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Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans l’intégration socioprofessionnelle : Le point de vue des immigrantes hautement scolarisées d’origine maghrébine établies à Québec Thèse Carol-Anne Gauthier Doctorat en relations industrielles Philosophiae Doctor (Ph.D.) Québec, Canada © Carol-Anne Gauthier, 2016

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Page 1: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination

dans l’intégration socioprofessionnelle : Le point de vue des immigrantes hautement scolarisées

d’origine maghrébine établies à Québec

Thèse

Carol-Anne Gauthier

Doctorat en relations industrielles

Philosophiae Doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

© Carol-Anne Gauthier, 2016

Page 2: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination

dans l’intégration socioprofessionnelle : Le point de vue des immigrantes hautement scolarisées

d’origine maghrébine établies à Québec

Thèse

Carol-Anne Gauthier

Sous la direction de :

Kamel Béji, directeur de recherche

Hélène Lee-Gosselin, codirectrice de recherche

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iii

Résumé

Les obstacles à l’intégration socioprofessionnelle des immigrantes hautement

scolarisées au Québec sont bien documentés. Parmi eux figurent la discrimination

systémique et le manque de réseaux sociaux « utiles » pour faciliter l’obtention d’un

emploi correspondant aux attentes. L’objectif de cette thèse est de comprendre le rôle

des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et

migratoires des immigrantes maghrébines hautement scolarisées établies à Québec.

Deux cadres conceptuels sont alliés pour effectuer une analyse multiniveau : la

nouvelle sociologie économique – dont la théorie des réseaux sociaux – et les théories

de la discrimination, notamment la discrimination systémique et l’intersectionnalité.

Dans une démarche méthodologique qualitative s’inspirant de la théorie du point de

vue, 15 immigrantes maghrébines hautement scolarisées établies à Québec ont

participé à des entretiens individuels semi-dirigés afin de partager leurs expériences

professionnelles et migratoires. Leurs parcours scolaires, professionnels et

migratoires ont été analysés en portant une attention particulière au rôle des réseaux

sociaux et de la discrimination dans l’articulation des attentes et des stratégies

d’intégration, puis aux résultats de celles-ci. Les résultats confirment qu’une

approche qualitative permet d’enrichir les connaissances relatives aux dynamiques

individuelles et sociales de création et de mobilisation des réseaux sociaux et de leur

influence sur les parcours migratoires et professionnels. L’étude a permis de jeter un

regard sur les processus prémigratoires tels que le rôle des réseaux dans la trajectoire

professionnelle, la non-mobilisation des réseaux déjà établis au Québec et la réticence

des membres de ces réseaux de dévoiler leur situation de socioprofessionnelle.

Concernant les réseaux postmigratoires, la difficulté de tisser des liens avec les

membres de la communauté d’accueil ainsi que la méfiance de certaines immigrantes

envers leur communauté ethnoculturelle a été observée. Cette recherche démontre

également que les immigrantes maghrébines hautement scolarisées vivent des

difficultés particulières sur le marché du travail québécois en raison de leur statut

d’immigrante, de leur sexe et de leur origine ethnoculturelle.

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iv

Abstract

The obstacles to the social and professional integration of highly-educated immigrant

women in Quebec are well documented. They include systemic discrimination and

the lack of social networks « useful » in helping to find a job that corresponds to their

expectations. The aim of this thesis is to understand the role of social networks and of

discrimination in the career paths and migration trajectories of highly-skilled

immigrant women from the Maghreb established in Québec City. To do so, two

conceptual frameworks are employed to conduct a multilevel analysis: new economic

sociology – particularly social network theory – and discrimination theories, notably

systemic discrimination and intersectionality.

A qualitative methodology inspired by standpoint theory was used. Fifteen highly-

skilled immigrant women from the Maghreb established in Québec City participated

in semi-structured interviews, and shared their professional and migratory

experiences. Their educational, professional and migration paths were then analysed,

with a focus on the role of social networks and of discrimination in the development

of professional expectations and integration strategies, and of their outcomes. The

results of this thesis confirm that a qualitative approach contributes to the

understanding of the individual and social dynamics involved in the creation and use

of social networks, and their effects on migration and professional trajectories. This

study also explored premigratory processes such as the role of social networks in the

premigratory career path, the non-use of networks in Quebec and the reluctance of

members of this network to disclose their socioprofessional situation. With regards to

postmigratory networks of Maghrebi immigrant women, difficulties creating ties with

native Quebeckers and distrust towards their ethnocultural community were also

observed. Finally, this thesis shows that highly educated immigrant women from the

Maghreb experience particular difficulties on the Quebec labour market because of

their immigrant status, their sex, and their ethnocultural origin.

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v

Table des matières

Résumé ........................................................................................................................ iii

Abstract ....................................................................................................................... iv

Table des matières ....................................................................................................... v

Liste des tableaux et figure ...................................................................................... viii

Remerciements ........................................................................................................... ix

Introduction ................................................................................................................. 1

Chapitre I : Problématique ........................................................................................ 8 1.1. L’intégration socioprofessionnelle des personnes immigrantes qualifiées ........... 11

1.1.1 Quelques définitions .............................................................................................. 11 1.1.2 Les obstacles à l’intégration socioprofessionnelle des personnes immigrantes

qualifiées : quelques explications potentielles ............................................................... 15 1.1.2.1. Les obstacles à l’intégration socioprofessionnelle des femmes immigrantes qualifiées

...............................................................................................................................17 1.1.3 Portrait de la population immigrante d’origine maghrébine au Québec et de leur

intégration socioprofessionnelle ..................................................................................... 21 1.1.3.1. Les personnes immigrantes originaires du Maghreb établies à Québec ..................... 25 1.1.3.2. Les femmes immigrantes qualifiées originaires du Maghreb établies à Québec ........ 28

Chapitre II : Cadre conceptuel ................................................................................ 31 2.1. La sociologie économique, les réseaux sociaux et le capital social ......................... 31

2.1.1. La sociologie économique .................................................................................... 32 2.1.2. La « nouvelle » sociologie économique ............................................................... 35

2.1.2.1. La théorie des réseaux sociaux ................................................................................... 38 2.1.2.2. Le capital social ......................................................................................................... 41 2.1.2.3. Appliquer les théories des réseaux sociaux et du capital social aux femmes

immigrantes qualifiées : quelques précautions........................................................................ 47 2.1.3. Quelques études empiriques pertinentes .............................................................. 48

2.1.3.1. Le concept de ressources sociales : précurseur du concept de capital social ............. 48 2.1.3.2. Les personnes immigrantes sur le marché du travail : quelques éléments de contexte

...............................................................................................................................49 2.1.3.3. Les réseaux sociaux, le capital social et les personnes immigrantes .......................... 50 2.1.3.4. Les réseaux sociaux, le capital social et les femmes immigrantes .............................. 52

2.2. La discrimination ....................................................................................................... 55 2.2.1. Concepts-clés ....................................................................................................... 55

2.2.1.1. Les théories économiques de la discrimination .......................................................... 56 2.2.1.2. Aspects psychosociaux de la discrimination .............................................................. 62 2.2.1.3. La discrimination systémique .................................................................................... 70 2.2.1.4. L’intersectionnalité .................................................................................................... 72 2.2.1.5. Segmentation du marché du travail, discrimination et perception de la structure des

opportunités ............................................................................................................................ 73 2.3 Intégration des éléments du cadre conceptuel ......................................................... 76

2.3.1. L’accent sur les réseaux sociaux et l’incorporation des institutions, du pouvoir et

de la cognition ................................................................................................................ 78 2.3.2 La discrimination comprise et analysée à différents niveaux ................................ 83

2.3.2.1 La discrimination au niveau macro ............................................................................. 84 2.3.2.2. La discrimination aux niveaux micro et méso et le rôle des réseaux sociaux ............ 84 2.3.2.3. L’intersectionnalité au niveau micro : l’expérience à l’intersection .......................... 86

2.3.3. Modélisation du cadre conceptuel intégré ............................................................ 87

Chapitre III : Méthodologie de la recherche .......................................................... 90 3.1. Épistémologie féministe et méthodes qualitatives ................................................... 90

Page 6: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

vi

3.2. Technique de collecte de données : l’entretien semi-dirigé .................................... 93 3.2.1. Le guide d’entretien ............................................................................................. 94

3.3. Déroulement de la recherche .................................................................................... 96 3.3.1. Le choix de la ville de Québec ............................................................................. 96 3.3.2. Le recrutement des interviewées ........................................................................ 101

3.3.2.1. Les stratégies de recrutement ................................................................................... 102 3.3.2.2. Les difficultés rencontrées lors du recrutement ....................................................... 105

3.3.3. Les critères d’éligibilité ...................................................................................... 106 3.3.4 Le déroulement des entretiens ............................................................................. 107 3.3.5 Profil des participantes ........................................................................................ 108

3.4. L’analyse des données ............................................................................................. 110 Chapitre IV : Analyse et interprétation des résultats .......................................... 112

4.1. Le parcours prémigratoire...................................................................................... 112 4.1.1. La scolarité initiale ............................................................................................. 112

4.1.1.1. Le rôle des réseaux familiaux .................................................................................. 113 4.1.1.2. L’influence des contextes sociaux ........................................................................... 115

4.1.2. Le parcours professionnel prémigratoire ............................................................ 117 4.1.2.1. Le premier emploi prémigratoire ............................................................................. 117 4.1.2.2. Les autres emplois prémigratoires ........................................................................... 119 4.1.2.3. Les autres éléments du parcours professionnel prémigratoire ................................. 120

4.1.3. Bilan : le rôle des réseaux dans le parcours prémigratoire ................................. 121 4.1.3.1 Le réseau familial, le contexte social et la scolarité initiale ...................................... 121 4.1.3.2 Les réseaux sociaux et le parcours professionnel prémigratoire ............................... 124

4.2. Le projet migratoire ................................................................................................ 125 4.2.1. Les motivations pour immigrer .......................................................................... 126

4.2.1.1. Pour un avenir meilleur ............................................................................................ 126 4.2.1.2. Pour fuir le contexte politique ou social du pays d’origine ...................................... 127 4.2.1.3. Pour découvrir, pour voyager ................................................................................... 130 4.2.1.4. Participation au projet migratoire du conjoint .......................................................... 131 4.2.1.5 Bilan des motivations pour immigrer ........................................................................ 131

4.2.2. Le choix du lieu d’immigration et d’établissement ............................................ 133 4.2.2.1. Les impressions positives du Canada, du Québec .................................................... 134 4.2.2.2. La présence de membres de la famille, d’amis ou de connaissances au Canada ...... 135 4.2.2.3. Le Québec comme alternative à la France ............................................................... 136 4.2.2.4 Pour trouver de l’emploi plus facilement .................................................................. 138

4.2.3. Les informations obtenues du réseau avant l’immigration ................................. 139 4.2.3.1. Les informations générales ...................................................................................... 139 4.2.3.2. Les informations reçues concernant l’emploi au Québec......................................... 140 4.2.3.3. La non-mobilisation des réseaux .............................................................................. 143 4.2.3.4 Les autres sources d’information .............................................................................. 144

4.2.4 Bilan : le rôle des réseaux sociaux dans le parcours prémigratoire ..................... 145 4.3. Le parcours post-migratoire ................................................................................... 150

4.3.1. L’accueil et l’établissement ................................................................................ 150 4.3.1.1. Les premiers contacts ............................................................................................... 150 4.3.1.2. Les premiers réseaux post-migratoires ..................................................................... 151 4.3.1.3. Les premières impressions; les premiers chocs ........................................................ 152 4.3.1.4 Bilan : le rôle des réseaux sociaux dans l’accueil et l’établissement ........................ 154

4.3.2. Le parcours professionnel post-migratoire ......................................................... 155 4.3.2.1. Le premier emploi .................................................................................................... 155 4.3.2.2 Le premier emploi correspondant à ses attentes ........................................................ 169 4.3.2.3 Les autres emplois ..................................................................................................... 175 4.3.2.4. Le bénévolat et la participation à la vie associative: une voie vers l’emploi? .......... 179 4.3.2.5. La migration vers la ville de Québec ....................................................................... 181 4.3.2.6 La formation post-migratoire .................................................................................... 182

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vii

4.3.2.7 La maternité et les responsabilités familiales ............................................................ 200 4.3.2.8. Portrait de la situation professionnelle actuelle ........................................................ 201

4.3.4 Bilan global sur le rôle des divers réseaux sociaux dans le parcours post-

migratoire ..................................................................................................................... 204 4.3.4.1 Le rôle de la communauté ethnoculturelle ................................................................ 204 4.3.4.2 Les réseaux institutionnels ........................................................................................ 208 4.3.4.3 Les liens avec les membres de la société d’accueil ................................................... 209

Chapitre V: Conclusion générale ........................................................................... 216 5.1. Apports de la recherche .......................................................................................... 216

5.1.1. Une approche qualitative permettant une compréhension plus fine des

dynamiques de création et de mobilisation des réseaux ............................................... 216 5.1.2. Les parcours prémigratoires et le projet migratoire : des étapes révélatrices ..... 217 5.1.3 Les réseaux post-migratoires et l’intégration socioprofessionnelle à Québec .... 219 5.1.4 L’approche intersectionnelle et la discrimination ............................................... 225

5.1.4.1 L’approche intersectionnelle et ses contributions pour comprendre nos résultats .... 225 5.1.4.2. De l’approche intersectionnelle à la discrimination systémique .............................. 227

5.1.5 Bilan des apports théoriques et empiriques ......................................................... 228 5.2. Pertinence sociale des résultats............................................................................... 230

5.2.1. Politiques publiques .................................................................................................... 231 5.2.1.1 La politique d’immigration et le projet migratoire .................................................... 231

5.2.2. Implications et recommandations pour les organisations et les employeurs ...... 238 5.3. Limites de la recherche ........................................................................................... 242 5.4. Pistes de recherche futures ..................................................................................... 243

Bibliographie ........................................................................................................... 248

Annexe A : Liste d’organisations contactées ........................................................ 261

Annexe B : Annonce de recrutement ..................................................................... 262

Annexe C : Formulaire de consentement .............................................................. 263

Annexe D : Fiche signalétique ................................................................................ 265

Annexe E : Guide d’entretien ................................................................................ 270

Annexe F : Diplômes québécois et situation actuelle des participantes ............. 273

Annexe G : Formation et situation professionnelle actuelle des participantes . 274

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viii

Liste des tableaux et figure

Tableau 1.1 : Population immigrée totale et d’origine maghrébine par période

d’immigration, Province de Québec, avant 1976 à 2013 ................................... 21

Tableau 1.2: Femmes immigrantes d’origine maghrébine admises au Québec

selon le pays de naissance, par année, 2001-2013 ............................................. 22

Tableau 1.3 : Niveaux de scolarité des immigrants maghrébins (2009-2013), des

immigrants de toutes origines (2009-2013) et des personnes nées au Québec

(2011) ................................................................................................................. 23

Tableau 1.4 : Pourcentage des personnes immigrantes dans les six professions

où elles sont le plus représentées (selon le Système de classification des

industries de l’Amérique du Nord de 2002). ...................................................... 25

Tableau 1.5 : Revenu moyen en 2006, Personnes immigrantes et population

totale, Québec, Montréal et Sherbrooke ............................................................. 26

Figure 1: Modélisation du cadre conceptuel intégré ................................................. 87

Tableau 2.1: Stratégies de recrutement empruntées et résultats .............................104

Tableau 3.1: Profil des participantes lors de l’immigration .................................... 106

Tableau 3.2 : Profil des participantes au moment de l’entretien ............................. 107

Tableau 4.1 : Reconnaissance des diplômes étrangers de participantes ................. 181

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ix

Remerciements

J’aimerais d’abord remercier mon directeur et ma codirectrice de thèse, Kamel Béji et

Hélène Lee-Gosselin. Je n’aurais pas pu avoir de meilleurs mentors. J’aimerais

également remercier les membres du jury d’avoir accepté de consacrer une partie de

leur été à évaluer ma thèse : Michel Racine, généreux dans son écoute et ses conseils

tout au long de mon parcours, ainsi que Charles Fleury et Annick Lenoir.

Merci « aux filles du doctorat » qui ont été d’un soutien inestimable : Jennifer, Marie-

Michelle, Marie-Laure, Thouraya. Merci également aux filles de la Chaire Claire-

Bonenfant pour les discussions palpitantes tout comme les moments de détente. Un

merci spécial à Hélène Charron pour sa générosité personnelle et professionnelle. Je

remercie également les collègues de l’AÉGRIUL, du SARE et de l’AELIES, mon

expérience universitaire n’aurait pas été la même sans vous!

Je remercie mes parents de m’avoir encouragé à poursuivre mes rêves, et m’avoir

fourni les outils pour les réaliser. Merci à Mélanie, ma sœur d’adoption : tu as

toujours su faire ressortir le meilleur de moi. Maude… merci pour tant de choses, trop

pour toutes les énumérer ici. Merci Jean-Nickolas pour ton soutien conjugal. Je

remercie également Joel Zimmerman et Amon Tobin, qui ont fourni la trame sonore

aux nombreuses heures passées à rédiger, à corriger et à recorriger cette thèse.

Merci au Fonds de recherche Société et culture Québec (FRQSC), à l’ARUC-

Innovations, travail et emploi, à la Faculté des sciences sociales, au Centre de

recherche sur les innovations sociales (CRISES) et au Comité des bourses d’études

aux 2e et 3e cycles en relations industrielles pour le soutien financier qui m’a été

accordé pour la réalisation de cette thèse. Je remercie également tou.t.es les

professeur.e.s qui m’ont inspirée et soutenue. On dit qu’il faut un village pour élever

un enfant; je dirais également qu’il faut une communauté de professeur.e.s pour

former une chercheuse!

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x

Enfin, ce projet n’aurait pas eu lieu sans la généreuse participation des femmes

exceptionnelles qui ont accepté de partager leurs témoignages. Merci!

Page 11: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

1

Introduction

Plusieurs auteurs s’intéressant aux obstacles à l’intégration socioprofessionnelle et

économique des personnes immigrantes citent souvent le manque de réseaux sociaux dans

la société d’accueil ainsi que les différentes formes de discrimination comme des obstacles,

sans se concentrer sur le lien qui pourrait exister entre ces deux facteurs. Par exemple, la

littérature sur la discrimination systémique en emploi cite le risque d’exclure,

consciemment ou non, certains groupes lorsque les entreprises recrutent via les réseaux

sociaux des employés actuels, soit pour réduire les coûts de dotation ou pour tenter d’avoir

une main-d’œuvre homogène et donc moins susceptible de développer des frictions

(Doeringer et Piore, 1971). Nous voulons poursuivre cette ligne de pensée en tentant

d’articuler le lien entre ces deux phénomènes ou mécanismes informels en explorant

l’expérience d’une population qui serait à risque de le vivre, soit les femmes immigrantes

qualifiées maghrébines établies dans la ville de Québec. En effet, cumuler les attributs

d’être femme, immigrante, et de minorité visible augmente la probabilité que ces personnes

vivent des situations de discrimination ou d’exclusion (Makkonen, 2002; Chicha, 2009).

La thèse repose d’abord sur l’idée que les explications fondées sur le capital humain ne

suffisent pas pour expliquer le processus d’intégration socioprofessionnelle des personnes

dans les économies développées telles que le Québec (Syed, 2008). La pertinence de cet

argument repose essentiellement sur trois ancrages théoriques : la perspective féministe, la

théorie des réseaux sociaux et les approches de la discrimination, en particulier la

discrimination systémique et l’intersectionnalité. L’articulation de ces trois approches nous

permet de mieux comprendre comment le phénomène de l’intégration socioprofessionnelle

est un processus social complexe dépassant largement l’explication économique de

l’attribution des emplois ou de l’adéquation entre les qualifications des personnes

immigrantes et des emplois disponibles sur le marché du travail québécois. La recherche

vise à explorer la perspective des femmes immigrantes maghrébines qualifiées concernant

les opportunités et les obstacles vécus lors de leur trajectoire prémigratoire, leur projet

migratoire et leur processus d’intégration socioprofessionnelle, en portant une attention

particulière aux réseaux sociaux et aux situations discriminatoires ou pouvant mener à une

Page 12: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

2

forme de discrimination. Pour atteindre cet objectif, la recherche s’inspire entre autres de la

thèse de l’objectivité forte (strong objectivity) (Harding, 2001) qui reconnait la valeur des

connaissances venant de l’expérience des personnes marginalisées. Elle propose notamment

la compréhension des phénomènes sociaux à partir des expériences des femmes ou des

minorités, celles-ci ayant une position particulière dans la société, pouvant nous éclairer sur

certains phénomènes, notamment sur le plan des relations entre les groupes

majoritaires/dominants et les « autres ». Nous croyons qu’il est pertinent d’explorer la

perspective qu’ont ces femmes de leurs expériences diverses en ce qui a trait à la

discrimination et aux rôles des réseaux sociaux dans leur processus d’intégration

socioprofessionnelle dans une société d’accueil. Nos questions de recherche se posent alors

ainsi: quels rôles jouent les réseaux sociaux dans le processus d’intégration

socioprofessionnelle des femmes immigrantes qualifiées d’origine maghrébine vivant dans

la ville de Québec, notamment au niveau des opportunités et des obstacles? Nous cherchons

entre autres à explorer comment des dynamiques présentes dans les réseaux sociaux

engendrent de la discrimination systémique, et comment la discrimination peut priver

certaines personnes d’avoir accès à des opportunités liées au capital social; inversement,

nous souhaitons explorer comment le capital social peut aider à éviter la discrimination.

Le premier objectif de la thèse est d’explorer le point de vue des femmes immigrantes

qualifiées d’origine maghrébine à Québec concernant leur parcours migratoire et

professionnel, en portant une attention particulière au rôle des réseaux sociaux. La

recherche vise à explorer comment les réseaux « mobilisés », ou s’imposant par eux-

mêmes, ont influencés leurs orientations de carrière, leurs choix migratoires et, par ricochet,

leur intégration socioprofessionnelle dans leur pas d’origine et à Québec. Deux sous-

objectifs dérivent de ce premier objectif général. Le premier est d’explorer la perspective de

ces femmes concernant les normes et les injonctions véhiculées dans leurs réseaux,

notamment en ce qui concerne les rôles sociaux selon le sexe au sein de la famille et en ce

qui a trait au marché du travail, ainsi que les normes concernant les stratégies de recherche

d’emploi. Le second sous-objectif est d’identifier les ressources auxquelles ces femmes

considèrent qu’elles auraient accès ou non par l’entremise des réseaux sociaux. Ces

ressources peuvent être des informations, des opportunités, du soutien financier ou moral,

Page 13: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

3

de l’aide pour les soins ou la garde des enfants ou d’autres membres de la famille, ou toute

autre forme de ressources que ces femmes considèrent comme pertinentes.

Le second objectif de la thèse est de sonder la population à l’étude concernant leur point de

vue relativement à la discrimination. Nous cherchons à savoir si les femmes interrogées ont

le sentiment d’avoir qu’elles ont vécu une ou des situation(s) de discrimination, et explorer

quels effets cela a eus sur leurs perceptions au sujet de leurs opportunités d’emploi et leurs

stratégies d’intégration socioprofessionnelle.

Le troisième objectif est d’explorer l’articulation entre l’accès aux réseaux sociaux et leur

mobilisation, les formes de discrimination et les normes quant aux rôles des sexes, et les

répercussions de ceux-ci sur les processus d’intégration socioprofessionnelle des femmes

immigrantes qualifiées originaires du Maghreb à Québec.

Afin de mieux cadrer la question de recherche par rapport aux connaissances existantes, la

thèse présente l’état des savoirs actuels sur les femmes immigrantes hautement qualifiées

en matière de réseaux sociaux et de discrimination. Puis, la perspective du sujet a été

adoptée pour explorer ces phénomènes afin de voir si l’on peut ainsi les comprendre

autrement, à partir des expériences des personnes concernées. En effet, nous partageons

l’hypothèse de Hopper et Powell (1985), qu’en explorant de « vieux » sujets avec une

différente perspective, nous pourrions en dégager de nouvelles compréhensions.

Pour répondre aux questions de recherche et atteindre ses objectifs généraux et spécifiques,

cette thèse se décline en cinq chapitres. Le premier chapitre expose des éléments de

contexte historique qui nuancent la problématique actuelle de l’intégration

socioprofessionnelle des femmes immigrantes qualifiées au Québec, puis définit des

concepts qui permettent d’éclairer cette problématique : l’intégration socioprofessionnelle,

l’agentivité, le capital humain et la perspective de genre. Ce chapitre présente ensuite les

obstacles à l’intégration professionnelle des personnes immigrantes qualifiées en général,

puis des femmes en particulier. Il en ressort notamment que les femmes font face à des

obstacles particuliers, dont les préjugés et les stéréotypes, les stratégies familiales

d’insertion favorisant l’insertion du conjoint et des enfants, et les ressources limitées.

Ensuite, des données statistiques permettront de décrire le portrait socio-économique actuel

Page 14: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

4

de la population immigrante maghrébine établie dans la province du Québec en général,

puis dans la ville de Québec en particulier. Cette population est en croissance et est

hautement scolarisée.

Le second chapitre présente les éléments théoriques mobilisés dans le cadre de cette

recherche ainsi que les études empiriques pertinentes appliquant ces éléments à la

problématique à l’étude dans cette thèse. Le cadre général emprunté est celui de la

sociologie économique, en particulier les concepts du capital social et des réseaux sociaux.

Ensuite, les différents concepts-clés de la discrimination sont explorés, incluant la

discrimination systémique et l’intersectionnalité. Chacune de ces deux sections est divisée

ainsi parce qu’il apparait plus cohérent de présenter le cadre théorique général avant de voir

les études empiriques ayant alimenté notre recherche. Une troisième section intègre ces

deux familles conceptuelles et présente un modèle afin de démontrer l’intérêt d’allier le

structuralisme à l’interactionnisme pour analyser la problématique aux niveaux macro,

méso et micro.

Le chapitre III expose les éléments épistémologiques et méthodologiques guidant notre

processus d’enquête, notamment l’épistémologie féministe, la méthodologie qualitative, et

le déroulement de la recherche. L’épistémologie féministe du point de vue (standpoint) a

guidé le processus d’enquête de manière à ce que les participantes étaient invitées à agir à

titre d’informatrices, valorisant ainsi leur savoir en tant que femmes imbriquées dans

différents rapports sociaux quant à leur propre processus d’intégration. La méthodologie

qualitative et exploratoire a permis de cerner les dynamiques en jeu en ce qui concerne le

rôle des réseaux sociaux dans l’intégration socioprofessionnelle de ces femmes. De plus,

elle est cohérente avec l’approche du point de vue. Quinze immigrantes maghrébines

hautement scolarisées établies à Québec ont participé à des entretiens semi-directifs

individuels. Seront aussi discutés dans ce chapitre, le processus de recrutement des

participantes, le déroulement des entretiens et le profil des participantes. Finalement, la

méthode d’analyse thématique sera expliquée avant de présenter les résultats de l’étude au

quatrième chapitre.

Le quatrième chapitre expose les résultats de la recherche ainsi que l’analyse et leur

interprétation. Ce chapitre est divisé en trois sections et analyse le rôle des réseaux sociaux

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5

dans les parcours prémigratoires, migratoires et post-migratoires des participantes. Au

terme de chacune de ces sections, un bilan des principaux résultats est présenté ainsi qu’une

discussion sur les thèmes qui retiennent l’attention. Dans les phases prémigratoires, il sera

question notamment de l’importance des réseaux familiaux et du contexte national dans les

orientations scolaires et de carrière, le rôle des réseaux sociaux dans le parcours

professionnel prémigratoire, les motivations pour immigrer et la mobilisation (ou non) des

réseaux transnationaux pour acquérir de l’information concernant l’emploi au Québec. Il en

ressort notamment que ces réseaux influencent fortement ces processus, de plusieurs

façons, souvent de façon « spontanée » ou sans que les femmes aient eu à le mobiliser de

façon consciente. Dans la phase post-migratoire, la dynamique des réseaux mobilisés lors

de l’accueil et l’établissement sera abordée, particulièrement en ce qui concerne la

communauté ethnoculturelle. Un constat intéressant à ce sujet concerne les rapports tendus

ou conflictuels que certaines participantes entretiennent avec cette communauté. Puis,

plusieurs aspects de la trajectoire professionnelle des participantes seront analysés, toujours

en focalisant l’attention sur le rôle des réseaux sociaux. Ici, trois types de réseaux retiennent

l’attention : les réseaux ethnoculturels, les réseaux institutionnels et les liens avec les

personnes nées au Québec. Il en ressort entres autres qu’il est difficile de créer des liens

« utiles » pour l’obtention d’un emploi correspondant à ses attentes. Tout au long de

l’analyse, une attention particulière est également portée sur les rapports sociaux de sexe

ayant une incidence sur les parcours en général, et sur les dynamiques s’opérant dans les

réseaux qui influencent ces parcours en particulier.

Finalement, la conclusion générale présente les principaux apports de la thèse : l’utilisation

d’une méthodologie qualitative pour saisir les aspects individuels et les dynamiques

relationnelles qui influencent la constitution et la mobilisation des réseaux sociaux; l’étude

des parcours prémigratoires en plus des parcours post-migratoires afin de mieux saisir les

attentes et les stratégies concernant l’intégration socioprofessionnelle; l’élaboration de

nuances à apporter à plusieurs propositions issues de la théorie des réseaux sociaux; et la

compréhension de la problématique à l’étude sous l’angle de l’intersectionnalité et de la

discrimination systémique. Est ensuite abordée la pertinence sociale de la recherche en

discutant des implications empiriques pour les politiques publiques et des organisations.

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6

Puis, les limites de la recherche sont exposées et des pistes de recherche futures sont

proposées.

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7

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8

Chapitre I : Problématique

Depuis les années 1990, face à des pénuries ou des raretés appréhendées de main-d'œuvre

qualifiée, le gouvernement du Québec adopte une politique d’immigration sélective visant

l’augmentation de la population immigrante scolarisée et francophone (Québec, 1990).

C’est ainsi que l’on assiste à une croissance significative du nombre de personnes

immigrantes en provenance du Maghreb. Depuis 2003, cette population constitue environ

20 % du nombre de personnes immigrantes arrivant au Québec (MICC, 2008; MIDI,

2014c). Cependant, l’intégration socioprofessionnelle se fait de plus en plus difficile pour

cette population, tout comme pour les cohortes immigrantes plus récentes provenant de

toutes origines (Aydemir, 2003; Frenette et Morissette, 2003), et ce, particulièrement pour

les femmes, qui même à long terme ne rattrapent ni leurs homologues masculins ni les

femmes natives ou même issues d’autres origines, en ce qui a trait à l’intégration en emploi

(Statistique Canada, 2006; Reitz, 2007b; Plante, 2010). À titre d’exemple, les données des

recensements canadiens entre 1970 et 2006 indiquent une baisse de 20% du revenu initial

des personnes immigrantes récentes, et ce, en tenant compte du niveau de scolarité et des

fluctuations de l’économie (Reitz, 2007b). En ce qui concerne plus particulièrement les

personnes immigrantes originaires du Maghreb, malgré leurs niveaux de scolarité parmi les

plus élevés, leur taux de chômage est d’entre 17,5 % et 20,5 % selon le pays d’origine

(MICC, 2012), ce qui est plus élevé d’environ cinq points de pourcentage que celui de

l’ensemble des immigrantes issues des minorités visibles, et d’environ trois fois celui des

femmes en général au Québec (Conseil du statut de la femme, 2014). La non-

reconnaissance et/ou la sous-évaluation des diplômes et des compétences acquis à

l’étranger constituent sans doute un des plus importants obstacles à l’emploi pour les

personnes immigrantes qualifiées (Reitz, 2007b) ; les personnes immigrantes originaires du

Maghreb qui s’installent au Québec n’y font pas exception (Lenoir-Achdjian et coll., 2007;

Vatz Laaroussi, 2008). Pour expliquer ces écarts, Nakhaie (2007) suggère que les

employeurs sont inconfortables face à leur manque de connaissance des diplômes étrangers,

ce qui rend difficile leur appréciation, et ils gèrent leurs risques. À cet obstacle s’ajoute le

manque d’expérience de travail pertinente au Québec, qui est habituellement requis par les

employeurs, qui reconnaissent rarement l’expérience acquise à l’étranger (Reitz, 2001;

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Anucha et coll., 2006; Schellenberg et Maheux, 2007; Houle et Yssad, 2010). Concernant

plus particulièrement les professions règlementées, certains auteurs décrient la fermeture

des ordres professionnels face à la formation acquise à l’étranger comme étant une variable

qui contribue à l’explication de ce phénomène (Lenoir-Achdjian et coll., 2007; Vatz

Laaroussi, 2008). La discrimination, les stéréotypes et les préjugés ethniques et religieux

figurent aussi parmi les raisons les plus citées. Selon certains auteurs, ceci serait

particulièrement saillant pour les personnes immigrantes d’origine maghrébine, tant au

Canada qu’au Québec, suite aux évènements du 11 septembre 2001 et au débat ouvert

concernant les accommodements raisonnables (Lenoir-Achdjian et coll., 2007; Vatz

Laaroussi 2008; Arcand et coll., 2009). Ces difficultés seraient accentuées, dans le cas des

femmes immigrantes qualifiées, par, entre autres, les stratégies familiales d’intégration qui

tendent à privilégier la formation et la carrière du conjoint (Chicha, 2009; Action travail des

femmes, 2009). Finalement, sans que cela soit nécessairement conscient, les employeurs

peuvent avoir des préjugés basés sur le sexe en plus de l’origine ethnique, menant à la sous-

valorisation des compétences et des expériences de travail féminines (Action travail des

femmes, 2009; Salaff et Greve, 2003).

Peu importe l’origine ethnique et le nombre d’années d’établissement au Canada et/ou au

Québec, les femmes immigrantes éprouvent des difficultés plus grandes sur le marché du

travail que les femmes natives ou que les hommes immigrants, quel que soit l’indicateur

retenu : le taux de chômage, de revenus ou de déqualification. En guise d’exemple, en

2012, le taux de chômage des femmes immigrantes au Québec était de 11,9 % contre 7,0 %

pour l’ensemble de la population active féminine québécoise, 11,2 % pour les hommes

immigrants et 8,5 % pour l’ensemble de la main-d'œuvre masculine (MICC, 2013). Pour ce

qui est du revenu moyen des personnes occupant un emploi à temps plein toute l’année, en

2005, les femmes natives reçoivent environ 76 % des revenus des hommes natifs (Institut

de la statistique du Québec 2009a), et les femmes immigrantes formées à l’étranger gagnent

environ 12 % de moins que les femmes nées au Canada (Plante, 2010). Pour les cohortes

plus récentes, c’est-à-dire, établies au Canada depuis dix ans et moins, les femmes

immigrantes ne gagnent que 70 % de ce que les femmes natives gagnent. De plus, les

femmes immigrantes avec un diplôme universitaire gagnent 82 % de ce que les femmes

natives avec un niveau de scolarité comparable gagnent (Vatz Laaroussi, 2008).

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10

Finalement, la déqualification serait vécue de façon encore plus prononcée par les femmes

immigrantes appartenant au groupe des minorités visibles, celles-ci atteignant un taux de

déqualification1 de 44 % en 2006 (Action travail des femmes, 2009; Chicha, 2009).

Afin de surmonter ces obstacles, certaines personnes immigrantes se tournent vers leurs

réseaux sociaux pour faciliter leur intégration en emploi (Potter, 1999; Li, 2004; Anucha et

coll., 2006). Les réseaux sociaux donneraient accès à des informations relatives au marché

du travail: les individus peuvent ainsi prendre connaissance des opportunités d’emploi, les

exigences et les attentes sur le marché du travail et comment trouver un emploi; ces

informations n’étant pas toujours diffusées dans les canaux formels. D'un autre côté, les

employeurs peuvent recruter en faisant appel aux réseaux sociaux de leurs employés, ou

peuvent mobiliser leurs contacts pour en apprendre sur un employé potentiel avant de

l’embaucher (Granovetter, 1995). On reconnait donc de plus en plus que les réseaux

sociaux peuvent s’avérer importants dans l’intégration des personnes immigrantes, tant sur

le marché du travail qu’auprès de la société d’accueil en général. Cependant, cette stratégie

peut avoir des effets pervers. De fait, tous les réseaux ne sont pas équivalents dans leurs

ressources et leurs impacts. En effet, les personnes immigrantes qui n’ont accès qu’à des

réseaux sociaux dans leur communauté ethnoculturelle ou avec des personnes natives qui

ne sont pas dans des réseaux influents peuvent se retrouver enfermées dans des enclaves

d’emplois moins qualifiés ou offrant de moins bonnes conditions de travail et possiblement

exclus de leur profession, alors que ceux qui arrivent à se constituer un réseau à l’extérieur

de leur communauté peuvent avoir accès à des opportunités d’emploi intéressantes (Portes,

1998; Bagchi, 2001). Nous élaborerons les différentes dynamiques possibles concernant le

potentiel du capital social, des réseaux sociaux et de l’intégration socioprofessionnelle des

1 En ce qui concerne la définition de la déqualification, nous adhérons à celles proposées par Chicha et

Deraedt (2009) et Renaud et Cayn (2006), qui se réfèrent à la non-correspondance entre le niveau du diplôme

le plus élevé obtenu ou l’emploi pré-migratoire et le niveau du diplôme ou de complexité du travail exigé par

l’emploi exercé par une personne post migration. Il s’agit d’une situation qui peut, dans le moyen et le long

terme, mener à la désuétude des diplômes et des compétences des travailleuses et des travailleurs qualifiés car

les emplois de l’économie dite « du savoir » demandent souvent un processus d’apprentissage et de mise à

jour continue (OCDE, 1996).

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11

personnes immigrantes dans la troisième section de ce document qui traite plus

particulièrement de ce thème aux plans théorique et empirique.

1.1. L’intégration socioprofessionnelle des personnes

immigrantes qualifiées

Pour comprendre l’intégration socioprofessionnelle, qui est un résultat, dans la section qui

suit, quelques concepts utilisés dans l’exposition de la problématique seront définis :

l’intégration socioprofessionnelle, les attentes, l’agentivité, le capital humain et la

perspective de genre. Ensuite seront présentés les obstacles à l’intégration

socioprofessionnelle des personnes immigrantes hautement qualifiées en général, puis des

femmes en particulier. Finalement, un portrait de la population maghrébine au Québec et de

son intégration professionnelle sera exposé.

1.1.1 Quelques définitions

Notre problématique s’insère dans un intérêt plus large concernant l’intégration

socioprofessionnelle des travailleuses et des travailleurs immigrant-es qualifié-es dans les

économies développées comme le Canada et le Québec. Le travail est bien plus qu’une

activité permettant de gagner sa vie et subvenir à ses besoins économiques. C’est aussi

l’occasion d’utiliser ses compétences, de se développer et de se réaliser. L’intégration

socioprofessionnelle désigne le processus par lequel une personne arrive à occuper un

emploi « stable et satisfaisant et correspondant à ses rêves personnels » (Fournier et coll.,

1992 : 273). La correspondance avec les rêves personnels est forcément un jugement

individuel, subjectif et personnel, mais elle peut se manifester en partie par une

correspondance avec les qualifications, les aptitudes et les compétences des personnes

(Renaud et Cayn, 2006). Ce processus peut inclure divers changements et adaptations au

marché du travail de la part de l’individu, ainsi qu’une série de faux départs et de détours en

cours de route (Fournier et coll., 1992). De plus, cette évolution peut ne jamais être

complètement terminée, ou elle peut être récurrente, selon les changements dans la vie

personnelle, la formation continue et le perfectionnement, les changements dans

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l’environnement de travail, etc. Une intégration socioprofessionnelle comporte aussi une

composante sociale, soit celle de se sentir intégré parmi ses collègues de travail.

Pour les personnes immigrantes, ce processus débute avant la migration elle-même,

lorsqu’elles formulent leurs attentes par rapport à leur future vie au Québec, et se poursuit

pendant l’accueil et l’établissement (Béji et Pellerin, 2015). En effet, les expériences

relatives à l’adaptation à la langue française telle que parlée par les personnes québécoises,

à la recherche de logement et aux premiers contacts avec les communautés ethnoculturelles

et la communauté d’accueil continueront d’influencer les attentes et les stratégies des

personnes immigrantes en matière d’intégration dans tous les domaines de la vie, dont

l’intégration socioprofessionnelle. L’étude des facteurs qui influencent les attentes est

essentielle elles jouent un rôle fondamental dans la définition personnelle de l’intégration

socioprofessionnelle. Dans le cadre de cette étude, l’aspect abordé plus spécifiquement sera

le rôle des réseaux sociaux dans la formation et l’évolution de ces attentes, ainsi que de leur

rôle dans l’élaboration des stratégies pour tenter de les satisfaire.

Le processus débouche idéalement sur une participation aux autres sphères de la société

d’accueil telles que la vie sociale, culturelle et politique, afin d’y développer un sentiment

d’appartenance (Béji et Pellerin, 2010). Cette participation favorise la diversité des liens

sociaux, et la personne immigrante peut ainsi forger des relations avec des membres de la

communauté d’accueil (Berry et coll., 2011). Finalement, les ajustements et adaptations

requises dans le processus d’intégration socioprofessionnelle peuvent être faits par

l’individu qui joint le milieu ou par le milieu lui-même. Ainsi, l’intégration

socioprofessionnelle à la société d’accueil demande également des efforts de la part de cette

dernière, pour favoriser la participation les personnes immigrantes (Bouchard, 2012;

Schnapper, 2007). Dans le cadre de cette thèse, nous explorerons le rôle des réseaux

sociaux dans chacune des étapes de ce processus, en portant une attention particulière aux

dynamiques présentes dans ces réseaux pouvant créer ou reproduire la discrimination

envers les immigrantes maghrébines hautement scolarisées établies au Québec, notamment

lorsqu’elles sont exclues des réseaux constitués de personnes nées au Québec ayant les

ressources pour les aider.

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Le gouvernement du Québec définit la travailleuse ou le travailleur immigrant-e qualifié-e,

comme un « ressortissant étranger âgé d’au moins 18 ans qui vient s’établir au Québec pour

occuper un emploi qu’il est vraisemblablement en mesure d’occuper » (MICC 2009c : 9).

Selon l’OCDE, les travailleurs qualifiés incluent les spécialistes hautement qualifiés, les

cadres ou administrateurs indépendants et gestionnaires seniors, les techniciens ou

travailleurs de métiers spécialisés, les investisseurs, les gens d’affaires et les travailleurs

sous-traitants (SOPEMI 1997: 21 cité dans Syed 2008). Pour Iredale (2001), il s’agit

d’universitaires ou de personnes ayant beaucoup d’expérience, alors que pour Purkayastha

(2005 : 182), on définit les travailleurs hautement qualifiés comme étant ceux dans les

domaines de la santé, des échelons supérieurs de la gestion, du génie, des technologies de

l’information et de la science dans les sciences naturelles. Nous optons pour une définition

plutôt large du concept de travailleur qualifié, se rapprochant de celle de Purkayastha

(2005), qui inclut une partie des travailleurs ayant des diplômes et/ou de l’expérience de

travail dans des domaines professionnels, techniques et de gestion dans le pays d’origine ou

d’autres pays à l’extérieur du Canada.

L’intégration professionnelle des personnes immigrantes qualifiées suscite un intérêt

grandissant de la part des chercheurs depuis les années 1990 et surtout depuis les années

2000. Citant la mondialisation et les efforts de la part des économies développées pour

combattre les pénuries ou les raretés de main-d'œuvre qualifiée comme moteur de

migration pour des millions de professionnels et d’universitaires, ces auteurs constatent

néanmoins que le capital humain de ces personnes est parfois insuffisant pour leur assurer

une intégration en emploi réussie (Syed, 2008). En effet, partout dans le monde, ces

personnes immigrantes se heurtent à des obstacles tels que l’inadéquation entre leur

formation et les besoins des employeurs, la non-reconnaissance de la formation acquise à

l’étranger, les dynamiques de racisme et de discrimination dans la société d’accueil,

l’absence de réseaux sociaux professionnels pour trouver de l’emploi ou personnels pour

assurer un soutien financier et psychologique, et ainsi de suite (Renaud et Cayn, 2006;

Syed, 2008).

Certaines études, notamment canadiennes et québécoises, suggèrent que les obstacles

professionnels des personnes immigrantes ne sont que temporaires et que la majorité des

Page 24: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

14

groupes finissent par connaitre une intégration en emploi réussie environ cinq à dix ans

après leur arrivée (Reitz, 2007a; Li 2003; Renaud, Piché et Godin, 2003). Cependant,

d’autres études, telles que celles recensées par Béji et Pellerin (2010), indiquent que ceci est

de moins en moins vrai pour les cohortes plus récentes. Nous considérons, comme le fait

Syed (2008), que peu importe l’issue à long terme, cette période de transition constitue un

objet de recherche en soi, et qu’elle constitue un problème auquel il est possible de trouver

des solutions afin de la faciliter ou d’accélérer l’insertion professionnelle des immigrants

qualifiés. En effet, même si sa durée était limitée à cinq ou dix ans, pour des travailleurs

qualifiés cela peut se traduire en une déqualification importante et des effets à long terme

sur la carrière, un appauvrissement, sans compter les problèmes psychologiques et

familiaux qui peuvent se développer face aux obstacles auxquels ces travailleurs font face

(Chicha, 2009). Cette période comporte aussi des coûts pour la société d’accueil, comme la

non-utilisation ou la sous-utilisation de capitaux humains, des pénuries de main-d’œuvre

dans certains secteurs et la mobilisation de ressources telles que l’aide sociale ou tout autre

programme social de soutien à l’intégration des personnes immigrantes (Syed, 2008).

Dans le contexte de cette recherche, nous considérons les personnes immigrantes comme

étant bien plus qu’un facteur de production ayant une forte mobilité. En effet, les

opportunités d’emploi de ces personnes ne sont pas seulement le résultat de leurs

qualifications, mais aussi de leurs perceptions et leurs expériences dans la société d’accueil,

ainsi que la structure d’opportunité d’emploi (Syed, 2008). Nous reconnaissons donc

l’agentivité (« agency ») des personnes immigrantes; c’est-à-dire que face à des

opportunités et à des contraintes, elles peuvent agir de manière à influencer leur propre

parcours (Morin, 2009). Elles décodent la situation et lui donnent un sens, puis elles

envisagent des réponses et mettent en œuvre des actions. Ceci justifie encore une fois

l’adoption d’une épistémologie du point de vue. Cela implique que ces personnes ne sont

pas que des victimes qui subissent des contraintes sans pouvoir agir sur leur situation, bien

qu’elles doivent composer avec elles et qu’elles peuvent adopter une multitude de stratégies

pour le faire (Cardu et Sanschagrin, 2002).

Nous adoptons aussi une vision élargie du capital humain, comprise comme

l’investissement dans des activités accroissant la productivité potentielle, telles que

Page 25: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

15

l’éducation, la formation en entreprise et l’immigration (Becker, 1964; Schultz, 1961,

1962). À l’instar de Laroche et coll., (1999), nous considérons aussi les compétences innées

ou acquises par le biais de l’expérience et de la socialisation. Ceci inclut le savoir-être et les

attitudes.

Finalement, nous nous insérons dans un courant de recherche féministe, qui reconnait que

les perceptions, les expériences et les opportunités d’emploi doivent être comprises avec

une perspective de genre (Iredale, 2005) et de rapports sociaux de sexe et qu’il importe de

connaitre le point de vue des femmes qui vivent des difficultés, ainsi que le contexte qui

conditionne leurs structures d’opportunités et de contraintes, afin de mieux pouvoir

répondre à leurs besoins. Adopter une perspective de genre signifie, aux fins de cette

thèse, de tenir compte des différences socialement construites entre les femmes et les

hommes, notamment sur le plan des attentes et des rôles au sein de la famille et en relation

à l'emploi. Cela implique de reconnaitre non seulement les différences entre les expériences

de femmes et des hommes, mais aussi, que celles-ci sont le fruit d’un ordre socialement

construit (Bourdieu, 1998). C’est ainsi que nous chercherons à aller plus loin qu’une simple

analyse fondée sur le capital humain pour comprendre les perceptions et les expériences de

femmes immigrantes qualifiées concernant leurs réseaux sociaux et les mécanismes de

discrimination qui peuvent y opérer.

1.1.2 Les obstacles à l’intégration socioprofessionnelle des personnes

immigrantes qualifiées : quelques explications potentielles

Plusieurs auteurs offrent des explications macroéconomiques pour expliquer les difficultés

rencontrées par les personnes immigrantes qualifiées sur le marché du travail des sociétés

d’accueil. Par exemple, le stade du cycle économique ainsi que les structures de marché à

l’arrivée peuvent avoir un impact à long terme sur l’emploi des personnes immigrantes

(Peraacchi et Depalo, 2006). Par exemple, il a été démontré que les cohortes de personnes

immigrantes arrivées au Canada au début des années 1980 et 1990, alors que le pays était

en récession, ont vécu des écarts de revenu plus grands et plus longtemps comparativement

aux natifs que les cohortes arrivées durant des périodes de prospérité (Aydemir, 2003). De

plus, Reitz (2007a; 2007b) offre une recension des études qui tente de comprendre les

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phénomènes à l’origine d’une intégration socioprofessionnelle de plus en plus difficile des

personnes immigrantes au Canada. Pour cet auteur, les indicateurs quantitatifs tels que le

taux de chômage et les écarts de revenu ne sont pas les seuls à prendre en compte; des

indicateurs qualitatifs comme la satisfaction en emploi, la perception des barrières à

l’emploi et la capacité d’utiliser ses compétences et son expérience acquises à l’étranger

figurent aussi parmi les indicateurs à retenir. Concernant les barrières à l’emploi, Reitz

survole plusieurs études reliées à un des facteurs clés dans l’intégration

socioprofessionnelle des personnes immigrantes, soit leur accès au marché du travail. Parmi

les facteurs pouvant affecter cet accès on retrouve: la discrimination basée sur les origines

ou le statut d’immigrant, la reconnaissance des diplômes et l’évaluation des qualifications

étrangères, l’accès à des emplois spécifiques et les niches, les opportunités de formation, la

représentation syndicale et le plafond de verre. Ces facteurs seraient, à leur tour, influencés

par : la demande de travail en général, la demande de travail dans des emplois et des

secteurs spécifiques, la structure du marché du travail, les disparités de revenu et les forces

institutionnelles telles que les syndicats et les régimes régulateurs des gouvernements, le

système d’éducation, l’offre de travail des natives et des natifs et celle des personnes

immigrantes, différents niveaux de compétences et l’endroit d’établissement. Plus

particulièrement, les personnes immigrantes seraient assujetties à des effets d’entrée (ou

une période d’ajustement) sur le marché du travail qui incluent des taux de roulement

élevés et la surqualification. À son analyse, nous ajoutons que les réseaux sociaux (leur

composition ainsi que l’accès des personnes immigrantes aux réseaux existants, en

particulier les réseaux influents) peuvent jouer un rôle dans ces processus, et, par

conséquent, dans le succès en emploi. C’est ce que nous tenterons de documenter par cette

recherche.

Concernant la capacité d’utiliser les compétences et l’expérience acquises à l’étranger,

Reitz (2007a; 2007b) explique que les personnes immigrantes auraient de moins en moins

accès aux emplois très qualifiés, notamment dans les professions et la gestion. En effet,

entre 1971 et 2001, la proportion des travailleurs canadiens dans les emplois reliés à

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l’« économie du savoir2 » a presque doublé (de 14 à 25 %) (Baldwin et Beckstead, 2003

cités dans Reitz, 2007b). De plus, les niveaux de scolarité requis pour occuper ces postes

ont augmenté, ainsi que les niveaux de scolarité requis pour des emplois à l’extérieur de ces

catégories. Cependant, le niveau de scolarité de la population native a lui aussi augmenté,

ce qui pourrait expliquer pourquoi les personnes immigrantes rencontrent plus de difficultés

à accéder à de tels emplois. Ainsi, le capital humain élevé des personnes immigrantes ne

serait plus un avantage comparatif sur le marché du travail comme il l’a été auparavant.

1.1.2.1. Les obstacles à l’intégration socioprofessionnelle des femmes immigrantes

qualifiées

L’intégration socioprofessionnelle des femmes immigrantes qualifiées attire de plus en plus

l’attention des chercheurs depuis les années 2000 (Iredale, 2005; Liversage, 2009; Kofman

& Raghuram, 2006). Concernant le parcours migratoire des travailleurs qualifiés, Iredale

(2005) analyse le phénomène sous la perspective de genre, ce dernier ayant un impact sur le

parcours professionnel dès l’étape d’acquisition des compétences dans le pays d’origine. En

effet, les attitudes envers l’éducation des filles et des femmes dans le pays d’origine auront

un effet sur le niveau de scolarité des femmes et leurs domaines d’études, ainsi que les

schémas concernant le travail rémunéré et sa place dans la vie adulte. De plus, les attitudes

de la famille et de la société envers les possibilités de carrière et le statut général des

femmes auront un impact sur l’insertion dans la vie, les rôles sociaux dans la vie en général

et les possibilités de migration. Dans certains pays asiatiques par exemple, des attitudes très

protectrices à l’égard des femmes font en sorte qu’elles rencontrent beaucoup d’opposition

2 Il s’agit du terme qui désigne les secteurs d’activité caractérisés par « la prépondérance d’actifs intangibles,

des activités à fort contenu de connaissances et l’utilisation d’une main-d’œuvre hautement spécialisée »

(MDEI, 2005 :2). Les industries du savoir investissent de manière significative dans la recherche et

développement et emploient une proportion élevée de travailleurs qualifiés tels que des scientifiques et des

ingénieurs (MDEI, 2005; OCDE, 1996). Des exemples de ces secteurs sont les télécommunications, les

technologies de l’information, la pharmaceutique, la fabrication d’ordinateurs et de composantes

électroniques, l’aérospatiale, les services aux entreprises, l’éducation, les laboratoires recherche et les instituts

d’enseignement supérieurs publics (MDEI, 2005; OCDE, 1996).

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18

si elles veulent immigrer seules, qu’elles soient qualifiées ou non (Iredale, 2005). Les

mêmes résistances émergent lorsque sont envisagées les opportunités d’études à l’étranger :

certains pays encouragent davantage les hommes à entreprendre ces démarches, leur

donnant l’opportunité de se développer des réseaux sociaux lors de leurs études à

l’international, alors que les femmes sont privées de le faire, ce qui peut avoir un impact

tout au long de leur carrière.

Après la migration, les obstacles qu’elles rencontrent sont souvent reliés aux

discriminations fondées sur les préjugés (d’elles-mêmes, de leur famille et de leurs

employeurs) à l’égard des femmes et à leurs obligations familiales, qui rendent plus

difficile le processus de reconnaissance des acquis et des compétences. En effet, plusieurs

femmes remettent à plus tard ce processus en attendant que leur conjoint le fasse (Chicha,

2009; Action travail des femmes, 2009).

Concernant les compétences, un élément du capital humain, certains auteurs soutiennent

que les hommes immigrants auraient un avantage relatif, car ils disposent davantage de

compétences scientifiques, techniques et de gestion, alors que les femmes seraient plus

nombreuses à détenir des diplômes en médecine ou en enseignement, compétences parfois

plus difficilement transférables d’une société à l’autre, en raison notamment la nature de la

profession et des institutions qui la contrôlent (Liversage, 2009). Cette différence dans les

types de qualification est le reflet de la ségrégation occupationnelle et académique dans le

pays d’origine (Iredale, 2005). Des professions requérant des compétences « dures », par

exemple le génie et certains domaines scientifiques, seraient plus facilement accessibles

que celles requérant des compétences « molles » comme les sciences sociales et humaines

(Liversage, 2009; Gurcak et coll., 2001). Entre autres, ces domaines « durs » demanderaient

une connaissance moins approfondie de la langue du pays d’accueil, surtout dans les

secteurs où la connaissance de l’anglais est davantage valorisée, par exemple dans

l’industrie des technologies de l’information (Liversage, 2009). Au Québec, les trois

secteurs professionnels les plus fréquemment déclarés par les femmes immigrantes sont :

les affaires, la finance et l’administration (21,2 %), les sciences sociales, l’enseignement et

l’administration publique (16,2 %) et les sciences naturelles et appliquées (13,1 %). Pour

les hommes, les sciences naturelles et appliquées sont au premier rang (28,6 %), puis les

Page 29: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

19

affaires, la finance et l’administration (12,6 %), puis les sciences sociales, l’enseignement

et l’administration publique (10,6 %) (MIDI, 2014d). Ainsi, les hommes pourraient avoir

plus de facilité à accéder à des emplois dans le secteur des sciences naturelles et appliquées,

par exemple dans les technologies de l’information et dans les métiers spécialisés, où il y a

des pénuries de personnel (ICTC, 2010; Chambre des communes du Canada, 2012). Les

femmes, quant à elles, sont plus nombreuses dans des domaines où la main d’œuvre est

plus abondante (MIDI, 2014d); ainsi, la demande globale de main-d’œuvre selon les

secteurs ou domaines d’emploi serait un facteur à considérer au-delà de la correspondance

entre la formation détenue et les demandes des employeurs (Iredale, 2005).

En ce qui concerne plus spécifiquement le domaine de la santé, où les femmes sont plus

présentes que les hommes (MIDI, 2014d), une enquête sur l’intégration en emploi menée

par Lacroix (2013) démontre que les personnes immigrantes dans la catégorie

d’immigration des travailleurs qualifiés formés dans ce domaine sont celles ayant le plus de

difficulté à insérer un emploi qualifié, et doivent patienter davantage avant de le faire.

Toutefois, cela n’est pas le secteur où on retrouve un très grand nombre de personnes

immigrantes au Québec, malgré les pénuries dans certains secteurs (Chambre des

communes du Canada, 2012). Il est intéressant de constater, cependant, que les femmes

immigrantes sont deux fois plus nombreuses que les hommes immigrants à avoir déclaré

ces professions (9,8 % contre 4,9 %) (MIDI, 2014d).

Un autre facteur pouvant expliquer la difficulté qu’ont les femmes immigrantes à insérer le

marché du travail québécois pourrait être lié à la nature stéréotypée de leur qualification. En

effet, même si plusieurs d’entre elles sont formées dans des domaines scientifiques ou

techniques, où il y a des pénuries, il est possible que la nature traditionnellement masculine

de ces secteurs leur pose un défi spécifique. Iredale (2005) expose les biais potentiels

relatifs à l’étape de l’évaluation des acquis et des compétences, dans les domaines à

prédominance masculine liés aux rôles sociaux de sexe. Par exemple, si le nombre d’années

d’expérience de travail est un critère, les femmes peuvent être désavantagées si elles ont eu

des enfants ou ont pris soin d’un membre de leur famille, et qu’elles ont dû s’absenter du

marché du travail pour une période prolongée, causant ainsi des interruptions dans leur

parcours. Ceci est vrai de tous les domaines, mais est encore plus marqué dans les métiers

Page 30: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

20

et les professions traditionnellement masculines (Iredale, 2005). De plus, ces absences du

marché du travail peuvent avoir un effet négatif sur l’étendue de leurs réseaux sociaux

professionnels, et donc, les priver d’informations et d’opportunités ; de plus, ces

interruptions peuvent limiter les possibilités d’être considérées lors de recrutement via les

réseaux sociaux, ceux-ci suggérant davantage des personnes actives dans le réseau plutôt

que des personnes plus éloignées.

Ensuite, le coût des examens visant à valider les connaissances et les compétences et ceux

des cours compensatoires peuvent représenter un obstacle, non seulement parce qu’elles

peuvent avoir un revenu inférieur à leurs homologues masculins, mais aussi parce que

souvent, elles priorisent les intérêts de leur conjoint et de leurs enfants avant les leurs

(Action travail des femmes, 2009; Chicha 2009; Salaff et Greve, 2003) se conformant ainsi

à certaines normes sociales – véhiculées dans les réseaux notamment - relativement à

l’importance du travail salarié de l’homme par rapport à celui de sa conjointe – qui elle se

voit assignée la tâche de la garde des enfants - au sein du couple.

Les enjeux liés au processus de non-reconnaissance des acquis et des compétences sont

intimement liés à celui de la déqualification. Concernant le processus de déqualification qui

touche les femmes, Chicha (2009) démontre le lien étroit entre les stratégies familiales

d’insertion professionnelle et le résultat sur les niveaux de déqualification des femmes

immigrantes qualifiées à Montréal. En effet, si le couple accorde autant d’importance au

processus d’insertion professionnelle de chaque conjoint, l’auteure démontre que les

chances d’intégration pour les femmes immigrantes qualifiées augmentent. Si par contre la

carrière du mari est considérée comme prioritaire, la conjointe aura tendance à accepter un

emploi précaire, à temps plein ou sous-payé afin de subvenir aux besoins de sa famille en

attendant son tour, ce qui entraine une détérioration du capital humain, les expériences

professionnelles récentes étant moins qualifiées. Il s’agit d’une situation courante pouvant

découler de considérations pragmatiques à court terme et essentiellement économique, le

conjoint ayant souvent un capital humain plus élevé et donc sa réussite professionnelle est

estimée comme potentiellement plus « rentable » (Salaff et Greve, 2003). Dans un tel cas,

le risque de déqualification et donc de non-reconnaissance des diplômes augmente, ainsi

que le potentiel de maintien de la situation de vulnérabilité des femmes à long terme. En

Page 31: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

21

effet, plus elle passe de temps à l’extérieur de son domaine, plus ses compétences risquent

de devenir désuètes. De plus, nous pouvons faire l’hypothèse que le réseau social affecte le

parcours professionnel des femmes concernées. Ainsi, les possibilités qu’elle puisse se

tourner vers ses réseaux sociaux afin de trouver quelqu’un pour garder ses enfants, pour

l’aider à se familiariser avec le transport ou encore pour lui procurer un soutien moral ou

financier, sont toutes influencées par le type et l’étendue des réseaux personnels dont elle

dispose. En effet, il s’agit d’une situation où la présence de membres de la famille étendue

ou des amis établis dans le pays d’accueil peut être facilitante, car elle pourrait atténuer les

principaux obstacles auxquels sont confrontées les femmes immigrantes qualifiées dans

leur processus de reconnaissance des acquis et des compétences : manque de ressources

financières, manque de temps dû à l’iniquité dans la répartition des tâches ménagères,

manque de ressources pour le soin et la garde des enfants et l’assignation aux femmes de

cette responsabilité, etc. (Action travail des femmes, 2009; Chicha, 2009).

C’est ainsi que s’opère une dynamique entre les stratégies familiales d’insertion

professionnelle de chaque adulte et les ressources limitées de femmes en termes de temps,

d’argent et de réseaux sociaux, qui constitue un obstacle à leur intégration

socioprofessionnelle.

1.1.3 Portrait de la population immigrante d’origine maghrébine au

Québec et de leur intégration socioprofessionnelle

La dernière section de ce chapitre dresse le portrait de la population immigrante d’origine

maghrébine au Québec, puis à Québec, suivi d’un aperçu du sous-groupe des femmes

d’origine maghrébine à Québec. Dans un premier temps, précisons que, dans le cadre de

notre étude, nous nous intéressons aux personnes immigrantes issues de l’Algérie, du

Maroc et de la Tunisie, soit les pays francophones du Maghreb. Nous évitons ceux de la

Maurétanie et la Libye, car le nombre de personnes immigrantes provenant de ces pays au

Québec est faible, et ceux-ci ne sont généralement pas francophones (Arcand et coll.,

2009), ce qui représente un handicap important dans la région de Québec pour l’insertion

professionnelle et sociale.

Page 32: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

22

Les personnes immigrantes admises au Québec entre 2003 et 2012, encore présentes en

2014, et provenant de l’Algérie et du Maroc sont aux premier et deuxième rangs en termes

de pays de provenance. Plus spécifiquement, entre 2003 et 2012, il y a eu 38 484 personnes

venues de l’Algérie, dont 33 371 qui étaient encore présentes en 2014, et 37 473 du Maroc,

dont 30 654 qui sont restés. Il est à noter aussi que la Tunisie figure au 13e rang pour cette

même période, avec 9 197 venues et 7 555 restés. Il semble par ailleurs que ce sont les

immigrant-es économiques originaires de l’Afrique du Nord, avec les Antillais, qui restent

le plus au Québec, avec des taux de présence de 86,7 % pour les Algériens, 81,8 % pour les

Marocains et 82,1 % pour les Tunisiens. En guise de comparaison, pour les immigrant-es

économiques provenant de tous les pays confondus, 472 456 sont venus au cours de la

même période et 75,7 % sont restés (MIDI 2014b).

Le tableau 1.1 représente la population immigrée totale provenant du Maghreb selon la

période d’immigration au Québec. Nous constatons que, toutes provenances confondues,

44,2 % des personnes immigrantes sont arrivés depuis entre 2001 et 2013, alors que pour

les Maghrébins, 67,9 % des Marocains, 75,7 % des Algériens et 67,6 % des Tunisiens qui

ont immigré au Québec l’ont fait au cours des dix dernières années. Ainsi, la majorité des

Maghrébins au Québec sont issus de l’immigration récente. Afin de situer cette

immigration, le tableau 1.1 offre un aperçu de la proportion des personnes immigrantes

provenant du Maghreb entre 1976 et 2000. Ensuite, le tableau 1.2 offre un portrait de

l’immigration maghrébine féminine depuis 2001.

Tableau 1.1 : Population immigrée totale et d’origine maghrébine par période d’immigration, Province

de Québec, avant 1976 à 20133 Pays Avant 1976 1976-1990 1991-2000 2001-2011 2012-2013 Total

en 2013

n % n % n % n % n % n

Tous 239 650 24,1 199 285 20,0 218 715 22,1 439 506 37,3 81 239 6,9 1178 405

Maroc 5 550 12,2 5 715 12,5 8 420 18,5 35 485 57,5 6 418 10,4 61 633

Algérie 210 2,9 1 775 4,2 11 130 26,7 36 059 62,1 7 822 13,4 58 001

Tunisie 730 8,3 810 20,4 1 590 17,9 8 054 57,2 2 869 20,4 14 058

Sources : MICC 2009, MICC 2010, MIDI 2014

3 Les chiffres d’avant 1976 jusqu’à la période de 2001-2006 proviennent des données du recensement de 2006

(MICC 2009, tableau 18, p. 48). Cependant, les pourcentages ont été modifiés pour refléter la situation de

2009 selon les données de MICC, 2010.

Page 33: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

23

Le 1.2 représente le nombre et le pourcentage des femmes immigrantes d’origine

maghrébine admises au Québec entre 2001 et 2013, selon le pays d’origine. Au total, elles

sont plus de 49 000 à avoir été admises pendant cette période. Généralement, les femmes

représentent près de la moitié des personnes immigrantes au Québec. Cependant, elles ont

longtemps été minoritaires parmi les personnes immigrantes issues de la Tunisie. Depuis

quelques années cependant, les femmes immigrantes issues du Maghreb sont de plus en

plus nombreuses, avec 22 722 femmes admises entre 2009 et 2013.

Tableau 1.2 : Femmes immigrantes d’origine maghrébine admises au Québec selon le pays de

naissance, par année, 2001-2013 Pays de

naissance 2001

n

%

2002

n

%

2003

n

%

2004

n

%

2005

n

%

2006

n

%

2007

n

%

2008

n

%

2009

n

%

2010

n

%

2011

n

%

2012

n

%

2013

n

%

Maroc 1380

40,3

1474

40

1377

44

1592

46,1

1297

47,4

1512

50

1665

46,1

1661

46,4

2306

47,3

2612

46,2

1868

47,4

1652

47,6

1437

48,8

Algérie 1297

43,4

1282

41,4

1287

44,6

1505

45,5

1554

44,9

2208

48

1684

49,3

1801

49,1

2407

47,5

2122

47,8

1923

50,1

1791

50,1

2019

48,6

Tunisie 165

25

183

31,1

181

29,3

260

37,4

242

36,6

355

36,9

303

39,4

346

44,4

428

42,2

453

41,5

487

38,7

547

40,2

670

44,5

Total 2842 2939 2845 3357 3093 4075 3652 3808 5141 5187 4278 3990 4126

Sources : MICC, 2011; MICC, 2012; MICC, 2013; MIDI, 2014c).

Parmi les personnes immigrantes provenant du Maghreb, la quasi-totalité (98,5 %) connait4

le français. Cela explique, au moins en partie, pourquoi elles sont de plus en plus

nombreuses au Québec, compte tenu de l’importance accordée à la connaissance de la

langue française lors du processus de sélection. Cependant, il semble que cela puisse aussi

constituer un obstacle, car plusieurs ne connaissent pas l’anglais, autre langue d’usage

professionnel à Québec. À ce sujet, dans une étude menée à Sherbrooke et à Montréal

auprès des personnes immigrantes maghrébines, des participants ont cité l’exigence du

bilinguisme français et anglais comme étant un obstacle à l’obtention d’un emploi (Arcand

et coll., 2009). En effet, selon les données du recensement de 2006, environ la moitié

connaissent aussi l’anglais (MICC, 2010), ce qui porte à croire qu’il pourrait s’agir d’un

obstacle là où les employeurs pourraient demander le bilinguisme, que ce soit à cause de la

4 Dans les tableaux sur l’immigration sur lesquels nous basons ces informations, il n’est pas clair si connaitre

le français désigne comprendre ou parler le français, et à quel niveau.

Page 34: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

24

nature du travail ou de la clientèle (Chicha et Charest, 2008; Renaud et Martin, 2006)5. En

plus du lieu, la nature du travail peut aussi être une considération : par exemple, les

domaines où l’innovation technologique est importante – telle que le secteur des

technologies de l’information et des communications – la connaissance de l’anglais est

souvent un atout recherché chez les travailleurs qualifiés (Arcand et coll., 2009).

Par ailleurs, parmi les personnes immigrantes admises entre 2003 et 2012, en provenance

de l’Afrique du Nord, 78,7 % étaient dans la catégorie de l’immigration économique

(MIDI, 2014b). En 2012, les personnes immigrantes provenant de l’Afrique du Nord âgées

de 25 à 54 ans affichaient un taux d’activité de 69,1 %, un taux d’emploi de 59,3 % et un

taux de chômage de 14,3 % contre 64,1 %, 56,7 % et 11,5% pour l’ensemble des personnes

immigrantes et 66,3 %, 61,9 % et 6,6 % respectivement, pour la population native (MICC,

2013). Les personnes immigrantes originaires du Maghreb sont donc relativement plus

nombreuses à se retrouver dans la population active que l’ensemble des immigrants et les

personnes natives, mais ont un taux de chômage plus élevé que ces deux groupes.

Parmi les personnes immigrantes récentes d’origine maghrébine, environ 70 % des hommes

et environ 60 % des femmes ont 14 ans et plus de scolarité, soit un niveau universitaire, en

plus des 16,5 % des femmes et 13 % des hommes qui ont un niveau postsecondaire, pour

un total de 83 % et 76,5 % respectivement (Vatz-Laaroussi, 2008). Ils ont donc des niveaux

de scolarité plus élevés que ceux des personnes immigrantes de toutes provenances admises

entre 2009 et 2013, pour qui 59 % des hommes et 55 % des femmes ont fait des études au

niveau universitaire et 11 % et 11,7 %, des études postsecondaires pour un total de 70 % et

66,7% respectivement (MIDI, 2014d). Rappelons que par rapport à la population

québécoise, ils sont plus scolarisés : en 2011, 37,1 % de la population totale avait un

diplôme universitaire, et 64,7 %, un diplôme postsecondaire (ISQ, 2014b).

Tableau 1.3 : Niveaux de scolarité des immigrants maghrébins (2009-2013), des immigrants de toutes

origines (2009-2013) et des personnes nées au Québec (2011)

5 Il serait donc pertinent de se demander si le bilinguisme est aussi pertinent dans les régions telles que celle

de la Capitale nationale, comparativement à celle de Montréal.

Page 35: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

25

Immigrants maghrébins

(2009-2013)

Immigrants – toutes origines

(2009-2013)

Personnes nées au Québec

(2011)

Hommes Femmes Hommes Femmes Hommes Femmes

Diplôme

postsecondaire

13 % 16,5 % 11 % 11,7 % 37,3 % 36,7 %

Diplôme

universitaire

70 % 60 % 59 % 55 % 36,4 % 29,4 %

Total 83 % 76,5 % 70 % 66,7 % 73,7 % 66,1%

1.1.3.1. Les personnes immigrantes originaires du Maghreb établies à Québec

Lors du recensement de 2006, 25 165 personnes immigrantes vivaient dans la région de la

Capitale nationale. Si l’on se fie au nombre de personnes immigrantes admises selon la

région projetée de destination, de 2007 à 2013, plus de 15 500 personnes se seraient

ajoutées à ce nombre, totalisant plus de 31 500 personnes (MICC, 2010; MIDI, 2014c). En

2006, il y avait 12 570 femmes immigrantes à Québec. La région métropolitaine de la ville

de Québec est la deuxième plus importante destination des personnes immigrantes

d’origine maghrébine au Québec, après Montréal, et elle compte environ 4,4 % de

l’immigration totale au Québec (MICC, 2010). Lors du recensement de 2006, la ville de

Québec comptait un total de 2 260 personnes immigrantes d’origine maghrébine. Étant

donné qu’au Québec cette population s’est accrue d’environ 30 %, nous serions portés à

croire qu’en 2010, ils seraient près de 3 000. Ainsi, ils sont assez nombreux pour que l’on

puisse étudier le rôle des réseaux ethnoculturels dans l’insertion socioprofessionnelle, mais

aussi, le nombre étant plus restreint que dans les grandes villes où la question des réseaux a

été étudiée – telle que Montréal – il est possible que des dynamiques différentes soient

présentes, ce qui justifie en partie l’intérêt de choisir la ville de Québec comme terrain de

recherche. Malgré que seulement environ 3,5 % de la population immigrante provenant du

Maghreb s’installe à Québec, ce groupe représente 9 % de la population immigrée totale à

Québec en 2006 (MICC, 2009). Finalement, de 1998 à 2007, 6 587 personnes immigrantes

admises dans la catégorie d’immigration économique se sont établies dans la Région de la

Capitale nationale et y étaient encore présentes en 2009. Cela compte pour 3,9 % de la

population immigrante admise dans cette catégorie au Québec. Cela compte aussi pour

environ la moitié des 12 565 personnes immigrantes admises de 1998 à 2007.

Page 36: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

26

Tout comme les personnes natives du Québec âgées de 24 à 64 ans, les personnes

immigrantes installées à Québec sont plus nombreuses à avoir un diplôme que celles de

Montréal, Sherbrooke ou Gatineau. Lors du recensement de 2006, 65,3 % des personnes

immigrantes âgées de 25 à 64 ans possédaient un diplôme postsecondaire, contre 51,9 %

pour l’ensemble de la ville de Québec (ville de Québec, 2009). En guise de comparaison,

ces chiffres pour les populations immigrantes de Montréal, Sherbrooke et Gatineau sont de

54,4 %, de 61,5 % et de 62,2 % respectivement. Plus précisément, à Québec, 51,3 % des

personnes immigrantes âgées de 25 à 64 ans détiennent un diplôme universitaire, dont

43,3 % des baccalauréats, contre 40,6 % et 32,8 % pour Montréal, 45,3 et 38,8 % pour

Sherbrooke et 46,6 % et 40,2 % pour Gatineau (ville de Québec, 2009 : 27).

En 2006, 12 745 personnes immigrantes faisaient partie de la population active, pour un

taux d’activité de 67 % (ville de Québec, 2009 : 27). La même année, le taux de chômage

pour la population immigrante à Québec était de 9,7 % contre 5 % pour le reste de la

population de la Ville. En guise de comparaison, les taux de chômage pour les populations

immigrantes de la région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal étaient de

11,1 %, et Sherbrooke, 14,4 %.

Tableau 1.4 : Pourcentage des personnes immigrantes dans les six secteurs où elles sont le plus

représentées (selon le Système de classification des industries de l’Amérique du Nord de 2002).

Secteurs d’activité % des

immigrant-es

% pour l’ensemble de la population de la Ville

% des travailleurs qui

sont des immigrant-es

Hébergement et services de restauration 14,1 % 7,5 % 8,2 %

Services d’enseignement 11,1 % 7,5 % 5,5 %

Administration publique 10,2 % 13,4 % 3,3 %

Commerce de détail 10,1 % 12,5 % 3,5 %

Fabrication 9,7 % 7,4 % 5,7 %

Soins de santé et assistance sociale 9,3 % 12,8 % 3,2 %

Sources : Statistique Canada, Recensement 2006, dans Ville de Québec, 2009 : 27 et Statistique Canada,

Recensement 2006. Traitement : Service de développement économique, Ville de Québec

Dans le tableau 1.4, nous avons inclus non seulement le pourcentage des personnes

immigrantes dans les six secteurs où elles sont le plus représentées, mais aussi le

pourcentage de l’ensemble de la population de la Ville dans ces secteurs ainsi que le

pourcentage des travailleuses et des travailleurs dans chacun des secteurs d’activité qui sont

des personnes immigrantes. En guise de comparaison, notons que la population active

immigrante compte pour 4,4 % de la population active de la Ville. Ainsi, les personnes

immigrantes sont surreprésentées dans le secteur de l’hébergement et des services de

Page 37: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

27

restauration où elles forment 8,2 % de la population active totale œuvrant dans ce domaine.

