le secteur privé contribue-t-il à améliorer les systèmes de santé des pays en développement ?

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Secteur Privé & Développement N° 17 / Juillet 2013 Le secteur privé contribue-t-il à améliorer les systèmes de santé des pays en développement ? La couverture universelle, objectif du renforcement des système de santé Riku Elovainio OMS 2 Complémentarité des secteurs public et privé de santé au Brésil Carlos Alberto Marsal et Paulo Chapchap HSL 6 Des partenariats au service de soins de qualité Connor Spreng Banque mondiale 9 Comment répondre aux besoins de financement des prestataires de soins Philippe Renault et Magali Rousselot Agence française de développement Proparco 12 Chiffres clés La santé en chiffres 16 Amener le secteur privé de la santé à aider les plus démunis : bon sens ou optimisme aveugle ? Anna Marriott et Marame Ndour OXFAM 18 La santé dans les pays en développement : des opportunités pour le secteur privé Jacob Kholi et Ruth Wanjiru Africa Health Fund 21 Des soins abordables et de qualité pour les populations indiennes les plus défavorisées Anant Kumar LIFESPRING 25 & Secteur Privé Développement LA REVUE DE PROPARCO Les progrès des pays en développement en matière de santé sont indéniables. Pourtant, le secteur a besoin de financements supplémentaires pour répondre à des besoins croissants. Quel rôle pour l’investissement privé ? ÉDITORIAL PAR JEAN-CLAUDE BERTHÉLEMY PROFESSEUR D’ÉCONOMIE, UNIVERSITÉ DE LA SORBONNE Entre 1990 et 2010, d’indéniables progrès ont été réalisés en matière sanitaire dans les pays en développement. Mais beaucoup reste à faire – en particulier en Afrique, où les objectifs du millénaire pour le développement en matière de santé ne seront pas atteints. Avec 11 % de la population mondiale, le continent africain représente 24 % de la morbidité totale. Améliorer l’état de santé de la population requiert de prendre toute la mesure de la dimension sociale du problème. L’amélioration générale de l’espérance de vie et de la santé masque le fait qu’une part importante de la population n’a pas accès à ces progrès, notamment au sein des couches les plus pauvres de la population. En Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, seules 5 à 10 % des personnes sont couvertes par une protection sociale organisée (contre 20 à 60 % dans les pays à revenus moyens). Cela explique en partie qu’à peu près la moitié des dépenses de santé sont directement pris en charge par les patients eux-mêmes. Dans le monde, 100 millions de personnes basculent ainsi au-dessous du seuil de pauvreté chaque année pour avoir dû payer leurs dépenses de santé. Pour répondre à ces défis, il est essentiel d’investir massivement dans les systèmes de santé. Dans les 49 pays les plus pauvres, les besoins de financement du secteur pour la période 2011-2015 sont estimés à 169 milliards de dollars. Même soutenus par un apport croissant d’aide au développement dans le secteur de la santé, les gouvernements des pays en développement ont les plus grandes difficultés à faire face à ces besoins et à organiser l’offre de soins. Le secteur privé peut et doit participer à cet indispensable effort d’investissement. Qu’il s’agisse de fourniture de médicaments, de soins ambulatoires ou même d’hospitalisation, des initiatives innovantes du secteur privé, parfois en partenariat avec des bailleurs de fonds publics, contribuent à développer une offre de services de santé de bonne qualité à des prix abordables. On ne peut toutefois pas compter dans ce domaine sur une stratégie du tout-privé. Il est ici indispensable que les États réglementent et encadrent les pratiques du secteur privé, et interviennent au niveau du financement des dépenses de soins de la population non solvable. Dans le domaine de la santé en particulier, la recherche de solutions doit donc passer par un partenariat public-privé pour que chaque acteur puisse, à la mesure de ses moyens et de ses compétences, apporter sa contribution dans le respect de ses objectifs et de ses atouts respectifs.

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Revue Secteur Privé & Développement de Proparco n° 17 Publication unique en son genre, Secteur Privé & Développement (SP&D) est une revue trimestrielle destinée à analyser et à comprendre les mécanismes par lesquels le secteur privé peut contribuer au développement des pays du Sud. Les progrès des pays en développement en matière de santé sont indéniables. Pourtant, le secteur a besoin de financements supplémentaires pour répondre à des besoins croissants. Quel rôle pour l’investissement privé ?

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Page 1: Le secteur privé contribue-t-il à améliorer les systèmes de santé des pays en développement ?

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Secteur Privé & Développement

N° 17 / Juillet 2013

Le secteur privé contribue-t-il à améliorerles systèmes de santé des pays en développement ?

La couverture universelle, objectif du renforcement des système de santéRiku Elovainio

OMS 2

Complémentarité des secteurs public et privé de santé au BrésilCarlos Alberto Marsal

et Paulo Chapchap

HSL 6

Des partenariats au service de soins de qualitéConnor Spreng

Banque mondiale 9

Comment répondre aux besoins de financement des prestataires de soins Philippe Renault

et Magali Rousselot

Agence française de développement Proparco

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Chiffres clésLa santé en chiffres

16

Amener le secteur privé de la santé à aider les plus démunis : bon sens ou optimisme aveugle ? Anna Marriott et Marame Ndour

OXFAM 18

La santé dans les pays en développement : des opportunités pour le secteur privé Jacob Kholi et Ruth Wanjiru

Africa Health Fund 21

Des soins abordables et de qualité pour les populations indiennes les plus défavorisées Anant Kumar

LIFESPRING 25

&Secteur Privé DéveloppementLa revue de proparco

Les progrès des pays en développement en matière de santé sont indéniables. Pourtant, le secteur a besoin de financements supplémentaires pour répondre à des besoins croissants. Quel rôle pour l’investissement privé ?

ÉDITORIAL PAR jeAn-CLAuDe BeRThÉLemy PROfesseuR D’ÉCOnOmIe, unIveRsITÉ De LA sORBOnne

Entre 1990 et 2010, d’indéniables progrès ont été réalisés en matière sanitaire dans les pays en développement. Mais beaucoup reste à faire – en particulier en Afrique, où les objectifs du millénaire pour le développement en matière de santé ne seront pas atteints. Avec 11 % de la population mondiale, le continent africain représente 24 % de la morbidité totale. Améliorer l’état de santé de la population requiert de prendre toute la mesure de la dimension sociale du problème. L’amélioration générale de l’espérance de vie et de la santé masque le fait qu’une part importante de la population n’a pas accès à ces progrès, notamment au sein des couches les plus pauvres de la population. En Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, seules 5 à 10 % des personnes sont couvertes par une protection sociale organisée (contre 20 à 60 % dans les pays à revenus moyens). Cela explique en partie qu’à peu près la moitié des dépenses de santé sont directement pris en charge par les patients eux-mêmes. Dans le monde, 100 millions de personnes basculent ainsi au-dessous du seuil de pauvreté chaque année pour avoir dû payer leurs dépenses de santé. Pour répondre à ces défis, il est essentiel d’investir massivement dans les systèmes de santé. Dans les 49 pays les plus pauvres, les besoins de financement du secteur pour la période 2011-2015 sont estimés à 169 milliards de dollars. Même soutenus par un apport croissant d’aide au développement dans le secteur de la santé, les gouvernements des pays en développement ont les plus grandes difficultés à faire face à ces besoins et à organiser l’offre de soins.Le secteur privé peut et doit participer à cet indispensable effort d’investissement. Qu’il s’agisse de fourniture de médicaments, de soins ambulatoires ou même d’hospitalisation, des initiatives innovantes du secteur privé, parfois en partenariat avec des bailleurs de fonds publics, contribuent à développer une offre de services de santé de bonne qualité à des prix abordables. On ne peut toutefois pas compter dans ce domaine sur une stratégie du tout-privé. Il est ici indispensable que les États réglementent et encadrent les pratiques du secteur privé, et interviennent au niveau du financement des dépenses de soins de la population non solvable. Dans le domaine de la santé en particulier, la recherche de solutions doit donc passer par un partenariat public-privé pour que chaque acteur puisse, à la mesure de ses moyens et de ses compétences, apporter sa contribution dans le respect de ses objectifs et de ses atouts respectifs.

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Le secteur privé contribue-t-il

à améliorer les systèmes de

santé des pays en développement ?

La couverture universelle, objectif du renforcement des systèmes de santé Alors que tous les pays sont confrontés à des problèmes de santé, la situation est plus grave dans les pays les plus vulnérables. Tout en continuant à lutter contre les grandes maladies transmissibles, les problèmes de santé maternelle et infantile, ces pays doivent également supporter le fardeau de plus en plus lourd des maladies non transmissibles. Dans ce contexte, le passage à une couverture maladie universelle est devenu un objectif essentiel pour le renforcement des systèmes de santé.

L es Objectifs du Millénaire pour le déve-loppement (OMD) doivent être atteints d’ici moins de 1 000 jours. Établis pour

orienter les efforts mondiaux en matière de développement, ces objectifs sont assortis de cibles quantifiables pour mesurer le degré de progression dans les différents secteurs (Nations Unies, 2000). La santé constitue un domaine à part entière du programme des OMD (Tableau 1), mais elle intervient égale-ment indirectement dans les autres objectifs. Elle est considérée comme étant essentielle à la mise en place d’un développement socio-économique équitable, tant au niveau des

individus qu’au niveau des pays (Banque mondiale, 1993 ; OMS, 2001 ; Bloom et alii, 2011). Bon nombre de pays, parmi les plus vul-nérables, ont vu récem-ment leur situation sani-taire évoluer positivement. Ainsi, entre 1990 et 2011, le taux mondial de morta-lité des moins de cinq ans a reculé de 41 % et le ratio de mortalité maternelle de 47 % entre 1990 et 2010. Les progrès les plus spec-taculaires proviennent de la région du Paci-fique occidental de l’OMS (Figure  1). Beaucoup de pays ont également accom-pli de notables progrès dans le traitement et le contrôle de certaines grandes mala-dies, telles que le VIH/Sida, la tuberculose et le palu-

Riku Elovainio économiste, Organisation mondiale de la Santé disme. Le nombre de personnes vivant avec le

VIH et ayant accès aux traitements antirétro-viraux a ainsi progressé de 63 % entre 2009 et 2011 (ONUSIDA, 2012). Le taux de mor-talité par tuberculose a, lui, chuté de 41 % au niveau mondial depuis 1990 (OMS, 2012). Ces résultats impressionnants ne doivent toutefois pas masquer les disparités exis-tantes entre différentes régions du monde et au sein de chaque pays. Plu-sieurs pays vulnérables n’atteindront probable-ment pas les objectifs du Millénaire (Nations Unies, 2012A). Ils sont par ailleurs confrontés à des problèmes de santé qui ne sont pas directement pris en compte par les OMD. En effet, le poids des maladies non transmissibles générées par les évolutions épidémiologiques et démogra-phiques s’accroît. Selon les estimations, 80 % des décès par maladies non transmissibles se produisent dans des pays à revenus faibles ou moyens et concernent une population plus jeune qu’ailleurs : 29 % de ces décès se pro-duisent avant 60 ans, contre 13 % dans les pays à revenus élevés (OMS, 2011).

Identifier les besoins des systèmes de santéDans beaucoup de pays en développement, les systèmes de santé sont sous-développés.Cela s’explique par des choix d’investisse-ment privilégiant les soins spécialisés au dé-triment des soins primaires, mais aussi par la pénurie globale de professionnels de santé et la difficulté à les maintenir dans les ré-gions reculées. En 2006, le déficit était éva-lué à 4,3 millions de professionnels de san-té ; 57 pays (dont 39 en Afrique) comptent moins de 23 professionnels pour 10 000

Riku Elovainio, est économiste ; il a suivi par ailleurs une formation en anthropologie sociale. Il travaille depuis 2007 au département Financement des systèmes de santé de l’organisation mondiale de la Santé (OMS). Dans le cadre de ses travaux, Riku Elovainio a notamment étudié les politiques de financement, l’approche contractuelle et le financement des systèmes de santé basé sur la performance.

RIku eLOvAInIO

« Plusieurs pays vulnérables n’atteindront probablement pas les objectifs du Millénaire. »

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habitants (OMS, 2006). Lorsque les moyens sont limités, des contraintes structurelles (comme des infrastructures inadaptées, par exemple) pèsent sur la qualité des soins de santé. Les systèmes d’information sanitaire sont par ailleurs souvent dans l’incapacité de fournir les données qui permettraient de procéder aux ajustements et aux réformes des politiques de santé qui s’imposent. Le coût des médicaments, leur disponibilité et leur qualité sont aussi problématiques dans nombre de pays vulnérables1. D’autres problèmes affectent les systèmes de santé dans leur ensemble, de manière transversale. Les mécanismes mêmes de fi-nancement de la santé sont parfois iniques : dans certains pays, ils font peser le coût des soins directement sur les ménages. Par ail-leurs, l’accès aux services est inégal. Enfin,

les causes de l’inefficacité des systèmes de santé sont nombreuses, qu’il s’agisse d’une mauvaise efficacité technique ou d’une faible efficacité allocative – com-prise ici comme l’ensemble

des interventions de santé assurées au bon moment et au bon endroit qui per-mettent d’améliorer sensiblement la santé de la population au regard des ressources disponibles.

Des ressources insuffisantesLe fardeau que représentent les maladies dans les pays les plus vulnérables est encore alourdi par le faible niveau des revenus natio-naux, le caractère informel des économies et les ressources limitées - autant de facteurs qui restreignent la capacité des pays à agir sur les grands problèmes de santé et les facteurs de

risque. Un rapport de 2009 édité par le High Level Task Force for Innovative International Financing for Health Systems estimait que, d’ici à 2015, les pays à faibles revenus devraient en moyenne consacrer 60 dollars par personne et par an pour assurer la couverture d’un en-semble relativement limité de soins de base - aujourd’hui, ils n’y consacrent en 2010 que 32 dollars par habitant2 (Figure 2). Les dépenses totales de santé sont calculées en prenant en compte à la fois les dépenses qui sont à la charge des ménages pour l’accès aux services de santé, les fonds résultant de la mise en commun de cotisations prépayées (impôt, autres recettes publiques ou primes d’assurance) et les fonds externes dans les pays bénéficiant d’une aide internationale pour la santé. Lorsque les systèmes de cotisation et de mutualisation sont peu développés, les patients n’ont pas d’autre recours que de les payer de leur poche. Ces dépenses peuvent les conduire au-dessous du seuil de pauvreté. Elles en découragent d’autres de se faire soigner ou de poursuivre leur traitement. Les pays les plus pauvres, en raison du faible montant de leurs dépenses publiques pour la santé, sont ceux où les frais de santé pèsent le plus sur les ménages : elles représentent près de 50 % des dépenses totales de santé dans les pays à faibles revenus, contre 30 à 35  % dans les pays à revenus moyens et 20 % dans les pays à revenus élevés.Les dépenses publiques consacrées à la santé dans les pays à faibles revenus - qu’elles

« Lorsque les moyens sont limités, des

contraintes structurelles (…) pèsent sur la qualité

des soins de santé. »

Tableau 1 : les objecTifs du Millénaire pour la sanTé

Source : Nations unies, 2001/2002

1 Les données disponibles concernant les pays à faibles revenus et à revenus moyens pour la période 2007-2011 montrent que - en dépit des initiatives internationales reposant sur des financements publics et privés tels que le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et UNITAID -, la disponibilité d’une sélection de médicaments essentiels était, en moyenne, de 51,8 % dans les établissements de santé publics et de 68,5 % dans les établissements privés (Nations unies, 2012B) 2 Cette somme couvre l’ensemble des sources de financement, internes et externes. Ces dernières représentent en moyenne 28 % des dépenses totales de santé de ces pays.

