le pater expliqué par les pères, ed. a. hamman, 2eme ed. (ed. franciscaines, 228pp)

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LE PATER expliqué par les Pères PRÉSENTÉ ET TRADUIT PAR ADALBERT HAMMAN, O.F.M. Nouvelle édition considérablement augmentée ÉDITIONS FRANCISCAINES PARIS

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Page 1: Le Pater expliqué par les Pères, ed. A. Hamman, 2eme ed. (Ed. Franciscaines, 228pp)

LE PATER expliqué par les Pères

PRÉSENTÉ ET TRADUIT PAR ADALBERT HAMMAN, O.F.M.

Nouvelle édition considérablement augmentée

ÉDITIONS FRANCISCAINES

PARIS

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DU MEME AUTEUR

LA DocTRINE DE L'EGLISE ET DE L'ETAT cHEZ OccAM

Editions Fransciscaines, Paris, 1942

PRIÈRES DES PREMIERS CHRÉTIENS

Librairie Fayard, Paris, 21• édition

LA GESTE DU SANG

Librairie Fayard, Paris, 1953

LE MYSTÈRE DU SALUT, Collection Credo Librairie Plon, Paris, 1954

L'APOSTOLAT DU CHRÉTIEN, Collection Credo Librairie Plon, Paris, 1956

LEs PRIÈREs EucHARISTIQUES DES PREMIERS SIÈCLES

Desclée de Brouwer, 1957

NAISSANCE DES LETTRES CHRÉTIENNES, Collection Ictus

L'EMPIRE ET LA CROIX (même collection)

LA PHILOSOPHIE PASSE AU CHRIST

Paris, 1957

LA PRIÈRE. 1. LE NouvEAU TESTAMENT

Desclée et Cie, 1959

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A Jacques et Jacqueline, à Jean et Geneviève,

à tant de visages que la prière

du Seigneur rassemble ...

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PRÉFACE à la nouvelle édition

En rassemblant les Prières des premiers chrétiens pour la col­lection dirigée par M. Daniel~Rops, nous avions fourni un pre­mier choix de commentaires du Pater. L'intérêt de ces explications de la Pt'ière du Seigneur, l'actualité du sujet au moment du pèleri~ nage des étudiants à Chartres, qui, en 1952, avait le Pater comme thème de méditation rendaient utile la publication à part de ces textes,

La première édition du Pater expliqué par les Pères étant épui­sée, nous pmfitons de l'édition nouvelle pour enrichir le dossier des commentaires. Le lecteur s'apercevra aisément que le livre en est plus que doublé. D'autres témoins ont été cités : Jean Chrysos­tome, Jean Cassien, Pierre Chrysologue. Les commentaires de saint Augustin se sont multipliés. Encore n'avons~nous pas épuisé toutes les ressources.

L'intmduction à ces paraphrases s'est élacgie. Nous faisons bénéficier le lecteur de travaux théologiques, publiés depuis lors. Il importe de déceler les thèmes bibliques sous~jacents à la Prière du Seigneur. Les Pères, soucieux en premier lieu de la formation morale de leurs ouailles, ont recherché les applications concrètes et directement pratiques. Leur commentaire s'appuie toutefois à une théologie dont il sera aisé de retmuver les fondements.

De la sorte « le bréviaire de l'Evangile », selon le mot du Ter­tullien, qui nous apprend à din~ Abba, Père, nous dévoile à la fois le Père caché et notre mission sur la terre. Notre seule ambition est d'avoir voulu rendre plus contraignante cette prise de conscience.

Notre~Dame des Buis, Besançon

Assomption 1961.

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INTRODUCTION

Les évangiles nous rapportent deux formules de la Prière du Seigneur; la plus longue - et sans doute la plus explicite - est celle de saint Matthieu, à laquelle l'Eglise sera traditionnelle~neht fidèle. L'autre, plus courte, conservée chez l'évangéliste de la prière, saint Luc, nous fournit le contexte probable du Pater.

Jésus l'aurait appris à ses disciples, selon les Pères Abel et Lebreton, sut· le versant oriental du Mont des Oliviers.

Déjà les disciples du Précurseur - et donc Jean et Pierre -possédaient une prière pour leur groupe. Quand la commttnattté apostolique est formée, et que les Douze prennent conscience de leur unité, ils demandent au Maître une prière qui forge leut communauté avec lui et entre eux (Luc, 11, 1). Et Jésus leur en sei· gne le Pater : «Vous direz :Notre Père.»

UTILISATION LITURGIQUE.

Dès l'origine de l'Eglise, le Pater apparaît comme la prière du chrétien. Elle est comme la présence du Christ invisible, au milieu des communautés qui se forment, en Palestine, en Syrie, dans le bassin méditerranéen.

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12 LE PATER

Nous trouvons la première allusion au Pater, dans la lettre de Polycarpe aux Philippiens (6, 2). Dévêque de Sm y me y exhorte les prêtres à la charité et ajoute : « Vous priez le Seigneur de vous pardonner, pardonnez à votre tour. »

V ers la même époque, la Didachè ou Doctrine du Seigneur, écrit :

«Ne priez pas comme les hypocrites, mais selon que le Seigneur l'a ordonné dans l'Evangile, priez ainsi :

Notre Père, qui es au ciel, que ton nom soit sanctifié, que ton règne arrive, que ta volonté soit faite comme au ciel, sur la terre ; donne~nous aujourd'hui notre pain quotidien et remets~nous notre dette, de même que nous remettons à nos débiteurs, et ne nous induis pas en tentation, mais délivre~nous du mal ; car à toi est la puissance et la gloire dans les siècles. Priez ainsi trois fois. » 1

La Didachè reproduit, comme on le voit, le Pater, selon la forme de saint Matthieu. Sous l'influence de l'usage liturgique, on lui ajoute une doxologie, qui se trouve aussi dans bon nombre de manuscrits et de versions de saint Matthieu. La même doxologie conclut une des prières eucharistiques de la Didachè (1 0, 5) : « Rassemble~la des quatre vents, cette Eglise sanctifiée, dans le royaume que tu lui as préparé; car à toi est la puissance et la gloire dans les siècles. »

Trois fois par jour l'Oraison dominicale est récitée par les fidèles. Ce rythme est vraisemblablement d'origine juive ; la syna­gogue tenait à cette prière ternaire, le matin, à midi (à la neuvième heure) et le soir, au coucher du soleil. Aux Juifs devenus chré­tiens on a dû offrir la Prière du Seigneur.

Aussi, dans la littérature patristique, le Pater est~il le texte le plus tôt et le plus fréquemment commenté. Tertullien, le premier, dans son traité Sur la Prière, explique l'Oraison dominicale. Il sem­ble bien qu'à cette époque déjà, on récitait solennellement le Pater, dans la liturgie baptismale. De cet usage pourrait provenir la variante de la deuxième demande, que nous rencontrons chez Tet-

1. Didachè, 8, 2-3. Nous donnerons les commentaires principaux que les Pères ont consacrés au

Pater. Le texte publié est complet, sauf de rares coupures pour des passages sans intérêt.

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INTRODUCTION 13

tallien (et plus tard chez Gz•égoire de Nysse). « Que vienne ton Esprit~Saint et nous purifie. » Cette variante a pu être provoquée par l'imposition des mains au baptême. Tertullien écrit dans son traité Sur le baptême : « Puis on impose la main et on invoque l'Esprit~Saint. »

Saint Cyprien intitule son traité sur la prière : De l'Oraison dominicale. Il y relève surtout le caractère communautaire du Pater. « C'est une prière publique et commune, et, quand nous prions, nous ne prions pas seulement pour une personne, mais pour le peuple tout entier; car ce peuple tout entier, c'est un seul corps que nous sommes. » Il revient sur cette idée, dans sa correspondance,

Quand le Pater passa~t~il dans la liturgie sacramentaire ? Pout le baptême, il est possible que ce soit chose faite au me siècle. Mais nous n'avons que l'allusion indirecte de Tertullien, pour nous en convaincre.

V ers la moitié du IV" siècle, les Constitutions apostoliques attes~ tent l'usage de la Prière du Seigneur, mais n'en font mention ni dans la liturgie du baptême ni dans celle de l'eucharistie.

Nous trouvons le Pater dans la célébration eucharistique pour la première fois, chez Cyrille de férusaleml, En exposant la messe, aux jeunes baptisés, l'évêque de Jérusalem place le Notre Père, après l'anaphore consécratoire et avant la communion. Tout le peuple dit le Pater avec le prêtre.

Dans la liturgie de saint Jacques 2 et dans celle de saint Marc, qui sont de la même époque, nous trouvons le Pater, entonné par le célébrant et récité par la foule. Nous le rencontrons à la même place, dans la Liturgie des Douze Apôtres, introduit par cette prière :

« Seigneur miséricordieux et bon, tu es célébré, loué, exal~é et glorifié par~dessus tout. R.ends~nous dignes, nous tes pauvres et humbles serviteurs, de dire, de réciter, de clamer, avec pureté el sainteté : Notre Père qui es aux cieux. » Et le peuple dit : Notre Père ... 3

1. Chez Optat de Milève, cf. Chirat. L'assemblée chrétienne à l'âge apo:J­tolique, 147. note 3.

2. Liturgie de saint Jacques, éd. MERCIER, Paris, 1946, 111. 3. Liturgie des Douze apôtres, éd. RAES, Rome, 1946, 252-254.

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La courte préface introductoire se trouve également dans la litur­gie latine comme l'atteste saint Hilaire 4• La formule romaine remonte peut-être à saint Cyprien 5 . Saint Jérôme en affirme la haute antiquité 6 , La liturgie milanaise, à en juger d'après le traité Sur les Sacrements, de saint Ambroise, plaçait également la récitation du Pater, après l'anaphore. Son usage au IV8 siècle est donc commun à toutes les liturgies eucharistiques, depuis Jérusalem, jus­qu'à Constantinople, et de Rome JUsqu'en Gaule 7 •

Saint Augustin, comme Théodore de Mopsueste, nous décou­vrent la place que le Pater occupe dans la préparation et l'adminis­tration du baptême, en Afrique et en Asie-Mineure.

Les catéchumènes jugés dignes de recevoir le baptême, étaient désignés dès le début du carême. La préparation comprenait, surtout pendant les dernières semaines, l'explication du symbole des Apôtres et du Pater : c'était la traditio Symboli et Orationis dominicre. Les candidats devaient apprendre ces formules par cœur et les réciter solennellement le jour du baptême.

Saint Augustin dit dans un sermon : « Retenez bien cette prière (l'Oraison dominicale), il vous faudra la réciter en huit jours. Ceux qui ne savent pas encore convenablement le Symbole ont encore du temps devant eux, qu'ils l'apprennent exactement, car ce n'est que samedi prochain (Samedi-Saint) que vous devez le réciter devant tous les assistants, car c'est ce jour-là que vous serez bap~ tisés. C'est également en huit jours, à partir d'aujourd'hui, que vous devrez réciter la prière' (Pater) que vous apprenez en ce moment 8 • >)

Encore que le Seigneur n'ait pas composé le Pater pour l'usage liturgique, il était naturel que sa prière trouvât une place d'hon-

4. Corn. in Psal. 18, 15, P.L. 9, 510. 5. « Dominus inter cretera salutaria sua monita et prrecepta divina, quibus

populo suo consulit ad salutem, etiam orandi ipse formam dedit, ipse quid prrecaremur monuit et instruit.» De l'Oraison dominicale, 2. P.L. 4, 520.

6. Dia(. contra Pelag. 3, 12, P.L. 23, 665. 7. Pour l'iconographie, l'ostrakon du Iv" siècle gui conserve le texte du Pater

est reproduit et étudié par dom Leclercq, Dict. d'archéol. et de lit., xi, 203-205. 8. Serm. 58, 5. (voir plus loin, p. 145).

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heur dans la liturgie sacramentaire. Baptême et Eucharistie sont les deux sacrements qui forment l'Eglise. En les recevant, les [idè~ les redisent le Notre Père, et, par là, prennent conscience de la grande unité chrétienne qui les relie à l'Eglise, rassemblée, de tous les vents et de tous les horizons, autour du Christ, le coryphée invisible.

STRUCTURE DU NOTRE PERE

Le Pater se partage en deux parties :' l'une a Dieu pour objet, l'autre, les hommes. Les trois demandes qui concernent Dieu fout• nissent, en abrégé, la révélation de l'Ancien Testament, en respec~ tant le rythme de sa progression 1 .

Que ton nom soit sanctifié récapitule la première t•évélation, faite à Moïse, de la transcendance de Dieu : Voici en quels termes tu t'adresseras aux enfants d'Israël : « Je suis» m'a envoyé vers vous. Dieu se choisit un peuple, afin qu'il témoigne devant les nations et le monde du Dieu vivant, qui est le Dieu du ciel et de la terre entière.

Que ton règne arrive. De ces Hébreux dispersés Dieu [ait une nation, puis un royaume dont il demeure le Souverain. Le roi David, figure du Christ, ébauche la première approche du royaume de Dieu sur terre que le Christ vient instaurer parmi les hommes, /ésus res­taure la souveraineté divine.

Que ta volonté soit faite. Le royaume d'Israël a été précaire, les divisions eurent vite fait de le lézarder, le péché était une offense àla. souveraineté divine. Le désastre, l'humiliation, l'exil, la sou[~ france préparent les esprits à lire la Loi de l'intérieur, à y décou­vrîr la volonté bienveillante du Père et d'y répondre, par un retour-­nement du cœur, dans un échange d'amour.

Ces révélations progressives qui balisent l'histoire d'Israël abou~ tissent à leur terme, dans le Christ qui les récapitule. Il leur apporte la plénitude, en manifestant l'amour de son Père, toujours à l'œuvre.

(1) On trouvera un commentaire théologique du Pater dans notre étude à laquelle nous nous permettons de renvoyer le lecteur : La Prière. 1. Le Nouveau Testament, Paris-Tournai, 1959.

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Les diverses demandes que le Pater met sur nos lèvres ne sont autres que celles qui ont inspité chez lui action et prière. Le Nou~ vel Israël, dans la Prière du Seigneur, demande que l'histoire sacrée de son élection atteigne, elle aussi, la plénitude du Christ.

La structure de la seconde partie du Pater est plus difficile à déceler. Les textes parallèles, dans la littérature biblique et rabbi~ nique, sont beaucoup moins éclairants. Jésus semble prendre ici une voie empirique, ascendante, celle~là même que suit la pédagogie de Dieu. Les trois dernières demandes répondent à la nouveauté de l'Evangile.

Donne~nous aujourd'hui notre pain quotidien. Trop facilement les commentateurs ont passé au plan surnaturel. C'est une des fai~ blesses de nombre de pataphtases patristiques. Il s'agit bien d'abord et essentiellement du pain du corps. Dieu l'a donné en forme de manne, pendant que les Juifs marchaient à travers le désel't. Puis il lui octroya le sol fertile de Canaan. A la foule, Jésus apporte le pain nécessaire, avant de parler de nourriture spirituelle, et pout que cette dernière prenne sa pleine signification. Ainsi va le chemi­nement des choses de Dieu.

Pardonne~nous nos offenses. Cette demande tient compte de la condition de l'homme : il est pécheur. Sa conversion n'est jamais achevée. Le juste tombe. La prière ne peut donc être qu'un cri, le même, déjà poussé par le psalmiste, et exprimer un besoin que le Christ lui~même est venu découvrir aux hommes. Mais cette demande a ses exigences : la situation de l'homme devant Dieu est identique à celle des hommes entre eux. Dieu ne pardonne que si l'homme a déjà pardonné à son prochain. Les Pères se complaisent à illustrer cette vél'it:é pat la parabole du serviteur insolvable. Saint Cyprien la redonne toute entière.

Ne nous induis pas en tentation. La faiblesse de l'homme ne provient pas aniqtœment de sa condition : il est sans cesse en butte aux assauts du 1\!Jalin. La Bible, depuis la première chute jusqu'à la lutte finale, nous montre le démon à t œuvre. L'exemple du Christ prouve que l'affrontement avec le Tentateur est inévitable. Mais la victoire de Jésus motive notre confiance : J'ai vaincu. Celui qui se fie en lui Paincra à son tour.

Est~il témétaire de trouver un parallélisme entre ces tl'Ois der~ nières demandes et les trois premières ? Dieu prend soin du peuple

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auquel il se révèle. Le péché est une dette à l'endroit de sa seigneu­rie : elle seule a puissance de le remettre. Enfin, la tentation met à nu l'opposition entre la volonté de l'homme et celle de Dieu.

Si telle est la signification des trois demandes parallèles, for• mulées dans le Pater, nous pouvons mesurer la plénitude que Jésus apporte à l'histoire du peuple de Dieu. Il est l'accomplissement nécessaire pour· les hommes qui désormais constituent l'Israël nouveau.

A qui méditera la Prière du Seigneur elle révélera en abrégé toute l'histoire du salut et la réponse qui éclaire notre marche, notre épreuve, notre espérance.

La prière du Seigneur exprime la reconnaissance de la foi : en disant Père, les chrétiens se savent fils de Dieu, appelés au Royaume que la Passion du Christ leur a ouvert. En même temps. les demandes du Pater creusent dans leur âme le brûlant désir que s'accomplisse le rassemblement universel, à travers le déroule­ment du temps, depuis les origines jusqu'à la consommation du monde, « quand nous nous hâterons d'aller étreindre nos espérances :..

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TERTULLIEN t après 220

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20 LB PATER

Fils d'un centurion romain de Carthage, Tertullien cultive d'abord la rhétorique, puis le droit. Vers l'âge de trente ans, il se convertit au christianisme. Il apporte à la jeune Eglise sa fougue africaine et son sens juridique. Il pourfend avec véhémence les hét'é­tiques de toutes nuances, puis passe lui~même, emporté par son esprit absolu, au rigorisme des Montanistes. Il meurt avant de s'être réconcilié avec l'Eglise.

En même temps que le défenseur de l'Eglise, Tertullien est le fondateur de la théologie latine. Sa phrase est nerveuse, son expression lapidaire, comme le montre son traité De la prière, d'où nous extrayons le commentaire du Pater : « Autant de pensées que de mots», a dit Vincent de Lérins. Les formules de Tertullien forgent le latin de l'Eglise romaine.

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TERTULLIEN 21

Notre Père qui es aux cieux1

L'Oraison dominicale est vraiment l'abrégé de tout l'Evangile. Elle commence par un témoignage rendu à Dieu et par un acte de foi quand nous disons : Notre Père qui es aux cieux. Nous prions Dieu, et nous proclamons notre foi, par cette invocation, 11 est écrit : A ceux qui l'ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu (Jean, 1. 12). D'ailleurs le Seigneur appelle souvent Dieu, notre Père: bien mieux, il nous a ordonné de n'appeler personne sur terre du nom de Père : de réserver ce nom au Père céleste (Matth., 23, 9), En priant de la sorte, nous obéissons donc à sa volonté. Heureux ceux qui reconnaissent le Père 1

Dieu adresse le reproche à Israël, l'Esprit prend à témoin ciel et terre, en disant : rai engendré des fils, mais ils ne m'ont pas reconnu (Is., 1, 2). L'appeler Père, c'est le reconnaître comme Dieu. Ce titre est un témoignage de piété et de puissance. Nous invo­quons aussi le Fils dans le Père. Le Père et moi, dit~il, nous sommes un (Jean, 10, 30). N'oublions pas non plus l'Eglise, notre mère. Nommer le Père et le Fils, c'est proclamer la Mère, sans qui il n'est ni Fils ni Père, Ainsi, par un seul mot, nous l'adorons avec les siens, nous obéissons à son précepte, et nous désavouons ceux qui ont oublié leur Père 2,

L'expression Dieu le Père n'avait jamais été révélée à per­sonne. Lorsque Moïse lui~même demanda à Dieu, qui il était, il entendit un autre nom. A nous ce nom a été révélé dans le Fils. Car ce nom implique le nom nouveau de Père. Je suis venu au nom de mon Père (Jean, 5, 43), Et ailleurs : Père, glorifie ton nom : et plus explicitement encore : J'ai manifesté ton nom aux hommes (Jean, 1 7,6). Nous lui demandons donc :

1. Nous laissons au lecteur le soin de faire le travail comparetif des textes et des commentaires patristiques. Notre intention est simplement de leur en fournir les éléments. Il est facile de discerner par exemple l'inHuence considérable exercée par Tertullien sur Cyprien et plus tard sur Augustin.

Texte latin du traité de Tertullien. De la Prière, 1-10, P. L. 1, 1153-1165.

2. Cyprien, en commentant le même texte, explicite la pensée de Tertullien et précise qu'il s'.agit des Juifs.

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Que ton nom soit sanctifié

Non point qu'il convienne à J'homme de faire des vœux pour Dieu, comme si on pouvait lui souhaiter quelque chose, ou qu'il en manquât, sans nos vœux. Mais nous devons bénir Dieu en tout temps et en tout lieu, pour acquitter l'hommage de reconnais~ sance que tout homme doit à ses bienfaits. La bénédiction remplit cet office. D'ailleurs comment le nom de Dieu ne serait~il pas tou­jours saint et sanctifié en lui-même, puisqu'il sanctifie les autres. Et l'armée des anges qui l'entoure ne cesse de dire : Saint, Saint, Saint (Isaïe, 6, 3). Et nous, qui aspirons à partager la béatitude des anges, nous nous associons dès maintenant à leurs voix, et nous répétons le rôle de notre dignité future. Voilà pour ce qui regarde la gloire de Dieu.

Quant à la prière que nous formulons pour nous, lorsque nous disons : Que ton nom soit sanctifié, nous demandons qu'il soit sanc­tifié en nous, qui sommes en lui, mais aussi dans les autres que la grâce de Dieu attend encore, afin de nous conformer au précepte qui nous oblige de prier pour tous, même pour nos ennemis. Voilà pourquoi ne pas dire expressément : Que ton nom soit sanctifié en nous. c'est demander qu'il le soit dans tous les hommes.

Que ta volonté soit faite sur la terre comme dans les cieux

Aucun obstacle ne peut évidemment empêcher la volonté de Dieu de s'accomplir; nous ne lui souhaitons pas davantage le succès dans l'exécution de ses desseins, mais nous demandons que sa volonté soit faite chez tous les hommes. Derrière l'image de chair et d'esprit. c'est nous-mêmes qui sommes désignés par ciel et terre. Mais, même au sens obvie, la nature de la demande reste la même, c'est-à-dire, que la volonté de Dieu s'accomplisse en nous sur la terre, afin qu'elle puisse s'accomplir en nous, dans le ciel. Or, la volonté de Dieu, quelle est-elle, sinon que nous suivions les voies de son enseigne­ment? Nous le supplions donc de nous communiquer la substance et l'énergie de sa volonté, afin que nous soyons sauvés sur la terre et dans les cieux, car sa volonté essentielle est de sauver les enfants qu'il a adoptés, Cette volonté de Dieu le Seigneur l'a réalisée par la parole, l'action et la souffrance. Dans ce sens il a dit qu'il faisait non pas sa volonté mais celle de son Père.

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TERTULLIEN 23

Il n'y a pas de doute qu'il faisait la volonté de son Père : tel est aussi l'exemple qu'il nous donne aujourd'hui : prêcher, travail~ ler, souffrir jusqu'à la mort. Pour l'accomplir, nous avons besoin de la volonté de Dieu. en disant : Que ta volonté soit faite, nous nous félicitons de ce que la volonté de Dieu ne soit jamais un mal pour nous, même s'il nous traite avec rigueur, à cause de nos péchés.

De plus, nous nous encourageons nous~mêmes à la souffrance par ces paro!es. Le Seigneur, pour nous montrer, au milieu des angoisses de sa Passion, que la faiblesse de notre chair se trouvait dans la sienne, dit lui aussi : Père, ·éloigne ce calice. Puis il se ravise : Que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne (Luc, 22, 12) 3 •

Il était lui~même la volonté et la puissance du Père : mais pour nous apprendre à payer la dette de la souffrance, il se remet tout entier à la volonté du Père.

Que ton règne arrive

Cette demande se rapporte à la précédente : Que ta volonté soit faite, c'est~à~dire : que ton règne s'accomplisse en nous. Quand donc Dieu ne serait~il pas roi, lui qui, dans sa main, tient les cœurs des rois (Prov., 21 1) ? Mais tout ce que nous souhaitons pour nous~ mêmes, nous le rapportons à lui, nous le sanctifions en lui, parce que c'est de lui que nous l'attendons. Si l'avènement du royaume de Dieu s'accorde avec sa volonté et réclame notre attente, d'où vient que certains redemandent avec larmes un être qui a été sous~ trait au siècle, puisque le règne de Dieu, dont nous demanderons l'avènement, tend à mettre fin à ce siècle? Nous demanderons de régner plus promptement, pour échapper plus vite à l'esclavage.

Quand bien même cette prière ne nous aurait pas fait un devoir de demander l'avènement de ce règne, nous aurions de nous~mêmes poussé ce cri, en nous hâtant d'aller étreindre nos espérances (Heb., 1, 11 ) . Les âmes des martyrs, sous l'autel, invoquent le Sei~ gneur à grands cris : Jusques à quand, Seigneur, tarderas~tu à demander compte de notre sang aux habitants de la terre (Apoc., 6, 10) ? Ils doivent, en effet, obtenir justice, à la fin des temps. Sei~ gneur, hâte donc la venue de ton règne l C'est le vœu des chrétiens,

3. Nous utilisons habituellement J'excellente traduction d'Osty (Le Nouveau Testament).

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LE PATER

la confusion des infidèles, le triomphe des anges ; c'est pour lui que nous souffrons, ou plutôt, c'est lui que nous appelons.

Donne~nous notre pain de chaque jour

Avec quel art la sagesse divine a disposé toutes les parties de cette prière 1 Après les choses du ciel, c' est~à~dire après le nom de Dieu, la volonté de Dieu, le règne de Dieu, viennent les nécessités de la terre, auxquelles il a voulu réserver une place. Le Seigneur n'avait~il pas dit : Cherchez premièrement le royaume, et tout cela vous sera donné de surcroît (Matthieu, 6, 33) ?

Toutefois, il convient peut~être davantage de donner un sens spirituel à ces paroles : Donne~nous aujourd'hui notre pain de cha~ que jour. Car le Christ est notre pain, parce qu'il est notre vie et que notre vie c'est le pain. Je suis le pain de vie, a~t~il dit (Jean, 6, 35). Et un peu plus haut : Le pain est le Verbe du Dieu vivant descendu du ciel 4• D'ailleurs son corps est signifié par le pain : Ceci est mon corps (Luc, 22, 10).

Ainsi donc, en demandant notre pain de chaque jour, nous demandons à vivre sans cesse dans le Christ, à nous identifier avec son corps. Mais l'interprétation littérale, d'ailleurs en accord avec la foi et la discipline, reste parfaitement valable. Elle nous ordonne de demander du pain, la seule chose qui soit nécessaire aux fidèles : Aux païens de se préoccuper de tout le reste (Matth., 6, 33) !

C'est d'ailleurs ce que le Seigneur nous inculque par des exem~ pies, et qu'il évoque dans ses paraboles, quand il dit : Un père prend~il le pain aux enfants pour le donner aux chiens (Matth., 15, 26) ? De même : Si le fils demande du pain, qui lui donnera une pierre (Matth. 7, 9) ? Il montre par là ce que les enfants sont en droit d'attendre de leur père. C'est aussi ce que demande cet homme qui vient, de nuit, frapper à la porte.

A bon droit, il ajoute : Donne~nous aujourd'hui; il avait dit auparavant : Ne vous inquiétez pas de votre nourriture de demain (Matth., 6, 32). C'est encore pour enseigner cette vérité que le Seigneur expose la parabole de cet homme qui rassemble dans ses

4. Citation qui n'est pas littérale.

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TERTULLIEN 25

greniers une récolte abondante, se mesure à lui~même un long temps de sécurité et meurt, la nuit même (Luc, 12, 16).

Remets~nous nos dettes

Après avoir invoqué la libéralité de Dieu, il était naturel d'implo­rer sa clémence. A quoi nous serviront les aliments, s'ils ne font que nous engraisser comme des taureaux destinés aux sacrifices ? Le Seigneur savait être seul sans péché. Il nous enseigne donc de dire : Remets~nous nos dettes. L'exomologèse 5 est une demande de pardon, car solliciter le pardon, c'est avouer son péché. Cela nous prouve que la pénitence est agréable au Seigneur, puisqu'il la pré­fère à la mort du pécheur.

Le mot dette dans l'Ecriture est une image du péché : en péchant nous contractons la dette de jugement, qu'il nous faudra payer jus~ qu'au dernier centime, à moins qu'elle ne nous soit remise, comme celle que le maître remet à son serviteur (Matthieu, 18, 27). Cette parabole n'a pas d'autre signification. En effet, ce serviteur, qui a bénéficié de la clémence de son maître, poursuit durement son pro­pre débiteur ; mais le maître le fait comparaître devant lui, pour le livrer au bourreau, jusqu'à ce qu'il ait acquitté jusqu'au dernier quart d'as. Son exemple nous montre que nous devons remettre leurs dettes à nos débiteurs. Ailleurs déjà, le Seigneur avait dit, sous forme de prière : Remettez et on vous remettra (Luc, 6, 37), Et quand Pierre lui demande s'il doit pardonner à son frère jusqu'à sept fois, Jésus répond : fe ne te dis pas jusqtt'à sept fois, mais jusqu'à soixante~dix fois sept fois (Matthieu, 18, 22), afin de par­faire la Loi où il est dit au livre de la Genèse : Caïn sera vengé sept fois et Lamech soixante~dix fois sept fois (Gen., 4, 24).

Et ne nous induis pas en tentation

Pour parfaire cette prière si concise, nous prions Dieu non seu­lement de nous remettre nos dettes, mais d'écarter entièrement de nous le péché : Et ne nous induis pas en tentation, c'est~à~dire ne permets pas que nous soyons séduits par le tentateur. Mais que le

5. Mot grec, qui signifie l'aveu des fautes, Ce terme exprime aussi la pén.l­tence publique, aux premiers siècles chrétiens.

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ciel nous préserve de croire que Dieu puisse nous tenter, comme s'il ignorait la foi de chacun de nous ; encore moins pour la saper. Impuissance et malice sont du démon. Quand le Seigneur ordonna jadis à Abraham de lui sacrifier son fils, ce fut moins pour tenter sa foi que pour la manifester, afin que le patriarche devînt pour nous une vivante illustration du précepte qu'il enseignerait plus tard, à savoir que nous devons préférer Dieu à tout ce que nous avons de plus cher.

J ésus~Christ lui~même se laissa tenter par Satan pour nous faire découvrir, en ce dernier, le chef et l'artisan de la tentation. Il confirme cette vérité, quand il dit ensuite : Priez pour ne pas entrer en tentation (Luc, 22, 46). Cela est si vrai qu'ils furent tentés en abandonnant le Seigneur, pour avoir préféré se livrer au sommeil que de vaquer à la prière. La dernière demande nous explique d'ailleurs ce que signifie ne nous induis pas en tentation, c'est~à­dire : Mais délivre~nous du mal.

Dans quelques mots, que d'oracles, empruntés aux prophètes, aux Evangiles, aux Apôtres 1 Que de discours du Seigneur, de paraboles, d'exemples, de préceptes 1 Que de devoirs exprimés! Hommage rendu à Dieu par le titre de Père, témoignage de foi dans son nom, acte de soumission à l'égard de sa volonté, mémoire de l'espérance en la venue de; son règne, demande de la vie dans le pain, aveu de nos péchés, souci des tentations, en réclamant protection. Quoi d'étonnant? Dieu seul a pu nous apprendre comment il voulait être prié. C'est donc lui qui règle la religion de la prière et l'anime de son esprit, au moment où elle sort de sa bouche, lui commu­nique le privilège de nous transporter au ciel et de toucher le cœur du Père par les paroles du Fils.

Dieu pourvoit cependant aux nécessités humaines. Quand il nous eut légué cette formule de prière, il ajouta : Demandez et vous recevrez (Luc., 11, 8,). Chacun peut donc adresser au ciel diverses prières selon ses besoins, mais en commençant toujours par la Prière du Seigneur qui demeure la prière fondamentale.

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CYPRIEN DE CARTHAGE

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Cyprien est issu d'une famille riche et païenne, Il fut touché pat' la grâce, alors qu'il était à Carthage un brillant rhéteur. Deux ans à peine plus tard, une 'élection presque unanime le portait au siège métl'opolitain de Carthage qu'il devait illustrer à jamais. Il eut à diriger l'Eglise pendant la terrible persécution de Dèce.

Il écrit pour accomplir sa charge pastorale. Sa phrase possède le rythme et la dense sobriété de la liturgie romaine. Il compose un commentaire de « La Prière da Seigneur », que saint Augustin utilise dans sa controverse avec les Pélagiens, et que saint Hilaire apprécia au point de se dispenser d'expliquer le Pater, en commen­tant saint Matthieu 1,

1. Texte latin de De Gratiane dominica, P. L. 4, 521. La traduction du commentaire, publiée ici, a paru dans Prières des premiers

chrétiens, Paris, Librairie Fayard, 200 édition, 1959. Nous la reproduisons, avec la bienveillante autorisation de l'éditeur.

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Prions donc, mes frères, comme le Maître nous l'a enseigné. La prière qui implore Dieu avec ses propres paroles, qui monte à lui avec la formule même du Christ, lui est douce et familière. Le Père reconnaît les paroles de son Fils quand nous prions, Celui qui habite dans notre cœur s'exprime aussi dans notre parole. Il est auprès du Père notre avocat pour nos péchés quand donc nous, pécheurs, nous prions, nous avons sur nos lèvres les paroles de notre avocat. Il a dit : Tout ce que vous demanderez à mon Père, en mon nom, il vous le donnera, combien plus efficace sera notre prière au nom du Seigneur, si nous demandons avec ses propres paroles l

Et d'abord le Maître de la paix et de l'unité n'a pas voulu que nous priions individuellement et à part, afin que celui qui prie ne prie pas uniquement pour lui. Nous ne disons pas : Mon père, qui es dans le ciel, ni : donne~moi mon pain quotidien, Et chacun ne prie pas uniquement pour soi, que Dieu lui remette sa dette : ou qu'il ne le soumette pas à la tentation et qu'il le délivre du mal.

Notre prière est publique et communautaire, et quand nous prions, nous ne prions pas pour un seul mais pour tout le peuple, car avec tout le peuple nous sommes un. Le Dieu de la paix et le maître de la concorde, qui nous enseigne l'unité, a voulu que chacun prie pour tous comme lui~même nous a tous portés en un.

Les trois jeunes gens dans la fournaise ont observé cette loi de la prière, ils étaient unis dans la prière et ne faisaient qu'un cœur. L'Ecriture en témoigne, et nous renseignant sur leur façon de prier, elle nous donne un exemple à imiter dans notre prière. afin de pouvoir leur ressembler. Alors, dit~elle, les trois comme d'une seule bouche chantaient et bénissaient Dieu (Daniel, 3, 51).

Ils parlaient comme d'une seule bouche, et pourtant le Christ ne leur avait pas encore appris à prier. Leur supplication fut puis­sante et efficace, parce qu'une prière paisible, simple et spirituelle oblige Dieu. Tous, est~il dit, d'un même cœur persévéraient dans la prière, avec quelques femmes dont Marie, la mère de Jésus, et avec ses frères (Actes, 1, 14).

D'un même cœur ils persévéraient dans la prière, ce qui mani­feste à la fois leur ardeur et leur unité. Car Dieu qui rassemble dans sa maison ceux qui ont un même cœur, n'admet dans ses demeures divines et éternelles que ceux qui prient en communion, les uns avec les autres.

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Notre Père qui es dans les cieux

Nous DISONS : « PÈRE», PARCE QUE NOUS SOMMES DEVE­

NUS FILS.

Combien nombreuses et grandes sont les richesses de la prière du Seigneur 1 Elles sont ramassées en peu de mots mais d'une densité spirituelle inépuisable, au point que rien ne manque dans ce résumé de la doctrine céleste de ce qui doit constituer notre prière. II est dit : Priez ainsi : Notre Père qui es dans les cieux.

L'homme nouveau, qui est re~né et rendu à son Dieu par la grâce, dit d'abord : Père, parce qu'il est devenu fils. IL est venu chez lui, et les siens ne l'ont pas accueilli. Mais à tous ceux qui l'ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir fils de Dieu, à ceux qui croient en son nom (Jean, I. 12). Celui qui a cru en son nom et qui est devenu fils de Dieu doit commencer par rendre grâces et profes­ser qu'il est fils de Dieu. Et quand il appelle Père le Dieu dans les cieux, il atteste par là mème qu'il renonce au père terrestre et char­nel de sa première naissance, pour ne plus connaître qu'un seul Père qui est dans les cieux 2 • Il est écrit en effet : Ceux qui disent à père et mère, je ne te connais pas, et ne reconnaissent pas leurs enfants, ceux~là ont observé ta parole, et ont gardé ton alliance (Deutéronome, 33, 9).

Le Seigneur de même nous enjoint dans l'Evangile de n'appe­ler personne sur terre notre père, puisque nous n'avons qu'un père qui est dans les cieux. Au disciple qui fait mention de son père défunt, il répond : Laisse les morts enterrer les morts (Mat­thieu, 8, 22). Le disciple parlait d'un père défunt, alors que le Père des croyants est vivant.

DIEU EST LE PÈRE DE CEUX QUI CROIENT ET SONT RE~NÉS PAR LUI.

II ne suffit pas, frères bien~aimés, de prendre conscience que nous invoquons le Père qui est dans les cieux, nous ajoutons : Notre Père, c'est~à~dire Père de ceux qui croient, de ceux qui ont été sanctifiés par lui, et sont re~nés par la grâce spirituelle : ceux­là ont commencé à être fils de Dieu.

2. Qu'on se souvienne du geste de saint François d'Assise, se dépouillant devant l'évêque, en présence de son père, «Désormais, dit-il, je n'ai plus qu'un Père et je puis dire en toute vérité : Notre Père, qui est dans les cieux».

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Cette parole est aussi un blâme et une critique pour les juifs. Ceux~ci ont mépris, dans leur infidélité, le Christ qui leur fut annoncé par les prophètes, et en premier lieu envoyé pour eux, et pour comble l'ont mis cruellement à mort. Ils ne peuvent plus appe­ler Dieu leur Père, puisque le Seigneur leur rétorqua pour leur confusion : Vous avez, vous, le diable pour père et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. Il était, lui, lwmi­cide dès le commencement, et il n'a pas persévéré dans la vérité, parce qu'il n'y a pas de vérité en lui (Jean, 8, 44).

Et par le prophète Isaïe Dieu s'écrie, indigné :

J'ai nourri des enfants et je les ai élevés, et eux se sont révoltés contre moi. Le bœuf connaît son possesseur et l'âne la crèche de son maître : mais Israël ne me connaît pas. Et mon peuple n'a point d'intelligence. Malheur à la nation pécheresse, au peuple chargé d'iniquité, à la race des méchants, aux enfants corrompus. Ils ont abandonné le Seignettl', ils ont méprisé le saint d'Israël (Isaïe, l, 2~4).

Pour les blâmer, les chrétiens disent, en priant : Notre Père : il a en effet, commencé à devenir le nôtre, et cessé d'être celui des Juifs qui l'ont abandonné. Le peuple prévaricateur ne peut pas être fils : mais ceux dont .les péchés furent remis méritent ce titre et reçoivent la promesse de l'éternité, selon la parole du Seigneur: Celui qui commet le péché est esclave du péché (Jean, 8, 34).

L'esclave ne demeure pas dans la maison pour toujours, mais le fils y demeure à jamais.

Sr DIEU EST PÈRE, NOUS DEVONS NOUS COMPORTER COMME DES FILS.

Combien grande est la miséricorde du Seigneur, combien grande est sa faveur et sa bonté, pour nous faire ainsi prier en présence de Dieu, jusqu'à l'appeler Père: et comme le Christ est Fils de Dieu, ainsi nous aussi nous sommes appelés fils. Personne parmi nous n'aurait jamais osé employer ce mot dans la prière : il fallait que le Seigneur lui~même nous y encourage.

Mais il nous faut nous souvenir, frères bien~aimés, quand nous nommons Dieu, notre Père, que nous devons nous comporter en fils de Dieu. Si nous nous complaisons en Dieu, notre Père, il doit pou-

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voir également se complaire en nous. Nous devons être comme les temples de Dieu, où les hommes puissent rencontrer sa présence. Notre conduite ne doit pas trahir l'Esprit ; nous avons commencé à devenir célestes et spirituels, il nous faut penser et accomplir que ce qui est céleste est spirituel. Le Seigneur Dieu lui~même a dit : J'honorerai ceux qui m'honorent, mais ceux qui me méprisent seront méprisés (I Rois, 2, 30). L'apôtre dit dans son épître : Vous ne vous appartenez plus. Vous avez été achetés à grand prix, Glo­rifiez et portez Dieu dans votre corps (1 Corinthiens, 6, 19).

Que ton nom soit sanctifié

PRIONS POUR QUE LA SAINTETÉ DEMEURE EN NOUS.

Après cela, nous disons : Que ton nom soit sanctifié. Non point que nous souhaitions à Dieu qu'il soit sanctifié par nos prières, mais nous demandons à lui, que son nom soit sanctifié en nous. Qui pourrait sanctifier Dieu, puisque lui~même sanctifie ; mais nous inspirant de cette parole : Soyez saints, parce que moi, je suis saint (Lévitique, 20, 26,), nous demandons que, sanctifiés par le baptême, nous persévérions dans ce que nous avons commencé à être. Et cela nous le demandons tous les jours. II nous est nécessaire de nous sanctifier tous les jours, car nous fautons quotidiennement, nous devons purifier nos péchés, par une sanctification sans cesse reprise. Les aspects de cette sainteté, que nous devons à la condescendance divine, sont exprimés par ce texte de l'Apôtre: Ni impudiques, ni idolâtres, ni adultères, ni efféminés, ni infâmes, ni voleurs, ni cupi­des, pas plus qu'ivrognes, calomniateurs ou escrocs, n'entreront dans le royaume de Dieu: Et c'est bien ce que vous étiez ; mais vous avez été purifiés, mais vous avez été justifiés, mais vous avez été sanc­tifiés par le nom du Seigneur Jésus~Christ, et par l'Esprit de notre Dieu (1 Corinthiens, 6, 9~11).

Il nous déclare donc sanctifiés par le nom de notre Seigneur, Jésus~Christ, et par l'Esprit de notre Dieu. Nous recourrons donc à la prière pour que cette sainteté demeure en nous. Souvenons­nous que notre Seigneur et Juge enjoint à l'homme qu'il venait de guérir et de rendre à la vie, de ne plus pécher, de peur qu'il ne lui arrive pire encore (Jean, 5, 14) ; c'est pourquoi nous nous deman~ dons sans cesse, nous prions nuit et jour, afin de pouvoir conserver avec le secours de Dieu, la sainteté et la vie que nous devons à sa grâce divine.

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Que ton règne arrive

Nous DEMANDONS QU'ARRIVE LE RÈGNE QUE DIEU NOUS A PROMIS.

La prière se poursuit : Que ton règne arrive. Nous demandons que pour nous soit rendu présent le règne,

comme nous souhaitions qu'en nous son nom soit sanctifié. Dieu peut-il ne pas régner ? Quand pourrait commencer ce qui a tou­jours existé et ne peut finir? Nous prions pour l'avènement du règne promis, à nous acquis par le sang et la passion du Christ. Auparavant nous étions esclaves, nous demandons de régner, sous la souveraineté du Christ. Lui-même nous l'a promis, lorsqu'il disait : V enez les bénis de mon Père, prenez possession du royaume préparé pour votts, depuis la fondation du monde (Mathieu, 25, 34).

Il se peut même, frères bien-aimés, que le règne de Dieu signi­fie le Christ en personne, lui que nous appelons tous les jours de nos vœux, et dont nous voudrions hâter l'avènement par notre attente. Comme il est notre résurrrection - car en lui nous ressusci­tons- il peut aussi être le règne de Dieu, car en lui nous règnerons.

A bon droit nous demandons le règne de Dieu, c'est-à-dire le règne du ciel. qui comprend aussi celui de la terre. Mais celui qui a fait fi du siècle est au-dessus de ses honneurs et de ses royaumes. C'est pourquoi, celui qui s'est donné à Dieu et au Chdst n'aspire pas aux règnes de la terre, mais à ceux du ciel.

Nous avons sans cesse besoin de prier, pour ne pas perdre le royaume du ciel, comme ce fut le cas des Juifs, à qui il fut d'abord promis et qui le perdirent, selon le Seigneur : Beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident prendre place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob, tandis que les fils du royaume seront jetés dans les ténèbres du dehors. Là seront les pleurs et les grincements de dents (Matthieu, 8, 11 ) . Il montre par là que les Juifs, étaient les fils du royaume aussi longtemps qu'ils demeuraient les fils de Dieu. Quand cessa la paternité de Dieu, le règne cessa lui aussi. C'est pourquoi, nous chrétiens, qui dans notre prière avons appelé Dieu, notre Père, nous prions aussi pour que son règne vienne en nous.

Que ta. volonté soit faite

Nous PRIONS POUR QUE SA VOLONTÉ SOIT FAITE EN NOUS.

Nous ajoutons, en disant: Que ta volonté soit faite sur la terre comme dans les cieux. Non pas que Dieu fasse ce qu'il veut, mais que nous puissions faire ce qu'il veut. Qui peut empêcher Dieu de faire ce qu'il veut? Mais nous sommes contrecarrés par le démon,

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qui nous empêche d'obéir en toute chose, intérieurement et exté­rieurement, à la volonté de Dieu. Aussi demandons-nous que sa volonté s'accomplisse en nous; mais pour qu'elle s'accomplisse, il est besoin de son secours. Personne n'est fort par ses propres ressources, mais sa force est dans la bonté et la miséricorde de Dieu.

Le Seigneur lui-même manifeste la faiblesse qu'il avait endossée, lorsqu'il dit: Père, s'il est possible que ce calice passe loin de moi (Matthieu, 26, 39) ! Et pour prouver à ses disciples, qu'il ne faisait pas sa propre volonté mais celle de Dieu, il ajoute : Cependant que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne (Luc, 22, 42). En un autre endroit il précise : Je suis descendu du ciel pout faire non pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a envoyé (Jean, 6, 38).

Si déjà le Fils a pris soin de faire la volonté du Père, à com­bien plus forte raison le serviteur doit-il s'empresser de faire la volonté du Seigneur, comme nous y exhorte Jean dans son épître, lorsqu'il dit: N'aimez ni le monde ni ce qui est dans le monde. Si quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'est pas en lui. Rien de ce qui est dans le monde, en effet - convoitise de la chair, convoitise des yeux, orgueil du siècle, - rien de cela ne vient du Père, mais vient du monde. Or le monde passera avec sa convoitise, mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement, car Dieu demeure éternellement (1 Epître de Jean, 2, 15-17). Ceux qui veulent demeurer éternellement, doivent donc faire la volonté de Dieu qui est éternel.

LA VOLONTÉ DE DIEU EST CELLE QUE LE CHRIST A FAITE ET ENSEIGNÉE.

La volonté de Dieu est celle que le Christ a faite et enseignée. L'humilité dans la conduite, la solidité dans la foi, la modestie dans les paroles, la justice dans les actes, la miséricorde dans les œuvres, la discipline dans les mœurs, ne pas faire de préjudice, supporter celui que l'on nous fait, garder la paix avec les frères, aimer Dieu de tout son cœur, l'aimer, parce que Père, et le craindre, parce que Dieu; ne rien préférer au Christ, puisqu'il nous a préférés à tout, adhérer inviolablement à sa charité, nous tenir sous la croix avec courage et confiance ! quand il s'agit de livrer bataille pour son nom ou son honneur, manifester de la confiance dans les diffi­cultés afin de soutenir la lutte, de la patience dans la mort afin d'obtenir la couronne : Voilà ce que signifie vouloir être cohéritier du Christ, accomplir le précepte de Dieu, faire la volonté de Dieu.

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Nous PRIONS QUE LA VOLONTÉ DE DIEU SE FASSE SUR LA TERRE COMl\Œ DANS LES CIEUX, c'EsT~A~DIRE DANS L'ESPRIT ET DANS LE

CORPS.

Nous demandons que la volonté de Dieu se fasse au ciel comme sur la terre car l'un et l'autre contribuent à l'achèvement de notre salut. Le corps est de la terre, l'esprit, du ciel, nous sommes donc ciel et terre. Et nous prions que dans l'un et l'autre, c' est~à~dire dans notre corps comme dans notre âme, la volonté de Dieu s'accomplisse. Or il y a conflit entre la chair et l'esprit et collision quotidienne entre les deux qui s'entrechoquent. Nous ne faisons pas ce que nous voulons : l'esprit cherche ce qui est du ciel et de Dieu, la chair ce qui est de la terre et du siècle. Aussi demandons~nous avec instance que le secours de Dieu les mette d'accord, que la volonté de Dieu s'accomplisse dans l'esprit et dans la chair, et que soit sauve l'âme que Dieu a fait renaître.

C'est ce que saint Paul nous affirme clairement : Les désirs de la chair sont contraires à ceux de l'esprit, et ceux de l'esprit contraires à ceux de la chair; entre eux il y a opposition, en sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez. On sait ce que produit la chair : adultères, fornications, impuretés, libertinage, idolâtrie, sortilèges, homicides, inimitiés, discorde, jalousie, emportements, cabales, dissensions, [actions, envie, beuveries, orgies, et autres choses semblables. fe vous en préviens, comme je l'ai déjà [ait : ceux qui s'y livrent n'auront pas en partage le royaume de Dieu. Le fait de l'Esprit, au contraire, est charité, joie, paix, longanimité, bonté, foi, mansuétude, tempérance, chasteté (Gala tes 5, 17 ~23).

C'est pourquoi tous les jours, et même à tous les instants, nous demandons dans nos prières que la volonté de Dieu se fasse au ciel comme sur la terre car la volonté de Dieu est que les choses de la terre cèdent le pas aux choses du ciel, que la pare de l'Esprit et de Dieu l'emporte.

AUTRE EXPLICATION DE LA MÊME DEMANDE.

Frères bien~aimés, ces paroles peuvent encore signifier autre chose : Vous savez que le Seigneur nous exhorte à aimer nos enne­mis et à prier pour ceux qui nous persécutent. Nous devons donc prier pour que ceux qui sont encore de la terre et non pas du ciel accomplissent, eux aussi, cette volonté de Dieu à laquelle le Christ s'est soumis parfaitement pour le salut de l'humanité.

Le Christ appelle ses disciples non plus terre, mais sel de la terre et l'Apôtre dit que le premier homme est pris du limon de la

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terre, le second, du ciel ; nous devons ressembler à notre Père du ciel qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, qui accorde la pluie aux justes et aux injustes ; pour cette raison, le Christ nous fait prier pour le salut de tous les hommes a. Au ciel, c' est~à~dire en nous, par la foi, la volonté de Dieu se fait, nous devenons célestes ; de même sur la terre, c' est~à~dire chez les non· croyants, nous demandons que la volonté de Dieu s'accomplisse : que ceux qui par leur première naissance sont encore terrestres, deviennent célestes en naissant de l'eau et de l'Esprit.

