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Actes du Colloque international francophone « Expérience 2012 » Expérience et Professionnalisation dans les champs de la formation, de l’éducation et
du travail ; état des lieux et nouveaux enjeux – Lille (France) 26, 27, 28 septembre 2012
Le portfolio en formation infirmière : Un outil de lisibilité de l’expérience ?
Marielle BOISSART Laboratoire CIVIIC (Centre Interdisciplinaire de recherches sur les valeurs, les idées, les identités et les compétences en éducation et en formation)
Résumé
Avec la mise en œuvre du référentiel de formation infirmière de 2009, un outil majeur fait son apparition : le portfolio. Le portfolio est conçu dans l’esprit du référentiel de formation infirmière, à la fois en tant qu’outil d’apprentissage et outil d’évaluation des acquis. Cet outil ne revêt aucune antériorité fonctionnelle dans la formation infirmière en France. Ce dernier invite l’étudiant à formaliser par écrit ses apprentissages et sa pratique. Néanmoins, notre expérience en tant que cadre de santé formatrice nous questionne sur l’opérationnalité de l’outil choisi car il est perçu essentiellement comme outil d’évaluation. L’objectif central de cette communication consiste à questionner la place de l’expérience dans les processus de construction des compétences avec pour support l’utilisation du portfolio en tant qu’outil didactique et médiateur de la professionnalisation. Nous abordons, tout d’abord, les différentes typologies du portfolio afin de faire ressortir celles qui répondent à la prescription du référentiel de formation. Puis, l’identification de la nature et du rôle de l’expérience en formation des adultes est explorée. Ce qui nous amène à reconnaître la place et le rôle de l’étudiant dans la construction des compétences au sein d’une triade expériences – connaissances – compétences. Nous abordons, de fait, la nécessité de tenir compte de la singularité de l’action et du retour sur l’expérience. La mise en exergue de l’indispensable altération vécue au sein de toute expérience prend ainsi tout son sens. Pour finir, la professionnalisation est envisagée comme un processus qui concourt à « fabriquer un professionnel». L’évaluation par compétences y est soulignée pour faire émerger les principes de l’apprentissage axés sur l’autoévaluation et la réflexivité. Une méthode d’enquête menée auprès de différents acteurs de la formation infirmière et instrumentée par quinze entretiens semi-directifs est mobilisée. Un mode de traitement qualitatif vise à étudier si le portfolio répond au dessein d’outil de lisibilité de l’expérience. En effet, une fois les messages apparents saisis, nous les avons regroupés par thèmes (acteurs qui remplissent le portfolio, moments où il est renseigné, modalités de renseignement, fonctions du portfolio) et avons procédé à une lecture à haute inférence. Les résultats mettent en évidence un écart entre l’intention prescrite et la réalité de l’usage de ce portfolio. En effet, pensé au niveau des principes d’apprentissage comme un outil d’apprentissage - développement - évaluation, il ressort que quatre acteurs sur cinq lui octroient exclusivement une fonction d’évaluation.
Mots clés
Expérience - portfolio - compétences - professionnalisation - formation infirmière
L’arrivée du référentiel de formation infirmière de Septembre 2009 s’inscrit
au cœur d’un contexte en mutation du système de santé pour viser une meilleure
efficacité et une plus grande efficience des soins. Il s’agit tout d’abord de faire face à
un vieillissement sans précédent de la population et à la multiplication des
maladies chroniques.
Au sein des établissements de santé, l’adaptation des professionnels de santé
à de nouvelles techniques de soins, le management par la nouvelle Gouvernance et
les contraintes économiques imputables à la tarification à l’activité, demandent de
plus en plus aux professionnels de fonctionner à flux tendu.
Ainsi, la conjoncture professionnelle a pris acte de la complexité avec au niveau des
professions médicales une baisse de la démographie, qui veut se juguler par un
transfert des compétences vers les infirmiers.
Dès lors, les contours de la profession infirmière se redessinent. Il y a
nécessité de nouvelles compétences avec des perspectives d’évolutions possibles
pour un infirmier, allant des pratiques avancées à la création de métiers
intermédiaires.
Nous assistons, de fait, à un décloisonnement des professions paramédicales
avec nécessité au niveau des formations de créer des passerelles et de repenser
l’ingénierie des diplômes.
Cette mouvance du système de santé s’insère dans un contexte européen
avec l’urgence qui existait en 2009 pour la France, d’intégrer l’architecture
européenne liée aux Accords de Bologne de 1999 pour l’Harmonisation du système
LMD (Licence, Master, Doctorat).
Ces facteurs d’évolution majeurs concernent très directement les missions
des IFSI (Instituts de Formation en Soins Infirmiers) mais aussi les pratiques
pédagogiques. Ces dernières s’appuient sur une révolution copernicienne en
matière de paradigme puisque nous sommes passée d’une approche transmissive
centrée sur les contenus à une approche par les compétences centrée sur le sujet
en action.
Dans cette logique, de nouveaux outils à destination tant des étudiants que
des tuteurs et des cadres de santé formateurs ont fait leur apparition. Parmi eux, le
portfolio, outil innovant prescrit par le référentiel de formation infirmière, est sensé
tenir une place prépondérante en tant qu’outil de mesure de progression des
compétences de l’étudiant.
Nous exposerons ici les résultats d’une recherche appliquée réalisée de
Décembre 2010 à Avril 2011 concernant la mise en place du référentiel de
formation infirmière. Une partie mineure de cette recherche a étudié les usages du
portfolio. Afin de développer notre objet de recherche et de nous inscrire dans une
méthode scientifique, nous nous sommes engagée dans une démarche a prioriste.
Nous avons naturellement opté pour un plan quaternaire :
L’élaboration de notre problématique de recherche concernant le portfolio qui
nous a amenée à une question de recherche et à une hypothèse
L’exposé du cadre méthodologique sur lequel est fondée cette recherche
Les champs de la recherche, qui, dans une visée descriptive, s’articulent
autour de trois concepts généraux : le portfolio en formation infirmière, l’expérience
au cœur de la formation infirmière et la professionnalisation
L’approche exploratoire, qui dans une visée explicative, instrumentalise notre
objet de recherche et traite des données recueillies ; dans une visée compréhensive,
elle met en évidence l’intérêt et les limites de notre étude par l’analyse ainsi que
l’interprétation de nos données, afin de dégager du sens aux résultats obtenus.
Problématique
Avec la mise en œuvre du référentiel de formation infirmière de 2009, un
outil majeur fait son apparition : le portfolio. Le portfolio est conçu dans l’esprit du
référentiel de formation infirmière, à la fois en tant qu’outil d’apprentissage et outil
d’évaluation des acquis. Cet outil ne revêt aucune antériorité fonctionnelle dans la
formation infirmière en France. Ce dernier invite l’étudiant à formaliser par écrit ses
apprentissages et sa pratique. Néanmoins, notre expérience en tant que cadre de
santé formatrice nous questionne sur l’opérationnalité de l’outil choisi car il est
perçu essentiellement comme outil d’évaluation.
L’objectif central de cette communication consiste à questionner la place de
l’expérience dans les processus de construction des compétences avec pour support
l’utilisation du portfolio en tant qu’outil didactique et médiateur de la
professionnalisation.
Notre question principale de recherche trouve là son origine :
En quoi le portfolio utilisé en formation infirmière constitue-t-il un outil de lisibilité
de l’expérience ?
La mise en perspective de cette problématique avec des éléments propres aux
différentes typologies du portfolio existantes et celles en lien avec le référentiel de
formation infirmière, des éléments propres à la professionnalisation des étudiants
en soins infirmiers corrélés à la nature et au rôle de l’expérience puis des éléments
propres à l’évaluation par compétences basée sur l’autoévaluation et la réflexivité
pourraient nous éclairer sur des pistes possibles d’explications. Il s’agit clairement
de repérer en quoi le portfolio questionne le processus de professionnalisation de
l’étudiant en soins infirmiers.
Ainsi, nous formulons l’hypothèse générale suivante :
Le portfolio utilisé en formation infirmière, par la démarche réflexive et
d’autoévaluation qu’il implique chez l’étudiant, représente un outil de lisibilité de
l’expérience.
Cadre méthodologique
Nous nous sommes appuyée sur une méthodologie aprioriste telle que la
conçoit V. Despret (1996). Le choix de cette méthodologie repose sur notre intention
de rechercher la régularité du réel. En testant la réalité de la mise en œuvre du
portfolio, nous estimons pouvoir interroger les pratiques que ce dernier engendre et
les fonctions qu’il revêt.
Une méthode d’enquête menée auprès de différents acteurs de la formation
infirmière et instrumentée par quinze entretiens semi-directifs est mobilisée. Un
mode de traitement qualitatif vise à étudier si le portfolio répond au dessein d’outil
de lisibilité de l’expérience. En effet, une fois les messages apparents saisis, nous
les avons regroupés par thèmes et avons procédé à une lecture à haute inférence.
Champs de la recherche
Nous abordons, tout d’abord, le concept de portfolio au regard du contexte de
formation infirmière.