Objectifs concernant la santé Cibles liées à ces objectifs

Objectif 4 – Réduire la mortalité infantile

Cible 4.A : réduire de deux tiers, entre 1990 et 2015, le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans

Objectif 5 – Améliorer la santé maternelle

Cible 5.A : réduire de trois quarts, entre 1990 et 2015, le taux de mortalité maternelle

Cible 5.B : rendre universel l’accès à la médecine procréative d’ici à 2015

Objectif 6 – Combattre le VIH /Sida, le paludisme et d’autres maladies

Cible 6.A : d’ici à 2015, avoir enrayé la propagation du VIH/Sida et avoir commencé à inverser la tendance actuelle

Cible 6.B : d’ici à 2010, assurer à tous ceux qui en ont besoin l’accès aux traitements contre le VIH/Sida

Cible 6.C : d’ici à 2015, avoir maîtrisé le paludisme et d’autres maladies graves et commencer à inverser la tendance actuelle

Objectif 8 – Mettre en place un partenariat mondial pour le développement

Cible 8.E : en coopération avec l’industrie pharmaceutique, rendre les médicaments de base disponibles et abordables dans les pays en développement

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santé des pays en développement ?

soient exprimées en valeur absolue ou rapportées au PIB - restent généralement très faibles. Elles s’élèvent en moyenne à 2,4  % du PIB et à 12 dollars par habitant dans les pays à faibles revenus3, contre 6,8 % du PIB et 2 400 dollars par habitant dans les pays de l’OCDE. Très peu de pays de l’Union africaine ont consacré 15 % de leur budget à la santé, comme ils s’y étaient engagés lors de la déclaration d’Abuja en 2001 (Organiza-tion of African Unity, 2001).Le financement externe par les partenaires de développement est crucial pour combattre l’insuffisance des ressources en matière de santé. Le niveau de ces financements pour la santé a pratiquement triplé entre 2000 et 2011, passant de 11 à 28 milliards de dollars.

Il est absolument néces-saire que les efforts inter-nationaux pour soutenir les pays dont les ressources sont les plus limitées se poursuivent. Cependant, au regard des objectifs à long terme, ce sont les ef-forts des États eux-mêmes

pour renforcer leurs systèmes de santé et leurs financements internes qui détermine-ront si l’on parviendra ou non à l’instauration d’une couverture universelle et à l’améliora-tion des résultats en matière de santé.

Le rôle du secteur privé dans la mise en place des stratégies visant une couverture universelle de santéLa couverture universelle de santé est la fi-nalité du renforcement des systèmes de san-té. Elle repose sur deux piliers : que tout le monde puisse avoir accès à des soins de qua-lité (qu’ils soient relatifs à des traitements ou

à de la prévention), et que le paiement de ces soins ne provoque pas un choc financier pour le ménage. Les mécanismes de contribution obligatoire, basés sur le pouvoir de taxation des États, visent à distribuer la charge finan-cière équitablement au sein de la population et à rendre les soins de santé accessibles et abordables pour tous. Le financement public est donc essentiel pour la mise en place d’une couverture universelle des soins de santé. Les mécanismes de financement volontaire (assurance maladie privée) complèteraient, dans certains contextes, le financement public et aideraient à réduire les dépenses à la charge des ménages. Ils pourraient tou-tefois entraver le financement croisé entre différents groupes de population - et rendre le système de financement moins équitable. S’agissant de l’offre de services, les réponses sont bien moins évidentes. Si le rôle de régu-lateur de l’État dans ce domaine constitue l’une des pierres angulaires d’un système de santé fonctionnant correctement, la plupart des pays ont adopté un modèle d’organi-sation des services de santé mixte. Dans ce domaine, aucun des deux secteurs, privé ou public, ne semble intrinsèquement supérieur à l’autre. La question principale n’est donc pas de savoir s’il faut favoriser l’un plutôt que l’autre, mais bien de trouver le meilleur équilibre entre privé et public afin d’assurer disponibilité, accessibilité, efficacité, équité et qualité des services. Le rôle du secteur privé dans le renforcement d’un système de santé - et, de là, dans la mise en place d’une couver-ture universelle -, dépend de son impact sur les principaux critères de performance (équi-

« Les dépenses publiques consacrées à la santé

dans les pays à faibles revenus (…) restent généralement très

faibles. »

3 Les chiffres des dépenses publiques de santé indiqués ici incluent une part des dépenses de santé provenant de sources externes mais gérées et déboursées par les autorités publiques.

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1990 1995 2000 2005 2011Source : OMS, 2012 Source : OMS, 2012

La couverture universelle objectif du renforcement des systèmes de santé

Evolution du taux de mortalité des moins de 5 ans (TM < 5 ans) pour les régions de l’OMS, 1990-2011 Evolution du taux de mortalité maternelle (TMM) pour les régions de l’OMS, 1990-2011

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figure 2 – évoluTion eT origine des dépenses ToTales de sanTé (dTs) par habiTanT dans les pays à faibles revenus

té, efficacité et qualité). Si l’offre de soins du secteur privé a parfois été considérée comme plus efficace et d’une meilleure qualité, les indications disponibles ne permettent pas vraiment de conclure - les résultats variant considérablement selon le contexte (Basu et alii, 2012 ; Montagu et alii, 2011). La stra-tégie consistant à utiliser des financements publics pour confier l’offre de services de santé au secteur privé a été employée par beaucoup de pays (Liu et alii, 2007). C’est le cas, par exemple, de nombreux pays africains subsahariens tels que le Bénin, le Ghana et la Zambie. Ils ont fait appel à des prestataires privés à but non lucratif qui, moyennant des financements publics (pour les salaires, les médicaments et les consommables), assurent des services de santé dans les régions où les

Références / Banque mondiale, 1993. Rapport sur le développement dans le monde : Investir dans la santé. Washington DC. / Basu, S., Andrews, J., Kishore, S., Panjabi, R., Stuckler, D., 2012. Comparative Performance of Private and Public Healthcare Systems in Low- and Middle-income Countries: A Systematic Review. PLoS Med. / Bloom, D.E., Cafiero, E.T., Jané-Llopis, E., Abrahams-Gessel, S., Bloom, L.R., Fathima, S., Feigl, 2011. The Global Economic Burden of Noncommunicable Diseases. Genève ; Forum Economique Mondial. / High Level Task Force for Innovative International Financing for Health Systems, 2009. More money for health, and more health for the money: final report. Geneva: International Health Partnership. / Liu, X., Hotchkiss, D., Bose, S., 2007. The impact of contracting-out on health system performance: a conceptual framework. Health Policy. / Montagu, DD., Anglemyer, A., Tiwari, M., Drasser, K., Rutherford, GW., Horvath, T., Kennedy, GE., Bero, L., Shah, N., Kinlaw, HS., 2011. Private versus public strategies for health service provision for improving health outcomes in resource-limited settings. Global Health Sciences, Université de Californie, San Francisco. / Nations Unies, 2000. 55ème session de l’assemblée générale des Nations unies, Résolution A/ RES/55/2: « Déclaration du Millénaire ». / Nations Unies, 2001. First annual report based on the ‘Road map towards the implementation of the United Nations Millennium Declaration’, document A/56/326 (6 septembre 2001). / Nations Unies, 2002. Implementation of the United Nations Millennium Declaration: Report of the Secretary-General. Document A/57/270. 31 Juillet 2002. disponible à l’adresse : http://www.un.org/millenniumgoals/sgreport2002.pdf / Nations Unies, 2012A. The Millennium Development Goals Report 2012. New York / Nations Unies, 2012B. Millennium Development Goal 8. The Global Partnership for Development: Making Rhetoric a Reality. MDG Gap Task Force Report 2012. New York. / ONUSIDA, 2012. Rapport mondial : rapport ONUSIDA sur l’épidémie mondiale de sida 2012. Genève. / Organization of African Unity, 2001. African Summit on HIV/AIDS, tuberculosis and other related infectious diseases. Abuja Declaration on HIV/AIDS, Tuberculosis and Other Related Infectious Diseases, 24–27 April 2001. (OAU/SPS/ ABUJA/3) / Organisation mondiale de la santé, 2001. Macro-économie et Santé : Investir dans la santé pour le développement économique. Genève. / Organisation mondiale de la Santé, 2006. Rapport sur la santé dans le monde 2006 : Travailler ensemble pour la santé. Genève. / Organisation mondiale de la Santé, 2011. Rapport sur la situation mondiale des maladies non transmissibles 2010. Genève. / Organisation mondiale de la Santé, 2012. Base de données.

Source : OMS, 2012

services publics correspondants sont inexis-tants ou irréguliers. Cette stratégie pourrait donner aux gouvernements une plus grande souplesse dans l’allocation des ressources, en évitant certaines rigidités du secteur public - en même temps qu’elle leur permettrait de se concentrer sur leurs fonctions essentielles : la gouvernance et la régulation.Le chemin vers la couverture universelle des soins de santé impose de progresser en même temps sur plusieurs fronts. Ce qui im-porte, au final, c’est la manière dont les dif-férentes composantes du système de santé participent à la mise en place d’une telle cou-verture, en garantissant et en encourageant l’accès aux services de santé, leur qualité, la protection contre les risques financiers, l’équité et l’efficacité.

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santé des pays en développement ?

Complémentarité des secteurs public et privé de santé au BrésilLe système public de santé brésilien concerne tous les citoyens. Tandis qu’il atteint d’excellents résultats dans certains domaines, il échoue souvent dans sa mission à assurer une assistance de base à de nombreuses personnes en raison d’un manque de financement. Pour sa part, le réseau de santé privé connait également des difficultés. Dans ce contexte, l’Hospital Sírio-Libanês développe ses services et participe à des initiatives public-privé.

Au moment de la promulgation de la Constitution fédérale de 1988, l’État brésilien s’est engagé à garantir le droit

pour tous à accéder aux services de santé. Mais le pays rencontre de grandes difficultés à structurer et à maintenir, avec les ressources financières et humaines nécessaires, le Siste-ma Único de Saude (SUS) – un système qui as-sure un accès universel et gratuit aux soins médicaux. Le SUS est l’un des plus grands systèmes publics de santé au monde. Il en-globe les services de soins ambulatoires clas-

Carlos Alberto Marsal et Paulo Chapchap

Directeur des finances et du contrôle de gestion, Hospital Sírio-LibanêsDirecteur de la stratégie, Hospital Sírio-Libanês

siques et de transplantations d’organes, ain-si qu’un vaste réseau d’unités et de services couvrant près de 200 millions de citoyens, in-dépendamment de leur classe sociale ou éco-nomique. Outre les consultations médicales, examens et hospitalisations, le système prend en charge les campagnes de vaccination et la veille sanitaire et préventive, comme l’inspec-tion alimentaire et l’enregistrement des médi-caments. Il concerne ainsi tous les Brésiliens. Ce vaste projet d’inclusion sociale, créé récem-ment dans un pays connu pour ses problèmes d’investissement public, doit faire face à plu-sieurs enjeux qui se traduisent par un service d’une qualité moins bonne qu’escomptée.

Le secteur public en manque de financementsAujourd’hui, 75 % des Brésiliens n’ont pas d’assurance santé privée et ont recours au SUS. Il dispose de moins de ressources que le secteur privé, alors qu’il profite à un plus grand nombre de personnes – une situa-tion qui s’explique par le manque de fonds publics. Selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les dépenses en matière de santé représentent au Brésil 8,4 % du produit intérieur brut (PIB), un chiffre conforme à la moyenne annuelle mondiale (8,5 %). Toutefois, le pays se distingue en ce qui concerne l’origine des dépenses de santé : 55 % d’entre elles sont d’origine privée (les bénéficiaires d’une couverture de santé, soit environ 48,7 millions de personnes) et 45 % d’origine publique (l’ensemble de la population brésilienne, soit 190 millions d’ha-bitants). La part publique représente 3,7 % du PIB – un tiers de moins que la moyenne in-ternationale qui s’élève à 5,5 % (OMS, 2012). Comparé aux pays disposant de systèmes de santé similaires, le Brésil est encore plus gravement touché : certes, il atteint d’excel-

CARLOs ALBeRTO mARsAL eT PAuLO ChAPChAP

Carlos Alberto Marsal dirige depuis 2008 le service des finances et du contrôle de gestion de l’Hospital Sírio-Libanês (São Paulo, Brésil). Il possède 25 années d’expérience à la fois dans les domaines de la santé, de l’assurance et de la sécurité sociale, mais aussi dans ceux de la construction industrielle et des travaux publics. Il est diplômé en administration des affaires de la Fondation Armando Álvares Penteado et de la Fondation Getúlio Vargas.

Diplômé de médecine, Paulo Chapchap est depuis 2008 le directeur de la stratégie de l’Hospital Sírio-Libanês. Il coordonne par ailleurs le programme de transplantations hépatiques de l’hôpital et préside le conseil d’administration pour l’éducation et la recherche de l’établissement. Chercheur et assistant invité à l’université de Pittsburgh, il est aussi membre du conseil d’administration de la Société internationale de transplantation hépatique.

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Secteur Privé & Développement

Fondé à São Paulo il y a plus de 90 ans, l’Hospital Sírio-Libanês est une institution philanthropique. Leader dans de nombreux domaines, l’établissement compte 4 700 collaborateurs – dont 3 800 médecins. D’une capacité d’accueil de 357 lits, il peut prendre en charge plus de 50 procédures chirurgicales et environ 2 000 consultations médicales par jour. Sa mission consiste également à développer des services intégrés dans le domaine de l’assistance sociale, de la santé, du tutorat et de la recherche.

R E P è R E S

le réseau privé de santé, avec une incidence sur les hôpitaux privés (à but lucratif et non lucra-tif) qui ont atteint la limite de leurs capacités. Ces derniers traversent une période d’investis-sements massifs visant à accroître leurs capa-cités et, par là, à maintenir la qualité de leurs services. Cette croissance devrait s’inscrire dans la continuité. Sur la seule année 2012, il était prévu que ces établissements (environ 60 hôpitaux privés) investissent environ un milliard de réals (soit environ 500 millions de dollars) dans des projets de développement. Selon Francisco Balestrin, président de l’Asso-ciation nationale des hôpitaux privés (Anahp), en décembre, sur les 45 membres de l’associa-tion, 35 avaient investi au total environ 600 millions de réals – soit deux fois plus que l’an-née précédente. Actuellement à son apogée, la montée en flèche des investissements dans le secteur hospitalier a démarré il y a environ trois ans. Cette expansion est nécessaire, car le taux actuel moyen d’occupation des hôpitaux privés est de 77 %. Au-delà de 80 %, le proces-sus d’assistance est en danger.