DonneHnous aujourd'hui notre pain quotidien

Nous DEJYlANDONS NOTRE PAIN QUOTIDIEN, c'EsT~A~DIRE LE CHRIST,

AFIN QUE NOUS NE QUITTIONS NI SA GRACE NI SON CORPS,

Dans la suite nous demandons : Donne~nous notre pain quoti­dien. Ces paroles peuvent s'entendre au sens spirituel ou au sens littéral : les deux interprétations doivent, dar:.s le dessein providen­tiel, contribuer à notre salut.

Notre pain de vie est le Christ, et ce pain n'appartient pas à tout le monde, mais il est nôtre. Comme nous disons notre Pète, parce qu'il est le Père de ceux qui ont la foi, ainsi nous appelons le Christ, notre pain, parce qu'il est le pain de ceux qui consti­tuent son corps. Pour obtenir ce pain, nous prions tous les jours ; nous ne voudrions pas, alors que nous sommes dans le Christ, et que tous les jours nous recevons l'eucharistie comme la nourriture de notre salut, à cause d'une faute plus grave, être obligés de nous abstenir de la communion. Ce serait nous priver du pain du ciel, nous séparer du corps du Christ, suivant son propre avertissement : fe suis le pain vivant descendu du ciel : si quelqu'un mange de ce pain, il vivra étemellement; et le pain que je donnerai c'est ma chail' pout la vie da monde (Jean, 6, 51).

Il dit : Celui qui mange de ce pain vivra éternellement, pour affirmer que ceux~là vivent qui tendent la main vers son corps4

3. Idée missionnaire que nous sommes heureux de rencontrer. C'est d'ailleurs un exemple exceptionnel de la préoccupation à J'endroit des non-chrétiens.

4. Allusion à la manière dont on distribuait alors la communion : l'officiant plaç<1lt le pain consacré sur la paume de la main droite croisée sur la gauche. Le fidèle se communiait ensuite lui-même.

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et reçoivent l'eucharistie dans la communion; par contre, il faut demander avec crainte que ceux qui volontairement se séparent elu corps elu Christ, ne s'écartent pas du salut. Le Seigneur nous a mis en garde : Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme, et ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en vous (Jean, 6, 53). Nous demandons donc tous les jours de recevoir notre pain, c'est­à~dire le Christ, pour demeurer et vivre dans le Christ, et ne point nous écarter de sa grâce et de son corps.

NOUS DEVONS DEMANDER NOTRE NOURRITURE TOUS LES JOU!W ET NE PAS SOLLICITER A LONGUE ÊCHÉANCE.

Nous pouvons aussi comprendre cette demande de la façon suivante : nous avons renoncé au siècle ; par la grâce de la foi nous avons rejeté ses richesses et ses séductions ; nous demandons sim­plement la nourriture, puisque le Seigneur nous dit : Quiconque ne renonce pas à tout ce qu'il possède ne peut être mon disciple (Luc, 14, 33). Celui qui commence à être le disciple du Christ et renonce à tout, selon la parole du Maître, doit demander la nour­riture du jour, et ne pas se préoccuper à longue échéance. Le Sei­gneur a dit encore : Ne vous inquiétez donc pas poîtr demain, demain s'inquiétera de lui~même. A chaque jour suffit sa peine (Matthieu, 6, 34),

Le disciple demande donc avec raison sa nourriture du jour, puisCJu'on lui interdit de se préoccuper du lendemain. Par contre il n'est pas logique que ceux~ là cherchent à prolonger leur séjour en ce sjècle, qui demandent que le règne de Dieu se hâte d'arriver. L'Apôtre nous en avertit pour former, fortifier et affermir notr:e foi et notre espérance. Nous n'avons rien apporté, dit~il, en ce monde pas plus que nous ne pouvons rien emporter. Aussi quand nous avons la nourriture et le vêtement, devons~norts être satis~ faits. Quant à ceux qui veulent s' emichir, ils tombent dans la tentation, dans le piège, dans nombre de convoitises fanes­tes, qui plongent les hommes dans la ruine et la perdition. L'amour de l'argent est la racine de tous les maux ; ceux qui s'y sont livrés ont fait naufrage dans leur foi et se sorzt infligés à eux~mêmes de nombreux tourments (I Timothée, 6, 7~10).

LE CHRIST NOUS ENSEIGNE QUE LES RICHESSES SONT PLUS QUE MÉPRI­

SABLES : ELLES SONT DANGEREUSES.

Le Christ nous enseigne que les richesses sont plus que mépri~ sables : elles sont dangereuses, elles renferment la racine de tous

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les maux dont les apparences séduisantes et trompeuses induisent en erreur l'esprit humain. A la sottise du riche qui se complaisait dans les richesses de ce siècle, et se rengorgeait de ses récoltes surabondantes, Dieu répliquait : Insensé, on va te la demandet ton âme. Et ce que tu as amassé, qui l'aura (Luc. 12, 20) ?

L'ù1sensé se glorifiait des récoltes, alors que cette nuit~là même, il devait mourir. Il songeait à l'abondance de ses vivres, celui que la vie avait déjà abandonné. Le Seigneur affirmr:, par contre, que celui~là est parfait, qui vend tout ce qu'il possèdf>, le distribue aux pauvres et se constitue un trésor dans le ciel.

Il ajoute en outre que nous pouvons suivre ses traces et imiter sa Passion glorieuse, si nous nous rendons libres et si nous nous dégageons de tous les soucis des affaires domestiques, si, renon­çant à nos biens, nous les offrons à Dieu, en signe de notre propre oblation. Pour nous y disposer, le Seigneur nous apprend les lois de la prière.

A CELUI QUI POSSÈDE DIEU RIEN NE MANQUE, s'IL NE MANQUE PAS A DIEU.

Le pain quotidien ne peut manquer au juste, puisqu'il est écrit : Le Seigneur ne laisse pas le juste soutft'ir de la faim (Proverbes, 10, 3). Et ailleurs: J'étais jeune et j'ai vieilli; je n'ai pas vu le juste délaissé ni . sa descendance chercher le pain (Psaumes, 36, 25), Aussi le Seigneur promet~il : N'allez donc pas vous préoccuper de dire : Que mangerons~nous, que boirons~nous, ou de quoi nous vêtirons~twus ? De tout cela les païens se préoccupent. Votre Père sait que vous en avez besoin. Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice, et vous aurez tout cela de surcroît (Matthieu, 6, 31~33).

A ceux qui cherchent le royaume et la justice de Dieu, il promet de donner tout par surcroît. Tout appartient, en effet, à Dieu ; à celui qui possède Dieu rien ne manque, si lui~même ne manque pas à Dieu. Ainsi Daniel, enfermé, sur l'ordre du roi dans la fosse aux lions, reçut son repas de Dieu, et l'homme de Dieu se nourrit au milieu des bêtes féroces affamées qui l'épargnaient. Elie est sus­tenté de même pendant son voyage comme pendant la persécution où, dans la solitude, les corbeaux et les oiseaux le servent et lui apportent sa nourriture. Oui, ô cruauté détestable de la malice humaine : les animaux féroces ont des égards, les oiseaux apportent la nourriture, mais les hommes dressent des embûches et exercent leut• cruauté !

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CYPRIEN DE CARTHAGE 39

Remets~nous nos dettes, comme nous~mêmes les remettons à nos débiteurs

APRÈS NOTRE NOURRITURE, NOUS DElvlANDONS LE PARDON DU PÉCHÉ, POUR QUE PERSONNE NE SE FASSE ILLUSION SUR SON INNOCENCE.

Après cela nous prions pour nos péchés : Et remets~nous nos dettes comme nous~mêmes nous les remettons à nos débiteurs. Après notre subsistance, nous demandons le pardon du péché. Celui qui est nourri par Dieu doit vivre en Dieu et se préoccuper non seule­ment de la vie présente et temporelle, mais encore de l'éternelle. Il peut y accéder, si les péchés lui sont remis. Le Seigneur les appelle : dettes, selon le mot de l'Evangile : fe t'ai remis toute ta dette, parce que tu m'en as supplié (Matthieu, 18, 32).

Combien il est nécessaire, sage et salutaire que le Seigneur nous rappelle que nous sommes pécheurs, en nous invitant à prier pour nos péchés. Ainsi, notre recours à l'indulgence de Dieu nous rap­pelle l'état de notre conscience. Pour que personne ne se complaise en lui~même, comme s'il était innocent, et ne se perde par cette jactance, on lui rappelle que tous les jours il pèche, quand on lui demande de prier tous les jours pour ses péchés.

Jean lui aussi nous avertit dans son épître : Si nous nous prétendons sans péché, nous nous trompons nous~mêmes, et la vérité n'est pas en nous. Mais si nous reconnaissons nos péchés, il est fidèle et juste le Seigneur qui nous pardonnera nos péchés (1 Jean, 1, 8~9). Dans son épître, il unit deux choses : nous devons prier pour nos péchés, et dans cette prière, implorer le pardon. II affirme que le Seigneur est fidèle à pardonner les péchés, selon sa promesse. Car celui qui nous apprend à prier pour nos dettes et nos péchés, promet en même temps sa paternelle miséricorde et le pardon.

D'APRÈS QUELLE RÈGLE LES PÉCHÉS NOUS SONT~ILS REMIS?

Le Seigneur précise les conditions de son pardon : il nous oblige à remettre nous~mêmes les dettes à nos débiteurs, comme nous, nous demandons qu'on nous remette les nôtres. Nous ne pouvons demander la rémission de nos péchés, que si nous agissons de même à l'endroit de nos débiteurs. Il dit ailleurs : La mesure avec laquelle vous mesurez servira pour vous mesurer (Matthieu, 7, 2).

Le serviteur à qui le maître avait remis toutes ses dettes mais qui ne voulut pas agir de même à l'égard d'un de ses compagnons,

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40 LE PATER

est jeté en prison. Il n'a pas voulu pardonner à son compagnon, et il perd le pardon déjà acquis de son maître, Dans ses préceptes, le Christ inculque cette vérité avec une vigueur sévère. C2uand vous êtes debout pour prier, pardonnez si vous avez quelque chose contre quelqu'un, afin que votre Père, qui est dans les cieux, vous remette aussi uos péchés. Si vous ne pardonnez pas, votre Père qui est clans les cieux ne vous pardonnera pas non pius vos o/1enses (Marc, 11, 25~26 ).

Tu n'amas donc pas d'excuse au jour du jugement, quand tu seras jugé selon ta propre conduite : tu subiras ce que tu auras fait subir. Dieu nous prescrit de garder la paix et la concorde dans sa maison, et de vivre selon les lois de la nouvelle naissance ; devenus fils de Dieu, nous devons sauvegarder la paix de Dieu. A l'unité de l'Esprit, doit correspondre l'unité des âmes et des cœurs. Dieu n'accepte pas le sacrihce des fauteurs de désunion, il les renvoie de l'autel pour que d'abord ils se réconcilient avec leurs frères : Dieu veut ëtre pacifié avec des prières de paix, La plus belle oblation pour Dieu est notre paix, notre concorde, l'unité dans le Père, le Fils et le Saint~Esprit de tout le peuple fidèle,

DIEU N'ACCEPTE QUE LA PRIÈRE DES PACIFIQUES.

Dans les premiers sacrifices, offerts par Abel et Caïn, Dieu ne considérait pas les offrandes mais les cœurs : les dons étaient agréables si les cœurs l'étaient. Le pacifique et juste Abel, qui off re son sacrifice avec une âme pure, apprend aux autres à se présenter, quand ils apportent leur don, avec la crainte de Dieu, un cœur simple, le sens de la justice, la concorde et la paix. En offrant avec de telles dispositions le sacrifice à Dieu, il a mérité de devenir lui~même une ol'irande elu martyre. Il a préludé. par la gloire de son sang à la passion du Seigneur, parce qu'il possédait en lui la justice et la paix du Seigneur. De tels êtres obtiennent la couronne, de tels êtres jugeront avec le Christ, au jour du jugement.

Les dissidents, par contre, qui ne vivent pas en paix avec leurs frères, sont condamnés par l'Apôtre et par l'Evangile. même s'ils se faisaient tuer pour le nom du Christ, ils n'en resteraient pas moins coupables de la discorde, semée parmi les frères ; car il est écrit : Qui hait son frère est homicide, or l'homicide n'a pas accès au royaume des cieux et ne vit pas avec Dieu (l Jean, 3, 1).

Celui qui préfère imiter Judas plutôt que le Christ ne peut pas être le Christ. Combien grand est ce forfait, puisque même le bap­tême de sang ne peut l'effacer ! Combien grave doit être ce chef d'accusation que le martyre ne peut expier !

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CYPRIEN DE CARTHAGE 41

Ne nous induis pas en tentation

L'ADVERSAIRE NE PEUT RIEN CONTRE NOUS SANS LA PERMISSION PRÉA· LABLE DE DIEU.

Le Seigneur insiste sur une autre intention : Ne souffre pas que nous soyons induits en tentation. De ces mots il appert que l'adversaire ne peut rien contre nous, sans la permission préalable de Dieu. Aussi, toute notre crainte, notre piété et notre attention doivent se tourner vers Dieu, car dans nos tentations le pouvoir du Malin dépend du pouvoir de Dieu, Ce gue l'Ecriture prouve, quand elle dit : Nabuchodonosor, roi de Babylone, vint à Jérusalem et l'assiègea, et le Seigneur la livra entre ses mains (1 Rois, 24, 11), Le pouvoir est accordé au Malin contre nous, en raison de nos péchés, selon l'Ecriture,

Qui a livl'é Jacob au pillage et Israël aux pillards? N'est~ce pas le Seigneur? Ils ont péché contre lui, Ils n'ont pas voulu marcher dans ses voies. Et ils n'ont pas écouté sa loi,

Aussi a~t~il déversé sur Israël l'ardeur de sa colère (Isaïe, 42, 24).

Et à propos de Salomon qui péchait et s'écartait des voies du Seigneur il est dit : Et le Seigneur suscita Satan contre lui.

LE POUVOIR LUI EST ACCORDÉ SOIT POUR NOTRE CHATIMENT SOIT POUR NOTRE GLOIRE. CETTE DEMANDE NOUS REND ATTENTIFS A NOTRE FAIBLESSE.

Dieu peut donner le pouvoir au démon de deux manières pour notre châtiment, si nous avons péché, pour notre glorification, si nous sommes soumis à l'épreuve. Nous voyons que ce fut le cas de Job. Voici, tout ce qui lui appartient je te le livre, seulement ne porte pas la main sur lui (Job, 1, 12),

Dans l'Evangile, le Seigneur dit, au moment· de sa passion Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir, s'il ne t'avait été donné d'en­haut. Quand donc nous prions pour ne pas entrer en tentation, nous nous souvenons de notre faiblesse, afin gue personne ne se regarde avec complaisance, gue personne ne s'élève avec insolence, que personne ne s'attribue la gloire de sa fidélité ou de sa passion

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alors que le Seigneur lui~même nous enseigne l'humilité, quand il dit : Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation. L'esprit est ardent mais la chair est faible (Marc, 14, 38). Si d'abord nous faisons profession d'humilité, si nous rendons à Dieu tout ce que nous demandons, avec crainte et révérence, nous pouvons être assu­rés que sa bonté nous l'accordera.

Mais délivre-nous du mal

LA DERNIÈRE DE:MANDE CONCERNE TOUT CE QUE L'ENNEMI TRAME CONTRE NOUS,

Après tout cela, la prière s'achève avec une conclusion qui ramasse brièvement toutes les demandes. A la fin nous disons : mais délivre~nous du mal. Nous comprenons par là ce que l'ennemi peut machiner en ce monde contre nous, mais nous sommes assurés d'avoir un puissant appui, si Dieu nous délivre, s'il accorde son secours à ceux qui l'implorent. Quand donc nous disons : Délivre­nous du mal, il ne nous reste plus rien à solliciter : nous avons demandé la protection de Dieu contre le mal. Cette prière faite, nous sommes affermis contre toutes les machinations du démon et du monde. Qui peut redouter le monde, si Dieu en ce monde est son protecteur ?

DIEU A RÉSUMÉ EN CETTE PRIÈRE TOUTES NOS INTENTIONS.

Quoi d'étonnant, frères bien~aimés, si la prière du Seigneur est si belle. C'est le résumé de toutes nos demandes. Déjà le prophète Isaïe l'avait annoncé, quand, rempli de l'Esprit-Saint, il disait de la majesté de Dieu : Sa parole consume et abrège dans la justice, car Dieu parle bt'ièvement sur toute la terre (Isaïe, 10, 22).

A son tour, Notre Seigneur Jésus-Christ, le Verbe de Dieu, venu pour tous les hommes, les savants comme les ignorants, sans distinction de sexe ou d'âge, ramène à l'essentiel les préceptes du salut, pour que les plus simples puissent les retenir aisément.

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ORIGÈNE t 253

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44 LE PATER

Origène est le plus grand théologien de l'Eglise grecque. Né en Alexandrie d'un père chrétien qui meurt martyr, il y dirige très tôt l'école catéchétique. Sa culture profane le prépare à son tra~ vail théologique et exégétique qui est gigantesque. Il a expliqué à plusieurs reprises et selon des méthodes différentes presque tous les livres de la Bible.

Son traité Sur la Prière, « la perle de son œuvre », étudie le problème de la prière en général, puis commente la Prière du Sei~ gneur. Son interprétation du Pater est minutieuse et serrée ; en partant d'une exégèse littérale. Origène s'élève d'instinct jusqu'au sens spirituel, avec une vigueur et une profondeur qui rendent son œuvre étonnament actuelle.

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ORIGÈNE 45

Notre Pèrel

Il y a lieu d'examiner avec soin si dans l'Ancien Testament il existe une seule prière qui appelle Dieu du nom de Père. Jusqu'à présent, malgré toutes nos recherches, nous n'en avons pas encore trouvée2. Nous ne voulons pas dire que Dieu n'y soit pas appelé Père, ou que les vrais croyants ne soient pas appelés fils de Dieu. Mais nulle part, dans une prière, Dieu n'est invoqué comme Père, selon l'expression pleine de confiance que le Sauveur nous a transmise.

Il arrive souvent que Dieu soit appelé Père, et fils ceux qui sont venus à la parole de Dieu, par exemple dans le Deutéro­nome : Tu as abandonné le Dieu qui t'a engendré, tu as oublié le Seigneur qui t'a créé (32, 18). Et encore : N' est~ce pas lui qui est ton Père, qui t'a possédé comme son héritage, qui t'a fait et qui t'a créé (32, 6) ? Et plus loin : Mes fils ont perdu la foi (32, 10). Dans Isaïe : J'ai engendré des enfants, j'ai élevé des fils, et ils m'ont abandonné (Isaïe, 1, 2). Et dans Malachie : Le fils honore son père et le serviteur z·évère son seigneur. Si donc je suis votre père, où est l'honneur que vous me rendez? Et si je suis votre seigneur, où est la crainte respectueuse que vous me devez (1. 6) ?

Si donc on appelle Dieu, Père, et fils ceux qui sont nés de lui pour avoir cru en sa parole, il demeure que nulle part chez les Anciens se trouve affirmée cette filiation de façon ferme et sûre. Les passages que nous avons cités manifestent que les fils en question sont plutôt des sujets. Or, au témoignage de l'Apôtre : Aussi longtemps que l'héritier est en bas âge, il ne diffère en rien de l'esclavage, bien qu'il soit le' maître de tout ; il est placé sous l'autorité de tuteurs et de curateurs jusqu'à la date fixée par son père (Gala tes, 4, 2 et 3). La plénitude des temps est arrivée avec l'Incarnation de notre Seigneur J ésus~Christ, lorsque reçoivent l'adoption ceux qui sont de bonne volonté, ainsi que l'enseigne saint Paul : Aussi bien vous n'avez pas reçu un esptit de servi-

1. Texte grec du De Oratione, P. G. 11, 489-549.

La traduction de la première invocation a paru déjà dans Prières des premiers chrétiens, p. 371.

M. Bardy en a donné une traduction Jrançaise, Paris, 1932. Nous avons utilisé ses notes plus que sa version. Nous lui empruntons les sous-titres.

2. Origène revient sur ce point dans son commentaire in Joan, 19, 1, 5.

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tude pour retomber dans la crainte: vous avez reçu l'esprit d'adop­tion qui nous fait crier : Ab ba 1 Père (Romains, 8, 15) 1

Et l'Evangile de saint Jean : Mais à tous ceux qui l'ont reçu, il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, il ceux qui croient en son nom (1, 12). A cause de cet esprit d'adoption, l'Epître catholique de saint Jean affirme des enfants de Dieu que : Quiconque est né de Dieu ne commet pas le péché, parce qu'il porte en lui le germe divin: il ne peut pas pécher, parce qu'il est né de Dieu (I Jean, 3, 9).

Faisons à présent réflexion sur le sens de ces paroles que rapporte saint Luc : Quand donc vous priez, dites : Père. Crai­gnons, si nous ne sommes pas des fils légitimes, de lui donner ce nom: nous risquerions d'ajouter à tous nos péchés encore celui d'impiété. Voici ma pensée: saint Paul dit dans la première Epî• tre aux Corinthiens: Personne ne peut dire: Jésus est Seigneur, que sous l'action de l'Esprit"Saint: et personne, parlant sous tac­tian de l'Esprit de Dîeu ne dit: Anathème à }ésus (12, 3). Les mots Esprit"Saint et Esprit sont synonymes. Ce que signifie : dire Seigneur sous l'action de l'Esprit"Saint n'est pas très clair. Des milliers d'hypocrites, une foule d'hérétiques, et même parfois des démons, vaincus par la force de ce nom, ont proféré cette formule. Personne n'osera affirmer que tous ceux"ci ont dit : Seigneur Jésus, dans le Saint"Esprit.

Il ne pourraient pas dire vraiment: Seigneur Jésus, car seuls ceux qui servent le Verbe de Dieu et dont les actions ne procla­ment point d'autre Seigneur affirment à la vérité que Jésus est Seigneur. S'il en est ainsi des justes, les pécheurs, par contre, par leurs prévarications, blasphèment le Verbe de Dieu, et leurs œuvres vocifèrent: Anathème à Jésus 1

Mais ceux qui, nés de Dieu, ne commettent pas de péché et portent en eux le germe divin, se détournent du péché et par leur conduite proclament : Notre Père, qui es dans les cieux. L'Esprit" Saint lui"même se joint à leur esprit poul' attester qu'ils sont fils de Dieu : et ses héritiers, cohéritiers du Christ : ils souffrent avec lui, mais avec lui ils espèrent aussi être glorifiés (Romains, 8, 16" 17).

Ceux"là, en raison de leur conduite, ne disent pas à moitié Notre Père. De tout leur cœur, qui est source des bonnes œuvres, ils croient pour parvenir à la justice: et c'est en plein accord qu'ils confessent avec la bouche pout· parvenir au salut (Romains, 10, 10).

Aussi toutes leurs œuvres, leurs paroles et leurs pensées, que le Verbe de Dieu façonne à sa ressemblance, reflètent l'image du

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ORIGÈNE 47

Dieu invisible et du Créateur, qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons et tomber sa pluie sur les justes et sut les méchants (Matthieu, 5, 45). De la sorte ils portent en eux l'image de Dieu.

Les saints sont donc l'image de l'Image, le Fils étant l'Image, ils réfléchissent désormais sa filiation non par une ressemblance simplement extérieure, mais par une assimilation profonde. Ils sont transformés par le renouvellement spirituel et finissent par ressem­bler intimement à Celui qui se manifeste dans le corps de gloire.

Si tel est le portrait de ceux qui à la. vérité disent : Notre Père qui es dans les cieux, il est évident que celui qui commet le péché, comme s'exprime saint Jean dans son épître catholique, est du diable, car le diable est pécheur dès l'origine (l Jean, 3, 8). Le germe de Dieu qui demeure en l'âme régénérée, immunise contre le péché ceux qui reproduisent l'image de son Fils ; mais le germe de Satan infeste ceux qui commettent le péché et sa présence empêche d'accomplir le redressement spirituel. Puisque le Fils s'est manifesté pour détruire les œuvres du diable, la présence en nos âmes du Verbe de Dieu est à même de détruire en nous les œuvres du diable, d'arracher le germe mauvais, planté en nous, et de faire de nous les fils de Dieu. Ne nous imaginons donc pas que nous avons simplement appris une formule de prière à réciter à heure fixe. Si vraiment nous réalisons ce que nous avons dit du précepte : il faut prier sans cesse, notre vie tout entière sera une prière inin~ terrompue et proclamera Notre Père qui es dans les cieux. Notre cité ne sera plus sur la terre mais bien dans le ciel qui est le trône de Dieu, parce que le règne de Dieu aura été instauré en tous ceux qui portent l'image du V er be céleste, et de la sorte seront devenus célestes.

Qui es aux cieux

Il est dit : Le Père des saints est au ciel. Il faut se garder d'imaginer Dieu circonscrit par une forme corporelle et habitant les cieux ; si le Dieu du ciel était circonscrit, il serait plus petit que les cieux qui l'enserreraient. Bien au contraire, l'ineffable puis­sance de sa divinité enveloppe et porte tout ce qui existe. Prises à la lettre certaines expressions sembleraient affirmer que Dieu se trouve clans les limites d'un lieu, mais il importe de les entendre dans un sens plus large, en respectant la nature spirituelle de Dieu. Nous lisons par exemple dans l'Evangile de saint Jean : Avant la fête de Pâques, sachant que l'heure était venue pour lui de pas-

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ser de ce monde à son Père, Jésus, qui avait aimé les siens dans ce monde, leur donna de son amoul' un témoignage suprême (13, 1 ). Et plus loin : Sachant que le Père lui avait tout remis entre les mains et qu'il était venu de Dieu et retournait à Dieu (13,3). Et encore : Vous avez entendu que je vous ai dit : fe m'en vais et je reviens à vous. Si vous m'aimiez vous vous réjouiriez de ce que je vais au Père ( 14,28). Plus loin : Maintenant je vais vers Celui qui m'a envoyé, et aucun de vous ne me demande : Où vas~tu (16,5) 1 S'il fallait entendre ces paroles d'un lieu matériel, il fau­drait le faire également des suivantes : Jésus lui répondit : Si quel­qu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera, et nous uiendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure (14, 23),

Ces derniers mots ne doivent pas s'entendre d'un déplacement spatial du Père et du Fils, auprès de celui qui aime la parole de Jésus; mais le Verbe de Dieu, par condescendance, s'est humilié dans sa dignité, lorsqu'il est venu chez les hommes. Il est dit qu'il va de ce monde à son Père, pour que nous le contemplions dans la perfection de sa nature, au delà de son anéantissement volon­taire, dans la plénitude de sa gloire, Si nous le prenons pour guide, il nous délivrera à notre tour de toutes nos misères. Qu'il aille maintenant vers Celui qui l'a envoyé; que le Verbe de Dieu quitte le monde et retourne à son Père.

A la fin de l'Evangile, saint Jean écrit : Ne me retiens pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père (20, 17). Il faut compren­dre cette parole au sens mystique : l'intelligence spirituelle permet d'entendre d'une manière plus digne de Dieu l'ascension du Fils vers le Père, comme une ascension de l'esprit plutôt que du corps.

J'ai expliqué les paroles : Notre Père, qui es aux cieux, pour écarter la conception simpliste de ceux qui s'imaginent Dieu loca­lement aux cieux, et pour nier que Dieu se trouve dans un lieu matériel (ce qui revient à dire qu'il a un corps et de ce fait divi­sible, matériel et corruptible). En effet, tout corps est divisible, corruptible, matériel. Il est donc nécessaire de comprendre que Dieu est d'une autre nature que la matière.

Avant l'incarnation du Christ, à plusieurs reprises, les Ecritures semblent dire que Dieu est lié à un lieu ; il ne me semble pas inu­tile de citer quelques~uns de ces texteD pour éclairer ceux qui s'ima­ginent le Dieu suprême, cerné par un lieu restreint et limité.

D'abord dans la Genèse : Adam et Eve, dit l'Ecriture. enten­dirent la voix du Seigneur Dieu qui se promenait, le soir, dans le paradis. Et Adam et sa femme se cachèrent devant le Seigneur

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ORIGÈNE 19

Dieu, au milieu des arbres du paradis (Gen., 3, 8). Nous deman~ derons à ceux qui ne pénètrent pas dans les trésors de l'Ecriture et qui ne frappent même pas à la porte, comment le Seigneur Dieu qui remplit ciel et terre, qui, selon leur conception, a corporelle~ ment le ciel comme trône et la terre comme escabeau de ses pieds, peut~il s'enfermer en un lieu si restreint par rapport au ciel et à la terre : comment ce paradis, qu'ils s'imaginent matériellement, n'est~il pas rempli par Dieu, mais est~il tellement plus grand, au point que le Seigneur puisse s'y promener et percevoir le son de ses pas?

Il est encore moins exact de penser qu'Adam et Eve se soient cachés devant Dieu au milieu des arbres du paradis, parce que leur désobéissance leur faisait redouter le Seigneur. En effet, on ne dit pas seulement qu'ils voulaient se cacher, mais qu'ils se cachè~ rent réellement. Comment, selon ces esprits, Dieu peuHl deman~ der : Où es~tu 7

Nous avons longuement traité ces questions en expliquant la Genèse 2• Qu'il nous suffise ici, pour ne pas passer sous silence un si grave problème, de rappeler la parole : J'habiterai parmi eux et je me promènerai au milieu d'eux (Exode, 28, 8) que le Deu~ téronome 2• rapporte de Dieu. Sa promenade parmi les saints est semblable à celle qu'il fait au paradis : tous les pécheurs se cachent devant Dieu, fuient sa visite et se détournent de sa présence. Ainsi, Caïn s'étant retiré de devant la face du Seigneur, habita dans la terre de N aïd, en face d'Eden (Gen., 1, 16). Dieu habite dans le ciel comme il habite dans les saints, qu'il s'agisse du sairit qui porte l'image de l'homme céleste, du Christ qui porte tous les flam~ beaux et les étoiles du ciel qui sont sauvés, ou des saints qui se trouvent dans le ciel, selon la parole : v ers toi rai les yeux levés, qui te tiens au ciel (Ps., 122, 1 ) , et dans l'Ecclésiaste : Ne dites rien inconsidérément, et que votre cœur ne se hâte point de proférer des paroles devant Dieu ; car Dieu est dans le ciel et vous sur la terre (5, 1). Ces paroles veulent exprimer la distance qui sépare les êtres enfermés dans des limites corporelles, de celui qui, avec les anges, se trouve auprès des puissances saintes et du Christ lui~même. Ce dernier semble bien être le trône de Dieu, allégorique~ ment appelé ciel, et son Eglise, l'escabeau de ses pieds, allégorique~ ment appelée terre.

2. Ce commentaire d'Origène sur la Genèse est perdu. Il n'avait jamais dépassé les quatre premiers chapitres, bien qu'il efit occupé son auteur pendant de longues années.

z•. Il s'agit de J'Exode et non du Deutéronome.

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50 LE PATER

Nous avons cité quelques paroles de l'Ancien Testament qui semblent lier Dieu à un lieu, afin de convaincre de notre mieux notre lecteur qu'il faut interpréter la divine Ecriture de manière élevée et spirituelle, quand elle semble enseigner que Dieu se trouve dans un lieu. Il convenait d'exposer cela à propos des mots : Notre Père, qui es aux cieux, pour opposer l'essence de Dieu à toutes les créatures : aux êtres qui ne participent pas à lui appartient une puissance et comme un effluve de la divinité.

Que ton nom soit sanctifié

Cette formule peut signifier : ou bien, ce qui est demandé n'a pas encore été obtenu ; ou bien, celui qui l'a déjà obtenu demande que la chose demeure. Cependant les paroles que Matthieu et Luc nous· invitent à dire : Que ton nom soit sanctifié, prouvent que le nom du Père n'est pas encore sanctifié. Mais comment, objectera­t~on, un homme peut~il demander que soit sanctifié le nom de Dieu, comme s'il ne l'était pas 1 Voyons donc ce que signifie le nom du Père, ce que signifie le sanctifier.

Le nom désigne la nature propre et incontestable de l'être nommé. Ainsi la nature propre de l'apôtre Paul fait que son âme, son esprit et son corps sont tels ou tels. Ce caractère propre et incommunicable, qui fait qu'aucun être n'est identique à Paul, est exprimé par le nom de Paul. Chez les hommes ces qualités pro­pres - comme les noms - peuvent changer. Abram fut appelé Abraham, Simon, Pkrre, Saul, qui persécutait Jésus, fut appelé Paul.

Pour Dieu, qui est immuable et ne change jamais, il n'y a qu'un seul nom : celui de l'Existant, donné dans l'Exode. Nous nous évertuons tous à réfléchir sur Dieu pour comprendre sa nature (rares et plus que rares sont ceux qui peuvent comprendre sa sain~ teté) ; la prière de Jésus nous apprend que Dieu est saint, pour nous faire découvrir sa sainteté de Créateur, de Providence, de Juge, qui choisit et abandonne, accueille et rejette, récompense et châtie cha~ cun selon son mérite. Voilà ce qui caractérise la qualité propre de Dieu, qui, à mon avis, est appelée dans les Ecritures du nom de Dieu.

Ainsi dans l'Exode : Tu ne prendt'as pas en vain le nom du Sei­gneur, ton Dieu (Exode, 20, 7) ; dans le Deutéronome : Que ma parole soit attendue comme la pluie, que mes paroles se t'épandent comme la rosée, comme l'averse sur l'herbe et la goutte d'eau sut le gazon : car j'ai invoqué le nom du Seigneur (Deut. 32, 2~3).

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ORIGÈNE 51

Dans les Psaumes : Ils rappelleront ton nom d'un âge à l'autre (44, 18). Celui qui ne s'efforce pas de mettre en harmonie sa conception de Dieu avec ce qui est juste, celui~là prend en vain le nom du Seigneur Dieu.

Grâce à ce nom, les paroles ont l'efficacité de la pluie et sont capables de porter du fruit à l'âme des auditeurs, elles consolent comme la rosée, elles fortifient les auditeurs comme la pluie bien­faisante ou la goutte d'eau qui féconde. Pensant en lui~même que pour mener à bien son œuvre il a besoin de Dieu, l'homme appelle en lui Celui qui, seul, dispense tous ces biens. Comprendre, alors même qu'on paraît apprendre d'un homme, ou découvrir les mys­tères de Dieu, c'est se souvenir des choses divines plus que les apprendre.

Celui qui prie doit réfléchir et demander que soit sanctifié le nom de Dieu, selon la parole des Psaumes : Exaltons son nom en lui~ même (29,2). Le psalmiste nous demande de nous harmoniser avec le même esprit pour nous hâter d'approfondir la connaissance véri­table et sublime de Dieu. Exalter le nom de Dieu en lui--même, c'est participer à l'effluve divin, en naissant de lui, c'est domine; les ennemis qui ne peuvent plus se réjouir de nos chutes. Par la se trouve exaltée la force de Dieu comme le montre le psaume 29 : Je t'exalte, Seigneur, qui m'as conçu et n'as pas fait rire de moi mes ennemis. On exalte Dieu en lui édifiant une demeure en soi­même, suivant le titre du même psaume : Psaume. Cantique pour la dédicace de la maison de David.

A propos des mots : Que ton nom soit :,ancti{ié et des autres demandes qui suivent, il faut ajouter que l'impératif remplace fré­quemment l'optatif, chez les écrivains sacrés, par exemple dans les Psaumes : Que se taisent les lèvres du mensonge, qui répandent l'insolence contre le juste (30, 19), au lieu de : Puissent se taire !. .. Et à propos de Judas : Que l' usul'ier rafle tout son bien, qu'il ne trouve personne pour l'assister (Ps., 108, 11~12). Tout ce psaume est une prière qui appelle les maux sur Judas. Pour n'avoir pas ~on~u cette règle grammaticale, Tatien a a fait des hypothèses Imp~~s sur. Dieu. C'est ainsi qu'il comprend la parole : Que la lumtere sott, comme d'une prière au lieu d'un ordre. Car, explique­t~il avec impiété, Dieu était dans les ténèbres.

3. Tatlen est un païen originaire de Mésopotamie, venu à Rome. Il y ren" contra Justin qui le convertit au christianisme. II semble bien avoir achevé sa V!e ho~s de ,l'Eglise. Il est connu par son Discours aux Grecs, mals la citation d Origene n appartient pas à cet ouvrage.

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Il faudrait lui demander comment il comprend les formules sui­vantes : Que la terre produise de l'herbe verte, et, Que les eaux qui sont sous le ciel se rassemblent en un seul lieu, et, Que les eaux produisent des animaux vivants qui nagent dans reau, et, Que la terre produise une âme vivante (Gen., 1, 11, 9, 20, 24). Dieu prie~t~il que soit rassemblée en une seule masse l'eau de des~ sous le ciel, afin de se tenir sur un firmament solide? Ou bien prie­t-il que la terre germe, pour jouir des produits du sol? Quel besoin a~t~il de la lumière, des poissons pour souhaiter leur création? Que la lumière soit, ceci est un impératif et non pas un optatif. Il m'a semblé nécessaire, à propos de cette prière formulée en termes impé­ratifs, de rappeler l'interprétation de Tatien, parce qu'il a trompé plusieurs esprits qui ont reçu son enseignement impie ; nous~mêmes naguère en avons connu.

Que vienne ton règne

Que vienne ton règne 1 Selon la parole de notre Seigneur et Sauveur, le règne de Dieu ne vient pas de manière à frapper le regard et on ne saurait dire : Le voici, le voilà, mais le règne de Dieu est au dedans de nous (le mot au dedans de signifie : dans notre bouche, dans notre cœur). Il est donc évident que celui qui prie pqur que vienne le royaume de Dieu prie avec raison qu'en lui s'élève, fructifie, s'achève le règne de Dieu. Dans tous les saints qui ont Dieu pour roi et qui obéissent à ses lois spirituelles, le Seigneur habite comme dans une cité bien administrée. Le Père est présent et le Christ règne avec le Père dans l'âme parfaite, selon la parole rappelée plus haut : Nous viendrons en lui et en lui nous établirons notre demeure.

A mon avis, le royaume de Dieu signifie le bienheureux état de la raison 4 et l'ordre des sages raisonnements; le royaume du Christ, les paroles de salut qui s'adressent aux auditeurs comme les œuvres parfaites de la justice et des autres vertus : car le Fils de Dieu est parole et justice. Au contraire, le prince de ce monde tyrannise les pécheurs, puisque tous les pécheurs sont esclaves du siècle méchant ; ils ne s'abandonnent pas à celui qui s'est livré volontairement pour nos péchés, afin de nous an:acher à la per­versité du monde présent, selon la volonté de notre Dieu et Père, comme il est écrit dans la lettre aux Gala tes (1, 4).

4, La t·alson est un terme stoïcien. Origène, pour écarter soigneusement toute interprétation matérialiste, s'en tient au sens spirituel.

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ORIGÈNE 53

Ceux qui sont tyrannisés par le prince de ce monde, pour avoir librement péché, sont sous le règne du péché. Aussi Paul nous ordonne~t~il de secouer le joug du péché : Que le péché ne règne donc plus dans votre corps mortel, pour vous faire obéir à ses convoitises (Rom., 6, 12).

On objectera peut~être, à propos de ces deux demandes : Que ton nom soit sanctifié et Que ton règne arrive, si l'on demande avec succès d'être exaucé, il est sûr que pour certains le nom de Dieu sera sanctifié et son règne arrivera. Mais comment alors ceux~là peuvent~ils encore continuer à demander des biens qui· déjà sont arrivés, en disant : Que soit sanctifié ton nom, que ton règne arrive?

Nous allons répondre à cette objection. Celui qui prie pour obte­nir la gnose (connaissance) et la sagesse a toujours raison de les demander, parce qu'il obtiendra des trésors plus riches de gnose et de sagesse qui lui permettront de connaître tout le partiel réservé au temps présent, et que lui sera révélé, par la suite, le parfait qui remplacera le partiel, lorsque, mis face à face avec les choses intel­ligibles, l'esprit les percera sans l'aide de la sensation. De même le nom de Dieu ne sera parfaitement sanctifié, son règne n'arrivera parfaitement pour chacun de nous qu'au moment où seront par­faites en nous gnose et sagesse, et sans doute aussi les autres vertus. Nous nous acheminons vers la oerfection, si, oubliant le chemin parcouru, nous sommes tendus e'n avant de tout notre être (Phil., 3, 13).

Le royaume de Dieu en nous, qui sommes des marcheurs infc. .. tigables, atteindra sa perfection, quand s'accomplira la parole de l'Apôtre : Lorsqu'il aura soumis tous ses ennemis, le Christ remet­tra le royaume à Dieu le Père, afin que Dieu soit tout en tous (1 Cor., 15, 24~28). Aussi prierons~nous sans cesse avec les dis­positions divinisées par le V er be, en disant à notre Père qui est dans les cieux : Que ton nom soit sanctifié, que ton règne arrive 1

Il faut noter encore, à propos du règne de Dieu : il n'est pas possible de concilier la justice avec l'iniquité, la lumière et l'ombre, le Christ et Bélial : de même le règne de péché est inconciliable avec le règne de Dieu. Si nous voulons que Dieu règne sur nous, que jamais le péché ne règne sur notre corps mortel. Ne suivons pas les appels du péché qui sollicite notre âme aux œuvres de la chair et aux actes qui sont étrangers à Dieu. Mortifions nos membres charnels pour produire les fruits de l'esprit: le Seigneur se promènera en nous comme en un paradis spirituel, il règnera

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seul en nous avec son Christ, à la droite de la puissance spirituelle que nous demandons de recevoir, jusqu'à ce que ses ennemis devien~ nent en nous l'escabeau de ses pieds et que soit écartées de nous toute principauté, puissance et vertu. Tout cela peut se réaliser en chacun de nous, la mort peut être vaincue, afin que le Christ puisse dire en nous : Mort, où est ton aiguillon, enfer, où est ta victoire (I Cor., 15,55)?

Il faut donc que ce qui est corruptible en nous révèle la sain~ teté et l'incorruptibilité dans la chasteté et la pureté; et ce qui est mortel, en dépouillant la mort, révèle l'immortalité du Père. De cette manière, Dieu régnera en nous et déjà nous entrons en possession des biens de la nouvelle naissance et de la résurrection.

Que ta volonté soit faite

Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Luc, après les mots : Que ton règne arrive, a passé sous silence cette demande et a écrit : Donne~nous chaque jour notre pain suprasubstantir;l. Nous allons donc étudier les paroles que Matthieu est seul à rapporter et qui suivent les précédentes. Nous qui prions, nous sommes encore sur la terre ; nous pensons que tous les habitants des cieux y accomplissent la volonté de Dieu. Nous demandons que, pour nous aussi sur la terre, soit faite, en toutes choses, la volonté de Dieu ; ce qui arrivera si nous ne faisons rien en dehors de cette volonté. Lorsque cette volonté aura pleinement été accomplie en nous sur la terre, nous serons semblables aux êtres du ciel ; comme eux, nous porterons l'image de l'Etre céleste : nous hériterons le royaume des cieux, et ceux qui nous succéderont sur la terre, à leur tour, demanderont de devenir semblables à nous, qui serons au ciel.

On peut entendre dans un sens plus large les mots rapportés par Matthieu : Sur la terre comme au ciel. La prière qui nous est demandée serait la suivante : Que ton nom soit sanctifié sur la terre comme au ciel, qu'advienne ta volonté sur la terre comme au ciel. Le nom de Dieu a été sanctifié par les habitants du ciel : le règne de Dieu s'est établi parmi eux; la volonté de Dieu est faite parmi eux. Toutes ces choses, incomplètes pour les habitants de la terre, peuvent être réalisées, si nous savons nous montrer dignes d'être exaucés par Dieu.

A propos des mots : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel, on peut se demander : Comment la volonté de Dieu peut~

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ORIGÈNE 55

elle se faire en un ciel où habitent les esprits du mal 5, par qui est enivré le glaive de Dieu jusqtte dans les cieux (Isaïe, 34, 5) 1 Si donc nous demandons que la volonté de Dieu soit faite sur la terre comme au ciel, ne demandons~nous pas imprudemment que les puissances du mal qui peuplent le ciel demeurent aussi sur la terre? De fait beaucoup d'hommes se sont corrompus sur la terre à cause des mauvais esprits qui habitent les lieux célestes.

Mais celui qui interprète spirituellement le ciel et la terre, en y découvrant le Christ et l'Eglise (Qui est le digne trône du Père sinon le Christ, et l'escabeau de ses pieds, sinon l'Eglise?}, pourra résoudre facilement la difficulté : Chaque membre de l'Eglise doit demander de faire la volonté du Père comme le Christ l'a faite, lui qui est venu dans ce but et qui l'a accomplie tout entière. En adhérant à lui, nous pouvons devenir un seul esprit avec lui, et par là accomplir sa volonté; de la sorte, elle sera parfaite sur la terre comme au ciel. Car celui qui s'unit au Seigneur, selon Paul, n'est avec lui qu'un esprit, Je ne crois pas que ceux qui réfléchissent atten~ivement à mon interprétation pourront la rejeter.

On pourra cependant objecter la parole du Seigneur aux Onze, après sa résurrection: Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la tette. Comme il a puissance sur les choses du ciel, Jésus dit avoir reçu puissance sur la terre. Les choses du ciel, les pre­mières, ont été éclairées par le Verbe; à l'accomplissement du siècle, celles de la terre imitèrent, grâce à la puissance accordée au Fils de Dieu, celles que la puissance dti Sauveur a reçues au ciel et qui déjà sont parfaites. Le Christ veut, par la prière, s'asso­cier auprès du Père ceux qu'il instruit. Ainsi les êtres terrestres, soumis à la vérité et au Verbe, transformés par la puissance qu'il a reçue sur la terre comme au ciel, seront semblables aux êtres célestes et conduits à leur terme bienheureux qui est en son pou­voir.

Si donc on entend le ciel du Sauveur et la terre de l'Eglise, en disant que le premier~né de toute créature sur qui repose le Père comme sur un trône est le ciel, on peut conclure que l'Homme, revêtu de force par l'humiliation et l'obéissance jusqu'à la mort, dit, après la résurrection, la parole : Toute puissance m'a été don­née au ciel et sur la terre. L'homme, assumé par le Sauveur, a reçu puissance sur les choses du ciel qui appartiennent au Fils unique, afin de s'unir et de participer à sa divinité.

5. A J.a suite de saint Paul (Eph., 6, 12), Origène admet que les démons peuplent les sphères célestes.

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Reste à résoudre la seconde difficulté: Comment la volonté de Dieu est~elle faite au ciel, alors que les esprits du mal combattent dans les lieux célestes les êtres de la terre 1

Voici notre réponse. Celui qui habite encore sur la terre a déjà sa cité dans les cieux et y amasse des trésors, non pas à cause du lieu mais des dispositions intérieures, parce qu'il a le cœur au ciel et qu'il porte l'image de l'être céleste; il n'est plus de la terre ni du monde supérieur et céleste. De même aussi les esprits du mal, tout en vivant dans les cieux, ont leur cité sur la terre. Ils tendent des embûches aux hommes et luttent contre eux ; ils thé­saurisent sur la terre et portent l'image de l'être terrestre, le com­mencement de la créature du Seigneur, faite pour être le jouet des anges. Ces esprits du mal ne sont pas célestes et n'habitl'nt pas dans les cieux, parce que leurs dispositions sont mauvaises,

En conclusion : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ne signifie pas que se trouvent au ciel ceux qui, par la pensée, sont tombés avec celui qui est tombé du ciel comme la fou­dre (Luc, 10, 18).

En demandant de prier que soit faite la volonté du Père sur la terre comme au ciel, notre Sauveur n'ordonne peut~être pas du tout de prier pour ceux qui habitent la terre, pour qu'ils devil'nnen\ semblables à ceux qui ont cité au ciel. Par là, il désire simplement que tous les êtres qui sont sur la terre, c'est~à~dire les mauvais, les terrestres, ressemblent à ceux qui ont cité dans les cieux et qui sont devenus ciel.

Le pécheur, quel qu'il soit, est terre; et s'il ne se repent pas, il deviendra terre. Mais celui qui fait la volonté de Dieu et ne désobéit pas aux lois du salut et de l'esprit est ciel. Si donc nous sommes encore terre, à cause de notre péché, demandons pout nous que la volonté de Dieu nous amende comme elle l'a fait poUl ceux d'entre nous qui sont devenus ciel ou qui sont ciel. Et, si aux yeux de Dieu, nous ne sommes déjà plus terre, demandons du moins que sur la terre comme au ciel, c'est~à~dire chez les mauvais s'accomplisse la volonté de Dieu pour qu'ils deviennent ciel, alors un jour il n'y aura plus de terre, tout sera devenu ciel

Selon cette interprétation, si la volonté de Dieu est faite sur la terre comme au ciel, la terre ne reste plus terre. Pour me servir d'un autre exemple, si la volonté de Dieu est faite chez les tem­pérants, les intempérants deviendront tempérants ; si elle est faite chez les injustes comme chez les justes, les injustes deviendront justes. Et donc si sa volonté est faite sur la terre comme elle l'est au ciel, tous nous serons ciel ; la chair qui ne sert de rien et le

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ORIGÈNE 57

sang qui lui est apparenté ne peuvent pas hériter le royaume de Dieu ; ils l'hériteront cependant si, de terre, de poussière et de sang, ils sont transformés en substance céleste.

Donne~nous aujourd'hui notre pain

Donne~nous aujourd'hui notre pain supersubstantiel, ou, selon Luc, donne~nous chaque jour notre pain supersubstantiel. Certains exégètes supposent que nous devons prier pour le pain matériel6 :

il est bon de réfuter leur erreur. Comment celui qui nous fait demander les biens majeurs et célestes - alors que le pain cor~ porel n'est ni un bien céleste ni l'objet d'une demande majeure - pourrait~il oublier son enseignement et nous demander de sup­plier son Père pour un bien infime et terrestre ?

LE VRAI PAIN

Nous allons suivre le Seigneur lui~même, qui nous enseigne ce qui regarde le pain ; nous l'exposerons longuement. Dans l'Evan­gile selon Jean, Jésus dit à ceux qui sont venus le chercher à Capharnaüm : En vérité, en vérité, je vous le dis, vous me cher­chez, non pas parce que vous avez vu des miracles, mais parce que vous avez mangé du pain et que vous avez été rassasiés (6, 26). Celui qui mange les pains que Jésus a bénis et qui s'en est nourri cherche à mieux connaître le Fils de Dieu et se hâte vers lui. Voilà pourquoi Jésus ordonne: Travaillez non pour la nourriture qui périt mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éter~ nelle, celle que le Fils de l'homme vous donnera (Jean, 6, 27).