Cependant, elles sont sous-représentées dans les domaines de l’administration publique, du

commerce au détail et des soins de santé, puisque la proportion de personnes immigrantes

actives dans ces domaines est moins que la proportion de personnes immigrantes actives

dans l’ensemble de la population active de la ville de Québec.

Selon la Ville de Québec (2009), lors du recensement de 2006, près de 80 % des personnes

immigrantes de cette ville avaient un revenu personnel. Si l’on compare les données

publiées par la Ville à celles de l’Institut de la Statistique du Québec (ISQ, 2010), ces

revenus ne semblent pas se limiter aux revenus d’emploi6. On peut supposer que cela

indique que les personnes disposent d’épargnes ou d’une aide financière provenant de son

réseau dans la communauté ou familial. Cependant, le revenu médian des personnes

immigrantes établies à Québec était de 20 494 $, contre 26 178 $ pour la population totale.

Il s’agit d’un écart de plus de 20 %. De plus, en le comparant aux revenus de ces deux

groupes en 2001, on constate que cet écart s’est creusé en termes réels (Ville de Québec,

2009). Cependant, le revenu médian des personnes immigrantes à Québec est supérieur que

celui de celles établies à Montréal et Sherbrooke : 19 414 $ et 18 993 $ respectivement

(Ville de Québec, 2009). En revanche, tel que présenté dans le tableau 1.5, le revenu moyen

des personnes immigrantes de la ville de Québec était de 28 541 $ en 2006, contre 32 952 $

pour la population totale, un écart de 13,4 %. Les revenus moyens des personnes

immigrantes à Montréal et Sherbrooke n’étaient que légèrement moindres : 28 269 $ et

27 654 $ respectivement (Ville de Québec, 2009 : 30). Pour la population totale de la ville

de Montréal et de Sherbrooke, selon l’Institut de la Statistique du Québec (ISQ, 2010), le

revenu d’emploi moyen est de 23 240 et 20 189 respectivement et le revenu personnel total

moyen est de 31 781 et 27 959, respectivement. Ainsi, les écarts entre les personnes

immigrantes et la population en ce qui a trait aux revenus personnels seraient de 11 % à

Montréal et environ 1 % à Sherbrooke.

6 Les données concernant les revenus d’emploi des personnes immigrantes ayant travaillé à temps plein toute

l’année dans les villes du Québec, si elles existent, ne semblent pas être accessibles.

Page 38: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

28

Tableau 1.5 Revenu moyen en 2006, Personnes immigrantes et population totale, Québec, Montréal et

Sherbrooke

Québec Montréal Sherbrooke

Personnes immigrantes 28 541 $ 28 269 $ 27 654 $

Population totale 32 952 $ 31 781 $ 27 959 $

Écart 13,4 % 11 % 1 %

Source : Ville de Québec, 2009; ISQ, 2010.

1.1.3.2. Les femmes immigrantes qualifiées originaires du Maghreb établies à Québec

En 2006, la région de la Capitale nationale comptait 2 260 personnes immigrantes d’origine

maghrébine, dont 925 du Maroc, 920 de l’Algérie et 415 de la Tunisie. Ces personnes

comptent donc pour 3,9 % de la population totale de la région (MICC, 2009a). En 2006

également, on estime qu’il y avait 1000 femmes immigrantes d’origine maghrébine dans

cette région. Depuis 2006, il est probable que ce nombre ait augmenté, si on se fie entre

autres au fait que depuis quelques années, les femmes forment environ la moitié de la

population immigrante d’origine maghrébine au Québec. La majorité d’entre elles parlent

français; et elles sont admises dans les catégories de l’immigration économique (soit en tant

que requérante principale ou en tant que conjointe); plusieurs autres sont admises dans la

catégorie de regroupement familial; leur niveau de scolarité est plus élevé que celui des

femmes qui s’établissent à Montréal, Sherbrooke et Gatineau, mais moins élevé que les

hommes originaires du Maghreb établis à Québec. Par ailleurs, leur taux de chômage est

élevé : malgré un taux de chômage moins élevé pour les personnes immigrantes à Québec

par rapport à d’autres villes du Québec, il demeure que les taux de chômage sont

particulièrement élevés pour les personnes originaires du Maghreb, ainsi que pour les

femmes immigrantes de la majorité des autres pays de provenance des personnes

immigrantes.

Ce portrait démontre qu’au Québec, les personnes immigrantes originaires du Maghreb sont

parmi les groupes les plus importants en termes de pays de provenance pendant les années

2000. Elles sont également parmi les plus nombreuses à demeurer au Québec,

comparativement à d’autres groupes plus susceptibles de quitter la province, notamment

pour s’établir dans d’autres provinces canadiennes. Ce groupe est également

majoritairement issu de l’immigration récente (entre 2001 et 2013). Ceci est

Page 39: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

29

particulièrement vrai pour les femmes, qui constituent depuis quelques années seulement

près de la moitié des personnes immigrantes originaires du Maghreb.

La majorité des personnes immigrantes originaires du Maghreb admises au Québec le sont

dans la catégorie d’immigrant économique. De plus, elles ont des niveaux de scolarité plus

élevés que la population immigrante totale ainsi que la population québécoise dans son

ensemble. Cependant, elles affichent des taux d’activité et d’emploi inférieurs aux

personnes natives, et un taux de chômage plus élevé. La quasi-totalité des personnes

immigrantes connait le français, mais elles sont plus rares à maitriser l’anglais, ce qui peut

poser un obstacle à leur intégration socioprofessionnelle, et ce, surtout dans la ville de

Montréal ou dans certains secteurs économiques, notamment ceux liés à l’innovation, où la

connaissance de l’anglais est souvent un atout ou un critère de sélection pour les

travailleurs qualifiés.

En ce qui concerne plus particulièrement la ville de Québec, environ 3,5% de la population

immigrante provenant du Maghreb s’y installe, ce groupe représente 9% de la population

immigrée totale à Québec. Comme pour l’ensemble de la province, les personnes

immigrantes maghrébines installées à Québec sont plus nombreuses à détenir un diplôme

postsecondaire que les personnes natives. Elles sont aussi plus nombreuses à détenir un

diplôme universitaire que les personnes immigrantes établies dans d’autres villes

québécoises – Montréal, Sherbrooke et Gatineau. De plus, le taux de chômage des

personnes immigrantes est plus élevé à Québec que dans ces villes, tout comme le taux de

chômage pour l’ensemble de la population dans ces villes. Cependant, l’écart de revenus

entre les personnes immigrantes et la population totale est plus grand à Québec qu’à

Montréal et à Sherbrooke. Ainsi, il est possible que le taux de chômage plus faible à

Québec soit un signal d’un plus haut taux de découragement ou de déqualification.

Finalement, les femmes immigrantes originaires du Maghreb établies à Québec parlent

majoritairement le français, sont surtout admises comme immigrante économique, sont plus

scolarisées que les femmes québécoises en général et que les femmes immigrantes établies

dans d’autres villes québécoises, mais moins scolarisées que les hommes maghrébins

établis au Québec. Finalement, le taux de chômage de ces femmes est plus élevé que pour

les femmes immigrantes issues d’autres origines et que les femmes nées au Québec.

Page 40: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

30

L’objectif de la thèse, rappelons-le, est de comprendre le processus d’intégration

socioprofessionnelle de ces femmes en portant une attention particulière au rôle des réseaux

sociaux dans chacune des étapes de ce processus. Ainsi, il sera possible de relever comment

les dynamiques relationnelles peuvent influencer les choix, les opportunités et les stratégies

de ces femmes au cours de leurs trajectoires pré- et post-migratoires. Le prochain chapitre

présente le cadre conceptuel développé pour comprendre le rôle des réseaux sociaux et de

la discrimination dans le processus d’intégration socioprofessionnelle des immigrantes

maghrébines établies à Québec. Ensuite, le chapitre III exposera la méthodologie de la

recherche et présentera le portrait des participantes. Le chapitre IV détaille l’analyse et

l’interprétation des résultats et le chapitre V conclura la thèse en rappelant les principaux

apports de la recherche, ses implications empiriques, ses limites et les pistes de recherche

future.

Page 41: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

31

Chapitre II : Cadre conceptuel

Deux éléments-clés de l’intégration socioprofessionnelle des immigrantes hautement

scolarisées originaires du Maghreb font l’objet de cette thèse : les réseaux sociaux et la

discrimination. Ainsi, deux cadres conceptuels ont été mobilisés : la sociologie économique

américaine et la discrimination. Le premier cadre conceptuel, la sociologie économique,

permet de comprendre le contexte et est de niveau macro et méso. Le second cadre

s’articule aux niveaux macro, méso et micro selon l’approche retenue. Ensemble, ils

permettent une compréhension plus complète de la problématique à l’étude. Cette section

présente ces deux cadres conceptuels et les concepts-clés mobilisés dans le cadre de cette

recherche, ainsi que les études jugées pertinentes pour démontrer l’application de ces

concepts à la problématique à l’étude.

La section 2.1 présente la sociologie économique, les réseaux sociaux et le capital social en

focalisant sur la manière que ces concepts ont été appliqués aux populations immigrantes

dans les pays occidentaux. La section 2.2 présente les concepts-clés de la discrimination en

mobilisant notamment les concepts de la discrimination systémique et à l’intersectionnalité.

L’approche intersectionnelle a d’ailleurs nourri l’analyse des résultats. Celle-ci porte une

attention particulière au genre et à l’appartenance ethnoculturelle (réelle ou assignée). La

section 2.3 intègre les cadres conceptuels de la nouvelle sociologie économique et de la

discrimination de manière à allier structuralisme et interactionnisme afin d’élaborer un

modèle d’analyse à trois niveaux.

2.1. La sociologie économique, les réseaux sociaux et le capital

social

L’étude des réseaux sociaux est entreprise au sein de la « nouvelle » sociologie économique

telle qu’élaborée par les chercheurs américains dans les années 1980 (Dobbin, 2004,

Granovetter, 1985). La nouvelle sociologie économique trouve ses racines dans la

sociologie économique telle que développée par Weber et Durkheim au début du XXe

siècle qui s’intéresse au comportement économique comme étant un fait social. Cette

Page 42: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

32

section aura donc comme objectif d’introduire la sociologie économique en général, puis la

nouvelle sociologie économique, afin de pouvoir ensuite y situer la théorie du capital social

et des réseaux sociaux.

2.1.1. La sociologie économique

À l’origine, la sociologie économique désignait simplement l’intersection entre les

disciplines de la sociologie et de l’économie et abordait notamment des questions reliées au

travail et à l’emploi. Parmi les auteurs s’intéressant à ce domaine, Weber et Durkheim, par

exemple, proposaient d’étudier le comportement économique des agents en se référant à

des conceptions plus élargies qui incluaient des idées sociologiques. Ce n’est qu’à la fin du

XIXe siècle qu’il y a eu une division plus ferme entre l’économie et la sociologie :

l’économie, et notamment le courant néoclassique (Marshall, 1890), concernait alors

davantage la théorisation abstraite du comportement économique basée sur l’axiome de

l’intérêt des individus alors que la sociologie s’est intéressée à l’observation du

comportement social (Dobbin, 2004; Granovetter, 1985). Malgré le fait que plusieurs

sociologues reconnaissaient que l’économique et le social sont inséparables, les sociologues

ont longtemps laissé aux économistes la tâche de théoriser le comportement économique,

c’est-à-dire, les choix « rationnels » que font les individus relatifs aux achats, aux échanges

et à la concurrence. Pourtant, Weber rêvait déjà de voir les sociologues et les économistes

bâtir une théorie unifiée, fondée sur les réalisations de chacun (Richter, 2001) pour

expliquer le développement et le fonctionnement des institutions économiques. Cependant,

à la fin du 19e siècle, l’économie néoclassique a étendu sa domination, notamment

méthodologique (Richter, 2001). Certaines idées provenant de ces anciens sociologues

économiques servent de fondation pour la nouvelle sociologie économique, la théorie des

réseaux sociaux et le concept de capital social. Nous allons donc maintenant nous tourner

vers certaines d’entre elles, notamment les conventions économiques de Weber, la division

du travail de Durkheim, et l’encastrement (« embeddedness ») chez Polanyi. Puis, nous

montrerons comment elles ont contribué à l’élaboration des concepts mobilisés pour cette

recherche, soit le capital social et des réseaux sociaux. En effet, nous verrons que les idées

de Weber concernant les motifs qui influencent l’action économique individuelle

demeurent présentes dans la nouvelle sociologie économique en général. De plus, la vision

Page 43: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

33

de Durkheim concernant la division du travail et les formes de solidarité qui en découlent

alimentent le concept de « bounded solidarity » de Portes et Sensenbrenner (1993).

Finalement, l’encastrement du comportement économique dans des systèmes de relations

sociales tel qu’invoqué par Granovetter (1985) est un postulat fondamental guidant la

recherche concernant les réseaux sociaux, et provient des écrits de Polanyi.

En premier lieu, Max Weber (1864-1920) cherche à comprendre pourquoi les conventions

économiques diffèrent d’une société à l’autre. Il propose l’idée que les institutions

persistent parce qu’elles ont un sens pour l’individu. De plus, les institutions seraient basées

sur des coutumes, qui peuvent avoir des fonctions autres que celles connues par ceux qui

les mettent en pratique. L’individu est conscient de lui-même et de ses actions, car il a la

capacité et la volonté de prendre une attitude délibérée envers le monde et de lui attribuer

un sens (Weber, 1949), sens qui peut être aligné sur celui d’autres personnes de son milieu

ou non. L’action sociale, concept sociologique de base, désigne l’action posée par un

individu en tenant compte du, – et donc orientée par - le comportement des autres (Secher,

1962). Ce comportement peut être orienté vers le comportement passé, présent ou futur des

autres (Richter, 2001). Ceci serait une des façons d’expliquer les facteurs autres que la

rationalité qui influencent l’action économique individuelle (Richter, 2001). Au plan

méthodologique, Weber s’oppose à l’approche des économistes marginalistes autrichiens

qui formaient l’orthodoxie à l’époque, en rejetant la notion que la recherche sociale devait

emprunter une méthodologie hypothético-déductive reposant sur le concept de l’homo-

economicus et centrée sur la découverte de lois. En effet, il critiquait l’importance accordée

à une méthode de recherche axée sur les concepts au détriment de l’intégrité ontologique.

Weber prônait plutôt une approche subjectiviste et individualiste dans le sens où il

s’intéressait à l’action comme étant l’orientation du comportement, compréhensible par le

sens qui en est donné par des agents (Oakley, 1997).

En second lieu, Émile Durkheim (1858-1917) explique, dans son ouvrage de la division

sociale du travail, que plus une société se modernise, plus les fonctions sociales deviennent

séparées et spécialisées, individualisées et autonomes. Cependant, une solidarité et une

cohésion sociale sont possibles, car les individus deviennent complémentaires et

interdépendants. Cette division s’étend au-delà de l’économie : l’activité scientifique aussi

Page 44: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

34

se divise en différentes disciplines. Durkheim compare ce phénomène à un organisme

biologique : plus un organisme est évolué, plus ses organes sont individuels et spécialisés,

et l’unité de l’organisme provient de l’individualisation de ses parties. La division du travail

crée une sorte de solidarité, car même si les individus sont séparés et poursuivent leurs

propres actions, leurs activités ne sont jamais complètement originales, car ils appartiennent

à un tout, ou un groupe ayant une fonction ou une finalité. Par exemple, lorsque les gens

exercent une profession, ils doivent se conformer aux pratiques et aux obligations propres à

leur profession. Les individus sont considérés par Durkheim comme des molécules

individuelles et donc on parle d’une solidarité mécanique : les gens partageant plusieurs

attributs, référents et attentes, ce qui peut les rapprocher. Bien que cette approche

organiciste ait été abandonnée par Durkheim, elle est fondamentale dans la théorie du

capital social et pourrait offrir des pistes de compréhension pour la problématique qui nous

concerne. À cet égard et à titre d’exemple, provenir du même corps d’emploi, du même

groupe culturel, ou vivre une expérience migratoire semblable pourrait être une source de

solidarité. C’est à partir de ces idées qu’émerge l’idée d’un système d’obligations mutuelles

dont il sera question lors de notre discussion sur le capital social et les réseaux sociaux,

dans lesquels sont imbriquées les actions des individus.

Finalement, Karl Polanyi (1886-1964) développe l’idée d’encastrement en postulant que

l’économie est un processus institué et elle est imbriquée dans des institutions économiques

et non économiques qui réagissent à certaines formes de production et de circulation de

biens et services (Polanyi, 1944). Selon lui, les institutions sont concrètes et historiques, et

peuvent contenir plusieurs processus sociaux. Les facteurs sociaux et économiques se

mélangent et forment trois modèles institutionnels : la réciprocité, la distribution et

l’échange. Ainsi, l’économie ne peut pas être comprise comme le fruit d’un seul motif

fondamental. La vie économique est co-déterminée avec la production, et celle-ci est

directement liée aux arrangements institutionnels à travers lesquels l’humanité se procure

ses moyens de subsistance. En guise d’exemple, Polanyi critiquait la façon dont les

économistes tendent à projeter des catégories et des concepts de l’économie moderne

occidentale à travers l’histoire et les cultures. Il reconnaissait plutôt que les économies

industrielles étaient uniques, qu’elles résultent d’arrangements particuliers et historiques de

relations sociales, culturelles et politiques, car les marchés se sont mis à dominer comme

Page 45: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

35

principe d’organisation sociale. L’idée du marché autorégulateur serait un projet utopique

qui réside dans le contexte de l’industrialisation britannique et d’autres projets utopiques

ont prévalu dans d’autres sociétés à d’autres époques.

2.1.2. La « nouvelle » sociologie économique

La sociologie économique s’est en quelque sorte définie en réaction aux économistes

orthodoxes, critiquant l’étude de l’activité économique comme étant une sphère autonome

déconnectée des autres institutions et relations sociales (Swedberg, 2004). Dans les années

1980, les sociologues commencent à remettre en question l’utilisation de modèles purement

déductifs pour expliquer le comportement économique, et tentent d’expliquer comment les

processus sociaux façonnent le comportement économique non à la périphérie, mais bien au

cœur de celui-ci. De plus, on reproche à la discipline de l’économie de sous-socialiser

l’acteur, et à la sociologie, de le sur-socialiser. La sociologie économique cherche donc à

trouver un « juste milieu » pour comprendre comment les relations sociales influencent le

comportement économique des acteurs et vice versa. Pour ce faire, trois postulats

sociologiques fondamentaux alimentent la nouvelle sociologie économique. Premièrement,

l’action économique est vue comme étant une catégorie de l’action sociale; elle est un

comportement individuel influencé par celui des autres individus et des institutions. Tout

comme les relations sociales, les relations économiques peuvent être implicites ou

explicites, entre individus égaux ou hiérarchisés, avec ou sans contrat, dans des relations de

pouvoir réciproques ou unilatérales basées sur la confiance ou la contrainte, et ainsi de

suite. Deuxièmement, l’action sociale est contrainte par les relations sociales, imbriquées

dans des réseaux de relations interpersonnelles. Finalement, les institutions économiques ou

les structures et les arrangements sociaux concernant l’économie (ex. le marché, le système

bancaire) sont construits socialement; c'est-à-dire, elles sont le produit de conflits et de

coopération, de coordination, d’intérêts qui s’opposent et coïncident, etc. Ainsi, elles ne

sont pas le résultat de choix rationnels, mais plutôt, peuvent être produites, entre autres,

d’essai/erreur ou d’actions habituelles ainsi que des circonstances ou des opportunités

présentes, ou même le résultat de l’influence de certains acteurs ou groupes.

Page 46: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

36

Dans un article paru en 1985, « Economic Action and Social Structure : The Problem of

Embeddedness », Granovetter défend l’hypothèse que l’activité économique est imbriquée

dans les structures de relations sociales. Il cherche à expliquer comment les réseaux

peuvent contraindre ou favoriser le comportement économique des individus (Dobbin,

2004 : 20). Dans cet article, Granovetter soutient que les acteurs ne sont ni des atomes

individuels ni des esclaves de leurs rôles sociaux, mais plutôt, que leurs tentatives d’action

vers un but sont imbriquées dans un système concret et continu de relations sociales (1985).

Ainsi, il tente d’expliquer une part du comportement économique des agents sans les sous-

socialiser en les atomisant, et sans les sur-socialiser en invoquant une structure sociale

déterminante. Les individus peuvent poursuivre leurs actions, mais celles-ci sont

imbriquées dans un système de relations sociales concrètes et continues qui génèrent la

confiance et découragent la malfaisance. Granovetter explique ensuite qu’en tenant compte

des réseaux sociaux, on peut comprendre des phénomènes qui semblent contraires à ce à

quoi l’on s’attend sur la base de la seule rationalité économique des acteurs. Par exemple,

un acheteur pouvant trouver un produit à meilleur prix sur le marché pourrait néanmoins

acheter plus cher ce produit d’un vendeur avec qui il bâtit des relations, en partie parce

qu’il y a de la confiance, mais aussi potentiellement pour en tirer des bénéfices à long terme

(l’information privilégiée, la réciprocité, etc.).

Ainsi, le réseau constitue un des mécanismes étudiés par les sociologues s’intéressant au

comportement économique, les autres mécanismes étant l’institution, le pouvoir et la

cognition.

Selon Dobbin (2004), les institutions se réfèrent aux règles ou aux conventions, aux

coutumes et aux traditions, formelles et informelles, qui façonnent en quelque sorte les

rôles des individus ainsi que leurs comportements. Elles sont généralement liées à quelque

chose de plus large que la société elle-même, telles que « la volonté de Dieu » ou des lois

de la nature. À l’instar de Weber (1978), Dobbin (2007) explique que les institutions

doivent être comprises à travers le sens qui leur est donné par les individus, car ces derniers

agissent de manière qui leur fait sens, qu’ils comprennent. Un exemple d’institution serait

le cadre légal d’un pays ou un système économique tel que le capitalisme. La sociologie

économique s’intéresse donc à des questions telles que : d’où viennent les institutions?

Page 47: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

37

Comment les nouvelles idées se répandent-elles? Quels sont les liens entre les institutions

nationales et le modèle économique en place?

Ensuite, les réseaux (professionnels, industriels, communautaires, etc.) définissent les rôles

des individus et des groupes en maintenant les institutions. Cette idée reprend celle de

Durkheim, selon laquelle la position sociale façonne l’identité et le comportement, et que le

réseau influence le comportement et les rôles sociaux des individus, ainsi que les

comportements et les rôles que les individus attribuent aux autres. Les membres du réseau

récompensent les individus qui se conforment aux attentes et qui agissent selon leurs rôles.

Inversement, ils sanctionnent ceux qui adoptent un comportement jugé non conforme à leur

rôle. Nous pouvons penser, par exemple, aux critiques formulées à l’égard de femmes qui

ne s’investissent pas « assez » dans la sphère familiale, ou encore, le ridicule que peuvent

subir certains hommes qui choisissent de rester au foyer et d’assumer les tâches

domestiques; les uns comme les autres transgressent des normes de sexe. C’est ainsi que les

réseaux perpétuent les cadres de référence ou les schèmes associés aux rôles appropriés

pour les individus dans la société, selon diverses caractéristiques (âge, sexe, statut, position

sociale, etc.) par exemple, les normes de sexe concernant le soin des enfants. La sociologie

économique s’intéresse donc à la manière par laquelle le milieu social et les réseaux

influencent le comportement économique, soit en l’encourageant ou en le limitant, et

comment les réseaux sociaux et la position dans ceux-ci produisent ou confèrent le capital

social. Nous discuterons de l’étude des réseaux de manière plus développée afin de situer

notre problématique dans une section ultérieure.

Toujours selon Dobbin (2004), dans le courant de la sociologie économique, le pouvoir

permet d’influencer la manière dont les individus perçoivent le monde et leurs intérêts, et

permet donc de modeler l’évolution de nouvelles coutumes ou même des institutions

économiques et juridiques (North, 1990). Le pouvoir opère à travers les réseaux, qui

servent de conduits pour influencer les institutions et les structures d’opportunités des uns

et des autres, et éventuellement, les modifier. Selon Marx, par exemple, les groupes ayant

plus de pouvoir réussissent à promouvoir des pratiques organisationnelles et des politiques

publiques qui servent leurs propres intérêts, tout en indiquant qu’il le faut au nom de

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l’intérêt commun (Dobbin, 2007). Leurs justifications peuvent être trompeuses,

intentionnellement ou non.

Finalement, la cognition est le vaisseau des processus psychologiques par lesquels les

individus développent des schémas et interprètent les schémas préexistants offerts par les

institutions pour comprendre et contester les conventions sociales. Selon cette perspective,

l’esprit humain serait disposé à former des catégories cognitives qui varient selon les

contextes sociaux. La création et le maintien de stéréotypes à l’égard des membres de

certains groupes découleraient de ce type de catégories. Nous explorerons plus loin dans

cette thèse cette idée, dans le cadre spécifique de notre problématique. Ainsi, bien que les

individus aient une certaine « conscience », celle-ci serait en partie le reflet des institutions

sociales du milieu où ils évoluent, et donc partagée par ceux ayant été exposés aux mêmes

conventions sociales. Ces conventions incluent par exemple, les schémas concernant

comment atteindre des objectifs, ainsi que les relations entre les choses ou les processus

causaux. Ces conventions étant socialement construites, elles ne peuvent pas être comprises

sans saisir le sens qui leur est attribué par les acteurs (Weber, 1978; Schutz, 1970). Ainsi,

les questions posées par la sociologie économique à l’égard de la cognition incluent :

quelles sont les origines du sens donné à l’action économique et comment la cognition

façonne-t-elle les choix économiques?

La sociologie économique est plus vaste que la présentation que nous en avons faite ;

cependant, cette dernière nous permet de situer notre recherche dans un courant spécifique

de la nouvelle sociologie économique américaine. C’est à l’intérieur de ce courant que s’est

développée la théorie des réseaux sociaux que nous empruntons dans le cadre de cette thèse

et qui constitue l’une des pierres angulaires du cadre conceptuel développé. Nous abordons

maintenant ce concept plus en profondeur.

2.1.2.1. La théorie des réseaux sociaux

La nouvelle sociologie économique comprend le comportement économique comme étant

façonnée par les institutions sociales. L’activité économique est donc imbriquée dans un

système de relations sociales, et ces relations s’opèrent entre les individus au niveau de

leurs réseaux sociaux. Un réseau social peut être défini comme la structure sociale des

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39

acteurs et des liens entre eux. Le réseau social d’un individu est constitué, par exemple, des

membres de sa famille, de ses amis, de ses collègues de travail, de ses anciens camarades

de classe, etc. La théorie des réseaux sociaux part de l’hypothèse de Durkheim selon

laquelle la position sociale influence l’identité et le comportement de l’acteur (Dobbin,

2004; Lin, 2001). La position sociale de l’acteur va dépendre de son réseau social, qui est

constitué des autres personnes présentes dans son entourage, soit des membres de sa

famille, des amis ou des connaissances. Ces personnes disposent de ressources,

d’informations, etc. qu’elles peuvent échanger avec les autres membres de leurs réseaux.

Ces autres personnes ont elles aussi des réseaux, auxquels la personne pourrait avoir accès

si ces personnes lui permettent, ce qui permet d’étendre l’accès aux ressources au-delà de

son propre réseau. La recherche de Granovetter (1995), effectuée dans les années 1970

constitue le début du développement de la théorie des réseaux sociaux dans le domaine de

la sociologie économique. Son étude explore comment l’information qui facilite la mobilité

professionnelle est acquise, ensuite transmise lors du processus de recherche d’emploi. Il

fait l’hypothèse que le comportement économique, dans notre cas, les stratégies de

recherche d’emploi et les stratégies de reconnaissance des acquis et des compétences, est

imbriqué dans des systèmes de relations sociales concrets et continus (Granovetter, 1985).

Plus spécifiquement, les réseaux sociaux, ou les relations personnelles des individus jouent

un rôle primordial dans l’accès aux ressources et la création de la confiance : les individus

auront tendance à s’impliquer dans des transactions avec des personnes qu’ils connaissent,

soit directement ou par réputation (lorsqu’une personne a été recommandée pour un poste,

par exemple) (Smelsner et Swedberg, 2005; Borgatti et Cross, 2003; Granovetter, 1985).

La recherche de Granovetter est centrée sur les professionnels, les gestionnaires et les

techniciens, ce qui l’a amené à étudier comment les individus de différents groupes

occupationnels pourraient avoir accès à différents réseaux sociaux et pourraient les utiliser

différemment, dans la recherche d’emploi. Il a montré que les professionnels, les jeunes et

les personnes immigrantes en particulier pourraient devoir se fier davantage aux moyens

formels tels que de postuler en réponse à une annonce publique de poste tandis que les cols

bleus auraient une meilleure chance d’être recommandés à l’employeur par un membre de

la famille ou un ami, surtout dans des contextes de mobilité géographique réduits

(Granovetter, 1985). Il explique que pour les emplois professionnels, techniques ou de

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40

gestion, qui demandent une spécialisation, une autonomie et une capacité de prise de

décisions accrue, les employeurs exercent une plus grande précaution - ce qui implique

dans notre cas qu’ils seraient plus réticents à embaucher des personnes « différentes »

comme des immigrants - dans leurs processus de sélection que dans le cas des cols bleus,

qui sont en entreprise, directement supervisés et ayant des tâches bien définies. Finalement,

les professionnels pourraient avoir des procédures de recherche d’emploi plus sophistiquées

que les cols bleus, car ils ont plus de temps ou des horaires plus flexibles (Granovetter,

1985). Donc, ils ont accès à d’autres ressources, indépendamment des réseaux.

Empiriquement, il est reconnu que des employeurs recrutent par l’entremise de leurs

réseaux sociaux ainsi que ceux de leurs employés sachant que non seulement ils vont

sauver des coûts de dotation (Smelsner et Swedberg, 2005; Granovetter, 2005), mais aussi,

que cela entrainera une certaine homogénéité de la main-d’œuvre et permettra de recréer

des liens d’ordre et de hiérarchie déjà présents dans les réseaux sociaux et familiaux

desquels ils proviennent (Doeringer et Piore, 1971). De plus, cette démarche permet aux

employeurs d’en apprendre davantage sur le candidat potentiel, tout comme ce dernier peut

le faire sur l’employeur potentiel au-delà des informations officielles auxquelles il peut

avoir accès. Les deux acteurs préfèrent généralement accéder à de l’information par une

source en qui ils ont confiance (Smelsner et Swedberg, 2005; Granovetter, 2005).

Dans le cadre de la théorie des réseaux sociaux, deux propositions majeures ressortent de la

littérature : la force des liens et la force des positions. La première s’intéresse à la

dimension relationnelle des réseaux : les liens faibles et les liens forts (Granovetter, 1985).

La seconde porte plutôt attention à la dimension structurelle des réseaux, et a été

développée par Burt avec le concept de trous structurels, puis par Lin et ses collègues, qui

se référaient d’abord au concept de « ressources sociales », puis celui de capital social.

Dans cette proposition, les ressources sociales sont disponibles aux personnes en fonction

de leur position dans la structure sociale. Une meilleure position implique donc d’avoir un

meilleur capital social en raison des ressources disponibles.

En ce qui concerne la dimension relationnelle, au sein d’un réseau social, Granovetter

distingue les liens faibles des liens forts (Granovetter, 1995). Il décrit la nature du lien en

fonction de l’intensité émotionnelle des relations entre les personnes concernées, de la

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41

fréquence de leurs rencontres ou la durée de leur relation, la possibilité de services

réciproques et de leur ressemblance. Ces critères font appel au concept d’homophilie selon

lequel les personnes ayant des caractéristiques semblables entrent en contact les uns avec

les autres plus souvent que les personnes différentes (McPherson et coll., 2001). Ainsi, les

liens faibles sont composés de connaissances ou de collègues alors que les liens forts

décrivent les relations avec les amis de longue date ou des membres de la famille. Les liens

forts auraient l’avantage d’offrir un soutien moral et des ressources financières, alors qu’un

lien faible permettrait l’accès à de nouvelles informations et de nouvelles opportunités,

pouvant mener à des gains tels un emploi qualifié.

En ce qui concerne la conception structurelle des réseaux, pour Burt (1998), une personne

se trouve dans une position avantageuse si elle peut faire le pont entre deux groupes, par

exemple une communauté immigrante et la société d’accueil, en se positionnant dans le

« trou structurel » qui existe lorsqu’il n’y a pas de lien entre ces groupes. Ainsi, elle peut

accéder à de l’information privilégiée et des opportunités qu’elle peut contrôler ou faire

circuler entre les deux groupes. De plus, pour Lin (2001), les réseaux sociaux sont un

élément de la structure sociale. La position d’un individu, de même que celle des personnes

qu’elle connait dans cette structure a un impact sur ses opportunités. En d’autres termes, les

personnes ont accès à différentes formes de capital social en raison de leur position dans la

structure sociale. Il s’agit ici de la proposition de la force de la position. Finalement, la

centralité de la position dans le réseau peut être considérée, car elle confère du pouvoir dans

certaines situations (Ibarra, 1993b). Nous développerons les idées de Lin dans la section qui

suit, portant sur le capital social comme ressource accessible par les réseaux sociaux.

2.1.2.2. Le capital social

Le concept de capital social suscite un intérêt important chez les chercheurs depuis les

années 1980. Li (2004) note qu’une recherche bibliographique effectuée en 2003 a

démontré qu’entre 1986 et 2002, 909 articles scientifiques publiés dans la littérature

anglophone de sociologie et de sciences sociales apparentées ont utilisé le terme capital

social, comparativement à seulement huit articles parus entre 1963 et 1985. Du côté des

politiques publiques, le capital social gagne aussi de l’intérêt depuis les années 1980,

notamment lorsque l’on cherche à comprendre les phénomènes de cohésion sociale et de

Page 52: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

42

participation à la vie politique. Selon la définition de l’OCDE, le capital social correspond à

des réseaux ainsi qu’aux normes, aux valeurs et aux convictions communes qui favorisent

la coopération au sein des groupes et entre eux (OCDE, 2001 : 41).

Lin définit le capital social comme étant « l’investissement dans les relations sociales avec

des rendements prévus (attendus) sur le marché » (traduction libre, 2004 :3). Le capital

social constitue une forme de capital telle que comprise par les théories néo-capitalistes,

comme le capital humain et le capital culturel (Lin, 1999b). Rappelons que le capital est

défini comme étant le produit de l’activité de production humaine qui n’est pas

immédiatement consommé, mais plutôt, investi afin de réaliser un profit. Le capital

représente donc l’ensemble des ressources (ex. l’argent, les matières premières) qui sont

transformées ou qui peuvent l’être à travers deux processus : l’investissement dans la

production ou dans la transformation de ressources, ainsi que le résultat de ce procédé : les

ressources produites ou modifiées sont offertes sur le marché pour tirer un profit. Ainsi, le

capital est vu comme étant à la fois le résultat d’un processus de production et le facteur

causal dans une production. Il s’agit de processus parce que l’investissement et la

mobilisation requièrent du temps et de l’effort. La théorie classique du capital se veut donc

une théorie qui s’explique en lien avec l’hypothèse plus large que la différentiation des

individus et des groupes selon les classes est fondamentale dans la société capitaliste, et que

la classe d’exploiteurs (les capitalistes) contrôle les moyens de production et récolte la plus-

value générée par la classe exploitée (les ouvriers). Depuis les années 1960 cependant, la

théorie du capital a évolué et les « neo-capital theories » modifient l’explication en termes

de classes sociales en ajoutant d’autres formes de capital. Ces nouvelles théories du capital

incluent le capital humain et le capital social.

Dans les conceptions contemporaines du capital, on reconnait au travailleur qu’il est bien

plus qu’une force physique de travail; il acquiert et détient de la connaissance et des

compétences qui ont une valeur économique et qui sont échangés (Lin, 1999b; Bourdieu,

1983, 1980). Le capital humain est donc une ressource que le travailleur possède; elle est

intégrée au travailleur, il en dispose et il peut le développer. Ainsi, le capital humain peut

être vu comme étant le résultat d’un investissement de la part du travailleur qui ajoute à la

Page 53: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

43

valeur de son travail (Becker, 1957; Lin, 1999b). Il s’agit donc d’un investissement pouvant

générer des rendements potentiels sur le marché du travail.

Le capital social est un terme dont l’utilisation première est attribuée à Pierre Bourdieu, qui

désigne « l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles liées à la possession d’un

réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées de connaissance et de

reconnaissance mutuelle– ou, en d’autres termes, à l’appartenance à un groupe – qui fournit

chacun de ses membres avec le soutien du capital possédé collectivement » Bourdieu,

1980 : 2). Ces ressources peuvent être matérielles/tangibles (e.g. accès à un prêt, accès à

des outils pour réparer sa voiture) ou intangibles (pouvoir, information, prestige, influence).

De manière plus spécifique, il définit le capital social comme étant « une ressource privée

qui résulte du fait d’être membre de quartiers, de lieux de travail et de groupes. Ces

appartenances se transforment en obligations, basées sur des sentiments de reconnaissance,

de respect et d’amitié, qui peuvent se convertir en ressources telles qu’économiques »

(Nakhaie, 2007 : 309; Bourdieu, 1983). Pour Coleman (1988), le capital social est un aspect

de la structure sociale qui facilite l’action des individus qui sont dans cette structure. Le

capital social se trouve dans les obligations, les attentes, la confiance, les voies

d’information, les normes, les sanctions et les relations d’autorité qui contraignent ou qui

facilitent des comportements spécifiques.

Tout comme le capital humain, le capital social peut être acquis et mobilisé par l’individu à

diverses fins, notamment pour accroitre sa mobilité sociale et son accès à d’autres

ressources (Lin, 2001). Cette mobilité peut être acquise par l’emploi et/ou le statut socio-

économique qui en résulte, mais également par le pouvoir politique ou le prestige

(Granovetter, 1995). Depuis les années 1980, le concept du capital social s’est développé,

et la littérature en offre plusieurs définitions. Par exemple, Nakhaie (2007) et Anucha

(2006), s’appuyant sur les écrits fondateurs (Granovetter, 1973; Bourdieu, 1983; Coleman,

1988 et Putnam, 1995) considèrent que le capital social est une ressource provenant des

réseaux interpersonnels des individus, basés sur la force des liens (ou le type de capital

social) (Granovetter 1973). Ces réseaux ont un impact sur l’information, les opportunités et

la mobilité auxquelles les gens ont accès (Granovetter, 1973) De plus, ces liens

interpersonnels sont le résultat d’appartenances à des groupes, qui alimentent des

Page 54: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

44

sentiments d’obligations, d’attentes, de confiance, de gratitude, de respect et de réciprocité

(Bourdieu, 1983; Coleman, 1988; Putnam, 1995). Plus généralement, ces réseaux servent à

véhiculer non seulement des informations, mais aussi des normes et des valeurs.

Le capital social et la théorie des réseaux partagent plusieurs points d’ancrage et utilisent

parfois des termes différents pour discuter de phénomènes semblables. Dans la section qui

suit, nous tentons un rapprochement entre ces deux théories en articulant les propositions de

la force des liens et de la position.

2.2.1.2.1 Articulation des théories des réseaux sociaux et du capital social : la force des

liens et de la position

Selon la théorie des réseaux sociaux, la force des liens entre les individus aurait un impact

sur le type de ressource pouvant être mobilisé, ainsi que son utilité. Nous pourrions dire

autrement : la force des liens caractérise le capital social. Un lien fort désigne un lien entre

deux personnes proches, comme des membres d’une même famille ou des amis de longue

date. Un lien faible désigne un lien entre deux personnes qui se considèrent plutôt comme

des connaissances ou des collègues. La prémisse est que des personnes ayant un lien fort

circuleraient dans les mêmes milieux et donc auraient accès à des informations et à des

opportunités similaires, tandis que des personnes ayant des liens faibles auraient accès à des

informations et opportunités différentes à cause de leurs expériences divergentes

(Granovetter, 1995). Dans le même ordre d’idées, pour Lin (2001), deux personnes

positionnées dans des endroits similaires dans la hiérarchie sociale auraient accès aux

mêmes ressources, mais si l’une d’entre elles a des liens avec des personnes plus hautes

dans la hiérarchie sociale, elle a plus de chance d’avoir accès à des informations et à des

opportunités pouvant améliorer sa situation sociale.

Pour Lin (2001), l’accès au capital social dépend de la position de la personne dans la

structure sociale. Il s’agit de l’approche structurale des réseaux sociaux. Par exemple, il est

probable qu’une personne défavorisée aura une majorité de contacts évoluant aussi dans des

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45

milieux défavorisés, ce qui fait en sorte qu’elle n’aura pas la même probabilité d’accéder à

des ressources ni à des opportunités d’emplois «avantageux ou prestigieux 7 » qu’une

personne provenant d’un milieu favorisé. À l’inverse, une personne ayant un statut élevé

qui côtoie des personnes ayant un certain niveau de prestige sera plus susceptible de

pouvoir accéder à des ressources et à des opportunités de par son affiliation avec ces

personnes. Cependant, le type de lien que les individus ont les uns avec les autres aura une

incidence sur l’accès aux ressources ainsi que sur leur mobilisation. Donc, autre chose que

le lien est en cause; c’est la position dans une structure sociale.

Par ailleurs, selon Putnam (1995), le capital social découle du principe de la réciprocité

généralisée, soutenue par l’honnêteté et la confiance qui sont fondées dans des réseaux

denses d’échanges sociaux. La confiance qu’un individu aurait envers un autre individu

qu’il connait s’étend à un « autre généralisé » et est créé et entretenu par l’implication

sociale (Nakhaie, 2007 : 309). Putnam (1993, 2000) a été un des premiers auteurs à étudier

le capital social dans le contexte de la participation citoyenne. Il distingue deux sortes de

capital social : de fusion et de rapprochement. Le premier, le capital social de fusion,

renforce l’identité et l’homogénéité dans un groupe, tel qu’un quartier, la famille, un

regroupement religieux, une communauté ethnique ou linguistique, et ainsi de suite. Le

second, le capital social de rapprochement, se réfère aux liens qui peuvent se créer entre

deux groupes, institutions ou organisations, tels que des équipes sportives ou des

organismes communautaires (Anucha 1006 : 22). Lorsqu’une personne participe

fréquemment à des activités avec des membres de son propre groupe, elle a accès à un

capital social de fusion, alors que lorsqu’elle participe à des activités qui la mettent en

contact avec des personnes venant de différentes origines (ethniques, socio-économiques ou

autres), elle peut accéder à un capital social de rapprochement. Dans certains cas, le capital

social de fusion est conceptualisé d’une manière qui s’apparente aux liens forts, et le capital

social de rapprochement, de manière apparentée aux liens faibles. Cependant, nous ne

7 On parle ici d’emplois où la personne jouit d’une certaine autonomie, et a des responsabilités en termes de

gestion et un salaire intéressant.

Page 56: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

46

mobilisons pas ces concepts en raison de leur manque de précision (pour une critique à

l’égard de la conception du capital social faite par Putnam, voir Portes (2010).

Concernant plus spécifiquement les personnes immigrantes, Portes et Sensenbrenner (1993)

cherchent à concrétiser les propositions de Granovetter en spécifiant comment les structures

sociales contraignent, soutiennent ou font dérailler le comportement individuel orienté vers

un but. Les auteurs utilisent la recherche sur l’immigration pour montrer l’importance des

facteurs contextuels tels que les réseaux sociaux sur plusieurs aspects de leur vie sociale et

économique; incluant l’insertion professionnelle. Plus précisément, ils tentent de

comprendre comment les réseaux produisent du capital social et renforcent les conventions

(Dobbin, 2004; Portes et Sensenbrenner, 1993). Ils développent le concept de capital social,

dans la suite de Pierre Bourdieu (1984) et de Coleman (1988), particulièrement en

comparaison au concept du capital humain. Le capital social serait l’ensemble des

ressources auquel ont accès les individus de par leur appartenance à un groupe, ou à un

réseau social. Ces auteurs identifient trois formes de capital social : (1) les obligations, les

attentes et la confiance que l’on peut avoir par rapport aux structures; (2) les canaux

d’information; et (3) les normes et les sanctions applicables. Portes et Sensenbrenner

portent une attention particulière aux communautés immigrantes et élaborent quatre sources

de capital social, qui concordent fortement avec les conceptions de Coleman. La première

est l’introjection des valeurs, qui réfère à l’intégration par l’individu des valeurs adoptées

par la société environnante; Durkheim et Weber s’y sont déjà intéressés. Les transactions

économiques peuvent avoir un caractère moral, car les acteurs apprennent des valeurs à

travers la socialisation. Ainsi, les valeurs ambiantes sont intériorisées et elles font en sorte

que les individus ont d’autres motifs d’action que l’avidité, et ceci constitue une ressource

dans une communauté. La seconde source de capital social provient des transactions de

réciprocité. La norme de réciprocité, présente dans plusieurs sociétés, fait en sorte qu’on

s’attend à ce que les autres « repaient leur dette » en contrepartie de « privilèges »,

monétaires ou non, reçus antérieurement; donc l’échange doit être bidirectionnel.

Contrairement à l’introjection des valeurs qui suggère ou dicte des finalités, ici les gens

poursuivent tout de même leurs buts égoïstes. La troisième source est la solidarité limitée.

Cette idée provient de Marx en ce qui a trait à l’émergence de la conscience prolétaire : il

s’agit d’une solidarité qui provient de la conscience commune de quelque chose qui unit les

Page 57: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

47

individus et qui caractérise leur groupe, en particulier, face à des obstacles ou de

l’adversité. Pour Marx, il s’agit de la classe ouvrière. Dans le cadre de notre recherche, ce

serait un groupe social tel que les femmes ou les personnes immigrantes. La solidarité

constitue une réaction situationnelle d’un groupe face à des contraintes ou menaces

communes. La solidarité des membres du groupe fait en sorte que ceux-ci se soutiennent

mutuellement. Ce phénomène peut alors devenir une ressource comme, par exemple, en

fournissant des ressources financières aux entrepreneur-es immigrant-es issu-es de la même

communauté afin de démarrer une entreprise (Portes, 1998). Enfin, la quatrième source de

capital social est la confiance applicable (« enforceable trust »). Les membres d’un groupe

se conforment aux attentes du groupe afin d’en tirer des bénéfices. Transgresser ces attentes

mènerait à des sanctions par le groupe. Ainsi, un membre en qui le groupe a confiance (par

le fait qu’il se conforme aux attentes des autres membres,) aura droit à des avantages ou à

des opportunités en tant que membre du groupe.

2.1.2.3. Appliquer les théories des réseaux sociaux et du capital social aux femmes

immigrantes qualifiées : quelques précautions

La théorie des réseaux sociaux est utilisée par les chercheurs qui tentent de comprendre un

phénomène observable. Les personnes que nous connaissons et que les groupes auxquels

nous appartenons peuvent nous aider ou non dans certaines situations, notamment quant à

l’accès aux opportunités liées à l’emploi. Nous avons fait une revue de la littérature afin de

situer notre propre recherche dans le courant de la théorie des réseaux sociaux et du capital

social. Les études empiriques « classiques » concernant les réseaux sociaux et le capital

social nous servent de point de départ et nous approfondissons le champ de recherche en

considérant une population somme toute différente de celles que les auteurs des théories ont

étudiées. En effet, nous posons la question suivante: est-ce qu’une théorie développée par

des sociologues masculins dans un contexte universitaire anglo-saxon et judéo-chrétien

observant des hommes travailleurs américains rend aussi bien compte de la réalité de

femmes immigrantes issues de milieux francophones et musulmans et vivant dans des

contextes où elles sont très minoritaires? Est-ce que la manière qu’ont les immigrantes de

concevoir les statuts socio-économiques peut être différente et donc avoir un impact sur la

façon de percevoir et de mobiliser les réseaux sociaux? Est-ce que le statut d’immigrant, de

Page 58: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

48

femme ou de travailleuse qualifiée peut avoir un impact sur les stratégies empruntées et les

résultats de celles-ci? Ce n’est qu’en leur posant et documentant la question que l’on peut

commencer à avoir des éléments de réponse. Cette réflexion alimentera nos choix

épistémologiques et méthodologiques, abordés dans le chapitre III. En attendant, nous

proposons une revue des études empiriques concernant les réseaux sociaux, les immigrants

et les femmes.

2.1.3. Quelques études empiriques pertinentes

Plusieurs champs de recherche ont découlé du paradigme de la sociologie économique.

Dans un premier temps, avant que la théorie des réseaux sociaux soit répandue, plusieurs

auteurs se sont intéressés au concept de ressources sociales et du lien entre ces ressources

et l’intégration socioprofessionnelle. La sous-section 2.1.3.1 traite de ces recherches.

Ensuite, les trois sous-sections suivantes porteront plus particulièrement sur les études sur

les personnes immigrantes : différents éléments de contexte concernant les personnes

immigrantes sur le marché du travail (2.1.3.2), puis les réseaux sociaux, le capital social et

les personnes immigrantes en général (2.1.3.3) et les femmes immigrantes en particulier

(2.1.3.4)

2.1.3.1. Le concept de ressources sociales : précurseur du concept de capital social

Certaines études sur les ressources sociales montrent que, généralement, les liens faibles

permettent l’accès à des contacts de statut plus élevé, ce qui a pour conséquence de

permettre l’accès à des emplois de statut plus élevé, c'est-à-dire, offrant plus d’autonomie,

de prestige, mais pas nécessairement un revenu plus élevé (Lin, 1999a; Marsden et

Hurlbert, 1988). En fait, plusieurs études démontrent que trouver un emploi par les réseaux

sociaux (liens forts ou faibles) n’a pas d’effet direct sur le revenu (De Graaf et Flap, 1988;

Marsden et Hurlbert, 1988). Par contre, d’autres indicateurs d’intégration en emploi

révèlent des effets positifs de la mobilisation des réseaux en général, mais surtout, des liens

faibles en particulier, notamment sur le plan de la satisfaction en emploi, de l’intention de

rester en emploi et de la performance au travail. Les facteurs qui influencent le revenu

seraient plutôt reliés au capital humain : le niveau de scolarité, l’expérience, le domaine

industriel ou d’activité (Marsden et Hurlbert, 1988).

Page 59: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

49

Or, le capital humain est un des premiers aspects où la réalité des personnes immigrantes se

distingue de celle des natifs. En effet, il importe que le capital humain des personnes

immigrantes soit reconnu par les instances gouvernementales et par les entreprises pour

qu’elles puissent se procurer un emploi correspondant à leurs compétences, leurs diplômes,

leurs expériences professionnelles. Cependant, la reconnaissance du capital humain

représente un des obstacles les plus importants dans l’intégration socioprofessionnelle des

personnes immigrantes, surtout pour les plus qualifiées, celui des natifs étant plus

facilement reconnu que celui des personnes immigrantes (Reitz, 2005; Syed, 2008).

2.1.3.2. Les personnes immigrantes sur le marché du travail : quelques éléments de

contexte

D’autres études démontrent que les personnes qualifiées réussissent mieux que les non

qualifiées à se trouver de l’emploi dans des secteurs prisés de l’économie, les personnes

non qualifiées étant plus souvent restreintes dans des « enclaves ethniques » (Nee et

Sanders, 2001). Cependant, les emplois disponibles dans les enclaves ethniques sont

souvent non qualifiés et donc pas à la hauteur des compétences et des qualifications des

personnes immigrantes (Reitz, 2001; Bauder, 2003). À titre d’exemple, à l’intérieur de leurs

domaines, les personnes immigrantes ont moins tendance à avoir accès aux postes de haut

niveau, notamment en gestion (Reitz, 2001). Aussi, plusieurs études montrent que pour le

même poste, les personnes immigrantes au Canada gagnent en moyenne jusqu’à 20 % de

moins que les personnes natives (Boudarbat et Boulet, 2010; Reitz, 2001). Pour Reitz

(2001), la sous-utilisation des qualifications qui résulte de ces décisions est une forme de

discrimination en emploi : on fait des choix négatifs - ne pas embaucher ou embaucher pour

un emploi inférieur - basé sur l’origine des diplômes et non sur des indicateurs de

compétence ou de rendement plus objectifs. Ces choix peuvent reposer sur des préjugés

et/ou des stéréotypes négatifs émanant généralement de la méconnaissance des diplômes

étrangers de la part des praticiens au sein des entreprises. Dans ce cas, la confiance qui se

développe au sein des réseaux sociaux pourrait avoir un impact positif quand elle incite des

employeurs à embaucher des personnes immigrantes en leur donnant une chance de

démontrer leurs capacités, lorsqu’ils sont mis en contact avec ces personnes via leur réseau

social. Bauder (2003) remarque par exemple que certains employeurs à Vancouver étaient

Page 60: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

50

ouverts à embaucher des personnes immigrantes yougoslaves malgré la méconnaissance de

leurs diplômes. L’auteur soutient l’hypothèse que des facteurs de capital culturel8 tels que la

manière de s’habiller dans un contexte professionnel et les origines européennes aient pu

avoir une influence positive sur la probabilité qu’un employeur reconnaisse des acquis

étrangers. Les réseaux sociaux peuvent aussi jouer un rôle dans la transmission de la

connaissance des normes liées au capital culturel, aidant ainsi une personne immigrante à se

présenter à un employeur de manière considérée appropriée dans le domaine professionnel

en question. De plus, si l’employeur emploie déjà des personnes immigrantes, surtout de la

même origine ethnoculturelle, ces personnes peuvent avoir une influence sur la crédibilité

et l’attrait des autres employés potentiels de leur groupe culturel, selon le comportement de

cet employé (Lin, 1999b).

Les études sur les réseaux sociaux démontrent que la recherche d’emploi, que nous

qualifions à la fois de processus économique et social, est constituée de plusieurs

composantes telles les pratiques de dotation et de promotion qui sont plus complexes qu’un

simple arrimage entre l’offre et la demande de travail, surtout lorsque l’on considère les

rapports sociaux de sexe et la diversité des acquis et des compétences des professionnels

formés à l’étranger.

2.1.3.3. Les réseaux sociaux, le capital social et les personnes immigrantes

Rappelons que l’un des objectifs principaux de cette thèse est de comprendre des

expériences propres aux femmes immigrantes qualifiées. Nous optons pour une perspective

de genre en nous concentrant sur la littérature sur les réseaux sociaux et le capital humain

qui concerne les femmes. Ensuite, nous tenterons d’introduire d’autres études concernant

les personnes immigrantes qualifiées afin de dresser un portrait du contexte général dans

8 Le terme capital culturel tel que proposé par Bourdieu (1986) désigne une forme immatérielle de capital qui

se manifeste de trois manières : comment une personne est socialisée, les objets culturels qu’elle possède (ex.

photos et des livres) et la reconnaissance institutionnelle (ex. la reconnaissance de ses qualifications).

Page 61: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

51

lequel nous pourrons situer les interactions entre les femmes immigrantes qualifiées, les

réseaux sociaux, et l’accès à l’emploi.

Plusieurs recherches portant sur les difficultés d’intégration des personnes immigrantes

explorent les écarts de revenu entre ces dernières et les natifs. Ces écarts de revenu sont des

indicateurs des défis d’intégration. La pertinence de notre recherche repose, au moins en

partie, sur le fait que la littérature sur les inégalités de revenu et sur les écarts de taux de

chômage chez les personnes immigrantes tend à sous-estimer l’importance des inégalités

que vivent les femmes immigrantes sur le marché du travail. Les études effectuées sur les

écarts de revenu entre les personnes immigrantes et les personnes nées au Canada utilisent

principalement des données de Statistique Canada utilisant comme échantillon des

personnes ayant des emplois typiques; à temps plein toute l’année (Reitz 2007a, Nakhaie

2007). Les chercheurs concluent souvent que les hommes immigrants et/ou de minorité

visible sont désavantagés par rapport à leurs homologues blancs nés au Canada. En

revanche, les mêmes études ont tendance à montrer que les femmes immigrantes sont peu

ou pas désavantagées par rapport à leurs homologues nées au Canada (Nakhaie, 2007).

Cependant, ces études ignorent la population occupant un emploi atypique ou un emploi

pour lequel elle est surqualifiée, soient deux catégories pour lesquelles les femmes sont plus

nombreuses que les hommes (Chicha, 2009). Une grande partie de la littérature ignore ainsi

la réalité que vivent les femmes immigrantes sur le marché du travail.

Un des arguments qui revient souvent dans la littérature concernant l’intégration

socioprofessionnelle des personnes immigrantes est celui que le capital social aurait un

impact positif sur leurs revenus, sur la qualité ou sur la durée de leur emploi, car il servirait

de substitut à l’expérience (Nakhaie 2007). Si cela est le cas pour la population en général,

cela pourrait être encore plus vrai pour les personnes immigrantes, car le capital social

servirait de solution partielle aux risques associés à la naissance à l’étranger ou au statut

socio-économique désavantagé (White et Kaufman, 1997). De par leur participation

civique, c’est-à-dire l’adhésion à des associations bénévoles ou les liens avec la

communauté, les personnes immigrantes peuvent avoir accès à un capital social plus large,

car elle favorise la mise en rapport avec des partenaires de toutes sortes, dont des

« partenaires économiques potentiels et l’accès à une information de grande valeur ainsi

Page 62: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

52

qu’à des recommandations à des employeurs » (Anucha, 2006 :7). Cependant, cette

participation est difficile si le capital social est fort entre les membres natifs, car il peut être

difficile pour eux d’intégrer des personnes venant de l’extérieur. Dans ce cas précis,

l’intégration des personnes immigrantes par la participation civique est rare. Pour illustrer

cette dernière idée, Forsander (2004) cite l’exemple des pays nordiques où la population est

assez homogène où il est difficile pour les personnes immigrantes de s’y intégrer.

Concernant les réseaux sociaux et le capital social plus spécifiquement, étant donné le rôle

prépondérant que joue la confiance dans les réseaux sociaux, il est possible que la réticence

des employeurs à reconnaitre les compétences et les expériences des personnes

immigrantes soit due au fait qu’ils ne connaissent pas ces personnes, car elles ne font pas

partie des mêmes réseaux sociaux qu’eux (Bauder, 2003). Avoir des contacts à travers

certains réseaux sociaux pourrait donc faciliter la reconnaissance des acquis et des

compétences en fournissant un certain niveau de crédibilité pour pallier la reconnaissance

formelle9. Pour une femme immigrante, ce processus pourrait être avantageux, notamment

dans l’optique où ses compétences peuvent se retrouver sous-évaluées non seulement parce

qu’elles ont été acquises à l’étranger, mais aussi parce qu’elles occupent des emplois

typiquement féminins, reconnus comme étant sous-évalués (Chicha, 2009). Toutefois, les

autres rôles sociaux, comme le travail de soin, peuvent limiter l’accès aux réseaux et leur

fréquentation.

2.1.3.4. Les réseaux sociaux, le capital social et les femmes immigrantes

Plusieurs études démontrent que les femmes en général, et en particulier celles qui sont

membres de groupes minoritaires, n’ont pas les mêmes opportunités d’accès au capital

social que les hommes (Anucha et coll., 2006). Ceci s’expliquerait en partie par le fait que

9 Il est question ici des professions non-règlementées, où les employeurs peuvent se montrer réticents à

reconnaitre l’équivalence de diplôme livrée par le MIDI. L’exercice d’une profession règlementée requiert la

reconnaissance d’un ordre professionnel et non par les employeurs.

Page 63: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

53

les réseaux masculins sont plus étendus (Campbell et Rosenfeld, 1985), plus susceptibles

d’inclure des personnes mieux situées dans la structure d’accès aux ressources, donc plus

influentes, et qu’ils comptent moins de membres de leur propre famille que ceux des

femmes (Moore, 1990). Ces différences pourraient être attribuables à une distribution

différente des hommes et des femmes dans la structure sociale plus générale (Bourdieu,

1983) et donc, dans des postes et des réseaux influents. L’étude de Renaud et Carpentier

(1994) démontre que les hommes mariés ont un meilleur accès aux systèmes de mentorat

que les femmes, qui sont souvent exclues de certains marchés en raison de la division du

travail domestique et des systèmes de valeurs traditionnels. La revue littéraire de Potter

(1999) indique que le capital social auquel ont accès les femmes est souvent

majoritairement composé de liens de famille ou de voisinage, largement dû à l’importance

des activités reliées à l’organisation familiale chez les femmes, ou la séparation et

l’assignation prioritaire des femmes à l’espace domestique et relationnel.

Même dans le contexte du travail, certains chercheurs portent une attention particulière aux

rapports de genre et de pouvoir qui sont observables, notamment dans les relations de

couple et de famille, par exemple les scripts sociaux sur « ce qui est important ». Par

exemple, les études de cas démontrent que certaines immigrantes acceptent de prendre un

emploi pour lequel elles sont surqualifiées, afin de pouvoir laisser à leur mari plus de temps

pour trouver un emploi qui lui convient, ou encore, afin qu’il puisse poursuivre ses études

(Potter, 1999; Anucha, 2006; Arcand et coll., 2009; Chicha 2009). Ces emplois sont

souvent dans des secteurs typiquement féminins, tels que l’éducation préscolaire, la santé et

les services. Dans plusieurs cas, les femmes immigrantes sont surqualifiées pour ces

emplois. Parfois, découragées, elles finissent par quitter le marché du travail de manière

temporaire ou définitive et rester au foyer afin de s’occuper de leur famille, réduisant ainsi

leur autonomie économique, et donc, augmentant leur vulnérabilité sociale.

Toujours en matière de réseaux sociaux, des études suggèrent non seulement qu’il existe

des différences et des iniquités à l’égard de l’emploi non seulement entre les hommes et les

femmes immigrantes (Burt 1998, Potter 1999, Nakhaie 2007), mais aussi entre les

immigrantes ayant des niveaux de scolarité différents. À cet égard, Sanders Semau. (2002)

ont démontré que les femmes utilisent leurs liens interpersonnels pour trouver des emplois

Page 64: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

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précaires à l’extérieur de leur communauté ethnique. Ils ont également démontré que les

employeurs immigrant-es peuvent avoir des liens avec des employeurs qui ne sont pas de la

même communauté ethnique ou raciale, mais qui sont dans d’autres secteurs précaires. De

plus, ces femmes occupant des emplois déqualifiés dans des « ghettos d’emplois féminins »

tels que l’entretien ménager, le personnel d’appoint dans les garderies et les ouvrières sur

les chaines de production, ont des liens sociaux se limitant souvent aux autres femmes dans

le milieu, entretenant ainsi leur propre marginalisation (Chicha, 2009; Sanders et Semau,

2002). Les femmes ayant peu ou pas de capital humain ont alors généralement accès à un

capital social de moindre valeur, créant ainsi une sorte de cercle vicieux, les gardant dans

des emplois précaires. Pour ce qui est des femmes possédant un capital humain plus élevé,

peu d’études détaillent leurs processus d’accès aux réseaux sociaux et de la mobilisation

des réseaux sociaux ou des résultats de ceux-ci, d’où l’intérêt de poursuivre cette piste de

recherche. Cependant, la littérature existante laisse croire que, si les femmes qualifiées

n’ont pas accès à des réseaux comportant d’autres personnes qualifiées et en emploi, cela

peut réduire leurs chances de se trouver un emploi correspondant à leur capital humain et à

leurs attentes, car le manque d’information sur les normes de recherche d’emploi ou encore

sur les opportunités disponibles dans leur domaine pourrait les désavantager (Béji et

Pellerin, 2010). Afin de comprendre les obstacles qui confrontent les femmes immigrantes

qualifiées relativement à l’insertion socioprofessionnelle, il importe de porter une attention

particulière à une des difficultés majeures rencontrées par ces femmes soit la

reconnaissance de leurs acquis et de leurs compétences par les employeurs.

Dans un contexte personnel et social, certaines femmes immigrantes sont portées à investir

davantage dans la création et dans le maintien de réseaux personnels transnationaux (Vatz

Laaroussi, 2008). Ceci les amènent à poser des gestes de solidarité, par exemple à envoyer

des ressources à la famille dans le pays d’origine, ou à prêter de l’argent à d’autres

membres de la famille qui ont immigré ailleurs. Ou encore, ces gestes peuvent inclure le

soutien psychologique, par exemple demander des conseils à sa mère dans le soin de ses

enfants. Selon Vatz Laaroussi (2008 : 62), ce serait « grâce à ces réseaux que les femmes

maghrébines remplissent les fonctions sociales qu’elles n’atteignent que peu au travers de

leur insertion sans emploi ».

Page 65: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

55

En conclusion, une perspective de genre permet de mieux saisir la réalité d’une population

dont la complexité est souvent sous-estimée. En effet, en montrant les difficultés

particulières que vivent les femmes immigrantes en termes d’accès au capital social et à

l’emploi, une perspective de genre nous permet de mieux comprendre leur situation, les

conflits de rôle qui leur sont propres, les interdépendances entre leurs diverses sphères

d’activités et éventuellement, de mieux pouvoir répondre à leurs besoins. Comme un des

objectifs de la thèse est de mieux comprendre l’articulation entre la discrimination et les

réseaux sociaux, la prochaine section présente les principaux concepts et approches qui

servent à étudier la discrimination.

2.2. La discrimination

La discrimination est souvent identifiée comme l’un des obstacles à l’intégration des

personnes immigrantes, tant au niveau socioprofessionnel que social en général. Cependant,

alors que certains contestent l’existence de discrimination, d’autres émettent des hypothèses

divergentes concernant ses causes. Afin d’éclaircir ces débats, nous présentons ci-dessous

des concepts-clés reliés à la discrimination, les théories économiques de la discrimination,

les approches psychosociales et la discrimination systémique. Nous tisserons ensuite des

liens entre ces théories et la théorie des réseaux sociaux pour montrer comment les réseaux

sociaux peuvent contribuer à créer et maintenir l’exclusion.

2.2.1. Concepts-clés

En premier lieu, il faut distinguer trois notions : la discrimination directe, indirecte et

systémique. Généralement, on parle de discrimination directe lorsque l’on traite une

personne de façon différente pour un motif non justifié, par exemple, son sexe ou son

origine ethnique. On parle de discrimination indirecte lorsque des critères apparemment

neutres entrainent, potentiellement ou réellement, un désavantage à un certain groupe, par

exemple exiger que les recrues détiennent un diplôme de CÉGEP, alors qu’un tel

programme n’est offert qu’au Québec, et que les immigrants n’en détiennent pas à leur

arrivée. On distingue donc entre un traitement différentiel et un « impact disparate » ou un

effet différencié (Pager et Shepherd, 2008). À long terme, les pratiques discriminatoires

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56

peuvent s’additionner, se combiner et créer un cercle vicieux, que l’on nomme la

discrimination systémique. La discrimination systémique est le fruit d’inégalités sociales

construite historiquement et socialement, créant et recréant des rapports sociaux de classe,

de race et de sexe.

Lorsque des personnes vivent des discriminations sur la base de plusieurs motifs (le sexe, le

statut de minorité visible et le statut d’immigrant, par exemple), on parle de multi-

discriminations (Gazier, 2010a) qui requièrent une analyse plus approfondie, connue sous

le nom d’intersectionnalité (Wilkinson, 2003; Bilge, 2009). L’intersectionnalité est une

approche transdisciplinaire qui prône la prise en compte des différentes façons dont sont

définies les catégories identitaires qui alimentent les inégalités sociales, telles que la race, le

genre et la classe. L’approche postule que ces « systèmes d’oppression » s’opèrent à partir

de ces catégories, et interagissent dans la production et la reproduction des inégalités

sociales (Bilge, 2009 : 70). Cette thèse porte sur un groupe qui est assujetti à plusieurs

systèmes d’oppression, dont ceux fondés sur le sexe, l’origine ethnique et le statut

d’immigrant. Ceci devient particulièrement saillant lorsque nous considérons tous les

stéréotypes à l’égard des femmes immigrantes associés au groupe « arabo-musulman » dans

le contexte québécois actuel – ainsi que les répercussions sur l’intégration sociale et

professionnelle de ces femmes (Gauthier, 2016; Vatz Laaroussi, 2008). Ce thème sera

abordé de façon plus détaillée dans le cadre de la conclusion générale de cette thèse.

2.2.1.1. Les théories économiques de la discrimination

La discrimination économique se définit comme étant le traitement inégal d’une personne

en emploi ayant une productivité réelle ou potentielle équivalente (Gazier, 2010a; Reitz,

2001; Becker, 1957). Selon l’approche économique néoclassique, ce traitement peut avoir

deux causes, soit la discrimination basée sur les préférences, ou la discrimination

statistique. La première, rattachée aux idées de Becker (1957) consiste à analyser le

comportement des employeurs, des travailleurs ou des consommateurs comme si ceux-ci

avaient un « goût » pour la discrimination. Les individus auraient des préférences quant aux

employés qu’ils embauchent, aux collègues avec qui ils travaillent ou aux consommateurs à

qui ils veulent vendre des biens. Il s’agirait d’une notion fondée sur les préjugés – ou des

attitudes négatives à l’égard de certains groupes -, car il s’agit d’une préférence, sous-

Page 67: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

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tendant des aspects plutôt affectifs (Pager et Shepherd, 2008), et les personnes qui

discriminent seraient prêtes à payer les coûts qui y sont associés, mais à long terme, ceci

nuirait à leur position concurrentielle pour le recrutement et la conservation de leur

personnel, ce qui les inciterait à cesser d’avoir une telle préférence. À titre d’exemple,

explorant le gout de discriminer des employeurs sur la base du sexe si un employeur

n’embauche que des hommes alors que le bassin de main-d’œuvre contient des candidates

féminines qui sont plus productives que des candidats masculins qui ont été embauchés,

l’employeur aura une force de travail ayant une productivité moindre, qui se traduira en une

marge de profit plus faible, par rapport au concurrent qui ne discrimine pas. Pour expliquer

le goût de discriminer des employés, Becker explique que les travailleurs masculins de

l’entreprise qui seraient tellement révulsés à l’idée de devoir travailler avec des femmes

exigeraient une compensation financière pour contrebalancer le coût cognitif ou affectif qui

y est associé (Becker, 1957). Ainsi, l’entreprise doit faire le calcul de l’utilité d’embaucher

la femme compte tenu du coût supplémentaire associé au dédain des travailleurs masculins

et selon Becker, l’employeur rationnel, à terme, perdra sa préférence pour discriminer à

cause de la perte économique subie.

La seconde théorie économique de la discrimination, la discrimination statistique, est en

quelque sorte le résultat d’un manque d’information concernant les individus. Cette

approche met plutôt l’accent sur la perception erronée que les employeurs peuvent avoir de

la productivité potentielle d’un travailleur, de par son appartenance à un groupe. On

l’apparente donc plutôt au concept de stéréotype (Pager et Shepherd, 2008). Cette erreur

‘statistique’ découlerait du fait que l’information concernant le groupe est moins bonne ou

moins homogène. En d’autres termes, les personnes provenant de certains groupes (les

femmes, les minorités ethniques) auraient des « signaux » reflétant moins bien la qualité de

ces travailleurs, comparativement aux hommes blancs natifs, en partie parce que les

employeurs ont moins d’expérience avec eux. L’approche de la discrimination statistique

est basée sur la théorie des choix rationnels qui dicte que les acteurs agissent

rationnellement, c’est-à-dire en maximisant selon les contraintes imposées par les

préférences, la technologie et les croyances, et par les institutions qui déterminent comment

les individus interagissent pour générer des résultats (Arrow, 1998 :94). Ainsi, la décision

de ne pas embaucher quelqu’un, ou de l’embaucher à un salaire inférieur, est vu comme

Page 68: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

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étant une réponse rationnelle à un élément d’incertitude associé à l’information imparfaite

sur la productivité des membres d’un groupe (Phelps, 1972; Arrow, 1972). L’employeur

estime la productivité potentielle d’un individu en se fiant à des stéréotypes qu’il a envers

un certain groupe. En d’autres termes, il utilise la couleur de la peau ou le sexe comme

« proxy » pour les données manquantes qui expliquent réellement les différences de

productivité (Phelps, 1972; Stiglitz, 1973; Arrow, 1998). Un employeur opterait pour cette

stratégie, car elle est plus rapide et moins coûteuse que de chercher l’information

pertinente10, comme en développant des outils pour mesurer la productivité marginale d’un

individu, ce qui est reconnu comme étant difficile à mesurer (Phelps, 1972; Arrow, 1998;

Pager et Shepherd, 2008 : 193). Ainsi, l’employeur estime la productivité potentielle d’un

travailleur à partir de l’expérience statistique précédente avec un groupe semblable, qui

peut être très limitée, et qui attribue à un individu, une statistique (e.g. moyenne)

développée à partir d’un groupe, mais les compétences de l’individu peuvent s’en

distinguer significativement, puisqu’il y a toujours hétérogénéité dans un groupe. La

discrimination pourrait donc être l’adaptation instrumentale à des manques d’information

(Ayres et Siegelman 1995).

À court et à long terme, ces perceptions erronées peuvent avoir un effet néfaste sur les

individus membres de groupes discriminés. Selon Ghirardello (2006) et Spence (1973), les

travailleurs émettent des signaux lorsqu’ils sont à la recherche d’emplois. Ces signaux

incluent l’appartenance à un groupe social ou ethnique le sexe, l’âge, etc. Comme les

employeurs ne connaissent pas la productivité réelle de ces employés potentiels,

l’employeur offre un salaire basé sur ces signaux, les présupposés subjectifs (préjugés et

stéréotypes) et l’expérience antérieure de l’employeur avec d’autres membres de ce groupe,

expérience qui est généralement limitée pour les membres des minorités. Si la productivité

du travailleur qu’il embauche correspond à ses attentes, la discrimination statistique peut

être renforcée. À long terme, il est possible que les membres d’un groupe qui sont rarement

10 En nous inspirant de Béji et Pellerin (2010), nous définissons une information pertinente comme étant une

information qui augmenterait les chances qu’il y ait un arrimage entre les acquis et les compétences des

travailleurs et les exigences des emplois offerts par les employeurs.

Page 69: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

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embauchés ou à qui l’on offre un salaire relativement moindre se retirent d’un certain

marché du travail, faisant disparaitre leur signal et réduisant la chance que les stéréotypes à

leur égard soient éventuellement brisés. Un exemple souvent cité dans la littérature

concerne les Afro-Américains aux États-Unis (Myrdal, 1944). Si, pour des raisons

historiques, les employeurs voient les Noirs comme étant moins productifs que les Blancs,

ou moins aptes à occuper certains emplois, mais que certains Noirs démontrent que ce n’est

pas véritablement le cas lorsqu’ils occupent ces emplois, les perceptions statistiques

peuvent changer et la discrimination, diminuer, l’expérience réelle ayant remplacé un

« proxy » dans l’appréciation du potentiel. Cependant, si les employeurs continuent à ne

considérer que la race comme proxy pour la productivité ou la compétence, les Noirs ne

seront pas incités à être aussi productifs que leurs collègues blancs ou à prendre les moyens

pour l’être, comme la formation supplémentaire (Arrow, 1998; Becker, 1957). De plus, il

est possible par exemple, que les Noirs aient été historiquement moins productifs à cause de

la moindre qualité de l’éducation qui leur était offerte ou de leur moindre accès à

l’éducation, ce qui rend encore plus difficile le changement de perception des employeurs

(Arrow, 1998). Dans ce contexte, si les membres d’un groupe ne réussissent pas à participer

dans un secteur du marché du travail où se pratique la discrimination, ceux-ci n’arriveront

pas à démontrer qu’ils sont capables de le faire et donc à changer les stéréotypes négatifs à

leur égard.

La question de la qualité de l’éducation sera abordée ici sous l’angle de la théorie du capital

humain. Selon cette théorie, rappelons-le, une personne pourra choisir d’investir son temps

et son argent, ainsi qu’une perte de salaire et une entrée différée sur le marché du travail,

afin d’acquérir des qualifications en vue d’obtenir des gains salariaux à long terme et des

postes plus intéressants (Gazier 2010b). La perte de salaire et l’entrée différée sur le marché

du travail représentent des coûts d’opportunité qui s’ajoutent à l’investissement requis pour

la formation. À long terme, toujours selon cette même approche, une personne ayant plus

d’années de scolarité et d’expérience aura une aptitude productive plus élevée et donc, aura

un revenu possiblement plus élevé (Mincer, 1958; Schultz, 1961, Becker, 1957; Gazier,

2010b). Cette approche tient pour acquis que la contribution marginale d’un individu peut

être connue à priori et que le salaire versé est établi en conséquence (Gazier, 2010b). En

réalité, le nombre d’années de scolarité et d’expérience explique environ 50 % de la

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60

variance des salaires, alors que l’autre 50 % est attribuable à la filière, au secteur ou à

l’entreprise, aux pratiques discriminatoires et aux facteurs personnels ou aléatoires (Gazier

2010b).

Les théories néoclassiques de la discrimination ont en commun de prédire la disparition de

la discrimination, car elle ne serait pas efficiente (Arrow, 1998; Ruwanpura, 2008). Selon

elles, les entreprises discriminatoires seront moins profitables et seront éventuellement

rachetées par celles qui ne le sont pas, ou qui le sont moins. Cependant, empiriquement, la

discrimination persiste et cela pousse plusieurs auteurs à explorer d’autres explications,

souvent externes au marché, pouvant influencer ce comportement économique (Stieglitz,

1973; Arrow, 1998; Chicha, 2009; Gazier, 2010a). Une de ces explications externes au

marché serait la division du travail productif et reproductif et l’assignation aux femmes, du

travail reproductif – non reconnu et gratuit - dans la sphère domestique, ce qui se traduit

généralement par une dévalorisation des emplois dits féminins sur le marché du travail.

