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JAMES REEVES LE ROITELET Titre original : Ragged Robin (William Heinemann Ltd, 1961) Traduit de l’anglais par Laurent Chiacchiérini © 2008 Tous droits réservés pour cette traduction

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JAMES REEVES

LE ROITELET

Titre original : Ragged Robin (William Heinemann Ltd, 1961)

Traduit de l’anglais

par Laurent Chiacchiérini © 2008

Tous droits réservés pour cette traduction

Page 2: Le roitelet - lchiacchierini.free.frlchiacchierini.free.fr/books/Le_roitelet.pdf · Arthur repose en Avalon, Allongé au creux d’un vallon. Un grand roi, Quel grand roi autrefois

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Le roitelet

Il était roi parmi les hommes, Un grand roi s’il en fut ; Hélas, il perdit son royaume : Un jour il fut déchu. On l’appelait le Roi Mendiant Car il était bohème ; Réduit à vivre d’expédients, Il chantait des poèmes. Il en composa vingt ou trente De plus ou moins bon goût, Les chantant qu’il pleuve ou qu’il vente ; Les gens le crurent fou. Ils écoutaient le Fou chanter Dans les champs au dehors ; Dès lors qu’il se fut absenté, Les gens le crurent mort. Or le Roi Mendiant n’est pas mort Mais changé en oiseau Et chaque année il chante encore : Sa voix monte très haut. Sa tête est surmontée de jaune, Il porte un manteau vert ; Bien que n’ayant plus sa couronne, Il règne sur l’hiver. Malgré le froid bon an mal an, Son trône est toujours vert. Il siffle pour défier le vent, Chantant ses propres airs. Le présent recueil réunit Quelques-uns de ces chants, Ceux que le Roi Fou répandit Il y a bien longtemps. — James Reeves Titre original : Ragged Robin Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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Vingt-six lettres

Vingt-six cartes forment la moitié d’un paquet ; Vingt-six semaines font la moitié d’une année ; Vingt-six lettres forment un complet alphabet Composant tous les mots que vous lirez jamais. Pour un « roi », une « reine », un « as » ou un « valet », Un « mois », une « semaine » ou bien toute une « année », Tout de noir habillées, noir comme le cassis, Vous n’en rencontrerez jamais plus de vingt-six. Pensez quand vous voyez toutes ces belles choses Sur les monts, dans les vaux, sur les prés, dans les cieux, Que leurs noms sont nombreux, beaucoup plus nombreux que Les seules vingt-six lettres qui tous les composent.

— James Reeves Titre original : Twenty-six letters Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z

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A Avalon

Arthur repose en Avalon, Allongé au creux d’un vallon. Un grand roi, Quel grand roi autrefois.

Guenièvre dort à son côté, Par nulle égalée en beauté. Une reine, La plus belle des reines.

À minuit le valet d’Arthur S’en vient piller leur sépulture. Un fripon, Quel fripon ce garçon.

Il vient dérober les joyaux Et autres attributs royaux : Des merveilles, Merveilles sans pareilles !

Sur la ville et sur les campagnes Veillent la lune et ses compagnes. Depuis des temps immémoriaux Sommeillent les époux royaux. Leur repos a été bien long. Un jour ils se relèveront Et tous les fripons périront. À nouveau Arthur règnera Un grand roi, Quel grand roi il sera. — James Reeves

Titre original : Avalon Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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B Bertrand Ferrant

Brandissant son marteau sur les braises brûlantes, Bertrand bat des fers chauds pour chausser les chevaux. Benoît son bon bras droit manœuvre la soufflante Pour ferrer les sabots des canassons royaux.

“Il n’est de plus belle musique selon moi Que le bruit du soufflet ou celui de l’enclume. Je préfère bien mieux ce travail”, dit Benoît, “Qu’entendre tinter la cloche ou crisser la plume.”

— James Reeves

Titre original : Brand the Blacksmith Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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C Châteaux et chandeliers

Châteaux et chandeliers Ont l’air majesteux. Servant de bouclier Pour les enfants du lieu, Voici la citadelle Dressée sur le chemin. Tenant une chandelle Dedans sa frêle main, S’avance la Princesse, Le front ceint d’or et d’ambre, Les yeux pleins de tristesse, En montant dans sa chambre.

Château et chandelier Sont choses bien cruelles : L’un abrite un geôlier, L’autre brûle les ailes. Malheur à ce berger Qui croupit dans le noir Pour avoir hébergé L’amour dans son regard. Combien le pauvre pâtre Attendra-t-il d’années, Lui qu’un roi acariâtre A ainsi condamné ?

