le quotidien national le monde de 1990 à 2010 en exemple
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IEP de Toulouse
5ème
année
Les images françaises du projet d’intégration européenne :
le quotidien national Le Monde de 1990 à 2010 en exemple
Mémoire de recherche présenté par Estelle Huchet
Mémoire préparé sous la direction de M. Jean-Michel Eymeri-Douzans, professeur des
Universités en science politique à l’Institut d’études politiques de Toulouse
Année universitaire 2013 / 2014
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AVANT-PROPOS
Ce mémoire de science politique clôt cinq années d'études à l'Institut d'études politiques
(IEP) de Toulouse. Il parachève cinq années d'apprentissage en sciences humaines et fait
écho à une curiosité forte pour le processus unique d'intégration européenne. Je suis ravie
d'avoir saisi cette occasion de découvrir un peu plus cet objet politique si singulier.
Ce projet de recherche a germé au début de ma quatrième année à l'IEP lors d'un séminaire
intitulé "Les processus centraux de gouvernement de la France contemporaine", animé par
Jean-Michel Eymeri-Douzans. En introduction de ce cours, nous avions étudié la notion de
récit. C'est en discutant l'image de la technocratie française au sein du grand récit
énonciateur de la démocratie moderne que me vient l'idée d'étudier le récit de la
technocratie européenne. A force de lectures et de discussions avec mes professeurs, le
sujet s'est progressivement élargi aux récits de l'intégration européenne. C'est grâce aux
échanges avec Céline Belot, attirant mon attention sur l'importance des différences
nationales que je concentre ma problématique sur l'étude des récits français.
Maintenant ce travail achevé, les frustrations sont multiples. Les contraintes de temps et de
ressources - en termes d'articles disponibles dans les bases de données de type Factiva et
Europresse notamment - laissent de nombreux pans de cette recherche encore inexplorés.
Comme tout travail de recherche, ce mémoire n'explore qu'une infime portion des
questions plus larges qu'il soulève, sans doute parfois trop superficiellement. Malgré ces
maladresses, mes frustrations ne font que révéler une appétence à développer les
compétences de recherche nouvellement acquises, grâce à ce travail.
Ce mémoire de recherche n'aurait pas été celui-ci sans l'accompagnement attentif de
plusieurs de mes professeurs : Jean-Michel Eymeri-Douzans (LaSSP), Gildas Tanguy
(LaSSP), Céline Belot (Pacte). L'accueil du Laboratoire des sciences sociales du politique
en juin 2013 m'a également offert de rencontrer des interlocuteurs précieux pour discuter
de mon mémoire. Je remercie son directeur, Julien Weisbein. L'aide rigoureuse de Nicolas
Huchet dans la collecte des données quantitatives tout comme les relectures appliquées et
l'intérêt pour mon travail de Léa et Jean-Pierre Huchet m'ont été d'un grand soutien.
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Avertissement : L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation
dans les mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à
leur auteur(e).
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« "Rien n'est possible sans les hommes, rien n'est durable sans les
institutions", écrit Jean Monnet dans ses Mémoires. »
Arnaud LEPARMENTIER, « ANALYSE. Le refus de la souveraineté partagée »,
Le Monde, mercredi 1 juin 2005, page 1.
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SOMMAIRE
Avant-propos ........................................................................................................................ 2
Sommaire .............................................................................................................................. 5
Liste des illustrations ......................................................................................................... 6
Chapitre 1 - Introduction ................................................................................................... 7
Partie 1 – Les perceptions comme prisme d’étude du processus d’intégration
européenne ......................................................................................................................... 15
Chapitre 2 – Un état de l’art : l’originalité d’étudier l’Union européenne
par ses récits..................................................................................................................... 16
Chapitre 3 - L'importance du facteur national dans l'étude des rapports à
l'Union européenne .......................................................................................................... 22
Partie II – Le traitement de l’actualité européenne en France ..................................... 32
Chapitre 4 – L’intensité variable de l’« Europe » dans l’actualité
française : le quotidien national Le Monde en exemple .................................................. 33
Chapitre 5 - Les images françaises de l'Union européenne : ce que les
journaux disent des perceptions nationales ..................................................................... 49
Partie III - Prégnance des cultures nationales : le récit de l'Union
européenne, miroir d'une certaine image de la France .................................................. 81
Chapitre 6 - La construction d'un récit dominant : l'Union européenne
comme opportunité pour la France de recouvrer une place sur la scène
internationale ................................................................................................................... 82
Chapitre 7 - L'identité nationale, un contexte culturel pour expliquer le
positionnement français à l'égard de l'Union européenne. ............................................ 112
Chapitre 8 - Conclusions ............................................................................................... 121
Sources .............................................................................................................................. 124
Bibliographie .................................................................................................................... 125
Liste des annexes .............................................................................................................. 127
Annexes ............................................................................................................................. 128
Table des matières ........................................................................................................... 134
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Liste des illustrations
Figure 1 - Moyennes mensuelles entre 1990 et 2010 .......................................................... 35
Figure 2 - Variation annuelle entre 1990 et 2010 ................................................................ 37
Figure 3 - Variation mensuelle entre 1990 et 2010 ............................................................. 38
Figure 4 - Variation annuelle en 1992 ................................................................................. 39
Figure 5 - Variation annuelle en 1999 ................................................................................. 41
Figure 6 - Variation annuelle en 2005 ................................................................................. 43
Figure 7 - Variation en septembre 1992 .............................................................................. 45
Figure 8 - Variation en mars 1999 ....................................................................................... 46
Figure 9 - Variation en mai 2005......................................................................................... 47
Figure 10 - Variation en juin 2005 ...................................................................................... 47
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Chapitre 1 - Introduction
« Selon les partenaires de la France, celle-ci vient de s'apercevoir qu'elle a cessé
d'être, avec l'Allemagne, le moteur de l'Europe et qu'elle ne pèse plus autant que
par le passé. Ils n'ont pas tort. Ce que les Français ont découvert et qu'ils viennent
de sanctionner, c'est que l'Europe ne ressemble pas à celle qu'on leur avait
promise. On leur avait parlé d'une Europe à la française, bâtie sur le modèle dont
ils sont si fiers, et appelée à porter la parole de la France dans le concert
international. L'Europe puissance devait être le prolongement de la diplomatie de
l’Élysée et du Quai d'Orsay, de la défense des services publics à celle de
l'exception culturelle, la France était censée imposer sa loi à l'Union. Les Français
ont compris qu'elle n'en a plus le pouvoir »1.
Le Monde, mardi 31 mai 2005. A propos du traité établissant une Constitution pour l'Europe.
« Désenchantement ». C'est le titre qu'a choisi Thomas Ferenczi pour l'article dont
est issu l'extrait ci-dessus. Le désenchantement, cette perte d'une illusion2, soupçonne que
la découverte de la réalité ne corresponde pas à l'image « charmante » et « mystérieuse »3
que l'on en avait. A en croire l'auteur, l'Europe ne ressemblerait pas à l'image que les
Français s'en faisaient jusqu'alors. Ces images, c'est justement ce qui est au cœur de ce
mémoire de fin d'études. La recherche que nous menons ici étudie la mise en récit des
perceptions françaises de l'Union européenne. Par l'analyse de contenus de la presse écrite,
nous tâcherons de décrire les imaginaires qui entourent l'Union européenne au cours des
deux dernières décennies, de 1990 à 2010. Ainsi, notre travail s'attachera à dresser le
paysage cognitif français qui entoure le processus d'intégration européenne en comparant
les différents récits ayant trait à l'Union européenne.
1 Thomas FERENCZI, « HORIZONS - ANALYSE. Désenchantement », Le Monde, mardi 31 mai 2005, p.
1. 2 Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL), Définition de désenchantement, consultée
le 24 août 2014. URL : http://www.cnrtl.fr/lexicographie/d%C3%A9senchantement 3 Centre national de ressources textuelles et lexicales (CNRTL), ibid.
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Les récits précédant le désenchantement sont en fait les composants d'un système
idéologique plus large qui propose de raconter la vie d'une société d’une certaine manière,
de faire l’étiologie de cette société. Tous ces grands récits sont une vision du monde et
proposent une stratégie opérationnelle à mettre en place pour améliorer la situation
constatée en début de récit. Ainsi, il existe en France - mais pas seulement - plusieurs récits
en coexistence portant sur des sujets divers : le récit de l'ingouvernable France, de
l'irresponsabilité politique, du développement durable, etc. Ils ne sont en tant que tels ni
vrai, ni faux, ou plutôt mi-vrai, mi-faux, en ce qu'ils sont un savant mélange de savoirs et
de croyances. Il en est de même de tous les savoirs du sens commun. Ceux-ci révèlent une
impression de connaissance à une période donnée.
Concernant les récits sur l'Union européenne, aucun ne semble se dégager de manière
évidente. Pour Céline Belot et Bruno Cautrès, l’Europe du point de vue des citoyens est
une « bien aimée mal connue »4. Pourtant, depuis les années 1990, l'Europe a mobilisé : les
élections pour le Parlement européen se font au suffrage universel depuis 1979, deux
référendums sur les traités européens ont lieu en France. Avec la crise de la Commission
Santer, l'institution gardienne des traités cherche également à se rapprocher des citoyens en
développant la communication relative à ses activités - d'où les bureaux de représentation
de la Commission dans les États membres. D'après les travaux de science politique menés
sur la question, la décennie 90 serait, en fait, un tournant dans le rapport des citoyens au
projet d'intégration européenne.
Depuis les années 1960, on constate une évolution des perceptions dans l’opinion
publique. D’un acquiescement de façade, on passe à une défiance de plus en plus grande.
Jusque dans les années 1990, la construction européenne bénéficiait de la part des habitants
de l’Europe d’un « consensus permissif »5 : « sur le principe, l’intégration européenne jouit
d’un fort soutien populaire mais (...) les opinions publiques s’en remettent aux
gouvernements quant aux détails de ce processus »6. Dans le milieu des années 1980
4 Céline BELOT, Bruno CAUTRÈS, La vie démocratique de l’Union européenne, Paris : La
documentation française, 2006. 5 Leon LINDBERG, Stuart A. SCHEINGOLD, Europe's Would-Be Polity: Patterns of Change in the
European Community, Englewood Cliffs, Prentice-Hall, 1970. 6 Frédéric MÉRAND, Julien WEISBEIN, Introduction à l’Union européenne. Institutions, politique et
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s’opère un tournant vers un moindre soutien pour l’Union européenne. Hooghe et Marks
parlent d’un « dissensus contraignant (...) qui empêche[rait] désormais les États de
poursuivre les transferts de souveraineté »7.
Depuis les années 1990 donc, l'Europe est devenue un nouveau sujet du débat public.
Elle n'est plus simplement l'affaire de quelques pères de l'Europe. Avec le traité de
Maastricht, le projet d'intégration européenne devient également le projet de ses citoyens :
le rôle du Parlement européen est accru notamment par la création d'une procédure de
codécision entre l'Assemblée et le Conseil des ministres européens. La consultation des
Français par référendum justifie d'autant plus que les médias se fassent le relais de ce
projet communautaire. Ils seront notre support d'étude.
« Plus rien ne sera comme avant dans le fonctionnement de la Communauté,
soulignant dimanche soir l'un des principaux collaborateurs du président de la
République. De gré ou de force, l'Europe devra devenir plus proche des gens et
plus démocratique. C'est cela le principal acquis de la ratification des accords de
Maastricht »8.
Le Monde, mardi 22 septembre 1992. A propos de la ratification du traité de Maastricht.
Si les études sur le journalisme européen sont nombreuses (voir Baisnée et Bastin
notamment), les récits qui entourent l'Union européenne restent peu travaillés ; du côté de
l'Union européenne, la science politique s'est principalement attachée à étudier son système
politique (Quermonne), ses institutions (Georgakakis) et ses groupes d'experts (Robert).
Daniel Gaxie étudie, lui, les perceptions des citoyens européens mais l'analyse du contexte
dans lequel ces acteurs évoluent semble demander quelques approfondissements. D'où une
étude des récits de l'Union européenne à partir des supports journalistiques.
société, Bruxelles, De Boeck, 2011, p. 226.
7 Liesbet HOOGHE, Gary MARKS, « A Postfunctionalist Theory of European Integration: From
Permissive Consensus to Constraining Dissensus », British Journal of Political Science, 2008 in Frédéric
MÉRAND, Julien WEISBEIN, ibid. 8 Alain ROLLAT, « LE 20 SEPTEMBRE 1992 SUR LE TRAITE DE MAASTRICHT. LES RÉSULTATS
DU RÉFÉRENDUM SUR L'UNION EUROPÉENNE Les réactions après le "oui" M. Mitterrand
souhaite une démocratisation des institutions européennes », Le Monde, mardi 22 septembre 1992, p. 47.
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La recherche menée ici s'inscrit dans le prolongement des études de Claudio
Radaelli9 sur les récits de politiques publiques et de Juan Diez Medrano, dont l'ouvrage
Framing Europe: Attitudes to European Integration in Germany, Spain, and the United
Kingdom10
constitue une étude fouillée des cadrages cognitifs nationaux sur le projet
d'intégration européenne11
. Le recours à ces deux auteurs nous paraît pertinent pour
plusieurs raisons. Tout d'abord, les concepts qu'ils utilisent sont aisément exportables vers
d'autres contextes historiques, sociologiques et politiques. Nous pourrons par exemple,
grâce à l'analyse méthodique de séquences de récit, comparer différents événements de
l'intégration européenne, à différentes périodes et dans des contextes politiques différents.
Notre postulat de départ envisage les récits comme des récits non-univoques,
complexes et en concurrence. En concurrence tout d’abord, parce que plusieurs récits se
trouvent en coexistence, chacun étant potentiellement porté par différents acteurs.
Complexes, car les chaînages séquentiels font appel à des suites logiques portées par des
arguments rationnels, parfois même techniques comme dans le cas du récit des dangers de
la compétition fiscale étudié par Claudio Radaelli. Non-univoque enfin, car si le
séquençage ultérieur peut faire croire à une simplicité structurelle – car logique – ces récits
sont avant tout des enjeux de pouvoir. A ce titre, l’évolution des récits peut s'avérer moins
linéaire que leurs reconstructions ultérieures.
Nous tâcherons de définir chaque étape séquentielle des récits en concurrence à la
manière de Claudio Radaelli. La reconstitution de la trame programmatique de ces récits ne
devra pas nous empêcher de prêter une attention particulière aux non-dits et aux éléments
éludés des démonstrations. Sur cette base, nous nous emploierons à décrire et analyser le
9 Claudio RADAELLI, « Logiques de pouvoir et récits dans les politiques publiques de l’Union
européenne », Revue Française de Science Politique, vol. 50, n° 2, 2000, p. 255-276. 10
Juan Diez MEDRANO, Framing Europe. Attitudes to European integration in Germany, Spain and the
United Kingdom, Princeton & Oxford: Princeton University Press, 2003. 11
Avant d'aller plus loin, il nous semble important de préciser l'usage des termes au cœur de notre travail.
Nous nous appuyons, certes, sur plusieurs concepts voisins (celui de récit, par Claudio Radaelli, et celui
de frame - de cadrage cognitif -, par Juan Diez Medrano). Toutefois, leur usage pratique se détache
partiellement du contexte dans lequel il avait été travaillé par leur auteur, en tout cas dans le cas du
concept de récit. Claudio Radaelli l'utilise en effet dans le cadre de récit "de politiques publiques" alors
que nous l'appliquerons, plus largement à la perception, au cadrage cognitif pour reprendre les termes de
Juan Diez Medrano, de l'objet politique et institutionnel qu'est le projet d'intégration européenne.
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processus d'« institutionnalisation des idées »12
comme conséquence des récits. Pour le dire
autrement, nous tâcherons d'expliquer comment, parmi ces différents récits, l'un d'entre eux
s'impose comme la vision dominante, justifiant une interprétation de la situation et, par
conséquent, une certaine manière d'agir. Une fois le paysage cognitif français dressé, nous
pourrons envisager de le comparer avec aux situations de l'Allemagne, du Royaume-Uni et
de l'Espagne, décrites par Juan Diez Medrano.
L'objectif de cette recherche sera donc de déterminer les perceptions françaises
du projet d'intégration européenne, de les expliquer en puisant dans le contexte
identitaire national, et d'évaluer leurs impacts sur les positionnements pour ou contre
le projet communautaire.
L'hypothèse que nous formulons ici à l'égard du récit dominant sur l'Union
européenne est celle d'une intégration communautaire comme opportunité pour la France
de recouvrer sa place sur la scène internationale dans un contexte international changeant
dans la deuxième moitié du XXème siècle : au sortir de la Seconde guerre mondiale, la
France est affaiblie. Son rayonnement international est mis à mal par les différents
processus de décolonisation et le nouvel ordre mondial laisse peu de place aux Nations du
Vieux Continent. Cette hypothèse se base notamment sur les travaux déjà menés par
Fabien Terpan sur l'européanisation de la politique de défense de la France13
. Celui-ci
démontre comment la France « souffre à la fois d'un excès et d'un manque de puissance » :
trop faible pour imposer ses vues aux États membres, elle est également trop forte pour ne
pas susciter chez ses partenaires européens méfiances et oppositions. La Guerre froide
prenant fin, la France admet ne plus pouvoir agir seule sur la scène internationale et
s'investit alors dans le développement de la Politique européenne de sécurité et de défense.
Dans son ouvrage Framing Europe: Attitudes to European Integration in Germany,
Spain, and the United Kingdom, Juan Díez Medrano analyse les attitudes des européens à
l'égard de l'Europe dans trois États membres. La France ne faisant pas partie de son panel,
12
Claudio RADAELLI, « Logiques de pouvoir et récits dans les politiques publiques de l’Union
européenne », op.cit. 13
Fabien TERPAN, « L'européanisation de la politique de défense de la France », dans Henri
OBERDORFF (dir), L’européanisation des politiques publiques, Grenoble : Presses universitaires de
Grenoble, 2008.
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une analyse empirique des récits français à l'égard de l'Union européenne permet de faire
avancer la collecte de données en la matière, pour d'éventuelles comparaisons inter-
nationales futures. Notre analyse se borne donc à l'étude des récits français de l'Union
européenne. L'analyse du processus d'intégration européenne à l'échelon national ne
semble pas problématique dans la mesure où la nationalité est un des premiers facteurs
faisant varier les opinions des individus dans les sondages européens14
. En effet, le cadrage
cognitif nécessite de mobiliser des références culturelles communes pour sensibiliser les
récepteurs du récit à la cause défendue.
L'étude de ces récits se focalisera dans le temps sur la période des décennies 1990 et
2000, le tournant vers un dissensus contraignant constituant le moment de rupture bornant
le début de notre étude. La période étudiée étant trop courte pour observer des
changements de matrices cognitives, nous faisons l'hypothèse d'une relative stabilisation du
récit dominant sur la période. Les recherches de Juan Diez Medrano sur les cadrages
cognitifs de l'Union européenne en Allemagne, en Espagne et au Royaume-Uni ont
d'ailleurs permis de démontrer une forte inertie des cadrages sur la période 1946 - 1997
dans les trois États considérés.
Pour tenter de répondre à l'hypothèse évoquée précédemment, nous travaillerons sur
un corpus de textes constitué des articles de quotidien national Le Monde au cours de notre
période d'étude (1990-2010). Sur cette base, nous mènerons une étude quantitative
recensant le nombre d’articles abordant des problématiques européennes. Cette analyse des
variations des mentions de l'Europe dans le journal français devrait nous permettre de
déceler, le cas échéant, des pics d'actualité européenne. Nous supposons trois périodes de
recrudescence de l'actualité européenne : le référendum sur le traité de Maastricht du 20
septembre 1992, la démission de la commission Santer du 15 Mars 1999 et le référendum
sur le traité constitutionnel du 29 mai 2005. Puisque Olivier Baisnée souligne la rareté du
sensationnel de l’actualité européenne et que les travaux d’Erik Neveu démontrent bien
comment les journalistes font recette des discours de « crise », nous étudierons un corpus
d'articles de presse choisis au période d'actualité européenne soutenue, sur la base des
14
Pierre BRÉCHON, Frédéric GONTHIER (dir), Atlas des Européens. Valeurs communes et différences
nationales, Armand Colin, 2013.
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résultats de notre étude quantitative. En constituant l'actualité brûlante, ces événements
offrent l'opportunité de porter une vision de l’enjeu communautaire sensée convaincre les
lecteurs de leur image du projet d'intégration européen. La sélection de ces articles se fera
via le logiciel Europresse. Ces articles feront ensuite l’objet d’une analyse qualitative afin
de relever les différents récits en présence et leur composition.
La grande diffusion du journal Le Monde a été un des arguments premiers justifiant
la sélection du journal comme matériel empirique. En effet, un des principaux quotidiens
en France et premier quotidien français diffusé à l'étranger, le journal Le Monde est, à côté
de ses homologues de la presse nationale Libération et Le Figaro, considéré comme le
journal français le plus « grand public » en ce qu’il offre un discours moins marqué
politiquement - ce qu’il n’est pas pour autant synonyme d’une parfaite objectivité. En
sélectionnant Le Monde comme terrain de cette étude, nous espérons bénéficier d’articles
faisant intervenir une grande diversité d’acteurs, dans leur profil sociologique, leurs
positions professionnelles, leurs réseaux sociaux et donc leur sphère d’influence et de
pouvoir, dont on sait qu’ils sont les enjeux principaux des récits.
L'utilisation de ces sources présente évidemment certaines limites. Le choix
d'analyser qualitativement uniquement des articles à des périodes de pics d'actualité peut
constituer un biais. Nous avons néanmoins fait le choix d'un corpus réduit pour permettre
une analyse approfondie de celui-ci, les ressources en temps pour ce travail de recherche
étant limitées. Nous sommes également conscients des limites qu'implique l'utilisation
d'une unique source journalistique. Il sera ainsi plus compliquer de distinguer ce qui tient
du journal sélectionné de ce qui se retrouverait dans l'ensemble des médias français. Nous
espérons toutefois limiter ce biais en sélectionnant un journal grand public, par ailleurs
soumis à l'obligation de droit de réponse15
.
Nous répondrons à la question de recherche en trois temps. La première partie de
l'ouvrage s'attachera à faire un état des lieux de la littérature : un premier chapitre
expliquera l'originalité d'étudier l'Union européenne par ses récits (chapitre 2) tandis qu’un
15
Article 13 de la loi du 29 juillet 1881sur la liberté de la presse.
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deuxième présentera les concepts, issus des travaux de Juan Diez Medrano, que nous
utiliserons pour mener notre recherche (chapitre 3). L'actualité européenne en France fera
l'objet de notre seconde partie, celle-ci se déclinant en deux temps : un premier chapitre
dédié à l'analyse quantitative et les variations d'intensité de l'actualité européenne entre
1990 et 2010 (chapitre 4) ; le deuxième chapitre présentera, quant à lui, les différentes
images extraites de notre analyse qualitative (chapitre 5). La description du paysage
cognitif français à l'égard de l'Union européenne permettra de développer une troisième et
dernière partie sur le récit français dominant de l'intégration européenne. Un premier
chapitre développera la perception française de l'Union européenne comme opportunité
pour la France de recouvrer une place sur la scène internationale (chapitre 6) alors qu'un
second évoquera le contexte culturel pour expliquer ce positionnement spécifique à la
France à l'égard de l'Union européenne (chapitre 7).
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PARTIE 1 – LES PERCEPTIONS COMME
PRISME D’ETUDE DU PROCESSUS
D’INTEGRATION EUROPEENNE
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Chapitre 2 – Un état de l’art : l’originalité d’étudier
l’Union européenne par ses récits
A en croire Stefano Bartolini, il semblerait que le processus d'intégration européenne
n'intéresse guère. Selon lui, le manque de politisation du débat sur l'intégration à l'échelle
nationale est criant. Les partis politiques nationaux peinent à se positionner clairement les
uns par rapport aux autres sur la question de l'intégration, ne permettant pas aux citoyens
de saisir les éléments de compréhensions des effets de l'Union européenne sur leur
quotidien individuel : « De quels acteurs (partis, groupes corporatistes, bureaucratie
européenne, etc.) la population reçoit des éléments d’information et se forge une opinion à
propos des effets, sur leur propre situation, de l’intégration européenne, reste une question
fondamentale mais sans réponse »16
. Pour tenter de répondre - ne serait-ce que très
partiellement - à cette question, nous nous appuierons sur plusieurs concepts de la science
politique. Ceux-ci n'ont pas obligatoirement été pensés pour l'étude des récits français
racontant l'Union européenne. Certains n'ont pas même été utilisés dans le cadre de
recherches relative au processus d'intégration communautaire. Ainsi, ce chapitre s'attachera
à présenter l'environnement scientifique dans lequel s'insère ce mémoire ainsi que les
références conceptuelles et outils méthodologiques que nous serons amenés à utiliser.
Dresser le paysage scientifique sur lequel ce travail s'est basé sera nécessaire avant
d'approfondir à la question du rôle politique que joue la presse.
1. La science politique des idées ou l'approche cognitiviste
La réponse à la question que pose Stefano Bartolini, du moins, la structuration
d’éléments d’informations dans la sphère publique, a été l’objet de nombreuses recherches
et de nombreux concepts de l’approche cognitiviste. Parmi eux, la notion de récit a été
16
Stefano BARTOLINI, « La structure des clivages nationaux et la question de l'intégration dans l'Union
européenne », Politique européenne, n°4, 2001/3, p. 35.
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travaillée par plusieurs auteurs notamment par Déborah Stone17
dans les années 1990 et
Claudio Radaelli18
au début des années 2000. Le récit (policy narrative) constitue une
histoire causale des problèmes sur lesquels on souhaite agir. Les travaux de Déborah Stone
sur la compétition dans la nomination des problèmes publics montrent comment un travail
d’argumentaire permet de faire émerger un problème sur l’agenda public : « les acteurs
produisent des récits explicatifs sur la base d’une sélection des causes vues comme
pertinentes dans la genèse d’un problème précis »19
. Ces grands récits sont des cadres
cognitifs, des matrices de perceptions permettant à l’individu d’entendre le monde.
Différents récits en coexistence se concurrencent selon les conjonctures et suivant le profil
de ceux qui les énoncent. Ils présentent une vision du monde par un mélange de savoirs et
de croyances, d’éléments objectifs et subjectifs, permettant de rendre l’objet de récit
intelligible en même temps que ces récits limitent ledit objet à quelques caractéristiques
réductrices. Ainsi, le récit par l’usage d’une grammaire particulière permet de révéler un
système idéologique de la société à un moment donné.
1.1. Le récit, une construction performative
Pour Yves Surel, le processus d’intégration européenne a impacté les agents,
questionnant les identités, les dynamiques de légitimation et l’éventuelle formation d’une
nouvelle communauté politique en parallèle ou supplantant les États nations : « En tant que
processus, l’intégration européenne a un impact transformatif sur le système étatique
européen et ses unités constituantes. L’intégration européenne elle-même a changé au fil
du temps, et il est raisonnable de supposer que, dans ce processus, l’identité des agents, et,
par conséquent, leurs intérêts et leurs comportements ont également changé »20
. Dans la
formation de ce « nouvel espace commun », Yves Surel rappelle l’importance des matrices
cognitives, base des représentations que les acteurs ont d’eux-mêmes et de leur position
17
Deborah STONE, « Causal Stories and the Formation of Policy Agendas », Political Science Quarterly,
Vol. 104, N°2 (Summer, 1989), p. 281-300. 18
Claudio RADAELLI, « Logiques de pouvoir et récits dans les politiques publiques de l’Union
européenne », op. cit.. 19
Yves SUREL, « L’intégration européenne vue par l’approche cognitive et normative des politiques
publiques », Revue française de science politique, vol. 50, n°2, 2000, p. 243. 20
Yves SUREL, ibid., p. 238.
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dans le monde social. Ce sont ces mêmes croyances partagées qui structurent le
développement des politiques publiques. Dans le cadre de l’intégration européenne et du
transfert de compétences qu’elle implique, l’auteur voit apparaître de « nouveaux
mécanismes d’échanges et de nouvelles représentations attachées à des secteurs précis »21
.
Ce sont ces représentations que Claudio Radaelli étudie dans ses travaux sur le récit
de la contrainte extérieure : alors que l'Italie doit se positionner sur son éventuelle
participation à l'Union Économique et Monétaire (UEM), la situation fait l’objet d’un récit
séquencé constituant une histoire causale dont la chute - la dernière séquence - en forme de
happy end suggère les décisions à prendre face à la situation du moment. En cinq
séquences, Claudio Radaelli déroule du récit en parallèle de l'évolution des politiques
publiques de l'Union européenne. Par l'analyse du passé (séquence 1), le récit démontre
comment la stabilité politique et l'identité démocratique de l'Italie des années 1960 est
assimilée à des facteurs externes (appartenance à la CEE notamment). Dans son analyse du
présent (séquence 2), pendant que les discussions autour de l'UEM constituent une étape
fondamentale de l'intégration européenne, le système politique italien n'est plus en mesure
de produire un ajustement macroéconomique permettant son adaptation à la
mondialisation, révélant la fin d’un âge d’or italien. Le récit produit ensuite deux types de
scenarii : un scénario négatif (séquence 3) qui dresse l'image d'une Italie exclue de l'UEM,
assujettie à une crise économique et politique majeure et irrémédiable, un scénario positif
(séquence 4) dessinant une Italie respectueuse des critères de Maastricht et réussissant, de
fait, à retrouver sa splendeur d'antan. La conclusion du récit (séquence 5) résume la
situation au besoin pressant de l'Italie de faire partie de la première vague de pays
participants à l'Union Économique et Monétaire.
1.2. Le récit, un outil politique
Pour Claudio Radaelli, ces récits de politiques publiques débouchent sur des
propositions d'actions qui prennent la forme de modes opératoires notamment en suggérant
le recours à tel ou tel instrument. En cela, les récits ne flottent pas dans les airs, ils sont des
structurations cognitives qui agissent – ou plutôt, font agir – les acteurs des institutions
21
Yves SUREL, ibid., p. 245.
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concernées. Par l'interprétation qu’ils imposent, les récits encadrent les acteurs dans un
certain prisme de lecture. Ce prisme les contraint, en même temps qu’il leur donne la
capacité d’agir par des solutions énoncées comme objectives et logiques dans les
séquences narratives. Ces récits objectivés sont construits par des acteurs intéressés ayant
accès aux arènes publiques. En effet, Radaelli souligne bien le lien étroit entre récit et
pouvoir. Selon l’auteur, le récit aurait une double logique énonciatrice (production de sens)
et logique de pouvoir (production de rapports de forces entre les acteurs en concurrence
pour l'imposition de leur conception du problème). Muller et Surel résument très bien le
concept : « le processus de construction d’une matrice cognitive est par là même un
processus de pouvoir par lequel un acteur fait valoir et affirme ses intérêts propres. Une
relation circulaire existe en effet entre logiques de sens et logiques de pouvoir. La
production d'une matrice cognitive n'est donc pas un simple processus discursif mais une
dynamique intimement liée aux interactions et aux rapports de force qui se cristallisent peu
à peu dans un secteur et/ou un sous-système donné. Elle alimente tout la fois un processus
de prise de parole (production du sens) et un processus de prise de pouvoir (structuration
d'un camp de forces) »22
. Selon Radaelli, la notion de récit est par ailleurs particulière
pertinente à l'échelle européenne étant donné le système de gouvernance multiniveaux et la
place nodale jouée par les experts et comités scientifiques qui laissent à ces derniers la
capacité de jouer un rôle pivot dans la structuration des enjeux qui leur sont propres.
2. Le caractère politique de la presse dans la construction de
cadres cognitifs
Cette prise de parole publique est d’autant plus symbolique de ces rapports de force
qu’elle est l’objet de revendications d’une légitimité à intervenir dans le débat public. Si
l’on peut aisément penser à certains types d’acteurs disposant de cette légitimité – hommes
politiques, experts, représentants de la société civile – les évolutions de la sphère
médiatique et des rapports au politique montrent plus de nuances en la matière. En effet,
22
Pierre MULLER, Yves SUREL, L’analyse des politiques publiques, 1998, p. 51-52 in Claudio
RADAELLI, « Logiques de pouvoir et récits dans les politiques publiques de l’Union européenne »,
op.cit.
