad ibn Sulaymān al-Ǧazūlī (m. 1465), appelé « Dalā’il al-

ẖayrāt » pour son importance capitale dans la pratique spirituelle des soufis

maliens. Qu’est-ce que « Dalā’il al-ẖayrāt » ? Comment est-il utilisé par les soufis

du Mali ?

De son nom complet «Dalā’il al-ẖayrāt wa šawāriq al-anwār fī ḏikr al-ṣalāt

‘alā al-Nabī al-Muẖtār : Signes de bonheurs et étincelles de lumière de la récitation

de la prière sur le Prophète élu ». Rédigé il y a plus de cinq siècles par l’imam al-

Ǧazūlī, l’auteur de «Ǧāmi‘ karāmāt al-’awliyā’ » résume par ces mots l’histoire

prodigieuse qui poussa al-Ǧazūlī à écrire ce fameux recueil :

« L’heure de prière arriva et l’imam al-Ǧazūlī se leva pour faire ses ablutions ;

il se dirigea vers un puits proche. Il n’y trouva pas de quoi puiser de l’eau et

resta perplexe. Sur ce fait, une fillette qui était sur une colline l’interpella et dit

‘‘ Qui es-tu ? ’’ Je lui dis qui j’étais. Elle dit ‘‘ Toi homme vénéré et pieux, tu

n’arrives pas à puiser de l’eau faute de moyen approprié !’’. Elle souffla dans

le puits, et aussitôt le puits déborda d’eau. L’imam al-Ǧazūlī, une fois finies ses

ablutions, demanda à la fillette de lui confier son secret miraculeux. Elle

répondit : ‘‘C’est grâce à ma récitation nourrie et incessante de la prière sur le

Prophète que j’ai obtenu ce degré de spiritualité si élevé, et Dieu m’a accordé

ce miracle, karāma’’. C’est ainsi que al-Ǧazūlī jura par Dieu de consacrer un

ouvrage à la prière sur le Prophète »407.

Cet ouvrage de l’imam al-Ǧazūlī est composé de sept chapitres conformément

au nombre des jours de la semaine. Il y cite une formulation spécifique pour chaque

407 AL-NABAHĀNI Yūsuf, Ǧāmi‘ karāmāt al-’awliyā’, Beyrouth, éd. Dār al-kutub al-‘ilmiyya, 1996, p. 276.

Traduction personnelle.

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221

jour de la semaine de la prière sur le Prophète, ṣalāt ‘alā al-Nabī. En somme, ce

recueil constitue un éloge de haute formulation, comme son auteur l’avait voulue.

Mais ce qui nous importe ici, après cette présentation concise de l’ouvrage, est de

savoir pourquoi et comment les soufis du Mali l’adoptèrent unanimement et lui

accordèrent autant d’importance ? Au Mali, qādirīs et tiǧānīs ne divergeaient pas sur

l’usage du Dalā’il al-ẖayrāt. Ils manifestaient ainsi leur amour profond pour le

Prophète à travers cet ouvrage. Mais pourquoi mirent-ils un accent particulier sur

cet ouvrage bien précis ?

Selon nos enquêtes de terrain, les voies spirituelles maliennes voulurent

préserver la ligne directive léguée par leurs prédécesseurs, à savoir accentuer

l’amour du Prophète dans les voies spirituelles. A cet égard, ils optèrent pour un

recueil consacré à l’éloge et à la prière sur le Prophète, le Dalā’il al-ẖayrāt, qui,

selon leur opinion, comprend la quintessence de tous les ouvrages ésotériques des

soufis les plus éminents ayant trait à la prière sur le Prophète.

Rappelons que cet ouvrage a fait et fait l’objet de critiques de la part des

adeptes du courant Salafiyya. Ils le considèrent comme une dérive et une innovation

religieuse, bid‘a, constituant une menace quant à la formulation de la prière sur le

Prophète enseignée par le Prophète lui-même, à savoir la ṣalāt ibrāhīmiyya adoptée

pour leur spiritualité, comme nous l’avons susmentionné.408 Notons maintenant les

circonstances dans lesquelles les soufis du Mali recommandent la lecture du Dalā’il

al-ẖayrāt :

- Ziyāra ou visite pieuse

L’occasion de ziyāra fait l’objet de la lecture répétitive du Dalā’il al-ẖayrāt. Cet

ouvrage se lit en intégrité de trois à quarante fois par les disciples, puis la lecture

sera couronnée par la prière du guide spirituel.

- La vision du Prophète

408 Supra., p.168.

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222

Il est conseillé à tout novice souhaitant voir le Prophète en rêve de réciter plusieurs

fois le Dalā’il al-ẖayrāt. C’est avéré à travers l’histoire soufie, confirme un cheikh

qādirī, que les aspirants qui veulent accélérer leur ascension spirituelle peuvent y

parvenir en s’adonnant à la lecture de cet ouvrage béni. Ils verront ainsi le Prophète

régulièrement, qui leur conférera des conseils précieux pour leur spiritualité.

- Lors du mariage

Les soufis du Mali pour bénir un mariage contracté, s’adonnent de manière

récurrente à la lecture de Dalā’il al-ẖayrāt. L’ouvrage, en version morcelée, est

partagé entre les adeptes présents au lieu du mariage. Chacun participe de cette

manière à la lecture d’une partie de l’ouvrage. A la fin de la lecture, le cheikh

procède aux dou‘ā’ pour les nouveaux mariés.

- Le septième jour de naissance, tasmiya

La tasmiy, habituellement célébrée au Mali le septième jour de la naissance, donne

également lieu à la lecture du Dalā’il al-ẖayrāt. L’imam ou le cheikh, ayant

prononcé solennellement le prénom du nouveau-né aux assistants, invite les fidèles

à la lecture du fameux ouvrage pour couronner la cérémonie. La lecture est répartie

entre les fidèles, comme nous l’avons décrit, si un bon nombre d’entre eux est

habilité à la lire, sinon le cheikh seul, se charge de la lecture de cet ouvrage d’une

centaine de pages.

- L’accès à une nouvelle habitation

La lecture du Dalā’il al-ẖayrāt est également recommandée par les soufis du Mali

lorsqu’un adepte acquiert une nouvelle maison. Afin de chasser Satan et les démons

et d’attirer les grâces divines, baraka, sur la nouvelle habitation, les soufis

s’assemblent dans la nouvelle demeure et lisent tout le Dalā’il al-ẖayrāt. Cette

lecture est généralement suivie par le sacrifice d’une bête dont la viande est

distribuée aux nouveaux voisins et aux gens démunis.

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223

- Suite au décès

Les soufis au Mali ne tardèrent pas à lire le Dalā’il al-ẖayrāt pour le repos de l’âme

de leur défunt. Cette lecture se fait, selon nos observations, le jour même du décès,

le troisième jour et le quarantième jour. La lecture est également pratiquée sur

invitation des proches du défunt, à tout moment, notamment les vendredis pour

l’accomplissement de cet exercice.

- Lors d’un voyage

Afin d’effectuer un voyage protégé et béni, les soufis lisent en l’occurrence le

Dalā’il al-ẖayrāt à l’intention du voyageur, et parfois lui accordent même une copie

de l’ouvrage qu’il pourra mettre dans ses bagages, dans le dessein d’obtenir une

protection totale et certaine.

- Pour tout besoin impérieux

La lecture de Dalā’il al-ẖayrāt par les soufis du Mali ne se limite pas aux cas

susmentionnés, mais elle peut s’étendre à toute autre situation dans laquelle

l’aspirant se sent en besoin de résoudre une difficulté et de s’attirer une grâce

divine. C’est dans ce cadre qu’il faut inscrire la lecture de ce fameux recueil lors de

la quête d’un emploi, la réussite d’un examen ou la guérison d’une maladie.

Nous pouvons nous demander si ces différentes sortes d’application du Dalā’il

al-ẖayrāt furent enseignées ou recommandées par l’auteur lui-même ?

Certes non, l’auteur écrit son ouvrage dans le but de se rapprocher de son Seigneur

par la prière sur son Prophète, mais un cheikh qādirī justifie ces différentes

applications par ces mots :

« Nous les soufis avons déduit toutes ces applications du nom même de

l’ouvrage ‘‘Dalā’il al-ẖayrāt’’ c’est-à-dire ‘‘Signes du bonheur’’. Donc nous

avons estimé bénéfique de le lire lors de toutes nos occasions heureuses pour

accroître le bonheur, et lors des occasions tristes pour atténuer la tristesse et la

douleur. Ceci se fait à la lumière du geste d’un compagnon qui exorcisa un

malade par la lecture de la sourate al-Fātiḥa, voulant ainsi sa guérison ; il le fit

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224

sans en être autorisé par le Prophète, qui approuva, par la suite, son action. Nos

différentes applications du Dalā’il al-ẖayrāt seraient également approuvées par

Ǧazūlī s’il était vivant aujourd’hui »409.

Si les ziyāras sont des moments de rencontre forts pour les soufis, ceux-ci

cependant ne s’en contentent pas pour s’affirmer dans la société malienne. Une

autre stratégie existe encore, à savoir l’organisation de grandes conférences afin de

dynamiser davantage la communauté soufie et diffuser la pensée mystique à plus

grande échelle.

2.6. Les grandes conférences des soufies au Mali

Les soufis du Mali ont également adopté aujourd’hui la stratégie des grandes

conférences pour se faire connaître, divulguer leur pensée mystique et traiter de

problèmes variés ayant trait à l’histoire, à la société et à d’autres questions. En effet,

le Mali contemporain a connu la tenue de plusieurs grandes conférences soufies

sous son ciel. Nous retiendrons, à titre d’illustration, les quatre grandes conférences

soufies les plus remarquables :

1 - L’une des plus grandes conférences soufies, qui connut une des participations les

plus massives, fut celle organisée à Bamako, le 22 mai 2010. Le thème retenu était

le suivant :

« Le soufisme pour un monde sans violence »

Cette grande manifestation soufie fut initiée et se tint sous l’égide du guide

spirituel qādirī Lassana Kané dont le rôle crucial dans l’expansion du soufisme a été

évoqué plus haut. Cette conférence a réuni toutes les figures emblématiques du

soufisme du Mali, entre autres le guide spirituel des anṣārīs Chérif Ousmane

409 Entretien effectué auprès du cheikh Bakkay Tal, Diougani, Mali, le 28/08/2011.

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225

Haidara et le leader spirituel de C.M.S Bilal Biallo. Il est à souligner que cette

conférence avait une dimension nationale et sous-régionale, car toutes les régions

administratives du Mali y étaient représentées, ainsi que des délégations du Burkina

et de la Côte d’Ivoire.

Lors de cette conférence, les conférenciers ont prêché la nécessité de diffuser

une culture de tolérance, d’ouverture et de paix, tout en mettant l’accent sur le rôle

du soufisme dans la pacification des sociétés. L’un des conférenciers exhorta la

communauté soufie à s’unir et à coordonner ses efforts afin de mener à bien sa

mission salvatrice : «Il est temps de casser le mur de la méfiance et de coordonner

les actions du soufisme basées sur l’entraide, la solidarité et la bonne foi. C’est-à-

dire, la pureté du cœur.»410

2- Le soufisme au Mali ne s’intéresse pas désormais uniquement à des questions

d’ordre spirituel, mais également à des questions portant sur le développement et la

productivité. C’est ainsi qu’une grande conférence a été organisée à Bamako, sous

l’égide du guide spirituel de C.M.S (Communauté Musulmane des Soufis) Bilal

Diallo, le 10 avril 2010, sur le thème :

« Quelles initiatives pour un islam de production et de développement ? ».

C’était une aubaine, pour les soufis du Mali, de se rassembler afin de produire

une réflexion sur l’apport du soufisme au développement de la société. Les

conférenciers ont souligné tour à tour, les solutions préconisées par l’islam pour

éradiquer la misère et la pauvreté de la société. Le but principal de la conférence

était ainsi d’éveiller les consciences et de faire savoir que le soufisme, comme le

rappelait le maître spirituel Diallo, ne se résume pas seulement à passer tout son

temps dans les ẖalwas ou dans les zāwiyas, mais aussi à travailler et œuvrer jusqu’à

atteindre l’autonomie financière et avoir la capacité de venir en aide aux autres, car

l’image du bon soufi est bien différente de celui qui consomme et ne produit pas.411

410 Le Guido, n° 43, le 26/05/2010, « Première grande rencontre des soufis à Bamako ». 411 Indicateur du Renouveau, n° 95, le12/04/2010, « Islam et développement : les soufis du Mali posent la

question »

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226

Ce genre des sujets, évoqué par les intellectuels soufis, et qui touche le cœur

même des difficultés de la société malienne, a suscité un grand intérêt dans les

milieux administratifs. Et nous avons constaté que cette grande conférence soufie a

été épaulée par le ministère de l’emploi et de la formation professionnelle, qui n’a

pas manqué de manifester sa satisfaction.

3 - Dans ce sens, il convient de noter qu’à l’occasion de l’anniversaire de la 67e

année de déportation du guide suprême des hamallistes, cheikh Hamallah (déporté

le 19 juin 1941), les hamallistes ont organisé une journée de réflexion et de

commémoration sur sa vie et sa tarîqa. C’était le 19 juin 2008 à Nioro, fief du

hamallisme. A cette occasion, les historiens ont tenu des conférences pour élucider

le contexte dans lequel le Chérif de Nioro a été déporté par le régime colonial. L’un

des intervenants conclut en ces mots :

« Cette flamme ne mourra jamais, aujourd’hui plus que jamais, le Hamallisme

sous la clairvoyance du dernier enfant du Cheick en vie, Ahmedou, le temple

s’est élargi et l’idéal d’une société égalitaire, renforcé. En ce jour de souvenir,

les zāwiyas entonneront le zikr autour des valeurs léguées du Chérif. Valeurs

éternelles de justice, de travail ancré dans la liberté et le respect de l’autre. En

ce 19 juin, nous Hamallistes pardonnons cet autre de 1941 mais nous

n’oublierons jamais »412.

Ces moments sont donc également une occasion de jeter un regard et de prendre

position sur les événements du passé.

4- Cette stratégie des grandes conférences pour l’expansion des enseignements du

soufisme se poursuit. C’est dans ce cadre qu’il faut inscrire également le colloque

international organisé par les hamallistes, cette fois-ci à Dakar, le 13 avril 2009,

dans le dessein de célébrer le centenaire de l’investiture du cheikh Hamallah comme

guide suprême de la tarîqa. Si le chérif de Nioro a été porté à la tête de la confrérie

en 1902, cependant, il ne devint véritablement le guide absolu qu’après le décès de

son Maître Sīdī Muḥammad Laẖḍar en 1909. Pour commémorer ce 100e

anniversaire, les hamallistes avaient retenu le thème suivant :

412 http://www.afribone.com, (consulté le 09/11/2012.)

Page 228: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

227

« Le drame politique de l’administration coloniale française entre 1925 et 1941

face au Chérif Hamallah.»

En effet, les intervenants évoquèrent le drame et l’injustice subis par le cheikh

Hamallah, durant les 16 années situées entre 1925 et 1941. Les hamallistes à l’issue

de ce colloque international, demandèrent même réparation et dédommagement

pour leur guide spirituel.413

Enfin, il importe de noter la tenue du grand colloque national qui réunit tous les

tiǧānīs du Mali. Ce colloque, qui s’est tenu à Bamako 19 octobre 2008, constituait

une étape préparatoire à la création d’une assemblée regroupant tous les tiǧānīs du

Mali. Ce rêve tiǧānī s’est concrétisé en 2011 avec la naissance de ConféNAT-Mali

(Conférence Nationale des Adeptes de la Tarîqa Tiǧāniyya du Mali). Ceci fut

possible grâce à l’appui du Roi du Maroc qui promit d’offrir à la communauté

tiǧānīe malienne un siège comportant tous les éléments relatifs au bon

fonctionnement de la tarîqa (zāwiya, mosquée, salle de conférence et medersa). En

attendant la réalisation de ce projet de création d’un siège, le Royaume marocain se

charge de financer le siège temporaire qui abrite cette conférence.414

Pour quelles raisons le Roi du Maroc a-t-il participé à la création et au

financement de cette nouvelle organisation tiǧānīe ConféNAT-Mali ? Nous pensons

que le Maroc étant le sol qui héberge la tombe du fondateur de la confrérie soufie la

plus influente au Mali, la Tiǧāniyya, a voulu garder sa mainmise et son influence

sur les adeptes de son hôte prestigieux, cheikh Ahmed al-Tiǧānī, où qu’ils se

trouvent. Il faut rappeler que c’est au Maroc, précisément à Fès, qu’a lieu tous les

ans la grande ziyāra des tiǧānīs maliens.

Si cette stratégie de rassemblement est très appréciée au Mali, les nouvelles

techniques de communication offrent également des outils précieux pour la

diffusion du soufisme au Mali et hors du pays.

413 http://fr.allafrica.com., (consulté le 09/11/2012.) 414 Al-Ṣadāqa, « al-Maǧlis al-ittiḥādī al-waṭanī li murīdī al-ṭarīqat al-Tiǧāniyya fī Mali » n°65, août 2012.

Page 229: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

228

2.7. La technologie moderne de communication et la diffusion du soufisme

Les soufis du Mali indépendant diversifient leurs méthodes pour affirmer leur

présence dans la société, et répandre la pensée soufie. Ce faisant, ils exploitent

également les outils modernes de communication comme la radio, la télévision et

internet.

2.7.1. Sites internet des soufis maliens dans la diffusion du soufisme

Aujourd’hui, le réseau internet n’est pas largement accessible au Mali et les

adeptes soufis ne sont pas en majeure partie initiés à son usage. Les soufis

n’hésitent cependant pas à confirmer leur présence sur le web également, afin de

gagner la confiance des internautes et de les convaincre du bien-fondé de leur voie

spirituelle. Nous avons mené une enquête sur la présence virtuelle des guides soufis

du Mali. Il s’avère que seulement deux d’entre eux, sur une centaine de maîtres

spirituels maliens, disposent aujourd’hui d’un site internet. Il s’agit de celui du

guide des hamallistes, et de celui d’Anṣar Dīn.

a- Sites internet des hamallistes

L’adresse de leur site est la suivante : www. alhamawiyya.org

La page d’accueil du site affiche les photos du Cheikh Hamallah, ainsi que celle de

son fils Muḥammad, guide suprême du Hamallisme aujourd’hui. Il offre les

rubriques suivantes :

1- Accueil

2- Actualités

3- Conférence de Dakar

4- Visite de Mouhammad uld Cheikhna

5- La Hamawiyya

6- Zikr

Page 230: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

229

7- Evénements

8- La Sainte Famille

9- Les Moughadams

10- La vie des premiers disciples

11- Les Zawiyas

12- Les Talibés de Cheikhna et les sympathisants

13- Vidéos des Conférences415

Notons cependant que toutes ces rubriques sont vides de contenu à l’exception des

rubriques 3, 4 et 13. Le site n’est pas du tout à jour et reste pour le moment très

pauvre. Si ce site a été élaboré dans le dessein de la promotion du Hamallisme par

les fervents intellectuels hamallistes, il demeure cependant peu consulté.

b- Sites internet des anṣārīs

Comparé au site des hamallistes, le site du guide des anṣārīs est plus à jour. Il est

accessible à partir de l’adresse suivante : www.ancardinehaidara.com.416 La page

d’accueil arbore la photo du maître spirituel des anṣārīs, accompagnée de la devise

suivante « Le Chemin est là ». Le site se compose des rubriques suivantes :

1- Accueil

2- Qui est le C.O.M.H

3- Ansar-Dine

4- Agence Chérifla

5- AFIM

6- Centre de Santé

Cependant ces rubriques sont vides de leur contenu hormis les 5 et 7, où une

biographie concise a été consacrée au guide spirituel d’Anṣār Dīn, tout en

annonçant la création d’un compte d’épargne et de crédit accessible aux disciples.

La validité de ce site provient de sa mise à jour permanente, même si la plupart des

415 www.alhamawiyya.org (consulté le 15/11/2012). 416 www.ancardinehaidara.com (consulté le 19/11/2012).

Page 231: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

230

rubriques restent vides, car les actualités concernant le guide et la tarîqa y sont

diffusées régulièrement. Sur ce site nous pouvons également lire certains articles

récents abordant les questions confrériques ainsi que des extraits d’interviews

accordées par le maître spirituel aux médias maliens. Afin de rendre le site plus

attractif pour les adeptes d’Anṣāriyya, il y a la possibilité d’écouter des chansons

composées en l’honneur du chef de la tarîqa.

Un deuxième site a également été créé par les adeptes de l’Anṣāriyya de la

diaspora, notamment ceux vivant en France. Ce dernier est plus dynamique et plus

riche. Il est animé et financé par les anṣārīs de France. On peut le consulter à

l’adresse internet suivante : www.ansar-dine.fr.417 Et on y trouve les rubriques

suivantes :

- Adhésion à l’islam

- Adhésion à l’Ansar-Dine

- Prêches

- Le Coran

- Les Hadiths

- Maouloud

- Cours islamiques

- Questions et Réponses

- Collection de DVD.

Les deux sites anṣārīs se réclament de la même devise : « Le chemin est là ». Grâce

à la rubrique « Actualités Ançar–dine internationale » ce site offre plus

d’informations que le premier. Sa mise à jour est également constante. Il permet

ainsi de consolider le lien entre les adeptes d’Anṣār Dīn de l’extérieur et la source

mère du Mali.

2.7.2. Radios et télévision dans la diffusion du soufisme au Mali

417 www.ansar-dine.fr, (consulté le 19/11/2012).

Page 232: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

231

Si la portée d’Internet reste encore restreinte, les soufis du Mali exploitent encore

un autre outil moderne plus accessible par la grande masse au Mali : radio et

télévision. Dans une interview accordée au journal l’Indépendant, le guide de la

C.M.S affichait clairement ses ambitions de créer une radio et une télévision, afin

de diffuser le plus largement possible ses enseignements soufis :

« A la question de savoir ce qu’il redoutait le plus, entre la pauvreté, la vieillesse et

la mort, il répond «l’ignorance». Dans l’avenir, il ambitionne de créer un journal,

une radio et une télévision privés pour propager sa voie à grande échelle et faire

connaître la communauté soufie. »418

A l’heure actuelle, les projets ambitieux du soufi Bilal demeurent en herbe, et

n’ont pas d’abord vu le jour. Cependant, le guide spirituel des anṣārīs a réussi à

mettre en place une radio FM appelée « La Voix du citoyen » qui émet à Bamako

sur 92.9 MHZ. Des centaines de cassettes enregistrées au cours des divers prêches

du Chérif Ousmane Madani Haidara y sont diffusées. Si cette radio a pour vocation

principale de mieux faire connaître la pensée de son promoteur et de remporter

l’adhésion des auditeurs, elle diffuse également d’autres émissions à caractères

culturels, éducatifs, sportifs et musicaux.

Cette radio ne se contente pas de développer son prosélytisme à Bamako, mais

elle est d’ores et déjà accessible sur la toile, ce qui permettrait au maître de Banconi

de véhiculer ses instructions soufies à l’échelle internationale. De plus, c’est

également une aubaine pour les adeptes anṣārīs de la diaspora qui souhaitent garder

le contact avec leur source spirituelle. L’adresse de cette radio sur internet est la

suivante : www.lavoixducitoyen.com.419

Concernant les chaînes de télévision soufies, jusqu’à l’heure actuelle, il n’existe

aucune chaîne au Mali consacrée à la diffusion du soufisme, même si le projet en

est formé. Les soufis du Mali ne manquent donc pas de stratégies pour répandre le

soufisme au Mali, employant tour à tour des stratégies traditionnelles et des

418 L'Indépendant, « Rassemblement général des soufis » n°542, le 17/09/2009. 419 www.lavoixducitoyen.com. (Consultée le 10/11/2012).

Page 233: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

232

stratégies plus modernes. Mais aussi leur vision et leur dessein plus englobant ne se

limitent pas à un rôle religieux, mais touchent également au domaine politique et

social.

CHAPITRE II : LES FORMES DE PRESENCE POLITIQUE ET SOCIALE

DES SOUFIS DANS LE MALI INDEPENDANT

L’indépendance du Mali marqua de façon considérable le paysage religieux du

pays. L’entrave de la liberté religieuse et la surveillance étroite pratiquée durant la

période coloniale sur les guides religieux ont été allégées voire abandonnées.

Profitant de ce nouveau contexte favorable, certains maîtres spirituels ne

dissimulent plus leur résolution à pénétrer dans l’atmosphère politique malienne et à

apporter également leur contribution dans le domaine social.

1. Présence politique des soufis dans le Mali d’aujourd’hui

Si certains pays, comme la France, se préservent de l’influence des religieux

dans la sphère politique, la question se pose autrement au Mali. Le prestige et

l’influence dont disposent les religieux de façon générale et les soufis de façon

particulière les incitent à ne pas se résigner et à ne pas rester en marge de la

politique. Le Mali est certes une république laïque. La constitution de 1961

amendée par celle de 1992, l’énonce sans équivoque :

Préambule, aliéna 2 : « Le peuple souverain du Mali s’engage solennellement à

défendre la forme républicaine et la laïcité de l'Etat, proclame sa détermination à

défendre les droits de la Femme et de l'Enfant ainsi que la diversité culturelle et

linguistique de la communauté nationale »

Article 28 : « Les partis concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et

exercent librement leurs activités dans les conditions déterminées par la loi. Ils

Page 234: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

233

doivent respecter les principes de la souveraineté nationale, de la démocratie, de

l'intégrité du territoire, de l'unité nationale et de la laïcité de l'Etat ».

Article 118 : Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie

lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire ; la forme républicaine et la

laïcité de l'Etat ainsi que le multipartisme ne peuvent faire l'objet de révision.

Cette laïcité bien affirmée et réaffirmée par la constitution malienne a-t-elle- un

sens univoque ? Ou peut-elle être interprétée de diverses façons ? Comment les

soufis sont-ils impliqués dans la vie politique ?

En premier, nous avons constaté que politiciens et religieux divergent sur la

définition de la laïcité. La laïcité se présente ainsi comme un moule dans lequel

chacun met le sens qu’il veut. Selon un leader spirituel :

« La laïcité consiste à faire en sorte que la religion ne soit pas imposée à tous, que

les non-croyants et les autres confessions puissent exister et vivre leur différence ;

sans partager forcément cette conviction, l’Etat laïque ne rejette pas les religions ;

ceci est le fait des Etats irréligieux. L’Etat laïque intègre les religions dans la

conduite des affaires publiques. Tout ce que nous avons souhaité et demandé,

c’est que la loi qui devrait régir notre existence en tant qu’être social soit

conforme à nos aspirations profondes, à nos valeurs sociales et religieuses »420.

Il ressort de cette conception de la laïcité que l’Etat doit prendre en considération,

dans sa gestion étatique, les valeurs religieuses et ne doit pas entrer en opposition

avec les religieux.

Pour certains juristes maliens « Un Etat laïque est un Etat qui ne s’immisce pas

dans les questions religieuses et qui est d’égal partage entre les différentes

religions »421. Selon cette définition, l’Etat laïque affirme l’indépendance des

affaires religieuses et doit observer la neutralité envers toutes les religions, sans

420 http://journaldumali.com/article.php?aid=2453 (consulté le 03/04/2012). 421 http://journaldumali.com/article.php?aid=2453 (consulté le 03/04/2012).

Page 235: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

234

toutefois être influencé par l’une ou par l’autre. Cette définition, nous verrons, est

loin de la réalité malienne vécue actuellement.

Il est donc à noter que les principes qui régissent la laïcité dans le contexte

malien impliquent les points suivants :

- L’inexistence d’une religion d’Etat

- La possibilité pour chaque citoyen d’adhérer à la religion de son choix

- L’interdiction absolue de discrimination fondée sur la religion, dans la gestion

publique

- Le respect des convictions religieuses de chaque citoyen.422

Si la laïcité française veut que les espaces publics soient exempts de signes

religieux, la laïcité malienne cependant n’y voit rien qui contredise ses principes de

laïcité. Elle se présente, en effet, comme une laïcité adaptée aux réalités de la

société. Ainsi, il est tout à fait fréquent de voir dans les ministères, les écoles

publiques et les hôpitaux publics des espaces aménagés pour la prière, ṣalāt. Les

signes religieux ostensibles n’y sont pas interdits. Mais aussi la laïcité du Mali est

dominée par l’islam, étant donné qu’il s’agit d’un pays à majorité musulmane. En

effet, les musulmans représentent 90% de la population, alors que les catholiques,

les protestants et les animistes tous ensemble n’en représentent que 10%.

Par ailleurs, il est à constater que les dirigeants de la première République

(1960-1968) et ceux de la deuxième République (1968-1991) ont su amadouer les

maîtres spirituels. Pour manipuler la majorité musulmane, afin de se maintenir le

plus longtemps possible au pouvoir, le président de la deuxième République,

Moussa Traoré, a même érigé un tribunal islamique à Kayes, mais ce tribunal n’a

jamais fonctionné en fait, car les citoyens n’étaient pas obligés d’y avoir recours.

Ce même président n’hésitait pas non plus à fermer tous les bars durant tout le

Ramadan. C’est lui qui créa également A.M.U.P.I (l’Association Malienne pour

l’Unité et le Progrès de l’Islam) en 1980, pour conforter davantage les leaders

422 SOW Boubacar, l’Etat et la religion au Mali, (mémoire non édité), ENA, 1978, Bamako, p.23.

Page 236: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

235

spirituels. Pour L. Brenner, le régime de Moussa Traoré était résolu à renforcer

l’identité musulmane du pays au détriment de la laïcité de l’Etat423. Toutes ces

œuvres adoptées en faveur de l’islam de la plus haute autorité du Mali étaient

destinées à maintenir les maîtres spirituels loin de la sphère politique.

Cependant, il faut attendre l’avènement de la troisième République (1991-)

pour voir l’implication forte de soufis dans la vie politique. A notre avis, ceci est dû,

d’une part, à l’avènement de la démocratie et du multipartisme avec la troisième

République, et d’autre part, à l’activisme des nouvelles générations soufies

influencées par le courant activiste de la Salafiyya.

Cette implication des soufis dans la vie politique a pris aujourd’hui plus

d’ampleur, notamment en ce début du XXIème siècle, se manifestant lors des

élections municipales, législatives et présidentielles. Les guides spirituels s’activent

pour inciter leurs adeptes à s’inscrire sur les fiches électorales, tout en encourageant

certains de leurs disciples intellectuellement reconnus à conquérir le pouvoir, ou, le

cas échéant, à rallier un candidat ayant des affinités avec eux. En ce sens, il est

souvent constaté que les leaders spirituels sont systématiquement courtisés par les

politiques, dans le but de bénéficier de leur soutien indéfectible, souvent nécessaire

pour obtenir une victoire électorale au Mali.

Il est à noter que les élections présidentielles de 2002 et de 2007 ont été

marquées par un véritable soutien des guides spirituels en faveur du parti R.P.M

(Rassemblement Pour le Mali), dirigé par Ibrahim Boubakar Keïta. Notamment les

hamallistes soutinrent avec enthousiasme cet ancien premier ministre. Des appels

étaient lancés dans les mosquées et dans les zāwiyas invitant les fidèles à voter pour

ce dernier. En conséquence, I. B. Keïta est passé au deuxième tour, mais a toutefois

perdu devant l’ancien Président Amadou Toumani Touré qui a difficilement

423 BRENNER Louis, « Constructing muslim identities in Mali », in Louis BRENNER (dir.), Muslim identity

and social change in sub-saharan Africa, London, C.Hurst and Co. 1993, p.71.

Page 237: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

236

remporté les élections. Cependant, ce président ne fut pas à l’abri de ses détracteurs,

qui dénoncèrent les conditions frauduleuses dans lesquelles il a été élu et réélu.424

Si l’opposition politique joue un rôle crucial dans une démocratie en fustigeant

la gestion étatique lorsqu’elle est à la dérive, les leaders spirituels du Mali n’hésitent

pas, pour autant, à adresser des diatribes à l’endroit du pouvoir public. Chaque

année, à l'occasion du Mawlid, ce sont des milliers de personnes qui affluent à

Bamako pour cette manifestation musulmane dont la célébration est à la fois, pour

les confréries, une expression d'identité et une démonstration d'influence. Au-delà

du discours purement religieux et des enseignements sur la vie du Prophète de

l'islam, ces rencontres annuelles sont aussi des occasions d'interpellation des

pouvoirs politiques sur la gestion des affaires publiques et la moralisation de la

société.

Lors de Mawlid 2009, au Stade Modibo Kéita de Bamako qui était comble

(25000 places assises), le guide spirituel d’Anṣār Dīn a saisi l’occasion pour fustiger

la justice malienne : « Elle fait pleurer les pauvres au profit des riches et des

titulaires d'une parcelle de pouvoir. J’invite le président malien à veiller à la saine

distribution de la justice sous son mandat. Le premier responsable du Mali doit

s'assurer que la justice est bien rendue entre les Maliens, car il n'y aura pas de

bonheur dans notre pays tant que la justice ne sera pas saine et tant que les pauvres

continueront à subir des décisions iniques »425.

Quel rôle les leaders spirituels ont joué dans la crise actuelle, sans précédent, que

le Mali vient de connaître ? Le coup d’Etat survenu au Mali le 22 mars 2012, fut

une véritable apocalypse malienne, car tous les maux se sont abattus conjointement

sur le peuple malien : la rébellion occupait le nord du pays (deux tiers de la

superficie du Mali), l’embargo était imposé par la C.D.E.A.O (Communauté

Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest), l’armée était désorganisée et l’Etat

décapité, du jamais vu dans l’histoire du Mali.

424 NASSOKO Issa, L’Etat et la religion au Mali de 1960 à nos jours, Bamako, éd. Jamana, 2009, p.231. 425 Enquête de terrain, Bamako, le 10/08/2011.

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237

Conscients de la gravité de la situation, les maîtres spirituels décidèrent

d’apporter leur contribution à la résolution de la crise. C’est ainsi qu’ils organisèrent

non seulement des prières collectives et répétitives pour le retour de la paix, mais

qu’ils s’efforcèrent également de rencontrer les responsables politiques afin de jouer

un rôle de médiation et d’apaisement.

