le plateau continental

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LE PLATEAU CONTINENTAL Chautauqua Carol Dallaire

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Page 1: Le plateau continental

LE�PLATEAU�CONTINENTALChautauqua

Carol Dallaire

Page 2: Le plateau continental

Quand on applique à l'expérience vécue le couteau de la pensée ana-lytique, on détruit nécessairement un aspect de cette expérience.C'est un fait généralement reconnu, en tout cas en ce qui concernel'art. On se souvient de l'expérience de Mark Twain : quand il eutacquis toutes les connaissances nécessaires pour piloter un bateausur le Mississippi, il s'aperçut que la rivière avait perdu sa beauté.Ainsi, le travail d'analyse ne va jamais sans dommage, mais - bienque ce soit peut-être moins évident en ce qui concerne l'art - il dé-bouche aussi sur un acte créateur. Au lieu de s'attacher aux domma-ges qu'il provoque, il est important de voir ce qu'il crée, et de com-prendre que ce processus est le processus de la vie, de la naissance àla mort. Il n'est ni bon ni mauvais. Il est.

Robert M. Pirzig

Page 3: Le plateau continental

E.L. rêvait souvent qu'elle s'enfuyait dans les montagnes pour y trouverla tranquilité. En fait, E.L. ne pouvait plus supporter son existence. Sapersévérance avait eu raison d'I.L.; ils partiraient demain...«sur unnowhere, pour peindre de nouveaux souvenirs», avait-elle décidé. I.L.chantait: « Allons voir la mer, allons voir la mer de..., allons voir lamerde... ». E.L. l'avait giflé sans réfléchir;� I.L. n'avait plus rien dit. Ilss'étaient excusés avant de s'endormir.

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Ils traversaient de vieilles montagnes. Le voyage débutait mal;�I.L.,migraineux depuis deux jours, avait éteint la radio. «Le front nuageuxnous rattrape», avait-elle dit.�I.L.�conduisait vite en maudissant réguliè-rement l'état de la route et la lenteur des touristes. Quelques poils deR.A. le chat, disparu la veille, voletaient à l'arrière. E.L., heureuse,commençait déjà à faire des croquis. La journée s’annonçait chaude.R.A. le chat, à l’ombre chez la voisine, rêvait à Rio.

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E.L. se désespérait de voir un si grand nombre de ratons-laveurs, mar-mottes et écureuils morts au bord de la route. Heureusement on ne voyaitni chiens ni chats. I.L., insconscient de son trouble, lui avait fait remar-quer que ces animaux étaient morts la bouche ouverte, comme le dor-meur qui, en sueur, au petit matin, se réveille pris de panique au coeurd'un cauchemar.

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L’HOMMEDIEU FARM: I.L. avait souri à la lecture de ce panneaupublicitaire naïf perdu au coeur des champs de maïs au milieu de nullepart. E.L., le ventre douloureux, avait voulu s'arrêter dans un garagerempli de cafards et d'araignées.�I.L., sans s'éloigner de la voiture, es-sayait de se dégourdir les jambes. Seule dans les toilettes sales à fairevomir, E.L. s'inquiétait.

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Tôt un matin de grande chaleur, ils�avaient�vu un aigle, les ailes ouver-tes, prendre le soleil sur une meule de foin. Ils avaient décidé que cedevait être cela le vrai�bonheur. I.L. souhaitait visiter Petrified CreaturesPark; E.L. trouvait cela franchement stupide. Contrarié, I.L. avait alorsvoulu s'arrêter manger des crêpes que les indigènes de ce pays nom-maient pancakes. Au�restaurant I.L. avait noté: «Une grosse madametraverse la route avec des carottes dans un sac. Ombre d'un camion.»

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Ils s'obstinaient depuis midi à savoir lequel s'était trompé.�Les heuress'écoulaient de petites routes en chemins de terre. Ils étaientcomplètement égarés en pleine campagne, au milieu du plateaucontinental.�La chaleur humide tombait durement sur l’ancienne grangerouge que les fils du fermier avait repeinte la semaine dernière en bleuet blanc et qui indiquait la route qui devait les mener à la mer. Ils ne latrouveraient que dans une heure. L’orage arrivait.

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Ils traversaient des montagnes jeunes et escarpées en quête d'un villagetypique. E.L. conduisait depuis deux heures, l'appareil photo entre sescuisses.�La route descendait depuis plus de douze kilomètres. E.L. s'in-quiétait d'I.L. qui n'avait rien dit depuis le matin. Le soleil lui chauffaitla joue droite et il avait mal à la tête. E.L. s'était�arrêtée deux fois croyantapercevoir d'étranges inscriptions.