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depuis les années 1980, le discours des médias sur la crise de la représentation dans
l’espace public a entrepris de révéler un phénomène pourtant classique de décalage entre
les élus et les citoyens. Erik Neveu exprime très bien à ce sujet le présupposé qu’une telle
crise sous-entend à savoir celle d’une représentation politique ajustée aux attentes du corps
social23
. Les sondages ont, en cela, été un outil précieux pour les journalistes dénonçant ce
décalage. Pourtant, Erik Neveu souligne que la répétition et la mise en scène journalistique
peuvent contribuer à la réalisation de la prophétie : une manière de lire la crise de la
représentation revenant alors à constater l’obsolescence de la répartition traditionnelle des
rôles dans l’espace public. Les journalistes, jusque-là chargés de recueillir et de traiter
l’information, s’approprient de plus en plus un rôle politique par leur fonction de gate
keepers. Par leur capacité à donner voix au chapitre à tel ou tel acteur politique dans
l’espace médiatique, les journalistes lui accordent « un accès à la cour des grands »24
. Cette
prise de parole publique est d’autant plus symbolique qu’elle est l’objet de revendications
d’une légitimité à intervenir dans le débat public. Les pratiques de l'évaluation et la
capacité de généralisation des experts leur confèrent « la force de l'évidence »25
. Ainsi,
selon Bastien François et Erik Neveu, de nouvelles formes de participation se développent
sur le registre du « parler vrai » en opposition à la parole froide et distante du discours
d'expertise. Les affects et les émotions sont valorisés dans la hiérarchisation des « titres à
parler ». Les retours d'expériences individuelles ne remettent pas pour autant en cause la
parole d'experts, ils scindent l'espace public en deux catégories d'acteurs légitimes.
Ainsi, parmi ces réseaux d'acteurs intervenant dans l'espace journalistique, les images
invoquées et les discours peuvent fortement différer suivant si ces acteurs cherchent à se
positionner en faveur ou contre le processus d'intégration européenne. Par leur discours, ils
cherchent à alimenter des croyances relatives au projet d'intégration européenne. Selon
Radaelli, « les différentes approches proposées par Sabatier et Jenkins-Smith (1993) pour
analyse des systèmes de croyances sont aussi très utiles car les récits de politique publique
appartiennent aux croyances fondamentales (core beliefs) relatives une politique publique
23
Erik NEVEU, « La médiatisation du politique », L'Aquarium, CRAP Rennes, n°10, Automne 1992, p. 8. 24
Erik NEVEU, ibid, p. 20. 25
Bastien FRANÇOIS, Erik NEVEU, « Pour une sociologique politique des espaces publics
contemporains », Espaces publics mosaïques, Acteurs, arènes et rhétoriques, des débats publics
contemporains, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1999, p. 36.
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(policy-core beliefs dans les termes employés par Sabatier) »26
. Plusieurs facteurs sont
certainement à l'origine de ces récits : logiques journalistiques, profils sociologiques et
rôles sociaux des énonciateurs et des récepteurs / lecteurs, cadrage cognitif au moment de
l'énonciation, etc. Néanmoins, nous chercherons moins ici à expliquer ces récits français
sur l'Europe qu'à les identifier le plus clairement possible. Quelles sont les différentes
séquences du récit ? Quels en sont les auteurs ? Cette identification cherchera à démontrer
la construction sociale de discours sur l’Union européenne. Il nous sera ainsi possible de
contribuer aux travaux décrivant le rôle des médias dans la construction de
positionnements politiques, dans notre cas à l'égard de l'intégration européenne.
Il n'est plus à démontrer que les récits sur le processus d'intégration communautaire
sont peu thématisés à l'échelle nationale : le projet européen ne fait pas l'objet d'un vrai
débat. Comme nous le verrons dans le chapitre suivant, les travaux de Juan Diez Medrano
ont toutefois montré qu’il était possible de déceler des cadrages cognitifs nationaux relatifs
à l’Union européenne. Selon l’auteur, ceux-ci varient au gré des États, la culture nationale
étant le premier facteur expliquant les sentiments d’appartenance à l’Union européenne. En
utilisant des concepts ayant servis à l’étude des États-nations, Juan Diez Medrano explique
les différentes représentations de l’objet communautaire d’un État à l’autre et offre les
outils méthodologiques à même d’analyser les sentiments d’appartenance à l’Union
européenne.
26
Claudio RADAELLI, « Logiques de pouvoir et récits dans les politiques publiques de l’Union
européenne », op.cit., p. 259.
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Chapitre 3 - L'importance du facteur national dans
l'étude des rapports à l'Union européenne
Framing Europe : Attitudes to European integration in Germany, Spain and the
United Kingdom propose une réflexion sur les attitudes des citoyens et des élites locales à
l'égard de l'intégration européenne. Constatant les différentes préférences nationales à
l'égard de l'Union européenne telles qu’elles sont mesurées depuis les premiers
Eurobaromètres au début des années 1970, Juan Diez Medrano suggère d'explorer les
cadres cognitifs nationaux, comme principal facteur d'explication des divergences
internationales : « une compréhension correcte de la variation entre les nations dans le
soutien à l'intégration européenne requiert de prendre en compte comment les gens
conçoivent le processus et les institutions concernées » (p. 5). Certaines représentations de
l'Union européenne (UE) dépassent les frontières pour rassembler l'ensemble des citoyens
européens autour d’une même interprétation. Ainsi, la plupart des européens considèrent
l'UE comme un grand marché commun. D'autres représentations, plus controversées, sont
modulés par des histoires et des cultures nationales, faisant varier les cadrages cognitifs
d'une région et/ou d'un groupe social à l'autre. Ainsi, les agriculteurs interpréteront
principalement l'UE au travers du prisme de la Politique agricole commune (PAC). De
même, les positionnements politiques ont un impact sur les représentations. Les
Eurobaromètres révèlent ainsi que les individus se déclarant "de gauche" affichent une
interprétation de l'UE comme un monopole des capitalistes pour mieux exploiter le facteur
travail. Les individus de tendance conservatrice souligneront, quant à eux, les avantages du
marché unique. La distinction à laquelle s'attache particulièrement Medrano reste celle des
différentes représentations de l'Union européenne selon l’État nation considéré. D'où le
sous-titre Attitudes to European integration in Germany, Spain and the United Kingdom,
les attitudes à l'égard de l'Union européenne dans trois pays ouest-européens. Nous
présenterons sa thèse dans un premier temps, avant de développer les principaux points de
son développement, à savoir l'importance de la culture nationale, la concurrence d'un projet
supranational existant et la relative inertie des cadrages cognitifs.
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1. Les sentiments d'appartenance à l'Union européenne expliqués
par les cultures nationales
Cette question du cadrage cognitif national est intéressante à plus d'un titre. Tout
d'abord, parce que les individus interprètent l'objet d'Union européenne selon le bagage
culturel et cognitif dont ils disposent. Ce bagage, aussi appelé répertoire, varie selon des
variables sociodémographiques, politiques et culturelles. L'impact de la mémoire
collective, des perceptions que les citoyens d'un même État ont d'eux-mêmes ont ainsi joué
dans les variations des interprétations nationales de l'Union européenne. Le travail de
Medrano sur les attitudes à l'égard de l'Union européenne s'est donc apparenté à une
analyse approfondie des identités nationales. Pour répondre à l'ambition affichée de
comprendre les différents positionnements nationaux à l'égard de l'UE, la recherche
s'organise autour de trois sous-questionnements : comment les trois pays concernés
réussissent à résoudre leur « dilemme identitaire », entre une identité nationale hérité de la
constitution des États-nations et la nouvelle identité collective inhérente à la construction
d'un nouvel ensemble politique qu'est l'Union européenne ? Ce dilemme a suscité des
réflexions pour tenter de concilier ces deux niveaux identitaires, impliquant des
changements dans les cadres cognitifs nationaux (mémoire collective, mythes nationaux,
perceptions de soi et d'autrui...). Pour espérer déceler ces changements, Medrano suivra ce
deuxième sous-questionnement : quelle a été l’impact de la solution éventuellement
adoptée ? Enfin, ces changements dans les cadres cognitifs nationaux ont potentiellement
eu des impacts sur les perceptions nationales de l'Union européenne et donc du projet
politique du pays considéré pour l'UE. D'où un dernier sous-questionnement : quel impact
a eu cette solution sur les sentiments d'appartenance à l'Union européenne ?
Suivant ces questions-guide, l'ouvrage de Medrano offre une analyse étoffée dans un
champ d'études particulièrement peu travaillé à l'époque. Si les appartenances nationales
ont été très largement fouillées par la littérature scientifique depuis l'émergence des États-
nations, l'Union européenne a, quant à elle, principalement attiré des études relatives à
l'organisation administrative et politique de l'UE, l'originalité des institutions
communautaires ayant longtemps concentré la plupart des travaux scientifiques. Depuis le
milieu des années 1990 toutefois, et suite aux résultats des référendums sur le traité de
Maastricht, des premiers travaux se développent sur les attitudes des citoyens à l'égard de
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l'intégration européenne. Travaillé à la fin des années 1990, l'ouvrage de Medrano apporte
à ces premiers travaux une approche nouvelle, plus qualitative, par son analyse d'entretiens
approfondis et d'analyse de presse. Celui-ci s'inscrit d'ailleurs plutôt dans le prolongement
des études sur les cadrages cognitifs, les « frames », déjà travaillé par des auteurs tels que
Snow and Benford27
dans les années 1990. Ceux-ci ont notamment démontré l'alignement
des cadrages cognitifs avec les systèmes de croyances, la capacité d'un mouvement à
mobiliser des soutiens dépendant de la cohérence de leur discours avec des croyances
existantes, des mythes et des histoires populaires. Gamson28
souligne également comment
les répétitions d'un même cadrage augmente l’attrait de celui-ci en le faisant paraître
naturel et familier. C'est dans ce contexte scientifique que Medrano démontre que les
cadrages cognitifs à l'égard de l'Union européenne se basent sur des préoccupations
culturelles nationales distinctes en Allemagne, en Espagne et au Royaume-Uni. La plus-
value majeure de cette recherche est donc d'exporter des concepts cantonnés à l'étude des
cultures nationales pour interpréter les positionnements à l'égard de l'UE dans les États
membres.
Pour ce faire, 160 entretiens approfondis ont été réalisés avec des citoyens européens
et des élites locales dans 6 villes européennes différentes entre 1996 et 1997 : deux en
Espagne, deux au Royaume-Uni (en Angleterre et en Écosse) et deux en Allemagne (en ex-
Allemagne de l'Ouest et en ex-Allemagne de l'Est). L'exploitation d'éditoriaux et articles
d'opinion de la presse écrite locale ont également été analysés : la production de deux
journaux par pays étudié a été analysée entre 1946 et 1997. Ce support empirique a ainsi
permis d'estimer ce que les journalistes et les membres les plus éduqués de l'élite nationale
pensaient du processus d'intégration européenne, et de juger de l'évolution de ces rapports
à l'Union européenne. Tous les journaux ont été sélectionnés pour leur lectorat important et
leur échelle nationale de diffusion. Enfin, en vue de qualifier la nature sociopolitique des
cadrages cognitifs, un troisième type de sources a été utilisé : des romans primés, des livres
scolaires d'histoire utilisés dans l'enseignement secondaire et les vœux de Noël ou du
nouvel an de chef d’État ou de gouvernement.
27
David A. SNOW, Robert D. BENFORD, « Master Frames and Cycles of Protest » in Aldon D. Morris
and Carol McClurg Mueller (eds), Frontiers of Social Movement Theory, 1992. New Haven: Yale
University Press. 28
William GAMSON, « Social Psychology of Collective Action » in Aldon D. Morris and Carol McClurg
Mueller (eds), Frontiers of Social Movement Theory, 1992. New Haven: Yale University Press.
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En laissant parler les identités nationales au travers de différents supports empiriques,
Juan Diez Medrano démontre comment sont liés les arguments justifiant un
positionnement à l'égard de l'UE et des préoccupations culturelles centrales. La première
partie de l'ouvrage reprend les résultats de chacun des supports empiriques pour en tirer des
conclusions sur les visions des citoyens et des élites locales sur le processus d'intégration
européenne. Les deux premiers chapitres offrent une perspective comparée des cadrages de
l'Union européenne dans les trois États européens étudiés, le chapitre 3 s'attachant plus
particulièrement aux représentations sociales influençant les attitudes à l'égard de l'UE
relevée dans les entretiens semi-directifs. Les journaux font, quant à eux, l'objet du chapitre
4 qui révèle une forte proximité entre les cadrages utilisés par les journalistes et ceux des
interviewés (citoyens et élites locales). Ces comparaisons permettent de qualifier les
différentes perceptions nationales à l'égard de l'UE. Sur cette base, la deuxième partie de
l'ouvrage se focalise sur l'analyse des corrélations entre cadrage cognitif et facteurs
historico-culturels. Les chapitres 5, 6, 7 et 8 sont consacrés à chacun des États, les
chapitres 6 et 7 étant respectivement dédiés à l'Allemagne de l'Ouest et l'Allemagne de
l'Est. Les deux derniers chapitres sonnent comme une conclusion, le neuvième confrontant
les résultats de la recherche avec les analyses statistiques des Eurobaromètres quand le
dixième ouvre sur des perspectives de développement pour l'Union européenne.
2. Différents projets d'intégration européenne et différents
argumentaires : le rôle de la mémoire collective et de la
perception de soi
Que les perceptions de l'Union européenne diffèrent d'un État à l'autre était chose
connue à travers l’analyse des Eurobaromètres. Les recherches menées sur les journaux
nationaux permettent de préciser que ces différences sont à l’œuvre depuis le début du
processus d'intégration européenne. Cette différence de perceptions n'est pour autant pas le
seul fait des journalistes et élites locales s'exprimant dans les éditoriaux. Les entretiens
révèlent que les citoyens ordinaires, s'ils se fondent dans une position nationale globale,
invoquent des justifications de leur positionnement parfois complètement extérieures aux
argumentaires développés dans les colonnes des journaux. Le « dissensus contraignant » de
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Hooghe et Marks29
qu'ils situent dans les années 1990 semble trouver dans ces résultats un
nouvel écho : jusqu'alors, les rapports à l'Union européenne étaient façonnés par les élites
dans un phénomène de « consensus permissif », caractérisé par une confiance forte des
citoyens délégants la charge des décisions relatives au processus d'intégration à leurs
représentants. Le tournant vers un « dissensus contraignant » traduit la fin de la passivité
des citoyens qui modulent les argumentaires des leaders d'opinion pour adapter les
perceptions nationales de l'UE à leur propre prisme de lecture des enjeux communautaires.
Medrano parle à ce titre d' « influence réciproque » (p.256) reprenant l'image de
Frankenstein pour illustrer le phénomène. Les élites initieraient les attitudes à l'égard de
l'Union européenne en développant un argumentaire justifiant leurs positions. Seulement,
ceux-ci deviendraient, comme le monstre de Mary Shelley, rapidement hors du contrôle de
leurs auteurs. Il reste que les cultures nationales jouent un rôle fort dans le dessin de ces
positionnements, d'où une relative unité entre élites et citoyens ordinaires, les élites étant
elles-mêmes des citoyens baignés de la même culture nationale que le reste de la
population.
C'est ce qui explique que les élites locales britanniques, de manière générale, se
déclarent moins favorables à un projet d'intégration centralisée que ne le font les
interviewés allemands ou espagnols - alors même que les élites locales ont plus tendance à
favoriser un projet d'intégration centralisé que ne le font les citoyens ordinaires. Les
répondants britanniques sont par contre, particulièrement plus nombreux à être en faveur
d'un projet d'intégration décentralisée ou de coopération décentralisée. L'observation de ce
phénomène national s'explique par le discours de fierté et de distinction à l’œuvre dans la
culture britannique : le projet de coopération décentralisée ne porte qu'une maigre ambition
d'intégration et refuse la majorité des transferts de compétences. Les tenants du projet de
coopération décentralisée - ceux que Medrano appelle les « free-marketeers » (p. 90) -
abondent simplement dans une Europe libéralisée, offrant un marché unique européen, sans
risque de menacer les intérêts britanniques.
29
Liesbet HOOGHE, Gary MARKS, « A Postfunctionalist Theory of European Integration: From
Permissive Consensus to Constraining Dissensus », op. cit.
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2.1. De l'importance du mythe dans l’État nation
L’Espagne voit dans l'Union européenne l'opportunité de moderniser le pays et de
sortir d'un positionnement isolationniste hérité du régime franquiste. L’Allemagne espère
combattre les appréhensions et méfiances des États voisins à son égard en démontrant ses
intentions pacifiques et collaboratives dans le processus d'intégration européenne. Le
Royaume-Uni, enfin, célèbre eurosceptique, envisage le processus d'intégration
européenne comme une menace à l'identité nationale et à la souveraineté de l’État. Cette
identité nationale est façonnée par des mythes structurant les perceptions des citoyens d'un
État. Ces perceptions, influencées par une certaine lecture de l'histoire nationale et
partagées au sein d'un même État, permettent de créer le type de « communauté imaginée »
décrit par Benedict Anderson30
. En diffusant une vision commune du passé de la nation,
ces mythes effacent les dissidences et maintiennent le statu quo nécessaire à la sauvegarde
de l’unité et de la cohésion nationales. Ces mythes constituent des croyances
d'appartenance à un même ensemble, croyances non pas fondées sur un factuel rationnel
mais sur des représentations consensuelles des identités. C'est cette dimension de croyance
que défie Medrano quand il interroge ses interviewés sur ce qui constituent les véritables
différences entre l'identité insulaire du Royaume-Uni et celles de ses voisins européens.
Les réponses sont pour le moins imprécises, mais elles n'empêchent pas de révéler
combien le mythe de la différence britannique impacte le rapport des citoyens à l'Union
européenne. Ce n'est qu'à partir d'une prise de conscience du déclin du Royaume-Uni que
celui-ci démontre un intérêt pour le projet d'intégration communautaire. Le déclin
économique et politique du pays au sortir de la seconde guerre mondiale ne fait pas pour
autant du Royaume-Uni un fervent défenseur de la cause communautaire. Toutefois, ce
tournant dans le mythe communautaire et notamment le manque de poids de l’État
insulaire souligné par certains interviewés contraint le Royaume-Uni à entamer un
processus de négociation - notamment avec la France - pour intégrer l'Union européenne.
Le fait que le Royaume-Uni devienne un État membre de la Communauté européenne
n'implique pas l'adhésion à un projet intégrationniste. La démarche contrainte avec laquelle
le Royaume-Uni se retrouve candidat atteste bien des perceptions britanniques - celles d'un
projet de coopération décentralisée qu'ils continueront de défendre au sein même de la
30
Benedict ANDERSON, Imagined Communities, 1983. London: Gollanz.
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Communauté.
2.2. Un projet supranational pour l’État, facteur de l'attachement à l'Union européenne
Ces mêmes mythes animent des projets politiques dans chacun des États considérés
par Juan Diez Medrano. Chacun de ces États s'est, à un moment donné, projeté dans un
projet supranational. Certains ont réussi : le Royaume-Uni a ainsi gardé, même après un
long processus de décolonisation, un fort attachement au Commonwealth, faisant dire à
Medrano que les Britanniques se sentent moins faire partie de l'Europe que les Allemands
ou les Espagnols. D'autres, comme en Espagne, se sont progressivement délités. Le projet
supranational d'Hispanidad, grand ensemble géographique hispanophone dominé par
l'Espagne, se solde par un échec après la seconde guerre mondiale. En Allemagne, le projet
de Mittleuropa, une fédération politique autour de l'Allemagne et de l'Autriche, s'évanouit
après les horreurs du troisième Reich. Les échecs de projets supranationaux en Espagne et
en Allemagne empêchent ces deux États, à la différence du Royaume-Uni, d'accéder à un
statut de grande puissance sur la scène internationale. Au Royaume-Uni, le Commonwealth
cultive une identité supranationale commune à l'ensemble de ses membres, concurrençant,
de fait, la création d'une identité européenne se superposant à l'identité nationale
britannique. En Espagne et en Allemagne, non seulement aucune identité supranationale
concurrente n'est en jeu, mais l'occupation du premier par les forces nazies et la défaite du
second en 1945 laisse les deux États dans l'ombre d'un Royaume-Uni vainqueur, des États-
Unis, nouvelle puissance hégémonique mondiale, et de la Russie, grand empire à l'est de
l'Europe. Pour retrouver crédibilité et attention sur la scène internationale, les deux États
avaient donc tout intérêt à porter un engagement fort dans le processus d'intégration
communautaire.
3. L'inertie relative des cadrages cognitifs
L'étude des cadrages cognitifs depuis la naissance de l'Union européenne nous
montre une certaine résilience : les images relatives à l'Union européenne n'ont que peu
changé sur la période considérée (1946 - 1997). Devant une telle inertie, comment
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expliquer que le Royaume-Uni se soit décidé à poser sa candidature pour une entrée dans
l'Union européenne ? Bien qu'il observe une forte stabilité des représentations relatives au
processus d'intégration européenne, Juan Diez Medrano démontre le changement
progressif du positionnement du Royaume-Uni par l'évolution du mythe national. Si les
liens au Commonwealth restent forts, la victoire lors de la seconde guerre mondiale
n'apporte qu'une exaltation de courte durée au début de la deuxième moitié du XXème
siècle. Au contraire, les années 1960 sont marquées par la crise du canal de Suez,
conduisant au déclin du Royaume-Uni sur la scène internationale : les livres scolaires
retracent ainsi la nouvelle domination états-unienne tandis que les romans primés dressent
le portrait d'îles britanniques sans opportunité pour les intellectuels, où la classe ouvrière
connaît des conditions difficiles et où s’éloignent ruraux et citadins. Cette croyance en un
Royaume-Uni déclinant aurait ainsi favorisé une candidature pour entrer dans l'UE, celle-ci
se faisant toutefois à reculons, sans jamais renoncer au scepticisme ambiant à l'égard du
projet communautaire. En effet, si les trois États disposent aujourd'hui du même statut de
membre de l'Union européenne, celui-ci n'implique pas qu'ils partagent le même projet
d'intégration. Les cadrages cognitifs seraient, outre un moyen d'expliquer les variations des
attachements, les facteurs à la source de différents modèles politiques pour l'UE.
Juan Diez Medrano en distingue quatre : intégration centralisée, intégration
décentralisée, coopération centralisée et coopération décentralisée. Sauf pour le Royaume-
Uni, où l'euroscepticisme se constate même chez les élites, les franges les plus éduquées de
la population s'avèrent généralement en faveur soit du premier, soit du dernier modèle.
L'intégration centralisée, celle impliquant le plus de transferts de souveraineté et une
application stricte du principe de subsidiarité, est principalement l'apanage d'individus
progressistes, sur le plan politique, ce qui n'implique pas qu'ils soient centralistes pour
autant. Selon que l'on supporte ou non l'Union européenne, et suivant le modèle politique
défendu, les thèmes abordés diffèrent. Les « non-supporters » seront principalement
inquiets de la perte de souveraineté et des menaces à l'identité nationale. Les « supporters »
auront, quant à eux, tendance à souligner la contribution de l'Union européenne au
maintien de la paix et les bénéfices du marché commun. C'est à considérer les différents
modèles politiques pour l'Union que les différences thématiques s'affinent : les porteurs
d'une intégration centralisée évoquent ainsi les problèmes transnationaux, la nécessité de
défendre une économie sociale de marché et la création d'un bloc capable de concurrencer
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les États-Unis. Les défenseurs du modèle de coopération décentralisé, souvent plus
conservateurs et nombreux parmi les répondants britanniques, préfèrent souligner
l'importance de la souveraineté nationale. La peur de perdre une culture nationale apparaît
donc, à Juan Diez Medrano, comme « la principale explication des contrastes de soutiens à
l'intégration européenne entre le Royaume-Uni, l'Espagne et l'Allemagne » (p.252).
Framing Europe révèle l'étonnante capacité de Juan Diez Medrano à utiliser les
concepts et outils servants à étudier l’État nation pour les transposer à l'étude des
positionnements à l'égard de l'intégration européenne. La richesse des résultats empiriques
et la finesse de l'analyse étayent une thèse à l'avant-garde des études sur les attitudes à
l'égard de l'intégration européenne. Il souligne avec force l'importance du cadre national
comme facteur et, dépassant les Eurobaromètres simplement quantitatifs, fouille les
histoires nationales pour en trouver les justifications socio-historiques. La qualité du travail
est d'autant plus remarquable que le travail empirique distingue, à raison, mais sans jamais
les opposer, les positionnements élitaires et populaires. Juan Diez Medrano dépasse ainsi
les discours élitaires qu'ils retrouvent dans les éditoriaux journalistiques pour investiguer
ce qu'il appelle « l'opinion publique ». En retraçant les constructions des cultures
nationales, l’auteur offre une sociohistoire fouillée des sentiments d'appartenance à l’Union
européenne.
La conclusion prophétique de Medrano sur les potentielles évolutions de l'Union
européenne, a priori conduites par un maigre enthousiasme d'approfondissement et les
clivages des intellectuels sur le modèle à privilégier, clôture l'ouvrage sur un constat de
forte hétérogénéité des opinions, hétérogénéité d'autant plus renforcée par l'admission de
nouveaux membres à l'est. Pourtant, l'étude des États nations et des sentiments
d'appartenance a d'ores et déjà démontré comment évoluent les rapports identitaires :
animés par des dynamiques paradoxales, ils se construisent autant dans la confrontation
que dans la similitude et la différence. Le rôle de l'altérité, de l'extérieur, dans la définition
identitaire permet de comprendre pourquoi les conflits constituent un facteur essentiel.
L'identité n'est pas une pure organisation cognitive, immuable, permanente. Elle se forme
et se modifie au contact de l'autre. Alors que la peur de perdre une identité nationale est
effectivement le facteur majeur expliquant les différents rapports à l'Union européenne,
l'hétérogénéité des positionnements à l'égard d'un modèle communautaire devrait venir
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influencer en retour les identités nationales. Une dynamique discursive relativement peu
étudiée dans l'ouvrage de Medrano étant donné la jeunesse du processus d'intégration
communautaire31
. Les défis posés à l'Union européenne en matière d'immigration,
d'intervention militaire et de commerce international ont obligé les États membres à
dépasser le « plateau » décrit par Medrano, pour avancer encore dans l'intégration
communautaire. Mais pour comprendre les évolutions actuelles du processus d'intégration
européenne, peut-être faut-il, comme le suggère l'auteur, aller chercher d'autres causes aux
attitudes à l'égard de l'Union européenne. Il suggère ainsi d'étudier les situations du
Danemark et de l'Autriche, dont le soutien à l'Union européenne est bien moins élevé
qu'attendu.
Framing Europe donne encore aujourd'hui des clés de compréhension pertinentes
pour lire le rapport des Européens au processus d'intégration européenne. En écho au
travail de Juan Diez Medrano, notre analyse s'attachera donc à étudier le contenu des récits
français sur l'Union européenne. Nous savons que cette notion n'implique pas
obligatoirement de réalité objective de ce qui est décrit dans le récit, ainsi nous ne
chercherons pas à juger de la pertinence du discours. Nous nous intéresserons plutôt à la
concurrence que les différents argumentaires se font mutuellement en présentant différents
contenus à l'opinion publique sur un même schéma narratif. Ce sont ces structures
narratives que nous déconstruirons pour permettre la comparaison. Le prochain chapitre
étudiera ainsi la place de l'intégration européenne en France en se basant sur le traitement
médiatique réservé à l'Europe entre 1990 et 2010.
31
Le processus d'intégration communautaire apparaît jeune au regard de processus identitaires qui
s'inscrivent généralement sur des temps plus longs (des décennies, voire des siècles).
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PARTIE II – LE TRAITEMENT DE
L’ACTUALITE EUROPEENNE EN FRANCE
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Chapitre 4 – L’intensité variable de l’« Europe » dans
l’actualité française : le quotidien national Le Monde
en exemple
Dans Framing Europe: Attitudes to European Integration in Germany, Spain, and
the United Kingdom, Juan Díez Medrano analyse les attitudes des européens à l'égard de
l'Europe dans trois États membres. Les recherches de Juan Diez Medrano sur les cadrages
cognitifs de l'Union européenne en Allemagne, en Espagne et au Royaume-Uni ont permis
de qualifier les évolutions des représentations de l'Union européenne dans les États
considérés entre 1946 et 1997. Ses travaux démontrent une forte inertie des cadrages. La
France ne faisait pas partie de son panel32
. Si nous étudions une période plus courte (20
ans), et plus tardive (1990-2010), nous aurons toutefois recours au même développement.
Ainsi, ce chapitre s'attachera, avant d'étudier qualitativement les contenus des récits
français à l'égard de l'Union européenne, à apprécier la place accordée à l'Europe dans les
colonnes du journal Le Monde sur la période considérée. Après avoir réalisé une analyse
globale de la période, nous nous tenterons d'expliquer les variations d'intensité et les pics
d'actualité relevés au cours de notre analyse quantitative.
Méthodologie de recherche
Pour réaliser cette analyse quantitative, nous avons utilisé le logiciel
Europresse. Nous avons recherché l’ensemble des articles publiés dans la version
papier du journal Le Monde, contenant l’occurrence « Europe », entre le 1er
janvier
1990 et le 31 décembre 2010.
Nous avons choisi le terme « Europe », plutôt que celui « Union européenne » pour
plusieurs raisons. Il est, tout d’abord, plus englobant. Moins technique, il est
également utilisé pour parler du projet communautaire au grand public. Enfin, le
32
Juan Diez MEDRANO, Framing Europe, op. cit.
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journal disposant d’un espace restreint, le terme peut être employé comme mot-clé,
notamment dans les titres et accroches.
1. L'évolution de la place accordée aux thématiques
communautaires
Depuis le début des années 1990, le traitement de l'actualité européenne par le
journal Le Monde se fait de manière cyclique : chaque année civile présente les mêmes
variations en termes de quantité d'articles relatifs à l' « Europe ». Le premier semestre voit
progressivement augmenter le nombre d'articles traitant de l'actualité communautaire. De
janvier à juin, on passe d'une moyenne de 543 (janvier) à 614 (juin) articles par mois. La
période estivale (juillet et août) est l'occasion d'une chute du nombre de sujets ayant trait à
l'Europe (respectivement, 442 et 362 articles en moyenne par mois) : le deuxième mois
d'été est particulièrement pauvre en actualité européenne. Plusieurs causes peuvent
expliquer cette recrudescence du traitement médiatique : l'été, les journaux réduisent bien
souvent leur nombre de pages, l'actualité étant moins dense que le reste de l'année. La
place est non seulement réduite dans le journal, mais la période estivale influence par
ailleurs la sélection des sujets : ce temps de vacances, pour bon nombre de Français,
justifie, aux yeux des rédactions en chef, la publication de sujets dits « mag » (pour
magazine), plus « légers » et « de saison ». La concurrence entre les sujets étant plus rude
et les espaces de publication restreints, l'actualité européenne est reléguée à d'autres
périodes de l'année. A cela s'ajoute que l'Union européenne est moins productrice de
contenus à traiter dans les journaux nationaux puisque une trêve estivale existe pour les
députés européens au même titre que pour nos parlementaires français. Les sessions
plénières se terminent généralement mi-juillet pour ne reprendre que fin août. L'actualité
européenne fait son retour dans les pages du Monde en septembre (553 articles en
moyenne) et stagne jusqu'au début de l'année civile suivante (568 en octobre, 550 en
novembre, 527 en décembre). Deux mois semblent globalement se distinguer de cette
tendance générale : à la sortie du premier semestre, le mois de juin apparaît comme le
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« pic » annuel de l'actualité européenne tandis que la fin d'année civile et le mois de
décembre connaissent une petite baisse par rapport à la tendance générale (voir graphique).