Le cas de l’Hospital Sírio-LibanêsLa Sociedade Beneficente de Senhoras Hospital Sírio-Libanês (HSL) est une institution phi-lanthropique brésilienne fondée il y a plus de 90 ans. En 2005, considérant la nouvelle réalité du secteur privé de la santé, HSL a lancé de profondes réformes de gestion et mis en œuvre un nouveau modèle de gouver-nance d’entreprise et un plan stratégique. Les étapes de ce processus de professionnalisa-tion, entre autres initiatives, reposent sur un nouveau positionnement, sur une politique de marque ainsi que sur un projet de consoli-dation. L’ensemble de ces étapes ne devait pas ébranler les principes chers à l’hôpital depuis sa création, fondés sur la chaleur humaine et la philanthropie. HSL a renforcé ses liens avec les marchés financiers. Tout d’abord, une ligne de crédit de 20 millions de réals (environ 9 millions de dollars) a été validée en 2009 par la Banque nationale pour le développement économique et social (BNDES) et par Banco do Brasil. Par ailleurs, les démarches de HSL ont permis d’obtenir l’appui d’importantes institutions multilatérales (à hauteur de 40 millions de dollars), en plus de 430,6 millions de réals (environ 200 millions de dollars) supplémen-taires financés par la BNDES et Banco do Brasil. Si l’on additionne l’ensemble des res-sources investies dans les structures actuelles et dans les projets visant au renforcement des capacités, HSL devrait investir environ un mil-liard de réals (environ 500 millions de dollars) entre 2009 et 2014. Ces investissements

lents résultats dans certains domaines mal-gré des ressources insuffisantes (couverture de vaccination presque complète de la po-pulation, programmes de transplantation, lutte contre le sida, etc.). Mais il ne parvient pas à assurer une assistance de base pour de nombreuses personnes, en raison du manque de financement.Après de nombreuses années consacrées à la question du financement insuffisant, l’amen-dement n° 29 de la Constitution a été pro-mulgué en 2012. Il stipule que les États et

les municipalités doivent allouer entre 12 et 15 % de leurs revenus au secteur de la santé. Le gouver-nement fédéral, en retour, doit investir le même volume de res-sources que l’année écoulée, en

tenant compte de la fluctuation du PIB. Les spécialistes et les pouvoirs publics brésiliens (à l’échelon fédéral, des États et des muni-cipalités) continuent de s’interroger sur la capacité de ce changement de réglementa-tion à résoudre le problème du financement du réseau public de santé. L’objectif est que, peu à peu, la part des dépenses de l’État en matière de santé revienne aux niveaux des décennies précédentes.

Les défis du secteur privéDans le secteur privé, les défis ne sont pas moins importants. Depuis le milieu de l’année 2000, le Brésil a entamé un processus de dé-veloppement économique qui a amélioré les niveaux de revenus et d’emploi d’une grande partie de la population. Selon les estimations, 20 millions de Brésiliens sont passés au-des-sus du seuil de pauvreté – le nombre de pa-tients ayant accès à une couverture de santé complémentaire a augmenté en conséquence. L’Agence nationale de soins de santé complé-mentaires déclare que 47,8 millions de Brési-liens disposent d’une forme de couverture de santé. Parmi eux, 76 % bénéficient d’accords collectifs, proposés principalement par les entreprises. Le revenu des entreprises dans ce secteur a augmenté de 11 % en 2011 pour atteindre 84 milliards de réals brésiliens (soit environ 40 milliards de dollars).Cette augmentation entraîne une pression sur

« Les hôpitaux privés (…) ont

atteint la limite de leurs capacités. »

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Le secteur privé contribue-t-il

à améliorer les systèmes de

santé des pays en développement ?

permettront de doubler ses capacités actuelles à l’horizon 2017 ; l’hôpital pourra alors pro-poser 710 lits. À l’instar d’HSL, la plupart des hôpitaux privés brésiliens évoluent vers la professionnalisation de leur activité.

Croissance du secteur privé, philanthropie et santé publiqueHSL est l’un des six établissements médicaux brésiliens classés « Hôpital d’excellence » par le ministère de la Santé. Ce classement, éta-bli par le gouvernement fédéral, fixe la norme pour le nouveau modèle d’investissement dans le secteur des projets philanthropiques. Ainsi, depuis 2009, la totalité des allègements fiscaux accordés a été restituée à la société brésilienne par le biais de projets qui s’ins-crivent dans le cadre de PROADI-SUS, le pro-gramme de développement institutionnel du SUS (voir Encadré). Les accords passés avec la BNDES et Banco do Brasil prévoient un in-vestissement de 5 % du crédit total dans des projets d’intérêt pour le ministère de la Santé.

Au cours de la première période triennale d’application du nou-veau règlement philanthropique (2009-2011), HSL a investi près de 180 millions de réals (envi-ron 85 millions de dollars) dans ces projets, mobilisant environ 50 000 professionnels dans le

réseau public de santé. Car les secteurs pu-blic et privé peuvent, en se coordonnant, réa-liser des gains profitables à tous et partager leur expérience pour améliorer les services proposés à leurs patients. Pour cette raison, outre les programmes relevant du PROADI-SUS, le secteur privé a cherché à contribuer au réseau public en créant les Organismes sociaux de santé (OSS), composés d’établis-sements privés à l’expérience avérée dans l’offre de services de santé. Les OSS sont chargés de gérer des unités de soins publiques. Ils perçoivent pour cette tâche une somme définie lors d’un accord passé entre les préfectures ou les États – qui supervisent par ailleurs la réalisation des objectifs fixés. Ce modèle a démontré qu’il est possible d’améliorer la qualité des ser-vices grâce au transfert de connaissances du secteur privé ; il contribue en particulier à résoudre un des problèmes majeurs du ser-vice public : la gestion des emplois. Parce qu’ils sont privés, les OSS sont capables de gérer l’embauche et le licenciement de personnel avec une plus grande flexibilité, s’assurant que les objectifs sont atteints et que des services de qualité sont mis à la

encadré : parTenariaT public-privé dans le secTeur de la sanTé

Le PROADI-SUS (Programa de Apoio ao Desenvolvimento Institucional do Sistema Único de Saúde) est un partenariat entre le ministère de la Santé et des structures du secteur de la santé possédant un certificat d’entité bénéficiaire de l’aide sociale en matière de santé (CEBAS-SAUDE) dont l’excellence est reconnue. Il est réglementé par la loi fédérale n° 12.101 du 27 novembre 2009, qui favorise le développement de projets d’études sur l’évaluation et l’intégration des technologies, de responsabilisation des ressources humaines, de recherches d’intérêt public dans le domaine de la santé, de développement de techniques et d’opération de gestion dans les services de santé. Ce programme contribue à l’amélioration du système de santé en développant, intégrant et transférant de nouvelles technologies et des savoir-faire en gestion. Il génère aussi de nouvelles connaissances et pratiques par le biais de partenariats entre structures du secteur de la santé dont l’excellence est reconnue et les responsables du SUS, et en agissant conjointement pour surmonter les difficultés afin d’améliorer et de définir de nouveaux axes stratégiques en matière de gestion et de prestations de services publics de santé dans le pays. Chaque année, le ministère de la Santé définit et diffuse les thèmes et objectifs prioritaires des projets en faveur du développement institutionnel du SUS. Les projets sont présentés par les structures du secteur de la santé au ministère qui les étudie par le biais de secrétariats compétents ou d’entités associées. Une fois validés, ils sont acceptés dans le cadre d’un instrument d’ajustement qui entre en vigueur pour une durée de trois ans. Les entités du secteur de la santé exécutent ces projets au moyen de ressources issues des mesures d’allègement fiscal (contributions sociales) auquel ils peuvent prétendre en raison de leur statut de CEBAS-SAUDE.

disposition de la population. Cette amélio-ration peut être constatée dans les unités de soins gérées par HSL à São Paulo. Des études menées par la fondation Fernando Henrique Cardoso montrent que, sur un budget à peine plus important que celui des hôpitaux en ges-tion directe (variation de 8,1 %), les coûts moyens sont considérablement inférieurs (environ 25 %).Des exemples de partenariats gagnants entre les pouvoirs publics et des opérateurs privés montrent combien cette coopération entre les deux secteurs peut contribuer à surmonter les difficultés en matière de santé au Brésil. Les progrès accomplis jusqu’à présent repré-sentent pour toutes les autorités publiques et les structures privées associées au secteur de la santé une incitation majeure à poursuivre l’objectif d’équité et d’universalité des services de santé. Dans ce contexte, le secteur privé a un rôle clé à jouer. Enfin, si le secteur privé contribue à l’amélioration du secteur public, les responsables des hôpitaux privés renforce-ront également leurs connaissances, indépen-damment du niveau d’avancement de leurs structures et des technologies en place dans leurs établissements.

Références / organisation mondiale de la santé, 2012. Base de données disponible à l’adresse : http://apps.who.int/gho/data/view.main)

« Il est possible d’améliorer la

qualité des services grâce au transfert de connaissances du secteur privé. »

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Secteur Privé & Développement

Des partenariats au service de soins de qualitéDans de nombreux pays en développement, le secteur privé fournit une part importante des services de santé. L’amélioration générale des services de santé passe par la mise en œuvre de politiques publiques intégrant le secteur privé de la santé, favorisant le dialogue, l’échange d’informations et la collaboration entre acteurs. Les pouvoirs publics doivent encourager à la fois une saine concurrence et l’établissement de partenariats.

L es patients qui ont besoin de soins ne portent aucun intérêt aux montages institutionnels ou au statut des pres-

tataires qui les soignent. Leur préoccupa-tion est d’avoir accès en temps utile à des soins de qualité, à un coût abordable - peu leur importe qu’ils soient prodigués par des prestataires publics ou privés1. Cette approche, centrée sur la vision et le besoin des patients, devrait guider le développe-ment des politiques de santé. Les États ont besoin d’une politique de santé qui couvre l’ensemble des acteurs majeurs du secteur - indépendamment de leur statut ou du type de médecine pratiquée.Les politiques relatives au secteur privé de la santé concernent deux ensembles de me-

sures : la réglementation du secteur privé d’une part et la réglementation du do-maine de la santé d’autre part. La première impose aux sociétés de respecter certaines règles, notam-ment en matière de dé-claration d’activités et de fiscalité. La réglementa-tion du secteur de la santé, elle, oblige tous les pres-tataires - publics ou pri-vés - à se conformer par exemple à des normes de qualité minimales et à ne pas dépasser un pla-fond d’honoraires. Les cri-tères d’efficacité de l’ac-tion publique ne sont pas les mêmes dans les deux cas. Mesurer l’action du secteur privé nécessite de mettre en place des règles simples et transparentes

Connor Spreng économiste senior, Banque mondiale

qui instaurent un cadre de travail favorable. S’agissant des politiques de santé, la mesure est plus compliquée. Les pouvoirs publics ont des responsabilités à l’égard des citoyens : ils sont tenus d’exercer une surveillance et de veiller à ce que les services de santé soient de bonne qualité, accessibles géographique-ment, et abordables financièrement. Une coordination renforcée entre privé et publicDans la majorité des pays en développement, le secteur privé fournit une part importante des services de santé, quels que soient les groupes de population. Même l’absence de politiques et de pratiques efficaces, qui carac-térise de nombreux pays en développement, n’a pas gêné la progression du secteur pri-vé. Faire l’impasse sur son importance et son rôle dans les pays en développement n’est donc pas concevable. Croire que le secteur public de la santé pourra remplacer la tota-lité des acteurs privés et fournir des presta-tions de qualité gratuitement à tous relève de l’utopie et ne saurait orienter utilement les politiques publiques.Les études concernant les soins materno-in-fantiles montrent qu’une coordination ren-forcée entre les secteurs public et privé amé-liore l’accès aux services de planning familial et accroît la proportion de naissances assis-tées par des accoucheuses qualifiées – deux améliorations qui sauvent des vies (Banque mondiale-SFI, 2011). Sous-traiter des ser-vices au secteur privé ou lui acheter des four-nitures ou des équipements peut également s’avérer efficace. Là aussi, les programmes de soins maternels et néonatals ont donné des résultats impressionnants. Mais au-delà d’une collaboration ponctuelle entre secteur public et secteur privé, une collaboration1 Le terme « privé » s’entend ici comme le contraire de « public » et recouvre à la fois les organismes à but lucratif et les organismes à but non lucratif – comme, par exemple, les structures confessionnelles (hôpitaux missionnaires, etc.) – particulièrement actifs dans les pays en développement.

Actuellement en poste à Jakarta (Indonésie), Connor Spreng est économiste à la Banque mondiale. Il est le principal auteur du rapport Partenariats pour la santé, publié récemment par la Banque mondiale et la Société financière internationale (SFI). Il a par ailleurs participé aux efforts de réforme de l’interface public-privé et en a étudié les effets – dans des secteurs aussi variés que la santé, l’éducation, la finance, l’eau et l’assainissement.

COnnOR sPReng

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Le secteur privé contribue-t-il

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santé des pays en développement ?

Des partenariats au service de soins de qualité

2 Dans tous les pays et dans tous les domaines, la collaboration est plus importante avec les prestataires privés à but non lucratif (principalement des organisations confessionnelles, pour ce qui est de l’Afrique). C’est donc le secteur à but lucratif, pourtant plus important, qui reste exclu. 3 Trente-neuf des quarante-cinq pays de l’Afrique subsaharienne couverts par l’étude ont une politique qui traite du secteur privé de la santé ; mais ils ne sont que douze à la mettre en œuvre.

Ghana, par exemple, la collaboration entre les pouvoirs publics et le secteur privé de la santé s’est considérablement renforcée grâce à une nouvelle plate-forme de concertation. Le sec-teur privé a réagi pour sa part en créant une organisation coiffant tous les prestataires pri-vés, une étape cruciale pour engager le dia-logue – mais qui fait pourtant défaut dans la plupart des pays en développement. L’échange d’informations entre secteur public et secteur privé est aussi une condition essentielle d’une collaboration réussie. Le secteur privé doit être intégré aux systèmes nationaux d’infor-mation qui concernent la gestion et la surveil-lance sanitaires.

Règlementation, financement,et prestation de services par l’ÉtatLes pouvoirs publics ont la capacité de créer et de mettre en œuvre un cadre réglementaire régissant le secteur privé de la santé. Ce cadre réglementaire doit permettre aux autorités de savoir qui fait quoi - et où. Il doit aussi définir les règles régissant l’ouverture et l’exploitation d’établissements de santé privés, proposer un processus transparent de contrôle de la qualité ou d’inspection. Il doit aussi garantir l’application effective de ces règles et prendre en compte l’ensemble des principaux prestataires de services de santé. Dans de nombreux pays en développement, les prestataires privés ne déclarent pas systématiquement leur

plus large et plus systématique est néces-saire pour atteindre les objectifs prioritaires de santé fixés par les États.

Importance du dialogueet de l’échange d’informationsLe récent rapport de la Banque mondiale et de la Société financière internationale (SFI), Partenariats pour la santé - Comment l’État collabore avec le secteur privé pour améliorer la santé en Afrique, propose pour la première fois une grille d’analyse de ce qui constitue une bonne collaboration entre les autori-

tés publiques et le secteur privé de la santé. Cinq do-maines clés y sont identi-fiés : politiques publiques et dialogue, échange d’infor-mations, règlementation, financement, et prestation

de services par l’État. En s’aidant de cette grille, une équipe de chercheurs a mesuré le degré de collaboration public-privé dans 45 pays d’Afrique subsaharienne. En Afrique subsaharienne, moins de la moi-tié des dépenses de santé sont des dépenses publiques - et la moitié au moins des services de santé sont assurés par des prestataires pri-vés (Figure 1). Plus de 85 % des pays d’Afrique subsaharienne prévoient officiellement une collaboration avec le secteur privé2. Mais la majorité d’entre eux ne l’appliquent pas3, souvent parce que les ministères de la Santé pensent avant tout devoir superviser les pres-tataires publics et non pas un système de san-té mixte. Pourtant, les États sont de plus en plus nombreux à instaurer ou réinstaurer un dialogue avec les acteurs privés du secteur. Au

figure 1 : réparTiTion des soins de sanTé enTre les secTeurs public eT privé eT Type de presTaTaire consulTé par les Ménages en afrique subsaharienne (par quinTile de richesse)

Source : analyse des enquêtes DHS ; Montagu, 2010Note : Toutes toutes les données, pondérées par le nombre d’habitants, sont tirées de l’ensemble des enquêtes DHS réalisées après 2000 en Afrique subsaharienne. La répartition des soins entre secteur public et privé est basée sur les réponses des personnes ayant indiqué avoir fait soigner des enfants de moins de cinq ans pour diarrhée ou fièvre/toux au cours des deux semaines précédentes.