Les auditeurs l'interrogeaient en disant: Que nous faut-il faire pour travailler aux œuvres de Dieu ? - L'œuvre de Dieu, répondit Jésus, c'est de croire en Celui qui m'a envoyé (Jean, 6, 28-29). Et Dieu envoya son V er be et il les guérit (Psaumes, 106, 20), comme il écrit dans les psaumes qui font allusion aux malades. Ceux qui croient au Verbe font les œuvres de Dieu; celles-ci sont une nour­riture qui subsiste jusque dans la vie éternelle.

Plus loin : C'est mon Père qui vous donne le vrai pain de vie, car le pain de Dieu, c'est celui qui descend du ciel et donne la vie au monde (Jean, 6, 32-33). Le pain véritable est celui qui nourrit l'homme véritable créé à l'image de Dieu, qui élève celui qui s'en

6. L'interprétation du pain matériel est le fait de la majorité des exégètes anciens et modernes. Mais Origène dédaigne, selon son habitude, l'explication littérale.

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nourrit jusqu'à la ressemblance avec son Créateur 7• Qu'y a~t~il de plus précieux pour l'esprit de celui qui la comprend que la sagesse de Dieu et de mieux conforme à la nature raisonnable que la vérité?

Quelqu'un nous objectera peut~être que le Maître ne nous apprend pas à demander le pain supersubstantiel, mais l'autre pain. Même dans l'Evangile selon Jean, Jésus parle de ce pain tantôt comme d'un autre que lui, tantôt comme de lui~même, Comme d'un autre, quand il dit: l<rtJoïse vous a donné le pain venu du ciel, non point le vrai, car c'est mon Père qui vous le donne, le vrai pain du ciel. Comme de lui~même, lorsqu'il répond à ceux qui lui deman~ dent : Donne~nous toujours de ce pain. - Je suis le pain de vie. Celui qui vient n'aura pas faim, celui qui croit en moi n'aura pas soif (Jean 6, 34~35). Et peu après : Je suis le pain vivant descendu du ciel; si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement, et le pain que je donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde (Jean. 6, 51).

L'Ecriture appelle pain toute nourriture ; ainsi il est dit de Moïse : Pendant quarante jours, il resta sans manger de pain et sans boire d'eau (Deut., 9, 9). Le V er be nourrit de bien des manières : car tous ne peuvent supporter la vigueur et la force tonifiante des divins enseignements. Pour donner une nourriture solide aux plus parfaits, Jésus dit : Le pain que je donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde; et un peu plus loin : Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et ne buvez son sang, vous n'aurez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et moi je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est une vraie nourriture, mon sang est un vrai breu­vage. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. De même que mon Père, qui est vivant, m'a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mange vivra aussi par moi (Jean, 6, 53~57).

La nourriture véritable est donc la chair du Christ, qui comme Verbe de Dieu est devenu chair, selon la parole : Et le V er be s'est fait chair (Jean, 1, 14). Lorque nous le mangeons et le buvons, il fixe sa demeure parmi nous. Lorsqu'il est distribué, s'accomplit la parole : Nous avons contemplé sa gloire (Jean, 1, 14). Tel est le pain descendu du ciel. Il n'est pas comme celui qu'ont mangé vos

7. Pensée chère à Origène, que nous retrouverons d'ailleurs plus loin, dans le commentaire de Grégoire de Nysse.

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pères ... et ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternelle~ ment (Jean, 6, 58).

Lorsque Paul parle aux Corinthiens comme à de petits enfants, qui marchent comme des êtres de chair, il djt : C'est du lait que je vous ai donné, non une nourriture solide ; vous ne pouviez encore la supporter. Mais vous ne le pouvez pas davantage à pl'ésent, car vous êtes encore charnels (1 Cor., 3, 2~2). Et dans l'épître aux Hébreux : Vous en êtes venus à avoir besoin de lait, non de nourriture solide. Qui est encore au lait ignore la doctrine de jus~ tice; ce n'est qu'un petit enfant. La nourriture solide est pour les parfaits, pour ceux dont les facultés ont été formées par la pra~ tique au discernement du bien et du mal (Heb., 5, 12~ 14). A mon jugement, la parole : Tel croit pouvoir manger de tout; tel autre, qui est faible, ne mange que des légumes (Rom., 14, 2). ne vise pas essentiellement la nourriture corporelle mais les paroles de Dieu qui nourrissent l'âme. Celui qui est vraiment fidèle et parfait peut tout prendre, comme le prouve la parole : tel croit pouvait manger de tout; mais celui qui est faible et imparfait doit se contenter des enseignements simples, insuffisants pour tonifier plei~ nement; c'est de lui que Paul parle quand il dit : tel autre qui est faible ne mange que des légumes.

Au dire de Salomon, dans les Proverbes, le simple qui n'a point l'intelligence des dogmes les plus élevés et les plus tonifiants- sans pour autant être dans l'erreur - l'emporte sur un autre, plus habile et plus affiné, à l'intelligence plus déliée, mais qui ne pénètre pas la parole de paix et ne découvre pas l'harmonie de l'ensemble. Voici le texte : Il vaut mieux être invité avec affection à manger des herbes qu'à manger le veau gras, lorsqu'on est haï (15, 17). Un repas simple et frugal. servi avec bonne grâce par ceux qui ne peuvent nous offrir davantage, nous est plus agréable que les discours divers de ceux qui ne connaissent point Dieu et qui annon~ cent une doctrine autre que celle du Père de notre Seigneur Jésus, qui nous a donné la Loi et les Prophètes.

Demandons donc au Père le pain de vie qui est le pain supra­substantiel, de peur que nos âmes ne languissent de faim et ne meu~ rent pour avoir manqué de la parole du Seigneur.

LE MOT E7tLOU(H0Ç 8

Il nous faut examiner maintenant ce que signifie le mot supra~ substantiel. Le terme É?ttoucrtov n'est jamais employé par les maî~

8. Nous avons ici un exemple de l'étude minutieuse à laquelle Origène soumet le texte sacré. Aujourd'hui encore le mot est controversé.

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tres grecs, il n'est pas devantage usité dans le langage courant; il semble avoir été forgé par les évangélistes. Matthieu et Luc sont d'accord sur le mot et n'offrent aucune variante. Il en est de même d'autres mots employés par ceux qui ont traduit le texte hébreu de l'Ecriture. Quel Grec s'est jamais servi, par exemple, des mots évw-.d;ou ou c7.xoucrn6·~tt pour signifier « reçois dans les oreilles » ou « fais entendre ? ».

Nous trouvons un terme analogue à É;.toucrr.oç dans le livre de Moïse, qui le place sur les lèvres de Dieu : Vous serez pour moi un peuple 7t'eptoucnoç (Exode, 19, 6). L'un et l'autre semblent déri­ver de ouo-ta • Le premier désigne le pain transformé en notre substance, le second, le peuple vivant autour de la substance divine et qui participe à elle.

Nous avons fait des recherches sur la notion de substance, à cause du pain É7ttouatoç et du peuple r.eptouatoç ; nous avons expli• qué les diverses significations du mot. Auparavant nous avions mon­tré que le pain que nous devions demander était spirituel. La subs­tance du corps de celui qui s'en nourrit, ainsi le pain de vie des• cendu du ciel donne sa propre vertu à l'esprit et à l'âme de celui qui le mange. De la sorte, il devient le pain supersubstantiel que nous demandons. Les aliments, qu'il s'agisse de la nourriture solide des athlètes, de lait ou de légumes, nourrissent et fortifient différem• ment ceux qui les prennent, il en est de même de la parole de Dieu : elle est du lait pour les enfants, un légume pour les faibles, de la viande pour les violents. Chacun en profite selon ses dispositions. Il existe cependant des aliments mortels, nuisibles ou défendus : ce qui s'applique, par analogie, à la diversité des enseignements, considérés comme une nourriture .. Le pain supersubstantiel est adapté à notre nature raisonnable et apparenté à la substance même : il apporte à l'âme santé, vigueur et force; il communique sa pro• pre immortalité, car, pour qui le mange, le Verbe de Dieu est immortalité.

Le pain supersubstantiel est appelé dans l'Ecriture, me sem• ble~t~il, d'un autre nom, celui d'arbre de vie, grâce auquel celui qui tend la main pour en prendre vivra éternellement ; Salomon l'appelle sagesse de Dieu : Elle est un arbre de vie pour ceux qui l' embras· sent ; heureux ceux qui vont à elle comme au Seigneur (Prov., 3, 18). Les anges eux~mêmes se nourrissent de la sagesse de Dieu, en elle ils puisent la force pour accomplir leur mission, en contem• plant la vérité et la sagesse. D'après les Psaumes, les anges se sustentent et les hommes de Dieu, appelés Hébreux, mangent pour ainsi dire avec eux; il est écrit : L'homme a mangé le pain des

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anges (Psaumes, 77, 25). Nous ne serons pas assez faibles d'esprit pour imaginer qu'il s'agit ici d'un pain matériel, semblable à celui qui est tombé du ciel sur les Hébreux, à leur sortie d'Egypte, lors~ qu'il est dit que les hommes participent à la table des anges, qui servent Dieu.

Puisque nous étudions le pain supersubstantiel, l'arbre de vie, la sagesse de Dieu et la nourriture commune aux hommes et aux anges, il n'est peut~être pas inutile de nous occuper des trois hom~ mes, reçus par Abraham, dont parle la Genèse. Ils se nourrissent de trois mesures de froment que l'on pétrit pour en faire des pains cuits sous la cendre. Il ne faut pas prendre ces paroles à la lettre mais en figure. Les saints peuvent parfois partager une nourriture spirituelle et raisonnable, avec les hommes et même avec les puis~ sances divines, pour en bénéficier ou manifester ce qui les rassasie.

Les anges, de leur côté, s'en réjouissent et permettent aux saints de mieux assimiler les enseignements reçus. Il ne faut pas s'étonner de voir l'homme nourrir les anges, puisque le Christ lui~même déclare se tenir devant la porte et frapper, afin d'entrer et de pren­dre son repas avec celui qui lui a ouvert ; puis, à son tour, le Sei~ gneur rassasiera de ses propres biens celui qui, selon ses moyens, aura nourri le Fils de Dieu.

Celui qui reçoit le pain supersubstantiel affermit son cœur et devient le fils de Dieu. Celui qui s'unit au dragon n'est autre que l'Ethiopien, changé lui~même en serpent par les ruses du dragon. S'il demande le baptême, il entend les invectives du Verbe : Engeance de vipères, serpents, qui vous a suggéré de vous sous~ traire à la colère de Dieu (Matth., 3, 7) ? David dit, à propos du corps du dragon mangé par les Ethiopiens : Tu as brisé les têtes des monstres, sur les eaux, tu as fracassé les têtes du Léviathan, pour en faire le régal des peuples éthiopiens 9 (Psaumes, 73, 13~ 14).

S'il n'y a pas de contradiction, lorsque le Fils de Dieu comme le diable continuent à subsister, quand l'un et l'autre deviennent la nourriture de tel ou tel. pourquoi craindre d'admettre que les hom~ tnes peuvent être nourris par les puissances bonnes ou mauvaises? Avant d'entrer en relation avec Corneille et son entourage de Césa~

9. Ici - comme d'allleurs en d'autres passages - il existe des variantes entre le texte biblique qu'Origène a sous les yeux et le nôtre.

Pour comprendre les allusions, il faut se rappeler que l'hébreu syim (que les Septante comme la Vulgate traduisent par l'Ethiopien) signifie les habitants du désert, c'est-à-dire les animaux sauvages, qui se nourrissent de cadavres. D'après la légende juive, Dieu a conservé, au contraire, le corps de Léviathan (le roi d'Egypte) pour le servit· aux justes au repas Inaugural du siècle futur.

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rée, pour leur partager les paroles de vie, Pierre voit dans le ciel une grande nappe, retenue par les quatre coins : dedans se trou­vaient tous les quadrupèdes, les reptiles et les animaux de la terre. Une voix lui ordonne; debout, tue et mange. Pierre refuse d'abord et dit : Jamais je n'ai rien mangé de souillé ni d'impur. La voix lui défend d'appeler aucun homme commun ou impur, car il ne doit pas déclarer souillé ce qui a été purifié. Le texte dit : Ce que Dieu a déclaré pur, ne l'appelle pas souillé (Actes, 10, 15). La loi de Moïse distingue donc la nourriture pure et celle qui est impure par les noms de plusieurs animaux qui offrent une analogie avec les mœurs différentes des êtres raisonnables. Ils sont utiles ou nui­sibles, jusqu'à ce que Dieu ait tout purifié.

AUJOURD'HUI

Quoi qu'il en soit des aliments, le pain supersubstantiel est unique : nous devons demander d'en être rendus dignes et d'être divinisés par l'usage du Verbe Dieu, qui au commencement est en Dieu.

On pourrait faire dériver aussi le mot a7t'IOIJO"IOÇ de a7t'IO:'Ial,

arriver, nous recevons alors ici l'ordre de demander le pain du siècle à venir, que Dieu nous donnerait par anticipation. Ce qui devrait nous être accordé, nous le recevrions dès aujourd'hui, ainsi aujourd'hui désignerait le siècle présent, et demain le siècle à venir. Mais, à mon avis, la première explication est la meilleure.

Il nous faut maintenant chercher à savoir ce que signifie le mot aujourd'hui, ajouté par Matthieu, ou l'expression chaque jour que nous trouvons chez Luc. L'Ecriture appelle souvent aujourd'hui toute l'éternité. Ainsi dans le passage : Il est le père des Moabites qui sont encore aujourd'hui (Gen., 19, 37), et c'est lui qui est le père des Ammonites que nous voyons encore aujourd'hui (Gen .. 19, 38) ; ailleurs : Cette version s'est propagée chez les Juifs jus­qu'aujourd'hui (Matthieu, 28, 15) et dans les Psaumes : Aujour• d'hui, si vous entendez sa voix, n'endurcissez pas vos cœurs (Psau­mes, 94, 8) ; nous le trouvons très clairement affirmé chez Josué : Aujourd'hui ne vous écartez pas du Seigneur.

Si aujourd'hui désigne tout le temps présent, hier marque peut­être le siècle passé. Il nous semble qu'il en est ainsi dans les Psau­mes et chez Paul dans la lettre aux Hébreux. Dans les Psaumes : Mille ans sont à tes yeux comme le jour d'hier qui a passé (Psau· mes, 89, 4) (il s'agit du célèbre millénaire qui est comparé au jour d'hier et opposé à aujourd'hui). Chez l'Apôtre: Hier et aujourd'hui,

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fésus~Christ est le même; il le sera à jamais (Heb., 13, 8). Rien d'étonnant que, pour Dieu, tout le siècle ne dure que l'espace d'un seul de nos jours ; et je le crois encore plus court.

Il faut rechercher aussi si c'est à l' Hernité que se rapportent les paroles écrites au sujet des fêtes ou des cérémonies qui se célè­brent, selon les jours, les mois, les temps ou les années. Si ·ta Loi possède l'ombre des biens futurs, les multiples sabbats sont néces­sairement l'ombre de nombreux jours 10.

Il ni'est arrivé souvent d'être embarrassé, en comparant deux textes de l'Apôtre et de me demander comment s'achèveront les siècles, au cours desquels Jésus est apparu une seule fois pour détruire les péchés, si à celui~ci doivent succéder des siècles à venir. Voici les textes en question : Maintenant, il n'a paru qu'une seule fois, à la fin des temps pour abolir le péché par son sacrifice (Heb., 9, 26). Et. : Afin de révéler dans les siècles à venir les trésors inouïs de sa grâce par sa bonté pour nous (Eph., 2, 7).

En face d'une telle difficulté, voici ma pensée : L'année s'achève, le dernier mois, après lequel vient le commencement d'un autre mois ; ainsi peut~être, lorsque plusieurs siècles - qui sont comme une anné~ de siècles - seront révolus, le siècle présent sera achevé ; après lui viendront les siècles futurs qui commenceront par le siècle à venir. Dans ces siècles futurs, Dieu révèlera les trésors de sa grâce, dans sa bonté. Pendant le siècle présent, le plus grand pécheur, celui qui a blasphémé contre l'Esprit, sera possédé par le péché; mais dans l'avenir, du début à la fin du siècle futur, je ne sais comment il sera traité.

Celui qui considère ces choses, qui repasse en son esprit la semaine de siècles, afin de contempler un saint sabbat, et le mois de siècles, afln de voir la sainte néoménie de Dieu, et l'année de siècles, afin de considérer les fêtes de l'année, où tous les enfants mâles doivent paraître devant le Seigneur Dieu, et les années pro­portionnelles à tant de siècles, afin de comprendre la septième et la sainte année, enfin, les sept semaines d'années de siècles, afin de louer Celui qui a établi des lois si merveilleuses : celui~là, dis­je, peut se demander : Comment peut~on s'occuper méticuleusement de l'infime partie d'une heure d'un jour du siècle présent et ne pas tout mettre en œuvre pour se préparer et se rendre digne de rece­voir le pain supersubstantiel, de le recevoir chaque jour ?

10. Nous passons une page où Origène s'évertue à expliquer le sens allé­gorique des lois relatives aux sabbats, aux néoménies, aux têtes.

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LE PATER

Le sens de la formule chaque jour paraît clair désormais. Celui qui prie aujourd'hui le Dieu qui existe d'éternité en éternité, afin d'être gratifié non seulement aujourd'hui mais chaque jour, par Celui qui peut faire infiniment au delà de nos demandes et de nos pensées (Eph., 3, 20), celui~ là pourra recevoir, pour parler en hyper­bole, libéralité plus grande que ce que l'œil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas entendu, ce à quoi le cœur de l'homme n'a pas songé (1 Cor., 2, 9).

Toutes ces considérations me semblaient nécessaires pour comprendre les mots aujourd'hui et chaque jour, lorsque nous demandons au Père de nous donner le pain supersubstantiel. Si nous examinons le mot nous, dans le deuxième évangile, où est écrit non pas donne~nous aujourd'hui notre pain supersubstantiel, mais donne~nous chaque jour, notre pain supersubstantiel, il faut chercher aussi comment ce pain est nôtre. L'Apôtre enseigne que vie, mort, présent et avenir. tout appartient aux saints. Mais il n'est pas nécessaire de développer ici cette idée,

Remets~nous nos dettes

Remets~nous nos dettes, comme nous les avons remises à nos débiteurs ou, selon la formule de Luc : Et remets~nous nos péchés, car nous~mêmes avons pardonné à tous ceux qui nous ont offensés. L'Apôtre dit au sujet des dettes : Rendez à chacun ce qui lui est dû, à qui l'impôt, à qui les taxes, à qui la cminte, à qui l'honneur. Ne soyez en dette envers personne, sinon de mutuelle charité (Rom., 13, 7~8), Nous avons des devoirs à remplir, non seulement en don­nant, mais encore en parlant avec bienveillance et en accomplissant certaines bonnes actions. Nous devons avoir même certaines dis­positions à l'endroit des autres. Nous payons ces dettes en obser­vant la loi divine ; ou bien nous refusons de les payer, si nous mépri­sons la saine raison, et nous restons des débiteurs.

CE QUE NOUS DEVONS

Aussi nous faut~il penser, à propos des dettes que nous avons contractées à l'égard de nos frères, à ceux qui, avec nous, sont re­nés dans le Christ par les paroles sacrées, et à ceux qui ont mêmes pères et mères que nous. Il existe aussi des dettes à l'endroit des concitoyens et d'autres, communes, à l'égard de tous les hommes, d'autres envers nos hôtes, envers ceux qui ont l'âge des pères,

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d'autres enfin à l'endroit de ceux que nous devons honorer comme des fils ou des frères. Celui qui ne s'acquitte pas des dettes contrac~ tées envers ses frères reste leur débiteur. Si nous frustons nos frères de ce que nous prescrit l'esprit de charité ou de sagesse, notre dette est encore plus considérable. Nous pouvons aussi être débiteurs à l'égard de nous~mêmes : nous devons nous servir de notre corps, mais non pas l'épuiser, à force de plaisirs ; nous· devons prendre soin de notre âme, veiller à l'acuité de notre esprit, rendre notre langage courtois, charitable, jamais vain. Si nous nous grevons de dettes à l'égard de nous~mêmes, notre faute en sera plus lourde encore.

Puisque nous sommes surtout l'œuvre et la création de Dieu, il faut lui réserver notre affection, l'aimer de tout notre cœur, de toutes nos forces, de tout notre esprit. Si nous ne nous acquittons pas de ce devoir, nous restons les débiteurs de Dieu et nous péchons envers le Seigneur. Qui alors priera pour nous 7 Si un homme pèche contre le Seigneur, qui priera pour lui (1. Sam., 2, 25), dit Elie au livre des Rois ?

Nous sommes aussi débiteurs du Christ qui nous a rachetés par son propre sang, comme tout esclave reste débiteur du maître qui l'a acheté, et pour lui a déboursé une somme d'argent. Nous avons contracté également une dette à l'égard de l'Esprit~Saint: nous le payons, lorsque nous évitons de contrister Celui, par qui nous avons été marqués d'un sceau, pour le jour de la rédemption (Eph., 4, 30) ; en ne l'attristant pas, nous portons les fruits escomp~ tés grâce à sa présence qui fait vivre notre âme.

S'il nous est difficile de savoir quel est l'ange de chacun de nous, qui voit sans cesse la face du Père qui est dans les cieux, il demeure toutefois évident qu'à lui aussi nous sommes débiteurs. Nous avons été livrés en spectacle au monde, aux anges et aux hommes ; le directeur d'un théâtre est oblige de produire le spectacle prévu, sinon il s'expose à être puni et bafoué par les spectateurs lésés. Il en est de même de nous : nous devons produire devant l'univers, devant les anges et les hommes ce que nous avons appris de la sagesse.

En dehors de ces obligations universelles, il existe la dette de la veuve dont l'Eglise prend soin, celle du diacre, du prêtre et la dette de l'évêque, la plus lourde, puisque, si elle n'est pas acquittée, le Sauveur l'exige de l'Eglise entière.

Déjà l'Apôtre a parlé d'une dette commune à l'homme et à la femme : Que le mari remplisse son devoir envers sa femme, et pal'eillement la femme envers son mari. et il ajoute : Ne vous trom.-

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pez pas l'un l'autre (1 Cor., 7, 3). Chaque lecteur peut donc faire le bilan de ses dettes. Ai~je besoin d'ajouter que sa conscience est grevée de tout ce qu'il n'acquitte pas, et délestée de tout ce qu'il a soldé. Aussi longtemps que nous sommes en vie, il n'est pas une heure du jour ou de la nuit, où nous ne devions quelque chose.

Quand quelqu'un a contracté une dette, il la solde ou ne la solde pas ; l'un ou l'autre peut arriver dans cette vie, Parmi les hommes, les uns ne doivent rien à personne, d'autres paient la plus grande partie de leurs dettes, d'autres ne s'acquittent que d'une petite part, d'autres enfin ne soldent rien et doivent tout. Mais celui qui liquide toutes ses obligations peut avoir besoin d'une remise pour des dettes antérieures, il l'obtiendra raisonnablement, s'il s'est toujours efforcé de payer aux échéances voulues.

Toutes les activités perfides, qui demeurent gravées dans notre raison, deviennent un acte rédigé contre nous, sur lequel nous serons jugés ; elles sont, pour ainsi dire, enregistrées dans le livre qui sera produit, quand nous comparaitrons devant le tribunal du Christ, pour que chacun reçoive le salaire de ce qu'il aura fait pendant qu'il ·était dans son corps, soit en bien soit en mal (Rom., 14, 10; 2 Cor., 5, 10). Le Livre des Proverbes fait allusion à ces dettes, quand il écrit :

Ne te lie pas par gage, si tu respectes ta face; Car, si tu n'as pas de quoi restituer, Ils prendront jusqu'à la couverture de ton lit (Prov., 22, 26~27).

CE Qu'oN Nous DOIT

Nous ne sommes pas seulement débiteurs, nous sommes aussi créanciers. Parmi les hommes, les uns nous sont obligés à cause de notre qualité d'hommes, les autres, à cause de notre titre de citoyen, de père ou de fils ; les épouses, parce que nous sommes leur maris ; nos amis, à titre de réciprocité. A l'égard de tant de débiteurs, qui peut~être ont de l'arriéré, nous nous comporterons de façon humaine ; nous ne nous souviendrons pas de leurs dettes, mais des nôtres que souvent nous avons omises d'acquitter aux hommes et même à Dieu.

Nous nous rappellerons les obligations que nous n'avons pas soldées, les fraudes que dans le passé nous avons commises à l'égard du prochain ; et nous serons plus indulgents pour nos débiteurs qui ne paient pas leurs dettes. Nous ne perdrons surtout pas la mémoire des fautes que nous avons commises à l'égard de Dieu, en parlant mal de sa grandeur, en méconnaissant la vérité, en murmurant par impatience, dans nos adversités.

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ORIGÈNE 67

S'il nous arrivait d'être durs avec nos débiteurs, nous parta­gerions le sort de cet homme qui n'a pas voulu remettre la créance de cent deniers à son compagnon d'esclavage, après que le maître l'eut tenu quitte de sa dette. La parabole de l'Evangile raconte qu'alors le maître le fit lier et l'obligea à rembourser ce qu'il lui devait : Serviteur méchant et paresseux, ne devais-tu pas avoit pitié de ton compagnon, comme moi-même j'avais eu pitié de toi? Jetez-le en prison, jusqu'à ce qu'd ait soldé tout ce qu'il doit. Le Seigneur ajoute : C'est ainsi que vous traitera mon Père céleste, si chacun de vous ne pardonne à son frère du fond du cœur (Matthieu, 18, 23-35).

Il nous faut pardonner à ceux qui affirment se repentir des fautes commises contre nous, même après récidive. Si, sept fois le jour, dit le Seigneur, ton frère pèche contre toi et que sept fois il revienne à toi en disant : «Je me repens», tu lui pardonneras (Luc, 17, 3-4). Ce n'est pas nous qui serons durs à l'égard de ceux qui ne se repentent pas : ils se nuisent à eux-mê·mes. Car celui qui rejette la correction méprise son âme (Prov., 15, 32). Il faut même chercher à soigner de son mieux ces hommes, pervertis au point de ne plus percevoir leur misère qui les aveugle ; leur méchanceté les enivre plus pernicieusement que le vin.

LA REMISE DES DETTES

Lorsque Luc écrit : Pardonne-nous nos péchés (les péchés prove­nant de nos dettes), il exprime la même chose que Matthieu, bien que ce dernier ne semble pas envisager le cas de celui qui ne veut pardonner qu'aux seuls débiteurs repentants. En effet, Luc rapporte l'ordre du Sauveur d'ajouter: Car nous remettons à tous ceux qui nous doivent (Luc 11, 4). Nous avons donc le pouvoir de remettre les fautes commises entre nous, ce qui découle avec clarté de la parole : comme nous remettons à nos débiteurs, et de celle-ci : car nous remettons à tous ceux qui nous doivent.

Celui qui agit sous l'impulsion de Jésus, comme les apôtres, qui, par ses fruits, manifeste qu'il a reçu l'Esprit-Saint et qui, devenu spirituel, obéit aux imp>Jlsions de l'Esprit comme un fils de Dieu, en agissant en tout selon sa raison, celui-là remet ce que remet Dieu et retient les péchés irrémissibles. Comme les prophètes, qui n'exprimaient pas leurs propres idées mais la volonté de Dieu, lui aussi, il est au service de Dieu qui seul a pouvoir sur les péchés.

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68 LE PATER

Voici en quels termes l'Evangile selon Jean rapporte le pouvoir de remettre les péchés, donné aux apôtres : Recevez l'Esprit-Saint : les péChés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, ils seront retenu1 à ceux à qui vous les retiendrez (Jean, 20, 22-23). Celui qui prendrait ces mots sans discernement pourrait reprocher aux apôtres de n'avoir pas remis à tous les hommes leurs péchés, afin que tous en soient quittes ; mais d'avoir retenu les péchés chez quelques­uns, &i bien que Dieu les leur aura retenus à son tour.

La Loi nous fournit ici un bon exemple pour montrer que c'est Dieu qui remet les péchés par l'entremise des hommes. Il est interdit au prêtre de la Loi d'offrir un sacrifice pour certains péchés, afin d'effacer les péchés de ceux qui en bénéficent. Il a pouvoir d'offrir un sacrifice pour certaines fautes involontaires, mais il n'offre ni holocauste ni sacrifice pour effacer l'adultère, le meurtre volon­taire ou d'autres péchés très graves. De même aussi les apôtres et les successeurs des apôtres, les prêtres, selon le Grand-Prêtre, connaissent la thérapeutique divine ; ils ont été instruits par l'Esprit, ils savent pour quels péchés il faut offrir le sacrifice, en quel temps et de quelle manière ; ils savent aussi pour quels péchés ils doivent s'en abstenir. Ainsi le prêtre Héli, quand ses fils Phinées et Ophni, ont péché, est incapable de venir à leur aide pour remettre leur faute. Il l'avoue lorsqu'il dit : Si un homme pèche contre un homme, on peut intercéder pour lui ; mais si un homme pèche contre le Seigneur, qui priera pour lui (1 Sam., 1, 25) ?

Je me demande comment certains hommes peuvent dépasser la juridiction de leur sacerdoce - par ignorance peut-être de la disci­pline religieuse - et se font fort de remettre les péchés d'adul­tère, de fornication, comme si la prière qu'ils prononcent sur les auteurs de pareils forfaits pouvait effacer des fautes· mortelles. Ils ignorent donc la parole : Il y a un péché qui conduit à la mort : ce n'est pas pout· celui-là que je demande de prier (I Jean, 5, 16). Rappelons que le vaillant Job dit en offrant le sacrifice pour ses fils : Peut-être que mes (z/s dans leur cœur auront offensé Dieu (Job, l, 5). Dans le doute, Job offre le sacrifice, même si le péché du cœur n'est même pas allé jusqu'aux lèvresll.

Il. Ce passage est extrêmement précieux, malgré son obscurité, pour l'his­toire du sacrement de la pénitence dans l'Eglise primitive. Origène fait profession ici du même rigorisme que Tet'tullien, en Afrique.

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Et ne nous soumets pas à la tentation, mais dêlivre~noue du Malin

Les mots Mais délivre~nous du Malin ne sont pas dans Luc. Si le Sauveur ne nous fait pas demander l'impossible, il est bon de rechercher comment nous devons prier pour ne pas être sou­mis à la tentation, alors que toute la vie de l'homme est une con­tinuelle tentation. Aussi longtemps que nous sommes sur la terre, nous sommes liés à la chair qui lutte contre l'esprit: Le dé~ir de la chair est hostile à Dieu et ne se soumet pas à la loi de Dieu ; nous sommes donc soumis à la tentation (Rom., 8, 7). Job, lui aussi, nous a enseigné que toute la vie de l'homme est tentation : Toute la vie des hommes sur la terre n'est~elle pas tentation (Job, 7, 1 ). ? Même affirmation dans le Psaume 17 : En toi je serai délivré de la tentation (Psaumes, 17, 30). En écrivant aux Corinthiens, Paul ne dit pas que nous ne sommes pas tentés, mais simplement que nous ne serons pas tentés au~dessus de nos forces : Aucune ten­tation ne vous est survenue, qui passât la mesure humaine. Dieu est fidèle ; il ne permettra pas que vous soyez tentés au delà de vos forces. A côté de la tentation, il placera les moyens qui vous permettront de résister (1 Cor., 10, 13).

Nous ne sommes pas exempts de tentations: nous devons lut­ter contre la chair qui convoite et combat contre l'esprit, ou bien contre l'âme de toute chair, qui est le cœur, d'un nom semblable au corps qu'elle habite: voilà la lutte dans laquelle sont enga9és les hommes qui sont éprouvés par la tentation. Ou bien nous sommes des athlètes déjà accomplis, qui ne luttent plus contre le . sang et la chair, qui ne sont plus éprouvés par les tentations humaines déjà foulées aux pieds, mais nous devons combattre contre les Principautés, contre les Dominations, contre les souverains de ce monde de ténèbres, et contre les esprits du mal (Eph., 6, 12).

Comment le Sauveur peut~il nous demander de ne pas entrer en tentation, alors qu'à vrai dire Dieu tente tous les hommes? Souvenez~vous, dit Judith, non seulement aux prêtres, mais aussi à tous ses lecteurs, de ce qui arriva à Abraham, combien il a tenté Isaac, ce que vécut Jacob, en Mésopotamie de Syrie, alors qu'il paissait pour Laban les brebis du frère de sa mère: il les a éprouvés pour purifier leurs cœurs ; il corrige non pour perdre mais pour nous amender (Judith, 8, 22~27). Et David affirme de tous les justes: Nombreux sont les maux du juste (Psaumes, 33, 20), et l'Apôtre dans les Actes : Il nous faut passer par bien des tribulations pour entrer dans le royaume de Dieu (H, 22).

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Si nous ne savons pas nous é-lever au~dessus du jugement de la masse, à propos de cette demande de ne pas entrer en tentation, il nous faut affirmer que les apôtres, eux aussi, n'ont pas été exaucés, lorsqu'ils faisaient cette prière : ils ont enduré une foule de maux, pendant toute leur vie, des travaux, des emprisonnements, des coups. au delà de toute mesure, souvent même la mort. Paul, en particulier, a reçu des Juifs cinq fois les trente~neuf coups; trois fois il a fait naufrage. Il lui est arrivé de passer un jour et une nuit sur l'abîme (2 Cor., 11. 24~25) ; il est pressé de toutes parts, contrecarré, persécuté, rejeté; il avoue : Jusqu'à l'heure présente, nous souffrons de la faim, et de la soif nous sommes mis à nu et souffletés, nous sommes ballottés et épuisés à force de tra­vailler de nos propres mains ; maudits, nous bénissons, persécutés nous endurons, blasphémés, nous consolons (2 Cor., 4, 11~13) 12•

Si donc les apôtres n'ont pas été exaucés, quel espoir reste à ceux qui leur sont bien inférieurs, de voir Dieu exaucer leur prière 7

Il est êcrit dans le Psaume : Eprouve~moi, Seigneur et tente~ moi: passe au feu mes reins et mon cœur (25, 2). Si quelqu'un ne prend pas garde à l'ordre du Seigneur il trouvera ces paroles contraires à ce que notre Seigneur nous a enseigné sur ·la prière. Qui imaginera les hommes soustraits aux tentations, alors qu'il sait leur mesure bien tassée 1 Quand est~on à l'abri du péché sans effort 7 Tu es pauvre 1 prends garde de ne pas jurer le nom de Diect en vain (Prov., 30, 9). Tu es riche 7 ne sois pas rassuré pour autant : le riche peut devenir menteur et dire dans son orgueil : Qui me voit 1 Paul lui~même, comblé de richesse, celle de la parole comme celle de la science est menacé de s'élever au~dessus des autres, il a besoin de l'aiguillon de Satan chargé de le souffleter, pour qu'il ne s'enorgueillisse pas. Si quelqu'un a bonne conscience et se croit épargné par le mal qu'il lise ce qui est écrit au cleu~ xième livre des Paralipomènes au sujet d'Ezéchias qui est tombé pour s'être enorgueilli (2 Par., 32, 25~26).

Nous n'avons pas parlé beaucoup des pauvres ; si quelqu'un n'en faisait pas grand cas sous prétexte qu'il n'y a pas de tentation pour la pauvreté, qu'il sache. que le tentateur complote contre le pauvre et l'indigent (Psaumes, 36, 14), surtout que, selon Salomon, le pauvre ne peut résister aux menaces (Prov., 13, 8). Il est inutile de dénombrer les hommes qui, pour avoir abusé de la richesse, partagent le sort du riche de l'Evangile. Combien d'autres, suppor-

12. Texte qui s'éloigne de l'original grec.

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tant mal leur pauvreté, ont vécu d'une manière indigne des saints, et par là, ont perdu l'espérance céleôte ! Et ceux qui sont à mi~ chemin entre richesse et pauvreté ne sont pas davantage préservés par leurs médiocres ressources.

Un homme sain et bien portant s'imagine~t~il à l'abri de la ten~ tation à cause de sa bonne santé? Qui détruit le temple de Dieu sinon les bien~portants ? Personne ne portera la contradiction, parce que ce sont des choses évidentes. Un malade évite~t~il facilement la tentation de souiller le temple de Dieu, alors que son oisiveté accueille si vite des rêveries impures ? A quoi bon énumérer toutes les autres sollicitations qui le guettent, s'il ne garde pas son cœur avec vigilance ! Il en est beaucoup qui brisés par les épreuves, ne sachant supporter courageusement la maladie ont préféré voir leur âme plutôt que leur corps. D'autres, pour échapper à l'ignominie, ont rougi de porter noblement le nom du Christ : ils se sont préci~ pités dans la honte éternelle.

La gloire des hommes met~elle à l'abri des tentations? Combien dure est la parole qui les concerne : Ils ont reçu leur récompense (Matthieu 6, 2) ; elle s'adresse à ceux qui recherchent l'estime de la foule. Ils doivent redouter cette autre parole : Comment pouvez~ vous croire, vous qui tirez gloire les uns des autres et ne recherchez pas la gloire qui vient du Dieu unique (Jean, 5, 44) ? A quoi bon énumérer les chutes dans l'orgueil de ceux qui se croient nobles : et la flagornerie malhabile de ceux qui baissent l'échine devant qui leur semble supérieur : pareille bassesse éloigne de Dieu ceux qui n'ont pas une affection sincère ; ils simulent ce qu'il y a de plus beau dans l'homme, la charité.

II est donc vrai que toute la vie de l'homme sur la terre est ten• tation. Aussi prions-nous pour en être délivrés. Nous demandons non pas d'être soustraits à la tentation (ce qui est impossible surtout aux hommes sur la terre) mais de ne pas succomber, quand nous sommes tentés. Celui qui succombe à la tentation entre, à mon avis, dans la tentation, il est pris dans ses filets. Le Sauveur a pénétré lui aussi, dans ces Blets, à cause de ceux qui s'y trouvaient pris : il regarde à travers les barreaux (Cant., 2, 9) ; il dialogue avec ceux qui s'y trouvent pris et sont entrés dans la tentation, il leur dit, à eux qui sont sa fiancée : Lève~toi, hâte~toi, ma sœur, ma toute~ belle, ma colombe 1

J'ajouterai encore pour montrer que l'homme est tenté sans cesse : pas même l'homme qui, jour et nuit, médite la loi de Dieu et s'évertue à mettre en pratique la parole : La bouche du juste méditera la sagesse (Prov., 10, 31), n'est épargné par la tentation.

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72 LE PATER

Combien se sont consacrés à l'étude des divines Ecritures et ont mal interprété les promesses qui se trouvent dans la Loi et les Pro­phètes? Ils ont versé dans des doctrines athées et impies ou par­fois dans des croyances stupides et ridicules. D'autres, qui ne méri­tent pas les mêmes reproches ont néanmoins succombé aux mêmes erreurs.

Le même malheur est arrivé à bien des lecteurs des livres évan­géliques et apostoliques ; ils ont inventé un autre Fils ou un autre Père que celui que les saints enseignent et que la vérité affirme. Celui qui erre sur Dieu ou son Christ, celui~là s'éloigne du vrai Dieu et de son fils unique. Il n'adore pas réellement celui que sa folie a fabriqué, en imaginant que c'était le Père et le Fils. Il en souffre pour n'avoir pas compris la tentation que renferme la lec­ture des livres saints; il n'était pas armé pour soutenir le choc ennemi.

LA TENTATION PERMISE PAR DIEU

Nous devons donc demander, non point d'échapper à la ten­tation - ce qui est impossible ·- mais de n'être pas surpris par elle, ce qui arrive à ceux qui sont joués et vaincus par elle. En dehors de la prière, il est ordonné de ne pas entrer en tentation, ce qui est clair d'après ce qui a été dit ; dans la prière, par contre, nous devons dire à Dieu : Ne nous induis pas en tentation.

Voyons donc comment Dieu peut induire en tentation celui qui ne prie pas ou qui n'est pas exaucé. Il répugne, alors que l'homme est vaincu par la tentation que Dieu puisse induire quelqu'un en tentation, comme s'il le livrait à la défaite. La difficulté subsiste, quelle que soit la façon dont nous expliquons la formule : Priez pour ne pas entrer en tentation. S'il est mal de tomber en tentation - ce que nous demandons à Dieu de nous épargner - n'est~ il pas absurde d'imaginer que le Dieu bon, qui ne peut pas porter de fruits mauvais, puisse jeter quelqu'un dans le mal?

Il n'est pas inutile de citer ici les paroles de Paul dans l'Epître aux Romains : Se flattant d'être sages, ils sont devenus fous, et à la gloire du Dieu immortel ils ont substitué des images représen­tant l'homme mortel, des oiseaux, des quadrupèdes, des reptiles. Aussi Dieu les a~t~il, par les convoitises de leur cœur, livrés à l'impureté, pour l'avilissement de leur propre corps (Rom., 1, 22-24). Et un peu plus loin : C'est pourquoi Dieu les a livt'és à de honteuses passions. Leurs femmes ont délaissé les relations natu-

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ORIGÈNE 73

relies pour celles qui sont contre nature ; pareillement les hommes, abandonnant les relations naturelles avec la femme, se sont consu~ més de désirs les uns pour les autres. (Rom., 1, 26~27). Et encore : Et puisqu'ils n'ont pas jugé bon de garder la vraie connaissance de Dieu, Dieu les a livrés à leur jugement pervers, pour faire ce qui ne convient pas (Rom., 1, 28).

Il fallait citer tous ces textes pour ceux qui divisent la divinité ; il faut demander à ceux qui distinguent le bon Père de notre Sei­neur du Dieu de la Loi, si le Dieu bon induit en tentation celui qui n'est pas exaucé dans sa prière, si le Père du Seigneur livre, par les convoitises mêmes de leur cœur, à l'impureté, pour l'avilisse­ment de leurs propres corps ceux qui auparavant ont péché ; et si, comme ils prétendent, oublieux du jugement et des supplices, il les livre, dans leurs passions honteuses, à leur jugement pervers, pour faire ce qui ne convient pas; comme s'ils n'avaient pas été livrés par Dieu aux passions de leur cœur, aux désirs honteux, à un esprit non éprouvé, afin de les condamner par là même.

Je sais bien que ces réflexions vont troubler vivement ces hom­mes. C'est pour cette raison qu'ils ont imaginé un autre Dieu que celui qui a créé le ciel et la terre. En trouvant dans la Loi et les Prophètes beaucoup de textes semblables, ils ont prétendu que celui qui prononçait de pareilles paroles n'était pas bon.

Quant à nous, devant les difficultés soulevées par ces mots : Ne nous induis pas en tentation, à propos desquels nous avons cité l'Apôtre, il nous faut voir si nous pouvons répondre à ces objections.

Il semble que Dieu dispose toutes les âmes raisonnables, en vue de leur vie éternelle ; mais elles demeurent libres 13 ; grâce à leur liberté, elles peuvent s'élever et gravir le sommet de la per­fection; ou bien par négligence, s'enliser dans telle ou telle forme du mal. En guérissant trop facilement, certains hommes en viennent à mépriser leurs maladies passées, elles leur paraissent trop faciles à soigner et ils finissent par y retomber. Voilà pourquoi Dieu a raison de faire fi de leur méchanceté qui grandit au point de deve­nir incurable : à force de persévérer dans le mal, les hommes finis­sent par être rassasiés du péché jusqu'à la nausée, par en éprouver les méfaits et par haïr ce que d'abord ils ont étreint. Ils pourront ainsi guérir et conserver plus fermement la santé spirituelle recou­vrée.

13. Texte suggestif pour la doctrine d'Origène sur le libre arbitre, surtout développée dans fe De prlncipiis, 3, 1.

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74 LE PATER

Ainsi la foule des fils d'Israël brûlèrent d'un grand désir, ils s'assirent en pleurant et dirent : Qui nous donnera de la chair à manger? Nous nous souvenons des poissons que nous mangions pour rien en Egypte; les concombres, les melons, les poireaux, les oignons et l'ail nous reviennent dans l'esprit. Nos yeux ne voient plus rien que la manne. Plus loin : Moïse entendit donc le peuple, qui pleurait, chacun dans sa famille, à l'entrée de sa tente (Nombres Il, 4~6, 10). Et encore, le Seigneur dit à Moïse :Tu diras au peuple : Purifiez~vous ; vous mangerez demain de la viande, car je vous ai entendu dire: Qui nous donnera donc de la viande à manger? Nous étions bien en Egypte. Le Seigneur vous donnera donc de la chair, afin que vous mangiez, non pas un seul jour, ni deux jours, ni cinq, ni dix, ni vingt, mais pendant un mois entier, jusqu'à ce qu'elle vous sorte par les narines et qu'elle vous fasse soulevet le cœur; parce que vous avez rejeté le Seigneur qui est au milieu de vous, et que vous avez pleuré devant lui, en disant : Pourquoi sommes~nous sortis de l'Egypte (Nombres, 11, 18~20) 7

Voyons donc si nous avons bien fait de citer cette histoire pour résoudre la difficulté que soulève la parole : Ne nous induis pas en tentation. Brûlant d'un grand désir, la foule confuse des fils d'Israël pleurait ensemble. Evidemment, aussi longtemps qu'ils ne possé~ daient pas ce qu'ils désiraient, ils ne pouvaient pas en éprouver le dégoût ni cesser d'en souffrir. Mais Dieu est bon, il aime les hom­mes ; il satisfait leur faim sans laisser subsister de désir. Aussi ne restèrent~ils pas un seul jour, dit l'Ecriture, sans manger de la viande, ne fût~ce que peu de temps, leur convoitise aurait con,.. tinué à brûler et à consumer leur âme. Ce ne fut pas non plus en deux jours que Dieu apaisa' leur désir ; il voulut en eux soulever le dégoût. Il ne se contenta donc pas de promesses, mais il les accabla en quelque sorte de ses dons, en disant : ce ne sera pas seulement cinq jours ni deux fois, ni quatre fois cinq jours que vous mangerez de la viande, mais pendant un mois entier, jusqu'à ce qu'elle vous sorte par les narines et que vous en ayez le choléra, afln que disparaisse votre convoitise dangereuse et déréglée.

Je vous ferai sortir ainsi de la vie, sans désir; le souvenir de tout ce que vous avez souffert pour vous purifier de toute convoitise vous empêchera de jamais plus y retomber. Si par hasard, bien plus tard, vous venez à oublier toutes ces épreuves dues à la convoitise et que vous n'accueillez pas parfaitement la parole quJ libère, vous retomberez dans vos malheurs. Enfin, si vous voulez revivre, vous le demandez à nouveau, vous méprisez ce que vous

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ORIGÈNE 75

avez désiré et vous recherchez la nourriture céleste et ce qui est beau : de les avoir négligés vous a fait chercher le pire.

C'est aussi le sort de ceux qui ont substitué à la gloire du Dieu immortel des images représentélnt l'homme mortel, des oiseaux, des quadmpèdes, des serpents, et pour avoir délaissé Dieu, ont été livrés, par les convoitises mêmes de leur cœur, à l'impureté, au point de déshonorer leurs propres corps. A un corps inanimé et insensible, ils ont donné le nom de Celui qui donne à tous les êtres sensibles et raisonnables, non seulement la sensibilité et la

·raison, mais à quelques~uns même la sensibilité et l'intelligence parfaites. A juste titre, ces hommes qui ont délaissé Dieu sont, à leur tour, délaissés par lui ; ils sont livrés aux passions honteuses et reçoivent le salaire de l'erreur qui leur a fait aimer le plaisir gros~ si er. Et ce salaire de l'erreur les frappe bien plus cruellement, lorsqu'ils sont livrés aux passions honteuses que s'ils étaient puri~ fiés par un feu spirituel et jetés en prison, jusqu'à ce qu'ils aient payé jusqu'au dernier centime de leurs dettes.

Quand ils sont livrés à l'impureté, ils se souillent des crimes selon la nature aussi bien que contre la nature; ils sont molestés par leur chair. Dans le feu et la prison, ils reçoivent, non le salaire de l'erreur, mais le bienfait d'être purifiés des maux qui accompa~ gnent l'erreur; de la sorte, ceux qui ont aimé le plaisir sont délivrés de la souillure et du sang dont ils s'étaient chargés, sans savoir comment ils pourraient échapper à la perdition.

Dieu lavera donc la souillure des fils et des filles de Sion et il purifiera le sang répandu, au souffle du jugement et au souffle de la destruction (Isaïe, 4, 4). Car il sera comme le feu qui fond les métaux, et comme l'herbe dont se servent les foulons (Malachie, 3, 2) ; il lavera et purifiera ceux qui ont besoin de ces remèdes pour n'avoir pas voulu garder la vraie connaissance de Dieu. Ces hom­mes se livreront volontairement à ces épreuves, et haïront leur esprit mauvais ; car Dieu ne veut pas imposer le bien, il veut des êtres libres. A force de se livœr au mal, certains hommes n'en ressentent presque plus la honte, ils l'écartent pour l'avoir pris faussement pour un bien.

Dieu n'a~t~il pas endurci le cœur du Pharaon pour qu'il pût dire ce qu'il a déclaré avant son endurcissement: Le Seigneur est juste, moi et mon peuple nous sommes des impies (Exode, 9, 27) ? Il a d'autant plus besoin d'être endurci et de souffrir, que, si son endurcissement venait trop vite à prendre fin, il ne finirait pas par le mépriser comme un mal, et par là, se rendrait digne d'être

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'16 LE PATER

encore davantage endurci. S'il n'est donc pas injuste de . tendre des pièges aux oiseaux, comme disent les Proverbes (1, 17), Dieu a raison de nous mener dans le filet, selon la parole : Tu nous as menés dans le filet (Psaumes, 65, 11). Même le plus méprisable des oiseaux, le passereau, ne tombe pas dans le filet sans la volonté du Père: s'il tombe, c'est pour s'être mal servi de ses ailes. qui devaient le soulever dans les airs. Demandons donc dans notre prière de ne rien faire qui puisse nous induire en une tentation, soumise au juste jugement de Dieu : ce qui arrive à quiconque est livré par Dieu, selon les convoitises mêmes de leur cœur à l'impu­reté, aux passions honteuses, à leur jugement pervers, pour faire ce qui ne convient pas.