Figure 1 - Moyennes mensuelles entre 1990 et 2010
Mises au regard du calendrier européen, ces variations annuelles s'expliquent : outre
le calendrier des sessions justifiant le creux estival dans le traitement de l'actualité
européenne, l'analyse du contenu même de l'activité parlementaire permet de comprendre
le rythme des institutions. La procédure annuelle33
d'adoption du budget européen a lieu en
juin. La commission des budgets vote définitivement le budget en juin, tandis que le
Parlement européen, réuni en assemblée plénière ne rend son avis qu'à la fin du mois
d'octobre34
. Les compétences propres de l'Union européenne restant limitées, les prises de
33
Cécile BARBIER, « Le Parlement européen après le Traité d'Amsterdam », Courrier hebdomadaire du
CRISP 16/ 1999 (N° 1641-1642), p. 1-75 34
Parlement européen, « En direct : présentation du projet de budget 2015 au Parlement européen »,
consulté le 09 août 2014. URL : http://www.europarl.europa.eu/news/fr/news-
room/content/20140610STO49201/html/En-direct-présentation-du-projet-de-budget-2015-au-Parlement-
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décision relèvent principalement des exécutifs nationaux. L'affiliation d'une personnalité à
un ministère permet également de faire gagner en lisibilité de l'actualité politique du pays,
une affiliation qui ne semble pas si évidente au niveau communautaire si l'on en croit les
travaux d'Olivier Baisnée35
. Le vote du budget communautaire constitue donc un des seuls
rendez-vous parlementaires de l'Union européenne. Son suivi est souvent l'occasion
d'évaluer le poids de l'Union européenne, le budget étant régulièrement comparé au regard
du produit intérieur brut (PIB, indicateur de la richesse produite). Par ailleurs, le vote du
budget européen est également l'occasion de connaître les montants alloués aux fonds
structurels de l'Union européenne (Fonds social européen - FSE, Fonds européen de
développement régional - FEDER, Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche -
FEAMP, etc.). Ces fonds affectent ensuite ces montants à des projets régionaux, au regard
des objectifs définis lors de la programmation opérationnelle pluriannuelle (tous les 7 ans).
Enfin, c'est également au mois de juin que le Parlement européen adopte en assemblée
plénière le calendrier annuel des travaux de l'institution36
.
Sur la période considérée, de janvier 1990 à décembre 2010, on observe une faible
augmentation : environ 5500 articles mentionnent le mot « Europe » au début des années
1990, on en compte près de 6000 à la fin des années 2000 (voir graphique).
européen
35 Pour illustrer cette méconnaissance et ce désintérêt des enjeux européens, Olivier Baisnée s’appuie sur
un sondage de la popularité des commissaires. Ce dernier devait être réalisé auprès d’un échantillon
d’européens. Or, peu d’entre eux connaissent ne serait-ce que le nom des commissaires dont la popularité
devait être évaluée. Les deux journaux lancés dans ce sondage se sont donc tournés vers leurs pairs pour
établir la cote de popularité des commissaires. La collusion des journalistes et de la Commission était
particulièrement forte jusqu’à la crise de la commission Santer, tandis que les européens ne
s'intéressaient que peu aux affaires communautaires. Olivier BAISNEE, « Les relations entre la
Commission et le Corps de presse accrédité auprès de l’Union européenne : crise et renouvellement des
pratiques », Pôle Sud, n° 15, Automne 2001, p. 47-60. 36
Parlement européen, « Fonctionnement de la plénière », consulté le 09 août 2014. URL :
http://www.europarl.europa.eu/aboutparliament/fr/00623fe732/Fonctionnement-de-la-plénière.html
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Figure 2 - Variation annuelle entre 1990 et 2010
Par contre, plusieurs pics d'actualité sont observables (voir graphique) : le mois de
septembre 1992, la période mars-avril et juin 1999, le mois de mai 2005.
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Figure 3 - Variation mensuelle entre 1990 et 2010
2. Des pics d'actualité européenne à chaque rendez-vous citoyen
Ces périodes font écho à des temps forts de l'histoire communautaire.
2. 1. Analyse annuelle
Le 20 septembre 1992 a lieu le référendum pour le traité de Maastricht (69,70 % de
votants). Le référendum soumet aux Français la ratification du texte du traité sur l'Union
européenne, signé à Maastricht par François Mitterrand, le Président de la République
d'alors. La participation pour un référendum est particulièrement importante37
: les trois
37
Direction de l’information légale et administrative, « Les référendums de la Ve République et leurs
résultats », mis en ligne le 14 septembre 2012, consulté le 09 août 2014. URL : http://www.vie-
publique.fr/decouverte-institutions/citoyen/approfondissements/referendums-ve-republique-leurs-
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référendums sous la présidence du général de Gaulle - lequel plébiscitait cette forme de
sollicitation des citoyens (le 8 janvier 1961, le 8 avril 1962, le 28 octobre 1962)
connaîtront tous de très faibles taux d'abstention (respectivement 26,24 %, 24,66 %,
23,03 %). Il en va de même du célèbre référendum du 27 avril 1969 ayant conduit le
général de Gaulle à démissionner de la présidence de la République (seulement 19,87 %
d'abstention). Outre ces quatre premiers référendums, regroupés sur les 11 premières
années de la cinquième République, le référendum du 20 septembre 1992 est celui
présentant les meilleurs taux de participation : seulement 30,30 % d'abstention38
. Seul le
référendum du 29 mai 2005 s'approchera de ces chiffres avec 69,37 % de participation
(30,63 % d'abstention). Le sujet, bien qu'ardu, fait l'objet d'une campagne très médiatisée
comme en atteste le célèbre débat télévisé du 3 septembre 1992 entre François Mitterrand,
portant la voix du Parti socialiste, favorable au « oui » et Philippe Séguin, membre du
RPR, partisan du « non ».
Figure 4 - Variation annuelle en 1992
resultats.html
38 Les taux d'abstention des deux référendums précédents (23 avril 1972 et 6 novembre 1988) bien plus
élevés : respectivement 39,76 % et 63,11 %. Celui qui suivra ne sera pas plus investis par les Français
avec 69,81 % d'abstention le 24 septembre 2000.
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Dans la nuit du 15 au 16 mars 1999, la Commission présidée par Jacques Santer
démissionne, suite aux menaces du Parlement européen de voter une motion de censure
suite à des allégations de mauvaise gestion. Suite à des malversations dénoncées dans la
presse belge en août 1998, le Parlement européen dépose une motion de censure, rejetée
mi-janvier. Un comité des sages est alors chargé d'expertiser le dossier ; son rapport, rendu
le 15 mars met en cause Édith Cresson pour faute personnelle (emploi fictif à un ami)39
. Le
pic de juin 1999 s'explique, par ailleurs, par les élections du Parlement européen. Chaque
élection du Parlement européen, soit tous les cinq ans, est l'occasion d'un léger « pic »
d'actualité européenne. Il s'agit de la cinquième élection au suffrage universel direct
(49,8 % de participation) - la première où le scrutin proportionnel est obligatoire - et de la
première élection après l'entrée de l'Autriche, de la Finlande et de la Suède. Cette élection
est néanmoins particulièrement importante : en vertu de l'article 17.7 du traité de l'Union
européenne40
, le Conseil européen propose au Parlement un candidat à la fonction de
président de la Commission européenne « en tenant compte des élections au Parlement
européen »41
. Étant donné les soupçons ayant pesé sur la Commission quelques mois plus
tôt, cette élection du Parlement européen et la désignation d'un candidat à la tête de
l'institution « gardienne des traités » revêt une couleur toute particulière, comme en atteste
l'extrait d'un article de Patrick Jarreau du 18 mars 1999 :
« Que les gouvernements se mettent d'accord rapidement pour désigner une
nouvelle Commission ou qu'ils attendent, pour cela, l'élection du Parlement, celui-
ci ne s'en trouvera pas moins investi - juridique par le traité d'Amsterdam,
politiquement par la crise actuelle - d'une responsabilité nouvelle. Cette réalité
pourra difficilement être éludée dans la campagne électorale. Qu'ils le veuillent ou
39
Didier GEORGAKAKIS, « La démission de la Commission européenne : scandale et tournant
institutionnel (octobre 1998 - mars 1999) », Cultures & Conflits, 38-39 | 2000, mis en ligne le 03
décembre 2002, consulté le 09 août 2014. URL : http://conflits.revues.org/814 40
Traité sur l'Union européenne (version consolidée, en vigueur depuis le 1er décembre 2009), Journal
officiel de l'Union européenne n° C-115, 9 mai 2008, 388 pages. 41
« Les commissaires européens : nomination et attributions », 24 janvier 2014, consulté le 16 août 2014.
URL : http://www.touteleurope.eu/l-union-europeenne/institutions-et-organes/commission-
europeenne/synthese/les-commissaires-europeens-nomination-et-attributions.html
- Page 41 / 135 -
non, les candidats au Parlement européen vont, pour la première fois, devoir dire
ce qu'ils y feront »42
.
La Commission européenne étant responsable devant le Parlement, et son président
étant logiquement issu de la majorité parlementaire, l'élection des députés européens était,
en 1999, l'occasion de rappeler l'importance du Parlement européen, comme pilier de la
démocratie communautaire.
Figure 5 - Variation annuelle en 1999
Le 29 mai 2005, enfin, a lieu le référendum français sur le traité établissant une
constitution pour l'Europe (69,34 % de votants). Troisième référendum à concerner un
traité européen, après ceux de 1972 et 1992, c'est néanmoins la première fois que les
Français se positionnent majoritairement contre l'adoption du texte présenté. Une
campagne officielle est organisée pour ce référendum : huit formations politiques sont
42
Patrick JARREAU, "LA CRISE EUROPEENNE; DANS UN ENSEMBLE DE QUATRE PAGES -
APRES LA DEMISSION DE LA COMMISSION EUROPEENNE 16 MARS 1999. ANALYSE. La crise
de l'Union fait irruption dans la campagne électorale. Le débat sur l'avenir des institutions européennes
devient incontournable", Le Monde, jeudi 18 mars 1999, p. 5.
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habilitées à intervenir au moins 10 minutes à l'antenne et peuvent se faire rembourser leurs
frais de campagne dans une limite de 800 000 euros43
. Deux semaines avant le vote, un pli
contenant l'intégralité du traité européen et les bulletins de vote sera également envoyé aux
42 millions d'électeurs français44
. Plus largement, ce référendum est l'occasion pour les
Français de désavouer la politique du gouvernement d'alors45
, comme en attestent les
résultats d'un sondage Ipsos46
. Le vote intervient également après des débats houleux sur la
Directive Services (dite directive Bolkestein). Des thématiques extérieures au traité,
comme l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, auraient ainsi interféré dans la
campagne. Alors que les Français votent majoritairement contre le texte (54,67 %), la
France, pays fondateur de la construction européenne, devient le premier État membre à
rejeter le traité constitutionnel. Les Pays-Bas feront de même quelques jours plus tard, le
1er juin 2005.
43
Didier HASSOUX, « Huit partis payés pour faire leur campagne », Libération, 18 mars 2005. Consulté
le 16 août 2014. URL : http://www.liberation.fr/politiques/2005/03/18/huit-partis-payes-pour-faire-leur-
campagne_513367 44
Conseil constitutionnel, « Le Conseil constitutionnel et le référendum des 28 et 29 mai 2005 sur la
ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe », 2 juin 2005. Consulté le 16 août 2014.
URL : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-
constitutionnel/root/bank_mm/dossiers_thematiques/referendum_2005/bilangeneral.pdf 45
Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. Celui-ci soutient le "oui". 46
Ipsos France, « Référendum 29 Mai 2005 : Le sondage sorti des urnes », 30 mai 2005. Consulté le 16
août 2014. URL : http://www.ipsos.fr/ipsos-public-affairs/sondages/referendum-29-mai-2005-sondage-
sorti-urnes#03
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Figure 6 - Variation annuelle en 2005
Sur la base de ces résultats, nous avons sélectionné trois événements sur lesquels
focaliser notre analyse qualitative. Celle-ci s'attache à relever les différents cadrages à
l’œuvre à l'égard de l'Union européenne afin d'en extraire un récit dominant.
L'investigation de ces cadrages nous permettra également de relever les différents
arguments soutenant l'une ou l'autre des représentations de l'Union européenne.
2.2. Analyse mensuelle
Puisque Olivier Baisnée souligne la « rareté du sensationnel »47
de l’actualité
européenne et que les travaux d’Erik Neveu démontrent bien comment les journalistes font
recette des discours de « crise »48
, nous avons choisi comme support de notre corpus
journalistique ces épisodes marquants l'histoire communautaire en France. Nous nous
47
Olivier BAISNEE, « Les journalistes, seul public de l’Union européenne ? », Critique internationale,
n° 9, Octobre 2000, p. 34. 48
Erik NEVEU, « La médiatisation du politique », op. cit., 1992.
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intéresseront donc aux trois des périodes suscitées : le référendum relatif au traité sur
l'Union européenne ; la démission de la Commission Santer dans la nuit du 15 au 16 mars
199949
; le référendum relatif au traité établissant une Constitution pour l'Europe du 29 mai
2005. Afin d'étudier les récits français sur l'Union européenne à ces trois périodes, nous
avons analysé les éditions quotidiennes ayant le plus parlé d'Europe. Au regard de ces
résultats, nous avons sélectionné les articles relatifs à l'événement sur la période
concentrant l'actualité européenne la plus intense.
Ainsi, pour le référendum de 1992, l'analyse des occurrences du mot « Europe » dans
le journal Le Monde par jour permet de relever différents « pics », notamment à l'approche
du 20 septembre. Les creux réguliers tous les 7 jours sont dus à la non-parution du journal
le dimanche. On constate néanmoins une rapide augmentation la semaine précédant le
référendum : du 14 au 19, avec notamment un saut à 62 articles intégrant le mot « Europe »
le 18 septembre 1992. Les trois jours suivant l'élection sont également particulièrement
riches en occurrences, celles-ci se faisant moins nombreuses à la fin de la semaine suivant
l'élection (24, 25 et 26 septembre 1992).
49
Plutôt que d'étudier la période même de l'élection du Parlement européen en juin 1999, nous préférons
nous focaliser sur le "scandale", selon les mots de Didier Georgakakis, ayant précédé le vote.
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Figure 7 - Variation en septembre 1992
Concernant, la démission de la Commission Santer, dans la nuit du 15 au 16 mars
1999, les tendances sont plus difficiles à distinguer. Les quelques mois précédant les
élections sont forcément l'occasion de parler de manière plus récurrente d'Europe. On
constate toutefois logiquement une recrudescence des articles mentionnant l'Europe dès le
16 mars (38 articles).
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Figure 8 - Variation en mars 1999
Enfin, le référendum du 29 mai 2005 présente des résultats cycliques (un cycle
durant une semaine) assez étonnants : les résultats semblent assez réguliers sur les
semaines précédant le vote, relativement riches en occurrence en début de semaine (hausse
entre lundi et mardi), mais plus pauvre en fin de semaine. Les quelques jours suivant le
référendum sont par contre l'occasion, comme en 1992, d'une forte de hausse du nombre
d'articles mentionnant l'Europe (42 articles, le 30 mai ; 69, le 31 mai et 61, le 1er juin).
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Figure 9 - Variation en mai 2005
Figure 10 - Variation en juin 2005
Suivant les événements, nous avons donc choisi de sélectionner des périodes d'étude
qualitative différentes : pour le référendum de 1992, nous nous intéresserons à la semaine
précédant le vote (du 14 au 19 septembre) et aux trois jours suivant (du 21 au 23). Pour la
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démission de la Commission Santer en 1999, nous étudierons la semaine suivant
l'événement (du 15 au 20) ainsi que les deux pics du mois de mars : le 2 et le 30 du mois.
Pour le référendum de 2005, nous nous intéresserons, comme pour celui de 1992, aux six
jours précédant l'élection (du 23 au 28 mai) et aux trois jours suivant le résultat (du 30 au
1er juin). Le contenu des articles de ces trois périodes est analysé dans le chapitre suivant.
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Chapitre 5 - Les images françaises de l'Union
européenne : ce que les journaux disent des
perceptions nationales
Les événements sélectionnés d'après les résultats du chapitre précédent ne sont qu'un
« prétexte » pour parler d'Europe. Étant donné la maigre politisation de l'Union européenne
démontrée par Stefano Bartolini50
, ces « pics » d'actualité européenne agissent, un peu à la
manière des périodes de « crise » décrites par Erik Neveu51
, comme une opportunité de se
questionner sur le projet d'intégration communautaire et de faire intervenir des acteurs
spécialisés, des leaders d'opinion52
, des élites locales et nationales sur la question. Ces
événements sont également l’occasion de « faire parler l’opinion publique ». Découlant des
sondages d’opinion, celle-ci se trouve retranscrite dans des formules telles que « les
Français estiment que… », « ils ont rejeté en bloc l’Europe parce que… » ou des formules
passives laissant sous-entendre que le constat est partagé : « ces principes du
néolibéralisme sont perçus comme… ».
Ces retranscriptions par les journalistes des sentiments d’appartenance des citoyens
auraient toutefois leur part de vérité. D'après Juan Diez Medrano, les perceptions
nationales de l’Union européenne relevées en entretien sont confirmées, dans leur quasi-
totalité, par l'analyse d'extraits de presse écrite : « Les nombreuses réflexions écrites par les
journalistes sur l'intégration européenne nous donnent un meilleur accès à l'interprétation
des contextes, à la fois cognitifs et historiques »53
. En faisant la genèse des cadrages
cognitifs dans la presse nationale54
de trois États, l’auteur s’est aperçu que « les
50
Stefano BARTOLINI, « La structure des clivages nationaux et la question de l'intégration dans l'Union
européenne », op. cit. 51
Erik NEVEU, « La médiatisation du politique », op. cit. 52
Le concept de "leader d'opinion" est réinvesti et popularisé par Paul Lazarsfeld à partir des années 1950
dans ses travaux sur l'influence des médias. Il développe le concept pour expliquer l'influence des
proches sur les comportements électoraux des individus. Sa thèse part du postulat que les interactions
sociales ont un impact fort dans la construction des opinions. 53
Juan Diez MEDRANO, op. cit., p. 106. 54
Juan Diez Medrano choisit la presse "de qualité" au détriment de médias populaires car il est « peu
probable que les sujets qui différencient les représentations de l'intégration européenne britanniques,
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perceptions de l'intégration européenne exprimées par les citoyens ordinaires et les élites
locales (...) diffèrent d'un pays à l'autre car elles reflètent les préoccupations liées aux
histoires et cultures nationales »55
. Les résultats obtenus révèlent que les perceptions
nationales de l'Union européenne tiennent, en fait, à ce que Medrano appelle « des
dilemmes nationaux », chaque État ayant, du fait de son histoire et de sa culture nationale,
des enjeux identitaires particuliers soulevés par le processus d'intégration européenne.
Pour étudier les cadrages nationaux français à l'égard de l'Union européenne, nous
déroulerons le même fil que celui utilisé par Medrano pour ses trois études de cas. Ainsi,
nous commencerons par qualifier généralement le degré d'attachement des Français à
l'Union européenne tel que le retranscrit le quotidien Le Monde dans ses articles entre 1990
et 2010 avant de décrire plus précisément les différentes facettes que ces récits déclinent de
l'Union européenne.
1. Des Français attachés à l'Union européenne
Les articles étudiés tendent plutôt à présenter une image positive du projet
d'intégration communautaire. Si les référendums offrent l'opportunité de mettre un « coup
d'arrêt peut-être fatal »56
au projet communautaire, les partisans d’un moindre
approfondissement du projet communautaire n'argumentent pour autant que très rarement
en faveur d'une éradication pure et simple de l'Union européenne. La plupart du temps, leur
développement est de l'ordre de : « nous voulons de l'Europe, mais pas de celle-ci, pas
comme ça ». C’est d’ailleurs ce que traduisent les conclusions des sondages, repris par les
journalistes : les Français, sans pour autant se reconnaître dans la voie prise pour la
construction de l’Union européenne, restent attachés au projet communautaire.
« Selon l'enquête Ipsos à la sortie des urnes, 72% des Français se déclarent "tout à
fait" et "plutôt favorables" à la poursuite de la construction européenne (...).
allemandes et espagnoles aient été traitées (...) dans les tabloïds et à la télévision ». Dans : Juan Diez
MEDRANO, Framing Europe, op. cit., p. 107. 55
Juan Diez MEDRANO, Framing Europe, op. cit., p. 106. 56
"POINT / LES ENJEUX DE MAASTRICHT. Et si c'était "non" ?", Le Monde, vendredi 18 septembre
1992, p. 6.
- Page 51 / 135 -
S'ouvre ainsi une forte tension dans le camp du non de gauche. Sa base a voulu
marquer un coup d'arrêt salutaire ou désastreux selon les points de vue, à la
manière dont se construit actuellement l'Europe, mais souhaite continuer l'aventure
européenne »57
.
« Le refus à la Constitution s'est amplifié en un refus de l'état actuel des choses. Et
la virulence accrue de ce refus s'est transformée, dans son exaltation, en nouvelle
espérance. Le non apparaît comme un oui grandiose à une autre Europe, une autre
économie, une autre société »58
.
La France dispose, dans la grande majorité des articles étudiés, d’une image plutôt
positive du projet d’intégration européenne. S’il est souvent décrit comme un processus
lent, le projet d'intégration communautaire n’en est pas moins présenté comme
indispensable. L’apparent consensus de la majorité pour l’intégration européenne
n’empêche pas les auteurs de diverger quant aux formes à donner à cette réalisation. Deux
groupes s’opposent dans les colonnes du journal : d’un côté, les partisans d’une intégration
poussée, appartenant le plus souvent aux partis de gouvernement (Parti socialiste, Union
pour un mouvement populaire…) ; de l’autre, les eurosceptiques que l’on retrouve
principalement aux extrêmes (Parti communiste, Front national…).
Ces derniers semblent préférer une Europe des Nations, où l’inter-
gouvernementalisme primerait sur les transferts de souveraineté. L'extrême droite est
particulièrement virulente dans les campagnes référendaires où elle défend avec ferveur
une identité nationale française qu'elle juge mise en péril par le projet d'intégration
communautaire. Les thématiques privilégiées dans ces argumentaires sont ceux du
patriotisme, de l’immigration, de l’économie souterraine.
« "Il faut quelqu'un comme Pasqua pour réveiller la France!" Et un "scandale"
comme Maastricht pour réveiller le patriotisme des Français ? "Je dis non au
57
Marc LAZAR, "HORIZONS. Le Grand Soir n'aura pas lieu", Le Monde, mercredi 1 juin 2005, p. 13. 58
Edgar MORIN, "HORIZONS DÉBATS. Les lendemains du non", Le Monde, jeudi 26 mai 2005, p. 16.
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fédéralisme car je veux rester Français." (...) En revanche, "quelle honte
d'abandonner l'Europe de l'Est" »59
.
« Un jeune homme plus discret, ingénieur chez Alcatel, ne comprend pas l'effet de
mode" dont semble bénéficier le ‘oui’ à Maastricht. C'est pourtant, dit-il, aller "à
contre-courant de l'Histoire que de gommer l'idée de nation". C'est mettre "un
doigt dans un engrenage périlleux" que d'accorder un droit de vote à des étrangers.
Et c'est faire "l'Europe de la drogue, de la mafia, de la corruption" que de renoncer
à nos frontières »60
.
« M. Jean-François Touzé, délégué général de l'Alliance populaire, formation
d'extrême droite fondée par d'anciens militants du Front national et du Parti des
forces nouvelles, a estimé, lundi 21 septembre, que "la victoire à la Pyrrhus du
‘oui’ ne peut dissimuler la volonté exprimée par presque un électeur sur deux de
défendre l'indépendance, la souveraineté et l'unité nationales et de refuser les
utopies fédéralistes »61
.
« "Si le ‘oui’ [au traité de Maastricht] l'emportait, un jour le peuple français se
réveillerait avec la gueule de bois", a lancé M. de Villiers, qui a assigné à son
public la "mission" de rendre "à l'Europe son âme, et à la France sa vocation. (...)
Vous êtes présents, comme à chaque fois que l'essentiel, c'est-à-dire la liberté ou
l'indépendance du pays, est en cause" »62
.
59
Annick COJEAN, « REPORTAGE PARMI LES PARTICIPANTS A PLUSIEURS MEETINGS EN
FAVEUR DU "NON". LE RÉFÉRENDUM SUR LE TRAITÉ DE MAASTRICHT Petit voyage dans les
tribus du " non "», Le Monde, vendredi 18 septembre 1992, p. 8. 60
Annick COJEAN, ibid. 61
« APRÈS LE RÉFÉRENDUM SUR L'UNION EUROPÉENNE Les réactions politiques et syndicales
Dans le camp du " non " », Le Monde, mercredi 23 septembre 1992, p. 8. 62
Olivier BIFFAUD, « RATIFICATION DU TRAITE DE MAASTRICHT. REUNION AU ZENITH LE
12 SEPTEMBRE 1992. LA CAMPAGNE POUR LE RÉFÉRENDUM. En compagnie de MM. Séguin et
de Villiers M. Pasqua mène la charge contre les états-majors de l'opposition », Le Monde, mardi 15
septembre 1992, p. 5.
- Page 53 / 135 -
« Du côté des adversaires de l'Europe, les choses sont simples. Que l'on écoute
Charles Pasqua ou Philippe de Villiers, que l'on se tourne vers l'extrême gauche
d'Arlette Laguiller ou vers Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret à l'extrême droite,
le propos est sans nuances : l'Europe est en faillite, finissons-en ! La seule
conclusion à tirer de la démission forcée de la Commission, c'est que celle-ci ne
devrait pas exister, puisque l'idée même d'un "gouvernement" européen est
illégitime »63
.
« "Cette construction européenne technocratique, qui s'est constitué à l'encontre de
la volonté des peuples, avoue, par cette crise, ses limites. La démission des
commissaires européens est une chance historique pour réorienter l'Europe.
L'Europe des patries, idée-maîtresse de la pensée européenne du Général de
Gaulle, devrait enfin voir le jour. (...)
Le dysfonctionnement de l'Europe, tel qu'il se présente, est consubstantiel à l'idée
qu'ont les eurocrates de vouloir construire, à tout prix, une fédération à l'identique
des États-Unis d'Amérique" »64
.
Hormis pour certains acteurs, principalement à gauche de l'échiquier politique, rares
sont les auteurs soutenant un discours fédéraliste (intégration décentralisée).
« Le PS a à cœur d'éviter deux risques : celui de se retrouver déporté sur sa droite,
en s'engageant sur un programme commun des socialistes européens trop social-
démocrate, voire trop libéral de gauche ; celui d'édulcorer sa vision plutôt
63
Patrick JARREAU, « LA CRISE EUROPEENNE; DANS UN ENSEMBLE DE QUATRE PAGES -
APRES LA DEMISSION DE LA COMMISSION EUROPEENNE 16 MARS 1999. ANALYSE La crise
de l'Union fait irruption dans la campagne électorale. Le débat sur l'avenir des institutions européennes
devient incontournable », Le Monde, jeudi 18 mars 1999, p. 5. 64
Jean-Marie LE PEN, à propos de la démission de la Commission Santer. Cité dans : « LA CRISE
EUROPEENNE; DANS UN ENSEMBLE DE QUATRE PAGES - APRES LA DEMISSION DE LA
COMMISSION EUROPEENNE 16 MARS 1999. Comment sortir de la crise : les dix têtes de liste
répondent. "Le Monde" a interrogé les chefs de file aux élections européennes sur la désignation d'une
nouvelle Commission sans attendre ou bien après le scrutin de juin et sur l'idée que les partis pourraient
faire connaître aux électeurs le nom de leur candidat », Le Monde, jeudi 18 mars 1999, p. 4.
- Page 54 / 135 -
fédéraliste de l'Europe, en faisant trop de concessions à la conception de la nation
défendue par le Mouvement des citoyens (MDC) de Jean-Pierre Chevènement »65
.
« Les pro-européens ne peuvent adopter, eux, une position aussi expéditive.
L'éventail va de la pure et trop simple profession de foi démocratique (François
Bayrou) au refus à peine masqué de prendre en compte ce qui pourrait être une
dynamique parlementaire européenne (Philippe Séguin). Personne n'ose
franchement sauter le pas d'une mise en cause du pouvoir de nomination des
gouvernements. François Hollande plaide pour le renforcement parallèle du
Parlement et du président de la Commission, dont le choix, dit-il, doit être en
harmonie avec la majorité parlementaire ; mais il ne va pas jusqu'à reprendre à
son compte la proposition faite en mai 1998 par Jacques Delors : que les partis
annoncent, dans la campagne des élections européennes de juin leur candidat à la
présidence de la Commission »66
.
Au regard des articles étudiés, on constate une position relativement paradoxale de la
France. Celle-ci se veut et se dit être un architecte aux origines de l'Union européenne ainsi
qu'un de ses principaux moteurs. Elle tend inexorablement vers un projet intégrationniste
mais semble éprouver des difficultés à transférer des compétences susceptibles de mettre à
mal le modèle républicain à la française. Par conséquent, la France accepte des transferts
de souveraineté pour ce qui ne peut plus être arbitré au seul échelon national :
65
« CONGRES DU PSE, PARTI DES SOCIALISTES EUROPEENS A MILAN, 1ER ET 2 MARS 1999;
DANS ENSEMBLE D'UNE PAGE SUR LA PREPARATION DES ELECTIONS EUROPEENNES. Les
socialistes français commencent leur campagne à Milan. Pour François Hollande, seul candidat à la
direction de la liste du PS, le manifeste des socialistes européens tient lieu de programme. Le reste est
affaire de tactique avec les radicaux de gauche et avec les chevènementistes, en attendant d'affronter la
droite », Le Monde, mardi 2 mars 1999, p. 6. 66
Patrick JARREAU, « LA CRISE EUROPEENNE; DANS UN ENSEMBLE DE QUATRE PAGES -
APRES LA DEMISSION DE LA COMMISSION EUROPEENNE 16 MARS 1999. ANALYSE La crise
de l'Union fait irruption dans la campagne électorale. Le débat sur l'avenir des institutions européennes
devient incontournable », Le Monde, jeudi 18 mars 1999, p. 5.
- Page 55 / 135 -
« Je leur démontre que ce traité préserve la France, et surtout l'Europe ne se
mêlera pas de tout. Que nous ne mettrons en commun que ce sur quoi nous n'avons
plus de prise seuls. Je leur dis : l'Europe ne vous enlèvera rien »67
.
Les transferts de souveraineté, notamment en question dans le traité de Maastricht
pour l'Union européenne, sont d'autant plus difficiles que les auteurs invoquent la
possibilité de nivellements par le bas, l'importation de modèles sociaux et cultures
administratives différentes et la dilution d'une identité nationale dans un ensemble
européen. A l'occasion des deux campagnes référendaires, le discours offre donc une place
de choix à l'importance pour la France, d'être moteur du projet d'intégration
communautaire afin de faire la promotion et d'exporter le modèle national à l'échelle
européenne. La campagne de 1992 défend tout particulièrement son attachement à la
démocratie, les institutions européennes étant principalement critiquées pour leur déficit
démocratique. En 2005, la campagne référendaire intervient quelques mois après la
polémique du « plombier polonais » entourant la directive Bolkestein, ce qui met au cœur
des thématiques de campagne, la défense des acquis sociaux et la libéralisation de
l'économie.
« La mémoire de la République comme celle du peuple qui se reconnaît en ses
valeurs est la mémoire d'intégrations successives réussies. Deux cents ans après, il
nous incombe de pérenniser non seulement la France mais aujourd'hui en Europe -
en l'adaptant - un modèle qui participe de la fameuse "exception française". Ceux
qui y sont attachés sincèrement doivent donc faire de la lutte contre les exclusions
la première de leurs priorités »68
.
67
Thomas FERENCZI, Jean-Pierre LANGELLIER, Elizabeth GUIGOU. « RATIFICATION DU TRAITE
DE MAASTRICHT. LA CAMPAGNE POUR LE RÉFÉRENDUM Un entretien avec Mme Guigou.
Accroître " le poids de la France " », Le Monde, mercredi 16 septembre 1992, p. 1. 68
Kofi YAMGNANE, « DEBATS. Intégration. Adapter le modèle républicain », Le Monde, mercredi 23
septembre 1992, p. 2.