— James Reeves

Titre original : Castles and Candlelight Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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D Le chant du D

Qui chantera le D pour nous ? Combien de danseurs voyez-vous ? Dina, Déborah, Duncan, Dick, Daniel et son violon magique. Chantez en fa, chantez en do, Quand le soleil brille encore haut. Qui chantera le D pour nous ? Combien de villes voyez-vous ? Départ Dublin, destinations Douvres, Deauville, Douai, Dijon. Chantez en fa, chantez en do, Quand le soleil brille encore haut. Qui chantera le D pour nous ? Combien de plantes voyez-vous ? Des digitales, d’autres fleurs, Dames-d’onze-heures donnant l’heure. Chantez en fa, chantez en do, Quand le soleil brille encore haut. Qui chantera le D pour nous ? Combien d’animaux voyez-vous ? Dodos, dromadaires, dindons Et, porte-malheur, un dragon. Chantez en fa, chantez en do, Quand le soleil brille encore haut. Qui chantera le D pour nous ? Combien de messieurs voyez-vous ? Des docteurs ou des directeurs : Détectez-les dans le secteur. Chantez en fa, chantez en do, Quand le soleil brille encore haut. — James Reeves Titre original : The Song of D Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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E Échanges

En me levant ce matin peu après le jour, J’allai à la ferme pour me chercher un œuf. J’abordai les poules qui grattaient dans la cour Et le fier coq dressé, brillant comme un sou neuf. “Pas un œuf ! Pas un œuf !”, me dirent les volailles. “Depuis deux jours nous n’avons rien à picorer.” J’allai voir le marchand qui nourrit le bétail Pour lui demander un peu d’avoine et de blé. “Pas un grain ! Pas un grain !”, dit le marchand de blé. “J’ai besoin d’une roue pour ma vieille charrette.” J’allai voir le charron : “Une roue, s’il vous plaît, Pour le marchand de blé et sa vieille charrette.” “Pas de roue ! Pas de roue !”, me dit-il aussitôt. “Si j’avais un marteau, dans ce cas j’essaierais.” J’eus beau chercher partout, point ne vis de marteau, Alors j’allai pleurer, assis dans la forêt. Là je vis une vieille à qui je dit penaud : “Auriez-vous, je vous prie, un marteau à prêter ?” Elle répondit : “Non, je n’ai point de marteau, Mais je puis vous donner un œuf à déguster.” Elle m’en donna un et je lui dit heureux : “C’est le meilleur œuf que j’aie jamais dévoré.” Elle me rétorqua : “Pour avoir de bons œufs, Donnez à vos poules du grain à picorer.” — James Reeves Titre original : Egg to Eat Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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F Fleurs et frimas

Les fleurs sont en couleurs, Rouges, jaunes ou bleues ; Les frimas sont blancheur Tels les cheveux des vieux. Jonquille ou digitale, Rose ou amaryllis : Fleurs et froid hivernal Ne sont pas bons amis. Les fleurs bientôt se fanent, L’été déjà s’en va : A travers la montagne Surgit le Roi du Froid. Dans les champs tout est blanc Au royaume du gel : Ses dessins ressemblant À de fines dentelles ; Blancheur immaculée Des fougères qu’il trace, Du givre sur les haies, Des étangs pris en glace. Si cruel et si dur, Le général Hiver Insuffle la froidure Dans tout notre univers. Puis revient le beau temps, Après les giboulées. Bienvenue au printemps, À ses fleurs colorées ! Voici l’oiseau siffleur Niché dans le feuillage : Les frimas et les fleurs Ne font pas bon ménage. À présent, tout est vert, Chantons-le à tue-tête : Le général Hiver A battu en retraite. — James Reeves Titre original : Flowers and Frost Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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G Grandes herbes

Les grands herbes que j’entends, S’étendant à perte de vue, Lorsque je marche à travers champs, Viennent fouetter mes genous nus. L’herbe est plus courte sur la lande ; C’est là où les lapins furètent. Sur la colline elle est plus grande ; C’est là où j’ai fait ma cachette. Cette colline est mon château ; Les grandes herbes sont ses murs Et je peux observer d’en haut Ceux qui passent dans la nature. Je porte mon regard au loin, Là-bas au fond de la vallée. J’aperçois mais je n’entends point La circulation défiler. À pied, en voiture, à cheval, Du haut de mon château herbu, Tous ceux qui traversent le val, Je peux les voir sans être vu. Grandes herbes qui murmurez, Tout l’été à partir de juin, Dites-moi donc tous vos secrets Et moi je vous dirai les miens. — James Reeves Titre original : Green Grass Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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H Héros hippophiles