UTILITÉ DE LA TENTATION

A quelque chose tentation est bonne. Tous, sauf Dieu, ignorent ce que notre âme a reçu de Dieu, même nous. Mais la tentation le manifeste, pour nous apprendre à nous connaître, et par là, nous découvrir notre misère : et nous obliger à rendre grâces, pour les biens que la tentation nous a manifestés. Déjà dans le livre de Job et du Deutéronome, le Seigneur déclare que l'épreuve sert à manifester les sentiments cachés de notre oœur. Car il est écrit : Pout quelle raison crois~tu que je t'ai répondu, sinon pour te faire paraître juste (Job, 40, 3) 1 Et le Deutéronome : Il t'a affligé de la faim ; il t'a donné pour nourriture la manne et t'a conduit dans le désert, où habitent le serpent terrible, le scorpion et le reptile, afin que soient connues les pensées de ton cœur (Deut., 8, 3, 15),

Pour emprunter encore un exemple à l'histoire, rappelons que l'esprit d'Eve ne devint pas vulnérable et fragile au moment où elle désobéit à Dieu et écouta le serpent, il l'était auparavant : le serpent s'approcha d'elle parce que sa perspicacité lui avait décou­vert auparavant la faiblesse de la femme. Dieu, qui sonde les cœurs, ne regarda point Caïn, ni ce qu'il lui avait offert (Genèse, 4, 5). Mais la méchanceté de Caïn se fit jour, quand il fit périr son frère, De même pour Noé :s'il n'avait pas bu le vin de la vigne qu'il avait plantée, jusqu'à s'enivrer et à paraître nu, l'irrévérence et l'impiété de Cham comme la vénération et le respect des autres frères, à l'endroit de leur père, n'auraient pas eu l'occasion de se mani­fester,

De même aussi les embûches qu'Esaü tend à Jacob semblent provoquées par le vol de la bénédiction paternelle: mais leurs racines plongeaient dans son âme, qui était impudique et péche-

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ORIGÈNE 77

resse (Héb., 12, 16). La pureté merveilleuse de Joseph, au~dessus de toute convoitise, ne nous serait pas connue, si sa souveraine n'avait pas brûlé pour lui.

Voilà pourquoi, dans l'intervalle qui sépare les diverses ten­tations, nous devons regarder dans l'avenir et nous préparer à supporter tout ce qu'il nous réserve, de manière à n'être pas pris à l'improviste mais à nous trouver toujours prêts. Ce qui fera défaut à notre humaine fragilité, quand nous aurons fait notre pos· sible, Dieu l'accomplira, lui qui, en toutes choses, collabore au bien de ceux qui l'aiment, de ceux dont il connaît d'avance, dans son infaillible prescience, ce qu'ils serontl4.

Délivre--nous du Malin

Par les paroles :Ne nous induis pas en tentation, Luc me semble avoir également enseigné le : Délivr:e~nous du Malin15• Il semble bien que le Seigneur ait parlé de façon plus ramassée aux disciples assez avancés ; à la multitude qui avait besoin d'un enseignement plus étendu, il parle de façon plus développée. Dieu nous délivre du Malin, non point quand l'ennemi ne nous attaque pas par ses artifices et ses suppôts, mais lorsque nous le tenons en échec, par une résistance forcenée. C'est ainsi que nous comprenons la parole : Nombreux sont les maux du juste, mais de tous Dieu le délivre (Psaumes, 33, 20). Dieu nous délivre des tribulations, non pas au point de les supprimer - bien que Paul dise : éprouvés de toutes parts - mais dans les tribulations, nous ne sommes pas angoissés, grâce à l'aide de Dieu. D'après l'hébreu, la tribulation exprime un état indépendant de notre volonté; tandis que l'angoisse dépend de nous, quand la tribulation nous écrase. Aussi Paul a~t~il pu écrire : De toutes parts nous sommes dans la tribulation mais non pas dans l'angoisse (2 Cor., 4, 8). A mon avis, nous trouvons la même pensée dans les Psaumes : Dans la tribulation tu me mets au large (4, 2). Le fait de mettre au large désigne la joie de l'esprit, dans les épreuves le calme qui vient de Dieu, et cela grâce au secours et à la présence du V er be divin.

C'est de cette manière que nous sommes délivrés du Malin. Dieu a délivré Job, non pas au point d'empêcher le diable de le tenter, mais parce que jamais Job n'a péché devant le Seigneur et

14. Texte important pour étudier la théologie de la grâce chez Origène. 15. Origène (comme les Pères grecs, dans leur ensemble) lit le mot au

masculin, alors qu'à la suite des latins nous y voyons plus généralement un neutre : le mal.

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que sans cesse il s'est montré juste. Satan avait dit: Est~ce sans intérêt que Job craint Dieu? N'as~tu pas entouré comme d'un rempart sa personne, sa maison et tout son bien? Mais étends un peu ta main et touche tout ce qu'il possède, pour voir s'il te bénit encore en face (Job, 1, 9~ 11). Et Satan fut couvert de confusion pour avoir calomnié Job. Celui~ci, en proie à tant de maux, ne parle pas contre Dieu, comme l'avait prétendu l'Adversaire ; alors même qu'il est livré au tentateur, il continue à bénir Dieu ; il rabroue sa femme qui lui dit : Maudis le Seigneur et meurs. Il la reprend en disant: Tu parles comme une femme qui n'a pas de sens; si nous avons reçu les biens de la main de Dieu, pourquoi n'en recevtions~nous pas aussi les maux (Job. 9~10) ?

Une seconde fois, Satan dit au sujet de Job à Dieu: L'homme donnera toujours peau pour peau, et il abandonnera tout ce qu'il possède pour sauver sa vie. Mais étends ta main et touche ses os et sa chair, pour voir s'il te bénira en face (Job, 2, 4~5). Il est vaincu par la vertu de l'athlète, et son mensonge est découvert. Malgré les plus dures épreuves, Job ne pécha point et ne proféra pas une parole contre Dieu. II soutint deux combats et fut victo­rieux, un troisième engagement lui fut épargné. L'épreuve des trois combats fut réservée au Sauveur, comme elle nous est rapportée par trois évangélistes ; et le Sauveur, clans son humanité, vainquit trois fois l'ennemi.

Nous avons soigneusement scruté et médité les paroles du Sei­gneur, afin de demander à Dieu, en connaissance de cause, de ne pas entrer en tentation et d'être délivrés du Malin. D'avoir écouté Dieu, nous sommes dignes d'être exaucés par lui. Prions~le donc, si nous sommes tentés, de ne pas succomber, et si nous sommes visés par les traits enflammés du Mauvais, de ne pas être consumés par eux. Ils sont victimes des flammes ceux dont les cœurs, selon le mot de l'un des douze16 sont comme un four (Osée, 7, 6). Ceux qui tiennent en mains le bouclier de la foi échappent aux traits de feu du Mauvais. Ils ont, en efl:'et, en eux une source jaillissant pour la vie éternelle (Jean, 4, 14). qui arrête le feu du Malin et l'éteint par le flot des pensées divines et salutaires ; ces dernières sont gravées dans l'âme, qui s'efforce de devenir spirituelle, par la contemplation de la véritél7,

16. Il s'agit d'Osée, un des douze petits prophètes. 17. Après l'explication du Pater, Origène achève son ouvrage par quelques

remarques sur la prières en général et d'autres d'ordre pratique.

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CYRILLE DE JÉRUSALEM

t 386

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~0 LB PATER

Comme évêque de Jérusalem, Cyrille eut beaucoup à souffrit pour la foi du concile de Nicée, de la part des ariens. Il nous reste de lui 24: catéchèses, c'est~à~dire 24 instructions faites aux caté­chumènes qui se préparaient au baptême. Les plus importantes sont les cinq dernières, appelées mystagogiques (explications des mys­tères), faites après le baptême, durant la semaine de Pâques, sur les sacrements reçus (baptême, confirmation et eucharistie).

Au cours de la V• Catéchèse mystagogique, parcourant la litur­gie de la messe, Cyrille commente le Pater1 •

1. Texte grec, Catéchèses mystagogiques, P.G. 33, 1117 • 1124. Swaans (Muséon, 1942, 43), attribue les catéchèses mystagoglques au successeur de Cyrllle, Jean de Jérusalem. Ses arguments sont sérieux sans être décisifs.

Nous avons publié cette traduction dans Prièreil des premiers chrétiens. Paris, Fayard 1959, p. 403.

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CYRILLE DE JÉRUSALEM 81

Après quoi, nous disons la prière que le Seigneur a apprise à ses disciples ; nous appelons avec un cœur pur, Dieu, notre Père, et nous disons :

Notre Père, qui es dans les cieux

Il est incommensurable, l'amour de Dieu pour les hommes. Il accorde à ceux qui l'avaient quitté et s'étaient précipités dans les pires détresses, le pardon total de toutes leurs forfaitures, une part si grande à la grâce, qu'il leur permet de lui dire: Père! Natte Père, qui es dans les cieux. Les « cieux » signifie aussi ceux qui portent en eux l'image céleste, chez qui Dieu réside, parce qu'il a fixé en eux sa demeure.

Que ton nom soit sanctifié

Le nom de Dieu est saint de sa nature, que nous le recon~ naissions ou non. Mais nos péchés l'ont profané, ainsi qu'il est écrit : A cause de vous mon nom est outragé sans cesse parmi les Na tians (Isaïe, 52, 5). Nous demandons donc que son nom soit sanctifié en nous ; non pas qu'il devienne saint comme s'il ne l'avait pas toujours été, mais qu'il soit sanctifié en nous du fait que nous nous sanctifions et que nous vivions comme les saints de Dieu.

Que ton règne arrive

Seul un cœur pur peut dire avec assurance: Que ton règne arrive. Il faut avoir été à l'école de Paul pour dire: Que le péché ne règne donc plus dans votre corps mortel (Romains, 6, 12), Celui qui se . garde pur dans ses actions, dans ses pensées et dans ses paroles peut dire à Dieu : Que ton règne arrive.

Que ta volonté soit faite au ciel et sur la terre

Les saints anges de Dieu accomplissent la volonté divine, David dit, en effet, dans les Psaumes : Bénissez Dieu, vous ses anges qui êtes puissants en force et exécutez ses ordres (Psaumes, 102, 20), Quand tu pries de la sorte, tu dis en substance : Comme les anges du ciel accomplissent ta volonté, Seigneur, qu'il en soit de même sur terre: qu'en moi ta volonté se fasse.

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Donne~nous aujourd'hui le pain nécessaire à notre subsistance.

Ce n'est pas le pain commun qui est nécessaire à notre subsis­tance, mais le pain sacré : il doit nourrir la substance de l'âme. Ce pain~là n'est pas soumis à la digestion et à la décomposition, mais il se répand dans tout ton être, pour le bien de l'âme et du corps. « Aujourd'hui » veut dire ici tous les jours; c'est aussi la pensée de saint Paul quand il dit: Aussi longtemps que l'on peut parler d'aujourd'hui (Hébreux, 3, 13).

Pardonne~nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés

Nous avons commis de nombreux péchés. Nous fautons en pensées, en paroles et dans nombre de nos actions qui sont répré­hensibles.

Si nous nous prétendons sans péché, nous nous trompons nous­mêmes (1 Jean, 1, 8), dit saint Jean, Nous passons un contrat avec Dieu, quand nous lui demandons de nous remettre nos fautes, comme nous remettons à notre prochain ses dettes. Pensons donc à ce que nous recevons et à quel prix ; ne différons et ne refusons pas de pardonner aux autres. Les offenses dont nous sommes victimes sont légères, insignifiant~s et sans gravité : celles, au con­traire, que nous avons commises à l'égard de Dieu sont graves, et nous ne pouvons attendre le pardon que de la seule charité divine à notre endroit. Prends donc garde de ne pas te voir refuser le pardon de tes péchés très graves commis contre Dieu, pour n'avoir pas voulu pardonner d'insignifiantes peccadilles.

Ne nous soumets pas à la tentation, Seigneur

Le Seigneur nous demandeA~il de prier, afin de ne pas être tenté du tout? Il est dit cependant dans l'Ecriture: Celui qui n'a pas connu l'épreuve, n'a pas fait ses preuves (Eccli., 34, 10). Et ailleurs: Ne voyez que joie dans les diverses épreuves qui peuvent vous survenir (Jacques, 1, 2).

Mais « être induit en tentation » ne serait~ce pas synonyme dans notre texte, d'être submergé par la tentation?

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CYRILLE DE JÉRUSALEM 83

En effet, celle~ci ressemble à un courant torrentiel qu'il est difficile de traverser. Ceux qui ne succombent pas à la tentation sont seuls à le traverser, ce sont, pour ainsi dire, de bons nageurs, qui ne sont pas emportés par le torrent. Les autres, en le passant, coulent bas.

Ainsi, par exemple, Judas: il fut sollicité par la tentation de l'avarice, il ne sut pas la traverser, pour ainsi dire à la nage, il sombra corps et âme. Pierre, de son côté, fut induit en la tentation de renier, mais en définitive, il ne fit pas naufrage, mais il finit par atteindre l'autre rive et se voir délivré de la tentation. Dans un autre texte, le chœur des saints qui demeurèrent purs chante sa reconnaissance d'avoir été sauvé de la tentation:

Tu nous as éprouvés, ô Dieu,

tu nous a épurés comme l'argent,

tu nous as menés dans le filet ;

tu as mis sur nos reins une étreinte,

tu as laissé le cavalier marcher sur nos têtes ;

nous avons passé par le feu, par reau,

tu nous en as tirés pour nous donner la félicité.

(Psaumes, 65, 10~12.)

Considère la joie qu'ils éprouvent d'avoir fait la traversée sans périr. Et tu nous en as tirés, est;.il dit, pour notre félicillé. Obtenir la félicité est synonyme de : être délivré de la tentation.

Mais délivre.-nous du Mauvais

Si ne nous induis pas en tentation signifiait écarter toute ten­tation, Jésus n'aurait pas ajouté . Mais délivre~nous du Mauvais. Le Mauvais est le démon et nous demandons d'en être délivrés.

A la fin de cette prière, tu dis : Amen. Cet amen signifie : Ainsi­soit~il et par là tu confirmes tout ce qui est contenu dans cette prière.

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GRÉGOIRE DE NYSSE

t394

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86 LE PATER

Frère cadet de saint Basile, Grégoire fut ordonné lecteur assez jeune, puis se toumfl. vers la rhétorique et se maria. Grégoire de Nazianze, son ami, le ramena à la vie ascétique. Il devint prêtre et évêque de Nysse, en Asie~Mineure.

Esprit dou,i d'une tiche culture profane, nourri de platonisme, Grégoire explore sa foi avec tottte la vigueur de son esprit. Dans ses écrits mystiques, il annonce ttn Jean de la Croix. ll composa cinq homélies sur la Prière da Seigneur 1 • Avec des subtilités, son commentaire est caractéristique du mouvement oratoire et de la vigueur spirituelle de Grégoire. Tillemont donnait à ce texte, dans les œuvres grégoriennes, la première place (Mémoires, 1. 605).

1. Nous tr-aduisons la Il" homélie de Grégoire, De l'Oraison dominicale, P.G. 44, 1136-1148. Migne utilise le texte de Morel, sans tenir compte de l'édi­tion critique de Grabinger,

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GRÉGOIRE DE NYSSE 87

Notre Père qui es aux cieux

Quand l'illustre Moïse introduisit le peuple d'Israël dans les mys­tères de la montagne, il ne leur permit d'approcher Dieu qu'à la condition de se purifier d'abord par la continence et les lustra­tions ; mais après ces purifications mêmes, ils ne purent soutenir la puissance divine : ils furent effrayés par le feu, les ténèbres, la fumée, les trompettes ; ils se tinrent éloignés. Ils demandèrent à Moïse de leur servir de médiateur pour connaître la volonté de Dieu : ils n'étaient pas à même de l'approcher ni de soutenir son regard.

Mais notre Législateur et Seigneur Jésus-Christ, pour nous mener à la grâce divine, ne nous découvre pas le mont ::5inaï, cou­vert de ténèbres et de fumée, il ne nous fait pas entendre le son des trompettes qui sème l'effroi, il ne purifie pas les âmes par une continence de trois jours ou par des purifications d'eau ; il ne laisse pas la foule tout entière au pied de la montagne, en n'accordant qu'à un seul de gravir la hauteur, perdue dans la ténèbre de la gloire divine. Il nous conduit, non pas sur la montagne, mais au ciel, en l'ouvrant à la vertu des hommes. Il leur procure non seulement de voir Dieu, mais de goûter de sa plénitude. Il donne à ceux qui s'approchent, de partager la nature supérieure. Il ne cache pas dans les ténèbres l'indicible gloire, comme pour la soustraire à ceux qui la cherchent; mais la clarté de sa doctrine perce la gloire inef­fable. Il puise l'eau des purifications, non point aux sources étran ... gères, mais à la source de nos âmes - que ce soit la pureté du regard ou du cœur- qui ne connaît pas le péché.

Notre Seigneur ne nous prescrit pas seulement de nous abs­tenir de la légitime vie conjugale, mais de fuir les mouvements des sens et des passions. De la sorte, il nous conduit par la prière à Dieu 2 ...

Jésus dit : Quand vous priez dites : Notre Père qui es dans les cieux. Qui me donnera des ailes comme à la colombe, dit quelque part David dans ses psaumes. Je voudrais m'écrier de même : Qui me donnera des ailes pour m'élever spirituellement jusqu'à la hau­teur de ces paroles sublimes, de quitter la terre, de passer la mer des airs 3 et de pénétrer la beauté du ciel ; qui me donnera de me soulever jusqu'aux étoiles et de contempler leurs merveilles, d'aller

2. Nous passons une courte discussion philologique. 3. Cosmologie ancienne qui croyait à une zone intermédiaire entre la terre

et le ciel.

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LE PATER

plus loin, de traverser tout ce qui est mouvement et changement pour atteindre l'immuable essence, l'inébranlable puissance qui ne s'appuie que sur elle~même, qui dirige tout ce qui existe, tout ce qui dépend de l'impénétrable dessein de la sagesse divine, Qui me donnera de quitter en esprit tout ce qui est soumis aux mutations intérieures pour me fixer en ce qui est immuable et sans changement ? Alors je pourrai exprimer le mot le plus intime et dire : Père.

Quel cœur ne faut~il pas pour employer ce mot, quelle intimité, quelle conscience pour atteindre l'ineffable gloire de Dieu, autant que faire se peut, à partir des mots qui expriment sa nature ? Pour reconnaître que la nature de Dieu est bonté, sainteté, ravissement, puissance, gloire, pureté, éternité, qu'elle s'exprime toujours dans les mêmes choses et de la même manière, jusqu'à oser, quelle que soit l'idée que se fasse de lui l' çsprit éclairé par l'Ecriture et la raison humaine, employer un pareil mot et appeler cette essence divine : Père 1

Il est clair qu'un homme sensé ne se permettrait pas d'employer ce mot de père, s'il ne se reconnaissait une ressemblance avec lui. Celui qui, de sa nature, est bon ne peut engendrer le mal, pas plus que celui qui est saint, l'impur: celui qui est immuable ne peut don­ner le jour à la précarité, le père de la vie à la mort ; celui qui est pur et sans tache, aux passions honteuses, celui qui est bienfaisant. aux avares. Celui qui est toute perfection ne peut être le père de ceux qui sont soumis au péché.

Si celui qui a besoin de purification rentre en lui~même et découvre sa conscience, criblée de vices et de souillures, si celui qui est pécheur se targue de parenté avec Dieu, au point d'appeler Père, celui qui est la pureté, et cela sans se purifier au préalable de ses forfaitures, celui~là serait présomptueux et blasphème, il appellerait Dieu, Père de son iniquité. Le nom de Père indique un rapport de filiation. Si donc une conscience souillée appelle Dieu Père, il lui attribue la responsabilité de sa perversion.

On ne peut pas unir la lumière et les ténèbres, dit l'Apôtre : il faut associer la lumière avec la lumière, la justice avec la justice, la beauté avec la beauté, l'intégrité avec l'intégrité, Les contraires sont apparentés aux semblables, car un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits (Matth., 7, 18), Si quelqu'un a le cœur dur et menteur, selon le mot de l'Ecriture, au point de proférer ces paroles, qu'il sache qu'il invoque non pas le père du ciel mais celui de l'enfer, qui est menteur et père du mensonge humain (Jean, 8, 44).

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GRÉGOIRE DE NYSSE 89

Il est péché et père du péché. Pour cette raison, ceux qui servent les convoitises de la chair sont appelés par l'Apôtre, fils de per~ dition (Jean, 17, 12), l'homme oisif et efféminé, fils de femmes perdues.

Par contre, ceux qui ont la conscience sans tache sont appelés fils du jour et de la lumière et ceux qui ont puisé à la force de Dieu, fils de la force. Si donc le Seigneur nous enseigne à nommer Dieu dans la prière : Père, il me semble vouloir essentiellement nous pres~ crire une vie digne et parfaite. La vérité ne peut enseigner le men~ songe, pour nous faire passer pour ce que nous ne sommes pas, pour prendre un nom qui ne répond pas à notre nature; mais nous devons, en nommant Père celui qui est sainteté, justice et bonté, prouver par notre vie notre parenté avec lui.

Te rends~tu compte quel effort, quelle vie cela exige? Quel zèle nous devons déployer pour nous élever dans notre âme à cette inti~ mité, qui nous autorise à dire à Dieu : Père? Si tu colles à l'argent, si tu es envoûté par la séduction du monde, si tu cherches l'estime des hommes, si tu poursuis les convoitises de la chair, et qu'ensuite tu dises cette prière, que pensera Celui qui scrute ton cœur, en écoutant tes paroles? Je m'imagine Dieu répondre en ces termes : Ta vie est souillée et tu appelles Père celui qui est le Père incorrup~ tible et saint ? Pourquoi profanes~tu de ta langue souillée mon nom immaculé ? Pourquoi usurpes~tu ce titre ? Pourquoi insultes~tu la sainteté divine ? Si tu étais mon enfant, tu aurais dû manifester mes qualités divines dans ta vie. Je ne retrouve pas en toi l'image de ma nature ; tu te trouves aux antipodes : quelle union peut exis· ter entre la lumière et les ténèbres, quelle parenté entre la vie et la mort, quel lien entre ce qui est pur et ce qui est souillé ?

Grande est la distance qui sépare le magnanime de l'avare: on ne peut concilier la bienveillance et la dureté qui s'excluent. C'est un autre qui est père de tes vices. Mes enfants possèdent les per~ fections de leur Père: le fils du miséricordieux est miséricordieux: le fils de celui qui est pur est pur. Ce qui est souillé est étranger à ce qui est sans souillure : en un mot, celui qui est bon engendre ce qui est bon, celui qui est juste, ce qui est juste. Vous, je ne sais d'où vous êtes (Luc, 13, 25). Il est dangereux, avant d'avoir amendé sa vie, de faire cette prière et d'appeler Dieu : Père,

Redisons ces paroles; à force de les répéter, nous en pénétre~ rons tout le sens caché. Notre Père qui es aux cieux. Nous avons déjà montré rapidement que nous devons nous concilier Dieu par une vie vertueuse. Mais il me semble que ces paroles ont encore un

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sens plus profond ; elles évoquent notre patrie que nous avons per­due, notre noble origine que nous avons aliénée.

Dans la parabole du jeune homme qui délaissa la maison pater­nelle et préféra vivre au milieu des pourceaux, le Verbe nous mani­feste la misère humaine, en exposant, sous forme d'histoire, de récit, notre égarement et notre vie dissolue. Le prodigue ne retrouve sa félicité première, qu'après avoir pris conscience de sa déchéance présente, d'être rentré en lui~même et d'avoir ruminé des paroles de pénitence. Ses paroles ressemblent à celles de notre prière ; il disait : Pète, j'ai péché contre le ciel et contre toi (Luc, 15, 18). Il ne serait pas accusé d'avoir péché contre le ciel, s'il n'avait pas été convaincu que le ciel était sa patrie, et qu'il avait fauté en le quit­tant. Cet aveu lui facilite le retour auprès de son père ; celui-ci court à lui, se jette à son cou et l'embrasse, lui passe la robe, non pas une nouvelle mais la première qu'il perdit par sa désobéissance, en goûtant du fruit défendu, en se mettant en quelque sorte à nu. L'anneau au doigt désigne le sceau gravé dans la pierre de l'image retrouvée 4• Il protège ses pieds par des chaussures, pour qu'en écra­sant la tête du serpent. il ne soit pas exposé à sa morsure.

De même que là~bas la bienveillance du Père facilite au jeune homme le retour à la maison paternelle - la maison paternelle signifie le ciel contre lequel, comme il dit à son père, il a péché -ici aussi, en nous apprenant à invoquer le Père dans les cieux, le Seigneur veut te faire penser à ta belle patrie, pour creuser en toi un brûlant désir du bien, et te ramener sur le chemin du retour.· La voie qui mène au ciel n'est autre que la fuite du péché. Il n'est pas d'autre moyen pour le fuir, me semble-t-il, que de devenir semblable à Dieu. Devenir semblable à Dieu signifie devenir juste, saint, bon et tout le reste, Si quelqu'un, avec toutes ses ressources, s'efforce de réaliser ces vertus dans sa vie, il passera sans peine, tout naturellement, de cette exis~ence terrestre à la cité des cieux. Rien ne sépare le divin de l'humain ; il n'est pas besoin d'artifice pour transférer notre chair lourde, pénible, terrestre, dans la vie incorporelle et spirituelle. Comme il n'existe pas de distance entre la vertu et le vice, semble-t~il, il ne dépend que de notre seule volonté de nous trouver où nous porte notre désir. Comme il n'y a pas

4. L'image désigne la ressemblance originelle de l'homme avec Dieu. Pour Grégoire de Nysse, la ressemblance primordiale de l'homme •avec Dieu provient de son intelligence et de sa volonté libre. Cette ressemblance fondamentale est inamissible et prépare la similitude ultérieure que Dieu ajoute par pure libéralité à la première.

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d'effort à faire pour choisir le bien, et que le choix nous met en pos~ session de son objet, tu peux, en t'unissant à Dieu, habiter dès main~ tenant le ciel. Si Dieu est au ciel, comme dit l'Ecclésiaste (5, 1), tu es uni à Dieu (Psaumes, 72, 78) : qui est uni à Dieu se trouve nécessairement auprès de lui. Si donc il nous ordonne d'appeler Dieu, dans notre prière, Père, il te commande simplement de ressem~ hier par ta vie au Père du ciel. Il l'ordonne encore plus explicitement quand il dit : Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait (Matthieu, 5, 48).

Si donc nous avons compris le sens de cette prière, il serait temps de disposer nos âmes, pour oser proférer ces paroles et dire avec confiance : Notre Père qui es dans les cieux. Comme notre res::;emblance de fils avec Dieu est manifeste - ceux qui l'ont reçu, il leur a donné de devenir enfants de Dieu, et recevoir Dieu c'est recevoir sa perfection - ainsi existe~t~il aussi des signes d'une nature mauvaise qui sont exclus dans un fils de Dieu, puisqu'il porte J'image du contraire. Veux~tu connaître les signes d'une nature mau~ vaise? L'envie, la haine, la calomnie, l'orgueil, l'avarice, la cupidité, l'insatiabilité, l'ambition maladive, tout cela exprime le contraire de l'image divine, Si quelqu'un porte toutes ces souillures et qu'il invo~ que le Père, quel père l' écou'tera ? Vraisemblablement celui auquel il ressemble; ce sera bien celui de l'enfer et non celui du ciel. Celui~là seul auquel il ressemble le reconnaîtra. La prière du pécheur invé~ téré invoque le démon. Celui qui fuit le péché et vit dans la vertu invoque le Père qui est bon.

Quand donc nous nous approchons de Dieu, examinons d'abord notre vie ; si nous y trouvons l'image de Dieu, alors seulement nous oserons proférer ces paroles, Celui qui nous a appris à dire Père, ne nous a pas permis de mentir. Celui qui a vécu selon sa noble origine divine a les yeux fixés sur la cité céleste : il appelle le Roi céleste, son Père, et la félicité, sa patrie.

Qu'est~ce à dire? Il faut penser aux biens d'en~haut, qui sont auprès de Dieu, là où il faut établir les fondements de sa demeure, déposer ses richesses et fixer son cœur : Où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. II faut contempler sans cesse la beauté du Père et en imprégner notre âme. Car Dieu ne fait acception de personne (Rom., 2, 11), dit l'Ecriture. Garde ta beauté de toutes ces souillures. Ce qui est de Dieu est pur de jalousie et de toute flétrissure. Que ni envie ni orgueil ne te défigurent, ni rien de ce qui profane la beauté divine.

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Quand tu en seras là, tu pourras invoquer Dieu avec une confiance filiale, et appeler le Seigneur de l'univers ton Père. Il tour­nera vers toi son regard paternel ; il te revêtira de la robe divine, te passera l'anneau au doigt, te mettra aux pieds les chaussures de l'Evangile, afin que tu prennes le chemin d'en~haut; il te ramènera à la patrie céleste, par J ésus~Christ notre Seigneur, à qui appartien­nent la gloire et l'empire dans les siècles des siècles. Amen.

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AMBROISE DE MILAN

t 397

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Ambroise est élu évêque de Milan, pendant les controverses ariennes, alors qu'il était gouverneur de cette ville. Il est avant tout évêque, et comme tel, instruit son peuple. Ses écrits sont essentiel~ lement l'expression de son activité pastorale. Il fait penser à Basile de Césarée.

Dans ses homélies (comme le commentaire du Pater le montre), Ambroise utilise abondamment les livres d'Origène. Son ouvrage .Sur les Mystères est le pendant des catéchèses mystagogiques de Cyrille. li traite le même sujet dans le livre Sur les Sacrements, auquel nous emprutons le commentaire du Pater 1 •

1. De Sacramentis, 6. Texte latin, P.L. 16, 450-454; Traité sur /es Sacre­ments, sur les Mystères, P. L. 16, 389. Nouveau texte établi, traduit et annoté par B. Botte, Paris, 1950. L'éditeur en démontre l'authenticité ambrosienne.

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AMBROISE DE MILAN 95

Les saints apôtres disaient au Seigneur Jésus : Seigneur, apprends~nous à pl'ier, comme Jean l'a appris à ses disciples. Alors /ésus dit cette prière :

Notre Père

Tu vois, elle est courte, cette prière, et pleine de toutes les qualités.

Comme le premier mot est pl~in de grâce! 0 homme, tu n'osais pas lever ton visage vers le ciel, tu baissais les yeux vers la terre, et soudain tu as reçu la grâce du Christ ; tous tes péchés t'ont été remis. De méchant serviteur tu es devenu un bon fils. Ne te fie donc pas à ton action, mais à la grâce du Christ. C'est par la grâce que vous avez été sauvés, dit l'Apôtre (Eph., 2. 5). Ce n'est pas présomption, mais foi. Proclamer ce que tu as reçu n'est pas orgueil, mais dévotion. Lève donc les yeux vers le Père qui t'a racheté par son Fils et dis : Notre Père.

C'est une présomption légitime, mais elle est modérée. Comme un fils, tu lui dis Père. Mais ne te réclame d'aucun privilège. Il n'est le Père, d'une manière spéciale, que du Christ seul ; pour nous tous, il est le Père commun, parce que lui seul il l'a engendré, tandis que nous, il nous a créés. Dis donc toi aussi par grâce : Notre Père, pour mériter d'être son fils. Recommande~toi toi~même de la faveur et de la considération de l'Eglise.

Qui es dans les cieux

Que signifie aux cieux? Ecoute l'Ecriture affirmer : Le Sei­gneur est exalté par~dessus tous les cieux (Psaumes, 112, 4), et tu trouves que partout le Seigneur est au~dessus des cieux, comme si les anges ne se trouvaient pas au ciel, comme si les Dominations ne se trouvaient pas davantage au ciel. Il s'agit des cieux dont il est dit : Les cieux racontent ta gloire (Psaumes, 18, 2). Le ciel est là où a cessé la faute; le ciel est là où n'existe plus la blessure de la mort.

Que signifie : soit sanctifié ? Comme si nous souhaitions que soit sanctifié Celui qui a dit : Soyez saints, parce que je suis saint (Lév., 19, 2) ; comme si notre parole pouvait ajouter à sa sainteté. Non qu'il soit déjà sanctifié en nous, mais de sorte que son action sanctifiante parvienne jusqu'à nous.

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Que ton nom soit sanctifié, que ton règne arlive

Comme si le règne de Dieu n'était pas éternel. Jésus dit : C'est pour cela que je suis né (Jean, 18, 37), et tu dis : Que ton règne arrive, comme s'il n'était pas venu. Le règne de Dieu est venu, quand vous avez reçu la grâce. II dit lui~même : Le règne de Dieu est en vous (Luc, 17, 21).

Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel; donne~nous aujourd'hui notre pain quotidien

Tout a été pacifié par le sang du Christ, au ciel, sur la terre. Le ciel a été sanctifié, le diable en a été chassé. Il se trouve où se trouve l'homme qu'il a trompé. Que· ta volonté soit faite, c'est~à­dire qu'il y ait paix sur terre comme au ciel.

Donne~nous aujourd'hui notre pain quotidien. Je me souviens de ce que je vous ai dit, quand je vous expliquais les sacrements. Je vous ai dit: avant les paroles du Christ, ce qu'on offre s'appelle du pain ; dès que les paroles du Christ ont été prononcées, on ne l'appelle plus pain, mais corps. Pourquoi l'Oraison dominicale qui fait suite immédiatement dit~elle notre pain ? Elle dit pain, mais Émou<noç, c'est~à~dire supersubstantieJ2. Ce n'est pas ce pain qui entre dans le corps, mais le pain de la vie éternelle qui nourrit la substance de notre âme. c· est pour cette raison que le grec l'appelle Émoucr~oç, Le latin appelle quotidien ce pain que les Grecs disent de demain. Ce que dit le latin et le grec semble éga~ lement utile. Le grec a exprimé les deux sens par un seul mot, le latin dit quotidien.

Si ce pain est quotidien, pourquoi attendraisAu un an durant pour le recevoir, comme les Grecs ont coutume de le faire en Orient ? Reçois chaque jour ce qui doit te profiter chaque jour. Vis de manière à mériter de le recevoir quotidiennement. Celui qui ne mérite pas de le recevoir chaque jour ne mérite pas de le recevoir au bout d'une année. C'est ainsi que le saint Job offrait un sacri­fice tous les jours pour ses fils, de peur qu'ils n'eussent commis quelque péché dans leur cœur ou dans leurs paroles. Tu entends par conséquent que chaque jour on offre le sacrifice, on représente

2. Il est f.acile de noter ici la dépendance d'Ambroise vis-à-vis d'Origène. Ce fait est un argument de plus en faveur de l'authenticité ambrosienne du traité Sur les Sacrements.

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AMBROISE DE MILAN 97

la mort du Seigneur, la résurrection du Seigneur, l'ascension du Seigneur ainsi que la rémission des péchés. Et tu ne reçois pas le pain de la vie chaque jour ? Celui qui est blessé cherche un remède ; le remède du ciel c'est le sacrement vénérable.

Donne~nous aujourd'hui notre pain quotidien. Si tu reçois le pain chaque jour, chaque jour pour toi c'est aujourd'hui. Si le Christ est à toi aujourd'hui, tous les jours il ressuscite pour toi. Comment cela? Tu es mon fils, moi, aujourd'hui je t'engendre (Psaumes, 2, 7). Aujourd'hui, c'est~à~dire: quand le Christ ressuscite. Hier et aujourd'hui il est le même, dit l'Apôtre (Heb., 13, 8). Ailleurs il dit : La nuit est avancée, le jour est proche (Rom., 13, 12). La nuit d'hier est passée, le jour d'aujourd'hui est arrivé.

Remets~nous nos dettes, comme nous les remettons à nos débiteurs

Qu'est la dette sinon le péché? Si tu n'avais pas accepté d'argent d'un prêteur étranger, tu ne serais pas dans la gêne: c'est de là que vient ton péché. Tu as possédé l'argent avec lequel tu devais naître riche. Tu étais riche, créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. Tu as perdu ce que tu possédais, c' est~à~dire l'humilité, quand tu as désiré te venger de l'arrogance : tu as perdu ton argent, tu t'es trouvé nu comme Adam, tu as accepté du diable une dette qui n'était pas nécessaire. Tu avais été libre dans le Christ, tu tu t'es fait débiteur du démon. L'ennemi possédait ta caution, mais le Christ l'a clouée à la croix et l'a effacée de son sang. Il a soldé ta dette, il t'a rendu la liberté.

C'est donc avec raison qu'il dit: Et remets~nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs. Prends garde à ce que tu dis : Remets~moi comme moi je remets. Si tu remets, tu tombes d'accord pour qu'on te remette. Si tu ne remets pas, comment peux­tu l'engager à remettre ?

Et ne permets pas que nous soyons induits en tentation, mais délivre-nous du mal

Considère ce que tu dis : Et ne permets pas que nous soyons induis en une tentation que nous ne pouvons pas soutenir. Il ne dit pas : Ne nous induis pas en tentation, mais comme un athlète, il veut une épreuve à la dimension de la condition humaine, et que chacun soit délivré du mal, c'est~à-dire, de l'ennemi, du péché.

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98 LE PATER

Le Seigneur qui a enlevé votre péché et pardonné vos fautes, est à même de vous protéger et de vous garder contre les ruses du diable qui vous combat, afin que l'ennemi, qui d'habitude engen~ dre la faute, ne vous surprenne pas. Qui se confie en Dieu ne redoute pas le démon. Si Dieu est pout· nous, qui sera contre nous (Rom., 8, 31) 1

C'est à lui qu'appartiennent louange et gloire, maintenant et dans les siècles des siècles. Amen.

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JEAN CHRYSOSTOME t 407

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lOO LE PATER

Le plus illustre patriarche de Constantinople fut sans contredit Jean d'Antioche à qui son éloquence a fait donner par la postérité le surnom de Bouche d'Or. Mais aussi quelle tragique destinée que la sienne 1

Né à Antioche d'une famille en renom, Jean apprend de bonne heure les belles lettres et l'éloquence, Il reçoit le baptême, puis s'enfonce dans le désert pour vivre la vie érémitique. Au bout de six ans, il revient à Antioche où il devient prêtre, puis évêque. Il récolte les plus beaux succès oratoires, par l'aisance de sa parole, la chaleur de son discours, la pénétration de sa psychologie.

A la mort de Nectaire, Jean est appelé à Constantinople sur le premier siège d'Orient. La cour impériale applaudit. Mais Jean n'est pas une cymbale qui retentit, il est un saint qui entend réfor~ met· et cor:r·iger. Une opposition se forma. Il fut exilé une première fois, revint pour peu de temps, puis exilé définitivement, dans l'An ti~ Taurus, où les rigueurs du climat eurent vite prise sur sa santé chancelante. Sur l'intervention de Rome, on lui assigna un autre lieu de séjour, au pied du Caucase. Il ne put l'atteindre, épuisé paz· la route.

Il n'est pas un Père de l'Eglise qui conserve un accent de moder­nivé comme Jean Chrysostome. Rien dans ses sermons ne nous paraît défraîchi. Il a su atteindre ce qui constitue la substance de nos cœurs de chair. Il sera facile de s'en convaincre en lisant ses commentaires du Pater.

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JEAN CHRYSOSTOME 101

HOMÉLIE

sur la nécessité

de régler sa vie sur Dieu 1

Le Seigneur nous enseigne ce qu'il faut dire, Ces paroles ne nous apprennent pas seulement à bien vivre, mais elles suffisent pour régler notre vie, Quelles sont~elles et quel en est le sens 1 Voilà ce qu'il nous faut rechercher avec soin, pour l'observer fidèlement.

Notre Père qui es aux cieux. (Matth., 6, 9 et suiv.)

Quel excès de charité ! Quelle sublime élévation 1 Par quelles paroles dignement remercier Celui qui nous a comblés de tant de biens 1 Considérez, mes chers auditeurs, la bassesse de notre commune nature, examinez notre origine et vous n'y trouverez que boue, cendre, poussière : formés de terre, nous retournerons à la terre après notre mort. Puis admirez l'insondable abîme de la bonté de Dieu qui veut que nous lui donnions le nom de Père, nous ter­restres à lui qui habite le ciel. nous mortels à lui l'Immortel, nous corruptibles à lui l'Incorruptible, nous qui passons à lui qui demeure, nous qui ne faisons que de sortir de la boue à lui le Dieu de toute éternité. Toutefois, s'il vous permet de prononcer ce nom, il ne veut pas que ce soit en vain, mais bien afin que, respectant le nom de Père que lui donne votre bouche, vous imitiez sa bonté, comme il dit en un autre endroit : Devenez semblables à votre Pére céleste, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes comme sur les injustes (Matth., 5. 45),

Vous ne pouvez appeler votre Père le Dieu de toute bonté, si vous gardez un aœur cruel et inhumain ; car, dans ce cas, vous n'avez plus en vous la marque de la bonté du Père céleste; mais

1. Homélies sur divers textes du Nouveau Testament. «La porte e.st étroite», P. G. 51, 44. Traduction de M. Jeannin, qui a été révisée.

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vous êtes descendus au àmg des bêtes féroces, vous êtes déchus de votre noblesse divine, vous êtes dégénérés selon cette parole de David : L'homme n'a pas compris la gloire à laquelle il était élevé: il est devenu comparable aux animaux privés de raison, et il s'est fait semblable à eux (Ps., 8, 21 ). Quoi 1 cet homme s'élance comme un taureau frappe du pied comme un âne, garde rancune comme un chameau, s'emplit le ventre comme un ours, dérobe comme un loup, pince comme un scorpion, est rusé comme le renard, hennit après les femmes comme le cheval après les cavales, et il pourrait faire enten ... dre la parole des enfants et appeler Dieu du nom de Père 1

Mais comment faudrait~il l'appeler lui~même? Bête féroce 1 Mais de tous les vices que je viens d'énumérer, les animaux n'en ont qu'un. et celui~ci les réunit tous et il a moins de raison que les animaux mêmes. Que dis~je, bête féroce ? Mais il est pire que les animaux. Ceux~ci, quoique féroces par nature, peuvent, par le soin de l'homme, s'apprivoiser. Mais l'homme qui change la férocité naturelle des animaux en une douceur qui ne leur est pas naturelle, change sa propre douceur en une férocité qui ne lui est pas naturelle, lui qui peut rendre doux ce qui est cruel par nature se rend cruel lorsque, par nature, il est doux, lui qui apprivoise le lion et le rend docile change son propre cœur en un cœur plus cruel que celui du lion 1 li y a deux obstacles à vaincre chez le lion, puisqu'il est privé de raison et qu'il est le plus féroce des animaux ; et pourtant la sagesse que Dieu nous a donnée de dompter cette nature rebelle. Et celui qui triomphe de la nature des animaux va perdre l'avantage que la nature lui a donné 1 Le lion, il le rend humain, et il lui est indifférent de faire de lui~même un lion 1 Au lion, il donne ce qui est au~dessus de sa nature, et à lui~même il refuse ce qui est de sa nature 1 Comment donc pourrait~il appeler Dieu son Père ? Un homme plein de bonté et de charité pour son prochain, un homme qui, loin de se venger des injures reçues, ne prend que le bien pour le mal, celui~là seul peut sans crainte appeler Dieu son Père,

Voyez maintenant et saisissez toute la force de ces paroles : elles nous font une loi de nous aimer les uns les autres, elles nous resserrent tous dans le lien d'une charité mutuelle. Le Seigneur ne nous a pas commandé de dire, mon Père qui es aux cieux, mais bien notre Père qui es aux cieux, afin que, sachant que nous avons un Père commun, nous éprouvions les uns pour les autres un amour fraternel. Ensuite pour nous apprendre à nous détacher de la terre, à ne pas nous courber sans cesse vers elle, mais à saisir les ailes de la foi, à prendre notre essor, à traverser les airs, à passer au­delà des régions éthérées, à chercher celui que nous appelons notre

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JEAN CHRYSOSTOME 103

Père, il nous a ordonné de dire : Notre Père qui es aux cieux, non que Dieu ne se trouve que dans les cieux, mais pour que nous qui sommes actuellement attachés à la terre, !nous levions les yeux au ciel, et qu'admirant la beauté des biens qui nous y attendent, nous aspirions vers eux de tout notre cœur. Telle est la première parole; écoutez maintenant la seconde :

Que ton nom soit sanctifié

Ce serait une folie de croire qu'il demande pour Dieu un accrois~ sement de sainteté, par ces paroles : Que votre nom soit sanctifié, car il est saint, tout à fait saint, saint par excellence. Et les séra~ phins, lui adressent cet hymne : Saint, saint, saint est le Seigneut Dieu des armées; le ciel et la terre sont remplis de sa gloire. Comme ceux, qui, acclamant les monarques, les appellent rois et empereurs, n'ajoutent rien à leurs prérogatives, mais ne font que proclamer celles qu'ils possèdent; de même nous ne donnons pas à Dieu une sainteté qu'il n'aurait pas, lorsque nous lui disons : Que votre nom soit sanctifié; nous proclamons seulement celle qu'il a; car l'expression qu'il soit sanctifié, se dit au lieu de : qu'il soit glorifié. Cette parole nous apprend à diriger notre vie dans le che~ min de la vertu, afin qu'en nous voyant, les hommes glorifient notre Père céleste, selon ce qu'il est dit en un autre endroit de l'Evangile : Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes œuvres et qu'ils glotifient votre Père qui est dans les cieux (Matth., 5, 16),

Puis Jésus~ Christ nous enseigne à dire :

Que ton règne arrive

Tyrannisés par les concupiscences charnelles, assaillis de mille tentations, nous avons besoin du règne de Dieu, de peur que le péché ne règne dans ce corps mortel et ne le rende esclave des passions, de peur encore que nos membres ne deviennent des ins~ truments d'iniquité pour le péché, mais afin qu'ils soient des instru~ ments de justice aux mains de Dieu et que nous nous rangions dans l'armée du Roi des siècles. Cette parole nous apprend encore à ne pas trop nous attacher à cette vie mortelle, mais à fouler aux pieds les choses présentes, à désirer les choses futures comme étant seules stables, à rechercher le royaume du ciel et de l'éternité, à ne pas mettre notre bonheur dans les choses qui peuvent nous plaire ici~

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bas, dans la beauté des corps, ni dans l'abondance des richesses, ni dans les grandes possessions, ni dans le luxe des pierreries, ni dans la magnificence des maisons, ni dans les dignités et les hon­neurs, ni dans la pourpre et le diadème, ni dans les festins, dans les mets exquis, dans les plaisirs quels qu'ils soient, mais à répu­dier avec mépris ces faux biens, pour tendre de tous nos efforts vers le seul règne de Dieu. Après nous avoiL· enseigné le détache­ment du monde, le Seigneur ajoute :

Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel

Il nous a inspiré l'amour des biens à venir, il nous les a fait désirer avec ardeur, et quand il a jeté cette flamme dans notre cœur, il dit : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, comme s'il disait : 0 vous, notre Roi, accordez~nous de vivre comme ceux qui sont au ciel, afin que ce que vous voulez, nous le voulions aussi. Secourez notre volonté qui faiblit, qui voudrait accomplir vos préceptes, mais qui en est empêchée par la fragilité du corps. Tendez~nous une main secourable, à nous qui voudrions courir et qui ne pouvons que nous traîner. Notre âme a des ailes, mais alourdies par la chair ; elle s'élance vers le ciel, mais la chair la fait retomber lourdement sur la terre ; avec votre secours tout lui deviendra possible, même ce qui est impossible. Que ta volonté donc soit faite sur la terre comme au ciel.

Comme il vient de nommer la terre, et qu'à des créatures, sor­ties de la terre, vivant sur la terre, portant un corps formé de la terre, il faut un aliment conforme à leur nature, Jésus~Christ devait nécessairement ajouter :

Donne~nous aujourd'hui le pain nécessaire à notre subsistance

Il veut que nous demandions le pain nécessaire à notre subsis­tance, non le superflu, mais le nécessaire, ce qui suffit à réparer les pertes que le corps subit sans cesse et à l'empêcher de mourir de faim, non des tables voluptueuses, non des mets variés, non des festins préparés avec une savante industrie, non des pâtisseries déli­cates, des vins aux parfums de fleurs, et tous ces autres raffine­ments qui flattent le palais, mais qui accablent l'estomac, qui appe­santissent l'esprit et font que le corps se révolte contre l'esprit, comme un cheval rebelle au frein comme à la voix de son cavalier.

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Ce n'est pas là ce que la parole de Dieu nous enseigne à deman­der, mais le pain nécessaire à notre subsistance, c'est~à~dire qui s'assimile au corps et le fortifie. Et ce pain, il ne nous ordonne pas de le demander pour un grand nombre d'années, mais seule­ment pour le jour présent. Ne soyez pas inquiets, nous dit~ il. pour le lendemain, vous qui ne verrez pas le lendemain, qui travaillerez sans recueillir les fruits de votre travail 1 Confiance en ce Dieu qui donne à toute chair sa nourriture 1 (Ps., 135, 25). Celui qui vous a donné votre corps, qui d'un souffle de sa bouche a créé votre âme, qui vous a doué de raison, qui, même avant votre création, vous avait préparé tant de biens, vous aban­donnera~t~il après votre création, lui qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et pleuvoir sur les justes et sur les injustes ? (Matth., 6, 45). Placer donc en lui votre confiance, ne lui demandez que la nourriture du jour présent, lui laissant le soin du lendemain, comme disait le bienheureux David : Abandonne au Sei­gneur le soin de ta personne et il te nourrira (Ps., 54, 23).

Après nous avoir enseigné dans les paroles précédentes la plus haute philosophie, sachant qu'il est impossible à des hommes revê­tus d'un corps mortel de ne pas tomber, il nous a appris à dire :

Et pardonne~nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés

Cette demande renferme trois préceptes salutaires à ceux qui sont parvenus à un haut degré de vertu, Jésus-Christ apprend qu'ils ne doivent pas cesser d'être humbles, ni se confier en ce qu'ils ont fait de bien, mais craindre et trembler et se souvenir de leurs iniquités passées, comme le faisait le grand Paul qui,· après tant de bonnes œuvres, disait : Jésus-Christ est venu en ce monde pour sau.ver les pécheurs, entre lesquels je suis le premier (1 Tim., 1, 15) : il ne dit pas j'étais, mais je suis, montrant par là que le- souvenir du passé lui était sans cesse présent.

A ceux donc qui sont arrivés à la perfection, notre Seigneur par ces paroles indique que l'humilité doit être leur sauvegarde. A ceux qui sont tombés après la grâce du saint baptême, loin de les lais­ser désespérer de leur salut, il apprend à demander au médecin des âmes le pardon qui les guérira.

En outre il nous donne à tous une leçon de charité. Il veut que nous soyons indulgents pour les coupables, san,s ressentiment contre ceux qui nous ont offensés : si nous pardonnons, on nous pardon-

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nera, et c'est nous qui fournissons la mesure du pardon qui nous sera accordé. Car nous demandons d'obtenir autant que nous aurons accordé, nous demandons une indulgence proportionnée à celle que nous aurons eue nous~mêmes. Après cela, J ésus~Christ nous ordonne de dire :

Et ne nous induis pas en tentation ; mais délivre ... nous du mal

Il nous arrive bien des maux causés par les hommes, qu'ils nous tourmentent ouvertement, ou qu'ils nous tendent des pièges cachés. Le corps, s'il se soulève contre l'âme, nous cause un grave dommage ; s'il tombe dans les innombrables maladies qui nous assiègent, il ne nous amène que douleurs et afflictions. Puisque de toutes parts nous sommes exposés à des maux si nombreux et si divers, notre Seigneur nous apprend à demander au Dieu tout~puissant d'en être délivrés. Car devant celui qu'il protège, la tempête s'apaise, les flots redeviennent tranquilles, le démon s'enfuit confus, comme autrefois quand, se retirant des hommes, il entra dans le corps des pour­ceaux ; ce que même il n'osa pas faire sans permission.