- Page 56 / 135 -
« Cesser de se bercer de l'illusion d'un idéal français, que l'Union européenne
aurait le grand tort de ne pas adopter, voilà à quoi nous invitent ce référendum et
le débat qui l'a précédé »69
.
« Les opposants au traité ont toutefois en commun la critique d'une Union
européenne qui propose un modèle économique et social dans lequel ils ne se
reconnaissent pas et qu'ils jugent inapte à protéger les citoyens contre la
mondialisation. Ils ne défendent pas la même idée de la France, les uns se disant
attachés aux valeurs de la nation, les autres à celles de la République ; ni, à les
entendre, la même idée de l'Europe.
Cependant, les uns et les autres attendent de l'Union qu'elle garantisse non
seulement l'emploi et le niveau de vie, mais aussi le modèle social français, quelles
que soient leur divergences sur la nature de celui-ci. Or ils estiment que, dans la
grande bataille de la mondialisation, relayée par l'Europe, les Français sont
perdants et que la nouvelle Constitution ne fait rien pour arranger les choses. (...)
Cette évolution vers une Europe dominée, selon eux, par la loi de la concurrence et
le moins-disant social, au détriment des droits des travailleurs et des services
publics, leur est apparue d'autant plus évidente que l'élargissement de 2004, mal
préparé, mal géré, a accentué l'hétérogénéité de l'Union et donné une figure - celle
du fameux plombier polonais - aux menaces confusément ressenties par un grand
nombre de Français »70
.
« Dès les origines, les Français rechignent. Depuis cinquante ans, ils se croient
européens, mais n'ont accepté l'Europe qu'à condition qu'elle soit une grande
France, un levier d'Archimède qui lui permette de recouvrer sa puissance d'antan
et de se protéger de l'Allemagne.
69
Jean-Marie COLOMBANI, « HORIZONS ANALYSE ÉDITORIAL. L'impasse », Le Monde, mardi 31
mai 2005, p. 1. 70
Thomas FERENCZI, « HORIZONS - ANALYSE. Désenchantement », Le Monde, mardi 31 mai 2005, p.
1.
- Page 57 / 135 -
Et lorsque ce n'était pas le cas, ils n'ont pas hésité à bloquer la construction
européenne, durablement. Ainsi après avoir dit oui à la mise en commun du
charbon et de l'acier, les Français refusent de faire de même pour leur armée, en
rejetant en août 1954 la Communauté européenne de défense (CED). (...)
Pendant ces années, les Européens ménagent le souverainisme qui sommeille chez
les Français. L'Europe avance prudemment, dans un subtil dosage de
supranational et d'intergouvernemental. Rien ne se fait contre la France que l'on
veille à ne jamais mettre en minorité »71
.
Les images françaises de l'Union européenne recouvrent ainsi plusieurs aspects.
Ceux-ci alimentent des récits du projet communautaire à l'origine des positionnements des
uns et des autres à l'égard de l'Union européenne.
2. L'intégration européenne vue par la France : une Europe aux
cinq visages
D'après Juan Diez Medrano, l'analyse des images relatives au projet d'intégration
révèle des similitudes entre les perceptions de l'Union européenne par les journalistes et le
reste de la population. Il liste ainsi 16 thématiques abordées dans les articles étudiés et
compare leur apparition plus ou moins récurrente selon les États et les journaux considérés.
Dans le cas français, nous en relevons principalement cinq : (1) l'Europe, puissance
internationale, (2) l'Europe, ciment de la paix (3) l'Europe comme marché commun, (4) la
nécessité d'une Europe sociale, (5) le défi d'une Europe démocratique.
L'Europe, comme puissance internationale est, à la différence des autres images dont
la mention varie dans le temps, le seul argument constant de toute notre période d'étude.
Sur les trois périodes étudiées, pas une seule, ne fait l'économie de penser l'Union
71
Arnaud LEPARMENTIER, « HORIZONS - ANALYSES ANALYSE. Le refus de la souveraineté
partagée », Le Monde, mercredi 1er juin 2005, p. 1.
- Page 58 / 135 -
européenne comme un acteur majeur de l'ordre mondial. Ce discours est régulièrement
l'occasion pour le journal français de mentionner l'importance de peser face aux États-Unis.
L'enjeu est non seulement économique (contrebalancer le dollar, être compétitif sur les
marchés mondiaux), il est également diplomatique (peser dans les instances et négociations
internationales - notamment lorsqu'il s'agit d'engager des forces militaires avec les Nations
unies) et social (protection des acquis sociaux européens).
« M. Christian Proust, président socialiste du conseil général du Territoire de
Belfort (...) voit dans la "super Europe" un "bunker" dressé face aux États-Unis et
au Japon et fermé à toute idée généreuse vis-à-vis du tiers-monde »72
.
« La coopération en matière de santé et de recherche biomédicale, définie pour la
première fois dans le cadre européen par le traité de Maastricht, est une chance
unique que nous offre l'Histoire, écrivent-ils. L'union renforcée permettra à
l'Europe de devenir une véritable puissance scientifique et technologique mondiale
pouvant mieux rivaliser avec les États-Unis »73
.
« Une monnaie européenne unique et forte, par voie de conséquence, de la force
d'un marché de 350 millions de consommateurs contrecarrera la suprématie du
dollar »74
.
« La France a dû, à maintes reprises, batailler ferme pour rappeler aux pays
partenaires de la CEE la nécessité de garder une position solide dans les
négociations de l'Uruguay Round. Affaiblie par le rejet d'un traité dont elle a été
l'inspiratrice, elle réprouverait les plus grandes difficultés à empêcher que ces
72
Claude FABERT « LE 14 SEPTEMBRE 1992 A PROPOS DE LA RATIFICATION DU TRAITE DE
MAASTRICHT. LA CAMPAGNE POUR LE RÉFÉRENDUM Le conseil régional de Franche-Comté
organise un débat », Le Monde, mercredi 16 septembre 1992, p. 3. 73
« LE RÉFÉRENDUM SUR LE TRAITÉ DE MAASTRICHT Des professeurs de médecine pour le
"oui" », Le Monde, samedi 19 septembre 1992, p. 6. 74
Émile ARRIGHI DE CASANOVA, Georges BEAUCHAMP, Gilberte BEAUX, Jacques BONNOT,
Pierre BRACQUE, Guy BRANA, Pierre CORMORECHE, Roger COURBEY, « DEBATS. LE
RÉFÉRENDUM SUR LE TRAITÉ DE MAASTRICHT DÉBATS Pour un " oui " raisonné », Le Monde,
samedi 19 septembre 1992, p. 2.
- Page 59 / 135 -
négociations soient conclues dans des termes proches de ce que réclament avec
instance les États-Unis.
Or quels sont les principaux objectifs américains dans ces négociations :
contraindre l'Europe à moins exporter de céréales, sans autant réduire ses achats
de PSC (produits de substitution des céréales tel le corn gluten feed qui est un sous-
produit du maïs), l'obliger à moins produire d'oléagineux (colza, tournesol...) pour
qu'elle soit conduite à importer plus de soja.
Face à de telles exigences, l'agriculture française est en première ligne et a un
besoin vital de la solidarité de ses partenaires. Au bout du compte, même si c'est
parfois en grognant, ce soutien ne lui a jusqu'ici, jamais fait défaut »75
.
« - Est-ce que vous estimez nécessaire, comme la France, de promouvoir un pilier
européen de défense plus indépendant des États-Unis ?
- Je pense que les Américains ne peuvent pas tirer indéfiniment les marrons du feu
à la place des Européens. Je suis en faveur d'un renforcement du pilier européen
au sein de l'OTAN et de la politique de défense commune de l'Union
européenne »76
.
« Nous sommes favorables à la création d'un statut de société européenne, car ce
serait la construction d'un cadre juridique pouvant faire pièce au modèle anglo-
saxon. (...) Il est important de réfléchir à ce cadre qui peut contribuer à préserver
les droits sociaux, au moment où les Américains accentuent leur pression pour
imposer leurs critères de gestion et leurs normes comptables »77
.
75
Philippe LEMAITRE, « LE REFERENDUM SUR LE TRAITE DE MAASTRICHT Agriculteurs,
danger Les paysans français, largement partisans du " non " pourraient être les principales victimes d'un
rejet du traité », Le Monde, samedi 19 septembre 1992, p. 7. 76
Martin PLICHTA, « Vaclav Havel, président de la République tchèque. "Il y a des valeurs plus élevées
que les frontières d'un État" », Le Monde, mardi 2 mars 1999, p. 3. 77
Alain FAUJAS, « LE MONDE ECONOMIE LES ENJEUX, LES STRATEGIES DOSSIER FAUT IL
AVOIR PEUR DES ENTREPRISES SANS FRONTIERES ? DOSSIER ; DANS UN DOSSIER DE
TROIS PAGES : POUR UN MODELE EUROPEEN D'ENTREPRISE ET L'IDEE DE
"NATIONALITE" DE FIRME. Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire confédéral de la CGT "Nous
sommes favorables à la création d'un statut de société européenne" », Le Monde, mardi 16 mars 1999, p.
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« Personne n'a oublié que, lorsqu'il s'est agi d'empêcher l'actuel gouvernement
américain de contraindre les Nations unies à légitimer une guerre en Irak, la
France est devenue le point de référence de millions d'Européens et de citoyens du
monde. (...)
Parce que cela fait partie de son héritage historique, la France est capable de
revendiquer, pour elle et pour l'Europe, dont elle est l'une des fondatrices,
l'indépendance nécessaire pour représenter leur propre identité en se prononçant
librement sur ce qu'on leur propose outre-Atlantique (...)
Il faudrait à la Maison Blanche, des locataires autrement clairvoyants pour saisir
les avantages d'une Europe unique, plus forte et, de ce fait, plus libre face aux
pressions de Washington. (...)
A l'époque, comme aujourd'hui, une administration Bush misait sur une issue
négative d'un référendum français - sans bien entendu le crier sur les toits. La cible
de Washington était et reste une Europe constituer en sujet indépendant : il s'agit
de transformer son soutien initial, qui remonte quand même à l'après-guerre en un
"divide et impera" (diviser pour régner) toujours plus pressant »78
.
Cette première image est indissociable de celle d'une Europe pacifiée. Le projet
communautaire comme ciment de la paix sur le continent est en effet, en filigrane, de
nombreux argumentaires. Ceux-ci rappellent régulièrement le passé belliqueux des Nations
européennes, notamment dans l'analyse d'autres conflits mondiaux, que l'Union
européenne aurait le devoir moral d'apaiser. Seulement, alors que les États-Unis ont été de
précieux architectes de la paix en Europe, la période considérée présente une évolution
dans la relation des États européens à l'égard du voisin d'outre-Atlantique. La fin de la
guerre froide au début des années 1990 et la stabilité du continent ouest-européen après 40
3.
78 Gian GIACOMO MIGONE, « HORIZONS - DÉBATS. C'était en 1992, en Italie, à la veille du vote
français sur Maastricht... », Le Monde, samedi 28 mai 2005, p. 13.
- Page 61 / 135 -
ans de projet communautaire font tomber les raisons pour lesquelles les américains
pouvaient encore se trouver sur le continent européen.
La fin de l'URSS laisse les États-Unis seul acteur majeur des relations
internationales. La constitution des États-Unis comme « gendarme du monde » fait alors
évoluer l'image de l'Europe de la paix. Le projet communautaire ne serait plus seulement
l'architecte d'une stabilisation du continent mais celui d'une vision alternative des relations
internationales. La question d'une politique européenne de sécurité et de défense autonome
se dessine alors au début des années 2000. Alors que les années 1990 sont principalement
marquées par l'inertie européenne devant la crise yougoslave, les années 2000 marquent un
tournant dans l'atlantisme aveugle des européens. La France, en particulier, qui a
clairement affiché son opposition à une intervention en Irak en 2003, cherche à convaincre
ses partenaires européens de la nécessité d'une défense européenne pour faire peser son
interprétation des relations internationales, nettement moins interventionniste que les États-
Unis, dans les instances militaires interétatiques.
« M. Cot a interpellé la salle : "Au moment où ça craque à l'est et au sud de la
Méditerranée, a-t-il demandé, alors que les pays pauvres, le tiers-monde, comptent
sur nous, allons-nous nous payer le luxe de casser la baraque ? »79
.
« La décote de la France sera profonde. Nous serons retenus à bout de perche par
nos partenaires. Il ne sera pas question de renégocier un traité. L'Europe
continuera à ne rien pouvoir faire, comme elle n'a rien pu faire depuis un an en
Yougoslavie »80
.
« Nous ne pouvons qu'encourager la naissance d'une politique étrangère et de
sécurité commune qui mette enfin l'Europe face à ses responsabilités, au Liban
79
Philippe REVIL, « 11 SEPTEMBRE 1992. La campagne pour le référendum sur le traité de Maastricht A
Chambéry M. Cot donne la parole à la gauche européenne », Le Monde, lundi 14 septembre 1992, p. 7. 80
Ginette de MATHA, « 11 SEPTEMBRE 1992. La campagne pour le référendum sur le traité de
Maastricht A Bordeaux M. Chirac et M. Chaban-Delmas côte à côte », Le Monde, lundi 14 septembre
1992, p. 7.
- Page 62 / 135 -
occupé comme ailleurs, alors que demain l'ensemble du sous-continent européen
peut verser dans la tourmente »81
.
« Mes chers compatriotes, nous venons de vivre en ce dimanche 20 septembre l'un
des jours les plus importants de l'histoire de notre pays. Car la France non
seulement assure son avenir, renforce sa sécurité et consolide la paix dans une
région du monde si cruellement déchirée par la guerre, mais elle démontre aussi, et
surtout, qu'elle est encore et toujours capable d'inspirer l'Europe, en mesure
désormais d'égaler les plus grandes puissances de la terre »82
.
« [La Constitution] fait la part belle au marché et aux grandes entreprises, mais
ne répond guère aux besoins des travailleurs, ne protège pas les services publics et
ne permettra pas à l'Europe de jouer un rôle majeur dans la construction d'un
monde de paix »83
.
« Jamais, depuis mai 1940, le reste de l'Europe n'a observé avec autant d'attention
et d'inquiétude ce qui se passe en France. Il y a soixante-cinq ans, l'avenir d'une
Europe en guerre dépendait des Français. Aujourd'hui, c'est l'avenir d'une Europe
en paix »84
.
« La perspective d'une globalisation de l'OTAN, même si elle ne comporte pas pour
les Européens d'obligations contraignantes, devrait les rendre plus attentifs encore
à celle d'une véritable identité européenne de sécurité et de défense. En écartant,
81
Frédéric BECCARIA, Pierre CASANOVA, Arnaud DUHAMEL, Philippe LAUZERAL, « DÉBATS.
Maastricht Les jeunes UDF sans états d'âme », Le Monde, mercredi 16 septembre 1992, p. 2. 82
« LE 20 SEPTEMBRE 1992 SUR LE TRAITE DE MAASTRICHT. LES RÉSULTATS DU
RÉFÉRENDUM SUR L'UNION EUROPÉENNE Les réactions à l’Élysée et à Matignon M. Mitterrand :
" Le vote de ce jour engage toute la France" », Le Monde, mardi 22 septembre 1992, p. 6. 83
Jane CAROLAN, Ian DAVIDSON, « HORIZONS DÉBATS. Syndicalistes français, vous n'êtes pas
isolés », Le Monde, jeudi 26 mai 2005, p. 17. 84
Timothy GARTON ASH, « HORIZONS DÉBATS - POINT DE VUE. La bataille de France », Le
Monde, lundi 30 mai 2005, p. 1.
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en 1997, la proposition française d'une répartition nouvelle des commandements de
l'Alliance entre Européens et Américains, l'OTAN avait admis le principe d'une
identité européenne dans son cadre. (...)
Mais elle ne résout pas le problème essentiel : celui d'une décision dans l'Alliance,
c'est-à-dire du poids respectif des Européens et des Américains dans la politique de
l'OTAN. Elle aboutit à soumettre toute action militaire de l'Europe à un contrôle
américain.
De fait, le développement d'une identité européenne est une nécessité. (...) L'identité
européenne est (...) indispensable si l'Europe veut éviter que les États-Unis soient
seuls à apprécier dans quelle mesure les résolutions des Nations unies peuvent être
respectées, ou si les exigences d'un ordre international qu'ils seraient seuls à
définir impliquent que l'Occident s'en affranchisse. (...)
C'est dans la mesure où l'Europe prendra des décisions par elle-même et pourra les
exécuter sans être contrainte de recourir à l'OTAN qu'elle pourra exercer une
véritable influence sur les décisions de l'Alliance. (...)
Il n'est évidemment pas question d'opposer a priori l'Europe aux États-Unis. (...)
Mais il est essentiel que l'Europe constitue, face aux États-Unis, un partenaire de
plein exercice, libre de conformer son implication dans toute entreprise
internationale à la vision qu'elle a de ses intérêts et de ses conceptions de l'ordre
international »85
.
« Il n'a pas été difficile pour Paris et Londres de tomber d'accord pour maintenir la
défense européenne dans un cadre intergouvernemental, en dehors de toute
interférence de la Commission de Bruxelles ou du Parlement de Strasbourg. (...)
Du côté français, on veut réfléchir à deux fois avant de liquider l'UEO [Union de
l'Europe Occidentale]. Certes, cette organisation est mal connue, mal aimée, et il
ne serait pas difficile de trouver un consensus sur son utilité relative. Mais elle a le
mérite d'exister, d'avoir réalisé la synthèse entre des pays aux traditions et aux
85
Luis Maria DE PUIG, « HORIZONS - DEBATS. L'Europe et sa défense autonome », Le Monde, samedi
20 mars 1999, p. 20.
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intérêts très divers ; elle possède des moyens limités mais que la France ne
voudrait pas voir disparaître dans l'OTAN. (...)
Reste une inconnue de taille : la réaction du grand allié américain, qui a toujours
encouragé les Européens à prendre en charge une plus grande part de leur défense
aussi longtemps qu'ils en étaient incapables, mais qui a toujours regardé avec
suspicion leurs velléités de passer à l'acte »86
.
« Quant à la politique étrangère et de défense, l'article I-41.7 règle le problème :
"Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux
engagements souscrits au sein de l'OTAN." C'est pourquoi, selon l'ambassadeur
des États-Unis auprès de l'Union, M. Bush vote "oui" à la Constitution européenne
au motif "qu'elle règle la question de la politique étrangère »87
.
Si la réalisation d'une politique européenne de sécurité et de défense est présentée,
entre autres, comme un moyen de faire face à la suprématie militaire et diplomatique des
États-Unis, la réalisation d'une Union économique et monétaire (UEM) en Europe en est
une autre. C'est notamment le cas quand Émile Arrighi De Casanova, Georges Beauchamp,
Gilberte Beaux, Jacques Bonnot, Pierre Bracque, Guy Brana, Pierre Cormoreche, Roger
Courbey font de la construction de l'UEM un outil de concurrence de l'hégémonie
américaine : « une monnaie européenne unique et forte, par voie de conséquence, de la
force d'un marché de 350 millions de consommateurs contrecarrera la suprématie du
dollar »88
.
Juan Diez Medrano explique comment l'image de l'Europe comme marché commun
est la première et seule image commune à l'ensemble de ses cas d'études. La France ne fait
86
Daniel VERNET, « HORIZONS - ANALYSES; FRANCE, GRANDE-BRETAGNE, ALLEMAGNE.
Triple entente pour la défense européenne », Le Monde, samedi 20 mars 1999, p. 1. 87
Jacques NIKONOFF, « HORIZONS - DÉBATS. La fin programmée de l'Union européenne », Le
Monde, mardi 24 mai 2005, p. 14. 88
Émile ARRIGHI DE CASANOVA, Georges BEAUCHAMP, Gilberte BEAUX, Jacques BONNOT,
Pierre BRACQUE, Guy BRANA, Pierre CORMORECHE, Roger COURBEY, « DEBATS. LE
RÉFÉRENDUM SUR LE TRAITÉ DE MAASTRICHT DÉBATS Pour un " oui " raisonné », Le Monde,
samedi 19 septembre 1992, p. 2.
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pas exception : les articles étudiés font également état d'une vision de l'Union européenne
comme espace de libéralisation des échanges, facilités, depuis le traité de Maastricht, par
l'adoption d'une monnaie unique. Alors que la fin des années 1990 semble plutôt incertaine
quant à l'avis à porter sur l'approfondissement de l'UEM, le début des années 2000 et la
campagne référendaire de 2005 sont particulièrement marqués par les thématiques des
délocalisations et de la directive Bolkestein, discutée quelques mois plus tôt. Si certains le
justifient comme un moyen de peser dans la guerre économique mondiale, d'autres
avancent l'argument de l'interdépendance à même d' « empêcher les déséquilibres
régionaux et les égoïsmes nationaux ». Quasi-systématiquement, cependant, le discours sur
l'Europe synonyme de marché commun présente la France en spectatrice de cette tendance
à la libéralisation, la subissant, même. Les rares initiatives de la France sont présentées en
rempart aux dérives libérales de l'économie de marché.
« Nous sommes conscients que l'unification économique de l'Europe n'est
pleinement efficace qu'à condition de mettre en place une monnaie unique et des
politiques économiques coordonnées de manière à empêcher les déséquilibres
régionaux et les égoïsmes nationaux »89
.
« Les partisans éclairés du traité prétendent qu'il institue une volonté politique là
où régnait la seule loi impitoyable du marché (...)
Cette disjonction entre une politique monétaire échappant à tout contrôle électif et
des politiques budgétaires nationales, est lourde de tensions explosives. Soit la
gestion monétaire européenne pliera les budgets à sa discipline et dictera ses
conditions aux législations sociales, soit les rapports de forces sociaux feront
éclater ce corset monétaire »90
.
« Pour les monnaies, la question est de savoir dans quelle mesure elles sont
dissociables ou non de notre identité. Certaines auront le sentiment qu'instaurer
89
Frédéric BECCARIA, Pierre CASANOVA, Arnaud DUHAMEL, Philippe LAUZERAL, « DÉBATS.
Maastricht Les jeunes UDF sans états d'âme », Le Monde, mercredi 16 septembre 1992, p. 2. 90
Daniel BENSAID, Alain DUGRAND, Gilles PERRAULT, « DÉBATS. Maastricht ... Mais quelle était la
question ? », Le Monde, jeudi 17 septembre 1992, p. 2.
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une monnaie unique va nous arracher à nous-mêmes, nous diluer dans une
uniformité sans saveur (...). D'autres feront au contraire remarquer qu'il y a là une
confusion. Les espèces, sonnantes ou froissables, ne sont qu'une survivance. Depuis
pas mal de temps, la monnaie se dissocie de son support (...). Rien qu'un code, pas
même une écriture. En ce domaine, les particularismes et les disparités peuvent
alors paraître des archaïsmes sans justification. Les monnaies imparfaites en cela
que plusieurs... Nous pourrons donc cesser de changer nos devises. (...) Il s'agit
seulement d'acheter un jour avec le même billet de la fougasse ou des bretzels.
C'est très peu, et c'est beaucoup. L'Europe aussi, finalement »91
.
« Sur le plan économique, "l'euro peut être un formidable atout pour la prospérité
et pour l'emploi". (...) Mais [la France] doit aussi "ouvrir ses services publics à la
concurrence afin de fournir les meilleurs services aux meilleurs prix". "Le marché
unique devra nécessairement s'accompagner d'une convergence fiscale" »92
.
« La constitution est-elle oui ou non "libérale" sur le plan économique ? (...)
La conception du marché et de la concurrence défendue par la Commission de
Bruxelles, et qui marque en partie la Constitution, semble éloignée de la vision de
l'Europe, incarnée par les deux pères fondateurs, Robert Schuman et Jean Monnet.
(...)
Les Français accordent alors plus d'intérêt aux aspects dirigistes de ces premières
politiques européennes qu'à l'établissement du marché commun, considéré comme
une étape, non une fin en soi. Le traité de Rome s'inscrit, en fait, dans un
compromis entre la France et ses voisins, déjà plus "libéraux" qu'elle, par exemple
l'Allemagne de l'Ouest.
91
Pol DROIT ROGER, « LE REFERENDUM SUR LE TRAITE DE MAASTRICHT Monnaie unique et
besoin d'identité. Changer ses devises », Le Monde, vendredi 18 septembre 1992, p. 7. 92
« Philippe Séguin veut incarner la seule alternative à la gauche. VERBATIM; EXTRAITS DES DIX
OBJECTIFS DE LA " CHARTE EUROPEENNE POUR L'UNION " RENDUE PUBLIQUE LE JEUDI
18 MARS 1999 PAR PHILIPPE SEGUIN ET ALAIN MADELIN (DANS LA PERSPECTIVE DES
ELECTIONS EUROPEENNES). "L'euro, formidable atout pour l'emploi" », Le Monde, vendredi 19
mars 1999, p. 7.
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Ainsi Jean Monnet note-t-il à propos de Ludwig Erhard, ministre ouest-allemand
des finances de 1949 à 1963 : "Il voyait (...) du protectionnisme là où nous
organisions la solidarité européenne". (...)
La Commission de Bruxelles met désormais la concurrence et la libéralisation de
l'économie au centre de son action, et défend la perspective d'un "État minimal".
(...)
La formule soulignant que l'Union et les États membres doivent respecter "le
principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre" figure pas
moins de trois fois en deux articles (III-177, III.178). (...)
Les électeurs inquiets d'une orientation européenne qui heurte une grande partie de
la tradition politique, économique et sociale française peuvent donc considérer
qu'il y a, pour le moins, matière à discussion »93
.
« "En France, il y a quand même plus d'ouvriers que de patrons ! Ils vont bien se
rendre compte que c'est cette Europe qui permet à Nestlé de délocaliser notre
production en Italie ou en Espagne. C'est sûr que le non va gagner."
Porte-parole de la LCR, Olivier Besancenot rejoint Mme Buffet à l'applaudimètre
en lançant : "Les Français ont trouvé le moyen de dire "merde" au libéralisme" »94
.
« Même si Laurent Fabius continue de se dire "réformiste", cette ligne est au fond
celle de tous ceux qui, à gauche, n'ont pas accepté le tournant de 1983, celui de
l'acceptation par la gauche de gouvernement, de l'économie de marché. Ceux-là
oublient simplement que le handicap économique des pays européens de l'ex-
Empire soviétique résulte précisément de ce qu'ils ont été privés de l'économie de
marché pendant la seconde moitié du XXe siècle.
93
Jean-Louis ANDREANI, « HORIZONS ANALYSE. L'Europe, l'économie de marché et la
concurrence », Le Monde, jeudi 26 mai 2005, p. 1. 94
Michel SAMSON, « UNION EUROPÉENNE LE RÉFÉRENDUM DU 29 MAI REPORTAGE. A
Martigues, 5 000 militants du non de gauche fêtent à l'avance leur victoire. Le PCF, la LCR et la CGT
ont occupé la scène "On ne distribuait plus les tracts, les gens venaient nous les prendre" », Le Monde,
jeudi 26 mai 2005, p. 8.
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La désillusion viendra aussi pour ceux qui, croyant avoir donné un coup d'arrêt à
l'Europe libérale, vont devoir rapidement constater que celle-ci continue, en effet,
mais désormais privée des instruments que crée la Constitution pour lui offrir des
garanties sociales ; ils vont devoir se résoudre à ce que la voie soit désormais
rouverte à une Europe conçue comme une simple et vaste zone de libre-échange, là
où la France et l'Allemagne - et quelques autres - avaient obstinément, et pendant
tant d'années, mis en avant la nécessité d'une Europe politique »95
.
« La Constitution est-elle libérale ? (...)
Les défenseurs du non affirment que ce texte, en particulier dans sa troisième
partie (celle qui liste les "politiques de l'Union"), constitue un nouveau pas vers
une Europe libérale bâtie sur un modèle anglo-saxon, qui débouchera sur une
remise en question des acquis sociaux et la fin des services publics à la française.
(...)
Ils jugent que l'Europe de la Constitution entretiendra le niveau élevé du chômage
et pèsera à la baisse sur les salaires et les conditions de travail. Ils soulignent que
le traité favorisera les délocalisations, appuyées sur le "dumping" fiscal et social,
puisque le texte n'impose l'harmonisation européenne dans aucun de ces deux
domaines. (...)
Certains tenants du oui de gauche, mais aussi Jacques Chirac, soulignent que la
Constitution est le meilleur rempart contre l'ultralibéralisme. (...)
Quant à la directive Bolkestein, que personne ne défend, les tenants du oui
affirment que plusieurs dispositions de la Constitution interdisent l'application du
"principe du pays d'origine", qui a déclenché la polémique »96
.
95
Jean-Marie COLOMBANI, « HORIZONS ANALYSES ÉDITORIAL. Illusion du non », Le Monde,
vendredi 27 mai 2005, p. 1. 96
Jean-Louis ANDREANI, Thomas FERENCZI, « HORIZONS - RÉFÉRENDUM. Les six thèmes-clés de
la campagne. Ce sera oui ou non. A la veille du scrutin, retour sur les grandes questions, parfois
inattendues, qui ont passionné les électeurs lors du débat autour du traité constitutionnel », Le Monde,
samedi 28 mai 2005, p. 12.
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« Le libéralisme est devenu péché mortel, comme si nous ne vivions et ne
travaillons pas dans une économie de marché. Les délocalisations ont été
présentées comme une nouveauté détestable qui serait encore aggravée par le
traité alors même que depuis quarante ans la Datar a organisé au profit des
régions l'accueil et le financement des entreprises étrangères souhaitant s'installer
en France »97
.
Presque indissociable de cette image libérale, au sens économique du terme, de
l'Union européenne, se joint un discours sur la nécessité d'une Europe sociale. Outre un
débat relativement technique sur les services publics européens qui fait une timide
apparition à partir de la campagne référendaire de 2005, l'image d'une Europe trop peu
sociale au goût des Français reste relativement stable au cours de la période considérée.
Les auteurs soulignent un modèle social français menacé par l'approfondissement de
l'Union européenne, dont les agrandissements ouvrent les frontières à des voisins toujours
plus acquis à l'économie de marché, notamment du fait de leur passé communiste.
Les tribunes contre les traités soumis à référendum sont souvent l'occasion de pointer
l'absence de garanties sociales (revenu minimum, durée du travail, conditions de travail...)
en contrepartie du développement du marché du travail européen et de souligner les
conséquences potentiellement néfastes (dumping social, notamment) du droit de la
concurrence européen, seul droit véritablement communautaire. Les Français sont souvent
dépeints réticents et inquiets devant les potentiels transferts de compétences, notamment de
peur que ceux-ci se traduisent par un nivellement, par le bas, de leurs acquis sociaux.
« Non à cette Europe "anti-démocratique" dont le Parlement est court-circuité par
un exécutif non élu. Non à cette Europe "anti-sociale" qui n'a rien prévu sur le
droit syndical, le revenu minimum, la durée du travail..." Maastricht va permettre
aux avocats, aux médecins, aux architectes de prospérer et d'aller s'installer à
l'étranger. Mais que se passera-t-il pour l'ouvrier ? (...) "Liliane et Marcel ne
prétendent pas avoir lu le traité, mais ils font confiance au parti et à l'Humanité.
"Ceux qui ne la lisent pas ne savent pas ce qui se trame." Ils ont donc compris que
97
Yves MENY, « HORIZONS. L'Europe désorientée, la France déboussolée », Le Monde, mercredi 1 juin
2005, p. 13.
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Maastricht rendra "les riches plus riches et les pauvres plus pauvres", qu'il
permettra "une surexploitation des travailleurs" quitte à faire "exploser" le code du
travail, "pourquoi pas les retraités et la sécurité sociale ?", que les emplois iront en
diminuant quand "la haute finance" aura gagné les rênes de la maison Europe »98
.
« Nous sommes dans un nouveau contexte européen. Une série de règles qui étaient
légitimes à six, puis à quinze pays de niveau social homogène, lorsque nous avons
développé l'Union européenne, ne fonctionnent plus. Appliquées dogmatiquement à
25 ou 30 pays, dont la moitié ont des niveaux de salaires, de protection sociale et
de fiscalité sur les entreprises à rebours des nôtres, elles risquent de nuire à tous
les États membres, anciens ou entrants. On cite souvent l'exemple de la
concurrence "libre et faussée" : ce principe peut être positif quand les économies
sont comparables, mais son application mécanique risque de conduire au dumping
lorsque les niveaux sociaux et fiscaux sont radicalement différents. (...)