Selon les guides spirituels, cette catastrophe politique survenue au Mali était

due à la corruption délétère qui gangrène les plus hautes autorités du pays. En guise

de solution proposée pour remédier à cette crise, les maîtres spirituels ont donc créé

un mouvement qui a pour objectif d’empêcher toute personne politique corrompue

ou corruptrice d’accéder au commandement du Mali. La création effective de ce

mouvement dénommé « Sabati 2012 », a été annoncée aux fidèles lors d’une grande

mobilisation qui eut lieu le 12 août 2012.426

Le rôle de ce mouvement est de recruter des jeunes musulmans dans toutes les

régions du Mali, afin d’en faire de véritables représentants des maîtres spirituels et

des acteurs actifs de la vie politique du pays, dans le dessein de barrer la route à

toute personne politique corrompue et malhonnête lors des élections prochaines. Il

est à noter que la création de ce mouvement a eu un impact fort tangible dans les

milieux politiques. C’est désormais une arme redoutable entre les mains des maîtres

spirituels du Mali, qui pourra permettre d’assujettir les responsables politiques aux

vœux de ces derniers.

Faut-il signaler que le guide spirituel d’Anṣār Dīn et président du Groupement

des Leaders Spirituels du Mali (GLSM) a confirmé tout récemment la détermination

des leaders spirituels à s’impliquer davantage dans la vie politique lors des élections

présidentielles prochaines : « On ne peut plus laisser la gestion de ce pays continuer

de cette manière. Car chaque jour, la misère s’amplifie, la chute continue pour notre

426 Nous étions présent lors de l’annonce de ce nouveau mouvement.

Page 239: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

238

pays à cause de la mauvaise gouvernance. On ne peut plus laisser n’importe qui

diriger ce pays »427.

La création, pour la première fois dans l’histoire du Mali, d’un Ministère des

Affaires religieuses et du Culte en août 2012 par le gouvernement de transition, est

un signe patent de l’influence grandissante des maîtres spirituels sur le pouvoir

public. Le nom du Ministère révèle déjà son rôle. Il est désormais chargé des

missions religieuses et cultuelles jusque-là exercées par le Ministère de l’Intérieur.

Ce ministère, il faut le rappeler, est piloté par un ministre proposé par la quasi-

unanimité des guides spirituels. Avec la situation critique au Nord du Mali

provoquée par les groupes extrémistes se revendiquant de la šarī‘a, ce nouveau

ministère a d’ores et déjà une lourde tâche. Il s’active à sensibiliser la population et

à confirmer la dangerosité des idéologies prônées par ces derniers, tout en les

qualifiant d’envahisseurs et de terroristes à combattre.428

1.1. Les Codes et la défense des valeurs musulmanes

La société malienne est régie par des lois qui s’inspirent plus ou moins de la

šarī‘a. Les mutations incessantes du monde actuel imposent aux législateurs de

réviser et de proposer des amendements qui, selon leur opinion, adaptent la

législation malienne à l’évolution de la société et la mettent en conformité avec la

conjoncture universelle, notamment celle concernant les Droits de l’Homme.

1.1.1. Le Code malien des personnes et de la famille

Il y a plus d’une dizaine d’années, le code malien des personnes et de la

famille était sur la table de négociation, afin d’élaborer un texte considéré comme

révolutionnaire en matière des droits des enfants et des femmes. C’est ainsi que la

quasi-totalité des députés ont voté le 3 août 2009 le nouveau Code des personnes et

de la famille. Ce nouveau Code est depuis lors au centre d’une vive polémique ; il a,

427 Le Républicain « Cherif Ousmane Madani Haidara, président du Groupement des Leaders Spirituels du Mali

‘‘Nous allons donner une consigne de vote à la prochaine présidentielle’’ » le 9 mai 2013, sous :

http://www.malijet.com/a_la_une_du_mali/71287-cherif_ousmane_madani_haidara.html (consulté le 11/5/2013) 428 Propos du chef de cabinet du Ministère des affaires religieuses et du culte, Bakary Danioko, sous :

http://directinfos.net/index.php/dernieres-articles/1084-bakary-danioko, (consulté le 16/3/2013).

Page 240: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

239

en effet, été dénoncé par les leaders spirituels qui ont organisé une grande

manifestation, du jamais vu au Mali. Cela se passait le samedi 22 août 2009

(premier jour du Ramadan 1430 de l’Hégire) au Stade du 26 mars à Bamako, où

plus de cinquante mille musulmanes et musulmans se sont réunis pour exprimer leur

refus d’appliquer le Code, et pour lancer également un avertissement aux dirigeants

du pays afin de dissuader le président de la Réplique de le promulguer.

En première ligne de ce combat juridique, le guide spirituel des hamallistes,

Muḥmmmad uld Hamallah, communément appelé Bouyé. Il mena cette bataille

sous la houlette du Haut Conseil Islamique dirigé aujourd’hui par l’imam Maḥmūd

Dicko. Le chérif de Nioro délivra des messages abrupts à l’encontre du pouvoir

public. En voici un extrait qui révèle sa détermination :

« Que quelqu’un vienne de l’extérieur, qu’il nous dise que notre mode de vie

n’est pas bon et qu’il veuille nous imposer le sien, est une insulte. Nous disons

que pour ce code-ci ou toute autre loi, nous devrons y faire face avec foi. Allah

a dit que pour tout ce qui arrive comme difficulté, nous devons y faire face

avec persévérance et foi. Et Incha Allah, nous allons nous comporter de la

sorte. Nous n’avons pas peur, nous ne tremblons pas. Même si nous ne

pouvions que remplir nos mains de sable et le jeter sur nos ennemis, nous le

ferons. Nous voulons dire aux dirigeants et aux députés de notre pays, il faut

qu’ils le sachent, que nous ne sommes pas d’accord avec leur décision. S’ils

ont été contraints par des gens de l’extérieur d’adopter ce Code, alors qu’ils

disent à ces gens-là que les fils de notre pays n’accepteront pas Ce code. Ils ne

l’accepteront jamais. La famille de Hamallah et ses disciples qui sont à l’Est, à

l’Ouest, au Nord et au Sud, les disciples de Hamallah du Sénégal, du Burkina

Faso, du Niger, de la Mauritanie, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée et de

partout, vont se rassembler autour de moi et mener ce combat-là jusqu’à son

terme.»429

Ce discours révèle le côté insurrectionnel du hamallisme. Si le fondateur du

hamallisme eut maille à partir avec le régime colonial, aujourd’hui ses héritiers ne

se soumettent pas non plus au pouvoir public autochtone. L’hériter de Hamallah

exprime ainsi clairement sa résolution de s’opposer au pouvoir législatif et exécutif,

profitant de son influence étendue sur tout le Mali et dans la sous-région où sont

disséminés les disciples hamallistes. Face à cette insurrection redoutable des

429 Propos recueillis auprès du hamalliste Abba Omar Maïga, le 23/01/10.

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240

confréries appuyées également par le H.C.I.M, le pouvoir public préoccupé opta

pour la renégociation et privilégia le dialogue.

Afin d’apaiser les tensions occasionnées par ce fameux code et éviter à la

société toute révolte à caractère religieux, l’influent soufi et guide suprême des

hamallistes fut reçu avec ses confrères de lutte au palais présidentiel le 26 août

2009. Lors de cette rencontre avec le Président, les points de divergence furent

explicités ; et ce dernier fut invité à ne pas promulguer le nouveau code tant qu’il

n’aurait pas pris en considération les exigences émises par les leaders spirituels. Par

conséquent, sous la forte pression des religieux, le chef de l’exécutif se résigna aux

demandes des milieux soufis et promit de ne pas promulguer le nouveau code tant

qu’il ne serait pas révisé. C’est sous cette pression que le nouveau code fut envoyé à

l’hémicycle pour une relecture.

Fier des résultats obtenus lors de cette rencontre avec les plus hautes autorités

maliennes, le maître spirituel de Nioro ne tarda pas à rencontrer ses disciples, tous

mobilisés pour défendre leur cheikh jusqu’au dernier souffle, afin de leur exposer le

statu quo auquel avait abouti le combat juridique. A ce propos, l’extrait suivant du

discours du guide hamalliste est édifiant :

« Les autorités veulent faire passer le nouveau Code qui est non avenu. Le

Code contient plus de mille articles. Il y a au moins trois articles que je rejette

fermement :

- L’égalité entre l’homme et la femme dans l’héritage, ce qui est contraire à

l’islam,

- L’interdiction du mariage religieux et sa non validité,

-L’inclusion de l’enfant adultérin dans l’héritage. Tout ça est contraire à

l’islam.

Depuis le premier gouvernement en 1961, on a tenté de faire primer le mariage

civil sur le mariage religieux. Depuis cette époque, je sais que le gouvernement

ne voulait accorder aucune valeur au mariage religieux, et qu’un jour on en

arriverait là où nous en sommes. Même si des gens donnent de l’argent pour

nous acheter, nous ne devons pas accepter de nous vendre, et de nous conduire

ainsi vers l’Enfer. Ils veulent nous faire sortir de notre religion, faire de nous

des sans foi. J’ai vu le Président de la République et je lui ai demandé de me

dire la vérité. Il m’a dit qu’il ne promulguerait pas le Code. Il faut jeter ce Code

Page 242: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

241

derrière nous. Je suis et je reste le chef de tous les hamallistes du Mali, de la

Mauritanie, du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, de la France et de partout dans le

monde d’ailleurs. Nous sommes debout avec tous les autres musulmans dans

cette bataille. Nous mourrons ensemble, nous vivrons ensemble »430.

Dans son discours, le chérif de Nioro livre les trois points les plus préoccupants qui

constituaient une divergence avec le pouvoir public. Mais les articles contestés ne se

limitent pas, nous le verrons, à ces trois remarques évoquées par le cheikh de Nioro.

Découvrons ces articles contestés au point suivant :

a- Les articles contestés concernant la filiation de l’enfant naturel

Article 33 : L’enfant né hors mariage porte le nom de sa mère. Il prend le nom de

son père en cas d’établissement de sa filiation à l’égard de celui-ci.

Article 493 : L’enfant naturel acquiert le nom de celui de ses deux parents à l’égard

de qui sa filiation est établie en premier lieu ; le nom de son père, si sa filiation est

établie simultanément à l’égard de l’un et de l’autre.

Article 497 : En l’absence de filiation paternelle établie, le mari de la mère peut

conférer, par substitution, son propre nom à l’enfant par une déclaration qu’il fera

conjointement avec la mère sous les conditions prévues à l’article 494 ci-dessus.

L’enfant pourra toutefois demander à reprendre le nom qu’il portait antérieurement

par une demande qu’il soumettra au tribunal civil dans les trois ans suivant sa

majorité.

Article 482 : Tout enfant né hors mariage, fut-il décédé, est légitimé de plein droit

par le mariage subséquent de ses père et mère.

Les milieux soufis dénoncèrent ces articles et affirmèrent que l’enfant naturel

ne peut en aucun cas être affilié à son père naturel, à plus forte raison être affilié à

son beau-père. Il est, par conséquent, affilié uniquement à sa mère. Mais son père

biologique peut lui accorder une pension alimentaire et des moyens de subsistance

sans toutefois lui donner son nom. Ces mêmes milieux dénient également la

légitimité d’un enfant naturel dont les parents se sont mariés par la suite.

430 Propos recueillis auprès du hamalliste Abba Omar Maïga, le 23/01/10.

Page 243: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

242

Les fuqahā’ sont ils unanimes sur le fait que l’enfant naturel n’hérite pas de son

père ? L’institution de kafāla peut-elle résoudre cette divergence ?

b- Les articles contestés relatifs à la succession :

Article 75 : Les parents du défunt au même degré ont les mêmes droits. Ils

succèdent par égale portion et par tête.

Article 769 : La loi ne distingue pas entre la filiation légitime et la filiation naturelle

pour déterminer les parents appelés à succéder. Les droits successoraux résultant de

la filiation adoptive sont réglés au titre de l’adoption.

Article 770 : Les parents, en l’absence de conjoint successible, sont appelés à

succéder ainsi qu’il suit :

- les enfants et leurs descendants ;

- les père et mère ; les frères et sœurs et les descendants de ces derniers ;

- les ascendants autres que les père et mère ;

- les collatéraux autres que les frères et sœurs et les descendants de ces derniers.

Chacune de ces quatre catégories constitue un ordre d’héritiers qui exclut les

suivants.

Article 771 : Les enfants ou leurs descendants succèdent à leurs père et mère ou

autres ascendants, sans distinction de sexe, ni de primogéniture, même s’ils sont

issus d’unions différentes.

Ces articles font également l’objet de critique de la part des leaders spirituels.

En matière de succession, ces articles ne font, comme nous l’avons vu, aucune

distinction fondée sur le sexe des successeurs, leur filiation, et la part accordée à

chaque successeur. Nous savons certes que la šarī‘a prescrit une autre conception

de la succession, relevant d’un autre esprit que celui de ces articles, d’où le refus

des guides soufis de ce Code des personnes et de la famille.

Page 244: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

243

Pour les guides spirituels, le père d’un enfant naturel pourra recourir à un

testament pour réserver une part de son patrimoine à son éventuel enfant naturel.

Cette solution est également préconisée pour l’adoptant et l’adopté, car l’un ne peut

hériter de l’autre selon leur interprétation. Seul le testament, al-waṣiyya peut

permettre à l’un d’avoir légalement une part de la fortune de l’autre. Enfin, certains

articles relatifs au mariage sont également contestés.

c- Les articles contestés concernant le mariage et sa dissolution

Article. 32 Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son époux.

Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours et assistance.

Cet article a été amendé dans le nouveau Code des Personnes et de la famille en

supprimant le devoir d’obéissance de l’épouse à son époux dans l’article suivant, ce

qui a suscité la colère des milieux soufis.

Article 312 : Les époux se doivent mutuellement fidélité, protection, secours et

assistance. Ils s’obligent à la communauté de vie sur la base de l’affection et du

respect.

Selon les guides spirituels l’omission du devoir d’obéissance de la femme à son

mari, va à l’encontre de la šarī‘a qui rend obligatoire tous les devoirs cités dans le

présent article, mais y ajoute également que la femme doit obéir à son mari dans la

mesure du possible et que ce dernier, en compensation, doit assumer toutes les

dépenses financières du ménage.

Il est indiscutable que la jurisprudence musulmane a exigé des deux époux le

respect mutuel. Ce principe de respect mutuel, ne suffirait-il pas pour rendre tout

couple heureux ?

Article 282 : Le mariage est un acte laïc et public, par lequel un homme et une

femme, consentent d’établir entre eux une union légale dont les conditions de

formation, les effets et la dissolution sont régis par les dispositions du présent livre.

Page 245: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

244

La contestation de cet article de la part des leaders spirituels porte sur le

caractère laïc qu’il accorde au mariage, ainsi que sur la dépréciation du mariage

religieux qui n’a aucune valeur juridique. Selon les contestataires, la non

reconnaissance du mariage religieux reviendrait donc à considérer les enfants issus

de ce mariage comme illégitimes.

Par conséquent, ils considèrent que cette conception est non seulement irrecevable,

mais aussi méprisante. Suite à une longue bataille juridique opposant les soufis au

pouvoir public, nous verrons que ceux-ci finiront par obtenir gain de cause.

Il importe de noter que cet article barre également la route à tout mariage

homosexuel puisqu’il mentionne : « Par lequel un homme et une femme consentent

d’établir entre eux une union légale ». Cette phrase a soulevé énormément de

satisfaction dans les milieux religieux, qui, rappelons-le, se sont opposés

farouchement aux homosexuels, lorsque ces derniers voulurent créer leur

association en 1999. La pression effectuée par les religieux conduisit ainsi le

pouvoir public à rejeter toute demande de création d’association à tendance

homosexuelle.

Article.4 L’homme avant dix-huit ans révolus, la femme avant quinze ans

accomplis, ne peuvent contracter mariage. Néanmoins, le ministre de la Justice

pourra accorder, par décision non susceptible de recours, des dispenses d’âge pour

motifs graves.

Article.5 Tout officier de l’état civil qui procédera à l’union des personnes n’ayant

pas l’âge requis, hormis le cas de dispense accordée dans les conditions ci-dessus

indiquées, sera condamné à une amende qui ne pourra excéder 120.000 francs et à

une peine d’emprisonnement de six mois à un an.

Ces deux articles limitant l’âge du mariage et prévoyant une sanction pour les

contrevenants n’ont pas, non plus, été agréés par les leaders spirituels. Pour eux,

cette question doit être laissée à l’appréciation des uns et des autres en fonction de

Page 246: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

245

la religion, de la culture et de la coutume. Selon leur conception, la šarī‘a n’a

indiqué aucun âge précis pour le mariage.

Article.6 Tout ministre d’un culte, qui procédera aux cérémonies religieuses d’un

mariage sans qu’il ait été justifié d’un acte constatant la célébration civile de ce

mariage délivré par l’officier de l’acte civil, sera puni d’une amende de 5.000 à

30.000 francs. En cas de récidive, il encourra une peine d’emprisonnement qui ne

pourra être inférieure à deux mois.

Cet article rend obligatoire l’antériorité du mariage civil au mariage religieux,

mais il n’a jamais été, rappelons-le, mis en œuvre à notre connaissance. Il n’y a eu

aucune sanction encourue non plus par les réfractaires. Lorsque sa mise en pratique

a été même évoquée, cela a suscité beaucoup de polémiques, par ce qu’il serait

troublant, selon les observateurs, dans une société fortement ancrée dans l’islam,

d’emprisonner un imam à cause d’une célébration du mariage religieux antérieur à

celle du mariage civil. Ceci a surtout attisé surtout la bataille juridique menée par

les guides spirituels pour obtenir l’abrogation de ce genre de texte qu’ils jugent

incompatible avec les valeurs sociétales. Ne serait-il pas plus avantageux pour les

femmes d’exiger également le mariage civil, qui, évidemment, les protège

davantage ?

Article. 9 Est prohibé le mariage entre :

1. le fils et la mère ; le frère et la sœur ; le père et la fille ; l’oncle et la nièce ; le

neveu et la tante paternelle ou maternelle ;

2. l’homme et la femme qui l’a allaité ; l’homme et la fille de la femme qui l’a

allaité ; l’homme et les tantes paternelles ou maternelles de sa nourrice ; l’homme et

les enfants de la fille de sa nourrice ;

3. l’homme et la mère de sa femme ; l’homme et l’ancienne épouse de son fils ;

l’homme et l’ancienne épouse de son père ; l’homme et la fille de son épouse née

d’un autre mariage ; l’homme et l’ancienne épouse de ses oncles paternels et

maternels ; l’adoptant et l’adopté.

Page 247: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

246

Cet article évoquant les personnes pour lesquelles le mariage est prohibé est

inspiré en majeur partie de la šarī‘a, car toutes ces personnes citées par l’article se

voient également interdites de tout contrat matrimonial par la jurisprudence

musulmane, à l’exception des personnes mentionnées à la fin de la liste, à savoir

« l’homme et l’ancienne épouse de ses oncles paternels et maternels ; l’adoptant et

l’adopté » d’où la contestation des maîtres spirituels. D’après ces derniers ne figure

pas dans les textes scripturaires l’interdiction du mariage entre l’homme et

l’ancienne épouse de ses oncles paternels ou maternels, ni entre l’adoptant et

l’adopté selon le verset de sourate al-Nisā’, les Femmes.431

Article.58 La répudiation est interdite. La répudiation prononcée en violation de

l’interdiction qui précède dispense la femme de ses devoirs de cohabitation et

d’obéissance et emporte la séparation des biens sous réserve des droits des tiers.

Jusqu’à la décision de justice, la femme conserve tous les droits civils qu’elle tient

de la loi et du contrat de mariage.

Figure parmi les articles contestés cet article qui bouleverse la conception fort

ancrée dans la société malienne et musulmane, selon laquelle seul l’homme détient

le pouvoir de dissoudre un mariage. Cette disposition est également inspirée de la

šarī‘a au début de sa constitution. Le fondement scripturaire évoqué par les chefs

des confréries repose sur la sourate appelée «al-ṭalāq : la sourate de la

répudiation », dans laquelle nous lisons au premier verset : « Ô Prophète ! Quand

vous répudiez vos femmes, faites-le en respectant leur délai de viduité. »432 Un

autre verset limite le nombre permis de répudiations : « La répudiation ne peut se

prononcer que deux fois »433

La répudiation selon la conception du droit musulman est une dissolution

unilatérale du mariage par le mari. Un droit qui se limite à deux fois ; une fois ce droit

épuisé, le mari n’a nullement le droit de répudier son épouse, au risque de la perdre

431 Coran : 4, 23-24. 432 Coran : 65, 1. 433 Coran : 2, 229.

Page 248: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

247

définitivement. Cette disposition juridique a été légiférée par la šarī‘a dans un

contexte où le nombre de répudiations n’était pas limité, le nombre d’épouses pour un

seul homme ne l’était pas non plus. La femme n’avait aucun droit sur son mari, à

l’époque préislamique, comme l’explique ‘Umar ibn al-Haṭāb, compagnon du

Prophète : « Pendant la ǧāhiliyya (période préislamique) nous ne donnions aucune

valeur à la femme, lorsque l’islam est venu et que Dieu a parlé d’elles, nous avons

compris qu’elles ont des droits sur nous »434.

C’est dans ce contexte que le droit musulman a institué et a encadré la répudiation.

En sus, des raisons financières sont aussi à l’origine de ce droit de répudiation accordé

aux hommes, comme le soulignent les docteurs de la loi :

« En cas de répudiation, le droit musulman oblige l’époux à payer une pension

alimentaire durant le délai de viduité à sa femme répudiée, pension égale à celle

payée pendant leur vie conjugale, en plus de la pension d’entretien. L’épouse est

dispensée de toutes dépenses financières conjugales. Si elle veut donner quelque

chose de son avoir, c’est un mérite qui lui revient. Si elle le refuse, c’est son droit.

Nul ne lui en fera le reproche. Parce que le droit musulman ne reconnaît que la

séparation des biens. Enfin le droit de répudiation est accordé à l’époux en

compensation de la grosse responsabilité qu’il s’endosse. »435.

Nous avons observé que le droit de décision unilatérale pour la dissolution du

mariage accordé aux hommes est utilisé de façon abusive, sans même respecter les

conditions imposées par la šar‘ia elle-même, à savoir :

- La femme ne doit pas être répudiée en état de menstrues

- Elle ne doit pas être répudiée dans la pureté durant laquelle elle eut des rapports

avec son mari.

-Le témoignage requis pour effectuer la répudiation.

En effet, l’absence du qādī, qui veille à ce que ces conditions soient réunies avant

toute répudiation, a entrainé certes des répudiations en nombre exponentiel, et par la

suite, un désastre considérable avec la dislocation des familles.

434 Buḥārī, al-Ǧāmi‘ al-Ṣaḥīḥ. op. cit., p.213. 435 ABDEL WAHAB Ahmed, La situation de la femme dans le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam, Paris,

AEIF Edition, 1994. p.102.

Page 249: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

248

Il est important de noter que le réformiste Muḥammad ‘Abduh436 a

profondément repensé le problème de la répudiation en droit musulman et a fini par

élaborer des nouvelles directives conformes aux principes musulmans donnant un

pouvoir désormais important aux juges. Aucune dissolution de mariage ne sera

désormais reconnue légalement, sans avoir, au préalable, été notifiée par un juge et

après avoir respecté la procédure officielle, régie par le droit positif. Ceci dans le

but d’empêcher l’utilisation abusive du droit de répudiation. Cette réforme qui a été

faite en Egypte s’étend à plusieurs pays musulmans.

Ainsi, au Maroc, la réforme du droit de la famille (Mudawwana) a accordé aux

femmes le droit de divorce tout en interdisant la dissolution unilatérale. Le Code du

statut personnel tunisien a remplacé la procédure de répudiation par une procédure

de divorce qui ne peut avoir lieu que devant un tribunal. En Algérie, le mariage peut

être dissous uniquement par décision de justice, rendue par le juge de paix. Un

jugement de divorce est obligatoire, ce qui revient à interdire la dissolution du

mariage par la répudiation.437

Ces démarches entreprises dans le monde musulman seraient plus protectrices des

femmes, même si l’on sait que le droit de répudiation est abusivement utilisé et qu’il

était régi dans un contexte particulier.

Notons que cette bataille juridique menée par les leaders spirituels s’est soldée

par la résignation du pouvoir public et a entraîné des amendements au nouveau

Code des personnes et de la famille. C’est ainsi que certains articles du Code de la

famille de 1962 ont été amendés très récemment sous la pression des soufis avec

l’appui de la haute institution musulmane, H.C.I.M. Le nouveau Code des

personnes et de la famille, adopté le 2 décembre 2011, et promulgué le 16 janvier

2012, reconnait désormais le mariage religieux et lui accorde une valeur juridique.

En outre, prohibé par l’article 9 de l’ancien Code de la famille de 1962, le mariage,

436 Muḥammad ’Abdu, Tafsîr al-Qur’ân al-akîm, (jusqu’à la sourate al-Nisâ’, verset 125), Le Caire, éd. Dar al-

arabî, 1992, p. 95. 437SHEIMA Amina, Le divorce de la femme en droit musulman, Paris. Université Paris II, 1987, (dactylogr, 3e

cycle, directeur : François Terré), p. 95.

Page 250: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

249

d’une part, entre l’homme et l’ancienne épouse de ses oncles paternels et maternels,

d’autre part, l’adoptant et l’adopté, est accepté par les amendements de 2011. En

revanche, le législateur malien demeure réfractaire à l’autorisation de la répudiation,

et l’article l’interdisant est toujours en vigueur. Concernant le système de

succession, le nouveau Code a offert au citoyen malien l’option d’avoir recours soit

au droit positif soit au droit musulman pour le partage de l’héritage.

Une autre question juridique embarrasse également les milieux soufis, celle de

l’abolition de la peine de mort entretenue par les autorités maliennes. Les chefs des

confréries y sont farouchement opposés et œuvrent inlassablement afin de dissuader

le pouvoir public.

1.1.2. Le Code pénal malien et la peine de mort

Dans le Code pénal malien de 1961, en vigueur de nos jours, la peine de mort ou la

peine capitale est explicitement mentionnée. Cette peine capitale est exécutable

dans plusieurs situations énumérées par le Code. En guise d’illustration retenons

trois cas dans lesquels la peine capitale est régie :

a- Le cas d’homicide volontaire comme l’instituent les articles suivants :

Art. 161 Tout coupable d’assassinat, de parricide ou d’empoisonnement sera puni

de mort. Toutefois, la mère, auteur principal ou complice de l’assassinat ou du

meurtre de son nouveau-né sera punie des travaux forcés à perpétuité ou des travaux

forcés de cinq à vingt ans, mais sans que cette disposition puisse s’appliquer à ses

co-auteurs ou à ses complices. Dans tous les cas, la mère récidiviste sera condamnée

à mort. Seront punis comme coupables d’assassinat tous malfaiteurs, quelle que soit

leur dénomination, qui, pour l’exécution de leur crime, emploient des tortures ou

commettent des actes de barbarie.

Art. 162 Le meurtre emportera la peine de mort, lorsqu’il aura précédé, accompagné

ou suivi un autre crime ou délit. Le meurtre emportera également la mort, lorsqu’il

aura pour objet de favoriser la fuite ou d’assurer d’impunité des auteurs ou

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250

complices de ce crime ou délit. En tout autre cas, le coupable de meurtre sera puni

des travaux forcés à perpétuité. L’interdiction de séjour de cinq à vingt ans pourra

également être prononcée.

b - La peine de mort est également régie dans le cas d’atteinte contre la sûreté

d’Etat, comme l’indique les articles suivants :

Art. 41 L’attentat dont le but est soit de renverser par la force le Gouvernement

légal ou de changer la forme républicaine de l’Etat, soit d’exciter des citoyens ou les

habitants à s’armer contre l’autorité, est puni de la peine capitale.

Art. 47 Sera puni de mort :

1. Tout individu qui aura incendié ou détruit par engin explosif des édifices,

magasins, arsenaux ou autres propriétés appartenant à l’Etat.

2. Quiconque, soit pour envahir des domaines ou propriétés de l’Etat, les villes, les

postes, magasins, arsenaux, soit pour piller et partager les deniers publics, les

propriétés publiques ou nationales ou celles d’une généralité de citoyens, soit pour

faire attaque ou résistance envers la force publique agissant contre les auteurs de ces

crimes, se sera mis à la tête de bandes armées et y aura exercé une fonction de

commandement quelconque.

3. Les mêmes peines seront appliquées à ceux qui auront dirigé l’association, levé

ou fait lever, organisé ou fait organiser les bandes.

c- Le vol effectué dans certaines conditions est également passible de la peine de

mort, comme en atteste l’article suivant :

Art. 197 Sera puni de mort tout individu coupable de vol commis en bande ou à

main armée. La même peine sera applicable en cas de vol commis à l’aide de

violences, avec ou sans port d’arme.

Ce Code régissant ainsi la peine de mort sera-t-il amendé ? Rappelons tout

d’abord que la peine de mort a connu un moratoire au Mali, puisque la dernière

exécution remonte au 21 août 1980 ; depuis cette date, les condamnations à mort

sont commuées en réclusion criminelle à perpétuité, par grâce présidentielle. Le

Page 252: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

251

Mali est ainsi rangé parmi les abolitionnistes en pratique et non en droit. L’ancien

Président de la République Amadou Toumani Touré prit l’initiative d’amender ce

Code pénal en proposant l’abolition de la peine de mort non seulement en pratique

mais aussi en droit, lors du Conseil des Ministres du 17 octobre 2007. En voici un

extrait :

« Le Conseil des Ministres a adopté un projet de loi portant abolition de la

peine de mort. En outre, en supprimant la peine de mort, notre pays met en

accord ses principes et ses règles d’une part avec les dispositions de sa loi

fondamentale dont l’article 1er prescrit que ‘‘la personne humaine est sacrée et

inviolable. Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité

de sa personne’’ et d’autre part avec des engagements internationaux auxquels

il souscrit. Le Président de la République, qui seul dispose du droit de grâce, a

pris l’engagement d’aller à la suppression de la peine de mort dans son

discours à la Nation prononcé à l’occasion du 22 septembre 2007 »438.

Cette initiative présidentielle s’est heurtée au refus catégorique des maîtres

spirituels qui s’opposèrent radicalement au passage à la loi, tout en brandissant une

arme nouvelle, « le droit de vote », face à tout député qui serait tenté de voter cette

abolition de la peine capitale. Face à cette résolution, les députés, qui devaient

débattre sur la question en décembre 2010, l’ont renvoyée à la session d’avril 2011.

A l’heure actuelle, le projet de loi portant sur l’abolition de la peine de mort n’a pas

abouti.

La cellule d’Amnesty International, section Mali, a organisé à cet effet une

rencontre avec le Haut Conseil Islamique du Mali, (HCIM), dirigée à cette époque

par un maître spirituel tiǧānī Tierno Hady Thiam, dans le but de pouvoir assouplir

leur position sur la question. C’était le 6 juin 2007, à Bamako.439 Mais cette

initiative de la part de cet organisme international n’a abouti à aucun résultat

tangible. Les leaders spirituels restèrent intransigeants et inflexibles sur l’abolition

de la peine capitale. En l’occurrence, le guide spirituel des anṣārīs, le Chérif

Ousmane Haidara, dénonça de façon virulente ce projet proposé par l’ancien

438 L’Essor, Journal officiel, Extrait du ‘‘Communiqué du Conseil des Ministres’’, n°753, mercredi 17 octobre

2007. 439 www.afribone.com.( consulté le 15/11/2012).

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252

Président, et l’accusa, en outre, de recevoir des ordres de l’étranger, notamment de

l’ancienne puissance coloniale pour faire passer cette loi.440

Pour repousser cette loi, les guides spirituels, se sont assurément appuyés sur

certaines sources scripturaires, notamment le verset de la sourate Baqara :

« O les croyants ! On vous a prescrit le talion au sujet des tués : homme libre pour

homme libre, esclave pour esclave, femme pour femme. Mais celui à qui son frère

aura pardonné en quelque façon doit faire face à une requête convenable et doit

payer des dommages de bonne grâce. Ceci est un allégement de la part de votre

Seigneur et une miséricorde. Donc quiconque après cela transgresse, aura un

châtiment douloureux »441.

L’implication des maîtres spirituels dans la sphère politique ne se limite pas à ces

actions évoquées mais concerne également la réglementation des rites religieux

dans un Etat laïc.

1.2. Intervention des soufis auprès du pouvoir public en matière religieuse

Attachés de façon solide à leurs voies spirituelles, les soufis du Mali s’évertuent

également à se faire entendre sur le plan religieux auprès du pouvoir public. C’est

dans ce sens qu’il faut inscrire la réponse favorable des autorités maliennes à la

création de la maison du Haǧǧ (pèlerinage), une institution mise sur pied en 2002

par l’ancien Président, Alfa Oumar Konaré, afin de faciliter les procédures du

pèlerinage à la Mecque, qui se tient tous les ans.

Dans ce sens, l’Etat intervient dans l’organisation du ḥaǧǧ en prenant en charge

les dépenses relatives au bon accomplissement du pèlerinage. En effet, les pèlerins

maliens se répartissent en deux catégories : ceux qui relèvent de la filiale

gouvernementale, et ceux qui partent en pèlerinage par la voie des agences privées.

Si le régime colonial entravait énormément cet exercice spirituel en compliquant les

440 www.infosud.org. (consulté le 15/11/2012.) 441 Coran : 2, 178.

Page 254: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

253

démarches administratives, les régimes d’aujourd’hui, grâce à l’intervention active

des guides spirituels, ont grandement simplifié ces démarches.