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Depuis le matin, I.L. s'amusait à répéter que les panneaux jaunes placésau bord de la route annonçaient la venue prochaine de l'impératrice chi-noise Cattle Xing. Ils s’étaient arrêtés à l’ombre près d’une ferme touteblanche. Exaspérée par ses pitreries, E.L., très sérieuse, lui avait faitremarquer qu'il venait de mettre les pieds dans une bouse fraîche. I.L.avait marché sans dire un mot jusqu'à la voiture et avait abandonné, àregret, ses espadrilles rouges au bord de la route.Note: Cattle Xing: Traverse de bestiaux.

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Dans un vieux jardin victorien perdu au fond de la campagne, I.L. avaitaperçu un écureuil éventré, encore vivant qui tentait sans espoir de grim-per à son arbre. La plaie ne saignait plus. E.L. l'avait vu aussi. La lueurde terreur au fond des yeux de l'animal resterait longtemps gravée danssa mémoire. I.L. avait pris sa main un peu froide malgré la chaleur dujour. L'eau de la cruche était tiède. Ils souffraient tous les deux mais nese l'avoueraient qu'au retour.

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Un bruit dans la chambre l'avait éveillée. I.L. était déjà debout à la fenê-tre. Le vieux chien jaune du motel traînait déjà dans la cour. La journées'annonçait belle. En se retournant, I.L. avait souri. E.L. avait dit douce-ment: « Aujourd'hui ne quittons pas la grand route ». Une chenille veluequ'elle ne verrait jamais�grimpait lentement sur le mur vers un joli petitchromo�alpin. I.L. était retourné au lit, E.L. avait chuchoté quelquesmots en riant. Ils avaient fait peu de route cette journée-là.

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La journée s'annonçait encore plutôt belle. Ils étaient repartis sans sa-voir précisément où ils allaient. Sur le siège arrière, une fourmi explo-rait la poupée amish qu'elle avait achetée la veille. I.L. était convaincuqu'un nuage les suivait depuis trois jours. L'orange sentait bon. Quel-ques vaches brunes ruminaient, comme chaque jour, calmement leurennui près d'une clôture de cèdre. E.L. avait klaxonné.

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Dans un jardin rempli d'ombre, E.L., marchant seule dans un petit ravin,avait vu surgir un papillon de nuit, noir, très beau. Lui, près du ruisseau,l'attendait, en se désolant de son romantisme. Tout près, un petit éperviers'acharnait à déchiqueter une souris à peine tiède. Malgré la douceur dela brise, I.L. s'était éloigné troublé par cette violence que lui imposait lanature.�E.L., un peu étourdie, s’était arrêtée pour regarder un nuage enforme de cheval se débattre lentement dans l'eau de l'étang.

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I.L. avait trouvé par hasard, dans un livre oublié sur un banc, un fragmentde message. Curieux mais connaissant mal la langue des habitants de cepays, I.L. avait lu sans comprendre des mots écrits à la mine de plomb età l’encre rouge. I.L. avait reposé le livre; la vie était trop compliquée. Aubout du petit parc aux clôtures blanches, E.L. peignait avec applicationsur un bout de papier brun un autre souvenir.

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E.L., la première, avait aperçu la mer. Fatiguée, elle n'avait�que mur-muré: «Voilà... enfin !» I.L. avait baissé la vitre; l'air lourd et chaudavait envahi la voiture. Une vague odeur d’essence avait relancé sesnausées. Plus loin sur l'océan, un vieux�marsouin cherchait un coin tran-quille; les touristes étaient partout.�I.L. avait noté: «Beau dans le détailmais très laid en général. Et vice versa.» Fier de sa trouvaille, il avaitreplacé le petit carnet dans le coffre à gants.

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E.L. dormait depuis quelques minutes, perdue encore dans ses monta-gnes. I.L., soudainement envahi par la fatigue, ne terminerait jamaisla�phrase qu’il écrivait dans son petit carnet bleu. Cette nuit, le ventd’ouest soufflerait dans l'auto, par la fenêtre ouverte, des brindilles etun peu de poussière. À la maison, R.A. le chat, étendu sous un arbre,contemplait�la lune, une souris encore chaude entre les pattes.