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« En Afrique subsaharienne, moins de

la moitié des dépenses de santé sont des

dépenses publiques. »

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activité – seuls 13 % des 45 pays étudiés ont un registre complet des établissements de santé privés. Les règlementations sont inadaptées ou obsolètes, et le contrôle de leur application est pour ainsi dire inexistant. De manière générale, les prestataires privés n’apprécient pas l’absence ou le manque de cohérence des contrôles, qui permet aux plus médiocres de continuer à pratiquer. Certes, les mécanismes d’inspection existent sur le papier dans chacun des 45 pays, mais ils sont opérationnels uniquement dans cinq pays.Le financement des systèmes de santé est un domaine crucial. Les fonds potentielle-ment ou effectivement disponibles doivent être régis par un mécanisme spécifique, qui permette aux pauvres d’avoir accès aux ser-vices tout en assurant que les deniers publics soient utilisés au mieux – par exemple pour l’achat de services publics ou privés, avec des acteurs soumis aux mêmes règles. Ce principe d’achats stratégiques, qui consiste à faire ap-pel aux meilleurs prestataires indépendam-ment de leur statut, est particulièrement im-portant dans les pays où le secteur privé est bien développé. L’existence d’incitations fi-nancières offertes aux établissements de san-té privés (exonérations fiscales, octroi de terres en zones rurales, exonération de droits de douane, etc.) permet en outre d’apprécier la volonté des autorités d’améliorer le climat d’investissement dans le secteur. Le niveau de prise en charge des prestataires privés par l’assurance maladie sert, quant à lui, à déter-miner quelle part de la population peut accé-der aux services du secteur privé sans devoir payer de sa poche. Dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, moins de 15 % de la population y a accès. Mais le niveau de cou-verture progresse. Plusieurs pays, tels que le Kenya, le Nigeria et l’Ouganda, se sont enga-gés dans un système public élargi d’assurance maladie. La perspective d’inclure les presta-taires privés dans des régimes nationaux d’as-surance maladie donne bon espoir de voir le secteur dans son ensemble connaître des améliorations – en plus de fournir un méca-nisme pour protéger les plus pauvres et cana-liser vers eux les aides aux services de santé. Cela pourrait avoir aussi pour effet d’encou-rager les établissements publics à s’aligner sur les pratiques des prestataires privés tout en contraignant ces derniers à respecter des normes de certification pour pouvoir pré-tendre aux remboursements.Le domaine des prestations de services pu-blics concerne la manière dont les autorités

s’appuient sur le secteur public pour complé-ter, favoriser ou au contraire réduire les ser-vices de santé privés. Dans la plupart des pays, il existe une bonne collaboration entre les pouvoirs publics et le secteur privé en ma-tière de vaccination et de lutte contre les ma-ladies – programmes de vaccination ou traite-ment du VIH/SIDA, par exemple. De même, les patients sont bel et bien réorientés, sous une forme ou une autre, entre les secteurs pu-blic et privé. Ces exemples de collaboration dans des domaines restreints, qui résultent parfois de conditions imposées par les bail-leurs de fonds, permettent d’espérer que la collaboration s’étende à l’ensemble des sys-tèmes de santé.L’identification des éléments essentiels conditionnant une collaboration efficace entre les pouvoirs publics et le secteur pri-vé de la santé est une étape-clé vers des ré-formes constructives. Mais pour aller au-de-là de partenariats individuels ou d’initiatives ponctuelles, il faut définir des politiques pu-bliques plus globales. Le remboursement des prestataires privés en contrepartie des services fournis, dans le cadre d’un pro-gramme national d’assurance maladie, se-rait une avancée significative. Dans un en-vironnement où les ressources publiques sont rares, les pouvoirs publics doivent se concentrer sur leur rôle de réglementation et de contrôle (voir encadré) - superviser l’ensemble des prestataires afin d’assurer un niveau minimum de qualité, par exemple - sans chercher à faire ce qui peut être fait par d’autres - fournir des prestations par exemple

Références / Banque mondiale-SFI, 2011. Partenariats pour la santé – Comment l’État collabore avec le secteur privé pour améliorer la santé en Afrique. Accessible à l’adresse: https://www.wbginvestmentclimate.org/advisory-services/health/upload/Healthy-Partnerships-Full-Rpt_French.pdf / Montagu D. Anglemyer A., Tiwari M. et alii, 2010. A comparison of health outcomes in public versus private settings in low- and middle-income countries. Global Health Sciences, University of California San Francisco.

encadré : opTiMiser la collaboraTion public/privé dans un conTexTe de faibles ressources publiques

Les résultats obtenus dans chacun des cinq domaines étudiés ne sont généralement pas corrélés aux revenus. Il ne s’agit donc pas d’une question de ressources. Lorsque les fonds publics sont très limités, ce qui est le cas dans de nombreux pays en développement, il est crucial qu’ils se fixent des priorités et qu’ils délèguent des activités - en particulier en direction du secteur privé. Au Libéria, par exemple, les pouvoirs publics laissent les associations et les organisations superviser une partie des activités sanitaires. La Commission médicale du Libéria, à court de ressources, a en effet confié à l’Association des dispensaires privés du Libéria (créée par des médecins assistants, des sages-femmes et des infirmiers diplômés) l’enregistrement de tous les établissements privés et leur inspection initiale. C’est donc cette association qui s’assure que les professionnels sont dûment autorisés à exercer et que les établissements satisfont aux conditions de certification.

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Le secteur privé contribue-t-il

à améliorer les systèmes de

santé des pays en développement ?

Comment répondre aux besoins de financement des prestataires de soins ?Dans les pays en développement, le secteur de la santé est peu structuré et mal régulé, les assurances maladie sont quasi inexistantes. Cela n’encourage pas la prise de risque – et pourtant les besoins en financement sont considérables. Les institutions de développement, qui interviennent déjà dans le secteur, doivent mettre en place des solutions financières toujours plus innovantes pour faire face aux besoins croissants.

La rareté et le coût élevé des finance-ments est un des problèmes majeurs des économies des pays en développe-

ment ; c’est tout particulièrement vrai pour le secteur de la santé. Bien que les partenaires financiers s’efforcent de proposer un large éventail d’instruments de financement adap-tés – de la dette à la prise de participation –, les freins restent nombreux, tant du côté de l’offre de financement que de la demande. Or,

Philippe Renault et Magali Rousselot

Adjoint au chef de division, division Santé et protection sociale, Agence française de développementChargée d’affaires, division des Secteurs manufacturier, agro-industriel et des services, Proparco

les besoins en nouveaux investissements sont énormes. Dans les 49 pays les plus pauvres, les besoins de financement privé sont esti-més à 25 milliards de dollars entre 2011 et 2015. Les institutions de développement ont un rôle déterminant à jouer pour renforcer les contreparties, structurer la demande, péren-niser l’offre dans un cadre régulé par les pou-voirs publics, rapprocher prestataires de soins et financeurs – et enfin, pour favoriser l’acces-sibilité des soins du plus grand nombre.

Un secteur atomisé, capitalistique et à rentabilité moyenneLe risque de marché dans le secteur de la san-té pourrait sembler relativement limité : les besoins sont connus, globalement stables et les perspectives de croissance importantes – en raison des transitions démographique et épidémiologique en cours dans le monde. En dehors de phénomènes épidémiques, les be-soins en matière de soins ne sont ni cycliques, ni liés à des effets de modes. Le vieillissement et le développement des maladies chroniques vont inévitablement entraîner une hausse des besoins en soins hospita-liers. Mais la solvabilité très limitée de la demande – liée au manque de cou-verture sociale, qu’elle soit publique ou privée, obligatoire ou volontaire –, génère un risque de marché important, une incertitude sur le niveau de revenus des hôpitaux et une diffi-culté à évaluer le juste prix des prestations. En Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, où seulement 5 à 10 % de la population est couverte (partiellement) par une protection sociale organisée, les soins sont très majori-tairement payés directement par les malades. Si certaines hypothèses des prévisions finan-

mAgALI ROusseLOT PhILIPPe RenAuLT

Magali Rousselot est chargée d’affaires au sein de la division des Secteurs manufacturier, agro-industriel et des services de Proparco. Elle est en charge de la structuration et de la mise en place de projets de financement, en particulier dans les secteurs sociaux (santé, éducation). Diplômée de Reims Management School, elle rejoint le groupe AFD en 2007 en tant qu’analyste crédit, après une expérience en finance d’entreprises chez PricewaterhouseCoopers puis LCF Rothschild.

Philippe Renault a rejoint en 2005 la division Santé et protection sociale de l’Agence française de développement (AFD) ; il est responsable adjoint de la division depuis 2011. Il a supervisé des projets santé à l’étranger, en particulier dans le secteur hospitalier. Diplômé de l’IEP de Paris et de l’École nationale de santé publique de Rennes, il a été attaché de direction au CHRU de Lille et consultant dans deux bureaux d’études avant de rejoindre l’AFD.

« La solvabilité très limitée de la demande (...) génère un risque de marché important. »

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Secteur Privé & Développement

cières d’un établissement hospitalier sont relativement faciles à modéliser (les compé-tences et les technologies qui doivent être mobilisées sont connues), il est souvent plus difficile d’estimer les besoins générés par un bassin de population – et encore plus compli-qué d’évaluer sa capacité à payer les presta-tions proposées. En outre, la santé est un secteur à fort besoin capitalistique. En effet, il rend indispensable le développement d’infrastructures, la mise en place de plateaux techniques modernes, le regroupement des petites structures pour générer des économies d’échelle. La qualité et la continuité des soins doivent sans cesse être améliorées, tout particulièrement en mobili-sant des équipes spécialisées. Par ailleurs, les entreprises de ce secteur ont des besoins im-

portants en fonds de roule-ment. Les charges d’exploita-tion récurrentes sont élevées : frais de personnel, mainte-nance des équipements, hy-

giène et sécurité des patients, entretiens des locaux, achat de médicaments, gestion des dé-chets et des divers dispositifs médicaux, etc. Ce besoin de liquidités est souvent accru par les délais de paiements importants de la part des assurances publiques ou privées. Il n’est pas rare de voir des projets intéressants ne pas aboutir ou ne pas parvenir à proposer des solutions adaptées aux marchés unique-ment par manque de capitaux et de finance-ments. Dans les pays émergents, la mobili-sation des financements (tant en dette qu’en fonds propres) est plus complexe et difficile ; de ce fait, le secteur privé de la santé tarde à se moderniser, reste émietté, peu capitalisé et offre des gammes de soins de qualité variable.

Les freins au financement de l’offre de soinsLa croissance de la demande représente un véritable atout pour les prestataires de santé. Mais lorsqu’il s’agit de lever de la ressource auprès de banques locales, cet avantage est contrebalancé par divers facteurs pénalisants. La structure des revenus peut par exemple poser problème. En effet, les paiements en

liquide sont particulièrement importants, les centres de recettes sont multiples1, les sys-tèmes d’assurance maladie sont rares et peu développés. De fait, les établissements sont peu bancarisés. Leurs comptes ne reflètent que très partiellement leur activité et leur surface ; ils ne permettent pas à des prêteurs d’envisager sereinement une prise de risque raisonnable et équilibrée. La majorité des structures sont de petites tailles et peu spé-cialisées. En Afrique subsaharienne, la taille moyenne des projets d’investissement oscille entre 250 000 et trois millions de dollars. Pourtant les opportunités d’investissements sont nombreuses (voir Figure 1).Même lorsqu’il est envisageable, le dévelop-pement des prestataires de soins est rendu difficile par les conditions d’accès à l’emprunt. La structuration de la dette de ces établisse-ments est complexe. Certes, il est facile de garantir les emprunts par des sûretés réelles2, comme des hypothèques sur les terrains, bâti-ments et équipements (crédit-bail). Mais leur exercice (enforcement) n’est pas simple, à la fois pour des raisons éthiques et morales mais aussi – dans le cas de certains équipements –, pour des raisons pratiques. Certaines sûretés engendrent moins de problèmes, telles que les délégations de créances sur les mutuelles. Toutefois, trop peu d’hôpitaux génèrent suffi-samment de revenus issus desdites assurances privées – et la sécurité sociale publique,

« La santé est un secteur à fort besoin

capitalistique. »

encadré : le financeMenT d’un réseau d’hôpiTaux au liban

Le Centre Hospitalier du Nord – hôpital universitaire de référence de 160 lits – a été créé en 1996 au Liban, en particulier pour répondre à un besoin criant d’offre de soins hospitaliers dans cette zone reculée du nord du pays. Le succès rencontré par cet hôpital a suscité la création du groupe Caremed, modèle innovant de réseau d’hôpitaux. Depuis 2012, Proparco a accompagné Caremed dans son programme d’expansion de 51 millions de dollars, comprenant la construction de deux nouveaux centres de soins dans le pays (un centre de jour et une unité hospitalière), la modernisation du centre de radiothérapie et l’achat de matériel de pointe pour le traitement des cancers. Proparco a contribué à ce programme à hauteur de 15 millions de dollars, aux côtés de banques locales. La durée de différé plus longue proposée par Proparco permet de débuter la période de remboursement une fois la structure opérationnelle. La présence de Proparco depuis l’origine du projet sur la structuration du financement a permis aux banques locales libanaises, bien capitalisées, d’accepter de prendre ce risque à long terme sur un projet de construction d’unités supplémentaires, plus risqué qu’une extension d’hôpital existant.

1 Les patients peuvent bien souvent payer directement les médecins, sans même avoir à passer par l’établissement hospitalier. 2 Une sûreté est une garantie accordée à un créancier lui permettant d’obtenir paiement de sa créance en cas de défaillance du débiteur, par affectation d’un bien (sûretés réelles) ou par la garantie apportée par un tiers.

Entre 2004 et 2011, l’AFD a engagé 850,6 millions d’euros dans le secteur de la santé dont 49 % sous forme de prêts. Ces financements ont entre autres permis le renforcement des systèmes de santé, principalement en Afrique subsaharienne (38 % des montants). Ce soutien financier a été attribué à des services publics, à des projets portés par des ONG et à des opérateurs privés de santé (77,6 millions d’euros de prêts de la filiale secteur privé Proparco et 6,5 millions d’euros de garanties bancaires).

R E P è R E S

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Le secteur privé contribue-t-il

à améliorer les systèmes de

santé des pays en développement ?

Comment répondre aux besoins de financement des prestataires de soins ?