S'il n'a pas même de pouvoir sur des pourceaux, en aura~t~il sur des hommes vigilants et humbles gardés par le Dieu qu'ils adorent comme leur maître et leur roi? Aussi à la fin de cette prière nous montre~t~il qu'à Dieu appartiennent la royauté, la puissance et la gloire, en disant : A toi sont la royauté, la puissance et la gloire pour toute l'éternité?- : Ainsi soit~il. Comme s'il disait : je vous demande tout cela parce que je vous reconnais comme le Maître universel de toutes choses, comme ayant une puissance qui ne finira jamais, pouvant tout ce que vous voulez, possédant une gloire qu'on ne peut vous ravir.

Pour tous ces motifs, rendons grâces à Celui qui a daigné nous accorder tant de biens, et proclamons qu'à Lui convient toute gloire, tout honneur et toute puissance ; à Lui, dis~je, Père, Fils et Saint" Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit~ il.

2. Cette conclusion de l'oraison dominicale se trouve dans les bibles grecques, mals non dans la Vulgate. Elle provient des prières juives.

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SERMON SUR LA MONTAGNE!

Voici donc comme vous prierez :

Notre Père qui es dans les cieux

Voyez comment il relève d'abord les esprits, et rappelle en notre mémoire toutes les grâces que nous avons reçues de Dieu. En nous apprenant à appeler Dieu « notre Père », il marque en même temps par ce seul mot la délivrance des supplices éternels, la jus­tification des âmes, la sanctification, la rédemption, l'adoption au nombre des enfants de Dieu, l'héritage de sa gloire qui nous est promis: l'association à son Fils unique: et enfin l'effusion de son Saint Esprit.

Car il est impossible à qui n'a pas reçu tous ces biens d'appele! avec vérité Dieu « son Père». Il nous attire donc à Dieu par deux considérations très~puissantes : par la majesté de celui que nous invoquons, et par la grandeur des dons que nous en avons reçus. Quand il dit que «Dieu est dans les cieux», ce n'est pas comme pour le limiter et l'y renfermer: mais pour retirer de la terre l'esprit de celui qui prie et pour l'attacher au ciel.

Il nous apprend encore à faire nos prières en commun pour tous nos frères. Car il ne dit pas : Mon Père « qui es dans les cieux » : mais «notre Père», afin que notre oraison soit généralement pour tout le corps de l'Eglise, et que chacun ne regarde point son intérêt particulier, mais celui de tous. Il bannit par là toutes les aversions et les inimitiés, il réprime l'orgueil, il chasse l'envie, et il introduit dans les âmes la charité, cette mère divine de tous les biens, Il détruit toutes les inégalités et les différences de condition et d'état, et il égale admirablement le pauvre avec le riche, et le sujet avec le prince : puisque nous nous trouvons tous unis dans les biens les plus importants et les plus nécessaires, qui sont ceux du salut.

En quoi peut donc nous nuire la bassesse de notre naissance selon la chair, puisqu'une autre naissance nous unit tous, sans que l'un ait avantage sur l'autre : ni le riche sur le pauvre: ni le maître sur le serviteur : ni le magistrat sur le particulier : ni le roi sur le

1. Commentaire de l'Evangile selon S. Matthieu, hom. 19, Traduction de M. Jeannin, qui a été révisée,

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soldat ; ni le philosophe sur l'illettré ; ni le plus savant sur le plus simple et le plus ignorant? Car Dieu rend tous les hommes égale­ment nobles, lorsqu'il veut bien s'appeler le Père de tous.

Après donc qu'il a représenté à ses disciples cette noblesse et la grandeur de ce don de Dieu ; l'égalité qui doit régner entre eux, et la charité qu'ils doivent avoir les uns pour les autres ; après qu'il les a relevés de la terre pour les attacher au ciel, voyons ce qu'il leur ordonne de demander.

Il est vrai que les premières paroles de cette prière semblaient devoir suffire pour le leur apprendre. Car il est bien juste que celui qui appelle Dieu « son Père», et un père commun à tous, vive de telle sorte qu'il ne paraisse pas indigne d'une qualité si haute, et que sa vie corresponde à l'excellence de ce don. Mais Jésus~Christ ne s'arrête pas là, et il ajoute :

Que ton nom soit sanctifié

C'est une prière digne d'un homme qui vient d'appeler Dieu son Père, de n'avoir rien tant à cœur que la gloire de ce Père, et de mépriser toutes les autres choses en comparaison de celle~là. Car ce mot «soit sanctifié», veut dire soit glorifié. Dieu a sa gloire qui est toujours parfaite, toujours infinie, et qui demeure toujours la même. Il commande néanmoins à celui qui le prie de l'honorer par la sainteté de sa vie. C'est ce qu'il avait déjà dit en ces termes : Que votre lumière luise devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes œuvres et qu'ils glol'ifient votre ]:.Jère qui est dans le Ciel (Matth., 5, 15).

Quand les séraphins louent Dieu, ils ne disent que ces paroles : Saint, saint, saint. C'est pourquoi ce mot : Que votre nom soit sanc­tifié, veut dire, qu'il soit glorifié. Daignez, s'il vous plaît, disons­nous à Dieu, régler et purifier notre vie de telle sorte, que tout le monde vous glorifie en nous voyant. C'est là la perfection d'un chrétien d'être si irréprochable dans toutes ses actions, que cha­cun de ceux qui le voient en rende à Dieu la gloire qui lui est due.

Que ton règne arrive

C'est encore là la prière d'un véritable enfant de Dieu de ne point s'attacher aux choses visibles et de ne point estimer les

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biens présents; mais de soupirer toujours vers son Père, et de désirer les biens à venir. C'est là l'effet d'une bonne conscience, et d'une âme dégagée de la terre. C'était le souhait continuel de saint Paul. C'était ce qui lui faisait dire : Nous qui avons reçu les prémices de l'Esprit, nous soupirons et nous gémissons en nous~ mêmes attendant l'effet de l'adoption divine, c' est~à~dire la rédemp~ tion et la délivrance de notre corps. (Rom., 8, 13). Celui qui est brûlé de ce désir ne peut plus s'enfler des avantages de ce monde, ni s'abattre de ses maux, mais comme s'il était déjà dans le ciel, il n'est plus sujet à l'une et l'autre de ces deux inégalités si différentes.

Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel

Il y a une admirable suite dans ces paroles. Il nous commande bien de désirer les biens futurs, et de tendre toujours au ciel ; mais il veut de plus qu'en attendant cet avenir, nous imitions même sur la terre, la vie des anges dans le ciel. Vous devez, nous dit~il, dési~ rer le ciel et les biens que je vous y prépare ; mais je vous commande cependant de faire de la terre un ciel, et d'y vivre, d'y parler et d'y agir comme si vous étiez déjà dans le ciel. C'est cette grâce que vous devez me demander. Quoique vous soyez sur la terre, vous devez néanmoins tâcher de vivre comme ces puis­sances célestes, puisque vous pouvez tout ensemble être ici~bas, et vivre comme elles. Voici donc ce que nous marquent ces paroles de Jésus~ Christ. Comme les anges dans le ciel obéissent librement et toujours avec la même ferveur, comme ils ne sont point inconstants, obéissant dans une occasion et n'obéissant point dans une autre; mais qu'ils se soumettent toujours et demeurent parfai~ tement assujettis, parce qu'ils sont puissants en vertu, dit le Pro­phète, pour accomplir les ordres de Dieu (Ps., 102, 20) ; faites~ nous cette même grâce à nous autres hommes, de ne point faire votre volonté en partie, mais de l'accomplir entièrement en toutes choses.

Considérez aussi comment Jésus~Christ nous apprend à être humbles, en nous faisant voir que notre vertu ne dépend pas de notre seul travail, mais de la grâce de Dieu. Il ordonne encore ici à chaque fidèle qui prie de le faire généralement pour toute la terre. Car il ne dit pas : Que votl·e volonté soit faite en moi ou en nous, mais : sur toute la terre; afin que l'erreur en soit bannie; que la vérité y règne ; que le vice y soit détruit ; que la vertu y refleurisse ; et que la terre ne soit plus différente du ciel. Car si Dieu était ainsi obéi dans le monde quoique les habitants du ciel

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soient bien différents de ceux de la terre, la terre néanmoins devien~ drait un ciel et les hommes seraient des anges, parce qu'ils vivraient comme les anges.

Donne~nous aujourd'hui notre pain de chaque jour

Comme il vient de dire : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, et qu'il parlait à des hommes assujettis à une chair fragile, sujets à diverses nécessités, et incapables de jouir de l'impassibilité des anges, il veut bien nous commander d'accomplir la volonté de Dieu aussi parfaitement que les anges, mais il condes~ cend en même temps à la faiblesse de notre nature : J'exige de vous, dit~il, la vertu de mes anges, mais non leur impassibilité. La fragilité de votre nature en est incapable, et elle a nécessairement besoin d'une nourriture qui la soutienne.

Mais remarquez combien il réclame de spiritualité même dans ce qui regarde le corps. Car il ne nous commande point de lui deman~ der des richesses, ou des plaisirs, des habits précieux ou rien de semblable, mais seulement du pain, et le pain dont nous avons besoin le jour où nous vivons, sans nous mettre en peine du lende~ main : Donnez~nous, dit~il, notre pain de chaque jour. Et non content de cela il ajoute encore : Donnez nous «aujourd'hui», afin d'exclure entièrement de nos esprits le soin et l'embarras du jour suivant. Car pourquoi vous tourmenter du soin d'un jour que vous n'êtes pas assuré de voir : Ne vous mettez point en peine du «lendemain», dit~il. Car il veut que nous soyons toujours ceints pour le voyage, et tout prêts à prendre notre essor vers le ciel, ne donnant au corps que ce que la nécessité commande.

Mais un chrétien ne devient pas impeccable par le baptême, Jésus~Christ nous témoigne donc ici sa tendresse, en nous prescri~ vant cette prière pour fléchir la bonté de Dieu, et pour lui deman~ der le pardon de nos péchés.

Remets~nous nos dettes, comme nous les remettons à ceux qui nous doivent

Considérez jusqu'où va l'excès de l'amour que Dieu porte aux hommes. Il croit encore dignes du pardon ceux qui l'offensent, après avoir été délivrés de tant de maux, et après avoir reçu des grâces si ineffables. Car c'est pour les fidèles que cette prière est faite, comme la coutume de l'Eglise nous le montre, et le premier

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mot même de cette oraison, puisqu'une personne non baptisée ne peut pas appeler Dieu son « Père». Si donc cette prière est pour les infidèles, et s'ils demandent à Dieu le pardon de leurs péchés, il est visible que Dieu ne nous refuse pas, même après le bap­tême, le remède de la pénitence. S'il n'avait voulu nous persuader de cette vérité, il ne nous aurait pas prescrit cette prière. Mais en parlant des péchés, et en nous commandant d'en demander le par­don ; en nous apprenant le moyen de l'obtenir par cette voie facile, qui consiste à remettre afin qu'on nous remette; il est clair qu'il a voulu nous montrer que les péchés peuvent encore être effacés après le baptême, et pour nous en persuader il nous commande de prier de cette manière. Ainsi en nous faisant souvenir de nos péchés, il nous inspire des sentiments d'humilité. En nous commandant de pardonner aux autres, il efface de notre esprit le souvenir des inju­res. En nous promettant de nous pardonner nos fautes, il relève nos espérances. Et en nous rendant imitateurs de sa douceur et de sa bonté ineffable, il nous élève jusqu'au comble de la sagesse.

Mais voici qui est extrêmement remarquable : puisqu'il avait renfermé dans chacune de ces demandes toute la perfection chré­tienne, il y avait compris par conséquent l'obligation de pardonner les injures. Comme en effet l'abrégé de toute la vertu est dans cette parole : Votre nom soit sanctifié ; ou dans cette autre : Que votre volonté soit faite sur la terre, comme elle l'est dans le ciel ; ou dans cette faveur qu'il nous donne d'appeler Dieu notre Père, on peut dire que toutes ces vertus renferment aussi la nécessité d'oublier les injures que nous avons reçues de nos frères. Mais il ne se contente pas de cette recommandation implicite, et pour mon­trer combien il avait à cœur ce précepte, il en fait un article exprès de la prière qu'il nous prescrit, ·et quand il l'a achevée, il n'en répète aucun autre que celui~là seul, en nous assurant; Que si nous ne pardonnons point aux hommes les péchés qu'ils ont commis contre nous, notre Père céleste ne nous pardonnera point aussi les nôtres,

Ainsi Dieu fait dépendre de nous notre éternité, et nous rend maîtres de l'arrêt qu'il doit prononcer un jour. Il ne veut pas, quelque déraisonnable que vous soyez, que vous puissiez vous plain­dre en quoi que ce soit du jugement que Dieu doit prononcer ; il veut donc que vous, qui êtes le coupable, soyez néanmoins le maître de votre sentence. Comme vous aurez jugé de vous, ainsi en jugerai­je moi~même, et si vous pardonnez à un homme comme vous, je vous promets de vous pardonner. Et néanmoins Dieu met en balance deux choses bien inégales. Car vous pardonnez, parce que vous

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avez besoin qu'on vous pardonne ; mais Dieu fait grâce sans avoir besoin de rien. Vous pardonnerez comme serviteur à celui qui est ce que vous êtes ; mais Dieu pardonne comme un maître à son esclave. Vous faites· grâce, parce que vous êtes chargés de péchés ; Dieu fait grâce, étant la sainteté même, incapable de la moindre faute.

Mais il donne ici une grande preuve de sa bonté. Car il pou­vait simplement vous pardonner vos péchés ; mais en ne le faisant qu'en proportion de votre pardon, il vous fait naître mille occa­sions d'exercer la douceur, la charité. Il vous donne lieu d'éteindre votre colère, et d'étouffer dans votre cœur tout ce qui y pourrait naître de brutal et d'inhumain ; il vous apprend à vous unir très étroitement avec vos frères qui font avec vous partie du même corps.

Après cela de quelle excuse vous couvrirez~vous ? Direz~vous que votre frère vous a maltraité sans sujet? C'est ce qu'on suppose, puisqu'on vous commande de lui pardonner. S'il y avait de la jus~ tice dans ce qu'il a fait, il n'y aurait plus de péché. C'est donc son injustice, c'est son péché qu'on vous exhorte de lui pardonner, comme c'est pour des péchés semblables, et pour beaucoup d'autres encore plus grands, que vous demandez à Dieu qu'il vous pardonne. Mais avant même qu'il vous accorde le pardon, il vous fait grâce, en vous demandant de le demander de la sorte, et en vous appre­nant ainsi à être doux et charitables envers vos frères. Et de plus, il vous promet après cela une grande récompense en vous assurant qu'il ne vous demandera plus compte d'aucun de vos péchés.

De quel supplice donc serons~nous dignes, si après que Dieu a mis ainsi notre salut en notre pouvoir, nous nous trahissons nous­mêmes, et nous nous perdons volontairement 7 Comment osons­nous demander à Dieu, qu'il soit doux et indulgent envers nous, puisque dans une chose qui dépend de nous, nous sommes cruels et si inhumains envers nous~mêmes ?

Et ne nous laisse point succomber à la tentation, mais délivre-nous du mal, parce qu'à toi appartient la royauté, la puissance et la gloire, dans tous les siècles, Amen.

Rien de plus propre à nous faire voir notre bassesse et à rabattre notre présomption que ces paroles qui nous enseignent à ne pas fuir les combats, mais à ne pas nous y jeter de nous-mêmes. Ainsi il nous sera plus glorieux de vaincre et plus honteux au démon d'être vaincu. Lorsque nous sommes forcés de combattre, il faut le faire avec fermeté et vigueur ; mais quand nous n'y sommes point appe­lés, il faut nous tenir en repos, et attendre le temps du combat, afin de montrer, tout ensemble humilité et courage. Il entend par ce mot,

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« du mal », qui signifie aussi « du méchant », le malin esprit, et il nous exhorte à avoir contre lui une inimitié irréconciliable. Jésus~ Christ l'appelle absolument « le méchant », parce qu'il l'est au suprême degré. Sans avoir jamais reçu de nous la moindre injure, il nous fait une guerre sans trêve. Le Seigneur nous fait dire non pas : Délivrez~nous des méchants, mais du méchant, afin de nous commander de n'avoir point d'aigreur contre nos frères dans les maux que nous en souffrons mais de tourner toute notre haine sur cet esprit de malice, l'auteur et le principe véritable de tous les maux.

Le Seigneur nous a excités de la sorte au combat par le sauve~ nir de cet ennemi, et exhortés à fuir la tiédeur et la paresse, il nous encourage à présent, et relève nos esprits, en nous représentant quel est le roi que nous servons. Il nous fait voir qu'il est lui seul plus puissant que tous : Car à toi appartient la royauté, la puissance et la gloire. Si donc, la royauté appartient à Dieu, il ne faut rien -craindre, puisqu'il n'y a personne qui soit capable de lui résister, et qui puisse lui ravir son pouvoir suprême. Lorsqu'il dit : La royauté est à vous, il fait voir que cet ennemi même qui nous attaque lui est soumis, et que s'il nous fait la guerre, ce n'est que parce que Dieu le souffre. Il est du nombre de ses esclaves, quoique déjà condamné et réprouvé par lui, et quelque furieux qu'il soit, il n'oserait attaquer un homme, s'il n'en avait reçu le pouvoir de Dieu.

Que dis~je, qu'il n'oserait attaquer un homme 7 Il n'osa pas même autrefois entrer dans des pourceaux, sans en avoir reçu auparavant la permission de Jésus~Christ; comme il n'osa non plus toucher aux bœufs et aux brebis du saint homme Job, qu'après que Dieu même lui en eut donné le pouvoir.

Quand vous seriez donc mille fois plus faibles que vous n'êtes, si vous êtes justes, vous. devez avoir confiance, ayant un si grand roi, un roi qui peut faire par vous tout ce qu'il lui plaît.

A toi appartient la gloire dans tous les siècles, Amen.

Dieu ne vous délivre pas seulement de vos maux, il peut encore vous donner la gloire. Comme sa puissance est infinie, sa gloire est ineffable, et l'une et l'autre s'étendront dans tous les siècles. Vous voyez combien de choses il nous propose pour nous exciter à combattre, et pour nous inspirer la fermeté et la confiance.

Et pour montrer ensuite, comme je vous l'ai déjà dit, qu'il ne hait rien tant que le souvenir des injures, et qu'il n'aime rien tant

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que la douceur et la modération qui lui est opposée ; après cette prière, il reprend cet article, et il nous exhorte, et par la peine dont il nous menace si nous ne le pratiquons, et par la récompense qu'il nous promet, si nous avons soin d'y obéir.

Car si vous pardonnez aux hommes, votre Père céleste vous pardonnera aussi. Mais si vous ne leur pardonnez point, votre Père ne vous pardonnera point. Il parle encore d'un « Père» et d'un « Père céleste », afin de nous faire rougir de honte, si, ayant un tel Père, nous devenions durs et inhumains comme les bêtes, et si, appelés au ciel, nous n'avions que des pensées basses et terrestres, Ce n'est pas assez d'être enfants de Dieu par la grâce qu'il nous a faite, il faut l'être encore par nos actions. Rien ne nous rend si semblables à Dieu, que la douceur et la charité que nous témoi­gnons envers nos frères.

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THÉODORE DE MOPSUESTE

t 428

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Théodore est le plus grand exégète de l'Ecole d'Antioche, qui, contrairement à celle d'Alexandrie, s'attachait au sens litl'éral de l'Ecriture. L'influence de son ami, Jean Chrysostome, lui fit quitter l'étude du droit, pour se consacrer à la vie ascétique. Il fut ordonné prêtre à Antioche, puis devint évêque de Mopsueste, en Cilicie, aux abords du Taurus.

Théodore ne fut jamais inquiété de son vivant pour son ortho~ doxie. Mais la condamnation de Nestorius, qui fut son élève, fit suspecter le maître. Le Ve Concile de ! émsalem (553) condamna ses écrits, sans doute falsifiés. La conséquence en fut que ses œuvres disparurent. Des traductions syriaques nous ont rendu quelques­unes de ses œuvres, dont les Homélies catéchétiques. Ces dernières exposent, sans doute à des catéchumènes qui se préparent au bap­tême, le Credo et la liturgie eucharistique. Le commentaire du Pater manifeste la solidité de l'enseignement et la piété de son auteur' 1•

1. Texte syriaque des Homélies catéclzétiques, éd. R. Tonneau, Rome, 1949.

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THÉODORE DE MOPSUESTE III

Notre Pèr.e qui es aux cieux

Avant tout, dit le Christ, il vous faut savoir ce que vous étiez, ce que vous êtes devenus; la nature et la_ grandeur du don reçu de Dieu. Car on a fait pour vous de très grandes choses, bien plus grandes que celles qui furent faites à vos devanciers. En effet, ce que je fais, moi, à ceux qui croient en moi et choisissent de devenir mes disciples, les place bien au~dessus des disciples de Moïse ; s'il est vrai que cette première alliance fut donnée au Mont Sinaï, enfantant pour la servitude : elle est esclave, elle et ses fils (Gal., 4, 24~25). Ils étaient esclaves, tous ceux qui étaient soumis à la loi des commandements ; ils en avaient reçu leur règle de conduite ; et la sentence capitale, à laquelle nul n'échappait, était portée contre quiconque transgressait les commandements.

Mais vous, c'est la grâce de l'Esprit~Saint que vous avez reçue par moi; elle vous vaut d'être devenus fils adoptifs et d'appeler Dieu, votre Père: car vous n'avez pas reçu l'Esprit pour retomber de nouveau dans l'esclavage et la crainte, vous avez reçu l'esprit d'adoption filiale dans lequel avec liberté vous appelez Dieu, Père (Rom., 8, 15). Désormais vous servez dans la Jérusalem d'en~haut, et vous recevez cette condition libre, qui appartient à ceux que la résurrection rend immortels et immuables, et qui vivent att ciel en cette nature.

Etant donné cette différence entre vous et ceux qui sont soumis à la loi, - s'il est vrai que la lettre (la Loi) tue et inflige à ses transgresseurs une sentence. de mort inéluctable, tandis que l'esprit vivifiant dans la grâce vous rend par la résurrection immortels et immuables- il est bon qu'avant tout vous sachiez avoir des mœurs dignes de cette noblesse, puisque ce sont ceux que dirige l'Esprit de Dieu qui sont fils de Dieu: ceux qui sont soumis à la Loi n'ayant reçu que le simple nom de fils. Moi j'ai dit : Vous êtes des dieux, des fils du Très~Haut (Psaumes, 81, 6~7), mais vous, comme des hommes vous mourrez. Pour ceux qui ont reçu l'Esprit~Saint et qui désormais attendent l'immortalité, il leur convient de vivre par l'Esprit, de se conformer à l'Esprit et d'avoir une conscience digne de ceux que l'Esprit gouverne : de s'abstenir de tout péché, et d'avoir des mœurs conformes à la vie céleste. Sinon, je ne serai pas avec vous lorsque vous invoquerez « Notre Seigneur et notre Dieu».

Il vous faut évidemment savoir que Dieu est le Maître, créateur de tout et de vous aussi : c'est lui qui vous donnera la jouissance

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de ses biens. Cependant appelez~le « Père», afin qu'ayant compris votre noblesse, votre dignité et votre grandeur de fils du Seigneur universel et de votre Seigneur, vous agissez en conséquence.

Ne dites pas non plus « Mon Père», mais « Notre Père». Le Père est commun à tous, comme la grâce dont nous avons reçu l'adoption filiale. Ne vous contentez pas d'agir comme il convient à l'égard du Père, mais manifestez aussi les uns envers les autres une concorde de frères qui sont dans la main du même Père.

J'ai ajouté : qui es au ciel, afin de présenter à vos yeux ter­restres la vie du ciel, où il vous est donné de vous rendre un jour, car par l'adoption filiale, vous devenez citoyens du ciel ; telle est la demeure des fils de Dieu.

Que doivent donc faire ceux qui pensent ainsi ?

Que ton nom soit sanctifié

Avant tout, procurez la louange à Dieu, votre Père. Jésus a dit : Que votre lumière brille aux yeux des hommes, afin qu'ils voient vos bonnes œuvres et glorifient uotre Père qui est dans les cieux (Matth., 5, 16). Il affirme encore la même chose en disant : « Que ton nom soit sanctifié. » Cela revient à dire : il faut vous appli­quer à agir de telle sorte que tous louent le nom de Dieu ; qu'il soit loué, quand ils admireront sa miséricorde et sa grâce abon­dante, répandues sur vous. Ce ne sera pas en vain qu'il aura fait de vous ses flls, que, par miséricorde il vous aura donné l'Esprit, pour un progrès sans fin, qu'il vous aura corrigés et transformés, au point de pouvoir appeler Dieu « Père ». En faisant le contraire, nous provoquons le blasphème contre Dieu ; tous les étrangers à notre foi diront : ils sont indignes d'être fils de Dieu. Si, par contre, nous faisons le bien, nous prouverons que nous sommes enfants de Dieu et dignes de la noblesse de notre Père. Pour appeler sur les lèvres de tous la louange du Dieu qui vous a anoblis, efforcez-vous de vous conduire de la sorte.

Que ton règne a1Tive

Ce souhait complète le précédent. Ceux qui ont été adoptés, ont été appelés au Royaume et attendent d'être au ciel avec le Christ, puisque, selon le mot du bienheureux Paul. nous serons emportés sur les nuées, en l'air, à la rencontre de notre Seigneur, et ainsi nous serons toujours avec le Seigneur (1 Thess., 4, 17). Il

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nous faut donc avoir des pensées dignes de ce Royaume, des actions qui conviennent à la vie du ciel, faire peu de cas des choses de la terre, les estimer si peu que nous rougissions de nous en soucier. Celui qui habite les demeures royales, qui, à tout instant, a la faveur de voir le roi et de s'entretenir avec lui, aurait mauvaise grâce de fréquenter marchés et auberges ; il fréquente ceux qui, avec lui, habitent le palais.

Il en est de même pour nous qui sommes appelés au royaume des cieux : nous ne devons pas abandonner les mœurs et la vie des cieux pour nous livrer aux affaires de ce monde où se rencontrent tant de bas calculs et d'iniquités. Comment concilier pareille vie avec la noblesse de notre Père ? Comment acquérir les mœurs du ciel et provoquer par nos actions les louanges de Dieu ?

Que ta volonté se fasse sur terre comme au ciel

Nous nous efforcerons de régler autant que possible en ce monde notre conduite, selon la vie du ciel. Là~haut, rien ne complote contre Dieu : le péché est déraciné, la puissance des démons abolie et tous nos ennemis vaincus ; à la fin, nous ressusciterons d'entre les morts et nous habiterons le ciel, dans une autre nature immor­telle et immuable; par~dessus tout, nous nous attacherons à la volonté divine, dans la lumière de Dieu ; nous ne désirons et n'accomplirons plus que sa volonté, puisque rien en nous ne s'y opposera plus. II nous est demandé en ce monde de persévérer dans la volonté de Dieu autant que faire se peut, de nous efforcer dès ici~bas de mettre en accord notre vouloir et notre conscience avec la volonté divine.

Aussi longtemps que nous sommes dans une nature mortelle et changeante, notre volonté doit s'opposer aux mouvements contrai­res, accomplissant ce qu'ordonne le bienheureux Paul : Ne prenez pas ce monde pour modèle, transformez~vous au contraire en renou~ velant votre esprit, afin de pouvoir discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qu.i est agt•éable, ce qui est parfait (Rom., 12, 2), Il ne nous demande pas de supprimer nos passions, mais de ne pas prendre pour modèle ce qui périra avec ce monde­ci. N'imitons pas la vie terrestre, mais luttons contre tout ce qui, heureux ou malheureux, glorieux ou honteux, gonfle notre orgueil ou écrase notre courage. Opposons~nous surtout à tout ce qui est contraire à Dieu et nous détourne du bien. Protégeons notre cœur et corrigeons notre pensée tous les jours ...

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Donne~nous aujourd'hui le pain qui nous est nécessaire

Je vous demande de chercher les biens du monde futur, et, dès le monde présent, de régler votre vie sur l'autre selon vos for­ces, non au point de ne plus manger ni boire ni user du nécessaire, mais d'aimer et de rechercher de tout votre être le bien que vous avez choisi. Vous pouvez satisfaire aux besoins urgents mais ne demandez ni ne cherchez rien de plus que le nécessaire. Le bienheu­reux Paul a dit : Si vous avez le pain et le vêtement soyez satisfaits (1 Tim., 6, 8). Voilà ce que notre Seigneur appelle «pain», car le pain nous semble essentiellement nécessaire à notre nourriture et à notre subsistance. «Aujourd'hui» signifie «maintenant» ; c'est aujourd'hui que nous existons et non pas demain ; demain, si nous l'atteignons, sera de nouveau un aujourd'hui.

La divine Ecriture appelle « aujourd'hui» ce qui est présent ou proche. Ainsi : Aujourd'hui, si vous entendez sa voix, n'endurcissez pas vos cœurs comme au jour de la révolte ; mais exhortez~vous mutuellement chaque jour aussi longtemps qu'on peut parler d'aujourd'hui (Heb., 3, 7~8 et 13). Ce qui veut dire: aussi longtemps que nous sommes en ce monde rappelons~nous sans cesse cette parole ; et chaque jour cette voix stimulera notre conscience, tiendra notre âme en éveil, la poussera à corriger nos mœurs, en fuyant le mal et en recherchant le bien. Tant que nous pouvons encore nous corriger et faire pénitence, faisons de continuels progrès ; quand nous aurons quitté ce monde, le temps de la pénitence et de la cor­rection sera passé et sera venu le temps du jugement. Voilà pour­quoi notre Seigneur dit ceci : Donne~nous aujourd'hui le pain qui nous est nécessaire ...

L'expression : « qui nous est nécessaire», signifie : se1on notre nature, c' est~à~dire, ce qui est inutile et nécessaire à la nature et à sa subsistance. C'est le Créateur qui nous en a imposé l'usage; quant au superflu, l'acquérir ou le conserver ne convient pas à ceux qui cherchent la perfection... Si nous amassions ce qui n'est pas nécessaire à notre vie, cela passerait à d'autres 2 ...

2. Nous supprimons les redondances du texte.

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Remets~nous nos dettes

Dans les premières demandes, notre Seigneur posait la définition de la vertu. En ajoutant : donne~nous aujourd'hui le pain qui nous est nécessaire, il a fixé les limites à nos soucis, et comme il ne nous est pas possible de rester sans peché, malgré toute notre applica­tion à la vertu, puisque, sans le vouloir la faiblesse de notre nature nous fait tomber sans cesse, le Christ nous apporte le remède entre autres choses dans cette demande de rémission. « Si, dit~il. vous vous appliquez au bien avec effort, si vous ne demandez que l'usage du nécessaire, vous pouvez avoir confiance de recevoir la rémission de vos péchés ; de tels péchés sont involontaires, car qui s'applique à chercher le bien et à éviter le mal, ne tombe pas de bon gré. »

Il ajoute : Comme nous aussi, nous avons temis à nos débiteuts. Il montre que nous pouvons espérer la rémission de nos péchés, si nous remettons selon notre pouvoir à ceux qui nous auraient offen­sés. Même si nous avons choisi le bien et le recherchons en nous y complaisant, il nous arrive de pécher contre Dieu et contre les hom­mes : il est donc utile que Dieu ait trouvé un remède à ces deux maux, en nous remettant nos propres fautes comme nous les remet­tons à nos débiteurs. Lorsque nous avons péché, nous tombons à genoux, nous supplions Dieu en lU1 demandant pardon. Comme lui, accueillons charitablement ceux qui nous ont offensés et s'en excusent ...

Nous tombons à l'improviste en de nombreuses épreuves : mala­dies corporelles, méchancetés des hommes, et tant d'autres misères, qui nous prennent au filet et nous ébranlent au point de nous trou­bler et de tenter gravement notre âme. Jésus ajouta à bon droit :

Et ne nous induis pas en tentation

En sorte de nous en préserver autant que possible. S'il arrive toutefois que surviennent des tentations, efforçons-nous de les sup­porter avec courage ... et que bien vite en vienne la fin. Chacun sait que des tribulations nombreuses et variées guettent et troublent nos cœurs en ce monde. La souffrance corporelle, surtout si elle se pro­longe et s'aggrave, est une épreuve ; les passions charnelles, malgré nous, exercent sur nous leur séduction ; de beaux visages, soudain aperçus, éveillent en nous le désir ; d'autres choses aussi nous poussent au mal ; mais surtout les complots des méchants suffisent

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à dévoyer même les plus vertueux ; les pires épreuves nous vien­nent des frères dans la foi qui agissent contre nous. C'est d'eux que notre Seigneur a dit : Celui qui scandalise un de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu'il fût jeté, une meule autour du cou, et immergé dans les profondeurs de la mer (Matth., 18, 6). Ces paroles s'adressent aux faux~frères; Jésus les menace de sentences sévères, si, dans leur méchanceté, ils tendent des pièges, pour faire tomber les humbles et les purs. Voilà ce qu'il appelle «scandaliser» : par méfaits ou imprudence nuire à ceux qui s'effor­cent de mener une vie modeste et sans péché. C'est pourquoi d'ail­leurs il ajouta :

Mais délivre~nous du Malin

En tout, Satan, par des ruses variées et nombreuses, nous cause un grave dommage, en s'efforçant de nous arracher au devoir choisi.

Dans ces paroles de la prière, notre Seigneur a clairement ensei­gné la perfection morale, notre vocation, notre devoir, nos obstacles et nos vrais besoins. C'est pourquoi, nos bienheureux pères ont transmis cette prière aux catéchumènes, afin qu'ils unissent à la rec­titude doctrinale et à la foi sincère la droiture de leur vie. L'exposé de la foi nous enseigne la vraie doctrine, et la Prière du Seigneur règle la vie des baptisés qui, dès ici~bas, sont fils d'une cité aux mœurs célestes. Voilà l'enseignement de l'Oraison dominicale.

Efforcez-vous de l'inscrire profondément dans vos cœurs, de la méditer soigneusement et de la mettre en pratique. De la sorte, dès ici~bas, vous modèlerez votre vie, selon vos forces, sur le monde à venir. Marchez selon les enseignements de notre Seigneur, et vous obtiendrez les biens célestes que tous, nous devons recevoir par une grâce du Fils unique de Dieu, à qui soit la gloire avec le Père et avec l'Esprit~Saint, maintenant et en tout temps, et dans les siècles des siècles. Amen.

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Maître de rhétorique à Milan, Augustin est séduit par la pré­dication de saint Ambroise. Il y reçoit le baptême, en 387. Il renonce au monde et à ses succès, se retire sur une de ses terres africaines. C'est là que le peuple le cherche pour le placer sur le siège épis­copal d'Hippone, à la mort de Valère.

Une des plus belles intelligences de l'humanité, un cœur pas~ sionné ·épris d'action servent admirablement ce génial docteur, dans les diverses controverses doctrinales de son temps. Ses Confessions décrivent son itinéraire intérieur; ses œuvres polémiques mani[es­tent sa vigueur dialectique et spéculative ; ses sermons, auxquels nous empruntons le commentaire du Pater, nous découvrent dans ttne pensée nuancée, à la portée du peuple, l'âme apostolique de celui que la postérité a sumommé le Docteur de la charité 1,

1. Saint Augustin a expliqué plusieurs fols le Pater aux catéchumènes d'Hippone. Nous empruntons notre traduction aux sermons 56-58, PL 38, 379,

Le début du premier commentaire s'adresse directement aux candidats au baptême.

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SERMON 56

Vous donc, dit~il, priez ainsi : Notre Père qui es aux cieux

Vous avez déjà commencé, comme vous voyez, d'avoir Dieu pour Père. Il ne le sera pleinement qu'après votre naissance spiri­tuelle, vous êtes conçus par sa grâce et comme portés dans le sein de l'Eglise, qui doit vous enfanter dans la fontaine baptismale.

Notre Père qui es aux cieux. Souvenez~vous que vous avez un Père au ciel. Souvenez~vous : engendrés pour la mort, d'Adam votre premier père, vous serez engendrés pour la vie, de Dieu, votre second Père. Votre cœur doit ratifier ce que profèrent vos lèvres : que toute l'âme passe dans votre prière, elle sera exaucée par Celui qui l'écoute.

Que ton nom soit sanctifié

Pourquoi demander que le nom de Dieu soit sanctifié ? Il est saint de sa nature, pourquoi demander que soit sanctifié ce qui est saint 1 De plus, quand tu demandes que le nom de Dieu soit sanctifié, est~ce pour toi que tu pries? N'est~ce pas plutôt pour Dieu? Mais si tu veux bien réfléchir, c'est bien pour toi que tu pries. Que demandes­tu, en effet? Que ce qui est saint, essentiellement et toujours, soit sanctifié en toi. Que veut dire sanctifié ? Que ce nom soit toujours jugé saint, que jamais il ne soit méprisé. Tu vois donc que le sou• hait que tu formules est pour ton bien. C'est à toi et non à Dieu que porte préjudice le mépris que tu porterais à son nom.

Que ton règne arrive

A qui parlons~nous de la sorte 1 Le règne ne viendra-t-il pas sans que nous le demandions? Il s'agit ici du règne de Dieu qui arrivera à la fin du monde, car Dieu est toujours roi: il n'est jamais sans royaume, Celui qui a l'univers à son service.

Quel est donc le règne dont tu souhaites la venue 1 Celui dont parle l'Evangile : V enez les bénis de mon Père, prenez possession du myaume préparé pour vous, depuis la fondation du monde (Matth., 25, 34). Tel est le règne visé par cette parole : Que ton règne arrive. Nous demandons qu'il vienne en nous, nous deman­dons d'être trouvés en lui. Ce règne viendra sans aucun doute, mais ce sera en pure perte pour toi, si tu te trouves à gauche. Le

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souhait que tu formes est donc pour ton bien, c'est pour toi que tu pries; ce que tu demandes dans la prière, c'est la grâce d'une bonne vie, afin d'entrer un jour dans ce royaume que Dieu prépare à tous les saints. C'est donc la grâce de bien vivre que tu demandes quand tu dis : Que ton règne arrive. Puissions-nous appartenir à ce royaume 1 Qu'il vienne pour nous, comme il doit venir pour les saints et les justes 1

Que ta volonté soit faite

Ta prière est-elle nécessaire pour que Dieu fasse sa volonté ? Souviens-toi de ce que tu viens de réciter dans le Symbole : « Je crois en Dieu, le Père tout-puissant. » S'il est tout-puissant, à quoi bon prier pour que sa volonté soit faite ? Que signifie donc cette demande : Que ta volonté soit faite? Qu'elle soit faite en moi; que je ne résiste pas à ta volonté. Ici encore tu pries pour toi et non pas pour Dieu. La volonté de Dieu se fera toujours en toi, quand bien même elle ne serait pas faite par toi. Ceux qui s' enten­dront dire : V enez, les bénis de mon Père, prenez possession du royaume, pt<éparé pour vous depuis la fondation du monde, verront se réaliser en eux la volonté divine qui prépare le royaume aux justes et aux saints. Et ceux qui s'entendront dire : Allez-vous-en au feu éternel, préparé pour le diable et pour ses anges, verront également se réaliser en eux la volonté divine qui condamne les méchants au feu éternel.

Mais que cette volonté soit faite par toi, c'est tout différent: quand tu en fais la demande, c'est uniquement pour ton bien. Que ce soit pour ton bonheur, toujours elle se fera en toi.

Pourquoi disons-nous : Que ta volonté soit faite dans le ciel et sur la terre, et non pas : Que ta volonté soit faite par le ciel et par la terre ? Parce que Lui-même fait en toi tout ce qui se fait par toi : jamais rien ne se fait par toi que lui-même ne fasse en toi. Parfois il agit en toi sans toi, mais jamais rien ne se fait par toi, si lui­même ne l'opère en toi.

Que signifie maintenant les mots : au ciel et sur la terre, ou comme au ciel et sur la terre ? Les anges font ta volonté : puissions­nous la faire, nous aussi.

Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Le ciel, c'est notre esprit; la terre, c'est notre chair. Quand tu dis avec l'Apôtre - si tant est que tu le dises - par l'esprit je suis sou­mis à la loi de Dieu, par la chair à la loi du péché, la volonté de Dieu se fait dans le ciel, mais pas encore sur la terre. Quand la

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chair se mettra d'accord avec l'esprit, que la mort sera absorbée par la victoire, qu'aucun désir charnel ne luttera plus contre l'esprit, que toute discorde cessera sur la terre comme aussi toute guerre intestine, que prendra fin l'état décrit par ces paroles : la chair lutte contre l'esprit et l'esprit contre la chair; tous deux sont aux prises, en sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez ; - que l'état de guerre aura cessé et que la concupiscence cédera la place à la charité, alors la chair ne fera plus rien qui s'oppose à l'esprit, rien qui ait besoin d'être dompté. réfréné ou détruit; l'homme tout entier s'acheminera dans un harmonieux accord vers la justice, et la volonté de Dieu se fera au ciel et sur la terre. Que ta volonté soit faite, c'est l'état de perfection que nous souhaitons par cette prière.

De même : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Il y a dans l'Eglise des hommes spirituels, ils sont le ciel ; il y a aussi les hommes charnels, ils sont la terre. Que ta volonté se fasse donc sur la terre comme au ciel, et comme les spirituels te servent avec fidélité, que les hommes charnels se perfectionnent jusqu'à te rendre le même service,

Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Ces paroles peuvent avoir encore un autre sens, très religieux. Nous avons reçu l'ordre de prier pour nos ennemis; l'Eglise, c'est le ciel; les enne­mis de l'Eglise sont la terre. En quel sens disons~nous alors : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ? Puissent les ennemis de l'Eglise croire en toi comme nous le faisons ! Qu'ils deviennent nos amis; qu'ils déposent toutes les préventions qu'ils peuvent avoir contre nous. Ils sont terre, voilà pourquoi ils nous combattent; qu'ils deviennent ciel et nous marcherons ensemble.

Donne~nous aujourd'hui notre pain quotidien

Ici il n'y a plus de doute, c'est pour nous que nous prions. Quand tu dis : Que ton nom soit sanctifié, il est nécessaire de mon· trer que c'est pour toi que tu pries et non pour Dieu. Quand tu dis : Que ta volonté soit faite, il est également nécessaire d'expliquer cette demande. pour que tu ne t'imagines pas qu'en souhaitant que sa volonté soit faite, c'est son bien que tu désires et non le tien. De même en désirant son règne, ce n'est pas le bien de Dieu que tu désires (mais le tien) .

Mais à partir de cette nouvelle demande et jusqu'à la fin de l'Oraison dominicale, il est évident que c'est pour nous que no,us

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prions Dieu. Quand tu dis : Donne~nous au jou rd' hui notre pain quotidien, tu le fais en mendiant de Dieu. N'en rougis pas. Le mendiant se tient à la porte du riche ; et le riche lui~même se tient à la porte du grand Riche. On demande au riche, et lui~même donne à son tour. S'il n'avait aucun besoin, il ne solliciterait pas Dieu par la prière. Et de quoi le riche a~t~il besoin 7 Je ne crains pas de le dire : le riche a besoin lui~même du pain quotidien. D'où lui vient l'abondance de biens sinon de Dieu? Souvent, ceux qui s'étaient endormis riches se sont réveillés pauvres ; et si rien ne manque aux riches, ce n'est pas à leur puissance qu'ils le doivent, mais à la miséricorde de Dieu.

Mais ce pain, mes très chers frères, qui nourrit notre estomac, qui chaque jour refait les forces de notre corps, ce pain, vous voyez que Dieu le donne, non seulement à ceux qui chantent ses louanges, mais à ceux qui blasphèment. Il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants et pleuvoir sur les justes et sur les pécheurs. Tu le bénis, il te nourrit ; tu le blasphèmes, il te nourrit encore. Si tu refuses de te convertir, il te damne. Mais puisque bons et méchants reçoivent de Dieu le même pain, n'y~a~t~il pas un autre pain réservé aux enfants, suivant cette parole de notre Seigneur dans l'Evangile : Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux chiens (Matth., 15, 26) 7 Oui, sans doute,

Quel est ce pain? et pourquoi l'appelons~nous quotidien? Lui aussi est nécessaire, car sans lui nous ne pouvons pas vivre. Nous ne pouvons vivre sans pain. Il serait outrecuidant de demander à Dieu les richesses, mais non pas de lui demander le pain quotidien : il ne faut pas confondre ce qui nourrit notre orgueil avec ce qui nourrit notre vie. Alors que le pain matériel e~t accordé aux bons comme aux méchants, il y a un pain quotidien réservé aux enfants : c'est la parole de Dieu, qui nous est distribuée tous les jours. Voilà notre pain quotidien : c'est de lui que vivent, non point les corps, mais les âmes. Il nous est nécessaire tout le temps que nous sommes occupés au travail de la vigne. Le maître doit deux choses à l'ouvrier qu'il a embauché pour sa vigne : la nourriture qui donne la force et la récompense qui donne la joie. Notre nourriture, ici~bas, est la parole de Dieu qui ne cesse d'être distribuée dans les églises ; notre récompense, après le travail, sera la vie éternelle.

Enfin, si par ce pain quotidien vous entendez ce que les fidèles reçoivent, ce que vous recevrez à votre tour, après le baptême, c'est encore à bon droit que nous faisons à Dieu cette prière : Donne~ nous aujourd'hui notre pain quotidien, en lui demandant en même temps la pureté de vie qui nous rendra dignes de participer à l'autel.

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AUGUSTIN

Et remets~nous nos dettes comme nous remettons à ceux qui nous doivent

Il est inutile de prouver que cette prière nous concerne, puisque nous demandons qu'on nous remette nos dettes. Nous avons, en effet, contracté des dettes, non d'argent, mais de péché. Et main­tenant peut~être me demanderas~tu : vous aussi 1 - Je réponds nous aussi. - Vous aussi, saints évêques, vous êtes débiteurs 1 Nous aussi nous sommes débiteurs. -Vous aussi 1 Ne parlez pas ainsi, Monseigneur, ne vous faites pas cette injure. - Je ne me fais pas injure, je dis la vérité. Nous sommes débiteurs : Si nous nous prétendons sans péché, nous nous trompons nous~mêmes et la vérité n'est pas en nous (1 Jean, 1, 8}.

Nous avons été baptisés, et pourtant nous sommes débiteurs. Non point qu'il y ait en nous des péchés que le baptème n'aurait pas effacés, mais le cours de la vie nous fait commettre chaque jour des péchés que nous devons nous faire pardonner. Ceux qui meu­rent aussitôt après leur baptême, montent au ciel ; ils sont quittes de toutes les dettes et n'en contractent plus. Mais ceux qui, après le baptême, demeurent en cette vie, restent sujets à la fragilité humaine et commettent des fautes qui, sans exposer le navire à un naufrage immédiat, obligent cependant à vider la sentine. Sans cette précaution, le poids de ces péchés légers augmente peu à peu et fait couler le vaisseau. Or, prier, c'est vider la sentine. Mais, si, dans ce cas, prier est un devoir, faire l'aumône en est un autre, Quand, sous la menace du naufrage, on vide .la sentine, ne s'aide­t~on pas de la voix et du geste 1 Nous nous aidons de la voix quand nous disons : Remets~nous nos dettes comme nous remettons les leurs à ceux qui nous doivent. Nous nous aidons de la main quand nous obéissons au précepte : Partage ton pain avec l'affamé et recueille chez toi le malheureux sans asile ; cache l'aumône dans le sein du pauvre, et en retour il priera Dieu pour toi (Isaïe, 58, 7 : Eccli., 29, 15).

L'eau de la nouvelle naissance a effacé tous nos péchés ; mais nous serions exposés encore à de grandes inquiétudes si l'Oraison dominicale ne nous offrait chaque jour un moyen de nous purifier. L'aumône et la prière effacent les péchés, à moins qu'il ne s'agisse de ces fautes qui nous rendent indignes du pain quotidien et qu'il faut éviter à tout prix, parce qu'elles nous exposent à une con­damnation rigoureuse et certaine. Ne vous flattez pas d'être justes, comme si vous n'aviez pas besoin de faire cette prière: Remets­nous nos dettes comme nous remettons les leurs à nos débiteurs.

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Je veux bien que vous vous absteniez de l'idolâtrie, de la magie, des remèdes des sorciers. Vous ne vous laissez pas séduire par les hérétiques, ni entraîner dans le clan des schismatiques ; vous fuyez l'homicide, l'adultère, la fornication, le vol. les faux témoi­gnages; vous évitez enfin d'autres crimes, dont je ne parle pas, qui font à l'âme des blessures mortelles, qui entraînent comme conséquence l'interdiction de la Table sainte, et qui lient sur la terre, comme nous sommes liés dans le ciel ; cet état funeste est digne de la mort éternelle, si le coupable ne se fait délier sur la terre pour être délié dans le ciel.

LES PÉCHÉS QUOTIDIENS

Peut-être n'avez~vous pas commis de pareilles fautes, soit ; mais le péché prend bien d'autres formes chez l'homme: regarder avec une certaine complaisance ce qu'il n'est pas permis de voir est péché; et il n'est pas facile de réprimer cette rapidité du regard, puisque l'œil, dit-on tire son nom de cette rapidité même 1. Maî­triser }"oreille n'est pas plus facile. Tu peux fermer les yeux quand tu veux, c'est vite fait; fermer les oreilles exige un certain effort: les mains doivent intervenir ; par elles tu atteins les oreilles, mais si quelqu'un te tient les mains, les oreilles restent ouvertes et il te faut entendre les paroles médisantes ou déshonnêtes, les flat­teries, les tromperies. Entendre ce qui ne convient pas, même sans aller jusqu'à le faire, n'est~ce pas déjà pécher par l'oreille? Tu écoutes avec complaisance des propos mauvais; et que de péchés ne commet pas une langue venimeuse ! Ces péchés sont parfois si grands qu'ils interdisent aux chrétiens l'accès de l'autel. Par exemple, les blasphèmes, sans compter une bordée de paroles où la frivolité le dispute à l'inconvenance. A supposer que la main ne fasse aucun mal, que le pied ne prête son concours à aucune œuvre mauvaise. que l'œil ne se complaise à aucun spectacle lascif, que l'oreille n'accueille aucune parole honteuse, que la langue enfin s'interdise tout propos déplacé; et les pensées, qui donc est capa­ble de les brider 7

Ah ! mes frères, la plupart du temps, même en pleine prière, des pensées f!trangères viennent soudain nous faire oublier Celui en face de qui nous nous tenons, Celui devant qui nous nous pros­ternons ! Cette foule de petites fautes à force de s'amonceler contre nous, ne nous accableront-elles pas ? Peu importe que tu sois acca-

1. Augustin fait dériver oculus de ociter (inusité) oclus.

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blé sous le poids du plomb ou du sable 1 Le plomb ne fait qu'une masse, le sable est composé de petits grains, mais leur profusion peut t'écraser aussi. Mes fautes sont petites, dis~tu. Ne vois~tu pa~ que l'infinité de petites gouttes remplissent les fleuves et font crou­ler les terres ? Les fautes sont petites, peu importe, si elles sont nombreuses.