Héros hippophiles, Hordes de hussards, Chevauchant hostiles, De bonne heure, hagards. Chasseurs harnachés, Franchissant les haies, Hurlant l’hallali, Hue, haro, hardi ! Habiles abeilles Aux habitations, À tout elles veillent Avec attention. Femmes et enfants Gazouillent gaiement Car la chasse à courre N’a point leur amour. Halo dans le ciel, La lune est là-haut. Hongre ou haridelle, Las sont les chevaux. Depuis le matin, Henri le Hautain N’a pris une hase, Pourtant comme il jase ! Chasseurs à cheval, Rentrés en retard, Leur soupe ils avalent, Hâbleurs et vantards ! “Sans nous autres femmes Pour tenir la flamme, Que feraient-ils nos Hommes, ces héros ?” — James Reeves Titre original : Heroes on Horseback Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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I Îlots

Il y a dans mes yeux Des îlots merveilleux Sur un océan bleu. Des rivages palmés, Des arbres emplumés, Des oiseaux enflammés Qui chantent d’une voix Comme on n’en entend pas. Les palmes et les plumes Fleurissent et se fondent Dans des couleurs d’agrumes Sur une plage blonde. Une scène insulaire Exempte de colère : Les vagues balayant Le beau sable brillant Des îlots merveilleux Dans le fond de mes yeux. — James Reeves Titre original : Islands Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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J Jargon

Jérusalem, Jéricho ou Jaffa, Ce sont les noms de cités d’autrefois. Joyaux jadis de jaspe, jade ou jais, J’aime ces gemmes chez le joaillier. Jacinthe ou jasmin, jalons du chemin, Jonquilles jaunes jonchant les jardins. Jean, Jacques, Joseph, Julien ou Jérôme, C’est juste ainsi qu’on prénomme les hommes. Jeudis, jours de janvier, juin ou juillet, Joies des jeunes années où je jouais. Jaquette, jupe en jersey ou jabot, Jusqu’où aller pour être jugé beau ? Jaguar, jacamar ou jacaranda, Jungle jaillissant sous ma véranda. Jambon, jarret de jars, jus de jujube, Jeûner plutôt que de manger en tubes. Jongler, jouter, jeter le javelot, Jeux journaliers auxquels joue Lancelot. Joueur de jazz, jamboree, jubilé, Je jubile quand j’en entends parler. Jamais je ne vis lettre plus jolie Ou juste plus joyeuse que le J. — James Reeves Titre original : Jargon Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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K Kay

Messire Kay, Fermez à clé, À double tour, Jusques au jour, Afin les vilains d’éloigner. Du châtelet Voici la clé. Qui a la clé Du châtelet ? Messire Kay. Messire Kay, Fermez à clé, À double tour, Jusques au jour. Les vêpres sont finies Et le prêtre a béni La foule agenouillée, Rassemblée pour prier. Regagnant leur chambrée, Chevaliers, écuyers, Sont allés se coucher ; Toute la maisonnée, Les hommes et les femmes, Les seigneurs et les dames Comme les cuisiniers Et les palefreniers. Messire Kay, Fermez à clé, À double tour, Jusques au jour. Fourreaux et boucliers Dans la nuit étoilée Font briller les soudards Veillant sur les remparts. Au fond d’un noisetier, Une chouette a crié. Près de la cheminée Dorment les lévriers. Sire Kay, sans délai, Fermez le châtelet. Quelle est la clé Dite en anglais ? On dit “the key”. La clé de qui ? Messire Kay.

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Messire Kay, Fermez à clé, À double tour, Jusques au jour Afin les vilains d’éloigner. Il se fait tard : Verrouillez sans retard. — James Reeves Titre original : Kay Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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L Long

C’est un mot court que le mot “long”, Qui vaut une courte chanson. Longue est la barbe du marin Quand il rentre au matin. Longs sont les rêves du vieillard Mais courte est sa mémoire. Longs sont les jours de nos enfants Car il en reste tant. Longs les chemins du voyageur Sur la voie du bonheur. C’est un mot court que le mot “long”, Qui vaut une courte chanson. Le marin recoud ses filets Et attend la marée. Le vieillard se voit sillonner Des mers inexplorées. Les enfants sont las de jouer Et traînent dans la rue. Le voyageur soupire après Un foyer disparu. C’est un mot court que le mot “long”, Qui valait bien cette chanson. — James Reeves Titre original : Long Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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M Minuit

