le probleme de la guerre civile

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Le Problme de la Guerre Civile

Le Problme de la Guerre Civile Discours tenu la confrence triannuelle de la War Resisters International (W.R.I, Internationale des Rsistants la Guerre) 23-27 juillet 1937 Copenhague.

Barthlemy DE LIGT

Le point de vue de la W. R. I.

Chers camarades! Il v a trois ans, lors de la Confrence Internationale de la W.R.I. Welwyn, notre ami Fenner Brockway ouvrit une discussion sur le pacifisme et la guerre de classes , qui par les tragiques vnements d'Espagne a retrouv de l'actualit. Fenner dclara que le problme de la guerre de classes - dans un sens plus large nous pouvons mme dire, le problme de la guerre rvolutionnaire - est, certes l'un des plus dlicats et des plus urgents. Il disait avec juste raison que, comme pacifistes, nous ne pouvons absolument pas rester en dehors de la lutte contre l'exploitation et l'oppression, et que nous avons lutter pour un nouvel ordre social. En effet, notre pacifisme n'est pas complet, si nous ne sommes que des antimilitaristes et antinavalistes. Il nous faut aussi tre des anti-capitalistes, des anti-imprialistes et des anti-colonialistes. Nous ne savons ni ne voulons rester en dehors de la lutte pour la justice sociale et la libert. Toutefois, nous rejetons quelque forme de guerre que ce soit, la guerre de classe incluse. En un mot, noirs acceptons dans un certain sens la lutte de classes, mais non la guerre de classes. notre avis, la guerre de classes, quoique souvent comprhensible est une forme errone de la lutte rvolutionnaire, parcequ'inhumaine et contradiction avec notre but : la formation d'une humanit nouvelle. La violence est partie intgrante du capitalisme, de l'imprialisme et du colonialisme, et ceux-ci sont par leur nature mme violents tout comme la brume par sa nature est humide. L'exploitation et l'oppression de classes et de races, la concurrence internationale pour les matires premires, etc. ne sont possible que par l'application systmatique d'une violence toujours croissante. liminez la violence, et toute la structure sociale actuelle s'effondrera. D'autre part, nous pouvons dire, en toute sret, que plus la violence est employe dans la lutte de classes rvolutionnaire, moins cette dernire a de chances d'arriver un succs rel. Nous acceptons la lutte pour un nouvel ordre social. Nous acceptons la lutte de classes pour autant qu'elle soit une lutte pour la justice et la libert, et qu'elle soit mene selon des mthodes rellement humaines. Nous participons nergiquement au mouvement d'mancipation de tous les hommes et groupes opprims. Mais nous essayons dy introduire et d'y appliquer des mthodes de lutte en accord avec notre but. Parce que nous savons par d'amres expriences, personnelles aussi bien que sociales, que lorsque dans n'importe quel domaine nous faisons usage de moyens qui sont essentiellement en contradiction avec le but poursuivi, ces moyens nous dtourneront invitablement de celui-ci mme s'ils sont appliqus avec la meilleure intention.

Les moyens et le but Tous les moyens sont troitement lis un but. Ils sont mme dtermins par leur but initial et ils ont la tendance de le servir dans les circonstances les plus diffrentes. Par exemple, le but propre d'un couteau est de couper. Nous pouvons naturellement essayer de lemployer comme archet, et il se peut qu'en faisant du dos du couteau, nous parviendrons tirer du violon quelques sons barbares. Mais plus nous employons le couteau en rapport avec sa destination propre, et plus nous appuyons le ct affil sur les cordes, plus vite nous dtruirons le violon. D'un autre ct, cela n'a pas de sens que d'essayer de couper du pain avec un archet parce que la destination propre de celui-ci n'est pas de couper des tranches de pain, mais bien de produire des sons. Sans doute, il arrive que pour un but particulier nous soyons obligs de faire usage de moyens non appropris. Faute de mieux nous avons souvent recours des mthodes qui ne rpondent pas tout fait au but propos. Mais nous savons par exprience que nous devons toujours essayer de trouver les moyens les plus appropris a chaque fin, et les mthodes dont le but essentiel correspond dans la mesure la plus large la fin en vue, et qui dans le cas idal, se dissolvent elles-mmes dans le but. N'ayant pas d'encre il est plus pratique d'crire avec un crayon ou mme avec un fusain, plutt que par exemple avec son propre sang. Il se peut qu'un jeune homme extrmement romantique et d'humeur amoureuse essaye d'crire avec son sang. Cependant, en ce cas le moyen correspond au but propos. Mais il en fera un usage conomique, sachant que son sang sert avant tout soutenir sa vie. Il est vrai qu'en employant son sang pour crire, il dsire exprimer qu'il est prt offrir sa vie l'objet de soir amour. Mais, il espre probablement pouvoir continuer sa vie avec celle qu'il aime. Quoiqu'il en soit, il ne s'agit ici que de disposer de son propre sang, de sa propre vie et de sa propre personne. Mais c'est une chose bien diffrente quand il s'agit de disposer, sans gards, pour n'importe quel but, du sang, de la vie et de la personne d'autres humains en tant que simple matriel . Ceci serait vraiment la plus grande violence exerce sur nos semblables.