Puis, nous explorons le concept d’expérience au cœur de la formation
infirmière.
Pour finir, la professionnalisation est envisagée comme un processus qui
concourt à « fabriquer un professionnel».
Le portfolio en formation infirmière
Un détour conceptuel sur le portfolio est tout d’abord réalisé afin d’en cerner
les sens possibles. Ensuite les différentes typologies du portfolio sont exposées afin
de faire ressortir celles qui répondent aux rôles et fonctions du portfolio prescrits
par le référentiel de formation infirmière. Puis le concept de portfolio est mis en
adéquation avec les théories de l’apprentissage dans une intention de dégager les
bénéfices possibles du portfolio. Et enfin, une approche descriptive du portfolio en
formation infirmière est proposée dans l’optique de reprendre les modalités
d’utilisation de cet outil prescrites par le référentiel ainsi que les acteurs concernés.
Etymologiquement folio vient du latin folium qui désigne à la Renaissance
une feuille. Il deviendra le feuillet d’un manuscrit. Emprunté à l’italien portafogli,
portfolio provient de l’anglais (to interfoliate) signifiant ranger des feuilles de papier
blanc dans un carton double. Ce concept de portfolio longtemps associé aux arts
peinture, photographie, etc. est retrouvé dans les domaines de l’éducation et de la
formation et ce, au départ en Amérique du Nord.
Son acception est celle d’un porte-document. Il revêt à la fois la fonction d’outil
mais également de démarche.
Un groupe de travail de la commission scolaire des Premières-Seigneuries au
Québec définit le portfolio comme étant :
« un outil d'évaluation des apprentissages qui permet de recueillir et de
conserver des échantillons des réalisations de l’élève. Il s'inscrit dans une
démarche d'évaluation formative continue et est réalisé en collaboration avec
l’élève1».
Il apparaît déjà la notion de travaux effectués par l’apprenant qui joue un
rôle actif dans ses apprentissages puisqu’il collabore à la réalisation du portfolio.
L’aspect formatif lui est aussi conféré.
Une autre définition donnée dans un rapport de la Direction des ressources
didactiques du Ministère de l’Éducation du Québec, vient ajouter une notion de
sélection de documents :
« une collection de travaux d’un élève qui fait foi de sa compétence en gardant
des traces pertinentes de ses réalisations2 ».
1 Commission scolaire des Premières-Seigneuries (Québec). Le portfolio. Récupéré le 14 Octobre 2010 de ‹ http://recit.csdps.qc.ca/portfolio/avant.htm›. 2 Ministère de l’éducation du Québec (M.E.Q.). (Mai 2002). Portfolio sur support numérique. Direction des ressources didactiques. Récupéré le 07 Décembre 2011 de ‹
Ces définitions font état d’une collection structurée de travaux variés et de
réflexions d’un étudiant qui lui permet de rendre compte des apprentissages
réalisés pendant son parcours de formation (Barrett, 2004 ; Challis, 2005).
Ces travaux et réflexions sont des documents qui ont un intérêt dans la
mesure où ils constituent des preuves d’apprentissage (Tardif, 2006). Parmi ces
documents, il peut être retrouvé : des travaux écrits, des projets de recherche, des
rapports de lecture, des textes des observations en milieu professionnel, des
commentaires de superviseurs, d’enseignants ou de pairs, des analyses de
situations cliniques, etc.
Concernant les différentes typologies du portfolio, L’outil peut posséder une
propriété d’apprentissage, de présentation, d’évaluation et de développement
professionnel.
L’outil d’apprentissage peut collationner des travaux en relation avec une
compétence. Ces derniers seront les témoins de la progression de l’étudiant. Ainsi,
un diagnostic des besoins d’apprentissage peut être posé avec les forces et les
faiblesses de l’étudiant. Dans un portfolio d’apprentissage :
« L’étudiant commente les moyens mis en œuvre pour réaliser ses
travaux3 ».
Nous sommes donc dans le concept d’autoévaluation basé sur un outil de
réflexion, un outil d’analyse de la pratique soignante. Dans ce sens, il permet de
mettre en perspective les acquisitions des actes, activités, techniques de soins et
compétences dans un souci de lisibilité pour les acteurs qui gravitent autour de la
formation de l’étudiant. Le caractère de lisibilité concerne aussi l’étudiant dans un
souci de prise de conscience des apprentissages réalisés, ceux restant à réaliser
ainsi que des stratégies mises en place et celles à mettre en place. Il rend compte
des apprentissages et du chemin parcouru au regard des compétences visées.
Il peut s’agir aussi d’un outil de présentation de travaux choisis par
l’apprenant qu’il doit argumenter afin d’exercer un regard critique et d’expliciter son
chemin parcouru. Il permet de constituer une vitrine de ses compétences. Le but
concerne davantage un soutien à la recherche d’emploi (Belanger, 2009).
http://www.mels.gouv.qc.ca/drd/tic/pdf/portfolio.pdf ›. 3 Ibid. Ministère de l’éducation du Québec (M.E.Q.). (Mai 2002).
L’outil d’évaluation permet, quant à lui, d’évaluer le niveau des compétences
atteint en fonction des compétences attendues dans le référentiel. Il vise à porter la
preuve de l’atteinte du niveau d’acquisition des compétences au regard des critères
et indicateurs énoncés dans le référentiel de formation. L’optique de l’évaluation est
bien sûr, ici, certificative avec une fonction de contrôle. Néanmoins, l’évaluation
formative avec une fonction de conseil peut y être attribuée.
Il peut aussi être appréhendé dans sa fonction de démarche ou de
développement professionnel. Ici, le portfolio invite l’étudiant à réfléchir sur son
processus d’apprentissage en dégageant le cheminement poursuivi. Le portfolio
invite l’étudiant à une démarche réflexive grâce à une introspection et une
confrontation aux autres pour construire ses savoirs. Ainsi, par la traçabilité de ses
apprentissages et l’accompagnement tutoral, il prend conscience de ses valeurs et
de ses modes de fonctionnement émotionnel et intellectuel. L’incitation socratique
est alors très prégnante. L’étudiant est amené à répondre à la question :
« Qui suis-je et que puis-je faire ?» (Peoc’h, 2010, p. 13).
Par cette démarche, il mesure avec réalisme ses points forts et ses points à
améliorer pour élaborer des stratégies d’amélioration. C’est une approche très
constructive notamment si l’étudiant prend l’habitude de fonctionner ainsi après sa
formation dans sa vie professionnelle.
Pour nous, le dessein du portfolio dans la formation infirmière s’inscrit
principalement dans les logiques d’outil d’apprentissage, d’évaluation et de
développement professionnel. En accord avec J. Arter et V. Spandel :
« Le portfolio prend deux orientations : l’une comme soutien à l’apprentissage
et l’autre comme outil d’appréciation au terme d’une période prédéfinie» (Arter,
Spandel, 1992, p. 36).
Ce portfolio a aussi le mérite, grâce à la partie concernant l’analyse des
pratiques, d’aboutir à la formalisation langagière et écrite de l’étudiant sur ses
apprentissages et sur sa pratique. La logique de portfolio de développement
professionnel permet alors à l’étudiant de clarifier par écrit ses connaissances, ses
représentations, ses valeurs, ses habiletés et ses compétences qui vont faciliter son
cheminement. L’autoévaluation est ainsi privilégiée avec une prise de conscience
des pratiques. Cette autoévaluation a pour avantage d’amener à une meilleure
estime de soi. Le tuteur endosse un rôle central dans l’accompagnement de
l’étudiant et dans le fait de faire vivre ce portfolio de manière concertée avec lui.
C’est grâce aux échanges nombreux et réguliers que le tuteur va permettre à
l’étudiant d’identifier les savoirs et les valeurs professionnelles l’aidant à sa
construction professionnelle.
Le portfolio en est le support écrit grâce à l’analyse des situations de soins
significatives de la pratique soignante mais aussi grâce à la formalisation de la
progression de l’étudiant sur la feuille d’évaluation des compétences. Le portfolio
n’est pas l’apanage du tuteur seul mais c’est lui qui collecte l’ensemble des
informations transmises par les professionnels de proximité, responsables de
l’encadrement au quotidien de l’étudiant.
Dès lors, nous nous accordons parfaitement avec l’idée du portfolio que C.
Belanger (2009) décrit à savoir un support à un apprentissage réflexif (Challis, 1999
; Driessen et al. 2005).
« Le portfolio est un outil de réflexion conçu et géré par l’étudiant qui lui permet :
- de cumuler des traces des apprentissages (ou de rendre visibles les
apprentissages) qu’il a réalisés dans divers contextes (cours, stages et toutes
autres expériences professionnelles et personnelles…),
- et de les organiser de manière à témoigner du développement de ses
compétences sur la durée de sa formation» (Belanger, 2009).
En lien avec les théories de l’apprentissage, le portfolio s’insère
indéniablement dans une approche cognitiviste et constructiviste. Cet outil met
effectivement l’accent sur la démarche d’apprentissage et sur la démarche réflexive
de l’étudiant.