Il faut des règles. Pour les mettre en place, il faut une volonté politique. Elle n'est
pas présente avec assez de force »99
.
« "J'aimerais ne pas voter par défaut, dit Christiane. J'aimerais bien être
convaincue que ce n'est pas une Europe libérale qu'on nous prépare." Christelle,
comme beaucoup, se dit "craintive sur tout ce qui concerne les acquis
sociaux" »100
.
98
Annick COJEAN, « REPORTAGE PARMI LES PARTICIPANTS A PLUSIEURS MEETINGS EN
FAVEUR DU "NON" LE RÉFÉRENDUM SUR LE TRAITÉ DE MAASTRICHT Petit voyage dans les
tribus du " non ". Entre fidélités et ruptures, réactions viscérales et positions de principes, les adversaires
de Maastricht forment une coalition bien complexe », Le Monde, vendredi 18 septembre 1992, p. 8. 99
Isabelle MANDRAUD, Sylvia ZAPPI, UNION EUROPÉENNE LE RÉFÉRENDUM DU 29 MAI.
Laurent Fabius : « Il y a un plan C de la droite pour l'après-oui ». Le numéro deux du PS dénonce, dans
un entretien au « Monde », la « liste des mesures retardées qui ressortiront dès après le 29 mai si le oui
l'emporte ». Refusant de répondre sur les divisions du PS, il affirme que « le principal clivage reste celui
qui sépare la droite et la gauche », Le Monde, lundi 23 mai 2005, p. 6. 100
Gaëlle DUPONT, « L'UNION EUROPÉENNE LE RÉFÉRENDUM DU 29 MAI Témoignages La
conquête des indécis, dernier acte de la campagne française. Culpabilité post-21 avril 2002, angoisse
devant l'enjeu et défiance envers les politiques pèsent sur les choix », Le Monde, mardi 24 mai 2005, p.
5.
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« Dire que "L'Europe sociale passe par le oui" est plus un vœu qu'une certitude.
Car, même si ce traité comporte des avancées, l'exigence de compétitivité continue
de primer l'impératif de solidarité. En effet, celui-ci exclut expressément
l'harmonisation par le haut des normes sociales des États membres (art. III-210). Il
ne prévoit aucune harmonisation des fiscalités directes, notamment sur les
entreprises (art. III-171). Le dumping social et fiscal reste donc possible, risquant
de provoquer des délocalisations au sein même de l'UE, élargie à de nouveaux
États membres ayant un plus faible niveau de protection sociale et d'imposition des
sociétés. (...)"
[Les avancées de la Constitution] sont réelles, mais restent trop limitées pour
préserver et surtout renforcer le modèle social européen (...).
Le recours à la technique de la déclaration interprétative permettrait à la France
de marquer sa volonté de bâtir une véritable Europe sociale. Elle y exprimerait sa
volonté de voir remédier aux insuffisances du traité, qui repose surtout sur
l'idéologie libérale, et d'aller vers l'adoption d'un traité social européen »101
.
« L'Europe sera-t-elle plus ou moins sociale ? (...)
Les partisans du oui soulignent les avancées qu'assure le texte dans le domaine
social. Ils mettent notamment en avant l'intégration dans le traité de la Charte des
droits fondamentaux de l'Union, qui proclame la "solidarité" comme l'une des
valeurs de l'Union, garantit les droits des travailleurs, reconnaît pour la première
fois "le droit de travailler", et assure le respect d'un minimum de droits sociaux
(conditions de travail "justes et équitables", protection contre les licenciements
injustifiés, égalité de rémunération hommes-femmes). (...) Ils affirment que la
Constitution consacre un "modèle social" proche du modèle français. (...)
[Les défenseurs du non] décèlent une contradiction entre l'objectif de plein emploi
et les options libérales de la Constitution, observent que le texte présente la liberté
de circulation des biens et des services et l'établissement de la concurrence comme
101
Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, « HORIZONS DÉBATS. Laïcité, social : voter oui en posant des
garde-fous », Le Monde, jeudi 26 mai 2005, p. 16.
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des impératifs, alors que les objectifs de progrès social ne s'accompagnent
d'aucune contrainte et restent pour l'essentiel du ressort des États. (...)
Dans le domaine des services publics, les partisans du oui soulignent que la
Constitution représente un progrès sensible, puisque, pour la première fois, elle
"reconnaît et respecte l'accès" aux services d'intérêt économique général (...).
Les défenseurs du non rétorquent que les mots "services publics" ne figurent pas
dans la Constitution et que les aides sont conditionnées au respect de la
concurrence »102
.
102
Jean-Louis ANDREANI, Thomas FERENCZI, "HORIZONS - RÉFÉRENDUM. Les six thèmes-clés de
la campagne. Ce sera oui ou non. A la veille du scrutin, retour sur les grandes questions, parfois
inattendues, qui ont passionné les électeurs lors du débat autour du traité constitutionnel", Le Monde,
samedi 28 mai 2005, p. 12.
- Page 73 / 135 -
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La dernière image de l'Union européenne est celle d'une Europe technocratique.
L'image évolue au cours de la période sans toutefois changer complètement de nature. La
campagne référendaire du traité de Maastricht est ici décrite comme le premier rendez-
vous citoyen européen en France : elle est l'occasion d'expliquer le projet communautaire
et pour les citoyens de manifester leur intérêt. Le caractère exceptionnel du dialogue
citoyens-élus au cœur de la campagne référendaire de 1992 est expliqué dans les colonnes
du quotidien par le fonctionnement technocratique des institutions européennes, au premier
rang desquelles la Commission européenne. On fait alors de 1992 un tournant en ce qu'il
met fin au « despotisme éclairé » de l'Europe, pour tendre vers une Europe « transparente »
et « démocratique ».
La démission de la Commission Santer, en 1999, est de nouveau décrite comme une
nouvelle étape dans l'abandon de l'Europe technocratique. Loin de blâmer la Commission
pour les « péchés de gestion » dont elle est accusée, le journal félicite la décision de la
Commission de démissionner, dans lequel il voit un geste de responsabilité devant inspirer
les gouvernements des États. Deux tribunes se forment alors : l'une interprète la démission
comme une chance démocratique, renforçant le Parlement européen qui, par la seule
menace d'une motion de censure, fait tomber indirectement la Commission ; l'autre y voit
l'opportunité de remanier la Commission européenne pour qu'elle devienne un simple
organe administratif et non plus exécutif, ce rôle étant confié exclusivement aux
représentants nationaux élus qui siègent au Conseil européen.
La campagne référendaire de 2005 ne fait pas exception à cette image de l'Union
européenne. Si l'on retrouve moins systématiquement la terminologie technocratique, le
sujet est toutefois bien présent, par l'évocation du déficit démocratique de l'Union
européenne. Le débat de l'Europe technocratique en 2005 tient principalement à
l'introduction, par le traité constitutionnel, d'une nouvelle règle stipulant que le président
de la Commission européenne devra être issu de la majorité parlementaire. Les adversaires
au traité constitutionnel soulignent, quant à eux, que, pour réellement tendre vers une
Europe démocratique, le projet de Constitution aurait dû être élaboré par une « Assemblée
constituante, élue à cette fin par les citoyens des États membres ».
« Même si le 'oui' l'emporte, ce que j'espère, il y aura quand même eu un Français
sur deux environ qui aura voté 'non'. C'est un signal. Le signal d'un malaise vis-à-
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vis d'une certaine forme de fonctionnement des institutions communautaires : la
technocratie. Le comportement de la Commission ne pourra jamais plus être ce
qu'il a été jusqu'à maintenant. De ce point de vue encore, le débat aura été
utile »103
.
« La condamnation unanime de la technocratie bruxelloise, si démagogique qu'elle
paraisse, est un autre indice de cette exigence nouvelle. Nul doute qu'elle ne
s'applique aussi aux détenteurs de l'autorité en France »104
.
« Après le 'non' danois et le modeste 'oui' français, les Douze semblent avoir enfin
pris conscience que c'en était fini de l'Europe en catimini. A chaque nouvelle étape,
la Communauté devra désormais s'assurer que ses objectifs sont compris du plus
grand nombre. Il ne sera plus possible de prendre les opinions de court par une
démarche volontariste, ou de les priver d'un débat dont les Français ont donné
envie à tous. Transparence et participation seront, dans l'après-Maastricht, les
deux atouts de l' "Europe démocratique" »105
.
« L'Europe telle qu'elle s'est construite pendant quarante ans, celle du
"despotisme" éclairé, a vécu. Il va falloir lui substituer une Europe mieux prise en
charge par ses propres citoyens, qui intègre les préoccupations de cette opinion
publique européenne qui voit au fil des consultations et des processus de
ratification dans chacun des pays membres »106
.
103
Olivier BIFFAUD, Thomas FERENCZI, Alain JUPPE, « LE RÉFÉRENDUM SUR LE TRAITÉ DE
MAASTRICHT Un entretien avec M. Alain Juppé "Si le "oui " l'emporte, l'engagement d'une grande
partie de l'opposition aura sauvé l'idée européenne" nous déclare le secrétaire général du RPR », Le
Monde, vendredi 18 septembre 1992, p. 5. 104
Thomas FERENCZI, « LE RÉFÉRENDUM SUR LE TRAITÉ DE MAASTRICHT Alors que Paris et
Bonn pressent Londres de convoquer un sommet sur la crise monétaire Trente-huit millions d'électeurs
français décident de l'avenir de l'Union européenne Les leçons d'une campagne », Le Monde, lundi 21
septembre 1992, p. 1. 105
Jean-Pierre LANGELLIER, « LE 20 SEPTEMBRE 1992 SUR LE TRAITE DE MAASTRICHT. Les
résultats du référendum sur l'Union européenne Les réactions à l'étranger après le "oui" français à
Maastricht Œuvre utile », Le Monde, mardi 22 septembre 1992, p. 25. 106
Jean-Marie COLOMBANI, « LE 20 SEPTEMBRE 1992 SUR LE TRAITE DE MAASTRICHT. LES
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« Les Douze sont allés trop loin dans la définition abstraite d'une Union politique,
et pas assez dans la mise en œuvre, entre eux, d'une coopération concrète dans les
domaines qui touchent le plus directement à la vie des citoyens. Ils ont ainsi
contribué à entretenir l'idée d'une Europe technocratique et bureaucratique, alors
que nombre de problèmes sont communs à une majorité d'Européens : insécurité,
chômage, immigration, politique de la ville, etc. »107
.
« Ce fameux rapport des Sages nous semble la meilleure chose qui pouvait arriver
à la Commission. Le signe évident d'un fonctionnement enfin normal et
démocratique de l'institution européenne. Il y a eu des fautes, certes longtemps
masquées. Il y a sanction politique, même tardive. C'est aussi simple que cela, une
procédure bien conduite. Voici démoli le vaste soupçon d'immunité, d'impunité,
d'irresponsabilité qui plombe, depuis des années, l'action et même l'idée
européennes. Et voici, administrée du lieu où on l'attendait le moins, une vraie
leçon à certaines présumées démocraties-nations »108
.
« La Commission, dans son ensemble, peut faire état, sur certains chapitres, d'un
bilan honorable (...). Même les péchés de gestion qu'on lui reproche pourraient
sembler véniels, à l'aune des malversations dont se rendent coupables certains
gouvernements - ou certaines autorités locales - de ses États membres.
Mais c'est justement là que Bruxelles a commis sa plus grave erreur politique, en
sous-estimant l'évolution de l' "esprit public" européen. L'opinion européenne
réclame la mise en œuvre d'une morale publique sans faille. "Eurocritique" sans
être europhobe - comme l'attestent les sondages -, elle exige plus des institutions de
RÉSULTATS DU RÉFÉRENDUM SUR L'UNION EUROPÉENNE Pièges d'une victoire », Le Monde,
mardi 22 septembre 1992, p. 1. 107
Daniel VERNET, « TRAITE DE MAASTRICHT. APRES LE REFERENDUM FRANCAIS SUR
L'UNION EUROPEENNE Contourner Maastricht sans renégocier », Le Monde, mercredi 23 septembre
1992, p. 1. 108
Pierre GEORGES, « COMMISSION EUROPEENNE, A chacun ses sages! », Le Monde, mercredi 17
mars 1999, p. 38.
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l'Union que de ses gouvernements. Elle veut une Commission "irréprochable", à
laquelle elle est prête à demander des comptes, par la voix de ses élus à
Strasbourg. (...)
L'Europe a besoin, pour progresser, d'une Commission forte et unie, tout comme
d'un Parlement offensif. Quant aux gouvernements, ils devront enfin s'entendre sur
une réforme des institutions. Face aux anti-européens qui tenteront d'exploiter cette
crise, il faut au contraire s'en saisir pour aller plus avant vers une Europe
démocratique et transparente »109
.
« Tous les partisans d'une construction démocratique de l'Europe devraient fêter le
16 mars 1999 comme une date. (...) En 1999, l'Europe aura accouché d'une
monnaie fédérale et sera entrée dans l'ère parlementaire »110
.
« "Il faut donc supprimer la Commission et la remplacer par un simple secrétariat
général purement administratif dépendant du Conseil des ministres, lequel, en tant
que représentant des États, doit concentrer tous les pouvoirs de l'Europe" »111
.
« L'Union européenne, on s'en aperçoit, est bâtie de guingois. Il faut la remettre
d'aplomb. Faire du Conseil européen, assisté du conseil des ministres, l'exécutif de
l'Union et mettre la Commission à sa place qui doit devenir celle d'une véritable
administration »112
.
109
« EDITORIAL; DEMISSION DE LA COMMISSION EUROPEENNE. Une chance pour l'Europe », Le
Monde, mercredi 17 mars 1999, p. 20. 110
« KIOSQUE; APRES DEMISSION COLLECTIVE DE LA COMMISSION DE BRUXELLES. DANS
LA PRESSE », Le Monde, jeudi 18 mars 1999, p. 36. 111
Bruno MEGRET, à propos de la démission de la Commission Santer. Cité dans : « LA CRISE
EUROPEENNE; DANS UN ENSEMBLE DE QUATRE PAGES - APRES LA DEMISSION DE LA
COMMISSION EUROPEENNE 16 MARS 1999. Comment sortir de la crise : les dix têtes de liste
répondent. "Le Monde" a interrogé les chefs de file aux élections européennes sur la désignation d'une
nouvelle Commission sans attendre ou bien après le scrutin de juin et sur l'idée que les partis pourraient
faire connaître aux électeurs le nom de leur candidat », Le Monde, jeudi 18 mars 1999, p. 4. 112
Charles PASQUA, à propos de la démission de la Commission Santer. Cité dans : « LA CRISE
EUROPEENNE; DANS UN ENSEMBLE DE QUATRE PAGES - APRES LA DEMISSION DE LA
COMMISSION EUROPEENNE 16 MARS 1999. Comment sortir de la crise : les dix têtes de liste
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« Ceux qui proposent que les partis annoncent, avant les élections européennes,
quel candidat à la présidence de la Commission aurait leur préférence, veulent
transposer le système parlementaire national au niveau européen et faire du
président de la Commission un super premier ministre. Mais l'Europe n'est pas une
nation, et le système institutionnel européen rassemble des nations que nous
voulons garder souveraines, dans une formule d'association sui generis. Dans ce
système, c'est le Conseil qui garde la fonction d'initiative du choix du président et
la fonction de nomination finale »113
.
« L'Europe des peuples, de l'opinion, est née. Certes, on aurait préféré que
l'Europe politique et démocratique naisse dans d'autres conditions, plus pacifiques
et plus positives. Mais cette crise majeure, la première de ce type depuis 1959,
constitue une occasion fantastique, si l'on veut bien l'utiliser. (...)
De technocratique qu'elle était, elle est devenue de plus en plus politique au
sommet : la plupart des commissaires ont exercé des fonctions politiques de
premier plan au niveau national, l'Europe devenant l'étage ultime du cursus
politique.
Le Parlement, organe démocratique mais encore faiblement légitime, a renforcé
progressivement ses pouvoirs et ses capacités de contrôle, poussant la Commission
dans ses retranchements. Sa victoire n'est pas totale puisque la Commission n'a pas
été formellement renversée par les parlementaires. Mais ce sont eux qui l'ont
acculée à la démission »114
.
répondent. "Le Monde" a interrogé les chefs de file aux élections européennes sur la désignation d'une
nouvelle Commission sans attendre ou bien après le scrutin de juin et sur l'idée que les partis pourraient
faire connaître aux électeurs le nom de leur candidat », Le Monde, jeudi 18 mars 1999, p. 4. 113
Philippe DE VILLIERS, à propos de la démission de la Commission Santer. Cité dans : « LA CRISE
EUROPEENNE; DANS UN ENSEMBLE DE QUATRE PAGES - APRES LA DEMISSION DE LA
COMMISSION EUROPEENNE 16 MARS 1999. Comment sortir de la crise : les dix têtes de liste
répondent. "Le Monde" a interrogé les chefs de file aux élections européennes sur la désignation d'une
nouvelle Commission sans attendre ou bien après le scrutin de juin et sur l'idée que les partis pourraient
faire connaître aux électeurs le nom de leur candidat », Le Monde, jeudi 18 mars 1999, p. 4. 114
Yves MENY, « HORIZONS DEBATS. La Commission est morte... Vive l'Europe ! », Le Monde,
vendredi 19 mars 1999, p. 18.
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« L'Union sera-t-elle plus démocratique ?
Pour réduire ce déficit démocratique, il aurait fallu, selon [les partisans du non],
que le projet de Constitution soit élaboré par une Assemblée constituante, élue à
cette fin par les citoyens des États membres (...).
La Commission, organe moteur de l'Union, continue d'être composée de
représentants des gouvernements, hors de tout contrôle des peuples. (...)
Les défenseurs de la Constitution estiment, pour leur part, que des pas importants
ont été franchis vers plus de démocratie. (...) Ils soulignent que la désignation du
président de la Commission devra tenir compte du résultat des élections
européennes, ce qui lui donnera une légitimité et une autorité politique accrues.
Ils notent également que le Parlement européen partagera désormais avec le
Conseil l'exercice du pouvoir législatif »115
.
« L'indépendance de la France et la préservation de son identité sont bien un souci
légitime. La politique incessante de grignotage de la Commission de Bruxelles (...)
inquiète beaucoup d'Européens convaincus.
Or le traité constitutionnel donne le premier coup d'arrêt à ces tendances (...) : en
reconnaissant à chaque État le droit d'organiser et de financer des services publics,
en insistant sur la clause de subsidiarité et en donnant aux Parlements nationaux
un rôle de contrôle dans le déclenchement des initiatives de la Commission, en
donnant aux pays fondateurs 50% des voix au Conseil (dont 32% pour le couple
franco-allemand), en reconnaissant la diversité culturelle, etc. (...)
L'Europe que nous devons défendre est donc une fédération de nations »116
.
115
Jean-Louis ANDREANI, Thomas FERENCZI, « HORIZONS - RÉFÉRENDUM. Les six thèmes-clés de
la campagne. Ce sera oui ou non. A la veille du scrutin, retour sur les grandes questions, parfois
inattendues, qui ont passionné les électeurs lors du débat autour du traité constitutionnel », Le Monde,
samedi 28 mai 2005, p. 12. 116
Claude ALLEGRE, « HORIZONS - DÉBATS. Le oui, un levier, le non, un cul-de-sac », Le Monde,
samedi 28 mai 2005, p. 13.
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« Pour ce qui concerne le manque de démocratie, le traité change véritablement la
situation. A l'avenir, c'est le vote aux élections européennes qui désignera la
couleur politique de la Commission, que le Parlement européen aura le pouvoir de
contrôler et de destituer »117
.
Ces cinq perceptions de l'Union européenne se retrouvent tout au cours de la période
étudiée. Notre analyse coïncide avec les conclusions de Medrano pour qui les cadrages
cognitifs sont relativement stables dans le temps. Il nous faudrait toutefois mener cette
étude sur un temps plus long pour pouvoir valider cette hypothèse dans le cas français. Par
ailleurs, si ces cinq images analysent toutes le projet d'intégration européenne sous un
angle différent, elles ne s'opposent pas pour autant. Un élément transversal apparaît en
effet à l'analyse qualitative des contenus des articles du quotidien Le Monde entre 1990 et
2010 : le projet d'intégration communautaire est, pour la France, un moyen de recouvrer sa
place sur la scène internationale. La France attache donc une importance particulière à faire
ressembler le projet communautaire au « modèle » français. Nous verrons donc dans le
chapitre suivant comment cette perception de l'Union européenne conduit la France à se
placer comme un acteur majeur sur la scène européenne afin de faire du projet
communautaire, une vitrine des positionnements français dans le monde.
117
Claude ALLEGRE, « HORIZONS - DÉBATS. Le oui, un levier, le non, un cul-de-sac », Le Monde,
samedi 28 mai 2005, p. 13.
- Page 81 / 135 -
PARTIE III - PREGNANCE DES CULTURES
NATIONALES : LE RECIT DE L'UNION
EUROPEENNE, MIROIR D'UNE CERTAINE
IMAGE DE LA FRANCE
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Chapitre 6 - La construction d'un récit dominant :
l'Union européenne comme opportunité pour la
France de recouvrer une place sur la scène
internationale
La position du quotidien français Le Monde sur les trois événements considérés
s'avère plutôt favorable au projet d'intégration communautaire. Ce positionnement est
toutefois moins le produit d'un élan européiste idéaliste et désintéressé qu'une quête
pragmatique pour le rayonnement international de la France en Europe et dans le monde.
Se basant sur le contenu des articles étudiés, nous notons que cette quête se décompose en
deux périodes distinctes. Le parti pris de n'étudier que trois événements rend les périodes
difficiles à borner dans le temps. Nous estimons toutefois la période de rupture entre 1999
(crise de la Commission Santer) et 2003 (début de la guerre en Irak).
Lors de la première décennie étudiée, la plupart des discours relatifs à l'Union
européenne évoquent une construction dans laquelle la France est moteur. Bénéficiant des
importantes avancées de la Commission Delors (1985-1995), dont le président Jacques
Delors118
est considéré comme un des seuls leaders politiques européens depuis les pères
fondateurs, la France se revendique comme un État membre moteur du projet d'intégration
communautaire119 et 120
. Elle est notamment à l'origine de nombreux traités et initiatives
118
Jacques DELORS est un homme politique français, président de la Commission européenne du 6 janvier
1985 au 22 janvier 1995. 119
« Des transformations importantes sont intervenues sous les Commissions Delors. L'autorité
« charismatique » prêtée à Jacques Delors ne tient pas seulement à sa personne mais à des changements
dans l'organisation de la Commission et notamment dans sa politisation, comme en témoignent le poids
croissant des cabinets, la consultation directe par les commissaires d'un ensemble d'intérêts, etc. » dans
Didier GEORGAKAKIS, « La démission de la Commission européenne : scandale et tournant
institutionnel (octobre 1998 - mars 1999) », op. cit. 120
« L'Union européenne aurait besoin de ce qui lui manque depuis longtemps : un leadership, c'est-à-dire
en l’occurrence un homme ou un groupe d'hommes politiques capables de proposer aux Européens une
ambition et les moyens de la réaliser. Sans remonter aux pères fondateurs, ce genre de dirigeants
européens a existé au cours des dernières décennies. Force est de constater que ce n'est pas le cas
aujourd'hui. (...) Depuis la fin du mandat de Jacques Delors, la Commission peine à faire entendre sa
voix pour des raisons institutionnelles liées à l'élargissement, mais aussi personnelles ». Extrait de Daniel
VERNET, "UNION EUROPÉENNE LE RÉFÉRENDUM DU 29 MAI. Le non gagne en France, la
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communautaires. La France fait partie des États souhaitant une mise en œuvre rapide d'une
union monétaire capable de rapprocher les politiques économiques des États. Elle est
également très active dans la négociation du traité d'Amsterdam, signé le 2 octobre 1997,
pour faire reconnaître l'importance des services économiques d'intérêt général.
Avec la démission de la Commission Santer dans la nuit du 15 au 16 mars 1999 et les
révélations pesant sur la commissaire française, Édith Cresson, l'événement souligne les
différences de cultures nationales et la difficulté que présente l'exportation de pratiques
spécifiques à un État à l'échelle communautaire : dans le cas d’Édith Cresson, c'est la
pratique du cabinet ministériel qui lui fait défaut. Malgré la politisation croissante de la
Commission européenne121
, la France figure parmi les États européens ayant les cabinets
ministériels les plus volumineux122
. Bien que la Commission européenne pratique elle-
aussi le système des cabinets, le rapport des Sages accusant notamment la commissaire
française de faute personnelle (emploi fictif à un ami) remet sur le devant de la scène la
difficulté de faire cohabiter des cultures administratives différentes.
Malgré le discrédit jeté sur la France, le discours d'un déclin français n'intervient que
quelques années plus tard, à partir de 2003 et des débats autour d'une intervention militaire
en Irak. La France se positionne contre la volonté américaine d'envoyer des troupes des
Nations Unies. Le débat oppose notamment la France aux États-Unis et au Royaume-Uni.
Ce dernier soutient son cousin d'outre-Atlantique dans son opération « Liberté irakienne ».
Les débats entre États membres européens de suivre ou de ne pas suivre les États-Unis
dans leur intervention militaire en Irak exacerbent les positionnements des uns et des
autres, plus ou moins atlantistes, en matière de relations internationales. L'élargissement à
10 nouveaux États membres le 1er mai 2004 étend encore l'espace communautaire et porte
à 25 le nombre d’États participants aux institutions. Les négociations communautaires
deviennent alors particulièrement complexes. La situation interne de la France fait enfin
l'objet d'un discours pessimiste décrivant une « dégradation continue de la situation ». Les
colonnes du quotidien évoquent un « sentiment prégnant de société bloquée, inégalitaire »,
ratification du traité continue en Europe. ANALYSE", Le Monde, mardi 31 mai 2005, p. 3.
121 Didier GEORGAKAKIS, « La démission de la Commission européenne : scandale et tournant
institutionnel (octobre 1998 - mars 1999) », op. cit. 122
Ce sont eux qui assurent l'interface entre le ministre et les services administratifs. Ils sont peuplés de
hauts fonctionnaires, de conseillers personnels, de conseillers de presse et de conseillers techniques,
directement rattachés au ministre et dont les postes sont à la discrétion du gouvernement.
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une « crise de leadership » nourrie par la peur du chômage, les craintes d'une Europe
« libérale »123
, etc. Cette évolution de la perception française de l'Union européenne
s'explique par les ambitions françaises pour l'Union européenne à savoir d'en faire une
Europe-puissance. Ces ambitions sont à la fois un projet national pour la France qui,
constatant son déclin, espère convaincre ses citoyens de s'engager dans un projet
continental à même de lui redonner la reconnaissance et le soutien perdus.
1. La conception française de l'Europe : une Europe-puissance
A la lecture des articles étudiés, nous lisons le constat unanime qu'une Nation seule
n'est plus capable de peser dans l'ordre mondial. Pour continuer d'avoir voix au chapitre, la
France envisage alors, avec l'Allemagne, la construction d'une Europe politique. Dans les
années 1990, la France met un point d'honneur à être leader du projet d'intégration
communautaire pour construire une Union européenne à même de faire face aux États-
Unis. A mesure que le déclin de la France se dessine, l'Union européenne apparaît comme
le moyen pour la France de s'attirer des soutiens pour continuer de peser dans les relations
internationales.
A l'occasion du référendum sur le traité de Maastricht, en 1992, les arguments en
faveur du « oui » décrivent l'importance pour la France de rester un État membre leader
dans le projet communautaire en trois arguments. Tout d'abord, la participation de la
France au projet d'intégration communautaire lui permettra « d'égaler les plus grandes
puissances de la terre », en devenant un État régionalement influent. En outre, c'est en étant
parmi les moteurs de l'intégration européenne que la France pourra s'assurer de faire valoir
ses interprétations et ses visions pour l'Union européenne. Enfin, la France devra être
leader dans le projet d'intégration pour garantir la représentation de ses intérêts mais
également pour permettre à l'Union européenne d'avancer. Marcel Scotto écrit ainsi, le 18
septembre 1998 que « l'Europe ne peut se faire sans nous, [les Français] ».
123
Brice TEINTURIER, "HORIZONS - RÉFÉRENDUM Radiographie de l'opinion publique en France
avant le vote sur la Constitution européenne. De multiples fractures politiques", Le Monde, lundi 30 mai
2005, p. 12.
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« Pour l'ancien chef de l’État, mettre en danger l'entente franco-allemande, c'est
s'engager vers "une autre Europe qui serait moins française". Pour M. Giscard
d'Estaing, "un petit 'oui' marquerait un "certain désengagement" du pays alors
qu'un "gros 'oui' créerait un phénomène d’entraînement fort". (...) Si le 'oui'
l'emporte, nous reprendrons une sorte de leadership. L'union de l'Europe ne peut se
faire sans nous »124
.
« M. Chirac a répété inlassablement son credo : (...) "un refus serait interprété
comme le refus d'une évolution, d'un processus", "la France sortirait affaiblie, très
affaiblie", "elle n'aurait plus, pendant longtemps, voix au chapitre dans les
instances européennes, c'est ça qui m'a déterminé à voter 'oui'", "la France ne doit
pas s'isoler", "avec la victoire du 'oui', la France aurait plus de poids, elle
renforcerait son rôle de leader, elle serait plus forte pour défendre ses intérêts et
pour donner une impulsion nouvelle à l'Europe »125
.
« Mes chers compatriotes, nous venons de vivre en ce dimanche 20 septembre l'un
des jours les plus importants de l'histoire de notre pays. Car la France non
seulement assure son avenir, renforce sa sécurité et consolide la paix dans une
région du monde si cruellement déchirée par la guerre, mais elle démontre aussi, et
surtout, qu'elle est encore et toujours capable d'inspirer l'Europe, en mesure
désormais d'égaler les plus grandes puissances de la terre »126
.
La campagne référendaire de 2005 remet au cœur du débat deux des arguments déjà
avancés en 1992. La France est présentée comme un leader du projet communautaire, à ce
124
Marcel SCOTTO, "A STRASBOURG LE 16 SEPTEMBRE 1992. LE RÉFÉRENDUM SUR LE
TRAITÉ DE MAASTRICHT. M. Giscard d'Estaing ne veut pas d'un " petit oui "", Le Monde, vendredi
18 septembre 1992, p. 3. 125
Olivier BIFFAUD, "A GRENOBLE LE 18 SEPTEMBRE 1992. Le référendum sur le traité de
Maastricht M. Chirac rend visite à M. Carignon", Le Monde, lundi 21 septembre 1992, p. 20. 126
LE 20 SEPTEMBRE 1992 SUR LE TRAITE DE MAASTRICHT. LES RÉSULTATS DU
RÉFÉRENDUM SUR L'UNION EUROPÉENNE Les réactions à l’Élysée et à Matignon M. Mitterrand :
" Le vote de ce jour engage toute la France", Le Monde, mardi 22 septembre 1992, p. 6.
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point que les argumentaires en faveur de l'adoption du traité voient dans le possible rejet
français, un scénario risquant l'arrêt du processus d'intégration. Par ailleurs, le traité
constitutionnel remet au centre du débat la question centrale de la construction
communautaire à savoir, le choix entre une zone de libre échange ou une construction
politique plus aboutie. Le Monde rappelle à cette occasion la position français en faveur
d'une « Europe-puissance », loin de faire consensus parmi les États membres. Pour faire
valoir cette conception politique, la France doit donc rester leader.
« Chacun sait que la seule capacité de l’État-nation, seule, ne suffit plus depuis
longtemps à faire pièce aux conséquences de la mondialisation. (...)
Mais alors pourquoi se priver d'un texte - le projet de Constitution - qui rend
possible des progrès qui ne le seront pas sans lui. (...)