Inviolabilit de la personnalit humaine Le philosophe allemand Kant avait raison lorsqu'il disait que personne n'a le droit de disposer d'autrui uniquement comme instrument ou comme moyen, parce que chaque personne trouve pour ainsi dire, son but en elle-mme. En effet, le fait que dans la guerre on use et abuse des personnes comme simple matriel, et qu' certains moments celles-ci doivent cesser d'tre raisonnables et morale, pour devenir de simples instruments de massacre, est l'une des raisons principales pour laquelle nous nous opposons si nergiquement la guerre. Nous savons d'ailleurs que les rvolutionnaires les plus responsables, mme lorsqu'ils acceptent certaines formes de la guerre de classes, ont toujours rejet toute forme de militarisme, cest--dire la complte subordination de la personnalit humaine l'intrt militaire. En dfendant les droits de l'individu en tant qu'tre raisonnable et moral, ces rvolutionnaires n'ont jamais pu ni voulu avoir recours au militarisme. Ils considraient toute forme de militarisme comme essentiellement contre-rvolutionnaire. C'est ainsi que dans un essai clbre sur la dfense de la rvolution Alexandre Berkman affirmait qu'un vritable rvolutionnaire est prt dfendre sort idal et ses principes, au besoin mme par la force arme , mais qu'il s'opposait toute intervention dans la libert personnelle, ft-ce par la force ou la violence ou de n'importe quelle autre faon. Personnellement il se dclarait adversaire de toute atteinte et de toute contrainte. Mais il continua : Si cependant quelqu'un vous attaque alors c'est lui qui vous atteint, lui, qui emploie la violence contre vous. Et vous avez alors le droit de vous dfendre. Encore plus, il est de votre devoir de protger votre libert, de rsister la coercition et la contrainte. Sinon vous tes un esclave et point un homme libre. La rvolution sociale n'attaquera personne, mais elle se dfendra contre toute atteinte provenant de n'importe quel ct . Mais Berkman admettait galement que la fin dtermine les moyens, tout comme l'outil dont vous vous servez doit tre propre au travail que vous voulez accomplir La dfense rvolutionnaire doit tre en harmonie avec l'esprit. La dfense personnelle exclut tous actes de coercition, de perscution ou de revanche Nous devons toujours avoir l'esprit que la force de la rvolution sociale est organique, et non mcanique. Sa puissance ne rside pas dans les mesures mcaniques, mais dans son activit, sa rapidit rparer et reconstruire et tablir la libert et la justice La rvolution sociale doit ds sort premier lan tre base sur une conception et une attitude nouvelles. Libert entire est le souffle de son existence. Qu'on oublie jamais que le remde au mal et au dsordre consiste en plus de libert, non en sa suppression . L'exprience Russe En effet, tout le processus de la guerre civile russe a prouv la justesse de cette opinion. La rvolution sociale en Russie a fait faillite parce que, pour arriver la ralisation de son but social, elle a employ de plus en plus des mthodes bourgeoises et pr-bourgeoises, fodales et pr-fodales. Plus elle inclina vers le contrle absolu de l'tat et fit usage de la police secrte - l'origine instrument de l'absolutisme politique - plus elle eut recours aux mthodes inquisitoriales et jsuites - l'origine instruments du catholicisme mdival - plus elle fit appel au militarisme et au nationalisme - l'origine instruments du capitalisme moderne - plus elle prit la forme bureaucratique et machiavlique - l'origine au service de la bourgeoisie rgnante - plus elle dvia de son but rvolutionnaire premier : l'organisation du travail par lui-mme. Le systme sovitique devint d'ailleurs la premire victime de toutes ces mthodes essentiellement contre-rvolutionnaires. Alexandra Kollonta a t l'une des premires en Russie qui eut le courage de faire ressortir publiquement la contradiction existant entre le but poursuivi et les moyens employs. Suivant les principes de Marx, Engels et Lnine, la place de la vieille socit bourgeoise avec ses classes et son antagonisme de classes une association devait tre cre dans laquelle le libre dveloppement de chacun formerait la condition du libre dveloppement de tous. Dj lors de la rvolution de 1905 les bolcheviks dcouvrirent qu'une telle socit devait tre organise d'aprs la mthode des conseils d'ouvriers et de paysans, les soviets. Le but original de la rvolution de 1917 tendait consquemment une Fdration Mondiale des Rpubliques de Soviets. Au dbut les bolcheviks essayrent de d'organiser mme l'arme suivant le principe rvolutionnaire d'auto-organisation, et ils crrent non seulement des conseils de travailleurs mais galement des conseils de soldats. Mais Alexandra Kollonta reconnut dj en 1920 que dans l'arme la libre organisation des masses avait abouti un chec complet : pour des raisons de technique militaire les bolcheviks avaient t obligs de transformer le systme du volontariat en un service militaire obligatoire. Des spcialistes et des techniciens militaires - dont la plus grande part tait encore pntre de la mentalit de la vieille bourgeoisie et mme du tsarisme - furent sollicits pour organiser la dfense rvolutionnaire, et reprirent leur place dans l'arme. Ils y rintroduirent la subordination aveugle et l'obissance servile, aussi bien que les distinctions et les grades et les dcisions autocratiques des suprieurs. L'esprit militariste, surgi dans l'arme, s'tendait progressivement sur toute la vie civile et ne tarda pas se confondre avec l'esprit tyrannique de la politique de parti bureaucratise. Bientt le Parti bolchevik lui-mme fut militaris et jsuitis, et ses dirigeants se mirent perscuter, emprisonner et tuer tous les rvolutionnaires qui continuaient lutter pour la libert et l'auto-organisation sociales. Ainsi le lninisme se convertit en stalinisme. La contradiction entre le but rvolutionnaire et les moyens contre-rvolutionnaires laissait finalement peine quelque chose du systme original des soviets.