Il est à souligner que les jours de fêtes religieuses sont non seulement

officiellement fériés, mais également fixés par une instance musulmane, la

Commission Nationale de la Lune, qui est la seule structure habilitée à fixer la date

des fêtes musulmanes. Celles-ci sont en l’occurrence : ‘īd al-fitr (fin du

Ramadan),‘īd al-’aḍḥā (la fête de tabaski), mawlid (l’anniversaire de la naissance

du Prophète), tasmiya (l’anniversaire du septième jour de la naissance du Prophète)

et le premier jour du nouvel an de l’Hégire (awwal al-muḥarram). Cette

commission regroupe toutes les tendances spirituelles musulmanes en son sein. Et

l’Etat veille à ce que ses décisions soient scrupuleusement appliquées ; il intervient

même en cas de violation pour réprimer les réfractaires.

Ce fut le cas de certains hamallistes en 2006, qui voulaient célébrer les deux

fêtes religieuses,‘īd al-Fitr (fin du Ramadan),‘īd al-’Aḍḥā (la fête de tabaski), à des

dates différentes de celles reconnues officiellement. Cependant ils en ont été

empêchés par le pouvoir public. Suite à cet évènement, le Gouverneur de Bamako a

communiqué dans le journal national officiel :

« Le Mali est un pays indivisible et il ne sera pas permis que des confréries,

pour une raison ou une autre, défient l'autorité de l'État. C’est ce qu’a expliqué

Ibrahim Féfé Koné, en rappelant que la Commission Nationale de la Lune, la

seule structure habilitée à fixer les dates des fêtes musulmanes, regroupe toutes

les sensibilités islamiques de notre pays. Nous ne pouvons permettre que les

gens décident des dates des fêtes musulmanes n'importe comment. Ceux qui

veulent fêter après ou avant la date officielle, peuvent le faire chez eux, mais

pas sur les lieux publics.»442.

L’Etat prend également en considération les moments spirituels de ses

fonctionnaires comme la prière du vendredi, ṣalāt al-ǧum‘a. Il va de même lors du

mois de ramadan, les horaires de la fonction publique sont systématiquement

modifiés pour les adapter à la nouvelle situation des fidèles.

442 L’Essor, « Aïd El Kébir : la date officielle vaut pour tous », n°15619, le 12/01/ 2006.

Page 255: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

254

En revanche, il convient de souligner que certains maîtres spirituels sont

réticents voire opposés à toute intervention des religieux dans la sphère politique.

Dans une interview qu’il nous a accordé, l’ancien président du Haut Conseil

Islamique du Mali, Tierno Hady Thiam adopte aujourd’hui clairement cette

tendance : « Nous pensons que les soufis doivent se consacrer à l’éducation

spirituelle de leurs disciples au lieu de s’immiscer dans le domaine politique. Raison

pour laquelle nous considérons que les manifestations organisées pour protester

contre le projet du Code de la famille et tout autre projet proposé par le

Gouvernement sont vains et ne servent pas la cause de l’islam. Le soufisme à

d’autres choses à gérer que la politique »443

Il ressort donc que le sens général de l’intervention des soufis en matière

politique s’articule autour de la sauvegarde des valeurs musulmanes face à un Etat

qui tend à l’ouverture vers des valeurs plus universelles. Mais la population, de

façon générale, semble plus séduite par les valeurs défendues par les guides

spirituels que celles préconisées par le pouvoir public. Dans cet état des choses,

nous avons remarqué que l’Etat privilégie aujourd’hui le compromis et le dialogue

avec les religieux plutôt que l’application textuelle des lois.

Enfin, Christian Coulon dans son analyse concernant la religion et le pouvoir en

Afrique dit avec lucidité : « Les gouvernements peuvent bien interdire

constitutionnellement la création de partis religieux, cela n’empêche aucunement la

religion d’être omniprésente dans le champ politique (……) Les religions

participent pleinement à la perception et à la formulation du politique »444.

Si les soufis du Mali interviennent, d’une manière ou d’une autre, dans la sphère

politique du pays, ils agissent de même sur le plan social.

2. Actions sociales des soufis au Mali

443 Entretien effectué le 06/09/2011 à Bamako, Mali. 444 COULON Christian, « Religion et politique » in Christian COULON et Denis-Constant MARTIN, (dir.), Les

Afriques politiques, Paris, éd. La Découverte, 1991, pp. 95,103.

Page 256: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

255

L’altruisme et la charité sont des valeurs grandement prônées par le soufisme.

A cet égard, les fondements de leurs actions sociales sont puisés des divers textes

scripturaires émaillant ce sujet. Les plus évoqués, entre autres, sont :

« Vous n’atteindrez la vraie piété que si vous dépensez en charité une part de vos

biens que vous aimez tant »445 « Et ils nourrissent, pour l’amour du Seigneur, le

pauvre, l’orphelin et le captif. ‘‘Nous vous nourrissons pour l’amour de Dieu ; nous

n’attendons de vous ni récompense ni gratitude’’ ».446 « Nul ne peut être croyant,

tant qu’il n’aimera pas pour son frère ce qu’il aime pour lui-même »447 Le dicton

soufi ne dit-il pas : le souci du soufi, c’est son frère ?

Les soufis du Mali mènent des actions sociales louables dans la société

malienne. Mais le font-ils de leur propre initiative ? A la demande du

gouvernement ? Ou conjointement avec l’Etat ?

Selon nos enquêtes de terrain, il s’avère que certaines de leurs actions sont de

leur propre initiative comme la distribution des vivres aux personnes démunies ;

d’autres sont faites à la demande du Gouvernement, notamment la lutte contre le

Sida. Enfin, certaines actions sociales sont faites conjointement avec l’Etat, comme

la lutte contre la mendicité des talibés. Force est de constater que les guides

spirituels se sont impliqués plus ou moins dans les domaines sociaux, en

construisant des hôpitaux, en visitant des malades, et en prenant en charge leurs

dépenses médicales. Leurs œuvres sociales dépassent même ce cadre pour

s’intéresser aux personnes nécessiteuses de façon générale. Mais passons en détail

ces actions sociales, en commençant par le domaine de santé.

2.1. Construction d’hôpitaux par les guides spirituels

Dans les œuvres sociales des soufis maliens, la construction d’hôpitaux a

toujours été absente. Certains leaders spirituels avec qui nous nous sommes

445 Coran : 3, 92. 446 Coran : 76, 8-9. 447 Buẖārī, op. cit., p. 345.

Page 257: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

256

entretenu ont explicitement exprimé leur réticence envers cette sphère sociale

prétextant que ce sont les missionnaires chrétiens installés au Mali à la fin du

XIXème siècle, qui en faisaient leur cheval de bataille, et que les soufis, ne voulant

pas les imiter, ont préféré s’intéresser à d’autres œuvres sociales.448 Mais les choses

semblent évoluer aujourd’hui. La confrérie d’Anṣār Dīn, l’une des confréries les

plus fortunées du Mali, grâce à ses réseaux nationaux et internationaux lui conférant

des capacités financières tout à fait colossales, s’est dotée d’un nouvel hôpital,

dénommé « Centre de Santé Cherifla », qui se situe à Bamako.

Cet hôpital fut inauguré le vendredi 27 mars 2009 par l’ancien Président de la

République, Amadou Toumani Touré, sous les auspices de son promoteur, le leader

spirituel des anṣārīs, Ousmane Madani Haidara. La présence de plusieurs députés et

de certains membres du Gouvernement, notamment du ministre de la santé, ainsi

que de plusieurs autres guides religieux, a honoré l’inauguration de cet

établissement de soin. Le coût de la construction s’élève à 515 millions de francs

C.F.A. Cette œuvre sociale remarquable accroît davantage l’influence des soufis

dans la société malienne. Les autres confréries suivront-elles cet exemple ? Par

ailleurs, les actions sociales des soufis s’étendent également à la lutte contre

certaines maladies.449

2.2. Lutte contre certaines maladies par les maîtres spirituels

Si les soufis, à l’origine, s’intéressent de façon étroite aux soins et à

l’éradication des maladies invisibles du cœur, telles l’égoïsme, l’arrogance,

l’ostentation… bref toutes les maladies intérieures entravant l’ascension spirituelle

d’un aspirant, ils savent aujourd’hui, dans le contexte actuel malien, s’intéresser

également aux maladies corporelles. Les soufis du Mali prennent part à des ateliers

organisés pour sensibiliser la population à la gravité de certaines maladies,

notamment le Sida, et l’instruire ainsi des voies et moyens de prévention. La vaste

448 Entretien avec le président de la Ligue Islamique des Leaders Soufis du Mali, Tierno Hady Thiam, à Bamako,

le 06/09/2011. 449 Enquêtes de terrain à Bamako à la mosquée du Chérif Ousman Haidara à Banconi, 17/8/2012.

Page 258: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

257

campagne de sensibilisation contre le Sida en août 2002 a été marquée par la

participation remarquable des leaders spirituels, qui mettaient l’accent sur

l’éducation sexuelle des jeunes. Ils mettent ainsi en exergue la réelle existence du

phénomène, dénié par certains jeunes non avertis, et prônent comme solution sine

qua non la fidélité et l’abstinence, tout en évoquant, à l’appui, les textes coraniques

qui réprouvent explicitement la perversion sexuelle.450

Les guides spirituels jouent également un rôle majeur, en réussissant à

convaincre la population de ne pas rejeter les malades sidéens qui souffrent

énormément, non seulement de leur maladie incurable, mais aussi de l’exclusion

sociale dont ils sont victimes. Car les sidéens sont perçus dans la société malienne

comme ayant subi une punition divine pour leur débauche, bien que la maladie

puisse être contractée par une autre voie que la débauche.

Notons que cette campagne contre le Sida a été mal perçue dans les milieux

religieux au début. Mais grâce aux efforts persévérants de certains leaders spirituels,

la perception de cette maladie a radicalement changé aujourd’hui. Le chef spirituel

d’Anṣar Dīn confia au journal Bamako Hébdo : « Dieu n’a dit nulle part dans le

Coran de rejeter les malades du Sida, si Dieu nous interdit l’adultère, il faut aussi

que les Maliens comprennent qu’on peut attraper le Sida sans relation sexuelle. Je

connais même l’exemple d’une personne atteinte de Sida sans jamais commettre la

fornication »451.

Ces efforts entretenus par les guides spirituels ont été fort fructueux dans

l’endiguement du fléau, à telle enseigne qu’ils ont été salués et encouragés non

seulement par l’Etat mais aussi par les ONG internationales œuvrant dans les

domaines sociaux, comme U.S.A.I.D (United States Agency of International

Developpement).452

2.3. Distribution de vivres aux nécessiteux par les soufis

450 Coran : 17, 32., Coran : 24, 2., Coran : 24, 3. 451 Bamako Hébdo, n°45, 27/07/2007. 452 http://www.interarts.net, (consulté le 22/11/2012).

Page 259: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

258

L’action sociale des soufis se manifeste également par la distribution de vivres

et par l’apport de soutiens matériels aux nécessiteux, notamment dans les moments

de crise que traverse actuellement le pays. C’est dans ce cadre qu’il faut citer, pour

illustration, la solidarité organisée par le guide spirituel de la C.M.S (Communauté

Musulmane des Soufis). Prenant comme devise « la paix universelle et la pureté

intérieure », cheikh Bilal Diallo choisit les personnes handicapées déplacées pour en

faire son cercle d’action. Il noua contact avec la Fédération Malienne des

Associations des Personnes Handicapées (F.E.M.A.P.H) pour concrétiser son œuvre

humanitaire. Ainsi, le 16 juillet 2012, des vivres ont été distribués aux handicapés

par le maître spirituel, communément appelé Soufi Bila, sous l’égide du Président

de la F.E.M.A.P.H, Moctar Ba. Ce don est estimé à une somme de dix millions de

francs C.F.A. A la grande satisfaction du Président, il nomma, en son nom et en

celui de tous les membres de l’Association, le leader spirituel de la C.M.S, comme

l’ambassadeur des personnes handicapées de la F.E.M.A.P.H.

La chaîne des œuvres sociales ne discontinue pas. Les soufis, en collaboration

avec le Ministère du développement social, ont organisé une autre journée de

solidarité en faveur des personnes handicapées, le 16 octobre 2012. La cérémonie

de remise des dons a été présidée par le Ministre dudit département, Mamadou

Sidibé. Le leader spirituel de Djikoroni offrit 70 tonnes de vivres au profit des

nécessiteux, et reçut en l’occurrence un diplôme de reconnaissance de la part du

Président de la F.E.M.A.P.H. A ce sujet le journal L’indicateur de Renouveau écrit :

« En recevant ce diplôme, le guide des soufis a d’abord exprimé toute sa joie

avant de demander aux uns et aux autres de prier pour lui afin qu’il soit à la

hauteur de sa mission. Le ministre quant à lui, a remercié le guide des soufis

pour ses efforts aux côtés des personnes handicapées. Il a expliqué que ce geste

fait à l’endroit des personnes handicapées entre dans le cadre du mois de la

solidarité ; malgré le contexte difficile du pays, le gouvernement a tenu à

respecter la tradition en orientant la plupart de ses actions en faveur des

déplacés du Nord. »453.

La confrérie Anṣār Dīn s’est activée également dans ce domaine. Le 13 mai

2012, une grande conférence a été tenue dans le dessein d’inciter des donateurs à

453 L’Indicateur de Renouveau, « La Communauté des Soufis du Mali fait œuvre utile », 18 octobre 2012,

Page 260: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

259

manifester leur générosité au profit des populations déplacées souffrant des

répercussions de la guerre au Nord du Mali. A cet égard, le guide spirituel d’Anṣār

Dīn lui-même offrit une somme d’un million de francs CFA, et mit en œuvre, le 25

mai 2012, une caravane humanitaire qui sillonna toutes les villes touchées par cette

crise désastreuse, afin de leur venir en aide. Cette caravane humanitaire organisée

par les soufis ne s’est pas arrêtée seulement au Mali, mais elle a également élargi sa

zone d’action, pour soutenir les déplacés maliens réfugiés dans la sous-région

comme ceux du Burkina-Faso.

Interviewé par le journal Option sur l’action sociale de sa confrérie, le guide

spirituel de Tamani émit la réponse suivante : « Parmi les nombreuses confréries

religieuses au Mali, notre Ançar Din est celle qui travaille le mieux dans une totale

autonomie, sans dépendre ni des arabes ni des occidentaux. Avec nos propres

cotisations, nous avons construit des médersas, des hôpitaux et des locaux qui

permettent d’aider les pauvres. Chaque année nous distribuons aux nécessiteux

entre 50 et 60 tonnes de vivres. Nos actions humanitaires sont connues de tous »454

Les guides spirituels ne restent pas muets sur un autre fléau de la société : le

phénomène de la mendicité des talibés.

2.4. Lutte contre la mendicité des talibés par les leaders spirituels

La mendicité des talibés ou des élèves coraniques au Mali ne date pas

d’aujourd’hui. Ce phénomène, rappelons-le, remonterait au XIXème siècle,

institutionnalisé par le régime musulman du cheikh Āmadu que nous avions étudié

plus haut. C’était, pour le fondateur de ce dit régime, une solution répondant à la

condition d’application de sa décision historique, à savoir l’enseignement

obligatoire pour tous les enfants ayant l’âge de scolarisation, avec la permission de

mendier pour les enfants issus des familles misérables dont les parents ne pouvaient

pas subvenir à leur besoin. Cette tradition perdure encore de nos jours. Mais il faut

noter que les années 70 et 80 ont connu un phénomène de forte migration des

454 Option, « Chérif Ousmane Madani Haidara à Option : une voix captivante sur la voie de Dieu » n° 98,

24/11/2012.

Page 261: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

260

maîtres coraniques vers les grandes villes afin de s’y installer avec leurs talibés,

sans s’être assurés au préalable d’une source de revenus leur permettant de couvrir

les dépenses essentielles de la vie.

C’est dans ce contexte que les jeunes talibés se sont trouvés dans la contrainte

de mendier, afin de vivre et de faire vivre leur maître coranique. Ce phénomène

s’aggrava dans les années 90 pour prendre une ampleur inquiétante. Ceci attira

davantage l’attention des organisations luttant pour les droits des enfants. Mais la

lutte contre la mendicité des talibés demeure une question épineuse dans le contexte

malien, si l’on sait que certains maîtres coraniques n’hésitent pas à affirmer que la

mendicité de ces derniers est une condition incontournable pour toute acquisition de

la baraka dans l’apprentissage coranique.455 Bien que le Code pénal malien dispose

d’articles interdisant de façon catégorique la mendicité, sa mise en œuvre demeure

toujours en suspens. Nous allons donc retracer ces articles du Code pénal du Mali,

avant d’analyser la méthode des guides soufis pour lutter contre le phénomène.

2.4.1. La mendicité et le code pénal malien

Paragraphe III : La mendicité

Art.148 Toute personne valide et majeure qui aura été trouvée mendiant sur la voie

publique sera punie de quinze jours à six mois d’emprisonnement. Seront punies des

mêmes peines les personnes invalides qui, pendant la durée de leur séjour dans les

formations hospitalières ou charitables, auront été trouvées mendiant dans les lieux

publics.

Art. 149 Tout mendiant, même invalide, qui aura usé de menaces ou injures, ou sera

entré sans permission et contre le gré du propriétaire ou des occupants de la maison,

dans une habitation, dans un enclos en dépendant, sera puni d’un emprisonnement

de quinze jours à six mois.

Paragraphe IV : Dispositions communes aux vagabonds et aux mendiants

455 Nous avons assisté à un atelier organisé de 10 à 13 août 2008 à Koro par le commandant du cercle réunissant

les maîtres coraniques de la ville de Koro et de ses alentours. Le thème portait sur « Les solutions de

l’éradication de la mendicité des talibés ». Nous avons pu constater que la majeure partie de maîtres coraniques

réunis à l’occasion n’était pas favorable à l’interdiction de la mendicité de leurs talibés évoquant non seulement

le manque des moyens financiers mais également l’aspect éducatif de la mendicité pour leur talibés (humilité,

modestie, et baraka).

Page 262: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

261

Art. 150 Tout vagabond ou mendiant qui aura été saisi travesti d’une manière

quelconque et muni d’instruments propres, soit à commettre des vols ou d’autres

délits, soit à lui procurer les moyens de pénétrer dans les maisons, sera puni de six

mois à cinq ans d’emprisonnement. Tout vagabond ou mendiant qui aura exercé ou

tenté d’exercer quelque acte de violence que ce soit envers les personnes sera puni

d’un emprisonnement de deux ans à cinq ans. Les vagabonds et les mendiants qui

auront été condamnés aux peines portées au présent article seront interdits de séjour

pour cinq ans au moins et dix ans au plus.

En dépit de ces textes pénaux extrêmement explicites sur l’interdiction de

mendier, aucune mise en pratique ne s’en est suivie. Pourquoi donc cette question

est-elle si délicate à traiter ? Cette problématique, nous semble-t-il, découle de

l’insuffisance de la volonté politique d’une part de mettre en place et de financer

des institutions pouvant contenir ce phénomène et d’autre part de proposer aux

personnes mendiantes des alternatives à la mendicité.

Par ailleurs, la plupart de ces mendiants sont des élèves d’écoles coraniques.

Ces écoles coraniques traditionnelles demeurent fortement ancrées dans la société

malienne depuis des siècles. Leurs élèves sont perçus comme de futurs guides

spirituels. Par conséquent, toute lutte contre la mendicité est susceptible d’être

perçue comme une lutte contre l’islam et ses adeptes, à plus forte raison dans un

pays à majorité musulmane (90% de la population) ; d’où la délicatesse de cette

question. Mais conscients des mutations et des évolutions du monde actuel, certains

guides spirituels se sont cependant impliqués dans la lutte contre la mendicité sous

toutes ses formes, de façon intelligente. Leur méthode repose sur deux éléments

fondamentaux :

Page 263: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

262

2.4.2. L’intervention des guides soufis

a. - La sensibilisation à la gravité de la mendicité

Les guides spirituels expliquent que la mendicité est bien propagée dans les

milieux des élèves coraniques, parce que la tradition y était favorable dans la

mesure où la mendicité des talibés était considérée comme une solution provisoire

pour permettre à tous les enfants démunis de recevoir un enseignement sans se

soucier de leur prise en charge. Cependant, l’objectif éducatif recherché de la

mendicité, à savoir promouvoir la valeur de la solidarité dans la société et apprendre

aux talibés l’humilité et la modestie, ne se justifie plus selon tous les constats

effectués aujourd’hui : la mutation des sociétés et le changement du contexte ne

sont plus favorables à l’attachement figé à d’anciennes solutions, envisagées par les

anciens pour pallier les difficultés de leur époque. Il revient donc à la nouvelle

génération de chercher ses propres solutions, conformes à la conjoncture actuelle.

C’est ainsi qu’ils rappellent également la réprobation de la šarī‘a contre la

mendicité en évoquant de nombreux textes scripturaires qui prohibent clairement le

phénomène.456

Pour lutter contre la mendicité en général et celle des talibés en particulier, les

guides spirituels s’associent également avec les organisations œuvrant dans ce sens.

C’est dans ce cadre qu’il convient de citer la participation des maîtres spirituels à la

grande conférence tenue à Bamako le 1er juillet 2008, organisée par le Groupe de

Réflexion sur les Droits de l’Enfant, portant sur le thème suivant : « La mendicité

des enfants au Mali ». En effet, l’allocution prononcée par le leader spirituel tiǧānī,

Tierno Hady Thiam récapitulait ainsi la position des maîtres spirituels sur la

question :

456AL-BUHARĪ, al-Ǧāmi‘ al-ṣaḥīḥ, op. cit., pp.435, 243, 255.

Page 264: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

263

« La mendicité sous toutes ses formes est proscrite par la religion musulmane.

Celui qui tend la main tant qu’il n’est pas dans le besoin, commet par là un

péché et va vomir dans l’au-delà ce qu’il a reçu ici-bas des mains de ses

semblables. Toute personne qui se trouve dans le besoin doit s’adresser non à

des individus mais aux responsables de la communauté ou à l’Etat, qui doivent

trouver solution au problème posé. La pratique de la mendicité des talibés n’est

pas légitimée par les textes sacrés de l’islam. Nous estimons qu’aujourd’hui la

mendicité des talibés est dégradante pour les enfants et que l’Etat doit assumer

ses responsabilités afin de garantir l’éducation gratuite pour tous les enfants,

notamment à travers la formalisation de l’enseignement coranique ».457

Après une large sensibilisation à la question, les guides spirituels proposent

également des solutions concrètes comme alternatives pour juguler positivement ce

fléau.

b. Alternatives proposées à la mendicité

Si la perduration de la mendicité des talibés est d’ordre religieux et économique, les

guides spirituels s’efforcent de se charger du premier volet en éclaircissant le point

de vue de la šarī‘a sur la question, et proposent également pour le second volet une

sortie raisonnable de la crise. Leurs propositions reposent sur les points suivants :

1- Officialiser les écoles coraniques en y introduisant également l’enseignement

séculier, ce qui permettrait par conséquent de recevoir une subvention étatique.

2- Introduire des cours de religion dans toutes les écoles publiques et privées, en les

dispensant aux élèves en fonction de leur confession.

3- Créer des cantines accueillant les talibés, afin de leur offrir les trois repas de la

journée, en attendant qu’une solution définitive soit mise en œuvre.

457 Rapport de la conférence « La mendicité des enfants au Mali » produit par Moriba Camara, le 5 août 2008,

à Bamako, sous :

http://dev.internationalservice.org.uk/includes/documents/cm_docs/2009/r/rapport_confrence_grde.pdf (consulté

le 28/3/2013)

Page 265: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

264

Il importe de souligner que toutes ces solutions proposées ont été rappelées lors

d’un forum national sur les écoles coraniques du Mali, qui a eu lieu à Bamako, les

27-29 octobre 2008, sous l’égide du Haut Conseil Islamique du Mali. Le rapport qui

en émane fixe le cadre :

« L’amélioration du cadre de vie et d’apprentissage des talibés ; les réformes

institutionnelles et organisationnelles ; la ‘‘création d’association des maîtres

coraniques ; le transfert de la tutelle au Ministère des Enseignements’’ ; le

renforcement des capacités pédagogiques des maîtres coraniques ;

l’amélioration du contenu des programmes et des apprentissages, ainsi que la

définition de passerelles avec les autres secteurs du système éducatif ; ‘‘offre

éducative, formation professionnelle, introduction du minimum

scientifique’’.»458

Par souci de pragmatisme, les soufis se sont employés à trouver les

partenaires financiers qui les aideraient à réduire le phénomène de

mendicité des talibés. C’est dans ce cadre qu’il faut inscrire leur

collaboration avec une ONG internationale : Environmental

Development Action in the Third World (ENDA-TW). Cette

collaboration vise les activités suivantes :

1- Améliorer les conditions de vie des talibés en organisant des repas collectifs les

empêchant d’aller mendier leur pitance

2- Dispenser des cours d’alphabétisation en français aux talibés

3- Appuyer des actions génératrices de revenus, ainsi que la fourniture du matériel

de travail, et la formation professionnelle. Dans ce sens plusieurs ateliers de

formation en menuiserie, en cordonnerie et en couture ont été ouverts.

458 PELIZZARI Elisa et SYLLA Omar, La transmission du savoir islamique traditionnel au Mali : entre

soufisme tijani et écoles coraniques, Paris, éd. L’Harmattan, 2012, p.188.

Page 266: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

265

Il est à noter qu’en 2007, plus de 700 talibés ont bénéficié de cette collaboration

fructueuse, notamment ceux de Bamako et ceux de Mopti.459

Un autre projet quinquennal a été mis en place par une association locale

dénommée « Niyèta », c’est-à-dire : « aller de l’avant » en langue bambara. Elle a

pour objectif de réduire considérablement la mendicité des talibés. Elle entreprend

des activités permettant aux centres coraniques de s’autofinancer sans pousser les

élèves à la mendicité. C’est ainsi qu’elle expérimenta les bornes fontaines dans les

écoles coraniques dans le but de vendre de l’eau à la clientèle du quartier. Ceci

permettrait aux talibés non seulement d’avoir une source de revenus mais également

d’améliorer leurs conditions d’hygiène et de santé. Bien que la zone d’intervention

de cette association soit limitée à Bamako, elle a réussi jusque-là à améliorer de

façon efficace les conditions de vie de certains talibés sur ce site.460

En dépit de ces quelques efforts mentionnés, nous nous demandons si les

guides spirituels se sont suffisamment impliqués dans la lutte contre la mendicité

des talibés. Certains parmi eux, de nos jours, pensent encore que la mendicité des

talibés est indispensable pour une bonne éducation spirituelle. Les efforts consentis

ne semblent pas porter leurs fruits, hormis quelques résultats positifs mais

insignifiants. Certes, une mobilisation générale à tous les niveaux, est nécessaire

pour juguler ce fléau fort ancré dans la société malienne. A ce titre, les religieux, les

politiques et l’ensemble de la société civile doivent tenir conjointement une

conférence dans laquelle les modalités de mise en œuvre de ces solutions pour la

lutte contre la mendicité vont être précisées, afin que chacun active, à son niveau,

les résolutions le concernant, avec fermeté et sous contrôle d’une institution neutre.

Enfin, ces œuvres sociales et sanitaires des maîtres spirituels apportent en

quelque sorte un complément indispensable à l’œuvre du secteur public, mais ce qui

les démarque de ce dernier, c’est l’esprit soufi dans lequel elles s’insèrent. Les

459 http://www.lavigerie.be/spip.phparticle1131 (consulté le 24/11/2012.) 460 Enquête de terrain, Bamako, 20/09/2012.

Page 267: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

266

guides spirituels du Mali d’aujourd’hui apparaissent très impliqués et mobilisés

dans la vie politique et sociale du pays. Parallèlement, et pour étayer leur action, ils

sont à l’origine de toute une production intellectuelle. Quelle est la portée de leurs

ouvrages ?

CHAPITRE III : LES ŒUVRES INTELLECTUELLES DES SOUFIS

MALIENS D’AUJOURD’HUI ET LEUR PORTEE

Nous avons vu plus haut que le soufisme de la période précoloniale a connu

une production intellectuelle soufie très riche et foisonnante dont les ouvrages les

plus remarquables ont été étudiés, alors que la période coloniale, peu propice, est

marquée par un appauvrissement considérable en matière d’œuvres intellectuelles

soufies. Cette retenue intellectuelle sera relativement surmontée par les guides

spirituels de la période postcoloniale plus favorable. Essayons maintenant d’étudier

les écrits des soufis du Mali indépendant ayant trait au soufisme. En premier lieu,

nous étudierons les ouvrages ésotériques de cette figure universelle que fut A.H. Bâ

(m.1991). Rappelons qu’une biographie sommaire lui a été consacrée ci-dessus.461

1. Les ouvrages ésotériques du maître spirituel hamalliste, Amadou Hampâte

Bâ (m.1991) et leur portée

Notre objectif ici n’est pas de retracer tout le parcours de cette personnalité

éminente, ce qui exigerait plusieurs volumes, mais plutôt de nous attacher à sa

pensée soufie en décelant ses enseignements mystiques prônés. En cela, deux de ses

ouvrages sont particulièrement remarquables :

- Vie et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara

- Jésus vu par un musulman

Hagiographie d’un guide spirituel et ses enseignements :

461 Supra, p.198.

Page 268: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

267

1.1. Vie et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara

Cet ouvrage, comme son nom le révèle, est un récit consacré à la vie et à

l’enseignement de Tierno Bokar (m.1940), le guide spirituel de l’auteur. Paru en

1957, puis remanié dans une seconde version en 1980, l’ouvrage se compose de

trois grands chapitres accompagnés d’une annexe informative. Le premier chapitre

est consacré à la vie du sage de Bandiagara, ses origines, sa famille, son affiliation

au soufisme, et la souffrance qu’il vécut à la fin de sa vie. Au deuxième chapitre,

A.H. Bâ confie les paroles de sagesse de son maître spirituel. Le troisième chapitre

comporte les enseignements de Tierno Borkar sur l’ésotérisme. Enfin, dans une

annexe, l’auteur aborde de façon générale le soufisme et les confréries, afin

d’éclairer les lecteurs non avertis sur les notions fondamentales du soufisme. Nous

n’en retiendrons que quatre points essentiels, qui marquèrent non seulement la vie

de l’auteur, mais également celle d’innombrables disciples.

a- L’affiliation au soufisme d’A.H. Ba

b- La tolérance et l’ouverture vers l’autre

c- La charité illimitée, telle qu’enseignée par les soufis

d- Et la paix universelle prônée par les soufis

Au-delà de son importance historique et biographique pour Tierno Bokar, cet

ouvrage permet également de saisir la spiritualité d’A.H. Ba elle-même.

a- L’affiliation au soufisme d’A.H. Bâ

Tout d’abord, l’adhésion du disciple de Tierno Bokar au soufisme n’est plus un

secret ; il la confirme clairement dans cet ouvrage à l’aide de détails bien précis : sa

tarîqa, sa chaîne spirituelle et sa conception mystique.

« Mon maître et père spirituel Tierno Bokar, lui-même cheick de la confrérie

Tidjani dans la branche omarienne, appartenait à la famille d’El-Hadj Omar.

Pourtant, en 1937, dédaignant les ennuis qui ne manquaient pas de s’abattre sur

lui, il reconnut la validité spirituelle de Chérif Hamallâh et se plaça sous son

obédience. Je le suivis dans cette voie. Il énonça la chaîne de transmission :

Abou Bokar Salif ‘‘c'est-à-dire lui-même’’ Amadou Hama’Ullah ‘‘Chérif

Hammallah’’ Cheikh Mohammad Lakhdar, Cheickh Tahar, Cheikh Ahmed

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268

Tidjani et Seïdna Mohammad, le prophète de Dieu. Telle est la chaîne que j’ai

reçue de lui, puis il me bénit.»462.

Cet extrait est important, car il révèle de manière évidente que l’affiliation d’A.H.

Bâ au soufisme relève de deux voies spirituelles, suivant son guide spirituel. Il fut

dans un premier temps un tiǧānī « douze grains », avant de se convertir de nouveau

au hamallisme « onze grains ».

Dans cet ouvrage, sa conception du soufisme se déduit de références à de

grandes figures soufies de premier plan, comme al-Ǧunayd (m.911) et Abū Yazīd

al-Bastāmī (m.877), avant d’évoquer le célèbre réformateur de son époque,

Muḥammad ‘Abduh (m.1905). L’auteur s’évertue à démontrer la cohérence et

l’harmonie de la conception soufie à travers les siècles, et à déduire que le soufisme

n’est autre qu’une lumière servant à illuminer la foi intérieure du croyant, afin de lui

conférer, en définitive, une existence éternelle en son Seigneur :

« Selon une définition du grand mystique Al-Junayd : ‘‘tasawwuf, le soufisme

consiste en ce que Dieu fait mourir l’homme à son moi afin qu’il vive en lui’’.

Un autre grand soufi Abou Yazid al-Bistami, disait : ‘‘Je me suis desquamé de

mon moi comme un serpent de sa peau’’. Cette mort à soi-moi est appelée

fanâ, littéralement extinction, comme s’éteint la flamme d’une bougie, tandis

que la Vie en Dieu et par Dieu, qui est son corollaire, est appelée baqâ,

continuité, permanence. Le rôle des soufis, disait Mohammed Abduh, est de

guérir les cœurs et d’éliminer tout ce qui voile l’œil intérieur. Ils s’efforcent

d’établir leur demeure en l’esprit, devant la face de celui qui est la très haute

vérité, jusqu’à ce qu’ils soient, par lui retirés de tout ce qui est autre, leur

essence étant éteinte en son Essence et leurs qualités en ses qualités. »463.

Pour le disciple de Tierno Bokar, le soufisme n’a jamais puisé ses origines à

l’extérieur, ni du christianisme ni du judaïsme comme le supposent certains

chercheurs. Il réfute formellement cette thèse tout en confirmant que le soufisme est

un pur produit issu de l’islam et de ses enseignements, s’inscrivant ainsi en parfaite

462 BA Amadou Hampate, Vie et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara, Paris, éd. Seuil, 1980,

p.98. 463 Op. cit., p.252.