La désillusion viendra aussi pour ceux qui, croyant avoir donné un coup d'arrêt à
l'Europe libérale, vont devoir rapidement constater que celle-ci continue, en effet,
mais désormais privée des instruments que crée la Constitution pour lui offrir des
garanties sociales ; ils vont devoir se résoudre à ce que la voie soit désormais
rouverte à une Europe conçue comme une simple et vaste zone de libre-échange, là
où la France et l'Allemagne - et quelques autres - avaient obstinément, et pendant
tant d'années, mis en avant la nécessité d'une Europe politique. Exit donc la
perspective d'une politique extérieure de sécurité commune, qui était au cœur du
nouveau traité. (...)
En revanche, il est vrai que ce texte est bancal. (...)
Il est vrai (...) que, à la demande expresse de l'Allemagne, de la France et de la
Grande-Bretagne, le traité n'injecte pas la dose de fédéralisme que requiert le
fonctionnement d'une entité composée de 25 à 30 membres.
Mais, si le non l'emporte, il resterait pour l'Histoire, un signal. Celui d'abord de
l'affaiblissement de la France elle-même : elle sera désormais moins bien placée
pour dire ce que doit être l'Europe. (...)
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A coup sûr, après un non de la France, l'Europe cessera effectivement d'être une
"provocation" pour l'Amérique de George Bush »127
.
« L'ambition française d'une Europe-puissance était loin d'être partagée par tous
les membres de l'Union. (...) Ce n'est pas seulement la position tactique de la
France dans les prochaines négociations européennes qui sort affaiblie du
référendum, c'est la vision que la France a tant bien que mal essayé de faire
partager par ses partenaires au cours des dernières décennies »128
.
Les prétentions françaises à exporter son modèle recouvrent plusieurs dimensions.
Outre le projet d'une Europe politique, la France met régulièrement en avant son modèle
comme référence pour la construction d'une Europe sociale. Il en est particulièrement
question lors de la campagne référendaire de 2005, qui intervient quelques mois après la
polémique sur la directive Bolkestein. L'interprétation française des relations
internationales est également en jeu, en particulier lorsqu'il s'agit de porter une voix
commune dans les organisations internationales face aux États-Unis.
« L'initiative française d'instaurer un revenu d'existence ne s'oppose pas aux règles
communautaires européennes, si l'on en fait un droit civique et non un droit social.
Mieux encore, plutôt que de chercher une trop difficile harmonisation fiscale et
sociale, par des tâtonnements partiels, l'exemple de la France, étendu à l'Europe,
permettrait de fonder le fameux "modèle social européen" sur un socle nouveau,
uniforme et vraiment exemplaire pour le monde »129
.
« Ce "non de gauche" ne vient-il pas aussi du fait qu'on croit toujours à la
supériorité de la France, à notre capacité innée à gagner les autres pays à nos
127
Jean-Marie Colombani, "HORIZONS ANALYSES ÉDITORIAL. Illusion du non", Le Monde, vendredi
27 mai 2005, p. 1. 128
Daniel VERNET, "HORIZONS - ANALYSES CHRONIQUE INTERNATIONAL. Feu l'Europe-
puissance", Le Monde, mercredi 1 juin 2005, p. 17. 129
Yoland BRESSON, "LE MONDE ECONOMIE LES ENJEUX LES INITIATIVES. Il faut libérer le
travail du carcan de l'emploi", Le Monde, mardi 16 mars 1999, p. 7.
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splendides idées de gauche sans même avoir besoin de convaincre, et qu'il nous
suffirait de les énoncer pour que les peuples du monde les adoptent et s'avouent
vaincus ? »130
.
« [La gauche du non] préfère s'enivrer à l'idée que, une fois de plus, elle pourrait
montrer l'exemple à la terre entière. Rejouer la scène de la révolution et de la
régénération au bénéfice, non seulement des Français, mais de l'humanité entière,
constitue l'un des ressorts de son action et l'un des éléments de sa mythologie »131
.
Afin de mieux cerner cette « mythologie » dont parle Marc Lazar, nous nous
attachons à décomposer ce récit dominant à la manière de Claudio Radaelli.
2. Un récit en cinq temps : des pères fondateurs à une Europe
sans leader.
Comme les récits de politiques publiques qu'étudie Claudio Radaelli, le récit français
de l'Union européenne comme moyen de peser sur la scène internationale se décompose en
chaînages séquentiels. Ceux-ci font appel à des suites logiques portées par des arguments
plus ou moins rationnels. Claudio Radaelli fait donc appel à cinq séquences pour dérouler
le récit justifiant que l'Italie participe à l'Union Économique et Monétaire (UEM). La
première séquence dresse un état des lieux de la situation passée. La deuxième séquence
compare la précédente à la situation actuelle. Sur cette base, deux scenarii sont ensuite
proposés : un scénario négatif qui constitue la troisième séquence et un scénario positif,
constituant la quatrième. La conclusion du récit, la cinquième et dernière séquence,
formule des recommandations résumant les choix de politiques publiques à faire pour
permettre la happy end suggérée dans la quatrième séquence.
130
Patrice CHEREAU, "HORIZONS - DÉBATS POINTDE VUE. Penser plus loin que nos propres
frontières", Le Monde, vendredi 27 mai 2005, p. 1. 131
Marc LAZAR, "HORIZONS. Le Grand Soir n'aura pas lieu", Le Monde, mercredi 1 juin 2005, p. 13.
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Si le séquençage ultérieur peut faire croire à une simplicité structurelle – car logique
– il est néanmoins important de noter que ces discours sont souvent moins linéaires que ce
que les reconstructions ultérieures peuvent laisser paraître. C'est notamment ce que prouve
l'extrait d'article de Claudie Haignere, "HORIZONS - DÉBATS. Laurent Fabius
l'illusionniste", paru dans Le Monde le mardi 24 mai 2005. L'auteur écrit à l'occasion de la
campagne référendaire du traité établissant une Constitution pour l'Europe. Il défend
l'adoption du traité (le vote "oui") en construisant son argumentation à la manière des cinq
séquences décrites par Claudio Radaelli :
« Cette histoire de "plan B" [qui consiste à autoriser la révision à la majorité] n'est
donc qu'une nouvelle façon d'abuser les Français, de les entretenir dans l'illusion
néfaste que l'Europe tourne autour de la France comme la Terre autour du Soleil
[séquence 2]. Certes, le rôle de notre pays a toujours été central, mais la France ne
pèse en Europe que tant qu'elle est une force d'initiative, comme lorsqu'elle a lancé
le projet européen, le traité de Maastricht ou encore, avec l'Allemagne encore, la
Constitution européenne [séquence 1].
Et il y a deux conditions à cela. D'abord, évidemment, rester au centre du jeu. Cela
veut dire d'abord ratifier la Constitution [séquence 5] pour pouvoir bénéficier des
50 % de voix supplémentaires qu'elle nous donnera dans la prise de décision
[séquence 4]. Ensuite, nous devons nous appuyer sur des partenaires forts, comme
l'Allemagne et l'Espagne par exemple [séquence 5]. Ce n'est pas en rejetant un
texte que nos partenaires ont massivement adopté que nous y parviendrons. (...)
Le calcul est simple : si la France vote non et provoque l'échec de son propre
projet, le ballon changera de camp. Les Anglais, qui auront la président de l'Union
le 1er juillet, partiront balle au pied, mais certainement pas dans la direction que
nous aurons souhaitée. Une Europe à l'anglaise, est-ce vraiment ce que veulent les
partisans du non ? [séquence 3] »132
.
132
Claudie HAIGNERE, "HORIZONS - DÉBATS. Laurent Fabius l'illusionniste", Le Monde, mardi 24 mai
2005, p. 14.
- Page 90 / 135 -
Chacune de ces séquences est relativement aisée à repérer en ce qu'elles comportent
chacune leurs caractéristiques propres. La première séquence utilise généralement des
temps du passé et des références historiques (« la France, pays fondateur de l'Europe », par
exemple). La deuxième séquence, analysant la situation actuelle, passe par l'usage du
présent et des formules descriptives (« c'est une responsabilité historique qui engage
chacun de nous »). Les scénarios des séquences 3 et 4 passent par des tournures
conditionnels (« L'Europe serait en panne », « la France serait moins forte », « si la France
prenait le risque de briser l'union... »). Ces scénarios peuvent également présenter des
constructions au futur pour exprimer des hypothèses fortes du scénario (risque important,
par exemple : « ceux qui ont une conception ultralibérale de l'Europe prendront la main »).
La dernière séquence formulant des recommandations prend, quant à elle, des formes plus
injonctives, incitant à agir dans le sens de la démonstration (« Faisons le choix de la
confiance en nous-même »). L'extrait d'un article du 28 mai 2005, présente un
argumentaire en faveur du traité constitutionnel :
« C'est une illusion de croire que l'Europe repartirait de plus belle avec un autre
projet. Car il n'y a pas d'autre projet. L'Europe serait en panne (...)
La France serait moins forte pour défendre ses intérêts. (...)
Si la France est affaiblie, si le couple franco-allemand est affaibli, si l'Europe se
divise, ceux qui ont une conception ultralibérale de l'Europe prendront la main.
(...)
Quelle responsabilité si la France [séquence 2], pays fondateur de l'Europe
[séquence 1], prenait le risque de briser l'union de notre continent ! [séquence 3]
(...)
Mais, dimanche, c'est de l'Europe et de l'avenir de la France en Europe qu'il s'agit.
C'est une responsabilité historique qui engage chacun de nous. Faisons le choix de
la confiance en nous-mêmes. Faisons le choix [séquence 5] d'une France forte
[séquence 4] »133.
133
"UNION EUROPÉENNE LE RÉFÉRENDUM DU 29 MAI Jacques Chirac promet « une nouvelle
impulsion » après le 29 mai VERBATIM. « Avant tout, nous ne devons pas nous tromper de question »",
Le Monde, samedi 28 mai 2005, p. 2.
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Ces deux extraits illustrent le récit français lors de la campagne référendaire de 2005.
Nous les avons choisis pour leur caractère synthétique, ce qui permet d'illustrer la
méthodologie de Radaelli que nous utilisons pour ce travail. Ces chaînages sont toutefois
présents de manière plus diffuse sur toute la période étudiée.
2.1. Séquence 1 : La France du passé, une France "au premier rang"
L'analyse du passé (depuis le projet des pères fondateurs jusqu'à la fin des années
1980) fait état d'une France dynamique. Les leaders politiques d'alors sont à l'origine de
nombreux projets communautaires : politique agricole commune (1961), plan Fouchet
(1961), premiers conseils européens (1974), première élection du Parlement européen au
suffrage universel (1979), lancement du système monétaire européen (1979), préparation
de l'Acte unique (1986). La période est caractérisée par un activisme de la France et un
discours rappelant celui des « grands hommes » (le Robert Schuman, le général de Gaulle,
Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Delors...).
La force de cette position de la France en Europe tient au passé meurtrier des grandes
guerres qui ont déchiré les deux membres fondateurs du projet communautaire. Le tableau
de ces quarante premières années d'intégration européenne présente ainsi une France
assurée, convaincue de ses réalisations, rappelant les mots du général de Gaulle : « Le côté
positif de mon esprit me convainc que la France n'est réellement elle-même qu'au premier
rang : que seules de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de
dispersion que son peuple porte en lui-même ; que notre pays tel qu'il est, parmi les autres,
tels qu'ils sont, doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit. Bref, à mon
sens, la France ne peut être la France sans grandeur »134
.
« La France a été effectivement présente à toutes les grandes étapes de la
construction européenne, même si elle a joué à plusieurs reprises les trublions, à la
manière des Britanniques depuis leur entrée dans la CEE. Cinq ans après la fin de
la seconde guerre mondiale, Robert Schuman traçait ainsi la voie : "L'Europe ne se
fera pas d'un coup ni dans une construction d'ensemble : elle se fera dans des
réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait". (...)
134
Charles de GAULLE, Mémoires de guerre, tome 1, Plon, 1954.
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Méfiant et sceptique quant aux conséquences du traité de Rome, qui crée le Marché
commun en 1957, le général de Gaulle poursuivre et amplifiera l’œuvre déjà
amorcée. Dès la fin de 1958, la France joue le jeu européen sans détour
(diminution des droits de douane, libération des échanges, etc.). Elle s'engage
ensuite avec ses partenaires dans la politique agricole commune qui comporte un
transfert substantiel de souveraineté vers Bruxelles (1961). L'année suivante, c'est
le plan Fouchet, avec la proposition ambitieuse de la France à ses cinq partenaires
de lancer une union politique des États sur une base confédérale. Encore une fois,
la France est en pointe, mais elle ne parvient pas à convaincre les Cinq. (...)
En 1979, elle joue à nouveau un rôle déterminant dans la mise en œuvre d'une
disposition encore inappliquée du traité de Rome : l'élection du Parlement
européen au suffrage universel. C'est également la date de mise en place du
système monétaire européen (SME), lancé par le président Valéry Giscard
d'Estaing et par le chancelier Helmut Schmidt (...). C'est également le successeur
de Georges Pompidou qui crée, en 1974, la pratique des Conseils européens (...).
En 1986, la France ratifie par la voie parlementaire l'Acte unique dont le père est
un Français : Jacques Delors »135
.
« Ce 'non' serait considéré comme un revirement fondamental, d'autant plus
significatif qu'il émanerait de la France, membre fondateur de la Communauté, et
qui, par sa réconciliation avec l'Allemagne, a modifié le cours de l'histoire de notre
continent »136
.
« Français! Françaises! Qu'est-il arrivé à votre assurance ? Ne vous rendez-vous
pas compte que la France demeure l'un des pays du monde les plus riches, les plus
135
Pierre SERVENT, "ESPACE EUROPEEN. La France, locomotive de l'Europe", Le Monde, mardi 15
septembre 1992, p. 9. 136
Étienne DAVIGNON, "DEBATS. Le référendum sur le traité de Maastricht Débats Lettre à un ami
français qui pense voter " non "", Le Monde, vendredi 18 septembre 1992, p. 2.
- Page 93 / 135 -
brillants, les plus attrayants, un pays qui possède non seulement un passé
prestigieux, mais aussi, potentiellement, un grand avenir ? »137
.
2.2. Séquence 2 : Une France de 1990 à 2010 qui s'isole
L'analyse du présent, qui recouvre la période 1990-2010, décrit une isolation
progressive de la France à l'échelle européenne. Bien que le présent s'étale sur vingt ans, la
tendance de fond est bien celle-ci. On constate toutefois une évolution entre les années
1990 et les années 2000. Lors de la première décennie, le contexte européen se voit encore
fortement marqué par la présence de Jacques Delors, un Français, à la présidence de la
Commission européenne jusqu'en 1995. Au fur et à mesure des années 1990, l'influence de
la France se voit mise à mal par plusieurs événements : tout d'abord, l'élargissement à trois
nouveaux États avec le traité de Corfou le 24 juin 1994 (Autriche, Finlande, Suède) fait
entrer dans l'Union européenne des États relativement neutres diplomatiquement : ils sont
alors en dehors de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN). L'élargissement
complique les prises de décisions à l'unanimité. Le rapport de force n'est d'ailleurs par plus
avantageux pour la France dans la mesure où ces pays disposent de leur propre prisme de
lecture des enjeux internationaux, économiques et sociaux. C'est en tout cas ce que laisse
entendre l'article du quotidien Le Monde daté du 6 janvier 1995 : « Les dossiers
économiques, le chômage, l'intégration de l'Europe de l'Est, la protection de
l'environnement, la défense du consommateur, la « démocratisation » de l'UE sont les
sujets sur lesquels ils comptent faire entendre leur voix »138
.
Après la démission de la Commission Santer en 1999 et les accusations d'emploi
fictif pesant sur Édith Cresson, commissaire française, la France commence à perdre en
crédit sur la scène communautaire. Quelques années plus tard, le positionnement français
contre la guerre en Irak lui vaut non seulement un accrochage avec les États-Unis mais
également avec les États membres les plus atlantistes, au premier rang desquels, le
Royaume-Uni. Un an plus tard, l'élargissement à 10 nouveaux États membres issus de l'ex-
137
Timothy GARTON ASH, "HORIZONS DÉBATS - POINT DE VUE. La bataille de France", Le Monde,
lundi 30 mai 2005, p. 1. 138
Perspective Monde, "1 janvier 1995. Entrée de l'Autriche, la Finlande et la Suède dans l'Union
européenne", consulté le 24 août 2014. URL :
http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=801
- Page 94 / 135 -
bloc soviétique dilue encore un peu plus l'influence régionale française. La France voit
dans ces nouveaux arrivants des voisins particulièrement « atlantistes » et « libéraux ».
Devant la difficile construction de compromis communautaire, la France se braque devant
une Europe qu'elle juge trop libérale, elle en veut pour preuve la directive Bolkestein et les
délocalisations d'entreprises, et rejette le référendum relatif au traité établissant une
Constitution pour l'Europe en 2005.
« Le 'non' s'enracine moins dans un mécontentement conjoncturel que dans une
tendance de fond, au sein d'une large partie de l'opinion. (...) Sous toutes ces
facettes, la problématique du "déclin français" est ainsi égrenée dans les discours
d'une partie de l'élite française (journalistes, chefs d'entreprise, hommes
politiques). On s'interroge moins en revanche sur la manière dont cette thématique,
à forte résonance politique et médiatique, est perçue par l'opinion. Le diagnostic
est pourtant différent.
Selon une enquête CSA-L ‘Humanité de mars 2003, un Français sur deux considère
aujourd'hui que la France est en déclin et l'attribue à des causes strictement
inverses à celles les plus communément évoquées. Ainsi, le chômage, la perte de
pouvoir d'achat et des acquis sociaux et l'incurie des gouvernants arrivent
largement en tête des raisons spontanément citées par les interviewés, loin devant
le poids de la fiscalité ou les blocages sociaux. On voit bien dans ce contexte
comment l'argument du non à une Constitution trop "libérale" peut faire mouche.
(...)
Non à une Europe perçue comme une menace et un risque de régression sociale :
c'est probablement la diffusion de cette idée qui explique les évolutions actuelles.
(...)
Le passage du "oui ou non à l'Europe" (qui a fait le succès de Maastricht) au "oui
ou non à cette Europe" pourrait bien, treize ans après, inverser le rapport des
forces »139.
139
Philippe HUBERT, Samuel JEQUIER, "HORIZONS - DÉBATS. L'ascension par capillarité du non", Le
Monde, mercredi 25 mai 2005, p. 15.
- Page 95 / 135 -
« Quant à la place de la France en Europe et à son influence, le choix est simple -
et c'est là le paradoxe de ce référendum et pourquoi il est si important. La France
est affaiblie en Europe. Notre position vis-à-vis de l'Irak a été mal expliquée. Notre
excessive amitié avec une Russie à nouveau conquérante inquiète les pays de
l'Est »140
.
« Que nous révèlent ces éléments sur l'état de notre société ? Un pays que le futur
angoisse, défiant vis-à-vis de la classe politique et en colère.
La plupart des opinions publiques européennes se caractérisent par un fort niveau
de pessimisme quant à l'avenir. En France, ce pessimisme non seulement n'est pas
nouveau, mais se situe à un niveau record (...). Le sentiment d'une dégradation
continue de la situation est donc la caractéristique majeure de notre société, et il ne
fait que s'amplifier. (...)
Il entretient le syndrome d'une exclusion non pas momentanée, mais
potentiellement durable, voire définitive (...). Il nourrit une méfiance, voire une
rancœur à l'égard des gouvernants. (...)
Nous sommes donc face à un sentiment prégnant de société bloquée, inégalitaire.
(...).
Enfin, ce malaise se nourrit d'une profonde crise de leadership. (...)
La peur est objectivement au centre des réponses : peur d'un chômage plus fort en
cas de ratification du traité, craintes à l'égard d'une Europe perçue comme de plus
en plus libérale, inquiétudes sur les services publics »141
.
« Pendant ces années, les Européens ménagent le souverainisme qui sommeille
chez les Français. L'Europe avance prudemment, dans un subtil dosage de
140
Claude ALLEGRE, "HORIZONS - DÉBATS. Le oui, un levier, le non, un cul-de-sac", Le Monde,
samedi 28 mai 2005, p. 13. 141
Brice TEINTURIER, "HORIZONS - RÉFÉRENDUM Radiographie de l'opinion publique en France
avant le vote sur la Constitution européenne. De multiples fractures politiques", Le Monde, lundi 30 mai
2005, p. 12.
- Page 96 / 135 -
supranational et d'intergouvernemental. Rien ne se fait contre la France que l'on
veille à ne jamais mettre en minorité. (...)
Cet équilibre favorable à la France tombe avec l'élargissement. L'influence de la
France se trouve diluée par un effet mécanique - l'Union passe de quinze à vingt-
cinq membres - mais aussi idéologique, les nouveaux pays étant atlantistes et
libéraux. (...)
En matière économique et sociale, ses idées sont d'autant plus minoritaires que son
"modèle" affiche des résultats catastrophiques. (...)
Démonstration de cette humiliante perte de puissance : en 2004, la France ne peut
imposer son candidat à la présidence de la Commission, le Belge Guy Verhofstadt,
et doit accepter le Portugais atlantiste et libéral José Manuel Barroso.
Un an après l'élargissement, les Français viennent sans équivoque de répudier,
dimanche 29 mai, une Europe qu'ils jugent trop infidèle à l'idée qu'ils s'en font »142
.
« Alors que la politique est un dessein collectif qui donne un sens à l'histoire, la
Constitution organise la soumission aux forces impersonnelles du marché. (...)
L'Europe à vingt-cinq repose sur quatre ensembles de pays aux intérêts politiques
et stratégiques profondément divergents. La Grande-Bretagne en est le premier.
Elle est, avant tout, atlantiste. Tournée vers le grand large, elle est américaine de
langue, d'histoire, de culture, de cœur et d'esprit. (...)
Les trois anciennes dictatures fascistes (Espagne, Portugal et Grèce) sont le
deuxième ensemble. (...) Sous perfusion permanente de fonds européens, ils
acceptent toutes les directives qui passent dans la crainte de perdre leurs
financements. (...)
Ils conçoivent l'UE comme un guichet utile à leurs propres besoins de
développement et non comme une communauté de destin et l'aile marchante de
l'Union vers la Méditerranée.
142
Arnaud LEPARMENTIER, "HORIZONS - ANALYSES ANALYSE. Le refus de la souveraineté
partagée", Le Monde, mercredi 1er juin 2005, p. 1.
- Page 97 / 135 -
Troisième ensemble : les nouveaux adhérents, particulièrement ceux de l'ancien
pacte de Varsovie. Leur rupture avec l'URSS, nécessaire, devait être nette (...). Ils
n'ont pourtant pas spontanément choisi l'Union européenne, mais se sont tournés
vers l'Amérique.
Reste le couple franco-allemand et le Benelux. Là se trouve le moteur de l'Union,
désormais noyé dans ce magma. Or il semble que la construction institutionnelle
monstrueuse que nous promet la Constitution vise à étouffer la dynamique franco-
allemande »143
.
« Récemment, j'ai trouvé un pays en proie à la peur : de l'inconnu, des étrangers,
du changement. Peur du "plombier polonais", devenu proverbial, qui prend votre
travail, peur d'une Union européenne (UE) élargie où Paris ne se trouverait plus
aux commandes, d'un monde de plus en plus dominé par le "libéralisme anglo-
saxon". (...)
Pour les Français, [le traité constitutionnel] est dangereusement néolibéral,
dérégulateur, laissant le modèle social européen être englouti par le capitalisme du
libre-échange de style anglo-saxon ; en un mot : britannique »144
.
2.3. Séquence 3 : Abandonner l'Europe ou le risque d'une France dans la tourmente
Sur la base de ces constats d'un passé glorieux et d'une France déclinante, le récit
développe un scénario négatif sensé montrer les conséquences néfastes que pourraient
avoir un mauvais choix. Les catastrophes prédites sont de deux ordres. La tourmente serait
d'abord celle d'une France, et par extension d'une Union européenne, isolée sur la scène
internationale, qui n'aurait plus les capacités de peser dans les négociations. Le marasme
serait également économique puisque la France se verrait attaquée sur le marché des
changes par des spéculateurs sans scrupules, ce qui bousculerait le système monétaire
143
Jacques NIKONOFF, "HORIZONS - DÉBATS. La fin programmée de l'Union européenne", Le Monde,
mardi 24 mai 2005, p. 14. 144
Timothy GARTON ASH, "HORIZONS DÉBATS - POINT DE VUE. La bataille de France", Le Monde,
lundi 30 mai 2005, p. 1.
- Page 98 / 135 -
européen dans son ensemble et remettrait irrémédiablement en cause les ambitions mêmes
du projet d'intégration communautaire.
En 1992, les tenants du traité de Maastricht composent ce scénario négatif à partir
des risques principalement économiques : ils mettent en avant la spéculation qui viendrait
déstabiliser la France, jusque-là dans une situation vertueuse. Le choix de rejeter ce qu'ils
jugent être une avancée communautaire risquerait par ailleurs de faire perdre à la France sa
légitimité à renégocier la politique agricole commune (PAC), dont elle est le premier
bénéficiaire, face aux Britanniques. Une déstabilisation de l'économie française et, par voie
de conséquence, européenne, laisserait enfin les européens à la merci de la nouvelle
puissance mondiale que sont les États-Unis. Les détracteurs du traité ont aussi leur scénario
négatif : les personnalités politiques aux extrêmes voient, dans ce traité libéral, un risque
de dilution de l'identité française dans une immigration incontrôlée et une économie
impossible à réguler du fait de l'adoption d'une monnaie unique. Ils jugent qu'avancer
encore dans l'approfondissement du projet communautaire coûterait cher à la France en ce
qu'il impliquerait des impôts supplémentaires. Parmi ces opposants à Maastricht, existent
aussi des « non de gauche » qui s'opposent à une Europe qu'ils jugent anti-démocratique et
anti-sociale.
« Le premier ministre a expliqué que "l'attente du vote de la France pèse
beaucoup" sur les marchés des changes et que "si elle votait 'non', le système
monétaire européen traverserait une grave crise »145
.
« Et pendant que nos dirigeants s'interrogent sur la suite des événements, les
marchés financiers en proie au doute, feront peser les menaces les plus graves sur
les instruments que nous avons inventés pour faire pièce aux crises antérieures et
qui nous ont si bien servi : le Système monétaire européen, le Marché commun, la
solidarité économique. Les marchés seront inquiets et sceptiques puisque nous
venons nous-mêmes d'en questionner l'efficacité en mettant en doute leur
145
Patrick JARREAU, "MEETING DU PS A CRETEIL LE 16 SEPTEMBRE 1992. LE RÉFÉRENDUM
SUR LE TRAITÉ DE MAASTRICHT M. Bérégovoy redoute des " turbulences financières et
économiques " en cas de vote négatif", Le Monde, vendredi 18 septembre 1992, p. 3.
- Page 99 / 135 -
indispensable développement. L'activité économique s'en ressentira, l'emploi en
sera affecté »146
.
« Je suis convaincu que la victoire du "non" au référendum détruirait, dans un
premier temps, le moteur de la PAC puis, dans un second temps, permettrait le
démantèlement des mécanismes de la PAC, qui sont les plus favorables aux
agriculteurs français. (...) Si le "non" l'emportait le 20 septembre, quel serait le
poids politique du ministre français de l'agriculture, quel qu'il soit, pour défendre
les intérêts de nos agriculteurs lors du conseil des ministres de l'agriculture du 21
septembre ? »147
.
« Si le traité de Maastricht est rejeté, ajoute-t-il, les pays de la Commission vont
inévitablement se replier sur eux-mêmes, ce qui risque de retarder la ratification
des accords d'association avec la CEE. (...) Ces accords, laborieusement négociés
pendant dix-huit mois, ont été conclus en décembre 1991 avec la Hongrie, la
Pologne et la Tchécoslovaquie (...) Tout pourrait être renvoyé aux calendes
grecques en cas de crise communautaire : si le 'non' l'emporte, "nous ne serions
pas dans la meilleure position pour réaliser les accords d'association", plaidait
ainsi M. Bruno Durieux, ministre français délégué au commerce extérieur »148
.
« Les autorités monétaires tentent d'organiser la lutte contre la spéculation, qui
s'est étendue à d'autres monnaies faibles du SME (le punt irlandais et la couronne
danoise). (...) Si le 'non' l'emportait dimanche soir 20 septembre, le franc serait
probablement davantage attaqué sur les marchés des changes (...) Cette fois, c'est
la survie même du système monétaire européen qui dépendrait de l'évolution du
146
Étienne DAVIGNON, "DEBATS. Le référendum sur le traité de Maastricht Débats Lettre à un ami
français qui pense voter " non "", Le Monde, vendredi 18 septembre 1992, p. 2. 147
Henri NALLET, "DEBATS. Le référendum sur le traité de Maastricht Débats L'intérêt bien compris des
agriculteurs", Le Monde, vendredi 18 septembre 1992, p. 2. 148
Yves Michel RIOLS, Martin PLICHTA, Jean-Baptiste NAUDET, "LE REFERENDUM FRANCAIS
SUR LE TRAITE DE MAASTRICHT La consultation vue de l'étranger A l'Est : de l'indifférence à
l'inquiétude", Le Monde, samedi 19 septembre 1992, p. 8.
- Page 100 / 135 -
franc. (...) Les événements qui suivraient la semaine prochaine un victoire du 'non'
pourraient cependant être plus dramatiques. La spéculation, souvent, tient peu
compte des données économiques fondamentales du pays, se contentant de jouer
sur un rapport de forces quand celui-ci semble favorable aux marchés (...) D'un
côté, la spéculation lancerait ses bataillons à l'assaut du franc, contraignant la
Banque de France à engager ses réserves, environ 150 milliards de francs en
devises à l'heure actuelle. En même temps, l'institut d'émission français relèverait
ses taux d'intérêt à court terme d'au moins deux points à 12 % »149
.
En 2005, les partisans du traité constitutionnel pour l'Europe voient dans le rejet la
menace d'une déliquescence de la situation interne, déjà déclinante : « le chômage restera
bloqué à des niveaux élevés », « les services publics continueront à être démantelés »,
« l'assurance-maladie et l'éducation basculeront progressivement vers le privé ». Le rejet
français laisserait faire une Europe libérale qui accélérerait les délocalisations, les conflits
commerciaux mondiaux, les travailleurs migrants, se répercutant inévitablement dans une
xénophobie à la hausse. Paradoxalement, l'argument du « plan D » (délocalisation,
déréglementation, déferlante migratoire), selon les mots de Philippe de Villiers, est
également repris par certains opposants au traité constitutionnel.
A l'échelle communautaire, le scénario négatif, pour les partisans du traité
constitutionnel, souligne la perte de leadership que risque la France, membre fondateur,
« inspiratrice », de l'Europe. Pointée du doigt par ses voisins pour refuser l'Europe mais
figurer parmi ses principaux bénéficiaires, les importantes subventions qu'elle reçoit au
titre de la PAC seraient certainement remises en question. Elle laisserait par ailleurs la
place de leader au Royaume-Uni, ami des États-Unis qui dessineraient alors ensemble une
« Europe à l'anglaise », bien loin du modèle que les Français espéraient exporter.
Sur la scène internationale, enfin, les puissances émergentes, que sont la Chine et
l'Inde, continueraient d'accélérer leur développement, laissant loin derrière le Vieux
Continent, tandis que les États-Unis en profiteraient pour « faire cavalier seul ». En cas de
149
François RENARD, "P. BEREGOVOY PROPOSE UN PROCHAIN CONSEIL EUROPEEN. La
tourmente sur les marchés européens et le référendum sur le traité de Maastricht Les autorités monétaires
tentent d'enrayer la spéculation Le franc et l'ombre du " non "", Le Monde, samedi 19 septembre 1992, p.
1.
- Page 101 / 135 -
rejet du traité constitutionnel par la France, celui-ci ne pourrait voir le jour ce qui
entamerait la crédibilité du projet communautaire aux yeux du monde, faisant dire à
Timothy Garton Ash, dans un article du 30 mai 2005 que « le reste du monde, de Beijing à
Washington, nous prendra pour des clowns ».