La discrimination se traduit sur le marché du travail par des « décisions négatives reliées à

l’emploi, basées sur des caractéristiques telles que l’endroit de naissance ou l’origine, plutôt

que basée seulement sur les diplômes et les compétences directement reliées à la

productivité potentielle de l’employé » (traduction libre, Reitz, 2001 : 353). Ces décisions

peuvent être relatives au recrutement et à l’embauche, au salaire, à l’accès à la formation

offerte par l’entreprise, aux promotions, etc. En ce qui concerne les personnes immigrantes

qualifiées, la discrimination à l’embauche est souvent reliée aux qualifications. En effet, la

sous-utilisation des compétences pour des motifs discriminatoires peut prendre la forme de

la non-reconnaissance des diplômes étrangers par les ordres régissant les professions

règlementées, la non-reconnaissance des diplômes étrangers par les employeurs dans des

professions non protégées, la non-reconnaissance des expériences professionnelles acquises

à l’étranger ou ailleurs au Canada, telles que la gestion (Reitz, 2001). Concernant la non-

reconnaissance des expériences acquises à l’étranger, l’exigence d’expérience canadienne

serait discriminatoire puisqu’elle ne prédit pas la productivité potentielle de l’employé,

mais elle favorise les natifs. Il est cependant difficile de mesurer la discrimination dans ces

contextes : la non-reconnaissance de diplômes ou de compétences peut être la conséquence

d’un simple manque d’information ou d’un effort de réduction des risques associés à la

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61

non-connaissance du diplôme en question; l’intention n’est pas discriminatoire, mais l’effet

l’est. En effet, il peut être difficile d’évaluer la qualité de l’information concernant le

diplôme et la formation reçue, ainsi que la réelle maitrise de son contenu par l’individu

concerné. Le portrait devient flou quand le manque d’information ou les efforts de

réduction des risques sont alimentés par les stéréotypes des employeurs, si ces stéréotypes

les mènent à considérer que le candidat n’a pas les compétences requises ou n’aura pas le

niveau de productivité recherché lorsqu’il détient des diplômes méconnus de l’employeur.

Une limite de l’approche néoclassique de la discrimination économique concerne les autres

caractéristiques liées à l’emploi qui sont plus difficiles à mesurer, telles que la fiabilité, la

motivation, les compétences interpersonnelles et la ponctualité, qui constituent aussi des

éléments du capital humain (Pager et Shepherd, 2008 :184). Dans le cas des personnes

immigrantes qualifiées, l’évaluation des diplômes et des expériences acquis à l’étranger est

moins simple que pour les personnes natives. Il a été démontré que lorsque les

qualifications apparaissent « ambigües », comme si elles ne correspondent pas parfaitement

aux qualifications obtenues dans le pays d’accueil, les employeurs préfèrent embaucher une

personne native (Gaertner & Dovidio, 2000), ce qui complique davantage le processus de

reconnaissance des compétences des personnes immigrantes qualifiées, soit par les ordres

ou par les employeurs eux-mêmes. S’ajoute à ces difficultés, l’exigence d’avoir de

l’expérience sur le marché du travail canadien ou québécois, qui selon Reitz (2001)

constitue une forme de discrimination, car ce critère n’est pas une véritable mesure de

productivité potentielle. Conséquemment, cette exigence aurait un effet désavantageux

envers les personnes formées à l’étranger. Comme l’expérience de ces professionnels n’est

pas la même que celle des natifs, on peut dire que les situations de départ ne sont pas les

mêmes et donc que ce critère à apparence neutre peut avoir un effet discriminatoire.

Nous pourrions avancer l’argument, cependant, que ceci n’est pas totalement vrai, car le

manque d’expérience canadienne suggère que la personne à embaucher nécessite plus de

temps pour s’intégrer en emploi, connaitre les rouages de l’organisation du travail et donc il

lui est difficile d’être efficace et productive aussi rapidement que les personnes natives.

Cependant, ceci est vrai d’autres catégories de travailleurs, comme les jeunes diplômés et

ceux qui ont effectué une réorientation de carrière. Il s’agit donc ici de distinguer entre une

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62

période « normale » d’ajustement, et une qui pose un fardeau excessif à l’employeur.

Cependant, les jeunes natifs ont de meilleures chances de se bâtir des réseaux sociaux dans

le pays hôte tout au long de leur vie, notamment pendant leurs études, et de connaitre les

codes et les normes, donc d’avoir un meilleur capital social qui compense, ce qui n’est pas

le cas pour les personnes immigrantes arrivant avec leurs diplômes étrangers. De plus, il est

possible que les jeunes diplômé-es n’aient pas d’autres aptitudes qu’ont les personnes

immigrantes, comme la prise de risque et la flexibilité.

Cette revue de la littérature économique concernant la discrimination démontre que les

théories économiques n’ont retenu dans leurs analyses qu’une partie du capital humain, soit

la formation, la diplomation et l’expérience, et ont négligé d’autres aspects comme le

capital culturel et les biais inconscients l’égard des personnes immigrantes qui eux peuvent

influencer leur parcours professionnel et leur intégration socioprofessionnelle dans le pays

d’accueil.

2.2.1.2. Aspects psychosociaux de la discrimination

Si les théories économiques de la discrimination cherchent à expliquer les écarts de revenu

chez des travailleurs ayant une productivité égale, la psychologie sociale cherche à

expliquer le comportement social des individus qui pourrait entrainer ces disparités

économiques. Dans le cas qui nous concerne, il s’agit des processus cognitifs, affectifs et

sociaux qui peuvent expliquer le comportement discriminatoire des employeurs et des

collègues au sein des organisations, envers les personnes immigrantes notamment.

Il existe plusieurs théories en psychologie sociale pour expliquer les stéréotypes et les

préjugés et comment ceux-ci peuvent amener les individus à agir de façon discriminatoire

envers d’autres individus. Ces théories incluent des composantes psychologiques – c'est-à-

dire cognitives, affectives et comportementales – ainsi que des composantes sociales et

sociohistoriques – concernant notamment la ségrégation ou les positions sociales des

groupes dans la société. Dans cette section, nous parcourrons les notions de base dans le

domaine de la psychologie sociale de la discrimination – les attitudes, les stéréotypes et les

préjugés - puis les processus en jeu au niveau de l’individu, des relations entre les

Page 73: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

63

individus, et des groupes. Nous soulignerons ensuite le rôle des réseaux sociaux dans ces

processus, qui peuvent mener à la discrimination.

Les processus de discrimination reposent sur trois concepts : les attitudes, les préjugés et les

stéréotypes. Les attitudes ont une composante cognitive et une composante affective. La

composante cognitive implique des pensées ou des croyances spécifiques à l’égard d’un

objet (une personne ou un groupe), comme leur infériorité ou leur non-désirabilité (Allport,

1954; Makkonen, 2002). Ces pensées ou croyances peuvent être la conséquence de la

catégorisation sociale des personnes en « ingroup » et « outgroup », ou encore, les

généralisations que les personnes font à l’égard de certains groupes. Le « ingroup » désigne

les personnes considérées comme faisant partie de notre propre groupe, et le « outgroup »

désigne les personnes considérées comme n’appartenant pas à notre groupe. La composante

affective réfère à des sentiments et des émotions associés à l’objet; c'est-à-dire, des

émotions positives envers les membres du ingroup, et positives ou négatives à l’égard des

membres du outgroup. Les préjugés quant à eux, sont des attitudes injustes à l’égard d’un

groupe social ou d’une personne perçue comme étant membre d’un groupe. Ces préjugés

sont des jugements préalables fondés sur peu ou pas d’information, ou encore, de

l’information erronée. Ces attitudes et ces jugements servent ensuite de schémas cognitifs

pour interpréter les autres personnes et les situations dans lesquelles se retrouvent les

personnes. Les schémas, concept développé dans le champ de la psychologie cognitive,

sont des structures cognitives, un réseau d’associations qui organisent et qui guident les

perceptions des individus (Bem, 1981). Les préjugés positifs sont généralement associés à

des réactions émotionnelles positives telles que la confiance, alors que les préjugés négatifs

peuvent être accompagnés de réactions émotives telles que l’anxiété et le mépris.

Finalement, les stéréotypes sont des généralisations d’ordre cognitif faites à propos d’un

groupe de personnes, et adressées vers certaines catégories sociales telles que l’origine

ethnique, le lieu d’origine ou le sexe, attribuant ainsi aux individus membres de ce groupe

une étiquette fortement associée à ces généralisations. Ces mêmes généralisations attribuent

des traits communs et des rôles à un groupe et forment ainsi un schéma cognitif qui

influence ensuite comment l’information concernant les membres d’un groupe est acquise,

traitée, rappelée et utilisée.

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64

Plusieurs auteurs mentionnent le fait que les préjugés et les stéréotypes se renforcent et

peuvent maintenir une distance sociale entre les groupes, ce qui entretient et accentue les

préjugés et les stéréotypes (Makkonen, 2002 :8). Finalement, bien que les préjugés soient

l’une des causes de l’action discriminatoire, une nuance importante s’impose. Une personne

ayant de forts préjugés ne discriminera pas nécessairement, mais le risque est grand qu’elle

le fasse si elle a le choix. Inversement, une personne peut poser une action discriminatoire

sans qu’elle entretienne des préjugés. Dans ces cas, le contexte peut jouer un rôle

déterminant : l’acceptabilité sociale de l’acte discriminatoire, les coûts associés à la

discrimination (par exemple la probabilité de représailles légales, et l’existence d’une forme

de surveillance sociale) (Makkonen, 2002; Dobbin, 2002).

a) Théories au niveau de l’individu

Au niveau de l’individu, la recherche en psychologie sociale explore les processus affectifs

et cognitifs qui peuvent expliquer le comportement discriminatoire dans les organisations

(Dovidio et Hebl, 2005). Un des processus cognitifs les plus importants dans l’explication

de la discrimination est celui de la catégorisation sociale. Il s’agit d’un processus cognitif

de base, celui de catégoriser les choses et les personnes afin de faciliter le traitement de

l’information. Ainsi, une des façons dont les individus catégorisent les autres est selon le

fait qu’ils soient comme lui, ou différents de lui. Lorsque l’autre partage certaines

caractéristiques avec cette personne, l’autre fait partie de l’« in-group », soit son groupe;

lorsque la personne est différente, elle est catégorisée comme faisant partie du « out-

group » et est plus susceptible de se voir assignée les caractéristiques générales de ce

groupe. Cette catégorisation a un impact sur les processus cognitifs et les comportements

ainsi que sur les réactions affectives d’une personne à l’égard d’une personne membre d’un

« autre » groupe. La catégorisation sociale peut engendrer des comportements

discriminatoires parce que les individus ont tendance à voir les membres de leur groupe de

façon plus favorable et de façon plus nuancée, et les « autres », de manière plus défavorable

et moins nuancée, souvent liée à l’anxiété et au manque de confiance envers les personnes

différentes (Gaertner & Dovidio, 2000). Une fois que des personnes ont été catégorisées

comme étant des « autres », elles tendent à être perçues comme étant semblables. C’est

ainsi que naissent et sont utilisés les stéréotypes. Les stéréotypes sont souvent liés aux rôles

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65

et aux statuts des membres d’un groupe dans la société; ils servent notamment à justifier et

à perpétuer ces différences de statut (Jost, Burgess et Mosso, 2001). Les stéréotypes

peuvent mener à la discrimination lorsqu’un membre d’un groupe n’agit pas en fonction du

stéréotype qui lui est attribué, même si le comportement lui-même est généralement vu

comme étant positif. À titre d’exemple, une étude de Rudman (1998) a démontré que, si les

femmes font la promotion de leurs compétences, elles seront vues comme étant plus

compétentes; cependant, elles seront aussi vues comme étant moins désirables socialement

en raison de la transgression des rôles qui leur sont généralement attribués (ceux associés

aux soins) et qu’en promouvant leur compétence, elles auront adopté un comportement

assigné davantage au stéréotype masculin; elles auront donc transgressé une norme de

sexe. Elles seront donc moins souvent embauchées que les hommes qui font la promotion

de leurs compétences et les femmes qui ne le font pas. Cette forme de discrimination aurait

pour but de maintenir le statu quo entre les groupes. (Dovidio et Hebl, 2005). Notons que

dans cet exemple, une telle femme se serait comportée en conformité avec le stéréotype de

la personne qui valorise sa carrière professionnelle, mais en ce faisant, elle aurait enfreint

une norme de sexe qui assigne un tel comportement aux hommes et non aux femmes (Bem,

1981).

L’existence de groupes dans la société, ainsi que l’existence de stéréotypes, ne mène pas

nécessairement à la discrimination. Selon Dovidio et Hebl (2005), il existe des facteurs

modérateurs qui peuvent influencer les réactions cognitives et affectives des individus face

à des groupes stigmatisés. Un groupe est considéré stigmatisé lorsqu’il ne se conforme pas

aux normes présentes dans son environnement social en raison d’un attribut particulier. Cet

attribut particulier modifie ses relations avec autrui et le déqualifie en situation

d’interaction (Goffman, 1963). Les facteurs influençant les réactions des individus face à

ces groupes sont : des différences individuelles, le contexte social, les caractéristiques de la

personne ciblée, les motivations de l’individu et les réponses et les stratégies de la personne

ciblée. En premier lieu, les différences individuelles qui peuvent avoir un effet d’accentuer

le comportement discriminatoire sont : l’autoritarisme, une orientation vers la domination

sociale et un niveau de préjugé élevé (Dovidio et Hebl, 2005). Les personnes ayant un

niveau élevé d’autoritarisme ont tendance à être ethnocentriques, à penser en catégories

rigides et à avoir un besoin de se soumettre à l’autorité. Les individus ayant une orientation

Page 76: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

66

vers la domination sociale croient que les hiérarchies sociales sont inévitables et que les

groupes sont en compétition constante pour des ressources. Ces traits se reflètent dans les

relations sociales qu’ils entretiennent, et peuvent les amener à avoir un comportement

discriminatoire. Pour sa part, le contexte social est un facteur d’explication dans la mesure

où les relations entre les groupes peuvent exacerber ou atténuer les attitudes négatives et

donc, la discrimination envers certains individus. À titre d’exemple, selon le « token

hypothesis » de Kanter (1977), si une personne se sent « différente », car elle fait partie

d’un très petit groupe, il y a plus de chances qu’elle se sente plus vulnérable, donc moins

confiante en elle, ce qui peut se traduire par une performance moindre au travail et donc, en

évaluations moins favorables par ses superviseurs. De plus, si les relations sont tendues

entre des groupes, cela exacerbera les tensions, les stéréotypes et les comportements

négatifs comme la discrimination. À l’inverse, plus des membres de groupes différents ont

des échanges, travaillent ensemble sur des projets communs, moins les individus concernés

auront des stéréotypes, à la condition que les groupes aient des statuts égaux et qu’il existe

des normes de coopération dans l’organisation, comme le propose le « contact hypothesis

(Pettigrew et Tropp, 2000). Le troisième groupe de facteurs à considérer est les

caractéristiques de la personne ciblée. Lorsque peu d’information est disponible à propos

d’un individu, celui-ci sera plus rapidement jugé en termes des stéréotypes qui existent à

l’égard du groupe dont il fait partie. De plus, la discrimination envers une personne de ce

groupe sera pire si ce groupe est perçu comme étant en compétition avec le groupe auquel

appartient la personne qui discrimine. Le troisième groupe de facteurs concerne les

motivations de l’individu envers les personnes membres d’un autre groupe auront un

impact sur son comportement envers eux. Finalement, la réaction de la personne ciblée face

à la discrimination perçue ou réelle peut varier. En effet, elle peut nier la discrimination,

plaçant plutôt le blâme sur elle-même, ou elle peut devenir très vigilante et surestimer la

discrimination. Elle peut aussi trouver des façons de minimiser sa différence afin de passer

inaperçu, ou ouvertement discuter de ce qui la rend « différente », ce qui aide la personne à

sembler bien ajustée aux yeux des autres, facilitant ainsi les interactions. Finalement, la

personne cible peut emprunter la stratégie de la compensation en s’efforçant de toujours

donner une bonne impression aux autres, en travaillant plus fort ou en étant plus sociable

par exemple.

Page 77: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

67

b) Les théories interrelationnelles

Les théories de la démographie relationnelle (relational demography theory) postulent que

les personnes comparent leurs caractéristiques démographiques à celles du groupe dans

lequel elles se retrouvent, et que si elles se considèrent comme étant différentes, elles

peuvent adopter des attitudes et des comportements négatifs, comme avoir de la difficulté à

coopérer en équipe, ou se retirer de l’organisation (Chatman et Flynn, 2001; Wagner,

Pfeffer et O’Reilly, 1984). Les théories de la démographie relationnelle qui nous intéressent

sont : le paradigme similarité-attirance, le modèle attirance-sélection-attrition, le

« tokenism » et la valeur dans la diversité. Le paradigme similarité-attirance repose sur le

principe de l’homophilie : les personnes qui se ressemblent veulent davantage interagir et

partagent une confiance et des sentiments positifs réciproques. Le modèle d’attirance-

sélection-attrition, quant à lui, est plus spécifique aux organisations. Il postule que des

personnes similaires seront attirées par une organisation qui perpétuera les caractéristiques

de ce groupe dans les processus de recrutement et de sélection. À l’inverse, les personnes

trop différentes auront tendance à quitter l’organisation, d’où la composante « attrition » du

modèle. Selon Riordan, Schaffer et Stewart (2005), les attributs qui rendent les personnes

similaires pourraient inclure les caractéristiques démographiques. De plus, cette logique

pourrait s’appliquer non seulement aux organisations, mais aussi aux groupes sociaux qui

s’y retrouvent. Ainsi, il existerait des processus de création et de maintien de « in-groups »

fondés sur la similarité des membres de ces groupes au sein des départements et des unités

administratives. La discrimination fondée sur les caractéristiques démographiques serait

donc une conséquence de processus informels de création d’amitiés et de réseaux sociaux à

l’intérieur de l’organisation qui tendent à exclure les personnes « différentes » (Riordan et

Shore, 1997; Ibarra, 1995).

Ensuite, l’hypothèse du « tokenism » postule que, lorsqu’un individu fait partie d’une petite

minorité (moins de 15% des membres du groupe), les autres membres du groupe tendent à

le voir comme étant un symbole d’une catégorie au lieu de considérer ses caractéristiques

individuelles (Kanter, 1977). Étant donné son statut d’« autre », et en raison des

phénomènes décrits plus haut, cette personne peut être soumise à des pressions de

performance injustes ou inégales, auxquelles elle peut réagir en surperformant ou en sous-

Page 78: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

68

performant afin de dissiper les craintes de compétition chez les autres membres du groupe

(Young et James, 2001). De plus, les membres du groupe peuvent exagérer les différences

de l’« autre » et le tenir à l’écart, suscitant des réactions de détachement et de ségrégation

de la part de la personne minoritaire tenue à l’écart.

Finalement, l’hypothèse de la valeur accordée à la diversité s’intéresse aux aspects

bénéfiques de la diversité dans un groupe. Notamment, la diversité des membres d’un

groupe lui procurerait l’accès à une diversité de réseaux et donc, à une plus grande variété

d’informations. La diversité amène aussi une diversité d’expériences et de connaissances,

pouvant alimenter une plus grande capacité d’innovation ou de résolution de problèmes

(Ely et Thomas, 2001).

c) Au niveau du groupe

Selon la théorie du marquage social, les groupes dominants ont historiquement mis l’accent

sur les différences entre eux et certains groupes afin de mieux pouvoir s’identifier et

s’accorder certains privilèges (Sampson, 1999). Ces privilèges permettent aux membres de

groupes majoritaires d’avoir accès à certaines opportunités, telles que la possibilité de

développer des réseaux avec des gens occupant une meilleure position sociale, ayant accès

à des ressources telles que des informations privilégiées et de développer des relations

pouvant les aider à réaliser leurs objectifs. Le mentorat est un exemple d’une telle relation;

des études démontrent que le mentorat informel est plus susceptible d’avoir lieu entre des

individus semblables que différents (Ibarra, 1995). Le mentorat informel permet d’accéder

à un réseau et aux ressources qui s’y retrouvent, tel que de l’information implicite

concernant les critères de reconnaissance dans une organisation. Ensuite, la thèse du

caractère distinctif des minorités (minority distinctiveness) postule que, lorsqu’un groupe se

diversifie, les membres se sentent de moins en moins identifiés ou intégrés au groupe. Ceci

est encore plus vrai s’agissant des personnes qui ne représentent que 15% ou moins du

groupe (Kanter, 1977). Dans ce contexte, les personnes minoritaires peuvent être

désavantagées si elles n’ont pas de soutien informel d’autres personnes « comme elles », ni

accès à des modèles, ni à des ressources via des réseaux bien établis et composés

d’individus plus influents en raison de la faible représentation de ce groupe au sein de

l’organisation (Ibarra, 1993a). Sur le plan des réseaux sociaux plus particulièrement, Ibarra

Page 79: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

69

(1995) soutient que les membres minoritaires ont moins d’opportunités de développer des

réseaux de relations homophiles, doivent développer des réseaux plus diversifiés, soit avec

des personnes du groupe dominant pour du soutien professionnel et avec des personnes de

groupes minoritaires pour le soutien moral, et voient leurs réseaux comme étant moins

bénéfiques que les majoritaires. La recherche sur les réseaux sociaux, citée dans une section

antérieure, soutient cette perception des personnes minoritaires, notamment, des personnes

immigrantes et des femmes (Arcand et coll., 2009; Burt, 1998).

d) Réseaux sociaux et aspects psychosociaux de la discrimination

Au niveau organisationnel, plusieurs éléments de la structure formelle d’une organisation

peuvent avoir un effet discriminatoire sur des membres d’un groupe. Par exemple, les

échelles salariales des emplois à prédominance féminine tendent à offrir des opportunités,

de la visibilité et des salaires moindres que les emplois à prédominance masculine (Perry et

coll., 1994). Mais il existe aussi des structures informelles qui peuvent perpétuer des

inégalités, telle la composition des réseaux sociaux dans une entreprise. En effet, les

femmes tendent à avoir des réseaux majoritairement formés de femmes, ce qui les

désavantage si les personnes dans des postes de pouvoir sont des hommes et que ceux-ci

offrent davantage des promotions à des personnes dans leurs réseaux, notamment, d’autres

hommes (Seidel, Polzer et Stewart, 2000). Étant donné que les réseaux sociaux peuvent

donner accès à de l’information, aux ressources physiques, au soutien social, au statut et à

l’influence, si certaines personnes sont exclues des réseaux sociaux internes d’une

organisation ou externe en raison de leurs caractéristiques démographiques, celles-ci se

retrouvent dans une situation qui les désavantage. Ainsi, lorsqu’une personne d’un groupe

majoritaire entretient des stéréotypes à l’égard d’une personne provenant d’un groupe

minoritaire et garde une certaine distance entre elle et l’« autre », elle l’exclut de son réseau

et donc, le tiens à l’écart des ressources potentiellement mobilisables à travers ce réseau.

Ainsi, certains groupes maintiennent leur position privilégiée et perpétuent des inégalités.

C’est ainsi que nous pouvons commencer à articuler le rôle des réseaux sociaux et la

discrimination systémique.

Si la littérature concernant les groupes majoritaires et leurs comportements potentiellement

discriminatoires est étoffée, il existe des lacunes sur le plan de la recherche concernant le

Page 80: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

70

point de vue des minorités. Plus précisément, peu d’études cherchent à comprendre

comment les personnes (potentiellement ou actuellement) discriminées interprètent les

situations vécues et comment elles y réagissent. Cet aspect de l’interaction entre les deux

groupes doit être exploré davantage afin de mieux comprendre les dynamiques

psychosociales en jeu et leurs résultats. De plus, la recherche sur la démographie

relationnelle, bien qu’elle ait souvent porté attention à la perspective de la minorité, s’est

rarement penchée sur des membres de groupes ayant plusieurs caractéristiques

démographiques « différentes » (Riordan, Schaffer et Stewart, 2005). C’est ainsi que notre

projet vise à explorer la perspective de femmes immigrantes sur leur intégration en emploi,

en portant une attention particulière à leur expérience vis-à-vis des dynamiques

potentiellement discriminatoires; et nous désirons porter une attention particulière au rôle

des réseaux sociaux.

2.2.1.3. La discrimination systémique

a) La discrimination systémique à l’égard des femmes

L’idée que les femmes sont victimes de discrimination systémique sur le marché du travail

n’est pas nouvelle. En effet, le Gouvernement du Québec la reconnait notamment à travers

la loi sur l’équité salariale (1996). Cette loi stipule que les personnes occupant un emploi à

prédominance féminine doivent recevoir un salaire égal pour un travail équivalent à un

emploi à prédominance masculine. Parmi les éléments constituant la discrimination

systémique, on retrouve la ségrégation professionnelle, les préjugés et les stéréotypes à

l’égard des emplois féminins ayant un effet direct sur l’évaluation des emplois, ainsi que les

pratiques de rémunération qui diffèrent souvent de façon substantielle entre les emplois

masculins et féminins au sein d’une même entreprise (Chicha, 2002). Selon Déom et

Mercier (2001 : 50), «la ségrégation professionnelle se caractérise par la concentration des

femmes dans un nombre limité d’emplois sur le marché du travail et par leur présence

majoritaire dans ces emplois». D’ailleurs, les auteurs estiment que ce phénomène explique

le tiers de l’écart salarial entre les hommes et les femmes. Pour ce qui est des préjugés et

des stéréotypes, le poids de l’histoire en dit long. La sphère domestique a longtemps été

considérée comme celle des femmes, où elles veillaient aux tâches reliées à l’entretien de la

demeure, aux soins des enfants et aux besoins de leur conjoint. Néanmoins, cette

Page 81: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

71

conception du rôle social de la femme domine encore la façon de penser d’une grande

majorité des cultures, et conditionne leur relation avec le marché du travail. Le monde

occidental a vu une mutation de cette mentalité quant à la sphère domestique à partir de

l’industrialisation, au cours de laquelle les femmes assumaient une double tâche en

occupant un emploi salarié en plus d’assumer le travail domestique. De plus, le travail

salarié qu’elles effectuaient était souvent vu comme étant une extension du travail

domestique : du travail en usine ou de bureau, où l’on considérait que les femmes

effectuaient des tâches relevant de leurs compétences naturalisées 11 , car elles les

effectuaient déjà à la maison : l’entretien et le ménage, la couture, les soins, etc. En effet,

selon Chicha (1997 : 13), les préjugés en ce qui a trait au travail des femmes font en sorte

qu’on considère que :

« (L)’aptitude aux relations interpersonnelles, la patience, l’attention aux

personnes souffrantes ou dépendantes, ne seraient pas acquises au terme

d’un effort d’apprentissage ou d’une expérience, mais correspondraient tout

naturellement à des qualités féminines innées. Leur acquisition n’étant pas le

fruit d’un effort ou d’une formation, elles ne mériteraient pas d’être

spécifiquement rémunérées sur le marché du travail».

Cette définition naturalisée du travail des femmes influence encore les institutions et le

marché de l’emploi, contribuant ainsi à la discrimination systémique. Par conséquent,

plusieurs emplois à prédominance féminine sont encore sous-évalués et sous-rémunérés

(Déom, 2007), et s’inscrivent dans des filières promotionnelles courtes.

b) La discrimination systémique à l’égard des femmes immigrantes

Dans le cas des femmes immigrantes, vient s’ajouter bien entendu le statut d’immigrante,

qui entraine tout un autre éventail de difficultés et d’inégalités, voire même une potentielle

double discrimination. Comme il a déjà été souligné, l’inégalité des revenus chez les

11 Une compétence est naturalisée lorsqu’elle repose sur une compréhension dichotomique des sexes basée sur

des caractéristiques biologiques; c'est-à-dire, que l’on attribue des composantes sociales à une personne selon

son sexe. À titre d’exemple, le soin des enfants serait une compétence naturelle des femmes puisqu’elles leur

donnent naissance.

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72

personnes immigrantes est bien documentée et les facteurs explicatifs incluent la non-

reconnaissance des diplômes, la fermeture des ordres professionnels et la réticence des

employeurs à embaucher ces personnes. Pour une femme immigrante, ses compétences

peuvent se retrouver sous-évaluées non seulement parce qu’elles ont été acquises à

l’étranger, mais aussi parce qu’elles occupent des emplois typiquement féminins, reconnus

comme étant sous-évalués.

2.2.1.4. L’intersectionnalité

Alors que la discrimination systémique reconnait qu’il existe un système qui crée et qui

perpétue les inégalités envers un groupe, l’intersectionnalité s’intéresse aux systèmes qui

interagissent et qui créent des formes particulières de discrimination. Nous considérons

donc l’intersectionnalité comme étant une approche complémentaire à la discrimination

systémique, et particulièrement pertinente pour comprendre les expériences de la

population à l’étude.

L’intersectionnalité est une notion élaborée par Kimberlé Crenshaw (1991) pour

comprendre comment différentes formes d’oppression ou de discrimination interagissent

pour créer et reproduire les inégalités sociales. Cette approche est fondée sur l’idée que les

catégories sociales comme le genre, la race, la classe, etc., sont des constructions sociales,

historiques et de la langue, qui créent et qui perpétuent des rapports de pouvoir et les

inégalités entre les groupes. Cette approche a vu le jour notamment comme critique au

féminisme de l’époque, considéré « Blanc » et « bourgeois ». Elle postule que les femmes

ne sont pas un groupe homogène, que certaines d’entre elles vivent de multiples formes de

discrimination et que leur situation ne peut être comprise en étudiant chaque forme

indépendamment les unes des autres. Une femme racisée et défavorisée

socioéconomiquement, par exemple, n’entretiendra pas les mêmes rapports au travail

qu’une femme Blanche provenant d’un milieu aisé ou qu’une femme racisée dans un milieu

favorisé. La première sera dans une situation plus vulnérable, et plus susceptible de vivre

des situations de violence.

L’approche intersectionnelle permet donc de mieux cerner les situations particulières des

groupes marginalisés en raison de leur appartenance à plusieurs catégories sociales. C’est

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73

pour cette raison qu’elle est pertinente dans le cadre d’une étude comme la nôtre, qui

s’intéresse à des femmes immigrantes, racisées, et, pour plusieurs, vivant un déclassement

professionnel et donc social. Elle permet donc d’appréhender comment différentes formes

de discriminations – envers les femmes, envers les personnes immigrantes, envers les

minorités visibles et envers les personnes disposant de peu de ressources – s’entrecroisent

et façonnent les opportunités, les contraintes et les expériences du groupe qui fait l’objet de

cette thèse.

Dans la section suivante, nous abordons plus spécifiquement l’articulation entre la

discrimination, la structure des opportunités d’emploi et des contraintes de même que leurs

conséquences sur l’expérience des personnes immigrantes.

2.2.1.5. Segmentation du marché du travail, discrimination et perception de la

structure des opportunités

Traditionnellement en Amérique du Nord, les personnes immigrantes occupaient des

emplois situés dans le secteur secondaire du marché du travail dual, c’est-à-dire, des

emplois précaires et peu qualifiés, soutenant un marché primaire stable et offrant de bonnes

conditions d’emploi (Doeringer et Piore, 1971). Malgré que certaines personnes

immigrantes étaient qualifiées et pratiquaient des métiers, plusieurs étaient une main-

d’œuvre peu ou pas qualifiée, occupant des emplois précaires et mal rémunérés (Doeringer

et Piore, 1971). Selon Doeringer et Piore (1971), ces emplois existaient afin de soutenir les

bons emplois du secteur primaire ainsi que les habitudes de consommation des personnes

qui les occupent, c'est-à-dire les personnes natives, majoritairement des hommes. Selon

Doeringer et Piore (1971), les personnes immigrantes accepteraient ces emplois, car elles n'

accordent pas d’importance au statut de l’emploi, ne prévoyant pas nécessairement rester

dans le pays d’accueil, mais plutôt, prévoyant retourner dans leurs pays d’origine pour

entreprendre des projets commerciaux ou d’agriculture. Pour ceux qui restent, le « rêve » de

la mobilité ascendante est plutôt transmis aux enfants, qui sont socialisés dans le pays

Page 84: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

74

d’accueil et qui ont plus de chances de réussir dans le système scolaire et d’accéder aux

emplois dans le marché primaire12.

Au Québec, depuis les années 1990, ce sont majoritairement des travailleurs qualifiés

désirant accéder au marché primaire qui immigrent dans le but d’enrichir leur parcours

professionnel dans un contexte politiquement et économiquement stable. Comme dans

plusieurs économies développées, l’État fait un choix délibéré de privilégier l’immigration

économique de travailleurs et de travailleuses qualifié-es parce que leur capital humain leur

assure en quelque sorte une forte probabilité d’occuper un emploi de qualité, d’avoir une

bonne mobilité sur le marché du travail et de contribuer de façon significative à l’économie

nationale (Syed, 2008). La réalité, par contre, n’est pas toujours aussi simple ni aussi

positive. En effet, la discrimination, ou la perception de celle-ci peut jouer un rôle dans la

confiance qu’ont les personnes de leur potentielle intégration socioprofessionnelle. Il

importe de noter que la perception de la discrimination n’équivaut pas à son existence, et

qu’inversement, son existence n’est pas toujours perçue. Cependant, le fait que la

discrimination soit ressentie par certaines personnes fait d’elle un sujet d’enquête pertinent

en raison de sa fréquence et de ses conséquences. Selon l’Enquête sur la diversité ethnique

(Statistique Canada, 2003), 26 % des Arabes se sentent victimes de discrimination ou de

traitement injuste, contre 50 % des noirs, 35 % des Asiatiques du sud-est et 29 % des

Latinos américains. La discrimination, réelle ou ressentie, et les échecs répétés peuvent

mener à un manque de confiance en soi, au découragement et au sentiment de rejet (Drudi,

2006 : 13). De plus, ces situations peuvent affaiblir les structures familiales, stigmatiser les

enfants comme étant des étrangers et marginaliser les réseaux de support qui serviraient

autrement à faciliter l’intégration en emploi et en société (Drudi, 2006).

Selon Evans et Herr (1991), la perception qu’ont les individus de leurs opportunités

d’emploi a une influence sur leurs aspirations de carrière. Par exemple, ils démontrent que

12 Nous utilisons le terme « marché primaire » au sens de la théorie du marché dual ou l’économie est

composée d’un marché primaire – un noyau d’emplois stables, bien rémunérés - et d’un marché secondaire,

où les emplois sont plus précaires.

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75

les femmes afro-américaines tendent à éviter les choix de carrière où elles perçoivent ou

anticipent le racisme ou le sexisme. Elles optent plutôt pour des emplois dans le domaine

des services offerts à leur propre communauté. De plus, les femmes en général qui

choisissent des domaines traditionnellement masculins ont tendance à démontrer un locus

de contrôle interne, tandis que les femmes qui choisissent des carrières plus

traditionnellement féminines ont un locus de contrôle externe (Burlin, 1976). Nous pensons

par exemple aux femmes immigrantes hautement qualifiées qui se recyclent dans des

domaines moins qualifiés ou dans des domaines traditionnellement féminins, soit

temporairement pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille, soit de façon

permanente suite à une déqualification (Action travail des femmes, 2009; Chicha, 2009).

Nous nous inspirons des propos de Evans et Herr (1991) afin de voir si les femmes

immigrantes qualifiées originaires du Maghreb adoptent une stratégie où elles évitent les

emplois où elles perçoivent un degré élevé de sexisme ou de racisme. À titre de

comparaison, des études sur les communautés immigrantes suggèrent que les personnes

immigrantes peu qualifiées adopteraient ce genre de stratégie et qu’elles trouvaient une

activité économique dans leur communauté, soit en tant qu’entrepreneures ou simplement

en tant qu’employées d’une autre personne immigrante. Il sera intéressant cependant de

voir si c’est le cas pour des personnes hautement qualifiées, particulièrement dans la ville

de Québec où le phénomène d’enclave pourrait être plus rare.

Par ailleurs, certaines études montrent que les orientations psychologiques des personnes

envers leur carrière peuvent être affectées par leur statut socio-économique (Riverin-

Simard, 1992). Ce résultat de recherche peut être pertinent dans la mesure où nous nous

intéressons à un groupe de personnes ayant un statut socio-économique relativement élevé

dans leur société d’origine. Cette catégorie de personnes a tendance à croire que ses

capacités personnelles et que les structures de la société, notamment celles du marché du

travail, sont propices à ce qu’elle puisse poursuivre ses objectifs et ses attentes, étant en

quelque sorte maitre de son propre destin. À l’inverse, les personnes issues des classes

moyennes et défavorisées croient plutôt que l’individu a un pouvoir restreint, doit se

conformer à l’autorité, et doit s’adapter aux opportunités qui lui sont offertes sur le marché

du travail (Kohn, cité dans Riverin-Simard, 1992).

Page 86: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

76

En guise de conclusion, si des personnes immigrantes sont sélectionnées afin de répondre

aux besoins d’une économie de plus en plus fondée sur le savoir, il n’est pas clair que leur

capital humain suffit à leur assurer une intégration socioprofessionnelle réussie. En effet, le

capital social joue aussi un rôle: si le capital social peut améliorer le sort économique des

individus au sein d’une société, le manque de réseaux sociaux comprenant de liens faibles

avec des membres de la société d’accueil peut aussi représenter un obstacle important pour

les personnes immigrantes. De plus, un capital social fort résultant de liens forts au sein

d’un groupe minoritaire peut aussi avoir des effets négatifs sur le potentiel socio-

économique des personnes immigrantes si ces dernières se retrouvent dans des emplois

déqualifiés au sein d’enclaves ethniques. Finalement, la question de la discrimination peut

être évoquée lorsque l’on considère, par exemple, comment le recrutement via les réseaux

sociaux peut reproduire la sous-représentation des minorités au sein d’une entreprise en

favorisant l’embauche de personnes natives si les entreprises et leurs employés

n’entretiennent pas de liens avec des personnes immigrantes. Dans la section qui suit, nous

présentons la méthodologie retenue afin d’explorer l’articulation entre le capital humain, le

capital social, la discrimination et l’intégration socioprofessionnelle telle que vécue par les

femmes immigrantes qualifiées d’origine maghrébine à Québec. Rappelons que l’un des

objectifs de la thèse est d’étudier la perspective de cette population dans l’espoir

d’alimenter et d’améliorer les théories le capital social et les réseaux sociaux la

discrimination et l’articulation entre ces trois concepts.

2.3 Intégration des éléments du cadre conceptuel

Dans les pages qui suivent, les différents éléments théoriques discutés seront intégrés en un

cadre conceptuel, afin de tracer les liens entre eux et la problématique à l’étude. Pour ce

faire, le structuralisme et l’interactionnisme seront alliés afin d’obtenir un portrait plus

complet (aux niveaux macro, méso et micro) du rôle des réseaux sociaux et de la

discrimination dans les trajectoires migratoires et professionnelles. Tout au long de ce

processus, différentes hypothèses de recherche découlant de ce cadre seront indiquées.

Dans la conclusion générale, ces hypothèses seront présentées de nouveau, suivi de la

confrontation entre celles-ci et les résultats de la présente recherche.

Page 87: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

77

La question de recherche porte sur le rôle des réseaux sociaux dans l’intégration

socioprofessionnelle des femmes immigrantes originaires du Maghreb établies à Québec.

Ainsi, notre point de départ est la théorie des réseaux sociaux, qui s’inscrit dans le courant

de la nouvelle sociologie économique telle que conçue par les sociologues américains

depuis les années 1980. La nouvelle sociologie économique est une théorie plutôt

structuraliste, mettant d’abord l’accent sur l’influence des structures sociales sur le

comportement économique. Ceci est particulièrement saillant dans le traitement des

questions relatives aux réseaux sociaux. À titre d’exemple, elle explore comment la

composition du réseau d’une personne influence sa capacité à accéder à certaines

ressources – et le type de ressources en question ; ou encore, comment la position de la

personne dans la société – comprenant des réseaux – lui permet de côtoyer certaines

personnes et donc avoir accès à certaines ressources. Cependant, certains auteurs, tels que

Granovetter (1985), McPherson et coll. (2012) et Portes et Sensenbrenner (1998)

s’intéressent à la dynamique dans ces réseaux, laissant place à une compréhension plus

interactionniste du phénomène. Par exemple, certaines études, dont celles de Granovetter

(1985) et McPherson et coll. (2012) s’intéressent à la force des liens, qui elle dépend

notamment de l’homophilie et de la nature des interactions (ex. fréquence et intensité).

D’autres s’intéressent aux dynamiques présentes dans un groupe comme une communauté

ethnoculturelle, tels que la confiance, la réciprocité et la solidarité (Portes et Sensenbrenner,

1998).

Dans le cadre de cette thèse, nous nous intéressons au second aspect et proposons d’aller

plus loin en explorant davantage la nature des interactions facilitant (ou non) la création et

la mobilisation des réseaux sociaux. Ceci requiert des outils conceptuels et

méthodologiques adaptés à l’analyse micro, tels que ceux développés par la discipline de la

psychologie, notamment la psychologie sociale. Cette dernière établit le pont entre les

connaissances sur les individus (notamment leurs processus affectifs, cognitifs et

comportementaux) et les processus sociaux qui les influencent, et inversement, qui peuvent

être influencés par eux. Ainsi, le paradigme interactionniste permet un niveau d’analyse

plus micro, et de compléter le portrait plus macro rendu possible par une approche

structuraliste comme celle de la nouvelle sociologie économique.

Page 88: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

78

2.3.1. L’accent sur les réseaux sociaux et l’incorporation des institutions,

du pouvoir et de la cognition

Rappelons que la nouvelle sociologie économique s’intéresse aux institutions, aux réseaux,

au pouvoir et à la cognition (Dobbin, 2004). Les institutions sont comprises comme étant

d’ordre macro et méso. Les réseaux, quant à eux, sont analysés au niveau méso. Puis, la

cognition, est d’ordre micro. Le pouvoir, quant à lui, opère à tous ces niveaux. Afin de

comprendre le rôle des réseaux sociaux sur l’intégration socioprofessionnelle, ces concepts

doivent être compris en lien les uns avec les autres. Étant donné l’accent porté sur les

réseaux sociaux dans cette thèse, ils seront le fil conducteur de la sous-section qui suit.

Cette section tente également d’établir des liens entre ces concepts et les concepts reliés à la

discrimination.

Les institutions des pays d’origine influencent les parcours scolaires et professionnels

prémigratoires ainsi que les motivations pour immigrer et les attentes face à l’immigration.

Elles les influencent formellement (ex. les politiques d’éducation et du marché du travail) et

informellement. C’est dans l’informel que s’observe le lien entre les institutions et les

réseaux sociaux : le rôle des réseaux dans la transmission et dans la possible intégration des

normes de performance et des valeurs associées à l’ascension sociale ou au prestige de

certaines professions, notamment). Ces normes et valeurs constituent une base, un

ensemble de croyances et de schéma mentaux qui sont utilisés pour comprendre le réel et

pour agir sur lui, dans le pays d’origine puis dans le pays d’adoption. Ces croyances

peuvent être adaptées au nouveau contexte, ou en dissonance. Dans le cas qui nous

intéresse, ces croyances influenceront les motivations et les stratégies scolaires, migratoires

et professionnelles des femmes, dans le pays d’origine et au Québec.

Les institutions du pays d’accueil (politique d’immigration et d’intégration, évaluations

des diplômes étrangers, marché du travail, valeurs des Québécois, etc.) ont un effet sur les

expériences, la reformulation des attentes et les stratégies déployées une fois au Québec

dans la poursuite de l’intégration socioprofessionnelle. Elles influencent également les

relations entre les personnes immigrantes et les personnes nées au Québec, et donc, la

création (ou non) de liens entre elles et la nature de ces liens.

Page 89: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

79

Dans le pays d’origine, certaines institutions (la famille, l’école, l’importance de

l’administration publique, la religion, l’entreprise) façonnent le parcours scolaire et

académique des femmes. Elles le font de façon formelle et informelle (ex. normes et

valeurs qui circulent dans les réseaux).

- Ces institutions sont le résultat de, créent et perpétuent différents rapports

sociaux, dont les rapports sociaux de sexe (en plus des rapports

économiques et de domination, eux-mêmes teintés de rapports sociaux de

sexe); par exemple, en perpétuant la ségrégation professionnelle elle-même

influencée par les normes concernant ce qui est approprié ou non pour des

femmes et des hommes en termes de choix scolaires et professionnels.

Dans le pays d’accueil, les institutions de l’État et de la société civile (ex. politique

d’immigration et d’intégration, ordres professionnels, évaluation des diplômes,

relations ethniques et leur influence sur les attitudes des personnes nées au Québec)

influencent les attentes et le processus d’intégration socioprofessionnelle des

immigrantes.

- Le rapport des membres du pays d’accueil aux immigrants en général, ou

aux immigrants de certaines origines ethniques/religieuses en particulier est

influencé par le contexte sociopolitique et les processus de catégorisation

sociale. Ce rapport peut être influencé par des débats entourant des

institutions formelles comme les politiques publiques d’intégration. Des

rapports difficiles peuvent créer et perpétuer l’exclusion, la marginalisation

et donc la discrimination.

Ensuite, la cognition joue un rôle tant chez les personnes immigrantes que chez les

personnes nées au Québec qu’elles côtoient (ou non). En effet, chez les immigrantes, elle

est impliquée dans la formulation des attentes, des stratégies et des interprétations des

résultats. Elle est aussi impliquée dans la définition de ce qu’est un emploi correspondant à

leurs attentes. Puis elle est impliquée dans leur interprétation des expériences de contact

avec les personnes nées au Québec. Du côté des personnes nées au Québec, la cognition

joue un rôle dans les choix des employeurs d’embaucher ou non des personnes

immigrantes, dans la façon que les intervenants et les intervenants essaient d’aider les

personnes immigrantes dans leur processus d’insertion professionnelle, et dans la création

Page 90: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

80

et la reproduction des stéréotypes qui peuvent influencer négativement ou positivement les

attitudes des personnes québécoises dans la société en général.

Des processus cognitifs vont influencer le type d’information recherchée et le choix

des contacts mobilisés dans la recherche d’information. De plus, comment les

femmes interprètent les informations reçues, aura une influence sur leurs attentes,

stratégies et intégration socioprofessionnelle.

Si l’intégration socioprofessionnelle « réussie » implique l’obtention d’un emploi

correspondant aux attentes, il importe de comprendre comment les immigrantes

définissent pour elles-mêmes ce qui correspond à cet emploi. Les expériences

vécues dans la trajectoire post-migratoire influencent le sens qu’elles y donnent.

- L’exclusion des emplois correspondant à leur domaine de formation initial

pour toutes sortes de raisons, dont la discrimination (ex. certains emplois

règlementés qui nécessiterait des ressources (temps et argent) trop grandes

pour être accessibles à certaines femmes immigrantes; discrimination

directe en raison du port du voile; etc.), fait en sorte que les femmes optent

pour une réorientation professionnelle dans un autre domaine – donc

l’emploi « correspondant aux attentes » est redéfini en fonction de cette

réorientation. Pour d’autres, après plusieurs mois ou années de tentatives

d’insertion professionnelle infructueuses (toujours en raison de plusieurs

facteurs, dont la discrimination), les immigrantes peuvent redéfinir leurs

attentes, mais aussi, prioriser d’autres aspects de leur vie (famille, emploi

vocationnel, etc.)

La confrontation des schèmes culturels (réelle ou imaginée) – qui sont traduits par

des schèmes cognitifs chez les individus – peut influencer la façon que les membres

des deux groupes entrent en relation, et donc la nature du lien et son « utilité ».

- Les stéréotypes sont construits socialement et sont le résultat de la

catégorisation sociale, mais ils sont également le fruit des schèmes cognitifs

qui sont des processus psychologiques inhérents au fonctionnement de

l’humain. Cependant, le contenu des schèmes cognitifs est influencé par des

processus sociaux. Les stéréotypes et les schèmes culturels peuvent amener

Page 91: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

81

des individus à poser des actes discriminatoires ou menant à l’exclusion des

membres d’un autre groupe sans que cela soit « conscient ».

Finalement, bien qu’une certaine forme de pouvoir soit formelle (pouvoir de choisir

l’immigration « désirable », pouvoir des ordres professionnels sur la reconnaissance ou non

de certains diplômes étrangers, pouvoir des employeurs de choisir quels travailleurs

embaucher, etc.) plusieurs formes de pouvoir informel existent, dont celui conféré par le

capital social et les réseaux sociaux. Rappelons que pour Dobbin (2004), le pouvoir est ce

qui permet d’influencer la manière dont les individus perçoivent le monde et leurs intérêts,

et permet donc de modeler l’évolution des coutumes et des institutions, et donc les

structures d’opportunités des uns et des autres. Selon la proposition de la force de la

position de Lin (2001), une « bonne » position sociale confère du pouvoir, car elle donne

accès à des ressources et à l’influence, dont l’influence sur les opportunités des autres. À

titre d’exemple, elle donne accès à des informations pertinentes concernant l’existence des

emplois intéressants et comment les obtenir. Elle peut aussi donner le pouvoir d’influencer

le processus de recrutement d’un employeur en donnant une référence menant à l’embauche

d’une personne. De plus, selon la force des liens (Granovetter, 1985), avoir plusieurs liens

faibles est aussi potentiellement porteur de pouvoir, car cela peut donner accès à une plus

grande diversité de ressources, du moins pour certaines personnes, si elles arrivent à

constituer des liens faibles qui ne sont pas trop faibles.

La position sociale des contacts avec qui les immigrantes ont des liens influencera

l’information et les opportunités auxquelles elles auront accès.

- Si les femmes immigrantes sont victimes de stéréotypes et d’attitudes

négatives à leur égard, il sera difficile pour elles de créer des liens avec des

personnes de la société d’accueil en général, incluant avec des personnes

dans des « bonnes » positions sociales.

- Si les femmes immigrantes sont limitées dans le temps et les ressources

nécessaires pour créer des liens en raison de leurs responsabilités familiales

et domestiques, il sera difficile pour elles de créer des liens en général,

incluant avec des personnes dans des « bonnes » positions sociales.

Page 92: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

82

- S’il est impossible de créer des liens avec des personnes ayant des

« bonnes » positions sociales, ces femmes n’auront pas accès à certaines

ressources pouvant les aider à s’insérer professionnellement.

La force des liens avec les contacts dans ses réseaux aura une influence sur

l’information et les opportunités auxquelles les immigrantes auront accès.

- Les liens forts avec des membres de la communauté ethnoculturelle seront

utiles pour le soutien moral et financier ainsi que pour l’aide à la garde et

au soin des enfants. Mais trop d’investissement dans cette communauté peut

se traduire par le phénomène d’enclave ethnique, qui n’est pas utile dans la

création de liens avec la communauté d’accueil.

- Les liens forts avec des membres de la communauté ethnoculturelle ne

seront pas utiles dans l’obtention d’un emploi qualifié.

- Les liens faibles avec des membres de la société d’accueil faciliteront

l’accès à des ressources facilitant l’obtention d’un emploi correspondant

aux attentes. Mais pour créer ces liens, un certain niveau de confiance est

nécessaire – ce qui peut être difficile lorsque les immigrantes sont associées

à un groupe qui fait l’objet de stéréotypes négatifs.

Généralement, la théorie des réseaux sociaux est conceptualisée au niveau méso. En effet,

on regarde typiquement une partie d’une population (un groupe, une personne et ses

réseaux, etc.) Du point de vue structuraliste, l’approche des réseaux sociaux étudie

comment la structure du réseau d’une personne ou d’un groupe peut influencer ses

opportunités. Toujours au niveau méso et du point de vue du paradigme structuraliste, le

capital social se définit comme l’accès aux ressources en fonction de l’appartenance à un

groupe.

Afin de comprendre les dynamiques de création et d’accès au capital social, il importe de

comprendre comment il se développe à l’aide d’interactions, et/ou influence la nature des

interactions. C’est-à-dire : les réseaux sociaux sont généralement composés de liens forts et

liens faibles. Les liens forts sont généralement avec des personnes semblables en raison

notamment de l’homophilie. L’homophilie ne peut pas être comprise sans tenir compte des

processus affectifs et cognitifs : les individus tendent à être plus confortables, à préférer la

Page 93: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

83

compagnie de ceux qui sont comme eux. L’économique et la sociologie reconnaissent ce

principe; mais la psychologie explore les mécanismes au niveau des individus, pour

comprendre les processus cognitifs et affectifs au cœur de l’homophilie. La psychologie

sociale permet également d’étudier le niveau méso et de tenir compte de l’influence du

social dans ce processus. La psychologie reconnait qu’il y a une variabilité individuelle ie.

que différentes personnes, en fonction de leur position sociale certes, mais aussi de leurs

expériences, etc. peuvent vivre des évènements de façons différentes, rechercher

l’homophilie plus ou moins, etc. C’est ici que nous reconnaissons l’agentivité des individus

malgré leur socialisation et leur position sociale.

Plusieurs auteurs se sont intéressés aux déterminants et aux résultats du capital social dans

les communautés ethnoculturelles. Une supposition qui sous-tend ces déterminants est la

force des liens entre les personnes de la communauté, en raison de l’homophilie et des

expériences communes, notamment. Ainsi, la nature des liens avec la communauté

ethnoculturelle sera étudiée dans cette thèse.

Les liens avec la communauté ethnoculturelle seront des liens forts en raison de

l’homophilie.

Les liens avec la communauté ethnoculturelle donneront accès à certaines

ressources (soutien dans le soin des enfants, soutien financier).

Les liens avec la communauté ethnoculturelle donneront peu accès au milieu du

travail, car ces personnes ont-elles aussi du mal à s’insérer professionnellement – et

rares sont celles qui ont des emplois à la hauteur de leur capital humain

2.3.2 La discrimination comprise et analysée à différents niveaux

Tout comme la nouvelle sociologie économique, il existe des outils pour comprendre la

discrimination aux niveaux macro, méso et micro. Les théories de la discrimination

comportent aussi des éléments structurels et interactionnistes qui doivent être pris en

compte afin de comprendre comment le rôle des réseaux sociaux dans la production et la

reproduction des inégalités, de l’exclusion et de la marginalisation. Cette section tente

également d’établir des liens entre ces concepts et les concepts reliés au capital social et

aux réseaux sociaux.

Page 94: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

84

2.3.2.1 La discrimination au niveau macro

Au niveau macro, d’un point de vue structuraliste, nous débutons avec l’intersectionnalité,

qui part du principe qu’il existe des systèmes d’oppression multiples qui influencent les

opportunités (etc.) des personnes selon l’intersection à laquelle elles se situent (ex. femme

pauvre, femme noire, femme lesbienne avec handicap, etc.). Ces oppressions ne font pas

que s’additionner; elles sont imbriquées les unes dans les autres et créent une situation

particulière pour ces personnes. L’intersectionnalité s’articule aussi à des niveaux méso et

micro; ainsi la nécessité de considérer une approche interactionniste devient claire; nous y

reviendrons.

Toujours au niveau macro, mais demandant un cadre conceptuel permettant l’analyse des

structures et des interactions, nous situons la discrimination systémique, qui implique

(notamment) que les structures sociales sont construites historiquement, et qu’elles sont

produites et reproduites par les interactions entre les personnes et entre les groupes,

engendrant l’exclusion ou le traitement différencié moins favorable de certains. Tout

comme l’intersectionnalité, la discrimination systémique s’opère également aux niveaux

méso et micro.

La discrimination systémique et l’intersectionnalité sont des concepts interreliés. En effet,

les deux s’intéressent à un système ou une structure (ou de systèmes/structures) qui créent

et qui perpétuent des inégalités, par le biais de ce que nous appelons la discrimination.

L’intersectionnalité nomme les systèmes d’oppression, puis met l’accent sur l’expérience

des individus à l’intersection de deux ou plusieurs systèmes, alors nous y reviendrons

lorsque sera abordé de cet aspect micro.

2.3.2.2. La discrimination aux niveaux micro et méso et le rôle des réseaux sociaux

La discrimination est comprise au niveau micro comme le résultat d’actions différenciées –

intentionnellement ou non - des personnes (ou d’une personne) en raison des stéréotypes

(biais cognitifs) et des préjugés (biais attitudinaux) qu’elles ont envers une autre personne

ou un membre d’un groupe, et qui ont des effets défavorables sur ce groupe. Cette

Page 95: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

85

conception a été élaborée dans la section sur les théories de la discrimination au niveau de

l’individu.

- Les stéréotypes sont le fruit de la catégorisation sociale. Le contenu des

stéréotypes est généralement construit socialement et transmis dans les

réseaux. Il en est de même pour les attitudes des individus – elles sont

généralement influencées par les attitudes des autres dans son réseau.

Au niveau méso, la discrimination prend la forme, par exemple, de pratiques

organisationnelles ou d’actions prises par une personne en tant que membre d’une

organisation (ex. employeur) ou d’une institution (ex. élaboration et mise en place de

politiques publiques) qui ont des effets défavorables sur un groupe. Ces pratiques peuvent

être différenciées selon les groupes, ou les mêmes pour tous, mais ayant un effet

préjudiciable envers un ou des groupe(s). Ce niveau a été exploré lorsque nous avons

discuté des théories de la discrimination au niveau du groupe et des organisations.

- Prenons l’exemple de la dotation. Plusieurs emplois ne font pas l’objet

d’affichage, car il peut être plus rapide et efficace de recruter en employant

le bouche-à-oreille. Ce faisant, il est plus probable que les personnes

recrutées soient semblables aux personnes déjà en place dans

l’organisation. Les personnes différentes sont alors peu susceptibles

d’entendre parler du poste à pourvoir, et de postuler. Si l’ouverture de poste

est affichée, il s’agit d’une information qui circule par des canaux formels

(sites de recrutement, journaux, etc.) et informels. Le choix des canaux

formels influencera l’accessibilité de l’information. La circulation

informelle se fait par réseaux sociaux et ici encore, certaines personnes

seront privilégiées et d’autres, exclues.

- Un autre exemple : le mentorat. Le lien entre le mentorat et les réseaux

sociaux est bien documenté (Ibarra, 1995). Un mentor peut notamment

aider une personne à créer des liens avec d’autres personnes susceptibles

d’influencer positivement son parcours professionnel. Il peut aussi aider une

personne à décoder les règles informelles dans l’organisation pour

éventuellement accéder à des postes convoités. Mais avant même d’être un

mentor, une personne doit accepter de jouer ce rôle pour quelqu’un, et cela

Page 96: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

86

demande notamment que le mentor potentiel ait confiance en les capacités

de la personne qui fait l’objet du mentorat. Plusieurs facteurs influencent

cette relation, incluant le genre, l’homophilie, les préférences individuelles,

etc. Une personne immigrante, en particulier une femme, pourrait être

désavantagée dans de telles circonstances (préjugés négatifs envers les

femmes, manque d’homophilie, etc.) amenant à une discrimination

indirecte.

L’approche interactionniste permet d’étudier la discrimination aux niveaux micro et méso

en s’intéressant aux théories individuelles qui portent sur, notamment, les processus

affectifs et cognitifs expliquant les attitudes et les comportements des individus impliqués

dans la création et la perpétuation de la discrimination. Ceci inclut les processus de

catégorisation influencés à la fois par les processus cognitifs individuels et par les

catégories sociales créés et perpétués par des rapports sociaux dans lesquels les personnes

sont imbriquées. Cette catégorisation est à la base de la formation de in-groups et de out-

groups, processus intimement lié à la création et au maintien de liens et affectant donc la

composition du réseau et les ressources auxquelles un individu a accès.

Les processus affectifs et cognitifs (et donc les attitudes) des personnes québécoises

envers les personnes immigrantes aura une influence sur leur volonté de les inclure

dans le in-group / leur réseau / leur donner accès à des ressources (ex. informations

sur le marché du travail, opportunités, etc.).

2.3.2.3. L’intersectionnalité au niveau micro : l’expérience à l’intersection

L’intersectionnalité s’intéresse aux systèmes d’oppression comme structure sociale, mais

elle s’intéresse aussi à l’expérience particulière des groupes vivant aux intersections de ces

systèmes. Dans le cas de cette thèse, il s’agit d’un groupe dont la situation doit être

comprise en tenant compte : du genre, de la racisation (incluant la religion) et du statut

d’immigrant. Nous y incluons aussi la classe : il s’agit généralement de personnes ayant

connu une mobilité ascendante dans le pays d’origine en raison notamment de la scolarité,

mais elles se retrouvent dans une situation financière précaire au Québec, situation qui

s’avère parfois à être durable. Ici, l’approche interactionniste fournit les outils pour

Page 97: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

87

comprendre comment les expériences particulières de ces femmes influencent leur identité,

leurs aspirations, les obstacles vécus et les stratégies élaborées en fonction de ceux-ci. Elle

permet également de comprendre ces processus en relation avec les interactions sociales

qu’elles vivent, incluant les relations avec les autres membres du groupe minoritaire (ex.

communauté ethnoculturelle), des autres groupes minoritaires (ex. autres immigrants) et du

groupe majoritaire (ex. membres de la société d’accueil, incluant les intervenants

communautaires et gouvernementaux).

En tant que femme, immigrante, hautement scolarisée (mais connaissant une

précarité), maghrébine (ce qui implique la racisation et l’association à une religion

sujette à certains stéréotypes au Québec), ce groupe est dans une situation

spécifique et est particulièrement vulnérable à la discrimination.

- Cette discrimination peut influencer la capacité de créer des réseaux, le type

de réseaux créés et la capacité de mobiliser des réseaux. De plus,

l’exclusion de certains réseaux est un facteur expliquant la discrimination

systémique envers ce groupe.

2.3.3. Modélisation du cadre conceptuel intégré

Le tableau suivant présente l’intégration des approches et des concepts mobilisés ci-haut

afin de modéliser la problématique à l’étude. Dans un premier temps, sous chacune des

deux grandes approches mobilisées, le structuralisme et l’interactionnisme, sont déclinées

au niveau macro, méso et micro les théories qui en découlent. En déclinant chaque théorie

ou groupe de théories est déclinée par niveaux d’analyse, on peut voir que l’approche

structuraliste est plus utile pour l’analyse macro et méso, alors que l’approche

interactionniste est mieux conçue pour les niveaux micro et méso.

Certaines théories et certains concepts sont clairement issus d’une approche ou de l’autre.

Cependant, d’autres concepts peuvent être mobilisés et compris en utilisant l’une ou l’autre

des approches ; ils sont donc présentés dans une troisième colonne, entre les deux

approches.

Page 98: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

88

Ensuite, le tableau indique que les dynamiques et les processus aux trois niveaux ont une

influence sur les attentes, les obstacles vécus, l’histoire commune ou non entre les

personnes immigrantes, les vecteurs de réussite et les stratégies empruntées. Ces derniers

ont ensuite une influence sur les trajectoires et l’intégration (ou la non-intégration)

socioprofessionnelles. Finalement, le modèle reconnait qu’il existe des caractéristiques

personnelles qui peuvent influencer ce processus, tel que le capital humain, la personnalité,

les motivations pour immigrer et les schèmes cognitifs ou culturels.

Page 99: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

89

Figure 1 : Cadre conceptuel intégré

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90

Chapitre III : Méthodologie de la recherche

Rappelons notre objectif qui est, dans un premier temps, d’explorer la perspective des

femmes immigrantes qualifiées concernant le rôle des réseaux sociaux dans leur processus

migratoire, incluant leur intégration socioprofessionnelle. En effet, si les études sur les

réseaux sociaux sont généralement de nature quantitative, par exemple en tentant de trouver

des corrélations entre la constitution des réseaux et le succès socio-économique de certaines

personnes ou de certains groupes et développent des modèles explicatifs, nous cherchons

plutôt à comprendre comment les réseaux sociaux peuvent influencer les stratégies

d’intégration socioprofessionnelle des femmes immigrantes qualifiées. Ainsi, nous

explorerons comment ces femmes perçoivent leurs réseaux, comment (et si) elles les créent

et les mobilisent, comment ces relations se modifient avec le temps, et quels en sont les

résultats. Ainsi, l’analyse des histoires qui nous ont été racontées permet de montrer

comment les relations se construisent et se développent avec le temps, ce que des analyses

quantitatives ne permettent pas, car elles font une coupe temporelle.

3.1. Épistémologie féministe et méthodes qualitatives

Si la littérature concernant les groupes majoritaires et leurs comportements potentiellement

discriminatoires est étoffée, il existe des lacunes sur le plan de la recherche concernant le

point de vue des minorités. Plus précisément, peu d’études cherchent à comprendre

comment les personnes (potentiellement ou actuellement) discriminées interprètent les

situations vécues sur le marché du travail et comment elles y réagissent. Cet aspect de

l’interaction entre les groupes majoritaire et minoritaire doit être exploré davantage afin de

mieux comprendre les dynamiques psychosociales en jeu et leurs résultats. C’est pourquoi

nous proposons une étude exploratoire et adoptons une méthodologie qualitative qui est

essentielle à l’étude des perceptions et du sens que donnent les personnes à leurs relations

sociales et à leurs actions. Rappelons que la sociologie économique s’intéresse notamment

à la cognition et porte attention au sens que les acteurs donnent à leur action économique

afin de les comprendre. Ainsi, nous ne cherchons pas à comprendre des faits sociaux

comme étant des objets extérieurs à l’individu, mais plutôt, comme des évènements qui ont

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91

un sens pour les individus et les groupes (Muchielli, 1991). Nous utilisons la méthode de

l’entretien de recherche semi-dirigé afin d’avoir accès aux informations qui nous

intéressent particulièrement tout en gardant une certaine ouverture afin d’identifier les

problématiques vécues par les participantes. Ainsi, nous avons préalablement déterminé des

thèmes guidant le processus d’enquête, et formulé des questions ouvertes permettant aux

participantes de nous faire part de thèmes ou de sous-thèmes qui les préoccupent ou

qu’elles trouvent pertinents.

Cette stratégie accorde une place significative aux participantes, qui font alors partie du

processus de construction des connaissances puisque nous rejetons l’idée que la chercheure

est le sujet de la connaissance alors que la participante en est l’objet. Nous adoptons donc

une épistémologie féministe du point de vue qui reconnait que la connaissance est

socialement située; c’est-à-dire, qu’il n’y a pas de position objective ou universelle à partir

de laquelle une personne se positionne afin de créer de la connaissance détachée de tout

biais ou jugement de valeur (Harding, 1993; Swigonski, 1994). Au contraire, nous

soutenons la thèse de la forte objectivité (hard objectivity) de Harding (1993) qui veut

qu’en nous positionnant du point de vue des personnes marginalisées, nous puissions mieux

comprendre les relations entre les membres du groupe dominant, ainsi que leurs relations

avec des membres d’autres groupes. Par exemple, plusieurs féministes ont montré qu’en

explorant la vie des femmes du point de vue des femmes, nous avons pu mieux étudier non

seulement la vie des femmes, mais aussi la vie des hommes et les relations entre les sexes

(Swigonski, 1994). Certaines dimensions des rapports sociaux de sexe s’observent mieux

du point de vue des hommes aussi. Par exemple, comprendre comment les hommes se

comportent dans leurs relations professionnelles entre eux, si cela diffère des relations entre

eux et les femmes, peut aider à comprendre pourquoi certaines femmes seraient exclues de

certaines pratiques informelles au sein d’une organisation. C’est en poursuivant cette ligne

de pensée que nous estimons que les femmes immigrantes détiennent une perspective

originale sur les relations entre hommes et femmes immigrantes ainsi que les relations entre

les femmes immigrantes qualifiées et les autres membres de la société. En particulier pour

ce projet de recherche, cette perspective originale inclut celle sur les femmes natives et

hommes natifs avec qui elles ont eu contact, incluant celles et ceux qui sont qualifié-es ou

non, et qui œuvrent ou non dans leur domaine – soit dans leurs réseaux sociaux ou dans

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92

leurs milieux de travail - ainsi que celles et ceux qui sont susceptibles de les embaucher ou

d’être leurs supérieurs hiérarchiques.

Quelques auteurs, cependant, soulèvent des préoccupations concernant la capacité des

chercheurs blancs de comprendre les expériences des groupes ethniques ou racisés, car les

Blancs opèrent dans des cadres occidentaux de suprématie blanche (Carby 1982). En

réponse, Andersen (1993) souligne l’importance de la réflexivité, c'est-à-dire, la capacité de

reconnaitre les effets de la socialisation et la position de la chercheure. En reconnaissant les

rapports de pouvoir entre femmes et hommes, certaines chercheures féministes pourraient

être plus disposées à être attentives aux questions touchant les groupes marginalisés et donc

mieux placées pour pouvoir en quelque sorte représenter l’autre (Kitzinger, 1996; Harding,

1993). Dans le cas d’immigrantes racisées, il importe également de reconnaitre les rapports

de pouvoir entre femmes blanches et femmes racisées. Nous devons notamment rester

attentives à nos propres biais culturels, et ne rien tenir pour acquis. C’est ainsi que la

réflexivité devient centrale. Pour Vatz Laaroussi (2007), la recherche interculturelle

réflexive doit surmonter certains obstacles présents dans la relation entre le chercheur (non-

immigrant) et la personne membre du groupe étudié (immigrante), tels que « la domination

du chercheur sur les acteurs de la recherche par la langue utilisée, par les statuts inégaux,

par les savoirs inégalement reconnus, etc. » (p. 2). Concrètement, cela implique les

éléments suivants. Premièrement, il est nécessaire de reconnaitre que la langue utilisée dans

le cadre des entretiens est celle de la chercheuse et non de l’interviewée, et donc, qu’une

utilisation imparfaite de la langue ne signifie pas un manque de capacité réflexive ou de

compétence. En effet, même si les Maghrébines interrogées parlaient le français, il ne s’agit

pas de leur langue maternelle et il y a des différences entre le français qu’elles ont appris et

le français tel que parlé au Québec. Ensuite, tel qu’expliqué par la théorie du point de vue

(standpoint theory), une chercheuse soucieuse de ne pas reproduire des rapports de

domination doit reconnaitre que les connaissances de son interlocutrice vis-à-vis sa propre

expérience ne sont pas moins valides que les savoirs « scientifiques » de la chercheuse.

Ainsi, lors du processus d’entretien, par exemple, il importe d’écouter la participante et de

poser des questions lorsque l’on ne comprend pas l’entièreté de son propos, et non tenter de

le compléter ou d’en changer la nature à la lumière du savoir « scientifique » plus tard lors

de l’analyse des résultats. La nature de la connaissance scientifique produite au-delà de

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93

l’évènementiel est le sens, l’interprétation que les acteurs donnent à leurs expériences.

Selon Vatz Laaroussi (2007), ce qui importe est la qualité, la pertinence, la cohérence,

l’argumentation.

La recherche féministe est aussi une recherche engagée visant le changement social et la

réduction des inégalités entre les hommes et les femmes, mais aussi entre les femmes; ce

changement social est amorcé par le don de parole aux personnes marginalisées, qui peut

constituer un pas en avant vers leur émancipation. Dans ce cadre, la théorie et l’action

s’inter influencent et nous ne cherchons pas à être neutres au sens positiviste du terme. En

effet, dans ce type de recherche, il est primordial de comprendre les statuts typiquement

inégaux entre chercheure et participantes, et donc les savoirs inégalement reconnus, afin de

commencer à dépasser cette conception et pouvoir faire valoir les paroles et les expériences

des personnes interrogées au même titre que la connaissance dite scientifique. Il s’agit d’un

point de vue s’apparentant aux épistémologies féministes, car nous considérons que la

connaissance expérientielle est une catégorie de connaissances importante en soi remettant

en question le concept d’objectivité comme critère de scientificité (Hesse-Biber, Leavy et

Yaiser, 2004).

3.2. Technique de collecte de données : l’entretien semi-dirigé

L’entretien qualitatif se justifie au plan épistémologique, car elle permet une

compréhension approfondie d’un acteur, que nous jugeons le mieux placé pour parler du

sens qu’il donne à sa réalité sociale et à ses actions (Poupart, 1997). L’entretien semi-dirigé

permet de recueillir des informations plus en profondeur qu’un questionnaire (Quivy et

Campenhoudt, 2006; Silverman, 2010).

Nous cherchons à comprendre les expériences des participantes en prenant en considération

notre position sociale, en reconnaissant que nous avons des connaissances intellectuelles

liées à certaines perspectives et à certains cadres théoriques. Nous comprenons les

entretiens de recherche comme étant des narratifs activement construits par les participantes

de concert avec la chercheure. Ainsi, l’entretien constitue une activité où l’on co-construit

le sens des expériences vécues par les participantes. Dans la co-construction de sens, il

importe de préciser les points de vue de la chercheure et de la participante. En effet, bien

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94

que les deux soient des femmes, la position de la chercheure comme native/blanche la

rapproche de la classe dominante, à laquelle se rattache un certain pouvoir (Vatz Laaroussi,

2007b). Un processus de réflexivité est nécessaire afin de comprendre les processus en jeu

lors du déroulement des entretiens. Ce processus a été assuré par la tenue d’un journal de

bord lors des entretiens dans lequel ont été notées des impressions initiales et des réflexions

ayant lieu tout au long du processus d’enquête. Ces notes ont été consultées lors de

l’analyse. De plus, les questions ont toutes été formulées de façon ouverte lors de

l’entretien, ce qui a permis l’expression plus libre des participantes. De plus, nous avons

laissé les interviewées suivre le cours de leurs idées plutôt que d’imposer une séquence

rigoureuse aux questions. Finalement, les entretiens semi-dirigés nous ont permis

d’alimenter l’analyse sociologique de la discrimination systémique et d’établir des liens

entre les phénomènes qui l’influencent et ceux qui en résultent. En effet, en interrogeant ces

femmes sur leur vécu, nous avons eu un accès privilégié à leur point de vue sur les

dynamiques affectives, cognitives et interpersonnelles impliquées dans la création et la

mobilisation des réseaux ainsi que le rôle de ces derniers dans leurs parcours migratoires et

professionnels.

3.2.1. Le guide d’entretien

Bien que certaines questions du guide d’entretien aient été inspirées de la revue de la

littérature sur le capital social et les réseaux sociaux qui ont déjà été rapportés dans le cadre

d’études plus hypothético-déductives, nous cherchons à rompre avec ces méthodologies

usuelles, dans le sens où elles s’appuient sur des théories bien définies. Certaines

hypothèses existent déjà et ont été étudiées (Lin, 2001; Granovetter, 1973). Cependant, tout

n’est pas connu des réseaux sociaux, surtout en ce qui a trait au sens que différentes

personnes peuvent leur donner, ainsi qu’au développement et au fonctionnement de ces

réseaux. Qui plus est, rares sont les études qui explorent le point de vue subjectif des

acteurs concernant le rôle des réseaux sociaux auxquels ils participent – et ceux qu’ils

voient à l’œuvre dans leur environnement - dans leurs vies professionnelles.

On peut mesurer le capital social par des méthodes sociométriques ou selon le témoignage

des participants, les deux approches ayant des avantages et des inconvénients (Lin, 2001).

Page 105: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

95

En effet, le nombre de contacts ainsi que la fréquence des interactions avec ces personnes

dans les réseaux sociaux d’une personne peuvent être mesurés, mais si la personne

concernée ne pense pas à ces contacts ou ne les active pas, il se peut fort bien qu’ils ne

puissent pas servir de capital social. En explorant plutôt la perspective de la personne

concernée relativement à ce qu’elle reconnait comme étant ou pouvant devenir une

ressource dans ses réseaux sociaux, on pourrait avoir une meilleure compréhension de

l’accès et de l’utilisation du capital social dans la population étudiée. Étant donné

l’importance de la perception et de l’interprétation, il est intéressant d’étudier le sens que

donnent les participantes à leurs réseaux, ainsi que l’utilité de ceux-ci.

Le guide d’entretien comportait des questions visant à connaitre certains aspects du

cheminement des participantes, relatif à leurs parcours scolaire et professionnel

prémigratoires, leur projet migratoire et leur trajectoire professionnelle post-migratoire. Ces

questions étaient posées de manière ouverte afin de leur donner la parole et la liberté de

s’exprimer sur leur propre vécu. Le protocole d’entretien (en Annexe E) a servi de guide

afin de recueillir toutes les informations pertinentes, mais a été utilisé de façon flexible afin

de laisser de nouveaux thèmes surgir et pour voir les caractéristiques uniques qui peuvent

s’avérer révélatrices (Eisenhardt, 1989; Silverman, 2010). Ce protocole d’entretien a été

conçu dans une optique de comprendre les différentes trajectoires et tenir compte des

institutions qui conditionnent le parcours des immigrantes. Tout en conservant un fil

conducteur axé sur les réseaux sociaux, il a traité des thématiques suivantes :

- Le parcours prémigratoire (incluant le choix du domaine d’études/de pratique, le

parcours socioprofessionnel et les aspirations);

- le processus d’immigration (incluant les motivations, les processus de recherche

d’information et la reconnaissance des acquis et des compétences);

- le processus d’installation et d’intégration (incluant le processus de recherche

d’emploi et l’expérience sur le marché du travail canadien/québécois);

- les opportunités et les obstacles rencontrés lors du parcours, et en réponse à ces

derniers, les stratégies empruntées et leurs résultats, puis les stratégies futures

envisagées.