Le tuteur a pour rôle de proposer à l’étudiant des situations professionnelles
apprenantes qui vont contribuer à construire des situations permettant l’apparition
de conflits cognitifs. La connaissance émerge ainsi de l’équilibration des structures
cognitives en écho aux sollicitations des objets dans l’environnement (J. Piaget). La
connaissance est aussi le fruit des interactions de l’environnement (Lev S.
Vygotsky). Le tuteur sollicite alors l’étudiant dans sa zone proximale de
développement, en interaction avec l’équipe soignante, pour assurer des prises en
soins de qualité qu’il pourra reconduire seul plus tard. Le portfolio comporte les
deux aspects du contrôle et de l’évaluation. La validation des actes par exemple,
découle de l’acquisition de la capacité à réaliser tel acte en référence à une pratique
normée. Mais le sens est interrogé en plus : cet acte est-il réalisé avec le
consentement du patient ? Pourquoi cet acte est-il réalisé ? C’est là que se situe le
rôle du cadre formateur et du tuteur.
En effet, la notion d’acte est réductrice, elle ne met pas en valeur toutes les
dimensions du soin (relationnelle, sociale, environnementale, etc.). Or, ce sont ces
aspects qui vont être décortiqués pour que l’étudiant puisse ensuite transposer cet
acte à une autre situation. Ce qui est certain, c’est que l’étudiant comprendra
l’évaluation s’il en a intégré les différents critères qui d’abord sont vécus en
extériorité et qui lui permettent de savoir effectivement s’il sait quelque chose. De
surcroît, ce portfolio sert de fondation à l’élaboration des compétences de l’étudiant
à la seule condition qu’il soit articulé et finalisé au sein d’un dispositif de formation
dont les visées sont partagées par l’ensemble des acteurs de la formation. C’est un
outil qui permet de faire lien entre le temps de l’expérience et le temps de l’analyse.
C’est à cette condition que l’expérience de l’étudiant, « réfléchie, relue, redite,
analysée, problématisée » (Geay, 2007, p. 27), peut être porteuse d’apprentissage.
Approche descriptive du portfolio en formation infirmière
Le portfolio : un outil stratégique au service de plusieurs acteurs
Dans la logique de la formation infirmière actuelle, il s’agit d’un outil qui appartient
à l’étudiant. L’étudiant est responsable de sa tenue. Il est centré sur le
développement des compétences, des activités et des actes infirmiers.
Il se présente sous forme de classeur. Chaque étudiant possède le sien et le suit
tout au long de sa formation. Son parcours de formation y est retracé ainsi que ses
acquisitions. C’est un outil qui engage l’étudiant dans son processus
d’apprentissage puisque tous les éléments constitutifs de son apprentissage y sont
tracés.
Le portfolio : outil de validation-certification
Ce classeur constitue en quelque sorte la « carte d’identité » de l’étudiant ; il est le
témoin de son cheminement. Et surtout, c’est le document principal de certification.
En effet, en lien avec l’arrêté du 31 Juillet 2009, relatif au Diplôme d’Etat Infirmier,
titre 3, article 55, il est stipulé :
« Le formateur de l’institut de formation, référent du suivi pédagogique de
l’étudiant, prend connaissance des indications apportées sur le portfolio et
propose à la commission d’attribution des crédits de formation définie à
l’article 59 la validation du stage.».
Ce document va également servir de document de référence au jury régional qui se
prononcera sur la délivrance du Diplôme d’Etat.
Les objectifs du portfolio prescrits par le référentiel de formation sont :
Pour l’étudiant :
L’impliquer dans son processus d’apprentissage pendant tout son cursus de
formation grâce à une autoévaluation de sa progression,
Favoriser une analyse réflexive sur ses stratégies d’apprentissage et ses pratiques
professionnelles.
Pour le tuteur :
Réaliser un bilan des acquisitions antérieures afin de mettre en place un
encadrement personnalisé et favoriser les conditions d’apprentissage,
Faire le point sur les objectifs de stage posés par l’étudiant,
Rendre lisible la progression et les acquisitions de l’étudiant.
Pour le cadre référent de suivi pédagogique :
Réaliser le bilan des acquisitions pour proposer la validation des ECTS (European
Credits Transfer System) en CAC (Commission d’Attribution des Crédits),
Faire réajuster les objectifs de stage si besoin,
Réorienter si besoin le parcours de stage.
Ainsi conçu, le Portfolio joue le rôle de pivot pour le processus
d’apprentissage de l’étudiant qui se construit grâce à une supervision interactive
des différents acteurs.
Les modalités d’utilisation du portfolio :
A l’IFSI, l’étudiant remplit les éléments sur le cursus de sa formation et peut
également commencer à élaborer ses objectifs de stage grâce aux livrets d’accueil
des stages présentant leur offre de stage. Le portfolio est présenté et commenté par
l’étudiant aux professionnels des terrains de stages.
Le portfolio constitue le support pour effectuer le bilan de mi-stage (fortement
recommandé). Réalisé par le tuteur en présence de l’étudiant et en présence ou non
des professionnels de proximité ou après avoir fait le bilan avec eux de la
progression de l’étudiant, ce bilan de mi- stage garde un intérêt certain pour vérifier
l’atteinte des objectifs de l’étudiant (personnels et institutionnels), évaluer sa
capacité à construire sa compétence. Il est également un support de l’évaluation
finale : il permet de renseigner les différents documents à l’issue du stage à partir
d’une traçabilité continue et fiable.
Le portfolio constitue le support pour effectuer le bilan de stage.
Malgré le vocable utilisé dans ce portfolio, à la lumière des auteurs ayant éclairé de
leurs regards la notion de compétence, il en ressort que celle-ci n’est pas acquise
définitivement, elle est en perpétuel développement ; elle doit donc être
réinterrogée à chaque situation professionnelle et tout au long de la formation. Ce
questionnement favorise d’ailleurs le transfert dans des situations professionnelles
de plus en plus complexes.
Au retour du stage, l’étudiant remet au cadre formateur référent de
suivi pédagogique son portfolio dans lequel se trouvent son parcours
d’acquisition des compétences et deux analyses de pratiques qu’il a rédigées. A
partir de ces documents, ce cadre formateur propose à la CAC l’attribution
des crédits correspondants au stage et/ou un réajustement du parcours de
l’étudiant. Chaque semestre ce formateur fait le bilan des acquisitions. Il conseille
l’étudiant et le guide pour la suite de son parcours. Il est ainsi amené à
personnaliser le parcours de stage au vu des éléments contenus dans le portfolio.
En conclusion de cette partie relative à l’aspect stratégique du portfolio, nous
pouvons dire qu’il est le lien entre :
- l’étudiant et le tuteur de stage
- l’étudiant et le Cadre de Santé formateur référent de stage
- l’étudiant et le formateur responsable du suivi pédagogique
- l’étudiant et le jury d’attribution des ECTS
- l’étudiant et sa professionnalisation.
L’expérience au cœur de la profession infirmière
Afin de comprendre le rôle de l’expérience au cœur de la formation, nous
commencerons par identifier sa nature et son rôle. Puis, nous explorerons en quoi
l’expérience formatrice est source de connaissances. Pour finir, nous nous
attarderons sur la place et le rôle de l’étudiant au sein d’une triade expériences –
connaissances – compétences.
Concernant la nature et le rôle de l’expérience en formation,
« …toute action pour l'enfant est une expérience. Les adultes font de moins en
moins d'expériences parce que, d'une part ils vivent dans un monde
d'habitudes et parce que, d'autre part, mais en même temps, ils ne croissent
plus et les excitations coutumières ne provoquent plus chez eux de réactions
nouvelles. Mais à l'enfant, le milieu est nouveau, à la fois parce qu'il le
découvre peu à peu et parce que, à chaque découverte successive, il est autre
que ce qu'il était à la découverte précédente » (Cousinet, 1968, p. 112).
Pour R. Cousinet, l’expérience est associée à l’action et s’établit dans un
environnement où sont excluent les habitudes. Cette définition nous rapproche du
contexte expérientiel que peut vivre un étudiant en stage puisque toute situation
lors de laquelle il sera acteur, mobilisera de sa part une action et elle ne relève pas
d’un environnement où les habitudes sont présentes.
L’expérience ressort comme une clé de voûte dans la construction de la personne.
Inspirées principalement des courants humanistes, l'expérience s’avère une idée
maîtresse que les pédagogues empruntent essentiellement aux philosophes
rationalistes modernes, marxistes et existentialistes.
Pour J. Dewey : « Une expérience est donc ce qu'elle est à cause de l'interaction qui s'établit
entre le sujet de l'expérience et son environnement, que cet environnement soit
fait de personnes avec lesquelles il s'entretient verbalement, étant lui-même
partie prenante dans la situation, ou que ce soient les objets avec lesquels il
joue, le livre qu'il lit, ou les éléments d'une expérience que lui-même est en train
de poursuivre » (Deledalle, 1966, p. 44).
Il en est ainsi pour l’étudiant en soins infirmiers puisque lors de toute
situation en stage, coexistent des interactions entre l’étudiant et les personnes qu’il
soigne ou leurs familles ou l’équipe médicale et paramédicale avec qui il collabore.