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Carol DallaireBiobibliographie résumée

Artiste en arts visuels, musicien, chargé de cours à l'Université du Québec à Chicoutimi,

Carol Dallaire a eu, depuis 1977, l'opportunité de présenter son travail dans de nombreuses

expositions individuelles et collectives, lors de nombreux colloques et séminaires internatio-

naux au Québec, au Canada, au Portugal, à l'École nationale de la photographie à Arles en

France, en Espagne, à l'Institut Français d'Écosse. Le travail de Dallaire a été présenté dans

plusieurs expositions importantes au Canada et au Québec : le Mois de la Photo de Montréal

en 1995, en 1997 et en 1999 ; au Musée d'Art Contemporain de Montréal en 1997, au Musée

du Québec, à la Walter Phillips Gallery du Banff Centre for the Arts, à Séquence et Espace

Virtuel à Chicoutimi. Il a fait partie de l'exposition LE SCÉNARIO VISUEL DE LA PAGE : 100

LIVRES D'ARTISTES, présentée à la Bibliothèque nationale du Québec en janvier 2000. Cinq

de ses estampes infographiques ont été offertes par le Centre national d'exposition à Jon-

quière à la Gouverneure générale du Canada, la très honorable Adrienne Clarkson, en sep-

tembre 2000. La collection Loto-Québec a récemment fait l’acquisition de la série I.L. NE

VOULAIT QUE SAVOIR OÙ COMMENÇAIT LA FOLIE.

Son travail a fait l'objet de plusieurs publications importantes, les plus récentes étant DU

TROMPE-L’OEIL VIRTUEL AU PIXEL : LA CYBERCOPIE paru dans ETC Montréal, vol. 64, THE

POSSIBLE POETRY OF LIMITS: NARRATION, PERCEPTION, ELECTRONICS, TECHNOLOGY, un

article sur le travail sonore qu'il a réalisé en collaboration avec Jun Zhang publié dans la re-

vue MusicWorks de Toronto à l'été 2001; la revue Nouvelles de l'estampe du Cabinet des

estampes de la Bibliothèque nationale de France qui a publié, en janvier 2000, un de ses arti-

cles intitulé SAVOIR-FAIRE, TRADITIONS ET CRÉATION (PORTRAIT DE L'ARTISTE) ainsi qu'un

corpus iconographique. On le retrouve aussi dans un numéro spécial de la revue SPIRALE, le

numéro spécial du Mois de la Photo 1999 de CVPHOTO, dans le RÉPERTOIRE DES LIVRES

D'ARTISTES AU QUÉBEC, 1993-1997, ainsi que dans les numéros LA MORT DE MOLIÈRE ET

DES AUTRES et STYLE ET SÉMIOSIS de la revue PROTÉE, en plus d'être documenté dans plu-

sieurs catalogues d'expositions (Arles, Musée d'art contemporain de Montréal, Encontros da

Imagem, Mois de la Photo, etc). En 2003, un de ses contes a été publié dans l’ouvrage de

Joan Skogan, MARY OF CANADA, publié par The Banff Centre Press.

Publié par le centre d'artiste Séquence et les Éditions du Sabord, l'ouvrage LA POÉSIE POS-

SIBLE DES LIMITES, lequel comprend les essais de Jean Arrouye, Michaël La Chance et de

Richard Baillargeon s'intéresse à son travail. Ses estampes infographiques, livres d'artistes,

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regroupés sous le titre LES LIEUX COMMUNS et LA POÉSIE POSSIBLE DES LIMITES, se re-

trouvent dans plusieurs collections publiques et privées au Québec, au Canada en Europe et

en Asie. Son travail se retrouve sur de nombreux sites Internet, dont celui de la Bibliothèque

nationale du Québec ainsi que sur les cédéroms et le site Internet du MUSÉE VIRTUEL DE LA

PHOTOGRAPHIE QUÉBÉCOISE (Galerie VOX) et LA MORT DE MOLIÈRE ET DES AUTRES

(PROTÉE).

Il fait actuellement partie du groupe de recherche CAMERAS du module des arts de l’UQAC.

Les projets qui l'occupent actuellement, regroupés sous le titre LA POÉSIE POSSIBLE DES

LIMITES, continuent de questionner la présentation et la perception de l’œuvre d’art contem-

poraine publique, visuelle ou sonore, à travers l’analyse critique, l’expérimentation, le déve-

loppement et la mise au point de diverses stratégies de mise en exposition tenant compte de

leur spécificité. Son travail a été présenté en Espagne, en 2003, dans le cadre d'un colloque

intitulé LITTERATURE ET PHOTOGRAPHIE. Son expérience comme spécialiste en imagerie

numérique l'a amené à travailler comme chargé de cours à l'Université du Québec à Chicou-

timi, pour le Groupe de recherche en arts médiatiques (GRAM, UQAM) dirigé par Louise

Poissant, plus particulièrement au Dictionnaire en arts médiatiques; à être invité à deux repri-

ses au Banff Centre for the Arts (1994, 1995); à agir comme maître de stage et conférencier à

l'École nationale de la photographie à Arles en France (1996); comme conférencier dans les

départements d'art de l'Université de Barcelone, de l'Université de Moncton, à l'Université

du Québec à Trois-Rivières.

