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20 n° 128 - 94e année - Décembre 2014

asnomarticles documentaires

Le sauvetage au combat, au service du blessé de guerre

Simon-Pierre Corcostegui, Adrien Becheau, Romain Castello, Mathieu David, Pierre Fabries, François Morin – Promotion Bordeaux 2004

Quel contexte ?Le conflit afghan a vu les Armées Françaises

renouer avec les opérations de guerre. Si en2001 elles sont limitées ou discrètes, carmenées notamment par le Commandement desOpérations Spéciales, l'implication françaiseaccrue en 2008 débouche sur l'embuscademeurtrière d'Uzbeen le 18 août 2008.

Elle est un choc pour le Service de Santé,car vont s'accumuler les contraintes : soldatsisolés du médecin, réalisation de gestes inap-propriés (massage cardiaque sous le feu),secouriste tué dans l'action (Caporal-ChefPenon de l'infirmerie du 2e Régiment Étrangerde Parachutistes) ou encore volume de feuempêchant l'arrivée de l'équipe médicale.

De cet événement, associé à l'étude de lariche littérature américaine issue du conflitirakien, va découler la mise en place du Sauve -tage au Combat dont l'objectif est simple :diminuer le nombre de morts évitables au combat. En effet, on estime à 25 % le nombrede morts évitables, dont 80 % de morts parhémorragie (1) ou 4,2 % nécessitant un abord

impératif des voies aériennes (2). De plus, 75 %des décédés « hémorragiques » le sont dans lapremière heure suivant la blessure, la goldenhour.

Quel changement ?La prise en charge du blessé de guerre sur

le théâtre était, selon la doctrine du Servicede Santé des Armées, essentiellement auxmains d'un duo : le médecin d'unité (rôle 1) etl'antenne chirurgicale (rôle 2).

Le médecin d'unité, assisté de son infir-mier, assure les premiers soins de médicali -sation de l'avant, permettant l'évacuationvers l'antenne où aura lieu le geste chirurgi-cal salvateur. C'est lui qui va se voir renforcédans son rôle (3), en se voyant adjoindre dessecouristes au combat, qui pourront prendreen charge au plus tôt le combattant blessé.

Ainsi, dans les 10 minutes de platine, lesecouriste est à même de réaliser les gestessalvateurs, permettant le conditionnementpar le médecin et l'évacuation dans la goldenhour.

Les secouristes au combat sont divisés entrois niveaux de qualification : le secouristeau combat de niveau 1 (ou SC 1), de niveau 2(ou SC 2) et de niveau 3 (ou SC 3).

L'enseignement est dispensé par le Centrede Formation Opérationnelle Santé (CeFOS),basé à La Valbonne aux côtés du RégimentMédical, et dépendant de l'École du Val-de-Grâce.

Le SC 1C'est le niveau de base du sauvetage au

combat, qui doit être acquis par tout soldatamené à être déployé en opérations exté-rieures.

Quatre gestes lui sont appris, dont un fondamental : la pose d'un garrot tactique au blessé hémorragique, seul geste réalisablesous le feu, car c'est lui qui empêchera ledécès. Il sera associé à d'autres formes d'hémostase externe.

Puis la mise en posture d'attente en fonc-tion de la blessure (position latérale de sécu-

(1) Eastridge et al. Death on the battlefield (2001-2011): implications for the future of combat casualty care. J Trauma Acute Care Surg. 2012 Dec ; 73 (6 Suppl 5) : S431-7.(2) Adams BD, Cuniowski PA, Muck A, De Lorenzo RA. Registry of emergency airways arriving at combat hospitals. J Trauma. 2008 Jun ; 64(6) : 1548-54.(3) Doctrine du soutien médical aux engagements opérationnels. Doctrine interarmées. DIA -4.0.10_MED (2014).

1 : Chaîne Santé en opération extérieure. 2 : Délais cliniques de prise en charge du combattantPECC : régulateur médical du théâtre.DIRMED : Directeur Médical du théâtre (ex COMSANTE).EMO-S : État-major Opérationnel Santé, structure de commandement et de régulation médicale au niveau central (DCSSA).

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rité, demi-assis, décubitus dorsal ou ventral),la réalisation d'un pansement trois côtés(blessure ouverte du thorax) et l'antalgie(syrette de morphine).

Ce premier niveau de qualification est unerévolution pour les combattants, qui sontmaintenant formés aux premiers gestes desecourisme. À cette formation, s'ajoute le portd'une trousse individuelle contenant notam-ment un garrot, des pansements, une syrettede morphine, un kit de perfusion et une pochede soluté.

Le SC 2Premier intervenant para-médicalisé, sou-

vent issu de la branche « santé » de l'Armée deTerre (auxiliaire sanitaire ou brancardiersecouriste), il est avant tout un combattantintégré à la section. Rigoureusement sélec-tionné, il va suivre une intense formation de15 jours qui lui permettra de mettre en application par délégation certains actestechniques au contact immédiat des forces.

Il peut ainsi gérer l'hémostase moins gros-sièrement, via la pose de points de suture oud'une ceinture de stabilisation pelvienne, etévaluer par le pouls radial l'état hémodyna-mique du blessé. S'il est absent, il perfuse etremplit le combattant, par voie veineuse péri-phérique ou intra-osseuse.