Toujours pour J. Dewey, l'expérience est faite de la succession des expériences et de
leur continuité, chacune ayant un impact sur la qualité de l'expérience future :
« L'éducation est donc cette reconstruction ou réorganisation de l'expérience qui
accroît la signification de l'expérience et la capacité de diriger l'expérience
future » (Deledalle, 1966, p. 44).
Dès lors, avec cette idée de succession d’expériences et de projection dans la
qualité des expériences futures, nous soulevons l’intérêt d’un processus
d’accompagnement basé sur le modèle de l’action comme pouvoir d’agir (Jorro,
2006). Ceci afin que l’étudiant puisse saisir les process d’action mis en œuvre en
situation. Pour ce même philosophe et pédagogue américain, l’expérience est
présente dès lors qu’une situation dans laquelle un organisme entre en relation
d'une manière active avec son environnement existe. Cette entrée en relation
s’établit soit pour maintenir son équilibre, soit pour créer un nouvel équilibre
nécessaire du fait des modifications survenues dans l'environnement. C’est
pourquoi, il estime que nous pouvons parler d’expériences et non d’une expérience.
Pour E. Clarapede, psychologue, l’expérience d’un individu correspond à :
«… Une série de démarches qui lui apprendront que, pour atteindre ce que l'on
désire, il s'agit de se soumettre à certaines exigences, d'acquérir certaines
connaissances, de tenir compte des circonstances, de tendre son effort dans la
direction voulue... (…) Toutes ces acquisitions nouvelles, ce ne sont pas des
« connaissances » qui viennent se plaquer sur nous comme un vêtement.
Elles consistent en un progrès intime de notre être, de notre personnalité, de
notre conduite, de nos possibilités de réaction, de notre ajustement aux
circonstances, de notre pouvoir sur le monde ambiant» (Clarapede, 1931, p.
18).
Ainsi, l’expérience peut être considérée comme un processus dynamique
dans lequel l’individu s’engage. Processus qui transforme l’individu, l’aide à
progresser tant du point de vue d’un cheminement personnel que d’un ajustement
et d’une adaptation des actions aux situations.
L’expérience est formatrice et source de connaissances
Dès lors, nous nous inspirons des réflexions de H. Bezille et B. Courtois
pour clarifier le rapport entre expérience et formation.
En premier lieu, l’expérience est singulière et unique puisqu’elle est différente d’une
personne à l’autre. Néanmoins, ce caractère singulier et unique vient se
complexifier à partir du moment où nous considérons que l’individu évolue dans un
environnement diversifié tant sur les plans professionnels que dans ses interactions
sociales extra professionnelles. Pour intégrer l’expérience en formation, cela
suppose donc de prendre en compte cette complexité dans les approches
pédagogiques. Cela implique de se centrer sur l’expérience individuelle.
En second lieu, la valeur formative de l’expérience est majorée si l’apprenant
s’inscrit dans un processus d’autoformation. Le processus d’autoformation
correspond à l’action de l’apprenant sur sa formation. Cette action a pour visée une
transformation de l’apprenant en se formant pour soi et par soi. L’apprenant est
donc acteur de sa formation. Il s’agit de s’approprier une situation nouvelle qui ne
s’apparente aucunement aux situations maîtrisées. Les terrains de formation des
expériences peuvent être éducatifs, culturels, professionnels. Dans le cas de notre
étude, nous nous centrons sur l’environnement professionnel, celui des stages en
soins infirmiers.
La démarche réflexive impulsée au sein du dispositif de formation infirmière,
implique une transformation et une production de connaissances grâce à la
conscientisation et à l’explicitation des situations d’expérience. Ainsi, l’étudiant se
positionne en tant qu’auteur et la formation considère l’expérience à la fois comme
processus et objet de l’apprentissage.
En troisième lieu, l’expérience se transforme. Pour B. Schwartz4, une
expérience se veut formatrice dans la mesure où elle est transformée. Cette
transformation s’élabore dans un travail d’explicitation et de clarification de
situations vécues.
Par la mise en mots, la formalisation, l’étudiant est amené à réfléchir sur une
situation professionnelle vécue et à la décortiquer de manière à l’analyser, y donner
sens, y incrémenter les valeurs qui sont importantes à ses yeux afin de prendre
conscience de ses manières de faire. Ce travail participe de fait à la construction
professionnelle au niveau identitaire mais aussi à un processus émancipatoire par
la libération d’un évènement vécu.
Cette transformation de l’expérience ne se décrète pas ; elle nécessite un
accompagnement. Celui-ci consiste, selon C. Clenet (2006) à créer les conditions
favorables pour que les étudiants transforment leurs expériences. En ce sens les
formateurs sont davantage des médiateurs des apprentissages.
Place et rôle de l’étudiant au sein d’une triade expériences – connaissances –
compétences
D’après les auteurs sur lesquels nous nous sommes appuyée, il existe une
forte corrélation entre les concepts d’expériences, de connaissances et de
compétences. En effet, l’expérience, lorsque l’individu et donc pour nous, l’étudiant
est acteur de sa formation, produit des connaissances et des compétences. Cette
triade n’émerge qu’au sein d’un accompagnement de l’étudiant qui le sollicite dans
l’inscription d’une démarche de réflexion et d’analyse des expériences vécues pour
viser une production de savoirs et de sens par et pour l’étudiant.
L’étudiant, pour ce faire, est accompagné par le tuteur qui met en place une
relation pédagogique visant à comprendre ce qui se joue dans l’acte éducatif. Cette
relation instaure inévitablement une transformation de l’étudiant, une altération. J.
Ardoino met en exergue l’indispensable altération vécue au sein de toute
expérience :
4 Cité In Bezille, H., Courtois, B. (Dir.). (2006). Penser la relation expérience-formation, Paris :
Chronique sociale.
« Les expériences vécues sont altérantes. Elles développent la notion même
d’altération. (…). Cette notion d’altération qui a toujours une valeur très
péjorative dans notre langue (changement de bien en mal, de décomposition,
de corruption, etc.) est en réalité ce par quoi on change et ce par quoi l’action de
l’autre s’exerce » (Ardoino, 2000, p. 120).
Le portfolio et le processus de donner du sens aux expériences ne peuvent
exister sans cette dynamique conjointe d’altération entre le tuteur et l’étudiant.
L’étudiant en acceptant de se laisser altérer par sa transformation construit de
nouvelles connaissances et compétences.
D’acteur, l’étudiant devient auteur selon le principe d’auteurisation de J.
Ardoino. L’étudiant formalise ses expériences, en effet, sur son portfolio. Cette
écriture-là se veut à la fois praticienne et pédagogique car la mise en mots dévoile
une pratique de l’humain et une posture d’apprentissage (Péoc’h, 2010).
Pour un professionnel en construction : des principes d’apprentissage axés sur
l’auto-évaluation et la réflexivité
La professionnalisation est envisagée au sens de R. Wittorski comme un
processus qui, dans l’espace de la formation, concourt à « fabriquer un
professionnel». Les caractéristiques de la compétence sont déterminées à partir des
conceptions de R Wittorski et l’évaluation par compétences au travers des travaux
de J. Ardoino, Y. Abernot, P. Marga et J.-P Rongiconi.
Approche conceptuelle de la professionnalisation
Selon les approches francophones, la professionnalisation :
« se fait dans l’action, par la production de façons de faire souvent peu
scientifiques (production de la professionnalité en actes versus formation
scientifique de la professionnalité) » (Wittorski, 2007, p. 100).
La professionnalisation se veut alors être un processus de négociation
identitaire entre le sujet et son environnement. Le sujet se construit identitairement
selon l’identité sociale (« jeu » mis en place par le sujet portant sur sa place et son
rôle dans l’environnement) ; ce jeu repose sur une stratégie de mise en
reconnaissance de soi et au niveau méso voire macro, sur la reconnaissance
attribuée par l’environnement du fait de la réussite émanant de process d’action.
Néanmoins, ce n’est pas sans compter sur une double tension générée par le propre
projet de soi sur soi et le projet d’autrui sur soi. L’identité s’avère être le résultat de
l’identité pour autrui et négociée mais aussi le résultat de l’identité pour soi. Elle
s’élabore également selon l’offre identitaire et la reconnaissance identitaire
apportées par l’organisation.
La professionnalisation se veut ainsi le produit évolutif et transactionnel
entre l’intention sociale posée par l’organisation et un jeu identitaire reposant à la
fois sur la « mise en reconnaissance de soi » et la reconnaissance par
l’environnement attribuant le statut de compétent et de professionnel à l’individu.
En ce qui concerne les compétences, pour R. Wittorski:
« La compétence est produite par un individu ou un collectif dans une situation
donnée et elle est nommée / reconnue socialement. Elle correspond à la
mobilisation dans l’action d’un certain nombre de savoirs combinés de façon
spécifique en fonction du cadre de perception que se construit l’acteur de la
situation » (Wittorski, 1998, p. 29).
Selon le même auteur, la notion de compétence, se situe à l’intersection de trois
champs. Les compétences s’élaborent et évoluent dans ces trois champs :
biographie et parcours de socialisation, expérience professionnelle, formation.