3 La micro-assurance désigne un système qui utilise le mécanisme de l’assurance et dont les bénéficiaires sont souvent des personnes exclues des systèmes formels de protection sociale. L’adhésion n’est pas obligatoire et les adhérents contribuent, au moins partiellement, au financement des prestations.

elle, est souvent peu solvable. Les banques re-fusent donc fréquemment, dans de nombreux pays émergents, de prendre le risque d’inves-tir dans le secteur privé de la santé.Quand il est possible, le recours à l’emprunt pénalise fortement la rentabilité du presta-taire puisque les conditions de mise en place du financement sont peu favorables (taux d’in-térêt élevés et maturités trop courtes). Seuls des tarifs élevés peuvent, dans ce cas, assurer une certaine rentabilité. Dans la plupart des

cas, les établissements ne trouvent pas le juste équi-libre entre des conditions de financement accep-tables et des perspectives de recettes suffisantes pour leur permettre d’en-

trer dans un cycle d’investissement vertueux – qui favoriserait au final la baisse de leurs ta-rifs. Les établissements qui réussissent à se fi-nancer sont souvent des structures de plus de 100 lits qui peuvent supporter un service de la dette, à condition que les maturités s’allongent à plus de dix ans.Le cadre réglementaire dans lequel évoluent les établissements de soins constitue lui aussi un des freins majeurs à leur financement. Les États peinent à réguler le secteur et à définir un cadre pour la mise en place d’une protec-tion sociale obligatoire – qu’elle soit publique ou déléguée au secteur privé. Le rapport de l’OMS de 2010 faisait de la mise en place d’un système de protection sociale le prérequis pour attirer les investisseurs. La capacité de la puissance publique à encadrer et contrôler la qualité des installations et des prestations, à imposer des normes d’hygiène et de sécurité est faible. Elle ne contraint pas les promoteurs à se moderniser.

Les solutions proposées par les institutions de développement Le secteur de la santé est souvent à la frontière entre des logiques strictement privées et des missions d’intérêt général. Pour assurer son développement en tenant compte de cette spé-cificité, les institutions de développement pro-posent plusieurs schémas de financements. Dans le secteur privé de la santé, ces insti-tutions financent des prestataires de soins via des crédits sur mesure, les assurances maladies ou bien des projets innovants. Le développement du secteur privé de la santé résulte le plus souvent d’une politique d’inci-tation menée par les pouvoirs publics, qui implique généralement la mise en œuvre de la réforme de l’assurance maladie dans une perspective d’extension de la population sol-vable. Cependant, les populations des pays

pauvres sont peu enclines à dédier une part de leurs revenus à des dépenses futures et non certaines si elles n’ont pas un caractère obligatoire ; de plus, le secteur de la « micro-assurance »3 reste très peu développé. Le sys-tème de mutualisation des risques semble fonctionner quand la cotisation a un caractère obligatoire, ce qui est le plus souvent réservé aux salariés du secteur formel. Or, ces salariés sont encore loin de représenter la majorité de la population. Le financement de mutuelles privées ou semi-privées permet d’appor-ter des revenus plus stables au secteur tout en diminuant la part des dépenses directes des patients – le développement de l’offre de soins s’en trouve alors favorisé. Autant de rai-sons qui expliquent que les bailleurs de fonds s’intéressent au financement des mutuelles. Par ailleurs, les institutions financières de dé-veloppement peuvent être amenées à propo-ser des subventions ou des prêts à taux préfé-rentiel à des projets innovants dont le niveau de risque est élevé. Mais la subvention ne peut pas toujours être considérée, à elle seule, comme un produit financier structurant. Elle ne permet pas, en général, d’améliorer la ges-tion financière et la gouvernance du bénéfi-ciaire. En outre, elle ne débouche pas toujours sur d’autres financements – qui permettraient d’améliorer la situation sur le long terme. Le développement du marché de la santé passe aussi par la présence structurante des fonds d’investissement. Ils peuvent en effet répondre au besoin de fonds propres du sec-teur et améliorer la gouvernance des établis-sements de soins. Certains fonds de capital-investissement semblent décidés à pénétrer le secteur de la santé. Initiés et soutenus par les institutions de développement, ces fonds ont construit leur modèle sur la diversification du risque, à la fois dans plusieurs pays d’une même région et dans différents sous-secteurs. Ils cherchent une rentabilité « patiente », et accompagnent les structures dans leur profes-sionnalisation et leur croissance (par exemple, Africa Health Fund ou Investment Fund for Health in Africa).Outre un financement adapté sur des matu-rités longues (10 à 15 ans) et une capacité d’intermédiation financière (soutien aux sec-teurs bancaires locaux et aux fonds d’investis-sements spécialisés), la valeur ajoutée des ins-titutions de développement est aussi d’inciter et d’aider les structures à se professionnaliser pour améliorer leur gestion et leur modèle éco-nomique (voir encadré). À ce titre, les institu-

« Les banques refusent (...) fréquemment, dans de nombreux

pays émergents, de prendre le risque d’investir dans le secteur privé de la santé. »

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Secteur Privé & Développement

« Les institutions de développement utilisent aussi l’innovation financière pour favoriser l’impact social. »

tions de développement proposent un service d’assistance technique pouvant être utilisé à l’amélioration de la gouvernance d’entreprise, des systèmes de gestion interne et de la for-mation (un enjeu majeur du développement du secteur). Enfin, les institutions de développement uti-lisent aussi l’innovation financière pour favo-riser l’impact social, en proposant une baisse de taux d’intérêt des crédits conditionnée à la réalisation de projets sociaux. Cela peut prendre la forme, par exemple, de fonds dé-diés à améliorer l’accessibilité et la gratuité des soins pour les personnes défavorisées, la construction de dispensaires dans des zones reculées, ou encore l’introduction de nouvelles technologies comme la télémédecine. Le secteur privé de la santé des pays en déve-loppement va vivre des mutations à la mesure des progrès économiques et sociaux en cours – et de l’essor des maladies chroniques. Dans cette perspective, l’action des bailleurs de fonds doit mobiliser toute l’innovation finan-cière possible. Il s’agit en effet d’appuyer le

développement des acteurs du secteur, qu’il s’agisse des petites entreprises dites soli-daires, de cliniques privées ou de grands hô-pitaux privés. Ainsi, à côté des instruments traditionnels – subvention et prêt, essentiel-lement –, des outils plus innovants voient le jour, comme le mixage prêts-dons, le développement de la microfinance santé, l’expérimentation de sys-tèmes de subventions par-tiellement remboursables, etc. Par ailleurs, les institutions de développement doivent contribuer à une meilleure péréquation des politiques publiques et privées et contribuer à la structuration du secteur. Plus qu’ailleurs, les institutions de développement doivent jouer leur rôle moteur – basé sur l’effet démonstra-tif – et mettre en avant, au-delà de la renta-bilité attendue, l’amélioration des services de soin et le développement humain, vu comme un facteur de croissance économique.

Références / SFI, 2008. Investir dans la santé en Afrique. Le secteur privé : un partenaire pour améliorer les conditions de vie des populations. Washington. Groupe de la Banquemondiale. // Organisation mondiale de la santé, 2010. Rapport sur la santé dans le monde 2010. Le financement des systèmes de santé : le chemin vers une couverture universelle, Genève.

figure 1 : des opporTuniTés d’invesTisseMenT proMeTTeuses – les presTaTaires de sanTé

0-0,25 million de dollars

Taille des projets individuelsPetite Grande

Fonctionnementcourant viable

(c-à-d. sans les coûtsd’établissement)

Non viable

Totalement viable

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ilité

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Élevé

e La taille indique ladimension relativedans le total des opportunitésdu marché

0,25-1million de dollars

1-3 millions de dollars

3 millions de dollars

Hôpitauxutilisant des mécanismes

d’interfinancement

Médecinsspécialistescouvrant un

résau d’hôpitaux

Télé-médecineHôpitaux

à fort débitet bas tarif

Grands laboratoiresd’analysesRésau de centres

de soins primaireset secondairesHôpitaux

proposant une assurance

interne

Petits centreshaut de gamme

Note : Ce schéma est indicatif et vise à montrer la diversité des entreprises et des organisations bien gérées qui existent, et à donner desindications générales sur ce qui les différencie surtout. D’autres types d’entreprises peuvent exister en dehors de cet éventail. Source : étude McKinsey, SFI, 2008

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Le secteur privé contribue-t-il

à améliorer les systèmes de

santé des pays en développement ?

2000

0 2 4 6 8 10 12

2010

En % du PIB

Afrique

Asie du Sud-Est

Chine

Europe de l’Est

Amérique latine

Europe de l’Ouest

900

800

700

600

500

400

1990 1995 2000 2005 2010

300

200

100

0

Afrique

Amériques

Méditerranée orientale

Europe

Asie du Sud-Est

Pacifique occidental

Taux

pou

r 10

0 00

0 na

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nces

Malgré l’amélioration des principaux indicateurs de mortalité et de morbidité, les problèmes de santé demeurent une problématique fondamentale, particulièrement dans les pays en développement. Dans ce contexte, les besoins hospitaliers augmentent déjà et sont appelés à croître fortement dans les prochaines décennies. Le secteur privé a un rôle important à jouer pour contribuer à apporter les réponses appropriées.

Panorama mondial des dépenses de santé, 2012

Evolution des dépenses de santé, en % du PIB, 2000-2010

Evolution du taux de mortalité maternelle par région, 1990-2010

Source : Calculs de la rédaction à partir des données de l’OMS, 2012 Source : OMS, 2012

DÉPENSES DE SANTÉ EN PARITÉ DE POUVOIR D'ACHAT (PPA)PAR HABITANT, 2010 (EN DOLLARS)

ESPÉRANCE DE VIE EN 2011

56-60 ans

61-65 ans

51-55 ans

< 50 ans

76-80 ans

> 80 ans

71-75 ans

66-70 ans

154 USD

331 USD 2 795 USD

AMÉRIQUE DU NORD7 859 USD

860 USD

171 USD

INDE126 USD

CHINE374 USD

JAPON3 120 USD

PACIFIQUE2 664 USD

1 173 USD

AMÉRIQUE LATINE

EUROPE DE L'OUEST

AFRIQUE

EUROPE DE L'EST

MÉDITERRANÉE ORIENTALE

ASIE DU SUD-EST

Note : Le total des dépenses de santé inclue les dépenses publiques et privées.Source : OMS, 2012

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Secteur Privé & Développement

Mortalité néonatale dans les établissements publics

Bénin

Mortalité néonatale dans les établissements privés

Camero

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Rép. D

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6

5

4

3

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1

0

Taux

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Pays à basrevenus

Pays à revenumoyen / inférieur

Pays à revenumoyen / supérieur

Pays à revenusélevés

100

80

60

40

20

0

Autres dépenses privées de santéDépenses à la charge du patientDépenses publiques de santé

39 %

13 %

48 %

39 %

7 %

54 %

55 %

11 %

34 %

62 %

24 %

14 %

En %

MédecinsPersonnel infirmier et sages-femmes 80

70

60

50

40

30

20

10

0

Lits d’hôpitaux

Pays à basrevenus

Pays à revenumoyen / inférieur

Pays à revenumoyen / supérieur

Pays à revenus élevés

Global

Nom

bre

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10 0

00 h

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35

30

25

20

15

10

5

00 5 10 15 20 25 30 35 4540

% des ressources humaines mondiales

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Pacifique occidental

Asie du Sud-Est

Europe

Afrique

Méditerranée orientale

Amériques

45

40

35

30

25

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5

02011 2012 2013 2014 2015

Ressources domestiques et externesPrivé

144 milliards de dollars

25 milliards de dollars

En m

illia

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Programme de luttecontre les maladies

24 %

28 %

3 %4 %

41 %

Ressources humaines

Infrastructures, transportset équipements

Systèmes d’informationet gouvernance / réglementation

169 milliards de dollars

Coût des financements

Taux de mortalité néonatale en Afrique par type d’établissement

Personnel et infrastructures de santé par niveau de revenus, 2009

Répartition des besoins de financementdes 49 pays les plus pauvres, 2011-2015

Répartition des dépenses de santé publiques et privées par niveau de revenus, 2009

Note : Ces données sont issues de statistiques collectées entre 2006 et 2008.Source : SFI, 2006 / 2008

Source : OMS, 2012

Estimation des besoins de financement de la santé des 49 pays les plus pauvres, 2011-2015

Source : Calculs de la rédaction à partir des données de l’OMS, 2009 et de FWG, 2010

Source : OMS, 2009

Ressources humaines pour la santépar région, 2006

Note : L’Afrique supporte 24 % de la charge de morbidité mondiale mais n’a accès qu’à 3 % du personnel de santé mondial et à moins de 1 % des ressources mondiales ( incluant les dons ou prêts de l’étranger ).La taille des cercles est proportionnelle aux dépenses totales en santé.Source : Etude Mc Kinsey, 2009

Source : OMS, 2009 et FWG, 2010

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Le secteur privé contribue-t-il

à améliorer les systèmes de

santé des pays en développement ?

Amener le secteur privé de la santé à aider les plus démunis : bon sens ou optimisme aveugle ?De nombreux bailleurs internationaux pensent que la couverture de santé universelle peut être atteinte en développant le secteur privé de la santé dans les pays à faibles revenus. Pourtant, Oxfam a mis en évidence les faiblesses du secteur privé en la matière – et le coût d’une telle approche. La voie la plus efficace et rentable pour garantir la couverture sanitaire universelle consiste au contraire à renforcer le secteur public de la santé.

La mise en place de la couverture sani-taire universelle (CSU) gagne du terrain dans le monde. La CSU a pour objectif

de garantir à toutes et tous l’accès à des ser-vices de santé de qualité, indépendamment de la capacité de chacun à payer. La mise en place de la CSU repose sur le développement des services et sur une réduction drastique des paiements pris en charge directement par les patients. De plus en plus d’études affirment que les services publics de santé, en dépit de graves difficultés dans de nombreux pays, sont les systèmes de santé les plus équitables et les plus performants. En outre, les plus démunis bénéficient d’une meilleure prise en charge dans le cadre de systèmes de santé fon-dés sur l’universalité plutôt que sur le ciblage.

Anna Marriott et Marame Ndour

Conseillère sur les politiques de santé, Oxfam Responsable de plaidoyer santé, Oxfam

De nombreux bailleurs de fonds internatio-naux voudraient pourtant nous faire croire qu’un secteur privé bien établi et en crois-sance est le meilleur moyen d’atteindre la CSU. Un rapport de la Société financière internationale montre par exemple que le secteur privé doit jouer un rôle central dans le développement des services de santé ac-cessibles aux plus démunis (SFI, 2008). Ce document précise également que le secteur privé peut permettre d’économiser des fonds publics grâce à l’apport de ressources et à l’amélioration de l’efficacité et de la qualité des services. Le rapport de 2011 de la SFI et de la Banque mondiale affirme lui que « pour concrétiser les améliorations nécessaires, les gouvernements devront compter plus lar-gement sur le secteur privé » (SFI, Banque mondiale, 2011). Mais ces arguments sont-ils réellement valables ? En 2009, Oxfam a publié un rapport controversé qui conclue que les éléments disponibles ne permettent pas de justifier un rôle plus important du sec-teur privé dans le domaine de la santé dans les pays à faibles revenus (Marriott, A., 2009). À l’inverse, cette orientation semble risquée et coûteuse. Bien entendu, certains partisans du secteur privé ont accusé Oxfam d’avoir une approche idéologique et sélective (Harding, A., 2011). Mais récemment, plusieurs études internationales validées par des pairs ont confirmé bon nombre des résultats d’Oxfam.