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269

symbiose avec les études du célèbre orientaliste Louis Massignon (m.1962)464. A ce

sujet, A.H. Bâ rapporte :

« Par ailleurs, certains orientalistes ont avancé la thèse que le tasawwuf étant

étranger par nature à la vocation de l’islam, il était né de la seule influence

d’autres courants religieux existants, en particulier du christianisme et du

judaïsme. C’est, là encore, méconnaître les racines purement coraniques de tout

l’enseignement soufi et l’incessante méditation des hadiths et des versets dont

il est nourri. Certes, à première vue, le soufisme peut paraître différent de

l’islam tel qu’il est couramment vécu ou compris par la masse. Mais c’est là,

nous nous en sommes déjà expliqué, une différence de niveau et non de nature.

Cette pluralité des niveaux de compréhension ou des axes de recherches à

l’intérieur de l’islam témoigne, précisément, de sa richesse et de sa vitalité. Le

raisonnement qui consiste à expliquer cette diversité par la seule influence de

courants extérieurs est, à la vérité, un peu simpliste, et peut-être pas toujours

exempt de paternalisme.»465.

Pour A. H. Bâ, le hadith qudsī suivant est un compendium qui résume de la

manière la plus éloquente sa conception du soufisme :

« Que mon serviteur ne cesse de s’approcher de moi par des œuvres surérogatoires

jusqu’à ce que Je l’aime. Et quand je l’aime, je suis l’ouïe par laquelle il entend, la

vue par laquelle il voit, la langue par laquelle il parle, la main par laquelle il

saisit. »466

Suite à ce hadith il écrit : « On pourrait dire que tout le soufisme est basé sur ce

hadith tant pour la méthode que pour l’objectif suprême : investiture divine

‘‘baqâ’’, après la mort à soi-même ‘‘fanâ’’»467.

L’auteur n’échappe pas, en dépit de son caractère tolérant et ouvert que nous

éluciderons, au fanatisme confrérique, car il considère, comme d’ailleurs une bonne

partie des tiǧānīs, que la tarîqa tiǧānīe est supérieure aux autres voies spirituelles,

tout comme son fondateur qui est au même titre supérieur aux autres saints :

464Cf., MASSIGNON Louis, Essai sur les origines du lexique technique de la mystique musulmane, Paris, CERF,

1999, pp. 104-112. 465 Op. cit., pp.246-247. 466 Buḥārī, al-Ǧāmi‘ al-ṣaḥīḥ, op. cit., p. 432. 467 Op.cit., p.253.

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270

« Cette mission fait du cheikh Tidjani un pôle, une grande figure de l’islam. Sa

tarîqa joue dans l’islam le rôle que l’islam joue parmi les religions. C'est-à-dire que

le fondateur de la Tidjaniya occupe parmi les saints la place que Mohammad occupe

parmi les prophètes.»468.

L’appartenance à une voie spirituelle ne dispense, selon la conception d’A. H.

Bâ, aucun aspirant de la pratique des principes fondamentaux de l’islam, comme les

cinq prières de la journée, al-farā’id al-ẖam. A cet égard, il dénonce certaines

confréries soufies qui se permettent, d’une manière ou d’une autre, de délaisser,

voire d’abandonner certaines pratiques fondamentales de l’islam, sous prétexte

d’atteindre un degré spirituel hautement élevé. Pour lui cette conception erronée du

soufisme a grandement terni l’image des soufis véritablement accomplis dans la

spiritualité, et a donné aux docteurs de la loi, notamment les attachés à la lettre, les

preuves de fustiger le soufisme :

«Il est vrai que, dans certaines voies spirituelles, on a vu apparaître un abandon

progressif des pratiques de base de l’islam au bénéfice de la seule appartenance

à la tarîqa, appartenance considérée comme suffisante pour assurer les

bénéfices spirituels que l’on en attend. Mais il s’agit là d’une dégradation

apparue avec le temps et liée, le plus souvent, à une méconnaissance des

enseignements réels des maîtres fondateurs, quand ce n’est pas à une certaine

ignorance de l’islam lui-même. Il est hors de doute qu’un tel phénomène existe

en Afrique. On trouve également au Moyen-Orient ou en Extrême-Orient des

sectes ou congrégations appelées ‘‘extrémistes’’ et qui, elles, ont rompu

volontairement – et non seulement par ignorance ou par paresse- avec les

données de la sharia sortant ainsi du giron de l’islam. Mais elles constituent

une exception et non la règle »469.

Si le disciple de Tierno Bokar n’était qu’un simple novice du vivant de son

maître spirituel, nonobstant, il ne cessa, après la mort de ce dernier, de grimper les

stations spirituelles du soufisme, maqāmāt. Il accéda même au plus haut sommet de

la Tiǧāniyya et fut ainsi élevé au titre de cheikh par le maître spirituel de ‘Ayn

Madī, Chérif ibn ‘Ammār, venu d’Algérie, comme le note B. Sanankoua : « En

1950, alors qu’il était conseiller privé du gouverneur pour les affaires musulmanes,

il accompagne sur sa demande Sharif Ben Amar, un grand maître tidjani résident à

468 Op. cit., p.244. 469 Op. cit., p.246.

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271

Ayn Madi, ce dernier lui conféra en présence des nobles de la Tijaniyya de Kayes et

Nioro réunis, le titre de cheikh avec pouvoir de nommer dix muqaddam habilités à

recevoir des adeptes dans la voie tijanie, et lui délivra un diplôme d’investiture.»470.

Son affiliation au soufisme et son ascension spirituelle ainsi établies et attestées,

évoquons maintenant la tolérance et l’ouverture prônées par le soufisme à travers

son ouvrage :

b- La tolérance et l’ouverture envers l’autre

Influencé par les enseignements du sage de Bandiagara, A. H. Bâ fit preuve

de tolérance et d’ouverture envers les autres, au point de susciter des interrogations

sur sa personnalité, et de remettre en cause son appartenance religieuse musulmane.

Cette tolérance sans fin et cette ouverture sans faille étaient l’héritage légué par le

guide spirituel de Bandiagara à son disciple. A. H. Bâ ne dit-il pas dans cet

ouvrage :

« Tierno Bokar aimait tous les hommes, sans considération de race, de religion

ou de rang social. La distinction qui lui paraissait la plus futile était celle qui

consiste à regrouper les hommes sous des emblèmes religieux différents, qui se

croient ennemis les uns des autres. Tous les hommes et plus particulièrement

ceux qui sont animés d’une foi sincère, ne renferment-ils pas une ‘‘parcelle de

l’Esprit de Dieu’’ ? La tolérance devait donc devenir le souci permanent des

élèves, comme elle avait été le fondement de l’enseignement du cheikh Ahmed

Tidjani, et l’un des principes fondamentaux de l’islam.»471.

Cette tolérance et cette ouverture étaient d’abord internes avant de devenir

externes. Imprégnés de ces principes, les aspirants de Tierno Bokar les mettaient en

pratique conjointement avec des disciples, issus de voies spirituelles, autres que la

leur. C’est ainsi que les qādirīs et les tiǧānīs n’éprouvaient aucune gêne en

récitant ensemble leurs litanies confrériques. A cet égard A.H. Bâ rapporte :

« Parmi ceux qui venaient entendre Tierno, tous n’étaient pas toujours de

l’ordre Tidjani. Un jour, de nombreux qadris avaient assisté à son cours. Quand

vint le moment d’effectuer le grand dhikr, un élève demanda à Tierno :

470 SANANKOUA Bintou, « Amadou Hampât Bâ (1900-1991) », in David ROBINSON et Jean-Louis TRIAUD,

(dir.) Le temps des marabouts : itinéraires et stratégies islamiques en Afrique occidentale française, 1880-1960, Paris, éd. Karthala, 1997, p.403. 471 Op. cit., p.129.

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272

- Ceux qui ne sont pas tidjanis vont-ils assister au dhikr ?

- Faites le dhikr sans vous préoccuper d’eux, répondit-il. Si certains d’entre eux

veulent y participer, vous n’avez pas le droit de les empêcher. Et s’ils préfèrent

partir, vous n’avez pas le droit de les retenir.

Le dhikr eut lieu en présence de nombreux qadris. Quand il fut terminé, Tierno

dit : l’arc-en-ciel doit sa beauté aux tons variés de ses couleurs. »472

Cette tolérance interne au sein des confréries soufies, prônée par le sage de

Bandiagara et mise en œuvre par ses disciples, ne se limitait pas seulement à cette

sphère, mais la dépassait largement pour englober les religions autres que l’islam.

Et A. H. Bâ, considérait même que les religions monothéistes sont toutes sur une

même lignée, sans distinction aucune. A ce titre, il confirma que l’islam ne voulait

en aucun cas désigner une religion monothéiste précise, pas même celle qui fut

révélée dans l’Arabie du 7ème siècle, mais qu’elle comprenait toutes les religions,

d’où son ouverture et sa tolérance envers les adeptes des autres religions :

« Le mot islam signifie littéralement « soumission à Dieu», acceptation totale de sa

volonté. Le mot ne désigne donc pas ici la seule religion historique révélée à la

Mecque, mais la religion primordiale, immuable, éternelle de soumission à Dieu qui

a été pratiquée par tous ceux qui se sont voués à son adoration depuis Adam. »473.

Cette tolérance et cette ouverture prêchées par Tierno Bokar et son disciple ne

se limitent pas non plus aux seuls adeptes des religions monothéistes, mais

concernent même les athées et les libres penseurs. En effet, A. H. Bâ ne manque pas

d’anecdotes pour corroborer cette ouverture sans borne :

« Tierno Bokar nous raconta un épisode majeur de la vie du cheikh Ahmed

Tidjani. Celui-ci vivait alors au Maroc où il bénéficiait de la protection du

Sultan. Au cours d’une conférence publique, un provocateur désireux de lui

nuire lui posa une question piège : Dieu aime-t-il l’infidèle ? Etayant sa

réponse de commentaires de versets coraniques, le cheikh osa répondre : ‘‘ oui

Dieu aime l’infidèle’’ Réponse redoutable à l’époque. Ce fut un beau tollé.

Indignés, les assistants quittèrent la salle. Seuls demeurèrent autour du cheikh

472 Op. cit., p.145. 473 Op. cit., p.209.

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273

onze disciples fidèles. Ceux-là même qui, plus tard, seront à l’origine du

développement de la Tidjaniya.»474.

De cette anecdote, il tira la conclusion suivante : « Croire que sa race ou sa

religion est seule détentrice de la vérité est une erreur. Cela ne saurait être. En effet,

la foi est d’une nature comparable à celle de l’air. Comme l’air, elle est

indispensable à la vie humaine et l’on ne saurait trouver un seul homme qui ne croie

véritablement et sincèrement en rien. La nature humaine est telle qu’elle ne peut pas

ne pas croire en quelque chose : Dieu ou diable, fortune, chance ou malchance.»475.

Cette ouverture sans borne lui valut même d’être taxé de franc-maçon. Si sa

franc-maçonnerie reste à prouver, il laissa cependant derrière lui des traces qui

révèlent sa sympathie avec cette confrérie maçonnique fort contestée au Mali.

Néanmoins, B. Sanankoua affirme avoir lu dans les archives personnelles d’A. H.

Bâ des notes évoquant un éventuel lien avec la franc-maçonnerie :

« Nous n’avons pas trouvé dans ses archives parisiennes rien de spécifique sur

cette appartenance, par contre nous avons trouvé la copie d’une lettre adressée

à Emile Delphanque de la Grande Loge Maçonnique d’Orient et d’Occident,

écrite en 1985, et dans laquelle il refusait la proposition de devenir membre

d’honneur de cette Grande Loge. La raison avancée était son appartenance à

une congrégation musulmane : ‘‘Responsable religieux de l’ordre tijani, je ne

peux avoir que des relations personnelles et fraternelles avec les adeptes de

votre loge maçonnique, mais non des fonctions officielles, je suis ouvert à tous

les contacts personnels et fraternels à titre privé. Je me tiens à la disposition de

vos frères s’ils veulent me consulter sur ce que je sais de l’islam’’.»476.

Cette ouverture à l’autre ne signifie pas cependant, pour A. H. Ba, se diluer ou se

dissoudre dans l’identité de l’autre. Au contraire, selon l’auteur, chacun doit garder

fermement son identité et sa culture, sans toutefois s’enfermer, ni se replier sur lui-

même, car on ne peut évoluer en se reniant. En ce sens, il n’hésita pas à dénoncer

ses enfants, ses frères, ou ses amis qui voulurent à tout prix se fondre dans la culture

européenne ou arabe, en fonction de leur formation :

« Certains, disait-il, croient qu’évoluer c’est rompre carrément avec toutes ses

traditions pour adopter celles d’une race que l’on admire, souvent par

474 Op. cit., p.144. 475 Op. cit., p.149. 476 SANANKOUA Bintou, « Amadou Hampât Bâ (1900-1991) », op. cit., p.404.

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274

snobisme. Pour nous, évoluer, c’est perfectionner notre patrimoine qui n’est

pas fait seulement de nos demeures et de nos champs ; c’est aussi aménager

notre pensée, notre manière d’être toute entière. Ce qui vaut pour un pays

tempéré ne peut convenir entièrement à un pays tropical. On voit nos enfants

soudanais copier plus ou moins maladroitement arabes ou éuropéens, selon leur

formation. Ils sont pareils à ces chutes d’eau qui se perdent en ruisselant

inutilement sur des dalles de pierre sans jamais rencontrer un lac pour apaiser

leur course folle et stérile. »477.

Le cas extrême se posa à lui sous l’époque coloniale. Bien qu’il eût été à cette

époque un fonctionnaire de l’administration coloniale, il nia toujours avoir collaboré

avec celle-ci contre sa patrie. Pour lui, sa seule arme était de faire connaître aux

colonisateurs la richesse de la culture africaine ainsi que l’authenticité de ses

valeurs et de sa civilisation, afin de pouvoir réfuter intellectuellement la mission

civilisatrice prétendue par les colonisateurs. Sur ce point, il persistait à contester

toute accusation le rendant complice du régime colonial.

Dans une interview accordée aux journalistes, à Niamey en 1981, raconte B.

Sanankoua, il expliqua qu’un jeune homme, le prenant pour un grand-père,

plaisantait en l’accusant de complicité avec les autorités coloniales au cours de sa

carrière. Il ne tarda pas à réagir :

« Bouvier, on a le droit traditionnellement de plaisanter avec son grand-père

mais on n’a pas le droit de le traîner dans la boue. Vous dites que je suis

auxiliaire de la colonisation, vous me trainez dans la boue. Car le colonialisme

c’est un plus fort, qui vient chez un moins fort, qui est naturellement plus riche

que le plus fort. Alors il vient s’installer et dit : ‘‘je viens pour te civiliser parce

que ta manière de vivre n’est pas bonne, ce que tu connais ne vaut la peine, ce

n’est pas scientifique, ce n’est pas religieux, ce n’est pas conforme ; je vaux

mieux que toi, accepte que je vaux mieux que toi ; je veux que tu sois moi ;

n’apprends pas ta langue, n’apprends pas tes coutumes, tout ça n’est pas bon,

tu vas apprendre pour moi. Mais ce qui est à toi sera à moi et ce qui est à moi,

je le garderai. Toi je te ferai venir pour que tu sois moi ; mais je n’accepterai

pas que nous soyons égaux’’. Voilà le colonialisme. »478

En revanche, la question qui mérite d’être posée ici, est pourquoi ne fut-il pas

arrêté, à l’instar des autres hamallistes, étant lui-même un fervent hamalliste, si l’on

477 Op. cit., p.985. 478 SANANKOUA Bintou, « Amadou Hampât Bâ (1900-1991) », op. cit., pp.396-397.

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275

sait que l’administration coloniale n’a jamais faibli sa répression contre les ardents

disciples de Hamallah ?

La réponse résiderait plutôt dans la capacité intellectuelle d’A. H. Bâ à

convaincre les hauts responsables du régime colonial du caractère pacifique de sa

voie spirituelle, en communiquant dans la langue qu’ils comprenaient, sans avoir

recours à un interprète ou à un traducteur quelconque. A. H. Bâ fut également,

rappelons-le, le guide qui fit découvrir aux administrateurs coloniaux l’immense

culture africaine, à telle enseigne qu’il put gagner leur affection. Sa relation étroite

avec Théodore Monod, l’explorateur colonial et ancien directeur de l’Institut

Français d’Afrique Noir (IFAN) fondé à Dakar en 1936, ainsi que sa relation avec le

capitaine Marcel Cardaire, ne sont un secret pour personne. Ce dernier, il faut le

noter, fut le coauteur de cet ouvrage que nous étudions. Quoi qu’il en soit, il obtint

une protection de la part des hauts cadres de l’administration coloniale.

c- Paix et amour universels prônés à travers cet ouvrage

De la tolérance, à la paix et à l’amour universel, il n’y a qu’un pas. A. H. Ba

était opposé moralement aux colonisateurs parce que ces derniers ont occupé son

pays et infligé l’injustice aux colonisés. Cependant, le disciple de Tierno Bokar ne

haïssait pas l’être humain pour la simple raison qu’il était différent de lui sur le plan

religieux ou racial, mais parce qu’il se nourrissait des enseignements reçus de son

maître spirituel, tout à fait contraires à tout esprit d’animosité. A. H. Bâ s’attarde

même, dans cet ouvrage, sur l’amour et la paix prônés par son maître spirituel,

d’une façon plus étendue qu’à l’accoutumée :

«Tierno se révoltait à l’idée qu’un être quelconque puisse être exclu de l’amour

de Dieu. Il méprisait les distinctions que font les ‘‘attachés à la lettre’’ et

voulait ignorer ceux qui font de cet amour le privilège des seuls croyants

orthodoxes. De mon côté, je n’arrivais pas à comprendre que seuls les

musulmans puissent être bénéficiaires de la miséricorde de Dieu. Je

réfléchissais à la petitesse de leur nombre par rapport à l’ensemble de

l’humanité, dans le temps comme dans l’espace, et me disais : ‘‘Comment

Dieu, devant un tas de graines, pourrait-il prendre une seule poignée de ces

graines et rejeter toutes les autres en disant : Celles-là seules sont mes

préférées’’ ? J’avais souvent entendu dire, autour de moi, et notamment par

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276

certains marabouts, que les non-musulmans étaient des kuffar ‘‘infidèles’’ et

qu’ils iraient en enfer. Cela m’indignait comme si j’avais été moi-même l’un

de ces malheureux infidèles.»479.

Habité par le souci d’instaurer cette paix universelle, il répondait favorablement à

tout congrès qui avait pour objectif de condamner la guerre dans le monde, comme

sa participation à un congrès à Florence, en Italie, sur la condamnation de la guerre.

Dans ce sens il n’hésita pas à visiter également Israël et à rencontrer Golda Meir,

tout en visitant aussi le Mont de Sion.480

d- Charité illimitée prônée par l’auteur

Dans cette œuvre biographique, A.H. Bâ rapporte des récits saisissants

montrant la bonté infinie qui caractérisait son guide spirituel, Tierno Bokar. La

charité, selon ce dernier, est une valeur qui doit dépasser le cadre humain pour

embrasser également toutes les autres créatures. Illustrant la charité de son maître, il

cite une anecdote marquante, qu’il titra « L’oiseau tombé du nid ».

En résumé, l’anecdote rapporte qu’un poussin tomba de son nid sous une forte

rafale de vent. Devant l’indifférence totale des disciples du sage de Bandiagara face

à ce poussin, le maître spirituel se leva pour aller secourir cet être humble et

s’étonna du comportement de ses aspirants qui réservaient leur bonté aux êtres

humains. Fort attristé il s’adressa à ses disciples en ces mots :

« Il est nécessaire que je vous parle encore de la charité, car je suis peiné de

voir qu’aucun de vous n’a suffisamment cette vraie bonté du cœur. Et

cependant, quelle grâce ! Si vous aviez un cœur charitable, il vous eût été

impossible d’écouter une leçon, portât-elle sur Dieu, quand un petit être

misérable vous criait au secours. Vous n’avez pas été émus par ce désespoir,

votre cœur n’a pas entendu cet appel. Eh bien ! Mes amis, en vérité, celui qui

apprendrait par cœur toutes les théologies de toutes les confessions, s’il n’a pas

de charité dans son cœur, il pourra considérer ses connaissances comme un

bagage sans valeur. Nul ne jouira de la rencontre divine s’il n’a pas de charité

dans son cœur. Sans elle, les cinq prières ne sont que des gesticulations sans

importance ; sans elle, le pèlerinage est une promenade sans profit »481.

479 Op. cit., p.141. 480 SANANKOUA Bintou , « Amadou Hampât Bâ (1900-1991) » , op. cit., p.404. 481 Op. cit, p.160.

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277

Enfin, cet ouvrage constitue une véritable source pour la compréhension de

certains aspects du soufisme au Mali du XXème siècle, caractérisé par la tolérance,

la paix, l’amour universel et la charité illimitée qui dépassent le cadre du soufisme,

de l’islam, pour englober les autres religions. L’ouvrage suivant, « Jésus vu par un

musulman », raffermit et complète encore la teneur de celui que nous venons

d’étudier.

Incitation au dialogue interreligieux et à la solidarité entre les confessions

monothéistes :

1.2. Jésus vu par un musulman

Cet ouvrage à l’origine est le fruit d’une conférence tenue par A.H. Bâ à

Niamey, en 1975. Cette rencontre avait pour thème général : « Nos communautés

chrétiennes sont-elles la révélation de Jésus-Christ aux Musulmans ?». L’auteur y

aborde les thématiques suivantes : Jésus dans l’islam : sa place, son importance

dans le courant mystique, la connaissance et l’attachement à Jésus chez les

musulmans africains. L’ouvrage, publié en 1993, et composé de 62 pages, aborde

les questions suivantes :

- Jésus a-t-il vraiment existé ?

- Si oui, qui était-il ?

- Etait-il un homme, un homme-Dieu ou Dieu lui-même ?

- Qui a raison ? Qui a tort ? Ceux qui considèrent Jésus comme un homme ? Ceux

pour qui Jésus est homme-Dieu ? Ou ceux qui voient en lui Dieu lui-même ?

En prologue, A.H. Bâ tint un discours fédérateur, exhortant les adeptes des

trois religions monothéistes à œuvrer pour la construction d’un barrage qui

endiguerait fortement le phénomène de négation de l’existence de Dieu et freinerait

la vague d’athéisme. C’est ainsi qu’il considère le dialogue interreligieux comme la

guerre sainte d’aujourd’hui que doivent mener les différents monothéismes

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278

contemporains. Puis, il entre dans le vif du sujet en abordant le premier élément de

sa problématique : « Jésus a-t-il vraiment existé ? » :

« Quoi qu’on veuille que Jésus soit, l’essentiel est qu’il ait effectivement existé. Or

ce fait est hors de doute, car il fut historiquement prouvé et divinement attesté. »482.

A la suite, il souligne la place révérencielle que Jésus occupe dans le cœur de tout

musulman, car il est canoniquement interdit à toute personne professant l’islam de

proférer à l’adresse de Jésus des paroles qu’il ne saurait adresser à Mohammad lui-

même. Il est avéré que l’islam qualifie d’apostat tout croyant qui blasphème Jésus.

Puis il évoque les points de convergence entre musulmans et chrétiens :

- L’existence de Dieu.

- Jésus est l’esprit de Dieu insufflé en une vierge, Marie.

- Jésus est monté au ciel.

- Il reviendra avant la fin des temps.

Pour A.H. Bâ, ces quatre points majeurs et convergents pourraient suffire à unir

les monothéistes et déplacer le conflit interreligieux sur un autre front moins

conciliable, celui de l’athéisme. Par ailleurs, il importe de noter que le chapitre cinq

de l’ouvrage est particulièrement délicat. L’auteur s’y sert de l’arithmologie, ou

science des chiffres, pour interpréter subtilement et justifier le caractère divin de

Jésus auquel les principes de l’islam se sont farouchement opposés. Car il est

inutile, à notre avis, de dire que la non divinité de Jésus constitue un point majeur,

qui distingue la croyance musulmane de celle des chrétiens. Le disciple de Tierno

Bokar expose ainsi son analyse :

« La valeur numérale du nom coranique de Jésus est 1122. La valeur numérale

du nom dont Dieu s’est désigné, Allah est 66. Or, la valeur secrète du nombre

66, obtenue par addition des éléments numéraux de 1 à 66, est 2211. Comme

on le constate facilement, 1122, c’est 2211 inversé, c’est en quelque sorte, son

reflet ; il y a donc un rapport occulte entre le nom de Dieu dans le Coran et le

nom coranique de Jésus. Celui qui est éclairé par ce secret, cesse d’être étonné

482 BA Amadou Hampaté, Jésus vu par un musulman, Abidjan-Dakar, Nouvelles Editions Africaines,1976, p.18.

Page 280: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

279

lorsqu’il entend dire que Jésus participe d’une certaine manière à l’Essence de

l’Etre Divin. » 483.

E. Balinga, dans son étude sur l’aspect littéraire des œuvres d’A. H. Bâ confirme

que ce dernier prônait le caractère divin de Jésus dans l’ouvrage en question, Jésus

vu par un musulman : « L’auteur y confirme l’absence d’opposition entre les

différentes religions, il montre que les musulmans reconnaissent Jésus comme fils

de Dieu de la même manière que les chrétiens. »484.

Cette interprétation arithmologique employée par A. H. Bâ pour justifier la

divinité de Jésus serait-elle en conformité avec la croyance de la majorité des soufis

maliens ? Certes non, car la majorité avance certains versets coraniques comme

arguments contraires :

« Rappelle leur le moment où Dieu dira : ‘‘O Jésus, fils de Marie, est-ce toi qui as

dit aux gens : prenez-moi ainsi que ma mère pour deux divinités en dehors de

Dieu ?’’ Il dira : gloire et pureté à Toi ! Il ne m’appartient pas de déclarer ce que je

n’ai pas le droit de dire ! Si je l’avais dit tu l’aurais su, certes. Tu sais ce qu’il y a en

moi et je ne sais pas ce qu’il y a en Toi. Tu es en vérité le grand connaisseur de tout

ce qui est inconnu. »485

«Dis : il est Dieu Unique, Le Seul à être imploré pour ce que nous désirons. Il n’a

jamais engendré, n’a pas été engendré non plus. Et nul n’est égal à Lui. »486.

Nous nous posons la question de savoir si A.H. Bâ, dans cette aventure

interprétative, voulait absolument conformer la vision des théologiens musulmans à

celle des chrétiens, en allant ainsi à l’encontre de son propre principe, à savoir

respecter l’autre mais sans se renier ou se diluer dans l’identité de l’autre? Les

quatre points convergents entre ces deux confessions, chrétienne et musulmane,

qu’il a cités, ne suffisent-ils pas pour concilier les deux communautés ?

483 Op. cit., pp.42-43. 484 BALINGA Emile, Amadou Hampate Ba: l’homme et l’œuvre : oralité et création littéraire, Paris, Université

Paris IV, 1988, (dactylogr, Thèse 3e cycle, directeur : Jeanne Lydie Goré), p. 131. 485 Coran : 5,116. 486 Coran : 112,1- 4.

Page 281: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

280

Enfin, A.H. Bâ sut grandement exploiter sa plume au profit du soufisme. Il fut, à

notre connaissance, le premier guide spirituel malien influent ayant reçu sa

formation dans les écoles coloniales françaises et qui composa, par la suite, des

œuvres intellectuelles soufies en la langue française. A part ces deux ouvrages

étudiés ayant trait au soufisme, de nombreux ouvrages que rédigea A. H. Bâ, sont

consacrés à l’histoire de l’Afrique, aux contes et à la tradition africaine.

Un autre guide spirituel malien, décédé à la fin du XXème siècle, Sa‘d ‘Umar

Touré, s’est consacré lui, à la défense des thèses tiǧānīes contre les détracteurs

salafīs :

La défense des thèses tiǧānīes contre les détracteurs salafīs

2. L’ouvrage mystique du maître spirituel tiǧānī, Sa‘d ‘Umar Touré (m.1997)

et sa portée

Le maître spirituel de Ségou, Sa‘d ‘Umar Touré, à qui nous avions consacré

plus haut une notice biographique, est à l’origine d’une importante bibliographie. Il

publia en effet, huit ouvrages en arabe traitant de sujets religieux et linguistiques.

Parmi ceux-ci, une œuvre que nous étudierons bientôt a été consacrée au soufisme ;

elle s’intitule «al-’Aḍwā’ al-ṣāfia ‘alā al-’awrād al-tiǧāniyya » : Lumières luisantes

sur les formules d’invocation tiǧānīe.

Cet ouvrage composé de 63 pages et publié en 1995, est, à l’origine, une

tentative de la part de l’auteur de réfuter les thèses de ses détracteurs « salafīs ou

wahhabites » qui qualifiaient sa voie spirituelle tiǧānīe de « déviation » et

d’« égarement ». Il voulut donc dans cet ouvrage élucider le bien-fondé de sa tarîqa

en justifiant tous les éléments incriminés, et pour ce faire, en se reportant aux textes

du Coran et du hadith. Retenons les principaux points contestés par les détracteurs,

qu’il étudie dans cet ouvrage :

Page 282: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

281

a- Permission de limiter le ḏikr à un nombre bien précis

b- Récitation du ḏikr en groupe

c- Rencontre physique avec le Prophète après sa mort

d- Valeur spirituelle de la šalāt al-fātih

e- Autorisation préalable,’iḏn, d’un cheikh pour accéder à un ḏikr

f- Utilisation du chapelet subḥa pour accomplir le ḏikr

a- Permission de limiter le ḏikr à un nombre bien précis 487

Sur ce premier point, Sa‘d ‘Umar Touré affirme que la limitation du ḏikr prend

sa légitimité juridique dans un hadith authentique relaté par Buḥārī et Muslim, selon

lequel le Prophète aurait fixé un nombre bien précis pour le ḏikr, à l’intention de sa

fille Fāṭima. Il s’en suit que toute action d’adoration qui puise ses origines dans une

parole ou une action du Prophète ne peut, en aucun cas, être traité de bid‘a,

innovation religieuse.

Nous constatons sur ce point, que la doctrine n’est pas encore bien établie, car

ses détracteurs considéraient que toute limitation d’une adoration quelconque relève

de la compétence du Prophète, et non de celle des cheikhs ; et de plus, que tout ḏikr

non limité garde son caractère absolu, et que personne n’a la légitimité juridique

pour y apporter une limitation. On pourrait cependant penser qu’en ayant recours à

l’analogie, qiyās, la limitation de certains ḏikr pourrait être justifiée, car le principe

de qiyās est bien approuvé par la majorité des docteurs de la loi.

b- Accomplissement du ḏikr dans un groupe 488

Selon les adversaires du cheikh Sa‘d, effectuer un ḏikr dans un groupe de

manière rythmée relève également du bid‘a et doit être réprouvé. Sa‘d ‘Umar Touré

réfute cette thèse en se reportant au verset coranique suivant :

487 TOURE Sa‘d, al-’Aḍwā’ al-ṣāfia ‘alā al-’awrād al-tiǧāniyya, Bamako, éd. Maktaba Bokar Sow, 1995, p. 9. 488 Op. cit., p.13.

Page 283: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

282

« Fais preuve de patience en restant avec ceux qui invoquent leur Seigneur matin et

soir, désirant Sa Face. Et que tes yeux ne se détachent point d’eux, en cherchant le

faux brillant de la vie sur terre. Et n’obéis pas à celui dont Nous avons rendu le

cœur inattentif à Notre Rappel, qui poursuit sa passion et dont le comportement est

outrancier »489.

L’auteur cite également un hadith rapporté par Muslim pour conforter son argument

: « Tout groupe se réunissant pour invoquer Dieu ‘‘effectuer le ḏikr’’ sera entouré

des anges, recevra la sérénité et la miséricorde de Dieu, et sera cité également dans

la congrégation céleste »490.

Nous estimons que les antagonistes convergent sur le fait d’accomplir le ḏikr en

groupe, mais c’est la manière de le pratiquer qui les différencie. Pour les détracteurs

de Sa‘d ‘Umar Touré, chacun dans un groupe récite son ḏikr, indépendamment des

autres. En revanche, les adversaires du cheikh Touré considèrent que tout ḏikr

effectué de manière rythmée et coordonnée, comme le font beaucoup de confréries

soufies, est voué au bid‘a. Or si les textes sacrés régissent bien le principe du ḏikr

en groupe, ils demeurent cependant silencieux sur la manière de le pratiquer

collectivement. Par conséquent, cette question pourrait être traitée dans le cadre de

l’iǧtihād de chaque faqīh.

c- La possibilité de la rencontre physique avec le Prophète après sa mort

Ce sujet demeure, nous l’avons vu, objet de polémique, entre les soufis et leurs

détracteurs, de la période précoloniale à nos jours. Pour Sa‘d ‘Umar Touré, cette

question est tranchée de manière positive par tous les maîtres soufis d’hier et

d’aujourd’hui. Il rapporte :

« Le Prophète est à présent vivant avec son âme et son corps, comme il l’était

avant sa mort, mais il est seulement dissimulé à notre vue comme le sont les

anges, vivant également avec leurs âmes et leurs corps, mais invisibles de nous.

Et lorsque Dieu veut accorder une karāma à l’un de ses saints, il enlève le

ḥiǧāb ‘‘voile empêchant de voir les mystères’’ et l’invisible pénètre ainsi

489 Coran :18, 28 490Ibid., p.13.

Page 284: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

283

particulièrement dans le monde visible, mais momentanément. Personne ne

dénie ceci à part celui qui ignore la place éminente de la prophétie »491.

Pour corroborer son avis, il évoque le hadith rapporté par al-Buẖārī :

« Quiconque m’a vu en rêve, me verra en état d’éveil, et Satan ne peut incarner mon

image ».492 Enfin, il renvoie ses détracteurs à l’ouvrage d’Abū Bakr al-Bayhaqī

(m.1065) intitulé « Ḥayāt al-anbiyā’ : La vie des prophètes ».