La compétence est le processus générateur du produit fini qu’est la performance.
Nous pouvons dire que la compétence est évolutive et fortement empreinte de
l’histoire personnelle de l’individu, de son parcours professionnel et de formation.
Elle est mobilisée en vue d’atteindre un résultat qui définit un niveau de
performance. Les compétences se différencient aussi par le fait qu’elles peuvent être
individuelles (produites et mobilisées seules en interaction avec l’environnement),
collectives en situation (coproduites) et partagées (transmises d’un individu à un
autre). Par ailleurs, les psychologues du travail et ergonomes désignent une autre
caractéristique des compétences : les « compétences incorporées à l’action » (Leplat,
1995). Elles sont mobilisées dans des situations de travail déjà connues par
l’acteur.
La compétence est aussi un « savoir agir » reconnu socialement. Elle dépend
d’une appréciation sociale. En outre, la psychologie cognitive, détermine que la
compétence correspond à l’explicitation sociale d’une conduite ou d’un constat de
performance ; c’est une « inférence causale » = norme sociale d’internalité.
Nous pouvons donc définir la compétence comme un ensemble de savoir-faire
conceptualisés dont le niveau de maîtrise ne peut être atteint que par une
combinatoire de savoirs (connaissances scientifiques et techniques), de savoirs
pratiques, de savoirs comportementaux et d’opérations mentales. Elle repose sur un
savoir agir en situation complexe.
Le processus de professionnalisation qui conduit au développement des
compétences et le dispositif d’évaluation destiné à évaluer ces compétences à visée
professionnelle situent la notion de compétence au regard des pratiques sociales de
référence en matière d’exercice professionnel. Ce processus nécessite entre autres,
des capacités d’autoanalyse et des capacités d’adaptation. Il s’élabore sur plusieurs
années jusqu’à atteindre l’expertise qui reste très spécifique à un champ de
connaissances donné.
L’évaluation par compétences
Selon J. Ardoino (2000, p. 92), il existe deux types d’évaluation :
Le contrôle : recherche de la conformité entre une norme et une action menée
rapportée à cette norme ; en d’autres termes c’est la mesure de l’écart entre ce qui
est et ce qui devrait être.
L’évaluation : c’est la recherche de sens. Néanmoins, la recherche de sens peut
nécessiter des procédures de contrôle ; l’inverse n’est pas systématique.
Selon Y. Abernot (1996, p.7), l’évaluation suppose une référence à des
objectifs et des critères. Elle peut être descriptive, diagnostique, pronostique.
Les points clés de l’évaluation de la construction de compétences lors d’un stage
émanent du modèle de la compétence située, c'est-à-dire d’une compétence qui
constitue l’objet de l’apprentissage au cours de la formation. Il ressort un
changement de paradigme en ce qui concerne l’évaluation pour les formateurs et les
professionnels de terrain. En effet, les représentations de chacun changent par
rapport à l’ancien programme de formation. L’évaluation relevait davantage d’une
démarche intellectuelle et méthodologique de la pédagogie par objectifs et des
approches behaviouristes de l’apprentissage. L’écueil à éviter dès lors, serait
d’appréhender la compétence selon le modèle de la compétence-contenant. La
compétence constituerait alors la finalité de l’apprentissage (tout comme c’était le
cas par l’approche par objectifs) et non l’objet. P. Marga, décline ces points clés
comme suit :
« L’apprentissage en stage est organisé autour de situations et d’activités
constituant les contextes particuliers dans lesquels se mettent en œuvre
chacune des compétences du référentiel : ces situations constituent les
« supports » de l’évaluation.
L’évaluation porte sur les capacités de l’étudiant à traiter avec compétences
ces situations, sur son « intelligence situationnelle », sur son habileté à
transférer ses apprentissages. L’évaluation de compétences est coopérative.
L’évaluation consiste en un feedback des professionnels, qui permet à
l’étudiant de préparer ses apprentissages ultérieurs» (Marga, 2010, p. 11).
Il va de soi que ce sont les situations qui servent de point d’appel à
l’évaluation des compétences infirmières. L’étudiant doit traiter ces situations avec
compétences donc la pertinence de ses interventions et ses capacités d’adaptation
sont évaluées. L’ « intelligence situationnelle » doit être repérée c'est-à-dire la
capacité de l’étudiant à comprendre et expliciter le contexte de ses interventions.
La transférabilité fait partie de l’évaluation dans le sens où l’étudiant peut résoudre
avec efficacité la situation en personnalisant les soins au patient afin de ne pas être
dans un modèle de duplication des interventions ; il s’agit de savoir adapter ses
interventions en fonction du contexte. Cette évaluation est coopérative car
l’étudiant, acteur de sa formation est en mesure d’expliciter ses processus
décisionnels et d’autoévaluer ses interventions. Le feedback des professionnels
s’avère indispensable pour que l’étudiant puisse identifier avec réalisme ses acquis,
les points qu’il doit améliorer et ce qu’ils lui restent à acquérir. L’autoévaluation se
révèle comme un instrument de la construction des compétences. Pour former les
étudiants à l’autoévaluation, J.P Rongiconi détermine trois modalités, qui selon lui,
doivent coexister :
« Car l’une sans l’autre, c’est naviguer entre censure totalitaire et errance
infinie » (Rongiconi, 2010, p. 7).
Parmi ces trois modalités, nous trouvons l’autocontrôle. Dans ce cas-là,
l’étudiant doit se mesurer à lui-même, se corriger par rapport aux normes du
référentiel. La procédure est alors prédominante au détriment de la finalité. La
deuxième modalité concerne l’autorégulation. La situation de travail est ici perçue
davantage comme champ de questionnement car la norme, certes connue, est
travaillée pour en comprendre le sens. Des repères dans l’action se dégagent alors
et le différentiel sur l’écart entre le prescrit et le réel émerge comme base de
questionnement. A partir de cette autorégulation, découle la troisième modalité qui
est relative à une évaluation hors champ du contrôle.
Elle s’avère indispensable lorsque la finalité est à construire. Interviennent ici
des questionnements en lien avec la clinique et l’éthique situationnelle. L’objectif est
bien de fournir à l’étudiant les instruments intellectuels qui vont le conduire à
identifier par lui-même l’adéquation entre sa production et ce qui est attendu de lui.
Cette capacité ne peut se développer qu’au travers des activités réalisées et si elle
est médiatisée. Il n’y a pas d’« auto » sans l’accompagnement d’Autrui.
L’autoévaluation apparaît comme un instrument incontournable de l’autonomie
puisqu’elle permet un retour sur l’action par une analyse réflexive. C’est également
l’instrument de la construction des compétences puisqu’elle va engendrer un
apprentissage autonome grâce à l’analyse des pratiques. En ce sens, les modalités à
privilégier, selon nous, lors de l’autoévaluation se réfèrent davantage à
l’autorégulation et au questionnement plus qu’à l’autocontrôle car ce n’est point la
conformité d’un acte à un référentiel qui est visée mais bien plus le sens de cet acte
dans son contexte au regard du référentiel.
Figure 1 - L’autoévaluation comme instrument de la construction des compétences
Marielle BOISSART – Août 2010
L’auto-é valuation comme instrument de la construction des compétences
Compétences
Professionnalisation
AUTO-EVALUATIONAuto-contrôle
AUTO-REGULATION
QUESTIONNEMENT DU SENS
AUTONOMIEApprentissage autonome grâce à
l’analyse des pratiques en situations d’apprentissage
Le portfolio et la démarche réflexive
La démarche réflexive induite par le portfolio s’inscrit implicitement dans la
lignée du développement professionnel continu. En effet, le fait de rendre l’étudiant
proactif et intentionnel dans sa formation initiale (Mathers et al. 1999) lui fournit
une prise de conscience de ses apprentissages, de réflexion sur le développement de
ses compétences et de contrôle sur son parcours dans une perspective
d’amélioration continue de sa pratique professionnelle (Pearson et Heywood, 2004).
Le développement d’une plus grande autonomie dans l’apprentissage est primordial
pour que l’étudiant, une fois sa formation initiale finie, puisse maintenir sa
compétence professionnelle (Harris et al. 2001) mais aussi, continue de se
perfectionner en vue d’un développement optimal de ses compétences
professionnelles.
D’ailleurs le sens donné à ce développement optimal des compétences rejoint le
DPC (Développement Professionnel Continu) apparu dans la Loi Hôpital Patients
Santé Territoires (HPST)5. Ainsi, l’analyse des pratiques professionnelles devient un
outil substantiel du développement des compétences. Ce qui va dans le sens de G.
Le Boterf :
« La construction des compétences (…) résulte de parcours professionnalisants
incluant le passage par des situations de formation et des situations de travail
rendues professionnalisantes » (LeBoterf, 2006, p. 57).