La violence rvolutionnaire spontane Ce fut encore Alexandre Berkman qui fit ressortir que c'tait la Garde rouge volontaire qui dfendit victorieusement la rvolution russe dans ses priodes de dbut les plus critiques, et que plus l'arme russe perdait son caractre libre, moins on pouvait compter sur elle comme arme de la classe rvolutionnaire. Nous, rsistants la guerre, voyons trs bien la grande diffrence qui existe entre l'auto-dfense rvolutionnaire violente et spontane et le service militaire obligatoire employ par un tat dictateur comme simple instrument de massacre. La diffrence entre ces deux systmes de lutte saute immdiatement aux yeux. Dans le premier cas les individus y participent en tant que volontaires et combattent pour un but qui est aussi le leur. Dans le second cas ils sont simplement employs comme instruments se trouvant entre les mains de leurs suprieurs pour des buts qu'ils ne peuvent contrler. En effet, le commandement dune milice rvolutionnaire est contrl de bas en haut, et la libert personnelle de chaque soldat est prise autant que possible en considration. Mais il reste le fait que la guerre de classes, mme base sur le systme rvolutionnaire des volontaires, mne invitablement la misre et la mort de nombreux humains, dont une grande partie est en outre compltement innocente. En fin de compte, la guerre de classes, tout comme n'importe quelle autre guerre, produit une impitoyable destruction de vies humaines et toutes sortes d'autres ruines. Alexandre Berkman et ceux qui pensent comme lui, ne considrent pas cet aspect de la guerre de classes. Nous, cependant, prcisment cause de son caractre destructeur, n'acceptons et ne pouvons pas accepter la guerre de classes comme une vritable mthode de lutte rvolutionnaire, mme si elle est base sur le systme volontaire. Du point de vue personnel, du point de vue psychologie collective aussi bien que du point de vue d'histoire et de la civilisation, nous pouvons trs bien comprendre qu'il y a des moments o des personnes, des groupes, des classes, des nations et des races opprimes aient recours la dfense violente. Vis--vis de leurs oppresseurs violents elles ont mme un certain droit d'agir de la sorte. Rendant justice leur hrosme et leur esprit de sacrifice, nous accordons une grande valeur morale ceux qui, librement et volontairement, participent une telle lutte violente. Nous inclinons mme nous demander s'il ne s'agit pas de leur droit, mais encore de leur devoir, de lutter par des moyens violents, aussi longtemps qu'ils ils connaissent pas, ou ne sont pas mme de faire usage de meilleures mthodes. Gandhi avait bien raison lorsqu'il dit que du point de vue moral, la lutte arme pour la libert et 1a justice est prfrable une abjecte soumission. Quoiquil en soit, il est certain que des groupes sociaux de tendance rvolutionnaire qui luttent pour leur mancipation tendront vers la lutte violente, aussi longtemps quils ne connatront pas d'autres mthodes et moyens de combat.