Minuit et ses lépidoptères, Moment magique de mystère. Mages blancs dansant dans la nuit, Malveillants pour grands et petits. Chouettes chuintant aux ombres brunes, Papillons planant sous la lune, Mouvant masqués sous le manteau Comme les membres d’un complot. Minuit et ses lépidoptères M’évoquent magie et mystère. — James Reeves Titre original : Moths and Moonshine Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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N

Noé Noé était un amiral, Qui navigua sans précédent, Quarante jours, quarante nuits, Avec sa femme et ses enfants, Sur le tout-puissant océan. Sous son pont battu par les vents, Cet amiral avait un zoo Où tous les animaux du monde, Kangourous, fourmis ou chevaux, Il gardait deux par deux sur l’eau. Dans la tempête et le tonnerre, Il veillait sur chaque animal, Chaque espèce, mâle et femelle, Tapie tremblante en fond de cale, Sentant tanguer l’arche vitale. Or Noé en bon charpentier, Avait fait son bateau si fort, Que nul humain ou animal Ne fut perdu par-dessus bord Avant d’arriver à bon port.

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Si vous deviez prendre la mer, Amiral, gardien, charpentier, Dans l’hypothèse d’un déluge, Exercez l’un de ces métiers, Ou mieux les trois si vous pouviez ! — James Reeves Titre original : Noah Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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O Oyez !

“Oyez ! Oyez ! Oyez !” Aboyait le crieur. “Plus rien à signaler, Ni ici ni ailleurs.” “Point de bête égarée !” S’écriait l’aboyeur. “Point d’ennemi au guet ! Il n’y a aucun malheur.” “Le bourgmestre est allé Se reposer ailleurs ; La cité s’est vidée,” Proclamait le crieur. “Oyez ! Oyez ! Oyez !” Annonçait le crieur. “La ville est désertée : Je m’en vais voir ailleurs !” — James Reeves Titre original : O Nay ! Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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P Papier

Papier pour une image ; Papier et un cordeau Pour faire un emballage Et y mettre un cadeau. Papier pour une lettre Qui attriste une dame ; Papier-monnaie peut-être Pour réjouir une âme. Papier, papier, papier Que le clerc va devoir Gratter et gribouiller Du matin jusqu’au soir. Papier du bonnet d’âne ; Papier du cerf-volant Qui léger et diaphane S’en va avec le vent. Mais de tous ces papiers Celui que je préfère : Un bateau de papier Qui vogue vers la mer. — James Reeves Titre original : Paper Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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Q Quiétude

Parmi tous elle est celle Qui est la plus tranquille, Dont les lèvres se scellent. Elle a quitté la ville Pour un lac de montagne Aux eaux calmes qui stagnent. Devant une nichée, Elle observe en sourdine Sur ses orteils perchée Ou bien dans la cuisine Contemple une souris Qui mange un grain de riz. Au milieu des forains Ou d’une plage en août Vous ne la verrez point ; Mais marchant sur la route En hiver enneigée D’un pas doux et léger. Assise au coin du feu, Les invités partis, Elle se penche un peu Sur le lit du petit, À peine respirant, En veillant son enfant. — James Reeves Titre original : Quiet Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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R Ruissellement

Le ruissellement de la pluie Tombe des toits et des feuillages Et je n’entends pas d’autre bruit Sur l’herbe et sur le carrelage. Prés et prairies, fleurs et fougères Boivent la pluie goutte après goutte. Je regarde briller le lierre Qui lui sait les attraper toutes. Bien à l’abri dessous mon toit, Écoutant s’écouler la pluie Qui tombe tout autour de moi, Je m’endors bercé par son bruit. Puis, dans la clarté du matin, Tout apparaît vert et nouveau : Flot des torrents, éclat des grains, Et le chant content des oiseaux. Ce n’est plus la pluie que j’entends Mais de tous côtés leur ramage Et je vois le ruissellement Du soleil entre les branchages. — James Reeves Titre original : Rain Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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S Signes

Sombres scintillements astraux Semés aux cieux ; Serpentement sourd des ruisseaux Si paresseux ; Sillons sur le sable tracés Sous la marée ; Sarcelles survolant des barges En cercles larges. Signaux de fumée des squaws sioux, Cygnes, serpents et scoubidous. Si seulement nous savions mieux Combien de signes sinueux Surgissent en dessous des cieux. — James Reeves