Regroupés sous le titre LES LIEUX COMMUNS et LA POÉSIE POSSIBLE DES LIMITES, ses tra-

vaux liés à l'imagerie et à l'impression numérique, à la narration et à la problématique de

l'interactivité l'ont amené à se rendre à deux reprises au Banff Centre for the Arts en 1994 et

1995 et, en 1996, en résidence à Méduse (Québec) au studio Avatar pour y réaliser, en com-

pagnie de sa collègue Jun Zhang, la trame sonore d'un projet questionnant la problématique

du multimédia.

Il poursuit dans le domaine du sonore des recherches parallèles à travers l'action (plus d’une

quarantaine de prestation publiques) des groupes de musiques improvisées, multimédia et

performances, LES RADICAUX LIBRES et LES CHAUVES SOURIENT. Il s'intéresse au traite-

ment du sujet dans le rapport du texte à l’image dans sa relation avec l’utilisation de la voix,

des sons et de la musique perçus comme éléments narratifs et dramatiques.

Page 20: Le plateau continental

En août 2001, il participait au Forum l'Etre au monde du Symposium international de la nou-

velle peinture au Canada en interprétant, à la mémoire de Françoise Labbé, une adaptation

pour saxophone soprano de Litany for the Whale de John Cage. De plus, il y présentait une

œuvre acousmatique, un récitatif d'ameublement intitulé L'INDÉTERMINÉ, LE HASARD ET

L'IMPROVISATION. En septembre, avec quelques membres du groupe LES RADICAUX LI-

BRES, il y présentait une prestation de musique improvisée. Plus tard ce même mois, il parti-

cipait aux ateliers de maîtres dirigés par René Lussier et au concert de musique improvisée,

LA BOUDINE SAGUENÉENNE, organisé par Les Productions du CEM au Petit Théâtre de

l'Université du Québec à Chicoutimi. À l’automne 2003, à la galerie L’Œuvre de l’Autre de

l’UQAC, il prenait part à un concert de musique improvisée avec Michael Snow.

Au sein de "LE ART ENSEMBLE OF LE MILIEU DE NULLE PART", un organisme qu'il a fondé,

voué aux musiques acousmatiques et actuelles, il a composé la trame sonore des documentai-

res HELENE ROY (présenté au Centre d'art de Baie Saint-Paul à l'automne 2002) et DANIEL

DUTIL (présenté au Musée du Saguenay à l'été 2002). Lors de l’événement PAYSAGES SA-

TELLITES, lequel présentait également les compositeurs Gilles Gobeil et Nicolas Reeves, il a

mis en musique SCORE (40 DRAWINGS by Thoreau) de John Cage, une œuvre de 29 minutes

réalisées par synthèse granulaire présentée à l'automne 2002 par la galerie l'Oeuvre de l'Autre

en compagnie de KYOZAKU, une composition pour percussions électroniques, accompagnant

SCORE. (Parution d’un coffret CD et CD-Rom en 2005). Il a réalisé un corpus de partitions

graphiques intitulés DANSER CONTEMPORAIN C'EST FACILE pour une danseuse et un musi-

cien et IT'S LIKE PLAYING PIANO IN FRONT OF COWS pour guitare solo et travaille à LES MA-

NUSCRIPTS DE LA MARMOTTE, une série de trois trio et un quatuor pour instrumentations

diverses. Il a réalisé des musiques pour le laboratoire de théâtre-performance LACRIMA TER-

RA de Daniel Danis et composé la musique des documentaires SYMPOSIUM D'ART CONTEM-

PORAIN DE BAIE SAINT-PAUL 2003, HELENE ROY pour le Centre d’art de Baie Saint-Paul et

DANIEL DUTIL pour la Pulperie de Chicoutimi.

Grâce à des bourses de perfectionnement offertes par le Syndicat des chargés de cours de

l'Université du Québec à Chicoutimi, il a réalisé une recherche s'intéressant au travail du

guitariste anglais Derek Bailey et une autre s’intéressant aux relations du sonore et du visuel

en art actuel à travers les concepts de l'indéterminé, du hasard et de l'improvisation ainsi

qu’une recherche sur les rapports entre la photographie et la littérature.

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Il vient de compléter un nouveau corpus de cinquante images grand format intitulé LEÇONS

DE CHOSES PAR L’OBSERVATION et travaille actuellement à une pièce pour saxophone sopra-

no solo intitulée ROSA REGARDANT LES OIES : LES DERNIERS MATINS DE RIOPELLE.