Interaction entre l'homme et ses moyens Seulement ceci ne rsout pas le problme ! La lutte rvolutionnaire violente, mme volontaire, sera toujours en discordance avec son but profondment humain. En outre, chaque moyen on mthode concerne non seulement le but propos, mais elle ragit aussi sur l'individu ou le groupe qui en font usage. Celui qui, en tant que pdagogue fait toujours usage du bton, endurcit non seulement son lve mais s'endurcit encore plus lui-mme. Combien d'anciens combattants n'admettent-ils pas que ayant tir dans la guerre leur premier coup de fusil et tu leur premier adversaire, ils se sentaient intrieurement blesss et dsormais moralement corrompus. En accomplissant certains actes et les rptant frquemment, on devient finalement ce qu'on fait. Ce phnomne est dcrit par les psychologues franais sous l'appellation dformation professionnelle , et on la constatation surtout chez les bureaucrates, sous-officiers, diplomates, politiciens, prostitues et dictateurs. Autrefois les matres d'cole excellaient aussi cet gard. Mais revenons une fois de plus la guerre rvolutionnaire volontaire. On peut glorifier la Garde rouge volontaire de Russie autant que l'on veut, quiconque connaissant le mouvement makhnoviste doit admettre que Makhno et son arme de volontaires se sont conduits eux aussi maintes fois de faon inhumaine. Nous dirons mme que du point de vue de la technique militaire la militarisation de la rvolution russe ne pouvait tre vite. notre avis les rvolutionnaires russes avant une fois accept la violence collective comme mthode de lutte, taient obligs par la nature mme de ce systme de l'appliquer de plus en plus. Car il est impossible de contrler le systme de guerre moderne par des conseils de soldats ou par nimporte quelle espce de commandement fdratif de masses. Lappareil pour la conduite de la guerre moderne rclame en tout premier lien la subordination complte des hommes la technique militaire. Celle-ci la suite de l'industrialisation moderne, a t compltement mcanise, et ne peut tre applique sans un commandement central fort auquel chacun et chaque chose doit lobissance la plus aveugle et la plus automatique. Mme la milice rvolutionnaire anime de l'amour de la libert le plus grand, doit finalement faire place une arme organise de faon moderne - c'est--dire une arme motorise et mcanise. La guerre civile tant une certaine espce de guerre elle doit tre mene d'aprs les rgles de la guerre. Le seul moyen d'obtenir la victoire est de dpasser l'adversaire, non seulement au point de vue moral mais en particulier au point de vue technique militaire. Ceci signifie, du reste que finalement il faut avoir recours aux mmes mthodes de lutte que celles dont l'ennemi se sert. En 1920 les communistes anglais, Eden et Cedar Paul, s'exprimaient dans leur livre Creative Revolution: Le gouvernement du proltariat ne peut tre tabli par des mthodes de dmocratie bourgeoise ... le proltariat doit crer son propre appareil, les soviets qui sera l'arme la plus puissante dans les mains du proltariat aujourd'hui. Les mmes auteurs continuaient cependant : La guerre civile est impose aux classes travailleuses par ses plus mortels ennemis ... les travailleurs doivent rendre coup pour coup ... d'o il est ncessaire de dsarmer la bourgeoisie et d'armer le proltariat. Nous avons dj discut les consquences de ces principes et mthodes contradictoires, et constat que sous le rgime stalinien il n'existe plus rien de la Fdration des Rpubliques de Soviets qui tait le but primitif de la rvolution russe. On y est devenu victime de la dictature des moyens.