« Si la France, inspiratrice de l'Europe, vote non, elle perdra son leadership au
profit de l'Angleterre, amie des États-Unis, auréolée de la réélection de M.
Bush »150
.
« Les compromis durable entre 25 gouvernements sont difficiles à réaliser. Ce n'est
pas dans l'air du temps actuellement en Europe, comme le montrent les
négociations difficiles sur l'avenir du budget de l'UE. Et cela prendra du temps. Du
temps que nous n'avons pas, car les puissances émergentes d'Asie, surtout la Chine
et l'Inde, grandissent très vite, tandis que l'hyperpuissance américaine, en l'absence
d'une réponse européenne unifiée, sera de nouveau tentée de faire cavalier seul.
(...)
Ce traité est loin d'être le meilleur, mais il est ce que nous obtiendrons de mieux. Si
nous y renonçons, le reste du monde, de Beijing à Washington, nous prendra pour
des clowns »151
.
« Comment maintenir la pression franco-allemande sur les dossiers qui nous sont
importants avec une France qui dit non ?", se demandait, récemment, un
responsable allemand, chargé de plusieurs dossiers européens. "Comment
influencer le prochain budget ?", se demandait un autre en rappelant que les deux
pays s'étaient engagés à agir de conserve pour en limiter l'ampleur. Tous deux
estimait que, demain, la France et par contrecoup l'Allemagne n'auront plus le
même poids dans les négociations à Bruxelles »152
.
150
Claude ALLEGRE, "HORIZONS - DÉBATS. Le oui, un levier, le non, un cul-de-sac", Le Monde,
samedi 28 mai 2005, p. 13. 151
Timothy GARTON ASH, "HORIZONS DÉBATS - POINT DE VUE. La bataille de France", Le Monde,
lundi 30 mai 2005, p. 1. 152
Georges MARION, "RÉFÉRENDUM LA CRISE EN EUROPE. Les Allemands regrettent un vote qui
- Page 102 / 135 -
« La politique agricole commune "n'est pas remise en cause par ce qui s'est passé
hier dans notre pays" a dit [le Président de la République] aux quelques
journalistes présents au siège du Conseil. "Naturellement, les tentations par
rapport aux 8 milliards - d'euros d'aides agricoles - que reçoit notre pays (...) vont
peut-être être un peu excitées et nous devrons certainement être extrêmement
vigilants", a-t-il poursuivi »153
.
« Si le oui l'emporte le 29 mai, l'UE s'enfoncera plus encore dans une crise dont on
a peine à imaginer l'ampleur.
Le chômage restera bloqué à des niveaux élevés, et de manière illimitée. Les
services publics continueront à être démantelés. L'allongement de la durée de
cotisation pour les retraites se poursuivra, avec la mise en place de fonds de
pension. L'assurance-maladie et l'éducation basculeront progressivement vers le
privé. La directive sur le temps de travail s'appliquera. Les conflits commerciaux se
multiplieront avec le reste du monde, comme aujourd'hui avec la Chine.
Les délocalisations s'accéléreront.
La directive Bolkestein sortira de son placard et s'appliquera sans tarder. (...) Ce
que nous avons observé à propos des immigrés - "ils nous prennent notre travail" -
s'appliquera sans commune mesure à propos des travailleurs roumains, polonais
ou lettons. La xénophobie et le racisme feront tâche d'huile »154
.
affaiblit l'influence des deux pays. Le chancelier, qui s'est entretenu avec Jacques Chirac avant même la
clôture du scrutin, estime que le non français est « un revers » pour la Constitution, mais pas la fin du
processus. De même se refuse-t-il à une remise en question du partenariat franco-allemand", Le Monde,
mardi 31 mai 2005, p. 12. 153
Thomas FERENCZI, Philippe RICARD, "RÉFÉRENDUM DU 29 MAI L'EUROPE APRÈS LE NON.
Bruxelles, sous le choc, tente de dédramatiser. « L'Union continue, les traités actuels fonctionnent » :
depuis le vote de dimanche, les responsables européens, unanimes, multiplient les déclarations
rassurantes. La politique agricole commune « n'est pas remise en cause », a martelé le ministre français
de l'agriculture", Le Monde, mercredi 1 juin 2005, p. 8. 154
Jacques NIKONOFF, "HORIZONS - DÉBATS. La fin programmée de l'Union européenne", Le Monde,
mardi 24 mai 2005, p. 14.
- Page 103 / 135 -
« "Si le oui gagne, ce sera le plan D : délocalisations, déréglementation, déferlante
migratoire", conclut [M. De Villiers] »155
.
« Si la France dit non, il faudra d'abord attendre novembre 2006 et convaincre nos
24 partenaires, un par un, de renégocier une Constitution voulue par la France -
dont l'échec aura été causé par elle. (...)
Encore faudrait-il que cette renégociation nous soit favorable. Là, on passe de
l'improbable à l'impossible. (...) Et nous serons en position de faiblesse pour
négocier »156
.
« En votant non, on se ferme toute une série de possibilités en termes de
gouvernance économique, on se dote de partenaires dont la capacité de gouverner
est nulle et la volonté de gouverner est faible. On se coupe de la possibilité de
mener la politique de réformes dont l'Europe a besoin.
En votant non, on vote non aux acquis imparfaits mais néanmoins indéniables du
traité. Ce qui n'empêche pas qu'il faille accentuer la dimension réformiste en
Europe, aller plus dans la voie des réformes, de l'ambition, du volontarisme.
La réponse sera européenne ou ne sera pas. Mais la réponse n'est pas dans la
radicalité, qui ne sert qu'une seule cause, celle du conservatisme »157
.
« L'épouse de M. Chirac a soupiré : "Je crois que si les Français n'ont pas encore
compris que la place de la France dans l'Europe et dans le monde dépend
beaucoup de cette réponse...".
155
Christiane CHOMBEAU, "LE RÉFÉRENDUM DU 29 MAI. M. de Villiers évoque, si le oui l'emporte, «
le plan D, délocalisation, déréglementation, déferlante migratoire »", Le Monde, mardi 24 mai 2005, p. 6. 156
Claudie HAIGNERE, "HORIZONS - DÉBATS. Laurent Fabius l'illusionniste", Le Monde, mardi 24 mai
2005, p. 14. 157
Henri DE BRESSON, "UNION EUROÉENNE - Le chancelier allemand Gerhard Schröder remet son
mandat en jeu. Pierre Moscovici, député socialiste européen, ancien ministre des affaires européennes «
Il faut accentuer la dimension réformiste en Europe »", Le Monde, mardi 24 mai 2005, p. 3.
- Page 104 / 135 -
En parfaite avocate de son mari, elle a poursuivi : "Un non fragilisera - pensons
déjà à ça - la position du chef de l’État quand il ira dans des sommets
internationaux, n'importe où dans le monde" »158
.
« Si c'est le non, nous en resterons pour de longues années avec les traités
existants, ceux-là mêmes qui sont contestés!
Nous entrerons dans une longue période d'incertitude car quel sera le sens du non
? Pas d'Europe ? Une autre Europe ? Plus libérale ? Plus sociale ? Avec quels
autres non-européens faire alliance : les conservateurs britanniques, les
extrémistes néerlandais ou les intégristes catholiques polonais ? (...)
Ce n'est pas le PS qui risque de perdre le 29 mai, c'est l'Europe »159
.
« "L'Europe serait en panne, à la recherche d'un impossible consensus. Le Monde,
lui, continuerait d'avancer de manière accélérée", a ajouté M. Chirac »160
.
2.4. Séquence 4 : Permettre à France de garder son rang dans une Europe progressiste
Pour éviter ces scénarios négatifs et que la France recouvre sa splendeur d'antan, des
scénarios positifs sont également développés dans les colonnes du journal. Le projet
d'intégration communautaire prend alors des allures de marche vers le progrès, permettant
de multiples avancées sociétales : « c'est donner à une utopie les moyens de devenir
concrète » nous dit Patrice Chereau, le 27 mai 2005. A en croire ses partisans, le traité de
158
Béatrice GURREY, "UNION EUROPÉENNE LE RÉFÉRENDUM DU 29 MAI. Mme Chirac
complimente Philippe Douste-Blazy, « maître en communication »", Le Monde, jeudi 26 mai 2005, p. 7. 159
Isabelle MANDRAUD, Sylvia ZAPPI, "UNION EUROPÉENNE LE RÉFÉRENDUM DU 29 MAI A
trois jours du scrutin, le non semble solidement installé en tête. FRANÇOIS HOLLANDE, premier
secrétaire du Parti socialiste « Le 29 mai, ce n'est pas le PS qui risque de perdre, c'est l'Europe ». Il
évoque des militants « très remontés » contre les socialistes du non", Le Monde, vendredi 27 mai 2005, p.
8. 160
Béatrice GURREY, "UNION EUROPÉENNE LE RÉFÉRENDUM DU 29 MAI. Jacques Chirac promet
« une nouvelle impulsion » après le 29 mai. Pour son ultime intervention avant le référendum, jeudi 26
mai, et alors que tous les sondages donnent le non nettement gagnant, le président de la République en a
appelé à la « responsabilité » des Français pour les engager à voter en faveur du traité constitutionnel",
Le Monde, samedi 28 mai 2005, p. 2.
- Page 105 / 135 -
Maastricht permettrait de construire l'Europe politique qui a manqué à une intervention
commune en Yougoslavie. Il ouvrirait la voie à une Europe plus démocratique, en faisant
la part belle au Parlement européen, seule institution directement élue par les citoyens
européens. L'instauration d'une monnaie unique serait également le moyen de fédérer un
marché de 350 millions de consommateurs et d'ainsi contrecarrer la « suprématie du
dollar ».
« Maastricht ouvre des perspectives dans [une] triple direction : 1) Maastricht,
c'est plus d'environnement. (...) Maastricht va dynamiser ce mouvement. En
désignant l'harmonisation des standards environnement "à un niveau élevé" parmi
les objectifs du Fonds de cohésion sociale et budgétaire, Maastricht donne les
moyens aux pays du sud de l'Europe de rattraper leur retard écologique. Enfin, en
permettant à la Commission de faire prononcer par la Cour de justice des
Communautés européennes des sanctions pécuniaires à l'encontre des États qui
n'exécutent pas les arrêts de cette dernière. (...)
2) Maastricht, c'est une Europe plus douce. (...) Les Bosniaques, les Croates et les
Kurdes paient le prix de l'inexistence politique de l'Europe, notamment face aux
États-Unis. (...) En imposant une politique étrangère et de défense commune,
Maastricht peut aider l'Europe à reconsidérer ses liens avec les Américains. (...)
3) Maastricht, c'est un pas en direction d'une Europe fédérale et régionale. (...)
l'augmentation des pouvoirs du Parlement, notamment avec la généralisation de la
codécision et le vote d'investiture dont fait maintenant l'objet la Commission ; le
principe de subsidiarité, qui porte en lui l'aspiration par le "bas" (les régions) et le
"haut" (l'Europe) des États, principe qui devrait déboucher à terme, comme cela se
passe dans tous les États fédéraux, sur la formulation d'un texte de base
répartissant les compétences entre États membres et communauté ; l'institution
d'un comité des régions, première étape d'une représentation des régions au niveau
européen »161
.
161
Antoine WAECHTER, "LE RÉFÉRENDUM SUR LE TRAITÉ DE MAASTRICHT POINT DE VUE Le
" oui " laisse à l'Histoire le temps de s'écrire", Le Monde, samedi 19 septembre 1992, p. 4.
- Page 106 / 135 -
« Au nombre des progrès que le traité porte en germe, trois nous sont apparus
déterminants :
Le premier concerne la démocratisation des institutions et de leur fonctionnement.
(...) C'est ainsi que [le traité] renforce les pouvoirs du Conseil au sein duquel chefs
d’État et de gouvernement définissent les orientations de la politique
communautaire (...). Parallèlement, il instaure le système dit de la "codécision"
qui fait sortir le Parlement européen de son rôle, jusqu'ici consultatif (...). Enfin,
toujours au crédit des progrès démocratiques, il y a lieu de porter l'introduction
dans le traité principe dit de "subsidiarité". (...)
Un deuxième progrès touche à l'économie, surtout en raison de l'avènement
programmé d'une monnaie unique. (...) Deux avantages majeurs devraient
cependant retenir l'attention. L'un concerne les économies que [la monnaie unique]
permettra, aux Européens, de réaliser, en supprimant les frais de change sur les
transactions et les échanges effectués, à l'intérieur du territoire communautaire,
aussi bien par les particuliers que par les entreprises. (...) Enfin, une monnaie
européenne unique et forte, par voie de conséquence, de la force d'un marché de
350 millions de consommateurs contrecarrera la suprématie du dollar.
Un troisième progrès touche aux aspects sociaux. La lecture du traité fait
apparaître que, si pour progresser dans certains domaines, la majorité qualifiée est
substituée à l'unanimité, celle-ci, par contre, demeure la règle concernant des
sujets qui nous tiennent à cœur tels que la Sécurité sociale, la protection sociale
des travailleurs, la représentation et la défense collective de leurs intérêts ou les
conditions d'emploi des immigrés extra-communautaires. Cela veut dire que nos
acquis sociaux ne pourront en aucune manière être remis en cause »162
.
A l'occasion du traité constitutionnel, l'argument est moins communautaire que
purement français : alors que le thème du déclin national est particulièrement présent dans
162
Émile ARRIGHI DE CASANOVA, Georges BEAUCHAMP, Gilberte BEAUX, Jacques BONNOT,
Pierre BRACQUE, Guy BRANA, Pierre CORMORECHE, Roger COURBEY, "DEBATS. LE
RÉFÉRENDUM SUR LE TRAITÉ DE MAASTRICHT DÉBATS. Pour un " oui " raisonné", Le Monde,
samedi 19 septembre 1992, p. 2.
- Page 107 / 135 -
les constats qui sont fait de la situation, les partisans du traité y voient un moyen d'en finir
avec cette inertie qui s'installe et d'ainsi recouvrer la place de leader que la France tenait au
début du projet communautaire. En reprenant sa place au premier rang, la France éviterait
ainsi la construction d'une Europe trop libérale, menée par les Britanniques. Ce sont
principalement les améliorations sociales que présentent les tenants du traité
constitutionnel dans ce scénario positif : l'intégration de la Charte des droits fondamentaux
dans le droit européen, ce qui lui confère une valeur constitutionnelle, est mise en avant ; le
renforcement des pouvoirs du Parlement est également souligné pour faire état des
avancées démocratiques que permettrait le traité. Enfin, les adaptations à la nouvelle
configuration communautaire à 25 font du traité constitutionnel, du moins pour ses
partisans, une étape incontournable pour donner une chance de succès à l'élargissement.
« Pourquoi ne croyons-nous que mollement au projet d'un rêve européen pouvant
résonner comme une alternative à l'échelle du monde ? La question, aujourd'hui,
est d'arrêter le "déclinisme" qui envahit les têtes, en votant oui pour la
Constitution »163
.
« Il faut donc rappeler que le référendum du 29 mai n'aura aucune conséquence
sur la majorité en place et sur le mandat de Jacques Chirac, que le traité
constitutionnel est une réponse forte aux insuffisances politiques et sociales de
l'Europe et, qu'enfin, la réussite de l'élargissement passe par le oui »164
.
« Dire oui, c'est donner à une utopie les moyens de devenir concrète, à un projet
commun d'incarner l'avenir. C'est dire oui à ce qui est défini pour la première fois
dans ce texte : la dignité humaine, la démocratie, l'égalité, le respect des droits de
l'homme et des minorités, la tolérance, l'égalité entre les hommes et les femmes,
163
Philippe LEMOINE, "HORIZONS - DÉBATS. Un nouvel imaginaire pour l'Europe", Le Monde,
mercredi 25 mai 2005, p. 15. 164
Isabelle MANDRAUD, Sylvia ZAPPI, "UNION EUROPÉENNE LE RÉFÉRENDUM DU 29 MAI A
trois jours du scrutin, le non semble solidement installé en tête. FRANÇOIS HOLLANDE, premier
secrétaire du Parti socialiste « Le 29 mai, ce n'est pas le PS qui risque de perdre, c'est l'Europe ». Il
évoque des militants « très remontés » contre les socialistes du non", Le Monde, vendredi 27 mai 2005, p.
8.
- Page 108 / 135 -
l'égalité de salaire, entre autres, la justice, la solidarité. Et le refus des
discriminations pour des raisons de race, d'origine, de religion ou d'orientation
sexuelle, le droit à une protection contre le licenciement abusif, le droit de grève, le
droit d'accès à une sécurité sociale, le droit à l'éducation gratuite, la
reconnaissance et l'affirmation du rôle des services publics. Est-ce "rien" que tout
cela ? »165
.
« Si la France vote oui après un long débat démocratique que beaucoup nous
envient, elle reprendra son rôle de moteur, l'axe franco-allemand sera renforcé et
la Grande-Bretagne, ayant devant elle un référendum difficile, affaiblie. L'avenir
n'est écrit nulle part, à nous de choisir »166
.
« Pédagogue, le chef de l’État a traité sous forme de quatre questions, les enjeux
qui lui paraissaient essentiels : une France plus forte, un modèle social conforté,
une Europe plus démocratique et mieux protégée »167
.
2.5. Séquence 5 : La France doit rester leader dans le projet d'intégration européenne
Pour Claudio Radaelli, les récits de politiques publiques qu'il étudie débouchent sur
des propositions d'actions prenant la forme de modes opératoires en suggérant le recours à
tel ou tel instrument. Dans le cas des discours que nous étudions, ce ne sont pas des
instruments qui figurent à la cinquième séquence, mais des recommandations politiques
invitant la France à rester leader dans le projet d'intégration européenne.
165
Patrice CHEREAU, "HORIZONS - DÉBATS POINTDE VUE. Penser plus loin que nos propres
frontières", Le Monde, vendredi 27 mai 2005, p. 1. 166
Claude ALLEGRE, "HORIZONS - DÉBATS. Le oui, un levier, le non, un cul-de-sac", Le Monde,
samedi 28 mai 2005, p. 13. 167
Béatrice GURREY, "UNION EUROPÉENNE LE RÉFÉRENDUM DU 29 MAI. Jacques Chirac promet
« une nouvelle impulsion » après le 29 mai. Pour son ultime intervention avant le référendum, jeudi 26
mai, et alors que tous les sondages donnent le non nettement gagnant, le président de la République en a
appelé à la « responsabilité » des Français pour les engager à voter en faveur du traité constitutionnel",
Le Monde, samedi 28 mai 2005, p. 2.
- Page 109 / 135 -
« La mémoire de la République comme celle du peuple qui se reconnaît en ses
valeurs est la mémoire d'intégrations successives réussies. Deux cents ans après, il
nous incombe de pérenniser non seulement la France mais aujourd'hui en Europe -
en l'adaptant - un modèle qui participe de la fameuse "exception française". Ceux
qui y sont attachés sincèrement doivent donc faire de la lutte contre les exclusions
la première de leurs priorités »168
.
En résumé, ce qui est présenté comme une solution conclut un discours dont
plusieurs arguments invitent à adopter la recommandation suggérée en dernière séquence.
Comme en atteste son histoire, la France a les capacités d'être un leader régional à même
d'influencer le projet communautaire dans le sens des intérêts français. La France
connaissant une phase de déclin, l'Union européenne perd un de ses États membres les plus
dynamiques, risquant ainsi de faire passer le projet communautaire de projet politique à
celui d’un simple marché commun. Sans Europe puissante, les États membres ne pèsent
rien, individuellement, sur la scène internationale, ce qui laisserait celle-ci à la merci des
seuls États-Unis et des puissances émergentes asiatiques. Les valeurs européennes d’État
de droit, de droits de l'Homme, de démocratie et les acquis sociaux hérités de longues
luttes syndicales se verraient menacées par de nouvelles puissances sans attachement à ces
principes.
La France doit donc rester un État leader, inspirant le projet communautaire de son
modèle social, afin que l'Union européenne puisse devenir le projet politique ambitieux
qu'ont imaginé les pères fondateurs. A l'analyse qualitative des articles de presse du journal
Le Monde, il semblerait que les défendeurs comme les détracteurs des traités partagent
cette vision d'une France leader. Cela ne les empêche pas pour autant de présenter chacun
leur solution pour y parvenir.
La solution des opposants au traité constitutionnel :
168
Kofi YAMGNANE, "DEBATS. Intégration. Adapter le modèle républicain", Le Monde, mercredi 23
septembre 1992, p. 2.
- Page 110 / 135 -
« Cette fin programmée de l'Union européenne peut être enrayée. En stoppant cette
machine infernale, l'UE pourra repartir sur des bases plus réalistes »169
.
La solution des partisans du traité constitutionnel :
« Pourquoi ne croyons-nous que mollement au projet d'un rêve européen pouvant
résonner comme une alternative à l'échelle du monde ? La question, aujourd'hui,
est d'arrêter le "déclinisme" qui envahit les têtes, en votant oui pour la
Constitution »170
.
Les solutions énoncées en dernière séquence prennent la forme de professions de foi
politiques. Elles révèlent avec force le lien étroit mis en lumière par Claudio Radaelli, entre
récit et pouvoir. Elles confrontent alors un discours mythologique171
à des situations
politiques réelles. Au moment de passer de l'un à l'autre, des difficultés apparaissent et
révèlent les ellipses des récits politiques, ce que Claudio Radaelli appelle des « non-dits ».
Les récits français de l'Union européenne ne font pas exception. En tachant de construire
des démonstrations implacables, les récits ont recours à des simplifications. Par exemple,
l'analyse du passé élude complètement les difficultés économiques européennes des années
1980. La situation de l'Union européenne dans les années 1990-2000 est également peu
considérée alors même que les changements politiques dans les États de l'Est de l'Europe
sont la traduction d'évolutions profondes dans la géopolitique mondiale. Les partisans d'un
approfondissement de l'Union européenne font également fi des aspects budgétaires qui
devront être discuté si l'intégration s'accélère. Pour réaliser les avancées qu'évoquent les
partisans de l'approfondissement, il faudra très certainement augmenter le budget
communautaire qui stagne aux alentours d'1 % du Produit intérieur brut européen.
169
Jacques NIKONOFF, "HORIZONS - DÉBATS. La fin programmée de l'Union européenne", Le Monde,
mardi 24 mai 2005, p. 14. 170
Philippe LEMOINE, "HORIZONS - DÉBATS. Un nouvel imaginaire pour l'Europe", Le Monde,
mercredi 25 mai 2005, p. 15. 171
Au sens de mythe, "Ensemble de croyances, de représentations idéalisées autour d'un personnage, d'un
phénomène, d'un événement historique, d'une technique et qui leur donnent une force, une importance
particulières : Le mythe napoléonien. Le mythe de l'argent", du grec muthos, le récit. Définition de
« mythe », consultée le 24 août 2014. URL : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/mythe/53630
- Page 111 / 135 -
Ces récits ne partent pourtant pas de rien. Ils sont le produit d'une mémoire nationale,
conditionnée par un contexte étatique précis. Pour comprendre ces perceptions françaises
de l'Union européenne, nous nous attacherons donc, dans le chapitre suivant, à l'étude du
contexte identitaire français et comment celui-ci a influencé le cadre cognitif national de
l'intégration communautaire.
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Chapitre 7 - L'identité nationale, un contexte culturel
pour expliquer le positionnement français à l'égard
de l'Union européenne.
Les extraits étudiés au cours des chapitres précédents révèlent l'importance des
images que la Nation a d'elle-même et de la mémoire collective dans la construction des
perceptions françaises de l'Union européenne. Ainsi, la France, comme Nation, est
régulièrement cité dans les articles composant le corpus : « La France a dû... »172
, « la
France est capable de... »173
, « l'histoire de notre pays »174
. Il en va de même du peuple
français : « un jour le peuple français se réveillerait avec la gueule de bois »175
, « Français!
Françaises! Qu'est-il arrivé à votre assurance ? »176
, « dans la grande bataille de la
mondialisation, relayée par l'Europe, les Français sont perdants »177
, « les Européens
ménagent le souverainisme qui sommeille chez les Français »178
. Ces formulations font
apparaître la France et son peuple comme une entité indivisible, laissant croire à un
consensus dans les conceptions du pays et de ses habitants. Elles permettent ainsi de borner
culturellement le récit : pour le dire autrement, invoquer la France et les Français dans leur
unité justifie que la France, de par son identité, son histoire, ses mythes nationaux, adopte
172
Philippe LEMAITRE, "LE REFERENDUM SUR LE TRAITE DE MAASTRICHT Agriculteurs, danger
Les paysans français, largement partisans du " non " pourraient être les principales victimes d'un rejet du
traité", Le Monde, samedi 19 septembre 1992, p. 7. 173
Gian GIACOMO MIGONE, "HORIZONS - DÉBATS. C'était en 1992, en Italie, à la veille du vote
français sur Maastricht...", Le Monde, samedi 28 mai 2005, p. 13. 174
LE 20 SEPTEMBRE 1992 SUR LE TRAITE DE MAASTRICHT. LES RÉSULTATS DU
RÉFÉRENDUM SUR L'UNION EUROPÉENNE Les réactions à l’Élysée et à Matignon M. Mitterrand :
" Le vote de ce jour engage toute la France", Le Monde, mardi 22 septembre 1992, p. 6. 175
Olivier BIFFAUD, "RATIFICATION DU TRAITE DE MAASTRICHT. REUNION AU ZENITH LE 12
SEPTEMBRE 1992. LA CAMPAGNE POUR LE RÉFÉRENDUM. En compagnie de MM. Séguin et de
Villiers M. Pasqua mène la charge contre les états-majors de l'opposition", Le Monde, mardi 15
septembre 1992, p. 5. 176
Timothy GARTON ASH, "HORIZONS DÉBATS - POINT DE VUE. La bataille de France", Le Monde,
lundi 30 mai 2005, p. 1. 177
Thomas FERENCZI, "HORIZONS - ANALYSE. Désenchantement", Le Monde, mardi 31 mai 2005, p.
1. 178
Arnaud LEPARMENTIER, "HORIZONS - ANALYSES ANALYSE. Le refus de la souveraineté
partagée", Le Monde, mercredi 1er juin 2005, p. 1.
- Page 113 / 135 -
tel ou tel positionnement à l'égard de l'Union européenne. Les énonciateurs du récit font
appel à la mémoire collective nationale définie par Marie-Claire Lavabre comme « les
représentations socialement partagées du passé, lesquelles sont effets des identités
présentes qu’elles nourrissent pour partie en retour »179
. Les perceptions françaises de
l'Union européenne peuvent donc s'expliquer par des préoccupations politiques,
économiques et culturelles spécifiques à la France, car inhérente à son histoire ou tout du
moins, la conception partagée d'une histoire nationale. Ce chapitre tentera ainsi de
démontrer l'influence de la mémoire collective sur les représentations françaises en
relevant les moments clés de l'histoire nationale évoqués au moment de justifier des
positionnements à l'égard de l'Union européenne. Sur la base de ce contexte culturel, nous
tâcherons d'expliquer le positionnement actuel de la France à l'égard de l'Union
européenne.
1. L'influence de la mémoire collective sur les représentations de
l'intégration européenne
Les références à des événements ayant marqué l'histoire nationale sont
particulièrement présentes dans les récits notamment dans la première séquence du
chaînage de Claudio Radaelli, à savoir, celle de l'analyse du passé. Toutes ces références
appartiennent à un passé récent, la plus lointaine remontant à il y a deux siècles en faisant
allusion à la Révolution française. Ainsi, si les énonciateurs n'ont pas vécu eux-mêmes les
événements qu'ils décrivent, ils sont les descendants immédiats de gens les ayant vécu ce
qui aide à inscrire ces événements comme des histoires personnelles ayant touché les
citoyens d'aujourd'hui. Par ailleurs, ce sont souvent des souvenirs dramatiques en ceci
qu'ils représentent une époque particulièrement fastueuse ou au contraire difficile de
l'histoire nationale.
Classés par ordre chronologique, les principaux événements à être mentionnés dans
notre corpus journalistique vont de la Révolution française à l'opposition de la France à la
179
Marie-Claire LAVABRE, "Pour une sociologie de la mémoire collective", consulté le 24 août 2014.
URL : http://www.cnrs.fr/cw/fr/pres/compress/memoire/lavabre.htm
- Page 114 / 135 -
guerre en Irak. La Révolution et l'abolition des privilèges restent des éléments mythiques
de l'histoire française. Les systèmes de loyauté sont abolis pour être remplacés par des
droits abstraits accordés aux citoyens en leur qualité d'individus politiques. La lecture de la
Révolution française comme conflit de classes180
- les inégalités de conditions étant
particulièrement marquées dans la France d'Ancien régime - en fait une des références
fortes du contrat social français181
.
La plupart des événements se concentrent toutefois dans la deuxième partie du
XXème siècle. La seconde guerre mondiale, dernier conflit européen ayant opposé
l'Allemagne à la France est sous-jacent à de nombreux extraits. S'il n'est pas évoqué
directement, les allusions sont saillantes à chaque fois que référence est faite aux pères
fondateurs et leur projet de pacifier le continent. Les pères fondateurs sont des figures
centrales de ces références historiques : Robert Schuman et Jean Monnet sont présentés
comme des leaders pragmatiques de la pacification du continent. Leur est souvent opposée
une conception libérale du marché et de concurrence défendue par la Commission.
Les références à la présidence du général de Gaulle sont également nombreuses lors
des campagnes référendaires. Ses mandats sont, en effet, particulièrement marqués par les
relations internationales : particulièrement attaché à l'indépendance de la France vis-à-vis
des deux blocs américain et soviétique pendant la Guerre froide, il sort la France de
l'OTAN, qu'il juge sous la houlette des États-Unis. Sa politique de grandeur pour la France
se traduit très concrètement par la poursuite de la mise au point de la bombe atomique et
des investissements militaires importants. Il incite également deux démocraties populaires
de l'URSS à s'émanciper de la tutelle russe, la Pologne et la Roumanie, qui prennent
respectivement leur indépendance en 1966 et 1968. Si la référence au président de Gaulle
dans le récit de l'Union européenne est récurrente, elle n'en est pas pour autant
consensuelle. Si le projet communautaire menace les États-nations chers au général, celui-
ci participe toutefois au projet d'intégration économique et à la constitution d'un axe
franco-allemand avec Konrad Adenauer. Il réaffirmera sa volonté d'indépendance vis-à-vis
180
Cette lecture est notamment celle de Georges LEFEBVRE, La Révolution Française, Presses
Universitaires de France, Vol. 1, 1951 ; Vol. 2, 1957. 181
Au sens de Jean-Jacques ROUSSEAU, Du Contrat Social ou Principes du droit politique, 1762. Le
contrat social de Rousseau est fondé sur le principe de la souveraineté populaire, lui-même basé sur les
concepts de liberté et d'égalité. L'intérêt du peuple souverain est l'intérêt général.
- Page 115 / 135 -
des États-Unis jusque dans le projet communautaire, en s'opposant fermement à l'entrée du
Royaume-Uni.
Les événements sont ainsi souvent liés à des personnalités françaises, ces « grands
hommes » qui ont marqué l'histoire de France. Jacques Delors, président de la Commission
européenne de 1985 à 1995 est parmi ceux-là. Il est le président resté le plus longtemps en
poste (trois mandats : 1985-1988 ; 1989-1992 ; 1993-1995) et reste un des présidents les
plus appréciés182
. Il est souvent évoqué comme un homme visionnaire portant un projet
ambitieux pour l'Union européenne. Son nom rappelle plusieurs grandes réalisations dont il
est à l'origine : il crée le dialogue social européen en instaurant les premières rencontres
des partenaires sociaux européens en 1985 ; il relance et finalise l'Union économique et
monétaire à partir de la publication du rapport Delors en 1989 ; enfin, il entretient l'idée de
cohésion territoriale par la création du Comité des Régions en 1994.
Ces différentes références aux événements et personnalités de l'histoire française
révèlent l'image que la France a d'elle-même : une patrie de personnalités charismatiques et
visionnaires, animant un projet de société basé sur l'égalité, la souveraineté populaire et la
justice sociale. Cette vision française ne reste pas pour autant au sein des frontières
nationales. Différents événements, sous la présidence de la République du général de
Gaulle ou celle de la Commission européenne par Jacques Delors suggèrent la capacité
d'entraînement dont la France estime disposer. Cette capacité d'entraînement ne fait
toutefois aucun doute chez Pierre Servent et Marcel Scotto, comme en attestent les deux
extraits ci-dessous.