L’outil de collecte est a été bâti à partir du cadre conceptuel et de la revue de la littérature,

en s’inspirant d’autres protocoles d’entretien cherchant à découvrir des informations

similaires. Les guides consultés incluent ceux de Granovetter (1995), Lin (2001) et Anucha

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96

(2006). Les premiers entretiens effectués ont servi d’entretiens préliminaires, afin de

valider que les participantes avaient bien compris le sens des questions posées, et qu’elles

puissent exprimer leur perspective sur la question à l’étude. En raison de la nature

relationnelle de l’entretien semi-dirigé, la validité interne de la méthodologie repose

largement sur le consensus entre interviewer et interviewée et sur la construction de sens

qui a lieu. Pour ce faire, lors de l’entretien, il a été important que la chercheure s’assure

d’avoir bien compris les propos de la participante, ce qui a été en partie validé en réitérant

les points importants pendant et à la fin de l’entretien.

3.3. Déroulement de la recherche

Cette section détaille le déroulement de la recherche. Dans un premier temps, le choix de la

ville de Québec comme terrain est justifié. Ensuite, les stratégies et les difficultés de

recrutement sont discutées. Puis, l’échantillon, le déroulement des entretiens et le profil des

participantes sont présentés.

3.3.1. Le choix de la ville de Québec

Avant de discuter des stratégies de recrutement, il nous apparait important d’expliciter le

choix de se concentrer sur la ville de Québec pour la partie empirique de cette thèse. Depuis

les années 1990, la régionalisation de l’immigration figure parmi les orientations des

politiques provinciales québécoises afin de répondre à des problématiques démographiques

et économiques dans les régions. Cependant, jusqu’à présent, la majorité des études portant

sur l’intégration des personnes immigrantes en général – et celles provenant du Maghreb en

particulier - se sont centrées sur Montréal, et quelques-unes sur Sherbrooke. La ville de

Québec retient notre attention pour plusieurs raisons. En premier lieu, on y retrouve une

proportion importante d’immigration récente. En effet, environ le tiers de la population

immigrante à Québec (environ 7500 personnes) s’y est installé entre 2001 et 2006 et on a

tendance à penser que cela suggère une tendance à la hausse pour l’avenir (Ville de

Québec, 2009). On compte aussi 6300 personnes immigrantes arrivées entre 2007 et 2009,

pour un total de 31 500 (MICC, 2010). De plus, au plan démographique, tout comme à

l’échelle de la province, la population immigrante compte pour une partie importante de la

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97

croissance de la population, soit environ le tiers. En effet, de 2001 à 2006, la population

totale de la Ville a cru de 14 810 personnes ou 3,1 %, incluant la population immigrante.

Ainsi, la région métropolitaine de la ville de Québec compte environ 4,4 % de

l’immigration totale au Québec et est la deuxième plus importante destination des

personnes immigrantes d’origine maghrébine au Québec, la région de Montréal étant la

première (MICC, 2010, 40). Plus particulièrement, lors du recensement de 2006, la ville de

Québec comptait un total de 2 260 personnes immigrantes d’origine maghrébine. Étant

donné qu’au Québec cette population a cru d’environ 30 %, nous serions portés à croire

qu’en 2010, elle serait d’environ 3000. Malgré que seulement environ 3,5 % de la

population immigrante provenant du Maghreb s’installe à Québec, ce groupe représente

9 % de la population immigrée totale à Québec en 2006 (MICC, 2009a, 98). Finalement, de

1998 à 2007, 6 587 personnes immigrantes admises dans la catégorie d’immigration

économique se sont établies dans la Région de la Capitale nationale et y étaient encore

présentes en 2009. Cela compte pour 3,9 % de la population immigrante admise dans cette

catégorie au Québec, ainsi qu’environ la moitié des 12 565 personnes immigrantes admises

de 1998 à 2007.

De plus, nous pouvons noter un nombre important de personnes immigrantes qualifiées

s’installant à Québec, reflétant la réalité des personnes immigrantes récentes à travers la

province depuis les changements dans la grille de sélection en 1996 puis en 2002. Ceci est

particulièrement visible dans la ville de Québec, car, tout comme les personnes natives du

Québec âgées de 24 à 64 ans, les personnes immigrantes installées à Québec sont plus

nombreuses à avoir un diplôme que celles de Montréal, Sherbrooke ou Gatineau. Lors du

recensement de 2006, 65,3 % des personnes immigrantes âgées de 25 à 64 ans possédaient

un diplôme postsecondaire, contre 51,9 % pour l’ensemble de la population de la ville de

Québec. (Ville de Québec, 2009 : 26 et annexe p. 7). En guise de comparaison, ces chiffres

pour les populations immigrantes de Montréal, Sherbrooke et Gatineau sont de 54,4 %,

61,5 % et 62,2 % respectivement. Plus précisément, à Québec, 51,3 % des personnes

immigrantes âgées de 25 à 64 ans détiennent un grade universitaire, dont 43,3 % des

baccalauréats, contre 40,6 % et 32,8 % pour Montréal, 45,3 et 38,8 % pour Sherbrooke et

46,6 % et 40,2 % pour Gatineau (Ville de Québec, 2009).

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98

En plus d’être hautement scolarisés, la majorité des personnes immigrantes s’établissant à

Québec est francophone. Ainsi, la barrière de la langue, l’un des principaux obstacles à

l’intégration socio-économique des personnes immigrantes au Québec comme au Canada,

serait évitée par plusieurs. En effet, il est possible que la connaissance de l’anglais ne soit

pas aussi couramment exigée à Québec qu’à Montréal. Il s’agit d’une question que nous

posons aux participantes. Concernant la barrière de la langue hors des grandes villes, il est

intéressant de constater que lorsque les personnes immigrantes se retrouvent dans des

localités à prédominance francophone comme les régions du Québec où les personnes

immigrantes sont peu nombreuses, elles tendent à apprendre ou maitriser le français plus

rapidement par nécessité afin de « se débrouiller » au quotidien (Simard, 2007). Dans le cas

de nos participantes maghrébines, ceci peut se traduire par un apprentissage des différences

linguistiques entre le français qu’elles ont appris et le français tel que parlé au Québec.

La littérature démontre que le lieu d’établissement est un des facteurs explicatifs du succès

socio-économique des personnes immigrantes (Reitz 2007). En effet, on constate que la

situation économique, les structures de l’emploi, les réseaux (sociaux et autres) et les autres

ressources d’une plus petite ville comme Québec peuvent différer de celles d’une grosse

ville comme Montréal, influençant ainsi la composition de la population immigrante ainsi

que son succès en emploi. Cette hypothèse est inspirée entre autres du cas de Sherbrooke

étudié par Arcand et coll. (2009). Si nous regardons la situation économique de Québec, par

exemple, il semblerait que cette dernière ait été moins touchée par les problèmes de

chômage vécus dans d’autres régions du Québec et du Canada depuis la fin de la première

décennie des années 2000. En effet, en 2006, le taux de chômage pour la population

immigrante à Québec était de 9,7 % contre 5 % pour le reste de la population de la Ville.

En guise de comparaison, les taux de chômage pour les populations immigrantes de la

région de Montréal étaient de 11,1 %, Sherbrooke, 14,4 % et Gatineau, environ 14 %.

Malgré le bilan relativement meilleur à Québec, le taux de chômage demeure

significativement plus élevé pour les personnes immigrantes que pour les natifs. Ce que

nous ne connaissons pas par contre est le taux de chômage précis des personnes

maghrébines à Québec. Nous sommes cependant portés à croire qu’il est plus élevé que la

moyenne immigrante pour la ville de Québec, car pour la province de Québec, il s’élève

souvent au-delà des 25 % (Vatz Laaroussi, 2008) soit plus du double de celui des

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99

immigrants comme indiqué plus haut (9,7%). Concernant les structures de l’emploi, notons

par exemple que le phénomène de niches ou d’enclaves tel qu’il existe dans les trois

métropoles ne semble pas être très répandu. De plus, l’importance de la fonction publique

comme employeur à Québec, assujettie aux programmes d’égalité en matière d’emploi,

laisserait croire que les personnes immigrantes, surtout les femmes, auraient davantage de

chances d’être embauchées au sein de la fonction publique. Cependant, le gel relatif de

l’embauche dans la fonction publique québécoise pourrait nuire à la population immigrante

voulant y travailler. De plus, du côté de la fonction publique fédérale comme dans des

secteurs liés aux nouvelles technologies, il est possible que l’exigence de bilinguisme

français et anglais soit un obstacle à l’embauche de plusieurs personnes immigrantes

francophones (Arcand et coll., 2009). Ainsi, nous « contrôlons » des facteurs contextuels du

marché de l’emploi en nous concentrant sur une région, région qui, par ailleurs, semble

jouir d’un contexte plus favorable. Ceci implique, cependant, que les résultats obtenus ne

seront pas généralisables à tous les contextes au Québec. Il s’agit d’un choix justifié par une

volonté de comprendre un phénomène en profondeur au lieu d’en largeur.

Sur le plan des réseaux sociaux, peu d’études se sont concentrées sur les villes de taille

moyenne telles que la ville de Québec, ce qui est l’une des originalités de notre recherche.

Il existe des arrondissements de la ville de Québec qui sont plus denses en termes de

population immigrante, tels que Sainte-Foy, Sillery et Limoilou, ce qui pourrait faciliter la

création de réseaux constitués de liens plutôt forts avec d’autres personnes immigrantes,

sans nécessairement devenir un phénomène d’enclave. Nous pouvons explorer entre autres

si les participantes perçoivent le fait qu’il y ait moins de personnes immigrantes à Québec,

et si ceci fait en sorte que les liens formés avec d’autres personnes immigrantes sont plus

forts, car ces liens sont plus « rares » que dans une grande ville où l’immigration est moins

récente et plus nombreuse. L’idée ici est de sonder les personnes qui vivent l’expérience

migratoire, connaitre et comprendre leurs représentations et leurs expériences, et une forme

d’expertise qu’elles en dégagent.

Dans un même ordre d’idée, concernant les réseaux plus formels tels que ceux constitués

par les organismes communautaires et les intervenants qui y œuvrent, il est possible que ces

derniers aient moins d’expérience avec les femmes immigrantes qualifiées, et donc qu’il y

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100

ait des pratiques à parfaire puisque cette immigration est récente. Cependant, le fait que

Québec soit une plus petite ville peut aussi faire en sorte que les personnes dans la

communauté des affaires et les intervenants communautaires se connaissent mieux,

facilitant la création de liens de confiance pouvant améliorer les possibilités qu’une

personne immigrante proposée par ces derniers soit embauchée.

L’intérêt pour la ville de Québec est d’autant plus important depuis que les statistiques

montrent que de plus en plus de personnes immigrantes quittent Montréal pour s’installer

dans d’autres régions, dont celle de la ville de Québec. En effet, au cours des années 1998 –

2007, 64,3 % des personnes immigrantes admises au Québec se sont établies à Montréal.

Lorsque l’on considère le taux de présence des personnes immigrantes à Montréal en 2009,

cependant, on note un léger déclin. En effet, celles qui ont été admises entre 2003 et 2007

sont encore présentes à 67 %, tandis que ce nombre est de 60,6 % pour les personnes

immigrantes accueillies entre 1998 et 2002. Selon le Ministère de l’Immigration et des

Communautés culturelles, cela pourrait démontrer qu’après plusieurs années de résidence,

les personnes immigrantes tendent à quitter l’ile de Montréal pour la banlieue ou d’autres

régions du Québec (MICC, 2009b, 15). Dans cette thèse, nous avons exploré avec les

participantes pourquoi elles ont choisi Québec, s’il s’agit d’un premier lieu d’installation au

Québec et les motifs sous-jacents, ainsi que ce qu’elles perçoivent dans leur entourage

comme étant le discours concernant ces deux villes ou les autres régions du Québec dans

leur entourage (ou leurs réseaux sociaux).

In fine, la pertinence de choisir la ville de Québec comme terrain de recherche s’inscrit

aussi dans le projet plus général d’étudier l’immigration en dehors des trois grandes villes

canadiennes tel que mis de l’avant par plusieurs auteurs comme Vatz Laaroussi (2007a) et

Radford (2007). En effet, ces auteurs expliquent que le manque de données et d’analyse en

matière d’intégration des personnes immigrantes à l’extérieur des trois métropoles

canadiennes rend difficile l’élaboration de politiques et de pratiques tenant compte de la

spécificité et de la complexité des contextes de différentes villes et régions. En développant

Page 111: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

101

les connaissances sur la ville de Québec, nous contribuerons à l’avancement des

connaissances dans les villes de deuxième importance 13 au Québec afin de mieux

comprendre les processus en jeu dans l’intégration des personnes immigrantes et pour

mieux adapter les services qui leur sont offerts. Entre autres, ceci s’avère pertinent pour la

rétention des personnes immigrantes, d’autant plus que la recherche démontre que celles

qui s’installent d’abord à l’extérieur des métropoles ont tendance à être plus mobiles et

donc plus enclines à partir si l’intégration se fait difficile (Vatz Laaroussi, 2007a : 185). Les

raisons les plus citées pour cette mobilité sont la recherche d’un meilleur emploi, le

rapprochement vers les institutions d’enseignement postsecondaire (soit pour l’éducation de

leurs enfants ou pour leur retour aux études dans le cadre de leur parcours professionnel) et

l’influence des réseaux familiaux, ethniques ou religieux (Vatz Laaroussi, 2007a : 185),

influence qui peut être positive ou négative.

En somme, les efforts de régionalisation de l’immigration ainsi que le manque de données

relatives à l’intégration socio-économique des personnes immigrantes dans les villes

comme Québec font de cet endroit un terrain propice de recherche.

3.3.2. Le recrutement des interviewées

Repérer des participantes qui correspondent au profil requis, et les convaincre de participer

présente des défis en raison du nombre restreint de personnes qui correspondent au profil

recherché, ainsi qu’en raison de la réticence de certaines à participer au projet. Dans la

section qui suit, les stratégies de recrutement empruntées seront détaillées, puis les

difficultés rencontrées lors du recrutement seront discutées.

13 Selon la typologie de Krahn, Derwing et Abu-Laban (2005 : 874), la ville de Québec serait un

cas « borderline » entre une ville de deuxième et de troisième importance étant donné sa diversité culturelle

limitée. Cependant, nous choisissons de l’inclure dans la catégorie « seconde importance » en raison de

l’ampleur de l’immigration récente.

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102

3.3.2.1. Les stratégies de recrutement

La stratégie générale de recrutement a été de contacter divers organismes (voir la liste en

Annexe A) et personnes susceptibles de pouvoir nous aider à recruter des participantes,

ainsi que de publiciser notre annonce de recrutement (annonce dans un journal et envoi

d’un courriel de masse aux étudiants et aux personnes employées de l’Université Laval

(Annexes B). Les contacts informels et la stratégie de bouche-à-oreille ont aussi servi à

compléter l’échantillon. Par cette stratégie diversifiée, nous avons tenté de rejoindre des

personnes ayant une diversité de caractéristiques relativement à la main-d’œuvre féminine

immigrante maghrébine hautement scolarisée: le pays d’origine, le nombre d’années depuis

l’arrivée au Québec (entre trois et dix), le niveau et le domaine de scolarité (diplôme), le

statut matrimonial, la présence ou non d’enfant(s), et la situation professionnelle au

moment de l’enquête. Il s’agit donc d’un échantillon raisonné en empruntant diverses

stratégies de recrutement.

La première stratégie spécifique de recrutement fut de contacter divers organismes

communautaires œuvrant auprès de clientèles immigrantes, ainsi que des associations et

groupes représentant des Maghrébins à Québec14. Nous avons choisi cette approche puisque

les centres communautaires destinés aux femmes et aux personnes immigrantes jouent un

rôle important dans leur intégration. Nous avons tenté de contacter le plus large éventail

d’organismes possible afin de rejoindre la plus grande diversité de profils de participantes.

Plusieurs d’entre eux ont accepté d’afficher notre annonce de recrutement sur les lieux ou

sur leur site internet. Quelques-uns ont aussi proposé d’aviser leurs conseillers, conseillères

et/ou collègues de l’existence du projet, au cas où ils ou elles seraient en contact avec des

participantes potentielles, les invitant à transmettre l’invitation à participer. Après avoir

établi ce contact avec ces organismes, nous avons participé à quelques évènements qu’ils

organisaient autour des thèmes de l’intégration des personnes immigrantes ou de la

promotion de la diversité culturelle, soit à titre de bénévoles ou à titre de participantes.

14 Voir l’annexe A pour la liste des organisations contactées.

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103

Cette approche a permis de recruter seulement une participante; elle participait à un

évènement où j’étais bénévole. Cette approche peut comporter un biais dans la mesure où

les immigrantes sont davantage susceptibles de faire appel aux organismes communautaires

lorsqu’elles éprouvent des difficultés d’intégration, cette stratégie est fonctionnelle. Ainsi,

cette approche risque de nous mettre en contact davantage avec des personnes éprouvant

des difficultés plutôt que des personnes dont l’intégration est réussie. Cependant, puisque

nous cherchons précisément à comprendre les obstacles à l’intégration, nous considérions

cette approche comme appropriée. De plus, pour être davantage inclusives et contrer ce

biais, nous avons aussi fait appel à d’autres stratégies de recrutement.

La seconde stratégie a été de placer une annonce dans un journal local mensuel s’adressant

à la communauté immigrante15 pendant trois mois (septembre, octobre et novembre 2012).

Lors d’un entretien avec une participante, nous avons appris que cette annonce avait été

reprise et affichée dans un forum s’adressant à des femmes musulmanes de la région de

Québec; quelques participantes ont connu l’existence de l’étude de cette manière. Cette

stratégie a permis de recruter quatre participantes.

La troisième stratégie a été de faire circuler une annonce de recrutement via le courrier

électronique de l’Université Laval pour rejoindre des immigrantes qualifiées en emploi ou

en formation, par exemple occupant des emplois de soutien informatique, de gestion, de

professionnelle de recherche, de chargée de cours, de professeure, etc. Nous avons aussi

choisi cette stratégie en espérant rejoindre des immigrantes scolarisées ayant effectué un

retour aux études comme stratégie d’insertion professionnelle. Cette stratégie a permis de

recruter cinq participantes, dont quatre étudiantes. Ici, nous reconnaissons le biais potentiel

d’avoir un nombre plus élevé de personnes étudiantes dans notre échantillon; cependant,

cela n’atteint en rien la validité interne de la recherche puisque le retour aux études est une

réalité courante pour les immigrants économiques et une stratégie connue d’intégration

professionnelle, notamment pour les personnes immigrantes.

15 Immigrants de la capitale.

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104

La quatrième stratégie fut le recrutement par le bouche-à-oreille. Elle s’est déclinée en

plusieurs temps. Dans un premier temps, nous avons sollicité des proches et des

connaissances d’origine maghrébine à participer au projet de recherche. Cette stratégie nous

a permis de recruter deux participantes. Dans un deuxième temps, nous avons participé à

des évènements tels que certains colloques pour faire la promotion du projet de recherche et

susciter l’intérêt d’y participer. Entre autres, un conseiller en ressources humaines a accepté

de faire circuler notre annonce de recrutement sur LinkedIn, ce qui nous a permis de

recruter une participante. De plus, un intervenant d’un Centre local d’emploi nous a mis en

contact avec d’autres intervenants souhaitant collaborer au recrutement. Cependant, ces

intervenants n’étant pas directement en contact avec la population à l’étude, cette piste n’a

pas été fructueuse.

Ensuite, à la fin des entretiens avec les participantes, plusieurs ont exprimé leurs

motivations pour participer à la recherche et certaines ont partagé des expériences difficiles

vécues par des amies ou des connaissances relativement à leur intégration au Québec. Lors

de ces discussions, nous demandions aux participantes si elles connaissaient des femmes

qui pourraient souhaiter participer à cette recherche. Souvent elles disaient qu’elles

transmettraient nos coordonnées à des personnes, mais cela n’a pas porté ses fruits. Une

autre participante a commenté une autre étude à laquelle elle avait participé, concernant la

même population que celle à l’étude dans cette recherche, c'est-à-dire, les immigrantes

maghrébines hautement scolarisées à Québec et à Montréal. Nous avons contacté la

chercheure responsable de cette étude qui a confirmé que le recrutement fut plutôt difficile

dans la ville de Québec16. Elle nous a aussi donné le nom de la personne et de l’organisme

communautaire qui l’avaient aidée dans le recrutement des participantes à Québec. Nous

avions déjà établi des contacts avec cet organisme qui a d’ailleurs été d’une grande aide

pour nous aussi.

16 Le rapport de la recherche en question a été publié après la cueillette de données de cette thèse. Voir

Conseil du Statut de la Femme, 2014 dans nos références.

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105

Finalement, une participante nous a mis en contact avec quelques amies et connaissances

qui pourraient être intéressées à participer à la recherche. Cette liste comportait douze (12)

personnes. Ultimement, deux (2) d’entre elles étaient admissibles et ont accepté de

participer à la recherche17.

Tableau 2.1: Stratégies de recrutement empruntées et résultats

Stratégies de recrutement Nombre de participantes recrutées

Annonce de recrutement circulée par des organismes communautaires 1

Annonce de recrutement publiée dans un mensuel et un forum 4

Annonce de recrutement envoyée dans un courrier électronique destiné à la

communauté universitaire (Université Laval)

5

Bouche-à-oreille 5

Une fois recrutées et avant de procéder aux entretiens, les participantes étaient avisées que

les données recueillies seraient confidentielles et anonymes. Cette information figurait

notamment sur le formulaire de consentement qu’elles devaient signer avant l’entretien

(Annexe C).

3.3.2.2. Les difficultés rencontrées lors du recrutement

Comme en témoigne la section précédente, de nombreuses heures et plusieurs personnes

ont été mobilisées sur une période d’une année afin de recruter 15 participantes. Nous

croyons pertinent de relater certaines difficultés rencontrées, car elles sont révélatrices

d’enjeux pertinents à cette recherche. En effet, même si plusieurs personnes se sont

montrées intéressées par le projet et ont offert des pistes afin de rejoindre des participantes

potentielles, ces pistes ont rarement été porteuses, car elles ne satisfaisaient pas les critères

d’éligibilité. En effet, plusieurs d’entre elles avaient été parrainées par leur mari, ou encore,

elles étaient étudiantes étrangères plutôt qu’immigrantes économiques. Ceci était

particulièrement le cas de plusieurs Tunisiennes. Finalement, nous avons reçu plusieurs

sollicitations de la part d’immigrantes non maghrébines.

17 Six (6) personnes n’ont pas pu être rejointes (pas de retour de courriels et/ou d’appels après plusieurs

tentatives) ou ont exprimé qu’elles n’avaient pas le temps de participer; puis trois personnes intéressées (3)

étaient étudiantes étrangères et une (1) parrainée, donc non admissibles au projet.

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106

En second lieu, quelques femmes éligibles que nous avons contactées hésitaient à participer

à cette recherche. Il est possible que la nature personnelle de l’expérience explorée ait fait

en sorte qu’elles ne veuillent pas y participer. D’autres ont simplement indiqué ne pas avoir

assez de temps pour nous rencontrer. Par ailleurs, plusieurs participantes ont affirmé

connaitre d’autres femmes immigrantes hautement qualifiées originaires du Maghreb et

elles devaient les inviter à participer. Cependant, nos tentatives de suivi n’ont pas porté ses

fruits pour des raisons que nous ignorons. Une participante nous a expliqué qu’une amie

qui répondait à nos critères avait déjà participé à une étude ayant un objectif semblable,

mais qu’elle semblait plutôt frileuse à l’idée de répéter cette expérience.

3.3.3. Les critères d’éligibilité

Nous avons choisi d’étudier les immigrantes récentes, arrivées au Canada depuis trois à dix

ans, afin qu’elles aient eu un certain temps pour enclencher leur processus d’intégration

socioprofessionnelle. Ces bornes ont permis de cibler des personnes nouvellement arrivées,

mais permettant une variété de parcours et d’expériences. Une borne de trois ans au Québec

permet de voir quelles sont les stratégies anticipées et implantées au début du parcours

d’intégration alors que la borne de dix ans a permis d’interroger des participantes qui ont eu

le temps de tenter diverses stratégies d’intégration en emploi. De plus, une période de dix

ans aura permis à certaines participantes ayant de jeunes enfants de vivre une multitude de

situations d’articulation entre le travail et la famille. De plus, ces deux bornes permettent de

contrôler minimalement les conditions économiques pendant la période d’intégration, et

minimiser les risques de la mémoire sélective puisque l’expérience est encore relativement

récente.

Les participantes sont toutes issues de la catégorie d’immigration de travailleuses

qualifiées. Nous cherchions notamment à comparer des immigrantes économiques

requérantes principales avec celles qui ont accompagné leur conjoint requérant principal.

Cela a permis de relever des similarités et des différences de parcours selon le statut

d’immigration et les ressources auxquelles ce statut donne accès. Notons que l’étude n’est

pas longitudinale; elle ne permet pas d’observer nous-mêmes les différentes étapes du

Page 117: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

107

parcours migratoire et professionnel; l’analyse repose sur les différences dans le parcours

jusqu’au moment de l’entretien, selon le témoignage des participantes.

Étant donné la population spécifique à l’étude, l’échantillonnage s’est fait de façon

raisonnée ou théorique. Selon Letts et coll. (2007), l’échantillonnage dans la recherche

qualitative est fait en fonction d’un but et donc, par définition, raisonné ou théorique.

L’échantillonnage raisonné est utilisé lorsque l’on enquête sur un processus spécifique

(Silverman, 2010). Dans notre cas, il s’agit des similarités et des expériences des femmes

immigrantes qualifiées originaires du Maghreb concernant le rôle des réseaux sociaux dans

leur parcours professionnel.

À l’origine, nous avions comme objectif de rencontrer entre trente et cinquante femmes

immigrantes d’origine maghrébine, croyant qu’il en faudrait autant pour atteindre le degré

de saturation. Or le niveau de saturation fut atteint après 15 entretiens, ces derniers

n’apportant plus de nouveaux thèmes ou de nouvelles connaissances.

Les participantes rencontrées avaient des profils variés en termes de domaines d’études,

d’expériences et d’âges, comme démontré dans le tableau 2.1. En interrogeant des femmes

ayant des profils variés, nous avons exploré les différences, mais aussi les similarités entre

elles, dans le but de mieux comprendre la complexité de leur situation. Finalement, nous

avons pu constater lors des derniers entretiens que nous avions atteint un niveau de

saturation, car nous ne découvrions plus de nouvelles informations concernant notre

question de recherche. De plus, la difficulté de rejoindre et de recruter des participantes ne

nous permettait pas d’ajouter une autre caractéristique au profil des participantes et de la

population ciblée, afin de tester autrement le niveau de saturation.

3.3.4 Le déroulement des entretiens

Lors de la prise de contact avec les participantes potentielles, le lieu et le moment des

entretiens ont été déterminés en fonction de leurs préférences. Huit participantes ont été

rencontrées dans des cafés ou endroits similaires, six entretiens se sont déroulés dans des

locaux universitaires et une participante a été rencontrée chez elle. Les entretiens ont duré

entre 45 minutes et deux heures.

Page 118: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

108

Le guide d’entretien (Annexe E) a été utilisé comme guide; l’entrée en matière reprenait les

premières questions du guide, mais selon les réponses, les autres thèmes étaient abordés

dans le désordre, afin d’assurer le flot de l’échange et respecter le développement des

entretiens. Ceci a facilité le contact et le déroulement « naturel » des entretiens. Ainsi, les

participantes pouvaient nous confier leurs expériences dans un ordre qui faisait sens pour

elles. Ceci a permis de tenir compte de la complexité et de la diversité des parcours, et de

l’importance relative pour elles de chacun des thèmes abordés. Tout au long du processus,

nous restions attentives en particulier aux rôles potentiels et actuels des réseaux, et avons

pris soin de poser des questions de clarification lorsque cela a été nécessaire.

3.3.5 Profil des participantes

Entre septembre 2012 et août 2013, nous avons rencontré 15 participantes répondant au

profil recherché. Le tableau 3.1 présente un aperçu des caractéristiques des participantes

lors de leur arrivée au Québec :

Tableau 3.1: Profil des participantes lors de l’immigration

Nom fictif Pays

d’origine

Âge Requérante

principale?

Statut familial

à l’arrivée

Profession / domaine

dans le pays d’origine

Aicha Maroc 36 O Célibataire Économique

Basma Tunisie 33 N Mariée, 2 enfants Dentiste

Chadia Algérie 37 N Mariée, 2 enfants Archéologue

Dalia Algérie 39 N Mariée, 4 enfants Ingénieur informatique /

enseignante

Esma Algérie 37 O Célibataire Vétérinaire

Fadela Algérie 36 O Mariée, 2 enfants Vétérinaire

Ghalia Algérie 29 O Mariée Ingénieure environnement

Hakima Algérie - O Mariée, 1 enfant Biologiste

Imane Maroc 35 O Célibataire informatique / administration

Jadia Maroc 27 O En couple Gestion des TIC

Kamila Maroc 40 N Mariée, 2 enfants Ingénieure

Leila Maroc 35 O Mariée, 1 enfant Infirmière / droit

Mounia Maroc 39 O Mariée Droit / politique

Nadra Tunisie 25 O Mariée Gestion

Oumaima Tunisie 52 O Divorcée, 2

enfants

Enseignante chimie

Page 119: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

109

Parmi les participantes, six sont originaires du Maroc, six de l’Algérie et trois de la Tunisie.

Le nombre plus restreint de Tunisiennes s’explique notamment par leur présence moins

importante au sein des personnes immigrantes au Québec. Il est intéressant de noter aussi

que plusieurs Tunisiennes avec qui nous avons été en contact et qui pourraient avoir été

intéressées à participer à l’étude avaient été parrainées et ne répondaient donc pas à nos

critères.

Tableau 3.2 : Profil des participantes au moment de l’entretien

Nom fictif Âge Années

depuis

arrivée

Statut

familial

RAC1/ Équiva-

lences

Formation au Québec Situation

professionnelle

actuelle

Aicha 41 5.5 Mariée,

enceinte

Oui Maitrise ENAP Recherche

d’emploi

Basma 38 5.5 Mariée, 2 enfants

En cours* Maitrise sciences dentaires Éducatrice

Chadia 40 3.5 Mariée,

2 enfants

Oui PhD (en cours) Auxiliaire

d’enseignement

Dalia 45 6 Mariée, 4 enfants

Oui AEC non complété Chargée de projet en informatique

Esma 40 3.5 En couple Non, plan pour

l’avenir.*

Certificat biotechnologies,

Maitrise biologie moléculaire,

Massothérapie

Massothérapeute

Fadela 39 3 Séparée, en couple1,

2 enfants

Non* Maitrise ENAP Recherche d’emploi

Ghalia 39 10 Mariée,

2 enfants

Oui Maitrise ENAP Génie

Environnement

Hakima - 5.5 Mariée, 2 enfants

Non Débute AEC Formation en cours

Imane 39 4 Célibataire Oui Certificat en administration

(en cours)

Agente de bureau

Jadia 32 5.5 En couple Oui PhD Chargée de cours,

professionnelle de recherche

Kamila 42 3 Mariée,

2 enfants

Oui PhD (en cours) Interprète

Leila 42 3 Séparée,

1 enfant

Oui* Cours équivalences, technique

soins infirmiers

Infirmière

Mounia 44 4.5 Divorcée Oui Maitrise sciences politiques Chargée de projets

Nadra 30 4.75 Mariée, 2 enfants

Oui Formations mises au point (GRH, SST, Équité salariale)

Adjointe du président

Oumaima 55 3 Divorcée,

2 enfants

Oui Certificat sciences des aliments

(en cours)

Assistante de

recherche

1 Reconnaissance des acquis et des compétences. Sauf si indiqué par un astérisque (*), il s’agit de la reconnaissance de la part du MIDI

(anciennement MICC).

Au moment de l’entretien, les participantes avaient entre 30 et 55 ans, la majorité d’entre

elles (11) ayant entre 38 et 45 ans alors que deux avaient 30 et 32 ans, une avait 55 ans et

une qui n’a pas dévoilé son âge. La majorité d’entre elles avaient entrepris le processus de

reconnaissance des diplômes du ministère de l’Immigration et des communautés culturelles

(maintenant ministère de l’Immigration, de la diversité et de l’inclusion), sauf celles ayant

Page 120: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

110

des professions règlementées par des ordres professionnels. Il sera question de détailler les

formations suivies au Québec ainsi que les situations professionnelles actuelles lors de

l’analyse des données et de la discussion.

3.4. L’analyse des données

Puisque cette étude est de nature qualitative et exploratoire, nous n’avons pas cherché à

procéder à une analyse quantitative ou à produire des données statistiques. Nous avons

plutôt procédé à une analyse thématique afin de dégager les principaux thèmes discutés lors

des entretiens, et comment ils ont été abordés par les participantes. Ainsi, nous avons pu

catégoriser les expériences des participantes et les mettre en relation les unes avec les

autres.

Les entretiens ont été retranscrits par la chercheuse qui a alors ajouté ses premières

impressions et les thèmes qui semblaient ressortir des échanges. Ensuite, nous avons codé

les verbatim à l’aide du logiciel NVivo, en regroupant les propos selon les thèmes généraux

abordés dans le guide d’entretien, puis en codant les passages plus spécifiques selon des

catégories préétablies et émergentes. Une fois cette première catégorisation effectuée, nous

avons regroupé les propos des participantes selon les thèmes et les catégories afin d’en tirer

des similarités et des différences nous permettant de comprendre leurs expériences selon le

sens qu’elles leur accordent. Il a ensuite été nécessaire de raffiner des catégories afin

d’approfondir l’analyse par un processus itératif. Tout au long de ce processus, nous avons

rédigé et peaufiné l’analyse et l’interprétation de nos résultats, ce qui fait l’objet du chapitre

suivant.

Une autre manière d’améliorer la validité interne a été de comparer les résultats semblables

obtenus à ceux d’autres recherches publiées. Cela a permis de relier plusieurs phénomènes

et/ou plusieurs contextes à un seul concept (Eisenhardt, 1989). De plus, nous avons

comparé nos résultats à ceux de la littérature contradictoire afin d’éviter que le lecteur soit

porté à croire que nos résultats sont incorrects (Silverman, 2010; Eisenhardt, 1989). Cette

stratégie est appropriée autant pour la validité externe qu’interne. Finalement, le fait que le

Page 121: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

111

projet soit mené par une seule chercheure a pour effet d’éliminer la possibilité de variation

causée par des différences entre des observateurs. Par contre, cette approche comporte aussi

le risque de limiter la capacité de contrer les biais individuels dans la codification de

l’information. Afin de limiter ce risque, il est important de procéder avec rigueur (Van der

Maren, 1997). Cela implique par exemple de ne pas rechercher des extraits qui semblent

confirmer nos intuitions ou nos hypothèses de base et ignorer ce qui nous semble

impertinent ou contradictoire (Van der Maren, 1997; Silverman, 2010). De plus, il importe

de procéder avec un souci de cohérence Van der Maren, 1997). Finalement, étant donné

que les entretiens ont tous été menés dans une courte période de temps (moins d’un an), il

ne devrait pas y avoir de variations causées par des changements dans le contexte socio-

économique de la région.

Tout comme pour la validité interne, la comparaison avec la littérature semblable et

contradictoire renforce la validité externe. En étudiant des cas contrastants, par exemple

ceux qui remettent en doute l’idée que le capital social joue un rôle au-delà du capital

humain, contre ceux qui reconnaissent ce rôle ou encore, le groupe qui minimise le rôle du

genre contre celui qui considère qu’il s’agit d’un facteur important, on peut espérer trouver

des points qui font l’objet de consensus (Eisenhardt, 1989). De plus, Eisenhardt (1989)

suggère de s’en tenir à une population spécifique afin de limiter les variations dues aux

différences culturelles. Cette recherche s’en est tenue à une population spécifique, celle des

femmes immigrantes scolarisées d’origine maghrébine à Québec. Malgré que cette

population ne soit pas homogène, nous avons pu faire ressortir des points communs et de

divergence concernant le rôle des réseaux sociaux dans les trajectoires d’insertion

professionnelle des participantes.

Page 122: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

112

Chapitre IV : Analyse et interprétation des résultats

Le présent chapitre présente l’analyse et l’interprétation des résultats de notre étude. Ces

dernières sont divisées en trois grandes sections et présentées en ordre chronologique : le

parcours prémigratoire, le projet migratoire et le parcours post-migratoire. La première

section explore le rôle des réseaux et du contexte social dans les opportunités et les choix

relatifs à la scolarité initiale et au parcours professionnel des femmes interrogées. La

seconde section s’intéresse au projet migratoire, plus spécifiquement aux rôles des réseaux

sociaux relatifs aux motivations pour immigrer et aux choix concernant le lieu

d’immigration et d’établissement; elle aborde ensuite les informations obtenues par les

réseaux avant l’immigration. La troisième section aborde les aspects suivants relatifs aux

parcours post-migratoires : l’accueil et l’établissement, puis le parcours professionnel post-

migratoire au Québec.

4.1. Le parcours prémigratoire

Cette première section s’intéresse aux aspects suivants du parcours prémigratoire : la

scolarité initiale et le parcours professionnel prémigratoire. Une attention particulière est

portée sur le rôle que jouent les réseaux sociaux et le contexte social dans l’accès aux

opportunités pour les femmes interrogées ainsi que les choix scolaires et professionnels

qu’elles ont effectués.

4.1.1. La scolarité initiale

Le premier aspect du parcours prémigratoire qui a été analysé est le rôle des réseaux et du

contexte social dans la scolarité initiale des participantes. Les réseaux et les contextes ont

influencé tant le choix de poursuivre des études supérieures en général que le choix du

domaine d’étude en particulier. L’analyse fait notamment ressortir l’influence de l’attitude

des parents – elle-même influencée par le contexte social – sur les choix scolaires des

immigrantes maghrébines hautement scolarisées. Le rôle des réseaux familiaux sera

présenté, puis celui du contexte social.

Page 123: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

113

4.1.1.1. Le rôle des réseaux familiaux

Le choix de poursuivre des études supérieures ainsi que le domaine d’études choisi sont

généralement influencés par l’attitude des parents à cet égard. En effet, la majorité des

participantes soulignent l’encouragement explicite de faire des études de la part de leurs

parents. Le commentaire de Ghalia18 voulant que « Pour eux, les études fussent prioritaires

» exprime bien ce propos. Il en est de même pour Chadia: « Ma mère me disait toujours, va

de l’avant. Il y a eu un grand soutien de la part de mes parents ». [Chadia]

Dans plusieurs cas, le rôle du père est particulièrement saillant; certaines affirment que

c’est surtout lui qui a exprimé cet encouragement :

C’est mon père qui nous encourageait beaucoup. C’est lui qui encourageait, ma mère, elle

ne savait même pas lire à l’époque. [Dalia]

Les parents ont aussi, influencé le choix du domaine d’études et de la profession future,

explicitement ou implicitement, pour une multitude de raisons. En effet, pour certaines, les

parents ou le père encourageaient ou décourageaient certains choix. Pour Chadia, par

exemple, son choix initial était de devenir hôtesse de l’air; il fut découragé par ses parents,

car ils ne considéraient pas que cela soit un emploi convenable pour une femme :

Le premier métier que j’avais en tête était hôtesse de l’air. Et dans nos traditions, hôtesse de

l’air ce n’était pas vraiment bien vu pour une femme. Hôtesse de l’air c’était une femme qui

ne pouvait pas se marier, qui ne pouvait pas fonder un foyer et tout. Donc, mes parents ne

m’ont pas vraiment encouragée à le faire. [Chadia]

Dans ce passage, Chadia évoque le statut socialement désirable pour une femme, c’est-à-

dire, se marier, fonder un foyer et implicitement, avoir des enfants, comme rôle premier.

Ainsi, en s’appuyant sur des normes sociales assignant aux femmes en priorité des rôles

familiaux, ses parents renforcent les normes sociales de sexe ambiantes et désapprouvent

certains choix professionnels vus comme incompatibles avec ces rôles familiaux, soit à

cause des contraintes du métier (horaire et espace) ou d’autres contraintes non explicites

18 Les noms des participantes ont été modifiés afin de préserver l’anonymat.

Page 124: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

114

dans la citation, possiblement liées aux représentations sociales du métier ou des gens le

pratiquant.

Pour Fadela, il s’agit plutôt de la nécessité de choisir une formation permettant d’obtenir un

emploi et de bien gagner sa vie, donc un objectif d’autonomie personnelle qui les anime,

elle et son père :

Je voulais faire de la sociologie. Je m’inscris, on m’accepte à la faculté des sciences

humaines et de sociologie, mon père m’a dit : « Non. Tu fais médecine vétérinaire. » J’ai

fait médecine vétérinaire. (...) ça fait pas vivre la sociologie. [Fadela]

Pour d’autres, il semble que le père ait eu une influence plus indirecte, ou il était une

inspiration. Nadra, par exemple, a choisi un domaine semblable à celui de son père, qui l’a

influencé en la formant en répondant à ses questions et en la stimulant. De plus, il

l’autorisait à nourrir des aspirations élevées pour elle-même, puisqu’il occupait un poste de

direction :

J’étais très inspirée par mon papa (...) il était directeur d’une société (...) je voulais être

comme lui, je demandais toujours des questions à mon père : qu’est-ce qu’il fait? Comment

il fait? Comment je peux améliorer ça? Puis il me boostait, boostait, boostait. [Nadra]

En plus d’encourager la poursuite des études, le soutien financier des parents est souligné

par plusieurs participantes:

Certainement, c’était eux qui payaient en plus. [Imane]

Vu que mon père était aisé, il nous a acheté un immeuble à Marrakech à côté de l’université.

Alors j’ai fait mes études calmement, c’est-à-dire, j’étais bien. Mon père finançait. [Mounia]

Cet appui des parents semble généralisé aux sœurs et frères des participantes qui, dans

presque tous les cas, avaient tous ou presque tous des diplômes universitaires. Les

participantes expliquent cela en disant, par exemple que : « Dans notre famille, les études

c’est primordial » (Leila), ou « Disons que je viens d’une famille qui privilégie les études »

[Jadia]. Certaines participantes, comme Esma, ont détaillé les professions de leurs sœurs et

frères :

Ma grande sœur, elle est médecin radiologue. J’ai une deuxième sœur qui est agronome

forestier. J’ai une sœur qui était médecin, mon frère est architecte. Après c’est deux sœurs

vétérinaires, puis une sœur informaticienne et la dernière qui est pharmacienne. [Esma]

Page 125: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

115

Ainsi, l’importance accordée aux études des garçons et des filles est une norme

particulièrement saillante dans les familles d’origine des participantes. Cette valeur est

transmise par le réseau familial : en premier lieu, les parents qui incitent aux études et qui

influencent en partie le choix du domaine d’études, et en deuxième lieu, les sœurs et frères

qui souvent poursuivent également des études supérieures. De plus, dans le cas d’Esma, on

constate la diversité des choix professionnels des sœurs, de même qu’une forte dominance

dans le secteur de la santé (humaine et animale). Notons aussi que les parents qui valorisent

aussi la formation sont parfois de milieux socio-économiques modestes. Ainsi, les études

sont une stratégie d’ascension sociale.

4.1.1.2. L’influence des contextes sociaux

Nous notons aussi l’influence des normes et du contexte social sur les attitudes des parents

ainsi que dans les choix des participantes relativement aux études postsecondaires. Par

exemple, Chadia n’était pas la seule participante à mentionner les normes de genre comme

influençant l’attitude des parents et des participantes face aux études en général et aux

domaines d’études en particulier19. Ce fut aussi le cas pour Esma et Hakima, entre autres,

qui contestent les normes de genre :

L’environnement en Algérie, la femme, elle est toujours en deuxième position, je dirais, par

rapport à l’homme, malgré que cela ait changé un petit peu maintenant, mais c’est cet

aspect-là qui me poussait à fond de montrer, de prouver que je suis capable, que je suis

mieux que certains hommes, je dirais. (...) j’ai choisi peut-être ça pour aussi montrer qu'une

femme (...) est capable d’être médecin vétérinaire, d’être en contact avec les animaux (...). À

l’époque, y avait pas beaucoup de femmes vétérinaires et c’est pas facile de faire médecine

vétérinaire en Algérie. Parce que c’était considéré comme un métier d’homme, je dirais. Ma

mère était fâchée contre moi, mon père, par contre, m’a encouragée. [Esma]

Je pense que dans un pays, là, où l’homme qui prend le dessus sur les femmes un petit peu.

Ce n’est pas religieux, mais c’est vraiment culturel. Je pense chez tout le monde, (...) même

ici au Québec, on devrait, nous les femmes prendre en considération les études. Ça, ça veut

dire la liberté, plein de choses, que ce soit sur le plan économique ou bien individuel.

[Hakima]

19 Voir section 1.1.1. Le rôle des réseaux familiaux.

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116

Alors que pour Esma cette contestation est active et elle cherche en quelque sorte à prouver

ce qu’elle peut faire en choisissant une profession masculine particulièrement exigeante,

pour d’autres, cette contestation est moins affichée. Par exemple, pour Hakima, les études

sont un moyen d’assurer sa liberté et son autonomie financière dans des sociétés où les

rapports sociaux de sexe sont inégalitaires. Ainsi, la liberté devient une motivation pour

poursuivre des études. C’est aussi le cas pour Aicha :

Mes aspirations lorsque j’étais petite, c’est d’étudier, de travailler, et d’être autonome

financièrement. [Aicha]

Le besoin d’autonomie financière a aussi motivé Imane à terminer ses études plus

rapidement et à intégrer le marché du travail :

Parce qu’on a besoin réellement d’être autonome, d’avoir mon argent à moi. (...) c’est moi

qui voulais réellement me sentir que je suis capable de faire mes choses, payer mes choses.

Ce n’était pas l’obligation de mes parents, pas du tout. [Imane]

De plus, le contexte social plus global – au-delà des normes de genre -- peut influencer

l’attitude face aux études supérieures en général et aux choix de domaine en particulier. En

effet, les normes et les attentes peuvent circuler à travers de multiples réseaux constituant la

société dans laquelle les participantes sont imbriquées. Ainsi, les normes sociales ambiantes

sont internalisées et semblent avoir influencé les décisions des participantes. Ces normes,

telles que perçues et intégrées par les participantes, concernent notamment la poursuite des

études supérieures, le besoin de reconnaissance sociale et de statut, ainsi que le prestige

associé à certaines filières dans leur pays d’origine, en particulier les secteurs réputés

difficiles :

Chez nous, tant que tu es excellent dans tes études, c’est ça les filières où les gens sont

sélectionnés. (...) reconnaitre nos compétences et aller vers les choses difficiles, c’est une

façon de marquer sa présence, d’être estimé par les autres. [Kamila]

Les Algériens, ça manque pas ça les diplômes, ils font que ça, étudier, mais sans quelque

chose en perspective. Étudier pour étudier parce qu’ils ont pas autre chose à faire. Là, tout

ce qui est professionnel a commencé à remonter, parce que il commence même les maçons,

y en a pas beaucoup, c’est considéré comme il a pas fait des études, alors il va être mal payé

tout de suite. (...) Ou bien c’est la sécurité aussi, pour un plombier et tout euh... il n’aura pas

la sécurité, par exemple, sur le plan santé et tout alors les gens évitent ça. [Hakima]

Ces extraits illustrent une certaine tendance chez les femmes immigrantes hautement

qualifiées originaires du Maghreb, de valoriser ce qui est difficile. Leurs attitudes face à

Page 127: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

117

l’éducation postsecondaire sont intimement liées à celles de leurs parents, particulièrement

leur père. Elles sont aussi liées aux attitudes de leur famille (incluant les parents, les frères

et les sœurs) et à leurs expériences concernant les normes et les attentes circulant dans leurs

pays d’origine en général ou celle de leur réseau familial en particulier. Elles sont donc

fortement influencées par leurs réseaux, tant pour la décision de poursuivre des études, que

celle du domaine d’étude. Concernant ce dernier, les attentes concernant les opportunités

d’emplois futurs, les normes sociales de genre et le prestige accordé à certaines professions

ressortent aussi comme des facteurs qui retiennent l’attention.

4.1.2. Le parcours professionnel prémigratoire

Partant de l’idée que les expériences concernant le rôle des réseaux dans le parcours

prémigratoire pourraient influencer les attentes et les stratégies post-migratoires, nous

cherchons à répondre à la question suivante : quels rôles les réseaux ont-ils joués dans les

parcours professionnels prémigratoires des participantes? Cette section est divisée en deux

grandes sous-sections : l’obtention du premier emploi et la suite du parcours professionnel

prémigratoire.

4.1.2.1. Le premier emploi prémigratoire

Le premier emploi prémigratoire constitue le début de l’insertion initiale au marché du

travail. Il est donc le point de départ de notre analyse. Ceci nous permet d’appréhender le

type d’emploi attendu et obtenu, et les circonstances l’entourant; notamment leurs attentes

concernant le rôle des réseaux sociaux.

Pour la majorité des participantes interrogées (10), l’obtention du premier emploi a été

influencée par le réseau. Cette influence s’est manifestée de quatre manières : le

recrutement, la référence, l’accès à l’information et le choix de l’emploi.

Une participante a été recrutée par un ancien professeur :

Le directeur chez qui je voulais travailler, c’était mon professeur, je faisais beaucoup de

fouilles archéologiques avec lui, mais il ne m’avait pas favorisée. Quand j’ai déposé ma

candidature, il avait favorisé d’autres gens qui étaient très proches de lui.Ce qu’il m’avait

proposé par contre, c’est d’aller travailler dans le Sahara. [Chadia]

Page 128: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

118

Le cas de Chadia illustre de deux manières comment le réseau peut influencer l’obtention

(ou non) d’un emploi, ainsi que les caractéristiques de l’emploi. Chadia a d’abord été

exclue d’un poste, car elle n’était pas assez proche de son directeur, mais elle a par la suite

pu profiter de ce lien un peu plus faible pour obtenir un emploi moins convoité. Dans ce

cas, un membre du réseau a agi directement.

Pour d’autres, le réseau agit indirectement : plusieurs participantes ont profité d’une

référence de la part de quelqu’un dans leur réseau, soit un ancien superviseur de stage,

un(e) ami(e) ou un(e) membre de la famille. Parfois la référence est donnée sans attentes de

retour, alors que dans d’autres cas, elles se situent dans un rapport de réciprocité :

Mon père, qui travaillait dans une ville, était un haut responsable, donc les gens essayaient

de lui faire plaisir. C’est sûr que c’était pour obtenir en échange des services et tout. Donc,

c’est comme ça que j’ai travaillé. [Fadela]

Le premier, c’était une amie de la famille qui a commencé à m’introduire pour faire des

remplacements. (...) Elle travaillait dans l’hôpital, elle était dans l’administration. [Basma]

Certaines participantes ont profité d’informations qui leur ont été transmises par des

personnes dans leurs réseaux, généralement des ami-e-s. Ces informations se sont avérées

utiles pour l’obtention d’un premier emploi en signalant des opportunités.

J’avais des amis qui étaient à l’université qui ont fait un stage là-bas. Quand ils ont fini leurs

stages, ils ont été embauchés là-bas. Et puis ils m’ont dit : Écoute! Il y a un poste, ils

cherchent quelqu’un. Si t’es intéressée, viens ». Et là, c’était le deuxième endroit où j’ai

déposé ma candidature. Et puis ils m’ont confirmé que effectivement ils vont me prendre et

puis ça a commencé comme ça. [Dalia]

Finalement, des membres du réseau peuvent influencer quel emploi est convoité et/ou

obtenu. Il s’agit notamment du cas de Leila qui décide de postuler pour un emploi après

avoir été encouragée à le faire par des ex-collègues de classe travaillant déjà dans

l’organisation :

«La plupart de ma promotion [travaillait là]. (...) j’avais deux collègues que je connaissais,

puis c’est eux qui m’ont encouragée. J’ai déposé mon CV, puis c’est ma première job.

[Leila]

Ainsi, parmi nos 14 répondantes qui ont travaillé avant d’immigrer au Québec, neuf ont

trouvé leur premier emploi grâce à l’intervention de quelqu’un de leurs réseaux. Le réseau

professionnel a été bénéfique dans quatre cas, alors que le réseau personnel a été mobilisé

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119

dans six cas. Des personnes dans leurs réseaux les ont recrutées, leur fournissent des

références ou de l’information concernant un poste, ou ont influencé leur choix d’un poste

lorsque plusieurs options s’offraient à elles. Donc, dans l’expérience prémigratoire, plus de

la majorité des personnes ayant occupé un emploi l’ont obtenu grâce à l’intervention de

leurs réseaux personnels et professionnels.

4.1.2.2. Les autres emplois prémigratoires

Tout comme pour le premier emploi, plusieurs participantes ont obtenu d’autres emplois à

la suite d’une embauche, une référence ou de l’information obtenue par quelqu’un dans leur

réseau. En effet, les membres de la famille et leurs réseaux amicaux, de même que les amis

et les anciens collègues de classe continuent d’influencer le parcours professionnel après le

premier emploi. À ces liens s’ajoutent les contacts professionnels comme acteurs jouant un

rôle dans l’obtention d’emplois prémigratoires. Sur 22 emplois relatés par les participantes,

huit ont été obtenus à la suite de l’intervention d’un réseau. Le réseau professionnel a été

bénéfique dans cinq cas, alors que le réseau personnel a été mobilisé dans trois cas. Il s’agit

d’environ le tiers, alors pour beaucoup, le réseau n’a pas été évoqué. Dans le parcours

professionnel prémigratoire, donc, les réseaux servent davantage pour l’obtention du

premier emploi que les autres.

Pour Dalia, par exemple, le réseau professionnel a mené à l’obtention de son deuxième

emploi :

J’ai changé pour une autre firme qui était comme sous-traitant de chez nous et qui ont eu à

travailler avec moi. Et puis ils m’ont proposé un poste meilleur avec un salaire meilleur et

puis j’suis partie. [Dalia]

Ce fut aussi le cas d’Aicha :

Ils ont commencé à chercher quelqu’un (...) et les gens m’ont recommandée, « bon c’est

quelqu’un qui a de l’expérience et qui est d’origine d’ici, qui comprends les enjeux et tout »

et c’est ça donc ils m’ont appelée (...) et après, ils m’ont pris. [Aicha]

Nous remarquons aussi que chez les neuf participantes ayant obtenu ou choisi un emploi à

la suite de l’intervention d’un réseau, leurs réseaux sont intervenus dans l’obtention

d’emplois subséquents, dans six cas. Cependant, chez les quatre participantes n’ayant pas

eu recours à leurs réseaux dans l’obtention de leur premier emploi, une d’entre elles a

Page 130: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

120

seulement eu cet emploi (et l’occupait toujours avant d’immigrer) et pour les trois autres, le

réseau n’est pas intervenu dans l’obtention des emplois subséquents non plus. Dans la

section qui suit, nous explorons d’autres moments du parcours professionnel prémigratoire

où les réseaux ont pu avoir une influence.

4.1.2.3. Les autres éléments du parcours professionnel prémigratoire

En plus d’avoir une influence sur l’obtention d’un poste, certains acteurs peuvent avoir une

influence sur la décision de modifier la situation professionnelle; c’est généralement le

conjoint. Trois participantes se sont retrouvées dans ce type de situation. Cette modification

peut-être, par exemple, le fait de quitter un poste ou de retourner aux études. Pour Fadela,

par exemple, elle a démissionné d’un poste afin de se sortir d’une situation conflictuelle

entre son conjoint et son employeur, situation dont elle risquait de faire les frais :

J’ai démissionné parce que à un moment donné le gars me disait : « ton mari me doit ci, ça,

je vais le retenir sur ton salaire ». Mais à un moment donné, je me disais, ça ne peut pas

marcher comme ça. J’ai démissionné. [Fadela]

Oumaima, quant à elle, a quitté son poste d’enseignante en Tunisie afin de suivre son

conjoint en France où il occupait un emploi exigeant. Elle a alors dû se résoudre,

notamment par manque d’opportunités, à se consacrer à ses enfants, assumant ainsi un rôle

traditionnel de sexe :

J’ai travaillé dans un institut pour la préparation au concours universitaire. Donc,

paramédicaux. Mais à l’époque, mon mari était aussi l’équivalent d’un résident en

médecine, donc, il travaillait beaucoup et j’avais mes enfants en bas âge. Donc, j’ai un peu

consacré cette période-là à l’éducation de mes enfants. Et puis ce n’était pas facile aussi de

trouver un travail non plus (...) c’est fermé, c’est complètement fermé. [Oumaima]

Enfin, Ghalia a rejoint son conjoint en France et a effectué un retour aux études. Elle

profite donc de cette opportunité pour développer son employabilité.

Je devais le rejoindre pour être ensemble. J’en ai profité pour faire une formation en même

temps en France, parce que lui il était basé en France. [Ghalia]

Pendant cette maitrise, elle a profité de ses contacts professionnels en Algérie pour

sécuriser un stage en France.

Le stage, je l’avais parce que, dans mon emploi en Algérie, on avait fait des formations.

J’avais des contacts avec la compagnie. C’était les premiers que j’avais contactés; j’ai dit :

Page 131: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

121

« je suis en France ». Puis, ben, ils me connaissaient un petit peu, ils connaissaient mon

parcours, puis j’ai dit : « j’ai besoin d’un stage. Est-ce que vous avez quelque chose à me

proposer? » Ils m’ont fait une offre (...), mais c’était grâce au réseau que j’avais à Alger et

tout. [Ghalia]

Ces femmes suivent donc les choix professionnels de leurs conjoints et non l’inverse. Ceci

est vu comme une opportunité pour certaines, qui mobilisent ensuite leur propre réseau (et

non celui de leur conjoint). Ghalia n’est pas la seule à avoir profité de ses contacts afin de

sécuriser un stage lors d’une formation. C’est aussi le cas de Jadia qui a effectué de

nombreux stages, en majorité, obtenus grâce à des réseaux familiaux et professionnels

qu’elle sait utiliser stratégiquement :

J’ai été chanceuse, plus ou moins, parce que pour tous mes stages, je faisais intervenir, par

exemple : quand j’avais la possibilité, quand je savais que y avait des gens qui connaissaient

des gens. Donc j’arrivais bien à me placer notamment pour le premier stage, j’avais un oncle

qui connaissait quelqu’un qui a bien pu me faire entrer là-dedans pendant trois mois. Après,

j’ai eu un autre stage pareil (...) c’était donc quelqu’un qui connaissait ma tante et puis qui

m’a dit « si tu veux venir (...), voilà nous ce qu’on a à te proposer pendant trois mois ». (...)

Et, par exemple, dans le cas du stage que j’ai fait (...) c’était un ami qui était dans la promo

qui avait une autre proposition de stage plus intéressante donc lui m’a dit : «Écoute, va les

rencontrer au cas où et ça a marché ». (...) Puis une fois, j’ai tellement aimé l’expérience

[dans une entreprise], (...) que je savais que j’allais faire un DEA par la suite, donc j’ai

sécurisé plus ou moins le stage de l’année d’après. Donc, j’ai été voir les personnes

compétentes là, (...) et j’en ai vraiment profité pour faire mon terrain de recherche en

observation participante. [Jadia]

Nous avons vu comment les réseaux des participantes ont pu intervenir dans l’obtention

d’un emploi ou d’un stage et les choix de quitter un emploi ou de mobilité internationale.

Alors que dans les cas de Ghalia et de Oumaima, des liens forts sont en cause (le conjoint),

divers réseaux peuvent intervenir dans l’obtention d’un stage, notamment les réseaux

familiaux, d’anciens camarades de classe et des réseaux professionnels.

4.1.3. Bilan : le rôle des réseaux dans le parcours prémigratoire

Le bilan qui suit se divise en deux parties : le rôle du réseau familial et du contexte social

dans les choix relatifs à la scolarité initiale, puis le rôle des réseaux sociaux dans le

parcours professionnel prémigratoire des participantes.

4.1.3.1 Le réseau familial, le contexte social et la scolarité initiale

Cette recherche indique que les réseaux ont une influence sur le parcours professionnel des

immigrantes hautement qualifiées dès qu’elles effectuent des choix concernant leurs

Page 132: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

122

parcours scolaires et donc, leurs qualifications initiales et leurs opportunités

professionnelles futures. En effet, les réseaux familiaux et institutionnels encouragent ces

femmes à choisir des filières professionnelles leur permettant d’accéder à de bons emplois

– dans des domaines considérés acceptables pour des femmes selon les normes sociales et

culturelles de sexe - avec un certain niveau de prestige et donc, permettant une certaine

ascension sociale. Plus spécifiquement, nous avons vu que la majorité des participantes

avaient été encouragées par leurs parents à poursuivre des études postsecondaires,

généralement afin de s’assurer un bon avenir caractérisé par un emploi stable et

rémunérateur. L’encouragement était souvent accompagné de l’influence du choix du

domaine d’étude, particulièrement de la part du père. L’influence de la mère est rarement

mentionnée explicitement, et semble donc se confondre avec celle des parents. De plus, la

famille offre généralement un soutien financier – implicite ou explicite – pendant les

études. Finalement, les sœurs et les frères des femmes interrogées ont aussi poursuivi ou

poursuivaient généralement des études postsecondaires, indiquant que cet encouragement

est généralisé dans la famille.

Nombreuses sont les études qui attestent de l’influence des parents ou de leurs

caractéristiques sur les choix éducationnels des personnes (Jungen, 2008). Il est question

notamment du niveau d’éducation des parents ainsi que leur niveau de capital culturel

(Bourdieu, 1973). Ces études démontrent qu’il existe un lien entre une ambiance familiale

favorisant la réussite scolaire et l’ascension sociale, qui inclut la présence d’un projet

éducatif et la mobilisation des ressources dans ce sens (Zéroulou, 1988; Santelli, 2001).

Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que les sœurs et les frères poursuivent également

des études postsecondaires, étant eux aussi exposés à des modèles et à des pratiques les

favorisant (Duclos, 2006).

En ce qui concerne le rôle du père, Ferrand, Imbert et Marry (1999) soutiennent que la mère

et le père peuvent avoir des rôles différents dans les modalités de transmission du rapport à

l’éducation. En effet, les mères encourageraient leurs filles à occuper un emploi et à être

autonomes financièrement tout en ayant des enfants (Bouchard, 2003). Cela serait

particulièrement saillant chez les mères n’ayant pas fait d’études, car elles projetteraient sur

leurs filles leur désir de réussite et d’ascension sociale (Santelli, 2001; Zéroulou, 1988).

Page 133: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

123

Dans son étude de jeunes femmes maghrébines, Duclos (2006) remarque que les mères

occupent un rôle de soutien et d’engagement tout au long de la scolarité, tandis que les

pères ont davantage d’influence lors du choix de filière pour les études supérieures; ils

favoriseraient généralement les matières économiques ou scientifiques. Ils serviraient

notamment de modèle à suivre et fourniraient des informations quant à la valeur de ces

diplômes, et donc, des opportunités d’emploi ou d’ascension sociale qui suivent. Ceci est

effectivement ce qu’il a été rapporté par la majorité des participantes à la présente étude.

S’ajoute à ce phénomène le contexte particulier du Maghreb contemporain. En effet, à la

suite de leur indépendance de la France au cours des décennies 1950 et 1960 les pays du

Maghreb ont cherché à se reconstruire en portant une attention particulière à l’éducation et

à l’investissement dans les infrastructures, dont l’État. Selon Duclos (2006 : 92) : « Lors de

l’indépendance du Maroc et de celle de la Tunisie, le discours nationaliste s’est forgé

autour de la nécessité de recouvrer la ‘personnalité arabo-musulmane’ du pays (Vermeren,

2002 : 241) et un des instruments privilégiés a été la réforme du système d’enseignement ».

Ainsi, depuis les années 1950, l’éducation primaire et secondaire s’est généralisée, et

l’éducation postsecondaire est devenue une composante incontournable de l’ascension

sociale. Cet élément de contexte nous permet de mieux situer l’importance accordée à la

poursuite des études postsecondaires par les participantes, ainsi que les membres de leur

famille.

De plus, les attentes envers les femmes et leurs choix professionnels ont évolué depuis les

années 1950, mais elles continuent d’être influencées par les rapports sociaux de sexe

traditionnels : « bien que l’activité professionnelle féminine s’accroisse, les femmes sont

encore pour un grand nombre, en Tunisie comme au Maroc, soumises aux valeurs d’une

société patriarcale et traditionnelle et leur univers reste celui de la gestion du quotidien,

c’est-à-dire du travail domestique. » (Duclos, 2006 :86). Ceci peut expliquer en partie les

attitudes des parents de nos participantes concernant les domaines d’étude qui étaient

appropriés ou non pour des femmes. Cependant, cela n’explique pas les raisons pour

lesquelles certains pères incitent leurs filles à explorer des domaines non traditionnels,

comme il en a été le cas pour certaines des participantes, dont Nadra (gestion), Esma

(médecine vétérinaire) et Hakima (médecine vétérinaire). Pour répondre à cette question,

Page 134: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

124

nous nous tournons vers la littérature sur l’influence du père sur les choix scolaires et

occupationnels des filles. Plusieurs études sur les femmes choisissant des domaines non

traditionnels effectués dans les années 1970 et 1980 indiquent que ces femmes ont plus

souvent des relations proches avec leur père et le considèrent comme un modèle, partageant

plusieurs intérêts avec lui (Auster et Auster, 1981). Elles se perçoivent souvent comme

étant l’enfant préférée de leur père (Fitzpatrick et Silverman, 1989). Dans le cas des

participantes à cette étude, seulement Nadra a rapporté avoir une relation proche avec son

père et le voir comme un modèle ; Esma et Fadela, quant à elles, avaient une relation plutôt

distante de leur père, qui était, selon elles, plutôt autoritaire.

4.1.3.2 Les réseaux sociaux et le parcours professionnel prémigratoire

Rappelons que notre objectif n’étant pas de quantifier ou de caractériser l’ensemble du

réseau des participantes, mais de cibler ceux qui sont intervenus dans leurs parcours

professionnels. Cependant, afin de mieux situer l’intervention de différents réseaux dans

leurs parcours professionnels, nous leur avons aussi demandé de parler plus généralement

de leurs réseaux personnels et professionnels. Ceci permet d’avoir un aperçu de

l’impression générale que les participantes avaient de leurs réseaux.

En ce qui concerne le parcours professionnel prémigratoire, nous constatons l’influence des

réseaux familiaux et amicaux sur l’obtention du premier emploi, soit par le recrutement, la

référence, l’accès à l’information ou le choix de l’emploi. La mobilisation du réseau

demeure aussi utile pour la suite du parcours, bien que dans une moindre mesure. Il

intervient parfois dans l’obtention d’un emploi, mais aussi, dans d’autres types de

changements dans le parcours, tels que les démissions ou la décision de se retirer

temporairement du marché du travail. Ces décisions sont généralement prises dans une

optique d’ajuster son parcours à celui du conjoint, qui poursuit ses études ou une

opportunité d’emploi à l’étranger. Dans ces cas, cette décision semble plutôt être le fruit de

l’assignation des femmes aux rôles de soutien du conjoint et de la famille que le résultat

d’une négociation entre deux individus ayant des positions symétriques, car les

participantes présentent ce choix comme allant de soi; elles ne rapportent pas avoir tenté de

négocier un autre aménagement. Finalement, les réseaux familiaux et professionnels

Page 135: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

125

semblent jouer un rôle important dans l’obtention de stages, pour celles qui en ont effectué

un.

Notons qu’il était parfois difficile d’avoir des informations distinctes sur les réseaux

personnels et les réseaux professionnels des participantes, notamment parce que plusieurs

considéraient leurs collègues comme étant des amis. De plus, plusieurs d’entre elles ont

obtenu des postes dans des organisations où des amies ou d’anciennes camarades de classe

travaillaient, ce qui suggère que la relation amicale est antérieure à la relation

professionnelle pour plusieurs. Dans un autre ordre d’idées, la famille prenait souvent une

place importante dans les discussions concernant les réseaux personnels, mais parfois une

même personne était considérée comme faisant partie du « réseau familial » en étant « ami

de la famille ». Ainsi, la distinction entre les réseaux personnels, familiaux et amicaux peut

être artificielle ou même douteuse pour certaines participantes dont les réseaux personnels,

amicaux et familiaux sont enchevêtrés. Ceci suggère aussi que les réseaux évoluent tout

comme les liens qui relient les individus. Ainsi, de connaissance professionnelle, une

personne peut devenir amie, passant non seulement du réseau professionnel au réseau

personnel\amical, mais passant simultanément d’un lien faible à un lien fort.

4.2. Le projet migratoire

Nous avons délimité le projet migratoire en débutant par les motivations pour immigrer et

en terminant par le départ du pays d’origine. Ainsi, l’accueil et l’établissement au Québec

seront abordés dans la prochaine section portant sur le parcours post-migratoire. Cette

section a pour objectif d’offrir un aperçu du rôle des réseaux sociaux dans l’élaboration du

projet et des attentes migratoires et professionnelles. Pour ce faire, nous abordons les

motivations pour immigrer en général, le choix du lieu en particulier (Canada, Québec,

Montréal, ville de Québec) et l’information mobilisée par les réseaux en vue de

l’immigration.

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126

4.2.1. Les motivations pour immigrer

Les facteurs motivant les personnes à immigrer sont nombreux et abondamment abordés

dans la littérature sur l’immigration; notre objectif ici est plutôt de cerner les rôles des

réseaux dans l’élaboration et la consolidation de ces motivations.

4.2.1.1. Pour un avenir meilleur

La volonté générale de progresser, d’améliorer sa qualité de vie ou d’assurer un meilleur

avenir pour soi ou pour ses enfants sont des motivations pour immigrer relativement

généralisée chez les participantes.

Je voulais faire mieux, puis parce que y avait l’Ambassade canadienne qui a affiché plein de

publicités dans les journaux comme quoi on avait besoin d’infirmières. J’ai rencontré une

infirmière québécoise qui travaillait à Sainte-Justine, c’est elle qui nous a enseigné. Elle m’a

dit : « toi tu ferais du bien chez nous, tu travailles bien ». Elle m’a encouragée, donc je

voulais venir travailler ici puis travailler honnêtement, travailler bien comme il faut. [Leila]

Pour plusieurs participantes, cette volonté de progresser est intimement reliée à un projet de

poursuite des études graduées. Parfois ce projet était concret, mais parfois c’était une option

parmi d’autres. Pour Mounia, par exemple, la décision d’étudier était prise avant

d’immigrer :

Avant même de venir ici, j’ai décidé de refaire mon doctorat. Du Maroc, je suis venue pour

étudier. [Mounia]

Pour Jadia par contre, la situation était un peu plus complexe. Son parcours migratoire

compte une première phase de dix ans en France où elle avait entrepris les démarches de

demande d’immigration. Elle y a constaté le manque d’opportunités d’emploi en France en

raison de son statut de non-citoyenne. Après une expérience négative de recherche

d’emploi en France, elle décide de partir au Canada, espérant s’y insérer

professionnellement. Elle avait en tête de trouver un emploi et éventuellement

d’entreprendre un doctorat financé par une entreprise, croyant qu’une telle modalité existe

et est probable. Cependant, en attendant la réponse à sa demande d’immigration, elle

commence un doctorat en France. Lorsqu’elle reçoit la réponse positive d’Immigration

Canada, elle élabore rapidement un projet de cotutelle afin de poursuivre ses études au

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127

Québec. Ainsi, bien que la motivation initiale soit l’insertion professionnelle, celle-ci

semble indissociable du projet d’études :

J’ai passé dix ans en France et j’ai senti que je n’y avais pas ma place. (...) c’était suite à une

entrevue d’embauche où on commençait à me dire : « oui, mais tu es étrangère ». (...) je

voulais faire un doctorat, parce que je le voyais dans une optique, commencer à travailler et

puis faire financer le doctorat par une entreprise (...) au Canada. Mais il s’est avéré qu’en

fait, (...) je l’ai commencé en France mon doctorat. (...) j’ai commencé à regarder un petit

peu plus ce qui se faisait ici en me disant : « bon, je vais arriver au Canada, si je trouve un

job, je m’en fiche de la thèse, je vais tout arrêter et puis voilà, je vais travailler ». [Jadia]

Pour Jadia, donc, il s’agissait d’une stratégie d’employabilité et de financement de ses

études, imbriquées l’une dans l’autre. Cependant, cette stratégie n’a pas fonctionné, en

raison notamment d’un manque d’information sur les réelles opportunités au Québec.

Si la décision initiale d’entreprendre les démarches d’immigration était souvent liée à la

volonté d’améliorer sa qualité de vie et ses opportunités professionnelles, la motivation

peut devenir moins claire en cours de route. En effet, il existe parfois une différence entre la

situation socio-économique et professionnelle au moment d’entreprendre les démarches

d’immigration et celles au moment d’immigrer. Ainsi, certaines participantes cherchant

initialement à améliorer leur qualité de vie expliquent que leur situation s’était améliorée

avant d’immigrer; leur choix de continuer le projet migratoire est éventuellement plus

complexe que l’amélioration de la situation socioprofessionnelle:

Dans une période de dix ans quand on a décidé d’immigrer, on avait des salaires qui nous

permettaient de vivre dignement, mais le jour où on a immigré, on avait des très, très bons

salaires. En dix ans, ça a beaucoup changé. D’ailleurs, c’est moi qui me disais au bout du

fil : « pourquoi est-ce que tu continues à penser à partir? ». Mais à ce moment-là c’était

vraiment qu’on avait entamé et bien on y va. [Dalia]

Ainsi, entre le début de l’élaboration du projet migratoire et le moment du départ, les

motivations reliées à la volonté de s’assurer un avenir meilleur peuvent varier et de

nombreuses années peuvent s’écouler. Pour les répondantes à cette étude, il s’est écoulé

entre deux et six années. Regardons maintenant quelles autres motivations ont été évoquées

par les participantes.

4.2.1.2. Pour fuir le contexte politique ou social du pays d’origine

Pour certaines, malgré une situation socio-économique favorable, des éléments de la qualité

de vie quotidienne, tels que la bureaucratie, le manque d’efficacité des institutions

Page 138: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

128

publiques et la situation politique dans le pays d’origine expliquent en partie la motivation

pour immigrer.

On avait tous les moyens en Algérie. Donc, on avait nos postes, nos voitures, on avait un

beau logement, on voyageait tout le temps, mes enfants partaient dans des écoles privées,

donc, la situation était extraordinaire en Algérie. Mais on voulait venir ici pour, pour avoir

quand même un mode de vie meilleur (...) parce qu’en Algérie, même si vous avez de

l’argent, le mode de vie n’est pas bon. Le quotidien algérien est fatigant. Le système

politique a fatigué les gens. Y a trop de bureaucratie. Pour avoir le simple papier, faut faire

des queues, faut tout le temps attendre. Parfois il vous dit, telle personne qui te voit, qui doit

signer n’est pas là, elle est absente, ah elle est en train de prendre un café, donc, ça traine

beaucoup. [Chadia]

D’autres nous font part de la dégradation de la situation socio-économique, de

l’appauvrissement vécu en lien avec le contexte politique et la diminution des libertés

civiles et de la démocratie. Ce fut le cas notamment d’Oumaima :

La vraie raison, la principale raison, c’était l’atmosphère sociopolitique au pays. En 2010,

on n’en pouvait plus. On avait une pression, parce que, pas le droit à la parole, y avait pas de

liberté, et cetera. Mais du côté social aussi, on voyait qu’il y avait une islamisation du pays,

on voyait ça arriver, et aussi du point de vue économique, on voyait une très grande hausse,

ce qui veut dire que même mon salaire à moi qui étais considérée comme, je suis

professeure de l’enseignement secondaire principale, ce qui veut dire que je fais partie des

cadres. Je vivais seule, j’avais ma fille avec moi, mais c’était très, très difficile de vivre

correctement. [Oumaima]

Mounia nous offre également un aperçu de sa vision de la situation politique dans son pays

d’origine, qui évolue vers le conservatisme; ainsi la place des femmes se détériore :

Il y a le côté politique aussi qu’il ne faut pas oublier dans ma décision. C’est que en 1999,

j’avais un rêve qu’on va avoir une politique plus libérale, un jeune roi. En 2002, j’étais

choquée de voir un technocrate devenir premier ministre. Et de voir aussi les gens, ils

concentrent trop de politiques traditionnelles. (...) Ils ne veulent pas parler que la femme,

elle est toujours mise à l’écart. Ça m’a choquée. [Mounia]

En plus de la situation sociopolitique et économique récente, certaines participantes – dont

Mounia ci-haut - citent les rapports sociaux de sexe inégalitaires et défavorables aux

femmes, comme une situation à laquelle elles veulent échapper. Par exemple, Esma nous

informe davantage sur les pressions qu’elle ressentait face aux normes qui circulent dans

les réseaux, et les contraintes imposées aux femmes sur leurs comportements (normes

vestimentaires, activités prohibées dans l’espace public, faible ou non-reconnaissance de

leur statut et de leurs compétences), alimentant sa volonté d’immigrer.

C’est la société qui fait que l’homme, il est considéré comme, j’exagère, là, Dieu, et les

femmes sont toujours, … il faut lutter, vraiment prouver, on a l’impression d’être tout le

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129

temps dans une lutte. C’est parmi les causes qui m’ont amenée à venir ici. (...) Il y a aussi

ici, je sais que c’est libre, donc, j’aurai pas le problème de sortir, ah il faut que je surveille

comment je m’habille, je peux pas courir à l’extérieur en Algérie. (...) Je pense qu’ici tout

est tellement facile pour les femmes que la majorité elles trouvent ça bon. (...) on dit que

c’est acquis donc, euh… oui, on ne le réalise pas. [Esma]

Mounia décrit certaines interactions avec des membres de son réseau lui faisant sentir leurs

normes inégalitaires concernant les rapports sociaux de sexe. Ces expériences quotidiennes

devenaient lourdes pour elle et ont alimenté la volonté de quitter son pays d’origine.