Pour les adversaires de cette possibilité de voir le Prophète en état d’éveil, ce

hadith annonce la vision et la rencontre physique avec le Prophète dans l’au-delà,

mais non dans ce monde. Et ils se reportent alors au verset suivant signifiant, selon

leur interprétation, que personne ne reviendra dans cette vie d’ici-bas après sa mort :

« Puis lorsque la mort vient à l’un d’eux, il dit : ‘‘Mon Seigneur ! Fais-moi revenir

sur terre, afin que je fasse du bien dans ce que je délaissais ’’. Non, c’est

simplement une parole qu’il dit. Derrière eux, cependant, il y a une barrière,

jusqu’au jour où ils seront ressuscités »493.

Cheikh Touré n’ayant pu avancer suffisamment d’arguments sur la possibilité

de rencontre physique avec le Prophète après sa mort, n’a pas également renvoyé

ses détracteurs à l’ouvrage riche de preuves sur la question controversée. Il s’agit de

l’ouvrage rédigé par l’érudit égyptien Ǧalāl al-Dīn al-Suyūṭī (m.1505), intitulé

« Tanwīr al-ḥalak fī imkān ru’yat al-nabī wa al-malak : Illumination des ténèbres

sur la possibilité de vision du Prophète et de l’ange » comme il le fera d’ailleurs

avec la question du chapelet, subḥa.494 Il se peut que cheikh Touré n’ait pris

connaissance de cet ouvrage, ou n’en disposait pas au moment de la rédaction de

son ouvrage.

d- La valeur spirituelle de la ṣalāt al-fātih 495.

Selon les adeptes de la Salafiyya, la récompense liée à la récitation de cette ṣalāt

(prière sur le Prophète), annoncée par Sa‘d ‘Umar Touré, n’a aucun fondement

491Op. cit., p. 25. Traduction personnelle. 492 Ibid., p. 25. 493 Coran, 23, 99-100. 494 Infra.,p.282. 495 TOURE Sa‘d,, op. cit., p.29.

Page 285: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

284

scripturaire. Concernant cette question, le guide spirituel de Ségou demeure

incapable de démontrer les mérites et la suprématie de cette ṣalāt par rapport aux

autres. Il tente d’y apporter un argument qui est à la base renié par ses détracteurs, à

savoir la vision du Prophète en état d’éveil, durant laquelle la récompense de cette

ṣalāt a été révélée au cheikh Tiǧānī.

e- La nécessité de l’autorisation, ’iḏn, d’un cheikh pour accéder à un ḏikr 496

Pour les adversaires du cheikh Touré, personne n’a le droit de monopoliser un

ḏikr. Pour ces derniers les ḏikrs proférés par le Prophète lui-même, de son vivant,

sont grandement suffisants et plus efficaces que n’importe quel autre. Sur ce point,

l’auteur peine également à fournir des preuves irréfutables ; il se reporte toujours à

des références oniriques non reconnues par ses adversaires, bien que le but principal

de l’ouvrage soit de convaincre du bien-fondé de sa voie spirituelle en se fondant

sur des références approuvées par ses détracteurs, à savoir le Coran et les hadiths

authentiques.

f- La licéité de l’utilisation du chapelet, subḥa, pour la pratique du ḏikr 497

Le dernier sujet de controverse dans l’ouvrage de Sa‘d ‘Umar Touré touche au

moyen utilisé pour effectuer le ḏikr. Pour les contradicteurs du maître spirituel de

Ségou, le ḏikr doit être accompli au moyen des doigts et toute autre procédure

différente ne relèverait que de bid‘a. Sur cette question, l’auteur reconnaît d’abord

la légitimité d’effectuer le ḏikr au moyen des doigts et rajoute que certains textes

sacrés attestent également la licéité de faire le ḏikr à l’aide d’un chapelet, se

reportant au hadith suivant : « La subḥa, ‘‘chapelet’’ est certes un meilleur moyen

incitatif au rappel de Dieu »498.

Mais les contradicteurs du cheik Touré mettent en doute l’authenticité de ce

hadith. L’auteur enfin renvoie ses détracteurs à un recueil riche et bien argumenté

sur la légitimité du subḥa, à savoir l’ouvrage rédigé par l’érudit égyptien Ǧalāl al-

Dīne al-Suyūṭī, (m.1505), intitulé al-Minḥa fī al-Subḥa : La donation du chapelet.

496Op. cit., p.37. 497Op. cit., 58. 498 Op. cit., p.60.

Page 286: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

285

Cet ouvrage corrobore l’utilisation du chapelet comme moyen du ḏikr et réfute de

façon hautement intellectuelle les arguments prenant subḥa pour bid‘a.

Enfin, cet ouvrage met en exergue les différences de pratique, entre soufis et

adeptes de la Salafiyya, et eut comme répercussions : l’attachement indéfectible des

tiǧānīs à leur pratique spirituelle et la dégradation des relations entre les tiǧānīs et

les salafīs. Les ouvrages du guide spirituel de C.M.S, Bilal Diallo, ont un apport

différent.

3. Les ouvrages ésotériques du guide spirituel qādirī, Bilal Diallo ( ?-) et leur

portée

Ce maître spirituel, à qui nous avons consacré une biographie sommaire plus

haut, est un auteur prolifique. Il contribua à l’enrichissement de la littérature soufie

malienne par ses huit ouvrages destinés à l’exégèse du soufisme. Cependant quatre

d’entre eux nous paraissent plus importants, et feront l’objet de notre étude :

1- Sourate Ikhlaç

2- A la lumière du soufisme

3- La tiǧāniya, voie spirituelle du cheikh Ahmed Tijani

4- Ayat al-Koursi, le Trône

Ces quatre ouvrages du cheikh Bilal Diallo sont en effet tout à fait représentatifs de

sa conception du soufisme. Le premier loue les mérites et les bienfaits d’une sourate

coranique bien connue :

Les mérites et les bienfaits d’une sourate coranique :

3.1. Sourate Ikhlaç

La dénomination de cet ouvrage n’est pas innocente, si l’on sait que cette

sourate coranique occupe une place éminente, parmi les 114 sourates que comprend

le Coran. Sa valeur ésotérique n’a cessé de faire l’objet d’étude de la part des soufis

Page 287: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

286

à travers les siècles. Dans cette œuvre constituée de 206 pages et publiée en 2009, le

cheikh Bilal Diallo n’aborde pas seulement les secrets mystiques ainsi que les

mérites de cette sourate, mais il y traite de sujets divers ayant trait au soufisme.

Après une longue introduction, dans laquelle il donne un aperçu historique de

l’avènement de l’islam en général et de sa pénétration au Mali en particulier, mais

sans y préciser une date supposée de son apparition au pays, il évoque la raison de

son intérêt pour cette sourate. A cet égard, il procède à une déduction spécifique

réservée à lui seul. Il souligne que son attachement indéfectible à cette sourate

s’explique par le fait que celle-ci est composée de quatre versets. Cette numérologie

lui est chère, car il est natif de la quatrième région du Mali (Ségou) ; il réside dans

la quatrième commune de Bamako ; son nom Diallo est issu d’une tribu peule qui

dispose de quatre noms principaux (Diallo, Sidibé, Sankaré, et Barry) ; enfin son

titre est composé de quatre éléments : cheikh soufi Bilal Diallo.

Les thématiques les plus importantes étudiées dans cet ouvrage sont les suivantes :

a- La pureté intérieure

b- La pureté extérieure

c- Les mérites de la sourate Iẖlās

d- La méthode exemplaire pour se recueillir sur une tombe

e- La race noire et la race blanche

Ces différents points sont particulièrement révélateurs de sa pensée mystique soufie.

a. La pureté intérieure

En évoquant le premier point, le cheikh Bilal Diallo affirme que le soufisme est

une science qui a la mission particulièrement délicate de soigner l’âme humaine qui

échappe à la médication des médecins. La pureté intérieure, explique-t-il, exige

impérativement un exercice persévérant de la part de l’aspirant sous l’égide d’un

guide spirituel lucide. Ce faisant, la sourate Iẖlās qui représente à elle seule, en dépit

Page 288: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

287

de sa brièveté, le tiers du Coran, constitue une source spirituelle intarissable et

indispensable à l’ascension spirituelle de tout novice.

b. La pureté extérieure

Analysant la pureté extérieure, l’auteur déplore l’attitude de certains aspirants

qui délaissent l’entretien de leur image extérieure visible, notamment la pureté des

vêtements, la pureté du corps et la propreté de l’habitation, sous prétexte que seule

la pureté intérieure importe. Selon l’auteur, la pureté intérieure doit se refléter dans

la pureté extérieure et vice versa. Par conséquent, mettre l’accent sur un aspect et

négliger l’autre relèverait de l’hypocrisie. Bien au contraire, les deux aspects (pureté

intérieure et pureté extérieure) doivent se conjuguer et se manifester de la même

façon. Nous avons certes constaté que nombreux sont les disciples, voire les

muqaddams, qui se désintéressent totalement de leur image extérieure, à telle

enseigne que certains pensent même qu’un soufi doit avoir une apparence

méprisable ou moins attractive. Mais cette conception erronée fait aujourd’hui

l’objet de critique de la part de maints guides soufis.

c. Les mérites et les bienfaits de la sourate Iẖlās

L’auteur aborde enfin le sujet principal de son œuvre, à savoir les mérites et les

bienfaits de la sourate Iẖlāṣ. Il rappelle que :

- La lecture fréquente de cette sourate accorde à l’aspirant l’amour divin.

- La récompense octroyée à la récitation de cette sourate équivaut à un tiers du

Coran.

- Celui qui lit cette sourate 10 fois aura une maison au paradis comme récompense.

Mais nous remarquons ici que ce qui devait constituer le sujet principal de l’ouvrage

est en fait moindrement étudié, car l’auteur est absorbé par d’autres sujets abordés.

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288

d. Comment se recueillir sur une tombe

Le Cheikh Bilal Diallo éclaircit une autre thématique importante du soufisme, la

méthode appropriée pour se recueillir sur une tombe, et à ce propos, il tient un

discours tout à fait orthodoxe sur la question. Car nous savons que les adeptes de la

Salafiyya réprouvent formellement le culte des saints, lors duquel certains adeptes

soufis se permettent de faire une circumambulation, ṭawāf, autour de la tombe, ou

de formuler des suppliques et des vœux à l’adresse du saint défunt. Certains

apportent même des offrandes qu’ils déposent sur la tombe. Face à ce genre de

dévotions, l’auteur dénonce le procédé et en recommande un autre, d’où le titre d’un

chapitre, « Méthode exemplaire pour se recueillir sur une tombe » :

« Pour se recueillir sur une tombe, faites très attention. Nul n’a le droit d’adresser

une prière quelconque à un défunt, je dis au défunt quel que soit son grade dans

l’échelle de la spiritualité. C’est plutôt à Dieu et uniquement à Dieu qu’on doit

demander ; on n’adore pas non plus la tombe »499.

Ainsi selon le guide spirituel de C.M.S, il est absolument permis de consulter

un saint de son vivant et de solliciter ses bénédictions, pour une difficulté ou pour

une autre. En revanche, il est formellement interdit d’adresser ces mêmes

sollicitations à un saint défunt. Dans ce cas, il est vivement recommandé de prier

pour ce dernier et pour le salut de son âme, afin qu’il soit accueilli dans la

miséricorde divine.

e- La race noire et la race blanche

Enfin, le cheikh Bilal Diallo aborde un sujet qui, à première vue, semble étranger

au soufisme. Fort marqué par les attaques racistes qu’il subit durant son voyage à

Doubaï, en Arabie Saoudite et en Corée du Sud, le cheikh Diallo prêche dans ce

chapitre que seule la spiritualité est capable de rendre l’humanité heureuse et

harmonieuse, car le racisme est un signe notoire de l’obscurité et de l’insalubrité du

cœur. Le soufisme étant une science qui a pour objet d’illuminer et de purifier les

cœurs, il constitue le seul remède efficace pour les personnes racistes. Pour l’auteur,

499DIALLO Bilal, Ikhlaç, Bamako, éd. Delta, 2009, p.15.

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289

la seule mesure juste pour apprécier la supériorité d’une personne par rapport à une

autre repose uniquement sur la piété, comme l’indique clairement le verset

coranique : « Le plus noble d’entre vous auprès de Dieu est le plus pieux d’entre

vous. »500.

Il conclut son ouvrage en lançant un appel vibrant à la communauté des

musulmans pour s’unir et œuvrer ensemble pour le bonheur et le salut de la société.

Cet ouvrage concilie, enfin, la vision des soufis et celle des adeptes de la Salafiyya

sur certaines questions de divergence, notamment la méthode de recueillement sur

une tombe. Analysons maintenant le second ouvrage qui fait l’exégèse du soufisme.

L’exégèse du soufisme :

3.2. A la lumière du soufisme

Dans cet ouvrage composé de 188 pages, le cheikh Diallo traite de divers sujets

du soufisme. Cependant cinq parmi les questions abordées nous paraissent

importantes et particulièrement représentatives de sa pensée ésotérique :

a- Les états de la spiritualité totale

b- L’enseignement du soufisme

c- Le soufisme et le bien matériel

d- Les différents types de guides

e- Questions et réponses

a- Les états de la spiritualité totale

Dans le premier chapitre, le cheikh Bilal Diallo entreprend une description des

étapes à franchir par tout aspirant. Il en évoque sept. Les plus importantes sont la

première et la dernière. La première étape, qu’il appelle « Etape de la force

naturelle » est le début du cheminement spirituel d’un néophyte, étape durant

500 Coran : 49,13.

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290

laquelle celui-ci est invité à modérer sa consommation de nourriture, d’eau et de

sommeil. Il doit également diminuer sa parole et baisser le regard. La dernière étape

confère à l’aspirant l’accès à la royauté divine et le dote d’une conscience autre,

surnaturelle. A cette étape, il atteint la limite des stations spirituelles et acquiert le

statut de « quṭb ». Le cheikh Diallo poursuit son exégèse en citant également sept

sortes de quṭb, commençant par le quṭb zamān et terminant par le plus haut degré de

quṭbāniyya, appelé « quṭb fard ǧāmi‘ zamān kāmil ».

Mais ce qui retient notre attention dans ce chapitre, est le fait que l’auteur

prétend que l’accession à toutes ces étapes spirituelles a été perturbée par les

wahhabites, qui nient, nous le savons, l’existence même de ces étapes décrites

minutieusement par les maîtres soufis :

« Le tout émanant du fait des wahhabites malsains soutenus dans leur honteuse

attitude par des inconscients dépourvus de tout sens de pardon et de piété. Par la

grâce de Dieu, ils n’ont pas pu parvenir à bout du soufisme ; mais reconnaissons

quand même que leur marquage a eu une certaine répercussion sur la montée en

puissance du soufisme dans le monde. »501

Dans un autre passage, il attaque à nouveau les wahhabites : « Le terme

‘‘sunnisme’’ a été vagabondé par le wahhabisme qui, je précise, est une doctrine

déviationniste »502.

Pour notre part, nous estimons que ce sont la faiblesse de l’argumentation et le

manque de conviction qui seraient à l’origine de ce relatif recul du soufisme au

Mali. En effet, les maîtres soufis n’arrivent plus aujourd’hui à convaincre les

profanes du bien-fondé de leur voie spirituelle. Les wahhabites, ou les adeptes de la

Salafiyya, qui y parviennent à force d’argumentation, s’imposeront inéluctablement,

et par conséquent apprivoiseront l’influence de leurs adversaires soufis. Force est de

reconnaître que la spiritualité prônée par les guides de la Salafiyya est en pleine

expansion au Mali. Ceci est dû certes à leur méthode pédagogique et à leur force

501 Op. cit., p. 46 502 Op. cit., p. 121.

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291

d’argumentation face aux maîtres soufis qui, dans la plupart des cas, n’ont pas reçu

une formation solide et avancée en sciences exotériques.

b- L’enseignement du soufisme

Au sujet du second thème, le maître spirituel Bilal Diallo procède à un

amalgame entre le soufisme et la šarī‘a. C’est ainsi qu’il les oppose l’un à l’autre et

considère que cette dernière est toujours dépassée par le soufisme :

« Le soufisme est très mal connu ou mal compris souvent par la šarī‘a, alors qu’il

représente le dernier degré de la réalité divine. C’est ce qui fait la force du soufisme

et la faiblesse de la šarī‘a : la šarī‘a se perd et se noie dans l’océan du

soufisme.»503.

Cette conception, qui cherche à mettre en contraste l’aspect exotérique et

l’aspect ésotérique, nous semble inappropriée. Car, chaque aspect joue un rôle

éminent et complémentaire par rapport à l’autre. Si le soufisme, à travers ses

enseignements, conduit l’aspirant à une purification du cœur et de l’âme (tazkiat al-

nafs) ainsi qu’à une ascension spirituelle ultime, la šarī‘a cependant, garantit le bon

déroulement de ce cheminement en protégeant l’aspirant de toutes dérives

potentielles, et de toutes errances possibles en cours d’exercice. Par conséquent, ces

deux aspects, ésotérique et exotérique, de l’islam ne font que se conjuguer, au profit

supérieur de l’aspirant. Toute négligence de l’un au profit de l’autre n’entraine, en

réalité, que déséquilibre.

Pour l’auteur, l’enseignement du soufisme exige une pédagogie exceptionnelle.

Il estime que la majorité des maîtres spirituels n’est pas qualifiée, en dépit de leur

érudition en sciences ésotériques, pour véhiculer le message soufi. Cependant il

n’énonce pas les critères qui seraient requis pour l’enseignement du soufisme. Il

donne en exemple, pour illustrer cette dangerosité d’enseigner le soufisme, al-

Ḥallāǧ (m.922), qui fut exécuté pour ses propos ambigus, considérés comme

sacrilèges par les docteurs de la loi, lorsque il proféra « ’Ana al-Ḥaqq : Je suis la

503 Op. cit., pp. 89, 125.

Page 293: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

292

Vérité »504. En dépit de son admiration pour le maître spirituel de Bagdad, il pense

que ce dernier n’a pas su transmettre son message ésotérique de la manière

adéquate.

c- Soufisme et bien matériel

Sur cette question, l’auteur met en évidence le fait que le soufisme ne s’oppose

pas à l’enrichissement matériel. Autrement dit, le soufisme n’est pas synonyme

d’exclusion totale de la vie mondaine. Les deux éléments peuvent coexister en

parfaite symbiose. Néanmoins, le soufi ne doit être ni obnubilé ni obsédé par une

quelconque fortune. Son devoir, selon la conception de l’auteur, consiste à vouer les

biens matériels au profit de la charité et de l’atténuation des souffrances des

démunis et des nécessiteux. A ce propos, il relate une anecdote soufie illustrant la

prééminence d’un soufi fortuné sur un autre miséreux : un soufi vivant dans

l’ascétisme en brousse fut enjoint, dans une intuition divine, ilhām, de rendre visite

à un autre soufi, résidant en ville dans des conditions hautement prospères. Sidéré

par ce qu’il aperçut chez son hôte, il se demanda en son for intérieur : « Comment

peut-on être soufi dans une telle vie opulente ?». Le soufi visité lui rétorqua :

« Ce bien matériel, dont la maison somptueuse, n’est pas mon cœur, il est au service

de Dieu jour et nuit, on y glorifie le nom du Seigneur et fait des invocations »505.

Nous nous demandons ici si les disciples soufis qui passent tout leur temps chez

les guides spirituels, reçoivent une formation professionnelle autre que spirituelle ?

Quel rôle joue la fortune immense, dont disposent quasiment tous les influents

maîtres spirituels du Mali, dans le développement spirituel de leurs adeptes ?

d- Les différents types de guides spirituels

Bilal Diallo répartit les guides soufis en deux groupes, les faux guides et les

vrais guides, en citant les éléments caractérisant chacun d’entre eux. Selon l’auteur,

un « faux guide » est celui qui est animé par le sentiment de supériorité et

504 MASSIGNON Louis, La passion de Husayn Ibn Mansūr Hallâj, martyr mystique de l'islam exécuté à Bagdad

le 26 mars 922 : étude d'histoire religieuse , La doctrine de Hallâj, Paris, éd. Gallimard, 1975. t.III, p.251. 505 Op. cit., p. 100.

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293

d’orgueil ; il s’oppose à tous ses semblables dans le but de les discréditer et de les

rabaisser. Ce dernier va parfois au-delà du raisonnable pour oser même se comparer

au Prophète. Selon lui, l’une des caractéristiques les plus notoires d’un faux guide

spirituel réside dans le fait qu’il n’admet pas qu’un autre guide spirituel soit honoré

en sa présence. Par ailleurs, il précise les caractéristiques d’un « vrai guide

spirituel » qui se distingue par son sens de la responsabilité et de l’amour pour tous.

Le « vrai guide », affirme-t-il, prône l’union et non la division, la vérité et non

l’hypocrisie, même si la vérité doit compromettre sa vie. Il veille à la formation de

ses disciples, avec pédagogie et discernement, de plus, il a un regard bienveillant

sur les voies spirituelles, autres que la sienne.506

En revanche, nous constatons qu’un élément essentiel et indispensable manque à

la grille des caractéristiques d’un vrai guide, à savoir une formation approfondie et

solide en sciences exotériques et ésotériques du guide lui-même. La réussite d’un

guide spirituel dans sa tâche dépend indubitablement du degré de son savoir zāhir et

bāṭin. Comment un inculte peut-il conduire ses semblables au salut ? L’accent doit

donc être absolument mis sur cet aspect également.

e- Questions et réponses

Dans le dernier chapitre de cet ouvrage, Bilal Diallo répond à une quarantaine

de questions. Trois d’entre elles sont particulièrement éclairantes sur sa vision des

choses.

-A la question 6 « Est-il possible qu’un cheikh puisse enseigner deux voies

spirituelles et donner leur wird, par exemple la Tiǧāniyya et la Qādiriyya? », il fit la

réponse suivante : « Oui, celui qui a l’autorisation,’iḏn, d’en donner quatre, huit,

cent, peut les donner sans dommage »507

Le cheikh Diallo étant qādirī n’hésite pas à répondre positivement sur la

possibilité d’accumuler les différents wirds des voies initiatiques par souci

d’ouverture. Mais nous avons rappelé à maintes reprises que la Tiǧāniyya est

506 Op. cit., p. 145. 507Op. cit., p.174

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294

explicitement défavorable à l’accumalation de deux wirds. Cheikh Bilal, lui-même

n’est pas censé l’ignorer, car il rédigea un opuscule consacré à la Tiǧāniyya que

nous étudierons bientôt.

-A la question 26 : « Que dites-vous des Bayfals ‘‘disciples soufis ’’qui ne prient

pas mais qui à longueur de journée ne font que dire ‘‘lā ’ilāḥa ’illā Allah ? », il

répondit :

« Du point de vue de la šarī‘a, ce sont des mécréants, mais le soufisme les

comprend dans leur dimension en tant que musulmans et en tant qu’hommes de

Dieu »508.

Cette réponse nous semble très brève et insuffisante, car un disciple déviant

du chemin spirituel tracé par la šarī‘a doit être remis sur la droite voie. Mais

rappelons qu’un aspirant passant toute la journée à réciter la šahāda sans effectuer

la prière, ṣalāt, bien que ce soit fortement déconseillé, n’est pas considéré par la

šarī‘a comme un apostat selon les interprétations les plus plausibles. Les trois

écoles juridiques, malékite, chaféite et hanafite sont unanimes pour affirmer qu’un

novice ne commet pas l’apostasie en délaissant la ṣalāt dans la mesure où il croit à

la šahāda. Par contre, l’école hanbalite diverge sur cette question, en jugeant

mécréant tout aspirant qui abandonne la ṣalāt.509

-A la question 34 « Un adepte de la Tiǧāniyya est-il supérieur à un adepte de la

Qādiriyya ? ». L’auteur formule la réponse suivante :

« Non, la seule supériorité est la crainte de Dieu comme révélée par Dieu dans le

Coran »510

Nous tenons cette réponse pour tout à fait positive, en tant que propos

fédérateur, appelant les soufis à s’unir autour d’un seul pôle, la crainte révérencielle

de Dieu, sans accorder de grande importance à la filiation confrérique. A cet égard,

cet ouvrage constitue un véritable vecteur de rassemblement des toutes les

508Op. cit., p.180. 509IBN RUŠD, Bidāya al-muǧtahid wa nihāya al-muqtaṣid, Beyrouth, Ibn Hazm, t.I, p. 231. 510 Op. cit., p.183.

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295

confréries soufies du Mali et véhicule ainsi un message d’union, nécessaire à

l’avancée des voies spirituelles du pays. Le troisième ouvrage du cheikh Diallo est

consacré à l’exégèse de la Tiǧāniyya.

L’exégèse de la Tiǧāniyya :

3.3. La Tijania, voie spirituelle du cheikh Ahmed Tijane

Il faut voir dans cet ouvrage un signe d’ouverture, quand on sait qu’il est rédigé

par un guide spirituel qādirī. Cette ouverture sur l’autre dans les confréries

d’aujourd’hui, au Mali, s’inscrit dans le cadre de la redynamisation du soufisme.

L’ouvrage est composé de 43 pages. L’auteur tente d’y retracer de manière

sommaire la tarîqa tiǧānīe. Après avoir consacré à Ahmed Tiǧānī une biographie

concise, il expose la litanie tiǧāniīe : Lāzim, waẓīfa, et ḥaḍra. Puis il continue ainsi

vantant les mérites de la ǧawharat al-Kamāl (Perle de perfection) et ceux de la ṣalāt

al-fātiḥ (Prière ouvrante). Il y traite également la question délicate de la Tiǧāniyya

malienne, à savoir la ǧawharat al-kamāl : le récite-t-on 11fois ou 12 fois ?

Mais, il ne départage pas les deux groupes antagonistes, les hamallistes (11 grains)

et les umariens (12 grains) et adopte ainsi une position neutre en minimisant

l’importance de cette question qui fut à l’origine de divergences au sein d’une

même tarîqa. Bien qu’il soit un qādirī fervent et convaincu, il ne se laisse pas

emporter par le fanatisme confrérique et reconnait le bien-fondé de la tarîqa

tiǧānīe : « Pour qui pratiquera la tijania ainsi que cheikh Ahmad Tijani l’a énoncé,

son accès au Paradis est acquis »511.

Cette reconnaissance d’une tarîqa autre que la sienne contribua grandement à

instaurer ce qu’on pourrait appeler « le dialogue inter-confrérique » ainsi que la

tolérance et le respect mutuel entre les adeptes des différentes confréries. Le dernier

ouvrage du soufi Bilal retenu dans le cadre de cette recherche fait l’exégèse du

verset le plus vénéré du Coran :

511 Op. cit., p. 13.

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296

Exégèse d’un verset coranique :

3.4. Ayatal Koursi512, le verset du Trône

Si la sourate Iẖlāṣ fit l’objet de maintes études ésotériques, le verset du Trône,

Āya al-Kursī, n’en a pas moins suscité de l’intérêt. Les soufis de toutes les époques

ont tenté de révéler les secrets mystiques que revêt le verset. C’est dans ce sens que

l’auteur, à son tour, essaie d’élucider certains des aspects mystiques du verset al-

Kursī. Cet ouvrage, publié en 2008, ne comporte que 42 pages. En effet, l’auteur,

après avoir explicité le sens du verset et indiqué ses mérites et ses bienfaits, relate

17 bienfaits déduits du verset, notamment ce qui concerne l’aspect de protection et

de rétribution divines.

Il y évoque également les 12 sortes de prières qu’un aspirant pourrait effectuer à

partir du verset en question, dans le but d’accélérer son ascension spirituelle. Il

utilise plusieurs fois la formule « En ma qualité de maître spirituel… En ma qualité

de guide soufi », pour, nous semble-t-il, s’affirmer comme un leader spirituel attesté

au Mali.

En guise de conclusion, il tient un discours fédérateur et rappelle l’essentiel de

ses enseignements soufis dispensés à ses disciples : « J’appelle tous mes disciples

sincères à graver dans leur mémoire que mon enseignement a pour principes

fondamentaux : le respect, la patience, l’amour du proche et la tolérance. Je

demande à tous les musulmans de se donner la main dans la plus grande sincérité et

dans le respect de leurs différences d’une part, et d’autre part de respecter tout le

monde et même les non musulmans »513.

Enfin, les ouvrages du cheikh Diallo ont non seulement éclairci sa conception

du soufisme, mais ils ont aussi grandement contribué à la réconciliation des

confréries soufies maliennes. La particularité de ses œuvres intellectuelles réside

également dans l’intérêt porté aux autres voies spirituelles que la sienne. Cheikh

512 Coran : 2, 255. 513 Op. cit., p.41.

Page 298: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

297

Diallo rédige également ses ouvrages en la langue française, suivant ainsi les pas du

maître spirituel hamalliste A.H. Bâ.

Après les ouvrages de ces trois guides spirituels : A.H. Bâ, Sa‘d, Touré, et Bilal

Diallo, l’ouvrage du dernier guide spirituel, retenu dans le cadre de notre recherche,

est consacré à l’exégèse du soufisme et à une argumentation sur son bien-fondé :

Exégèse du soufisme et argumentation sur son bien-fondé :

4. L’ouvrage ésotérique du guide spirituel Maḥmūd Hamū et sa portée

Maḥmūd ibn Muḥammad est un cheikh connu sous le nom de « Hamū ».514 Il

est notamment réputé pour ses œuvres fédérant de tous les soufis, quelle que soit

leur affiliation confrérique. Fin connaisseur des manuscrits de Tombouctou, il tente

à son tour de les enrichir davantage par ses ouvrages. L’un d’entre eux fera l’objet

de notre étude :

4.1. al-Mawāqif wa al-ẖuṭwāt fī ’uṣūl al-’awrād wa ’ādāb al-da‘awāt min’aḥādīṯ

Sayyid al-sādāt : Etapes et démarches sur les fondements des formules des prières

et recommandations pour les bénédictions à partir des hadiths

Cet ouvrage, composé de 61 pages, fut publié en 2009. Il comprend une

introduction et neuf chapitres. Dans l’introduction, le cheikh Hamū expose son

objectif principal qui n’est pas de faire une étude approfondie du soufisme, mais

plutôt de rappeler, à travers le Coran et certains hadiths, le bien-fondé des confréries

soufies du Mali et d’ailleurs. Pour lui, les savants soufis d’antan n’ont laissé aux

générations postérieures aucune lacune à combler.515 Aussi ne fait-il que citer des

textes scripturaires afin de conforter chaque thème du soufisme, sans y ajouter un

mot exprimant son opinion personnelle.

514 Entretien effectué à Tombouctou, le 31/ 7/2011. 515 HAMU Maḥmūd, al-Mawāqif wa al-ẖuṭwāt fī ’uṣūl al-’awrād wa ‘ādāb al-da‘awāt min’aḥādīṯ Sayyid al-

sādāt, Bamako, éd. CLC Impression, 2011, p.2.

Page 299: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

298

Les sujets abordés dans cet ouvrage s’articulent autour des éléments suivants :

-Le premier chapitre évoque les mérites du ḏikr, les vertus de l’adoration de Dieu et

la nécessité d’user de modération dans les actions d’adoration, ‘ibādāt, afin de

pouvoir persévérer dans la continuité.516

-Le deuxième chapitre traite la question du subḥa,517 le chapelet, en rapportant les

mêmes hadiths qui ont été cités par le guide spirituel de Ségou, cheikh Touré dans

son ouvrage «al-’Aḍwā’ al-ṣāfia ‘alā al-’awrād al-tiǧāniyya » : Lumières luisantes

sur les invocations tiǧānīes».518

-Le cheikh Hamū reproduit, au troisième chapitre, les diverses formules du ḏikr

prononcées par le Prophète et reprises par les maîtres soufis dans leur wird.519

- Le quatrième et cinquième chapitres évoquent les mérites des prières

surérogatoires, nawāfil, et indiquent quand et comment les accomplir, à l’aide de

quelles sourates.520

- Le cheikh Hamū consigne, dans les sixième et septième chapitres, les versets et les

hadiths évoquant les bienfaits de la prière surérogatoire de la nuit, tahaǧud, tout en

précisant le nombre des génuflexions nécessaires, rak‘a, et en citant les sourates

spécifiques à réciter lors de prière.521

- Le huitième chapitre est consacré à la prière surérogatoire du duḥā (prière de la

matinée). Il y énumère les textes scripturaires rapportant les vertus de cette prière et

le nombre de rak‘a à effectuer ainsi que les sourates à réciter.522

- Enfin, le neuvième chapitre, qui constitue à lui tout seul la moitié de l’ouvrage,

évoque l’invocation de Dieu, du‘ā, ses mérites, le moment propice et le lieu

516 Op. cit., pp. 4-8. 517 Op. cit., p. 9. 518 Supra., p.284. 519 Op. cit., pp. 10-18. 520 Op. cit., pp. 19-23. 521 Op. cit., pp. 24-29. 522 Op. cit., pp. 30-31.

Page 300: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

299

approprié pour l’effectuer, ainsi que les formules et les méthodes efficaces pour

l’accomplir.523

L’auteur rédigea encore deux autres ouvrages qui sont toujours à l’état de

manuscrit ; l’un traite du Mawlid, expliquant comment les oulémas de Tombouctou

le célébrait, et l’autre répertorie les ouvrages des fatwas rédigés par les guides

spirituels d’antan au Mali.524

A la fin de ce chapitre consacré à la production intellectuelle des soufis

maliens d’aujourd’hui, deux questions subsidiaires nous interpellent. Premièrement,

les soufis du Mali, du XIXème siècle à nos jours, ont-ils connu certains

enseignements ésotériques que nous trouvons chez d’autres mystiques d’ailleurs ? et

constate-t-on une différence d’interprétation pour certains termes mystiques.

Deuxièmement, comment les soufis maliens perçoivent-ils la gente féminine ? Le

Mali a-t-il connu des figures féminines soufies ? Quel rôle ont-elles joué dans le

soufisme au Mali ? Toutes ces questions apporteront un meilleur éclairage sur la

spiritualité du pays.