Répétons donc chaque jour et disons du fond du cœur, en conformant notre conduite à nos paroles : R.emets~nous nos dettes comme nous remettons les leurs à nos débiteurs. C'est un pacte, une convention, un contrat que nous faisons avec Dieu. Le Seigneur, ton Dieu, te dit : Pardonne et je te pardonne ; si tu ne pardonnes pas, ce n'est pas moi, mais toi qui agis contre ton intérêt.

Oui, frères bien~aimés, je sais ce qui vous est le plus utile dans l'Oraison dominicale, et je place en premier lieu cette demande: Remets~nous nos dettes, comme nous remettons les leurs à nos débiteurs. Ecoutez~moi bien : vous êtes sur le point de recevoir le baptême: pardonnez tout. Quelqu'un éprouve~t-il dans son cœur de la rancune contre le prochain? Qu'il pardonne de tout cœur. Si ainsi disposés vous entrez dans les eaux du baptême, soyez assurés qu'un pardon total couvrira vos péchés, le péché originel que vous tenez de votre naissance en Adam et pour lequel vous recherchez, avec les petits enfants, la grâce du Sauveur, et tous ceux qui se sont accumulés dans la suite de votre vie, en paroles, en actions, en pensées ; tout cela vous sera pardonné, et vous en aurez la même certitude que si vous veniez d'entendre le Seigneur lui~même.

Je viens donc d'attirer votre attention sur ces péchés quotidiens, il était nécessaire de le faire ; je vous disais que vous en obteniez la purification quotidienne par la récitation de ces paroles : Remets­nous nos dettes, comme nous remettons les leurs à nos débiteurs. Mais comment vous y prendre ?

AIMONS NOS ENNEMIS

Vous avez des ennemis; quel est l'homme qui n'a pas d'ennemi sur terre ? Appliquez~vous à les aimer. Un ennemi cruel peut te faire beaucoup de mal, tu t'en fais bien davantage si tu n'aimes pas ton ennemi, Lui peut nuire à tes biens, à tes troupeaux, à ta maison, à ton épouse. Allons plus loin: il peut nuire à ton corps, s'il en reçoit le pouvoir. Mais peut~il nuire à ton âme ?

Mes frères, je vous y exhorte, élevez~vous jusqu'à cette perfec­tion ; il est vrai que mes exhortations ne vous en donneront pas la

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force ; Celui~là vous la donnera, à qui vous dites : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Ne croyez pas la chose impos­sible. Je sais, j'ai constaté, j'ai prouvé qu'il y a des chrétiens qui aiment leurs ennemis. Si la chose vous semble impossible, n'essayez pas d'abord de vous y appliquer. Commencez pàr vous convaincre que la chose est possible, et priez pour qu'en vous se réalise la volonté de Dieu. Le mal qui est en ton ennemi te peut~il être de quelque utilité? Il ne serait même pas ton ennemi, s'il n'y avait aucun mal en lui. Souhaite~lui du bien, demande qu'il mette un terme à sa méchanceté, et il ne sera plus ton ennemi.

S'il est ton ennemi, cela ne vient pas de sa nature d'homme mais du péché. Serait~il ton ennemi, parce qu'il a corps et âme? II est ce que tu es, tu as une âme, lui aussi ; tu as un corps, lui aussi. Il est de la même essence que toi, il est pétri de la même terre, vous tenez la vie du même Dieu; vois en lui ton frère. Nous avons comme premiers parents Adam et Eve; celui~là fut notre père, celle~ci notre mère. Nous sommes donc frères. Passons sur cette première origine. Nous avons Dieu comme Père, l'Eglise comme Mère, nous sommes donc frères.

Mais je me trouve avoir pour ennemi un païen, un Juif, un hérétique. C'est pour cela que j'ai dit plus haut : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Eglise, ton ennemi est un païen, un Juif, un hérétique; ils sont terre ; si tu es ciel, supplie le Père qui est dans le ciel et prie~le pour tes ennemis. Saul. lui aussi, était ennemi de l'Eglise ; on a prié pour lui et il est devenu son ami. II ne s'est pas contenté de cesser d'être son adversaire: au prix de mille fatigues il s'est fait son ouvrier. Veux~tu savoir la vérité 1 Oui, on a prié pour lui, contre sa malice et non contre sa nature.

Prie, toi aussi, contre la malice de ton ennemi. Qu'elle meure et qu'il vive! Si l'ennemi meurt, tu as un ennemi de moins, mais pas un ami de plus; si la malice de ton ennemi vient à mourir, tu as perdu un ennemi et tu as gagné un ami.

Vous dites encore: Qui peut faire cela? Qui jamais l'a fait? Eh bien 1 que Dieu vous aide à l'accomplir. Je le sais, ils sont peu nombreux ceux qui ont le courage de le faire; c'est le privilège des âmes nobles et vraiment spirituelles.

Pouvons~nous compter parmi elles toutes celles qui s'approchent de l'autel, qui reçoivent le corps et le sang du Christ 1 Ont~ils tous ces dispositions ? ... Et pourtant, tous font cette prière : Remets­nous nos dettes, comme nous remettons les leurs à nos débiteurs.

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AUGUSTIN 133

Dieu pourrait leur répondre : Pourquoi me demandez~vous de faire ce que j'ai promis, alors que vous refusez de faire ce que j'ai corn~ mandé? Q'ai~je promis? de vous remettre les péchés. Qu'ai~je commandé ? de remettre vous~mêmes leurs dettes à vos débiteurs. Comment le ferez~vous, si vous n'aimez pas vos ennemis?

Que faire, mes frères ? Quoi l Le troupeau du Seigneur est~il si restreint ? Si seuls ceux qui aiment leurs ennemis peuvent dire : Remets~nous nos dettes, comme nous remettons les leurs à nos débi­teurs. Je ne sais plus que faire, je ne sais plus que dire ...

Vous dirai~je: Si vous n'aimez pas vos ennemis, passez sous silence cette demande du Pater : Remets~nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs. Oui, admettez que je le dise : passez sous silence cette demande; mais si vous l'omettez, vos péchés ne seront pas remis. Si vous la récitez sans la mettre en pratique, ils ne seront pas pardonnés non plus. Il faut accorder sa conduite avec ses paroles, pour obtenir le pardon de ses péchés.

Mais voici de quoi donner confiance, non à l'élite mais à la masse du peuple chrétien, et je devine que c'est cela ce que vous demandez. Pardonnez et il vous sera pardonné, a dit le Christ ; et vous, que lui dites~vous dans la prière ? Remettez~nous nos offenses, comme nous remettons à nos débiteurs. Remets~nous, Sei­gneur, comme nous remettons nous~mêmes. Vous dites bien : Père, qui es dans les cieux, remets~nous nos dettes, comme nous les remet~ tons à nos débiteurs. Voilà ce que vous devez dire. Si vous ne le faites pas, vous périrez. Quand un ennemi vous demande de lui pardonner, faites~le aussitôt. Est~ce si difficile? Il était difficile d'aimer un ennemi qui te persécutait mais d'aimer un homme qui te demande pardon, est~ce si difficile ? Que réponds~tu ? Tu le haïssais quand il te persécutait ; même alors, il eût mieux valu ne pas le haïr et te souvenir de la parole du Maître: Mon Père, pardonne~leur, ils ne savent ce qu'ils font (Luc, 23, 34). Oui, mon plus brûlant désir aurait été qu'à l'heure où ton ennemi t'accablait, tu te souvinsses du Seigneur, ton Dieu, faisant cette prière 1

Mais tu objecteras peut~être : Il l'a fait, parce qu'il était le Maître, parce qu'il était le Christ, parce qu'il était le Fils de Dieu, parce qu'il était le Fils unique, parce qu'il était le Verbe fait chair. Mais moi, comment en serai~je capable, faible et mauvais comme je suis ? - Si tu te sens largement dépassé par le Maître, pense à quelqu'un qui a été serviteur comme toi. Saint Etienne était lapidé, et, sous la grêle des pierres, à genoux, il priait ainsi pour ses ennemis: Seigneur, ne leur imputez pas ce péché (Actes, 7, 59) 1 Eux lui jetaient des pierres ; ils ne demandaient point leur pardon,

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et lui priait pour eux. Voilà l'attitude que je veux te voir. Hausse­toi jusque là. Ne laisse donc pas toujours ton âme coller à la terre; en haut les cœurs l Oui, monte jusque là ; aime tes ennemis. Si tu ne peux pas aimer celui qui t'insulte, aime celui qui t'implore. Aime l'homme qui te dit: Frère, j'ai péché, pardonne~moi. Car, si alors tu ne pardonnes pas, je te déclare: non seulement tu effaces de ton cœur la prière du Seigneur, mais toi~même seras effacé du livre de la vie.

Même si tu pardonnes, si tu purifies ton cœur de toute haine, je te fais remarquer que bannir la haine n'est pas y étouffer le sens de la discipline. Que faire alors, si j'ai à corriger celui qui implore mon pardon 1 Tu peux agir à ton gré ; je suppose que tu aimes ton fils, quand bien même tu le corriges ; tu ne tiens pas compte des larmes que lui arrache le fouet, puisque tu lui réserves plus tard l'héritage.

Ce que je te demande, c'est d'effacer de ton cœur tout senti­ment de haine, quand ton ennemi vient solliciter ton pardon. Tu me diras peut~être : il ment, il dissimule son jeu. 0 toi, qui juges si facilement des intentions d'autrui, dis~moi donc les intentions de ton père; dis~moi les intentions que tu avais hier.

Quelqu'un demande pardon: pardonne; pardonne largement: si tu refuses, ce n'est pas à lui que tu fais tort, mais à toi. Serviteur toi~même, tu refuses de pardonner à ton compagnon: il s'en ira trouver ·le Maître commun et lui dira: Maître, j'ai demandé à mon compagnon de me remettre mes dettes, il s'y est refusé ; toi, remets-les~moi. Le Maître n'a-t~il pas le droit de remettre les dettes de son serviteur? Et il s'éloigne de son Maître avec la certitude de son pardon. Et toi, tu restes avec la conscience de tes obligations. Comment cela 1 Il viendra, en effet, le temps de la prière, le temps où tu diras :R.emets~nous nos dettes, comme nous~mêmes nous les remettons à nos débiteurs. Et le Seigneur te répondra: Méchant serviteur, je t'avais remis toute ta .dette, parce que tu m'en avai5 prié. Ne devais~tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi~même j'avais eu pitié de toi (Matth., 18, 32~33). Ces paroles sont de l'Evangile: elles ne sont pas de moi. Quelqu'un te demande le pardon ; si tu le lui accordes tu as le droit de faire cette prière. N'es~tu pas encore capable d'aimer celui qui t'insulte? Il est toujours en ton pouvoir de prier: R.emets~nous nos dettes comme nous remettons les leurs à nos débiteurs. Achevons.

Et ne nous induis pas en tentation Pardonne~nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux

qui nous ont offensés : voilà ce que nous disons en vue des péchés

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AUGUSTIN 135

commis, quand il ne dépend plus de nous qu'ils ne le soient pas. Tu peux travailler à ne réitérer pas ce que tu as fait. Mais ne fais~tu pas aussi quelque chose pour effacer le mal commis? Pour effacer ce mal voici un moyen : Pardonne~nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Et pour éviter de retomber, quel moyen ? Ne nous induis pas en tentation, mais déli-­vre~ nous du mal, c' est~à~dire de la tentation même.

Ainsi ces trois demandes : Que ton nom soit sanctifié, que ton règne arrive ; que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel, concernent toute la vie de l'homme.

Toujours en effet le nom du Seigneur doit être sanctifié en nous, nous devons toujours être sous son empire et toujours nous devons faire sa volonté : ces devoirs sont éternels. Nous avons maintenant besoin du pain de chaque jour, et le reste de la prière, à partir de cet article, se rapporte aux nécessités de la vie présente. Nous avons dans cette vie besoin du pain de chaque jour; besoin aussi qu'on nous pardonne nos péchés.

II ne sera plus question d'offenses dans l'autre; ici on est tenté, ici on est exposé au naufrage, ici la faiblesse laisse pénétrer dans le navire ce qu'il faut rejeter. Mais lorsque nous serons devenus égaux aux Anges de Dieu, à Dieu ne plaise que nous lui deman~ dions pardon de nos fautes, puisqu'il n'y en aura plus! Ici donc le pain quotidien ; ici le pardon de nos péchés ; ici la victoire sur la tentation qui ne pénètre pas dans cet autre monde ; ici encore la délivrance du mal, puisque là ne sera aucun mal, mais le bonheur éternel.

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136 LE PATER

SERMON 57

L'ordre à suivre dans votre éducation spirituelle est de vous enseigner d'abord ce que vous devez croire, ensuite ce que vous devez demander.

Void en effet ce que dit l'Apôtre : Et il arrivera ainsi : qui~ conque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. Ce texte est emprunté par lui à un prophète, car un prophète a prédit cette époque où tous devaient invoquer Dieu : Quiconque implorera le nom du Seigneur sera sauvé. L'Apôtre a même ajouté : Comment lïmploreront~ils, s'ils ne croient pas en lui ? Comment y croiront~ils, s'ils n'en ont pas entendu parler? Et comment en entendront~ils par~ ler, si personne ne les prêche ? Ht comment les prêchera~t~on, si l'on n'est pas envoyé? (Job, 2, 32: Rom., 10, 13~15). On a donc envoyé des prédicateurs, ils ont annoncé le Christ, et les peuples les ont entendus parler de lui : en entendant ils ont cru, et en croyant ils l'ont invoqué. Il était donc juste et souverainement exact de dire : Comment lïmploreront~ils, s'ils ne croient pas en lui? Aussi vous a~t~on enseigné d'abord à croire, et vous apprend~on aujourd'hui même à invoquer Celui en qui vous croyez.

C'est le Fils de Dieu, c'est notre Seigneur Jésus~Christ qui nous a appris à prier. Il est le Seigneur même, comme vous l'avez appris et récité dans le Symbole, le Fils unique de Dieu, mais il ne veut pas rester seul, il a daigné avoir des frères.

A qui recommande~t~il de dire : Notre Père qui es dans les cieux ? A qui veut~il que nous donnions ce nom de Père, sinon à son propre Père 1 Y ~a~t~il là jalousie à notre égard 1

Après avoir mis au monde un, deux, trois enfants, les parents quelquefois craignent d'en avoir encore, ils ont peur de réduire les premiers à la mendicité. Mais l'héritage que nous promet le Sauveur peut être partagé entre beaucoup, sans que personne y soit à l'étroit: aussi invite~Hl les peuples païens à devenir ses frères, et qui pourrait nombrer ceux qui ont le droit de dire avec ce Fils unique :

Notre Père qui es aux cieux

Combien l'ont dit avant nous ? Combien le diront après 1 Combien donc ce Fils unique s'est donné de frères par sa grâce 1

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AUGUSTIN 137

A combien fait~il part de son héritage ? Pour combien a~t~il enduré la mort? Nous avions sur la terre un père et une mère; ils nous ont fait naître pour les fatigues et pour la mort ; nous avons trouvé un autre Père et une autre mère, Dieu et l'Eglise; ils nous donnent la vie éternelle. Songeons, mes chers amis, de qui nous commençons à être les fils et vivons comme il convient de vivre quand on a un tel Père. Considérez que notre Créateur même a daigné deve­nir notre Père.

Nous venons d'apprendre quel est Celui que nous devons prier et quel impérissable héritage nous devons espérer de Celui que nous commençons à regarder comme notre Père : apprenons ce que nous devons lui demander.

Que demander à un tel Père? N'est~ce~pas à lui qu'aujourd'hui, hier et avant~hier nous avons demandé la pluie 1 C'est peu de chose pour lui ; et vous voyez néanmoins avec quels gémissements, avec quelle ardeur nous demandons la pluie, lorsque nous redou­tons la mort, lorsque nous craignons ce trépas auquel personne ne saurait se soustraire. Car un peu plus tôt ou un peu plus tard chacun doit mourir; mais pour retarder tant soit peu ce moment, nous gémissons, nous prions, nous soupirons, nous crions vers Dieu. Eh 1 ne devons~nous pas crier bien plus encore pour obtenir d'arriver où jamais nous ne mourrons 1

Aussi poursuivons~nous

Que ton nom soit sanctifié

Nous lui demandons en effet que son nom soit sanctifié en nous; car en lui il est toujours saint. Et comment, si ce n'est en nous rendant saints, c'est son nom qui nous faits tels; mais lui est toujours saint, son nom l'est toujours également. C'est donc pour nous et non pour Dieu que nous prions ici. Quel bien pouvons-nous lui souhaiter, puisqu'il n'est susceptible d'aucun mal? C'~st à nous que nous voulons du bien, en demandant que son nom soit sanctifié, que ce nom, qui est toujours saint, soit sanctifié en nous.

Que ton règne arrive

Demandons, ne demandons pas, ce règne arrivera sûrement. Mais le règne de Dieu est éternel. Quand en effet le Seigneur n'a~t~il pas régné? Quand a~t~il commencé de régner? Son règne

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n'a pas eu de commencement, il n'aura pas de fin. Sachez encore que c'est pour nous et non pas pour Dieu que nous prions ici. Nous ne disons pas : Que votre règne arrive, comme si nous lui souhaitions un royaume; c'est nous qui serons son royaume, si nous faisons dans son amour des progrès par la foi ; et tous les fidèles rachetés par le sang de son Fils unique composeront son empire.

Or ce règne de Dieu arrivera après la résurrection des morts, car alors il viendra lui~même en personne. Et après cette résur~ rection des morts, il les séparera, comme il l'a annoncé, et placera les uns à sa droite, les autres à sa gauche. A ceux de droite, il dira : Venez, les bénis de mon Père, possédez le royaume (Mt., 25, 34). C'est là le royaume que nous demandons, que nous solli~ citons par ces paroles : Que votre règne arrive, qu'il nous soit donné.

Si nous étions du nombre des réprouvés, ce royaume serait pour d'autres et non pour nous; il sera pour nous au contraire si nous comptons parmi les membres de son Fils unique. Il ne tardera même pas : reste~t~il autant de siècles qu'il s'en est écoulé? Petits enfants, dit l'Apôtre bien~aimé, voici la dernière heure, mais compa~ rée même au grand jour, cette heure est longue, et toute dernière qu'elle soit, de combien d'ans n'est~elle pas composée; Soyez néan~ moins comme un homme qui veille, qui s'endort, et qui s'éveille pour régner. Veillons maintenant, nous nous endormirons à la mort, à la fin nous ressusciteront pour régner sans fin.

Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel

C'est la troisième demande : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Elle est tout entière à notre avantage. Il est nécessaire en effet que la volonté de Dieu s'accomplisse, et cette volonté exige que les bons règnent et que les méchants soient damnés. Peut~elle ne pas s'exécuter? Mais enfin quel avan~ tage nous souhaitons~nous en disant : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel? Ecoutez. On peut comprendre cet arti~ cie de bien des manières, et il faut voir beaucoup de choses.

Dire à Dieu : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, c'est lui dire : Les Anges ne vous offensent pas; faites que nous ne vous offensions pas non plus. Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, qu'est~ce dire encore? C'est dire : Tous les saints patriarches, tous les prophètes, tous les apôtres, tous les hommes spirituels sont pour Dieu comme le ciel, et campa~

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rés à eux nous ne sommes que la terre. Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel : en nous comme en eux.

Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, c'est dire encore : l'Eglise de Dieu est le ciel, ses ennemis sont la terre. Nous souhaitons à nos ennemis de croire aussi et de devenir chrétiens, afin que de cette manière la volonté de Dieu soit faite sur la terre comme au ciel.

Que la volonté de Dieu soit faite sur la terre comme au ciel ; c'est dire encore : Notre esprit est le ciel et notre corps la terre ; de même donc que notre esprit se renouvelle en croyant, qu'ainsi notre corps se rajeunisse sur la terre comme au ciel. C'est dire aussi : Quand notre âme voit la vérité et s'y complaît, elle est le le ciel; le ciel, c'est de me complaire dans la loi de Dieu selon l'homme intérieur. Et la terre, c'est de voir dans mes membres une autre loi qui résiste à la loi de mon âme (Rom., 7, 22~23).

Quand donc cette lutte aura cessé, quand il y aura pleine concorde entre la chair et l'esprit, la volonté de Dieu s'accomplira sur la terre comme au ciel. Pensons à tout cela et sollicitons~le de notre Père, lorsque nous lui adressons cette demande.

Tout ce que je viens d'expiiquer, mes chers amis, ces trois demandes ont rapport à l'éternelle vie. Car c'est pour l'éternité qu'arrivera son royaume où nous vivrons toujours; pour l'éternité enfin que sa volonté s'accomplira au ciel et sur la terre de toutes les façons que j'ai expliquées.

Restent donc les demandes relatives au temps de ce pèlerinage. Voici la première :

Donne~nous aujourd'hui notre pain quotidien

Donnez~nous les biens éternels, donnez~nous aussi les choses temporelles.

Vous nous avez promis un royaume ; ne nous refusez pas de quoi subsister. Vous nous donnerez près de vous une gloire éter~ nelle, donnez~nous sur la terre la nourriture corporelle. De là ces mots : quotidien, aujourd'hui, c'est~à~dire pendant tout le temps actuel. Demanderons~nous encore après cette vie notre pain quoti~ dien? A ce moment on ne dira plus « chaque jour», mais « aujour~ d'hui ». Maintenant on dit chaque jour, parce que les jours passent et se succèdent. Dira~t~on chaque jour, lorsqu'il n'y aura plus qu'un seul jour, le jour éternel ?

Il faut entendre de deux manières cette demande relative au pain quotidien; il faut y voir ce qui est nécessaire à la vie char~

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nelle, et ce qui est nécessaire à la vie spirituelle. Ce qui nous est indispensable pour la vie de chaque jour regarde d'abord la nour­riture corporelle, puis le vêtement. Mais on prend la partie pour le tout, et en demandant le pain nous entendons tout le reste.

Les fidèles savent aussi qu'il y a un aliment spirituel qu'on vous fera connaître lorsque vous devrez le recevoir à l'autel de Dieu 1•

Cet aliment sera aussi votre pain quotidien, car il est nécessaire dans cette vie. Recevrons~nous l'Eucharistie lorsque nous serons réunis, au Christ et que nous commencerons à régner avec lui pour l'éternité 1 Elle est donc notre pain quotidien ; mais en prenant ce pain, ne nous contentons pas de nourrir notre corps, nourrissons principalement notre âme.

La vertu propre à ce divin aliment est une force d'union; elle nous unit au corps du Sauveur et fait de nous ses membres, afin que nous devenions ce que nous recevons. Ce sera alors véritable­ment notre pain quotidien.

Ce que je vous explique maintenant est aussi notre pain quo­tidien ; ce pain quotidien est encore dans les lectures que vous entendez chaque jour à l'Eglise, dans les hymnes que l'on chante et que vous chantez. Tout cela est nécessaire à notre pèlerinage. Lorsque nous serons parvenus au terme, lirons~nous encore des livres 1 Ne verrons~nous pas le Verbe, ne l'entendrons~nous pas, ne le mangerons~nous pas, ne le boirons~nous pas, comme font maintenant les Anges 1 Et les Anges ont~ils besoin de livres, de commentateurs ou de lecteurs 1 Nullement : car leur lecture consiste à regarder, et ils voient la vérité elle~même : ils s'abreuvent à cette source profonde dont nous recevons quelques gouttes. Mais assez sur le pain quotidien ; cette demande est nécessaire durant la vie présente.

Pardonne.-nous nos offense5 comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés

Cette demande est~elle nécessaire ailleurs qu'ici 1 Là en effet nous n'aurons plus de dettes; et les dettes sont­

elles autre chose que les péchés? Vous allez être baptisés, et tous vos péchés seront effacés alors, sans qu'il vous en reste absolu~ ment aucun. Tout le mal que vous pouvez avoir fait par actions, par paroles, par désirs et par pensées, sera complètement anéanti. Mais si dans la vie que vous mènerez ensuite, il n'y avait rien à craindre, on ne nous apprendrait pas à répéter : Pardonnez~nous nos offenses.

1. S. Augustin s'adresse aux catéchumènes, qui n'ont pas encore communié. P. G. 57, 278.

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Ayons soin toutefois d'accomplir ce qui suit: Comme nous pardon~ nous à ceux qui nous ont offensés. Vous donc, vous surtout qui allez entrer dans le bain sacré pour y recevoir le pardon entier de tous vos péchés, prenez garde de conserver dans vos cœurs du ressentiment contre autrui ; travaillez à sortir du baptême avec paix, libres et déchargés de toute dette, ne cherchez pas à vous venger des ennemis qui auparavant vous ont fait quelque tort. Pardonnez comme on vous pardonne. Dieu n'a fait tort à personne; et sans rien devoir il pardonne, Comment ne doit pas pardonner celui à qui on pardonne, quand Celui qui n'a pas besoin de pardon, pardonne tout sans réserve 1

Ne nous induis pas en tentation, mais délivre~nous du mal

Cette demande aussi sera~t~elle nécessaire dans cette autre vie ? Pour dire : Ne nous induisez pas en tentation, il faut pouvoir être exposé à quelque tentation. Nous lisons au saint livre de Job : La vie humaine n'est~elle pas une tentation sur la terre 7 (Job, 7, 1 ) . Que demandons~nous alors ? Que demandons~ nous ?

Ecoutez : Que nul, lorsqu'il est tenté, dit l'Apôtre (Jac., 1, 13), ne dise que c'est Dieu qui le tente. La tentation est ici prise dans un mauvais sens, pour les déceptions et les chutes que cause le démon. Il est en effet une autre espèce de tentation qui porte le nom d'épreuve; c'est d'elle qu'il est écrit : Le Seigneur notre Dieu vous tente pour savoir si vous t aimez. Qu' est~ce à dire, « pour savoir» 1 Pour vous faire savoir, car lui le sait. Dieu donc n'envoie à personne la tentation qui consiste à tromper et à séduire ; mais dans ses jugements aussi profonds que mystérieux, il est des hom~ mes qu'il abandonne: et quand il les abandonne, le tentateur sait ce qu'il a à faire. Dans ce malheureux que Dieu abandonne, il ne trouve pas un ennemi qui lui résiste, mais un bien dont il s'empare. Afin donc de n'être pas abandonnés nous crions Ne nous induis pas en tentation.

Chacun, dit l'Apôtre saint Jacques, est tenté par la concupis­cence qui l'entraîne et le séduit; puis la concupiscence ayant conçu enfante le péché, et le péché consommé engendre la mort. A quoi se réduit cet enseignement ? La lutte contre nos convoitises. Car si tous nos péchés sont remis par le baptême, nos convoitises demeurent. Chrétiens régénérés, ne vous lassez pas de combattre. Car la guerre continue en vous. Ne redoute pas l'ennemi du dehors. Vainqueur de toi, tu seras vainqueur du monde. Que te peut faire celui qui te tente de l'extérieur, que ce soit le démon ou son suppôt? Pour te

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séduire, on te propose un gain insolent. Si cette proposition ne trouve pas en toi la complicité de la cupidité, quelle impression peut~ elle faire sur toi? Mais l'avarice règne en ton cœur. La vue du gain enflamme tes désirs. Te voilà pris au filet d'une amorce cou~ pable; au contraire, si tu es libre d'avarice, c'est en vain que la souricière te sera tendue.

Le tentateur cherche à te séduire par la beauté d'une femme. Reste intérieurement fidèle à la chasteté et tu triompheras extérieu~ rement de l'iniquité. Pour échapper aux charmes de cette beauté étrangère, lutte dans ton cœur contre la passion. Tu ne sens pas les coups de ton ennemi. Tu ne vois pas le démon, mais tu vois bien ce qui t'attire. Triomphe de ces sollicitations intérieures. Lutte, lutte toujours. Celui qui t'a fait renaître est aussi ton Juge: il t'a imposé le combat, il te prépare la couronne. Comme, infailliblement, tu seras vaincu si tu es privé du secours de Dieu et abandonné par lui, tu lui diras précisément dans l'Oraison dominicale : Ne nous induis pas en tentation.

La colère du Juge en a livré quelques~uns à leurs convoitises, suivant la parole de Paul : Dieu les a livt•és aux convoitises de leur cœur (Rom., 1, 24).

Délivre~nous du mal. Cette prière revient à la précédente. Tu peux donner le même sens à toutes les deux. Ne nous induis pas en tentation, mais délivre~nous du mal. S'il ajoute mais, c'est pour montrer précisément que les deux propositions se recouvrent. Ne nous induis pas en tentation mais délivre~nous du mal. Comment cela? Prenons l'une après l'autre : En nous délivrant du mal, il ne nous induit pas en tentation ; et en ne nous induisant pas en tentation, il nous délivre du mal.

La grande tentation, frères bien~aimés, la grande tentation de cette vie est celle qui s'attaque au moyen même que Dieu nous a donné pour obtenir le pardon des fautes où nous sommes tombés : oui, tentation redoutable que celle~là, puisqu'elle nous prive du seul remède qui pourrait guérir les blessurers des autres tentations. Je crois que vous ne me comprenez pas encore: redoublez d'attention et vous me comprendrez.

Voici par exemple une tentation d'avarice; quelqu'un a été séduit par une tentation de ce genre (car il n'est pas un athlète ni guerrier qui ne reçoive de temps à autre quelque blessure) ; ce combattant donc, si vaillant soit~il, a cédé à l'avarice en matière légère. Ou bien vous êtes tourmentés par une tentation d'impureté : elle ne vous conduit pas jusqu'à la fornication ou à l'adultère, mais vous avez regardé une femme avec plaisir, une pensée s'en

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est suivie à laquelle vous avez pris trop de complaisance ; il a fallu livrer bataille et notre guerrier ne s'en est pas tiré sans égrati~ gnures. Mais il n'a pas consenti, il a réprimé le mouvement désor­donné, il l'a combattu avec l'amertume au cœur, finalement il l'a repoussé, il a vaincu. Comme il s'est glissé toutefois quelque défail­lance, il y a lieu de prier : Remets~nous nos dettes.

Quelle est donc cette horrible tentation dont j'ai parlé, cette tentation funeste, redoutable, et qu'il faut éviter de toutes ses forces, avec tout son courage? Quelle est~elle? C'est quand on nous pousse à nous venger. On s'enflamme de colère, on menace cle sa ven­geance : voilà la tentation horrible. C'est perdre, hélas 1 le moyen d'obtenir le pardon de ses autres iniquités. Tu t'étais laissé aller à des impressions illicites, à des passions coupables, et tu devais être guéri de ces blessures, en disant : Pardonne~nous nos offen~ ses comme nous pardonnons à ceux qui ont offensés. En te pous­sant à la vengeance, on te fait perdre le mérite de cette parole : Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ; et en per­dant ce mérite, tu conserves tous tes péchés, tu n'es déchargé d'abso­lument aucun.

Notre Maître et Sauveur savait que cette tentation est la plus à craindre en cette vie. Aussi en nous enseignant les six ou sept demandes de l'oraison dominicale, il n'a cherché à nous en expli~ quer aucune, à nous en recommander aucune avec autant d'insis­tance que celle~ci. N'avons~nous pas dit : Notre Père, qui es aux cieux ? Pourquoi donc, après cette prière, ne nous a~t~il rien expli~ qué de ce qu'il a mis au commencement, à la fin ou au milieu? Pourquoi ne dit~il rien de ce qui vous arriverait si le nom du Sei­gneur n'était pas sanctifié en vous, si vous n'étiez pas admis dans son royaume, si sa volonté n'était pas faite en vous comme elle l'est au ciel, ou s'il ne veillait pas sur vous pour vous empêcher de suc­comber la tentation ?

Que dit~il donc ? En vérité, je vous le déclare, si vous pardon­nez aux hommes leurs fautes; ce qui se rapporte à ces mots : Par­donne~nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Sans donc s'arrêter aux autres demandes qu'il nous a enseignées, il insiste avec force sur celle~ci (Mt., 6, 14).

De fait, il n'était pas nécessaire d'appuyer sur les articles à la violation desquels le pécheur connaît le remède ; mais il fallait insister spécialement sur celui dont la transgression rend incurables tous les autres péchés. Tu dois dire : Pardonne~nous nos péchés. Lesquels? Hélas! nous n'en avons que trop, car nous sommes des hommes. J'ai parlé un peu plus que je n'aurais dû, j'ai dit

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ce que je devais taire, j'ai ri plus qu'il ne fallait, jai mangé, J a1 bu au~delà du nécessaire: j'ai écouté avec plaisir ce que je n'aurais pas dû ; j'ai regardé volontiers ce que je ne devais pas et volon~ tiers j'ai pensé à ce qui m'était interdit : Pardonne~nous nos offen-­ses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Tu es perdu, si tu ne peux dire cela.

Réfléchissez, mes frères ; réfléchissez, mes enfants : réfléchissez, enfants de Dieu ; réfléchissez à ce que je vous dis. Luttez de toutes vos forces contre votre cœur : et si vous voyez votre colère se dresser contre vous, implorez contre elle le secours de Dieu. Que Dieu te rende vainqueur : oui, que Dieu te rende vainqueur, non pas à l'extérieur, de ton ennemi, mais à l'intérieur, de ton âme. Prie, et il te viendra efficacement en aide. Il aime mieux nous voir lui demander cela que la pluie.

Vous voyez, en effet, mes chers amis, combien de demandes nous a enseignées le Christ notre Seigneur, et il en est une à peine qui concerne le pain quotidien. Il veut donc que nous rappor~ tions tous nos desseins à l'éternelle vie. De quoi craignons~nous de manquer, puisqu'il s'est engagé envers nous par promesse, puisqu'il a dit : Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données pal' surcroît ; car votre Pèl'e sait que vous en avez besoin, avant que vous les lui demandiez?

Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît (Mt., 6, 33 : 32, 8),

Beaucoup en effet ont été éprouvés même par la faim, ils s'y sont montrés comme un or pur et n'ont pas été abandonnés de Dieu: au lieu qu'ils y auraient péri, si leur cœur n'avait pas été soutenu par le pain spirituel de chaque jour. Soyons surtout affa~ més de ce pain. Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la jus"' tice, car ils seront rassasiés. Dieu peut répondre à cette prière : Souvenez"'vous que nous sommes poussière (Ps 102, 14), Celui qui fait l'homme d'un peu de poussière, et qui a animé cette poussière, a livré pour elle son Fils unique à la mort. Ah 1 combien ne nous aime~t"'il pas 7 Qui pourrait l'exprimer 7 Qui pourrait même le conce~ voir dignement 7

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AUGUSTIN 145

SERMON 58

Vous avez récité le Symbole, l'abrégé de notre foi. Déjà il y a quelques temps je vous ai rapporté ces paroles de l'Apôtre saint Paul : Comment l'invoquera~t~on, si l'on ne croit en lui? Puis donc qu'on vous a appris, puisque vous avez retenu et répété la manière de l'invoquer (Rom., 10, 14).

C'est le Fils de Dieu lui~même, vous l'avez entendu pendant la lecture de l'Evangile, qui a enseigné cette prière à ses disciples et à ses fidèles. Quel espoir n'avons~nous pas d'obtenir notre grâce, puisqu'un tel avoué nous a dicté la supplique ! Assis à la droite du Père, comme vous l'avez publié, et notre avocat doit être notre juge, car il viendra juger les vivants et les morts.

Retenez donc bien cette prière que vous devez répéter clans huit jours, Ceux d'entre vous qui ne savaient pas parfaitement le Sym.­bole, ont ce temps encore pour l'apprendre, car samedi, ce grand jour de samedi prochain où vous devez recevoir le baptême, il vous faudra le réciter en présence de tous ceux qui seront là; et dans huit jours, à partir d'aujourd'hui, vous répéterez l'oraison qu'on vous apprend aujourd'hui 1•

En voici le commencement :

Notre Père qui es aux cieux

Dès que nous avons un Père au ciel, considérons comment il convient que nous vivions sur la terre. Car avec un tel Père on doit vivre de façon à se rendre digne d'être admis à son héritage. Nous disons tous : « Notre Père». Quelle bonté! Ces paroles sont prononcées par l'Empereur et le mendiant, par le serviteur et son maître. Tous disent : Notre Père qui es aux cieux. Ils savent donc qu'ils sont frères, dès qu'ils ont le même Père. Et pourquoi un maître dédaignerait~il d'avoir pour frère son serviteur, puisque le Christ notre Seigneur veut bien aussi l'appeler son frère.

1. Voir notre Introduction.

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Disons~nous encore :

Que ton nom soit sanctifié, que ton règne an-ive

Sanctifier le nom de Dieu c'est devenir saint, car ce nom est toujours saint en lui~même. Nous souhaitons aussi l'avènement de son règne. Il viendra, fût~ce malgré nous ; mais désirer et deman­der que son règne arrive, c'est simplement désirer qu'il nous rende dignes de son royaume; car, ce qu'à Dieu ne plaise, il pourrait se faire que son règne arrivât et non pas pour nous. II viendra, mais pour un grand nombre il ne viendra pas. Il viendra pour ceux à qui il sera dit : V enez, bénis de mon Père, possédez le myaume qui vous a été préparé dès l'origine du monde. Et il ne viendra pas pour ceux à qui s'adresseront ces mots : Allez loin de moi, maudits, au feu éternel (Mt., 25, 34, 41).

Ainsi quand nous disons : Que ton règne arrive, nous deman­dons qu'il vienne pour nous. Qu'est~ce à dire, qu'il vienne pour nous? Que Dieu nous trouve bons pour lui. Nous le prions par conséquent de nous rendre bons. car alors il nous admettra dans son royaume,

Nous ajoutons :

Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel

Les Anges vous servent dans le ciel, faites que nous vous ser­vions sur terre. Les Anges ne vous offensent pas dans le ciel, faites que nous ne vous offensions pas sur la terre. Accomplissons votre volonté comme ils l'accomplissent. Ici encore que demandons~nous, sinon de devenir bons? Dieu sans aucun doute fait toujours sa volonté, mais elle se fait en nous lorsque nous l'accomplissons.

Nous pouvons encore entendre ces mêmes paroles : Que votre volonté soit faite sur la teae comme au ciel, de la manière suivante. Nous recevons un ordre de Dieu, et il nous plaît, il plaît à notre esprit ; car nous nous complaisons dans la loi de Dieu selon l'homme intérieur. La volonté de Dieu s'accomplit alors dans le ciel : notre esprit se comparant au ciel et notre corps à la terre. Que veut donc dire : Votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ? Votre commandement est agréable à mon esprit; que ma chair aussi s'y conforme et que disparaisse enfin cette lutte que décrit l'Apôtre (Gal., 5, 17) : La chair convoite contre l'esprit, et l'esprit contre la chair. Quand l'esprit convoite contre la chair, c'est la

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volonté divine qui s'accomplit au ciel ; et quand la chair ne convoite plus contre l'esprit, déjà cette même volonté s'accomplit sur la terre. Or la paix sera parfaite quand Dieu le voudra ; si maintenant il veut le combat, c'est afln de pouvoir donner la victoire.

On peut aussi faire une autre application de la même demande : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Pigurons­nous l'Eglise comme le ciel, car elle porte Dieu; et voyons dans la terre les infidèles à qui il a été dit : Tu es terre et tu retoumeras en terre. Par conséquent, lorsque nous prions pour nos ennemis, pour les ennemis de l'Eglise, pour les ennemis du nom chrétien, nous demandons à Dieu que sa volonté soit faite sur la terre comme au ciel, par ceux qui le blasphèment comme par ceux qui le servent, et que tous deviennent ciel.

Donne~nous aujourd'hui notre pain quotidien

On peut entendre que par ces paroles nous demandons simple­ment ce qui est nécessaire à la vie de chaque jour, pour l'avoir en abondance, ou au moins pour n'en pas manquer. Nous disons de chaque jour, ce qui est appelé « aujourd'hui ». Chaque jour en effet nous vivons, nous nous éveillons chaque jour, nous man­geons et nous avons faim chaque jour. Que Dieu nous donne donc notre pain de chaque jour.

Pourquoi n'avoir point parlé du vêtement? Car nous avons besoin, pour vivre, du boire et du manger, et pour nous abriter, du vêtement et d'un asile. Ne désirons rien de plus. Nous n'avons rien apporté dans ce monde, dit l'Apôtre, et nous n'en saurbns emporter rien ; dès que nous avons le vivre et le vêtement, soyons contents. Qu'il n'y ait plus d'avarice et la nature est assez riche. Si dans ces mots : Donne~nous aujourd'hui notre pain quotidien, nous pouvons entendre avec raison ce qui concerne la vie de chaque jour, pourquoi nous étonner que le pain comprenne aussi tous les autres aliments nécessaires 7

Que dit Joseph en invitant ses frères 7 Ces hommes au jou rd' hui mangemnt le pain avec moi. Ne devaient~ils manger que du pain? Le, pain comprenait tout le reste. Ainsi en demandant notre pain de chaque jour, nous demandons tout ce qui sur la terre est néces­saire à notre corps. Mais que dit le Seigneur Jésus 7 Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous semnt données par surcroît (Mt., 6, 33).

Cette même demande : Donnez~nous aujourd'hui notre pain quo­tidien s'applique aussi parfaitement à votre Eucharistie, Seigneur,

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à cette nourriture de chaque jour. Les fidèles savent ce qu'ils reçoi~ vent alors, et il leur est salutaire de prendre cet aliment quotidien, nécessaire à la vie présente. Ils prient donc pour eux~mêmes ; ils demandent à devenir bons, à persévérer dans l'innocence, dans la foi et les bonnes œuvres. Voilà ce qu'ils ambitionnent. voilà ce qu'ils implorent; car s'ils ne persévéraient pas dans la pratique du bien, ils seraient privés de ce pain mystérieux. Que signifie donc : Donne~nous aujourd'hui notre pain quotidien? Accorde~ nous de vivre de façon à n'être pas éloignés de votre autel.

Quant à la parole de Dieu que l'on vous explique chaque jour et que l'on vous rompt en quelque sorte, elle est aussi un pain quotidien. Le corps demande le pain vulgaire, l'esprit a besoin de ce pain spirituel. Aussi nous le demandons également, et le pain quotidien comprend tout ce qui nous est nécPssaire dans cette vie, soit pour notre âme, soit pour notre corps.

Nous disons encore :

Pardonne~nous nos offenses

Ne cessons de le dire, car nous disons vrai. Eh ! quE'\ homme vit dans ce corps sans avoir péché ? Eh 1 Quel homme vit de manière à n'avoir pas besoin de faire cette demande? On peut s'enl-Ier, mais on ne saurait se justifier ; d il est bon d'imiter le publicain, sans s'enorgueillir comme le pharisien, Celui~ci monte au temple, il y vante ses mérites sans découvrir les plaies de son âme. L'autre en disant : Seigneur, ayez pitié de moi, pauvre pécheur, savait mieux pourquoi il était venu. Considérez donc, mes frères, que c'est notre Seigneur Jésus, notre Seigneur Jésus lui~même qui a enseigné cette demande à ses disciples, à ses grands, à ses pre~ miers Apôtres, les chefs du tr.:>upeau dont nous faisons partie. Mais si ces béliers implorent le pardon de leurs fautes, que doivent faire les agneaux dont il est dit : Offrez au Seigneur les petits des béliers. Vous savez qu'il est question de cette vérité dans le Sym~ bole que vous avez récité, puisqu'entre autres choses vous y avez nommé la rémission des péchés qui ne s'accorde qu'une fois, et il en est une autre que se fait chaque jour. La rémission des péchés qul ne s'accorde qu'une fois, est celle qui se fait dans le baptême; l'autre s'octroie durant toute cette vie, pendant qu'on récite l'orai~ son dominicale, C'est en vue de cette dernière que nous disons : Pardonnez~twus nos offenses.

Le Seigneur a de plus conclu avec nous un accord, un pacte, un solide contrat, en nous faisant dire : Comme nous pardonnons

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AUGUSTIN l"'Y

à ceux qui nous ont offensés. Pour dire avec fruit : Pardonne~ nous nos offenses, il faut dire avec vérité : Comme nous pardon­nons à ceux qui nous ont offensés. En ne prononçant pas ces der­nières paroles ou en les prononçant à faux, on prononce inutile­ment les premières. C'est à vous principalement, à vous qui appro­chez du saint baptême, que nous disons : Pardonnez tout du fond du oœur tout ce que vous avez contre autrui ; mais pardonnez là même où pénètre l'œil de Dieu.

Il arrive quelquefois que l'on pardonne de bouche, à cause des hommes; on ne pardonne pas de cœur, parce que l'on ne craint pas le regard de Dieu. Vous, pardonnez entièrement ; quelque ressentiment que vous ayez gardé jusqu'aujourd'hui, au moins aujourd'hui pardonnez tout. Le soleil ne devrait pas se coucher sur votre colère, et combien de soleils s'y sont couchés. Que cette colère s'éteigne enfin.

Voici la fête du grand soleil, de ce soleil dont il est dit dans l'Ecriture : Pour vous se lèvera le soleil de justice, et vous trou~ verez le salut sous ses ailes. Sous ses ailes, c'est~ à~ dire sous sa pro­tection. Aussi lisons~nous dans un psaume : Protège~moi à l'ombre de tes ailes. Il est des malheureux qui feront, au jour du jugement suprême, une pénitence tardive, et qui se livreront à une douleur infructueuse. Le livre de la Sagesse nous les montre d'avance. Et que diront~ils au milieu de leurs regrets, parmi les gémissements qui s'exhalent de leur âme oppressée? Que nous a servi l'orgueil? Que nous a procuré l'ostentation des richesses? Ainsi, diront~ils encore, nous avons erré hors des voies de la vérité, la lumière de la justice n'a pas lui à nos yeux et le soleil ne s'est pas levé sur nous. Ce soleil se lève sur les 'ustes ; quant au soleil visible, Dieu le fait lever chaque jour sur les bons et sur les méchants. Il appartient aux justes de voir ce premier soleil ; ils le portent maintenant par la foi dans leur cœurs. Si donc tu te fâches, que le soleil visible ne se couche pas sur ta colère. Que le soleil ne se couche pas sur votre colère, dit l'Apôtre; autrement le soleil de justice se coucherait aussi pour toi et tu resterais dans les ténèbres.

Gardez~vous de croire que la colère ne soit rien. La colère m'a troublé l'œil, dit le prophète. L'œil troublé ne saurait regarder le soleil ; en vain il fait effort, il ne trouve que soufFrance sans plaisir. Qu'est~ce que la colère? Le désir de la vengeance. Quoi! Un homme veut se venger, et le Christ n'est pas vengé encore, les martyrs ne le sont pas 1 La patience divine attend encore que se convertissent les ennemis du Christ, que les ennemis des mar-

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tyrs se convertissent, et nous, qui sommes~nous donc pour chercher à nous venger ? Eh ! que deviendrions~nous si Dieu cherchait à se venger à son tour? Jamais il ne nous a manqué, cependant il ne veut pas se venger de nous, et nous qui l'ofl'ensons presque cha~ que jour, nous voulons nous venger 1 Pardonnez donc, et pardon­nez, de bon cœur. Tu es irrité, ne pèche pas. Fâchez~vous, esHl écrit, mais gardez~vous de pécher (Ps 6, 8). Fâchez~vous comme hommes, si vous êtes vaincus ; mais gardez~vous de pécher en nour~ rissant dans le oœur votre colère, ce qui serait la nourrir contre vous et vous exposer à être rejetés loin de la lumière. Oui, pardonnez.

Qu'est~ce que la colère? Un désir de vengeance. l}u'est~ce que la haine 1 Une colère invétérée ; lorsque la colère est invé­térée elle porte le nom de haine. C'est ce que semble exprimer le prophète déjà cité. Après avoir dit : La colère m'a tmublé l'œil, il ajoute : J'ai vieilli au milieu de tous mes ennemis. Ce qui d'abord n'était que de la colère a vieilli. La colère est un brin d'herbe, la haine un gros arbre. Parfois nous reprenons un homme qui s'irrite, et dans notre cœur nous entretenons de la haine. C'est alors que le Christ nous crie : Tu vois le brin d'herbe dans l'œil de ton frère, et dans le tien tu ne vois pas la poutre. Comment ce brin d'herbe a~t~il grossi jusqu'à devenir une poutre 1 Parce qu'on ne l'a pas arraché immédiatement. Tant de fois tu as laissé le soleil se lever et se coucher sur ta colère ; ainsi tu l'as invétérée. Tu as cherché les mauvais soupçons, tu en as arrosé le brin d'herbe : en l'arrosant, tu l'as nourri, .et en le nourrissant, tu en as fait une poutre.

Tremble devant ces mots : C'est être homicide que de haïr son {tète (1 Jo., 3, 15). Tu n'as point tiré l'épée contre lui, tu ne l'as pas blessé, tu ne lui as fait aucune plaie dans le corps ; tu en as seulement la pensée dans le cœur, et tu es regardé comme homi~ cide, aux yeux de Dieu tu es vraiment coupable. Ton ennemi est vivant, et tu l'as tué; autant qu'il dépend de toi, tu tues celui que tu hais. Amende~toi donc, corrige~toi.

Si dans vos demeures il y avait des scorpions ou des aspics, comme vous travailleriez à les en délivrer afin d'y pouvoir habiter tranquillement 1 Vous vous fâchez, et les colères s'invétérant dans vos cœurs deviennent autant de haines, autant de poutres, de scor~ pions et de serpents; et vous n'zn voulez point purifier vos cœurs, c' est~à~dire la maison de Dieu 1 Accomplissez ce que vous dites : Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, et vous

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direz avec confiance : Pardonne~nous nos offenses, car vous ne pouvez sur cette terre vivre sans pécher.

Autres néanmoins sont les grands crimes qui vous seront heu­reusement remis dans le baptême et auxquels vous devrez être toujours étrangers : et autres les péchés de chaque jour dont on ne saurait s'exempter ici~bas, pour lesquels il faut réciter chaque jour l'oraison dominicale, avec le pacte, le contrat qu'elle renferme, y prononçant avec joie : Pardonne~nous nos offenses ; et avec sin~ cérité : Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.

Voilà pour les péchés passés : mais pour l'avenir ?

Ne nous induis pas en tentation

Pardonne les péchés commis et accorde~nous de n'en plus commettre : on en commet lorsqu'on se laisse vaincre par la ten­tation. L'Apôtre saint Jacques a dit en effet : Que nul, lorsqu'il est tenté, ne prétende que c'est Dieu qui le tente ; car Dieu ne tente point pour le mal et il ne tente lui~même personne ; mais chacun est tenté par sa concupiscence, qui l'entraîne et le séduit; puis la concupiscence ayant conçu enfante le péché, et le péché consommé engendre la mort (J ac., 1, 13~ 15).