Le SC 2 est également formé à prendre encharge une détresse respiratoire en mettant enplace une oxygénation au masque voire àposer une coniotomie (voie d'abord trachéale),en cas d'obstruction des voies aériennes supé-rieures. Il peut également exsuffler un pneu-mothorax compressif.

Sous délégation médicale, il peut adminis-trer un complément de morphine sous-cutanéeet administrer des antibiotiques par voie intra-veineuse.

Enfin, il peut, en attente du médecin,débuter un premier triage au niveau du nid deblessés.

Le SC 3Accessible uniquement pour les médecins

et infirmiers, il est le niveau qui crée le liantavec la médicalisation de l'avant. Leader del'équipe rassemblant les SC1 et SC2 au niveaudu poste de secours, il réévalue l'état des blessés, contrôle les gestes techniques etapporte la plus-value technique de sa forma-tion. « Haut dessus de la mêlée », il conclut lamédicalisation en catégorisant les blesséspour l'évacuation, suivant le standard OTAN :blessés graves Alpha à évacuer en 90 minutes,Bravo en 4 heures et Charlie dans les24 heures.

Les médecins militaires acquièrent leniveau SC 3 à la fin de leurs études, lors dustage final à l'Ecole du Val-de-Grâce. Après unmois de cours théoriques, la mise en applica-tion a lieu lors de l'exercice EXOSAN, réaliséavec le concours du Régiment Médical de LaValbonne.

Le SAFE MARCHE RYANAfin d'aider le SC 2 et SC 3 dans sa prise

en charge du blessé de guerre, souvent dansun contexte de stress, voire sous le feu, il aété créé un moyen mnémotechnique inspirédes protocoles américains. En effet, ces derniers n'ont pas recours à des médecins àl'avant mais à des paramedics, profession àpart, se situant entre l'infirmier et l'ambu -lancier. Spécialement formés aux gestes et àUn blessé afghan pris en charge par un SC3 français.

Un légionnaire français pris en charge en Afghanistan par une équipe médicale sous le feu.

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(4) CRASH-2 trial collaborators. Effects of tranexamic acid on death, vascular occlusive events, and blood transfusion in trauma patients with significant haemorrhage (CRASH-2): a randomised, placebo-controlled trial. Lancet 2010 ; 376 : 23–32.

la prise en charge en urgence, ils s'appuientsur de nombreuses guidelines.

Le SAFE MARCHE RYAN se déroule commesuit :

– S pour Supprimer la Menace. En effet, onne peut envisager la prise en charge d'unblessé alors que l'ennemi tire encore.

– A pour Analyse de la menace. Inculquéégalement aux SC1, cet item met l'accent surle fait que le blessé doit être déplacé dans unendroit sécurisé, par la technique du pick andrun.

– F pour Free danger, c'est la suite logiquedu « A ».

– E pour Évaluer le blessé, par la méthodede l'ABC qui rapidement vérifie les fonctionsvitales : Airways (voies aériennes supérieures),Bleeding (recherche d'un saignement actif) etCirculation (hémodynamique).

Puis le MARCHE, qui guide l'examen cli-nique du blessé de guerre. Chaque item a unretentissement en terme de prise en charge,s'il existe une anomalie.

– M pour Massive bleeding control : c'estl'étape cruciale pour le blessé de guerre, et

donc première, du contrôle de l'hémostase :contrôle du garrot, ajout de moyens d'hémo-stase externe, points de compression etc.

– A pour Airways : contrôle des voiesaériennes supérieures, levée de l'obstacle,pose éventuelle d'une coniotomie.

– R pour Respiration : recherche de signesd'insuffisance respiratoire aiguë, exsufflationd'un éventuel pneumothorax compressif.

– C pour Circulation : recherche du poulsradial, reflet de l'hémodynamique du blessé.Pose d'une voie veineuse périphérique ou d'uncathéter intra-osseux, remplissage vasculaire.

– H pour Head : examen neurologiquerapide (conscience, pupilles, mobilité des4 membres) ; et pour Hypothermie : posed'une couverture de survie ; l'hypothermiefaisant partie avec l'acidose et la coagulo -pathie d'une triade létale aggravant l'état dublessé hémorragique.

– E pour Évacuation (préparation du mes-sage d'évacuation ou nine-lines) et Exacyl® :l'injection d'un gramme d'acide tranexamiquea prouvé chez le traumatisé grave une dimi-nution de la mortalité (4).

Enfin le RYAN : – R pour Réévaluer : effectuer un nouveau

MARCHE.– Y pour Yeux et oreilles : protection ocu-

laire.– A pour Analgésie et Antibiothérapie

(2 grammes d'Augmentin® si fracture ouverte).– N pour Nettoyer les plaies.

Ainsi pris en charge par la méthode duSAFE MARCHE RYAN, le blessé est prêt à êtreévacué vers l'antenne chirurgicale.

« Au nom de nos soldats, je voudrais expri-mer ma reconnaissance au Service de Santédes Armées, pour son courage en opérations etson extrême dévouement, du ramassage desblessés sous le feu à leur prise en charge dansnos Hôpitaux des Armées. Sans cette chaîne desolidarité et ce savoir-faire rassurant et chaleureux, il n'y aurait plus aucun volontairepour faire notre métier ». Général Irastorza,Chef d'État-Major de l'Armée de Terre, Adieuaux Armes le 30 août 2011.

La trousse individuelle du combattant.