C’est comme, le côté traditionnel des collègues au bureau qui essaient toujours de te…

« pourquoi t’as mis ça? ». Les femmes mêmes qui portent le voile, qui te mettent tout le

temps de la pression (...) si ils connaissent que tu es divorcée alors là, ça y est. Je n’ai jamais

dit à mes collègues que j’étais divorcée. Parce que pour eux, une femme divorcée, c’est mal

réputé. C’est-à-dire tout ça c’était lourd pour moi. J’étais dans un cadre universitaire où l’on

n’arrête pas de parler de libéralisme, liberté, démocratie et tout. On te met dans un cadre

encore qui est si différent, complètement. C’est là où tu réalises tout ce que tu as lu, tout ce

que tu as étudié, c’est juste des rêves. Alors, il y a des gens avec qui tu as fait des études, ils

ont commencé eux aussi à changer leur façon de concevoir. Il y a un collègue qui te parle, tu

fais la bise avec lui, demain tu trouves qu’il s’est marié avec une femme voilée. Il oblige sa

femme à ne pas saluer les hommes. Mais là, tu dis ben? Pourquoi moi, pourquoi il vient me

faire la bise à moi et sa femme il la garde à la maison? C’est là que ça te choque tout le

temps. Toute ça cette hypocrisie ça m’a… [Mounia]

Le cas de Mounia démontre comment les attitudes des personnes dans le réseau

professionnel et des anciens collègues de classe peuvent alimenter la pression sociale sur

les femmes, de répondre à des normes conservatrices en termes de rapports sociaux de sexe.

En effet, les attitudes de certaines collègues féminines – par exemple, à l’égard des

vêtements portés et du divorce - ainsi que les comportements parfois contradictoires des

collègues masculins envers les femmes de leur réseau professionnel et leur propre épouse,

servent de rappels constants de ces normes. Ce sont ces attitudes et comportements qui ont

poussé Mounia à entreprendre l’immigration vers le Québec, espérant une société plus

égalitaire et moins contraignante pour les femmes.

Dans le cadre de nos entretiens, d’autres participantes mentionnent ces rapports sociaux de

sexe inégalitaires, véhiculés et renforcés par les réseaux familiaux, comme un facteur

irritant, sans nécessairement le relier au projet migratoire. C’est le cas notamment de

Fadela :

J’étais bien installée en Algérie. Mais je n’étais pas forcément heureuse parce que j’avais un

œil trop critique vis-à-vis de mon entourage. (...) Je ne supportais pas de voir de l’injustice,

je ne supportais pas de voir de l’hypocrisie. J’ai quand même des repères religieux. Et quand

je vois qu’au nom de la religion on fait des choses or que, y a des textes qui disent tout à fait

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le contraire, ça me révolte. Je n’ai pas de problèmes avec la religion, mais j’ai un énorme

problème avec les traditions maghrébines. (...) Ce qui fait que, y a un mépris de la fille et de

la femme (...) ce qui est drôle c’est que ce sont des femmes qui sont derrière ça. On dit que

c’est des machos, que c’est une société androgyne, mais ce n’est pas vrai. C’est les vieilles

femmes qui ont, quand tu te maries, tu ne dois pas choisir l’homme, tu dois choisir la belle-

mère. C’est une société œdipienne. [Fadela]

Selon Fadela, les acteurs clés dans la production et le maintien de ces normes de sexe

inégalitaires sont non seulement les hommes, mais aussi les femmes plus âgées, les mères

des époux, qui contraignent les femmes plus jeunes à travers leur fils, à agir conformément

à des normes traditionnelles.

4.2.1.3. Pour découvrir, pour voyager

Certaines participantes témoignent d’un ensemble complexe de motivations; en plus des

motivations citées ci-haut, elles discutent aussi de la volonté de partir à l’aventure, de

découvrir, de voyager. Il s’agit notamment du cas de Chadia et d’Esma :

Parce que j’ai cet esprit de découvrir (...). Je découvre, moi, pour moi j’ai vécu à Montréal,

je suis venue ici à Québec. Si j’ai une autre occasion d’aller vivre dans une autre ville du

Canada, ça me fera plaisir parce que je sais que je vais découvrir autre chose (...).Je voulais

réaliser un rêve d’enfance. [Chadia]

J’ai l’esprit d’aventure, j’aime voyager. Je me dis j’ai des capacités, j’voudrais aller vers ce

pays, pourquoi pas connaitre le Canada? Le globe terrestre devient un village maintenant. Si

on a l’occasion et la chance de voyager, il faut explorer cette chance (...). Puis l’être humain

c’est l’éternel insatisfait on dirait. On peut dire que, on a toujours envie de découvrir ce qui

a derrière, donc, c’est ça.Pour évoluer. L’esprit d’aventure. C’est une richesse pour moi.

[Esma]

Esma généralise cette volonté de voyager et de découvrir à l’ensemble des Marocains.

Toutefois, elles ne sont que deux interviewées à l’aborder spontanément, et il s’agit d’une

motivation parmi d’autres :

Tu sais, nous, tous les Marocains, parce que dans notre pays il n’y a pas de guerre. (...)

Parfois c’est juste de découvrir, de changer, de, peut-être d’aller plus loin, dans la carrière et

tout, de voir comment ça se passe ailleurs, découvrir. [Esma]

Page 141: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

131

4.2.1.4. Participation au projet migratoire du conjoint

Dans certains cas, le conjoint est à la source du projet migratoire 20, souvent pour des

questions politiques et/ou de qualité de vie. C’est le cas par exemple de Basma :

Honnêtement c’est plus mon mari qui poussait vers ça. Parce qu’on a passé six mois aux

États-Unis, on a aimé la qualité d’vie et tout ça. (...) c’est sûr c’est meilleur qu’en Tunisie, et

lui, il voulait qu’on reste là-bas, mais moi j’voulais rester en Tunisie, la famille me

manquait beaucoup, donc j’ai insisté pour revenir en Tunisie. En revenant en Tunisie ben on

essaie, on compare toujours, bah! La qualité de vie par rapport à ce qu’on avait, on pense un

peu plus, on veut assurer à nos enfants une meilleure qualité de vie, un meilleur avenir, donc

mon mari sentait à l’époque que le régime politique allait changer, ben moi ça m’dérangeait

pas que, qu’il y ait une dictature, mais lui il s’est habitué à la liberté d’expression et tout ça

donc, il était mal à l’aise en Tunisie. Donc c’est lui plus qui poussait vers ça. [Basma]

Ce passage démontre une autre motivation pour immigrer : la volonté d’assurer une

meilleure vie aux enfants. Ce qui nous surprend dans l’analyse des données est la rareté de

la mention de cette motivation. En effet, seulement Basma l’aborde. Ceci s’explique

notamment par les caractéristiques de l’échantillon : en effet, seulement six participantes

avaient des enfants à charge lors de l’immigration (Basma, Chadia, Dalia, Fadela, Hakima,

et Leila). Cependant, il est possible que, lorsqu’elles citent la qualité de vie et le contexte

sociopolitique dans le pays d’origine, il soit implicite que cela s’applique à elles, mais aussi

à leurs enfants.

4.2.1.5 Bilan des motivations pour immigrer

À l’instar des nombreuses études sur les motivations à immigrer, la décision d’immigrer de

nos participantes est influencée par divers facteurs individuels et contextuels – et

l’importance relative des facteurs varie d’un individu à l’autre, reflétant notamment les

valeurs de l’individu; mais elle peut aussi varier pour une même personne, dans le temps.

Ces motivations peuvent être le fruit de facteurs de pulsion (quitter le pays d’origine) ou

d’attraction (vers le pays de destination) dont la symétrie est marquée entre l’origine et la

20 Notons au passage que même certaines participantes ayant le statut de requérante principale avaient initié la

procédure de demande d’immigration dans le cadre du projet de leur conjoint. À l’inverse, il arrive que le

conjoint soit le requérant principal même si le projet migratoire était d’abord celui de la participante. Nous

discuterons plus amplement des implications de ce constat dans la discussion.

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132

destination. Les facteurs de pulsion sont ceux qui poussent les personnes à vouloir quitter le

pays d’origine et incluent le manque de perspectives de carrière et des conflits politiques ou

sociaux. Les facteurs d’attraction sont ceux qui incitent à considérer un pays de destination

et incluent les opportunités d’emploi (réelles ou imaginées), le contexte social plus en phase

avec les valeurs, et un niveau de vie plus élevé (Dzvimbo, 2003; Liagre, 2008; Pellerin,

2013).

Par exemple, les facteurs individuels qui influencent les motivations pour immigrer incluent

des motivations professionnelles comme l’amélioration de la qualité de vie et la poursuite

de nouveaux défis professionnels, le désir de voyager et de découvrir un pays duquel on a

une image favorable, et l’espoir d’une meilleure pour les enfants que ce qui semble possible

dans le pays d’origine (Dzvimbo, 2003; Liagre, 2008). Ces motifs ont été évoqués par les

participantes interrogées, sauf le motif d’assurer un meilleur avenir pour les enfants21.

Ensuite, en ce qui concerne la motivation liée au contexte politique ou social, il est possible

que la volonté d’échapper à une oppression soit plus grande que la motivation d’obtenir un

emploi correspondant à ses attentes. Cela semble notamment être le cas de Esma, Mounia et

de Fadela. Il s’agit donc ici de facteurs de répulsion du pays d’origine.

Par ailleurs, l’évolution du contexte – ou de facteurs externes à l’individu, peuvent aussi

jouer, comme par exemple, la motivation économique ou l’espoir d’une amélioration de la

situation socioprofessionnelle. Il arrive dans certains cas que la volonté d’améliorer sa

qualité de vie ou ses opportunités professionnelles motive les premières démarches en vue

d’immigrer, mais que la situation s’améliore avant l’immigration. Il s’agit ici de facteurs

d’attraction vers une société d’accueil où l’on considère que les opportunités

professionnelles sont plus intéressantes que dans le pays d’origine. Les motifs d’immigrer

peuvent devenir plus complexes et l’importance relative de chacun peut changer pendant le

21 À l’exception d’un cas : Basma cite ce facteur dans sa décision d’accepter de demeurer au Canada alors

qu’elle aurait préféré retourner dans son pays d’origine. Rappelons que le choix d’immigrer était d’abord

celui de son conjoint.

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133

processus d’immigration qui s’étale souvent sur plusieurs années. Ceci pourrait avoir

comme effet de faire en sorte que les participantes ont plutôt l’impression de laisser une

qualité de vie derrière elles lorsqu’elles immigrent au lieu d’espérer l’améliorer en

immigrant. Il est possible que ce changement de situation augmente le sentiment de choc ou

de ressentiment lorsqu’elles constatent les obstacles à l’obtention d’un emploi

correspondant à leurs attentes au Québec.

Finalement, les motivations pour immigrer ne sont pas toujours celles des participantes

interrogées. En effet, pour quelques-unes d’entre elles, il s’agit plutôt du projet du conjoint

auquel elles se sont jointes avec plus ou moins d’intérêt selon le cas. Nous remarquons par

ailleurs que, même s’il ne s’agit pas de leur propre projet initial, certaines étaient les

requérantes principales; tout comme il y a des cas où elles ne sont pas requérantes

principales même si le projet migratoire était d’abord le leur. Nous aborderons les

implications de cette découverte lors de la discussion.

Selon Xavier de Brito (2002 : 109), trois facteurs expliqueraient une certaine disposition à

quitter pour l’étranger : « une certaine familiarité avec les déplacements dans l’espace; [...]

une certaine familiarité, imaginaire ou concrète, avec l’étranger; [...] une certaine

familiarité avec les études dans un pays étranger ». Nos résultats semblent aller dans ce

sens; en effet, la majorité des participantes interrogées avaient effectué des études, des

stages, des formations professionnelles ou une première migration à l’étranger, notamment

en Europe et parfois en Amérique du Nord. De plus, elles avaient toutes un certain niveau

de familiarité avec le Québec, notamment en raison des nombreuses personnes dans leurs

réseaux à avoir étudié ou immigré au Québec; elles avaient aussi une certaine connaissance

du Québec en raison de son appartenance à la francophonie. Nous abordons ce phénomène

dans la section suivante, qui porte sur le choix du lieu d’immigration et d’établissement.

4.2.2. Le choix du lieu d’immigration et d’établissement

Les raisons évoquées pour choisir le Canada, le Québec et/ou les villes de Montréal ou de

Québec comme destination sont multiples; elles sont plutôt générales pour certains ou très

précises pour d’autres. Elles sont basées notamment sur les attentes des participantes

relativement à ces endroits. Alors que certaines évoquent qu’elles ont des représentations

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134

positives de ces endroits, d’autres les choisissent, car elles y connaissent quelqu’un ou

parce qu’elles y ont déjà séjourné. De plus, les attentes des participantes leur sont souvent

transmises par leurs réseaux, de manière implicite ou explicite. Dans cette section, nous

exposons ces dynamiques, toujours en cherchant à mettre l’accent sur le rôle des réseaux

sociaux dans les projets migratoires des participantes.

4.2.2.1. Les impressions positives du Canada, du Québec

En premier lieu, plusieurs participantes mentionnent avoir depuis longtemps une image

généralement positive du Canada, sans pouvoir dire exactement d’où elle provient. Ce fut le

cas de Ghalia et d’Esma, par exemple :

On avait cette idée les deux [mon conjoint et moi]. Moi j’avais aussi depuis que j’étais jeune

(...) ici, ils appellent ça le rêve américain, nous on avait le rêve canadien. Le Canada c’était

eldorado environnemental, la qualité de vie c’était très bon. [Ghalia]

Le Canada, c’est sûr que tous les Algériens, on pense que c’est un pays évolué. Donc on

peut évoluer, on peut trouver des perspectives là où ça bloque en Algérie. Mais moi c’est

beaucoup plus la paix. [Esma]

Cette image positive du Canada pourrait être nourrie dans certains cas, par l’information

qui circule dans leurs réseaux prémigratoires, notamment par les personnes provenant de

leur pays d’origine qui ont immigré vers le Canada. Plusieurs participantes relatent ce

phénomène :

Le Canada offre l’immigration aux Algériens. Plein d’amis qui sont partis. Chaque fois que

tu entends, telle personne, c’est beaucoup plus les intellectuels, elle est partie au Canada.

[Esma]

J’entendais parler beaucoup. Pour moi c’était le pays du froid. Et moi j’adore le froid. Pour

moi c’était immense. J’aime tout ce qui est espace grand, tout ce qui est vert forêt et tout.

(...) il y a beaucoup de mes amis algériens qui ont eu des diplômes de l’Université Laval, et

quand je suis partie en formation surtout dans les pays arabes (...) la plupart des cadres avec

lesquels j’ai travaillé, ils étaient des doctorants de l’Université Laval. [Chadia]

Mounia a entendu parler du Canada de manière générale, mais de plus, elle avait une amie

qui entamait les procédures d’immigration. C’est dans ce contexte qu’elle entame le sien :

C’était le début des années 2000, on entendait parler de l’immigration au Canada. Moi, j’ai

jamais eu l’idée de quitter mon pays pour aller chercher ailleurs. (...), mais il y a une amie à

moi, on a fait l’école primaire ensemble et tout. (...) quand j’ai su qu’elle a déposé [une

demande d’immigration], j’ai demandé la permission de ma mère. Elle va partir avant moi,

(...) elle est berbère comme moi, elle ne va pas me laisser. On connait sa famille. Elle

connait ma famille. [Mounia]

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135

Quelques participantes avaient déjà séjourné au Québec pour une variété de raisons (visiter

des membres de leur famille, une formation); ceci leur permit de formuler des attentes

basées sur leurs propres expériences et de commencer à constituer un réseau au Québec :

En 2001, lorsque j’ai travaillé dans le premier emploi, il y avait un séminaire, j’y étais

invitée pour représenter une délégation des ONG qui vont venir ici au Canada (…) on est

restés pendant 21 jours et c’est là que j’ai découvert le Canada, le Québec et tout. (…) Après

c’est là où j’ai été intéressée, j’ai présenté une demande d’immigration. [Aicha]

4.2.2.2. La présence de membres de la famille, d’amis ou de connaissances au Canada

Pour d’autres, le lieu d’établissement de membres de la famille ou d’autres personnes

voulant les accueillir, a été choisi comme destination. Basma et Dalia par exemple, avaient

choisi respectivement la ville de Montréal et celle de Québec, car elles avaient une sœur ou

une amie qui y habitait. Pour Basma, un autre facteur a joué, soit sa perception que

Montréal était une ville moins raciste que Québec étant donné la plus grande présence de

personnes immigrantes.

J’ai ma sœur aussi qui est à Montréal depuis 2001. Elle parle toujours de qualité de vie ici

donc ça nous a aussi encouragés à déposer un dossier. (...) et on pensait qu’à Montréal,

comme c’est plus ouvert, y a plus d’immigrants, donc, y a moins de racisme. [Basma]

Pour d’autres, ce sont des connaissances rencontrées sur internet qui ont eu de l’influence.

Dans le cas de deux participantes, ce sont des discussions avec des personnes nées au

Québec rencontrées sur internet qui ont influencé le choix de se diriger vers la ville de

Québec. Ce fut notamment le cas d’Esma qui a été sensible aux arguments de bonne qualité

de vie de cette ville.

J’ai été sur internet, chatter avec des gens sur un site de rencontre. C’est un québécois qui

m’a convaincue de venir à Québec. (...) il m’a convaincue dans le sens c’est plus beau, c’est

la qualité de vie, c’est pas comme Montréal la circulation, moi je déteste ça. [Esma]

Finalement, le choix de certaines a été effectué en lien avec le projet d’études : Jadia et

Kamila se sont établies là où elles allaient effectuer leur doctorat. Le rôle du réseau est

particulièrement saillant pour Kamila : c’est après avoir rencontré un professeur (qui est

devenu son directeur de thèse) qu’elle a décidé de séjourner au Québec; elle y a vécu une

expérience positive qui l’a motivée à poursuivre ses études à Québec, dans le cadre de son

projet migratoire :

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136

Pour le Canada, on avait des idées que c’est un pays, à travers l’expérience des gens qui sont

venus ici, et le contact, par exemple, avec [le professeur], on s’est rassuré que, y a beaucoup

de choses qui sont ici, qui ne sont pas chez nous. Par exemple, au Maroc on ne peut pas

faire de la recherche, surtout dans mon domaine, parce qu’il n’y a pas suffisamment de

documentation. Il n’y a pas d’accès aux articles, c’est très difficile. (…) et puis avec le

projet là, je suis venue en 2007 l’année d’après, dans le cadre du partenariat. Et je me suis

dit, si c’est ça vraiment qui me manquait pour compléter mon rêve d’enseignement, et

d’aller vers l’avant donc. [Kamila]

Pour Jadia, le professeur qui a accepté de l’encadrer a déterminé l’endroit où elle s’est

dirigée. En effet, puisqu’elle devait avoir une réponse rapide et qu’elle ne pouvait pas

rencontrer les professeurs qu’elle a approchés, seulement une professeure a accepté de

l’encadrer. Le rôle des réseaux s’est manifesté de deux manières dans ce cas. D’une part,

elle a trouvé cette professeure à l’aide d’un réseau plus formel : un répertoire de chercheurs

s’intéressant à son domaine de recherche. D’autre part, le fait que tous les autres

professeurs n’aient pas voulu l’encadrer sans la rencontrer démontre l’importance d’avoir

un lien, ne serait-ce que faible, afin d’établir un minimum de confiance avant de poursuivre

un projet tel qu’une thèse.

4.2.2.3. Le Québec comme alternative à la France

La majorité des participantes, lorsqu’elles abordent l’élaboration du projet migratoire, ne

disent généralement pas avoir considéré d’autres options de destination. En effet, le fait que

le Québec soit francophone, ainsi que la migration passée de plusieurs Maghrébins de leur

entourage vers cette destination, semble avoir fait du Québec un choix privilégié pour elles.

Cependant, vu l’importance de la France dans l’histoire contemporaine du Maghreb, et

l’importance de la communauté maghrébine dans ce pays francophone, nous ne pouvons

pas passer sous silence le rôle de l’expérience française de plusieurs dans l’élaboration du

projet migratoire.

Lorsque les participantes discutaient de leurs motivations pour immigrer en général, ou du

fait que le Québec est francophone en particulier, certaines ont spontanément comparé le

Québec à la France. Ceci nous a amenés à intégrer cette dimension au protocole d’entretien

pour des entretiens subséquents. Plusieurs raisons ont amené les participantes à choisir le

Québec et non la France comme destination d’immigration, qu’elles l’aient considéré ou

non comme option antérieurement. Certaines participantes évoquent notamment le poids de

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137

l’histoire, la complexité des procédures d’immigration ainsi que les difficultés d’insertion

professionnelle qu’elles ont vécues ou que des membres de leur réseau (généralement leur

conjoint) ont vécues en France.

Pour certaines, l’immigration en France était impensable en raison de son rôle historique

dans leur pays d’origine.

On a un contentieux avec les Français. Je ne pourrais pas partir en France. Jamais! Je n’ai

pas de la haine, mais je connais l’histoire. C’est simple, quand ils sont partis, peut-être plus

que 90% de la population était illettrée. [Fadela]

Pour d’autres, il s’agit plutôt d’une question technique liée aux procédures d’immigration

jugées plus simples ou moins incertaines au Québec :

On arrive ici, on est immigrant permanent. Ceux qui partent en France, il y en a qui partent

clandestinement, ils ont comme des situations anormales et tout, moi j’aime pas ça. D’autant

plus qu’au Québec, il y a un ministère de l’immigration. Donc, il y a une certaine protection

pour les immigrants, et c’est hallucinant quand on voit sur internet les offres pour les

immigrants, y a les services qui s’occupent des immigrants, y a un agent qui te suit, donc,

dans ma tête, dans l’imagination, t’arrives ici, tu vas être pris en charge. [Esma]

D’autres participantes ont séjourné en France avant d’immigrer au Québec. Lors de ces

séjours, trois participantes disent avoir vécu ou avoir été témoin de l’exclusion

« institutionnalisée » des personnes étrangères cherchant à intégrer le marché du travail

français. Ces expériences ont participé à la construction ou à la consolidation du projet

migratoire vers le Québec. À titre d’exemple, bien que les réseaux aient aidé Jadia à trouver

des stages lors de son parcours scolaire en France, ils étaient inutiles pour l’insertion

professionnelle. En effet, sa nationalité était la plus importante contrainte; ceci l’a

finalement poussée à considérer l’immigration au Québec.

Je n’ai jamais vraiment eu de problèmes à m’insérer dans les stages. Par contre au niveau de

l’expérience professionnelle en tant que telle (...) là c’était un petit peu plus compliqué. (...)

J’ai eu une entrevue pour une embauche; ça commence à coincer au niveau de la nationalité.

C’est ça qui a donné plus ou moins la volonté de partir aussi. Parce que je savais que

m’insérer professionnellement en France, malgré tous mes diplômes, n’allait pas être

possible à cause du fait que je sois étrangère, que j’ai pas de statut. (...) J’ai passé dix ans en

France et j’ai senti que j’y avais pas ma place. [Jadia]

Ghalia, quant à elle, n’a pas tenté de trouver un emploi en France. Cependant, elle a été

témoin de l’expérience de son conjoint, ce qui a contribué à sa volonté d’immigrer au

Québec :

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138

Je vous dirais [que cette idée-là] s’est comme concrétisé quand on était en France. On était

juste étudiants et on n’avait pas la possibilité de s’installer ou de travailler, il y avait

beaucoup d’obstacles. Donc, là, on s’est dit (...) on ira ailleurs une fois qu’on aura fini. (...)

Mon conjoint était docteur puis normalement avec un doctorat, on devrait trouver un travail

très facilement, très vite, mais c’est plus au niveau du travail qu’au niveau des papiers, là, de

résidence. [Ghalia]

4.2.2.4 Pour trouver de l’emploi plus facilement

Pour quelques participantes, le choix de la Ville repose sur des informations à voulant qu’il

serait plus facile d’y trouver de l’emploi22. Il s’agit notamment du cas de Leila, se fiant à un

réseau plus formel :

Parce que à l’ambassade, on a suivi vraiment les instructions de ce monsieur-là. Il nous avait

dit il vaut mieux ne pas rester sur Montréal. (...) on lui a fait confiance, on a suivi ce qu’il a

dit. [Leila]

En définitive, les motivations pour immigrer sont diverses; les raisons de choisir le Canada,

la province de Québec ou les villes de Montréal et de Québec le sont aussi. Elles sont

souvent reliées à des réseaux personnels ou formels, incluant de la famille et des amis déjà

installés à ces endroits, des contacts en lien avec la poursuite des études (direction de

thèse), la recommandation de réseaux plus formels tels qu’une ambassade. Plus

généralement, l’image positive de ces endroits qui circule dans les réseaux, ainsi que la

volonté d’immigrer dans la francophonie, mais ailleurs qu’en France a contribué au choix

du Québec comme lieu d’immigration.

Partant de ces constats, nous explorons la question suivante : étant donné ces réseaux, ont-

ils été mobilisés par les participantes afin de préparer leur projet migratoire ainsi que pour

savoir à quoi s’attendre au Québec? Si oui, quelles informations ont-elles cherchées et/ou

reçues, et comment ont-elles influencé leurs attentes?

22 Nous reviendrons sur la question des informations mobilisées par les réseaux concernant l’emploi au

Québec plus loin.

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139

4.2.3. Les informations obtenues du réseau avant l’immigration

Bien qu’il existe un grand nombre de sources d’informations mobilisables au cours de

l’élaboration d’un projet migratoire, notre objectif n’est pas de les inventorier. Nous nous

sommes plutôt intéressées aux informations mobilisées par les réseaux dans le cadre du

choix du lieu d’établissement, plus particulièrement, les personnes vivant au Québec et/ou

au Canada, connues des participantes avant d’immigrer. En effet, comme nous l’avons vu

antérieurement, avant même de formuler un projet migratoire, plusieurs participantes

relatent qu’elles connaissent – directement ou indirectement - des personnes de leur pays

d’origine qui immigrent au Canada et/ou au Québec. D’autres en découvrent en parallèle à

leur projet migratoire. Il n’est donc pas surprenant que toutes les participantes affirment

connaitre au moins une personne au Québec et/ou au Canada avant d’immigrer. Ce sont

généralement des personnes issues de leur pays d’origine, soit des membres de la famille ou

des amis, d’elles ou de leur conjoint. Dans quelques cas seulement, il s’agit de personnes

nées au Québec, rencontrées généralement sur internet lors de leurs premières recherches

liées à l’élaboration du projet migratoire.

Nous avons voulu savoir si elles ont contacté ces personnes afin d’en connaitre davantage

sur le Canada et/ou le Québec en général, ou les perspectives d’emploi en particulier. Leurs

réponses ont permis de dégager le type d’informations recueillies, ainsi que les attentes que

cela a pu susciter en elles.

4.2.3.1. Les informations générales

Environ la moitié des participantes (huit) ont reçu des informations générales relativement

positives concernant le Canada et le Québec, de quelques sources dans leurs réseaux :

J’ai ma cousine qui travaille au niveau de l’ambassade d’Algérie à Ottawa; elle m’a

beaucoup parlé du Canada. Puis elle disait que ça valait la peine de venir. On n’a pas trouvé

une personne qui nous a dit le Canada est un mauvais pays, ne venez pas. [Chadia]

J’ai ma sœur aussi qui est à Montréal depuis 2001. Elle parle toujours de qualité de vie ici,

et tout ça, donc ça nous a aussi encouragés (...) on pensait que ça allait être plus facile pour

trouver du travail. [Basma]

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Les réseaux mobilisés ont aussi permis à quelques (trois) participantes d’en savoir plus sur

certains aspects de la vie au Québec, tels que le coût de la vie et le froid. C’est le cas, par

exemple, de Dalia et d’Imane :

La seule personne qui m’avait comme découragée me dit : « Écoute! Tu vas aller là-bas, un

pot de yogourt ça coûte tant, alors qu’ici tu les as pour tant du pot », et je dis : « Bien,

écoute! Est-ce qu’on va changer d’avis à cause d’un pot de yogourt? » (...). [Dalia]

J’ai envoyé un courriel à la compagnie, ils cherchaient une assistante administrative parce

qu’une de leurs employées partait pour Canada. (...) quand [elle] m’avait parlé qu’elle allait

quitter pour le Canada, elle m’avait dit qu’elle avait peur du froid, alors, avant de

m’aventurer bon [je me suis demandée] comment ça se passe au Québec? J’ai envoyé un

courriel dans le site immigrer.com. Par coïncidence y a une Québécoise qui m’a répondu.

(...) Elle avait dit : « oui, il fait froid, c’est vrai. Mais on avait les outils pour vivre ici. »

[Imane]

Ainsi, les informations négatives sont rarement obtenues par les participantes, et celles qui

le sont concernent davantage des aspects périphériques et ont peu d’impact sur la

motivation pour immigrer et les stratégies d’insertion envisagées.

4.2.3.2. Les informations reçues concernant l’emploi au Québec

Il s’avère que les participantes n’avaient pas cherché spécifiquement des informations par

rapport à l’emploi au Québec. Parmi celles qui ont reçu de telles informations (9),

seulement quelques-unes (5) avaient reçu des informations positives (bien que parfois

incomplètes) concernant les opportunités d’emploi, provenant soit de réseaux formels (2)

ou personnels (3):

Il y avait l’ambassade canadienne qui a affiché plein de publicité dans les journaux comme

quoi on avait besoin d’infirmières. J’ai rencontré une infirmière québécoise qui travaillait à

Sainte-Justine, c’est elle qui nous a enseigné, elle nous a formés en oncologie. Elle m’a dit :

« toi tu ferais du bien chez nous, tu travailles bien ». Elle m’a encouragée (...) Mais je ne

savais pas qu’il fallait faire une équivalence. [Leila]

J’avais une amie qui était venue avant moi, qui avait fait une demande. Et elle est arrivée un

14 juillet, elle a travaillé un 20 août. Donc, c’était le mois suivant, elle était dans son poste

d’enseignante. Et comme je savais qu’il y avait une demande d’enseignants, donc, je pensais

que c’était facile. [Oumaima]

À l’inverse, plusieurs ont reçu des informations négatives concernant les opportunités

professionnelles pour les personnes immigrantes au Québec (6). Ces informations étaient

mobilisées par leur réseau personnel (5) ou par des réseaux virtuels (1). Pour Ghalia, par

exemple, malgré l’information positive reçue par des instances formelles, l’information

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141

issue du réseau personnel était tout autre, et allait même à l’encontre de l’information reçue

par des sources institutionnelles :

Le meilleur ami de mon conjoint était venu un an avant nous. Il avait les mêmes diplômes

que lui (...) on l’avait contacté, puis il était toujours en recherche, mais il ne trouvait pas (...)

Si, je vous dirais, si [cela nous a découragés]. Parce que quand on avait fait une entrevue à

la délégation générale du Québec, pour être sélectionnés, puis, la manière dont est présentée

l’immigration au Canada, c’est, je trouve que, il y a un comme un décalage, hein, quand on

arrive puis ce qu’on nous dit avant, là, c’est comme, deux mondes. (...) Je me rappelle que,

la madame, oh! Vous avec vos diplômes, là, vous allez arriver, puis avec vos diplômes, là,

vous allez pas avoir de misère, dans la première semaine vous allez vous caser, puis, faque

la chute a été un peu longue hein! [Ghalia]

L’expérience de Hakima est semblable à celle de Ghalia :

[Mes cousins qui étaient à Montréal] m’ont pas vraiment encouragée à immigrer. Pour

s’habituer il faut faire vraiment cinq ans au Canada (...) c’est beaucoup d’instabilité, que ce

soit moral ou bien économique, là. Parce que, peut-être maintenant après dix ans de leur

présence, ils ont fait ce qu’ils voulaient faire. Mais avant ça, c’était l’incertitude.

Maintenant, je comprends pourquoi ils disaient que : « c’était pas une bonne idée

d’immigrer, que vous êtes bien ici en Algérie ». Mais avec le temps, là, quand ils ont fait

leur place, huit ans, neuf ans, ils disent que je vais rester pour mes enfants. [Hakima]

Quant à Imane, une personne québécoise rencontrée sur un forum virtuel l’a prévenu des

difficultés potentielles, notamment en raison du port du voile.

Elle m’a dit oui, vous allez trouver des problèmes parce qu’elle savait que je portais le voile.

« Tu feras partie de la première vague d’immigrantes qui arrive ici avec le voile et tout. Les

gens ici ne sont pas habitués à voir les gens comme ça ». [Imane]

Face à ces informations négatives, les participantes réagissent de diverses façons. La

majorité d’entre elles considéraient que les difficultés vécues par les personnes interrogées

n’étaient pas nécessairement représentatives de leurs propres expériences futures, soit parce

qu’elles se voient comme plus déterminées ou parce qu’elles estiment que les attentes des

autres n’étaient pas réalistes. Ce fut le cas notamment d’Esma et d’Imane :

Celui qui tente rien n’a rien. Je pars de ce principe, donc, j’ai foncé et je me dis, la vie est

tellement courte. De toute façon, j’ai un cerveau, j’ai des mains, je peux travailler. [Esma]

On va pas le nier, tout le monde disait ça, que y a une difficulté d’intégration sur le marché

du travail. Mais moi, je dis si il y a toujours un aspect, on ne peut pas généraliser (...) J’étais

préparée d’avance. Mais bon, à vrai dire, quand je suis arrivée ici, c’était juste une période

d’essai. [Imane]

Page 152: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

142

Chadia, quant à elle, considérait qu’il s’agissait d’un pari qu’elle était prête à faire afin

d’améliorer sa qualité de vie; elle a pris une précaution en ne démissionnant pas de son

emploi prémigratoire, mais en prenant un congé d’une longue période (5 ans) :

On a commencé à poser des questions aux gens qui venaient en vacances, qui vivaient ici

(…) c’était ma belle-sœur qui vivait à Montréal, donc, à chaque fois qu’elle venait en

Algérie pour des vacances je lui posais la question : « Est-ce que ça vaut le coup? » (...) Elle

me disait : « oui ça vaut le coup » (…), mais elle nous disait : « sur le plan travail ça sera

difficile ». (…), mais sur le plan mode de vie, elle me disait que « oui, ça vaut le coup de

venir. C’est bon pour les enfants, c’est bon pour vous, le Canada c’t’un beau pays ». Donc,

on a été encouragés. (...) Oui, ça m’inquiétait [pour le travail]. Ça m’inquiétait, la preuve

c’est que j’ai jamais démissionné de mon poste, actuellement, je suis attachée de recherche,

mais en mise en dispo de cinq ans. [Chadia]

Finalement, seulement une participante a mobilisé ses réseaux pour en savoir plus sur les

processus de reconnaissance des acquis et des compétences. Il s’agit de Leila, qui contacte

des membres de son réseau informel, des immigrants établis au Québec, qui l’informent de

l’existence d’un ordre professionnel régissant la profession et l’invitent à s’informer auprès

de l’Ordre, ce qu’elle fait :

J’ai essayé de contacter d’autres personnes, j’ai contacté une amie qui était ici, mais elle,

elle n’est pas infirmière. Elle, elle était étudiante puis elle était mariée à quelqu’un qui était

vingt ans ici. Puis c’est lui qui m’a parlé. Il m’a dit : « écoute, appelle personne, c’est que

personne va t’aider. Et puis [il te faut tes] équivalences. Et tu appelles à l’Ordre ». Et j’ai

appelé l’Ordre. [Leila]

Ainsi, même si la majorité des participantes avaient des contacts au Québec, rares sont

celles qui ont mobilisé ces liens afin d’obtenir des informations sur le Québec. Celles qui

ont cherché des informations ont obtenu des informations sur la qualité de vie au Québec et

des informations concernant l’emploi au Québec. Concernant l’emploi, une partie a reçu

des informations positives, alors que d’autres ont reçu des informations négatives.

Certaines de celles qui ont reçu des informations positives vivront un choc en constatant un

écart entre ces informations et la réalité, ce qui sera démontré plus loin. Celles qui ont reçu

des informations négatives n’ont pas réagi en remettant en question leur projet migratoire

ou en approfondissant la recherche d’information. Au contraire, elles rapportent qu’elles se

sentaient déterminées et capables de surmonter les défis sur le marché du travail québécois,

et étaient prêtes à prendre le risque pour améliorer leur qualité de vie.

Page 153: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

143

4.2.3.3. La non-mobilisation des réseaux

Quelques participantes (six) n’avaient pas mobilisé leurs réseaux afin de s’informer sur le

Québec, pour une variété de raisons. Jadia, par exemple, ne ressentait tout simplement pas

le besoin de rechercher des informations puisqu’elle se considérait habituée de séjourner à

l’étranger.

Je savais [que la cousine à ma mère] était [au Québec] depuis longtemps. Comme elle était

là, elle va moins souvent au Maroc, et moi comme j’étais en France, on se croisait pas

souvent. (...) Je n’ai pas vraiment demandé comment ça se passait ou quoi que ce soit.

Disons que, je n’avais pas cette crainte-là parce que je suis déjà partie de chez nous, déjà en

France et puis de France vers d’autres pays. [Jadia]

Les propos d’Esma laissent entrevoir une explication possible concernant la complexité

associée à la recherche d’informations provenant d’autres personnes ayant immigré. En

effet, selon elle, les Algériens cachent leur projet d’immigration de crainte qu’il échoue ou

qu’il ne soit pas à la hauteur des aspirations, ce qui laisse croire que certains ne seraient pas

disposés à discuter de leur expérience. Selon elle, ceci résulte d’une superstition et non pas

d’un souci de protéger son image sociale.

En Algérie (...), les gens cachent leur départ au Canada (...) parce qu’on a la superstition

que, si la personne elle parle de son projet, il va foirer. La majorité des gens, ils font ça dans

la discrétion totale. Donc, on entend des personnes qui sont parties. Mais j’ai jamais

contacté une personne (...) je me suis lancée dans le projet et ça a marché. [Esma]

En expliquant qu’elle n’a pas fait appel à des personnes maghrébines qu’elle connaissait au

Canada afin de s’informer sur leur expérience, Fadela se montre critique par rapport à la

nature même des liens entretenus avec d’autres Maghrébins, ces relations sociales

engendrant des attentes de réciprocité ou des rituels sociaux auxquels on peut vouloir se

soustraire:

J’ai écrit ami de la famille [sur le questionnaire pré-entretien], mais c’est bizarre la relation.

Tu gardes la relation même si ça ne te plait pas, t’es obligée de la garder. Parce que son père

est l’ami de mon père. (rires) Donc, systématiquement, tu dois passer chez elle. Puis elle

doit te préparer à manger, t’inviter à souper, c’est des formalités. Au fond il n’y a rien, je ne

peux pas compter sur elle. [Fadela]

Pour Nadra, le manque d’interactions avec les personnes concernées, donc les liens trop

faibles, explique sa difficulté à obtenir des informations pertinentes. En effet, elle explique

Page 154: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

144

qu’elle n’avait rencontré son beau-frère qui habitait au Québec qu’une fois, la semaine de

son mariage, et qu’ils n’ont pas abordé la question :

Non, il ne parlait pas [de la vie au Québec] parce que j’avais vu mon beau-frère la semaine

de mon mariage. (...) il était tout le temps au Canada. [Nadra]

Tout comme Nadra, Dalia explique que le fait de connaitre des personnes ayant immigré ne

suffit pas pour mobiliser ces liens :

J’ai beaucoup d’amis en Algérie, j’ai des cousines qui sont venues aussi, mais on était pas

nécessairement en contact permanent. [Dalia]

Ainsi, l’existence et la disponibilité d’un réseau ne signifient pas sa mobilisation, et ce,

pour diverses raisons, dont la nature des liens. En effet, bien que les participantes

connaissaient des personnes ayant immigré au Québec, il semble que dans certains cas, ces

liens étaient trop faibles pour qu’elles osent les solliciter (ex. Dalia, Nadra). Dans d’autres

cas, il semble que les personnes n’aient pas la volonté de partager les informations

concernant leur projet migratoire, possiblement de crainte qu’il échoue (ex. Esma) ou de

crainte d’altérer négativement l’image que l’autre a d’elle. Il est plausible aussi que ces

personnes n’aient que des liens faibles avec les participantes, et donc qu’elles n’aient pas

pensé leur en parler, par manque de familiarité. Dans d’autres cas, les participantes

entretiennent des relations ambivalentes avec ces personnes (ex. Fadela), en raison des

attentes culturelles en matière de réciprocité.

4.2.3.4 Les autres sources d’information

Notons au passage que quelques participantes interrogées se sont informées en faisant appel

à des sources formelles ou institutionnelles, par exemple, en consultant des sites internet

gouvernementaux (ex. ministère de l’Immigration et des communautés culturelles) et des

sites internet voués à l’immigration. Nous pourrions qualifier ces sources de réseaux

formels ou institutionnels. Dans les rares cas où elles mobilisaient ces ressources afin de

s’informer concernant l’emploi au Québec, elles en dégageaient une impression positive,

dont la croyance qu’elles seraient prises en charge dans leur processus d’intégration :

Je rentrais aussi beaucoup dans le site d’immigration à Québec, c’est impressionnant tous

les services! T’arrives ici à Québec, tu vas au ministère d’immigration, t’as un agent

Page 155: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

145

d’immigration qui va te suivre, suivre ton parcours de réussite. (...) ça veut dire qu’on est

pris en charge. C’est sécurisant en quelque sorte ; ça, ça pousse à venir ici. [Esma]

L’interprétation de l’information fournie par cette source, le Gouvernement du Québec, a

influencé les attentes de certaines participantes en ce qui concerne la reconnaissance de leur

diplôme étranger :

Quand j’ai reçu mon certificat de sélection, on m’a envoyé de la documentation sur la

médecine vétérinaire. Je regardais des vidéos, comment les médecins vétérinaires sont très

bien considérés ici (...) et que le métier vétérinaire ici, il y a un grand manque. D’ailleurs,

j’ai été sélectionnée par rapport au fait que je suis médecin vétérinaire. Donc, je me suis dit :

« wow! Je vais arriver, peut-être que je vais refaire quelques cours, et je pourrai faire mon

métier en tant que médecin vétérinaire ». [Esma]

4.2.4 Bilan : le rôle des réseaux sociaux dans le parcours prémigratoire

La recherche a permis de voir comment les réseaux ont aussi une influence sur le parcours

migratoire, notamment sur le plan des motivations pour immigrer et des choix relatifs au

lieu d’établissement. En ce qui concerne les motivations pour immigrer, le réseau est

souvent porteur de normes concernant ce qui est acceptable pour une femme, reflétant la

situation sociale et politique ambiante du pays d’origine, jugée opprimante pour certaines

participantes. Ainsi, la pression du réseau crée en quelque sorte une motivation les poussant

à quitter le pays d’origine afin de vivre d’une manière correspondant davantage à ses

aspirations et à ses valeurs. Dans d’autres cas, le réseau familial, ou plus spécifiquement le

conjoint sont à l’origine du projet migratoire auquel se joignent ces femmes. Tout comme

dans le choix d’ajuster sa trajectoire professionnelle prémigratoire à celle de son conjoint,

cette décision semble être prise en raison de l’assignation des femmes aux rôles de soutien

du conjoint et de la famille et non le résultat d’une négociation entre deux individus ayant

des positions symétriques, car, encore une fois, les participantes ne rapportent pas avoir

tenté de négocier. Cependant, certaines participantes expriment qu’elles étaient réticentes

au projet migratoire, mais qu’elles ont fini par accepter de suivre leur conjoint. Ceci peut

être le fruit de la volonté de maintenir le lien fort avec le conjoint, qui peut être renforcé par

les normes sociales de sexe, ou encore, culturelles (Iredale, 2005).

En second lieu, nous avons démontré comment les réseaux peuvent intervenir dans le choix

du lieu d’immigration, soit le choix plus général du pays (Canada) ou celui de la province

(Québec), ou le choix plus spécifique de la ville (Montréal ou Québec). En effet, l’image

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146

positive du Canada et/ou du Québec, en partie transmise de manière informelle dans les

réseaux personnels des participantes, influence leur projet migratoire. Ces résultats

concordent notamment avec ceux de l’étude d’Arcand et coll. (2009) au sujet d’immigrants

maghrébins établis à Montréal et à Sherbrooke. De plus, la présence de connaissances,

d’amis ou de famille influence parfois le choix de destination, soit par les informations

qu’ils leur transmettent, ou soit par leur présence, facilitant potentiellement l’établissement

éventuel. Finalement, les expériences personnelles ou par personne interposées

(généralement le conjoint), d’exclusion du marché du travail français, malgré un réseau

professionnel développé en France, ont incité quelques participantes à choisir le Québec.

Finalement, nous nous sommes intéressés à la mobilisation des réseaux transnationaux

comme source d’information prémigratoire et de leur influence sur les attentes des

participantes. L’analyse a démontré que les réseaux comprenant des liens avec des

personnes originaires du pays d’origine et ayant immigré au Canada et au Québec jouent

aussi un rôle sur le plan des attentes des participantes à l’égard de leur vie au Québec, par

les informations qui lui sont transmises ou non. Généralement, les liens contactés

transmettent des informations positives sur la qualité de vie au Québec et au Canada.

Quelques fois, il transmet aussi des informations positives à l’égard des opportunités

d’emploi – informations qui se trouvent cependant infirmées pour certaines à leur arrivée

lorsqu’elles constatent les difficultés d’insertion professionnelle des personnes concernées

ou d’autres Maghrébins au Québec. D’autres ont plutôt reçu des informations négatives ou

prudentes à cet effet, mais ici l’interprétation faite par les participantes prend toute son

importance, car plusieurs d’entre elles affirment ensuite qu’elles sentaient que cette mise en

garde s’appliquait plus ou moins à elles, soit parce qu’elles croyaient qu’elles avaient

davantage de chances de succès (en raison de leur confiance en soi, ou puisqu’elles

n’avaient pas de responsabilités familiales), ou encore, car l’obtention d’un emploi

correspondant à leurs qualifications initiales n’était pas la priorité pour immigrer (car elles

suivaient leur conjoint, fuyaient un contexte social et/ou politique négatif, etc.).

Nous avons illustré quelques aspects de la recherche d’informations prémigratoire par la

mobilisation de réseaux ethnoculturels dans le pays de destination. En effet, non seulement

une diversité d’informations, parfois contradictoires, est disponible par l’entremise des

Page 157: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

147

réseaux, mais cette information peut être comprise d’une multitude de façons, et des

stratégies peuvent être élaborées en conséquence dont l’efficacité peut varier. De plus, avoir

des réseaux ne signifie pas qu’ils seront mobilisés, et ce, pour plusieurs raisons qui

impliquent la dynamique dans ces réseaux. Certaines raisons sont d’ordre personnel,

comme le fait de ne pas ressentir le besoin d’obtenir des informations supplémentaires, ou

le fait que les personnes dans le réseau ne soient pas disposées à discuter de leur

expérience. D’autres sont reliés à la nature des liens ou à la dynamique entre les personnes,

comme une ambivalence qui est maintenue en raison des normes de réciprocité (et non en

raison d’affinités en commun, par exemple), ou encore, des liens trop faibles en raison

d’une faible fréquence d’interaction. Nous pouvons donc formuler l’hypothèse que, afin

que des liens soient mobilisés, un individu doit d’abord concevoir que le contact détient de

l’information utile, qu’il est disposé à la partager, et que la relation avec le contact doit être

positive, au-delà du lien conservé en raison des obligations de réciprocité. De plus, le lien,

même s’il s’agit d’un lien faible, doit avoir une certaine force, sinon il est trop faible pour

être utile dans la mobilisation de l’information pertinente au projet migratoire. De plus, la

personne désirant solliciter un lien faible peut éviter de le faire en raison de la gêne ou, car

elle ne sait pas comment aborder le contact en question. Finalement, certaines participantes

se sont tournées vers des sources formelles qui ont eu un impact sur leurs attentes en termes

de soutien dans leur parcours professionnel post-migratoire.

L’étude de Arcand et coll. (2009) fait ressortir l’image positive du Québec que les

personnes immigrées projettent à celles qui sont dans le pays d’origine et qui souhaitent

immigrer. Nous constatons cependant que malgré l’existence d’un réseau d’immigrants

installés (au Québec et/ou au Canada), ces réseaux ont peu été mobilisés par nos quinze

répondantes. En effet, bien qu’environ la moitié des participantes mobilisent ces réseaux,

elles sont peu nombreuses à avoir obtenu de l’information concernant les possibilités

d’intégration socioprofessionnelle au Québec. Ces réseaux leur fournissent plutôt des

informations sur la vie quotidienne. Seulement six participantes ont obtenu des

informations positives de la part de leurs réseaux sociaux à l’effet que l’insertion

professionnelle des Maghrébins au Québec se passait bien. Deux d’entre elles avaient aussi

obtenu des informations négatives, et six participantes n’avaient reçu que de l’information

négative. Interrogées sur leurs réactions par rapport à ces informations négatives, elles

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148

avouent parfois avoir été découragées, mais elles demeuraient convaincues qu’elles

arriveraient à se tailler une place sur le marché du travail québécois, soit parce qu’elles

considéraient leur situation objective plus favorable (ex. pas de responsabilités familiales)

ou par estime de soi. Ainsi, la question de l’interprétation des informations reçues par le

réseau devient importante et intéressante à analyser en soi, tant d’un point de vue

psychologique que sociologique (Béji et Pellerin, 2010). Finalement, en ce qui concerne les

participantes n’ayant pas mobilisé leurs réseaux transnationaux, il en ressort que la force

des liens, c’est-à-dire que des liens soient trop faibles, pourrait être un facteur explicatif.

Des observations supplémentaires nourrissent notre analyse et ajoutent aux connaissances

déjà existantes au sujet du rôle des réseaux sociaux dans le parcours migratoire. Dans un

premier temps, aucune participante n’a évoqué le risque que l’information obtenue par les

sources officielles ne soit pas juste. De plus, les participantes n’ont pas hiérarchisé ni croisé

les informations provenant de leurs réseaux sociaux avec celles provenant d’autres sources,

plus officielles. Ainsi, le même niveau de confiance est accordé aux sources informelles

que formelles, et toute information – négative ou positive – a été interprétée de manière à

ce que toutes les participantes eussent des attentes positives en termes d’insertion

socioprofessionnelle au Québec. Nos résultats ne nous permettent pas d’expliquer cette

confiance envers les informateurs et le rejet des informations négatives; mais deux

explications potentielles émergent. Il est possible qu’elles accordent une confiance

démesurée aux sources informelles face à une décision importante, soit pour des raisons

individuelles, culturelles ou sociales. Il est aussi possible que l’information ait été sollicitée

après qu’elles aient déjà pris la décision d’immigrer, et donc, qu’elles l’aient interprétée de

manière à renforcer leur décision initiale plutôt que de la tester.

Dans un second temps, en interrogeant les participantes par rapport à la mobilisation – ou

non – des réseaux auxquels elles avaient accès au Québec depuis leur pays d’origine, il

ressort deux constats. Le premier est le décalage entre l’information recueillie et

l’interprétation qu’en font les participantes. En effet, bien que quelques participantes aient

reçu l’information à l’effet que l’insertion professionnelle se faisait difficilement pour les

personnes maghrébines interrogées, elles considéraient que cette mise en garde ne

s’appliquait pas à elles, possiblement en raison de leur estime de soi (leur meilleure image

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149

d’elles-mêmes et de leur compétence que celles de leur informateur), ou que leur situation

personnelle était différente (elles n’avaient pas de responsabilités familiales). Cette

question est plutôt d’ordre perceptuel ou cognitif et illustre l’importance d’intégrer une

perspective psychologique ainsi que la pertinence de l’entretien qualitatif comme méthode

de collecte de données pour comprendre les dynamiques de partage et de compréhension de

l’information dans les réseaux. En effet, il s’agit ici d’une illustration du rôle de

l’interprétation des informations recueillies influencé par les dispositions et le parcours des

individus de même que les caractéristiques de l’informateur (Vigel, 2002; Béji et Pellerin,

2010). Par exemple, il est possible que d’avoir réussi des études universitaires et être

disposée à prendre un risque tel que l’immigration témoigne de traits de personnalité ou de

socialisation (Liagre, 2008). De plus, les similitudes (ou différences) avec l’informateur

influencent la crédibilité accordée à l’information provenant du lien. Ainsi, si l’informateur

a moins de qualifications (capital humain et social) que soi, une personne peut, à juste titre,

se dire qu’elle sera plus chanceuse que l’autre dans sa recherche d’emploi. Nos résultats ne

nous permettent cependant pas de développer ce point davantage. Néanmoins, ces résultats

illustrent l’importance de tenir compte de l’effet des biais de perception dans l’analyse des

biais informationnels pouvant influencer l’intégration socioprofessionnelle des personnes

immigrantes (Béji et Pellerin, 2010).

Le second constat est celui que d’avoir des liens avec des réseaux (ethnoculturels) établis

au Québec ne signifie pas qu’ils sont ou seront mobilisés et à quelles fins, notamment pour

s’informer sur les perspectives d’emploi au Québec. Cela pose la question suivante : quels

facteurs peuvent expliquer que l’on mobilise ou non quels réseaux afin d’obtenir des

informations? Cette question est peu abordée dans la littérature théorique. Ces facteurs

pourraient être des raisons utilitaristes, comme la croyance dans le degré d’utilité de ces

réseaux pour trouver un emploi, ou cognitives, comme la possibilité que l’on ne pense

simplement pas à mobiliser ces réseaux, ou que l’on préfère utiliser des sources officielles.

Nos résultats laissent croire que le projet migratoire a pris forme avant la recherche

d’informations, et que les motivations pour immigrer et la confiance des participantes

envers leurs capacités étaient plus saillantes que le besoin de s’informer sur les conditions

matérielles réelles qui les attendaient une fois au Québec.

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150

La distinction entre l’existence d’un lien avec des réseaux et la décision de le mobiliser

n’est pas seulement observée dans le parcours migratoire; en effet, nous remarquons que ce

phénomène a aussi lieu dans le parcours post-migratoire, en ce qui a trait au réseau

ethnoculturel. La section qui suit traitera notamment de ce constat et de ses implications

théoriques.

4.3. Le parcours post-migratoire

La troisième phase de l’analyse débute avec l’arrivée en sol québécois et se poursuit

jusqu’à la situation des participantes lors de l’entretien. Cette phase dure entre trois et dix

ans et inclut : l’accueil et l’établissement, le parcours professionnel post-migratoire et les

réflexions des participantes au sujet de l’intégration socioprofessionnelle des immigrantes

maghrébines hautement scolarisées au Québec.

4.3.1. L’accueil et l’établissement

Nous commençons l’analyse du rôle des réseaux sociaux dans les parcours post-migratoires

par une analyse de leur rôle dans l’accueil et l’établissement au Québec des participantes.

Ceci permet de connaitre leurs premières impressions, incluant le décalage entre leurs

attentes et les expériences vécues. Celles-ci provoquent des chocs chez certaines d’entre

elles. Cela permet aussi de documenter quels ont été les premiers contacts établis au

Québec, quelles ressources ont été fournies par ces personnes (ex.. les accueillir, leur louer

un logement) ou encore, comment ces dernières ont influencé leurs attentes et leurs

stratégies d’insertion, notamment par le biais des informations fournies (vraies ou erronées;

encourageantes ou décourageantes).

4.3.1.1. Les premiers contacts

Le premier contact est généralement avec une (ou des) personne(s) chez qui les

participantes ont demeuré, d’une nuit à plusieurs mois dès leur arrivée au Québec. Ces

personnes ont fourni des ressources, comme un appartement ou des meubles, ou de l’aide

dans les processus formels d’établissement comme pour trouver un logement et pour

s’orienter dans la ville. En général, ces personnes sont issues de leur pays d’origine. Il

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151

s’agit de membres de la famille, et d’amis personnels, d’amis de leur conjoint ou d’amis de

leurs amis. Il s’agit donc de relations directes ou indirectes. Il s’agit notamment du cas de

Chadia qui a bénéficié d’une aide semblable à celle reçue par plusieurs participantes :

Ma belle-sœur, c’est elle qui nous avait loué un logement avant qu’on vienne. Elle l’avait

meublé. Ils nous ont amenés dans les organismes pour faire le NAS, et toute la paperasse.

Son mari avait pris un congé de quinze jours pour nous faire découvrir Montréal. [Chadia]

Pour d’autres, le réseau ethnoculturel a été utile pour un besoin spécifique, souvent

matériel, comme la recherche de logement. Le cas de Leila est un exemple particulièrement

révélateur. Elle a trouvé son premier appartement grâce à un ami étudiant à l’université (un

voisin dans sa ville d’origine), qui l’a mise en contact avec une dame propriétaire

d’immeubles à appartements qu’il connaissait, elle aussi d’origine arabe. Lors de notre

entretien, Leila nous confie que « tous les Arabes se connaissent ici », ce qui suggère qu’il

y a au minimum un lien faible avec chacun selon cette participante. Ce qui demeure moins

clair est la question suivante : lesquels de ces liens seront sollicités et pourquoi? La réponse

à cette question est complexe, car elle semble varier selon plusieurs facteurs: a) le résultat

(réel ou perçu) des interactions antérieures avec les liens (positifs ou négatifs), b) le degré

de confiance envers les informations ou les intentions des liens concernés, et c) la volonté

de créer des liens à l’extérieur de la communauté ethnoculturelle, liens perçus comme étant

plus utiles à l’intégration (et, plus spécifiquement, la croyance que les liens trop forts avec

la communauté ethnoculturelle seraient un frein à la création de ces réseaux « natifs »

perçus comme étant plus utiles). Par exemple, si certaines participantes maintiennent des

contacts positifs avec plusieurs membres de leur communauté ethnoculturelle et se fient à

eux pour plusieurs éléments de soutien (ex. Aicha, Leila) d’autres ne mobilisent pas ces

liens, car elles considèrent que cela ne leur permettra pas d’accéder à un emploi qualifié

(ex. Dalia). Ou encore, elles craignent que de trop se rapprocher de leur communauté

ethnoculturelle serait un frein à leur création de réseaux avec des personnes issues de la

société d’accueil, et donc, nuirait à leur intégration (ex. Mounia).

4.3.1.2. Les premiers réseaux post-migratoires

Contrairement à Mounia et Esma, plusieurs participantes ont rapidement été en contact

avec leur communauté ethnoculturelle, surtout grâce aux personnes qui les ont accueillies et

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152

aidées à s’établir. En côtoyant ce réseau, les nouveaux arrivants peuvent recueillir des

informations supplémentaires sur les possibilités d’insertion en emploi pour les personnes

immigrantes originaires du Maghreb. Il s’agit notamment du cas de Chadia dont les

échanges sont nombreux avec les membres de la communauté:

[Ils nous ont présentés] leurs amis, et on a retrouvé aussi les amis de mon mari qui étaient

déjà là. (...) c’était plutôt des ingénieurs en informatique. Moi j’avais retrouvé quelques

archéologues, qui travaillaient avec moi qui sont venus ici. Ma belle-sœur dans son

domaine, elle fait de la gestion informatique quelque chose comme ça. Son mari c’était

plutôt technicien en mécanique, donc c’était plutôt les usines et tout. On avait un entourage

un peu varié quand même. [Chadia]

Certaines participantes ont discuté des liens créés lors des formations pour nouveaux

arrivants de diverses origines. Cependant, ces contacts sont rarement devenus des amitiés

ou des liens pouvant faciliter l’insertion au marché du travail plus tard.

«Ils font une semaine de formation (...) pour vous faire connaitre le Québec, le marché de

l’emploi et tout. (...) y avait euh... une Française, Algérien, un Égyptien (...). On est restés

des amis sur Facebook, juste…» [Chadia]

Pour plusieurs, les premiers réseaux ont donc été constitués de membres de leur

communauté ethnoculturelle, avec qui le contact a été facilité par les personnes les ayant

accueilli et aidées à s’établir. Cependant, ces réseaux ont peu d’impact sur l’insertion

professionnelle future, les membres de ceux-ci n’étaient pas nécessairement dans une

position de les aider, soit en raison de leurs propres difficultés d’insertion, d’un capital

social ou humain moins riche, ou parce qu’ils n’avaient pas de liens avec les réseaux où se

retrouvent des personnes occupant le type d’emploi convoité par les participantes.

4.3.1.3. Les premières impressions; les premiers chocs

Les interactions des participantes avec ces premiers contacts ont parfois été positives, alors

que d’autres ont donné lieu à un premier décalage entre les attentes des participantes et la

« réalité », surtout en termes d’emploi de la personne avec qui ce premier contact a eu lieu :

Parce qu’elle était à l’aide sociale, comment elle vit ça m’a choquée. (...) Ils disaient ça va

changer, on vient d’arriver, c’est temporaire. Mais le mari il dit, « j’ai fait une grave

erreur ». (...) Ils ont laissé quand même leur appartement, il a vendu ses actions, il a vendu le

bureau, la femme elle a laissé son boulot. Ils peuvent pas retourner en arrière. [Mounia]

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153

Lorsqu’interrogée sur cette inadéquation entre ses attentes prémigratoires nourries par les

informations de son contact concernant sa propre insertion professionnelle et l’expérience

post-migratoire réelle de son contact, Mounia explique que les informations véhiculées par

les réseaux personnels seraient en cause, en raison d’enjeux de protection de l’image de soi:

Il ne faut pas faire confiance aux immigrants qui sont ici. Si tu es du Maroc et que tu les

appelles (...), ils te donnent pas la vraie réalité. [Ils disent que] c’est la vie en rose. [...] ils le

font parce que ils veulent pas que les autres de l’autre côté sachent la réalité de leur vie ici.

Surtout que ce sont des gens qui ont laissé des boulots intéressants. (...) Mais ils ont décidé

de venir alors, après six mois, elle va pas dire que « ah, attention, il faut pas venir, il faut

réfléchir », non. C’est la vie. Ben, c’est en arrivant, c’est comme, on en veut aux gens :

« Oh! Il est resté au Maroc, il est bien, il va garder son emploi. C’est bien que tout le monde

fasse l’aventure, venez ». [Mounia]

Le sentiment de méfiance qu’évoque Mounia face aux immigrants de son groupe culturel

semble en partie relié à cette expérience de choc, mais aussi à ses expériences

prémigratoires. En effet, elle évoque encore une fois la crainte d’être jugée par d’autres

membres de sa communauté ethnoculturelle établis dans le pays d’accueil, jugement qu’elle

reprouvait dans son pays d’origine et qui l’avait notamment motivé à le quitter :

J’ai fait la coupure avec les Maghrébins. (...) pour un immigrant, pour qu’il s’intègre très

bien, je crois qu’il faut qu’il coupe tous les liens avec son pays. Tu réfléchis tout le temps.

Tu réfléchis à ta famille. (...) Parce que vite, je me suis dit, ben, ils vont encore me juger,

j’ai fait tous ces kilomètres pour arriver ici pour encore aller chercher le Maroc? (...) Même

ici, alors il faut les éviter. [Mounia]

Ce sentiment semble être accompagné d’un jugement sévère à leur égard, nourri par ses

expériences prémigratoires (attitudes, attentes, normes de sexe) et post-migratoires

(constater que la réalité vécue par les immigrants maghrébins ne correspond pas à l’image

qu’ils projettent aux personnes dans le pays d’origine). Dans le même ordre d’idées, Esma

relate des propos semblables et exprime sa réticence à fréquenter sa communauté

ethnoculturelle dans un contexte religieux23 :

23 Dans le cadre de nos entretiens, les participantes discutaient souvent des communautés maghrébine, arabe

et/ou musulmane en utilisant ces termes de façon interchangeable. Il est possible que ceci soit dû au fait que

ces communautés ne sont pas mutuellement exclusives, qu’elles se côtoient régulièrement dans différents

contextes et qu’elles se trouvent à tisser des liens de solidarité en fonction de leurs ressemblances face à la

société québécoise. Cependant, ces nuances ne sont pas centrales à notre propos dans cette thèse.

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154

Je n’ai jamais été à la mosquée. J’y ai été (...) une fois, et je suis révoltée par rapport aux

personnes qu’il y a à la mosquée. Il y a des gens qui sont intégristes, renfermés, j’ai ma

sœur, là, qui est séparée et elle en souffre. (...) j’ai pas fui les intégristes en Algérie pour les

trouver ici à Québec. (...). Je préfère faire ma prière chez moi, de toute façon c’est une

relation entre moi et le Bon Dieu. [Esma]

Ainsi, dans certains cas, le premier contact avec la communauté ethnoculturelle dans le

pays d’établissement se vit comme un choc, soit sur le plan des attentes relatives à l’emploi

pour soi ou pour d’autres membres de sa communauté, ou soit par rapport aux normes et

aux valeurs que les participantes associent à cette communauté. Il semble donc y avoir une

diversité de dynamiques relationnelles possibles entre les personnes immigrantes et les

personnes provenant du même groupe ethnoculturel, constat qui mériterait d’être exploré

davantage, notamment en lien avec les résultats de l’intégration socioprofessionnelle. Cette

recherche n’ait pas permis de tirer de conclusions à ce sujet, donc il s’agit d’une autre

avenue à explorer.

4.3.1.4 Bilan : le rôle des réseaux sociaux dans l’accueil et l’établissement

L’examen de la période de l’accueil et de l’établissement permet de dégager quelques

tendances en matière de création des premiers réseaux. Dans un premier temps, presque

toutes les participantes ont mobilisé un lien existant (soit fort ou faible) ou ont pu bénéficier

de leur appartenance à une communauté ethnoculturelle pour les aider à s’établir,

notamment trouver un premier logement. Cette observation est conforme aux autres études

à ce sujet, dont celles de Pellerin (2013) et Nieto et Yepez (2008).

Ensuite, pendant ces premiers moments au Québec, les participantes ont pu constater la

situation professionnelle des personnes membres de ces réseaux, ce qui constitue parfois un

premier choc par rapport à leurs attentes, mais qui ne semble pas les décourager. Arcand et

coll. (2009) en font également état dans leur étude concernant les Maghrébins à Sherbrooke

et à Montréal.

Finalement, plusieurs études démontrent que la communauté religieuse aide à l’intégration

sociale, car ce réseau déjà constitué se mobilise de façon spontanée par solidarité et

disperse des informations et des ressources (Portes, 1998). C’est le cas notamment de celle

d’Arcand et coll. (2009) concernant les Maghrébins au Québec. Contrairement à ces études,

nos résultats suggèrent que ceci est limité à certaines participantes seulement. En effet, si

Page 165: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

155

quelques-unes participent aux évènements de la communauté musulmane et sentent qu’il

s’agit d’un lieu de regroupement et de soutien, d’autres évitent les lieux de culte, car elles

n’adhèrent pas aux valeurs véhiculées, notamment en ce qui concerne les normes sociales

de sexe.

Ces chocs peuvent devenir un frein au développement d’un réseau ethnoculturel post-

migratoire. Ceci peut avoir des implications pour la constitution du capital social étant

donné le rôle que l’appartenance à un réseau ethnoculturel peut avoir sur certains éléments

de l’intégration, notamment le soutien financier et psychologique (Portes, 1998).

Cependant, cela peut aussi limiter l’effet d’enclave, qui peut être néfaste pour les

immigrants qualifiés voulant accéder à des emplois correspondant à leurs qualifications.

L’étude du parcours dans son intégralité permet notamment de voir les effets interpériodes.

4.3.2. Le parcours professionnel post-migratoire

Le parcours professionnel post-migratoire se décline en trois volets : les emplois occupés,

les autres aspects du parcours d’insertion socioprofessionnelle, et le portrait de la situation

professionnelle actuelle des participantes. Dans ces trois volets, une attention particulière

sera portée au rôle des réseaux sociaux dans la recherche d’information et dans la

disponibilité des opportunités, l’influence des réseaux dans les choix effectués et les

réseaux créés lors de ces emplois et activités. Les emplois occupés incluent : le premier

emploi (correspondant aux attentes initiales ou non), le premier emploi correspondant aux

attentes et les autres emplois occupés au Québec. Les autres aspects du parcours que nous

avons traités sont d’autres activités ou évènements pouvant influencer l’insertion

socioprofessionnelle : le bénévolat et la participation à la vie associative, la migration vers

la ville de Québec (pour celles s’étant d’abord établies à Montréal), la formation post-

migratoire et la maternité et les responsabilités familiales.

4.3.2.1. Le premier emploi

Dans cette section, nous nous intéressons au premier emploi obtenu par les participantes au

Québec, en portant une attention particulière aux éléments suivants : le type d’emploi

occupé; comment il a été obtenu et les motivations pour l’accepter; le rôle des réseaux

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156

personnels dans la capacité à conserver ces emplois; le rôle (limité) du réseau institutionnel;

et la création de liens lors des premiers emplois.

a) L’obtention du premier emploi : comment et de quel type?

La majorité (9 emplois sur 14) des premiers emplois des participantes ont été obtenus à la

suite de l’intervention d’un lien provenant de réseaux ethnoculturels, québécois ou

institutionnels.

Six participantes parmi celles qui ont obtenu un emploi, l’ont obtenu grâce au réseau

ethnoculturel. Dans tous les cas, ces emplois ne correspondaient pas à leur niveau de

compétences ni à leurs attentes initiales. Il s’agit par exemple d’emplois de serveuse ou de

vendeuse dans un commerce, ou encore, d’emplois reliés au soin des enfants; bref, des

emplois de subsistance, assurant leur survie économique, et traditionnellement féminins.

En ce qui concerne l’apport du réseau, celui-ci prend deux formes: premièrement, certaines

participantes ont été informées de l’existence de cet emploi par des personnes de leur

communauté ethnoculturelle (par exemple, des voisines, des clients dans un commerce

détenu par un membre de la communauté culturelle); dans la seconde forme, ce sont des

personnes issues de cette communauté qui les embauchent. Il s’agit généralement de liens

faibles, c'est-à-dire, de personnes avec qui ils n’ont pas une relation intime ni des

interactions fréquentes. Donc, des membres du réseau ethnoculturel informent ou

embauchent. Le cas de Leila illustre cela tout en offrant un point de vue sur la dynamique

opérant dans les réseaux ethnoculturels. En attendant que son dossier soit étudié par l’Ordre

professionnel, elle trouve un emploi comme serveuse dans un restaurant dont le propriétaire

est une personne immigrante :

Quand j’ai attendu j’avais pas le choix j’ai travaillé comme serveuse, dans un restaurant. (...)

c’était des filles, des connaissances qui [m’en ont parlé] (...) C’est des immigrantes. (...)

C’était des voisines. (...) Comme Arabes, on a tendance à se dire bonjour. (...) C’est pas une

madame qui a des diplômes. (...) le monsieur chez qui j’ai travaillé, c’est l’ami de son mari.

(...) c’est un Égyptien. [Leila]|

Oumaima, constatant les obstacles à l’insertion dans son domaine d’origine, obtient un

stage non rémunéré grâce au réseau ethnoculturel de sa sœur; ensuite, ce réseau lui permet

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157

d’obtenir un emploi d’assistante de recherche. Il s’agit d’un emploi pour lequel elle est

surqualifiée qui ne répond pas à ses attentes initiales :

[le professeur] c’était une connaissance d’une personne que je connais. Je vous ai dit, c’est

le réseau qui marche. (...) c’est une amie, une amie proche de ma sœur. Elle est canadienne,

mais pas d’origine. Elle lui en a parlé, je l’ai contacté, il a accepté et ça c’est, il a été très

satisfait de mon travail. (...) [Et le poste d’assistante de recherche], c’est par des

connaissances aussi, par des gens que je connais. C’était un travail pour lequel j’étais

surqualifiée. Mais j’ai accepté. [Oumaima]

Deux participantes ont obtenu un premier emploi grâce à un réseau québécois; il s'agit de

Jadia qui a obtenu un contrat d’auxiliaire d’enseignement avec un professeur avec qui elle

avait suivi un cours, et de Chadia qui a obtenu un contrat du même type avec sa directrice

de recherche. Ces emplois étaient à la hauteur de leurs compétences et correspondaient à

leurs attentes dans la mesure où il s'agit d'emplois universitaires pendant le doctorat. Pour

Jadia, par exemple, il s’agit d’un contrat d’auxiliaire de recherche offert par un professeur

avec qui elle avait suivi un cours à la session antérieure; ceci a permis au professeur de la

connaitre et de juger de la qualité de son travail avant de l’embaucher, ce qui est une

pratique usuelle dans le milieu.

«J’avais pris un cours (...) avec [le professeur]. Et (...) c’est un cours que j’ai beaucoup

apprécié, puis on s’est beaucoup appréciés, puis il m’a proposé un contrat de recherche à la

fin et j’ai travaillé beaucoup pour lui.» [Jadia]

Cette situation – d’obtenir un emploi d’assistanat de recherche ou d’enseignement – est

courante aux études supérieures au Québec. En effet, il s’agit d’une façon d’octroyer une

aide financière aux étudiantes et aux étudiants, tout en contribuant à leur formation

d’enseignant-chercheur. Cette situation se compare à celle d’un apprenti se formant pour

maitriser un métier. Cependant, ce statut ne se solde pas par un emploi après les études,

notamment car les fonds de recherche permettant de les embaucher sont souvent destinés à

la formation des étudiants aux cycles supérieurs, et non à l’embauche de professionnels tels

que des professionnels de recherche.

Une autre participante, Ghalia, a obtenu un emploi temporaire, mais correspondant à ses

compétences par l'entremise d'un stage offert en partenariat avec un organisme

communautaire.

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158

J’avais fait stage pour immigrants, on vous jumelle avec une entreprise (...) Il m’avait mis

en contact, mais je suis tombée enceinte, donc j’avais arrêté le stage. Mais la personne

j’avais gardé ses contacts, elle m’apprécie bien, donc je l’ai appelée puis j’ai dit : « si vous

avez des contrats je peux travailler chez moi». Donc dès qu’elle avait un peu d’argent, elle

m’avait appelée puis j’ai fait deux évaluations environnementales. [Ghalia]

Notons au passage que Hakima avait aussi entrepris les démarches et été acceptée pour un

stage, mais cela ne s'est pas concrétisé; elle est la seule à ne pas avoir eu d'emploi au

Québec au moment de l'entretien malgré le fait qu’elle est au pays depuis cinq ans et demi

et qu’elle a tenté d’en trouver avant de constater l’écart entre ses qualifications et les

emplois disponibles.

Cinq participantes ont obtenu un premier emploi en empruntant une stratégie plus formelle

sans l'intervention d'un réseau, celle de l'envoi du CV à des entreprises (pour des emplois

de subsistance), soit en répondant à des annonces dans des journaux ou en ligne, ou de

manière non sollicitée. Il s'agit pour quatre d'entre elles, d'emplois non qualifiés ne

correspondant pas à leurs attentes initiales, généralement dans la restauration, le service à la

clientèle ou le soin aux enfants. Dans le cinquième cas, celui de Dalia, il s'agit d'un emploi

pour lequel elle est surqualifiée, mais il correspond à une de ses deux formations

prémigratoires, en enseignement.

Ben, moi je suis arrivée en septembre. En novembre, j’ai commencé à travailler comme aide

aux devoirs, comme enseignante. (...). C’est sûr que j’en ai eu d’autres entrevues. (...), Mais

c’était l’enseignement. (...) parce qu’au début je me suis dit je vais commencer par quelque

chose, je commence au moins dans quelque chose qui se respecte, là. L’enseignement c’est

un métier que j’ai toujours aimé. (...) c’était juste pour dire, je commence à faire quelque

chose, donc, parce que il fallait commencer. [Dalia]

Malgré sa surqualification pour ce poste, Dalia le voit comme une meilleure option que

d’autres emplois de subsistance que plusieurs immigrants trouvent par l’entremise de leur

réseau ethnoculturel, parce qu’il correspond à une de ses formations prémigratoires et

qu’elle considère cet emploi plus rapproché de ses aspirations qu’un emploi de subsistance

qui ne demande aucune formation :

Moi c’est spécial, après que j’ai été établie ici, j’ai entendu parler de tout ça. J’étais étonnée

parce que j’ai pas fait cette étape-là, J’ai jamais été travaillé dans un magasin ou dans un

commerce… je l’ai jamais fait chez nous, (...) c’était pour moi une chose que je ferai jamais.

Mais une chose est sûre, si on embarque dans des affaires pareilles, on a moins de temps

pour aller chercher un travail sérieusement, selon tes qualifications à toi. [Dalia]

Page 169: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

159

Il est intéressant de constater, dans le cas de Dalia, la réticence à mobiliser le réseau

ethnoculturel pour obtenir un premier emploi, et ce, malgré les bonnes relations qu’elle y

entretient. La raison évoquée est qu’elle ne voudrait pas occuper un emploi non qualifié,

voire dégradant. Ceci implique qu’elle considère que ce type d’emploi est tout ce que son

réseau ethnoculturel peut lui offrir, ce qui nous informe sur la nature de son réseau et

l’appréciation qu’elle en a. Elle est aussi consciente du risque d’occuper un emploi

seulement de subsistance : réduire sa capacité à chercher un emploi plus adéquat en

réduisant ses heures de disponibilité pour une telle recherche.