L'exprience espagnole L'Angleterre la France et d'autres pays dmocrates intervinrent autrefois en Russie contre la rvolution proltarienne. Nous voyons prsent comment les tats fascistes, - l'Italie, l'Allemagne et le Portugal - interviennent en Espagne. Franco, militaire de profession, avec ses lgionnaires, ses troupes coloniales et une arme mcanise, consistant pour une grande part en soldats Italiens et Allemands spcialement entrans, marcha contre le peuple espagnol. Les masses rvolutionnaires ayant dcid de se dfendre elles-mmes contre les usurpateurs par la violence volontaire furent vite obliges cependant de recourir aux mmes mthodes de combat que leurs adversaires. Un esprit militariste surgit dans l'arme et s'tendit progressivement la vie civile. Ds le dbut, Durruti, ce gnral anarchiste qui ne vit que la premire priode de cette atroce guerre civile, se rendit compte du danger. Lorsqu'un jour on lui demanda si l'acceptation de la guerre comme moyen dans la lutte de classes ne signifiait pas la militarisation et de l'arme et de la socit Civile, il reconnut en toute franchise que ce danger existait rellement, et que c'tait mme la raison pour essayer de gagner la guerre civile aussi rapidement que possible. Dans le mme esprit, l'un des anarchistes les plus srs, D. A. de Santilln, qui une position des plus en vue dans l'organisation des milices et qui par la suite travailla en Catalogue au Ministre des Affaires conomiques mettait plusieurs fois les rvolutionnaires en garde contre les dangereux symptmes de militarisme, de totalitarisme et de bureaucratie provenant des mthodes de guerre. Nous savons qu'au dbut de la guerre civile espagnole, les anarchistes et les syndicalistes formrent l'avant-garde. A l'arme ils se surpassaient par leur hrosme, dans la vie civile par leur application et leur puissance cratrice. Mais parmi ceux qui combattaient Franco ils ne formaient nanmoins qu'une minorit. Ils furent pour cela, obligs de former une coalition avec les nationalistes basques catholiques, avec les dmocrates espagnol, dont l'unique dsir rsidait dans le maintien du statu quo, et avec les socialistes et les stalinistes qui n'taient pas intresss par une rvolution sociale immdiate. Spcialement les adhrents de la IIIe Internationale dclarrent que le moment de dclencher la rvolution n'tait pas encore venu ; la guerre une fois commence, la premire chose faire tait de gagner la lutte, et aprs seulement on pourrait examiner le problme de la rvolution sociale. La Confdration Nationale du Travail, la Fdration Anarchiste Ibrique et le Parti Ouvrier d'Unification Marxiste ne partageaient pas cette opinion. Elles taient convaincues que la guerre des classes n'avait de sens que comme partie de la rvolution sociale, et qu'il tait inutile de combattre Franco pour n'obtenir qu'une victoire militaire, alors que le systme politico-conomique prsent continuerait. Elles pensrent qu'aprs une ventuelle victoire militaire contre Franco et ses fascistes les rsultats ne pourraient tre qu'une consolidation du gouvernement bourgeois et du militarisme nouvellement cr, et qu'une victoire de cette espce, sans rvolution sociale comme complment, ne ferait que renforcer les tendances fascistes dans la rpublique dmocratique elle-mme. En vrit, l'histoire a dj montr que le mouvement espagnol libertaire est graduellement devenu victime de la guerre de classes, mise au service de la rvolution. Pour rsister Franco et aux Puissances qui l'appuyaient par des mthodes militaires, les forces loyales furent, au moment critique, obliges de remplacer les milices libres par la conscription militaire et de soumettre de plus en plus l'organisation sociale aux ncessits de l'arme modernise. Celle-ci dut se soumettre un commandement