Ne te laisse donc pas entraîner par ta concupiscence: garde­toi d'y consentir. Elle ne peut concevoir que de toi. Y consentir, c'est comme s'unir à elle intérieurement. Sitôt qu'elle se montre, refuse, ne la suis pas. Elle est coupable, elle est lascive : elle est humiliante, elle te sépare de Dieu. Pour n'avoir pas à pleurer sur son fruit, ne lui donne pas le baiser du consentement : car encore une fois elle conçoit si tu consens, si tu l'accueilles. Et la concupis~ cence ayant conçu enfante le péché, Tu ne trembles pas encore? Le péché engendre la mort. Crains au moins la mort. Si tu ne redoutes pas le péché, redoutes~en les suites. Si le péché est doux, la mort est amère.

Que les hommes sont misérables 1 Ils laissent ici, en mourant, ce qu'ils ont recherché par leurs péchés, et ils emportent leurs péchés avec eux. Tu pèches pour de l'argent, il faudra le laisser ici: pour une campagne, il faudra la laisser encore : pour une femme, tu la laisseras également : ainsi en est~il de tout ce que tu convoites en péchant, tu le laisses ici quand la mort te ferme les yeux et tu emportes avec toi ce péché que tu commets.

Il faut donc effacer les péchés, les péchés passés, et cesser d'en commettre. Mais tu ne saurais dans cette vie en être entièrement

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exempt, ne fussent~ils que faibles, petits ou légers. Ne méprise néanmoins ni les petits ni les légers.

Les petites gouttes d'eau remplissent les fleuves, Ne dédaigne pas les péchés légers. L'eau pénètre à travers les plus légères fentes du navire: elle en remplit la cale, et si l'on n'y prend garde, le vaisseau s'engloutit. Aussi les matelots ne cessent~ils de travailler, leurs mains sont en mouvement, pour enlever l'eau chaque jour.

Ainsi tes mains doivent agir pour vider chaque jour la sentine de ton âme. Qu'est~ce à dire, doivent agir? En donnant, en faisant de bonnes œuvres : Partage ton pain avec celui qui a faim ; mène dans ta maison l'indigent sans asile; si tu vois un homme nu, donne~ lui des vêtements (ls., 58, 7). Fais tout ce que tu peux et avec tous les moyens dont tu peux disposer : fais le bien avec joie et adresse ta prière avec confiance. Elle s'élèvera sur deux ailes, deux sortes d'aumônes. Quelles sont ces aumônes? Pardonnez, et on vous par~ donnera ; donnez, et on vous donnera. Une aumône se fait dans le cœur, lorsqu'on pardonne à son frère ses offenses: une autre se fait avec le bien, quand on donne du pain au pauvre. Fais les deux, pour qu'une aile ne manque pas à la prière.

Aussi après avoir dit : Ne nous induis pas en tentation, on ajoute :

Mais délivre~nous du mal

En demandant à être délivré du mal. on témoigne qu'on y est livré. C'est pourquoi l'Apôtre dit (Eph., 5, 16) : Rachetez le temps, car les jours sont mauvais, Mais qui veut la vie? qui soupire après les jours de bonheur ? Eh ! qui ne le désirerait, puisque dans cette vie il n'y a que des jours mauvais ? Fais donc ce qui suit : Préserve ta langue du mal, et tes lèvres des discours artificieux 1 évite le mal et pratique le bien, cherche la paix et la poursuis (Ps 33, 13~15) : ainsi tu n'as plus de mauvais jours, et tu obtiens ce que tu as demandé.

Délivre~nous du mal

Ainsi donc les trois premières demandes : Que ton règne arrive, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel, que ton nom soit sanctifié, concernent l'éternité : et à cette vie se rapportent les quatre suivantes : Donne~nous aujourd'hui notre pain quotidien ; demanderons~nous ce pain lorsque près de Dieu nous serons ras­sasiés ? Pardonne~nous nos offenses ; dirons~nous cela dans ce royaume où nous n'aurons plus de péchés? Ne nous livre pas à la tentation; quand il n'y aura plus de tentation, quel sens auraient

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ces paroles ? Et quand pour nous il n'y aura plus de mal, dirons­nous : Délivre~nous du mal ? Ces quatre demandes sont donc néces­saires pour notre vie de chaque jour, et les trois autres pour la vie éternelle.

Mais faisons~les toutes pour parvenir à cette vie : prions ici pour n'en être pas exclus. Vous devrez, après votre baptême, réci­ter chaque jour cette oraison dominicale. On la dit chaque jour à l'autel du Seigneur où les fidèl~s l'entendent. Aussi ne craignons­nous pas que vous ne la sachiez ;Jeu exactement: ceux d'entre vous qui ne pourraient la savoir encore parfaitement, l'apprendront en l'entendant chaque jour.

Samedi prochain pendant les veilles que nous célèbrerons par la miséricorde de Dieu, vous réciterez, non pas l'Oraison, mais le Sym~ bole. II faut que maintenant vous sachiez ce Symbole, car vous ne l'entendez pas chaque jour à l'église, dans l'assemblée sainte. Et afin de ne pas l'oublier une fois que vous le savez, récitez~le chaque jour. En vous éveillant, en allant prendre votre sommeil, récitez votre symbole, récitez~le devant Dieu, rappelez vos souve­nirs, ne vous lassez point de le répéter. Cette répétition est utile, elle est propre à empêcher l'oubli.

Ne dites point : Je l'ai récité hier, je l'ai récité aujourd'hui, chaque jour je le récite et je le possède parfaitement. RP.mets~toi devant les yeux l'abrégé de ta foi, regarde~toi dans ce miroir, car ton Symbole doit être pour toi comme un miroir.

Examine si tu crois sincèrement ce que tu fais prof•~ssion de croire, et goûte chaque jour le bonheur d'avoir la foi. Que ce soient là tes richesses et comme les vêtements spirituels de len âme. N'as~tu pas soin de t'habiller en te levant? Couvre aussi ton âme en te rappelant le Symbole : crains que l'oubli ne la mette à nu, que tu ne demeures sans vêtement, et, ce qu'à Dieu ne plaise, qu'il ne t'arrive ce que dit l'apôtre, d'être dépouillé plutôt que nu. Notre foi en effet nous servira de vêtement : pour nous elle sera à la fois et une tunique et une cuirasse : une tunique p.mr nous préserver de la confusion, et une cuirasse pour nous tenir e:-~ garde contre l'adversité. Mais quand nous serons arrivés au lieu où nous devons régner, nous n'aurons plus besoin de réciter le Symbole : nous verrons Dieu, Dieu même sera en face de nous, et cette vue de Dieu sera la récompense de notre foi.

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SERMON SUR LA MONTAGNE 1

Il est temps de voir quelle prière nous impose Celui par qui nous apprenons ce que nous devons demander et nous obtenons ce que nous demandons.

C'est ainsi donc que vous prierez, nous dit~ il : Notre Père, qui es dans les cieux, que ton nom soit sanctifié ; que ton règne arrive ; que ta volonté soit faite sur la terre comme au cie! ; donne~ nous aujourd'hui notre pain quotidien, et remets~nous nos dettes comme nous remettons nous~mêmes à ceux qui nous doivent, et ne nous induis pas en tentation, mais délivre~nous du mal.

Toutes les fois qu'on prie, il faut d'abord gagner la bienveil~ lance de celui à qui on s'adresse, ensuite exposer l'objet de sa demande. Or, on gagne la bienveillance de celui qu'on prie, en faisant son éloge, et cet éloge se place ordinairement au commen~ cement de la prière. Pour cela le Seigneur nous ordonne simple~ ment de dire :

Notre Père qui es dans les cieux

Bien des choses ont été dites à la louange de Dieu ; quiconque lit les saintes Ecritures les y trouvera partout et sous des formes différentes ; et cependant on ne voit nulle part que le peuple d'Israël ait reçu ordre de dire « Notre Père», ou de prier Dieu le Père; on lui donne l'idée de Dieu comme d'un Maître commandant à des esclaves, c'est~à~dire à des hommes qui vivent encore selon la chair. Je parle du moment où ils recevaient les préceptes de la Loi avec l'ordre de les observer ; car les prophètes montrent que sou­vent Notre~Seigneur aurait pu être leur Père, s'ils ne s'étaient pas écartés de ses commandements. Tel est ce passage, par exemple : J'ai engendré des enfants et je les ai ,élevés, et ils se sont révoltés contre moi; et cet autre : ]'ai dit : Vous êtes des dieux, vous êtes tous les enfants du Très~Haut; et celui~ci encore : Si je suis votre maître, où est votre crainte de moi ? si je suis votre Père, où sont mes honneurs? Et une foule d'autres où l'on reproche aux Juils prévaricateurs de n'avoir pas voulu être enfants de Dieu.

1. Sermon sur la Montagne, 2, 4. P. L. 34, 1276.

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Nous exceptons les textes qui s'appliquent prophétiquement au futur peuple chrétien en tant qu'il devait avoir Dieu pour Père, conformément à ces paroles évangéliques : Il leur a donné le pou~ voir d'être faits enfants de Dieu. De son côté, Paul l'Apôtre dit : Tant que l'héritier est enfant, il ne diffère point d'un serviteur; puis il rappelle que nous avons reçu l'Esprit d'adoption dans lequel nous crions : Abba, Père.

Et comme notre vocation à l'héritage éternel, pour être cohé~ ritiers du Christ et devenir enfants d'adoption, n'est point le fruit de nos mérites, mais l'effet de la grâce de Dieu : nous mentionnons cette grâce dès le début de la prière, en disant :

Notre Père

Ce nom excite tout à la fois et l'amour, qu'y a~t~il de plus cher pour des enfants qu'un Père? et l'affection dans la prière, puisque nous disons notre Père ; et un certain espoir d'obtenir ce que nous allons demander, puisque, avant même de demander, Dieu nous accorde déjà une si grande faveur, la permission de lui dire : Notre Père.

Que peut~il en effet refuser à la prière de ses enfants, quand il leur a déjà préalablement permis d'être ses enfants.

Enfin quelle sollicitude ces mots : « Notre Père» n'éveillent~ils pas dans le cœur, pour ne pas se montrer indigne d'un Père si grand ? En effet, si un sénateur d'un âge avancé, permettait à un homme du peuple de l'appeler son père, sans doute celui~ci, saisi de fayeur, l'oserait à peine, en réfléchissant à l'humilité de sa naissance, à sa pauvreté, à sa basse condition ; à combien plus forte raison, faut~il redouter d'appeler Dieu son Père, si l'âme est telle­ment souillée, si la conduite est tellement coupable qu'elles inspi­rent à Dieu un répulsion bien plus juste que celle qu'un sénateur éprouverait pour les haillons d'un mendiant? Car, après tout, ce riche ne dédaigne dans un mendiant qu'une situation où il peut tomber lui~même par l'effet de la fragilité des choses de ce monde; tandis que Dieu ne peut jamais tenir une mauvaise conduite,

Grâces donc à la miséricorde de ce Dieu qui exige que nous l'ayons pour Père; ce qui peut s'obtenir sans aucune dépense et par le seul effet de la bonne volonté. Avis aussi aux riches, ou aux nobles selon ce siècle, devenus chrétiens, d'être sans hauteur vis­à~vis des pauvres ou des gens d'humble condition ; parce qu'ils

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disent avec tous les autres : « Notre Père», ce qu'ils ne pourraient faire avec vérité et avec piété, s'ils ne se reconnaissaient frères des autres hommes.

Qui es aux cieuxt que ton nom soit sanctifié

Que le peuple nouveau, appelé à l'héritage éternel, emprunte donc la voix du nouveau Testament et dise : Notre Père qui es dans les cieux, c' est~à~dire dans les saints et dans les justes. Car Dieu n'est point renfermé dans l'espace. Les cieux sont saitS doute les corps les plus excellents de ce monde, mais ce sont les corps et ils ne peuvent être que dans l'espace.

Et si l'on s'imagine que Dieu y réside localement comme dans la partie la plus élevée de ce monde, il faudra dire que les oiseaux ont plus de valeur que nous : car ils vivraient plus près de Dieu. Or il n'est pas écrit : Dieu est près des hommes haut placés, ou qui habitent sur les montagnes ; mais bien : Dieu est près de ceux qui ont le cœur contrit, et la contrition et le propre de l'humilité. Et comme on donne au pécheur le nom de terre, quand on lui dit : Tu es terre et tu retourneras à la terre; ainsi, par contre, on peut appeler le juste, ciel. En effet, on dit aux justes : Car le temple de Dieu est saint et vous êtes ce temple. Donc si Dieu habite dans son temple, et si les saints sont ce temple, on a rai~ son d'interpréter : Qui es dans les cieux, par : Qui es dans les saints. Et cette comparaison est d'autant plus juste qu'on peut dire qu'il y a spirituellement autant de distance entre les justes et les pécheurs, qu'il y en a matériellement entre le ciel et la terre.

C'est pour exprimer cette pensée que, lorsque nous prions, nous nous tournons vers l'Orient, le point de départ du ciel : non que Dieu y hahite et ait quitté les autres parties du monde, lui qui est présent partout, non d'une manière locale, mais par la ptdssance de sa majesté: seulement l'esprit est averti par là de se tourner vers la nature la plus parfaite, c'est~à~dire vers Dieu, puisque son corps qui est terrestre est tourné vers le corps le plus parfait, qui est le ciel.

Il est en effet convenable et même très avantageux au progrès de la religion, que tous, petits et grands, aient de Dieu une exacte idée. Voilà pourquoi il faut supporter ceux qui étant encore cap~ tivés par les beautés visibles, ne pouvant se figurer rien d'incor~ porel, et estimant nécessairement le ciel plus que la terœ, croient que Dieu, dont ils se forment encore une idée matérielle, habite

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dans le ciel plutôt que sur la terre; afin que, quand ils sauront un jour que l'âme l'emporte en dignité jusque sur le ciel. ils cher~ chent Dieu dans l'âme plutôt que dans un corps même céleste ; et quand ils sauront la distance qui sépare les justes des pécheurs, eux qui n'osaient pas, dans leurs idées charnelles, placer le séjour de Dieu sur la terre, mais dans le ciel, désormais plus éclairés dans leur foi et dans leur intelligence, le cherchent dans les âmes des justes plutôt que dans celle d~s pécheurs.

C'est donc avec raison que ces paroles : Notre Père qui es dans les cieux, s'entendent du cœur des justes, où Dieu habite comme dans son temple. Par là aussi celui qui prie désirera voir résider en lui Celui qu'il invoque, et dans cette noble ambition, il sera fidèle à la justice : ce qui est le présent le plus propre à fixer Dieu dans son âme.

Voyons maintenant ce qu'il faut demander. Nous avons vu quel est celui qu'on invoque et où il habite. Or la première de toutes les demandes est celle~ci :

Que ton nom soit sanctifié, ce qui ne veut pas dire que le nom de Dieu n'est pas saint, mais on demande qu'il soit regardé comme saint par les hommes ; c'est~à~dire que les hommes ronnais~ sent tellement Dieu qu'ils n'estiment rien plus saint que lui, rien qu'il faille plus craindre d'offenser. Et parce qu'il est écrit ; Le Sei.­gneur est connu en Judée, son nom est grand dans Israël, il ne faut pas croire que Dieu est moins grand ici et plus grand là ; mais seulement que son nom est grand là où on le prononce avec le respect dû à sa grandeur et à sa majesté. Ainsi son nom est saint là où on le nomme avec vénération et crainte de l'offenser, et c'est ce qui arrive maintenant, quand l'Evangile, en se répandant encore chez les diverses nations, fait respecter le nom de Dieu unique par l'entremise de son Fils.

Que ton règne arrive, que ta volonté soit faite

Seconde demande : Que ton règne arrive,

Le Seigneur lui~même nous apprend que le jour du jugement viendra quand l'Evangile aura été prêché à toutes les nations; ce qui touche à la sanctification du nom de Dieu. Ici ces mots, que ton règne arrive, ne signifient pas que Dieu ne règne pas main .. tenant. Mais, dira~t .. on peut~être, cela signifie : « qu'il arrive» sur la terre.

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Comme si Dieu ne régnait pas sur la terre et n'y avait pas régné depuis la création du monde. Ce mot : « qu'il arrive», signi~ fie donc : qu'il soit manifesté aux hommes. La lumière, quoique pré~ sente, n'existe pas pour les aveugles ni pour ceux qui ferment les yeux : ainsi le règne de Dieu, quoique permanent sur la terre, est absent pour ceux qui l'ignorent. Or il ne sera plus possible à personne d'ignorer le règne de Dieu quand son Fils unique vien­dra du ciel d'une manière non seulement spirituelle, mais encore visible et sous forme humaine, juger les vivants et les morts.

Après ce jugement, c'est~à~dire quand la séparation des bons et des méchants sera faite, Dieu habitera dans les justes, de telle sorte qu'ils n'auront plus besoin d'être instruits par un homme, mais que tous, comme il est écrit, seront enseignés de Dieu (Is., 54, 18 : Jean, 6, 45),

Ensuite la vie heureuse se complètera dans les saints pour l'éter"' nité : comme les anges du ciel très saints et très heureux, ils seront éclairés de Dieu seul, et donc sages et heureux, suivant que le Seigneur lui~même l'a promis aux siens : A la résurrection, ils seront, dit~ il, comme les anges dans le ciel (Mt., 22, 30).

Voilà pourquoi cette demande : Que ton règne arrive, est suivie de celle~ci : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. c'est~à~dire : comme ta volonté se fait dans les anges qui sont au ciel, de telle sorte qu'ils s'attachent à vous et jouissent de vous, sans qu'aucune erreur obscurcisse leur sagesse, sans qu'aucune misère trouble leur bonheur : ainsi se fasse~t~elle dans tes saints qui sont sur la terre, dont le corps est fait de terre et qui doivent être repris à la terre pour être transformés et rendus dignes d'habiter le ciel. C'est là aussi le sens de cette acclamation des anges : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ; ils demandent que précédée de notre bonne volonté qui répond à l'appel, la volonté de Dieu s'accomplisse parfaitement en nous comme dans les anges du ciel et qu'aucune adversité ne trouble notre bonheur qui est la paix.

Ces paroles : Que ta volonté soit faite, s'entendent aussi très bien dans ce sens : qu'on obéisse à tes commandements, sur la terre comme au ciel, c'est~à~dire chez un homme comme chez un ange. Car faire la volonté de Dieu c'est obéir : Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé; et, en plus d'un endroit : Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais la volonté de Celui qui m'a envoyé; et encore : Voici ma mère et mes frères: quiconque fait la volonté de Dieu, celui~là est mon frère, et ma mère et ma sœur. Donc la volonté de Dieu est certainement faite

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dans ceux qui accomplissent la volonté de Dieu; non parce qu'ils font que Dieu veuille, mais parce qu'ils font ce qu'il veut, c'est­à~dire agissent selon sa volonté.

Il y a encore un autre sens : Que ta volonté soit faite dans la terre comme au ciel, c' est~à~dire chez les pécheurs, comme chez les saints et les justes. Et ceci peut aussi s'entendre de deux manières : ou que nous prions pour nos ennemis, car peut-on consi­dérer autrement ceux contre le gré desquels le nom chrétien et catholique se propage ? en sorte que ces paroles : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel, veuillent dire : que les pécheurs fassent ta volonté comme les justes, et qu'ils se conver~ tissent. Ou bien : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel, signifie que chacun soit traité selon ses mérites : ce qui arrivera au dernier jugement, quand les justes seront récompensés et les pécheurs condamnés, quand les agneaux seront séparés des boucs.

Une interprétation, qui n'est point déraisonnable, mais qui s'accommode au contraire parfaitement à notre foi et à notre espé~ rance, c'est d'entendre, par ciel et terre, l'esprit et la chair. Quand l'Apôtre dit : J'obéis par l'esprit à la loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché, nous voyons la volonté de Dieu s'accomplir dans l'esprit, c'est~à~dire dans l'âme. Mais quand la mort aura été absorbée dans sa victoire, quand ce corps mortel aura revêtu l'immortalité, ce qui arrivera à la résurrection de la chair, lors du changement promis aux justes, selon l'enseignement du même Apô~ tre : alors la volonté de Dieu sera faite sur la terre comme au ciel ; c'est~à~dire, comme l'esprit ne résistera plus à Dieu, mais lui obéira et fera sa volonté; de même que le corps ne résistera plus à l'esprit ou à l'âme, qui est maintenant accablée par l'infirmité du corps et entraînée aux habitudes charnelles. Ce sera alors la paix parfaite dans la vie éternelle, en sorte que non seulement nous pourrons vouloir le bien, mais encore le faire.

Car maintenant, nous dit l'Apôtre, le vouloir réside en moi, mais accomplir le bien, je ne l'y trouve pas : parce que la volonté de Dieu ne s'accomplit pas encore sur la terre comme au ciel, c'est­à~dire dans la chair comme dans l'esprit, Cependant la volonté de Dieu se fait dans notre misère, quand nous souffrons par la chair ce qui nous est dû en raison de la mortalité que notre nature a contractée par le péché ; mais il faut demander que cett~ volonté se fasse sur la terre comme au ciel, c'est-à-dire que, comme notre cœur se complaît dans la loi, selon l'homme intérieur, ainsi par la transformation de notre corps, aucune partie de nous-mêmes ne

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mette obstacle à cette complaisance, par des douleurs ou des plai­sirs terrestres.

Nous pouvons encore, sans blesser la vérité, traduire ces paroles : Que ta volonté soit faite sur: la ter:r:e comme au ciel par celles~ci : dans l'Eglise, comme dans notre Seigneur Jésus­Christ ; dans la femme qui lui a été fiancée, comme dans l'Epoux qui a accompli la volonté du Père. En effet le ciel et la terre peu~ vent, en quelque sorte, être considérés comme époux, puisque la terre est fécondée par l'influence du ciel.

La quatrième demande est :

Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien

Le pain quotidien signifie ici ou tout ce qui est néce'lsaire aux besoins de cette vie, à propos de quoi le Seigneur ajoute : « Don­ne~nous aujourd'hui», conformément à l'ordre tracé ailleurs : Ne pense pas au lendemain : ou le sacrement du corps du Christ que nous recevons tous les jours : ou la nourriture spirituelle dont le même Seigneur nous dit : Travaillez, non en vue de la nourriture qui périt, et encore : Je suis le pain de vie qui suis descendu du ciel. Mais on peut examiner lequel de ces trois sens e~t le plus probable. Peut~être pot..rrait~on s'étonner que nous soyon<; obligés de prier pour obtenir ce qui est nécessaire à la vie du corrs. comme la nourriture et le vêtement, par exemple, quand le Seigneur nous dit : Ne vous inquiétez point de ce que vous mangerez, ni de quoi vous vous vêtirez. Or, peut-on ne pas s'inquiéter de ce qu'on demande, alors que l'attention de: l'esprit doit être fix~e dans la prière sur l'objet de sa demande tellement que c'est à cela qu'il faut rapporter ce que le Sauveur a dit de la chambre dont on doit fermer les portes, et aussi ces paroles : Chercher: d'abord z~ royaume de Dieu et sa justice et toutes ces choses vous seront données pat surcroît? Evidemment le Seigneur n'a pas dit : chercher d'abord le royaume de Dieu et cherchez ceci ensuite; mais : Toutes ces choses vous seront données pat sur:ctoît. Mais je ne vois donc pas comment on peut dire que quelqu'un ne cherche pas ce qu'il demande à Dieu avec la plus grande attention.

Quant au sacrement du corps du Seigneur : pour ne pas soule­ver d'objection de la part des nam breux orientaux qui ne partici­pent point chaque jour à la cène du Seigneur, bien qu'on !'appelle pain quotidien ; pour qu'ils gardent le silence, dis~je, et ne défendent pas leur opinion en s'appuyant sur l'autorité ecclésiastique, sous

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prétexte qu'ils font cela sans scandale, que les chefs de~ églises ne s'y opposent pas et qu'on ne les taxe point de désobéissance, ce qui prouve que, dans ces contrées, ce n'est pas là le sens qu'on attache aux mots pain quotidien : autrement ceux qui ne le reçoi­vent pas tous les jours seraient regardés comme grandement cou­pables. Pour ne pas discuter là~dessus, disons au moins que quicon~ que réfléchit doit v0ir clairement que le Seigneur nous a donné une forme de prière à laquelle nous ne pouvons, sans transgression, rien ajouter ni rien ôter.

Cela étant, qui osera soutenir que nous ne devons récifer qu'une fois l'oraison dominicale ; ou que si nous devons la réciter deux ou trois fois, ce ne peut être que jusqu'à l'heure où nous participons au corps du Seigneur, et non pendant le reste du jour 7 Car alors nous ne pourrions plus dire : Donne~nous aujourd'hui ce que nous aurions déjà reçu, ou bien on pourrait nous obliger à recevoir ce sacrement vers la fin du jour.

Il ne nous reste donc plus qu'à entendre par pain quotidien la nourriture spirituelle, à savoir les préceptes divins, que nous devons méditer et accomplir tous les jours. Le Seigneur v .fait allu­sion quand il dit : Travaillez en vue de la nourriture qui ne périt pas. Or cette nourriture s'appell<! quotidienne maintenant, tant que cette vie mortelle se prolongera par la succession des nuits et des jours. En réalité tant que les affections de l'âme se portent tour à tour en haut et en bas, c'est~à~dire tantôt aux choses spirituelles, tantôt aux inclinations charnelles; comme un être qui est alterna­tivement rassasié et pressé par la faim, elle a besoin d'un pain quotidien pour calmer la faim E:t restaurer ses forces abattues. Ainsi comme notre corps, tant qu'il est en cette vie, c'~st~à~dire, avant sa transformation, répare, par la nourriture, les forces qu'il a dépensées; de même notre âme, souffrant une déperdition par les affections temporelles qui l'éloignent de Dieu, a besoin de se refaire par la nourriture des commandements. Or on dit : Donnez~nous aujourd'hui, pendant tout le temps qu'on peut dire aujourd'hui, c'est~à~dire durant cette vie mortelle. Car après cette vie. la nour­riture spirituelle nous rassasiera tellement pendant l'éternité qu'on ne pourra plus dire pain de chaque jour ; vu que là, la mobilité du temps, qui fait succéder les jours aux jours et permet de dire «chaque jour», n'existera plus.

Il faut donc entendre ici ces mots : « Donne~nous aujourd'hui». comme ces paroles du psaume : Aujourd'hui, si vous entendez sa voix qui, selon l'interprétation de l'Apôtre dans son épître aux Hébreux, signifient : Pendant ce qui est appelé aujourd'hui.

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Cependant, si quelqu'un veut entendre cette demande de la nourriture nécessaire au corps, ou du Sacrement du corps du Sei­gneur il faudra qu'il admette en même temps les trois sens : c'est­à-dire que nous demandons en même temps notre pain quotidien, ce qui est nécessaire à notre corps et le Sacrement visible et invi­sible du Verbe de Dieu.

Vient ensuite la cinquième demande :

Et remets,.,nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent

Il est clair que dettes ici signifie péchés. On le voit par ce que le Seigneur dit lui-même : Vous ne sortirez point de là que vous n'ayez payé jusqu'au dernier quart d'un as; ou encore parce qu'il appelle débiteurs ceux dont on lui annonce la mort sous les ruines de la tour et ceux dont Hérode a mêlé le sang à leur sacri"' fiee. Il dit en effet qu'on les croit plus débiteurs, c'est-à-dire plus pécheurs que tous les autres et il ajoute : En vérité, je vous le dis : Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous de la même manière. Ce n'est donc point ici un ordre de remettre à des débiteurs une dette d'argent,. mais de pardonner à celui qui nous a offensés.

Le commandement de remettre une dette pécuniaire se ratta"' cherait plutôt à ce qui a été dit ci-dessus : A celui qui veut (appe­ler en justice pour t'enlever ta tunique, abandonne-lui encoœ ton manteau. Et, d'après cela encore, ce n'est pas à tout débiteur pécu­niaire qu'il faut remettre sa dette mais seulement à celui qui ne veut pas rendre et autant qu'il est disposé à plaider; car, dit l'Apô­tre, il ne faut pas qu'un serviteur de Dieu dispute. Il faut donc remettre une dette d'argent à celui qui ne veut la payer ni volontai­rement ni sur réclamation. En effet il ne refuse de payer que pour deux raisons : ou parce qu'il n'a pas de quoi, ou parce qu'il est avare et avide du bien d'autrui. Or dans l'un et l'autre cas, c'est indigence ; là, de biens, ici, de volonté.

Ainsi remettre à un tel débiteur c'est remettre à un pauvre, c'est faire une œuvre chrétienne, en partant de cette règle fixe : qu'il faut être prêt à perdre ce qu'on nous doit. Mais si on emploie toutes les voies de modération et de douceur pour se faire rendre, non pas tant par vue d'intérêt que pour corriger un homme à qui il est certainement dangereux d'avoir de quoi rendre et de ne pas rendre ; non seulement on ne pèche pas, mais on rend un grand service. Car on empêche cet homme de perdre la foi en cherchant

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à s'approprier l'argent d'autrui : perte incomparablement plus grande.

D'où il faut conclure que dans ces paroles : « Remets~nous nos dettes», il n'est pas précisément question d'argent, mais de toutes les offenses que l'on peut commettre envers nous, même en matière pécuniaire. En effet, celui~là vous offense, qui refuse de vous rembourser l'argent qu'il vous doit, quand il le peut. Et si vous ne lui remettez pas cette offense, vous ne pouvez pas dire : « Remets~nous, comme nous remettons ». Si au contraire vous lui pardonnez, c'est que vous comprenez que cette prière impose le devoir de pardonner les offenses même en matière pécuniaire.

On pourrait sans doute encore ajouter que quand nous disons : « Remets~nous nos dettes, comme nous les remettons », nous sommes convaincus de violer cette règle en refusant de pardonner à ceux qui nous le demandent, alors que nous demandons nous~ mêmes pardon à un Père plein de bonté. Mais le commandement qui nous impose l'obligation de prier pour nos ennemis ne s'ap.­pLque pas à ceux qui nous demandent pardon : car dès lors ils ne s .. mt plus nos ennemis. Or il est impossible de dire qu'on prie pour ceux à qui on ne pardonne pas. Il faut donc convenir qu'il est nécessaire de pardonner toutes les offenses commises contre nous, si nous voulons que notre Père nous pardonne celles dont nous sommes coupables envers lui. Quant à la vengeance, nous en avons, je pense, parlé assez longuement, plus haut.

Voici la sixième demande :

Et ne nous induis pas en tentation

Quelques exemplaires portaient « conduits», ce qui a le même sens, car l'un et l'autre sont traduits du mot grec.

Beaucoup disent, en récitant la prière : « Ne permets pas que nGus soyons induits en tentation », afin de mieux expliquer le sens de cette expression, « induis». Car Dieu par lui~même n'induit pas en tentation, mais il y laisse tomber celui à qui il a retiré son secours par un secret dessein et par punition, Souvent même c'est pour des causes manifestes que Dieu le juge digne de cet abandon et le laisse tomber dans la tentation. Mais autre chose est de succomber à la tentation, autre chose d'être tenté.

Sans tentation, personne ne peut être éprouvé, ni pour lui~ même suivant ce qui est écrit : Celui qui n'a pas été tenté, que sait~il ? ni pour les autres, suivant la parole de l'Apôtre : Et

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['épreuve que vous avez éprouvée à cause de ma chair, vous ne l'avez point méprisée; car si saint Paul a connu que les Galates étaient affermis, c'est que les tribulations qu'il avait éprouvées selon la chair, n'avaient point éteint en eux la charité. Mais Dieu, qui sait toutes choses avant qu'elles arrivent, nous connaît même avant les tentations.

Quant à ces paroles : Le Seigneur vous tente pour savoir si vous l'aimez, il faut interpréter « pour savoir », dans le sens de pour vous faire savoir. C'est ainsi que nous disons une joyeuse journée, pour une journée qui rend joyeux ; un froid paresseux, pour un froid qui rend paresseux ; et combien d'autres locutions de ce genre ou introduites par l'usage, ou employées par le Jan­gage des docteurs ou même usitées dans les saintes Ecritures 1

C'est ce que ne comprennent par les hérétiques ennemis de l'ancien Testament, quand ils prétendent que ces paroles : Le Sei­gneur votre Dieu vous tente, doivent être attribuées à l'ignorance ; comme si l'Evangile ne nous disait pas du Seigneur lui~même : Or il disait cela pour l'éprouver, car pour lui, il savait ce qu'il devait [aire. En effet si le Seigneur connaissait le cœur de celui qu'il éprouvait, qu'a~t~il voulu voir en l'éprouvant? Evidemment c'était pour que celui qu'il éprouvait se connût lui~même et condam­nât son propre découragement, en voyant la foule rassasiée d'un pain miraculeux, lui qui s'était imaginé qu'elle n'avait rien à manger.

On ne demande donc point ici de ne pas éprouver de tentation, mais de n'y pas succomber ; à peu près comme un homme, devant subir l'épreuve du feu, demanderait non pas que le feu ne le touchât pas, mais seulement qu'il ne le consumât pas. En effet, le feu éprouve les vases du potier, et l'atteinte de la tribulation, les hommes justes.

Joseph a été tenté d'adultère, mais il n'y a point succombé; Suzanne a été tentée, mais sans avoir été induite ni entraînée dans la tentation; et ainsi de beaucoup d'autres personnages de l'un et de l'autre sexe, de Job surtout.

Ces hérétiques, ennemis de l'ancien Testament, en cherchant à tourner en dérision l'admirable fidélité de ce juste au Seigneur son Dieu, insistent particulièrement sur ce point : que Satan demanda permission de le tenter. Ils demandent aux ignorants, à des hommes incapables de telles connaissances, comment Satan a pu parler à Dieu : ne voyant pas, et ils ne le peuvent : tant les superstitions et l'esprit de contention les aveuglent 1 ne voyant pas que Dieu n'est point un corps occupant un lieu dans l'espace, de manière à être

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ici et non là, à avoir ici une partie de lui~même et une autre ailleurs: mais qu'il est présent partout par sa majesté, sans division de parties et parfait en tous lieux.

S'ils prennent dans le sens matériel ce qui est dit : Le ciel est mon trône et la terre l'escabeau de mes pieds, passage que le Seigneur lui~même confirme en disant : Ne jurez ni par le ciel, parce qu'il est le trône de Dieu; ni par la terre, parce qu'elle est l'escabeau de mes pieds; qu'y a~t~il d'étonnant que le démon, étant sur la terre, se soit trouvé aux pieds de Dieu et lui ait parlé ? Quand pourront~ils comprendre qu'il n'y a pas une âme, tant per~ verse soit~elle, pourvu qu'elle reste capable d'un raisonnement, à qui Dieu ne parle par la voix de la conscience ?

Car qui a écrit la loi naturelle dans le cœur de l'homme, sinon Dieu ? C'est de cette loi que l'Apôtre a dit : En effet, lorsque les païens qui n'ont pas la loi, font naturellement ce qui est selon la loi ; n'ayant pas la loi, ils sont à eux~mêmes la loi : montrant ainsi t œuvre de la loi écrite en leurs cœurs, leur conscience leur rendant témoignage, et leurs pensées s'accusant et se défendant l'une l'autre, au jour où Dieu jugera ce qu'il y a de caché dans les hommes (Rom., 2, 14, 16).

Si donc, lorsqu'une âme raisonnable, même aveuglée par la passion, pense et raisonne, il ne faut point lui attribuer ce qu'il y a de vrai dans son raisonnement, mais bien à la lumière de la vérité, qui l'éclaire encore quoique faiblement et en proportion de sa capacité : faut~il s'étonner que l'âme perverse du démon, quoi~ que égarée par la passion, ait appris par la voix de Dieu, c'est~à~ dire par la voix de la vérité même, tout ce qu'elle pensait de vrai sur cet homme juste, au moment où elle voulait le tenter? Mais ce qu'il y avait de faux dans son jugement, doit être imputé à la passion même qui lui a fait donner le nom de diable, calomniateur.

Du reste c'est ordinairement par le moyen de la créature cor~ porelle et visible que Dieu a parlé soit aux bons soit aux méchants, étant le maître et l'administrateur de toutes choses et les réglant dans de justes proportions: comme aussi il s'est servi des anges qui ont apparu aux regards des hommes, et des prophètes qui avaient bien soin de dire : Voici ce que déclare le Seigneur. Comment donc, encore une fois, s'étonner si on nous dit que Dieu a parlé au démon, non plus par la voix de la conscience, mais au moyen de quelque créature appropriée à ce but 1

Et qu'on ne s'imagine pas que ce fût un acte de déférence de la part de Dieu à l'endroit du démon ou une récompense due aux

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mérites de celui~ci que Dieu lui ait parlé. Dieu a parlé à une substance angélique, quoique insensée et cupide, comme il parle~ rait à une âme humaine cupide et insensée. Que nos adversaires nous disent comment il a parlé à ce riche dont il voulait blâmer la stupide avarice, en lui disant : Insensé, cette nuit même ne te redemandera~t~on pas ton âme; et ce que tu as amassé, à qui sera~t~il (Luc, 12, 20) 1

Il est certain que le Seigneur dit cela dans l'Evangile, auquel il faut bien que ces hérétiques se soumettent, bon gré mal gré. S'ils sont choqués de voir que Satan demande à Dieu la permission de tenter un juste, je ne me mets pas en peine d'expliquer le fait, mais je les requiers de me déclarer pourquoi le Seigneur lui~même dit dans l'Evangile à ses disciples : Voilà que Satan vous a deman~ dé pour vous cribler comme le fmment; et ensuite à Pierre : Mais j'ai prié pour que ta foi ne défaille pas? En s'expliquant là~dessus, ils se donneront à eux~mêmes la solution qu'ils me demandent. S'ils n'en peuvent venir à bout, qu'ils n'aient point la témérité de blâmer dans un autre livre ce qu'ils admettent sans difficulté dans l'Evangile.

Satan donc tente non en vertu de sa propre puissance, mais par la permission de Dieu, qui veut ou punir les hommes de leurs péchés ou les éprouver et les exercer dans des vues de miséricorde. Il importe aussi beaucoup de distinguer la nature de la tentation. Celle où est Judas qui a vendu le Seigneur, n'est point celle où a succombé Pierre qui, par lâcheté, a renié son Maître.

Il y a aussi, ce me semble, des tentations humaines, quand par exemple, quelqu'un animé de bonnes intentions, échoue dans quel~ que projet, ou s'irrite contre un frère dans le désir de le corriger, mais un peu au~delà des bornes prescrites par la patience des chrétiens. C'est de celles~là que l'Apôtre dit : Qu'il ne vous sur~ vienne que des tentations qui tiennent à l'humanité; puis il ajoute : Dieu est fidèle et il ne souffrira pas que vous soyez tentés par~ dessus vos forces ; mais il vous fera tirer profit de la tentation même, afin que vous puissiez persévérer. Par là il nous fait assez voir que nous ne devons pas demander d'être exempts de tenta~ tion, mais seulement de n'y pas succomber. Or nous succomberions, si elles étaient de nature à ne pouvoir être supportées. Mais comme ces tentations dangereuses, où la chute est funeste, prennent leur origine dans la prospérité ou l'adversité temporelle, celui qui n'est point séduit par les charmes de la prospérité, n'est point abattu par le coup de r adversité.

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Septième et dernière demande

Mais délivre~nous du mal

Il faut demander non seulement d'être préservés du mal que nous n'avons pas, ce qui fait l'objet de la sixième demande; mais encore d'être délivrés de celui où nous sommes déjà tombés. Cela fait, on n'aura plus rien à redouter ni à craindre aucune tentation.

Mais nous ne pouvons espérer qu'il en soit jamais ainsi, tant que nous serons dans cette vie, tant que nous subirons la condition mortelle où la fraude du serpent nous a placés.

Cependant nous devons compter que cela arrivera un jour, et c'est là l'espérance qui ne se voit pas, suivant le langage de l'Apôtre : Or l'espérance qui se voit, n'est pas de l'espérance. Toutefois les fidèles serviteurs de Dieu ne doivent pas désespérer d'obtenir la sagesse qui s'accorde même en cette vie, et qui consiste à éviter, et à embrasser, avec toute l'ardeur de la charité, ce qui doit, d'après la même révélation, faire l'objet de notre ambition. C'est ainsi que quand la mort aura dépouillé l'homme de ce poids de mortalité, il jouira en son temps et sans réserve du bonheur parfait, commencé en cette vie, et à la possession duquel tendent parfois, dès ce monde, tous nos vœux et tous nos efforts.

LES TROIS PREMIÈRES ET LES QUATRE DERNIÈRES DEMANDES.

Mais il faut étudier et maintenir soigneusement la différence entre ces sept demandes. Car, comme notre vie actuelle s'écoule dans le temps, que nous en espérons une éternelle, et que les choses éternelles l'emportent en dignité, bien qu'on n'y parvienne qu'en passant par les choses du temps : l'objet des trois premières demandes subsistera pendant toute l'éternité, quoiqu'elles aient leur commencement dans cette vie passagère, puisque la sanctifi~ cation du nom de Dieu a commencé à l'humble avènement du Seigneur; que l'avènement de son règne, quand il descendra au sein de la gloire, aura lieu, non après les temps, mais à la fin des temps ; que l'accomplissement de sa volonté, sur la terre comme au ciel, soit que par ciel et terre vous entendiez les justes et les pécheurs, ou l'esprit et la chair, ou le Christ et l'Eglise, ou tout cela à la fois, se complètera par la perfection de notre bonheur, et conséquemment par la fin des temps.

En effet la sanctification du nom de Dieu sera éternelle, son règne n'aura point de fin et on nous promet une vie éternelle au sein de la parfaite félicité. Donc ces trois objets subsisteront, par~ faits et réunis, dans la vie qui nous est promise.

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168 LE PATER

Quant aux quatre autres demandes, elles me semblent se rap~ porter à la vie du temps. La première est : « Donne~nous aujour~ hui notre pain quotidien». Par le fait même qu'on dit pain quo~ tidien, que ce soit la nourriture spirituelle, ou la substance matérielle, cela concerne le temps, que le Sauveur appelle « aujourd'hui ». Non que la nourriture spirituelle ne soit pas éter~ nelle; mais celle qu'on nomme ici quotidienne, se donne à l'âme ou par les Ecritures ou par la parole ou par d'autres signes sen~ sibles : toutes choses qui n'existeront plus quand tous seront instruits de Dieu, et participeront, non plus par le mouvement du corps, mais par le pur intellect, à l'ineffable lumière de la vérité puisée à sa source.

Et peut~être emploie~t~on le mot de pain et non de boisson, parce que le pain se brise, se mâche et s'assimile comme aliment, de même que les Ecritures s'ouvrent et se méditent pour nourrir l'âme ; tandis que le breuvage préparé d'avance, passe dans le corps en conservant sa nature ; en sorte que la vérité soit ici~bas le pain qu'on appelle quotidien, mais que, dans l'autre vie, il a'y ait plus qu'un breuvage, puisé dans la vérité pure et visible, sans discussion pénible, sans bruit de paroles, sans qu'il soit besoin de briser et de mâcher. C'est ici~bas que nos offenses nous sont remises et que nous remettons celles qu'on nous a faites ; ce qui est l'objet de la seconde des quatre dernières demandes, car dans l'autre monde il n'y a plus de pardon à demander, parce qu'il n'y a plus d'offenses. Les tentations tourmentent aussi cette vie passa~ gère ; mais il n'y en aura plus, quand cette parole sera accomplie : Vous les cacherez dans le sectet de votre face. Enfin le mal dont nous demandons à être délivrés et cette délivrance même sont encore le partage de cette vie, que la divine justice a rendue mor~ telle par notre faute, et dont sa miséricorde nous délivre.

LEs SEPT DONS DU SAINT~ESPRIT. LES SEPT DEMANDES DU PATER, ET

LEs SEPT BÉATITUDES.

Le nombre sept, que nous retrouvons dans ces demandes, me parait aussi concorder avec le nombre sept, par où a commencé tout ce sermon. Si en effet c'est la crainte de Dieu qui rend heureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux est à eux; demandons que le nom de Dieu soit sanctifié dans les hommes, par la chaste crainte qui subsiste dans les siècles des siècles.

La piété rend heureux ceux qui ont le cœur doux, parce qu'ils. posséderont la terre en héritage ; demandons donc que le

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règne de Dieu arrive, soit en nous~mêmes pour que nous deve~ nions doux et ne résistions plus à sa voix, soit du ciel en terre par le glorieux avènement du Seigneur, alors que nous nous réjouirons et nous féliciterons, quand il dira : V enez, les bénis de mon Père, prenez possession du royaume préparé pour vous depuis le commen~ cement du monde. lVI.on âme, dit le prophète, se glorifiera dans le Seigneur: que ceux qui ont le cœur doux m'entendent et parta~ gent mon allégresse. La science rend heureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés, demandons aussi que la volonté de Dieu se fasse sur la terre comme au ciel, parce qu'une fois que le corps comme terre sera soumis à l'esprit comme ciel, dans une paix pleine et parfaite, nous ne pleurerons plus ; car la seule rai~ son pour laquelle nous pleurons ici~bas, c'est ce combat intérieur qui nous force à dire : Je vois dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit, puis à exprimer notre tristesse par ce cri lamentable : Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ?

La force rend heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés ; prions pour qu'on nous donne aujourd'hui notre pain quotidien, qui nous soutienne et nous for~ tifie, afin de pouvoir parvenir au parfait rassasiement.

Le conseil rend heureux les miséricordieux, parce qu'ils obtien~ dront miséricorde, remettons toute dette à nos débiteurs et prions pour que les nôtres nous soient remises.

L'entendement qui rend heureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils verront Dieu ; prions pour n'être point induits en tentation, de peur d'avoir le cœur double en poursuivant les biens temporels et terrestres, au lieu de ne rechercher que le bien simple et de lui rapporter toutes nos actions. En effet, les tentations, provenant de ce qui semble aux hommes pénible et désastreux, ont sur nous la prise des choses qui flattent et que les hommes estiment bonnes et heureuses.

La sagesse rend enfin heureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés les enfants de Dieu ; prions pour être délivrés du mal, car c'est cette délivrance qui nous rendra libres, c'est~à~dire enfants de Dieu, en sorte que nous criions, par l'esprit d'adoption : « Abba, Père » (Rom., 8, 15 ; Gal., 4, 6).

Il faut surtout bien remarquer que, parmi ces sept formules de prières que le Seigneur nous impose, il en est une sur laquelle il a jugé à propos d'attirer principalement notre attention : celle qui regarde le pardon des péchés, et par laquelle il veut nous rendre

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miséricordieux, ce qui est le seul moyen d'échapper à nos maux. En effet les autres demandes ne contiennent point, comme celle~là, une sorte de pacte avec Dieu ; car nous lui disons : « Pardonne~ nous comme nous pardonnons». Si nous n'observons point la condition, toute notre prière est sans fruit. Et la preuve c'est que le Sauveur lui~même dit : Si vous remettez aux hommes leurs o{fen.­ses, votre Père qui est dans le ciel vous remettra à vous~même vos péchés. Mais si vous ne les remettez point aux hommes, votre Père ne vous remettra point non plus vos péchés (Mt., 6, 14~15).

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JEAN CASSIEN t vers 430

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Jean Cassien était vraisemblablement ongmaire de Palestine. Il fut formé à la vie religieuse au monastère de Bethléhem. Cher~ chant une vie plus parfaite, il se rendit chez les moines d'Egypte. Il recueillit avec avidité les conseils des anachorètes, leurs sen~ tences dont il emporta les trésors de doctrine spirituelle, en quit~ tant le désert. ·

Cassien fut ordonné diacre par Jean Chrysostome, à Constan~ tinople, prêtre sans doute à Rome. Vers 115, il se trouve à Marseille où il fonda l'illustre abbaye de Saint~ Victor. Il fut un des grands promoteurs du monachisme en Occident.

Les œuvt·es spirituelles de Cassien font autorité. Elles conden~ sent la doctrine ascétique et mystique des Pères du désert. Les Conférences (d'où le présent commentaire est tiré) rapportent les entretiens avec les anachorètes d'Egypte, plus particulièrement avec les abbés Moïse et Isaac. Ce demier a inspiré les pages sur la prière.

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] EAN CASSIEN 173

Notre Pèrel

Les divers modes de prière seront suivis d'un état plus sublime encore et d'une plus transcendante élévation. C'est un regard sur Dieu seul, un grand feu d'amour. L'âme s'y fond et s'abîme en la sainte dilection, et s'entretient avec Dieu comme avec son propre Père, très familièrement, dans une tendresse de piété tou te particulière.

Notre Père

Que ce soit un devoir pour nous de tendre à cet état, le texte même de la prière du Seigneur nous l'apprend, puisqu'il dit: «Notre Père». Nous confessons de notre propre bouche que le Dieu et Seigneur de l'univers est notre Père ; et c'est bien là faire pro~ fession d'avoir été appelés de la condition servile à celle de fils adoptifs.

Qui es aux cieux

Nous ajoutons : « Qui es aux cieux». Le temps de notre vie n'est plus dès lors qu'un exil; et cette terre, une terre étrangère, qui nous sépare de notre Père, Fuyons~la ; et, de toute l'ardeur de nos désirs, hâtons~nous vers la région où nous proclamons que réside notre Père 1 Que rien dans notre conduite, en nous rendant indignes de la profession que nous faisons d'être ses enfants et de l'honneur d'une telle adoption, ne nous prive. comme des fils dégé~ nérés, de son héritage, et ne nous fasse encourir sa colère et les sévérités de sa justice 1

Que ton nom soit sanctifié

Une fois parvenus à cette dignité d'enfants de Dieu, nous brûlerons aussitôt de la tendresse qui est au cœur de tous les bons fils; et, sans plus songer à nos intérêts, nous n'aurons de passion que pour la gloire de notre Père. Nous lui dirons : «Que ton nom

1. Le présent commentaire est tiré de la 9" Conférence, 18-25. Traduction de Dom Pichéry que nous publions avec l'aimable autorisation de l'éditeur. (Editions du Cerf, Paris).

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soit sanctifié » témoignant par là que sa gloire est tout notre désir et toute notre joie, à l'imitation de celui qui a dit : Celui qui parle de lui~même cherche sa propre gloire; mais celui qui cherche la gloire de Celui qui l'a envoyé, est véridique, et il n'y a point en lui d'injustice (Jean, 7, 18).

Plein de ces sentiments, saint Paul, ce vase d'élection, va jus~ qu'à souhaiter d'être anathème et séparé du Christ, pourvu qu'il puisse lui gagner une famille nombreuse, et augmenter la gloire de son Père par le salut d'Israël. Il peut souhaiter sans crainte de périr pour le Christ : il sait bien qu'il est impossible de mourir pour celui qui est la Vie. Il dit encore : C'est une joie pour nous de nous voir faibles, tandis que vous, au contraire, vous êtes forts (2 Cor., 13, 9).