L’approche réflexive visée grâce au portfolio suppose une analyse après
l’action par l’étudiant formalisée par écrit :
- D’expériences vécues dans des contextes différents : en formation infirmière, c’est
ce qui correspond au récit d’analyses des pratiques (Deux par stage sur un
parcours minimum de sept stages durant la formation),
- L’analyse faite de ces expériences par rapport à l’identification des savoirs et
compétences qui pouvaient être développés, l’identification de ceux qui ont
réellement été développés, des liens entre les apprentissages et les compétences
ciblées,
- L’analyse faite de ces expériences par rapport à l’identification des besoins
d’apprentissage compte tenu des savoirs et compétences non développés,
- La planification des stratégies d’apprentissage à mettre en place et des ressources
à solliciter pour développer les savoirs et compétences identifiés comme
manquants.
L’écriture de ces analyses de pratique sur le portfolio revêt un caractère réflexif
dans le sens où il est demandé à l’étudiant de se questionner sur ses pratiques. Il
s’agit d’assurer un regard interprétatif et critique afin de se distancier pour entrer
dans une pratique intellectuelle. Cette dernière réclame une écriture explicite qui
permet la construction de la pensée. Pour autant, L. Vygotski insiste en exprimant
que le langage modifie la pensée mais aussi que la pensée modifie le langage.
Comment s’élabore alors cette réflexivité ?
5 Article 59 de la Loi n° 2009-879 du 21 Juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative
aux patients, à la santé et aux territoires.
Principalement basée sur le paradigme compréhensif des pratiques en lien avec
l’agir de l’auteur, la réflexivité est considérée comme :
« Une suite d’opérations relatives à une pratique intellectuelle. Elle est aussi
souvent une pratique langagière, dialogique et sociale » (Perrenoud, 2004, p.
36).
Elle se veut langagière puisque, toute réflexion repose sur le langage et tout
le sens que nous voulons faire passer dans les mots choisis. Elle se veut dialogique
car elle impulse un « tête à tête » entre le formé et sa pratique avec pour toile de
fond comme analyse, l’utilisation de ses connaissances et de ses valeurs. Elle est
aussi sociale, à partir du moment où l’action analysée est située dans l’espace des
interactions sociales (socioconstructivisme) avec des allers et retours circulaires où
interagissent subjectivité et objectivité. Nous pouvons faire le lien avec le concept
piagétien d’abstraction réfléchissante. L’étudiant, à partir de son action, abstrait
des concepts, par réflexion sur son interaction avec l’environnement.
Comme dans un miroir, l’étudiant se regarde agir et cherche à comprendre
comment il s’y prend et pourquoi il agit ainsi. De nouveaux « savoirs agir » voient
ainsi le jour tels le savoir déclaratif, le savoir procédural et le savoir portant sur les
ressources disponibles.
Cette dimension réflexive du portfolio accorde ainsi une importance majeure
au processus en œuvre dans sa construction progressive plutôt qu’au produit final
(Smith et Tillema, 2003 ; Stefani, Mason et Pegler, 2007).
Grâce aux modalités pédagogiques préconisées dans le référentiel de
formation infirmière, le développement d’une attitude réflexive quant à la posture
professionnelle est déterminant pour cette construction permanente de
compétences et le processus de professionnalisation.
La professionnalisation, pour nous, est une évolution complexe et progressive des
compétences de l’étudiant, associé à son développement professionnel. En ce sens,
l’autoévaluation de l’étudiant qui vise à formaliser les activités et compétences
validées sur le portfolio ainsi que la posture réflexive mobilisée par les analyses de
pratiques du portfolio contribuent, théoriquement, à rendre lisible l’expérience de
l’étudiant.
En confrontant les modèles conceptuels choisis, nous en sommes arrivée à
la modélisation suivante (Figure 2) :
Nous proposons de comprendre la lisibilité de l’expérience pour le portfolio
infirmier au carrefour de quatre dimensions :
- Lisibilité de l’expérience en termes de production de savoirs et compétences
- Lisibilité de l’expérience en tant que progression de compétences
- Lisibilité de l’expérience en termes de transformation identitaire et de
développement professionnel
- Lisibilité de l’expérience en termes de processus d’apprentissage et objet de
l’apprentissage
Cette dynamique de lisibilité de l’expérience s’inscrit à la fois autour :
- Du développement des compétences : formalisation de la validation des
compétences
- De la professionnalisation : développement des compétences et
développement professionnel
- De l’autoévaluation : autocontrôle, autorégulation, questionnement du sens
- De la réflexivité : explicitation et clarification des situations vécues pour une
transformation de l’expérience et une production de savoirs, de compétences
et de sens
Figure 2 - Lisibilité de l’expérience pour le portfolio de l’étudiant infirmier
Marielle BOISSART – Colloque international CIREL : « Expérience et professionnalisation dans le champs de la formation, de l'éducation et du travail : état des lieux et enjeux » - Lille : 26 Septembre 2012 – Email : [email protected]
Lisibilité de l’expérience pour le portfolio de l’étudiant infirmier
Compétences
Professionnalisation
Autoévaluation RéflexivitéLisibilité de l’expérience
Production de savoirs et
compétences
Progression des compétences
Transformation identitaire et
développement professionnel
Processus de l’apprentissage et
objet de l’apprentissage
Le portfolio, d’un point de vue conceptuel, et dans la manière dont il est
prescrit par le référentiel de formation, peut être considéré comme un outil de
confrontation aux traces de ses propres pratiques. Il revêt tout autant une fonction
d’évaluation puisqu’il est le support à la validation des stages et un témoin essentiel
à la certification après validation par le jury régional du Diplôme d’Etat Infirmier.
Quels sont les usages réels, les fonctions attribuées par ce portfolio dans la réalité
par les acteurs de la formation ? C’est ce que nous allons nous attacher à décrypter
à partir d’une enquête réalisée dans le cadre de notre mémoire de master.
Approche exploratoire Descriptif succinct du protocole de recherche
Le travail de recherche a consisté en une enquête via 19 entretiens semi
directifs menés auprès des différents acteurs pédagogiques de la formation
infirmière. La constitution du corpus d’entretiens s’est effectuée en construisant
une trame d’entretien différente pour chacun d’eux en fonction du rôle qu’il tient
dans la formation. Pour retracer une partie de cette étude concernant le portfolio,
nous nous référons uniquement aux acteurs concernés par le portfolio (15 acteurs)
à savoir :
2 Directeurs d’IFSI
2 cadres de santé formateurs
2 Directeurs de Soins d’établissement de santé
2 maîtres de stages
2 tuteurs
2 professionnels de proximité
3 ESI (Etudiants en Soins Infirmiers) de 2ème année.
Nous ne rentrons pas, pour cette communication dans le détail de la
description de la construction de l’échantillon ni celle des trames d’entretien. Nous
faisons état ici uniquement des questions qui concernaient le portfolio à savoir :
Qui remplit le portfolio ?
A quel(s) moment(s) est-il renseigné ?
Quelles sont les modalités de renseignement du portfolio mises en œuvre ?
Quelles fonctions sont attribuées au portfolio ?
En quoi consiste l’évaluation de la formation de l’ESI ?
Quelles sont les modalités et les principes pédagogiques du référentiel de formation
qui contribuent à la construction des compétences infirmières de l’ESI ?
Quels moyens, situations pédagogiques employez-vous pour optimiser le processus
de professionnalisation de l’ESI ?
Dans cette formation, qu’est- ce qui impacte la construction des compétences et le
processus de professionnalisation de l’ESI ?
Des limites à cette enquête sont à mettre en avant : elle demeure limitée
puisqu’elle est qualitative et non quantitative. L’échantillon des personnes
interviewées est bien trop réduit pour s’avérer significatif et permettre une
généralisation des résultats. Les données recueillies sont vraies à un moment
donné. La durée de l’enquête est courte et limitée à 15 entretiens. Cette notion de
temps fait que l’exploitation de notre recherche ne permet de dégager que des
tendances. Nous pouvons donc dire qu’au travers de cette enquête, nous ne
prétendons pas faire une généralité des propos tenus. Néanmoins, nous constatons
des éléments significatifs récurrents qui guideront nos réflexions personnelles
exposées dans l’analyse et l’approche compréhensive.
Par cette enquête, nous avons souhaité recueillir l’avis des professionnels de
l’encadrement des ESI et les ESI eux-mêmes sur l’utilisation du portfolio de l’ESI lié
à ce référentiel de formation, à un niveau local : nous sommes restée dans notre
agglomération de travail. Il aurait été également pertinent d’interroger des acteurs
d’autres régions.
Les résultats et leurs interprétations Les usages du porfolio Les acteurs qui remplissent le portfolio :
Les étudiants remplissent leur portfolio et les tuteurs paraphent à la majorité
comme cela est prévu dans le référentiel de formation.
Moments où le portfolio est renseigné :
Avant le stage, les acteurs des IFSI et les étudiants identifient pour les ¾ d’entre
eux que celui-ci est mobilisé afin de commencer à renseigner les objectifs de stage
grâce aux croisements réalisés avec l’offre de stage des unités de soins lorsque cette
offre est présente au sein des IFSI. Le ¼ restant n’utilise pas cet outil avant le
départ de stage car les objectifs ne sont pas préparés à l’IFSI mais sur le lieu de
stage.