Le développement du secteur privé, une fausse alternativeLe fait que le secteur privé soit, dans de nom-breux pays, le principal prestataire de services

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Secteur Privé & Développement

ponibles pour les établissements du secteur public – qui assuraient aussi les soins de po-pulations démunies (Basu et alii, 2012). En Thaïlande et en Inde, le personnel qualifié a déserté les établissements publics en milieu rural du fait de la croissance du secteur privé (Wibulpolprasert, S., Pengpaibon, P., 2003 ; De Costa, A., Diwan, V.K., 2007).

Des coûts plus importants Loin d’atteindre de meilleurs résultats à moindre coût, le secteur privé est en réalité synonyme de dépenses plus élevées. Selon des études menées dans différents pays, le coût des médicaments délivrés sur ordon-nance est largement supérieur dans le sec-teur privé (Basu, S. et alii, 2012). Les coûts augmentent lorsque les prestataires privés prescrivent des traitements rentables plutôt que des traitements avant tout médicalement justifiés. Au Chili, le secteur privé participe massivement au système de santé ; le pays enregistre un des taux de naissances par césa-rienne les plus élevés au monde – une inter-vention coûteuse et pas toujours nécessaire (Murray, S.F., 2000). En Colombie, les frais de santé ont augmenté considérablement après la réforme de 1993 favorisant la privatisa-tion : 52 % du montant des cotisations par bénéficiaire étaient consacrées aux dépenses administratives (De Groote et alii, 2005). En Tanzanie, même les médicaments génériques étaient cinq fois plus chers dans les établis-sements privés que dans ceux du secteur public (Makuch et alii, 2010). En Chine, le mouvement de privatisation a conduit à un recul des soins de santé préventive, qui sont moins rentables : la couverture vaccinale s’est réduite de moitié en cinq ans à la suite des ré-formes. Les taux de prévalence de la tubercu-lose, de la rougeole et de la poliomyélite sont désormais en hausse et pourraient coûter à l’économie des millions en perte de produc-tivité et en traitements injustifiés (Huong, D.B., Phuong, N.K. et alii, 2007).La difficulté de gérer et de réguler le secteur privé de la santé engendre des inefficacités, en particulier lorsque l’État dispose de capaci-tés limitées et que les prestataires privés sont trop peu nombreux pour assurer une concur-rence au niveau des tarifs. Au Cambodge, les coûts d’exploitation des prestataires privés étaient inférieurs seulement dans 20 % des programmes contractuels pour lesquels des données étaient disponibles (Bhushan et alii, 2007). À Madagascar et au Sénégal, les coûts de transaction pour enga-ger des prestataires privés en sous-traitance se sont traduits par une augmentation

de santé ne signifie pas qu’il faille le renfor-cer. Dans de nombreux pays en développe-ment, le secteur privé assure en effet une part importante des soins ambulatoires : en Afrique, 40 % de ces services sont assurés par des officines informelles qui vendent par ail-leurs des médicaments de qualité douteuse. Si l’on compare la qualification des personnels soignants de deux secteurs, le secteur public domine dans l’ensemble des 22 pays à reve-nus faibles et intermédiaires où les données sont disponibles, à l’exception de trois pays (Gwatkin, D.R., 2000). En outre, la proportion des soins assurée par le secteur privé n’est pas un indicateur qui permet de vérifier si l’accès aux soins est facilité. En Inde, le secteur privé assure plus de 80 % des soins ambulatoires ; pour autant, la moitié des femmes n’ont pas accès aux soins médicaux lors de leurs ac-couchements. Même si 100 millions de per-sonnes sombrent chaque année dans la pau-vreté en raison des frais de santé qu’ils ont à payer directement (OMS, 2010), l’ampleur de ces dépenses privées est vue parfois comme une source de bénéfices potentiels pour les entreprises du secteur privé.L’idée selon laquelle la prestation de soins de santé par le secteur privé peut complé-ter et soulager les États est sans fondement. Pour attirer les prestataires du secteur privé sur des marchés de la santé risqués et peu rentables, il faut mobiliser des subventions publiques conséquentes. En Afrique du Sud, les mesures d’allégement fiscal accordées au titre des cotisations à un régime d’assurance maladie privé ont coûté à l’État en 2001 l’équivalent de près de 30 % du budget annuel consacré à la santé. Au cours de cette période, la puissance publique a dépensé 12 fois plus en assurance maladie privée pour ses fonc-tionnaires que pour le financement des ser-vices de santé du secteur public par personne dépendante de ces services (McIntyre, D., Thiede, M., 2004). Dans de nombreux pays, plutôt que de renforcer les capacités sani-taires, le développement du secteur privé a eu un effet d’éviction sur les services publics. Au Ghana, en Afrique du Sud, en Ouganda et au Brésil, le développement des soins pri-vés a entraîné la réduction des revenus dis-

Oxfam est une confédération internationale de 17 organisations, œuvrant ensemble dans plus de 90 pays. Leader mondial dans le domaine du secours d’urgence, Oxfam International met en place des programmes de développement à long terme dans les communautés vulnérables. Oxfam fait partie d’un mouvement mondial qui fait campagne contre les règles commerciales inéquitables, pour l’accès de tous à des services de santé et d’éducation de meilleure qualité. Oxfam lutte également contre le changement climatique.

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à améliorer les systèmes de

santé des pays en développement ?

des dépenses totales de 13 % et 17 % res-pectivement (Basu et alii, 2012). Au Lesotho, pour remplacer le principal hôpital public par un établissement construit et exploité par le secteur privé, l’État a dû engager une dépense de 32,6 millions de dollars en rede-vance annuelle en faveur de l’opérateur. Étant donné que le budget annuel consacré au pré-cédent hôpital était inférieur à 17 millions de dollars, cela représente une augmenta-tion massive (près de 100 %) des dépenses (Lister, J., 2011).

Un impact sur l’accès et la qualité des soins qui reste à prouver En règle générale, le secteur privé ne renforce pas la qualité et l’efficacité des services de santé. Neuf études comparatives ont montré

que la précision des diagnos-tics et le respect des normes médicales étaient plus mau-vais chez les prestataires du secteur privé que dans le sec-

teur public (Basu et alii, 2012). Selon les don-nées issues de 24 pays, les enfants souffrant de diarrhées ont moins de chances de rece-voir des sels de réhydratation oraux et plus de chances de se voir prescrire d’inutiles antibio-tiques par des prestataires privés. La Banque mondiale affirme que le recours à des prestataires privés permettra de stimuler la réactivité et améliorera la responsabilité des acteurs du secteur ; c’est un argument qui reste largement théorique. En réalité, la sous-traitance au privé offre une réelle prise à la corruption, tant au niveau de l’attribu-tion des marchés qu’au niveau de la presta-tion de services. Selon un rapport commandé par le gouvernement indien, les hôpitaux pri-vés sous contrat et subventionnés par l’État pour prendre en charge gratuitement les pa-tients démunis étaient incapables de remplir leur mission (Qureshi, A.S., 2001)1. Enfin, le secteur privé peut accroître les inégalités. Il favorise en effet les personnes capables d’assumer financièrement le coût de leurs traitements. L’exclusion de patients dispo-sant de faibles revenus par les prestataires privés a été constatée en Afrique du Sud et au

Paraguay. Plusieurs études suggèrent que les processus de privatisation des services pu-blics de santé ont accentué les inégalités en matière de répartition des services dans des pays comme la Tanzanie et le Chili. En Chine, le lien entre le mouvement de privatisation et l’augmentation des dépenses directes a été statistiquement établi (Basu et alii, 2012).

Atteindre l’accès aux soins pour toutes et tousLe secteur privé à but lucratif joue un rôle majeur dans certains aspects des systèmes de santé – notamment la fabrication et la distri-bution de fournitures médicales et de médi-caments à des prix abordables. Toutefois, son rôle et sa potentielle valeur ajoutée restent encore à clarifier lorsqu’il s’agit de l’offre de services de santé destinés aux plus démunis. Le secteur privé génère de sérieuses défail-lances de marché qui constituent un obs-tacle considérable de plus à l’amélioration de la qualité et de l’efficacité des services de santé. Pour autant, la démonstration des performances médiocres du secteur privé ne devrait pas servir à minimiser les problèmes des systèmes publics de santé dans les pays en développement. Ils existent réellement et, pour s’y attaquer, il faut mobiliser des ressources et assurer un leadership compé-tent. Les recherches sur les pays à revenus intermédiaires et élevés les plus performants – comme la Thaïlande – montrent que peu de progrès seront réalisés en matière de cou-verture universelle des soins de santé tant que les meilleures compétences et de réelles ressources ne seront pas consacrées à faire du secteur public le principal prestataire de soins. Donner aux patients la possibilité d’accéder à des services publics gratuits et de qualité est aussi une manière de réguler efficacement le secteur privé ; il n’a alors pas d’autre choix que d’améliorer ses prestations et de proposer des services encore meilleurs pour attirer les patients qui payent eux-mêmes leurs soins.

« Les processus de privatisation des services

publics de santé ont accentué les inégalités. »

1 Selon l’étude entreprise par Justice Quereshi, les groupes hospitaliers privés en Inde sont des « planches à billets ».

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Secteur Privé & Développement

La santé dans les pays en développement : des opportunités pour le secteur privéDes investissements importants sont nécessaires pour répondre à la demande croissante de services de santé en Afrique subsaharienne. En ciblant les populations les plus démunies - qui représentent 70 % du pouvoir d’achat du continent -, les investisseurs peuvent allier rendement financier et objectifs sociaux. Les modèles économiques basés sur cette clientèle constituent un levier décisif pour l’offre de soins de qualité dans les pays en développement.

L es services médicaux en Afrique sont en totale inadéquation avec les besoins que génèrent les différentes maladies

qui sévissent sur le continent. Les infrastruc-tures de santé sont inadaptées, la règlemen-tation est insuffisante et d’une excessive lour-deur. Cette situation produit une inégalité à

Jacob Kholi et Ruth Wanjiru

Associé principal d’Abraaj Group et directeur associé de l’Africa Health FundAnalyste chez Abraaj Group et coordinateur des évaluations de l’impact social de l’Africa Health Fund

grande échelle face aux soins et un morcelle-ment des services de santé assurés par le sec-teur public. Mais cela donne également au secteur privé l’opportunité de jouer un rôle dans l’offre de services de santé accessibles et de bonne qualité. Selon le rapport The Bu-siness of Health in Africa, ce sont quelques 25 à 30 milliards de dollars qui devront être investis en Afrique subsaha-rienne dans des actifs de san-té – notamment des hôpitaux, des dispensaires et des entre-pôts de distribution – pour sa-tisfaire les demandes crois-santes de soins (SFI, 2008) Le rapport souligne par ail-leurs que 50 % des opportuni-tés d’investissement devraient se concentrer sur l’offre de services de san-té, suivie par la distribution et le commerce de détail des produits de santé (14 %), par la biologie (14  %), par la mutualisation des risques (13 %) et la formation médicale (9 %). En tant que capital-investisseur opérant en Afrique, Abraaj Group a entrepris d’amélio-rer et de soutenir les services de santé par le biais de l’Africa Health Fund (AHF). Le Fonds cible principalement les prestataires de soins, la distribution, la mutualisation des risques et la formation médicale. De même, les investissements réalisés par l’AHF ciblent des sociétés du secteur de la santé qui servent en priorité les populations les plus pauvres – soit directement, soit indirecte-ment. En effet, les estimations de l’Institut des ressources mondiales (WRI) montrent que le marché de la santé de la base de la pyramide (BoP)1 est en Afrique de

« Les services médicaux en Afrique sont en totale inadéquation avec les besoins que génèrent les différentes maladies qui sévissent sur le continent. »

Membre de la direction d’Abraaj Group Jacob Kholi est chargé des investissements et des activités en Afrique. Il dispose d’une riche expérience en matière de capital-risque et de capital-investissement, acquise au cours des 17 années passées en Afrique de l’Ouest avec CDC Group. Titulaire d’un Executive MBA en affaires internationales (Paris Graduate School of Management) et d’un MSc en finance et droit financier (Université de Londres), il est membre de l’Institute of Chartered Accountants du Ghana.

Ruth Wanjiru est analyste chez Abraaj Group et coordonne les évaluations de l’impact social de l’Africa Health Fund.

jACOB khOLI eT RuTh WAnjIRu

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Le secteur privé contribue-t-il

à améliorer les systèmes de

santé des pays en développement ?

8,1 milliards de dollars - ce qui cor-respond à la dépense annuelle de 258 mil-lions d’Africains. Le soutien aux services de santé en Afrique passera donc nécessai-rement par l’intégration de ces populations pauvres - qui représentent 70 % du pouvoir d’achat de l’Afrique - dans un modèle écono-mique. Les investissements dans le secteur de la santé ne sauraient négliger le potentiel d’un tel marché.

La base de la pyramide, un marché important En l’absence de marchés formels et efficaces, les plus pauvres payent plus pour les pro-duits et services que ceux qui se situent au sommet de la pyramide2. L’AHF est convain-cu que les pratiques sociales des entreprises améliorent les rendements financiers tout en étant utiles à la société. En moyenne, 60 % des utilisateurs finaux servis en 2012 par six des bénéficiaires du Fonds apparte-naient à la base de la pyramide. Les recettes combinées de ces six investissements, répar-tis en Afrique de l’Est et Afrique de l’Ouest, s’élevaient à 32,1 millions de dollars en 2011 - attestant de la réalité du pouvoir d’achat de ces consommateurs. Un bon investissement doit donc répondre aux besoins des populations de la base de la pyramide. Il peut s’agir d’investis-sements dans les soins spécialisés desti-nés aux femmes et aux enfants - qui repré-sentent une population particulièrement fragile ; ou bien dans des entreprises fabri-quant des médicaments et des produits mé-

dicaux de base à l’attention des plus pauvres, à l’exemple de Revital Healthcare Li-mited. Cette société est ti-tulaire d’une certification de l’OMS et d’un certificat de conformité européenne re-connaissant la qualité de ses processus de fabrication et de ses produits. Elle exporte

plus de 50 % de sa production vers d ’autres pays d ’Afr ique. Ses ser in-gues autobloquantes sont utilisées par les pouvoirs publics et les ONG dans les campagnes et les programmes de

lutte contre la transmission des maladies infectieuses. Le travail effectué sur des entreprises du secteur de la santé a permis d’identifier trois principaux modèles que peuvent suivre les sociétés pour atteindre les populations de la base de la pyramide. Le premier modèle repose sur le finan-cement croisé : une partie des béné-fices sert à financer les dépenses de per-sonnes n’ayant pas les moyens de payer les services. Le deuxième modèle vise à élargir la zone de couverture commer-ciale : les différents services ou la dis-tribution de produits sont étendus à des territoires et des régions compor-tant une part importante de popula-tions très pauvres. Cette méthode a été employée avec succès, avec l’implanta-tion de centres médicaux et de dispen-saires en zones rurales. Le troisième mo-dèle consiste à améliorer les processus : les processus de fabrication ou de presta-tion de services sont révisés de manière à réduire les coûts – et donc les prix – pour rendre les services plus abordables. Investir dans des partenariats public-privé constitue une autre manière d’at-teindre les consommateurs les plus dé-munis. Bridge Clinic, par exemple, a engagé un partenariat avec l’adminis-tration de Lagos pour établir le Lagos State Institute for Fertility Medicine (IFM). L’IFM fournit des services d’aide à la procréation à des coûts abordables ; 73 % des patients traités à l’IFM appar-tiennent à la base de la pyramide (Dalberg Global Development Advisors, 2012). En termes de mesure d’impact, les socié-tés bénéficiant des investissements de l’AHF sont évaluées par un consultant in-dépendant en fonction de leur capacité à toucher les populations les plus pauvres. Chaque investissement est évalué par rapport à trois critères : A, 50 % des uti-lisateurs finaux servis directement ou in-directement par la société du portefeuille appartiennent à la base de la pyramide ; B, 70 % des utilisateurs finaux servis di-rectement ou indirectement par la so-ciété du portefeuille appartiennent à la base de la pyramide ; C, 15 % des utilisa-teurs finaux servis directement ou indi-rectement par la société du portefeuille

« En l’absence de marchés formels et

efficaces, les plus pauvres payent plus pour les produits et

services que ceux qui se situent au sommet de la

pyramide. »

1La base de la pyramide (BoP, de l’anglais base of the pyramid) désigne selon la définition de l’AHF, ceux dont les revenus annuels nets moyens par foyer sont inférieurs à 3 000 dollars mesurés en parité de pouvoir d’achat. Il s’agit d’un phénomène désormais bien établi, connu en anglais sous l’expression de poverty penalty. 2 Il s’agit d’un phénomène désormais bien établi, connu en anglais sous l’expression de poverty penalty

L’Africa Health Fund (AHF) a été établi en 2009 avec le concours de plusieurs institutions, notamment la Banque africaine de développement, la Fondation Bill et Melinda Gates, la SFI et Proparco. Il dispose de 105,4 millions de dollars. À ce jour, 43 % des investissements de l’AHF se sont portés sur l’offre de services de santé, 29 % sur le commerce de détail de produits de santé, 14 % sur la fabrication et 14 % concernaient la mutualisation des risques.