« Un pays pouvait désormais invoquer la défense de ses intérêts majeurs pour
échapper au couperet d'un vote à la majorité qualifiée. Maurice Faure, qui fut l'un
des négociateurs français du traité de Rome, estime aujourd'hui, avec le recul du
temps, que c'est ce compromis qui a bloqué la dynamique fédérale du traité de
Rome voulue par les pères fondateurs. Un signe de la capacité de freinage de la
France qui semble n'avoir d'égale que sa capacité d'entraînement... »183
182
Giles MERRITT, "A Bit More Delors Could Revamp the Commission", The New York Times, publié le
21 janvier 1992. Consulté le 24 août 2014. URL : http://www.nytimes.com/1992/01/21/opinion/21iht-
edgi_0.html 183
Pierre SERVENT, "ESPACE EUROPEEN. La France, locomotive de l'Europe", Le Monde, mardi 15
septembre 1992, p. 9.
- Page 116 / 135 -
« Pour l'ancien chef de l’État, mettre en danger l'entente franco-allemande, c'est
s'engager vers "une autre Europe qui serait moins française". Pour M. Giscard
d'Estaing, "un petit 'oui' marquerait un "certain désengagement" du pays alors
qu'un "gros 'oui' créerait un phénomène d’entraînement fort". (...) Si le 'oui'
l'emporte, nous reprendrons une sorte de leadership. L'union de l'Europe ne peut se
faire sans nous »184
.
La croyance en une capacité d'entraînement de la France justifie un autre espoir,
celui de dessiner l'Europe à l'idée que s'en font les Français. En effet, le contexte culturel
que nous venons d'évoquer constitue une piste d'explication pour comprendre l'appétit des
Français à faire de l'Union européenne une vitrine de leurs modèles et ambitions
nationales. Le rôle tenu par la France dans l'approfondissement du projet d'intégration
communautaire mis au regard d'une influence internationale en perte de vitesse éclaire
l'image française d'une Union européenne comme opportunité de recouvrer un rang sur la
scène mondiale.
2. La France au milieu du gué, entre excès et manque de
puissance
Ainsi que le suggère Juan Diez Medrano, les pays particulièrement investis dans le
processus d'intégration communautaire sont ceux n'ayant pas de projet supranational
concurrent. Cette hypothèse de Medrano est particulièrement juste dans le cas de la France.
Elle n'a pas, à la différence du Royaume-Uni avec le Commonwealth, de projet
supranational lui permettant de se positionner comme leader d'un ensemble de Nations
partageant une même identité communautaire et, ainsi, d'accéder à un statut de grande
puissance sur la scène internationale. La position de la France à l'égard du projet
184
Marcel SCOTTO, "A STRASBOURG LE 16 SEPTEMBRE 1992. LE RÉFÉRENDUM SUR LE
TRAITÉ DE MAASTRICHT. M. Giscard d'Estaing ne veut pas d'un " petit oui "", Le Monde, vendredi
18 septembre 1992, p. 3.
- Page 117 / 135 -
communautaire est toutefois différente de l'Allemagne et de l'Espagne, étudiés par Juan
Diez Medrano. Les deux États isolés au sortir de la Seconde guerre mondiale sont poussés
à s'investir dans le projet communautaire en vue de retrouver une place dans le dialogue
régional. La France est reconnue comme vainqueur par le camp allié grâce à
l'investissement de la France libre de De Gaulle dans la victoire européenne contre le
IIIème Reich. Cette reconnaissance accompagnée de l'engagement de la France dans la
création de la Société des Nations (SDN) lui permet de disposer d'un siège au Conseil de
Sécurité de l'organisme remplaçant la SND, à savoir l'Organisation des Nations Unis
(ONU). Si l'on comprend les motivations des pères fondateurs à construire, avec l'ancien
ennemi, des solidarités de fait à même d'empêcher les massacres du début du siècle de se
reproduire, il est toutefois plus difficile de justifier l'investissement constant de la France
dans les quarante premières années du projet d'intégration européenne. Son statut
international la rapproche plus du Royaume-Uni, également au Conseil de Sécurité de
l'ONU et vainqueur de la Seconde guerre mondiale, que de l'Allemagne vaincu.
Or, ainsi que le démontre Juan Diez Medrano, les États n'ayant pas de projet
supranational apparaissent plus investis dans le projet d'intégration que les États qui en ont
un. C'est sur ce point que la France diffère majoritairement du Royaume-Uni. La France est
ainsi dans cette position délicate de faire partie des puissances internationales siégeant au
Conseil de Sécurité des Nations Unies aux côtés des États-Unis, de la Russie, de la Chine
et du Royaume-Uni, sans pour autant présenter le même rayonnement que ses homologues.
Ainsi que le formule Fabien Terpan pour justifier l'engagement de la France dans le
développement d'une politique européenne de sécurité et de défense (PESD), la France
« souffre à la fois d'un excès et d'un manque de puissance »185.
Ce manque de puissance se
fait de plus en plus criant à la fin de la Guerre froide. La France n'est plus en capacité
d'agir seule sur la scène internationale. Elle est également « trop faible pour imposer ses
vues à des partenaires européens qui ne vont pas mettre en danger leurs relations avec les
États-Unis pour suivre un pays qui ne peut pas les défendre »186
. Elle dispose,
paradoxalement d'un excès de puissance, en ce qu'elle est un des seuls États européens à
siéger au Conseil de Sécurité de l'ONU et à disposer depuis les années 1960, de l'arme
185
Fabien TERPAN, « L'européanisation de la politique de défense de la France », op. cit. 186
Fabien TERPAN, ibid.
- Page 118 / 135 -
nucléaire. Cette capacité militaire, en plus d'un réseau diplomatique important – le
deuxième mondial, après les États-Unis – est trop imposante pour ne pas susciter « des
réactions de rejet [de la France] en ce qu'elle prétend à une position de force au sein d'une
Europe »187.
Selon l'auteur, ces différences d'ambition pour l'Europe sont particulièrement
marquées entre la France et le reste des États membres. Son projet d'Europe-puissance est
non seulement loin de se trouver réalisé dans l'Union européenne telle qu'elle se construit
dans les années 1990-2000, mais elle est également bien loin des projets que les autres
États membres se font de l'intégration communautaire. La logique collégiale au fondement
des institutions communautaires, en particulier le Conseil des ministres européens, seule
instance de représentation des États membres, oblige pourtant la France à concilier ses
vues avec celles de ses partenaires. Ceux-ci se méfient de plusieurs choses, et en premier
lieu d'un néocolonialisme français. Les demandes de la France seraient, selon Fabien
Terpan, souvent mal perçues, mêmes lorsque celles-ci sont appuyées par son binôme
germanique. Alors que l'appui des britanniques peut permettre de faire changer le rapport
de forces, celui-ci est d'autant plus rare que les événements du début des années 2000
(attentats du 11 septembre 2001 et crise irakienne de 2003) ont tourné l’État insulaire vers
les États-Unis.
Dans cette position délicate, la capacité de la France d'influencer le projet
communautaire semble sinon compromise, du moins soumise à plusieurs contraintes. Pour
Fabien Terpan, la réalisation d'une Europe politique telle que le souhaite la France
nécessitera de négocier des compromis interétatiques avec ses partenaires européens : « La
France exerce une influence suffisante pour maintenir l'idée de la PESD et permettre le
renforcement opérationnel de l'Europe, étape indispensable sur la voie d'une Europe
puissance politique et militaire. (...) Une attitude conciliante à l'égard des États-Unis et
positive à l'égard de l'OTAN pourrait, paradoxalement, favoriser cet objectif »188.
187
Fabien TERPAN, ibid. 188
Fabien TERPAN, ibid.
- Page 119 / 135 -
3. Le projet politique français pour l'Union européenne :
l'hybridation de modèle, un compromis fragile
Bien que la France soit un des États porteurs d'une Europe politique, les contraintes
auxquelles elle fait face et l'importance qu'elle attache à son modèle national l’obligent à
conserver une logique intergouvernementale. Le discours peut sembler paradoxal : la
France prône un modèle d'intégration centralisée à même de porter une Europe politique
puissante, mais le modèle français qu'elle érige en condition des transferts de souveraineté
la fait tomber dans des pratiques intergouvernementales de défense des intérêts nationaux.
Cette position paradoxale de la France, ce que Pierre Servent appelle « un pragmatisme à
principes », est pointée à plusieurs reprises dans le corpus journalistique étudié.
« Fruit d'un compromis avec les Européens les plus atlantistes, les objectifs d'une
politique de défense commune sont restés toutefois relativement sibyllins dans la
rédaction du traité, contrairement à ce que souhaitait Paris. Mais, au grand dam
du président de la Commission, M. Jacques Delors, les négociateurs français ont
défendu sur un certain nombre de dossiers-clés (la politique étrangère et de
sécurité par exemple) une logique qui restait intergouvernementale et non
communautaire »189
.
« A l'époque, juste avant le conseil de Maastricht, M. Delors s'était vivement
emporté contre un traité jugé "inapplicable et paralysant" : "On ne maintient pas le
cap vers une Communauté telle que l'ont voulu ses fondateurs (...). A quoi bon faire
figurer la vocation fédérale comme une sorte d'alibi pour pêcheur repentant dans le
préambule du traité ?"
Ce principe devait finalement disparaître de la version définitive du traité alors que
le ministre des affaires étrangères, M. Roland Dumas, ne s'était pas privé de
rappeler avec insistance son importance devant le Sénat et l'Assemblée nationale
(Le Monde des 29 juin 1990 et 29 novembre 1991). (...) Bref, la France maintient
189
Pierre SERVENT, "LES REACTIONS A L' ETRANGER ET LES CONSEQUENCES DU " OUI "
FRANCAIS A MAASTRICHT La France, grande inspiratrice du traité Dans le texte signé à Maastricht,
Paris avait fait prévaloir, avec l'appui de Bonn, sa conception de la construction européenne", Le Monde,
mardi 22 septembre 1992, p. 26.
- Page 120 / 135 -
le cap d'un pragmatisme à principes, mêlant à la fois la logique
intergouvernementale et communautaire »190
.
« MM. Mitterrand et Kohl veulent au contraire réaffirmer que leur but reste
l'Union européenne. Mais Maastricht, - cette construction hybride, ni fédérale, ni
confédérale, mêlant coopération intergouvernementale et transferts de souveraineté
au profit d'une commission supra-nationale, - provoque une large réaction de
rejet »191
.
Le processus d'intégration européenne apparaît, entre les lignes, comme un
compromis fragile, de grandes ambitions régionales soumises aux logiques d'intérêts
nationaux menaçant sans cesse de porter un coup fatal à un projet politique plus abouti :
« L'Europe est une construction fragile, dont on va peut-être s'apercevoir - mais
trop tard - qu'elle est réversible, alors même qu'une part des partisans du non - les
plus jeunes - la considère comme un acquis. Elle est en permanence un compromis
fragile. La France vient de rompre celui-ci, et prend le risque de voir
progressivement détricoter une Europe malmenée par l'appel d'air nationaliste et
protectionniste que le non français peut provoquer »192
.
190
Pierre SERVENT, "LES REACTIONS A L' ETRANGER ET LES CONSEQUENCES DU " OUI "
FRANCAIS A MAASTRICHT La France, grande inspiratrice du traité Dans le texte signé à Maastricht,
Paris avait fait prévaloir, avec l'appui de Bonn, sa conception de la construction européenne", Le Monde,
mardi 22 septembre 1992, p. 26. 191
Daniel VERNET, "TRAITE DE MAASTRICHT. APRES LE REFERENDUM FRANCAIS SUR
L'UNION EUROPEENNE Contourner Maastricht sans renégocier", Le Monde, mercredi 23 septembre
1992, p. 1. 192
Jean-Marie COLOMBANI, "HORIZONS ANALYSE ÉDITORIAL. L'impasse", Le Monde, mardi 31
mai 2005, p. 1.
- Page 121 / 135 -
Chapitre 8 - Conclusions
Plutôt que d'évaluer le soutien au projet d'intégration européenne par des analyses
statistiques, nous avons décidé d'approcher le sujet par l'analyse des représentations
françaises de l'Union européenne. Ce travail nous a permis de traduire ces perceptions en
termes de positionnement pour ou contre le projet communautaire et de modèle
d'intégration. L'analyse des attitudes à l'égard de l'intégration européenne révèle les liens
de cause à effet entre une identité nationale et la production d'images réductrices de la
réalité : filtrées par le prisme d'une culture nationale, les perceptions du projet
communautaire diffèrent d'un État à l'autre.
Dans la première partie de ce travail, nous nous sommes attachés à décrire les outils
conceptuels et méthodologiques sur lesquels s’est appuyée notre recherche. S'ils sont loin
d'être les seuls à avoir travaillé les cadrages cognitifs, Radaelli et Medrano offrent, par
leurs travaux, des instruments analytiques aisément transposables à notre objet d'étude,
nous ayant convaincus d'utiliser le concept de récit (Claudio Radaelli) et celui de framing
(Juan Diez Medrano). La deuxième partie, consacrée à l'analyse de l'actualité européenne,
nous a permis de valider l'hypothèse de différents pics d'actualité européenne. Si l'on
constate une faible augmentation générale des articles parlant d'Europe, sur la période, trois
pics d'actualité européenne se sont toutefois démarqués : le mois de septembre 1992, la
période mars-avril et juin 1999, le mois de mai 2005. L'analyse qualitative de ces trois
périodes a révélée cinq perceptions au cœur de l'image française de l'intégration
européenne : l'Europe comme puissance internationale ; l'Europe, ciment de la paix ;
l'Europe du marché commun ; l'Europe sociale absente ; l'Europe du déficit démocratique.
Ces cinq images participent d'une représentation globalement positive de l'intégration
européenne. Sur la base de ces différentes images de l'Union européenne, nous avons
décelé un récit dominant, constituant le cadrage cognitif français au sujet de l'intégration
européenne. Nous le développons dans une troisième et dernière partie : celle-ci a
démontré l'engagement de la France au développement d'une Europe-puissance, qui lui
permettrait, en se positionnant en leader régional, de recouvrer une place au rang des
Nations influentes sur la scène internationale. Cette perception de l'Union européenne
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spécifique à la France tient, comme le démontre le dernier chapitre de ce travail, à
l'importance des images que la Nation a d'elle-même. La mémoire collective de l'histoire
nationale retrace une France influente, menée par des leaders charismatiques capables
d'exporter le modèle français au-delà de ses frontières. Or, cette mémoire contraste avec les
perceptions de la France actuelle, dont le rayonnement à l'international et le contrat social
au sein des frontières nationales se dégradent. La difficulté de la France à faire valoir son
modèle d'intégration pour l'UE auprès de ses partenaires atteste de ce déclin français.
L'étude de cadrages cognitifs des États à l'égard de l'Union européenne, comme l'a
fait Juan Diez Medrano, et comme nous avons, modestement, tenté de la faire ici, permet
d'expliquer les différences d'attachement à l'intégration européenne constatées dans les
sondages et enquêtes tel que le « European Values Study »193
. Certaines images sont
transversales au continent et se retrouvent à la fois en Allemagne, au Royaume-Uni, en
Espagne et en France. Les citoyens de la France, comme ceux des quatre États, étudiés par
Juan Diez Medrano194
, considèrent ainsi le projet communautaire comme un vaste marché.
L'Union européenne apparaît également aux yeux de ses citoyens comme l'opportunité de
constituer un bloc fort capable de concurrencer politiquement et économiquement les
États-Unis. Sous un angle plus critique, ces citoyens voient aussi dans l'intégration
communautaire une lourde bureaucratie.
Cette rapide comparaison des cadrages cognitifs nationaux révèle également des
similitudes binationales entre la France et ses voisins. De la même manière que les
Allemands, les Français perçoivent dans l'intégration européenne, un ciment de la paix
continentale. En outre, les deux peuples, cherchant à regagner une légitimité au regard de
leurs voisins espèrent, en investissant les sphères communautaires, disposer de soutiens
régionaux. Avec le Royaume-Uni, la France partage un sentiment de singularité entretenu
par un mythe de l'exception nationale. Tout comme les Espagnols, enfin, la France espère
sortir de son isolement et retrouver une place sur la scène internationale. Au regard de ces
similitudes, la France pourrait bien, selon l'hypothèse de Juan Diez Medrano, se trouver au
croisement des cultures ouest-européennes. La proximité géographique et historique des
quatre États est évidente. Les histoires nationales se sont souvent rencontrés : la France et
193
Le EVS est une enquête, renouvelée à plusieurs reprises (1981, 1990, 1999, 2008) sur les valeurs et
cultures des Européens. 194
Juan Diez MEDRANO, op. cit., p. 249.
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l'Allemagne partagent trois guerres ayant meurtri le continent européen ; sous la période
franquiste, de nombreux espagnols s'exilent en France ; enfin, outre la peur du Royaume-
Uni que la révolution française s'exporte outre-manche, les deux États ont été amenés à
coopérer à de nombreuses reprises, notamment dans la lutte contre le IIIème Reich. Si
chacun des États dispose d'une lecture différente des événements qu'ils partagent, ceux-ci
ont néanmoins été l'occasion d'échanges et d'hybridation des cultures nationales.
Malgré toutes ces similitudes, ces États disposent d'une culture nationale propre et
présentent des perceptions spécifiques. Ainsi, les Allemands s'inquiètent de la concurrence
de travailleurs étrangers sur le marché de l'emploi européen. Les Britanniques craignent la
dilution de leur identité nationale alors que les Espagnols perçoivent l'Union européenne
comme une opportunité de se moderniser et d'en finir avec leur tradition isolationniste. Ces
différences, relevées par Medrano, existent aussi dans le cas de la France : en matière
d'affaires intérieures, celle-ci s'inquiète des conséquences néfastes que pourrait avoir
l'intégration européenne sur son modèle social, tandis qu'en termes de politique étrangère,
les Français voient dans l'Union européenne l'opportunité de retrouver une place de leader
influent, capable de lui redonner une légitimité à exister sur la scène internationale.
Sans verser dans l'idéalisme que les idées mènent le monde, ce travail montre
l'importance de nuancer les positionnements à l'égard de l'Union européenne au regard des
cultures nationales dans lesquelles ces positionnements se développent. Pour voir les
attitudes concernant le projet communautaire évoluer, un changement dans les perceptions
apparaît nécessaire. Encore faut-il, pour cela - comme Étienne Davignon - avoir conscience
de leur potentiel... notamment de leur capacité de nuisance.
« A force d'affirmer aux opinions publiques de chacun de leur pays que les
décisions impopulaires ont été imposées par Bruxelles, alors que le mérite des
"bonnes nouvelles" revient exclusivement aux gouvernements nationaux, les
dirigeants politiques découvrent aujourd'hui qu'ils ont été crus. Ils se trouvent dès
lors bien embarrassés lorsqu'ils doivent démontrer- ce qui est la vérité - que le
cadre institutionnel garantit leurs droits et ne les fait par disparaître »195
.
195
Etienne DAVIGNON, "DEBATS. Le référendum sur le traité de Maastricht Débats. Lettre à un ami
français qui pense voter " non "", Le Monde, vendredi 18 septembre 1992, p. 2.
- Page 124 / 135 -
SOURCES
Site « ARCHIPEL » : http://catalogue.biu-toulouse.fr
Catalogue des bibliothèques universitaires de Toulouse
Site « Lectures » : http://lectures.revues.org
Site de publication de notes de lectures sur les ouvrages récents en sciences sociales
Site « CAIRN » : http://cairn.info
Base de données de revues en sciences humaines et sociales
Site « PARLEMENT EUROPEEN » : http://europarl.europa.eu
Site officiel de l'institution communautaire
Dictionnaire « LAROUSSE » : http://www.larousse.fr
Dictionnaire généraliste en ligne
Logiciel « EUROPRESSE »
Archivage électronique de la presse française et étrangère
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europeenne/synthese/les-commissaires-europeens-nomination-et-attributions.html
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LISTE DES ANNEXES
Sommaire des annexes
Annexe 01 - Tableau des données quantitatives
Annexe 02 - Liste des archives consultées
Présentation des annexes
Annexe 01 - Tableau des données quantitatives
Cette annexe compile les tableaux utilisés pour l'analyse quantitative. Ceux-ci font état du
nombre d'articles publiés intégrant l'occurrence "Europe" pour une période précise.
Annexe 02 - Liste des archives consultées
Cette annexe présente la liste exhaustive des articles de presse exploités dans le cadre de
ce mémoire de fin d’études.
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ANNEXES
Annexe 01 - Tableau des données quantitatives Ja
nvi
er
Févr
ier
Mar
s
Avr
il
Mai
Juin
Juill
et
Ao
ût
Sep
tem
bre
Oct
ob
re
No
vem
bre
Déc
emb
re
Tota
l au
to
1990 558 506 584 476 422 491 379 290 407 499 524 422 5558
1991 453 367 446 417 447 432 403 354 459 493 480 508 5259
1992 419 400 436 540 504 660 476 385 778 515 484 476 6073
1993 450 382 488 446 475 522 423 331 467 494 512 513 5503
1994 486 432 450 493 601 687 422 345 445 460 512 449 5782
1995 498 515 602 484 590 485 369 328 443 452 448 414 5628
1996 504 634 643 572 530 529 453 334 503 613 544 508 6367
1997 539 544 566 596 689 645 457 314 530 604 528 575 6587
1998 535 526 587 644 630 553 479 326 573 633 619 604 6709
1999 623 631 741 790 687 887 500 392 587 601 697 566 7702
2000 625 673 661 575 737 683 478 361 651 617 572 533 7166
2001 586 577 564 514 613 588 430 378 680 590 606 514 6640
2002 625 530 659 604 637 708 439 355 545 612 532 494 6740
2003 502 538 545 479 565 545 424 323 645 611 581 567 6325
2004 560 547 642 624 623 796 390 415 615 624 638 625 7099
2005 627 562 676 689 926 708 406 338 514 532 581 527 7086
2006 505 502 475 486 602 518 427 339 575 611 588 576 6204
2007 658 630 715 612 663 674 582 534 622 713 551 556 7510
2008 650 522 478 538 457 653 492 484 557 621 582 639 6673
2009 549 455 528 476 565 608 395 315 511 517 485 502 5906
2010 452 499 654 527 521 518 460 371 523 516 479 491 6011
Moyennes 543 522 578 551 594 614 442 362 554 568 550 527
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31
sept-92 33 30 20 25 35 0 27 35 18 20 22 19 0 23 38 26 42 62 44 0 31 55 30 23 12 19 0 20 40 29
mars-99 17 44 30 32 25 22 0 27 0 35 22 25 21 0 28 38 32 28 29 19 0 24 31 18 33 31 30 0 28 45 27
avr-99 27 33 27 0 25 35 20 26 29 30 0 32 33 33 28 28 27 0 29 40 35 33 42 25 0 29 42 28 27 27
juin-04 17 31 17 37 36 0 27 62 31 25 35 37 0 38 60 48 27 19 25 0 31 35 23 4 26 22 0 21 42 20
mai-05 0 33 42 27 71 34 25 0 37 40 33 31 26 27 0 30 40 29 25 32 29 0 20 51 30 37 35 26 0 42 69
juin-05 61 23 35 29 0 30 43 20 27 22 18 0 33 33 25 19 31 22 0 28 34 22 21 22 17 0 21 25 28 19
Annexe 02 - Liste des archives consultées
- Page 129 / 135 -
« APRÈS LE RÉFÉRENDUM SUR L'UNION EUROPÉENNE Les réactions politiques et syndicales Dans
le camp du " non " », Le Monde, mercredi 23 septembre 1992, p. 8.
« CONGRES DU PSE, PARTI DES SOCIALISTES EUROPEENS A MILAN, 1ER ET 2 MARS 1999;
DANS ENSEMBLE D'UNE PAGE SUR LA PREPARATION DES ELECTIONS EUROPEENNES. Les
socialistes français commencent leur campagne à Milan », Le Monde, mardi 2 mars 1999, p. 6.
« EDITORIAL; DEMISSION DE LA COMMISSION EUROPEENNE. Une chance pour l'Europe », Le
Monde, mercredi 17 mars 1999, p. 20.
« KIOSQUE; APRES DEMISSION COLLECTIVE DE LA COMMISSION DE BRUXELLES. DANS LA
PRESSE », Le Monde, jeudi 18 mars 1999, p. 36.
« LA CRISE EUROPEENNE; DANS UN ENSEMBLE DE QUATRE PAGES - APRES LA DEMISSION
DE LA COMMISSION EUROPEENNE 16 MARS 1999. Comment sortir de la crise : les dix têtes de
liste répondent », Le Monde, jeudi 18 mars 1999, p. 4.
« LE 20 SEPTEMBRE 1992 SUR LE TRAITE DE MAASTRICHT. LES RÉSULTATS DU RÉFÉRENDUM
SUR L'UNION EUROPÉENNE Les réactions à l’Élysée et à Matignon M. Mitterrand : " Le vote de ce
jour engage toute la France" », Le Monde, mardi 22 septembre 1992, p. 6.
« LE RÉFÉRENDUM SUR LE TRAITÉ DE MAASTRICHT Des professeurs de médecine pour le "oui" »,
Le Monde, samedi 19 septembre 1992, p. 6.
« Philippe Séguin veut incarner la seule alternative à la gauche. VERBATIM; EXTRAITS DES DIX
OBJECTIFS DE LA " CHARTE EUROPEENNE POUR L'UNION " RENDUE PUBLIQUE LE JEUDI
18 MARS 1999 PAR PHILIPPE SEGUIN ET ALAIN MADELIN (DANS LA PERSPECTIVE DES
ELECTIONS EUROPEENNES). "L'euro, formidable atout pour l'emploi" », Le Monde, vendredi 19 mars
1999, p. 7.
« POINT / LES ENJEUX DE MAASTRICHT. Et si c'était "non" ? », Le Monde, vendredi 18 septembre
1992, p. 6.
« UNION EUROPÉENNE LE RÉFÉRENDUM DU 29 MAI. Jacques Chirac promet « une nouvelle
impulsion » après le 29 mai VERBATIM », Le Monde, samedi 28 mai 2005, p. 2.
Alain FAUJAS, « LE MONDE ECONOMIE LES ENJEUX, LES STRATEGIES DOSSIER FAUT IL
AVOIR PEUR DES ENTREPRISES SANS FRONTIERES ? DOSSIER ; DANS UN DOSSIER DE
TROIS PAGES : POUR UN MODELE EUROPEEN D'ENTREPRISE ET L'IDEE DE "NATIONALITE"
DE FIRME. Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire confédéral de la CGT "Nous sommes favorables à la
création d'un statut de société européenne" », Le Monde, mardi 16 mars 1999, p. 3.
Alain ROLLAT, « LE 20 SEPTEMBRE 1992 SUR LE TRAITE DE MAASTRICHT. LES RÉSULTATS DU
RÉFÉRENDUM SUR L'UNION EUROPÉENNE Les réactions après le "oui" M. Mitterrand souhaite une
démocratisation des institutions européennes », Le Monde, mardi 22 septembre 1992, p. 47.
Annick COJEAN, « REPORTAGE PARMI LES PARTICIPANTS A PLUSIEURS MEETINGS EN FAVEUR
DU "NON" LE RÉFÉRENDUM SUR LE TRAITÉ DE MAASTRICHT Petit voyage dans les tribus du
"non" », Le Monde, vendredi 18 septembre 1992, p. 8.
Antoine WAECHTER, "LE RÉFÉRENDUM SUR LE TRAITÉ DE MAASTRICHT POINT DE VUE Le "
oui " laisse à l'Histoire le temps de s'écrire", Le Monde, samedi 19 septembre 1992, p. 4.
Arnaud LEPARMENTIER, "HORIZONS - ANALYSES ANALYSE. Le refus de la souveraineté partagée",
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Article 13 de la loi du 29 juillet 1881sur la liberté de la presse.
Béatrice GURREY, « UNION EUROPÉENNE LE RÉFÉRENDUM DU 29 MAI. Jacques Chirac promet «
une nouvelle impulsion » après le 29 mai », Le Monde, samedi 28 mai 2005, p. 2.
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TABLE DES MATIERES
Avant-propos ........................................................................................................................ 2
Sommaire .............................................................................................................................. 5
Liste des illustrations ......................................................................................................... 6
Chapitre 1 - Introduction ................................................................................................... 7
Partie 1 – Les perceptions comme prisme d’étude du processus d’intégration
européenne ......................................................................................................................... 15
Chapitre 2 – Un état de l’art : l’originalité d’étudier l’Union européenne par ses
récits ................................................................................................................................ 16
1. La science politique des idées ou l'approche cognitiviste ....................................... 16
1.1. Le récit, une construction performative ............................................................ 17
1.2. Le récit, un outil politique ................................................................................ 18
2. Le caractère politique de la presse dans la construction de cadres cognitifs ........... 19
Chapitre 3 - L'importance du facteur national dans l'étude des rapports à l'Union
européenne ....................................................................................................................... 22
1. Les sentiments d'appartenance à l'Union européenne expliqués par les
cultures nationales ....................................................................................................... 23
2. Différents projets d'intégration européenne et différents argumentaires : le
rôle de la mémoire collective et de la perception de soi .............................................. 25
2.1. De l'importance du mythe dans l’État nation ................................................... 27
2.2. Un projet supranational pour l’État, facteur de l'attachement à l'Union
européenne ............................................................................................................... 28
3. L'inertie relative des cadrages cognitifs .................................................................. 28
Partie II – Le traitement de l’actualité européenne en France ..................................... 32
Chapitre 4 – L’intensité variable de l’« Europe » dans l’actualité française : le
quotidien national Le Monde en exemple ........................................................................ 33
1. L'évolution de la place accordée aux thématiques communautaires ....................... 34
2. Des pics d'actualité européenne à chaque rendez-vous citoyen .............................. 38
2. 1. Analyse annuelle.............................................................................................. 38
2.2. Analyse mensuelle ............................................................................................ 43
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Chapitre 5 - Les images françaises de l'Union européenne : ce que les journaux
disent des perceptions nationales ..................................................................................... 49
1. Des Français attachés à l'Union européenne ........................................................... 50
2. L'intégration européenne vue par la France : une Europe aux cinq visages ............ 57
Partie III - Prégnance des cultures nationales : le récit de l'Union
européenne, miroir d'une certaine image de la France .................................................. 81
Chapitre 6 - La construction d'un récit dominant : l'Union européenne comme
opportunité pour la France de recouvrer une place sur la scène internationale ............... 82
1. La conception française de l'Europe : une Europe-puissance ................................. 84
2. Un récit en cinq temps : des pères fondateurs à une Europe sans leader. ............... 88
2.1. Séquence 1 : La France du passé, une France "au premier rang" ..................... 91
2.2. Séquence 2 : Une France de 1990 à 2010 qui s'isole ........................................ 93
2.3. Séquence 3 : Abandonner l'Europe ou le risque d'une France dans la
tourmente ................................................................................................................. 97
2.4. Séquence 4 : Permettre à France de garder son rang dans une Europe
progressiste ............................................................................................................ 104
2.5. Séquence 5 : La France doit rester leader dans le projet d'intégration
européenne ............................................................................................................. 108
Chapitre 7 - L'identité nationale, un contexte culturel pour expliquer le
positionnement français à l'égard de l'Union européenne. ............................................ 112
1. L'influence de la mémoire collective sur les représentations de l'intégration
européenne ................................................................................................................. 113
2. La France au milieu du gué, entre excès et manque de puissance ........................ 116
3. Le projet politique français pour l'Union européenne : l'hybridation de
modèle, un compromis fragile ................................................................................... 119
Chapitre 8 - Conclusions ............................................................................................... 121
Sources .............................................................................................................................. 124
Bibliographie .................................................................................................................... 125
Liste des annexes .............................................................................................................. 127
Annexes ............................................................................................................................. 128
Table des matières ........................................................................................................... 134