1- Réception de certains termes ésotériques chez les soufis du Mali

Nous avons vu plus haut que la véritable pensée originale soufie malienne ne se

dégage qu’au début du XIXème siècle. Celle-ci a considérablement évolué au cours

du temps. Ainsi, les soufis de la première époque interprétèrent-ils certains concepts

soufis d’une manière très différente de celle donnée aujourd’hui par les soufis

contemporains. Par ailleurs, certains concepts ésotériques n’apparaissaient même

pas dans les œuvres des soufis maliens d’antan, alors qu’aujourd’hui, avec

l’ouverture aux différents écrits du monde soufi, certains soufis adoptent, voire

plaident pour certaines thèses jusque-là inconnues du soufisme au Mali. Nous

étudierons successivement les termes ésotériques suivants :

523 Op. cit., pp. 32-60. 524 Entretien effectué à Tombouctou, le 31/7/2011.

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-al-Ḥaqīqa al-muḥammadiyya (la Réalité mohammadienne)

Waḥdat al-wuǧūd (l’Unicité de l’Etre)

Waḥdat al-šuhūd (l’Unicité de la contemplation)

Hulūl (l’Incarnationnisme)

Samā‘ et raqs (musique et danse rituelles)

a- Al-ḥaqīqa al-muḥammadiyya (la Réalité muhammadienne)

Cet enseignement soufi, al-ḥaqīqa al-muḥammadiyya (la Réalité muhammadienne),

consiste à placer le Prophète au centre de la motivation de Dieu pour la création de

toute créature, autrement dit, sans le Prophète Dieu n’aurait pas créé le cosmos. Etant

le modèle, l’homme parfait, al-’insān al-kāmil, que tout croyant doit imiter, il est ainsi

représenté dans la littérature ésotérique comme le pivot suprême de la créature divine,

duquel émane la lumière illuminant le chemin des prophètes, puis celui du commun

des mortels. Cette doctrine, écrit E. Geoffroy,525 fit son apparition à partir du XIIIème

siècle et fut clairement formulée par le cheikh andalou Ibn ‘Arabī (m.1240).

C’est désormais une doctrine mystique bien répandue dans quasiment tous les

milieux soufis à travers le monde. Ce qui nous importe maintenant est de savoir si

ce terme, ou même son sens, est présent dans les enseignements soufis maliens.

Bien que ce terme soit bien formulé et détaillé dans le bréviaire de la Tiǧāniyya

«Ǧawāhir al-ma‘ānī »,526 nous constatons que la terminologie de al-ḥaqīqa al-

muḥammadiyya ne figure pas dans les ouvrages principaux du soufisme au Mali

d’hier et d’aujourd’hui que nous avons étudiés, à l’exception de l’ouvrage d’al-Ḥāǧ

‘Umar Tal, intitulé : Rimāḥ ḥizb al-Raḥīm alā nuḥūr ḥizb al-Raǧīm.527 Nous avions

signalé plus haut que ce dernier s’est beaucoup reporté au texte Ǧawāhir al-

ma‘ānī dans son ouvrage, Rimāḥ.

525 GEOFFROY Eric, Le soufisme, voie intérieure de l’islam, Paris, éd. Fayard, 2003, p.75. 526 ḤARAZIM ‘Alī, op. cit., p.395. 527 Supra. p.104.

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301

En revanche, nous trouvons dans certains ouvrages des soufis du Mali des

termes qui font allusion à cette doctrine ésotérique, à savoir la Baraka

muḥammadiyya citée par le guide spirituel tiǧānī Ibn Yerkoy Talfī 528 (m. 1864), et

par le maître spirituel qādirī al-Bakkay Kuntī (m.1865),529 selon lesquels toutes les

barakas et lumières émanent du Prophète, puis se répandent sur la créature. La

discussion ne porta que sur le début de la descente de cette baraka.

Selon nos enquêtes de terrain, des expressions employées par des soufis

maliens confirment bien l’existence de cette conception dans la littérature soufie

malienne. Ainsi, il est fréquent d’entendre dans les sermons des guides soufis

l’expression « motagaden sabimoun », ce qui signifie en langue peule : le Prophète

grâce à qui nous sommes créés. Ceci montre de façon claire que les soufis maliens,

à leur manière, croient également à la haqīqa muḥammadiyya sans toutefois

employer le terme. En outre, des soufis de premier plan, ainsi que des soufis

postérieurs ont composé des poèmes en l’honneur du Prophète, en mettant un accent

particulier sur l’amour du Prophète. Le mawlid et la tasmiya (respectivement

l’anniversaire de la naissance du Prophète et l’anniversaire du septième jour de sa

naissance) sont devenus d’ores et déjà des moments sacrés pour les soufis du Mali

comme pour ceux du monde entier.

Cependant, il faut souligner que les réformistes maliens de la Salafiyya

s’évertuent constamment à réfuter cette thèse selon laquelle la créature a été créée

grâce à Muḥammad. Pour ces derniers, bien que le Prophète soit l’homme le plus

parfait et occupe auprès de Dieu la place la plus éminente, il n’est cependant pas le

motif ou le centre de la créature de Dieu. Selon les salafīs maliens, la création des

êtres est uniquement motivée par l’adoration de Dieu. A cet égard, ils évoquent

inlassablement le verset suivant : « Je n’ai créé les Djinns et les hommes que pour

528 IBN YERKOY TALFĪ, Tabkiyat al-Bakkay, ms, n° 2786, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, ff. 5-7. 529 Al-Bakkay al-Kuntī, Buġyat al-ulf fī ǧawābi Ibn Yerkoy Talfī, ms., n° 985, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou,

fol.27.

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302

qu’ils M’adorent »530. Intéressons-nous maintenant à un autre concept plus délicat,

waḥdat al-wuǧūd.

b- Waḥdat al-wuǧūd (l’Unicité de l’Etre)

La Waḥdat al-wuǧūd constitue une question épineuse du soufisme. Cette

doctrine a été diversement interprétée par les ulémas exotériques et par les ulémas

ésotériques. Tandis que certains auteurs la définissent comme un concept synonyme

de panthéisme, d’autres s’efforcent de la nuancer et d’expliciter la subtilité que

revêt ce terme. La lecture faite par E. Geoffroy d’Ibn ‘Arabī laisse croire que le

cheikh al-Akbar ne prône pas le panthéisme, en accordant la divinité à toutes les

créatures : « Dieu seul est, et les créatures Lui empruntent leur existence grâce à Sa

théophanie sans cesse renouvelée dans le monde. Mais les choses ne sont pas Dieu

pour autant. ‘‘Le Réel est le Réel, le créaturel est le créaturel’’. Le cheikh affirme

ainsi que le monde est à la fois ‘‘Lui et non Lui’’»531.

Ibn Sab‘īn (m.1271) lui, n’hésitait pas à revendiquer de façon explicite son

appartenance à la waḥdat al-wuǧūd, dont il se fit le défenseur et l’avocat fervent

dans ses écrits.532

Dans le soufisme du Mali, cette terminologie, selon nos recherches, est

totalement absente. Nous ne trouvons pas non plus de texte pouvant être interprété

d’une manière ou d’une autre comme ayant trait à la waḥdat al-wuǧūd. Découvrons

maintenant le troisième enseignement mystique, moins méconnu du soufisme du

Mali, Waḥdat al-šuhūd (Unité de la contemplation).

c- Waḥdat al-šuhūd (Unicité de la contemplation)

Waḥdat al-šuhūd se définit comme l’état de spiritualité très avancée, mais

éphémère, vécu par un soufi. Ce terme est même considéré comme l’apanage de

l’Unicité divine (tawḥīd). A ce sujet, E. Geoffroy écrit :

530 Coran : 51, 56. 531 GEOFFROY Eric, Le soufisme, op. cit., p. 151. 532 AL-BADAWI ‘Abd al-Raḥmān, Rasā’il ’Ibn Sab‘īn, Le Cair, al-Dar al-miṣriyya, s.d. p.9. Cf., Michel

CHODKIEWICZ, Awḥad al-dīn Balyānī, Epître sur l’Unicité Absolue, Paris, éd. Les Deux Océans, 1982, pp.31-

41.

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303

« La créature s’oublie totalement en tant que sujet, dans la contemplation

‘‘šuhūd, mušāhada’’ des réalités divines ; absorbée par le Contemplé ‘‘al-

mašhūd’’, il ne reste plus alors que Celui qui témoigne ‘‘yašhadu’’ de Lui-

même. L’expression unité de la contemplation apparut assez tardivement, elle

tente d’ailleurs de décrire une expérience ineffable plutôt qu’elle ne désigne un

système doctrinal. Ceux qui évoquent cette expérience parlent généralement de

fana’ fī al-tawḥid. Théologiens et juristes peuvent donc aisément le percevoir

comme la réalisation de la servitude de l’islam ».533

Cette expérience mystique de haute spiritualité fut incarnée par Ibn al-Fāriḍ

(m.1235), qui la transposa dans ses poèmes mystiques. Il passait des jours et des

jours absorbés dans la Contemplation, et une fois éveillé de son ivresse spirituelle, il

composait des vers linguistiquement inaccessibles.534

Ce qui nous importe ici est de savoir si les soufis du Mali ont fait mention de

cette notion, ou s’ils l’ont vécue sans employer le terme. Si l’on se réfère aux écrits

des soufis du XIXème siècle, auxquels nous avons eu accès, on ne rencontre aucune

trace de cette terminologie. En revanche, certains passages laissent à penser que ces

soufis ont parfaitement connu l’expérience de l’Unicité de la contemplation sans

toutefois la formuler. Le biographe du fondateur du régime du Macina, Muḥammad

Perèǧo (m. ?) attribue à son guide spirituel, cheikh Āmadu, des moments

ésotériques hors du commun, hautement spirituels, à telle enseigne que celui-ci en

demeurait inconscient (lā yaš‘uru bišay’), notamment le moment situé entre faǧr (la

prière du matin) et le lever du soleil.535

Selon nos enquêtes de terrain, il s’avère que la terminologie, waḥdat al-šuhūd,

n’est pas connue non plus des soufis maliens d’aujourd’hui.536 Mais il convient de

noter que certains parmi eux font des narrations dans leurs ouvrages, laissant penser

qu’ils connaissent en théorie cet état spirituel exceptionnel :

533 GEOFFROY Eric, Le soufisme en Egypte et en Syrie, sous les derniers Mamelouks et les premiers Ottomans :

orientations spirituelles et enjeux culturels, Damas, I.F.E.A.D., 1995, p.468. 534 KAYLANI Qamar, Fī al-taṣawwuf al-’islāmī, Beyrouth, éd. Dār maǧallah al-ši‘r, 1962, p.129. 535 PEREǦO Muḥammad ‘Alī, Fatḥ al-Ṣamad fī ḏikr šy’in min aẖlāq šayẖinā Aḥmad, ms., n° 5285,

I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, fol. 1. 536 Enquête menée à Bamako, Koro, Tombouctou et Ségou, juillet et août 2011.

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304

« Un soufi, ayant vécu à la fin du XIème siècle, resta quatre ans à la Mecque sans

manger, ni boire, en état de ‘‘ghayba’’ ; il s’appelle Abou Iqal Maghribi. C’est pour

cela que je dis en ma qualité de ‘‘cheikh soufi’’ que le soufisme est le plus ancien et

le dernier degré de l’islam »537.

Si l’auteur de «Fī al-taṣawwuf al-’islāmī » présente Ibn al-Fāriḍ comme le

véritable représentant de waḥdat al-šuhūd en lui consacrant un chapitre entier,538

certains soufis maliens, cependant, considèrent ce dernier comme un mystique ayant

vécu, de manière intense, des secrets ésotériques insaisissables. Dans un entretien

qu’il nous a accordé, le guide spirituel qādirī de Diougani décrit Ibn al-Fāriḍ en ces

termes :

«Ibn al-Fāriḍ est un grand mystique qui gravit toutes les échelles spirituelles. Ses

poèmes demeurent une source intarissable d’inspiration. Nous l’avons découvert à

travers l’exégèse du Coran « Ḥāšiyat al-Ṣāwī ‘alā tafsīr al-Ǧalālyn», car il y est cité

maintes fois, et ses poèmes y sont également donnés comme références pour toute

compréhension mystique de certains versets »539.

Rappelons que « Ḥāšiyat al-Ṣāwī ‘alā Tafsīr al-Ǧalālyn» comme le révèle son nom,

est une annotation faite par l’égyptien érudit soufi (ẖalwātī) Aḥmad al- Ṣāwī (1775-

1825) en marge de Tafsīr al-Ǧalālyn (exégèse du Coran par les deux ulémas

égyptiens : Ǧalāl al-Dīn al-Maḥallī (m.1459) et Ǧalāl al-Dīn al-Suyūṭī (m.1505).

d- Al-Ḥulūl (l’Incarnationnisme)

La conception d’al-ḥulūl dans tout lexique soufi est systématiquement attribuée

à Hallāǧ (m.922), disciple de Ǧunayd et un mystique présenté comme un martyr de

l’amour divin. Sa fameuse phrase «’ana al-ḥaqq : Je suis le Réel»540 fut, dit-on, à

l’origine de tous les supplices qu’il subit, même si certains auteurs évoquent

également des raisons politiques pour sa condamnation et son exécution.

537DIALLO Bilal, A la lumière du soufisme, Bamako, Imprimerie Delta Service, s.d., p.92. 538 KAYLANI Qamar, Fī al-taṣawwuf al-’islāmī, op. cit., p.129. 539 Entretien effectué à Diougani, Mali, le 28/08/2011. 540 MASSIGNON Louis, La passion de Husayn ibn Mansūr Hallâj, op. cit., p.251.

Page 306: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

305

Bien que le disciple de Ǧunayd soit marqué du spectre de l’incarnationnisme,

concept rejeté par les soufis maliens, il jouit cependant auprès de ces derniers d’une

grande vénération. Ceci, nous semble-t-il, relève des excuses que les soufis du Mali

s’évertuent à lui accorder, et qui accusent ses détracteurs de ne pas avoir atteint le

niveau requis pour saisir les subtilités de ses propos. Tout compte fait, l’image du

maître de Bagdad est loin d’être ternie dans l’esprit soufi malien. Comme

illustration retenons une citation du guide spirituel qādirī malien, Bilal Diallo :

« Beaucoup de soufis ont été malmenés, d’autres ont été martyrisés comme cheikh

Hallaj, tout simplement parce que la réalité de ce qu’ils disaient ou faisaient,

dépassait l’intelligible des hommes ordinaires »541.

Si les soufis du Mali réprouvent de manière générale le principe d’al-ḥulūl,

cependant certains parmi eux s’y aventurent. Nous nous sommes aperçu que le

guide spirituel hamalliste A.H. Bâ, par certains passages dans ses écrits, révélait la

possibilité de l’incarnationnisme, voire sa réalisation concrète. Dans son ouvrage

intitulé « Jésus vu par un musulman » que nous avons étudié, il confirme que Jésus

participe d’une certaine manière à l’Essence de l’Etre divin. Ceci, à notre sens, n’est

d’autre chose que le ḥulūl (l’incarnationnisme).

Dans un autre ouvrage étudié plus haut « Vie et enseignement de Tierno

Bokar », ce même auteur donne également une exégèse incarnationniste d’un verset

coranique évoquant la création d’Adam : « Ce verset implique que chaque

descendant d’Adam est dépositaire d’une parcelle de l’Esprit de Dieu. Comment

donc oserions-nous mépriser un réceptacle qui contient une parcelle de l’Esprit de

Dieu ? »542.

Quoi qu’il en soit, ces citations rapportées de la part de soufis maliens

démontrent clairement que le soufisme au Mali éprouve une estime considérable à

l’égard de Ḥallāǧ, le chantre de cette doctrine mystique, même si la majorité

désavoue son enseignement ésotérique sur cette question (l’incarnationnisme).

541 DIALLO Bilal, A la lumière du soufisme, op, cit., p.91. 542 Op. cit.,148.

Page 307: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

306

e. Samā‘ et raqs (audition spirituelle et danse rituelles)

Le terme samā‘, signifie étymologiquement « l’écoute ». Les soufis s’adonnent au

Samā‘ dans le but d’atteindre l’extase spirituelle comme le souligne E. Geoffroy :

« Le samā‘ poursuit le même but que le dhikr (….) Le samā‘ est l’une de ces

méthodes par lesquelles on tente d’atteindre l’extase, ce que les soufis nomment le

tawajud »543.

L’apparition de cette pratique mystique dans l’univers soufi date, selon, J. During,

du IXème siècle : « En dehors de la psalmodie coranique, la tradition de l’audition

musicale à des fins spirituelles n’est pas attestée avant le milieu du IXème siècle

‘‘IVème siècle de l’Hégire’’»544.

Quant au terme raqs, il désigne une danse rituelle qui suit naturellement le

samā‘. Cette doctrine mystique fut plus particulièrement développée dans la tarîqa

de Ǧalāl al-Dīn Rūmī (m.1273), le maître spirituel de Konya (Turquie). Il composa

dans son ouvrage appelé «Maṯnawī» des poèmes ésotériques, au rythme desquels

s’effectuait le raqs. Il mit l’accent sur le samā‘ et en fit le pilier de sa voie

spirituelle. Son ordre mystique se perpétue avec ses adeptes mevlevis, connus

aujourd’hui sous le nom de «derviches tourneurs ».545 Cependant, il importe de

souligner que cette pratique mystique ne fait pas l’unanimité des soufis. Certains

maîtres spirituels sont réticents, voire s’opposent à cet exercice spirituel qu’ils

jugent incompatible avec l’orthodoxie musulmane comme nous le verrons.

La question du samā‘ est également abordée par soufis du XIXème siècle du

Mali. Leurs œuvres en attestent. Ainsi l’instaurateur de la Qādiriyya au Mali et

fondateur de la Muẖtāriyya, Sīdī al-Muẖtār al-Kabīr (m.1811), était hostile à tout ce

qui est relatif au chant, à la musique et à la danse, rituels ou profanes. Il prônait

543 GEOFFROY Eric, Le soufisme, Voie intérieure de l’islam, Paris, éd. Fayard, 2003, p. 260. 544DURING Jean, « Musique et rites », in POPOVIC Alexandre et VEINSTEIN Gilles, (dir.) Les Voies d’Allah,

Paris, Fayard, 1996, p.159. 545 GEOFFROY Eric, Le soufisme, voie intérieure de l’islam, op. cit., p.141.

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307

l’orthodoxie rigoureuse et éduquait ses disciples dans l’ascétisme et l’abandon total

de tous les plaisirs de ce bas monde, dont les chants et la musique.546

A la génération postérieure, ses adeptes suivirent ses préceptes sur cette

question. Le célèbre fondateur de l’Etat musulman et guide spirituel qādirī, cheikh

Āmadu, fut très stricte sur l’interdiction du chant, de la musique et de la danse,

rituels et profanes confondus, durant son règne. Mais force est de constater que cette

position rigoriste connut un revirement avec l’avènement de son petit-fils Āmadu

Āmadu à la tête de l’Empire. Ce dernier adopta une autre méthode plus souple et

plus flexible, permettant à ses sujets d’effectuer le samā‘a, la musique spirituelle et

le raqs, la danse rituelle.

Si le soufisme au Mali du XIXème siècle était opposé de manière générale au

samā‘, celui d’aujourd’hui y est foncièrement favorable. Une appellation nouvelle

est même consacrée à cette pratique, à savoir (zikiri) en langue bambara,

déformation du mot arabe « ḏikr ». Il consiste à composer des chants religieux en

langue locale puis à s’adonner à leur audition à des fins spirituelles. Les thèmes

généraux autour duquel s’articulent leur samā‘ sont les suivants :

- Vers composés en l’honneur du Prophète

- Vers composés en l’honneur des maîtres spirituels

- Vers incitant au bien

- Vers exhortant à l’ascétisme

Parmi les plus célèbres de ces poètes, appelés communément « Jikiri-dalaw » au

Mali, figurent :

- Racine Sall, précurseur du zikiri

- Souleymane Diarra connu sous le nom de « Zikiri Solo »

- Bourema Diallo

- Mohammed Diaby

546 SĪDĪ Muḥammad, Ṭarā’if wa talā’id fī karāmāt al-wālida wa al-wālid, ms., n°14, I.H.E.R.I.A.B,

Tombouctou, fol. 12.

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308

Il est à signaler que ces chants religieux qui représentent le samā‘ au Mali

d’aujourd’hui sont exercés dans des contextes qui ne sont pas toujours identiques à

ceux connus ailleurs. Car les Jikiri dalaw peuvent les entonner lors du mariage d’un

adepte de leur confrérie, lors de la cérémonie de naissance, lors d’un décès ainsi que

lors du Mawlid, et parfois dans une zāwiya.

Par ailleurs, on reproche dans leur exécution, la mixité entre hommes et

femmes dans les lieux où est effectué le zikiri. En outre, la danse rituelle où les

genres sont mélangés, a fait l’objet d’âpres critiques de la part des détracteurs. Avec

l’évolution exponentielle de samā‘a dans le milieu des confréries, le style du zikiri

connait aujourd’hui un revirement notable, en basculant dans la musique

traditionnelle et profane. Car l’aspect spirituel qu’il suscitait chez les aspirants a

connu une altération, voire une perte totale de sens. Le précurseur du zikiri, Racine

Sall n’a pas manqué, avec une observation lucide, de donner l’alarme afin

d’exhorter les acteurs du zikiri à ne pas dévier de la ligne droite du samā‘a :

« Je dis aux jeunes de mesurer la portée de tout ce qu’ils disent dans leurs chansons.

S’ils mélangent du coupé-décalé ‘‘style profane’’ à leur musique, c’est sûr que le

message qu’ils veulent faire passer ne passera pas. Ça sera de l’amusement. Je

n’accuse pas, mais je conseille »547.

Le courant hamalliste est également réputé pour sa récitation rythmique de la

šahāda, à telle enseigne que cette récitation devient un chant tout à fait captivant.

Les hamallistes se livrent à cet exercice qui représente leur samā‘ avant chaque

prière canonique, al-farā’id al-ẖams, et lors des obsèques. Des mouvements

corporels, ou la danse rituelle, accompagnent souvent cette récitation mélodieuse.

Quant aux adeptes d’Anṣār Dīn, nous avons observé qu’ils effectuent

également leur samā‘ en écoutant des zikiris composés par l’un des leurs en

l’honneur de leur guide spirituel Haidara. Mais leur particularité réside dans le fait

qu’ils effectuent le raqs sans équivoque lors de zikiri, notamment lors de zikiri de

Mawlid.

547 http://www.bamanet.net, (consulté le 22/12/2012.)

Page 310: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

309

En revanche, certains soufis maliens d’aujourd’hui rejettent catégoriquement le

principe de samā‘ et à plus forte raison le raqs. Nous rencontrons généralement

cette tendance dans le courant salafī et chez certains qādirīs. Lors d’une interview

que nous avons effectuée auprès d’un guide spirituel qādirī, ce dernier nous a

confié :

« Le samā‘ et le raqs ne sont que des éléments étrangers, introduits dans notre

soufisme au Mali. Dans notre pratique spirituelle, on n’a jamais appris cette

conception de nos maîtres spirituels, c’est même déconseillé d’y avoir recours pour

une quelconque raison, car nous considérons que le samā‘ et le raqs relèvent des

instigations sataniques »548.

Bien que les tiǧānīs maliens soient plus impliqués dans la pratique du samā‘a,

nous remarquons cependant que la référence originale de la Tiǧāniyya « Ǧawāhir

al-ma‘ānī » n’est pas favorable à la manière adoptée par ces derniers. Ont-ils donné

à ces textes une nouvelle interprétation ? L’extrait suivant est édifiant :

« Les grands maîtres soufis ont divergé sur la question du samā‘. Tandis que

certains l’interdisent, d’autres n’y voient aucune prohibition. Selon notre opinion

juridique, le samā‘ licite serait exclusivement celui qui n’est pas accompagné

d’instruments de musique, ni de la mixité entre hommes et femmes. De plus, il est

impératif qu’il ne prive pas l’aspirant d’observer ses devoirs spirituels »549.

Enfin, nous pouvons conclure que les voies spirituelles maliennes n’ont pas

connu ou plutôt n’ont pas évoqué certains concepts ésotériques bien répandus par

ailleurs, comme waḥdat al-wuǧūd, waḥdat al-šuḥūd, et al-ḥulūl. Nous pensons

cependant que l’absence de ces concepts dans les ouvrages des soufis maliens ne

signifie pas forcément que les guides spirituels ignoraient leur réalité. Il est fort

probable que, pour des raisons pédagogiques et fédératrices, ils aient sciemment

évité d’aborder ces concepts complexes et souvent sources de divergences. D’autres

concepts connus d’une manière ou d’une autre ne font pas non plus l’unanimité au

sein des voies spirituelles comme le samā‘ et le raqs.

548 Interview du cheikh Bakkay Tal, Diougani, Mali, le 28/08/2011. 549 ḤARAZIM ‘Alī, op. cit., p. 437. Traduction personnelle.

Page 311: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

310

2- La gente féminine dans le soufisme au Mali

Le soufisme a connu certes, dès son apparition, des femmes soufies qui ont

occupé une place prépondérante. A cet égard, la sainte de Baṣra Rābi‘a ‘Adawiyya

(m. 801) représente par excellence le soufisme féminin. « Les premiers ascètes et

soufis ont reconnu la sainteté des femmes. Voici Ibn Hanbal et Bishr Hafi

demandant à Amina Ramliyya d’intercéder pour eux, et Dhul Nun Misri considérant

Fatima de Nishapour comme son maître. Mais c’est surtout Rabi‘a ‘Adawiyya

(m.801), ayant vécu à Basra en Irak, qui a marqué les esprits.»550.

Nous nous interrogeons sur l’existence de confréries mystiques fondées, par

des femmes soufies. Faut-il parler du principe d’égalité entre les genres en ce

domaine ? Quoi qu’il en soit, certains auteurs comme Hans Kung551 s’y aventurent

pour décrier l’inégalité, voire la marginalisation des femmes dans l’univers soufi.

Nous pensons que le soufisme a permis l’accessibilité des femmes à toutes les

échelles mystiques, même les plus élevées, à savoir le titre du pôle (quṯb). A cet

égard, A. Schimmel a bien souligné la place éminente qu’ont occupée les femmes

soufies à travers les époques.552 Il serait donc infondé de tenir le soufisme comme

responsable de cette inégalité, évoquée par certains auteurs. La mise à l’ écart des

femmes dans le soufisme serait le fait ultérieur de certains oulémas restés influencés

par les coutumes misogynes préislamiques, al-ǧāhiliyya, comme l’indique à juste

titre Eric Geoffroy : « Les vieux réflexes misogynes, cependant, reprirent

rapidement le dessus, et les juristes ‘‘hommes’’ eurent tôt fait de restreindre la

perspective ouverte par le Prophète. Un certain nombre de femmes eurent toutefois

leur place dans la société, en particulier dans la transmission des sciences

islamiques.»553.

550 GEOFFROY Eric, Le soufisme, op. cit., p.49. 551 KUNG Hans, L’islam, Paris, éd. C.E.R.F, 2010, p.487. 552 SCHIMMEL Annemarie, Le soufisme ou les dimensions mystiques de l’islam, Paris, CERF, 1996, pp. 518-

531. 553 GEOFFROY Eric, le soufisme, op. cit., p.48.

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311

Le soufisme au Mali a également connu des femmes réputées comme

spirituellement accomplies. En ce sens, il faut mentionner au XIXème siècle, la

mystique Lallā, épouse du fondateur de la Muẖtāriyya Sīdī al-Muẖtār al-Kabīr.

Cette soufie, qui vécut durant la période précoloniale, était très réputée pour avoir

atteint les stades culminants de la spiritualité. A cet égard, Cheikh Sīdī Moḥammad

(m.1828), fils de Lallā et guide spirituel de la Muẖtāriyya après le décès de son père

en 1811, écrit un ouvrage que nous avions évoqué plus haut en l’honneur de ses

parents intitulé «Ṭarā’if wa talā’il fī karāma al-wālida wa al-wālid : Histoires

authentiques pour évoquer les miracles de mes parents». Cette œuvre, à l’état de

manuscrit, nous a beaucoup éclairé sur le soufisme du XIXème siècle au Mali. Car

son auteur fut non seulement un témoin oculaire de cette époque mais aussi un

grand maître spirituel.

Mais nous avons déploré le manque de certaines parties de cet ouvrage,

comme l’ont fait remarquer également certains chercheurs maliens, notamment la

partie qui concerne la biographie de cette femme soufie. Après une recherche

minutieuse dans les bibliothèques publiques et privées du Mali, nous n’avons pu

que constater l’absence de cette partie consacrée à la sainte Lallā. Par contre, dans

l’introduction dudit ouvrage, l’auteur avait eu soin d’annoncer son plan. C’est grâce

à cette introduction que nous avons su qu’il consacra sa conclusion à la vie de cette

soufie malienne de premier plan, précisément son ascension spirituelle, ses qualités

morales et ses œuvres humanistes, empreintes d’une grande générosité.554

A la même époque précoloniale, nous retiendrons également une autre dévote

soufie, Adiya, épouse du cheikh Āmadou fondateur du régime de Hamadallah. Elle

a été brièvement citée par les auteurs de « L’Empire peul du Macina »555. Nos

enquêtes de terrain sur cette sainte n’ont pas non plus été très révélatrices, par

conséquent, nous ne disposons pas de détails sur sa vie. Cependant, sa réputation de

sainteté est bien ancrée dans les milieux peuls du Mali. Ces deux soufies ont vécu

dans la période précoloniale.

554 Ms., n°14 , op. cit., fol. 2.

555 BA Amadou Hampate et J. DAGET, L’Empire peul du Macina, op. cit., p.22.

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312

La période coloniale, elle, a connu également une soufie malienne, la plus

célèbre de nos jours, Oumou Muḥammad ‘Abdullah Su‘ād, connue sous

l’appellation « Oumou Dilly ».556 Son père ‘Abdulallah Su‘ād (m.1852) fut un guide

spirituel très réputé. Cette femme mystique eut une grande influence sur les

disciples de son père. Etant la seule enfant vivante après le décès de son père, elle

assuma la gestion spirituelle de la grande zāwiya de Dilly. Sentant la vieillesse

venir, elle céda son pouvoir spirituel à son unique enfant, Modibo Kane, qui décéda

de son vivant en 1940, mais qui voulait céder la conduite de la zāwiya à son demi-

frère Maḥmūd. A cet égard, Oumou intervint pour reprendre le pouvoir spirituel

légué et le délégua par la suite à son petit-fils Sīdī Modibo, en qui elle discernait des

qualités exotérique et ésotérique indispensables pour bien guider les aspirants

d’Abdulallah Su‘ād. On la tenait pour la garante et la gardienne de la baraka de la

famille. Elle décéda en 1942, et sa tombe à Dilly fait de nos jours encore l’objet de

vénération et de culte.557

Par ailleurs, la fille du fondateur du hamallisme, Zaynab Bint Hamallah, née en

1919 et décédée en 1994, fut également une autre figure soufie féminine du Mali.

Elle vécut à l’époque coloniale et postcoloniale. Elle joua un rôle majeur dans le

maintien de la confrérie de son père après la déportation de ce dernier en France.

Les disciples hamallistes se rassemblèrent autour d’elle afin de puiser la baraka de

leur maître, désormais exilé sur un autre continent. Son frère Muḥammad assura la

gestion de la confrérie hamalliste de 1966 à nos jours. Cette femme soufie

s’assignait le rôle de conseil, afin de perpétuer l’héritage spirituel de leur père.558

Le soufisme au Mali n’exclut donc pas le rôle des femmes, même si celles-ci

constituent une petite minorité. Remarquons cependant que ces femmes étaient

souvent dans le sillage d’un guide spirituel, et qu’elles ont plutôt joué le rôle de

passeur.

556 IDRISSA Dramane, al-Marḥūm Muḥammad ‘Abdoullah Su‘ād al-Fūtī ḥayātuhu wa āṯāruh, (mémoire non

édité), Université de Bamako, 2004, p.24. 557 A.N.M. 4E 26-5, Marabouts, personnages religieux, Cercle de Nema, 1942. 558 DICKO Seïdina, op. cit., p. 61.

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313

A la fin de la troisième et dernière partie de notre travail, nous retenons du soufisme

au Mali les points suivants :

- Contribution des soufis à la décolonisation du Mali en 1960.

- Importance des personnalités soufies dans la diffusion du soufisme au Mali.

- Exploitation des nouvelles technologies de communication dans la propagation

du soufisme.

- Implication forte des soufis dans la vie politique du pays.

- Défense des valeurs religieuses face à l’Etat laïc prônant des valeurs plus

universelles.

- Intensification et diversification des actions sociales par certains soufis

d’aujourd’hui

- Contribution à la production des œuvres intellectuelles soufies.

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314

CONCLUSION

Page 316: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

315

CONCLUSION

Aujourd’hui, au Mali la redécouverte d’importantes collections de manuscrits,

et l’ouverture de pages des Archives permettent de recomposer certaines mémoires

oubliées. Nous avons donc tenté l’expérience, à travers notre travail, de restituer

l’histoire du soufisme et d’en étudier les enjeux, du XIXème siècle à nos jours.

C’est ainsi que pour la première période, nous avons essayé de définir l’époque

précise de la pénétration de l’islam et du soufisme dans ce pays. A cet égard, nous

avons conclu que la plupart des historiens maliens considèrent le VIIème siècle de

l’ère chrétienne comme la date de l’avènement de l’islam au Mali, alors que le

soufisme n’y fit probablement son apparition qu’à partir du XVème siècle. Cette

apparition soufie se caractérise alors par des pratiques individuelles et disséminées

ici et là, sans visibilité notoire.

La décadence de l’islam au Mali de la fin du XVIème siècle à la fin du

XVIIIème siècle, avec l’effondrement des empires qui furent ses véritables

vecteurs, a fortement contribué à marginaliser les individus porteurs de messages

mystiques. Le soufisme revient ainsi en première ligne à l’aube du XIXème siècle et

doit essentiellement son émergence aux efforts déployés par cheikh Sīdī al-Muẖtār

al-Kabīr. Ce dernier peut être considéré comme le véritable instaurateur de la

Qādiriyya au Mali. Grâce à sa dévotion et à son prosélytisme persévérant, on lui a

attribué la tarîqa dénommée « al-Muẖtāriyya ». Cet érudit mystique a donc joué un

rôle déterminant dans l’expansion du soufisme au Mali. Sa voie spirituelle se

caractérise, comme nous l’avons montré, par la tolérance, l’ouverture et

l’orthodoxie.