Ainsi, les réseaux ethnoculturels, québécois et communautaires ont permis à la majorité des

participantes d'obtenir un premier emploi, le réseau ethnoculturel étant celui qui a fourni le

plus d’opportunités, mais donnant accès à des emplois moins qualifiés que les deux autres

réseaux. Nous ne remarquons pas de différences importantes, cependant, entre les types

d'emplois obtenus par les réseaux en général et les emplois obtenus à la suite de l'envoi

d'un CV. En effet, dans les deux cas, la majorité des premiers emplois obtenus requérait

peu ou pas de qualifications et était rarement dans le domaine des participantes. Ces

emplois étaient dans les secteurs de la restauration, du service à la clientèle ou du soin et/ou

de l’éducation des enfants. Par contre, cela n’était pas faute d’avoir essayé de trouver un

emploi dans leur secteur de compétence, comme nous le verrons dans la section qui suit.

b) Le premier emploi de subsistance : une question de contrainte

Si le premier emploi fut généralement un emploi de subsistance, cela n’est pas

nécessairement le premier choix des participantes. En effet, elles sont plusieurs à l’avoir

obtenu après des tentatives pour trouver un emploi plus qualifié, soit six participantes. Pour

celles-ci, la stratégie initiale a été de chercher un emploi correspondant à leurs attentes

initiales ou un emploi pour lequel elles étaient surqualifiées, mais leur permettant de

Page 170: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

160

s’insérer dans leur domaine. Elles mentionnent souvent avoir tenté de mobilier leur réseau

sans succès, ou encore, qu’une raison de leur échec serait le manque de réseaux24.

Aicha, par exemple, a débuté la recherche d’un premier emploi en mobilisant ses réseaux

québécois et ethnoculturels avec l’espoir de trouver un emploi correspondant à ses attentes

initiales; c'est-à-dire, un emploi dans le secteur de l’économie ou du communautaire.

J’avais beaucoup de contacts à Montréal. (...) Lorsque j’ai commencé à chercher, j’ai

contacté les gens que je connaissais. [Aicha]

Suite à l’échec de cette stratégie, qu’elle opte pour un emploi de subsistance obtenu grâce à

son appartenance à une communauté ethnoculturelle.

[l’emploi dans une fromagerie,] c’est par réseau. (...) c’est de la communauté. J’étais dans

un magasin de quelqu’un de la communauté, il y avait quelqu’un d’autre, et je parlais : « je

viens d’arriver, je suis à la recherche de travail » et quelqu’un m’a dit « (...) il y a un ami qui

a une fromagerie, si vous êtes intéressée à travailler là-bas. » [Aicha]

Leila, pour sa part, tente d’obtenir un emploi dans son domaine, mais pour lequel elle est

surqualifiée (préposée aux bénéficiaires) en attendant les résultats de la procédure de

reconnaissance des acquis de son Ordre professionnel (infirmière). Cependant, sans réseau

professionnel au Québec, donc sans possibilité d’obtenir de références locales, elle ne

parvient pas à accéder à un emploi:

Je savais qu’il fallait une équivalence. Mais j’ai envoyé des CV pour être préposée aux

bénéficiaires, travailler à l’accueil, mais non parce qu’il te faut des références. Je ne sais pas

comment ils veulent qu’une personne immigrante ait des références, puis ils acceptent pas

une référence d’ailleurs. [Leila]

Basma, quant à elle, accepte un emploi de subsistance après avoir pris la décision de ne pas

poursuivre la reconnaissance des acquis par l’Ordre professionnel régissant sa profession.

C’est à la suite d’une requalification (maitrise en sciences dentaires) qu’elle tente de

trouver un emploi dans son domaine, et lorsqu’elle n’y parvient pas, elle accepte un emploi

non qualifié dans un autre domaine (éducatrice de services de garde en milieu scolaire).

24 Nous reviendrons aux impressions des participantes concernant l’obstacle posé par le manque de réseaux

plus loin.

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161

Les expériences de ces participantes démontrent que, si plusieurs participantes relatent un

premier choc relativement au travail lors de leurs premiers contacts avec des personnes de

leur communauté ethnoculturelle, d’autres le vivent lors de leurs propres expériences de

recherche d’emploi :

Ah oui! J’étais choquée par rapport au travail. Parce que comme requérante principale,

quand j’ai regardé mes chances d’être acceptée, j’ai vu que les microbiologistes étaient très

en demande. Hors tout de suite ici quand je viens c’était autre chose. Le marché du travail

lui-même, là, touche pas à la santé. Ça pour ça j’étais choquée, très choquée. [Hakima]

L’insertion professionnelle se fait donc à grand coût pour elles, car elles sont surqualifiées,

elles s’insèrent dans des emplois qui ne mènent pas à l’obtention d’un emploi

correspondant à leurs compétences ou à leurs attentes; en conséquence, ces emplois de

subsistance peuvent poser obstacle à l'intégration socioprofessionnelle souhaitée.

c) Les réseaux sociaux, le soutien dans le soin des enfants et le maintien du premier emploi

Pour bien des femmes immigrantes, comme pour les femmes en général, la question des

responsabilités familiales est intimement liée à l’insertion en emploi. Elle peut aussi

influencer le maintien en emploi. Pour Leila, l’aide et le soutien en la matière ont été

trouvés grâce à son appartenance à une communauté ethnoculturelle, ce qui lui a permis de

travailler :

J’étais à Dollarama, j’ai vu une madame avec ses enfants, ses enfants voulaient jouer avec

les miens, ils parlaient arabe, et je cherchais une garderie. Elle me dit : « moi je garde les

enfants ». J’ai dit : « je vais vous amener mon fils pour le garder, comme ça je vais pouvoir

aller à la recherche du travail ». (...) au début, je la payais puis après je la payais plus parce

que j’étais sa voisine, elle le faisait gratuitement. [Leila]

Fadela a occupé pendant quelques jours un emploi d’entretien ménager dans une entreprise,

propriété de la conjointe québécoise d’un Maghrébin. Cette femme était une connaissance

de sa sœur.

C’est une connaissance à ma sœur, c’est une femme québécoise qui est mariée avec un

Marocain. Donc, via la communauté maghrébine, qui a un « bed and breakfast » puis

souvent elle recrute des étudiantes, des personnes de la communauté maghrébine. [Fadela]

Cependant, elle a quitté cet emploi après quelques jours, en raison de difficultés à concilier

le travail et ses responsabilités familiales :

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162

Je manquais de temps puis la distance. (…) Puis il y avait les enfants qui entraient à la

maison, ils étaient jeunes, je pouvais pas leur permettre de les laisser à la maison. (…) Ce

qui fait je, j’avais pas le choix. Y avait un choix à faire : ou les enfants ou le travail. Pas du

travail, l’argent. Parce que on peut pas parler vraiment de travail, c’est pas une carrière que

je vais faire là. C’est l’argent. C’est l’argent ou c’est les enfants. [Fadela]

Ces deux exemples témoignent de l’influence des responsabilités familiales sur le maintien

en emploi, et ce, surtout pour les mères ne pouvant s’appuyer sur le soutien du père, comme

c’est le cas pour Leila et Fadela qui étaient séparées de leur ex-conjoint. En effet, pour

certaines, le soutien de la communauté pour le soin des enfants peut les aider à demeurer en

emploi; inversement, il est possible que le manque de soutien soit un obstacle au maintien

en emploi.

d) Le rôle des réseaux institutionnels

Plusieurs acteurs dans les réseaux institutionnels peuvent intervenir dans le parcours des

personnes immigrantes : ministères, organismes communautaires, services d’aide à la

recherche d’emploi offerts par des établissements d’éducation supérieure, etc. Ces acteurs

peuvent être considérés comme faisant partie du réseau plus formel des personnes

immigrantes et peuvent aussi servir de passerelle vers d’autres réseaux, notamment avec

des personnes nées au Québec.

Lorsqu’interrogées par rapport à l’utilisation (ou non) de l’aide offerte par ces acteurs pour

l’insertion professionnelle, il ressort que l’intérêt principal des organismes communautaires

et des autres organismes d’aide à la recherche d’emploi est l’apprentissage du

fonctionnement du marché du travail québécois : par exemple, comment rédiger un CV ou

comment se comporter en entrevue, mais aussi, découvrir l’importance des réseaux.

Lorsque j’ai fait cette formation-là, ils nous disent : « le travail est sur le marché caché ».

[Aicha]

Tout le monde parle du réseau. Je ne comprenais pas, je pense que je comprenais pas ce qui

se passait. Mais là, je le vis. Je sais de quoi il s’agit. Mais tout le monde parle du réseau, il

faut faire attention, il faut construire votre réseau. [Fadela]

Ainsi, bien que les participantes apprécient recevoir des informations concernant le

fonctionnement implicite du marché du travail québécois ainsi que du soutien pour mettre à

jour leur CV, elles ne considèrent pas le réseau institutionnel comme particulièrement utile

dans l’obtention d’un premier emploi, car il ne les dirige pas vers des formations qu’elles

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163

considèrent utiles, et les activités proposées n’ont pas mené à l’obtention d’un emploi pour

elles.

e) La création de liens lors des premiers emplois

Partant de l’hypothèse que le premier emploi peut contribuer à la construction d’un réseau

social pouvant ensuite faciliter l’insertion socioprofessionnelle, nous nous sommes

intéressées aux possibilités de créer de tels liens constitutifs des réseaux lors des premiers

emplois des immigrantes.

Pour l’ensemble de nos participantes, cependant, le premier emploi n’a pas permis de

forger de tels liens. En effet, plusieurs d’entre elles ont obtenu un premier emploi de

subsistance grâce à leur appartenance à une communauté ethnoculturelle, et leurs collègues

étaient aussi des personnes immigrantes, généralement hautement qualifiées qui

n’arrivaient pas à obtenir un emploi correspondant à leurs attentes initiales. Ainsi, les

réseaux développés lors de ces emplois ne sont pas utiles pour l’obtention d’un emploi

correspondant aux qualifications des participantes. Le cas de Leila illustre cette situation :

C’était un restaurant arabe. (...), Mais moi, j’avais une maitrise en sciences infirmières, le

monsieur qui faisait la cuisine avait un doctorat en chimie, [une femme] avait un doctorat en

communications. [Une autre femme] avait une maitrise en économie. Le propriétaire est un

docteur en biologie. (...) il a fait une équivalence à Montréal puis il a choisi d’ouvrir son

restaurant. Puis le doctorant en chimie il ne va pas faire son équivalence il va faire le taxi. Et

les filles, il y en a une qui fait son équivalence et l’autre qui va laisser tomber parce qu’elle a

des enfants. [Leila]

Elle entre donc dans un réseau de misère, qui permet de trouver un certain soutien pour la

garde des enfants, mais l’empêche de créer des liens avec des personnes pouvant lui

transmettre des informations ou lui donner accès à des opportunités lui permettant d’obtenir

un emploi qualifié. Les stratégies qu’elle apprend à leur contact sont donc celles permettant

d’accéder à un (autre) emploi non qualifié.

i. La nature des liens établis avec les collègues québécois

Quelques participantes ont obtenu un premier emploi leur permettant un certain contact

avec des personnes québécoises. Cependant, ces contacts ne se sont pas avérés utiles dans

la poursuite du parcours professionnel. Cela s’explique par plusieurs éléments, notamment,

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164

la nature des liens établis avec les collègues, la nature des emplois occupés et la barrière de

la langue. En ce qui concerne le premier élément, le cas d’Esma illustre la difficulté

d’établir des liens avec des personnes québécoises lors d’un premier emploi non qualifié.

Lorsqu’elle occupait un emploi en restauration rapide, Esma entretenait différents types de

rapports avec ses collègues québécois. Dans un premier temps, elle admire une jeune

collègue qui travaille pendant ses études, remarquant notamment que cela n’aurait pas été

possible dans son pays d’origine. Cependant, le lien ne se développe pas avec cette jeune

femme au-delà du travail, possiblement à cause de l’écart d’âge :

C’était des jeunes filles, peut-être de seize ans, et la première qui m’a fait la formation,

hyper gentille. J’admirais le fait de voir une adolescente, travailler en même temps pour

faire ses études de médecine. En Algérie on n’a pas cette possibilité. Une femme ne peut pas

travailler dans un restaurant, c’est très mal vu. [Esma]

Elle nous fait également part d’une expérience illustrant les relations tendues qu’elle a

entretenues avec un collègue masculin et de la distance qu’elle lui a signifié devoir

maintenir :

J’avais un peu une relation tendue avec un homme. Il a mis sa photo dans mon casier. J’ai

pris la photo et j’ai dit, ça, ça t’appartient. La prochaine fois ne met pas ça ici. (...) C’est très

agressif des fois. Donc, lui il était un peu, genre, quand il te voit, immigrante, le teint

différent, ça veut dire que, peut-être que tu es faible ou soumise ou je sais pas. Tu viens d’un

pays pauvre (...). Mais après, il a compris que, gardes tes limites loin de moi, là. [Esma]

Paradoxalement, les deux observations portent sur les rapports sociaux de sexe, les jeunes

femmes québécoises ayant davantage de possibilités que celles de son pays d’origine et

d’autre part, les attentes sexistes et racistes d’hommes québécois collègues de travail.

Le fait d’obtenir un emploi un peu plus qualifié avec des collègues qualifiés n’était pas

davantage utile pour l’insertion professionnelle. Par exemple, lorsque nous avons demandé

à Oumaima si son premier emploi (assistante de recherche dans le milieu médical) lui

permettait d’accéder à des réseaux pouvant l’aider à trouver un autre emploi correspondant

davantage à ses attentes, elle répond que non, notamment car elle ne considère pas qu’il y

ait de lien entre ses qualifications et celles qui sont requises pour le type d’emploi qu’elle

occupe. En d’autres termes, même si elle entretient de bons liens avec ses collègues, ceux-

ci ne seraient pas en mesure de l’aider à accéder à un emploi correspondant à ses attentes,

car ils ne sont pas dans des domaines en lien avec le type d’emploi convoité:

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165

Non, ça n’ouvre pas des portes parce que tout simplement c’est un travail d’assistante de

recherche. Parce que je suis dans le domaine médical et dans le domaine médical, il faut être

qualifié. Mais pour moi comme j’étais enseignante. Donc, une enseignante automatiquement

ça fait des recherches, ça fait des cours, ça note et ça compile des résultats donc, c’est

quelque chose que je peux faire. Ce sont des qualifications que je peux utiliser. [Oumaima]

Ainsi, un facteur à considérer, outre le niveau de qualification des collègues différentes de

celle de l’immigrante (faible ou un peu plus élevé), est la correspondance entre le type de

qualifications détenues et celles des emplois recherchés par l’immigrante. Malgré le contact

avec des personnes québécoises, ces contacts ne se développent pas en liens pouvant

éventuellement aider à améliorer la situation professionnelle, soit parce que ces liens sont

trop faibles ou qu’ils sont tendus. Ainsi, le simple contact n’est pas la seule condition

nécessaire à l’établissement du lien; certaines dynamiques relationnelles entrent aussi en

jeu, de même que la proximité des qualifications et des intérêts. Ces dynamiques incluent

les chocs culturels et différentes tensions interpersonnelles et mènent à la création de liens

faibles trop faibles pour être utiles, en plus d’être inutiles en soi dans la recherche d’un

emploi correspondant aux qualifications initiales. Ce constat permet de nuancer la

présupposition que la création de liens faibles avec la population native – n’importe quel

lien faible avec n’importe quels membres de la population native – est nécessaire et

favorise l’insertion professionnelle et l’intégration sociale.

ii. La nature du travail ou de l’emploi

En ce qui concerne le second élément, certaines participantes n’ont pas pu créer de réseaux

lors de leur premier emploi dû à la nature du travail ou de l’emploi. En effet, certaines

d’entre elles avaient un contact restreint avec des personnes québécoises, car elles

travaillaient généralement seules au quotidien, et/ou elles avaient un statut d’emploi

précaire limitant les contacts avec des collègues. Il s’agit notamment des cas de Fadela, une

femme de ménage dans une petite auberge, et de Ghalia et Jadia qui effectuent du

télétravail.

Finalement, dans de rares cas, la difficulté de comprendre l’accent québécois est une source

de défi d’intégration dans un premier emploi; cependant, en se comparant à une personne

non francophone dans son réseau, Esma relativise sa situation et se trouve chanceuse :

Page 176: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

166

C’était une expérience un peu brutale pour moi. Parce que la directrice me dit que, « vous

êtes pas faite pour cet emploi ». Je comprenais pas l’accent, donc quand on me donne des

commandes, il faut que tu sois très rapide et j’étais lente par rapport à la communication.

(...) en même temps, ça m’a arrangée. D’un côté j’étais un peu déçue parce que je me suis

dit donc que je suis pas bonne, j’ai jamais fait ça. [Esma]

Je vois dans le regard des gens que quand ils voient une personne qui est étrangère ils sont

un peu distants; ils savent pas à qui ils ont affaire, et je comprends tout à fait. Mais en

parlant avec les gens, c’est normal, je m’estime heureuse d’avoir mon français quand même

(...) j’ai une copine bulgare, c’est la catastrophe. Pour se faire comprendre, elle souffre. Au

moins, les gens, ils arrivent à me comprendre donc, je dis ça va. [Esma]

En revanche, deux participantes ont tissé des liens avec des personnes québécoises lors de

leur premier emploi. Alors qu’elle occupait un emploi de surveillance d’enfants autistes,

Basma s’est nouée d’amitié avec des Québécoises qu’elle continue de voir encore un an

plus tard. D’ailleurs, elle confie qu’elle accorde de l’importance à l’amitié:

Là par exemple, il y en a trois que j’ai vu ce matin parce que j’étais en remplacement dans la

même école. On a gardé des amitiés là, des éducatrices de l’année dernière. Pour moi c’est

important ouais, d’avoir des amitiés. [Basma]

Ce lien d’amitié n’influence pas le cheminement professionnel cependant; il s’agit plutôt

d’une question de soutien moral et de sentiment d’appartenance. Dans le cas d’une seule

participante, un lien avec une personne québécoise a eu une influence positive sur le

parcours après le premier emploi. Il s’agit d’Imane qui travaillait comme aide-gardienne

tout en poursuivant sa recherche d’emploi. Son employeur a joué un rôle de soutien au

cours de ce processus semé d'embûches, en se montrant compréhensif lorsqu’Imane devait

s’absenter pour se présenter à des entrevues d’embauche. De plus, elle l’encourageait à

continuer de se présenter à ces entrevues, malgré le découragement qu’elle vivait, ainsi que

les conditions hivernales n’aidant pas à la situation :

J’étais encore chez la dame avec qui je travaillais comme garderie (...), mais la dame était

vraiment compréhensive. À chaque fois que j’avais une entrevue, elle me laissait partir (...)

Cette journée là aussi, il faisait tempête (...) la dame m’a poussée, m’a presque mise dehors

pour aller à l’entrevue. Je voulais pas partir. Elle m’a sortie avec toutes ses forces. [Leila]

En définitive, l’accès au premier emploi n’assure en rien la possibilité de tisser des liens

avec des personnes pouvant ensuite participer à l’amélioration de la situation

socioprofessionnelle des participantes. En effet, ces emplois contribuent plutôt à élargir le

réseau ethnoculturel et les liens avec d’autres personnes immigrantes, généralement

surqualifiées pour les postes qu’elles occupent. Dans les rares cas où ces emplois mettent

Page 177: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

167

les participantes en contact avec des personnes québécoises, la faiblesse des liens avec ces

dernières, ou encore, le faible niveau de contact avec elles en raison de la nature du travail,

ont pour effet que ces contacts sont trop faibles pour être mobilisés dans le cadre d’une

stratégie d’amélioration de la situation socioprofessionnelle.

f) Bilan : les réseaux sociaux et le premier emploi

À l’instar de nombreuses études, nous remarquons que le réseau ethnoculturel joue un rôle

important dans l’obtention d’un premier emploi post-migratoire, mais il s’agit d’emplois

non qualifiés ou de subsistance (Portes, 1998) qui sont des culs-de-sac. Lorsque les

participantes ont bénéficié d’un réseau québécois, il s’agit d’un réseau constitué pendant

une formation ou à l’aide d’un réseau institutionnel. Il ne s’agit donc pas de liens amicaux

ou personnels avec des Québécois et ils ne sont pas développés ainsi non plus, avec le

temps.

Si le réseau joue un rôle dans l’obtention d’un premier emploi pour environ la moitié de nos

participantes, l’autre moitié a plutôt utilisé la stratégie formelle de l’envoi du CV, soit de

manière spontanée ou en réponse à des annonces publiques. À cet égard, le réseau

institutionnel a pu jouer un rôle positif en aidant les participantes à rédiger leur CV en

cohérence avec les normes sur le marché du travail québécois. D’autres études mentionnent

aussi cet apport du réseau institutionnel, mais elles en mentionnent aussi les limites,

notamment en ce qui concerne les ressources nécessaires afin de bien servir une clientèle

féminine hautement scolarisée (Lenoir-Achdjian et coll., 2009; Action travail des femmes,

2009).

Plusieurs facteurs expliquent pourquoi, malgré leurs diplômes, les immigrantes obtiennent

généralement un premier emploi sans lien avec leurs compétences et ne permettant que leur

subsistance. Nos participantes citent notamment le manque de réseaux sociaux incluant des

personnes québécoises ou l’incapacité de mobiliser ceux qu’elles ont, la non-

reconnaissance des acquis et des compétences par les ordres professionnels, et le manque

d’expérience canadienne, un critère exigé des employeurs. Ces résultats rejoignent ceux

recensés dans la littérature (Acrand et coll., 2009; Chicha, 2009; Action travail des femmes,

2009; Germain, 2013); des études semblables citent aussi d’autres facteurs tels que les

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168

stratégies d’insertion familiales accordant la priorité à l’insertion professionnelle du

conjoint et la discrimination systémique (Chicha, 2009; Action travail des femmes, 2009;

Germain, 2013).

Nos résultats indiquent aussi que le fait d’avoir du soutien pour la garde des enfants peut

avoir une influence sur la capacité ou non de garder ce premier emploi. Les études

antérieures mentionnent plutôt l’importance de ce soutien afin de pouvoir suivre des

formations ou rechercher du travail (Action travail des femmes, 2009; Germain, 2013);

certaines participantes montrent qu’il est essentiel pour occuper et conserver un emploi.

Finalement, bien que le premier emploi puisse constituer la première étape de l’insertion

socioprofessionnelle, nos résultats montrent que son apport est limité en termes de création

de liens donnant accès à des réseaux pouvant ensuite contribuer au développement d’une

carrière. En effet, en plus d’avoir obtenu cet emploi par l’entremise du réseau ethnoculturel,

les collègues de travail sont eux aussi majoritairement des personnes immigrantes et/ou

issues de la même communauté ethnoculturelle. Les collègues offrent donc un accès au

même réseau ethnoculturel et peu aux réseaux locaux plus nombreux et diversifiés. Ce

constat nous rappelle les multiples études qui ont illustré cette situation, dont celles

évoquées par Portes (1998). Dans quelques cas, les participantes ont pu être en contact avec

des collègues québécois, mais ces relations étaient plutôt froides ou même tendues, ou

encore, les participantes considéraient que ce réseau ne serait pas utile pour les aider à

intégrer un emploi correspondant à leurs qualifications initiales et ne le sollicitaient donc

pas. Enfin, parfois les conditions de l’emploi (contrats courts, emplois précaires, télétravail)

faisaient en sorte que les participantes travaillaient majoritairement seules, ce qui élimine la

possibilité de tisser des liens avec des collègues. Seulement deux participantes ont tissé des

liens avec des personnes québécoises lors de leur premier emploi, et l’une d’entre elles a

bénéficié de ce lien pour du soutien émotionnel lors de la recherche d’emploi subséquente.

Ainsi, une seule des 15 personnes interviewées a rapporté avoir obtenu du soutien pour son

insertion professionnelle d’une personne québécoise rencontrée à l’occasion du premier

emploi.

Page 179: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

169

4.3.2.2 Le premier emploi correspondant à ses attentes

L’adéquation entre les attentes et l’emploi obtenu dépend de plusieurs facteurs objectifs et

subjectifs. Les témoignages des participantes témoignent de l’importance de tenir compte

de ces deux types de facteurs, en plus de l’évolution des attentes au fil du processus

d’intégration. En effet, les attentes forgées dans le pays d’origine sont nécessairement

nuancées et parfois revues après contact avec le contexte québécois.

a) L’obtention d’un premier emploi correspondant aux attentes initiales

Cette section s’intéresse à l’obtention d’un premier emploi correspondant aux attentes

initiales, toujours en portant une attention particulière au rôle des réseaux. Elle est divisée

en deux parties : les participantes ayant obtenu un emploi correspondant à leurs

qualifications et à leurs attentes initiales (définition plus objective, classique), et celles

ayant obtenu un emploi qui les satisfait, n’ayant pas d’attentes spécifiques lors de

l’immigration.

Cinq des quinze participantes ont éventuellement obtenu un emploi correspondant à leurs

qualifications et à leurs attentes initiales liées à leur formation au Maghreb; ce sont Aicha,

Dalia, Ghalia, Leila et Nadra. Nadra a obtenu un premier emploi correspondant à ses

attentes par l’entremise d’une agence de recrutement de personnel, donc un réseau formel.

Cependant cet emploi était temporaire et les dispositions du contrat avec l’agence ne lui

permettaient pas de l’embaucher par la suite, malgré le fait que son employeur était satisfait

de ses services.

Au départ j’ai remplacé la fille, mais ils ont aimé comment je fonctionnais, alors ils (...) ont

voulu me garder, mais ils ne pouvaient pas. Quand tu es promis avec une agence de

placement, la compagnie doit payer beaucoup de sous pour la première année. Donc ça ne

marchait pas, ils n’étaient pas prêts à payer à ce point-là. Ils ont appelé [l’agence] pour voir

avec eux autres, mais ils ne m’ont pas pu me garder. J’avais pas le droit de postuler, même

pas deux mois après mettons que je suis pas avec eux. Quand ils m’ont embauchée, je ne

savais pas ça. [Nadra]

Aicha et Ghalia ont pu obtenir un premier emploi correspondant à leurs attentes après

l’obtention d’un stage : dans le cas d’Aicha, un stage dans le cadre d’une maitrise et dans

celui de Ghalia, un stage pour immigrants. Ces stages ont permis à ces femmes de se faire

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170

connaitre auprès d’un employeur, bâtissant ainsi un capital social de confiance qui leur a

ensuite permis d’être embauchées.

J’étais sur un mandat c’était très difficile, mais ça a bien été. Ils sont très satisfaits, le vice-

président, la directrice, donc ils m’ont gardée pour l’emploi d’été et après pour un contrat de

onze mois. [Aicha]

Après quelques mois de formation, Leila obtient l’équivalence de son diplôme d’infirmière

et elle trouve rapidement son emploi actuel, correspondant à ses attentes. En effet, suite à

l’envoi de son CV, elle reçoit trois offres d’emploi correspondant à ses qualifications. Bien

que la demande pour sa qualification soit un facteur déterminant dans l’obtention d’un

emploi correspondant à ses attentes, le réseau social joue aussi un rôle indirect dans le

choix de l’offre d’emploi retenue: il s’agit d’une personne de son réseau rencontrée pendant

qu’elle suivait la formation, qui l’influence dans le choix de l’offre d’emploi qu’elle retient,

en faisant valoir des éléments de contexte de l’emploi, qui ultimement ont joué dans le

choix de Leila:

[J’ai envoyé] des CV puis ils m’ont acceptée. Ils m’ont acceptée à trois hôpitaux. J’ai choisi

l’hôpital parce que y a plein de filles qui m’ont dit, des filles québécoises avec qui j’ai fait

l’équivalence, parce qu’il y a nous, les immigrants, puis il y a des infirmières qui ont cessé

de travailler pendant quelques mois, ils font une mise à jour. Il y avait une [Québécoise],

elle m’avait dit que mon premier choix devrait être de travailler à l’hôpital. Elle me dit c’est

beau, c’est tout près de chez toi, c’est vrai, c’est tout près de chez moi. [Leila]

Pour Dalia, le réseau social joue un rôle d’information : une personne, un lien faible dans

son réseau ethnoculturel lui apprend l’existence des concours de la fonction publique

québécoise, comme première étape de qualification requise pour l’accès à ces emplois; elle

décide de tenter sa chance malgré des informations qui circulent dans son réseau

ethnoculturel à l’effet que ce concours est difficile et qu’elle ne réussirait probablement pas

du premier coup :

À mi-chemin [pendant la formation], j’ai entendu parler du concours du gouvernement par

une amie, qui a habité à Montréal et est partie en Alberta. Elle m’a écrit un message et c’est

suite à ça que j’ai passé mon concours, où j’ai subi l’examen et je l’ai réussi. C’est sûr que

le monde disait : « wow! tu rêves, tu ne vas pas le réussir la première fois parce que ce n’est

pas facile », mais j’ai eu la chance, je l’ai eu la première fois. [Dalia]

D’autres participantes n’avaient pas d’attentes claires par rapport à l’emploi souhaité au

Québec; cependant, elles obtiennent des emplois qu’elles considèrent satisfaisants et/ou qui

correspondent à des qualifications obtenues au Québec. Mounia, par exemple, avait pour

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171

objectif d’effectuer des études de 2e cycle lors de son immigration. Une fois cette formation

terminée, sa colocataire, immigrante, lui propose de faire du bénévolat au sein d’un

organisme communautaire, ce qui débouche sur l’obtention de quelques contrats avec cet

organisme communautaire. Ces contrats, cependant, sont de courte durée et ne lui

permettent pas un emploi stable. Malgré le fait que cette situation ne corresponde pas à sa

formation initiale, elle y retrouve un certain niveau d’épanouissement personnel et elle en

serait satisfaite s’il y avait la possibilité d’une stabilité d’emploi et une sécurité financière.

Oui j’aime bien travailler là. Tu travailles même la nuit, je travaille le weekend, je ne

demande pas de comptabiliser mes heures. Pour moi, c’est une affaire personnelle plus

qu’un emploi. (...) Mais je ne sais pas si je me vois là à long terme. Si on me rappelle pour

mon boulot au Maroc, je vais reprendre. Parce que moi, j’aimerais bien avoir un emploi

syndiqué. J’aime pas faire des emplois où tu as des problèmes. Sans aucune couverture. Si

tu es contractuel, on peut toujours te mettre à la porte. C’est pas rassurant. [Mounia]

Il semble donc que dans le cas de Mounia, elle ajuste ses attentes à ses expériences post-

migratoires, ce qui lui permet un sentiment de satisfaction.

Jadia a aussi immigré au Québec avec l’intention de poursuivre des études de 3e cycle. Lors

de ses études, elle a obtenu un premier emploi correspondant à ses qualifications

prémigratoires grâce à son réseau québécois; c’était un contrat d’auxiliaire de recherche

octroyé par un professeur avec qui elle avait suivi un cours. Chadia a également obtenu un

contrat d’auxiliaire d’enseignement grâce à son lien avec sa directrice de thèse.

Si, dans le passage précédent, nous avons considéré le premier emploi au Québec pendant

que les participantes poursuivent des études, nous pourrions aussi considérer le premier

emploi correspondant aux qualifications et aux attentes comme étant le premier obtenu

après la complétion de ses études doctorales. Dans ce cas, pour Jadia, il s’agit d’un emploi

de chargée de cours, obtenu au département où elle a effectué son doctorat ; elle a donc pu

bénéficier d’un capital social de confiance, étant connue par la direction. Cependant, il

s’agit d’un contrat à durée déterminée, qui n’avait pas été renouvelé au moment de

l’entretien.

Au-delà de l’obtention d’un premier emploi correspondant aux qualifications et aux attentes

initiales, nous nous sommes intéressées à l’intégration sociale en emploi des participantes,

c'est-à-dire, aux relations avec les collègues. C’est l’objet de la prochaine section.

Page 182: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

172

b) La nature des liens dans les réseaux créés lors des premiers emplois correspondant aux

qualifications et aux attentes initiales.

Parmi les sept interviewées occupant un emploi correspondant à leurs qualifications, six

estiment avoir des relations généralement bonnes avec la majorité de leurs collègues,

majoritairement nés au Québec, lors du premier emploi correspondant à leurs attentes; » ce

sont Aicha, Chadia, Dalia, Imane, Leila et Nadra. Pour Chadia, les relations avec les

collègues ne sont que positives :

Maintenant si je parle de l’intégration au Canada, moi personnellement les gens avec qui j’ai

travaillé jusqu’à présent (...) les Québécois avec qui j’ai travaillé, étaient bien avec moi. (...)

On s’est échangé le respect. On a échangé les connaissances. Donc, moi j’posais mes

questions sur la vie canadienne (…) ils ont voulu apprendre sur mes coutumes et traditions,

je les ai amenés chez moi. Je leur ai fait découvrir ma cuisine. On a vu ensemble des films

vidéo sur l’Algérie. Je leur ai fait vivre l’Algérie et ils ont beaucoup aimé. [Chadia]

Dans certains cas, par contre, des nuances s’imposent. En effet, dans les cas de Dalia,

d’Imane et de Leila, il existe parfois des frictions avec certains collègues. Les raisons

peuvent être nombreuses; nous exposons ici deux d’entre elles, soit une sorte de choc

culturel et l’expérience de racisme :

Il m’arrive de diner avec eux (...). Mais il y a des discussions que j’aime pas beaucoup, y a

des mots que j’aime pas beaucoup, comme quelqu’un qui me dit « tabarnak ». Ça, ça

m’énerve. (...) ça ne veut pas dire nécessairement qu’ils sont mauvais, c’est un langage qui

est devenu très quotidien. (...) la dernière fois, on a été au restaurant ensemble, ben, c’est sûr

que j’essaie d’orienter un peu la discussion souvent, mais, ça dérapait beaucoup, là. [Dalia]

Leila, pour sa part, nous confie que dans une des unités de l’hôpital où elle doit parfois

travailler, elle perçoit ses collègues infirmières comme étant racistes :

Quand on me disait que je serais à cet étage-là, c’est comme si ils m’ont dit : « bah, t’as une

récréation de dix minutes en enfer ». Parce qu’il y avait des propos racistes, oui. (...) des

jeunes infirmières. (...) Il y en a une qui m’a dit : « on voyage toujours sur des chameaux

chez vous? » Ben moi je suis marocaine, je n’ai jamais vu un chameau de ma vie. Puis euh...

ils parlent de terrorisme, ils parlaient d’islamisme, c’est comme si Ben Laden est mon père.

(...) puis on surveille toujours ce que je fais, on cherche mes erreurs, puis moi j’observe

qu’il y a tellement d’erreurs qu’ils font. Je dis rien. Je prends soin de mes patients, je me dis,

s’il arrive de quoi à mes patients, si une touche à mes patients, ce sera la galère. [Leila]

Il peut donc être difficile pour certaines immigrantes d’établir des liens avec leurs collègues

québécois. Trois participantes, pour leur part, n’ont pas l’opportunité de forger des liens

avec des collègues puisqu’elles travaillent seule et/ou de chez elles; il s’agit du cas d’Esma,

de Ghalia et de Jadia. Donc même si l’emploi ne correspond pas aux compétences, les liens

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173

ne se créent pas nécessairement et qui plus est, ceux-ci ne donnent pas nécessairement

accès à un réseau.

c) Bilan : obtenir un premier emploi correspondant à ses attentes, une étape vers

l’intégration?

Pour celles ayant réussi à obtenir un emploi correspondant à leurs attentes, avec ou sans

diplôme québécois, les liens qu’elles ont créés ne semblent pas avoir contribué à leur

réussite. Rappelons que dans un cas seulement, le réseau ethnoculturel a été une source

d’information concernant les emplois dans la fonction publique. Pour les autres, des

moyens plus formels ont été utilisés. Si l’on s‘intéresse à la possibilité de créer des liens

avec des personnes nées au Québec lors de cet emploi, comme indicateur d’intégration

sociale et de leur capacité à créer des liens potentiellement mobilisables par la suite, on

remarque encore une fois certaines limites. En effet, certaines participantes ont senti des

frictions et des incompréhensions lors de leurs interactions avec des personnes natives,

alors que d’autres se sont senties victimes de racisme ou de discrimination. Pour d’autres

encore, bien que les relations forgées lors de cet emploi fussent cordiales et enrichissantes,

elles donnent rarement lieu à des interactions à l’extérieur du lieu de travail et à des

informations utiles pour la progression professionnelle, en raison notamment du manque de

temps occasionné par les responsabilités familiales.

La nature temporaire des emplois occupés par plusieurs participantes nous amène à poser la

question : est-ce que l’obtention d’un premier emploi correspondant aux qualifications de la

personne immigrante (initiales ou obtenues au Québec) et à ses attentes (initiales ou

réajustées en fonction des expériences post-migratoires) est un bon indicateur d’une

première étape franchie dans le processus d’intégration socioprofessionnelle?

Plusieurs études s’intéressent aux facteurs facilitant ou contraignant l’obtention d’un

premier emploi correspondant aux qualifications initiales (voir par exemple Renaud et

Cayn, 2007); ces études semblent implicitement considérer que cette étape constitue un

important indicateur de l’intégration socioprofessionnelle des personnes immigrantes. Sans

être en désaccord avec cette idée, nos résultats la nuancent en attirant l’attention au statut de

ces emplois (ex. temporaire vs permanent) et aux types de liens entretenus avec les

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174

collègues. Nos résultats suggèrent que l’obtention d’un premier emploi correspondant aux

qualifications et aux attentes initiales (ou reformulées) ne garantit pas que les immigrantes

demeureront dans ces emplois ni dans d’autres emplois qui les satisferont, bien qu’elle en

augmente la probabilité. D’ailleurs, ceci est vrai pour tous les travailleuses et les

travailleurs, pas seulement les personnes immigrantes. De plus, l’intégration

socioprofessionnelle est facilitée par l’obtention de ces emplois, mais l’absence de liens

positifs avec les collègues peut réduire le sentiment d’intégration socioprofessionnelle.

Finalement, l’insertion dans un emploi correspondant aux attentes ne signale pas

nécessairement l’absence de discrimination à l’égard des immigrantes, notamment en

termes d’exclusion de certains réseaux. En effet, il peut être difficile pour les immigrantes

d’établir des liens suffisamment forts avec leurs collègues de manière à faire partie du « in-

group », ce qui serait un indicateur d’intégration. Cette situation peut donc perpétuer

l’assignation au « out-group » et donc, l’exclusion et la marginalisation; en d’autres termes,

la non-intégration.

Ainsi, les réseaux des immigrantes ont influencé les attentes de ces dernières concernant

leur immigration au Québec en général, et leur intégration socioprofessionnelle en

particulier. À leur arrivée, le contact « réel » (c'est-à-dire, en personne une fois arrivée au

Québec) avec certains membres de ces réseaux (des membres de la communauté

ethnoculturelle déjà établis au Québec) ont influencé ces attentes de nouveau, notamment

lors du constat de l’écart entre le discours de ces personnes avant l’immigration, et leur

situation socio-économique réelle. Ce choc a notamment fait en sorte que plusieurs

participantes ont pris conscience de l’effort supplémentaire qui serait requis pour trouver un

emploi, incluant la nécessité de créer et de mobiliser des réseaux. L’information concernant

cette nécessité leur est aussi transmise par les réseaux institutionnels, notamment par les

organismes d’aide à la recherche d’emploi. Ces constats permettent de mieux comprendre

la relation complexe entre les réseaux sociaux, les attentes et l’intégration

socioprofessionnelle.

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175

4.3.2.3 Les autres emplois

a) Obtention des autres emplois

Hormis le premier emploi et le premier emploi correspondant aux attentes initiales des

participantes, celles-ci ont parfois eu d’autres emplois, correspondant à leurs attentes

initiales ou non.

En premier lieu, nous abordons les autres emplois ne correspondant pas aux attentes

initiales des participantes. Six participantes n'ont eu plus d’un emploi ne correspondant pas

à leurs qualifications ni à leurs attentes initiales. Pour trois d’entre elles, il s’agit d’emplois

peu qualifiés. Trois d’entre elles ont obtenu ces postes après l’intervention d’un réseau. Il

s’agit notamment d’Esma, qui obtient un emploi de livreuse de journaux, car son conjoint,

un Québécois, en est le responsable et il l’embauche :

Je sors avec un québécois qui est directeur (...) puis pour me dépanner il m’a proposé ça,

travailler une journée par semaine, livrer les journaux très rapidement, courir et, t’as environ

cent dix pièces après. Donc, j’ai fait ça pour juste avoir un peu d’argent. Et c’est un travail

pénible où il faut courir, être en forme, et je ne me voyais pas vraiment livrer des journaux,

c’est pas mon truc, là. [Esma]

Mounia, pour sa part, applique sur un poste dans une cafétéria à la suite d’une suggestion

d’un ami :

C’est un ami, un chargé de cours qui m’a dit [la cafétéria] cherche des gens. [Mounia]

Chadia, pour sa part, ne cherchait pas activement de travail lorsque l’opportunité s’est

présentée. En effet, elle effectuait plutôt du bénévolat dans sa communauté en effectuant

son doctorat et en ayant un emploi d’auxiliaire d’enseignement. L’implication dans sa

communauté lui a permis à la fois de recevoir l’information concernant un poste, et le

capital social de confiance pouvant avoir joué un rôle dans l’obtention du poste : en effet,

Chadia a obtenu un emploi d’enseignante de langue arabe, car elle était présente lors d’une

réunion des parents à l’école de ses filles où le directeur a annoncé qu’il recherchait

quelqu’un pour ce poste.

Dans l’école où mes filles étaient, les parents immigrants ont demandé à ce que la

commission scolaire instaure la langue arabe. (...) j’ai entendu parler de ce poste-là à la

rencontre des parents, après avoir discuté avec des enseignants. (...) Il y avait beaucoup de

candidatures. J’ai été choisie par le directeur, peut-être parce qu’il me connaissait avant en

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176

tant que parent. Puis peut-être parce que j’avais un dossier quand même assez lourd, ma

candidature, pour ce qui est diplôme et tout. [Chadia]

Deux autres participantes, Dalia et Imane, ont obtenu des emplois dans leur domaine, mais

en deçà de leurs niveaux de qualification; elles ont obtenu ces emplois par des voies

formelles et les réseaux ne semblent pas avoir joué de rôle.

Dans un second temps, nous abordons les autres emplois correspondant aux attentes

initiales. Trois participantes ont eu d’autres emplois correspondant aux qualifications

(initiales), dont deux qui considèrent que ces emplois correspondent à leurs attentes

initiales.

Après avoir suivi une formation de 2e cycle et d’avoir obtenu un stage, Ghalia obtient un

emploi correspondant à ses attentes dans la fonction publique québécoise. Nadra, quant à

elle, obtient un second emploi temporaire par l’entremise d’une agence de placement, puis

un troisième emploi, cette fois permanent, correspondant à ses qualifications et à ses

attentes. Ces emplois ont été obtenus par des moyens formels bien que nous pourrions

évoquer le capital social de confiance qui peut se construire lors d’un stage dans le cas de

Ghalia, ainsi que le rôle de création d’un réseau d’employeurs potentiels joué par une

agence de placement de personnel. Jadia, pour sa part, obtient des emplois de chargée de

cours et de professionnelle de recherche grâce à un capital social de confiance obtenu lors

de ses études doctorales. Rappelons que le moyen par lequel ces autres emplois ont été

obtenus est le même que le premier emploi correspondant aux attentes a été obtenu pour ces

trois femmes, soit des démarches formelles.

b) Les autres emplois et la création de réseaux

Si le réseau est intervenu pour influencer l’obtention d’emplois, il peut aussi s’élargir en

cours d’emploi par le contact avec des personnes nées au Québec. En effet, tout comme

pour le premier emploi, les autres emplois permettent aux participantes d’entrer en contact

de manière plus ou moins soutenue avec des personnes nées au Québec. Pour Ghalia, par

exemple, ce contact fut une expérience généralement positive :

On discute beaucoup. Je suis quelqu’un qui donne beaucoup d’explications chaque fois qu’il

se passe un évènement en lien avec ma communauté. (...) les gens sont très ouverts puis ils

ont pas de préjugés. (...) On a beaucoup de débats intéressants, par rapport aux différences,

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177

puis des perceptions des autres. Puis on arrive toujours dans le respect, à communiquer puis

à faire valoir notre point de vue. [Ghalia]

Cependant, ces liens dépassent rarement le cadre du travail. Selon Ghalia, pour elle, ainsi

que pour plusieurs de ses amis, ceci s’expliquerait par le fait qu’il est difficile de trouver le

temps d’avoir une vie sociale en raison du manque de temps associé, entre autres, aux

responsabilités familiales.

C’est plus des gens de d’autres ministères, là, avec lesquels je travaille. Dans ma direction,

oui dans les partys (...), ou des fois on va manger ensemble, mais à l’extérieur, je suis une

personne très occupée. Mes garçons sont quand même assez jeunes. Puis mon conjoint est

absent toute la semaine. C’est assez difficile de pouvoir sortir et de se libérer la fin de

semaine. [Ghalia]

Pour d’autres, les conditions de travail peuvent rendre difficile la création de liens avec des

Québécois. Mounia, par exemple, détaille les disparités qu’elle perçoit entre les conditions

de travail des personnes immigrantes et celles des personnes nées au Québec, dans le

secteur de la restauration :

C’est un salaire minimum et un travail, c’est dur à faire là. Chez eux, ils exploitent les gens.

C’est ça aussi que j’ai découvert ici, on arrête pas de parler de droits. Mais pour un

immigrant, pas de droits. (...) Il y a une par exemple, parce que c’est une Québécoise et elle

commence à six heures et elle finit à deux heures de l’après-midi. Moi, j’ai commencé à

onze heures, jusqu’à neuf heures le soir. Et il ferme à huit heures et demie et je suis obligée

de faire la plaque toute seule. Quand tu dis, mais c’est impossible de servir toute la clientèle

parce que c’est vite fait, et de faire la plaque aussi, impossible. On te demande de faire la

mise en place. Mais celle qui vient le matin qu’est-ce qu’elle fait alors? Je trouve que, et

c’est pas moi juste qui l’a dit, plusieurs gens, sont exploités. Et des immigrants sont

exploités. [Mounia]

Pour Nadra, la création de liens se complique alors que ses collègues de travail ne semblent

pas comprendre le motif de son refus de diner avec elles pendant le ramadan. En plus de

poser un frein à la création de liens avec ses collègues, cela cause des tensions avec son

employeur :

Une fille qui travaille à la comptabilité, elle est allée dire [au patron] que je ne voulais pas

aller manger avec eux autres, puis qu’elle avait l’impression que je ne voulais pas

m’intégrer. Sauf que c’était le ramadan à ce temps-là. Et j’ai expliqué, je leur ai dit que le

ramadan, je peux pas aller manger avec eux autres, mais une fois que ramadan est fini j’irai

manger avec eux. Mais elles ne comprenaient pas ça. Donc là, il était énervé. [Nadra]

Esma, pour sa part, avait une bonne relation avec son collègue lors de son emploi de

livreuse de journaux; cependant, la différence d’âge et la barrière de la langue empêchaient

un réel rapprochement:

Page 188: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

178

Lui, il conduit le camion et moi je livre les journaux. Il me disait que j’étais forte, je cours

très bien, on faisait une belle équipe. Mais parfois, ça m’arrive de ne pas comprendre ses

explications. Des fois, il parle, en utilisant une expression peut-être québécoise, pour lui

c’est [évident]. [Mais pas] pour moi. Ou des fois, il parle de sa copine, il parle de sa vie. Des

fois, je dis oui, oui, mais j’ai pas compris. Parce que de lui demander de répéter chaque fois

c’est, c’est agaçant. Mais dans l’ensemble ça se passe bien. [Esma]

Finalement, la nature du travail de Esma, massothérapeute, et de Basma, qui est éducatrice

dans une garderie d’école, fait en sorte qu’elles travaillent de courtes heures dans des

endroits variés; elles peuvent donc difficilement tisser des liens avec des collègues :

Quand on est dehors avec les enfants, on discute. À chaque fois je vais dans une école,

j’peux pas dire des amitiés parce que je change d’école. [Basma]

Les expériences de ces participantes démontrent que plusieurs facteurs peuvent poser

obstacle à la création de liens avec des personnes québécoises dans le cadre des autres

emplois occupés pendant le parcours professionnel post-migratoire. Ces facteurs sont : le

manque de temps pour consolider les liens à l’extérieur des heures de travail en raison des

obligations familiales, la disparité de traitement dans les conditions de travail rendant les

relations plus tendues, des mécompréhensions liées aux différences culturelles, des

différences d’âge et linguistiques, et les conditions de travail ne permettant pas de contact

long et soutenu avec les collègues. Rappelons que certains de ces facteurs ont aussi été

identifiés comme étant des freins à la création de liens avec des personnes québécoises dans

les premiers emplois et les premiers emplois correspondant aux attentes des participantes.

c) Bilan : les réseaux sociaux et les autres emplois occupés

Concernant les autres emplois occupés par participantes, il s’agit généralement d’emplois

pour lesquels les participantes sont surqualifiées. On remarque aussi qu’ils sont parfois

obtenus après l’intervention d’un membre d’un réseau, plus souvent une personne

québécoise comme un directeur de thèse ou une connaissance (généralement des liens

faibles), par rapport au cas du premier emploi. Cependant, il n’y a pas de facteur commun

entre les réseaux, car il s’agit de différents types de liens avec différents types de

personnes, généralement issues de la société d’accueil (conjoint, ami, directeur de thèse,

etc.). Cependant, il est difficile, à l’aide des résultats de cette étude, de tirer des conclusions

en ce qui concerne le lien entre le type de lien mobilisé et le type d’emploi obtenu.

Page 189: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

179

Les autres emplois obtenus ne correspondent pas nécessairement aux attentes, cependant.

De plus, comme lors du premier emploi, il semble difficile pour les participantes de tisser

des liens avec des personnes québécoises lors de ces emplois, limitant les possibilités

d’accéder à des réseaux potentiellement porteurs pour la suite de leur parcours

professionnel. Ces difficultés sont semblables à celles vécues par les participantes lors de

leur premier emploi et lors du premier emploi correspondant à leurs attentes.

4.3.2.4. Le bénévolat et la participation à la vie associative: une voie vers l’emploi?

Le bénévolat ou la participation à des associations sont considérés comme pouvant faciliter

l’intégration des personnes immigrantes, notamment en leur permettant de se forger de

nouveaux liens (Anucha et coll., 2006). Ainsi, nous nous intéressons ici aux quatre

participantes ont effectué du bénévolat au Québec : Aicha, Chadia, Hakima et Mounia.

Dans deux cas, celui de Chadia et de Mounia, le bénévolat leur a permis d’établir un pont

vers l’emploi. Nous avons discuté de ces cas antérieurement.

Les expériences d’Aicha et de Hakima en termes de bénévolat et de participation à la vie

associative, bien qu’elles n’aient pas été utiles pour l’insertion professionnelle, nous

informent sur d’autres dynamiques. En effet, par ce réseau, Aicha se forge des idées par

rapport au fonctionnement du marché du travail québécois, tandis que Hakima tisse des

liens avec des femmes québécoises; mais elle constate que le bénévolat ne constitue pas une

porte d’entrée vers l’emploi en raison des contraintes auxquelles font face les femmes

immigrantes.

Aicha, pour sa part, participe à une organisation musulmane. Elle y côtoie d’autres

personnes maghrébines et arabes qui partagent leurs expériences et leur découragement

face au marché du travail québécois, incluant le cas particulier des femmes qui portent le

voile. Dans la citation ci-dessous, Aicha discute des informations générales recueillies lors

de ces activités de bénévolat :

Tout le monde ne trouve pas dans leur domaine. C’est comme ça parfois, elles passent très

bien les entrevues et bon, il y en a qui disent que c’est le port du voile. (...) Par exemple le

domaine de l’informatique, tous les [maghrébins] qui ont un diplôme informaticiens, ils

travaillent et même les femmes. (...) Même s’ils portent pas le voile, ça se voit dans le nom,

t’es pas un Gérard ou un… (...). Mais la plupart que je connais ici des Maghrébins pour les

Page 190: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

180

hommes sont des informaticiens. Donc, pas de problèmes, y a une pénurie dans le secteur.

[Aicha]

Hakima, quant à elle, est bénévole dans une organisation composée majoritairement de

femmes québécoises. Ceci lui permet d’établir des contacts positifs avec elles.

Je suis bien avec les Québécoises. (...) on se respecte, on s’aime, c’est magnifique (...) J’ai

pas eu de misère avec les Québécoises du tout ou bien les Québécois. [Hakima]

Cependant, elle est critique par rapport au bénévolat comme stratégie d’intégration,

notamment en raison des responsabilités familiales qui limitent la disponibilité d’agir

comme bénévole et de la difficulté à s’adapter à la norme québécoise qu’une gardienne

d’enfants peut être une connaissance plutôt qu’être une femme de la famille.

J’ai commencé à faire du bénévolat avec le CPE de ma fille. J’étais membre du conseil

d’administration aussi. Mais quand il se réunit, moi j’aurai pas une gardienne pour mes

enfants. Je me suis retirée rien que pour ça. (...) quand je leur explique que je trouve pas une

gardienne et : « non, mais qu’est-ce qu’elle a? Qu’elle ramène n’importe quelle », mais mes

enfants ils ne vont pas l’accepter, c’est pas pareil. (...) Mes enfants ils connaissent pas de

gardiennes, c’est pas leur culture, la gardienne. La gardienne, c’est la grand-mère chez nous.

Si ça va être Sylvie aujourd’hui, ça va être deux heures de pleurs, ou jusqu’à mon retour.

Alors, pour intégrer tout ce qui est politique, bénévolat, donner de soi-même et tout, il faut

du temps pour un immigrant, c’est pas facile. [Hakima]

On voit donc comment les attentes sociales en termes d’être une bonne mère envers les

enfants peuvent limiter le temps qui peut être consacré au bénévolat. Cet extrait suggère

que seuls les membres de la famille peuvent être responsables des soins quotidiens des

enfants. Le recours à des gardiennes est exclu respectant ainsi des normes culturelles du

pays d’origine. En plus de cet obstacle, Hakima évoque les ressources financières limitées

des personnes immigrantes récentes et leur fragilité sur le plan affectif :

Parce que eux aussi, quand même, ils ont fait un bout de chemin dans leurs vies. C’est

comme si ils sont sécurisés sur le plan budgétaire. Nous on commence à peine, on est

revenus à zéro. On n’a rien. Alors, intégrer, non, la démarche québécoise de faire du

bénévolat, d’être présente na, na, na, ça ne marche pas vraiment beaucoup avec un

immigrant parce qu’il est instable sur le plan économique et sur le plan affectif. [Hakima]

Selon elle, pour faire du bénévolat, il faut avoir les moyens de le faire, donc les ressources

financières et affectives suffisantes, ce qu’elle estime difficile pour des immigrants qui

tentent de s’installer.

Pour conclure, bien que le bénévolat constitue parfois une porte d’entrée vers l’emploi en

permettant aux personnes immigrantes de se constituer des réseaux et de se faire connaitre,

Page 191: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

181

il ne semble pas que cela soit le cas pour nos participantes recherchant des emplois

qualifiés, correspondant à leurs qualifications et à leurs attentes. Chez les quelques femmes

interrogées participant à de telles activités, bien qu’elles aient pu tisser des liens d’amitié

avec des personnes nées au Québec, ces liens n’ont pas mené à l’insertion professionnelle;

ils n’ont eu qu’une contribution sociale minime.

4.3.2.5. La migration vers la ville de Québec

Pour environ la moitié des participantes, le choix de migrer vers la ville de Québec s’est fait

après un premier établissement à Montréal. Plusieurs motifs sous-tendent cette deuxième

migration; plusieurs sont en lien avec leur parcours professionnel ou celui de leur conjoint.

Nous ne traitons pas ici des femmes qui se sont établies directement à Québec, car leur

choix de s’établir à Québec est traité dans la section relative au projet migratoire.

Pour trois d’entre elles ayant transité par Montréal, il s’agit d’un choix personnel en lien

avec la trajectoire professionnelle, fait dans le cadre de l’obtention d’un stage ou d’un

emploi, ou encore, afin de poursuivre des études. Cependant, comme le réseau est peu relié

à ces expériences, nous ne les détaillerons pas ici. Rappelons cependant que pour Dalia,

bien que l’emploi nécessitant son déménagement à Québec ait été obtenu par des moyens

formels (c.-à-d. concours de la fonction publique québécoise), c’est quelqu’un dans son

réseau qui l’a informée de l’existence de ces concours et qui l’a incité à postuler.

Dans trois cas, les participantes ont suivi leur conjoint après qu’il ait trouvé un emploi à

Québec25 grâce à leur propre réseau. Il s’agit donc d’une migration causée par quelqu’un de

son réseau familial avec qui elle a un lien fort. Nous relatons ici le cas de Chadia,

particulièrement révélateur de la complexité du processus de prise de décision à cet égard.

En effet, lorsque son conjoint est recruté par une firme de Québec, Chadia explique sa

25 Comme ces hommes ne sont pas la population à l’étude, nous nous limitons ici à le mentionner dans cette

note de bas de page.

Page 192: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

182

décision de le suivre malgré ses propres engagements à Montréal, et les aménagements

qu’elle a mis en place:

Je devais prendre une décision parce que j’étais à l’Université (...), et j’enseignais la langue

arabe donc moi j’étais engagée à Montréal. Mais j’étais pas égoïste parce que j’ai pensé à

mon mari. C’était l’occasion de sa vie. Je dois sacrifier quelque chose. (...) Donc je n’ai pas

refusé l’idée de venir ici, c’est juste qu’il fallait aménager un peu, démissionner de la

Commission scolaire de Montréal, se mettre d’accord avec mon directeur de recherche pour

que je puisse faire l’enseignement auxiliaire à partir d’ici. [Chadia]

Finalement, pour une participante, le choix de migrer vers Québec était plutôt basé sur la

volonté de quitter Montréal à la suite d’un conflit avec son conjoint de l’époque :

Je me suis disputée avec mon ex. (...) j’ai décidé de le quitter. (...) J’ai parlé à une amie et

elle m’a dit : « il vaudrait mieux que tu t’éloignes de lui, change de quartier ». (...) Puis j’ai

parlé à ma sœur qui était à Québec, elle m’a dit : « je viens te chercher. [Fadela]

Ici, si un conflit avec l’ex-conjoint est à la base de la volonté de se déplacer, d’autres

personnes ont aussi influencé cette décision : une amie l’a incitée à quitter le quartier où

habitait son conjoint, et sa sœur (un lien fort) l’a amenée à Québec.

Ainsi, la migration vers la ville de Québec constitue parfois une stratégie d’insertion

professionnelle, mais parfois, elle est motivée par d’autres facteurs, comme l’insertion

professionnelle du conjoint ou des situations personnelles.

4.3.2.6 La formation post-migratoire

Toutes les participantes sauf une, ont suivi, suivent, ou suivront une ou des formation(s) au

Québec. Ces formations sont variées et incluent : le doctorat, la maitrise, le diplôme

collégial et des formations complémentaires tout en occupant un emploi. Ces formations

sont généralement suivies dans l’optique d’obtenir un emploi qualifié, ou encore,

d’améliorer sa situation en emploi. Dans cette section, nous exposerons, dans un premier

temps, les raisons pour lesquelles les participantes ont choisi de suivre ces formations.

Ensuite, nous porterons une attention particulière au rôle des réseaux sociaux dans la

trajectoire de formation post-migratoire, dont le choix de la formation, et les réseaux créés

en formation. Finalement, nous en exposerons les résultats.

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183

a) Les formations choisies : raisons et types.

Pour deux participantes, ces formations sont suivies afin d’obtenir une équivalence de

diplôme ou pour mettre à jour leurs compétences. Il s’agit du cas de Dalia, ingénieure

informatique, qui a débuté un AEC en informatique, et Leila, qui a complété ses

équivalences en vue de pratiquer comme infirmière. Pour celles-ci, la formation s’inscrit

donc dans la continuité de leur trajectoire professionnelle. Par contre, pour la majorité, la

formation marque une inflexion dans la trajectoire.

Pour huit d’entre elles, la formation est considérée après avoir rencontré des obstacles à

l’insertion dans un emploi correspondant à leurs qualifications initiales. Aicha, Basma,

Esma, Fadela et Ghalia ont opté pour une maitrise. Quant au domaine retenu, Aicha, Fadela

et Ghalia choisissent l’administration publique en vue d’intégrer la fonction publique, alors

que Basma et Esma, s’inscrivent dans des domaines connexes à leurs formations d’origine

(médecine dentaire et biologie.). Hakima, quant à elle, débute une attestation d’études

collégiales (AEC) dans le domaine biomédical, et Oumaima continue un certificat en

sciences des aliments. Imane, pour sa part, considère qu’elle est exclue des postes qu’elle

convoite, en partie car elle serait victime de discrimination. De plus, elle serait exclue car

elle ne possède pas les réseaux qui lui permettent d’y accéder. C'est-à-dire, elle reçoit

l’information que le poste est ouvert, mais crois qu’elle n’est pas considérée par les

décideurs, car ils n’ont pas confiance en ces capacités. Avoir un lien plus fort avec eux

pourrait créer ce lien de confiance, mais la solidification du lien se fait difficilement, selon

elle, en raison des préjugés négatifs qu’ils auraient à son égard. Par conséquent, elle

entreprend un certificat en administration afin d’améliorer ses chances d’accéder à un poste

correspondant à ses attentes.

Je suis passée voir mon directeur (...) vous avez recruté au moins trois, quatre personnes

comme technicien en administration, direction, sans nous faire appeler. Pourquoi, des

personnes qui ont des postes (...) sans qu’il y ait d’affichage de poste. C’est-à-dire que, ils

lui ont donné ça, sous la table. (...). Mais ils ne les donnent pas aux immigrants. (...) J’ai

passé un examen pour un poste de technicien en administration et je l’ai pas réussi. Là, je

réussis mon examen, j’achève mon certificat en administration, pour pouvoir avancer.

[Imane]

Une participante suit des formations courtes lorsqu’elle est en emploi dans le domaine

souhaité, afin de pouvoir continuer de progresser dans ce domaine. Ainsi, Nadra effectue

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184

des formations complémentaires à son poste et espère éventuellement accéder à un meilleur

poste.

Je veux me focaliser plus par rapport aux ressources humaines. J’estime que j’ai acquis

l’expérience qu’il faut. D’ailleurs, je me suis même inscrite pour suivre une formation au

mois de septembre prochain, étant en congé de maternité pareil. (...) moi, je suis pas une

fille qui aime stagner (...) je veux faire quelque chose pour m’améliorer, de nouveaux défis,

pour aussi améliorer mon salaire, parce que [dans mon emploi actuel], je serai toujours son

adjointe à lui. Je ne peux pas évoluer plus que ça. [Nadra]

Finalement, quatre participantes poursuivent leur projet initial ayant motivé l’immigration

et suivent les formations prévues aux cycles supérieurs. Il s’agit du cas de Chadia, Jadia,

Kamila et Mounia.

Avant même de venir ici, j’ai décidé de refaire mon doctorat. (...). C’est pour ça que je ne

suis pas intéressée ni à faire une formation ni à aller chercher pour mon diplôme. [Mounia]

Ainsi, la requalification est la motivation de la majorité et moins de la moitié poursuivent

leur trajectoire professionnelle dans une continuité.

i. La (non-)reconnaissance des acquis et des compétences

Afin de contextualiser les choix des participantes concernant la formation, leurs situations

concernant la reconnaissance des diplômes par le Gouvernement du Québec, les universités

fréquentées au Québec et/ou la reconnaissance de la part de l’ordre professionnel concerné

sont exposées dans le tableau ci-dessous :

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185

Tableau 4.1 Reconnaissance des diplômes étrangers de participantes

Nous remarquons que toutes les participantes voulant poursuivre des études universitaires

ont pu le faire sur la base des diplômes acquis à l’étranger. Les autres participantes ont

presque toutes pu faire reconnaitre leurs diplômes. Cependant, quelques-unes d’entre elles

déplorent la sous-évaluation de leurs diplômes. Il s’agit notamment du cas de Ghalia :

J’ai eu une année de deuxième cycle pour le master. C’est une année seulement qui a été

reconnue, au lieu de un an et demi. [Ghalia]

Pour les quatre participantes dont l’exercice de la profession exige une reconnaissance par

un ordre professionnel, nous remarquons que seulement une d’entre elles a obtenu un

permis d’exercice. Il s’agit de Leila, qui intégré la profession d’infirmière après l’obtention

26 Les participantes ayant pour objectif de poursuivre des études ont plutôt fait reconnaitre leurs diplômes par

l’université afin de poursuivre des études, que par le Gouvernement du Québec afin de pouvoir s’insérer en

emploi.

Nom fictif Diplôme étranger le plus élevé Diplômes reconnus

par gouvernement/

universités(*)26?

Obtention d'un

permis de

l'ordre?

Formation au Québec :

a)continuité;

b)requalification en

continuité;

c)discontinuité de la

formation

Aicha 1er cycle, économie oui N/A a)

Basma Doctorat, médecine dentaire oui non b)

Chadia 2e cycle, archéologie oui* N/A a)

Dalia 1er cycle, génie informatique oui N/A b)

Esma doctorat, médecine vétérinaire oui non b) et c)

Fadela doctorat, médecine vétérinaire oui non b) et c)

Ghalia 2e cycle, génie environnemental oui N/A b)

Hakima 1er cycle, biologie partiellement N/A b)

Imane 1er cycle, gestion, informatique oui N/A b)

Jadia 2e cycle, gestion et technologies de

l'information oui N/A a)

Kamila 2e cycle, génie oui* N/A a)

Leila 2e cycle, soins infirmiers oui, quelques cours

pour l'équivalence oui b)

Mounia 3e cycle, droit oui* N/A a) et c)

Nadra 1er cycle, économie et gestion oui N/A a)

Oumaima 1er cycle, enseignement oui N/A b)

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186

d’équivalences, un processus relativement court (quelques mois et quelques cours). Elle

déplore cependant les temps d’attente et les coûts associés au processus :

Ça a pris une année pour avoir une réponse de l’ordre. C’est comme on n’avait pas besoin

d’infirmières. Tu paies six cent soixante-treize dollars pour le dossier. Et puis tu fais ton

examen et tu attends. L’attente est longue. (...) on a neuf mois à faire. (...) rien que pour faire

l’équivalence du premier cycle. [Leila]

Basma, Esma et Fadela, jugeant également que le processus serait trop long et trop coûteux,

n’entreprennent pas de telles démarches. Elles ont opté pour d’autres formations cependant,

dans leur domaine d’origine (requalification) ou dans un autre domaine. Dans la section

suivante, nous démontrerons comment cette perception concernant le processus de RAC a

été alimentée par les réseaux personnels et/ou institutionnels. Finalement, Oumaima n’a pas

obtenu l’autorisation d’enseigner 27 , jugeant que c’est plutôt les réseaux que la

reconnaissance institutionnelle qui détermine la capacité de s’intégrer en emploi. Ainsi, il

semble que les attentes et les stratégies de cette participante dépendent plutôt de sa vision

des réseaux et de leur utilité que du fonctionnement formel des institutions.

Dans certains cas, la profession de la participante est règlementée, mais les employeurs sont

libres d’exiger ou non une reconnaissance ou une autorisation de la part des organismes qui

les règlementent. C’est le cas notamment des professions d’enseignante et d’ingénieure, les

professions exercées par Oumaima (enseignante),

Ghalia (ingénieure en environnement) et Dalia (ingénieure informatique). Ainsi, il est

possible que certains employeurs soient plus exigeants dans certains contextes que d’autres.

C’est ce que laisse entrevoir le cas d’Oumaima. En effet, elle attribue une partie de ses

difficultés d’accès à l’emploi au fait de ne pas détenir une autorisation à enseigner. Elle se

compare à d’autres personnes, des connaissances qui ont pu, dans un autre contexte,

enseigner sans cette autorisation. Face à ce constat, elle accepte d’effectuer un stage non

27 La profession d’enseignante ou d’enseignant n’est pas régie par un Ordre professionnel, mais dans la

majorité des cas, les institutions d’enseignement requièrent que les personnes aient reçu de la part du

Ministère de l’éducation, l’autorisation d’enseigner au Québec, qui peut prendre plusieurs formes, dont le

permis d’enseigner et le brevet d’enseignement.

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rémunéré dans un autre domaine – lequel a été obtenu via une amie de sa sœur - puis

accède à un poste temporaire comme assistante de recherche dans un hôpital. Ensuite, elle

entreprend un certificat en sciences des aliments.

b) Le rôle des réseaux dans le choix des formations

Dans certains cas, le choix de faire une formation, ou encore, le choix de la formation elle-

même a été influencé par des personnes dans les réseaux personnels (ethnoculturels) et

institutionnels.

Par exemple, Basma a effectué un retour aux études après une période vouée à l’insertion

de ses enfants. Ce retour aux études avait comme objectif de donner accès à un autre

emploi dans son domaine sans devoir faire les examens prévus par l’ordre professionnel

régissant sa profession, car elle envisageait le processus relativement à l’obtention des

équivalences comme étant difficile, long et coûteux. Ses craintes étaient exacerbées par des

informations obtenues de son réseau personnel concernant la fermeture des ordres

professionnels ainsi que le risque d’échec aux examens :

J’ai commencé les démarches pour passer le concours d’équivalences, mais ça coûte cher et

c’est pas facile. (...) Je savais que y avait l’Ordre professionnel, mais j’pensais pas que

c’était aussi difficile. (...) Et, j’ai même parlé avec beaucoup de gens, ils disent que c’est une

part de gâteau qu’ils se partagent. Ils ne veulent pas que le nombre de gens augmente, donc

ils se protègent. (...). Je connais une fille qui a passé la première partie, la deuxième, et elle a

échoué la troisième partie. [Basma]

À la lecture de ce passage, nous percevons l’influence du réseau sur le choix de poursuivre

les démarches de reconnaissance par l’Ordre ou non. En effet, l’information reçue par le

réseau selon lequel les démarches étaient longues, coûteuses et l’examen était difficile, a

découragé Basma de retenir cette avenue.

Dalia et d’Esma, quant à elles, ont suivi des formations à la suite d’une suggestion de

quelqu’un dans leur réseau. Pour Dalia, il s’agit du conjoint qui l’a convaincue qu’une

formation était nécessaire pour se mettre à jour, information erronée qui n’a pas été

démentie par sa conseillère en emploi.

(...) à mon conjoint, on lui a dit : « écoute là! il faut que tu te mettes à jour ». Et puis il me

disait ça tout le temps : « écoute, il faut vraiment qu’on se mette à jour. (...) les normes d’ici

ne sont pas pareilles ». (...) J’ai entendu parler d’une formation payée par Emploi-Québec et

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j’ai dit ben si mon conjoint part avec une bourse d’études, moi j’irais au moins payé par

Emploi-Québec. Sinon, avec quatre enfants, on pourra pas vraiment se payer toutes ces

formations. [Dalia]

Pour Esma, ce fut des intervenants dans un organisme communautaire qui lui ont

recommandé de suivre une formation (un certificat), qui a donné lieu à un stage puis à une

offre de faire une maitrise de la part du chercheur ayant supervisé son stage.

J’ai fait la formation, c’était entre l’université et le CÉGEP, qui a abouti à un stage à

l’hôpital, dans un centre de recherche. Et là, le chercheur m’a proposé une maitrise. [Esma]

Nous avons déjà mentionné la situation de Chadia et de Kamila, pour qui la décision

d’effectuer des études au Québec a été prise avant l’immigration. Dans ces cas, le réseau a

influencé le choix de l’université où réaliser ces études. En effet, Chadia s’était fait dire par

son entourage qu’il n’y avait qu’une seule université francophone à Montréal, alors que

Kamila a choisi son université, car elle y connaissait un chercheur qui est devenu son

directeur de thèse.

Chadia souhaitait entreprendre ses études auprès d’une institution francophone, et elle avait

compris par son entourage que l’université où elle a choisi de faire son doctorat

(« Université A ») était la seule à répondre à ce critère. Dans les faits, l’« Université B » est

aussi francophone et offre le programme recherché. Ainsi, le réseau diffusait une

information erronée à cet effet. De plus, en expliquant ce choix, elle mentionne qu’elle

aurait aimé s’inscrire à une université dans une autre ville québécoise (« Université C »)

dont elle avait entendu parler à plusieurs reprises, car elle avait côtoyé des cadres y ayant

étudié. Cependant, le fait d’être établie à Montréal fut le critère décisif.

[Parce que [l’Université A] c’est francophone. [L’autre université francophone (B),] je

savais même pas qu’elle existait. Parce que les gens dans mon entourage me parlaient plus

de [l’Université A]. [l’Université C] c’était la seule université que je connaissais quand

j’étais en Algérie. (...) Il y a beaucoup de mes amis algériens qui ont eu des diplômes de

[l’Université C], et quand j’ai parti en formation surtout dans les pays arabes, la plupart des

cadres avec lesquels j’ai travaillé, ils étaient formés [à] [l’Université C].(...). Alors quand je

suis venue à Montréal, je me suis dit ah! C’est dommage, j’aurais aimé m’inscrire à

[l’Université C]. Mais je vivais à Montréal, c’était pas possible. [Chadia]

Ce passage souligne aussi l’effet déterminant des réseaux et le peu de validation croisée

initiée par l’individu pour vérifier la justesse des informations circulant dans ces réseaux.

Ensuite, un réseau est intervenu lors de la recherche d’un directeur de thèse. En effet,

Chadia avait trouvé un directeur potentiel en consultant une liste des professeurs sur le site

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189

internet de l’Université A. Cependant, comme il ne se sentait pas compétent pour

l’encadrer, il l’a référée à un collègue pour l’encadrement, ce que ce dernier a accepté de

faire.

Je suis allée voir la liste des professeurs et leurs orientations professionnelles. Mais

malheureusement quand on s’est contactés, il m’avait dit : « écoute, moi j’peux pas

t’encadrer, parce que je ne suis pas spécialiste (...) ». Donc, il m’a orientée vers une

deuxième personne, qui est aujourd’hui mon directeur de recherche. [Chadia]

Pour plusieurs participantes, le choix d’une formation a été en partie influencé par des

réseaux institutionnels, généralement dans des organismes communautaires. En effet, lors

de leur passage dans un tel organisme, plusieurs se sont vues recommander des formations

en vue de s’intégrer au marché du travail québécois. Cependant, elles émettent des

commentaires critiques à cet effet. Plusieurs considèrent ne pas avoir été dirigées vers des

formations adéquates en tenant compte de leur diplôme et de leurs compétences, ou encore,

de leurs réels besoins.

Pour Dalia, par exemple, bien que ce soit son conjoint qui l’ait convaincue de suivre un

AEC, la conseillère en emploi l’a soutenue dans ces démarches, et Dalia considère qu’elle

aurait dû être mieux informée.

Moi j’avais été à un centre communautaire qui m’a rendu énormément service. Ma

conseillère à l’emploi m’a remboursé les frais que j’ai payés pour l’équivalence, elle m’a

aidée pour aller faire une formation. Ils auraient peut-être pu m’orienter plus en me disant :

« t’as pas besoin d’études ». Parce que là, avec ce que je fais maintenant, c’est avec mon

diplôme [initial] que je travaille. C’est pas avec l’AEC, que j’ai même pas fini. [Dalia]

En ce qui concerne Esma, le rôle de l’organisme communautaire a été double: d’une part,

on l’a informée qu’il ne valait pas la peine de chercher un emploi dans son domaine, et

d’autre part, on l’a dirigée vers une formation qu’elle jugeait inadéquate. Cependant, c’est

pendant le stage concluant cette formation qu’Esma a créé un contact avec un chercheur qui

lui a proposé de faire une maitrise avec lui, proposition qu’elle a acceptée, mais qui ne lui a

pas permis d’accéder à un emploi correspondant à ces qualifications par la suite.

J’ai fait la formation, qui a abouti à un stage dans un hôpital dans un centre de recherche, et

là le chercheur m’a proposé une maitrise (…) la recherche, c’est horrible, ça ne donne rien.

Je viens de terminer ma maitrise en biologie moléculaire. (…) Pour le moment, ça a rien

donné. Et je sais que c’est pas facile (...) trouver un travail de professionnelle de recherche.

[Esma]

Page 200: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

190

Tout comme Basma, Esma a rapidement conclu que le processus d’obtention des

équivalences était long et coûteux et a opté pour une formation connexe afin de s’insérer en

emploi (à la recommandation d’intervenants dans un organisme communautaire) après

avoir travaillé un bref moment dans un emploi non qualifié.

J’ai travaillé un petit peu [dans un fastfood] (...). Après j’ai contacté en parallèle plein

d’organismes d’immigration. (...) C’est compliqué, c’est plein d’organismes qui sont là pour

aider. J’ai fait une formation dans mon profil soi-disant, parce que la médecine vétérinaire,

ils m’ont dit que ça bloque, c’est pas la peine d’aller vers ça pour intégrer le marché du

travail. C’est sorti que je dois faire une formation de biotechnologies (...). Donc, c’est au

niveau du [Organisme communautaire] qu’ils m’ont proposé ça. [Esma]

Pour Esma, donc, les informations reçues par le réseau des organismes communautaires à

l’effet qu’elle ne pouvait pas intégrer son domaine, combiné à l’influence du réseau

personnel, l’ont incitée à suivre une certaine formation plutôt que de tenter la stratégie de la

reconnaissance par l’Ordre. L’orientation par l’organisme communautaire est la première

d’une succession de situations influencées par des personnes dans le réseau plus formel.