Pendant le stage, l’ensemble des acteurs estiment qu’il est surtout support à
l’évaluation du stage (donc en fin de stage). La moitié d’entre eux déclarent que
l’outil est montré par l’étudiant en début de stage aux tuteurs ; sinon les
professionnels sollicitent l’étudiant afin de connaître le parcours de formation
antérieur de l’étudiant et de savoir ses besoins d’apprentissage.
Après le stage, le portfolio, pour les acteurs des IFSI, est un outil de dialogue sur
les acquisitions réalisées en stage (activités, compétences). L’analyse des pratiques
s’avère aussi, pour la majorité des acteurs des IFSI, un moment de réflexion sur la
manière de procéder de l’étudiant. Les étudiants, dans un tiers des cas estiment
qu’ils sont réellement mis en position d’analyse de leurs pratiques professionnelles
et en comprennent le sens.
Modalités de renseignement du portfolio :
Les acteurs des IFSI déclarent que l’outil relève de la responsabilité de
l’étudiant et qu’il lui incombe de le renseigner, de concert avec le tuteur dans la
dynamique d’une évaluation co- gérée.
Fonctions du portfolio :
La fonction d’évaluation ressort dans 100% des personnes interrogées :
évaluation des compétences en stage. De plus, l’ensemble des acteurs s’accordent à
dire que l’autoévaluation des étudiants y est centrale, sauf les professionnels de
proximité qui avouent ne pas trop connaître la « manière de faire pour amener
l’étudiant à l’autoévaluation ». En revanche, les tuteurs estiment que ce processus
est très chronophage.
La fonction de présentation ressort uniquement dans ¼ des personnes
interrogées : pour les DS (Directeurs de Soins) des IFSI et les CDS formateurs
(cadres de santé formateurs), car pour eux, il est possible d’intégrer d’autres
travaux qui émanent de l’étudiant et qui peuvent être le témoin d’expériences de
formation.
Les fonctions d’outil d’apprentissage et de développement professionnel ne sont
présentes que dans le discours des acteurs des IFSI. Concernant l’outil
d’apprentissage, il rend compte des apprentissages réalisés pour la totalité des
acteurs mais pas du chemin parcouru au regard des compétences visées. En effet,
la progression dans l’acquisition des compétences ne ressort pas suffisamment aux
yeux des acteurs.
Concernant l’outil de développement professionnel, pour un DS d’IFSI et un CDS
formateur du même IFSI, il est considéré comme tel en termes de réalité de
pratiques et pour l’autre DS d’IFSI et son cadre de santé formateur, uniquement
dans l’intention qu’ils souhaiteraient lui attribuer. En effet, pour eux, cet outil ne
laisse pas assez de place à l’ESI au niveau de la conception et de l’évolution qu’il
pourrait lui conférer. « Il devrait être construit par l’ESI : il est imposé, enfermant,
c’est un outil d’évaluation complétement inadapté », nous dit l’un d’entre eux.
Regards des acteurs sur le portfolio
Les DS d’IFSI
Selon les deux acteurs, il s’agit d’un outil d'évaluation. Le Directeur de Soins
d’un IFSI y voit le suivi de l'ESI inhérent à l'évaluation. A chaque retour de stage, il
est photocopié. La fonction prévalente semble, toutefois, être celle du contrôle. Avec
une vision plus critique, le Directeur de Soins de l’autre IFSI, déplore qu'il ne soit
pas davantage pensé comme un outil de développement professionnel. Pour ce faire,
grâce à une trame, les ESI à partir de ce qu'ils savent, de ce qu'ils sont, de leurs
expériences, au niveau des critères d’exigence d’évaluation des semestres,
pourraient mettre les éléments qui pour eux composent la compétence qu'ils
doivent atteindre. Ils devraient le soumettre au tuteur de stage ; le Cadre de Santé
référent serait là pour faire une mise au point avec le tuteur et l’ESI.
Les CDS formateurs d’IFSI
Le portfolio est reconnu comme outil d'évaluation au regret des formateurs.
Cependant l’un d’eux tend à y voir un outil de développement puisqu'il appartient à
l'ESI. Le second y voit, lui, une adaptation des parcours de stages par la
progression qu'il traduit.
Les DS d’ETS (Etablissements de Santé)
L'outil d'évaluation ressort. L’un d’eux s'interroge sur les ESI qui ont validé
toutes les compétences à l’issue du premier stage. Cette remarque renvoie à
l’évaluation par compétences et peut être en lien avec l’appropriation incomplète du
concept de compétences par les professionnels des stages.
Les maîtres de stages d’ETS
Evaluation et autoévaluation sont suscitées par cet outil. L’un d’eux parle de
« photo de tout le parcours » et d’un outil qui permet d’adapter un accompagnement :
il permet de situer l'ESI dans ses acquisitions. Par contre, l'évaluation cogérée
soulève pour l’autre CDS des interrogations car il constate une compréhension
différente des mentions de niveaux d'acquisitions entre les ESI et les professionnels
des stages. Une traduction de signification sur les mentions de niveaux
d'acquisitions pourrait être utile afin que les discours soient communs entre tous
les acteurs.
Les tuteurs de stages d’ETS
Le portfolio est vu comme un outil d'évaluation assurant un suivi et un
accompagnement de l'ESI. L'autoévaluation n'est pas mentionnée.
Les professionnels de proximité d’ETS
Là encore, c’est un outil d'évaluation. L'autoévaluation est suggérée par l’un
d’entre eux. Et le second perçoit, lui, l'adaptation des parcours de stages.
Les ESI
L’outil est vécu comme outil d'évaluation, support d’échanges réalisés lors
d'un entretien. L'autoévaluation est prise en compte pour deux ESI. L'évaluation
devient cogérée même s'il est remarqué des difficultés des professionnels à valider
des compétences en début de cursus qui traduisent un manque de maîtrise de
l'évaluation par compétences. Nous constatons un manque d'appropriation de
l'usage du portfolio par les stages et donc la nécessité de les accompagner pour
intégrer le concept de compétences et leur évaluation.
Pour ces ESI, le portfolio se veut davantage être un outil de lisibilité de
l’expérience pour les CDS formateurs et les professionnels de stage car ils peuvent
identifier les compétences et activités infirmières validées et situer l’ESI.
A propos de l’évaluation par compétences Il résulte des points de vue des acteurs que pour que la compétence puisse se
développer, l'ESI doit participer activement à son évaluation. Il s’opère ainsi, une
prise de conscience des acquis et du chemin à parcourir pour ce qui reste à
acquérir. L'accent est mis sur l'autoévaluation et l'évaluation coopérative.
L'autoévaluation semble exister davantage par l'autocontrôle (mesure de l'ESI par
rapport aux normes du référentiel) et l'autorégulation (questionnement sur l'écart
entre le prescrit et le réel) qui est demandée à l'ESI.
Néanmoins, nous ne retrouvons pas le processus complet tel que le décrit J.-
P. Rongiconi (2010) avec le questionnement du sens. Ce dernier n'est abordé que
par les CDS formateurs. Ces questionnements en lien avec la clinique et l'éthique
situationnelle semblent sous-estimés. L'évaluation coopérative, quant à elle,
s'appuie sur la mise en réflexivité de l'ESI, son autoévaluation et le feed-back des
professionnels. Ainsi, la capacité d'autoévaluation et l'apprentissage de l'autonomie
sont médiatisés par ce feed-back ; ce qui prouve que l' « auto » (autoévaluation et
autonomie) coexistent inexorablement avec l'accompagnement d'Autrui.
Le modèle de la compétence située peu usité, démontre que l'intelligence
situationnelle n'est pas la priorité ; ce qui peut remettre en cause le transfert des
apprentissages et qui traduit que la compétence n'est pas suffisamment l'objet de
l'apprentissage ; elle en serait davantage la finalité. Ce qui rejoint les propos d’un
CDS formateur, s'interrogeant à plusieurs reprises sur l'appropriation de l'approche
par compétences des professionnels et sur une conception commune de ces
professionnels. Par ailleurs, il est intéressant de relever le point de vue d’un DS
d’IFSI, qui souligne un manque de progression dans l'évaluation des compétences ;
même si le référentiel fait état d'exigences minimales dans « l'acquisition des
compétences », une vision graduelle de cette évaluation pour chaque compétence ne
permettrait-elle pas , en effet, de s'ancrer dans le principe de M. Crahay (2006) qui
indique que la compétence s'inscrit dans la norme de « la complexité inédite » ?
Propos tenus sur l’intérêt d’une posture réflexive
L’ensemble des acteurs s’accorde à dire que parmi les principes qui
contribuent à la construction des compétences, la posture réflexive présente une
plus-value lorsqu’elle est conçue par un retour réflexif sur, pendant, après l’action.