A sa mort, en 1811, lui succéda son fils Sīdī Muḥammad, qui poursuivit

l’œuvre de son père et écrivit un ouvrage d’une importance capitale consacré à la

vie de ses parents, les propagateurs du soufisme au Mali. Faut-il signaler encore que

Sīdī Muḥammad accorda son soutien moral à l’un des grands propagateurs du

soufisme au Mali au XIXème siècle, cheikh Āmadu al-Māsinī, fondateur du régime

musulman ?

Page 317: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

316

C’est ainsi que le soufisme connaîtra son âge d’or avec la création de l’Etat

musulman du Macina en 1818 par cheikh Āmadu al-Māsinī (m. 1845). Le rôle du

maître spirituel du Macina, affilié à la Qādiriyya puis à la Muẖtāriyya, fut

considérable. Il réussit à soumettre les animistes après avoir remporté des batailles

victorieuses, puis organisa son Etat musulman de façon hautement harmonieuse et

règlementaire.

Ce régime contribua à améliorer les conditions de vie de la population, en

rendant obligatoire la scolarisation des enfants, en instaurant la justice sociale et en

stabilisant les régions dépendantes de son régime. Il faut noter que sa vision

mystique n’était pas totalement identique à celle des maîtres spirituels initiateurs

(les Kunta). Car son rigorisme dans l’application de la šarī‘a et sa fermeture vis-à-

vis des explorateurs étrangers lui valurent la mauvaise réputation que rapportent

certains explorateurs européens. Le guide spirituel de la Muẖtāriyya, cheikh al-

Bakkay, ne manqua pas de prodiguer ses conseils aux dirigeants du régime

musulman , afin que ces derniers se ressaisissent et adoptent la ligne normale de

leur voie spirituelle. Mais cette voie spirituelle a été concurrencée par la Tiǧāniyya.

La propagation de la Tiǧāniyya au Mali fut l’œuvre principale d’al-Ḥāǧ ‘Umar

Tal (m.1864). Il entreprit des guerres contre les empires païens et réussit à propager

l’islam selon la couleur de sa nouvelle voie spirituelle. En revanche, la

problématique qui se pose à tous les chercheurs est de savoir quelle fut la réelle

motivation du guide suprême de la Tiǧāniyya lorsqu’il attaquait le régime

musulman du Macina.

Cette guerre interreligieuse est difficilement justifiable selon les écrits d’al-Ḥāǧ

‘Umar Tal lui-même, antérieurs à cette guerre, comme son ouvrage «Taḏkirat al-

ġāfilīn ‘an qubḥ ‘iẖtilāf al- mu‘minīn : Rappel à ceux qui ne prêtent pas

attention aux méfaits causés par la divergence entre croyants». La conclusion était

donc que cette guerre était plus motivée par la recherche d’hégémonie confrérique

que par toute autre raison. Car à l’arrivée du cheikh ‘Umar Tal au Mali, la

Qādiriyya était la tarîqa incontestablement la plus répandue et la plus influente dans

le pays. Ses arguments fondés sur les textes scripturaires n’emportèrent pas

Page 318: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

317

massivement l’adhésion des qādirīs à sa nouvelle voie spirituelle. Le langage de la

force était donc le recours optimal pour répandre rapidement la voie d’Ahmed al-

Tiǧānī.

Les conséquences de cette guerre fratricide, qui débuta en 1861 et qui continua à

opposer les tiǧānīs aux qādirīs jusqu’à l’occupation effective des colonisateurs en

1878, furent désastreuses : détérioration des relations entre Qādiriyya et Tiǧāniyya,

affaiblissement moral et matériel de deux antagonistes et inefficacité de leur

résistance face aux colonisateurs français, car une seconde période s’est ouverte

alors pour le Mali, celle de la colonisation

En dépit de cette guerre inter-confrérique qui affaiblit les leaders spirituels,

ces derniers ne se soumirent pas aux occupants de leur pays. Certains parmi eux

livrèrent même des batailles interminables et farouches contre l’administration

coloniale. Le guide spirituel qādirī Mamadou Lamine Dramé (m. 1887), le maître

spirituel tiǧānī Āmadu Tal (m 1898), le leader qādirī Samory Touré (m. 1900) et le

guide spirituel qādirī Zayn al-‘Ābidīn ibn Sīdī Muḥammad al-Kuntī (m. 1927),

devinrent tous des symboles de résistance physique et armée contre l’intrusion

coloniale.

Au fil du temps, notamment dans la première moitié du XXème siècle,

certains guides spirituels optèrent pour une nouvelle méthode de résistance, la

résistance morale et pacifique. Certains courants comme le Hamallisme, la Tarbiya

et la Salafiya surent d’une manière ou d’une autre éviter les heurts avec le régime

colonial. Mais le caractère paisible de cette attitude ne suffit pas à mettre le

Hamallisme à l’abri du harcèlement et de la persécution des colonisateurs. Ceci

s’explique d’une part par la non collaboration du Hamallisme avec l’occupant, et

d’autre part, par le fait que les rivaux du Hamallisme, issus de la Tiǧāniyya

umarienne, ne cessaient de monter l’administration coloniale contre les hamallistes

de peur de perdre leur pouvoir spirituel face à la montée fulgurante du Hamallisme.

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318

En dépit des contraintes sans cesse imposées par le régime colonial, le

soufisme parvint cependant à frayer son chemin en cette période mouvementée. De

nouvelles voies spirituelles apparurent, comme le Hamallisme qui voulait réformer

la Tiǧāniyya, en prônant la récitation de la Perle de perfection, Ǧawharat al-kamāl,

onze fois au lieu des douze fois en vigueur, et en augmentant le nombre de certains

ḏikr jadis restreints dans la Tiǧāniyya, comme la prière ouvrante, Ṣalāt al-fāfih,

récitée 50 ou 100 fois. Le Hamallisme incitait à sa récitation de 500 à 2000 fois. La

Tarbiya vit également le jour pendant la période coloniale ; elle mit l’accent sur

l’éducation spirituelle des aspirants et ouvrit la voie jusque-là fermée, la vision

divine en état d’éveil. La Salafiya, un autre courant qui se voulait réformiste, fit son

apparition et exigea le retour aux sources premières de l’islam pour y puiser sa

spiritualité et sa réforme sociale. Elle contribua à éveiller la conscience des

autochtones et à dénoncer l’attitude léthargique des leaders religieux. Elle réussit

également à instaurer de nouvelles méthodes d’enseignement au pays, combinant

enseignement religieux et enseignement moderne dans ses écoles dénommées

« Madrasa ». Enfin, elle sut grandement sensibiliser la population à la nécessité de

regagner l’indépendance pour la terre de leurs ancêtres.

Mais pour contenir toute velléité subversive ou indépendantiste, le régime

colonial mit en place une politique musulmane caractérisée par deux éléments : la

répression et l’amadouement. Ainsi, il contrôla non seulement le contenu de

l’enseignement dispensé dans les écoles coraniques et medersas mais exerça aussi

une surveillance étroite sur tous les guides spirituels, fichant leur nom dans un

registre, afin de mieux les cerner. Des journaux étrangers, notamment de tendance

anticoloniale, furent également censurés. Pour le second aspect, le régime colonial

récompensa les leaders spirituels qui collaboraient, en leur offrant des avantages

matériels, séduisant ainsi les réticents.

Mais cette politique ‘‘du bâton et de la carotte’’, ne maintiendra pas le système

colonial de manière perpétuelle et même sera vouée à l’échec, car la conjoncture de

l’époque avait changé. Les autochtones eurent désormais des élites bien formées

dans les écoles coloniales, qui ne songeaient qu’à la décolonisation de leur pays,

Page 320: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

319

pays où les droits humains seraient enfin garantis. C’est dans cette perspective que

ces élites créèrent le parti RDA (Rassemblement Démocratique Africain), afin de

concrétiser leur rêve. Les soufis réprimés rejoignirent ce nouveau parti et luttèrent

pour obtenir l’indépendance du Mali.

L’indépendance constitue le pivot de la troisième période. Dans un premier

temps, les élites indigènes et les leaders spirituels conjuguèrent leurs efforts afin de

préparer le terrain pour l’indépendance du Mali. La France s’orienta vers la

décolonisation et accorda au Mali son indépendance en 1960. L’indépendance une

fois acquise, la nouvelle constitution malienne garantit de façon explicite les libertés

de religion, de conscience et d’expression, tout en interdisant la torture, la

maltraitance ou tout autre acte dégradant pour l’être humain.

Dans ce climat favorable, les soufis procédèrent à une large expansion de leur

voie spirituelle. Diverses stratégies prirent forme. Profitant de leur charisme et de

leur classe sociale avantageuse, les maîtres spirituels purent divulguer aisément leur

tarîqa à travers le Mali indépendant. Sept parmi ces guides jouèrent un rôle tout à

fait remarquable : le maître spirituel hamalliste, Muḥammad uld Hamallah (1938-),

le guide spirituel hamalliste, Āmadu Hampaté Bâ (m.1991), le maître spirituel

tiǧānī, Almāmy Guidio (m.2012), le guide spirituel tiǧānī Sa‘d ‘Umar Touré

(m.1997), le leader spirituel tiǧānī Ousmane Madani Haidara (1955-), le guide

spirituel qādirī, Bilal ‘Alī Diallo ( ?-), et enfin le maître spirituel qādirī, Lassana

Kané ( ?-).

Tous ces guides spirituels contribuèrent à la diffusion du soufisme, non

seulement par leur charisme, mais également par la formation spirituelle qu’ils

dispensèrent auprès de disciples qui prendront le relais. Ces formations

s’effectuaient dans des zāwiyas qui jouèrent un rôle crucial. En effet, ces zāwiyas

constituent de véritables lieux qui façonnent les disciples tant sur le plan exotérique,

qu’ésotérique. Leurs centres d’intérêt sont tant théoriques que pratiques, comme le

montre l’étude des zāwiyas les plus influentes : celles de Nioro, de Dilly, de

Bamako, de Woroboubou et de Tombouctou.

Page 321: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

320

Les ziyāras, qui sont des moments particulièrement importants pour les

soufis, offrent de véritables occasions pour consolider les liens spirituels et sociaux,

ainsi que pour porter plus avant le message mystique. Les ziyāras les plus

éminentes ont également leur spécificité : la ziyāra de Nioro, fief des hamallistes, la

ziyāra de Tamani, berceau du guide spirituel des anṣārīs, la ziyāra de

Wouroboubou, fief des qādirīs, la ziyāra de Dilly, centre influent des qādirīs. Mais

ces rencontres annuelles ne semblent pas suffire aux soufis pour promouvoir leur

voie spirituelle. C’est pourquoi il convient d’inscrire également l’organisation de

grandes conférences soufies qui permettent de débattre de divers sujets d’ordre

religieux, mais aussi politique et social. Cependant les soufis maliens qui ne

négligent aucun moyen pour assurer une plus grande diffusion à leur voie

spirituelle, ont également recours aux nouvelles technologies de communication

pour confirmer leur présence virtuelle sur la toile. Les sites hamalliste et anṣārī qui

ont fait l’objet d’étude, en sont des exemples.

Nous avons vu que les soufis d’aujourd’hui ne s’intéressent pas qu’à la religion,

mais qu’ils sont également actifs dans le domaine politique, choisissant leur

candidat lors des élections présidentielles, législatives ou municipales. Il est avéré

que leur participation dans la sphère politique eut et a une influence patente sur le

pouvoir public. Ce dernier s’est plié maintes fois à leurs revendications.

Le Code de la famille et de la personne a été fortement contesté par les maîtres

spirituels. Ce Code voté par les députés, censé accorder plus de droits aux enfants et

aux femmes, n’a pas été promulgué avant d’avoir été rectifié conformément à la

demande des guides spirituels. En revanche, le législateur malien demeure

réfractaire à certaines questions contestées, notamment l’interdiction de la

répudiation.

Page 322: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

321

La question de l’abolition de la peine capitale a également suscité des

réactions de la part des maîtres spirituels. Ils y sont farouchement opposés. Et leur

mobilisation contre l’abrogation de la peine de mort demeure un obstacle sérieux à

son abolition, mais l’Etat malien fait partie des pays abolitionnistes en pratique, non

en droit.

La forte implication des maîtres spirituels dans la politique a même conduit les

autorités maliennes à créer, fait sans précédent, un ministère des affaires religieuses

et du culte. Nous en avons conclu que l’Etat malien privilégie aujourd’hui le

compromis et le dialogue avec les religieux sur les questions contestées, à la

confrontation ouverte. La laïcité malienne n’entre pas non plus en contradiction

avec le financement de certaines institutions religieuses, la modification

systématique des horaires de la fonction publique lors du ramadan, le fait de laisser

aux institutions religieuses le soin de fixer les fêtes religieuses qui sont des journées

fériées dans le pays.

Les soufis maliens sont également présents et actifs dans le domaine social.

Leurs actions tendent vers la distribution des vivres aux personnes démunies,

l’amélioration de la santé, et la lutte contre certaines maladies, contre la misère et

ses corollaires, notamment la mendicité. Nous avons retenu la sensibilisation

efficace de maîtres spirituels dans la prévention de certaines maladies considérées

comme taboues, notamment le sida. Mais demeure la question de la mendicité des

talibés, qui n’a pas encore été parfaitement résolue. Afin d’en trouver des solutions

concrètes et définitives, une conférence nationale à laquelle participerait toute la

société civile serait salutaire.

Nous avons mis en évidence que non seulement les actions sociales des soufis

se sont amplifiées ces derniers temps, compte tenu de la crise exceptionnelle qui

frappe le pays depuis le coup d’Etat du 22 mars 2012, mais aussi que leur

mobilisation résolue pour trouver une issue honorable à la crise s’est avérée

fructueuse : rencontre de responsables politiques afin de leur proposer des solutions,

organisation de prières collectives pour le retour à la paix du pays.

Page 323: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

322

Il est apparu également que les soufis maliens de la première période ont eu

une plus grande production intellectuelle soufie que ceux d’aujourd’hui. Si les

maîtres spirituels du XIXème siècle mettaient l’accent sur la formation exotérique et

ésotérique de leurs disciples de manière égale, ceux d’aujourd’hui, ainsi que nous

l’avons montré, se soucient davantage de la formation ésotérique de leurs aspirants

au détriment de leur formation exotérique. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que

la plupart des leaders spirituels d’aujourd’hui manquent eux-mêmes d’une solide

formation en sciences exotériques. Quant aux écrits des soufis de la période

précoloniale, ils mettaient l’accent sur quatre thèmes principaux :

-L’exégèse du soufisme, représentée par les ouvrages du cheikh Sīdī al-Muẖtār al-

Kabīr dont « Al-Kawkab al-waqqād fī ḏikr fadā’il al-mašāyiẖ wa ḥaqā’iq al-

awrād : Etoile étincelante en l’honneur des mérites des cheikhs, et de leurs

invocations ».

-Le retour à l’orthodoxie, prôné par l’ouvrage du cheikh Āmadu al-Māsinī, intitulé

« Al-iḍṭirār ilā Allāh fī iẖmād ba‘ḍ mā tawaqqad min al-bida‘ wa iḥyā’ ba‘d mā

indarasa min al-sunan : S’en remettre à Dieu pour éteindre les innovations

religieuses et ressusciter les sunnas disparues », et par l’ouvrage du cheikh Sīdī al-

Muẖtār « Kitāb al-minna fī i‘tiqād ahl al-sunna : Le livre de la donation sur la

croyance de gens de la sunna».

-Les critiques réciproques entre les voies spirituelles, émises d’une part par les

qādirīs : cheikh Bakkay al-Kuntī dans son ouvrage «Buġyat al-ulf fī ǧawāb Ibn

Yerkoy Talfī : Quête de convergence dans la réponse à Ibn Yerkoy Talfī » , par

cheikh Muḥammad Aḥmad dans son ouvrage « Bayān mā ǧarā : Ce qui s’est

passé », et d’autre part, par les tiǧānīs, comme le montrent cheikh ‘Umar Tal dans

son ouvrage « Bayān mā waqa‘a : Ce qui s’est déroulé », et cheikh Ibn Yerkoy

Talfī dans son ouvrage « Tabkiyat al-Bakkay : Faire pleurer al-Bakkay ».

Page 324: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

323

-L’incitation à un amour accru du Prophète, prônée par les poèmes du cheikh

‘Abdullah Su‘ād « Madḥ al-Rasūl : Apologie en l’honneur du Messager », et par les

écrits du cheikh Sīdī al-Muẖtār al-Kabīr dont « Nafḥ al-ṭīb fī al-ṣalāt ‘alā al-Nabī

al-ḥabīb : Eclat du parfum pour la prière sur le Prophète bien aimé».

Quant aux maîtres spirituels qui vécurent pendant la période coloniale (1878-

1960), ils eurent, ainsi que nous l’avons constaté, une production intellectuelle

moindre. Nos observations ont montré que ceci pourrait s’expliquer tant par la

décadence du savoir religieux que par les vicissitudes infligées aux guides spirituels

par le régime colonial. Cependant ces derniers surent maintenir vives leurs voies

spirituelles, en les nourrissant des écrits des maîtres spirituels antérieurs.

Les guides spirituels du Mali indépendant, plus propice à l’expression,

composèrent à nouveau des ouvrages ayant trait au soufisme. Ces derniers relèvent

de deux genres principaux :

-L’exégèse des thèses soufies et l’hagiographie de maîtres spirituels, dont les

représentants sont le guide spirituel hamalliste, A. H. Bâ dans ses deux ouvrages

« Vie et enseignement et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara » et

« Jésus vu par un musulman » ; le guide spirituel qādirī, Bilal Diallo, dans ses

ouvrages « A la lumière du soufisme » et « La tiǧāniya, voie spirituelle du cheikh

Ahmed Tijani » ; ainsi que le guide spirituel de Tombouctou, Maḥmūd Muḥammad

Hamu, dans «al-Mawāqif wa al-ẖuṭwāt fī ’uṣūl al-’awrād wa ’ādāb al-da‘awāt

min’aḥādīṯ Sayyid al-sādāt : Etapes et démarches sur les fondements des formules

des prières et recommandations pour les bénédictions, à partir des hadiths

-La réfutation des thèses de détracteurs, que représente le guide spirituel tiǧānī Sa‘d

Touré, dans son ouvrage « «al-’Aḍwā’ al-ṣāfia ‘alā al-’awrād al-tiǧāniyya : Les

lumières luisantes sur les formules des prières tiǧānīes.

Page 325: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

324

Il convient de souligner que les écrits des soufis de la première période sont

plus riches par leur contenu et plus authentiques, que les écrits des soufis

d’aujourd’hui. Ceci relève évidemment de la solide formation acquise par les

premiers. Il est à constater également que tous les ouvrages soufis, du XIXème

siècle à nos jours, sont rédigés en langue arabe ou parfois dans la langue locale

comme le peul, à l’exception remarquable des écrits de deux soufis, A. H. Bâ et

Bilal Diallo. Ces derniers formés dans des écoles françaises ont rédigé leurs

ouvrages en français, ne maîtrisant pas l’arabe.

L’analyse de ces ouvrages ésotériques a conduit à l’évidence que certains termes

soufis connus n’y apparaissent pas, tels Wahdat al-wuǧūd, Unicité de l’Etre et

wahdat al-šuhūd, unicité de la contemplation. Mais nous avons noté que l’absence

de ces termes soufis complexes dans les écrits des soufis maliens ne signifie pas que

ces derniers ignoraient leur réalité. Il n’est pas à exclure que les maîtres spirituels

aient gardé le silence pour des raisons pédagogiques.

Le soufisme au Mali compte très peu de femmes réputées pour leur spiritualité.

Ce qui n’est pas exclusif au soufisme du Mali. A toutes les époques, il s’est avéré

que l’implication féminine dans la sphère ésotérique a été beaucoup moins forte que

l’implication masculine. D’ailleurs, tous les éponymes des ordres soufis, comme

nous l’avons vu, sont quasiment des hommes. Cependant, le Mali a vu émerger sur

son sol quelques femmes, réputées pour leur spiritualité accomplie comme la

mystique Lallā, épouse du fondateur de la Muẖtāriyya Sīdī al-Muẖtār al-Kabīr, la

soufie Adiya, épouse du cheikh Āmadou, fondateur du régime de Hamadallah, la

dévote Oumou Dilly, fille du guide spirituel ‘Abdulallah Su‘ād et enfin la fille du

fondateur du hamallisme, Zaynab Bint Hamallah.

Par ailleurs, la rapide propagation du soufisme au Mali, et sa réception

favorable par la population de l’ancien Soudan français, ne sont pas dus uniquement

au prosélytisme incessant des guides spirituels, et à la guerre sainte livrée par

certains maîtres soufis, mais aussi à la convergence entre l’esprit mystique du

soufisme et l’esprit de la religion ancienne du pays, notamment le caractère

Page 326: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

325

organisationnel du soufisme serait identique à celui des confréries traditionnelles du

pays. Il importe de souligner que les caractéristiques les plus notoires du soufisme

du Mali résident dans la croyance au retour du fondateur disparu de la voie

spirituelle (Hamallisme), dans la croyance de la vision divine en état d’éveil

(Tarbiya) et dans l’interruption momentanée de la chaîne spirituelle de la voie

(Hamallisme).

Enfin, nous ne prétendons pas avoir fait une étude exhaustive du soufisme au

Mali. Au cours de notre travail de recherche, par manque de temps, nous n’avons

pu, à regret, approfondir la réflexion et la recherche sur certains éléments : comme

le rôle des femmes soufies dans les voies spirituelles du Mali, les causes du recul

aujourd’hui de certaines voies spirituelles notamment la Tarbiya, et leur impact sur

le soufisme au Mali. Tout cela pourrait faire l’objet d’une étude ultérieure.

Grâce à la forte mobilisation des guides spirituels d’aujourd’hui dans les

domaines religieux, politique et social, nous estimons que le soufisme au Mali a un

grand avenir. En outre, les événements actuels au Mali, caractérisés par l’apparition

de groupes extrémistes au Nord, se revendiquant de la Salafiyya et semant la

violence, l’horreur et la désolation au nom de la šarī‘a, n’aboutissent qu’à donner

plus de crédit aux courants soufis.

Page 327: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

326

BIBLIOGRAPHIE

I – Sources

A- Sources manuscrites

- BAKKAY (AL-) Aḥmad al-Kuntī, Buġyat al-ulf fī ǧawāb Ibn Yerkoy Talfī : Quête

de convergence dans la réponse à Ibn Yerkoy Talfī, ms., n° 985, I.H.E.R.I.A.B,

Tombouctou. s.d. ff.1-39, copiste : non mentionné, Traduction personnelle.

- BAKKAY (AL-) Aḥmad al-Kuntī, Qaṣīda fī nuṣḥ al-fūtiyīn, ms., n°985. 3325

Hégir. I.H.E.R.I.A.B. Tombouctou. ff.1-8, copiste : Ahmed ibn Baba.

- HAMALLAH Aḥmad ibn ‘Umar, Risāla : Missive, ms., n° 6611, I.H.E.R.I.A.B,

Tombouctou, fol.1, s.d. Traduction personnelle

- IBN ṬAHIR Nūḥ, Ḥaṣā’iṣ al-Nabī : Spécificités du Prophète, ms., n° 8912,

I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, ff.1-5, s.d. copiste : non mentionné.

- IBN YERKOY TALFI, Tabkiyat al-Bakkay : Faire pleurer al-Bakkay, ms., n°

2786, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, ff .1-38, 1343 Hégire/ 1924, copiste : Sīdī

Ahmed ibn al-Mubārak. Traduction personnelle.

- IBN YERKOY TALFI, Maǧmū‘ al-qaṣā’id : L’ensemble des poèmes, ms., n° 863,

I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, ff.1-27, 1970, copiste : non mentionné.

- IBN YERKOY TALFI, al-Ta’yīdāt al-Rabbāniyya li al-ǧamā‘a al-Tiǧāniyya :

Soutien divin accordé à la confrérie tiǧānīe, ms., n° 862, I.H.E.R.I.A.B,

Tombouctou, ff .1-13, 1979, copiste : non mentionné, Traduction personnelle.

Page 328: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

327

- MASINI (AL-) Āmadu Al-iḍṭirār ilā Allāh fī iẖmād ba‘ḍ mā tawaqqad min al-

bida‘ wa iḥyā’ ba‘d mā indarasa min al-sunan : S’en remettre à Dieu pour éteindre

des innovations religieuses et ressusciter des sunnas disparues, ms., n°1019,

I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, ff.1-16, 1290 Hégire/ 1873, copiste : ‘Umar ibn

Sarsade, Traduction personnelle.

-AL-MASINI Āmadu, Naṣīḥat al-šayẖ Aḥmad ibn Muḥamad ’amīr al-mu’minīn

ms., n°804. I.H.E.R.I.A.B.Tombouctou. ff.1-40, s.d. copiste : non mentionné.

- MUḤAMMAD Āmadu Āmadu, Bayān mā ǧarā : Ce qui s’est passé, ms., n°27.,

I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, ff.1-35, 1967, copiste : ‘Alī Diallo, Traduction

personnelle.

- MUḤAMMAD Yaḥyā ibn Sulaym, Qaṣīdat ḏamm al-ḥamawiyya wa atbā‘ihā :

Poèmes destinés à fustiger le Hamallisme et ses adeptes, ms., n° 5118,

I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, fol.1, s.d. copiste : non mentionné. Traduction

personnelle.

- PEREǦO Muḥammad ‘Alī, Fatḥ al-Ṣamad fī ḏikr šay’in min aẖlāq šayẖinā

Aḥmad : Ouverture à Dieu le Seul à être imploré, pour évoquer les attributs de

notre cheikh, ms., n° 5285, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, s.d. ff.1-31, copiste : non

mentionné.

- SĪDĪ Muḥammad ibn ‘Ābidīn, Risālah : Missive, ms., n° 5915, I.H.E.R.I.A.B,

Tombouctou, fol.1, s.d. copiste : non mentionné. Traduction personnelle.

- SĪDĪ Muḥammad, Ṭarā’if wa talā’id fī karāmāt al-wālida wa al-wālid : Les

histoires authentiques pour évoquer les miracles de mes parents, ms, n°14,

I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, fol. 22, s.d., copiste : non mentionné.

Page 329: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

328

- SĪDĪ al-Muẖtār al-Kabīr, Hidāyat al-ṭulāb : Guidance des disciples, ms., n° 15.,

I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou., ff.1-20, s.d., copiste : non mentionné.

- SĪDĪ al-Muẖtār al-Kabīr, Ǧaḏwat al-Anwār fī al-Ḏabb an manāṣib awlyā’ Allāh

al-aẖyār : Braise incandescente pour la défense de la place des saints élus de Dieu,

ms., n° 2284, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou. ff.1-28, s.d., copiste : non mentionné.

Traduction personnelle.

- SĪDĪ al-Muẖtār al-Kabīr, Al-’Awrād al-Qādiriyya : Les invocations qādirīes, ms.,

n° 6243., I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, fol.1, s.d., copiste : non mentionné.

Traduction personnelle.

- SĪDĪ al-Muẖtār al-Kabīr, Al-Kawkab al-Waqqād fī ḏikr Fadā’il al-Mašāyiẖ wa

ḥaqā’iq al-awrād : Etoile étincelante en l’honneur des mérites des cheikhs, et de

leurs invocations, ms., n° 1608, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou. ff.1-58, s.d., copiste :

non mentionné. Traduction personnelle.

- SĪDĪ al-Muẖtār al-Kabīr, Kašf al-labs fīmā bayna al-Rūḥ wa al-Nafs : Lever le

voile sur l’amalgame qui se fait entre l’âme et l’esprit, ms., n° 3616, I.H.E.R.I.A.B,

Tombouctou, ff. 1-7, s.d., copiste : non mentionné. Traduction personnelle.

- SĪDĪ al-Muẖtār al-Kabīr, al-Waṣiyya : Testament, ms., n° 2588, I.H.E.R.I.A.B,

Tombouctou, fol.1., s.d., copiste : non mentionné. Traduction personnelle.

- SĪDĪ al-Muẖtār al-Kabīr, Nafḥ al-ṭīb fī al-ṣalāt ‘alā al-Nabī al-ḥabīb : Eclat du

parfum pour la prière sur le Prophète bien aimé, ms., n° 402, I.H.E.R.I.A.B,

Tombouctou, ff.1-7, s.d., copiste : non mentionné.

- SĪDĪ al-Muẖtār al-Ṣaġīr, Naṣīḥa : Conseil, ms., n° 178, I.H.E.R.I.A.B,

Tombouctou, s.d., fol.1, copiste : non mentionné. Traduction personnelle.

Page 330: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

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- SĪDĪ Muḥammad, al-Risāla : Missive, ms., n° 186, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou,

s.d., fol.1, copiste : non mentionné. Traduction personnelle.

- SU‘AD Muḥammad, Tark al-dunyā : Abandon de la vie mondaine, ms., n° 5882,

I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, fol. 1, s.d., copiste : non mentionné.

- SU‘AD Muḥammad, Qaṣā’id al-madḥ : Poésies apologétiques, ms., n° 5882,

I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, ff.1-5, s.d., copiste : non mentionné.

- TAL ‘Umar, Taḏkirat al- ġāfilīn ’an qubḥ ‘iẖtilāfi al- mu‘minīn : Rappel à ceux

qui ne prêtent pas attention aux méfaits causés par la divergence entre croyants,

ms., n° 1328, I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, ff. 1-35, s.d., copiste : Aḥmad ibn

Ibrāhim, disciple du cheikh Tal, Traduction personnelle.

- TAL ‘Umar, Risāla ilā ahl Māsina, ms., fol.1, n° 940. s.d. I.H.E.R.I.A.B.

Tombouctou.

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- A.N.M., n° 259 AP/5, Cheikh Hamallah, l’agitateur soudanais, Rapport de la

Direction Générale de la Sûreté Nationale, 1918-1960.

- A. N.M., n°4E 2. Correspondance de M. Cogordan, Agent et Consul Général de

France au Caire, le 21 novembre 1900, Politique musulmane de 1901-1912.

Page 331: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

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- A.N.M., n°0808. 4E Politique musulmane, 1918-1960.

- A.N.M., n° 1256/ 4E, Dossier du cheikh Hamallah, Politique musulmane. 1953.

- A.N.M. n°259 AP/5, Décès de cheikh Hamallah, Circulaire du Gouverneur

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- A.N.M., n° 4E1, Interdiction du pèlerinage à la Mecque en 1903, Correspondance

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- A.N.M., n° 4E2. Création du Bureau de Presse Musulmane le 15mai 1916,

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- A.N.M., n° 444, Décision portant désignation des membres indigènes du Comité

Consultatif des Affaires Musulmanes, le 28 avril 1916. Service des Affaires Civiles.

- A.N.M., n°4E3. Missive des musulmans en Allemagne, Politique musulmane,

1910. Traduction personnelle.

- A. N. M., n°4E 2. Correspondance de M. Cogordan, Agent et Consul Général de

France au Caire, le 21 novembre 1900, Politique musulmane de 1901-1912.

- A.N.M. n° 100, Correspondance du ministre des colonies, Service des Affaires

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- A.N.M., 4E 26-5, F.R. Marabouts, personnages religieux, Cercle de Nema,

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- A.N.M., n° 259 AP/5, Motion déposée par les conseils généraux, le 8 novembre

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- A.N.M., n° 4E2, Correspondances du Gouverneur général de l’A.O.F, CLOZEL à

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-Indépendant, n°542, le 17/09/2009, « Ziyāra de Tamany ».

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- Option, n° 98, 24/11/2012, « Chérif Ousmane Madani Haidara à Option : une voix

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:http://www.soninkara.com/index2.php?option=com_content&do_pdf=1&id=825

(consulté le 28/3/2013).

BIBLIOGRAPHIE COMPLEMENTAIRE SELECTIVE

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- CUOQ Joseph (trad. et commentateur). Recueil des sources arabes concernant

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doctorat, Université de Paris I, 1996.

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- TOURE Amadou ; Mariko, Ntji Idriss (éd.). Amadou Hampâté Bâ, homme de science

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Page 351: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

350

INDEX DES TERMES SOUFIS

baraka : flux spirituel, 36, 37, 54, 88, 109, 112, 113, 222, 260, 312, 331.

baqā’ : existence en Dieu, 268, 269.

cheikh : maître spirituel, 3, 4, 7, 8, 9, 10, 11, 18, 20, 23, 25, 27, 38, 39, 41, 43, 46,

49, 50, 52, 54, 56, 59, 61, 64, 69, 71, 75, 80, 84, 89, 93, 98, 100, 104, 111, 115, 123,

130, 137, 141, 144, 150, 152, 157, 158, 164, 168, 170, 187, 199, 201, 208, 212, 218,

223, 226, 228, 241, 267, 270, 284, 288, 296, 298, 302, 307, 315, 316, 322, 324.

ḏikr : souvenir et commémoration, 8, 18, 19, 46, 47, 85, 87, 95, 102, 105, 106, 220,

281, 282, 284, 285, 298, 307, 318, 322.

fanā’ : extinction en Dieu, 268, 269.

ǧawharat al-kamāl : perle de perfection, 66, 67, 136, 159, 295.

ǧihād : guerre sainte, 20, 21, 40, 60, 71, 72, 78, 79, 82, 122, 130, 148.

hamallisme : voie spirituelle du cheikh Hamallah (m.1943), 16, 22, 28, 132, 135,

136, 137, 138, 139, 146, 148, 149, 152, 156, 159, 176, 187, 193, 197, 199, 207, 208,

211, 215, 225, 226, 228, 239, 312, 317, 318, 324.

ẖalwa: retraite spirituelle, 42, 43, 59, 159, 160, 166, 167, 205, 225.

ḥaqīqa muḥammadiyya: réalité mohammadienne, 106, 300.

ẖatmiyya : la clôture de la sainteté mohammadienne, 110, 111.