Elle l’a suivie malgré son discours critique par rapport à la recommandation de l’organisme

communautaire.

Tout comme Esma, Hakima considère que les organismes communautaires ne l’ont pas

dirigée adéquatement, en tenant compte de ses compétences, mais aussi, de son âge. Elle

pense que c’est parce que les organismes seraient « en affaires » avec les centres de

formation et qu’elles seraient davantage motivées par ces intérêts plutôt que de bien

orienter les immigrants. Au final, elle a trouvé une formation qu’elle jugeait adéquate grâce

à son mari qui a vu une annonce.

Ce que je reproche à [l’organisme communautaire], tout de suite, ils se penchent à faire

préposés aux bénéficiaires, faire les toilettes. C’est pas ça quand on vient ici, on a fait un

certain niveau d’études. J’ai pas vingt ans pour mettre dans mon CV que j’ai travaillé la

plongeuse (...). C’est comme si il y avait une convention entre [les centres de formation

continue] et [l’organisme communautaire]. (...) Mon mari il est tombé sur l’annonce du

CÉGEP et j’ai dit : « j’ai trouvé ce que je voulais »; c’est moi qui a donné l’information

pour [l’organisme communautaire]. Et entre nous, je voulais pas leur fournir les documents,

parce que eux, ils sont censés savoir tout, c’est pas moi qui donne l’information. [Hakima]

En somme, les réseaux personnels des participantes, ainsi que les réseaux institutionnels,

ont influencé la trajectoire de formation, et ce, généralement par les informations qu’ils ont

Page 201: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

191

transmises; toutefois, certaines étaient justes et d’autres moins, ce qui a des conséquences

sur l’intégration professionnelle, son délai et son succès.

c) La création de réseaux lors des formations

Nous nous sommes intéressées aux réseaux que les participantes auraient pu développer ou

intégrer lors des formations suivies au Québec. À ces occasions, elles ont rencontré d’autres

personnes immigrantes, ainsi que des personnes nées au Québec qui pourraient agir comme

autant de portes d’entrée vers d’autres réseaux.

Certaines participantes ont expliqué que leurs formations post-migratoires ne leur ont pas

permis de tisser des liens avec des Québécois, puisque la majorité de leurs collègues étaient

aussi des personnes immigrantes. Esma considère que la manière dont les organismes

communautaires orientent les immigrants serait une des raisons expliquant ce

cantonnement :

La formation de biotechnologies (...) il y avait quelques Québécois. Mais la majorité, c’est

des immigrants. C’est [l’organisme communautaire] qui oriente, qui fait du business.

[Esma]

Malgré cette critique, elle appréciait le fait d’y rencontrer des personnes issues d’autres

communautés ethnoculturelles que la sienne :

J’aime pas trop me rapprocher de la communauté, y a certains gens qui sont négatifs, y en a

qui vont t’aider, y en a, comme des extrémistes là (...) j’aimais pas l’esprit de clan que des

étudiants Maroc, Algérie, Tunisie se réunit. Moi j’aime parler avec tout le monde. (...) Je

préfère aller parler avec un Camerounais, un Québécois, juste pour avoir son réseau; élargir

son réseau. [Esma]

Il en fut de même pour Mounia :

Alors c’était (...) avec les immigrants que j’ai pu, des Africains noirs. Même pas les

Maghrébins parce que j’ai fait la coupure avec les Maghrébins (...) Tu côtoies des gens, des

immigrants mêmes d’ailleurs, qui sont brésiliens. Moi, ils m’ont aidée beaucoup mes amis

brésiliens. Il faut percer la société d’accueil. C’est grâce à cela que j’ai connu des amis.

[Mounia]

D’autres ont été en contact avec d’autres immigrants et des personnes nées au Québec lors

de leurs formations, mais ces expériences n’ont pas toujours été positives. Par exemple,

Esma raconte qu’elle ressentait un traitement différencié de la part de son directeur de

maitrise, freinant la création de liens positifs avec des personnes nées au Québec :

Page 202: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

192

J’ai une autre étudiante avec moi, elle, d’origine française, mais elle me dit : « il fait du

favoritisme, il fait en quelque sorte de la ségrégation avec les étrangers », mais lui-même il

est étranger. [Esma]

Mounia et Basma, quant à elles, racontent des circonstances où elles considèrent avoir

ressenti de la fermeture ou avoir été victimes de discrimination de la part de leurs collègues

de classe québécois ou de professeurs :

Ce que je reproche aux étudiants québécois, c’est de pas vouloir les immigrés. (...) Ils

veulent pas te donner les notes de cours. Ils ont un esprit concurrentiel. Tu viens d’arriver,

tu as besoin juste de quelqu’un pour te dire c’est quoi un syllabus. [Mounia]

J’ai eu un prof à l’université qui était raciste. (...) j’ai senti ça, parce que il y a eu une

intervention qui était pas correcte de sa part, à mon égard, et qui montrait le racisme, et le

prof s’est excusé, et il m’a dit : « j’suis désolé, je me suis peut-être mal exprimé, et j’ai peut-

être agi sans réfléchir ». (...) on était dans un groupe, il y avait quatre Québécois, trois

étrangers, et c’était toujours super pour tout ce que les Québécois font (...) [mais] comme

nous les trois étrangers (...) bah! Pour la Parisienne ça allait comme mieux que nous. Mais

nous parce que nous on faisait des présentations PowerPoint, « le vert sur l’orangé, ça fait

mal aux yeux » euh... tu sais le type de remarque là au lieu de parler de la présentation

PowerPoint, du temps, de l’intonation, de ça, genre : « le vert ça fait mal aux yeux, l’orangé

c’est pas bien », je sais pas quoi, « le rose irait mieux », et comme, pour les autres, « super,

excellent », et pour nous, comme, « non, tu devrais refaire ton travail » et tout ça. [Basma]

Dans un cas seulement, celui de Chadia, la relation avec les collègues de classe nés au

Québec fut une expérience enrichissante. Cependant, cette formation étant encore en cours,

nous ne pouvons pas commenter la durabilité ou l’« utilité future » de ces liens :

Ce sont des personnes qui sont nées ici. Des Québécois. (...) notre directeur de recherche,

son comportement a instauré cette relation entre nous. Par exemple, quand elle fait un diner

chez elle, elle nous invite tous les trois. Donc, vraiment on a tissé de très, très bonnes

relations, on s’entraide beaucoup entre nous. Donc, dans le cadre professionnel, puis même

quand il s’agit d’un travail personnel. [Chadia]

Bref, les formations suivies par les participantes n’ont pas été particulièrement porteuses en

ce qui concerne la création de liens pouvant ensuite être mobilisés dans le processus

d’intégration socioprofessionnelle. Ceci s’explique notamment par la présence d’autres

personnes immigrantes confrontées elles aussi au défi de l’intégration, ou encore, de la

difficulté à tisser des liens positifs avec les personnes québécoises, lorsque celles-ci sont

présentes dans les formations suivies.

Page 203: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

193

d) Les résultats des formations

L’annexe G offre un aperçu des formations initiales des participantes, de leurs diplômes

québécois, et des emplois obtenus à la suite de ces formations, s’il y a lieu. Précisons que

plusieurs participantes poursuivaient toujours leur formation lors des entretiens; ainsi les

résultats de ces formations ne sont pas encore connus. Nous incluons aussi la situation

actuelle, que nous détaillerons dans une section ultérieure.

Pour les deux participantes ayant opté pour des formations afin d’obtenir une équivalence

de diplôme ou pour mettre à jour leurs compétences, toutes deux ont trouvé un emploi

correspondant à leurs attentes initiales; l’une après la formation et l’autre, avant de l’avoir

terminée. Dans les deux cas, les réseaux ont eu une influence sur l’emploi occupé par la

suite.

Une seule des six participantes ayant suivi une formation dans le but de se requalifier

occupait un emploi correspondant à ses attentes initiales au moment de l’entretien. Pour

trois d’entre elles, cela s’explique par le fait que les formations étaient en cours ou allaient

débuter sous peu. Une d’entre elles avait obtenu un tel emploi, mais n’a pas pu en retrouver

un autre lorsque son contrat s’est terminé à la suite d’une grossesse. Basma et Esma, quant

à elles, ont complété des maitrises 28 dans des domaines connexes à leurs formations

initiales, mais n’avaient pas réussi à trouver un emploi correspondant à leurs attentes au

moment de l’entretien, bien que leur formation soit terminée depuis plusieurs mois. Esma,

ayant aussi suivi une formation de massothérapie en même temps que sa maitrise, a pu

trouver un emploi correspondant à cette formation.

C’est une roue de secours. J’ai trouvé du travail très facilement dans la massothérapie, mais

je me vois pas vraiment massothérapeute. J’ai peut-être envie d’aller un peu de kinésie,

orthothérapie, je veux pas être vraiment dans la massothérapie. Mais, en même temps, il y a

mon projet de médecine vétérinaire qui me tient à cœur qui passe avant ça. [Esma]

28 Avant de débuter cette maitrise, Esma a complété un certificat dans un domaine connexe. Elle n’a pas tenté

de trouver un emploi avec ce diplôme avant de commencer la maitrise.

Page 204: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

194

Basma, quant à elle, n’a pas pu s’insérer dans un emploi correspondant à son diplôme

québécois, ce qu’elle attribue à son manque de réseaux. Au moment de l’entretien, elle

occupait un poste précaire et non qualifié.

Normalement avec mon diplôme de maitrise, je peux travailler en tant que professionnelle

de recherche. Mais là, je trouve des postes, et j’envoie des demandes, mais j’ai pas de

retour, c’est parce que j’ai pas de réseaux (...) Mon directeur de recherche, d’ailleurs, j’suis

déçue de sa part, il ne m’a pas aidée. (...) J’ai fait une entrevue avec lui pour le poste, et

après l’entrevue il m’a dit, « j’te cacherai pas la vérité, t’étais meilleure que l’autre

personne, mais le poste a été créé pour l’autre personne, et que j’peux rien faire ». [Basma]

Deux participantes, Imane et Nadra, occupent au moment de l’entretien un emploi

correspondant en partie à leurs attentes initiales. En effet, les deux oeuvrent dans le

domaine dans lequel elles ont effectué leurs études au Maghreb. Au moment de l’entretien,

elles continuent leur formation en vue de progresser dans ces domaines.

Des quatre participantes ayant choisi la formation aux cycles supérieurs comme objectif en

soi à l’origine du projet migratoire, deux étaient toujours aux études lors de l’entretien, et

occupaient des emplois correspondant à leurs attentes lors de leurs études; c'est-à-dire, des

emplois leur permettant de répondre à leurs besoins matériels. Dans ces deux cas, les

contrats obtenus par les participantes le furent grâce à leurs réseaux.

Tout comme Chadia, Jadia, Kamila et Mounia avaient déjà en tête le projet de poursuivre

des études au Québec malgré leur statut d’immigration. Nous avons déjà discuté de ce

phénomène et considérons que cette motivation explique la priorité accordée aux études et

non à l’insertion en emploi. Cependant, pendant leurs études, Chadia, Jadia et Kamila ont

eu accès à des emplois rapidement, afin de subvenir à leurs besoins. Pour Chadia et Jadia, il

s’agit d’emplois universitaires accessibles grâce à leur statut d’étudiante et parce qu’elles

connaissaient les professeurs qui leur ont offert ces contrats. Le réseau professionnel a alors

été déterminant. Ces emplois sont donc temporaires et en deçà des attentes à plus long

terme et en lien avec la formation plutôt qu’une étape prioritaire dans le parcours post-

migratoire de ces participantes. Ces cas démontrent que, malgré leur statut d’« immigrant

économique » ou de « travailleur qualifié », cela n’est pas forcément indicatif de leur

priorité ou de leur logique d’action en termes de parcours professionnel post-migratoire. En

effet, l’insertion en emploi n’est pas nécessairement un objectif à court terme une fois

arrivé au Québec.

Page 205: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

195

Les deux autres participantes occupaient des emplois pouvant être considérées comme en

lien avec leur formation au Québec, mais ne correspondant pas à leurs attentes initiales.

Jadia, par exemple, obtenait des contrats de professionnelle de recherche et de chargée de

cours, mais n’accédait pas à un poste de professeure tel qu’elle le souhaitait. Pour sa part,

après avoir complété une maitrise, Mounia obtient quelques contrats dans un organisme

communautaire; cependant, cet emploi demeure précaire et elle réfléchit à d’autres

stratégies, telles que l’entrepreneuriat en partenariat avec des amies immigrantes, et le

retour au pays d’origine pour réintégrer son emploi prémigratoire. Dans ces deux cas, les

contrats obtenus par les participantes le furent grâce à leurs réseaux.

e) Bilan : le rôle des réseaux dans la formation post-migratoire

i. Les formations choisies : raisons et types

Les études concernant le parcours de réorientation professionnelle des immigrantes ne sont

pas nombreuses (Germain, 2013), alors il est difficile pour nous de comparer nos résultats à

ceux d’autres recherches. Dans le cadre de la présente étude, quatre motivations pour

effectuer une formation au Québec ont été évoquées: une mise à jour des compétences

initiales, acquérir de nouvelles qualifications (réorientation), un moyen de progresser au

sein du domaine actuel ou comme projet initial ayant motivés l’immigration. Ceci

correspond aux trois motivations recensées par Germain (2013) (requalification,

réorientation et formation comme projet initial), auxquelles nous ajoutons la volonté, pour

certaines participantes ayant trouvé un emploi correspondant à leurs qualifications initiales,

de se perfectionner afin de continuer de progresser au sein du domaine dans lequel elles

travaillent. Une explication pour la requalification et la réorientation sous-jacente rapportée

par nos participantes, et qui correspond à d’autres études est la difficulté à trouver un

emploi qualifié en raison notamment de la connaissance insuffisante des langues et la non-

reconnaissance des diplômes étrangers. En effet, cette opinion a également été émise par

d’autres personnes immigrantes interrogées par les Ministères de l’immigration et de

l’emploi (Racine et coll., 2015).

Toujours en comparant nos résultats à ceux obtenus par Germain (2013), il semble que nos

participantes aient attendu plus longtemps avant d’entreprendre des formations au Québec.

Page 206: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

196

En effet, dans cette étude, plusieurs participantes ont entrepris des études après 1-3 années

passées au Québec; dans notre cas, plusieurs participantes ont attendu 2-5 ans. Nous ne

connaissons pas les raisons pour ce phénomène. Il se pourrait que cela soit attribuable à des

variables personnelles ou contextuelles. Se pourrait-il que des variables telles que la ville

d’établissement ou l’origine culturelle aient une influence sur ce processus, via par exemple

l’existence d’un réseau ethnoculturel et la situation professionnelle des personnes qui s’y

retrouvent? Et qu’en est-il de l’intervention des organismes communautaires? Des

possibilités d’emploi et de l’offre de formation dans la région; c’est-à-dire la ville de

Québec?

Sans pouvoir répondre explicitement à ces questions, nous savons que des variables telles

que le niveau de capital humain et le sexe peuvent avoir une incidence sur le choix de

suivre ou non une formation postsecondaire (Racine et coll., 2015). En effet, dans une étude

longitudinale avec plus de 7000 répondants, Adamuti-Trache et coll. (2013) ont trouvé que

les personnes immigrantes ayant un diplôme universitaire, les personnes ayant une bonne

connaissance de la langue du pays de destination et les hommes étaient plus susceptibles de

suivre une formation postsecondaire. Nos résultats vont dans le même sens que les deux

premiers énoncés, mais pas le troisième. En effet, toutes nos participantes ont suivi des

formations au Québec, presque toutes de niveau postsecondaire, remettant en question

l’idée que les femmes seraient moins nombreuses à poursuivre des formations

postsecondaires dans le pays hôte. Les auteurs expliquent que la moindre participation des

femmes serait en partie attribuable aux contraintes posées aux femmes par les

responsabilités familiales et des coûts financiers, mais précisent cependant que les

différences entre les sexes demeurent sous-étudiées. Notons cependant que près de 80 % de

leur échantillon détenait un diplôme universitaire obtenu à l’étranger; cependant cette

donnée n’est pas ventilée selon le sexe. Par contre, toutes nos répondantes détenaient un

diplôme universitaire issu d’une université maghrébine ou française.

Page 207: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

197

Certains groupes d’immigrants ont une plus forte probabilité de suivre des formations

qualifiantes; c'est-à-dire, une formation permettant d’acquérir ou d’approfondir des

compétences visant l’insertion et/ou l’augmentation de la productivité en emploi29. C’est le

cas notamment pour les personnes immigrantes issues de l’Afrique du Nord, qui sont 22% à

suivre une telle formation (Racine et coll., 2015). Ainsi, l’échantillon étudié dans cette

recherche semble plus disposé à suivre des formations qualifiantes que l’ensemble des

personnes immigrantes originaires du Maghreb. Les données recueillies ne permettent pas

de répondre à cette question; cependant, un élément à explorer pour éclairer la raison de

cette différence est le rôle des réseaux dans le choix de suivre une formation et du type

formation retenue. La section suivante porte sur ce point; c'est-à-dire, sur comment la

constitution du réseau ethnoculturel, ou l’influence du réseau institutionnel/communautaire

peut influencer le processus de formation.

ii. Le rôle des réseaux dans le choix des formations post-migration

Nous avons vu que le réseau ethnoculturel a influencé le choix de suivre une formation, par

exemple, en décourageant certaines participantes de rechercher la reconnaissance d’un

ordre professionnel dans leur secteur professionnel d’origine. Ainsi, ces personnes se

tournent vers d’autres options, notamment celle de suivre une formation en vue d’obtenir

d’un diplôme québécois différent du diplôme initial (dans le pays d’origine ou en France),

ce qui facilite l’accès à un emploi qualifié. Dans d’autres cas, il a influencé le choix de la

formation ou du lieu de la formation. Nous n’avons pas repéré d’autres études traitant

spécifiquement de cet aspect.

Au sujet du réseau institutionnel, représenté notamment par les organismes

communautaires, il semble que ceux-ci aient un rôle dans l’orientation des immigrantes

vers certains domaines généralement peu qualifiés. Quelques participantes critiquent cet

aspect de leur expérience avec ces organismes. D’autres études ont démontré

29 Plusieurs définitions de formation qualifiante existent; celle-ci est une définition générale inspirée de celles

proposées dans Chevrier, 2005.

Page 208: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

198

qu’effectivement, les intervenants peuvent orienter les immigrants vers des formations

courtes et/ou des emplois peu qualifiés, dans l’espoir d’accélérer leur processus

d’intégration au marché du travail (Lenoir-Achdjian et coll., 2009; Action travail des

femmes, 2009). Ceci pourrait être attribuable au fait que certains intervenants n’ont pas la

formation ou les ressources nécessaires pour mieux orienter les femmes hautement

qualifiées (Action travail des femmes, 2009); par contre, d’autres explications sont aussi

possibles, comme la reconnaissance de la précarité de la situation financière des nouveaux

immigrants et le désir d’accélérer leur accès à une source de revenus, même modestes. Ce

sont des hypothèses que nous ne pouvons tester avec les témoignages recueillis.

iii. La création de réseaux lors des formations

Bien que les participantes aient été en contact avec d’autres personnes lors de leurs

formations, cela ne semble pas avoir d’influence sur la suite du parcours ou l’accès à de

nouveaux réseaux. Cela s’explique d’une part, par la présence importante d’autres

personnes immigrantes ayant elles-mêmes des difficultés d’intégrer le marché du travail

québécois. Ces résultats rejoignent ceux d’Arcand et coll. (2009) qui ont trouvé que les

personnes immigrantes créent davantage de liens forts avec d’autres membres de leur

communauté ethnoculturelle lors de ces formations, plutôt qu’avec des personnes avec

lesquelles elles ont moins d’éléments en commun. D’autre part, il semble qu’il soit difficile

pour les immigrantes rencontrées d’établir les liens positifs avec les personnes québécoises

lors de leurs formations, en raison de la ségrégation et de la discrimination, réelle ou

perçue, de la part des enseignants ou des autres étudiants. Ce constat rejoint celui de l’étude

de Germain (2013) portant sur le parcours de réorientation professionnelle de femmes

immigrantes hautement qualifiées à Montréal.

iv. Les résultats des formations

Il semble que les résultats des formations de nos participantes ne soient pas aussi

concluants que ceux des participantes dans cette étude de Germain (2013). En effet, dans

notre échantillon, bien que huit participantes aient obtenu des diplômes postsecondaires au

Québec, seulement cinq d’entre elles avaient des emplois correspondant à ces diplômes au

moment de l’entretien, dont trois qui étaient satisfaites de ces emplois. Dans une autre

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199

étude, quantitative cette fois-ci, Racine et coll. (2015) démontrent que compléter une

formation qualifiante augmente de 20% la probabilité d’occuper un emploi – 21 % pour les

hommes et 18 % pour les femmes. Cependant, elle permet une mobilité ascendante

(occuper un emploi de niveau supérieur au premier emploi) dans seulement 6,2 % des cas.

v. Bilan sur le rôle des réseaux sociaux dans le choix et les résultats des formations

suivies au Québec

Afin de répondre à leurs aspirations professionnelles initiales, ou à des aspirations révisées

en fonction d’informations recueillies auprès des réseaux ethnoculturels et/ou

institutionnels, la formation et/ou l’obtention d’un diplôme québécois deviennent une

stratégie privilégiée en vue d’intégrer un emploi qualifié au Québec. Notre étude a permis

de relever le rôle des réseaux sociaux dans les choix relatifs à la formation. En effet,

plusieurs participantes reçoivent l’information – juste ou erronée – qu’il soit difficile ou

impossible d’intégrer un emploi correspondant à leurs attentes initiales; elles se dirigent

alors vers des formations d’appoint, de niveau collégial ou universitaire, dans des domaines

connexes ou autres. Dans certains cas, les réseaux institutionnels, ethnoculturels et

personnels jouent un rôle particulier dans le choix des formations. Les réseaux

institutionnels, par exemple, proposent des formations courtes, qui sont critiquées par les

participantes en raison de leur inadéquation avec les qualifications originales et, car elles

sont généralement suivies par d’autres personnes immigrantes (et donc, qui offrent peu

d’opportunités de tisser des liens avec des personnes québécoises) ce qui est perçu comme

un facteur négatif d’intégration socioprofessionnelle par ces répondantes. Les réseaux

ethnoculturels, quant à eux, sont porteurs d’informations à l’effet que le processus

d’obtention des équivalences pour les professions règlementées demande beaucoup de

ressources (temps, argent). Toujours concernant les formations, nous pourrions penser

qu’elles seraient porteuses d’opportunités de créer des liens avec des personnes natives ou

avec des employeurs potentiels, pouvant faciliter l’insertion en emploi par la suite. Or, cela

ne semble pas être le cas. En effet, les participantes se retrouvent souvent entourées

d’autres personnes immigrantes qui sont dans des situations semblables à la leur, ou

arrivent difficilement à tisser des liens avec leurs camarades de classe et/ou leurs

enseignant-e-s né-e-s au Québec pour diverses raisons telles que les chocs culturels et des

attitudes jugées racistes par les participantes. De plus, il semble que les programmes choisis

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200

ne permettent pas de se faire connaitre par employeurs potentiels, par l’entremise de stages

par exemple.

4.3.2.7 La maternité et les responsabilités familiales

Nous ne pouvons pas nous intéresser aux parcours professionnels de femmes sans explorer

la question de la maternité et des responsabilités familiales. Sept participantes avaient des

enfants à charge à leur arrivée au Québec; trois participantes ont été enceintes et/ou ont eu

des enfants au Québec. Les responsabilités familiales ont influencé les parcours de

quelques-unes des participantes des manières suivantes. Certaines ont priorisé

l’établissement de la famille et l’intégration des enfants avant d’entreprendre des

démarches d’insertion en emploi. Il s’agit notamment du cas de Basma, lors de sa première

année au Québec :

Au début j’voulais déjà m’installer, m’occuper de mes enfants (...) surtout que mon mari en

milieu d’année il est venu à Québec, donc c’était moi qui m’occupais des enfants. Donc, j’ai

pas cherché de travail à Montréal [Basma]

Pour d’autres, les responsabilités familiales se concilient difficilement avec le travail, la

formation ou les activités de bénévolat, car cette responsabilité lui revient et ne peut être

partagée avec d’autres, comme le mari ou des gardiennes. Ce « choix » est d’autant plus

évident que les rapports sociaux de sexe le déterminent et l’emploi envisagé n’a d’autres

valeurs que pécuniaire. Ici, le témoignage de Fadela est particulièrement illustrateur :

Je manquais de temps puis la distance. Puis il y avait les enfants, ils étaient jeunes, je ne

pouvais pas leur permettre de les laisser à la maison. (...) il y avait un choix à faire. Ou les

enfants ou le travail (...) l’argent. Parce que on peut pas parler vraiment de travail, c’est pas

une carrière que je vais faire là. [Fadela]

Finalement, une participante nous fait part de la difficulté de tisser des liens avec les

collègues de travail à l’extérieur des heures de travail, par manque de temps en raison des

responsabilités familiales. Il s’agit du cas de Ghalia.

En ce qui concerne la maternité en particulier, il est difficile de tirer un portrait global à

partir des expériences de nos participantes. Une d’entre elles est devenue enceinte en même

temps qu’un contrat de travail se terminait; elle n’a pas obtenu de second contrat avec cet

employeur, car il n’avait pas les fonds pour la réembaucher. Au moment de l’entretien, elle

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201

était à la recherche d’emploi, mais songeait à ouvrir une garderie, faute d’opportunités

d’emploi correspondant à ses attentes. Une autre a dû refuser un contrat, car elle est

devenue enceinte, mais elle a pu travailler à partir de son domicile sur un autre contrat qui

lui a été offert. Elle occupe maintenant un emploi correspondant à ses attentes et la

maternité ne semble pas avoir été un obstacle à cet effet. Une troisième participante a eu

deux enfants depuis son arrivée à Québec; elle ne travaillait pas lors de sa première

grossesse et ne cherchait pas à travailler; lors de sa seconde grossesse, elle a pris un congé

maternité et réintègrera son emploi au terme de celui-ci. Il s’agit donc là aussi d’une

situation où la maternité ne semble pas avoir eu d’impacts négatifs sur le parcours

professionnel.

4.3.2.8. Portrait de la situation professionnelle actuelle

Dans les sections précédentes, nous avons exploré comment les réseaux sociaux peuvent

intervenir (ou non) dans différentes étapes de la trajectoire professionnelle post-migratoire

des immigrantes, c'est-à-dire, les emplois obtenus, le bénévolat, la seconde migration et la

formation. Nous avons exploré les motivations pour suivre les formations, les formations

suivies et les résultats de ces formations. Dans cette section, nous approfondirons la

situation au moment de l’entretien.

Le tableau à l’annexe F montre de diplôme étranger le plus élevé détenu, les diplômes

québécois en cours ou obtenus et la situation professionnelle actuelle, selon le nombre

d’années depuis l’arrivée des participantes. Ceci permet de voir si les participantes arrivées

à Québec depuis plus longtemps ont une situation professionnelle actuelle plus favorable

que celles des personnes arrivées depuis plus récemment; les premières ayant eu plus de

temps pour déployer des stratégies (telles que l’obtention d’un diplôme québécois) et

s’intégrer au marché du travail québécois.

Nous remarquons que les deux participantes arrivées depuis six ans ou plus (Ghalia et

Dalia) ont éventuellement obtenu un emploi correspondant à leurs qualifications et à leurs

attentes initiales. Les deux autres participantes occupant un emploi correspondant à leurs

qualifications et à leurs attentes initiales sont Nadra, arrivée depuis presque cinq ans, et

Leila, arrivée depuis trois ans. Ceci a été rendu possible, pour deux d’entre elles à la suite

Page 212: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

202

d’une formation qualifiante au Québec (Ghalia et Leila), alors que pour deux autres, la

formation n’a pas été nécessaire (Dalia et Nadra).

Notons que cinq participantes avaient des emplois qualifiés dans leur domaine (dans le sens

large), mais ne correspondant pas à leurs attentes initiales, puisqu’elles sont surqualifiées

pour les emplois occupés. Parmi elles, nous observons deux sous-groupes : celles qui ont

terminé une formation au Québec, et celles qui sont en voie de le faire. Dans le premier

sous-groupe, une personne a obtenu un emploi à la suite d’une réorientation

professionnelle. En effet, Esma, vétérinaire de formation, a entrepris une formation de

massothérapie en complétant une maitrise en biologie moléculaire. À la suite de ces deux

formations, elle obtient un poste de massothérapeute. Il s’agit d’un emploi correspondant à

une de ses formations, mais pas à sa formation initiale, ni à ses diplômes les plus avancés.

De plus, comme relaté plus haut, elle envisage encore poursuivre son rêve initial et

redevenir médecin vétérinaire. La massothérapie est donc connexe et davantage « de

subsistance ».

Notons aussi que quatre participantes occupent un emploi relié à leur domaine de formation

post-migratoire, mais pour lequel elles sont surqualifiées. Jadia, ayant complété son

doctorat au Québec, vise l’obtention d’un poste de professeure, mais entre-temps, elle

obtient des contrats de chargée de cours et de professionnelle de recherche. Dans le second

groupe, deux d’entre elles poursuivent des formations afin d’améliorer leur situation

professionnelle : Imane, agente de bureau, occupe un poste dans son domaine, mais en

dessous de ses compétences. Ses tentatives de gravir les échelons dans son organisation

(fonction publique) sont infructueuses et engendrent des frustrations; elle choisit donc

d’entreprendre un certificat en sciences de l’administration en vue d’améliorer son sort.

Oumaima occupait un emploi temporaire et précaire dans un laboratoire de recherche; elle

considérait que cet emploi ne correspondait pas du tout à ses attentes ni à ses compétences;

elle se forme donc en poursuivant un certificat en sciences des aliments, donc connexe à ses

attentes et compétences initiales.

Quatre participantes n’avaient pas d’emploi ou elles détenaient un emploi non relié à leur

domaine pour lequel elles étaient surqualifiées. Trois d’entre elles avaient complété des

formations au Québec : Basma a un emploi déqualifié, temporaire et précaire

Page 213: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

203

(surveillante/éducatrice), et ce, malgré une maitrise obtenue au Québec. Aicha et Fatima

sont à la recherche d’emploi après avoir obtenu une maitrise en administration publique.

Une participante n’a jamais occupé d’emploi au Québec et allait commencer une formation

(Hakima).

Finalement, deux participantes (Chadia et Kamila) poursuivaient des études doctorales, qui

constituent une fin en soi et non une stratégie de formation post-migratoire à la suite de

difficultés d’insertion professionnelle au Québec. Puisqu’elles étudiaient à temps plein, leur

situation correspondait à leurs attentes pendant cette période; et elles occupaient des

emplois relativement qualifiés, qui correspondent à leurs qualifications et attentes actuelles.

Ainsi, même après avoir suivi une ou des formations au Québec, la majorité des femmes

interrogées détenaient un emploi, mais seulement une minorité détenait un emploi relié à

leur domaine initial, et encore moins occupait un poste en adéquation avec leurs

qualifications initiales.

Pour terminer, le guide d’entretien était structuré de manière à interroger les participantes

sur le rôle des réseaux sociaux tout au long de leur trajectoire scolaire, socioprofessionnelle

et migratoire. Dans le cadre des discussions avec elles, elles offraient leur point de vue

concernant le rôle des réseaux de façon plus générale dans le processus d’intégration

socioprofessionnelle des personnes immigrantes hautement scolarisées au Québec. Sept

participantes ont témoigné de leur croyance que le réseau local – c’est-à-dire, composé de

personnes nées au Québec - est une nécessité afin d’obtenir un emploi, peu importe le

contenu de leur CV. C’est notamment le cas d’Oumaima et Basma. Cette croyance est issue

de leurs observations du fonctionnement du marché du travail local:

J’ai été voir à l’université pour une formation, pour la recherche d’emploi. Mais comme je

vous ai dit, tout se passe par le réseau. Maintenant, après trois ans et quelques que je suis ici,

je vois que ça ne marche que comme ça. Si tu es recommandé, si telle personne connait telle

personne et qu’elle parle pour toi, donc, automatiquement tu as un poste. (...) je le vois,

parce que, je prends un autre exemple, j’ai des amis enseignants au CÉGEP (...) et je vois

qu’il y en a qui ont été recrutés dans un CÉGEP, avec un baccalauréat et pratiquement pas

d’expérience. (...) ils viennent de sortir de l’université (...). Tout simplement parce que les

personnes, les professeurs, qui sont dans le département le connaissent. [Oumaima]

Mais normalement avec mon diplôme de maitrise, j’peux travailler en tant qu’agent de

recherche. Mais là, je trouve des postes, et j’envoie des demandes, mais j’ai pas de retour,

c’est parce que j’ai pas de réseau. [Basma]

Page 214: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

204

Selon certaines, les liens avec des personnes issues du réseau ethnoculturel ne seraient pas

une ressource mobilisable afin de trouver un emploi qualifié. Selon Hakima, cela s’explique

notamment par les difficultés d’insertion professionnelle et la précarité vécues par plusieurs

membres de leur communauté ethnoculturelle. De plus, la honte ressentie par certains par

rapport à l’utilisation de l’aide financière de dernier recours, ou l’achat d’articles usagés,

rendrait la sollicitation du réseau et l’entraide difficile.

Toi t’as les mêmes problèmes que moi, comment on va s’entraider? On va être négatifs tout

le temps. (...) ils vont avoir peur que tu sois au courant que t’achètes des trucs de friperie

(...) Ils vont pas l’admettre de toutes les façons. La communauté, tout de suite, elle va cacher

si elle a été sur l’aide sociale, elle va dire non, on a travaillé tout de suite. Alors, le réseau

n’a pas beaucoup d’informations. (...) Dans tout ce qui est quotidien du travail, personne ne

peut rapporter parce que, déjà, personne n’est dans l’expérience pour aider l’autre. (...) Il y a

pas vraiment d’entraide entre nous, là. [Hakima]

Le témoignage de Hakima révèle aussi le souci de la protection de l’image de soi que

plusieurs peuvent avoir, souci qui les motive à ne révéler que certaines choses, à en cacher

d’autres et même à « transformer » la réalité pour ne pas mettre à risque cette image. En

conséquence, l’information circulant dans le réseau ethnoculturel peut être faussée pour

diverses raisons.

4.3.4 Bilan global sur le rôle des divers réseaux sociaux dans le parcours

post-migratoire

À la fin de chaque sous-section de cette partie de l’analyse, un bilan a été dressé par rapport

aux différents aspects du parcours post-migratoire (accueil et établissement, différents

éléments du parcours post-migratoire et réflexions des participantes au sujet de l’intégration

socioprofessionnelle au Québec). Dans le bilan global qui suit, la discussion sera déclinée

sous un autre angle, celui du rôle des différents réseaux ayant influencé le parcours des

participantes : la communauté ethnoculturelle, le réseau institutionnel et les liens avec des

membres de la communauté d’accueil.

4.3.4.1 Le rôle de la communauté ethnoculturelle

Après l’arrivée au Québec, les réseaux ethnoculturels sont mobilisés notamment pour

trouver un logement et s’informer sur les procédures administratives à suivre dans le cadre

de l’établissement. Ils permettent aussi aux participantes d’établir des contacts avec

Page 215: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

205

d’autres membres de la communauté ethnoculturelle. Si ces réseaux sont une source d’aide,

de réconfort et de soutien pour certaines, ils sont aussi porteurs d’informations

déstabilisantes, contraires aux attentes. En effet, ce premier contact avec des personnes

d’origine maghrébine installées au Québec permet de constater, dans certains cas, les

difficultés d’insertion socioprofessionnelle vécues par ce groupe. Pour certaines, ce constat

semble avoir peu d’impact sur leur confiance en leur avenir professionnel, alors que pour

d’autres, ce choc – ainsi que le choc face aux valeurs conservatrices de certains membres

du groupe - les pousse à se dissocier de leur communauté ethnoculturelle et à chercher à

tisser des liens ailleurs, soit avec d’autres immigrants ou avec des personnes nées au

Québec.

Pour celles qui constituent des liens avec des membres de leur communauté ethnoculturelle,

certaines y trouvent des opportunités d’emplois « de subsistances » en attendant de trouver

un emploi correspondant à leurs qualifications et/ou à leurs attentes - un fait bien

documenté, notamment dans la littérature concernant les enclaves ethniques (Arcand et

coll., 2009; Portes, 1998). Cependant, cette solution temporaire est généralement peu

porteuse et ne facilite pas une insertion professionnelle éventuelle correspondant aux

attentes de ces femmes, soit un emploi correspondant à leurs qualifications et à leurs

attentes. Elles s’y retrouvent entourées d’autres personnes immigrantes, elles aussi

généralement hautement qualifiées et n’ayant pas pu s’insérer dans un emploi

correspondant à leurs qualifications et à leurs attentes. Le réseau de solidarité qui se

développe est peu porteur de ressources à portée professionnelle.

Quant à celles, peu nombreuses, qui ont eu (ou ayant eu) des collègues québécois, elles

témoignent de difficultés à tisser des liens avec ces derniers. Ces liens demeurent très

faibles, temporaires, et donc difficiles à mobiliser s’ils pouvaient être utiles pour trouver un

emploi qualifié.

Concernant le réseau ethnoculturel, nous constatons en premier lieu l’utilité de ce réseau

pour l’aide à l’établissement et, dans certains cas, sa mobilisation pour trouver des emplois

de subsistance. Certaines participantes y retrouvent aussi une source de soutien et

d’entraide, notamment pour le soutien psychologique et le soin des enfants. En effet, ce

réseau est plutôt utile pour ces raisons familiales et sociales que pour d’autres raisons

Page 216: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

206

comme la poursuite de la carrière. Ces constats rejoignent la littérature abondante au sujet

des communautés immigrantes, et rappellent les phénomènes de « bounded solidarity » et

de réciprocité définis par Portes et Sensenbrenner (1993).

Par contre, d’autres participantes témoignent qu’elles se tiennent à l’écart de leur

communauté pour plusieurs raisons. La première est qu’elles la considèrent comme trop

conservatrice, rappelant le contexte social qu’elles ont voulu quitter dans leur pays

d’origine. Ce constat nuance le postulat qu’une communauté ethnoculturelle partage des

valeurs et des normes. Il illustre comment, lorsque les pôles sont trop éloignés, elle se

scinde en sous-communautés. Nos résultats démontrent donc l’hétérogénéité des personnes

issues des sociétés maghrébines et de leurs valeurs selon leurs dispositions et leurs

parcours. Ce phénomène reflète en partie les effets négatifs du capital social évoqués par

Portes (1998) voulant qu’il se peut que les normes et les valeurs d’une communauté - utiles

pour la création d’une solidarité et la confiance – aient un effet de repoussoir sur certaines

personnes ne partageant pas ces valeurs. Ceci semble particulièrement pertinent dans un

contexte comme celui de cette étude, où certaines participantes ont quitté leur pays

d’origine précisément pour échapper aux pressions qu’elles vivaient, associées à ces valeurs

qu’elles considèrent comme conservatrices (ex. Esma et Mounia). De plus, nos résultats

suggèrent qu’il est possible que le haut niveau de scolarité des participantes et des autres

membres de leur communauté ethnoculturelle soit un facteur à considérer dans leur rapport

à la communauté ethnoculturelle. C’est-à-dire, que les phénomènes de solidarité, de

réciprocité et de confiance ne sont pas automatiques dans une communauté, surtout

lorsqu’une partie des membres est disposée à la pensée critique en raison de son éducation.

Les études portant sur le capital social des groupes immigrants portent rarement attention

au sous-groupe des personnes hautement scolarisées, or il est possible que cette

caractéristique de notre population à l’étude demande une conceptualisation différente ou

adaptée du rapport aux autres membres de la communauté ethnoculturelle. Cette hypothèse

pourrait être développée et faire l’objet de recherches futures.

Une seconde raison incite des participantes à se tenir à l’écart de leur communauté

ethnoculturelle, soit l’inutilité perçue. Si la communauté ethnoculturelle est majoritairement

composée de personnes hautement scolarisées et que plusieurs d’entre elles vivent des

Page 217: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

207

difficultés en emploi, cela peut conduire à une remise en question du postulat que la

communauté ethnoculturelle dispose de ressources auxquelles les membres ont accès pour

assurer leur succès socio-économique. En d’autres termes, la situation socio-économique

défavorable de plusieurs amène certaines immigrantes à conclure que le capital social du

groupe est limité en raison de leurs difficultés à insérer le marché du travail québécois. En

plus de cette situation objective (difficulté d’intégration), plusieurs participantes témoignent

des attitudes défaitistes que ces difficultés engendrent chez certains membres, discours

auquel elles ne veulent pas adhérer et attitudes qu’elles réprouvent. Comme en témoigne

notamment Hakima, il est difficile pour les membres du groupe de s’entraider s’ils sont

tous dans une situation de précarité. Il est donc possible que certaines personnes

maghrébines ne voient pas d’avantages à mobiliser ce réseau, car il ne dispose pas des

ressources dont elle a besoin, en l’occurrence, l’information et l’influence permettant

l’accès à l’emploi qualifié dans son domaine.

Une autre raison de se tenir à l’écart de sa communauté ethnoculturelle est le sentiment que

certains de ses membres sont malhonnêtes ou qu’ils embellissent les faits en ce qui

concerne leur situation socioprofessionnelle. Plusieurs interviewées constatent l’écart entre

les discours des membres de la communauté et la réalité de leur situation professionnelle et

financière; elles attribuent cet écart notamment à l’embarras par rapport à l’échec

(temporaire ou permanent) du projet professionnel et migratoire. Il est possiblement

question ici des tensions internes provoquées par ce changement de statut par rapport à la

situation socioprofessionnelle et économique dans le pays d’origine, ainsi que le choc entre

les attentes par rapport à ce statut au Québec et la réalité vécue. Ce choc pourrait avoir pour

effet d’inciter la personne à se renfermer sur elle-même ou à se replier sur sa communauté

ethnoculturelle, nuisant à son intégration sociale et professionnelle (Portes, 1998;

Beaudoin, 2014). Encore une fois, ce constat témoigne de l’intérêt d’incorporer des

dimensions cognitives à l’étude des réseaux sociaux afin de mieux comprendre les

dynamiques qui opèrent dans ces derniers et comment ces dynamiques influencent les

résultats tels que l’intégration socioprofessionnelle.

Ainsi, bien que ces participantes aient des liens dans des réseaux ethnoculturels, elles ne les

mobilisent pas nécessairement pour des fins professionnelles, familiales ou autre, en raison

Page 218: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

208

notamment des tensions face aux valeurs conservatrices réelles ou perçues de certains

membres du groupe, au manque de ressources disponibles du groupe (pauvreté du réseau

pour des visées de promotion professionnelle ou d’intégration dans des emplois de qualité

correspondant aux compétences/aspirations), et au manque de confiance envers certains de

ses membres.

4.3.4.2 Les réseaux institutionnels

Les réseaux institutionnels (intervenantes et intervenants dans le cadre de programmes

gouvernementaux et dans les organismes communautaires) sont mobilisés par presque

toutes les participantes, mais semblent donner peu de résultats, malgré les bonnes intentions

attribuées aux intervenantes et intervenants par les participantes. En effet, ces réseaux

donnent accès à des formations sur le fonctionnement du marché du travail québécois, ce

qui est jugé nécessaire, mais insuffisant pour les aider à s’y insérer. Elles déplorent

notamment les formations inadaptées ou inutiles vers lesquelles plusieurs personnes

immigrantes sont dirigées, ainsi que le manque de ressources disponibles pour les aider

concrètement à accéder à un emploi qualifié correspondant à leurs attentes.

Presque toutes les participantes ont eu recours à des réseaux institutionnels, dont les

organismes communautaires. Elles apprécient leur aide pour la mise à jour de leur CV et

l’apprentissage des règles informelles du marché du travail québécois. Elles y apprennent

notamment l’existence de ce qu’elles appellent un « marché caché » de l’emploi, et elles

commencent à prendre conscience de l’importance de se constituer et de mobiliser des

réseaux.

Cependant, plusieurs participantes ont fait part de leur déception par rapport à la capacité

réelle des réseaux institutionnels de les aider à accéder à un emploi correspondant à leurs

attentes, notamment en raison de leurs ressources limitées, de leur manque d’expérience

avec des clients aussi scolarisés et de leur méconnaissance des secteurs de qualification des

répondantes. Certaines participantes ont critiqué le rôle des organismes communautaires et

des intervenants dans des programmes gouvernementaux, en particulier leurs

recommandations de formations. En effet, certaines participantes déplorent le type de

formation vers lesquelles elles ont été dirigées, car elles les considèrent peu qualifiantes, ou

Page 219: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

209

peu pertinentes pour l’atteinte de leurs objectifs. Cette critique va de pair avec l’impression

qu’ont certaines participantes, que les intervenants ne sont pas bien informés de l’existence

ni du contenu réel des formations disponibles, ou encore, qu’ils sont de connivence avec les

institutions pour « vendre » certains programmes aux personnes immigrantes, que cela

réponde ou non à leurs besoins.

Finalement, il ressort des témoignages recueillis que leurs recours aux réseaux

institutionnels n’ont pas permis de participer à des activités les mettant en lien avec des

employeurs potentiels, à l’exception de deux propositions de stages pour immigrants.

Toutefois, l’un d’eux n’a pas pu avoir lieu. En d’autres termes, les réseaux institutionnels

n’ont pas été un moyen de faire le lien entre les participantes et des employeurs potentiels,

à une exception près.

Ainsi, d’une part, il semble que la fonction des réseaux institutionnels demeure

majoritairement une fonction de transmission d’informations générales, mais que cette

dernière est peu adaptée à une clientèle qualifiée en ce qui concerne l’insertion en emploi.

D’autre part, ces réseaux ne sont pas particulièrement utiles pour engendrer des liens faibles

utiles (avec des personnes oeuvrant dans leur secteur ou avec des employeurs potentiels)

leur permettant d’accéder à des informations et des opportunités d’emploi.

4.3.4.3 Les liens avec les membres de la société d’accueil

Il est généralement convenu que le fait de tisser des liens avec des membres de la

communauté d’accueil est un indicateur d’intégration pour les personnes immigrantes en

général (Conseil du Statut de la femme, 2014). De plus, tisser des liens faibles avec ces

personnes pourrait faciliter l’accès à l’emploi (Granovetter, 1973). Cependant, il est

difficile de tirer des conclusions en ce sens concernant les immigrantes hautement

scolarisées en particulier, étant donné la difficulté que plusieurs ont éprouvée à l’égard de

la création de liens avec des membres de la communauté d’accueil. En effet, cette recherche

a permis de constater à quel point la création de réseaux « utiles » - c'est-à-dire, des liens

faibles avec des personnes natives, et/ou ayant des positions sociales permettant l’accès aux

ressources telles que l’information et les opportunités concernant l’emploi qualifié

correspondant aux attentes des participantes – est difficile. Ainsi, le manque d’accès à ces

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210

personnes, et/ou la difficulté à tisser des liens avec elles semblent constituer un obstacle en

soi. Mais ceci représente aussi un obstacle à la recherche de réponses concernant l’utilité

(ou non) d’un réseau composé de personnes natives. En effet, nos 15 participantes ayant

créé peu de liens avec des personnes natives, il est difficile pour nous d’établir un lien entre

la mobilisation de ces réseaux et des résultats positifs en termes d’insertion

socioprofessionnelle.

Nos résultats demeurent pertinents pour deux raisons. Ils nous permettent, dans un premier

temps, de constater les obstacles à la création de réseaux comportant des liens faibles avec

les personnes nées au Québec. Nous avons montré que la majorité des emplois occupés et

des formations suivies permettent davantage d’entrer en contact avec d’autres personnes

immigrantes qualifiées éprouvant des difficultés d’insertion professionnelle qu’avec des

personnes québécoises pouvant les aider à accéder à un emploi qualifié. Il semble aussi que

les immigrantes interrogées aient peu d’occasions de forger des liens avec des personnes

nées au Québec, même lorsqu’elles sont présentes dans leurs milieux de travail ou de

formation, notamment par manque de temps en raison des obligations familiales et en

raison de chocs culturels et de difficultés de communication liées à la langue.

En effet, il semble difficile de trouver des moyens d’être en contact avec des personnes

nées au Québec. Les emplois « de subsistance » que les participantes doivent accepter afin

d’accéder à un premier revenu offrent rarement des opportunités de tisser des liens avec des

personnes nées au Québec, soit parce que leurs collègues sont aussi des immigrants, ou

encore, car la nature de l’emploi ou des relations entre les participantes et leurs collègues

nées au Québec (tensions, difficultés de communication) rendent difficile la création de

liens. Le même phénomène semble opérer lors des formations suivies : soit qu’elles sont

aussi fréquentées par d’autres personnes immigrantes, ou soit que les participantes se

sentent exclues par leurs collègues québécois ou marginalisées par leurs enseignants. Ainsi,

le peu de contacts avec les Québécois dans les emplois de subsistance et les formations ne

sont pas utiles, car les contacts sont difficiles ou négatifs. Nous pourrions penser qu’il

s’agit donc de liens faibles trop faibles, ou encore, que les contacts ne permettent pas la

création de liens. Ajoutons que les formations suivies ont parfois donné accès à des stages,

et donc à la possibilité de tisser des liens avec des employeurs potentiels et des personnes

Page 221: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

211

dans les emplois convoités. Cependant, ces stages ont rarement débouché sur des emplois

qualifiés durables.

Cette recherche a aussi permis de constater la rareté et la grande faiblesse de liens faibles

que les participantes ont noués avec des personnes nées au Québec. En effet, dans les rares

cas où les participantes ont tissé des liens faibles avec des personnes natives, il semble que

ces réseaux soient trop faibles pour permettre l’accès à des ressources pertinentes pour

l’accès à l’emploi qualifié telles que l’information et l’influence dans les organisations pour

faciliter l’intégration socioprofessionnelle. Ceci peut potentiellement s’expliquer par un

manque d’homophilie entre les acteurs concernés. En effet, comme le souligne Lin (2001),

l’acteur possédant une ressource doit avoir une motivation pour la partager; soit pour que le

groupe puisse maintenir cette ressource (ex. pouvoir, prestige), ou soit, car elle s’attend à ce

que ce don lui soit remis (réciprocité). Dans le cas d’une personne immigrante vivant des

difficultés d’insertion socio-économique, il est possible que la personne native ne sache pas

quelle « ressource » la personne immigrante pourrait détenir qui pourrait l’intéresser, dans

le moment présent ou à l’avenir. Il se peut donc que les personnes natives ne connaissent

pas assez bien la personne immigrante pour connaitre ses qualifications, et donc, elle ne

voudrait pas, par exemple, la référer à un employeur potentiel par crainte d’entacher sa

propre réputation si l’employeur n’est pas satisfait de la candidature immigrante. Ceci

pourrait être particulièrement problématique si la personne immigrante fait partie – ou

semble faire partie – d’un groupe faisant l’objet de stéréotypes négatifs dans les médias ou

dans l’imaginaire, tels que les Maghrébines à la suite des évènements du 11 septembre, et

les femmes musulmanes dans le contexte des débats entourant les accommodements

raisonnables en 2007 et la « Charte des valeurs » en 2013.

Bien entendu, cette vision utilitariste des échanges comporte certaines limites. En effet, elle

fait abstraction de l’altruisme, ou l’idée que les personnes natives pourraient vouloir

connaitre et aider les personnes immigrantes sans s’attendre à quoi que ce soit en retour. Il

est aussi possible que les personnes natives avec lesquelles les personnes immigrantes sont

en contact, ne soient simplement pas dans une position pour les aider. En effet, il s’agit

souvent, dans cette étude, des personnes peu qualifiées travaillant dans des emplois peu ou

pas qualifiés, ou encore, des personnes oeuvrant dans les organismes communautaires, qui

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212

n’ont pas nécessairement les outils et les ressources nécessaires pour aider à intégrer un

emploi correspondant aux attentes. Ceci rappelle la proposition de la force de la position

(Lin, 1999b) : ces personnes ne sont pas dans des positions pour aider les personnes

immigrantes, donc ce lien n’est pas utile pour accéder à un emploi qualifié.

Finalement, nous ne pouvons traiter des liens entre les femmes maghrébines et la société

d’accueil (québécoise) sans explorer la question du port du voile islamique et de l’obstacle

supplémentaire que celui-ci peut apporter. Étant donné la population à l’étude, il n’est pas

surprenant que le port du voile ait été abordé spontanément par quelques-unes des

participantes, surtout celles qui le portent. Trois des quatre participantes qui portaient le

voile, ainsi que quelques-unes des participantes qui ne le portaient pas, nous ont confié

qu’elles croient que le port du voile est un obstacle à l’insertion professionnelle. Imane, par

exemple, avait été informée de cet obstacle potentiel par une amie québécoise avant

d’immigrer, et elle considère qu’elle a été victime de discrimination pour cette raison

depuis. Selon elle, ceci serait particulièrement problématique dans la ville de Québec, car

ses résidents ont eu peu de contacts avec des femmes voilées.

Elle m’a dit « oui, vous allez trouver des problèmes » parce qu’elle savait que je portais

voile. « Avec le voile, tu auras des problèmes. Donc tu vas savoir que tu feras partie de la

première vague d’immigrantes qui arrivent ici avec le voile et tout. Les gens ici ne sont pas

habitués à voir les gens comme ça, attends-toi à avoir des problèmes. » J’étais préparée

d’avance. (...) si ils me disent que ça existe pas la discrimination, je vais vous dire que ça

existe bel et bien. Il y a des jours, je travaille maintenant au gouvernement, ça fait trois ans

et quelques. Il y a des places où je ne pourrais même pas rêver avoir une réponse. Je

pourrais vous les nommer. (...) ils étaient froids, ça se voyait dans leurs yeux. [Imane]

J’ai commencé à postuler, postuler, postuler. Étant donné que mon CV est vraiment enrichi

par mes expériences, je recevais des oui, oui, oui pour les entrevues, c’était incroyable. (...)

dans le sens, le voile, incroyable, mais vrai. (...) ça se sentait. (...) je me sentais humiliée,

c’est certain. Je savais que je rencontrerais des problèmes ici, oui, ça c’est vrai, mais pas à

ce point. Les gens, c’est comme si je venais d’un autre monde. [Imane]

Ce sentiment serait renforcé par des expériences vécues par les participantes ou des

personnes dans leurs réseaux dans d’autres contextes que celui de l’emploi, tels que relatés

par Aicha :

Mais il y a d’autres que lorsqu’ils te voient, ils font comme ça [grimace], ou même parfois il

y a des gens plusieurs fois, euh... je suis dans la rue, ou, un jour j’étais dans mon auto avec

mon mari, il a une autre automobile qui était devant nous, on a pas fait attention, ce sont des

jeunes qui font des grimaces et après ils te disent des insultes et tout. Mais ça m’est arrivé,

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213

je pense trois fois ou quatre fois. (...), Ça m’est arrivé ici à Québec. (...) lorsque les gens ils

voient comme ça quelqu’un qui porte le voile, c’est, y a des gens qui t’insultent [Aicha]

Un facteur expliquant cette difficulté particulière pour les femmes portant le voile, selon

Hakima, serait le climat politique au moment de l’entretien (à l’été 2012) et les difficultés

d’accéder aux emplois dans la fonction publique québécoise.30 Elle compare le Québec à la

France et craint que la situation politique devienne encore plus difficile pour les femmes

portant le voile; elle craint notamment pour l’avenir de ses filles :

Parce que quand ça a commencé avec Marois, la politique des hijabistes et des foularistes ou

je sais quoi, là. On s’est senti tout de suite, il me dit mon mari : « t’inquiète pas, là. Parce

que ça tape fort, ça va taper dans la fonction publique ». Si moi, j’aurai pas le droit de

travailler dans la fonction publique, pourquoi? Je vais rester à la maison? Ça ne sera pas

bon, même pas pour mes enfants. Ils vont me voir, parce que c’est un pays qui va frustrer

maman, elle va rester à la maison, je vais les endoctriner comme je veux, là. Vous voulez

que ce soit comme ça? C’est pas bien. Faut pas réfléchir comme la France du tout. Parce que

moi, je veux travailler. (...) si on me fait un chantage entre ma religion, par exemple, mon

foulard, qui va toucher personne, je serai obligée. Si je quitte la fonction publique, je vais

faire la pâtisserie, j’ai pas le choix, il faut que je gagne ma vie là. Mais je vais réfléchir à

mes enfants. Si ma fille quand elle va être grande elle est québécoise, elle va choisir d’être

une femme voilée, pourquoi la sanctionner, elle pourra pas travailler à la fonction publique.

[Hakima]

En discutant ce thème du foulard, Hakima laisse entrevoir le rôle du réseau ethnoculturel

dans l’interprétation de ce climat; et comme refuge, face à une menace, le recours au

réseau, son resserrement s’accroit :

Ce qui est bien dans tout ce qui est réseau, c’est l’information sur Gaza, Palestine. S’il y a

quelque chose, par exemple, quand Marois, elle a commencé à intimider la communauté, on

s’est mis en… c’est la nature humaine. (...) on va essayer de se protéger, on va tout de suite

être soudés dans le malheur. (...) Ils vont se souder quand il y a vraiment de l’agression ou

quelque chose où il faut se protéger. [Hakima]

Selon Aicha, l’obstacle du voile serait moins important dans les cas où il y aurait pénurie de

main-d’œuvre, car les employeurs et les collègues seraient alors plus accommodants :

30 Rappelons que la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences

culturelles de 2007, bien qu’elle ait eu lieu avant qu’une partie des participantes arrivent en sol québécois,

reste dans l’imaginaire et peut influencer les relations entre les personnes arabo-musulmanes (ou étiquetées

comme tel) et les personnes nées au Québec (« de souche ») (Bouchard, 2012). De plus, une partie des

entretiens se sont déroulés dans un contexte électoral, où, à la suite du conflit étudiant de 2012, le Parti

Québécois gagnait en popularité et a remporté les élections en septembre de la même année.

Page 224: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

214

Il y en a qui disent que c’est le port du voile. Le port du voile, parfois, est exclu. Est exclu

d’avoir cet emploi. (...) à part si il y a une pénurie vraiment dans le secteur. (...) C’est un

blocage pour que les gens les prennent. Donc c’est très rare, à part dans les domaines où il y

a des pénuries. Par exemple, le domaine de l’informatique, tous les [maghrébins] qui ont un

diplôme d’informaticien ils travaillent et même les femmes. Donc je connais des amies qui

portent le voile, qui sont dans le domaine de l’informatique, aucun problème. Mais à part ça,

c’est très difficile. [Aicha]

En réponse à cet obstacle perçu, trois des quatre participantes portant le voile disent que

dans leurs réseaux, plusieurs femmes portant le voile optent pour la stratégie d’ouvrir une

garderie. Leur travail dessert alors leur communauté ethnoculturelle, ce qui limite les

risques de vivre d’autres expériences discriminatoires en lien avec la société d’accueil :

Parfois, il y a des personnes qui changent le domaine pour se trouver un emploi dans le

domaine où il y a une forte demande. Donc à part ça pour les femmes, on tourne dans un

cercle après donc tu trouves toutes les femmes maghrébines maintenant ici à Québec elles

ont des garderies. [Aicha]

On va faire tous garderie et les hommes c’est taxieurs. Ça va être l’image du pays, là? Non.

Parce qu’on a un bon potentiel de famille et de réussite pour tout le monde, pour la famille,

on cherche que ça. Et ça c’est bien. Mieux que entre guillemets monoparentale et les

enfants, ils sont euh... on a quand même des valeurs qui vont faire bouger les choses au bon

sens. [Hakima]

Face à cette situation, certaines envisagent une migration vers les provinces anglophones du

Canada qu’elles perçoivent comme plus tolérantes du voile, ou même ailleurs. Dans le cas

de Hakima, il s’agit d’un sentiment qui semble répandu dans son réseau, ou plus

précisément, celui de son conjoint :

«Marois, elle commence à faire pour le foulard dans la fonction publique. Ça va être grave.

Je vais changer de province. Mon mari il me dit tout de suite « t’inquiète pas, si on va nous

cirer ici au Québec, on va y aller dans la partie anglophone ». Tout le monde, tout le monde

se respecte. Voile pas voile. Et si ça va être trop fermé aussi, on quitte le Canada.»[Hakima]

En somme, il est clair que plusieurs participantes se sentent exclues du marché du travail

québécois en raison du port du voile, et elles adoptent des stratégies en conséquence. Les

expériences d’insultes dans la rue et des réactions en entrevue d’embauche de la part

d‘employeurs potentiels expliquent ces perceptions. Ces participantes étaient généralement

proches de leur communauté ethnoculturelle, ce qui peut alimenter un sentiment collectif de

marginalisation, surtout lorsque le contexte politique alimente les préjugés que peuvent

tenir les membres de la société d’accueil à leur égard. De plus, les participantes portant le

voile et se sentant marginalisées mentionnaient la création d’une garderie en milieu familial

comme stratégie empruntée par d’autres femmes voilées dans leur entourage, ainsi que

Page 225: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

215

potentiellement pour elles-mêmes. Cette stratégie ne fait que renforcer les rôles

traditionnels de sexe tout en réduisant les opportunités de ces femmes de se tisser des liens

avec des membres de la communauté d’accueil et de s’intégrer professionnellement dans le

domaine de leurs qualifications initiales, limitant ainsi leur capacité à s’intégrer à la société

québécoise.

Page 226: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

216

Chapitre V: Conclusion générale

Pour conclure, ce chapitre abordera dans un premier temps les apports de la thèse, qui

seront résumés à partir des différents bilans dressés au cours du chapitre d’analyse et

d’interprétation des résultats. Ensuite, les implications empiriques seront discutées, sur le

plan des politiques publiques, des organisations et des employeurs. Finalement, les limites

de la recherche seront exposées et les pistes de recherche future seront proposées.

5.1. Apports de la recherche

Dans cette première section sont présentés les principaux apports de la recherche présentée

dans cette thèse. Dans un premier temps, nous revenons sur l’intérêt d’avoir choisi une

approche qualitative afin de rendre possible une compréhension plus fine des dynamiques à

l’oeuvre dans les processus de (non-)création et de (non-)mobilisation des réseaux sociaux

tout au long du processus d’intégration socioprofessionnelle d’immigrantes hautement

scolarisées originaires du Maghreb. Ensuite seront discutés les apports relatifs à l’étude du

parcours migratoire et du projet migratoire des participantes pour mieux comprendre leurs

attentes et leurs stratégies d’insertion. Puis, les apports de la recherche au sujet du rôle des

réseaux sociaux dans la trajectoire d’insertion socioprofessionnelle post-migratoire seront

présentés. Finalement, la pertinence de l’approche intersectionnelle sera exposée, ainsi que

l’articulation entre celle-ci et la discrimination systémique.

5.1.1. Une approche qualitative permettant une compréhension plus fine

des dynamiques de création et de mobilisation des réseaux

En empruntant une méthodologie qualitative, l’expérience des femmes interrogées a été

rendue visible afin de leur donner une voix et donner un regard différent sur la

problématique à l’étude. Ce faisant, la compréhension des aspects perceptuels, attitudinaux

et cognitifs relatifs aux dynamiques présentes dans les réseaux sociaux est enrichie, ainsi

que celle du lien entre ces derniers et les stratégies empruntées – et éventuellement, les

résultats - dans le processus d’intégration socioprofessionnelle.

Page 227: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

217

De plus, cette thèse a permis de dépasser une approche structurale de l’analyse des réseaux

sociaux, afin de cerner les dynamiques qui s’y opèrent dans les parcours prémigratoires,

migratoires et post-migratoires des immigrantes maghrébines hautement scolarisées établies

à Québec. Par exemple, elle a permis de nuancer l’argument de la force des liens en

montrant qu’un lien faible puisse être trop faible pour être mobilisé, ou encore, comment

les dynamiques complexes entre les personnes influencent la volonté ou non de mobiliser

un lien. En effet, cette recherche a notamment démontré comment la perception et

l’interprétation de l’information par les immigrantes influencent leurs attentes et leurs

stratégies migratoires et professionnelles. Elle a aussi démontré qu’il peut y avoir plusieurs

types de rapports entre les immigrantes et leur communauté ethnoculturelle au Québec.

Ceci nuance l’idée que cette communauté est de facto un lieu de soutien financier, moral ou

autre. Ces exemples démontrent comment, en empruntant une épistémologie du point de

vue, nous avons contribué aux connaissances concernant les relations entre les immigrantes

maghrébines et les institutions, les employeurs et les personnes québécoises, ainsi que le

lien entre cette dynamique et l’intégration socioprofessionnelle de ces femmes.

5.1.2. Les parcours prémigratoires et le projet migratoire : des étapes

révélatrices

Dans le cadre de cette recherche, nous avons démontré comment les réseaux influencent les

choix et les opportunités de ces femmes à partir des choix scolaires jusqu’à la trajectoire

professionnelle au Québec. Par exemple, rares sont les études sur les réseaux sociaux et les

immigrants qui tiennent compte du rôle des réseaux prémigratoires dans le pays d’origine

sur les étapes menant au projet migratoire. Cette approche nous a permis de comprendre

comment les expériences prémigratoires ont influencé les attentes des participantes

concernant leur projet migratoire en général, et leur intégration socioprofessionnelle au

Québec en particulier. Notamment, nous avons démontré comment le réseau familial, en

particulier le père, a influencé les choix scolaires des participantes en fonction de leurs

attentes reliées à l’ascension sociale et aux rôles sociaux de sexe. Nous avons également

démontré comment ces attentes sont nourries par le contexte maghrébin, sur le plan de son

histoire et de ses valeurs actuelles et qu'elles perdurent dans le projet migratoire. Ainsi, nos

résultats vont dans le sens de l’énoncé suivant :

Page 228: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

218

Dans le pays d’origine, certaines institutions façonnent le parcours scolaire et

académique des femmes. Elles le font de façon formelle et informelle (ex. normes et

valeurs qui circulent dans les réseaux), et leurs effets sont durables dans le temps,

même lorsque le contexte socioculturel change

De plus, cette recherche a permis d’explorer le rôle des réseaux sociaux dans les parcours

professionnels prémigratoires des participantes. Les résultats démontrent que les réseaux

sociaux ont une grande influence sur les opportunités et les choix relatifs au premier

emploi, ainsi qu’aux emplois subséquents et aux autres choix relatifs au parcours

professionnel, tels que le retour aux études. Ces réseaux sont mobilisés de manière plutôt

spontanée c'est-à-dire, sans y voir une stratégie explicitement empruntée pour la recherche

d’emploi. Cette dynamique est contraire à celle qui est vécue une fois arrivée au Québec;

les participantes découvrent que l’on doit créer des réseaux « utiles » afin de les mobiliser

pour trouver un emploi qualifié et elles se butent à leur inexpérience dans ce domaine.

En ce qui concerne le projet migratoire, les réseaux ont souvent été impliqués dans la

motivation pour immigrer (quitter un contexte sociopolitique difficile, suivre son conjoint,

une volonté générale d’améliorer sa qualité de vie, etc.) ou l’ont nourrie. Par contre, le lien

entre les réseaux et l’information recherchée et/ou reçue par les femmes interrogées avant

d’immigrer est moins clair. En effet, la recherche a démontré que, même si les participantes

avaient des liens avec des personnes au Québec (souvent elles-mêmes immigrantes

originaires du Maghreb), elles n’ont pas nécessairement mobilisé ces réseaux pour avoir de

l’information ou pour la valider, en raison de la perception qu’ils ne seraient pas utiles, ou

que la relation avec les personnes concernées n’était pas assez positives ou solides. Les

méthodes qualitatives permettent de mieux comprendre la nature de ces relations et de

compléter les théories des réseaux sociaux et du capital social.

Ensuite, les informations positives reçues concernant les opportunités d’emploi au Québec

étaient parfois en contradiction avec la réalité perçue plus tard (ex. dont l’insertion se

passait bien alors que cela n’était pas le cas). Finalement, les informations négatives

concernant l’insertion professionnelle des immigrants maghrébins au Québec, pour celles

qui en ont reçu, ne les ont pas découragées; au contraire, elles le comprenaient comme un

Page 229: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

219

défi stimulant et croyaient en leurs capacités de relever ce défi, notamment en raison de leur

persévérance. Implicitement, ceci déqualifiait du même coup leur informateur, qu’elles

considéraient « incapable » de s’ajuster au contexte québécois.

Ces résultats démontrent la pertinence de considérer les processus cognitifs relatifs à

l’interprétation de l’information afin d’enrichir la compréhension de l’utilité de cette

ressource qui circule dans les réseaux sociaux.

Des processus cognitifs influencent le type d’information recherchée et le choix des

contacts mobilisés dans la recherche d’information. De plus, comment les femmes

interprètent les informations reçues aura une influence sur leurs attentes, stratégies

et intégration socioprofessionnelle.

5.1.3 Les réseaux post-migratoires et l’intégration socioprofessionnelle à

Québec

Plusieurs apports concernant le parcours professionnel post-migratoire retiennent

l’attention. Ils portent sur les différences concernant la mobilisation des réseaux

prémigratoires et post-migratoires, les rapports entre les participantes et leur communauté

ethnoculturelle, les difficultés dans la création et la mobilisation des liens faibles avec des

personnes nées au Québec, et l’apport apprécié, mais limité du réseau institutionnel dans le

processus d’intégration socioprofessionnelle.

Cette recherche a permis, dans un premier temps, de voir comment les réseaux influencent

les parcours professionnels prémigratoires, contribuant en partie à la création des attentes

des immigrantes vis-à-vis leur parcours post-migratoire. Citons à titre d’exemple les images

positives du Québec et du Canada qui circulent dans leurs réseaux dans le pays d’origine,

ainsi que les informations positives par rapport à la qualité de vie de la part des personnes

maghrébines qui y sont installées. Ces attentes élevées comportent des risques élevés de

décalage avec la réalité, et donc des chocs possiblement importants. Ceci peut constituer un

premier obstacle à l’intégration socioprofessionnelle. Nous avons aussi constaté à quel

point les immigrantes sont imbriquées dans des réseaux dans leurs pays d’origine,

influençant leurs choix scolaires et leur donnant accès, notamment, à un premier emploi.

Dans certains cas, les réseaux se créent et se mobilisent comme par progression ou par suite

Page 230: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

220

logique les liens créés dans une étape antérieure; ils influencent la suite de la trajectoire, par

exemple lorsque d’anciens professeurs ou camarades de classe influencent l’obtention du

premier emploi puis que les réseaux créés pendant cet emploi influencent l’obtention de

l’emploi subséquent. Le réseau semble alors à l’œuvre automatiquement, sans intervention

intentionnelle de la personne. C’est un processus social qui survient dans le contexte de

l’individu et dont il profite.

La situation est tout à fait contraire dans leur situation post-migratoire, où elles prennent

conscience de l’importance des réseaux, elles apprennent qu’elles doivent en constituer, et

qu’il est idéal d’en constituer avec des personnes nées au Québec afin de pouvoir accéder à

des informations utiles concernant le marché du travail et éventuellement à des opportunités

d’emploi. Cependant, elles y parviennent difficilement, comme nous allons le voir plus loin

ce changement de paradigme – de l’existence de réseaux en général qui s’activent

« automatiquement » à la nécessité d’agentivité pour se constituer un réseau professionnel

en particulier est un « choc » ou un apprentissage auquel les participantes doivent faire

face. Ce constat nous amène à suggérer qu’il faut distinguer entre des situations où le

réseau agit envers ou influence l’individu, et celles où l’individu cherche activement à créer

et/ou mobiliser un réseau. Ainsi, lorsque l’on cherche à saisir les dynamiques des réseaux et

leur « utilité », il apparait pertinent de distinguer deux processus dont les résultats sont

possiblement différents: est-ce le réseau qui offre des opportunités aux individus ou est-ce

les individus qui cherchent délibérément à développer et à saisir des opportunités en

mobilisant des réseaux? Laquelle de ces deux situations serait plus avantageuse pour les

individus? La proposition et l’exploration de la distinction de ces deux processus sont

particulièrement pertinentes dans le cas des personnes immigrantes, car elles sont un cas

type d’une situation où il existe une discontinuité importante dans le contexte social. Cette

discontinuité importante porte un risque plus élevé en termes d’exclusion, car il n’existe pas

(ou peu) de réseaux qui offrent des opportunités, et le développement de nouveaux réseaux

est difficile pour plusieurs raisons, dont celles exposées dans cette thèse. La théorie des

réseaux sociaux n’aborde pas directement ce type de question, qui mériterait d’être

explorée à l’avenir.

Page 231: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

221

Un second apport de la recherche concerne les différentes relations qu’entretiennent les

immigrantes maghrébines avec leur communauté ethnoculturelle une fois établies au

Québec. En effet, si certaines d’entre elles y trouvent une source de soutien et

d’opportunités d’emploi de subsistance, d’autres se tiennent à l’écart, car elles y perçoivent

des attitudes ou des valeurs auxquelles elles ne souscrivent pas. En effet, si certaines

participantes se sont fiées à la communauté maghrébine ou musulmane au Québec pour les

aider à s’établir, se trouver un emploi de subsistance, garder leurs enfants, etc., d’autres ont

cherché à s’en éloigner. Les participantes ayant témoigné de leur volonté de se tenir à

l’écart de cette communauté l’ont fait après avoir vécu un choc, soit parce que les

personnes se trouvant dans ces réseaux leur avait fourni de fausses informations concernant

leur situation professionnelle au Québec, ou en raison des valeurs conservatrices qu’elles

ont perçues au travers leurs interactions avec elles. Ainsi, les réseaux peuvent avoir des

effets variés – positifs, neutres ou négatifs – et donc ne sont pas nécessairement utiles.

Ces résultats nuancent et contredisent en quelque sorte les suppositions suivantes découlant

des écrits sur le capital social :

Les liens avec la communauté ethnoculturelle seront des liens forts (capital social de

fusion).

Les liens avec la communauté ethnoculturelle donneront accès à certaines

ressources (soutien dans le soin des enfants, soutien financier).

En effet, tout comme les personnes nées au Québec et leurs liens avec différents membres

de la communauté d’accueil, les personnes immigrantes forgent différents types de liens

avec les membres de leur communauté ethnoculturelle. Donc bien que les personnes qui

immigrent puissent s’attendre à ce que les membres de leur communauté ethnoculturelle

soient solidaires et que les liens tissés avec eux soient positifs, la réalité une fois arrivée au

Québec est plus complexe, et parfois même néfaste. Ceci pourrait avoir un impact sur le

capital social du groupe et sur l’intégration socioprofessionnelle de ses membres. Cette

dynamique pourrait être explorée lors de recherches futures.

Plusieurs participantes, issues de ces deux groupes (ayant un rapport positif à la

communauté ethnoculturelle, ou ayant un rapport négatif), s’accordent pour pointer une

Page 232: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

222

difficulté dans la communauté ethnoculturelle : celle d’une attitude négative, parfois

défaitiste s’étant établie voulant que tous les immigrants maghrébins éprouvent des

difficultés sur le marché du travail québécois, soit en raison de l’attitude fermée des

employeurs, ou en raison du manque de réseaux sociaux les mettant en contact avec des

personnes québécoises dans leur domaine professionnel ou des employeurs qui seraient

disposés à les embaucher. Il s’installe donc un cercle vicieux des attitudes négatives qui se

reproduit dans le réseau, contaminant ses membres et affectant leurs attitudes et attentes,

pouvant ainsi influencer leurs stratégies, et finalement leur intégration socioprofessionnelle.

Selon les femmes interrogées, ceci serait particulièrement saillant pour les femmes portant

le voile, mais moins pour les personnes immigrantes oeuvrant dans le secteur des

technologies de l’information et des communications. Ainsi, certains facteurs contextuels

façonnent les opportunités indépendamment des réseaux; par exemple, l’effet de la

demande importante sur le marché – et de la pénurie – sur l’ouverture des employeurs face

aux personnes immigrantes en général et aux femmes immigrantes en particulier. Ceci

permet donc de nuancer la théorie des réseaux sociaux en rappelant que l’utilité des réseaux

sera plus ou moins grande dépendamment du contexte plus large des caractéristiques du

marché du travail.

La théorie des réseaux sociaux veut que les liens faibles soient plus utiles que les liens forts

pour trouver un emploi, surtout un emploi qualifié (Granovetter, 1973; Bishop-Smith et

coll., 2012). Dans la littérature sur les personnes immigrantes, l’on pointe souvent le

manque de réseaux avec des personnes de la communauté d’accueil comme un obstacle à

l’insertion socioprofessionnelle (Béji et Pellerin, 2010). Donc, une des hypothèses

implicites reliées à la théorie des réseaux sociaux que nous avons retenue pour cette

recherche est: que les liens avec des personnes nées au Québec - surtout celles se retrouvant

dans les domaines professionnels pour lesquels les personnes immigrantes sont qualifiées et

espèrent œuvrer – devraient être un facteur influençant positivement l’insertion

socioprofessionnelle des femmes immigrantes hautement scolarisées originaires du

Maghreb établies à Québec. Cependant, nous n’avons pas pu démontrer ce lien dans cette

thèse, car la plupart des femmes interrogées n’ont pas pu créer de tels liens, encore moins

les mobiliser. Par contre, par la négative, nous avons observé la co-occurrence entre

Page 233: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

223

l’absence de lien avec la communauté locale et la difficulté d’intégrer leur domaine

professionnel. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte. Dans plusieurs cas, les emplois

occupés ou les formations et les autres activés choisies par les participantes ne les mettent

pas en contact avec des personnes québécoises, ou avec des personnes québécoises pouvant

leur fournir des informations ou des opportunités intéressantes.