autocritique, et devint entirement dpendant du ouvernement bourgeois-socialo-staliniste de Valence. En outre, plus les fascistes espagnols aids par l'Allemagne, l'Italie et, le Portugal, se trouvrent en possession d'un matriel de guerre moderne, plus les rpublicains espagnols, tout en dfendant leur libert relative, furent obligs de demander lU.R.S.S. du matriel de guerre et des conseils techniques militaires. Pour ce motif les anarchistes et les syndicalistes devaient eux aussi, prendre I'U.R.S.S. en considration tandis que Moscou forait le gouvernement de Valence prendre une attitude hostile sans cesse croissante envers ces vritables rvolutionnaires. Tout cela provoqua pendant quelques jours en mai 1937, une sorte de guerre de classes l'intrieur de la guerre de classes ; sous la conduite de la jeunesse anarchiste et du P.0.U.M., une grande partie de la population catalane se rvolta contre la militarisation, la bureaucratie et l'tatisation du nouvel ordre social et contre l'influence croissante de Moscou. Comme vous le savez Moscou poursuit partout prsent la formation de fronts nationaux de masses, les stalinistes cooprant avec des bourgeois-socialistes et des nationalistes des classes moyennes en vue de la dfense nationale . Cette Politique s'accorde tout fait avec les buts et les dsirs des imprialistes anglais et franais dont le gouvernement de Valence dpend aussi plusieurs gards. Il n'est donc pas, tonnant que l'opposition rvolutionnaire espagnole ait dclar que la guerre, telle qu'elle est mene prsent, tait devenue une menace pour la rvolution. Quoiquil en soit, cette opposition des travailleurs essaya, elle aussi, de combattre la guerre par des moyens de guerre. tant cependant une minorit au point de vue du nombre et de la capacit technique militaire, ils furent crass. Entre-temps, la C.NT. et la F.A.I., afin de ne pas perdre la guerre contre Franco, et craignant cet effet de briser avec le gouvernement de Valence, renoncrent de plus en plus leur but social rvolutionnaire. En ralit, une partie de l'ancien mouvement espagnol anarchistes et antimilitariste est dj tellement contamine par le militarisme, qu'elle fait une propagande ouverte pour une guerre rvolutionnaire europenne contre le fascisme international. Heureusement, elle ne forme qu'une petite minorit. Mais son influence augmente dans d'autres pays, et partout on essaye de convaincre les masses de la possibilit, mme de la ncessit d'une guerre internationale antifasciste. Il n'y a pas longtemps, un de nos camarades rvolutionnaires allemands m'crivit une lettre dsespre des tranches espagnoles disant : Notre plus grande faiblesse provient de ce que nous sommes encore trop humains dans nos mthodes de combat ! Franco incendie et assassine derrire le front autant qu'il veut, et cela les socialistes rvolutionnaires sont dans l'impossibilit de le faire. Un Camarade espagnol me dclara : Jusqu prsent France n'a pas encore employ les gaz. Si nanmoins il en faisait usage sur une grande chelle, alors nous en ferions autant, mme si nous devions ruiner l'Espagne toute entire et une partie de la France. En tout cas, nous tenons nos gaz prts. Ceci petit tre vrai ou exagr, mais travers de telles opinions, on reconnat trs nettement la tendance essentielle de la guerre de classes moderne conduisant une aveugle concurrence avec l'adversaire dans la destruction. videmment la rvolution sociale en Espagne est en grand danger parce qu'elle essaie de raliser son but humain par des mthodes et des moyens inhumains. Il va de soi que nous n'accusons personne. Mais nous pensons qu'il est de notre devoir d'exposer la vrit, qui peut tre une leon pour l'avenir et peut amener dautres peuples viter la rptition de ces procds atroces et inefficaces.