ḥiǧāb : voile, 282.

ḥulūl: incarnationisme, 304, 305, 309.

ibādāt : adorations, 90, 298.

iḏn : autorisation, 281, 284, 293.

iǧtihād : effort juridique, 99, 187, 282.

iǧāza : permission, attestation conférée afin d’authentifier la chaîne de transmission

des secrets d’un tarîqa, 65.

ilhām : intuition divine, 86.

khalife : successeur, chef spirituel et temporel d’une communauté musulmane, 39,

42, 49, 58, 65, 69, 73, 106, 135, 158, 170.

karāma : miracle, 56, 11, 220, 282.

Page 352: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

351

kašf : dévoilement spirituel, 18, 43, 52, 59, 87, 112.

maqāmāt : stations spirituelles, 270.

mawlid : naissance du Prophète, 159, 203, 204, 159, 160, 215, 219, 235, 236, 253,

299, 308.

muqaddam : représentant local du cheikh, 42, 46, 48, 49, 50, 72, 73, 125, 137.

muẖtāriyya: voie spirituelle du cheikh Sīdī al-Muẖtāriyya (m.1811), 39, 50, 53, 56,

57, 58, 62, 83, 85, 93, 115, 128, 212, 306, 312, 315, 316, 324.

mukāšafa : dévoilement spirituel, 37.

nawāfil : prières surérogatoires, 166.

qudsī : sacré, 65, 269.

quṭb : pôle, 36, 37, 109, 110, 290.

qādiriyya : voie spirituelle du cheikh ‘Abd al-Qādir al-Ǧīlānī (m.1166), 8, 12, 18,

19, 20, 44, 45, 46, 47, 49, 50, 51, 52, 53, 55, 59, 63, 69, 71, 81, 83, 89, 99, 108, 114,

121, 127, 164, 293, 294, 306, 315, 316.

raqs : danse rituelle, 40, 41, 300, 306, 307, 308, 309.

salafiyya : courant réformiste prônant l’orthodoxie, 132, 161, 162, 163, 164, 165,

166, 168, 169, 170, 171, 172, 175, 176, 186, 187, 195, 202, 213, 221, 235, 283, 288,

289, 301, 325.

sanūsiyya: voie spirituelle de Muḥammad ibn ‘Alī al-Sanūsī (m.1859), 128.

samā‘: audition musicale à des fins spirituelles, 300, 306, 307, 309.

šarī‘a : jurisprudence musulmane, droit musulman, 8, 10, 55, 58, 61, 70, 90, 109,

126, 166, 175, 205, 217, 242, 243, 244, 246, 262, 269, 291, 294, 316.

šahāda : profession de foi musulmane, 139, 294.

šāḏiliyya : voie spirituelle d’Abū Ḥassan al-Šāḏilī (m.1258), 105.

silsila : chaîne de transmission d’autorité spirituelle, 50, 52.

subḥa : chapelet, 46, 281, 283, 284, 285.

tarbiyya : voie spirituelle de Māhin Haïdara (m.1991), 25, 27, 132, 157, 158, 159,

160, 161, 176, 186, 317, 318, 325.

Page 353: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

352

tarîqa : voie spirituelle, 16, 19, 20, 41, 43, 46, 49, 53, 57, 59, 65, 72, 80, 100, 105,

109, 128, 132, 135, 137, 140, 157, 159, 160, 186, 197, 203, 225, 267, 269, 280, 295,

307, 319.

tasmiya : l’anniversaire du septième jour de la naissance, 222, 253, 301.

tazkiat al-nafs : purification de l’âme, 163, 171.

tawḥīd : Unicité de Dieu, 88, 98, 302.

tiǧāniyya : voie spirituelle du cheikh Ahmed Tiǧānī (m.1815), 13, 20 ,54, 63, 67,

68, 69, 71, 72, 73, 80, 82, 100, 104, 106, 108, 113, 118, 134, 135, 136, 140, 148,

158, 160, 200, 226, 280, 293, 295, 198, 300, 316, 323.

waḥdat al-wuǧūd : unicité de l’Etre, 300, 302.

waḥdat al-šuhūd: unicité de la contemplation, 300, 302, 303, 304.

walī : saint, ami de Dieu, 35, 36, 84.

waẓīfa : prières collectives psalmodiées par les soufis, 46, 47, 66, 159, 295.

wird : formule de la prière spécifique à chaque confrérie, récitée à des moments

précis de la journée par l’adepte de la tarîqa zāhid: ascète, 51, 52, 68, 71, 73, 84, 85,

100, 106, 109, 138, 140, 199, 205, 293, 294, 298.

zāwiya: siège locale d’une tarîqa, 12, 37, 41, 44, 52, 129, 154, 166, 196, 210, 211,

212, 215, 225, 226, 227, 235, 308, 312.

ziyāra: visite pieuse, 159, 162, 196, 214, 215, 216, 217, 218, 219, 221, 227, 320.

Page 354: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

353

INDEX DES NOMS DE PERSONNES

A

‘Alī Isḥāq, 182.

B

Bagayogo Seydou, 164.

D

Dramé ismā’īl, 208, 209.

Dicko Maḥmūd, 164.

Doumbia Abdullah, 146.

C

Cissé Abdullah, 172.

F

Fofana Abū bakr, 28, 133, 137, 139, 147, 149.

H

Haidara Munīr, 27, 124, 158.

K

Kane Modibo, 218, 219, 375.

M

Maiga Abba Omar, 28, 198, 211, 239, 240.

O

Oumou Dilly, 218, 219, 312, 324.

S

Sangaré Abdullah, 219.

Sangaré Modibo, 219.

T /Y

Tal Bakkay, 27, 46, 48, 223, 309, 377.

Thiam Tierno Hady, 43, 251, 253, 255, 262.

Thiam Ibrahim, 27, 158, 194. Yatabaré Abdoul Aziz, 162, 172, 213.

Page 355: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

354

INDEX DES NOMS GEOGRAPHIQUES

A

Abou al-anwar (Mali), 50.

Adzobe (Côte d’Ivoire), 142, 144, 145.

Andalousie (Espagne), 31.

Arabie Saoudite, 161, 201, 288.

Algérie, 12, 44, 65, 71, 135, 151, 164, 248, 270.

Azaouad (Mali) 50.

B

Bado (Mali), 119.

Bandiagara (Mali) 9, 60, 69, 71, 73, 167, 199, 266, 267, 271, 272, 276, 323.

Burkina, 12, 120, 163, 173, 209, 211, 213, 224, 239, 259.

C

Côte d’Ivoire, 12, 16, 120 ,144, 145, 163, 192, 208, 209, 211, 213, 224, 239, 240.

D

Djenné (Mali), 33, 34, 36, 59, 60, 120, 183, 200.

Dilly (Mali), 115, 211, 218, 219, 312, 320, 324.

Diré (Mali), 81.

Dina, (Mali) 219.

Diougani, (Mali) 26, 43, 46, 47, 48, 223, 304, 309, 377.

E

Egypte, 9, 31, 44, 52, 58, 177, 179, 214, 248.

F

France, 12, 21, 22, 23, 25, 26, 142, 148, 150, 151, 154, 155, 177, 184, 229, 233, 240,

268, 292, 312, 319.

H

Hamdallay (Mali) 22, 63, 79, 81.

Halwar (Sénégal), 72.

G

Gao (Mali) 12, 31, 34, 120.

Guidio (Mali), 200, 201, 319.

Page 356: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

355

Guinée, 12, 54, 120, 143, 153, 163, 193, 239.

Goundiourou (Mali), 121, 122.

K

Kaedi (Mauritanie), 154, 155.

Kati (Mali), 119.

Kayes (Mali), 12, 78, 119, 120, 121, 126, 197, 212, 234, 270.

Kamba sadio (Mali),132, 133.

Kelsuq (Mali), 29.

Koulikoro (Mali)12, 211, 218.

Koro (Mali), 12, 26, 44, 146, 182, 260, 303.

M

Mali, 7, 8, 10, 11, 12, 15, 16, 17, 18, 20, 23, 24, 29, 34, 37, 40, 43, 45, 49, 50, 54, 55,

58, 65, 68, 71, 72, 79, 81, 82, 88, 89, 93, 103, 104, 111, 115, 118, 121, 131, 132, 135,

136, 151, 153, 156, 160, 161, 162, 163, 170, 175, 181, 188, 190, 193, 194, 196, 197,

199, 204, 208, 215, 219, 226, 228, 231, 233, 240, 255, 257, 258, 266, 267, 273, 279,

286, 296, 297, 300, 302, 306, 307, 310, 312, 314, 316, 320, 325, 326.

Mauritanie, 12, 30, 34, 72, 120, 121, 134, 143, 145, 154, 163, 176, 194, 239, 240.

Maroc, 34, 37, 39, 65, 219, 227, 248, 272.

Mecque, 4, 33, 35, 71, 74, 76, 106, 122, 138, 157, 178, 179, 201, 212, 272, 304.

Médine, 4, 75, 78, 106, 157, 203, 212.

Mopti, 12, 26, 94, 58, 120, 207, 212, 217, 264.

N

Niger, 12, 16, 24, 54, 59, 119, 126, 143, 179.

Nigéria, 124, 157, 176, 200.

Nioro (Mali), 22, 77, 124, 134, 135, 137, 139, 142, 143, 145, 146, 145, 150, 151, 184,

197, 211, 225, 240, 319.

Nyamina (Mali), 132.

Page 357: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

356

S

Sabouciré (Mali), 77, 119.

Sénégal, 12, 54, 71, 72, 74, 119, 143, 151, 179, 213, 239.

Ségou (Mali),12, 27, 62, 63, 74, 77, 120, 123, 158, 194, 207, 303.

Sikasso (Mali),12, 120.

T

Tamani (Mali), 202, 217, 215, 216, 259, 320.

Tombouctou (Mali), 8, 10, 20, 27, 37, 44, 50, 51, 52, 53, 61, 71, 76, 83, 84, 85, 88, 90,

94, 95, 99, 103, 107, 111, 115, 116, 140, 147, 212, 297, 299, 301, 303, 307.

Turquie, 122, 306.

Tunisie, 37, 80, 214.

W

Wouroboubou (Mali), 212, 215, 217, 320.

Page 358: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

357

ANNEXE (A)

Manuscrits illustratifs

Page 359: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

358

SĪDĪ al-Muẖtār al-Kabīr, al-Waṣiyya, Testament, s.d. I.H.E.R.I.A.B.

Tombouctou. ms., n°2588, fol.1.

(1)

Page 360: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

359

AL-MASINI Āmadu, Al-iḍṭirār ilā Allāh fī iẖmād ba‘ḍ mā tawaqqad min al-bida‘

wa ḥyā’ ba‘d mā indarasa min al-sunan, ms., n°1019, 1873.

I.H.E.R.I.A.B.Tombouctou. fol.1. Voir le dernier folio (16) de ce manuscrit dans la

page suivante : (2)

Page 361: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

360

AL-MASINI Āmadu, Al-iḍṭirār ilā Allāh fī iẖmād ba‘ḍ mā tawaqqad min al-bida‘

wa ḥyā’ ba‘d mā indarasa min al-sunan, ms., n°1019, 1873.

I.H.E.R.I.A.B.Tombouctou. fol.16. (3)

Page 362: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

361

AL-MASINI Āmadu, Naṣīḥat al-šayẖ Aḥmad ibn Muḥamad ’amīr al-mu’minīn

ms., n°804. I.H.E.R.I.A.B.Tombouctou. fol.2.

(4)

Page 363: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

362

AL-BAKKAY Aḥmad al-Kuntī , Buġyat al-ulf fī ǧawābi Yerkoy Talfī, ms., n°985.

s.d. I.H.E.R.I.A.B. Tombouctou. fol.1. (5)

Page 364: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

363

AL-BAKKAY Aḥmad al-Kuntī, Qaṣīda nūniyya : consitituée des 6 folios et

annexée à Buġyat al-ulf fī ǧawābi Yerkoy Talfī, ms., n°985. s.d. I.H.E.R.I.A.B.

Tombouctou. (6)

Page 365: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

364

AL-BAKKAY Aḥmad al-Kuntī, Qaṣīda fī nuṣḥ al-fūtiyīn, ms., n°985.

I.H.E.R.I.A.B. Tombouctou. fol.1. voir le dernier folio de ce manuscrit dans la page

suivante : (7)

Page 366: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

365

AL-BAKKAY Aḥmad al-Kuntī, Qaṣīda fī nuṣḥ al-fūtiyīn, ms., n°985.

I.H.E.R.I.A.B. Tombouctou. fol.8. (8)

Page 367: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

366

Risāla ilā ahl Māsina, lettre écrite par al-Ḥāǧ ‘Umar lui-même adressée aux gens

du Macina, pour les informer que son ǧihād ne vise qu’Āmadu III chef du Macina.

Il y répète trois fois le mot (waḥdahu : lui uniquement) ms., n° 940. s.d.

I.H.E.R.I.A.B. Tombouctou. fol.1. (9)

Page 368: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

367

IBN YERKOY TALFI, Maǧmū‘ al-qaṣā’id, ms., n°863. 1970.

I.H.E.R.I.A.B.Tombouctou, fol.1. (10)

Page 369: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

368

IBN YERKOY TALFI, Maǧmū‘ al-qaṣā’id, ms., n°863. 1970.

I.H.E.R.I.A.B.Tombouctou, fol.23. Dans ce manuscrit, Ibn Yerkoy Talfī incite al-Ḥāǧ

‘Umar à venir faire ǧihād au Macina. (11)

Page 370: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

369

IBN YERKOY TALFI, Tabkiyat al-Bakkay, ms., n° 2786, 1924. I.H.E.R.I.A.B.

Tombouctou, fol.1. (12)

Page 371: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

370

IBN YERKOY TALFĪ, Tabkiyat al-Bakkay, ms., n° 2786, 1343Hégire/1924.

I.H.E.R.I.A.B. Tombouctou, fol.38. (13)

Page 372: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

371

YERKOY Talfī, al-Ta’yīdāt al-Rabbāniyya li al-ǧamā‘a al-Tiǧāniyya, n°862, 1979.

I.H.E.R.I.A.B. Tombouctou. fol.1. (14)

Page 373: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

372

TAL ‘Umar, Taḏkirat al- ġāfilīn ’an qubḥ ‘iẖtilāfi al- mu‘minī, ms., n°1328, s.d.

I.H.E.R.I.A.B. Tombouctou, fol.1. (15)

Page 374: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

373

SU‘AD Muḥammad ‘Abdullah, Tark al-dunyā, ms., n°5882, s.d. I.H.E.R.I.A.B.

Tombouctou, fol.1.

(16)

Page 375: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

374

IBN ṬAHIR Nūḥ, Ḥaṣā’iṣ al-Nabī, ms., n°8912, s.d. H.E.R.I.A.B, Tombouctou, f.1.

(17)

Page 376: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

375

PERÈǦO Muḥammad ‘Alī, Fatḥ al-Ṣamad fī ḏikr šay’in min aẖlāq šayẖinā Aḥmad,

ms., n° 5285, s.d. I.H.E.R.I.A.B. Tombouctou, f.1.

(18)

Page 377: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

376

MUḤAMMAD Āmadu Āmadu, Bayān mā ǧarā, ms., n°27, 1967. I.H.E.R.I.A.B.

Tombouctou, fol.1 (19)

Page 378: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

377

Cheikh Hamallah, Risāla, ms., n°6611, s.d. I.H.E.R.I.A.B, Tombouctou, fol.1.

(20)

Page 379: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

378

MUḤAMMAD Yaḥyā ibn Sulaym, Qaṣīdat ḏamm al-ḥamawiyya wa ’atbā‘ihā,

ms., n°5118, s.d. I.H.E.R.I.A.B. Tombouctou, f.1.

(21)

Page 380: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

379

Lettre écrite par guide spirituel de Dilly,Sīdī Muḥammad Modibo Kane (m.1990) en

réponse au guide spirituel de Tombouctou, Maḥmūd Ibn Muḥammad Hamu,559 dans

laquelle il donne un résumé sur la vie son grand-père, le célèbre maître spirituel qādirī,

Muḥammad ‘Abdullah Su‘ād (m.1852). Ce dernier très jeune (16 ans) entama ses

voyages d’étude et atteignit Macina en 1831 sous le règne du cheikh Āmadu, le

fondateur du régime musulman du Macina. Voir la suite de la lettre dans la page

suivante : (22)

559 Archives privées du cheikh Hamu. Voir l’un de ses ouvrages étudié, supra.p.297.

Page 381: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

380

Page 382: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

381

La chaîne spirituelle, silsila, du cheikh qādirī Al-Bakkay Tal, l’un de nos principaux

informateurs résident de Diougani. La plupart d’habitants des pays Gondo (zone peule

dans la région de Koro) sont sous son autorité spirituelle. Son maître spirituel Ṭayfūr

DEGOGA (m.1986) contribua grandement à l’islamisation des pays Dogon Entretien et

réception de la silsila le 28/8/2011. (23)

Page 383: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

382

ANNEXE (B)

Extraits d’Archives Nationales du Mali

Page 384: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

383

Circulaire du 7 juin 1945 annonçant officiellement le décès du cheikh Hamallah

(1)

Page 385: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

384

Document d’Archives résumant le parcours du cheikh Hamallah à partir des

évènements de Nioro-Assaba en août 1940 jusqu’à son décès à Montluçon

janvier 1943.

(2)

Page 386: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

385

Motion déposée le 8/11/1952 par les conseillers généraux de Nioro, BA Amadou,

TRAORE Amadou et YATTASSAYE Amadou, invitant le Gouvernement à accorder

un secours aux enfants mineurs du Chérif Hamallah.

(3)

Page 387: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

386

Note du capitaine Cardaire indiquant que la responsabilité de Hamallah était moins engagée

dans les incidents de Nioro-Assaba en 1940. s.d.

(4)

Page 388: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

387

Dépêche à l’attention du Ministre français des Affaires étrangères M. Delcassé envoyée par le

consul général de France au Caire, M. Cogordan pour annoncer une nouvelle recrudescence

concernant les campagnes entreprises par certains journaux égyptiens contre la politique

musulmane de France en Afrique, le 21 novembre 1900.

(5)

Page 389: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

388

Dépêche du Ministre des Colonies au Gouverneur général de l’A.O.F. lui demandant de

redoubler la surveillance sur les prêcheurs étrangers susceptibles d’influencer les

ressortissants musulmans de l’A.O.F. le 19 Janvier 1901.

(6)

Page 390: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

389

Arrêté instituant un Comité Consultatif des Affaires Musulmanes, le 28 avril 1916.

(7)

Page 391: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

390

Décision du 28 avril 1916 portant la désignation des membres indigènes du Comité

Consultatif des Affaires Musulmanes.

(8)

Page 392: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

391

Dépêche du Gouverneur de l’A.O.F, CLOZEL au Gouverneur du Haut-Sénégal et Niger lui

demandant de transmettre des lettres aux membres indigènes de sa colonie siégeant dans le

Comité Consultatif des Affaires Musulmanes, le 15 mai 1916.

(9)

Page 393: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

392

Dépêche du Ministère des Colonies du 10 janvier 1903 interdisant le pèlerinage à la Mecque

(10)

Page 394: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

393

ANNEXE (C)

Photos illustratives

Page 395: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

394

La tombe de Hamallah à Montluçon (France) dans le cimetière de l’Est,

visitée le 13 février 2010.

(1)

Page 396: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

395

La maison à Tombouctou où séjourna l’explorateur français René Caillié (m.1838) en

avril-mai 1828, visitée le 30 juillet 2011.

(2)

Page 397: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

396

La maison à Tombouctou où séjourna l’explorateur britannique, Alexandre

Gordon Laing. Il atteignit Tombouctou le 18 août 1826, mais fut étranglé par ordre

d'un cheik fanatique le 28 septembre 1826, visitée le 30 juillet 2011.

La maison à Tombouctou où séjourna le troisième explorateur européen l’allemand

Henri Barth (m.1865) en 1853, visitée le 30 juillet 2011. Dr Barth fut protégé par

cheikh al-Bakkay, le guide suprême de la Qādiriya muẖtāriyya contre les exactions du

régime musulman du Macina.

(3)

Page 398: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

397

Carte du Mali d’aujourd’hui

(4)

Page 399: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

398

TABLE DES MATIERES

REMERCIEMENTS………………………………………………………………1

SIGLES ET ABREVIATIONS……………………………………………………2

SYSTEME DE TRANSLITERATION…………………………………………...3

SOMMAIRE………………………………………………………………………..4

INTRODUCTION …………………………………………………………………6

PREMIERE PARTIE : LE SOUFISME AU MALI DURANT LA PERIODE

PRECOLONIALE (1800- 1878)…………………………………………………15

CHAPITRE I : METHODOLOGIE ET LA CRITIQUE DES SOURCES…..16

CHAPITRE II : L’AVENEMENT DU SOUFISME AU MALI ………………29

1. Aperçu historique de l’islam au Mali…………………………………………29

1.1. L’Empire du Ghana et la diffusion de l’islam……………………………… ..30

1.2. L’Empire du Mali et l’expansion de l’islam…………………………………..31

1.3. L’Empire Songhay et la propagation de l’islam………………………………32

2. L’apparition du soufisme au Mali…………………………………………….35

2.1. Les traces du soufisme dans le Tārīẖ al-fattāš……………………………………35

2.2. Les traces du soufisme dans le Tārīẖ al-Sūdān………………………………..…36

3. Le soufisme et la religion ancienne du Mali………………………………….40

CHAPITRE III : LA QADIRIYYA ET LA TIǦANIYYA AU MALI DURANT

LA PERIODE PRECOLONIALE ……………………………………………...44

I- La Qādiriyya, première tarîqa au Mali……………………………………….44

1- Les qādirīs et la propagation de l’islam au Mali……………………………….49

1.1. Sīdī al-Muẖtār al-Kabīr (m.1811), fondateur de la Muẖtāriyya au Mali……50

Page 400: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

399

1.2. Āmadu Hammadi Bubu (m. 1845), fondateur du régime musulman ……...58

II- La Tiǧāniyya, une deuxième branche soufie au Mali……………………….65

1. Les tiǧānīs et l’expansion de l’islam au Mali…………………………………...72

1.1. Al-Ḥāǧ ‘Umar Tal (1797-1864) et la diffusion de la Tiǧāniyya au Mali…….72

1.2. al-Muẖtār ibn Yerkoy Talfī (m. 1864) et la diffusion de la voie tiǧānīe au

Mali………………………………………………………………………………...80

CHAPITRE IV : LES OUVRAGES DES SOUFIS DE PREMIER PLAN AU

MALI ET LEUR PORTEE………………………………………………………83

I- Les œuvres des soufis qādirīs……………………………………………………83

1. Les œuvres de Sīdī al-Muẖtār al-Kabīr, instaurateur de la Qādiriyya au

Mali………………………………………………………………………………...83

1.1.Ǧaḏwat al-Anwār fī al-ḏabb an manāṣib awlyā’ Allāh al-aẖyār : Braise

incandescente pour la défense de la place des saints élus d’Allah…………………84

1.2. Al-Kawkab al-waqqād fī ḏikr Fadā’il al-mašāyiẖ wa ḥaqā’iq al-awrād : Etoile

étincelante en l’honneur des mérites des cheikhs, et de leurs formules

d’invocation…………………………………………………………………………………85

1.3. Kašf al-labs fīmā bayna al-rūḥ wa al-nafs : Lever le voile sur l’amalgame qui

se fait entre l’âme et l’esprit………………………………………………………………87

2. L’œuvre du cheikh Āmadu, fondateur du régime musulman du Macina..89

2.1. Al-iḍṭirār ilā Allāh fī iẖmād ba‘ḍ mā tawaqqad min al-bida‘ wa ḥyā’ ba‘d mā

indarasa min al-sunan : S’en remettre à Dieu pour éteindre les innovations

religieuses et ressusciter les sunnas disparues…………………………………………89

3. L’œuvre de Muḥammad ibn ‘Alī Perèǧo, guide spirituel qādirī…………...95

3.1. Fatḥ al-Ṣamad fī ḏikr šy’in min aẖlāq šayẖinā Aḥmad : Ouverture à Allah le

Seul à être imploré, pour évoquer les attributs de notre cheikh Aḥmad……….…..95

Page 401: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

400

4. L’œuvre du cheikh al-Bakkay, maître spirituel qādirī……………….……99

4.1. Buġyat al-ulf fī ǧawāb Ibn Yerkoy Talfī : Quête de convergence dans la réponse

à Ibn Yerkoy Talfī………………………………………………………………………….99

II- Les œuvres des soufis tiǧānīs…………………………………………………104

5. L’œuvre d’al-Ḥāǧ ‘Umar Tal, guide supême de la Tiǧāniyya au Mali…..104

5.1. Rimāḥ ḥizb al-raḥīm alā nuḥūri ḥizb al-raǧīm : Lance du parti du Tout

Miséricordieux sur les nuques du parti du Satan banni……………………………104

6. Les œuvres d’Ibn Yerkoy Talfī, guide spirituel tiǧānī……………………...107

6.1. al-Ta’yīdāt al-Rabbāniyya li al-ǧamā‘a al-Tiǧāniyya : Soutien divin accordé à

la confrérie tiǧānīe………………………………………………………………………..107

6.2. Tabkiyat al-Bakkay : Faire pleurer al-Bakkay………………………………….111

DEUXIEME PARTIE : LE SOUFISME AU MALI DURANT A LA PERIODE

COLONIALE (1878-1960)……………………………………………………...118

CHAPITRE I : LA COLONISATION FRANÇAISE ET LA RESISTANCE

ARMEE DES SOUFIS…………………………………………………………..119

1. Intrusion coloniale au Mali…………………………………………………..119

2. La résistance des soufis face aux colonisateurs français…………………..121

2.1. Mamadou Lamine Dramé (m. 1887), un tiǧānī résistant……………………121

2.2. Āmadu al-Ḥāǧ cheikh ‘Umar Tal (m 1898), un tiǧānī résistant…………….123

2.3. Samori Touré (m.1900), un qādirī résistant…………………………………124

2.4. Zayn al-‘Ābidīn ibn Sīdī Muḥammad al-Kuntī (m. 1927), un qādirī

résistant…………………………………………………………………………...128

CHAPITRE II : APPARITION ET EMERGENCE DE NOUVELLES VOIES

SPIRITUELLES DURANT LA PERIODE COLONIALE AU MALI………132

Page 402: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

401

I. Le Hamallisme et la résistance pacifique face au colonialisme (1909-

1943)……………………………………………………………………………...132

1-Cheikh Ahmed Hamallah ibn ‘Umar (m. 1943)…………………………….132

2-Le Hamallisme, une nouvelle tarîqa au Mali………………………………...135

3- La résistance pacifique de cheikh Hamallah face à l’administration

coloniale…………………………………………………………………………..141

3.1. Internement de Hamallah à Mederdra (1926) …………………………….…142

3.2. Incarcération de Hamallah à Adzopé (1930)……………………………...…145

3.3. Question de la prière abrégée de Hamallah après son retour à Nioro (1936)..145

3.4. Fratricide de Nioro-Assaba (1940)…………………………………………..149

3.5. Arrestation et exil de Hamallah en France (1941-1943)……………………..151

II. Tarbiya, une nouvelle tarîqa au Mali pendant la période coloniale………157

1. Cheikh Māḥin ibn Muḥammad ‘Arabī Haïdara (m.1991)……………………..157

2. Tarbiya, ou voie d’éducation spirituelle intensive……………………………158

3. Tarbiya et l’administration coloniale…………………………………………..160

III. Apparition de la Salafiyya au Mali, un courant anti-confrérique et

anticolonial……………………………………………………………………….161

1. La Salafiyya et ses promoteurs au Mali………………………………………..162

2. Salafiyya et spiritualité au Mali………………………………………………..163

3. Salafiyya et administration coloniale…………………………………………172

CHAPITRE III : LES ENJEUX DU COLONIALISME ET LES

REPERCUSSIONS DE LA COLONISATION SUR LE PLAN

RELIGIEUX……………………………………………………………………..177

Page 403: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

402

1. Mise en place des institutions musulmanes par l’administration coloniale……179

2. Surveillance étroite de l’enseignement religieux par le régime colonial………182

3. Contrôle des guides spirituels par les colonisateurs……………………………183

TROISIEME PARTIE : LE SOUFISME AU MALI PENDANT LA PERIODE

POSTCOLONIALE……………………………………………………………..190

CHAPITRE1 : L’INDEPENDANCE DU MALI EN 1960 ET L’EXPANSION

DU SOUFISME………………………………………………………………….191

1. Le rôle des soufis dans la lutte pour l’indépendance du Mali……………..193

2. Les voies et stratégies de diffusion du soufisme dans le Mali

indépendant……………………………………………………………………...196

2.1 . La personnalité des guides soufis dans l’expansion du soufisme au Mali…196

2.1.1. Muḥammad uld Hamallah (1938-), un maitre spirituel hamalliste………..197

2.1.2. Amadou Hampaté Ba (m.1991), un guide spirituel hamalliste…………….198

2.1.3. Muḥammad Tunkara (m. 2012), un leader spirituel tiǧānī………………...200

2.1.4. Sa‘d ‘Umar Touré (m.1997), un guide spirituel tiǧānī……………………..201

2.1.5. Ousmane Madani Haidara (1955-), un maitre spirituel tiǧānī……………..202

2.1.6. Bilal ‘Alī Diallo ( ?-), un guide spirituel qādirī……………………………205

2.1.7. Lassana Kané ( ?-), un guide spirituel qādirī………………………………206

2.2 . Le rôle des disciples dans l’expansion du soufisme……………………….208

2.2.1. Les disciples hamallistes…………………………………………………...208

2.2.2. Les disciples non hamallistes………………………………………………210

2.3 . La place des zâwiyas dans la diffusion du soufisme………………………..210

2.4 . L’impact des medersas sur la propagation du soufisme……………………212

Page 404: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

403

2.5 . La rencontre annuelle des soufis au Mali (ziyāra)…………………………214

2.5.1. Ziyāra de Nioro fief des hamalliste……………………………215

2.5.2. Ziyāra de Tamani, berceau du guide spirituel des anṣārīs………………...216

2.5.3. Ziyāra de Wouroboubou, fief des qādirīs………………………………….217

2.5.4. Ziyāra de Dilly, centre influent des qādirīs………………………………...218

2.6 . Les grandes conférences des soufis au Mali………………………………...224

2.7 . Les technologies de communication modernes dans la diffusion du

soufism……………………………………………………………………………227

2.7.1. Sites internet des soufis maliens……………………………………....227

2.7.2. Radios des soufis maliens………………………………………………….230

CHAPITRE II : LES FORMES DE PRESENCE POLITIQUE ET SOCIALE

DES SOUFIS DANS LE MALI INDEPENDANT…………………………….232

1. Présence politique des soufis dans le Mali d’aujourd’hui………………….232

1.1. Les Codes et la défense des valeurs musulmanes……………………….…..238

1.1.1. Le Code malien des personnes et de la famille……………………………238

a. Les articles contestés concernant la filiation de l’enfant naturel………………241

b. Les articles contestés relatifs à la succession…………………………….……242

c. Les articles contestés concernant le mariage et sa dissolution ……………….243

1.1.2. Le code pénal malien et la peine de mort…………………………………..249

a. Le cas d’homicide volontaire…………………………………………………..249

b. Le cas d’atteinte contre la sûreté d’Etat……………………………………….250

c. Le vol effectué dans certaines conditions…………………………………….250

1.2. Intervention des soufis auprès du pouvoir public en matière religieuse…...252

2. Actions sociales des soufis au Mali………………………………………….254

2.1. Construction d’hôpitaux par les guides spirituels………………………….255

2.2. Lutte contre certaines maladies par les maîtres spirituels………………….256

Page 405: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

404

2.3. Distribution de vivres aux nécessiteux par les soufis…………………..……257

2.4. Lutte contre la mendicité des talibés par les leaders spirituels………………259

2.4.1. La mendicité et le code pénal malien ……………………………………...260

2.4.2. L’intervention des soufis…………………………………………………...262

CHAPITRE III : LES ŒUVRES INTELLECTUELLES DES SOUFIS

D’AUJOURD’HUI ET LEUR PORTEE………………………………………266

1. Les œuvres mystiques d’Amadou Hampâte Bâ (m.1991) et leur portée….266

1.1. Vie et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara………….……266

1.2. Jésus vu par un musulman…………………………………………………….……277

2. Sa‘d Umar Touré (m.1997) son ouvrage et sa portée………………………280

2.1. al-’Aḍwā’ al-ṣāfia ‘alā al-’awrād al-tiǧāniyya : Les lumières luisantes sur les

invocations tiǧānīes…………………………………………………………………….…280

3. Les ouvrages de Bilal Diallo ( ?-) et leur portée…………………………….285

3.1. Sourate Ikhlaç………………………………………………………………………..285

3.2. A la lumière du soufisme……………………………………………………………289

3.3. La Tijania, voie spirituelle du cheikh Ahmed Tijane………………………...…295

3.4. Ayatal Koursi, le verset du Trône………………………………………….………296

4. L’ouvrage du cheikh Mahmūd Muḥammad Hamū ( ?-) et sa portée……297

4.1. al-Mawāqif wa al-ẖuṭwāt fī ’uṣūl al-’awrād wa ‘ādāb al-da‘awāt min’aḥādīṯ

Sayyid al-sādāt : Etapes et démarches sur les fondements des formules des prières

et recommandations pour les bénédictions à partir des hadiths……………….…297

CONCLUSION ………………………………………………………………….315

BIBLIOGRAPHIE………………………………………………………………326

INDEX DES TERMES SOUFIS …………………………………………......346

INDEX DES NOMS DE PERSONNES……………………………….…349

Page 406: LE SOUFISME AU MALI DU XIX SIECLE A NOS JOURS

405

INDEX DES NOMS GEOGRAPHIQUES…………………………....…350

ANNEXE A ……………………………………………………………………...353

ANNEXE B ……………………………………………………………………...378

ANNEX C ………………………………………………………………………..389

TABLE DES MATIERES………………………………………………………394