R E P è R E S

La santé dans les pays en développement : des opportunités pour le secteur privé

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Secteur Privé & Développement

« Des projets d’expansion,soigneusement contrôlés, constituentune base solide pour le déploiement de capitaux. »

appartiennent à des foyers dont les revenus moyens sont inférieurs à 1000 dollars par an. Les données utiles à l’évaluation sont re-cueillies au cours d’entretiens avec des uti-lisateurs finaux. Sur six sociétés ayant fait l’objet d’une évaluation en 2012, six rem-plissaient le critère C, et cinq remplissaient le critère A.

Spécificités de l’investissement La plupart des entreprises agissant dans le domaine de la santé en Afrique sont de pe-tite taille, dégageant en général moins de 0,5 million de dollars de bénéfices annuels, et sont gérées par leurs propriétaires. Leur rentabilité est limitée compte tenu de la clientèle qu’elles ciblent. En conséquence, les structures classiques de capital-investisse-ment ne sont pas toujours adaptées. Pour protéger le capital des investisseurs, un certain nombre d’investissements sont réa-lisés avec des instruments convertibles, de quasi-fonds propres – qui fournissent un cer-tain degré de liquidité. Des projets d’expan-sion, soigneusement contrôlés, constituent une base solide pour le déploiement de ca-pitaux et le développement des entreprises. Il faut donc avoir une vision stratégique de l’investissement, en mobilisant tout d’abord des capitaux limités (0,25 à 3 millions de dollars), constituant un socle à partir du-quel les objectifs de croissance escomptés par les investisseurs pourront être complé-tés par la croissance externe. Par la suite, des capitaux supplémentaires pourront être in-vestis, au regard des opportunités de crois-

sance constatées. La durée moyenne des in-vestissements de l’AHF est de cinq ans, avec un objectif de taux de rendement interne -brut de 15 % par an. Les stratégies de sortie sont principalement la cession à une autre en-treprise, le rachat d’actions et l’introduction en bourse.Si la plupart des entreprises du secteur de la prestation de soins se caractérisent par ail-leurs par la faiblesse de leur gouvernance, elles ont aussi toutes les chances de présen-ter des taux élevés d’occupa-tion des lits et un fort poten-tiel de croissance interne. Ces sociétés doivent donc être très suivies dans les premières phases de l’investissement, pour vérifier la gestion de trésorerie, la so-lidité des processus de gouvernance, la mise en place des procédures. Il faut s’assurer de la constitution d’un conseil d’administration professionnel, remplacer au besoin certains dirigeants, renforcer les systèmes d’infor-mation pour accompagner le développement de l’entreprise. Le secteur des mutuelles de santé est un sec-teur difficile, compte tenu du taux de fraude élevé (fraudes des prestataires de services et des usagers), de l’incapacité à maîtriser les coûts en général, et du coût élevé que re-présente l’assurance maladie pour une ma-jorité de la population. Selon les estima-tions, l’assurance maladie couvre grosso modo 1 % de la population africaine – Afrique du Sud non comprise. En Afrique de l’Est,

En 2011, l’AHF a pris des participations dans AbeC Sanitas, une holding ghanéenne qui possédait alors deux hôpitaux, cinq cliniques in-house, une pharmacie et une unité de gestion intégrée des soins. L’investissement était destiné à soutenir la création d’un centre de diagnostic ultra-moderne dans un des hôpitaux du groupe. La qualité et le niveau technologique de cet établissement privé en fait un des pionniers en matière d’offre de soins de santé spécialisés au Ghana. D’un petit dispensaire implanté dans les quartiers pauvres, C&J Medicare (le nom commercial des deux hôpitaux) est aujourd’hui un des plus importants prestataires de soins d’Accra. L’hôpital offre un large éventail de services, et dispose de services de radiologie, d’échographie, d’un électrocardiogramme, de laboratoires, d’une unité de soins (39 lits), de services de petite chirurgie, d’une pharmacie fonctionnant en continu, de services ambulatoires et d’un service de consultation par téléphone. À travers son unité de gestion intégrée des soins, C&J fournit un service médical aux employés de

plus de cent grandes entreprises, comprenant des cliniques in situ pour des sociétés comme Coca-Cola Bottling Company, Pioneer Food Cannery, PZ Cussons et Cargill Ghana Limited.Abraaj Group, via le système d’assistance technique d’AHF, a apporté à C&J 250 000 dollars pour recruter des spécialistes et améliorer son système d’information. Abraaj Group travaille activement avec la direction au développement et à la mise en œuvre des programmes de création de valeur destinés à assurer la viabilité financière et opérationnelle de la holding. La collaboration se fait sous la forme de discussions régulières avec la direction, d’un suivi continu des résultats financiers et opérationnels et de la participation aux réunions du conseil d’administration. Une évaluation réalisée par Dalberg Global Development Advisors en 2012 a montré que 59 % des patients servis par AbeC Sanitas appartenaient à la base de la pyramide. L’impact le plus important sur la population défavorisée a été obtenu avec les cliniques directement situées dans les locaux des entreprises clientes.

encadré 1 : abec saniTas : une éTude de cas

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Le secteur privé contribue-t-il

à améliorer les systèmes de

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seuls 4 % des 126 millions d’habitants bénéficient d’une couverture minimale, pour eux-mêmes et les membres de leur famille. Dans la plupart des pays, les régimes d’assu-rance maladie nationaux sont en décalage par rapport aux taux d’inflation des coûts médi-caux – ce qui les rend moins attractifs pour les prestataires privés de services de san-té. Le secteur des mutuelles de santé offre néanmoins une perspective d’investisse-ment séduisante dès lors qu’elle est combi-née à la prestation de services de santé dans le cadre d’une gestion intégrée des soins (ma-naged healthcare)3. Ce constat est conforté par l’expérience de deux des investissements de Abraaj Group : au Ghana, C&J Medicare Li-mited (Encadré 1) fournit des services mé-dicaux aux salariés de plus de cent grandes entreprises tandis que 70 % des clients d’Ave-nue Group, au Kenya, ont souscrit au pro-gramme de gestion intégrée des soins proposé par la société.

Les principaux enjeux du secteur privé de la santé en AfriqueDe nombreux acteurs interviennent dans le secteur privé de la santé en Afrique : pouvoirs publics, organismes confessionnels, ONG, fondations et sociétés de droit privé. Si la plu-part des acteurs offrent des produits et des services analogues, certains sont lourdement subventionnés. Cela induit une distorsion du marché en matière de prix et de qualité. La ré-glementation doit donc s’attacher à standar-diser l’offre de santé. Selon les estimations du Medical Credit Fund, 90 % des prestataires de services et des fournisseurs de produits de santé n’ont, en Afrique, aucun accès au capital. Cela s’ex-plique par leurs faibles garanties et des an-técédents de crédit limités, par un risque de crédit élevé pour le secteur et des taux d’inté-

rêt importants. L’accès aux ca-pitaux à long terme est pour-tant essentiel à l’amélioration et la préservation des ser-vices de soins dans les pays en développement. En faci-litant les opérations de fu-sion entre spécialistes du secteur, les entreprises pour-ront développer leur acti-vité et créer des avantages

opérationnels et financiers – pour les entre-preneurs comme pour les investisseurs. Les entreprises qui n’ont pas accès au capital-in-vestissement peuvent se tourner vers des business angels, des institutions de microfi-

Références / Dalberg Global Development Advisors, 2012. / SFI, 2008. IInvestir dans la santé en Afrique. Le secteur privé : un partenaire pour améliorer les conditions de vie des populations. Washington. Groupe de la Banque mondiale.

encadré 2 : le rôle des pMe sur le Marché africain de la sanTé

L’émergence de la classe moyenne africaine s’accompagne d’une demande de soins de santé de qualité. Les PME y répondent en améliorant leurs services et en offrant un éventail plus large de prestations de laboratoire et d’imagerie médicale. Sous l’effet d’une concurrence accrue, les PME prennent progressivement un rôle de premier plan, en innovant avec des modèles privilégiant les bas coûts et les gros volumes. Cela ne va pas sans difficultés.La qualité des services et produits de santé est compromise par un manque de normes réglementaires strictes. Par ailleurs, les normes internationales d’accréditation sont hors de portée de la plupart des PME, du fait du coût élevé de leur mise en œuvre et de la petite taille des entreprises. Alors que la qualité fait partie intégrante du métier, elle est supplantée par d’autres priorités. Dans la plupart des cas, elle est considérée comme relevant de la responsabilité d’un service ou d’une personne – plutôt que d’engager tout le personnel. Il est donc nécessaire de former le personnel à la transversalité des questions de qualité, à tous les niveaux de l’entreprise. Les PME sont confrontées à la concurrence des ONG et des organisations confessionnelles, qui proposent des services analogues aux leurs tout en étant fortement subventionnées – ce qui créé une distorsion du marché en matière de prix. Les compagnies d’assurance, elles, proposent des produits novateurs de micro-assurance médicale pour séduire les classes moyennes émergentes – ce qui renforce fort heureusement l’offre de soins de santé à des prix abordables. Le renforcement des compétences devient, par ailleurs, une nécessité.

nance ou les institutions financières de déve-loppement. Les pouvoirs publics peuvent aus-si soutenir les petites et moyennes entreprises (PME) (Encadré 2) en incitant les banques à investir dans ces structures ou en renforçant les partenariats entre le secteur public et le secteur privé. La plupart des pools de capitaux en Afrique ciblent les trois grandes maladies infectieuses que sont la malaria, la tuberculose et le VIH/Sida. Pourtant, des opportunités existent dans d’autres domaines de la santé ; la diver-sification de l’investissement contribuera à la fois à assurer une rentabilité financière et la réalisation d’objectifs sociaux. En Afrique subsaharienne, l’inclusion des po-pulations les plus démunies dans un modèle économique formel est nécessaire à l’amélio-ration de leurs conditions de soins. Les so-ciétés du secteur privé offrant des services et du matériel de santé ont besoin, pour ré-pondre à la demande, de se développer – elles ne peuvent le faire sans apport de capitaux. Ce contexte, couplé au poids économique du marché du bas de la pyramide - bien réel -, pourrait fort bien favoriser l’investissement dans le secteur de la santé

La santé dans les pays en développement : des opportunités pour le secteur privé

3 La gestion intégrée des soins associe médecins et gestionnaires dans un programme qui peut comprendre à la fois une assurance maladie, des soins hospitaliers, voire un service de prise en charge sociale.

« En Afrique subsaharienne,

l’inclusion des populations les plus

démunies dans un modèle économique

formel est nécessaire à l’amélioration de leurs

conditions de soins. »

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Secteur Privé & Développement

Des soins abordables et de qualité pour les populations indiennes les plus défavoriséesSpécialisée dans la santé maternelle et infantile, LifeSpring cible en priorité les femmes les plus défavorisées. Son modèle économique repose sur des tarifs compétitifs, sur la qualité et la spécialisation des services, sur la mise en place de partenariats. LifeSpring met ainsi en adéquation objectifs financiers et sociaux. Sa politique d’expansion privilégie par ailleurs le regroupement géographique, qui permet de mutualiser certains services.

Avec une population en croissance continue de plus de 1,2 milliards d’habitants, l’Inde estimait son

taux de mortalité maternelle à 254 pour 100 000 naissances en 2011 - alors qu’il était encore de 400 pour 100 000 en 1990. Malgré ce progrès, ce taux est encore près de quinze fois plus élevé que celui des pays développés. L’Inde s’est fixée pour objectif de le ramener à 109 pour 100 000 d’ici 2015, conformé-ment aux Objectifs du Millénaire pour le dé-veloppement énoncés par les Nations Unies en matière de santé maternelle. L’Inde contri-

bue aujourd’hui à hauteur de 25 % à la mortalité ma-ternelle mondiale. Seule-ment 19 % des mères in-diennes du quintile le plus pauvre reçoivent une as-sistance à l’accouchement par du personnel quali-fié (contre 53 % pour l’en-semble des mères) ; 5 % d’entre elles accouchent dans une maternité pri-vée, contre 27 % des mères non pauvres (sur le sys-tème de santé indien, voir Encadré). Par ailleurs, le pays n’est pas parvenu à atteindre son objectif de réduction du taux de mor-talité infantile, qu’il vou-lait ramener à 28 pour 1 000 naissances vivantes en 2012. Il est peu pro-bable que l’objectif soit at-teint d’ici la fin 2016.

Anant Kumar

Fondateur et président-directeur général de LifeSpring

L’urbanisation rapide de l’Inde s’est accompa-gnée d’une explosion du nombre de pauvres résidant en ville, qui bien qu’en déclin, conti-nue à représenter plus de 20 % de la popu-lation urbaine. Lorsqu’il s’agit d’accéder aux services de soins maternels et infantiles, ces populations n’ont pas beaucoup de choix. Les hôpitaux publics ont des ressources limitées et les grands hôpitaux privés pratiquent des prix élevés, souvent hors de leur portée. Les petites maternités privées1 manquent de transparence dans les prix qu’elles pratiquent et n’offrent pas toujours un service de qualité. Reste bien entendu l’accouchement à domi-cile. Par une approche marché, LifeSpring répond au manque de soins de santé mater-nelle de qualité à des prix abordables pour les populations indiennes les moins favorisées. Alors que 80 % des dépenses de santé restent à la charge des patients, LifeSpring réduit de manière significative le poids croissant des dépenses de santé pesant sur les com-munautés les plus pauvres du pays. Le cœur de clientèle de LifeSpring est le segment des 60 % de la population indienne ayant les reve-nus les plus bas, des ménages gagnant entre 3 000 et 7 000 roupies indiennes par mois (soit environ deux à cinq dollars par jour). Beaucoup d’entre eux travaillent dans le secteur informel (micro-entrepreneurs, par exemple) ou sont journaliers. 80 % des clients de LifeSpring n’ont pas poursuivi leurs études au-delà du premier cycle de l’enseignement secondaire ou se sont arrêtés avant. LifeS-pring propose un large éventail de services de santé maternelle et infantile : soins pré-natals, soins postnatals, accouchements par voie naturelle ou par césarienne, planification familiale, vaccinations, consultations 1Les services hospitaliers de moins de 30 lits représentent près de 84 % du secteur privé lucratif – un secteur qui est aussi le plus désorganisé, dont la plupart des établissements sont gérés par un seul médecin.