Titre original : Sky, Sea, Shore Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

* * *

T Tours

La cité tourangelle Est entourée de tours Et dans chacune d’elles, Une cloche à son tour. À douze heures tapantes, Toute une ritournelle Retentit des soupentes De ces tours tourangelles. Telles des tourterelles, Colportées par le vent, Ces cloches nous appellent Comme jamais avant. Sourdes ou cristallines, À des lieues à la ronde, Elles sonnent matines Pour annoncer au monde Que ces tours tourangelles Entourant la cité Seront toujours fidèles, Quoi qu’il puisse arriver. — James Reeves

Titre original : Tarlingwell Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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U Un

Un champ de blé pas moissonné, Un tas de paille éparpillé, Un troupeau de porcs affamés, Qui s’est sauvé.

Un palefrenier pas payé, Un enclos qui n’est pas repeint, Un sol qui n’est pas balayé, Un feu éteint.

Un lit qui n’a pas été fait, Un fermier qui n’est pas coiffé ; À la foire il s’en est allé Pour festoyer.

Ces nuits de danse et de chansons À la longue vous ruineront. Quand soufflera le vent d’hiver, Qu’allez-vous faire ? — James Reeves

Titre original : Un Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

* * * V

Vanité

Vanessa est une princesse, La fille aînée de son lignage, Contemplant son miroir sans cesse Pour y admirer son image.

Ses yeux sont bleus comme l’azur, Son peau est pâle et monotone, Et l’éclat de sa chevelure Rappelle les couleurs d’automne.

Pour son orgueil et sa beauté, Ses cheveux d’or et ses yeux bleus, De partout pour la courtiser Les jeunes gens viennent nombreux.

À aucun elle ne dit oui, Car elle n’aime qu’elle-même ; Elle n’a d’yeux que pour celui Qui lui renvoie son regard blême. — James Reeves

Titre original : Vane Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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W Wouah !

Les voix des bois Sont toutes là. Charmants, oiseux ou beaux : Chants des oiseaux. Les voix des bois, Elles voyagent. Ouatés, clairs à la fois : Bruits des feuillages. Les voix des bois, Je les entends, Convoyées par le vent, Quand la pluie choit. Les voix des bois, Tristesse ou joie, Oiseaux, feuilles et gouttes Les envoient toutes. — James Reeves

Titre original : Words Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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X CroiX

Près de la croisée des chemins Tournent les ailes d’un moulin Qui servait à moudre le blé. Non loin de là deux armées fières Autrefois ont croisé le fer ; Maints braves hommes sont tombés. Voici les mots des quatre vents : “La gloire est vaine bien souvent ; Blé piétiné ne peut germer.” Si ces hommes avaient suivi Les avis des vents de la vie, Ils auraient vécu pour semer. — James Reeves Titre original : X-roads Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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Y Y a...

Au fond du parc, y a un ruisseau. Au bord de l’eau, y a un p’tit vieux. Au bout d’sa ligne, un vermisseau Tente de pêcher de son mieux. Au fond de l’eau, y a des poissons Qui nagent dans l’onde limpide. Savez-vous pour quelle raison Le pêcheur demeure impavide ? Pourquoi relance-t-il sa ligne Encore et encore et en vain ? Car il nourrit l’espoir insigne D’attraper même un alevin. — James Reeves Titre original : Yonder Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

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Z Zacharie Zed

Zacharie Zed était le dernier sur la terre, Le dernier être humain, Car les autres avaient rejoint le cimetière : L’espèce avait pris fin. Une demoiselle avait été adorée Du jeune Zacharie. “Voudrais-tu, s’il te plaît,” avait-il déclaré “Me prendre pour mari ?” “Non, quand bien même le dernier homme ici-bas Tu serais !”, lui dit-elle. Il était le dernier ; elle n’en voulut pas Et mourut demoiselle. Zacharie se retrouva donc tout seul et vieux. Cela lui plut plutôt. “Personne ne m’oblige à peigner mes cheveux Ni à me coucher tôt.” “Il n’y a personne pour me réprimander Ni lutter avec moi ; Je suis donc le mieux indiqué pour commander : LONGUE VIE AU ROI MOI !” Zacharie Zed fut donc le dernier sur la terre, Le dernier roi d’ici, Et nul ne vécut pour résoudre ce mystère : Mourut-il lui aussi ? — James Reeves Titre original : Zachary Zed Traduction © 2008 Laurent Chiacchiérini

* * *