La position sociale des contacts avec qui les immigrantes ont des liens influencera

l’information et les opportunités auxquelles elles auront accès.

De plus, lorsqu’elles ont des contacts avec des personnes québécoises, ces contacts ne

semblent pas être assez fréquents ou positifs pour créer des liens faibles utiles pour la

recherche d’emploi future. Il s’agirait donc de liens faibles trop faibles. La faiblesse de ces

liens proviendrait notamment des relations tendues, des chocs culturels et du manque de

temps pour entretenir ces liens en dehors du travail en raison des responsabilités familiales.

Ces résultats sont en cohérence avec le cadre conceptuel mobilisé en ce qui concerne les

relations tendues et les chocs culturels.

La confrontation des schèmes culturels (réelle ou imaginée) – qui est traduite par

des schèmes cognitifs chez les individus – peut influencer la façon que les membres

des deux groupes entrent en relation, et donc la nature du lien et son « utilité ».

La force des liens avec les contacts dans ses réseaux aura une influence sur

l’information et les opportunités auxquelles les immigrantes auront accès.

La recherche a également permis de démontrer le rôle limité du réseau institutionnel dans

les parcours des participantes. En effet, sans porter de jugement sur les intentions des

intervenantes et des intervenants, il semble que ces derniers n’aient pas les outils

nécessaires pour aider les immigrantes au-delà de l’aide générale telle que des formations

sur le marché du travail québécois, la préparation aux entrevues et la réécriture du

curriculum vitae. Cette aide est utile à toute personne qui cherche un emploi, en particulier

celles provenant d’un autre contexte culturel et institutionnel. Cependant, elle ne semble

pas être ajustée aux caractéristiques de la population à l’étude en raison notamment de son

niveau de scolarité élevé et de ses aspirations professionnelles. De plus, certaines

participantes questionnent le choix des formations collégiales ou universitaires que leur

Page 234: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

224

recommandent ces organismes, en raison notamment de leur utilité perçue comme étant

limitée.

Ce rapport au réseau institutionnel est un exemple de comment les institutions du pays

d’accueil influencent le processus d’intégration professionnelle des immigrantes, ce qui

soutient l’énoncé suivant :

Dans le pays d’accueil, les institutions de l’État et de la société civile et leurs

dispositifs (ex. politique d’immigration et d’intégration, ordres professionnels,

évaluation des diplômes) influencent les attentes et le processus d’intégration

socioprofessionnelle des immigrantes.

Parfois l’information qui circule dans les réseaux par rapport aux institutions joue un rôle

plus important que les institutions elles-mêmes. Par exemple, certaines attentes et stratégies

des participantes concernant la reconnaissance de leurs diplômes par les ordres

professionnels (et ensuite leur insertion professionnelle) ont été influencées par les

informations circulant dans leur réseau ethnoculturel à l’effet que la reconnaissance serait

longue et couteuse. Ainsi, nos résultats abondent dans le sens de la littérature existante à ce

sujet, selon laquelle les institutions du pays d’accueil – telles qu’elles sont et telles qu’elles

sont perçues par les immigrantes – ont une influence sur le processus d’intégration

socioprofessionnelle au Québec.

Finalement, la recherche a permis de voir comment les attentes et les stratégies d’insertion

professionnelle des immigrantes peuvent se modifier au fil des expériences vécues au

Québec. Ces expériences incluent le choc entre les attentes initiales et la réalité (notamment

la confrontation entre la situation telle que décrite par leurs contacts avant l’immigration vs.

leur situation réelle qui est moins intéressante), l’interprétation des informations circulant

dans leurs réseaux qui influencent leurs choix subséquents, les difficultés de création et de

mobilisation de réseaux « utiles » pour l’insertion professionnelle, etc. Ainsi, leur définition

de l’intégration socioprofessionnelle « réussie » se modifie pour tenir compte de ces

expériences, souvent liées aux réseaux sociaux. Ces constats vont dans le sens de l’idée

suivante :

Si l’intégration socioprofessionnelle « réussie » implique l’obtention d’un emploi

correspondant aux attentes, il importe de comprendre comment les immigrantes

Page 235: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

225

définissent pour elles-mêmes ce qui correspond à cet emploi. Les expériences

vécues dans la trajectoire post-migratoire influencent le sens qu’elles y donnent.

5.1.4 L’approche intersectionnelle et la discrimination

Cette section démontrera comment l’interprétation des résultats de la recherche à l’aide de

l’analyse intersectionnelle dévoile des dynamiques particulières porteuses de

discrimination. Nous verrons ensuite comment s’articulent les liens entre l’approche

intersectionnelle et le concept de la discrimination systémique

5.1.4.1 L’approche intersectionnelle et ses contributions pour comprendre nos

résultats

Dans un premier temps, nous avons démontré comment les normes sociales de sexe

influencent le parcours des femmes interrogées, notamment en ce qui concerne les choix

scolaires, les motivations pour immigrer (suivre le conjoint, contexte social contraignant et

inquiétant). Bien qu’il existe des facteurs sociaux, culturels et politiques propres à la région

d’origine pour expliquer ces phénomènes, l’analyse des rapports sociaux de sexe demeure

essentielle à la compréhension des obstacles particuliers, des opportunités et des choix des

femmes immigrantes hautement scolarisées en ce qui concerne leurs parcours

professionnels et migratoires.

Nous avons aussi établi que les femmes interrogées vivent des obstacles à l’intégration

socioprofessionnelle, comme plusieurs femmes immigrantes et natives, notamment les

responsabilités familiales telles que le soin des enfants qu’elles assument seules ou de façon

prioritaire, limitant les opportunités de participer à des activités bénévoles ou à d’autres

activités sociales leur donnant l’opportunité notamment de créer des liens avec des

personnes natives du Québec pouvant leur faciliter l’accès à des emplois correspondant à

leurs attentes et à leurs qualifications.

Dans un second temps, est difficile de discuter de l’intégration socioprofessionnelle de

femmes maghrébines au Québec sans parler de leur appartenance – réelle ou perçue ainsi

Page 236: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

226

par les personnes nées au Québec – au groupe ethnoculturel arabo-musulman – et de leur

assignation à ce groupe, par les natifs. En effet, comme en témoignent plusieurs

participantes, ces femmes peuvent faire l’objet de stéréotypes particuliers en raison de leur

sexe et de leur origine ethnique, qui colore d’une manière bien particulière leurs

expériences sur le marché du travail québécois, notamment en termes de l’exclusion de

celui-ci. En effet, les expériences des participantes portant le voile musulman sont

particulièrement saillantes en ce qui concerne les stéréotypes récurrents tels que celui de la

femme soumise ou qui n’accordera pas la même importance au travail qu’aux activités

religieuses ou familiales. Ces stéréotypes sont courants dans le monde occidental (Ho,

2005), mais sont particulièrement saillants au Québec depuis le début des années 2000; ils

pèsent lourd sur les femmes maghrébines lorsqu’elles cherchent à s’intégrer

professionnellement, qu’elles portent le voile ou non (Gauthier, 2016; Gauthier, 2013).

Finalement, bien qu’elle ne soit pas traitée explicitement dans la thèse, la question de la

classe sociale – ou du statut socio-économique - mérite d’être abordée. En effet, plusieurs

personnes immigrantes hautement scolarisées vivent une situation de déqualification dans

le pays de destination (Syed, 2008), et cela est particulièrement vrai pour les femmes

(Chicha, 2009). Plusieurs participantes comparent leur situation actuelle de déqualification

à leur situation socio-économique dans leur pays d’origine; elles considèrent celle-ci

comme nettement supérieure. Dans certains cas, après plusieurs tentatives infructueuses

d’accéder à un emploi correspondant à leurs attentes, certaines s’éloignent de la société

d’accueil et du marché du travail salarié, notamment en contemplant l’idée d’ouvrir une

garderie en milieu familial, les confinant dans un rôle traditionnellement féminin – et peu

valorisé – les marginalisant et déqualifiant davantage. En effet, la situation des femmes

originaires du Maghreb est particulièrement préoccupante en raison de leur double – ou

triple – pénalité en tant que femme première responsable de soins et de travaux

domestiques, issue d’un groupe ethnoculturel particulier, et vivant une déqualification

menant à une situation socio-économique précaire. Ce déclassement suite à l’immigration

serait notamment à la source d’un sentiment d’injustice - et de colère pour certains - chez

plusieurs membres de leur communauté ethnique. Il occasionnerait aussi une certaine honte

qui amène certaines personnes à cacher leur situation socioprofessionnelle et financière des

autres membres de la communauté, et surtout, des personnes demeurant toujours dans le

Page 237: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

227

pays d’origine et planifiant d’immigrer au Québec. Ce sentiment d’injustice, de honte

pourrait avoir un impact sur les attentes et les stratégies futures des immigrantes.

5.1.4.2. De l’approche intersectionnelle à la discrimination systémique

Malgré quelques situations interprétées comme étant discriminatoires ou racistes par les

participantes interrogées, ces dernières ne se sentaient généralement pas victimes de

préjugés, de stéréotypes, de racisme ou de discrimination. En effet, malgré les témoignages

de racisme ou de discrimination de la part d’un enseignant ou de collègues de classe

(Basma, Mounia), ou encore, de la part d’employeurs potentiels ou actuels (Imane) ou de

collègues de travail (Esma, Leila), lorsqu’on leur pose directement la question, elles

considèrent plutôt qu’il s’agit d’une question de méconnaissance de l’étranger, qui se règle

potentiellement à l’aide du contact et de la communication. Paradoxalement, les résultats de

cette recherche suggèrent que les participantes ont peu de contacts avec les personnes

natives, ou peu de contacts durables, ce qui rend difficile le rapprochement entre ce groupe

et les personnes québécoises, dans une perspective de cohésion sociale et de facilitation de

l’intégration socioprofessionnelle.

Quoi qu’il en soit, la discrimination n’est pas nécessairement directe et elle peut exister

sans que les personnes qui en sont victimes la perçoivent ou la nomment comme tel. C’est

pourquoi nous proposons d’approcher la question de la discrimination sous l’angle de la

discrimination systémique. Rappelons qu’il s’agit d’une forme de discrimination qui émane

d’un système établi de croyances et de pratiques en apparence neutre, mais ayant des effets

préjudiciables sur les membres d’un groupe. Les écarts de revenu entre les hommes et les

femmes engendrés par la sous-valorisation des emplois traditionnellement féminins est un

exemple bien documenté de ce type de discrimination.

En ce qui concerne plus particulièrement les immigrantes hautement scolarisées originaires

du Maghreb, nous postulons que les statuts de femme, d’immigrante et d’arabo-musulmane

sont interreliés de sorte que ces femmes sont particulièrement sujettes à des stéréotypes et

des préjugés (conscients ou non), rendant d’autant plus difficile la création de liens avec

des personnes nées au Québec en général, et celles pouvant les aider à accéder à des

ressources facilitant l’accès à un emploi qualifié en particulier. De surcroit, cette identité

Page 238: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

228

(réelle et assumée par l’individu ou attribuée par les autres) peut avoir un effet négatif sur

les perceptions et les comportements des employeurs potentiels à leur égard, tel que le fait

d’écarter leurs CVs, la manière de les traiter en entrevue, et la réticence à les embaucher

(Eid et coll., 2012). D’un point de vue relationnel, si les employeurs n’ont pas eu de

contacts positifs avec ce groupe, ou s’ils ont eu une ou des contact(s) négatif(s), il est

possible qu’ils aient des biais à son égard ou qu’ils n’aient pas suffisamment d’information

sur ce groupe pour limiter leur sentiment de risque pour l’embauche. Il s’agit donc d’un

cercle vicieux de méconnaissance et/ou de biais qui engendre une réticence, maintenant la

distance entre les groupes et donc la méconnaissance et l’exclusion des postes convoités.

Finalement, ces femmes sont aussi victimes d’obstacles institutionnels tels que le manque

de soutien approprié de la part des réseaux institutionnels pour les responsabilités familiales

et l’accès à l’emploi. Ce manque de soutien a pour effet de limiter les informations qui leur

sont offertes par rapport aux formations pertinentes et aux informations disponibles, en plus

de limiter leurs opportunités de créer des réseaux pouvant faciliter leur accès aux emplois

correspondant à leurs attentes. Ainsi se crée un cercle vicieux de la discrimination

systémique en raison de l’exclusion des réseaux, et donc, d’une part, au manque d’accès

aux informations et aux opportunités qui y circulent; d’autre part, cela perpétue la distance

entre les femmes immigrantes et la société d’accueil (dont les employeurs).

5.1.5 Bilan des apports théoriques et empiriques

Pour résumer, les principaux apports théoriques et empiriques de la thèse sont les suivants :

- L’utilisation d’une méthodologie qualitative pour saisir les aspects individuels

(perceptuels, affectifs, cognitifs) et les dynamiques relationnelles qui influencent la

constitution et la mobilisation des réseaux sociaux.

- L’étude du rôle des réseaux prémigratoires dans les parcours prémigratoires et

migratoires afin de mieux saisir les attentes et les stratégies des immigrantes en ce

qui concerne leur intégration socioprofessionnelle au Québec.

Page 239: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

229

- Plus spécifiquement, comprendre les processus par lesquels les femmes cherchent,

obtiennent et interprètent l’information concernant l’immigration et l’intégration

avant d’immigrer, en portant une attention particulière à l’information provenant

des réseaux sociaux.

- Nuancer la proposition que les liens faibles – notamment avec des membres de la

société d’accueil - sont utiles dans l’obtention d’un emploi qualifié pour les

personnes immigrantes (Béji et Pellerin, 2010; Kazemipur, 2006). Les nuances à

apporter incluent l’idée que les liens faibles avec des personnes de la société

d’accueil peuvent être trop faibles, et que la position des personnes avec qui les

immigrantes nouent des liens faibles ne sont pas nécessairement dans une position

favorable leur permettant de les aider. Ainsi, l’utilité des liens dépend 1) de

l’opportunité de créer des liens (situations socio-politiques favorables, avoir les

temps de socialiser avec des personnes, etc.), 2) la position sociale (hiérarchique) de

la personne avec qui on a un lien, et 3) sa volonté de la personne d’aider, qui est

reliée à la force du lien (ie. être un lien faible qui n’est pas trop faible), qui elle-

même peut être influencée par les dynamiques intergroupes, influencés par le

contexte sociopolitique.

- Nuancer la proposition que les liens avec d’autres membres de la communauté

ethnoculturelle seraient des liens forts et solidaires en raison notamment de

l’homophilie et des expériences communes, et que ces liens seraient utiles pour

obtenir des ressources comme le soutien moral et financier.

o Les résultats ont montré que ces liens peuvent être non-existants ou jugés

non souhaitables par l’individu.

o Ils ont aussi montré que ces liens, même faibles, peuvent ne pas donner

accès à de l’information utile pour l’insertion professionnelle, car ces

personnes ont-elles-même un réseau professionnel peu qualifié.

- Faire ressortir le choc entre la situation prémigratoire (avoir des réseaux qui se

mobilisent « spontanément » ou sans action consciente de la part de l’individu) et

Page 240: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

230

post-migratoire (la prise de conscience de l’importance des réseaux et les difficultés

liées à la construction et à la mobilisation de réseaux « utiles ») et comment il s’agit

d’un obstacle supplémentaire à l’intégration socioprofessionnelle.

- Démontrer le rôle limité du réseau institutionnel en raison du manque d’outils

adaptés à la clientèle immigrante féminine hautement scolarisée.

- Appliquer l’approche intersectionnelle à l’analyse du rôle des réseaux sociaux dans

l’intégration socioprofessionnelle des immigrantes maghrébines hautement

scolarisées établies à Québec afin de faire ressortir les obstacles particuliers

auxquels elles font face en raison de leur position à l’intersection de multiples

systèmes d’oppression. Cette position rend difficile, notamment, la création et la

mobilisation de liens utiles dans l’obtention de ressources aidant à l’intégration

socioprofessionnelle.

- Comprendre la situation défavorable des immigrantes maghrébines hautement

scolarisées établies à Québec comme un phénomène dû à la discrimination

systémique, en intégrant les explications individuelles, organisationnelles et sociales

– incluant la composition et les dynamiques des réseaux sociaux. Cette intégration

nécessite une analyse multiniveaux (macro, méso et micro), ce qui est rendu

possible par l’alliance des approches structuralistes et interactionnistes, en

mobilisant des concepts issus des disciplines de la sociologie économique et de la

psychologie sociale.

5.2. Pertinence sociale des résultats

Dans cette section, la pertinence sociale de la thèse sera exposée en discutant des

implications empiriques des résultats de la recherche. Nous traiterons dans un premier

temps des implications pour les politiques publiques québécoises touchant les personnes

immigrantes puis, dans un second temps, des implications pour les organisations et les

employeurs.

Page 241: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

231

5.2.1. Politiques publiques

En ce qui concerne l’insertion professionnelle des femmes immigrantes hautement

scolarisées originaires du Maghreb, trois sphères où sont impliquées les politiques

publiques québécoises seront ciblée : la politique d’immigration, les politiques d’accueil et

d’intégration et la formation post-migratoire. Dans chacun des cas, nous rappellerons des

leçons-clé tirés des résultats de la recherche et comment ils peuvent informer les décideurs

publics et contribuer à revoir les politiques publiques actuelles.

5.2.1.1 La politique d’immigration et le projet migratoire

En premier lieu, nous constatons une inadéquation entre les attentes des participantes par

rapport à leur avenir professionnel au Québec et leurs expériences sur le marché du travail

québécois. En effet, les images véhiculées du Canada et du Québec, à l’effet qu’ils

s’agiraient d’un Eldorado mythique ou d’endroits où les emplois abondent et où il est

possible de vivre un type de rêve américain se confrontent, dès leur arrivée, à une réalité

toute autre. Mises à part quelques informations du contraire provenant de personnes ayant

immigré au Québec consultées lors de la mise en place du projet migratoire – informations

auxquelles ces femmes ne semblent pas accorder une grande importance - cette image

semble renforcée par des sources institutionnelles ainsi que les témoignages d’autres

personnes immigrantes établies au Québec. Ces témoignages, cependant, s’avèrent parfois

incomplets ou faux, en raison du souci de certains de préserver une certaine image auprès

des personnes dans le pays d’origine.

Ces attentes, qui ensuite se confrontent à une réalité plus complexe et souvent différente,

pourraient –elles être plus justes ou fidèles à la réalité, alors que la personne esquisse son

projet migratoire, à partir de son pays d’origine? Pourraient-elles être mieux formulées

depuis le pays d’origine? Voilà une question qui interpelle les politiques publiques de

l’immigration et le rôle des institutions et des acteurs chargés de les mettre en pratique. En

effet, plusieurs participantes témoignent de leur impression qu’on leur a en quelque sorte

« vendu » le Québec sans les avoir adéquatement prévenus des difficultés d’insertion

professionnelle qui les attendaient. De plus, comment s’assurer que ces informations sont

disponibles, à jour, et désagrégées jusqu’au niveau nécessaire pour qu’elles soient utiles et

Page 242: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

232

qu’elles en tiennent compte? Et quel serait ce niveau nécessaire de désagrégation étant

donné que le contexte du territoire retenu, et le contexte des professions ou des emplois

visés varient grandement dans le temps et sur le territoire? En effet, si l’immigration est en

partie nourrie du rêve d’un avenir meilleur, comment encadrer ce projet en facilitant

l’analyse rationnelle et une prise de risque calculée?

Les entretiens ont révélé un certain paradoxe du côté des participantes: d’une part elles

envisagent un changement aussi important que l’immigration, et d’autre part, elles semblent

investir très peu dans la recherche d’informations valides et fiables. Ceci est vrai de toutes

les participantes, quels que soient les liens qu’elles entretiennent avec des personnes

établies au Québec. De plus, peu importe les informations recueillies (concernant l’emploi

au Québec ou non, positives ou négatives), elles ont toutes des attentes positives par rapport

à leur propre insertion professionnelle au Québec, tablant sur leurs qualités personnelles

(intelligence, persévérance, capacité d’adaptation, etc.).

D’un autre côté, on peut se poser des questions quant à la situation paradoxale dans laquelle

se trouve l’État québécois. En effet, si les instances gouvernementales cherchant à recruter

les meilleurs talents de l’étranger leur fournissaient un portrait plus juste des obstacles

rencontrés par les immigrantes hautement qualifiées au Québec, est-ce que cela aurait pour

effet de décourager ces personnes d’immigrer, remettant en cause les objectifs

économiques, politiques et démographiques de la politique québécoise d’immigration? Si

l’État veut s’assurer que les immigrantes potentielles soient le mieux informées possible, il

serait à son avantage que les agent.e.s d’information pour l’immigration soient plus au fait

de la manière que les immigrantes potentielles s’informent et interprètent l’information

reçue; ceci pourrait engendrer des attentes plus réalistes concernant l’intégration

socioprofessionnelle des personnes immigrantes hautement scolarisées au Québec.

Une autre question qui mérite d’être traitée concerne la définition des catégories

d’immigration et les présupposés que l’on peut faire à l’égard des personnes dans ces

catégories. En effet, le statut d’immigrant économique suppose que la personne aura pour

principale motivation l’insertion professionnelle et sera disposée à chercher du travail dès

son arrivée. Il suppose également que les employeurs québécois recherchent ces

qualifications, et donc que le marché du travail est capable de, et veut, les intégrer.

Page 243: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

233

Cependant, plusieurs de nos participantes n’ont pas privilégié la recherche de travail dès

leur arrivée, soit pour des raisons familiales ou soit, car elles avaient plutôt prévu

d’entreprendre des études aux cycles supérieurs. Ainsi, surtout dans le cas de celles qui

effectuent un doctorat, ceci prolonge le délai entre l’arrivée et l’insertion professionnelle.

Ceci suppose également que l’insertion sera possible grâce à un diplôme québécois plutôt

que ceux obtenus à l’étranger et qui ont servi à l’évaluation du dossier de candidature, et

donc de la sélection de l’immigrante.

Ces constats nous amènent à formuler une mise en garde aux chercheurs et aux pouvoirs

publics qui tentent de mieux comprendre les facteurs ayant une incidence sur l’insertion

socioprofessionnelle des femmes immigrantes qualifiées : on ne peut présumer des

motivations professionnelles de tous les immigrants économiques. En effet, il importe de ne

pas traiter ces dernières comme un groupe homogène, et de faire attention aux présupposés

par rapport aux motivations et attentes des personnes selon les caractéristiques de leur

catégorie d’immigration. Par exemple, même si dans un couple la femme est la requérante

principale – et donc la personne sélectionnée en raison de son capital humain et de sa

capacité théorique à intégrer le marché du travail - il peut s’agir d’une stratégie du ménage

et sa carrière n’est pas nécessairement celle que le ménage choisira de soutenir, une fois

l’immigration survenue. En prenant en considération ce portrait plus complexe, il sera

possible de mieux comprendre les stratégies et résultats des immigrantes sur le plan

professionnel.

b) L’accueil et l’intégration

Deux catégories d’acteurs sont interpelées par l’accueil et l’intégration des personnes

immigrantes : les institutions gouvernementales et les organismes communautaires. En ce

qui concerne l’appareil public, il doit se questionner sur les conditions à mettre en place

pour soutenir l’intégration des personnes immigrantes, en particulier les femmes. Ces

conditions incluent l’allègement des processus de reconnaissance des acquis et des

compétences et la disponibilité des formations menant à une requalification facilitant

l’insertion dans un emploi correspondant aux qualifications et aux attentes des personnes

immigrantes. Elles incluent aussi des mesures de soutien financier pour la garde des enfants

pendant les périodes de recherche d’emploi et/ou de (re-)qualification. De plus, l’État doit

Page 244: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

234

continuer de conscientiser les membres de la communauté d’accueil concernant l’apport

des populations immigrantes à la vie économique, culturelle et sociale en bonifiant

l’approche interculturelle adoptée jusqu’à présent (Bouchard, 2012). Les organismes

communautaires oeuvrant au sein des populations immigrantes peuvent jouer un rôle dans

cet effort, comme nous allons le voir plus loin.

Les conditions requises pour soutenir l’intégration socioprofessionnelle des femmes

immigrantes hautement scolarisées originaires du Maghreb incluent le bon fonctionnement

des organismes communautaires mandatés par l’État pour offrir des services d’aide à

l’intégration des personnes immigrantes. À l’instar d’autres recherches sur le sujet (Lenoir-

Achdjian, 2007; Conseil du statut de la femme, 2014), nous constatons que plusieurs

participantes sont critiques au sujet des acteurs mandatés pour l’aide à l’intégration, c'est-à-

dire, les organismes communautaires. En effet, elles déplorent le manque d’aide concrète à

l’insertion en emploi; notamment, l’aide limitée qu’apporte les ateliers d’aide à l’écriture

d’un CV et à la préparation pour les entrevues, l’incitation à suivre des formations qui ne

leur semblent pas adéquates pour leurs niveaux de scolarité, leurs attentes, leur âge, et leur

faible capacité à les mettre en lien avec des employeurs potentiels.

Les écrits sur le sujet (Lenoir-Achdjian et coll., 2009; Action travail des femmes, 2009)

laissent entendre que, malgré leurs nobles intentions et leur travail acharné, les

intervenantes et les intervenants en milieu communautaire manquent de ressources afin

d’effectuer efficacement leur mandat. Par exemple, un manque de connaissance par rapport

aux diplômes étrangers, une méconnaissance des programmes de formation disponibles – et

facilitant l’accès à des emplois correspondant aux attentes des participantes - au Québec, un

manque d’expérience vis-à-vis les femmes hautement qualifiées ou des préjugés à l’égard

de leurs aptitudes professionnelles, pourrait être en cause. Il se peut aussi qu’ils entrevoient

leur mission différemment de ce à quoi s’attendent les participantes. En effet, il est possible

que les organismes communautaires aient pour objectif l’insertion rapide en emploi des

personnes immigrantes, sans égard particulier pour les attentes de ces dernières en termes

d’adéquation avec les compétences et l’expérience antérieures, au nom de leur survie

économique, ou d’une indépendance relative rapide.

Page 245: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

235

Ainsi, un meilleur financement et de meilleures ressources pour former et outiller les

intervenantes et les intervenants oeuvrant au sein des organismes communautaires semblent

être une piste de solution appropriée. Entres autres, ces personnes devraient pouvoir mieux

tenir compte des aspirations des immigrantes et les diriger vers des formations mieux

adaptées à leurs besoins, et par le fait même, faire attention de ne pas les diriger vers des

formations qui peuvent les ghettoïser. De plus, en étant mieux informés sur le contenu et les

taux de placement des programmes de formation, les intervenantes et les intervenants

seraient en meilleure position pour aider les immigrantes à avoir des attentes réalistes par

rapport aux résultats des formations, pouvant ainsi effectuer des choix plus éclairés à cet

égard.

Une autre stratégie est de trouver des moyens pour soutenir les organismes communautaires

afin qu’ils puissent redoubler les efforts pour sensibiliser et créer des liens avec des

employeurs potentiels qui pourraient être réticents à embaucher des femmes immigrantes

maghrébines, en raison notamment des stéréotypes négatifs à leur égard, comme femme et

comme maghrébines. Ensuite, il semble nécessaire d’augmenter les possibilités de

réseautage, de parrainage, de mentorat et de stages pour les personnes immigrantes

avec/dans ces entreprises. Finalement, il serait intéressant de bonifier des programmes

incitatifs comme PRIIME, et de mieux informer les intervenants et les personnes

immigrantes de leur existence afin qu’ils puissent maximiser les chances d’en profiter.

En plus de ces stratégies reliées à l’emploi en tant que tel, les femmes ont généralement des

besoins plus importants que les hommes en termes de soutien financier et de conciliation

entre le travail (ou la recherche d’emploi) et les responsabilités familiales (Action travail

des femmes, 2009). Ceci inclut des difficultés reliées à l’accès aux garderies abordables

(Action travail des femmes, 2009). Ainsi, des mesures de soutien financier devraient être

accessibles afin d’alléger les obstacles vécus par les immigrantes lors de leur processus

d’insertion professionnelle (incluant pendant la formation, la recherche d’emploi et en

emploi). De plus, les périodes d’éligibilité pour les mesures de soutien devraient prendre

considération la double tâche des femmes de soutenir l’intégration de la famille et du

conjoint en emploi, et donc du délai plus long auquel elles peuvent faire face avant de

pouvoir s’insérer professionnellement. Cette recommandation spécifique s’insère dans une

Page 246: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

236

recommandation plus large d’offrir un accompagnement plus personnalisé, en fonction des

qualifications et des attentes des immigrantes qualifiées.

Finalement, plusieurs participantes nous ont fait part d’une certaine confusion ressentie face

à la multitude d’intervenants et de groupes communautaires à leur disposition pour aider

leur insertion sur le marché du travail; le rôle et la portée de chacun sont différents et les

immigrants ont du mal à s’y retrouver. Afin de faciliter l’accès aux informations et aux

ressources disponibles pour l’accueil et l’intégration des personnes immigrantes, il semble

que la création d’un guichet unique et/ou d’une personne ressource pouvant leur fournir un

accompagnement personnalisé pourrait être utile, afin de sauver du temps, de l’énergie et

des ressources financières aux intervenants et aux immigrantes, et d’assurer une meilleure

adéquation entre les qualifications, les attentes et le parcours professionnel des immigrantes

au Québec. De plus, cette approche augmenterait la chance d’une bonne première

expérience et donc d’une meilleure intégration socioprofessionnelle en plus d’un lien de

confiance envers les institutions québécoises – donc un investissement efficace tôt évite des

coûts ou des dysfonctions plus tard.

c) La formation et l’intégration socioprofessionnelle au Québec

Si la stratégie de la mobilisation des réseaux ethnoculturels et locaux pour trouver un

emploi correspondant aux attentes n’est pas particulièrement utile pour les participantes à

notre étude, le recours à la formation semble être une stratégie davantage empruntée pour la

majorité d’entre elles. Cependant, l’obtention d’un diplôme québécois n’est pas

nécessairement garante d’une insertion professionnelle réussie. Ceci est vrai pour la

population en général, mais encore plus pour les personnes immigrantes en raison

notamment de la faiblesse de leur capital social et leur statut de « outsider ».

Nous avons vu que le réseau personnel et ethnoculturel influence parfois le choix de

formation des participantes, soit en décourageant la poursuite de la reconnaissance des

acquis par un ordre professionnel, soit en réponse à un sentiment que les réseaux

institutionnels ne les dirigeaient pas vers les types de formations souhaitées. Quant aux

réseaux institutionnels, il semble que les intervenants y oeuvrant ne soient pas toujours en

mesure de fournir aux immigrantes des informations justes, complètes et utiles concernant

Page 247: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

237

les cours, leurs débouchées potentielles, et les conditions requises pour accéder à ces

opportunités.

À l’égard de la formation proprement dite, il ressort que les participantes éprouvaient des

difficultés à être bien informées sur ce qui existe en termes de cours et de stages, sur leur

contenu et leur durée, de même que ce qui serait utile pour leur insertion professionnelle. Il

ressort aussi qu’il n’est pas toujours clair qu’elles avaient réellement besoin de ces cours ou

stages pour intégrer le marché du travail (ex. Ghalia et Dalia). De plus, plusieurs situations

rapportées mériteraient d’être discutées. Par exemple, s’il existe effectivement des

formations où sont principalement dirigées des personnes immigrantes et qui ne mènent pas

à l’obtention d’emplois pour plusieurs, elles doivent être repérées et revues en conséquence

afin de ne pas créer (ou reproduire) des « ghettos » de formation et des parcours cul-de-sac.

Ensuite, lorsque les formations sont offertes à des groupes mixtes (personnes immigrantes

et personnes nées au Québec), les enseignants devraient être sensibilisés aux dynamiques

de groupe que cela peut engendrer, aux incompréhensions et malaises possibles, afin de

faciliter le contact entre les groupes. Par exemple, les enseignants peuvent former eux-

mêmes les équipes de travail se basant sur des critères liés à la diversité, pour faciliter les

échanges. Ils doivent aussi être sensibilisés à propos de leurs propres comportements et

attitudes, afin qu’ils soient exempts de biais pouvant les amener à poser des gestes ou tenir

des propos discriminatoires.

Finalement, afin de faciliter la transition entre les formations et l’emploi, dans les cas où ce

n’est pas déjà fait, la création de programmes de stages pourrait être utile afin de permettre

un premier contact entre les immigrantes et les employeurs potentiels. Les stages donnent

notamment la chance aux personnes immigrantes de se faire connaitre auprès des

employeurs et des collègues locaux, ainsi que d’acquérir une expérience locale et d’élargir

leur réseau. De plus, des mesures de conciliation travail-études-famille seraient à envisager

afin d’alléger le fardeau que peut représenter les responsabilités familiales et financières

pendant les études. Ces mesures devraient être disponibles aux hommes comme aux

femmes dès qu’il y a des enfants, et incluent l’accès à une garderie et une aide financière

lors de la recherche d’emploi au terme de la formation.

Page 248: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

238

5.2.2. Implications et recommandations pour les organisations et les

employeurs

Le recrutement par la mobilisation des réseaux sociaux des personnes déjà en emploi des

organisations est un moyen simple, peu coûteux et relativement rapide d’attirer des

candidatures afin de combler des postes. Cette stratégie a pour effet notamment

d’augmenter les chances de trouver des candidates et des candidats qui sont bien adaptés à

l’emploi ou à la culture de l’organisation (« job fit » ou « cultural fit »). Ceci est d’autant

plus vrai que les petites et moyennes entreprises qui sont nombreuses au Québec, ne

disposent pas nécessairement de procédures formelles de gestion des ressources humaines.

Cependant, ce mode de recrutement peut comporter certaines limites. En effet, il tend à

reproduire les caractéristiques de la main d’œuvre existante, privant l’entreprise d’un accès

à une main d’œuvre diversifiée sur le plan des qualifications, des méthodes de travail et des

expériences et du profil socio-démographique – et maintient l’exclusion de groupes

d’immigrants notamment. Ceci est particulièrement préoccupant lorsqu’on a besoin de

travailleuses et de travailleurs hautement qualifiés à qui l’on confie notamment des tâches

créatives ou demandant une capacité de résolution de problèmes. La diversité socio-

démographique dans ces fonctions serait associée à une plus grande capacité d’innovation

(Nathan et Lee, 2013). De telles habitudes de recrutement et sélection présentent aussi un

enjeu pour les immigrantes hautement qualifiées en particulier, car, comme le démontrent

les résultats de la présente étude, elles font rarement partie des réseaux des personnes en

emploi pouvant les recommander aux organisations offrant des emplois correspondant à

leurs attentes. Ainsi, les deux parties s’en retrouvent perdantes : les organisations voulant

recruter les meilleurs talents et les immigrantes hautement qualifiées qui ne peuvent

accéder aux emplois correspondant à leurs attentes.

Afin de rejoindre cette population, ainsi que les personnes immigrantes en général, nous

proposons deux recommandations destinées aux employeurs. La première est de se faire

connaitre auprès des différentes communautés ethnoculturelles, par exemple, en participant

à des évènements organisés des groupes associatifs, ou dans les organismes d’aide aux

personnes immigrantes; ou encore, en publiant des offres d’emploi dans les journaux

destinés aux personnes immigrantes. La seconde recommandation est d’offrir des stages

Page 249: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

239

aux personnes immigrantes, afin de mieux les connaitre et ensuite potentiellement les

embaucher. Si les organisations ne peuvent pas les embaucher, elles peuvent également les

référer une autre organisation, ou leur permettre d’acquérir une expérience québécoise et,

entres autres, de bonifier leur CV. Cette expérience permet aussi aux personnes

immigrantes d’entrer en contact avec des personnes nées au Québec et d’élargir leurs

réseaux professionnels, ce qui peut les aider ou même aider d’autres personnes de leur

réseau à s’insérer professionnellement de façon durable. Ces stages peuvent être

coordonnés de concert avec les organismes d’aide aux immigrants, dans le cadre ou non de

programmes institutionnels déjà existants (ex. PRIIME). Ainsi, cette recommandation

s’applique aussi aux décideurs publics qui peuvent aider à financer de telles initiatives.

Pour les immigrantes ayant franchi la première étape du recrutement et se retrouvant à celle

de l’entrevue d’embauche, il existe un autre aspect à considérer en relation avec la question

des réseaux. N’ayant pas côtoyé plusieurs personnes québécoises, il est possible que les

immigrantes n’aient pas acquis certaines connaissances et habiletés plus subtiles jouant un

rôle dans la perception positive ou négative qu’un recruteur peut se faire d’elles. En effet, le

réseau peut être une source d’information sur les rituels ayant cours dans divers milieux et

les codes sociaux partagés, informations pouvant influencer le « fit perçu » - et inaccessible

aux personnes venant d’ailleurs, comme la manière appropriée de s’habiller ou de se

comporter en entrevue; ou encore, elles peuvent manquer d’informations par rapport au

secteur dans lequel se retrouve l’organisation. Inversement, les personnes s’occupant de la

dotation n’ont pas nécessairement eu de contact avec les immigrantes et peuvent avoir des

idées préconçues à leur égard. Étant donné le contexte sociopolitique actuel – au Québec

comme au Canada et à l’international - ceci est particulièrement un risque pour les

immigrantes maghrébines, surtout celles portant le voile. Ainsi, il est important que ces

personnes soient sensibilisées aux stéréotypes, et de les défaire ou d’en réduire leur impact

en les mettant en contact avec ces personnes. En effet, la littérature démontre que le contact

a pour effet de fragiliser les stéréotypes et fait en sorte que les personnes sont davantage

perçues comme des individus et non comme membres d’un groupe stéréotypé (Dovidio et

coll., 2011). Cependant, la sensibilisation n’est pas suffisante; le contact doit d’abord être

possible entre ces groupes. De plus, ce contact est plus susceptible de mener à des résultats

positifs s’il a lieu dans un climat de confiance, et dans l’objectif de collaborer à un projet

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240

commun. Ceci implique qu’il est nécessaire d’envisager des lieux de rencontre entre les

groupes pour créer de liens positifs. Cependant, comme l’a démontré cette thèse, le contact

n’est pas suffisant pour aider à l’intégration socioprofessionnelle : il doit donner lieu à la

création de liens avec des personnes dans des positions assez bonnes pour qu’elles aient

accès à des ressources utiles pour l’insertion socioprofessionnelle (donc, elles doivent

pouvoir aider), et ces liens faibles doivent être assez forts pour que les personnes détenant

de l’information et d’autres ressources veuillent les mobiliser pour aider les personnes

immigrantes.

En connaissant davantage les immigrantes qualifiées, les employeurs potentiels

découvriraient leurs motivations et leurs attentes en termes d’emploi. Par exemple, si

certains employeurs étaient tentés de ne pas considérer une candidate, car elle est

surqualifiée pour l’emploi (car ils supposent qu’elle pourrait éventuellement demander des

conditions salariales supérieures, qu’elle ne serait pas motivée et/ou qu’elle chercherait

rapidement un autre emploi plus qualifié), en les connaissant davantage, ils sauraient

qu’elles sont motivées par plusieurs facteurs, dont celui d’obtenir un emploi qualifié dans

leur domaine ou un domaine connexe, afin de pouvoir profiter d’une certaine qualité de vie.

En effet, les récits recueillis dans les entretiens et les nombreuses tentatives de

requalification témoignent de leur capacité et de leur volonté de redéfinir leurs attentes à la

lumière de leurs expériences sur le marché du travail québécois ainsi que celles des

témoignages des personnes immigrantes dans leur entourage. Il importe de souligner que

pour la majorité des personnes interviewées, la qualité de vie inclut des facteurs autres que

l’emploi, tels que la stabilité économique et politique, la confiance dans les institutions

publiques et le sentiment qu’elles sont libres de vivre leur vie comme elles l’entendent. En

d’autres termes, puisque les immigrantes qualifiées ne disposent pas d’un réseau étendu

avec des Québécois, ce type d’information se rend difficilement aux employeurs, qui

gagneraient à connaitre davantage les aspirations de cette main-d’œuvre motivée et

disposée à s’adapter aux besoins des organisations.

En ce qui concerne les immigrantes qualifiées déjà en emploi, plusieurs stratégies s’offrent

aux entreprises afin de faciliter leur intégration et leur progression. Il s’agit notamment du

parrainage, du mentorat et du réseautage. Il est aussi important de veiller à ce que tous les

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241

membres de l’organisation – incluant les personnes immigrantes - aient accès à la formation

et aux promotions selon des critères transparents et s’appliquant à tous de la même manière

afin d’assurer l’équité de traitement, sans égard au statut d’immigrant, à l’origine ethnique

ou au sexe. Une politique formelle en ce sens – et son application grâce à des mesures et

programmes exempts de biais – peut minimiser les risques que présente la circulation

informelle de l’information à l’égard des formations et des promotions à travers les réseaux

sociaux. L’exclusion relative des immigrants des réseaux sociaux locaux les rend davantage

vulnérables au risque d’être privé d’informations importantes pour les opportunités

professionnelles, circulant informellement.

En ce qui concerne les liens avec les collègues et les supérieurs, la mise en place de

programmes de mentorat, de jumelage ou d’activités informelles entre les collègues

pourrait contribuer à et de se forger des liens pouvant ensuite faciliter l’intégration sociale

en général et en conséquence, faciliterait l’intégration et la progression des immigrantes

dans le milieu de travail en particulier. En contrepartie, cette meilleure intégration pourrait

avoir des effets positifs en termes d’engagement et de rétention des immigrantes dans les

organisations, en plus de faciliter l’intégration sociale en général.

Finalement, n’ayant pas un réseau aussi étendu que les personnes nées au Québec, et ayant

rarement des membres de la famille auprès d’elles, certaines immigrantes ne peuvent pas

faire appel à leur réseau personnel ou familial afin de les soutenir dans leurs responsabilités

familiales, ce qui est particulièrement un enjeu pour les femmes. Ainsi, elles peuvent avoir

plus de difficulté à concilier ces responsabilités avec leurs activités professionnelles,

réduisant la gamme des emplois possibles, nuisant potentiellement à leur rétention et à leur

progression au sein des organisations. Nous recommandons donc aux organisations de

mettre en place des dispositifs de conciliation travail-famille tels que les horaires flexibles

ou la possibilité d’effectuer du télétravail. Les pratiques en la matière ainsi que leurs

retombées positives sont nombreuses et peuvent s’appliquer à toutes les personnes

employées, mais elles sont encore plus importantes pour les immigrantes en raison de leurs

responsabilités familiales et le manque de réseau pouvant les soutenir dans l’articulation

entre ces responsabilités et l’emploi; nous invitons les organisations à consulter les

nombreux écrits à ce sujet pour s’en inspirer.

Page 252: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

242

5.3. Limites de la recherche

Étant donné la nature qualitative de notre recherche, malgré la rigueur avec laquelle elle a

été menée, nous ne pouvons nier l’influence de notre propre socialisation et ancrage

culturel sur notre manière d’agir en entretien et l’interprétation que nous avons pu faire des

résultats obtenus. Quoi qu’il en soit, en étant consciente de ces risques et en ayant recours à

des pratiques encourageant la réflexivité telles que discutées dans la méthodologie, ces

biais sont reconnus et nous avons tenté de les minimiser, permettant alors une certaine

compréhension des phénomènes à l’étude. Toujours en lien avec la nature qualitative et

exploratoire de cette étude, il n’est pas notre intention de généraliser à l’ensemble de la

population immigrante féminine hautement scolarisée au Québec. Finalement, bien que la

méthodologie de cette enquête n’ait pas permis d’observer directement ces phénomènes, les

participantes ont vécu des situations où elles sentaient que ces processus avaient lieu, ce qui

est intéressant en soi sur le plan de leurs interprétations et de leurs stratégies en

conséquence.

Une autre limite concerne la petite taille de l’échantillon et la stratégie de recrutement des

participantes; la difficulté de les joindre et d’en convaincre certaines ont constitué des

obstacle au recrutement rapide des participantes. En effet, malgré une durée d’une année et

une multitude de sources de recrutement, il fut parfois difficile de convaincre certaines

participantes potentielles à nous livrer leurs témoignages, soit, car elles manquaient de

temps, qu’elles avaient déjà participé à une étude semblable, ou pour des raisons vagues qui

nous suggèrent que notre statut de « outsider » pouvait causer un inconfort. Nous avons

tenté de réduire cette distance notamment en fréquentant des évènements avec elles, mais

cela ne s’est pas traduit par les résultats espérés. Par contre, ce statut ne semblait pas poser

problème pour les quinze personnes participantes ; elles furent très ouvertes et même

familières lors des entrevues, laissant croire qu’elles avaient confiance en nous et en notre

volonté de comprendre leur point de vue et d’aider à « changer les choses », mais aucune ne

nous a référé de candidates sérieuses.

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243

Toutefois nos multiples stratégies de recrutement, n’ont permis que de recruter 15

personnes. Nous reconnaissons la faible taille de cet échantillon. Cependant, l’objectif des

entretiens était d’obtenir des informations en profondeur, et non de permettre une

généralisation statistique. De plus, la taille de l’échantillon répond au critère de saturation;

en effet, des entretiens supplémentaires n’auraient pas fourni de nouvelles informations

pertinentes à notre question de recherche. Déjà après 13 entretiens, il y avait très peu de

nouvelles informations ou de nouveaux thèmes qui surgissaient. Il est possible que les

critères de sélection étaient trop restrictifs et engendraient une trop grande homogénéité.

Peut-être qu’une solution aurait été d’inclure des personnes immigrantes établies au Québec

depuis plus de dix ans.

5.4. Pistes de recherche futures

Une première piste de recherche concerne l’expérience des immigrantes lors du

changement de paradigme, entre l’encastrement dans les réseaux dans le pays d’origine,

dont le rôle est invisible, mais non moins réel dans le cheminement des individus, et la

prise de conscience de la nécessité d’en construire un dans le pays d’accueil, sans avoir

appris, antérieurement, ni son fonctionnement, ni son émergence, ni même reconnu son

existence. Plus précisément, il serait intéressant d’explorer le contexte social dans lequel les

réseaux prémigratoires s’insèrent, et celui dans lequel les réseaux post-migratoires doivent

se construire. Cela permettrait de mieux cerner les dynamiques sociales qui influencent la

création et la mobilisation des réseaux sociaux, puis les résultats qui en découlent. Par

exemple, quelles sont les différences dans la création et la mobilisation des réseaux dans

des sociétés « collectivistes » comme le Maghreb, et des sociétés « individualistes » comme

l’Amérique du Nord? Existe-t-il des différentes façons de caractériser ces réseaux comme

étant familiaux, amicaux ou professionnels selon le contexte social? Ou encore, comment

se vit la réalisation que l’on doit « créer » des réseaux professionnels, et comment peut-on

s’y prendre pour se constituer des réseaux utiles?

Une seconde piste concerne l’interprétation de l’information transmise par les réseaux. Bien

qu’il existe une littérature, en psychologie cognitive et sociale notamment, concernant

Page 254: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

244

l’interprétation de l’information par les individus selon diverses caractéristiques de la

source, comme sa crédibilité, son expertise, sa position sociale, etc., il serait intéressant de

voir le lien entre cette dimension psychologique et la nature des liens entre les personnes

concernées. Dans cette thèse, nous avons vu que plusieurs participantes n’ont pas « pris au

sérieux » les mises en garde concernant les difficultés d’insertion professionnelles au

Québec, pour diverses raisons. Il serait intéressant de pousser cette question plus loin que

nous l’ont permis nos données. Est-ce que le niveau de capital humain ou la propension à

prendre des risques, interagissent d’une manière particulière avec la nature du lien (fort ou

faible; amical ou familial, négatif ou positif, etc.) avec la personne offrant de l’information,

pour façonner l’interprétation de l’information par l’individu en question?

Une troisième piste de recherche est la suivante : quels facteurs peuvent expliquer que l’on

fait appel ou non à des liens existants afin d’accéder à de l’information? Est-ce une

question de perception de l’utilité des informations détenues par les personnes dans les

réseaux auxquels on a accès? Est-ce que la volonté de poursuivre un rêve (e.x.

l’immigration) est plus importante que de s’informer adéquatement sur les aspects plus

concrets de ce rêve auprès d’une diversité de sources pour valider l’information?

Quatrièmement, notre recherche remet en question certaines idées concernant la

communauté ethnoculturelle. Dans un premier temps, les témoignages des participantes

interrogées remettent en question la présupposition qu’il existe une communauté

ethnoculturelle, relativement homogène. En effet, il semble y exister une diversité des

valeurs (notamment au sujet des normes sociales de sexe) et des priorités (notamment en

termes de travail et d’emploi). Cette diversité fait en sorte que, dépendamment de avec qui

les participantes ont des contacts dans les premiers mois suivant leur arrivée dans cette

communauté, et en fonction de leurs propres valeurs et priorités, elles se sentiront plus ou

moins proches de cette communauté, basé sur une expérience parfois limitée de celle-ci.

L’existence d’une communauté ethnoculturelle dans un milieu donné, sur la base de

certaines caractéristiques socio-démographiques, ne signifie pas nécessairement qu’elle est

capable d’attirer et de retenir toutes les personnes qui partagent les mêmes caractéristiques

socio-démographiques, ni de répondre à leurs attentes. Inversement, les individus peuvent

choisir de joindre ou non certaines communautés et les facteurs influençant cette décision

Page 255: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

245

relèvent davantage de caractéristiques individuelles et biographiques. Ces caractéristiques

incluent les motivations pour immigrer (dans le cas du désir de quitter un pays où l’on se

considère opprimé par exemple) et le désir de nouer des liens avec des personnes nées au

Québec afin de faciliter leur intégration. Elles incluent également, le désir de nouer des

liens avec des personnes issues d’autres origines afin d’en apprendre sur d’autres cultures

(dans le cas d’immigrants d’autres origines). Ainsi, cela implique que la recherche

s’intéressant aux liens avec les membres de la communauté ethnoculturelle doit tenir

compte des divers facteurs individuels pouvant influencer le rapport des personnes

immigrantes à leur communauté ethnoculturelle dans le pays d’établissement.

Ensuite, les résultats de la thèse remettent en question le postulat que la communauté

ethnoculturelle disposerait d’un certain capital social facilitant l’accès à l’emploi qualifié.

Les entrevues ont révélé que les participantes estiment les membres de la communauté

maghrébine à Québec – du moins, la majorité de ceux qu’ils côtoient - vivent une insertion

socioprofessionnelle difficile et n’ont dont pas les ressources financières ou

informationnelles pour s’entraider dans le processus de recherche d’emploi qualifié. De

plus, même si la communauté offre parfois des opportunités d’emploi de subsistance,

certaines immigrantes hautement scolarisées ne sont pas toujours ouvertes à accepter de tels

emplois, alors que d’autres les acceptent, mais que cela les limite dans leur insertion

professionnelle.

Finalement, si certaines études s’intéressant au phénomène de l’enclave ethnique

préviennent des risques du capital social trop fort d’une communauté (enfermement sur

elle-même et manque de liens avec la communauté d’accueil), il est plus difficile d’en faire

la démonstration avec la population que nous avons étudiée. En effet, certaines

participantes ayant des liens très forts avec des membres de leur communauté

ethnoculturelle avaient des emplois correspondant à leurs qualifications (mais ce ne sont

pas généralement des membres du réseau qui leur ont permis d’obtenir ces emplois) alors

que des participantes éloignées de la communauté ethnoculturelle et cherchant à créer de

liens avec la communauté d’accueil éprouvaient des difficultés d’insertion

socioprofessionnelle. Ces participantes avaient donc aucun réseau – ni ethnoculturel, ni

avec des personnes nées au Québec – ce qui est lié au fait de ne pas s’insérer

Page 256: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

246

professionnellement de façon satisfaisante pour elle. Ainsi, il semble y avoir d’autres

facteurs à considérer tels que le niveau scolarité des individus et leur situation socio-

économique. Des recherches futures pourraient développer cette hypothèse.

Puisque nos résultats indiquent que les participantes interrogées entretenaient peu de liens

avec des personnes québécoises, ils nous permettent difficilement de voir comment des

liens faibles avec des personnes québécoises pourraient faciliter l’accès des personnes

immigrantes à des emplois correspondant à leurs attentes. Il serait donc pertinent

d’interroger des personnes immigrantes ayant un réseau québécois étendu. Pour se faire, il

est possible que l’on doive interroger des immigrantes établies au Québec depuis plus de

dix ans, puisque selon certains auteurs, la période requise pour s’insérer

professionnellement de manière correspondant à leurs attentes serait de cinq à dix ans

(Renaux et Cayn, 2006). Cependant, cette stratégie comporte un risque supplémentaire :

celui de la « réécriture du passé » et de la mémoire sélective, au fur et à mesure que le

temps s’écoule. De plus, il pourrait être plus stratégique de tenter de solliciter des personnes

nées au Québec qui interagissent avec des personnes immigrantes afin de nous aider à

repérer des personnes immigrantes ayant des réseaux avec des personnes québécoises, en

raison notamment de la question de recherche qui suppose l’appartenance à des réseaux

locaux. Dans un même ordre d’idée, puisque peu de nos participantes occupaient un emploi

correspondant à leurs attentes, il serait intéressant d’interroger des immigrantes ayant

obtenu de tels emplois, afin de voir si les réseaux avec des personnes québécoises ont pu

leur être utiles dans l’obtention de ces emplois. Pour ce faire, nous pourrions solliciter des

organisations employant plusieurs personnes immigrantes et leur demander de collaborer

dans le recrutement de cette population.

La sixième piste de recherche consisterait à interroger des femmes et des hommes ayant

immigré dans la catégorie d’immigrants économiques en contrôlant pour les domaines

professionnels ou en se concentrant sur certaines professions (celles les plus courantes chez

les personnes immigrantes, ou effectuer des comparaisons entre des professions très en

demande vs. peu en demande sur le marché du travail québécois, etc.), afin de cerner plus

particulièrement les facteurs qui influencent les parcours migratoires et professionnels de

ces deux groupes. Ce faisant, nous pourrions porter une attention particulière aux rapports

Page 257: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

247

sociaux de sexe dans le ménage, la famille élargie et le milieu de travail et leur incidence

sur la création, la mobilisation et l’utilité des réseaux sociaux.

Finalement, étant donné les éléments culturels non négligeables, il est possible que l’étude

ne s’applique qu’aux femmes immigrantes d’origine maghrébine dans la province de

Québec. Pour savoir si les leçons tirées de cette thèse s’appliqueraient aux personnes

immigrantes qui s’installent à Montréal, il serait envisageable, lors de recherches futures,

de comparer les caractéristiques de la population immigrante maghrébine féminine ainsi

que résultats obtenus dans cette étude à des études comparables faites à Montréal ou dans

les régions – notamment à Sherbrooke – qui ont un volet qui s’intéresse à ces femmes. De

plus, nous pourrions contacter des organismes communautaires et gouvernementaux afin de

leur demander des informations à ce sujet.

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Weber, Max (1949). « ‘Objectivity’ in social science and social policy », dans Weber, M.

The Methodology of the Social Sciences, The Free Press, Glencoe, IL.

Weber (1978). « Basic Sociological Terms », dans Economy and Society: An Outline of

Interpretative Sociology, Guenther Roth et Claus Wittich, éditeurs. Berkeley et Los

Angeles: University of California Press.

White, Michael J. et Gayle Kaufman (1997). « Language Use, Social Capital and School

Completion Among Immigrants and Native-born Ethnic Groups », Social Science

Quarterly, 78, 2, 385-398.

Wilkinson, Lori (2003). « Six nouvelles tendances de la recherche sur le racisme et

l’inégalité au Canada », Cahiers de recherche sociologique, 39, 109-140.

Xavier de Brito, Angela (2002). « Les étudiants étrangers : des personnes en déplacement

», dans Colette Sabatier, Hannah Malewska-Peyre et Fabienne Tanon (dir.), Identités,

altérités, acculturation. Paris, L’Harmattan : 107-122.

Young, Joana L. et Erika Hayes James (2001). « Token Majority : The Work Attitudes of

Male Flight Attendants », Sex Roles, 45, 299-319.

Zéroulou, Zaïhia (1988). « La réussite scolaire des enfants d’immigrés : l’apport d’une

Page 270: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

260

approche en termes de mobilisation », Revue française de sociologie, 3, 8 : 447-470.

Page 271: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

261

Annexe A : Liste d’organisations contactées

Association des Marocaines et Marocains de l’Université Laval

Carrefour jeunesse-emploi de la Capitale Nationale

Centre local de développement (CLD) de Québec

Centre Multiethnique de Québec (CMQ)

Centre R.I.R.E. 2000

Congrès maghrébin au Québec

Groupe Intégration Travail

Libre Emploi

Maison pour femmes immigrantes

Option-Travail

Service d’orientation et d’intégration des immigrants au travail (SOIT)

Page 272: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

262

Annexe B : Annonce de recrutement

Invitation à participer à une recherche : Comprendre le rôle des réseaux sociaux et de la

discrimination dans le processus d’intégration socioprofessionnelle : La perspective des

femmes immigrantes qualifiées d’origine maghrébine à Québec.

Nous menons actuellement une étude sur l’intégration sociale et professionnelle des

femmes immigrantes maghrébines qualifiées récemment arrivées au Québec. Plus

spécifiquement, nous voulons comprendre les attentes des personnes immigrantes face à

leur projet migratoire, analyser le rôle des réseaux sociaux tout au long de leurs parcours

migratoires, connaitre les obstacles qu’elles ont rencontrés lors de leurs premières années

au Québec et étudier les différentes stratégies utilisées en vue d’une meilleure intégration

socioprofessionnelle au Québec.

Nous sommes à la recherche de femmes immigrantes originaires du Maghreb qui

accepteraient de partager leur expérience au cours d’une entrevue individuelle. Cette

entrevue est de nature confidentielle et devraient durer entre une et deux heures. Une

compensation vous sera offerte pour rembourser les coûts associés à votre déplacement.

Pour participer à cette étude, vous devez :

- Être résidente permanente au Québec de la catégorie économique de travailleur

qualifié (non pas parrainée, étudiante ou réfugiée),

- être arrivée au Québec après le 1er juillet 2002, mais avant le 30 juin 2009,

- être âgée de plus de 18 ans,

- avoir un ou des diplôme(s) postsecondaire(s)

- maitriser suffisamment le français pour comprendre et communiquer durant

l’entrevue.

Si vous désirez participer à ce projet ou avoir plus d’informations, vous pouvez contacter la

responsable de la recherche, Carol-Anne Gauthier, étudiante au doctorat sous la direction

du professeur Kamel Béji au département des relations industrielles de l’Université Laval,

au 418-656-2131 poste 4500 ou par courriel :

[email protected].

Page 273: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

263

Annexe C : Formulaire de consentement

Formulaire de Consentement - Comprendre le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans le

processus d’intégration socioprofessionnelle : La perspective des femmes immigrantes qualifiées d’origine

maghrébine à Québec

FORMULAIRE DE CONSENTEMENT

Le projet de recherche auquel nous vous demandons de participer s’intitule «Comprendre le rôle des réseaux

sociaux et de la discrimination dans le processus d’intégration socioprofessionnelle : La perspective des

femmes immigrantes qualifiées d’origine maghrébine à Québec ».

Cette recherche est effectuée par Carol-Anne Gauthier, étudiante au doctorat, sous la direction du Professeur

Kamel Béji, au département des relations industrielles, faculté des sciences sociales, Université Laval. Cette

recherche est financée par le Fonds de recherche du Québec – Société et culture dans le cadre de la thèse de

doctorat de la chercheure.

Avant d’accepter de participer à ce projet de recherche, veuillez prendre le temps de lire et de comprendre les

renseignements qui suivent. Ce document vous explique le but de ce projet de recherche, ses procédures,

avantages, risques et inconvénients. Nous vous invitons à poser toutes les questions que vous jugerez utiles à

la personne qui vous présente ce document.

Nature de l’étude

L’objectif de ce projet de recherche est d’explorer la perspective des femmes immigrantes qualifiée d’origine

maghrébine concernant leur intégration socioprofessionnelle à Québec.

En d’autres termes, le but de cette étude est de voir quels sont les réseaux sociaux auxquels les femmes

immigrantes d’origine maghrébine ont accès, comment elles les utilisent, et comment ils deviennent des

ressources ayant une influence sur le succès en emploi. Ces informations seront analysées afin de voir

comment les mécanismes en place peuvent s’entrecroiser pour créer une discrimination voilée que l’on

appelle la discrimination systémique.

Les objectifs spécifiques sont de déterminer le type de capital social auquel ont accès les immigrantes

d’origine maghrébine à Québec, comment (ou si) ces femmes utilisent cette ressource, et comment (si) ces

deux éléments ont un impact sur la réussite de ces femmes sur le marché du travail (si elles trouvent un

emploi, si cet emploi correspond à leurs qualifications, etc.)

Déroulement de la participation

Cette recherche procède par des entrevues semi-dirigées qui dureront une ou deux heures et qui seront, si vous

le permettez, enregistrées par la chercheure. Les entrevues se dérouleront dans un endroit calme où nous

pourrons échanger en toute confidentialité. Une compensation vous sera offerte afin de rembourser vos frais

de déplacement.

Il n’y a aucun risque connu lié à la participation à cette recherche, d’autant plus que la confidentialité des

réponses est assurée. Cependant, il est possible que vous ressentiez une fatigue suivant le processus

d’entrevue. De plus, il est possible que le fait de raconter votre expérience puisse susciter des réflexions ou

des souvenirs désagréables. Si cela ce produit, vous êtes libre de ne pas répondre à toutes les questions. Nous

vous invitons à en parler avec la chercheure afin qu’elle puisse vous remettre une liste de ressources en

mesure de vous aider, au besoin.

Page 274: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

264

Droit de retrait

Vous avez le droit de refuser de participer à la recherche ou de mettre fin en tout temps à votre participation

sans préjudice. Vous pouvez refuser de répondre à certaines questions sans conséquence négative pour vous.

Toutes les données vous concernant seront détruites.

Confidentialité et gestion des données

Afin de garantir la protection et la confidentialité des données personnelles, ces données seront

dépersonnalisées afin de les rendre anonymes et confidentielles. La seule personne qui aura accès aux

données permettant de vous identifier est la chercheure. Le matériel (données personnelles et enregistrements

audio) sera conservé pour un maximum de dix ans. Par la suite, il sera effacé ou déchiqueté. Les transcriptions

et les bases de données créés pour ce projet seront sauvegardés dans l’ordinateur de la chercheure et protégés

à l’aide d’un mot de passe. Ces données seront anonymisées à l’automne 2022 en vue d’une utilisation

ultérieure. Les participants ne seront pas identifiés dans les publications.

La confidentialité est assurée à l’intérieur des limites prescrites par les lois québécoises et canadiennes.

Pour tout éclaircissements sur le projet et sur les implications de votre participation, ou encore, si vous désirez

communiquer avec la chercheure pour lui transmettre des informations, veuillez communiquer avec Carol-

Anne Gauthier par téléphone au (XXX) XXX-XXXX, ou par courriel au [email protected]

Votre collaboration est précieuse pour la réalisation de cette recherche, et nous vous remercions d’y

participer.

Signatures

Je sousignée ________________________________________________ consens librement à participer à la

recherche intitulée «Comprendre le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans le processus

d’intégration socioprofessionnelle : La perspective des femmes immigrantes qualifiées d’origine maghrébine

à Québec». J’ai pris connaissance du formulaire et je comprends le but, la nature, les avantages, les risques et

les inconvénients du projet de recherche. Je suis satisfaite des explications, précisions et réponses que la

chercheure m’a fournies, le cas échéant, quant à ma participation à ce projet.

Signature de la participante : ________________________________________________________

Date :_________________________________________

J’ai expliqué le but, la nature, les avantages, les risques et les inconvénients du projet de recherche au

participant. J’ai répondu au meilleur de ma connaissance aux questions posées et j’ai vérifié la compréhension

du participant.

Signature de la chercheure: ________________________________________________________

Date :_________________________________________

Plaintes ou critiques

Toute plainte ou critique relativement à ce projet de recherche pourra être adressée, en toute confidentialité,

au bureau de l’Ombudsman de l’Université Laval dont les coordonnées sont les suivantes :

Pavillon Alphonse-Desjardins, bureau 3320

2325, rue de l’Université

Université Laval,

Québec (Québec) G1V 0A6

Renseignements – Secrétariat : (418) 656-3081

Courriel : [email protected]

Page 275: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

265

Annexe D : Fiche signalétique

Informations socio-démographiques :

1) Date de Naissance : ____/___/___

Jour mois année

2) Pays d’origine : ________________

3) Ville d’origine : ________________

4) Langue(s)

- Parlée(s) : __________________________

- Écrite(s) : __________________________

- Lue(s) : ____________________________

5) Quel est votre statut matrimonial :

Mariée /conjointe de fait

Séparée / divorcée

Célibataire

Veuve

Informations socio-démographiques des membres de la famille :

6) Pays d’origine de votre conjoint(e) (si applicable): _______________

7) Nombre de personnes demeurant avec vous actuellement : __________

Si vous vivez avec d’autres personnes, lien de parenté, lieu de naissance et âge de ces personnes :

Lien de parenté Lieu de naissance Âge

Page 276: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

266

Parcours professionnel

8) Description des principaux diplômes ou des principales formations obtenues avant

l’immigration par ordre chronologique :

Diplôme/formation Endroit (pays/ville) Année d’obtention

9) Description de l’expérience professionnelle avant d’immigrer, par ordre chronologique :

Titre de l’emploi Endroit (pays/ville) Durée Motif de départ

10) Indiquez le titre de l’emploi, la durée de l’emploi et le motif de départ des emplois

au Québec :

Titre de l’emploi Durée de l’emploi

(de ___ à ___)

Motifs de départ

Page 277: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

267

11) Indiquez vos principaux diplômes ou des principales formations obtenues après

l’immigration par ordre chronologique :

Diplôme/formation (incluant le cycle) Endroit (ville) Année d’obtention

12) Principale occupation au moment actuel:

Travail salarié

Travail autonome

Travail à temps plein (30 heures et plus par semaine)

Travail à temps partiel (moins de 30 heures par semaine)

Cours de francisation

Aux études à temps plein

Aux études à temps partiel

Au foyer (tenir maison)

Sur l’aide sociale

Sur prestations d’assurance emploi

Autre (précisez) : ________________________________________________

13) Catégorie professionnelle :

Main d’œuvre

Technicienne

Professionnelle

Cadre (gestionnaire)

Autre (précisez) : ________________________________________________

14) Revenu annuel d’emploi personnel annuel ou salaire horaire: _______________

15) Logement

Propriétaire ou copropriétaire

À loyer

Logée gratuitement

Bénéficiaire d’un appartement à loyer modique

Autre (précisez) : ________________________________________________

Dans quel secteur / quartier habitez-vous? : ________________________________

Page 278: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

268

Informations sur le contexte de migration :

16) Date d’arrivée dans la province de Québec : __/__

Mois Année

17) Date d’arrivée dans la ville de Québec (si différente) : __/__

Mois Année

18) Êtes-vous arrivé seule ou accompagnée?

Seule

Accompagnée

Si vous êtes arrivée accompagnée, indiquez vos liens avec ce ou ces

personne(s) :______________________________________________________

________________________________________________________________

19) Avez-vous vécu dans un autre pays avant d’immigrer au Québec?

Oui

Non

Si oui, indiquez quel(s) est/sont ce/ces pays, l’année où vous êtes arrivé, la durée de

résidence et les motifs principaux.

20) Avez-vous vécu dans une autre ville au Canada ?

Oui

Non

Si oui, indiquez quelle(s) est/sont cette/ces ville(s), l’année où vous êtes arrivé, la durée de

résidence et les motifs principaux.

Ville Année d’arrivée Durée de résidence Motifs principaux de

résidence

21) Avant d’immigrer, connaissiez-vous des personnes :

Pays/ville Année

d’arrivée

Durée de

résidence

Motifs principaux de résidence et de

départ

Page 279: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

269

- Au Québec : Oui □ Non □

* Liens avec ces personnes : ____________________________________

- Au Canada : Oui □ Non

* Liens avec ces personnes : ____________________________________

22) À combien de mois estimiez-vous votre capacité financière de subsistance à

l’arrivée pour vous et votre famille : ____________

De quel montant s’agissait-il? : ____________

Page 280: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

270

Annexe E : Guide d’entretien

1. Situation prémigratoire

1.1. Quelles étaient vos aspirations lorsque vous étiez petite?

1.2. Pourquoi avez-vous choisi votre domaine d’études?

1.3. Parlez-moi de votre vie professionnelle avant d’immigrer

1.3.1. Comment avez-vous obtenu votre/vos emplois?

1.4. Parlez-moi de vos réseaux avant d’immigrer :

1.4.1. Est-ce que vous connaissiez beaucoup de gens dans votre domaine?

1.4.2. Aviez-vous un réseau professionnel? Comment était-il?

1.4.3. Décrivez-moi votre réseau personnel

1.4.3.1. Famille vs. autres

1.4.3.2. Diversité genre

1.4.3.3. Diversité positions sociales : en général, les gens dans votre

entourage se trouvaient dans quelle situation socio-économique?

1.5. Étiez-vous une personne croyante? Pratiquante? Est-ce encore le cas?

2. Caractéristiques du capital humain

2.1. Niveau de scolarité :

2.1.1. Diplôme(s) dans le pays d’origine

2.1.2. Équivalences officielles

2.1.3. Équivalences selon elle

2.1.4. Formation au Québec (revenue aux études?)

2.1.4.1. Scolaire ou extra-scolaire?

2.1.4.2. Financé par qui/quoi?

2.1.4.3. Durée et localisation?

2.2. Langue(s) parlées, écrites

2.2.1. Avant d’arriver

2.2.2. Au moment de l’entretien

2.3. Expérience prémigratoire de travail

2.3.1. Public vs. Privé

2.3.2. Étiez-vous satisfaite de votre situation professionnelle?

3. Le projet migratoire

3.1. Quelle a été votre motivation pour immigrer? / Pourquoi avez-vous décidé

d’immigrer? Quel sens donnez-vous à votre décision d’immigrer? Comment l’avez-

vous vécue? Quel rêve – quelles attentes initiales?

3.2. Comment s’est fait ce choix? Quelles ont été les premières démarches?

3.2.1. Est-ce que vous connaissiez des gens qui voulaient immigrer? Qui ont

immigré? où?

3.2.2. Connaissiez-vous des gens au Québec? Au Canada? De la société d’origine ou

des natifs?

Page 281: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

271

4. Le processus d’immigration

4.1. Processus de recherche d’informations (avant)

4.1.1. Recherches formelles

4.1.1.1. Ministères

4.1.1.2. Communautaire

4.1.2. Recherches informelles

4.1.2.1. Mobilisation des réseaux sociaux

4.2. Le processus d’immigration

4.2.1. Comment s’est passé votre arrivée au Québec?

4.2.2. Qui ont été vos premiers contacts?

4.2.3. Qui vous a aidé? Comment?

4.2.4. Avez-vous eu recours à un organisme communautaire ou un organisme d’aide

aux immigrants?

4.2.5. Comment avez-vous trouvé votre logement?

4.2.6. Surprises – découvertes - déceptions?

5. La recherche d’emploi

5.1. Combien de temps s’est écoulé avant de trouver votre premier emploi?

5.2. Quels ont été les emplois que vous avez eus?

5.2.1. Comment avez-vous pris connaissance de ces emplois?

5.2.1.1. Si à travers un(e) ami (e) ou une connaissance, quelle est/était votre

relation avec cette personne?

- Comment vous-êtes vous connus?

- Cette personne vous a t-il/elle recommandé pour cet emploi?

- Lorsque cette personne vous a parlé de cet emploi, quelle était la

fréquence de vos contacts?

- + informations concernant le statut socio-économique et

professionnel de cette personne.

5.2.2. Quelle a été la durée de ces emplois?

5.3. Quel a été le rôle de la famille immédiate et étendue? Conséquences?

5.4. Quelles ont été et quelles sont vos priorités?

6. En emploi (questions sur les emplois inscrits sur la fiche signalétique)

6.1. Comment vous sentiez-vous dans cet emploi?

6.2. Vous sentiez-vous bienvenue?

6.3. Les gens vous incluaient-ils dans leurs conversations à la pause, aux repas? Vous

invitaient-ils à des activités sociales? À quelle fréquence?

6.4. Comment percevez-vous le comportement de vos collègues envers vous?

6.4.1. De vos superviseurs?

6.4.2. Aviez-vous à travailler en équipe?

6.4.2.1. À la lumière de cela, comment avez-vous réagi?

6.4.2.2. Avez-vous adopté des stratégies particulières?

7. Situation professionnelle (voir fiche signalétique)

7.1. Décrivez-moi votre emploi actuel

7.2. Comment avez-vous eu cet emploi?

Page 282: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

272

7.3. Comment vous sentez-vous dans cet emploi?

7.4. Les gens vous incluent-ils dans vos conversations (aux pauses, aux repas)? À des

activités sociales? À quelle fréquence?

7.5. Comment percevez-vous le comportement de vos collègues envers vous?

7.5.1. De vos superviseurs?

7.5.2. Avez-vous à travailler en équipe?

7.5.2.1. Comment cela se passe-t-il?

7.5.2.2. Avez-vous adopté des stratégies particulières?

7.6. Êtes-vous satisfaite de cet emploi?

7.6.1. Raison principale?

7.6.2. Comparaison avec emploi(s) dans le pays d’origine?

8. Difficultés rencontrées face à l’intégration – aide?

8.1. Professionnelle

8.2. Sociale

(exemples : discrimination, à prioris, barrière de la langue, valorisation des acquis)

Avez-vous eu recours à des mesures d’égalité en emploi? En avez-vous bénéficié?

Quelle en est votre perception ou opinion à ce sujet?

9. Caractéristiques du capital social

9.1. Comment décrieriez-vous votre vie sociale? (Dans quels contextes?)

9.2. Avez-vous des contacts (et si oui, à quelle fréquence):

9.2.1. avec des Québécois?

9.2.2. avec d’autres immigrants?

9.2.3. du même pays d’origine que vous?

9.2.4. de quels autres pays?

9.3. Êtes-vous généralement satisfaite de votre vie sociale? Pourquoi/pourquoi pas?

10. Intégration et stratégies

10.1 Comment se passe l’intégration de votre conjoint?

10.2 Avez-vous envisagé une stratégie future en vue d’une amélioration de votre situation

d’emploi?

10.3. Est-ce que les obstacles que vous avez rencontrés ont un impact sur votre perception

quant à votre capacité d’influencer votre intégration socioprofessionnelle?

10.4. Est-ce que les obstacles que vous avez vécus ont eu un impact sur leur manière de

percevoir leurs opportunités d’emploi à moyen ou à long terme?

10.5. Parlez-moi de votre vision de l’intégration socioprofessionnelle idéale.

Page 283: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

273

Annexe F : Diplômes québécois et situation actuelle des

participantes

Nom diplôme étranger le

plus élevé

diplôme(s) québécois Emploi en lien

avec le diplôme

québécois?

Situation actuelle

Aicha 1er cycle, économie ENAP, maitrise en

évaluation des

politiques

oui, temporaire recherche d'emploi

Basma doctorat, médecine

dentaire

Maitrise, sciences

dentaires

non emploi non qualifié

Chadia 2e cycle,

archéologie

PhD, archéologie (en

cours)

études en cours; emploi

Dalia 1er cycle, génie

informatique

AEC, informatique

(non terminé)

N/A gestionnaire de projet,

fonction publique

Esma doctorat, médecine

vétérinaire

Certificat,

biotechnologies;

maitrise, biologie

moléculaire;

massothérapie

oui, emploi

actuel

massothérapeute

Fadela doctorat, médecine

vétérinaire

ENAP, maitrise en

évaluation des

politiques

non recherche d'emploi

Ghalia 2e cycle, génie

environnemental

ENAP, maitrise en

évaluation des

politiques

oui, emploi

actuel

conseillère en

environnement, fonction

publique

Hakima 1er cycle, biologie AEC (débute bientôt) N/A études en cours

Imane 1er cycle, gestion,

informatique

certificat,

administration (en

cours)

N/A emploi dans son

domaine

Jadia 2e cycle, gestion et

technologies de

l'information

PhD, relations

industrielles

oui, emploi

actuel

chargée de cours;

professionnelle de

recherche (contrats)

Kamila 2e cycle, génie PhD, génie (en cours) N/A études en cours;

interprète

Leila 2e cycle, soins

infirmiers

équivalences, soins

infirmiers

Oui infirmière

Mounia 3e cycle, droit 2e cycle, sciences

politiques

Non organisme

communautaire

(contrats)

Nadra 1er cycle, économie

et gestion

formations en emploi N/A (emploi

correspond aux

qualifications

initiales)

adjointe administrative

(gestion des ressources

humaines, santé et

sécurité au travail, etc.)

Oumaima 1er cycle,

enseignement

1er cycle, science des

aliments (en cours)

N/A assistante de recherche

Page 284: Le rôle des réseaux sociaux et de la discrimination dans …€¦ · des réseaux sociaux et de la discrimination dans les parcours professionnels et migratoires des immigrantes

274

Annexe G : Formation et situation professionnelle actuelle des participantes