Attitude pitoyable du mouvement ouvrier et de la S.D.N. Nous avons dj dit que les rvolutionnaires espagnols ne savaient peut-tre pas agir autrement qu'ils ne l'ont fait. En outre, leur guerre civile se serait termine et aurait t gagne avec un minimum de violence il y a bien longtemps, si le proltariat international n'avait pas laiss tomber ses camarades espagnols d'une manire si honteuse. Il faut aussi blmer l'attitude de la Socit des Nations, dont les membres quelques exceptions prs, ngligeant leur propre Pacte, abandonnrent le gouvernement espagnol et traitrent Franco, aventurier politique, sur le mme pied que la population espagnole offense. Seul un nergique mouvement de boycottage et de non-coopration bien organis provenant des masses travailleuses internationales contre Franco, auraient pu sauver la rvolution espagnole et mis fin en un trs court laps de temps la violente lutte des classes.

Renonciation provisoire la lutte non violente ? notre Confrence de Welwyn (1934), Fenner Brockway avait incontestablement raison lorsqu'il disait qu'une lutte non violente des masses pour la justice et la libert n'est possible que si les travailleurs y sont suffisamment prpars du point de vue politique, moral et organisationnel - et ce dans chaque usine, fabrique et atelier, dans chaque mine, chaque rseau de chemin de fer et dans chaque localit, - s'ils taient a mme de faire, effectivement usage des moyens de la grve gnrale, et si on pouvait tre sr que la force arme de l'Etat, nagirait pas contre les travailleurs. Il ne supposait cependant pas que dans n'importe quel pays les masses avaient dj atteint ce niveau. Fenner Brockway considrait d'un point de vue historique le combat violent et le carnage comme invitables dans la lutte contre le capitalisme qu'ils soient le rsultat d'une volont dlibre ou l'effet d'un hasard quelconque. Tout cela est vrai. Toutefois, nous n'avons pas de raison de suivre l'exemple de notre camarade Fenner qui, depuis le dclenchement de la guerre civile en Espagne, a lui aussi accept les mthodes de guerre moderne comme invitables pour atteindre notre but social. Nous sommes d'accord avec lui lorsqu'il insiste sur la ncessit dune solidarit pratique avec le mouvement rvolutionnaire ibrique. Mais nous pensons qu'il fait erreur lorsqu'il dclare que la seule faon de prouver cette solidarit consiste renoncer a notre attitude non violente et accepter la guerre de classes avec toutes ses invitables consquences. Dans une interview accorde au correspondant du journal socialiste Le Travail de Genve, du 10 juin 1937, Fenner parle avec fiert de son Parti Travailliste Indpendant qui, avec l'aide du Parti Communiste de Grande Bretagne a organis des contingents de volontaires pour la guerre civile espagnole et a pratiqu encore d'autres formes de solidarit, dont il ne pouvait pas parler en public, mais dont le caractre tait vident. En mme temps, Fenner fut assez consquent pour reconnatre que sa nouvelle conception de la lutte de classe exigeait aussi une politique nouvelle pour le mouvement ouvrier de son propre pays. Il dclara mme que le P.T.I. tout en continuant sa lutte contre les armements de n'importe quel gouvernement bourgeois, n'en voterait pas moins sous un gouvernement ouvrier le crdit ncessaire la dfense des droits ouvriers et la rsistance arme toute agression de Puissances capitalistes et fascistes trangres. mon grand regret je suis oblig de constater que le Parti Travailliste de Keir Hardie et de Bruce Glasier a sous ce rapport adopt le mme point de vue que celui du Parti Communiste de Lnine et de Trotsky, condamn dgnrer en celui du P. C. de Staline et Litvinoff. Si dans chaque cas de guerre civile nous renonons notre lutte non violente et acceptons provisoirement l'action violente, le rsultat sera une approbation permanente de la guerre au nom de la rvolution et nous ne ferons que miner systmatiquement la rvolution par les moyens les plus inappropris. Nous, rsistants la guerre, nous croyons que nous avons une autre tche accomplir. Ce n'est pas notre faute si les seules mthodes efficaces de lutte pour la rvolution sociale ont t jusqu' prsent peine acceptes. Moins on les accepte, plus nous avons de raison de les propager par la parole et l'action. Ce n'est pas notre faute si partout les masses dans leur grande majorit restent encore hypnotises par le culte traditionnel bourgeois et prbourgeois de la violence. Mais nous ngligeons notre premier devoir, si nous ne faisons pas l'impossible pour combattre cette idologie suranne et montrer aux masses les mthodes et les moyens nouveaux qui permettent d'atteindre leur but socialiste. Il va de soi que nous ne pourrons pas convaincre d'un seul coup le monde entier de la justesse de nos principes. Ce serait dj beaucoup si par le maintien de ceux-ci nous russissions dans quelques pays rduire la violence dans la lutte de classe un minimum et faire quelle ne soit employe qu'accidentellement. Heureusement, la chose est dj possible a et l. Les grve sur-le-tas qui eurent lieu en 1936-37 en France et aux tats-Unis sont cet gard mme un heureux symptme.

Le combat non violent et la solidarit

Toutefois, partout o dans le monde des groupes, des classes, des races ou des nations sont opprimes et dans leur dfense ont recours la rsistance arme spontane nous serons toujours de leur ct contre leurs oppresseurs. Je suis heureux de le dire, en ce qui concerne l'Espagne notre Internationale a pris cette position ds le dbut. Il nous faut maintenir cette attitude aussi nergiquement que possible. Pour moi socialiste rvolutionnaire il est moralement impossible d'agir autrement. En outre, du point de vue pratique il est de la plus grande importance qu'en agissant ainsi nous ne perdions pas la confiance de ces camarades socialistes, qui, quoique combattant partiellement par d'autres moyens, luttent avec nous pour le mme but humain. La solidarit active est l'unique base sur laquelle une discussion sur la guerre civile peut avoir lieu entre ceux qui sont anti-militaristes et anti-navalistes et en mme temps anti-capitalistes, anti-imprialistes et anti colonialistes, parce qu'ils luttent pour la rvolution sociale.B. DE LIGT.