Après avoir travaillé en marketing social et rural, Anant Kumar a créé en 2005 la première maternité LifeSpring. Il a remporté de nombreux prix d’entreprenariat social et participe à des comités d’experts du secteur de la santé. Diplômé en management de l’Institute of Rural Management (Anand) il possède aussi un diplôme en gestion des soins de santé et des hôpitaux du Symbiosis Institute (Pune), ainsi qu’un diplôme en entrepreneuriat social de l’INSEAD (Singapour).

AnAnT kumAR

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Le secteur privé contribue-t-il

à améliorer les systèmes de

santé des pays en développement ?

pédiatriques, services pharmaceutiques, éducation à la santé des populations envi-ronnantes. Les maternités LifeSpring ont été créés et fonctionnent sans recourir ni aux dons ni aux subventions pour leurs activités de base ; l’entreprise considère que l’autono-mie financière est un élément déterminant de son modèle et de sa capacité à se développer.

Un modèle privé novateurLe modèle de LifeSpring repose sur la qualité, les bas coûts et un service orienté client. La pre-mière maternité, conçue comme un pilote, est entrée en activité en 2005. Moins de deux ans plus tard, elle avait atteint son seuil de renta-bilité. Chaque maternité LifeSpring est prévue pour être rentable au bout de 18 à 24 mois de fonctionnement. Certes, LifeSpring est une organisation à but lucratif, mais la chaîne ne cherche pas à maximiser ses profits. Ses tarifs sont inférieurs d’au moins 50 % à ceux du marché : le prix d’un accouchement par voies naturelles est de 5 000 roupies indiennes (environ 90 dollars), celui d’une césarienne de 12 000 roupies (environ 218 dollars), pour des séjours « tout compris » d’une du-rée respective de deux jours et de cinq jours. Un établissement de taille moyenne facture habituellement autour de 200 dollars pour un accouchement par voies naturelles et de 280 à 500 dollars pour une césarienne. LifeSpring fournit en outre des soins préna-tals tout au long de la grossesse. Le prix d’un bilan de santé prénatal avec un gynécologue est de 100 roupies (environ 1,50 dollar) par visite. Ces tarifs n’empêchent pas LifeSpring de dégager des profits – comme l’ont démon-tré ses 12 maternités d’Hyderabad.Le maintien de bas coûts est au cœur du mo-dèle économique de la chaîne. En procédant régulièrement à des analyses des coûts par activités, LifeSpring a été en mesure de suivre au plus près les coûts de chaque service et de procéder aux réajustements nécessaires. Le maintien de bas coûts repose sur plusieurs grands principes. Tout d’abord, LifeSpring est spécialisée et pratique un taux élevé d’utilisa-tion de ses actifs. À la différence d’un établis-sement généraliste, LifeSpring n’intervient qu’en santé maternelle. Cette concentration sur un créneau étroit renforce une utilisation rationnelle des ressources. De plus, puisque

les naissances exigeant des soins intensifs représentent tout juste 2 à 3 % des accouche-ments, LifeSpring délègue à des hôpitaux pé-diatriques existants la prise en charge de ces soins spécialisés. Cela permet non seulement de maintenir les investissements à un faible niveau, mais aussi de réduire les frais de ges-tion en limitant le recours à des pédiatres et à des infirmières à temps plein. Par ailleurs, les investissements initiaux ont été limités. Les locaux font l’objet de baux de location de longue durée. Pour ses sites d’implantation, LifeSpring envisage également à l’avenir la mise en place de partenariats public-privé avec l’État. En regroupant plusieurs mater-nités dans la même ville, LifeSpring pratique également la mise en commun de ressources coûteuses entre les établissements – ambu-lances et opérations de gestion, par exemple. En outre, sans compromettre la qualité cli-nique, les maternités offrent un service simple, sans extras : dans la salle commune, les ventilateurs remplacent par exemple les climatiseurs. Pour maintenir les coûts les plus bas, LifeSpring met aussi en place des partenariats innovants. La chaîne externalise par exemple l’activité de laboratoire et a orga-nisé un modèle de partage de revenus avec ses partenaires. L’activité pharmaceutique est également externalisée, les médicaments étant achetés à prix coûtant, ce qui évite à la fois la gestion de stocks, les approvision-nements et les médicaments périmés. Pour améliorer la qualité clinique dans ses mater-nités, LifeSpring a noué un partenariat de deux ans avec l’Institute for Healthcare Im-provement. Enfin, le maintien de coûts bas passe par une action marketing efficace. Les populations les plus démunies constituent la base de la clientèle du modèle de LifeS-pring. Pour mieux cibler ses clients, l’équipe marketing de LifeSpring a réalisé une étude du marché qui a déterminé que les vrais décideurs sont souvent la mère, la belle-mère ou le mari de la femme enceinte. De nouvelles campagnes ont été menées pour atteindre ces décideurs. LifeSpring a égale-ment développé son propre protocole pour son service client2. Pour vérifier la qualité de ses services, Lifespring mène des enquêtes et des entretiens avec ses usagers. Le retour d’informations alimente le système opéra-tionnel et améliore l’ensemble du service.

2Le protocole CARES de LifeSpring, que tous les salariés doivent respecter, est un acronyme de « Courteous, Attentive, Respectful, Enthusiastic, and Safe » (courtois, attentionné, respectueux, enthousiaste et soucieux de la sécurité).

Basée en Inde, LifeSpring est une chaîne de maternités à bas coût. Établie en 2008 elle fait l’objet d’un partenariat entre Acumen Fund (une organisation américaine à but non lucratif) et HLL Lifecare Limited (une entreprise publique indienne). Depuis, LifeSpring n’a cessé de se développer ; elle compte actuellement douze maternités à Hyderabad, réalise 500 accouchements par mois et totalise 20 000 accouchements pour l’ensemble de ses établissements.

R E P è R E S

Des soins abordables et de qualité pour les populations indiennes les plus défavorisées

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Secteur Privé & Développement

encadré – l’évoluTion du secTeur de la sanTé en inde

Depuis l’indépendance, le financement et l’offre publics de services de santé constituent les fondements de la politique de santé indienne. Mais le secteur public souffre de problèmes clairement identifiés : accès inadapté pour les groupes les plus vulnérables, mauvaise qualité et mauvaise couverture des établissements généralistes et spécialisés. Il portait par ailleurs, encore récemment, une attention excessive à la stérilisation au détriment de la santé maternelle et infantile. À l’indépendance, le secteur privé ne représentait que 8 % des établissements de santé. Désormais, selon l’enquête nationale sur la santé des familles portant sur la période 2005-2006 (IIPS, Macro International, 2007), il constitue la première source de soins de santé pour la majorité des ménages, à la fois en milieu urbain (70 %) et en milieu rural (63 %). Le secteur privé comble les lacunes du public et fournit une part croissante des soins de santé de base, en particulier pour les populations pauvres. Mais les établissements privés ne comptent en général qu’un seul médecin, ont très peu d’équipements et de personnel. Beaucoup de ces praticiens n’ont pas accès aux protocoles actualisés pour le traitement des maladies courantes. La qualité des traitements qu’ils proposent est souvent insuffisante. Certains utilisent des tests diagnostiques et des procédures thérapeutiques inadaptés et inutiles et administrent des traitements inappropriés – sans même parler des problèmes éthiques de certaines pratiques. Enfin, les établissements du secteur privé font parfois appel à des prestataires de service non qualifiés et abusent de diagnostics et d’actes thérapeutiques - gonflant ainsi les coûts de manière exorbitante.

3La salle commune constitue l’élément central du projet social de la maternité ; elle représente 70 % des lits.

Impacts et enseignementsDe sa création, en 2005, à octobre 2012, LifeSpring a réalisé plus de 20 000 accou-chements de bébés en bonne santé dans ses 12 maternités, et pratiqué plus de 250 000 bilans prénatals et postnatals. LifeS-pring projette de se développer dans l’en-semble de l’Inde, en visant les bidonvilles. Son action a provoqué une réduction des prix pratiqués par la plupart de ses concurrents. Par ailleurs, les maternités LifeSpring ont été un catalyseur qui a amélioré la qualité des services des autres prestataires. Si la spécialisation est incontestablement un facteur clé du succès de LifeSpring, la société a aussi concentré dès le départ ses efforts sur la viabilité et l’expansion de son modèle. Plus de 150 procédures ont été mises en place, concernant les fonctions cliniques, opéra-tionnelles et le marketing. De nouvelles ma-ternités ont pu être ouvertes régulièrement, de façon parfaitement standardisée. Très rapidement, LifeSpring a investi dans un sys-tème informatique de gestion intégrée pour améliorer la rentabilité de ses maternités et le suivi des clients. LifeSpring est parvenue à concilier des objectifs sociaux et financiers. Dans sa première maternité, elle a appliqué un modèle de financement croisé : les clients des chambres de un ou deux lits subvention-naient les clients de la salle commune3. Le financement croisé créait en quelque sorte deux segments de clientèle, l’un servant à at-teindre les objectifs financiers de LifeSpring, l’autre ses objectifs sociaux. Pour faire conver-ger les deux, LifeSpring a mis fin au modèle de financement croisé en 2009 pour que la rentabilité de chaque établissement soit assu-rée par sa salle commune. Enfin, LifeSpring se préoccupe désormais moins de l’embauche de médecins que de celle de gestionnaires char-gés de diriger les maternités à la manière de véritables PDG.

Ce modèle peut-il être dupliqué ?L’extension géographique de LifeSpring dé-pend fortement de l’intervention des pou-voirs publics ; par la mise en place de cadres réglementaires adaptés, ils garantissent en ef-fet l’absence de distorsions de la concurrence. Mais ce développement pose également des problèmes de viabilité économique. La conquête de nouveaux marchés est tributaire de financements innovants. Les fondations, par nature, disposent de ressources finan-cières et sont en position d’investir en pre-nant des risques. Il est donc possible de faire prendre en charge par des fondations certains

des risques liés à la recherche et au dévelop-pement, à l’innovation, à la mise en place de prototypes, etc. – toutes dépenses que LifeS-pring ne serait pas disposée à supporter sur les nouveaux marchés. En outre, les fonda-tions peuvent jouer les intermédiaires entre le secteur privé d’une part, les autorités pu-bliques et la société civile d’autre part – dans les pays où cette relation est peu développée. Le modèle de LifeSpring peut être dupliqué avec succès à condition que de véritables par-tenariats soient mis en place, incluant tous les acteurs de la société en mettant l’accent sur leurs complémentarités et leurs points communs. Mais si le développement consti-tue un aspect important de son projet écono-mique, LifeSpring souhaite avant tout préser-ver l’excellence et la rentabilité opérationnelle des maternités existantes – ce qui l’a incité à réévaluer ses objectifs d’expansion. Cette réé-valuation a conduit à privilégier une straté-gie de regroupement, consistant à implanter 10 à 20 maternités dans une même zone urbaine. Six maternités supplémentaires ont été ouvertes à Hyderabad au cours de l’été 2011 – ce qui porte à douze leur nombre dans cette ville. La création d’un nouveau regrou-pement, probablement à New Delhi, est d’ores et déjà envisagée.

Références / International Institute for Population Sciences (IIPS) et Macro International, 2007. National Family Health Survey (NFHS-3), 2005-06, India: Key Findings. Mumbai, Inde.

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Les enseignements du numéro

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Au sommaire de notre prochain numéroLa production privée d’électricité en Afrique subsaharienne

Pourtant, au regard de leurs besoins, les pays à bas revenus représentent certainement les marchés les plus intéressants pour les investisseurs privés. Leurs investissements – si une bonne coopération se développe avec le secteur public – peuvent améliorer durablement l’offre de soins. Pour ce faire, le secteur privé doit innover et adapter ses modèles aux spécificités de ces pays, en essayant en particulier de rentabiliser le segment Bottom of the Pyramid (BoP) qui constitue l’essentiel du marché potentiel. Cela nécessite de baisser les coûts d’entrée sur ce segment, par exemple en mutualisant les ressources avec les autres opérateurs et en allégeant les coûts de structure. Des systèmes de financements croisés peuvent aussi être mis en place, où les patients aisés « subventionnent » indirectement les patients les plus pauvres. L’impact social ne doit cependant pas se limiter à rentabiliser les segments les plus difficiles d’accès. Les opérateurs privés peuvent aussi avoir un effet d’entrainement sur l’ensemble du secteur et contribuer à soutenir les systèmes de santé publics desquels ils sont redevables, puisque le secteur reste très largement financé par des fonds publics. Plusieurs formes de soutien sont alors envisageables : soins gratuits aux patients les plus démunis, accompagnement d’opérateurs publics par des actions de formation ou d’échange de personnel, structuration de réseau d’opérateurs privés pour compléter l’action publique, diffusion de savoir faire, contribution au financement des programmes de santé publique, etc. Dans ce contexte, les bailleurs de fonds ont un rôle fondamental à jouer, en encourageant cette coopération, et en mettant en place des solutions financières innovantes pour faire face aux besoins croissants du secteur.

Le secteur privé est un acteur essentiel des systèmes de santé des pays en développement. Généralement plus efficaces et flexibles que les services publics, les opérateurs privés sont souvent les principaux prestataires de soins dans les pays à bas revenus. Ils représentent plus de la moitié de l’offre de soins en Afrique subsaharienne. Sa capacité d’adaptation et sa plus grande liberté d’action permettent au secteur privé de développer des modèles innovants pour s’adapter aux besoins et aux ressources des populations les plus démunies, tout en préservant l’équilibre financier de ses opérations.

Néanmoins, garantir un accès équitable à des soins de qualité demeure une mission de service public qui ne peut être déléguée au privé sans supervision. Dans les pays en développement, où l’environnement sanitaire est dégradé et où la majorité de la population est très vulnérable, les risques sont plus importants qu’ailleurs : exclusion de l’accès aux soins des populations non solvables, dégradation de la qualité des soins et non respect des normes du secteur, éviction des opérateurs publics censés remplir des missions que le secteur privé n’assumerait pas naturellement, etc. Or, superviser un système de santé privé – et assurer ainsi la traçabilité des fonds publics qui financent l’essentiel du secteur –, est une tâche particulièrement difficile dans les pays à bas revenus. Les autorités de contrôle disposent en effet de peu de moyens et sont confrontées à une multitude d’opérateurs de petites tailles, peu visibles, parfois informels et opérant souvent eux-mêmes dans des conditions difficiles ne leur permettant pas de délivrer des prestations de qualité. Les pays en développement n’offrent pas l’environnement idéal à un essor pérenne du secteur privé : marché limité par le faible niveau des revenus, régulation insuffisante, compétition déloyale des systèmes de santé subventionnés, etc. Dans ce contexte, les opérateurs privés peinent à se financer et à se structurer pour atteindre une taille critique et mettre en place des rendements d’échelle.

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PAR juLIen LefILLeuR, rÉDACTEur EN CHEF