L'intérêt de l'écriture ressort uniquement chez les DS des IFSI comme outil de
professionnalisation. Néanmoins, cette mise en posture réflexive, suscitée par
l’analyse des pratiques n’est pas mobilisée par les acteurs des stages et commence
à peine à l’être dans les IFSI (un sur les deux). Le CDS formateur qui ne met pas en
application l’analyse des pratiques avoue n’avoir pas été formé à accompagner les
ESI dans ce sens. A contrario, l’autre CDS formateur qui sollicite la posture
réflexive dans l'analyse des pratiques écrites au sein du portfolio estime qu’elle
permet de questionner l'expérience de l'ESI et mettre en exergue le « pouvoir » de
l'action. Elle demande à l’ESI de se questionner, d’expliciter, de raisonner sur ses
manières de penser et de faire, d’analyser ses expériences et de les réguler afin de
donner un sens à son parcours de formation ; ceci toujours en regard des éléments
des compétences décrites dans le référentiel de compétences.
Le portfolio catalyseur de la professionnalisation ?
L’offre de formation mobilisée par les acteurs comprend :
Les situations de professionnalisation actées par la pratique réalisée par les ESI
auprès des patients,
La personnalisation des parcours de formation dans la mesure du possible grâce à
la lisibilité des acquis des stages antérieurs.
Retour sur l’hypothèse
A la lecture des résultats, il ressort que : la perception évaluative du portfolio
est unanime. Elle renforce finalement l’idée d’une contrainte supplémentaire au
détriment de l’objectif d’apprentissage initialement voulu. Pour les ESI et pour la
majorité des acteurs des terrains de stage, il s’agit surtout dans l’usage du portfolio
de cocher des croix. Mais n’est-ce pas là trop réducteur de l’esprit du portfolio ?
Est- ce que la croix fait la preuve ?
Ce qui interroge également, c’est que les étudiants estiment encore que
finalement le portfolio est un outil davantage au service des cadres formateurs, des
tuteurs, des maîtres de stage et des professionnels de proximité.
L’autoévaluation suggérée par l’utilisation du portfolio, est un processus
reconnu unanimement par l’ensemble des acteurs comme instrument de la
construction des compétences. Néanmoins, en pratique, elle n’est pas mobilisée par
l’ensemble des acteurs.
De même, la démarche réflexive induite au sein de l’analyse des pratiques du
portfolio, s’avère porteuse d’apprentissages dans les représentations des acteurs
interrogés mais elle n’est pas investie par l’ensemble des acteurs du fait d’un
manque de formation de leur part. Ceux qui sollicitent cette posture chez l’ESI
témoignent de l’intérêt de partir de l’expérience de l’étudiant pour questionner le
lien théorie-pratique sans dichotomie et pour travailler la question du transfert des
apprentissages.
Dès lors, notre hypothèse :
Le portfolio utilisé en formation infirmière, par la démarche réflexive et
d’autoévaluation qu’il implique chez l’étudiant, représente un outil de lisibilité de
l’expérience, reste valide et validée par rapport au sens et à la mise en exergue de
toute la complexité de la mise en œuvre du portfolio qui ressortent.
Au sein des représentations des acteurs, l’outil permet une lecture de
l’expérience de l’ESI d’une part au travers de l’autoévaluation sur les actes et les
compétences validées (même si la mesure de la progression des compétences n’est
pas précise), et d’autre part au travers de l’analyse des pratiques formalisée qui
place l’ESI en posture réflexive. Elle permet ainsi d’identifier le cheminement
parcouru par l’ESI au fil des stages.
Ce qui rejoint la conception de J. Dewey (Cité In Deledalle, 1966) où l'expérience est
faite de la succession des expériences et de leur continuité, chacune ayant un
impact sur la qualité de l'expérience future.
Néanmoins, dans sa réalisation et sa mise en œuvre, cette hypothèse s’avère
partiellement confirmée puisque les acteurs interviewés, n’ont pas encore tous
expérimenté la démarche réflexive et l’autoévaluation. Cette confirmation partielle
met en perspective certaines limites de notre recherche : Evaluer la mise en œuvre
du portfolio à N +1,5 ne permet d’obtenir que des tendances de représentations, de
fonctionnement et d’effets.
Les résultats obtenus émergent surtout des points de vue des acteurs
interrogés. Nous rappelons donc le caractère relatif de ces résultats. Notre intention
n’est pas de prétendre à la généralisation mais seulement à des réflexions sur nos
propres pratiques et sur des perspectives de recherche ultérieures.
En termes de limites à cette recherche, un travail plus exhaustif sur la didactique
professionnelle permettrait un regard sur l'apprentissage établi du point de vue de
l'activité et un regard sur l'apprentissage établi du point de vue du développement
de l’ESI. En outre, une mise en lien conceptuelle avec l’alternance permettrait de
mettre en lumière le questionnement théorico-pratique contributif de l’expérience à
la fois comme processus et objet d’apprentissage.
Eléments de réflexion dans une perspective d’évolution du portfolio en formation infirmière Par l’interprétation des résultats, nous pouvons en déduire que le portfolio
synthétise une quadruple problématique :
- Le portfolio outil d’évaluation plutôt qu’outil d’apprentissage : il permet la
construction du parcours de formation en mettant en adéquation les offres de
stages des terrains de stages d’accueil des ESI avec les compétences validées et les
compétences manquantes de ces derniers mais les acteurs trouvent que cette
fonction n’est pas assez investie.
- Le conflit épistémologique de l’évaluateur (tuteur) dans la validation des
compétences du portfolio : investit-il une posture de contrôleur agissant à partir de
faits en établissant des relations de causes à effets ?
Investit-il une posture d’interprète, mobilisant des compétences sémiotiques, en
quête de signes et d’indicateurs (Jorro, 2000, 2006) ?
- La prégnance du référentiel de compétences dans l’analyse de l’expérience :
l’analyse porte essentiellement sur la tâche prescrite. Ainsi, le contexte de
l’expérience se réduit souvent à l’énoncé des éléments de compétences développées
ou à développer. L’expérience est alors désincarnée en se conformant à un
référentiel dont la dimension fonctionnelle est valorisée (Jorro, 2006) mais dont les
valeurs professionnelles et réflexions éthiques constitutives de la
professionnalisation peuvent être occultées.
- La sémantique utilisée pour la description des compétences au sein du portfolio
n’a pas encore été intégrée par l’ensemble acteurs : notamment ceux des stages qui
réclament un accompagnement de la part des professionnels des IFSI.
La professionnalisation et la compétence qui en est constitutive pour partie, sont à
replacer au centre de l'expérience. Dans le cadre d'une pédagogie de l'alternance,
telle que c’est le cas en formation infirmière, l’analyse des pratiques et le
positionnement réflexif amènent la construction de compétences. Le
questionnement du sens et des allers retours théorie-pratique ne peuvent
qu'induire la décontextualisation; celle-ci est l'apanage de tous les acteurs des IFSI
et des stages qui alimenteront le sens s'ils travaillent ensemble et s’ils en maîtrisent
les usages.
Pour conclure, nous constatons que les résultats mettent en évidence un
écart entre l’intention prescrite et la réalité de l’usage de ce portfolio. En effet, pensé
au niveau des principes d’apprentissage comme un outil d’apprentissage,
d’évaluation et une visée de développement, il ressort que quatre acteurs sur cinq
lui octroient exclusivement une fonction d’évaluation qui en sus ne permet pas une
réelle mesure de la progression des compétences.
Les études auxquelles nous nous sommes référées dans cette communication
démontrent l’intérêt de l’autoévaluation et de la posture réflexive dans les
apprentissages. De plus, l’acteur interrogé utilisant formellement l’apprentissage
réflexif estime clairement que les analyses de pratiques du portfolio placent l’ESI
face à lui-même dans des moments alternant entre insécurité et plénitude. Ces
analyses de pratiques demeurent un temps fort de l’apprentissage de l’ESI car elles
permettent un passage allégorique de celui-ci se traduisant par un dévoilement de
soi, une connaissance de soi accrue pour une meilleure projection de soi. Elle
engendre donc une transformation.
L’écriture des analyses de pratiques sur le portfolio s’avère un formidable
outil de construction professionnelle car elle invite à une confrontation de l’ESI avec
ses conceptions du langage dans l’intentionnalité de faire corréler au plus profond
le sens donné à la pensée et à l’action. De plus, elle demande à l’ESI de réfléchir son
rapport aux valeurs pour viser un agir communicationnel et un agir éthique.
L’expérience est alors reréfléchie dans une dynamique d’amélioration continue pour
une transformation à visée professionnalisante. Néanmoins, afin de tisser des liens
entre les expériences de formation et le projet professionnel, cela suppose à la fois
un travail de reconstruction de l’expérience ainsi qu’un repositionnement de l’ESI
dans ses choix professionnels (Jorro, 2006). N’est-ce pas à ce prix que les acteurs
de la formation pourront faire évoluer le portfolio vers un outil de développement
professionnel ?
Bibliographie
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CAC : Commission d’Attribution des Crédits CDS : Cadre De Santé DPC : Développement Professionnel Continu DS : Directeur de Soins ECTS : European Credits Transfer System ESI : Etudiant en Soins Infirmiers ETS : Etablissement de Santé HPST : Hôpital Patients Santé Territoires IFSI : Institut de Formation en Soins Infirmiers LMD : Licence Master Doctorat