Les thses dveloppes dans l'expos prcdent viennent d'tre confirmes par les dclarations de notre ami Hem Day 1a Confrence triannuelle de 1a W. R. 1. Copenhague (23-27 juillet) et au Congrs contre ]a guerre et le militarisme Paris (l-5 aot 1937). Hem Day, cet objecteur de conscience audacieux, quoique refusant toute participation n'importe quelle guerre nationale admettait pourtant - comme plusieurs de nos camarades belges - la participation ventuelles une guerre civile rvolutionnaire. Ils justifirent cette opinion en considrant les mobiles et les objectifs de pareille guerre comme trs suprieurs celle de la guerre nationale . En outre ces camarades, se basant sur les donnes du pass, pensaient que les consquences dsastreuses d'une guerre civile seraient infimes en comparaison avec celles causes par une guerre internationale. Hem Day ayant, comme toujours, le courage de ses ides, partit en Espagne afin de se mettre au courant des choses et de participer la rvolution sociale. Il ne tarda pas constater que du fait de l'intervention trangre - fait selon nous invitable, comme lhistoire de la rvolution russe lavait dj dmontr - la guerre civile devait dgnrer en une vritable guerre internationale avec toutes ses consquences ruineuses au point de vue matriel et moral. Instruit par cette atroce leon des choses, notre ami Hem Day dclara dans les congrs susmentionns, au nom de ses camarades belges queux aussi s'taient vu obligs de corriger leur position l'gard du problme rvolutionnaire : Entreprendre une rvolution (transformation brusque d'un rgime) ou la dfense d'un tat social rvolutionnaire ou pr-rvolutionnaire, au moyen de la violence extrme, apparat aujourd'hui comme affreusement absurde. Tout autant que la guerre. La dpendance entre les tats, dans le mal comme dans le bien, ainsi que la monstrueuse efficacit des instruments de destruction, rendent catastrophique le recours la violence extrme collective. Non seulement, cette dernire supplicie le peuple qui s'y livre mais aussi menace la paix des autres peuples. Il ne s'agit pas de condamner, jamais, le recours la violence collective extrme. Il se peut encore que ce recours apporte une grande amlioration de conditions de vies sociales sans dchaner pralablement de grands maux. Il se peut aussi, quune guerre civile vite une guerre nationale un peuple. Mais nous sommes dans limpossibilit de prvoir le rtablissement de conditions politiques qui justifieraient, nos yeux le recours la violence collective extrme. Nous sommes galement dans l'impossibilit de dterminer, par avance, la nature et l'importance des effets de la guerre civile. Il nous semble donc ncessaire, non point tant de la condamner, mais den montrer les risques trop gros, la folie, et de conseiller une autre mthode de lutte pour supprimer le capitalisme ou abattre le fascisme. Mthode de lutte collective, pour ainsi dire base uniquement sur la non-coopration la plus intgrale possible. Nous tenons rappeler et affirmer qu'aucune puissance d'agression - intrieure ou extrieure - ne pourrait rsister une dfense collective bien mene qui comprendrait les trois points suivants : grve gnrale, refus de payer l'impt, refus du service militaire (Patrie Humaine). Sans doute, les collectivits ne se montrent-elles pas plus capables de rejeter actuellement la violence extrmes des confits sociaux que des conflits nationaux. Mais en dpit du peu de succs recueillir dans notre propagande en faveur de la mthode de lutte collective pacifique, nous persistons la prner partout et toujours. Les ides de lesprit humain savancent en dormant, elles sont parfois si engourdies qu'elles semblent immobiles ; on ne sent leur force et leur vie quau chemin quelles ont fait ; enfin le jour se lve et elles paraissent : on les reconnat, elles sont victorieuses (F. AI. Guyau). De telles dclarations bases sur l'exprience mme, exigent surtout l'attention de ceux qui, avec notre camarade Ren Grin acceptent encore la guerre civile dfensive comme guerre juste . Aprs les premiers mois de guerre de classes en Espagne, Grin pouvait peut-tre crire avec un certain droit: bien qu'internationalise, cette guerre reste une guerre civile . Depuis, le caractre international de cette guerre sest accentu de plus en plus au dtriment de la lutte sociale et rvolutionnaire. In abstracto, la guerre civile dfensive est une guerre juste . In concreto, pour les raisons dveloppes ci-dessus, elle est condamne se convertir en une guerre moderne tout court, allant de pair avec une tatisation touffante. Ltat totalitaire - on ne peut pas assez le rpter - tant le complment indispensable de la guerre totale, tout comme celle-ci est le complment invitable de l'tat totalitaire. Simone Weil avait bien raison dcrire dans La critique sociale de novembre 1933: La guerre rvolutionnaire est le tombeau de 1a rvolution . Que faire donc ? Nos camarades belges refusent juste titre d'exiger, en ce moment, des rvolutionnaires espagnols qu'ils laissent tout d'un coup tomber les armes. Au point de vue psychologique et pratique une telle demande serait mme un geste dnu de tout sens. D'autre part - comme je l'ai dmontr au Congrs de Paris - une mdiation entre les partis en guerre ne peut jamais aboutir une vritable solution au point de vue rvolutionnaire. La guerre vile une fois clate, ni solution, ni mdiation efficace nest possible. Continuant leur propagande pour le boycottage et la non-coopration internationales contre Franco et ses allis, afin que soit sauv en Espagne ce qui peur encore tre sauv, les antifascistes du monde entier ont en premier lieu combattre 1a mentalit et lactivit fasciste chacun dans son propre pays, non seulement auprs de leurs Gouvernements, mais encore dans les milieux ouvriers et les partis politique - en particulier dans la IIIe Internationale, en train de tuer dans l'oeuf les possibilits d'une vritable rvolution en Ibrie et ailleurs. Il faut surtout que nous dmontrions par la parole et laction que, pour dfendre la personnalit humaine et lutter pour la justice sociale, nous disposons d'autres mthode de combat, plus efficaces et plus humaines que la guerre. Cest d'ailleurs le sens des rsolutions du Congrs contre la guerre et le militarisme de Paris. Octobre 1937