Et pourquoi s'étonner que saint Paul souhaite d'être anathème pour la gloire du Christ, la conversion de ses frères et le salut du peuple privilégié, quand le prophète Michée voudrait, lui, être menteur, et devenir étranger aux inspirations du Saint~Esprit, pourvu que la nation juive pût échapper aux souffrances et aux désastres de la captivité prédite par ses oracles. Plût à Dieu, s'écrie~t~il, que l'Esprit ne fût pas en moi, et que mes paroles ne fussent que mensonge 1 Et je ne dis rien du beau mouvement du Législateur ; si ses frères doivent périr, il ne refuse pas de mourir avec eux : Seigneur, dit~il, ce peuple a commis un grand péché. Mais, je vous en conjure, pardonnez~lui sa faute; sinon, ef[acez~moi du lirJre que rJous avez écrit (Ex., 32, 31 .... 32).

Ces paroles : « Que ton nom soit sanctifié », pourraient très bien s'entendre aussi en ce sens que Dieu est sanctifié par notre perfection. Et dès lors, lui dire : « Que ton nom soit sanctifié », ce serait, en d'autres termes, lui dire : « Père, rendez .... nous tels que nous méritions de connaître, de comprendre la grandeur de votre sainteté, ou du moins que cette sainteté éclate en notre vie toute spirituelle 1 » C'est ce qui s'accomplit en nous, lorsque les hommes voient nos bonnes œuvres et glorifient notre Père qui est aux cieux (Mt., 5, 16).

Que ton règne arrive

Dans sa deuxième demande, l'âme très pure exprime le V'ŒU de voir arriver bientôt le règne de son Père.

Elle peut viser par là d'abord le règne inauguré chaque jour par le Christ dans l'âme des saints. C'est ce qui se produit, lorsque le diable une fois chassé de notre cœur avec les vices dont il l'infectait,

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et son empire évanoui, Dieu entre chez nous en souverain, en même temps que s'y répand la bonne odeur des vertus. La fornication vaincue, c'est la chasteté qui règne dans notre âme ; la fureur sur~ montée, la tranquillité ; la superbe foulée aux pieds, l'humilité.

Elle peut aussi avoir en vue celui qui a été promis pour un temps marqué d'avance à tous les parfaits d'une manière générale, à tous les enfants de Dieu. C'est alors que le Christ doit leur dire : V enez, les bénis de mon Père ; entrez en possession du royaume qui vous a été prépat'é dès avant la création du monde. L'âme tient ses regards ardemment fixés sur cet heureux terme, pleine de désir et d'attente, et elle s'écrie : «Que ton règne arrive 1 ». Elle sait bien, car sa conscience lui en rend témoignage, que, dès qu'il aura paru, elle entrera en partage de ce royaume. Au contraire, il n'est pas un pécheur qui ose prononcer ces paroles ni former un pareil vœu : la vue du tribunal est odieuse à qui sait qu'il n'y aura ni palme ni couronne pour récompenser ses mérites, à l'arrivée du juge, mais qu'un prompt châtiment le punira.

Que ta volonté soit faite

La troisième demande des fils est celle~ci : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel! » Souhaiter que la terre mérite d'être égalée au ciel : on ne saurait porter plus haut sa prière. De dire, en effet: « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel», n'est~ce point autant que si l'on demandait que les hommes soient semblables aux anges, et que, comme ces esprits bienheureux font au ciel la volonté divine, ainsi que les hommes l'accomplissent tous sur la terre, et non point la leur ?

Et voilà encore une prière que celui~là seul pourra faire du fond du cœur qui croit que Dieu dispose toutes choses en ce monde pour notre avantage, joies et infortunes, et qu'il veille avec plus de solli~ citude au salut et aux intérêts de ceux qui sont à lui, que nous n'en avons pour nous~mêmes.

On peut entendre aussi cette demande en ce sens que la volonté de Dieu est que tous soient sauvés, selon la parole bien connue de saint Paul : Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et qu'ils viennent à la connaissance de la vérit-é, Le prophète Isaïe parle de cette même divine volonté, lorsqu'il dit, parlant au nom de Dieu le Père : Ma volonté se fera tout entière. Lors donc que nous disons : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel», c'est faire, en d'autres termes, cette prière : « Comme ceux qui sont dans

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le ciel, que tous ceux qui sont sur la terre, ô Père, soient sauvés par la connaissance de ton nom 1 »

Donne~nous notre pain quotidien

Nous ajoutons : « Donne~nous aujourd'hui notre pain super~ substantiel, épiousion, et, selon un autre évangéliste, « notre pain quotidien »2• Le premier qualificatif exprime sa noblesse et le carac~ tère de sa substance, qui l'élèvent au~dessus de toute substance, et font qu'il dépasse par sa sublime grandeur et sainteté toutes créatures. Le second exprime l'usage qu'il en faut faire et son utilité : le mot « quotidien » montre que sans ce pain, nous ne pouvons vivre un seul jour de la vie spirituelle. Quant au mot « aujourd'hui», il montre qu'il faut s'en nourrir tous les jours, et qu'il ne suffirait pas de l'avoir reçu hier, s'il ne nous était pareillement donné aujourd'hui.

Que le besoin quotidien que nous en avons nous soit un aver~ tissement de faire en tout temps cette prière 1 Il n'est pas de jour où il ne nous soit nécessaire de manger ce pain, pour fortifier le cœur de notre homme intérieur.

Mais «aujourd'hui» peut s'entendre également de la vie pré~ sente. « Tandis que nous sommes de ce monde, donne~nous ce pain. Nous savons que tu le donneras aussi dans le monde à venir à ceux qui l'auront mérité. Mais nous te prions de nous l'accorder dès aujourd'hui, parce que celui qui ne l'aura pas reçu en cette vie, ne saurait y avoir part dans l'autre ».

Remets~nous nos offenses

« Remets~nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent 1 »

0 clémence ineffable de Dieu 1 Non seulement il nous donne en ceci un modèle de prière, non seulement il institue la règle de vie par où nous puissions nous rendre agréables à ses yeux, et, par la mise en demeure que constitue la formule même qu'il nous enseigne et dont il nous prescrit de faire un constant usage en le priant, arrache comme nécessairement les racines de la colère et

2. Comparer avec le commentaire d'Origène.

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de la tristesse. Ce n'est pas encore assez. Il nous fournit l'occasion, dans la prière même, et nous offre la facilité de le provoquer à rendre sur nous un jugement indulgent et miséricordieux ; Il nous donne en quelque sorte le pouvoir d'adoucir nous~mêmes notre sentence et de le contraindre au pardon par l'exemple de notre propre indulgence, lorsque nous lui disons : « Remets~nous comme nous avons remis».

Fort de cette prière, celui~là demandera le pardon de ses fautes avec assurance, qui se sera montré facile pour ses débiteurs. Je dis pour ses débiteurs, et non pour ceux de son Maître. On remarque en effet chez plusieurs une habitude pire encore : les injures faites à Dieu, quelque énormes qu'elles soient, nous trouvent pleins de douceur et d'indulgence ; mais s'il s'agit de nous, pour la maindre offense, nous exigeons réparation avec une rigueur inexorable, Il suit cependant que quiconque n'aura point pardonné du fond du cœur les torts. de son frère, n'obtiendra par cette prière que sa condamnation, au lieu de l'indulgence, puisqu'il demandera lui~ même un jugement plus sévère, en disant : « Pardonne~moi comme j'ai pardonné». S'il est traité comme il le demande, que peut~il bien lui advenir, sinon qu'à son exemple, Dieu se montre implacable en sa colère et le punisse cl' une sen tence sans incl ulgence ? Voulons~ nous être jugés avec clémence, soyons nous~mêmes cléments à ceux qui ont eu des torts envers nvus. Il nous sera pardonné, dans la mesure où, quelle qu'ait été leur méchanceté, nous pardonnerons à ceux qui nous auront fait du mal.

Plusieurs tremblent à cette pensée, et, lorsqu'à l'église, le peuple, d'une commune voix, récite le Pater, ils laissent passer ces paroles sans les dire eux~mêmes, de peur de se condamner de leur propre bouche, au lieu de s'excuser. Ils n'aperçoivent pas que ce sont là de vaines subtilités, dont ils essayent vainement de se couvrir aux yeux du Souverain Juge, qui a voulu montrer d'avance 'ot ceux qui le prient, la manière dont il les doit juger. C'est parce qu'il ne veut pas que nous le tronvions sévère et inexorable, qu'il nous a marqué la règle de ses jugements, afin que nous jugions nos frères, s'ils o.')t eu quelque tort envers nous, comme nous désirons d'être jugés pat lui. Un jugement sans miséricorde attend celui qui n'aura pas fait miséricorde (J ac., 2, 13).

Ne nous induis pas en tentation

La demande suivante : « Ne nous induis pas en tentation», soulève un difficile problème. Si nous prions Dieu de ne pas per ...

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mettre que nous soyons tentés, quelle preuve donnerons-nous de notre constance 1 Car il est écrit : L'homme qui n'a pas é~é tenté n'a pas été éprouvé, et encore : Heureux l'homme qui supporte la ten~ tation. Tel n'est donc pas le sens de cette parole : « Ne nous induis pas en tentation ». Elle ne signifie pas : « Ne permets pas que nous soyons jamais tentés», mais : « Ne permets pas que tentés, nous soyons vaincus». Job a été tenté; il n'a pas été induit en tentation ; car il n'a pas accusé la divine Sagesse, il n'est pas entré dans la voie de l'impiété et du blasphème, où le tentateur voulait l'entraîner. Abraham a été tenté ; Joseph a été tenté ; ni l'un ni l'autre n'a été induit en tentation, parce que ni l'un ni l'autre n'a donné son assen~ timent au tentateur.

Mais délivre~nous du mal

Puis, c'est la dernière demande : «·Mais délivre~nous du mal», c'est~à~dire : Ne permets pas que nous soyons tentés par le diable au delà de notre pouvoir, mais « avec la tentation, ménage~nous le moyen d'en sortir victorieux, afin que nous la puissions supporter».

Telle est la brève formule de prière que notre juge nous a donnée pour le fléchir. On n'y sollicite point la richesse ; il n'y est pas question d'honneurs; nulle demande non plus de puissance ou de force ; nulle mention de la santé ni de la vie temporelle3. Celui qui a fait l'éternité, ne veut pas qu'on implore de lui rien de péris~ sable, rien de vil, rien qui passe avec le temps ; et ce serait faire gravement injure à sa générosité et à sa munificence, que de négliger ces demandes où tout parle d'éternité, pour solliciter plutôt de lui quelque bien transitoire et périssable. Une pareille bassesse d'âme dans la prière attirerait la colère de notre juge, plutôt qu'elle ne gagnerait sa faveur.

Il semble bien que cette prière du Pater doive renfermer toute plénitude de perfection, puisque c'est le Seigneur lui~même qui nous en a donné l'exemple à la fois et le précepte. Elle élève plus haut encore cependant ceux qui se la rendent familière, jusqu'à cet état suréminent dont nous avons parlé précédemment, à cette prière de feu que bien peu connaissent d'expérience, et, pour mieux dire, ineffable. Celle~ci dépasse tout sentiment humain. Ni sons de la

3. On remarquera cette tendance à spiritualiser tout le Pater, même la demande du pain quotidien.

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voix, ni mouvements de la langue, ni parole articulée. L'âme, toute baignée de la lumière d'en haut, ne se sert plus du langage humain, toujours infirme. Mais, c'est en elle comme un flot montant de toutes les affections saintes à la fois : source surabondante d'où sa prière jaillit à pleins bords et s'élance d'une manière ineffable jusqu'à Dieu. Elle dit tant de choses en ce court instant, qu'elle ne pourrait aisément ni les exprimer ni même les repasser dans son souvenir, lorsqu'elle revient à soi.

Notre~Seigneur encore a tracé pareillement, par la forme de sa supplication, le dessin de cet état, lorsqu'il se retira dans la solitude de la montagne, ou que, dans la prière silencieuse de son agonie, il répandait une sueur de sang, par un exemple inimitable d'ardeur intense.

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PIERRE CHRYSOLOGUE t vers 450

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Nous ne savons presque rien de la vie de Pierre dit Chrysologue, ce qui signifie celui dont la parole est d'or. Il fut archevêque de Ravenne, où il déploya une exceptionnelle activité oratoire, qui lui valut le titre de docteur de l'Eglise.

Il nous a légué une importante œuvre oratoire, composée surtout de sermons et d'homélies, qui l'ont fait comparer à saint Jean Chrysostome pour leur qualité pastorale et pratique. Pierre Chrysologue fut à la fois pasteur et docteur, dans toute la force des termes.

Les divers commentaires sur le Notre Père que nous donnons représentent quelques~uns parmi les plus beaux sermons de saint Pierre Chrysologue 1,

1. Traduction par les Bénédictines de Caluire et Cuire (Rhône). Texte latin: P.L. 52, 390-406, sermons 67 ~72.

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PIERRE CHRYSOLOGUE 183

SERMON 67

Vous avez ouvert l'oreille, frères très chers, au message de la foi ; écoutez maintenant le modèle de la prière enseignée par le Seigneur.

Le Christ nous a appris à prier en peu de mots, Lui qui veut, sans délai, exaucer nos demandes. D'ailleurs, que ne donnera~t~il pas à ceux qui lui demandent, puisqu'il s'est donné lui~même à ceux qui ne le demandaient pas ? Ou quel retard pourrait~il apporter à sa réponse, lui qui prévient les désirs des suppliants, en leur dictant la forme de leurs prières ?

Ce que vous allez entendre aujourd'hui est tel que les anges en sont frappés de stupeur, que le ciel est dans l'admiration, la terre dans l'effroi, la chair dans l'impuissance à le comprendre, l'oreille dans l'incapacité de l'entendre, l'esprit dans l'impossibilité de l'atteindre, la création tout entière hors d'état de le supporter. Moi~même, je n'ose pas le proférer et pourtant, je ne puis le taire. Que Dieu nous donne la grâce; à vous de l'entendre, à moi de le dire.

Quel mystère faut~il davantage révérer? Le fait que Dieu se donne à la terre ou le fait qu'Il vous donne au ciel? Le fait que lui~même entre en société avec la chair ou qu'il vous fait entrer en participation de la divinité? Le fait qu'il assume la mort ou qu'il vous retire de cette mort? Le fait qu'il naît dans votre ser~ vitude ou qu'il vous engendre comme ses enfants? Le fait qu'il a subi votre pauvreté ou qu'il vous fait ses héritiers, co~héritiers de son Fils unique ? En un mot, ce qui est le plus digne d'une respec~ tueuse admiration c'est que la terre est transférée dans le ciel, l'homme est transformé par la Divinité, la condition de servitude obtient les droits de la souveraineté. Mais bien que tout cela soit objet d'une crainte sacrée, la question ne se poserait que pour un tyran, non pour un maître ; aussi, approchons~nous, petits enfants, de ce lieu où nous appelle la charité, où nous attire l'amour, où nous invite la tendresse. Que notre cœur reconnaisse Dieu comme un Père, que notre voix le proclame, que notre langue le redise, que l'Esprit l'invoque comme tel et que tout ce qui est en nous réponde à la grâce, non à la crainte; parce que Celui qui s'est mué pour nous de juge en Père, veut être aimé et non redouté.

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Notre Père qui es dans les cieux

Quand on dit cela, il ne faut pas se figurer pour autant que Dieu n'est pas sur la terre, ni croire qu'il soit enfermé dans un lieu, lui qui embrasse toutes choses, mais il faut comprendre que nous sommes d'une race céleste, nous dont le Père réside aux cieux, et il nous faut vivre d'une manière si sainte que nous correspon~ dions à la vie d'un saint père. Celui~là se manifeste comme fils de Dieu, qui n'est pas obscurci par les vices charnels, mais qui res~ plendit des divines vertus.

Que ton nom soit sanctifié

C'est aussi le nom qui proclame de quelle race nous sommes. Nous demandons par conséquent que soit sanctifié en nous le nom de celui qui est saint en soi et par soi. Le nom de Dieu, en effet, se trouve glorifié par notre manière de vivre ou blasphémé par nos mauvaises actions. Ecoutez l'Apôtre nous dire: Le nom de Dieu est blasphémé à cause de vous parmi les nations (Rom., 2, 23).

Qu'advienne ton règne

Quand donc Dieu ne régnerait~il pas? C'est pourquoi nous demandons que celui qui règne toujours de par son être, règne aussi en nous, afin que nous puissions, nous aussi, règner en lui. Le diable, le péché, la mort ont régné ; la captivité de la mort nous a longtemps tenus ; nous prions donc pour que, par le règne de Dieu, périsse le diable, s'efface le péché, meure la mort, soit cap­tive la captivité, afin que nous régnions, libres, dans la vie éter~ nelle.

Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel

C'est vraiment le règne de Dieu quand, dans les cieux et sur la terre, la volonté de Dieu est seule maîtresse, quand, en tous les hommes, Dieu est l'esprit, la vie, l'action, le roi, le tout, selon ce que dit l'Apôtre : Que Dieu soit tout en vous tous (1 Cor., 15, 28).

Donne ... nous aujourd'hui notre pain quotidien

Celui qui s'est donné à nous comme un Père, qui nous a adop­tés comme ses fils, qui nous a faits héritiers de ses biens, qui nous

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a ennoblis de son titre, qui nous a fait participer à sa gloire et à son royaume, ce même Dieu nous a approuvés de lui demander aussi le pain quotidien. Dans le royaume de Dieu, parmi les dons divins, que va bien chercher l'indigence humaine ? Un père si bon, si généreux, si aimant n'accordera~t'il le pain à ses fils que s'il en est sollicité par eux? Et quel est le sens alors de la parole : Ne vous mettez pas en peine de ce que vous mangerez, de ce que vous boirez, de quoi vous vous vêtirez? (Mt., 25, 31). Il nous ordonnerait de demander ce à quoi il nous défend de penser ? Mais c'est que le Père du ciel nous exhorte, afin que nous demandio:1s comme des enfants du ciel, le pain du ciel. Aussi dit~il: fe suis le Pain descendu du ciel (Jn., 6, 51). Lui~même est le pain qui, semé dans la Vierge, levé dans la chair, pétri dans la passion, cuit dans la four~ naise du sépulcre, mis en réserve dans l'Eglise, apporté aux autels, fournit chaque jour aux fidèles une nourriture céleste.

Remets~nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs

0 homme, si d'une part tu ne peux être sans péché et que, d'autre part, tu veuilles que toutes tes fautes te soient toujours remises, remets toujours toi aussi: remets autant et aussi souvent que tu veux qu'on le fasse pour toi. Bien plus, puisque tu veux que toute ta dette te soit remise, remets~la, toi aussi, intégralement. Comprends, ô homme, qu'en pardonnant aux autres, tu t'es aussi pour toi~même attiré l'indulgence.

Et ne nous induis pas en tentation

Parce que, dans ce monde, la vie de l'homme elle~même est tentation, ainsi que le dit Job (7, 1 ) . Prions donc pour que Dieu ne nous abandonne pas au mauvais usage de notre libre arbitre, mais que, dans tous nos actes, il nous réfrène dans sa bonté paternelle et nous maintienne sur le chemin de la vie par les rênes de son gou~ vernement céleste.

Mais délivre~nous du mal

De quel mal? - Du diable, bien sûr, d'où est issu tout le mal. Nous demandons à être délivrés du mal, parce que celui qui ne s'abstient pas du mal ne peut jouir du bien. Si ceux qui ne sont pas encore nés par le baptême, qui reposent encore dans le sein

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maternel, demandent du pain et prient pour l'avènement du royaume, pourquoi douter que Celui qui est, de tous temps, le Fils de Dieu, demeure dans le secret de Dieu, son Père 1 Si l'Eglise engendre, il n'y a pas là à chercher d'explication humaine, mais il s'agit d'un céleste mystère; que le Fils de Dieu fut en Dieu son Père, ce n'est pas à la raison humaine d'en discuter la manière, car la divinité ne doit pas être jaugée à la mesure de l'homme. 0 homme, tu as entendu Dieu, chasse les pensées de la terre, les raisonnements de l'homme. Tu as entendu le Père du Christ : crois cet enseignement à cause de sa divinité : tu as entendu ton père, crois cet enseignement par la grâce. Le Christ eut toujours en propre d'être Fils : à toi, il a donné récemment cette qualité de fils. Sache donc que tu es fils pour ne pas ignorer que tu es aussi esclave : apprends que tu as été ramené à la similitude du Christ, afin de reconnaître que tu es toujours soumis au Christ.

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SERMON 68

La condition mortelle, les liens terrestres, la teneur d'une vie fangeuse toujours prête à glisser dans la mort, usée par le labeur, consumée par les chagrins, soumise par nature à la corruption et à la réduction en poussière, tout cela n'est pas capable de comprendre ni ne peut se hausser à la juste estime de ce qu'il nous faut procla~ mer aujourd'hui; elle n'ose pas l'écarter, elle redoute pourtant de le croire. La fragilité de l'homme ne peut, en effet, découvrir d'où elle pourrait mériter une si grande gratification des dons de Dieu, une telle abondance de biens promis, une si généreuse distribution de présents. Il n'est pas douteux, je crois, que le Prophète Habacuc l'ait vu dans sa contemplation. Tandis qu'il était ébranlé d'une telle terreur et secoué d'un si grand tremblement à la suite de ce qu'il avait entendu, il dit: Seigneur, j'ai entendu ta révélation et j'ai été saisi de crainte (Hab., 3, 2) j'ai considéré tes œuvres et j'ai été boule~ versé.

II a redouté la révélation, non parce qu'il avait entendu Dieu, lui qui était alors un si grand Prophète, mais parce que n'étant que serviteur, il découvrit que son Seigneur s'était tourné vers lui et il l'avait entendu se révéler comme un Père. Sa crainte ne vint pas de sa contemplation d'une synthèse harmonieuse de ce monde, réalisée à partir d'éléments disparates; mais c'est en considérant les effets d'un si grand amour dont il était l'objet qu'il fut secoué d'un tremblement d'admiration et d'une frayeur révérentielle.

J'ai considéré tes œuvres, dit~il à Dieu, et j'ai é~é terrifié. Avec stupeur, il se découvrit le fils adoptif au moment où il avait perdu la confiance de la servitude elle~même. Enfin, pour que vous sachiez combien la divinité insinue et répand en vous aujourd'hui le sen~ timent de cette prière, voyez le prophète rempli d'une céleste audace qui se trouve alors délivré d'une certaine manière de sa crainte à recevoir ce don. II ajoute, en effet, fe me suis gardé et mes entrailles ont frémi à la voix de la prière de mes lèvres (Hab., 3, 16).

Après avoir éprouvé l'abondance du don divin, il se mit en garde, de peur de se retrouver, comme jadis au paradis perdu, ennemi, adversaire, brigand. Il faut qu'il devienne un gardien de lui~même, plus attentif et plus vigilant, qui, après avoir expéri­menté la perte d'un tel bien, protège jalousement son trésor céleste dans des vases d'argile.

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Et mes entrailles, dit~il, ont frémi. Par ce mot, le prophète dési­gne ici le fond de son cœur car, de même que les entrailles sont nour­ries et remplies par les aliments, ainsi le cœur l'est~il par les senti­ments.

Mes entrailles ont fréml à la voix de la prière de mes lèvres. Si l'intelligence du cœur avait engendré la voix, si elle avait donné les paroles aux lèvres, pourquoi le prophète redoute~Hl ses vœux, ses désirs comme l'origine de ce qu'il est sur le point d'obtenir? - C'est parce qu'il avait parlé non par une intuition de son cœur, mais par une motion du divin Esprit. Ecoutons Paul nous dire: Dieu a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils, qui crie « Abba », Père (Gal., 4, 6).

Lorsque cette révélation eut pénétré dans l'intime de son cœur, Habacuc s'étonna d'avoir mérité une telle grâce et le fond de son être tressaillit. C'est à bon droit qu'il ajouta : Et le tremblement s'est emparé de mes membres, parce que son organisme était boule­versé. Et ma force, dit~ il, s'est dérobée à moi. Pourquoi s' est~elle dérobée à lui ? Parce que le même homme qui était déjà soulevé au• dessus de lui par la grâce, gisait en même temps, comme se dérobant, à cause de sa nature humaine antérieure ; et la force de la terre ne suffisait pas à soutenir la force du ciel.

Déjà le Mont Sinaï s'enflamma lorsque Dieu descendit sur la montagne pour faire don de sa Loi. Que ne devait dès lors faire la chair, lorsque Dieu descendit en elle pour lui octroyer la grâce ? Le Père vint parce que l'homme ne supportait pas son Dieu, ni le serviteur son Seigneur. Et aussi parce qu'il est fidèle dans ses paroles : Donne accès à ton cœur et je le remplirai. Donnez donc accès au Seigneur, afin que lui~même vous remplisse d'une telle prière, d'un tel cri :

Notre Père qui es dans les cieux

Où sont ceux qui se défient de la promesse de Dieu ? Voici que, simultanément est récompensée la proclamation de la foi : aussitôt que tu as confessé que Dieu est le Père de son Fils unique, toi~ même, tu es adopté comme un enfant de Dieu le Père, afin d'être héritier du ciel, toi qui étais considéré comme exilé du paradis et habitant de la terre et c'est pourquoi, maintenant, tu peux crier : « Notre Père qui es dans les cieux».

Car, jadis, tu eus un père qui t'as réduit en poussière, t'as enfermé en prison et traîné en enfer. Celui qui, selon sa nature

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cherche Dieu son Père céleste, doit ignorer la terre, répudier l'amour de la chair, ne pas désirer la participation à la poussière de ce monde, ne donner en lui aucun accès au vice. Et celui qui, de par sa foi, se sait fils de Dieu, doit répondre par ses actions, sa vie, ses mœurs, sa dignité à une telle hérédité de peur qu'en se rava~ lant une fois de plus au niveau de la terre, il n'en vienne à faire injure à un Père si noble.

Que ton nom soit sanctifié

Si le nom du Christ donne la vue aux aveugles, l'élan aux boîteux, la santé à ceux qui souffrent de tous genres de maux, la vie aux morts; s'il sanctifie toute la création, toi~même y compris, ô homme, au nom de quoi demandes~tu avec instances, la sainteré de ce nom? - C'est en ce que tu es appelé «chrétien» de par le Christ, et c'est pourquoi tu supplies Dieu de confirmer par des mérites subséquents la prérogative de ton nom.

Qu'advienne ton règne

Il ordonne que soit émis ce vœu, il exige ce souhait, il attend de nous ce désir celui qui contient en son pouvoir l'avènement de son règne. Fidèle est le soldat qui a soif de la présence de son roi, qui appelle de ses vœux son règne et désire passionnément ses triomphes ; mais, en cette demande, tu pries pour que ce règne s'instaure aussi en toi qui fus jadis la forteresse du Diable, qui fus sous l'empire de la mort et longtemps soumis au pouvoir de l'enfer. Prions donc, frères très chers, pour que le Christ règne toujours en son soldat et pour que ce soldat triomphe toujours en son roi.

Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel

Bienheureux ce jour qui joint et unit les volontés de la terre à celles des cieux, les mettant sur le même plan, en sorte qu'une seule et même volonté coexiste entre des substances inégales. Là résident la paix assurée, la concorde inébranlable, la grâce persévé~ rante, lorsque par le gouvernement d'un seul maître, la famille, diverse par nature devient une par la volonté et se trouve liée par J'accord des sentiments.

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190 LE PATER

Donne.-nous aujourd'hui notre pain quotidien

Après avoir envisagé ce royaume céleste, qui donc pourrait encore demander du pain pour le temps présent? Mais c'est que Dieu veut nous voir solliciter le viatique quotidien de ce pain qui, au long des jours réside dans le sacrement de son corps, pour que, par lui. nous parvenions au jour qui ne s'éteindra pas et à la table même du Christ, Ainsi, nous nous rassasierons là~haut de la pléni~ tude de ce que nous avions ici~bas commencé à goûter.

Et remets.-nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs

Celui qui fait cette demande sans, pour autant, remettre les dettes, s'accuse par les paroles même de sa bouche. Celui qui prie pour que lui soit donné et remis autant que lui~même donne et remet, invite Dieu à une entente à l'amiable et, pour ainsi dire, à un pacte. Chacun, dès lors, exige qu'il lui soit donné autant que lui~même a donné à l'autre. Et ce ne sont pas seulement les dettes d'argent qui doivent être remises, mes frères, mais celles de tous les procès, fautes, crimes, en un mot tout ce que l'homme peut commettre. Pardonne donc quoi que ce soit de tout cela qu'un autre aurait pu commettre contre toi. Le croyant demande le pardon de ses péchés, parce qu'il pardonne volontiers au délinquant.

Et ne nous induis pas en tentation

Plutôt mille fois qu'une, mes frères et de toutes manières, nous nous voyons forcés de faire cette demande, de peur que notre fra~ gilité ne dépassant la mesure d'une juste audace et ne présumant de soi à la légère sans prendre une exacte appréciation de ses forces, ne suœombe à la lutte par son imprudence. Dieu, offensé alors, livre à la tentation ceux qu'il a délaissés.

Mais délivre~nous du mal

C'est avoir une juste et humble notion de soi et ne pas se livrer à la présomption d'un salut obtenu par ses seules forces que d'implo~ rer Dieu de nous délivrer du mal. Marquez~vous du signe de la croix.

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PIERRE CHRYSOLOGUE 191

Comprenez, petits enfants, quelles sont la gloire et la puissance des parfaits et des forts, quand déjà une si grande force se manifeste dans la conception elle~même et une si grande majesté dans l'enfan~ tement. Le catéchumène n'est pas encore né par le baptême que, déjà, il appelle son père, il demande la sainteté, aspire au royaume, donne des lois à la terre, unit les volontés de celle~ci à celles des cieux et exige sa ration avant même d'être adonné à des travaux utiles. « Donne~nous, dit~il, en effet, notre pain quotidien ». Bien~ heureux êtes~vous puisque vous avez commencé à vaincre avant de combattre, à triompher avant même de vivre, à vous rendre aux greniers du Père avant de vous sustenter au sein maternel, à faire irruption dans le pâturage du troupeau avant d'avoir sucé le lait, à faire sonner bien haut les cris de la victoire avant de vous faire entendre par les vagissements du berceau. Vraiment, comme le dit l'Apôtre, La faiblesse selon Dieu est plus forte que les hommes (I Cor., 2, 25). Mais qui pourrait comprendre le mystère d'une telle conception 1 : L'Eglise, vierge~mère, enfante chaque jour des fils au monde entier et ne les laisse pas peiner derrière elle, mais se fait précéder d'eux comme de prémices pour la gloire éternelle.

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192 LE PATER

SERMON 69

Penses~tu qu'un cœur mortel puisse comprendre l'immensité de l'amour du Seigneur envers nous? Penses~tu que notre esprit, alourdi sous le poids de notre corps de chair puisse réaliser et ressentir comme il convient la tendresse divine à notre égard ? En effet, toute la splendeur brillante, rayonnante, éclatante des astres, tous les parfums des fleurs sur la terre, toute la saveur des fruits, toute la joie des créatures animées, tout cela a été créé par amour pour nous et nous fut assujetti en servitude. Mais, si grands que soient ces bienfaits ils restent un minime indice de l'amour de Dieu pour nous. Car les principautés des cieux, les puissances de l'air, les dominations du ciel, les bons offices des Anges militent pour nous en une infatigable protection. Pourtant, toutes ces condescen~ dances restent encore peu de chose et bien au~dessous de l'inti­mité divine que notre foi nous force à affirmer. Elles en sont même aussi éloignées que la créature l'est de son Créateur.

Dieu dont personne ne peut contempler le visage, qui est impé­nétrable à la vue, qui ne peut être atteint par nulle appréhension humaine et reste inaccessible à tout esprit, lui dont la révélation elle~même ne peut nous faire connaître pleinement le nombre de fois et les aspects si divers sous lesquels il s'est présenté aux regards des hommes, voyez à quelle communion, à quelle intimité il se prête et jusqu'où va sa concession à la nature humaine 1

Il daigne rendre Noé participant de son dessein et l'avertir que le déluge est imminent pour l'expiation des péchés du monde et il enferme dans la petite semence contenue en l'arche, la création tout entière dont il se constitue le gardien.

Lorsque Dieu se présente à Abraham comme un hôte et qu'invité, il entre avec toute sa bienveillance, il ne repousse pas les offres qui lui sont faites, il prend comme s'il était affamé et épuisé les aliments qui lui sont apportés et, comme s'il avait besoin d'une réfection divine, il accepte simplement la table des hommes. C'est cette bonté qui fait refleurir les membres presque desséchés du vieillard et qui rend la vie au sein déjà éteint d'une femme âgée et stérile; ainsi, la nature ensevelie dans un cadavre vivant res­suscite pour proclamer son Créateur et engendre, bien que le temps en soit passé, de nombreux enfants par l'intermédiaire d'un seul que sa foi lui avait montré comme étant le fondement de tous.

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Pour se montrer à Moïse, le Dieu de feu se resserre dans un buisson, il s'entretient avec son esclave de ce qu'il convient de faire, il se manifeste par des miracles variés en Egypte et il se révèle selon le bon plaisir de son serviteur : il inflige des châtiments ou les suspend et, dans la mer, il montre par la complaisance des eaux vengeresses quelle est sa puissance et quelle est la grandeur du don qu'il conféra à l'homme: c'est lorsque l'eau se retire devant les justes en desséchant son lit et en constituant un mur de son onde solidifiée qu'apparaît le secours accordé à ceux qui doivent être libérés ; tandis que, la même mer, de toute la force de sa nature, fait irruption, pour une victoire triomphale sur l'ennemi dont la cruauté dépassa la mesure.

Puis Dieu, demeurant dans les camps d'Israël, en une admirable intimité avec son peuple, frappe de sa foudre de nombreuses nations, les meurtrit de sa grêle ou les jette à terre par le seul son de trom­pette de son peuple, selon les cas, afin que, sans combat ni blessure, Dieu conduise à la victoire les armées que lui~même précède.

Il fut attentif à leurs souhaits, il acquiesça aux vœux de chacun, puis il répondit aux interrogations, dévoila les mystères cachés, fit d'avance connaître l'avenir, fit trouver la terre, objet des recher­ches, octroya un royaume, conféra des biens, règla la mesure des pluies, donna la fécondité à la terre, orna les unions conjugales de l'honneur et de l'abondance des enfants. Mais il trouva que tout cela serait encore trop peu s'il n~ montrait son amour envers nous, non seulement par l'octroi de bienfaits, mais encore, en supportant avec nous les adversités.

Aussi, après tous ces dons, lui~même entra comme un pauvre dans ce monde qui lui appartenait ; il est alors couché dans un berceau comme un enfant, il implore, demande, supplie par son vagis~ sement que tu lui témoignes la bonté que lui~même a eue pour toi. Lui. le Père de tous, il a recours à ta paternité, Il a vécu comme ton serviteur lui à qui est inférieure toute élévation ; il a eu peur, lui que craignent les êtres les plus terrifiants. Il a fui, lui vers lequel converge toute la création ; il fut hôte dans les maisons des pécheurs, lui qui est le juge des cieux. Il s'est nourri de pain, lui qui nourrit tous les êtres. Et quoi encore ? Le « Pantokrator » (l ) , roi des siècles est enchaîné ; celui qui est le fondement de la terre est cité en justice. Celui qui accorde le pardon aux hommes est jugé. Celui qui scrute les cœurs est broyé. Celui qui donne et qui rend la vie

1. Le Seigneur de l'univers.

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est puni de mort. Lui, la résurrection de tous, il esti enseveli afin que l'esprit humain si obtus et l'intelligence abrutie éprouvent au moins, grâce à sa mort, la tendresse de Dieu que les bienfaits innombrables dont j'ai parlé plus haut, n'avaient pu lui faire com­prendre ni res sen tir.

Celui donc qui nous a conféré l'être et qui nous a donné la vie a voulu aussi nous enseigner la prière : parce qu'il a la volonté de nous accorder toutes nos demandes, lui qui a voulu être supplié par sa propre prière.

Notre Père qui es dans les cieux

Voici, ô homme, que, par ta voix, le Christ aujourd'hui te rend le co~héritier de Dieu son Père en t'adoptant pour fils, puisqu'il dit « Notre Père». Ce qui est l'effet de sa bonté, il a voulu que ce soit aussi l'effet de sa puissance, selon ce qui est écrit : Aux hommes qui le reçurent, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu (Jn., 1, 12) et cependant, il nous ordonne d'appeler Dieu ainsi pour qu'apparaisse la dignité de celui qui donne ce pouvoir, sans qu'il y ait néanmoins témérité de la part de celui qui reçoit le privilège,

Qui es dans les cieux

Non qu'il ne soit pas aussi sur terre, mais c'est parce que donner déjà à son Père le qualificatif de « céleste », manifeste la volonté de se diriger vers la nature céleste et de la réassumer déjà ; ainsi faut~il que notre vie réponde à une si grande noblesse, de peur, par notre manière terrestre de vivre, de dégénérer, en abandonnant les mœurs que notre nature céleste nous a déjà con~ férés et donnés gratuitement.

Que ton nom soit sanctifié

Cela ne veut pas dire qu'il te faut rendre saint par ta prière ce nom qui te sanctifie toi~même, mais c'est parce que tu es appelé « chrétien » par le nom du Christ et il te faut demander que ce nom soit sanctifié par tes actions et honoré en toi. De même, en effet, que la renommée des vertus répond seulement à la gloire du nom, ainsi l'infamie de celui qui se conduit mal rejaillit~elle sur ce même

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nom pour le déshonorer, selon ce que dit l'Apôtre : Le nom de Dieu est blasphémé à cause de vous, parmi les nations, et il est vrai, mes enfants, qu'un païen s'en prendra au nom chrétien, lorsqu'il aura vu un chrétien vivre d'une manière différente de ce qu'il confesse et du nom dont il est appelé.

Qu'advielllle ton règne

Ce n'est pas que puisse survenir un règne à Dieu qui le possède éternellement, mais tu demandes que vienne en toi ce règne dont tu es démuni et que tu reçoives ce que Dieu te promet dans son amour, lorsqu'il dit : Venez les bénis de mon Père, recevez le Royaume qui vous a été préparé depuis la création du monde (Mt., 25, 34). Le Christ a dit : « Venez les bénis » et non pas «venons» ; de même qu'il dit « recevez » et non « recevons».

Que personne ne s'étonne de pouvoir l'appeler « Père» sans même être encore né car si Jean exulte et que Jacob lutte avec son frère dans le sein maternel, la prudence nous permet d'estimer ce que peut la nature divine quand est déjà si puissante la concep­tion humaine opérée par Dieu.

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SERMON 70

Toutes les paroles et les actions divines qui nous sont rapportées sont pour nous, mortels, des sujets d'emerveillement, de stupeur et de crainte ; elles sont même redoutables aux habitants des cieux. Pourtant rien ne peut davantage stupéfier le ciel, émouvoir la terre et épouvanter toute la création que ce que vous allez entendre aujourd'hui de notre bouche. Le serviteur ose appeler « Père~ son seigneur, l'accusé donne le même nom à son juge, la condition terrestre se considère et se proclame dans un état de filiation : celui qui a perdu les biens terrestres s'estime héritier de la divinité. Cependant, nous oserons parler ainsi parce qu'il n'y a pas de pré~ somption pour le héraut là où l'autorité lui a ordonné d'ouvrir la bouche. Dieu, en effet, a voulu qu'aujourd'hui nous parlions ainsi, lui qui nous a enseigné à prier de cette sorte, Et quoi cl' éton­nant à ce qu'il ait consacré les hommes au rang de fils de Dieu quand lui-même s'est donné à l'homme et l'a adapté à cette filiation 1 Alors, il a surélevé jusqu'à la divinité la nature de la chair en faisant descendre la divinité jusqu'à la nature de J'homme. Il a per­mis à l'homme d'être son co-héritier dans les biens du ciel quand il s'est rendu participant de la condition terrestre. Que pourrait-il refuser à l'homme en fait d'amour et de don, lui qui a assumé tout ce qui était de l'homme, y compris le péché et la mort ? Comment n'associera-t'il pas l'homme à son bonheur, lui qui s'est fait par­ticipant des souffrances humaines? 0 homme ainsi chéri de Dieu, reviens à lui et consacre toi tout entier à la gloire de celui qui s'est livré pour toi tout entier à l'ignominie. Appelle avec confiance ton père que tu éprouves, sens et comprends comme tel, par les si grandes manifestations de son amour.

Notre Père

Que personne ne s'étonne de ce qu'on puisse appeler son père sans même être encore né. Les êtres à naître sont pour Dieu comme déjà nés, les événements futurs comme déjà accomplis. Ce qui aura lieu, dit l'Ecclésiaste, (3, 15) a déjà été réalisé. De là vient que, dans le sein maternel, Jean reconnut son auteur et bondit comme un messager envoyé à sa mère, alors qu'il n'avait pas même encore

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conscience de sa propre vie. De là vient que Jacob d'après le Livre saint, combattit avant de naître et triompha avant de vivre. De là vient que, déjà, sont dédiés à Dieu ceux qui ne s'appartiennent pas encore à eux-mêmes, mais qui ont été élus avant la création elu monde.

Qui es dans les cieux

N'en déduis pas qu'il n'est pas aussi sur la terre, mais cette sentence est pour t'apprendre ta condition céleste issue de ce germe. Et si tu professes que tu es le fils de Dieu, il te faut vivre comme un fils de Dieu pour que tu puisses par tes actes,· ta vie et tes vertus, répondre à un tel père,

Que ton nom soit sanctifié

Toi qui, de par le Christ, est appelé chrétien, tu demandes que la prérogative d'un tel nom soit sanctifiée en toi parce que, tandis que le nom de Dieu est saint par soi et en soi, il est en nous et par nos actions sanctifié ou, par elles, au contraire, blasphémé parmi les nations.

Qu'advienne ton règne

Le Christ lui-même dit : le règne de Dieu est parmi vous (Luc., 17, 21). S'il est parmi nous déjà, pourquoi demandons-nous qu'il vienne? -Il est dans la foi, dans l'espérance et dans l'attente, mais nous prions pour qu'il vienne en fait, Qu'il vienne pour nous, non en ce royaume que le Christ partage avec son Père et selon lequel il règne en Lui, mais qu'il vienne pour nous autres: Venez les bénis de mon Pète, recevez le royaume qtti vous a été préparé depuis l'origine du monde (Matt., 25, 34).

Nous disons donc : « que vienne ton règne» pour gue Dieu règne en nous de telle sorte que la mort et le péché cessent d'exercer en nous leur empire. La mort, dit saint Paul (Rom., 5, 14) a régné depuis Adam jusqu'à Moïse et ailleurs : Que le péché ne règne pas en votre corps mortel (Rom., 6, 12).

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Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel

Maintenant, sur la terre, bien des œuvres s'accomplissent selon la volonté du diable, la méchanceté du monde, le désir de la chair ; mais, au ciel, rien ne se fait en dehors de la volonté de Dieu : nous demandons donc que le diable soit rejeté à sa perdition, que le monde soit renouvelé, notre corps transformé, le pouvoir de la mort réduit à néant, la domination du péché abolie et que, au ciel aussi bien que sur la terre, il n'y ait pour Dieu et pour les hommes qu'une seule et même volonté, celle de Dieu.

Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien

Après avoir demandé le royaume du ciel, nous ne recevons pas l'ordre de solliciter le pain de la terre, Le Seigneur lui~même nous en a empêchés quand Il a dit: Ne soyez pas en peine pout votte vie de ce que vous mangerez ou boirez (Mt., 6, 25). Mais parce que lui~même est le pain descendu du ciel, nous demandons avec ins­tance de recevoir aujourd'hui, c'est-à-dire dans le temps présent ce pain dont nous nous nourrirons tous les jours, c'est-à-dire, sans fin, dans l'éternité. C'est ce pain qui nous vient du banquet de l'autel sacré pour l'affermissement de notre corps et de notre âme.

Et remets-nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs

En parlant ainsi, ô homme, tu t'es donné à toi~même le mode et la mesure du pardon puisque tu demandes au Seigneur que te soit remis autant que toi-même tu auras remis à ton frère, serviteur comme toi. Pardonne donc intégralement à celui qui t'offense, si tu veux toi-même ne plus avoir envers ton maître aucune dette à la suite de tes délits. Donne-toi à toi~même l'indulgence en la personne d'un autre, si tu veux éviter pour toi la sentence venge­resse.

Et ne nous induis pas en tentation

Dieu, ainsi qu'il est écrit (Jacq., 1, 13) ne tente personne à pro~ prement parler, mais on dit qu'il tente lorsqu'il abandonne aux filets

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de la tentation ceux qui s'y rendent avec obstination. Ainsi Adam se précipita~t~il dans les embûches du Tentateur lorsqu'il eut ahan~ donné les préceptes de son Créateur. D'ailleurs, la parole suivante: « Délivre~nous du mal » montre bien par qui l'homme est induit en tentation.

C'est par le diable qui est l'auteur et l'origine de tout le mal ; le diable qui fut céleste par sa nature mais qui n'est plus mainte­nant qu'un esprit plein de méchanceté, plus ancien que le monde, rompu à l'habitude de nuire, passé maître en l'art de blesser : au point qu'il n'est même plus appelé « le Mauvais » mais « le mal », lui dont est issu tout ce qui porte la marque de fabrique du mal.

C'est pourquoi l'homme enchaîné par les liens de la chair ne peut être délivré par ses seules forces. II nous faut donc demander à Dieu de nous délivrer du diable, lui qui a donné à la terre le Christ comme vainqueur du démon. Que l'homme clame, qu'il crie vers Dieu, qu'il profère cette demande « Délivre~nous du mal» pour que, par la victoire du seul Christ, nous soyons libérés d'une telle emprise du mal.

Notre Père qui es dans les cieux

Celui même qu'il te faut prier t'a accordé, sous forme de paroles aussi brèves que possible, les thèmes de ta prière, l'objet de ta demande. la norme de ta supplication ; ainsi tu pourra~ prendre conscience de ce que tuimplores, tu auras l'intelligence de ta suppli· que, tu enfermeras ta requête en de justes limites et tu acquerras de ce très court enseignement, une compétence très étendue dans la manière de prier. En même temps, tu découvriras la preuve de l'amoùr qui conduisit ton Roi à s'acquitter en personne de !a fonc­tion d'avocat au point de te dicter les paroles de la demande à laquelle il était prêt à répondre.

Tout doute d'obtenir est enlevé, bien plus, toute conflFmce de gagner est donnée lorsque celui qui est sollicité relit son propre texte dans la formule de prière qui lui est adressée. Il n'y a pas de crainte à avoir là où le fils désire obtenir de son père de saints bienfaits pour lesquels l'amour se constitue courtier.

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200 LE PATER

SERMON 71

Celui qui vous donna la grâce de croire, frères très chers, vous a aussi enseigné à prier. Et il résuma en peu de paroles toute la formule de votre demande parce que, quand un fils prie ~on père, il ne s'épuise pas en abondant verbiage. De même en effet, que la nécessité force l'enfant à demander, l'amour presse son père de lui donner. Le père spontanément généreux donc invite moins à le prier qu'il n'indique ce pour quoi il faut le prier afin que le fils trouve moyen de plaire en faisant connaître de justes requêtes, au lieu de s'aliéner la faveur par de sottes demandes.

Ecoutez votre père et, dans votre foi, considérez~vous déjà comme fils pour pouvoir sans delai obtenir ce que vous aurez à demander. Aujourd'hui vous est montré quelle est la puisc:;ance de la foi, la capacité de la croyance, le grand prix de la profession de foi. Voici que la triple confession en la Trinité vous arrache à la servitude terrestre pour vous élever à la race d'enfants des cieux. La foi qui a proclamé Dieu comme un père cherche aujourd'hui à le nommer votre père. La voix qui a confessé le Fils comme un Dieu vous a aussi adoptés comme fils de Dieu. La croyance qui a revendiqué de même la divinité pour l'Esprit vous a transmués de la substance mortelle de la chair en une substance animée de la vie de l'Esprit. Quel revendicateur même oserait se sentir digne d'un tel amour?

Dieu le Père daigne établir les hommes comme ses héritiers, Dieu le Fils ne méprise pas d'avoir pour co~héritiers ses infimes serviteurs, Dieu le Saint Esprit élève la chair à la participation de la divinité, le ciel devient la possession des habitants dP la terre et les condamnés aux enfers reçoivent une juridiction danc:; les cieux. Ainsi nous l'affirme l'Apôtre: Ne savez~vous pas, dit~il. que nous jugerons les Anges? (1 Cor., 6, 3). Nommez donc Dieu votre Père, même vous les catéchumènes non encore nés par le baptême ; croyez que vous êtes pourtant déjà considérés comme des enfants et appH· quez~vous à mener une vie céleste, à vivre d'une manière digne de Dieu, à manifester par tout votre aspect votre qualité de par­ticipants à la divinité. Votre Père du ciel enrichit de ses dons divins ceux de ses enfants qui répondent aux exigences de leur noblesse mais ceux qui dégénèrent, il les renvoie à la servitude comme à une punition.

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PIERRE CHRYSOLOGUE 201

Notre Père qui es dans les cieux

La conscience que nous avons de notre situation d'esclaves nous ferait rentrer sous terre, notre condition terrestre se fondrait en poussière si l'autorité de notre Père lui~même et l'Esprit de son Fils ne nous poussaient à proférer ce cri: Dieu, dit en effet l'Apô­tre, a envoyé en nos cœurs l'Esprit de son Fils qui crie Abba, Père (Rom., 8, 15).

Notre esprit s'épuise, notre chair défaille à. propos des réalités divines si Dieu lui~même qui nous a donné l'ordre d'y accéder ne mène à bon terme ce qu'Il a commandé. Quand la faiblesse d'un mortel oserait~elle appeler Dieu son Père sinon seulement lorsque l'intime de l'homme est animé de la vertu d'en~haut?

Notre Père qui es dans les cieux

Qu'as~tu de commun avec la terre, ô homme, toi qui professes que tu es issu d'une race céleste? Montre donc en ta demeure de la terre ce qu'est une vie selon le ciel. Parce que, s'il arrive qu'une pensée selon la chair puisse peu ou prou s'introduire en toi, par le fait même, c'est une tache dont tu souilles le ciel et une injure que tu portes à ta famille de là~haut.

Que ton nom soit sanctifié

Nous demandons à Dieu de sanctifier son nom car c'est par sa sainteté qu'il sauve et sanctifie toute la création. Frères, il s'agit du nom que révèlent les puissances des cieux et que les êtres les plus redoutables accueillent avec une attitude d'esclaves. Il s'agit du nom qui donne le salut au monde perdu, mais nous demandons que ce nom de Dieu soit sanctifié en nous par notre vie ; car si nous vivons bien, le nom divin eat béni ; si nous vivons mal, il est blasphémé selon la parole de l'Apôtre : Le nom de Dieu est blas­phémé à cause de vous parmi les nations. Nous prions donc pour mériter d'avoir en nos âmes autant de sainteté qu'est saint le nom de notre Dieu.

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202 LE PATER

Qu'advienne ton règne

Nous prions pour qu'advienne le règne du Christ, comme s'il n'était pas jusqu'à nos jours et maintenant. Que signifl~ alors le règne de Dieu est en vous (Luc., 17, 21) ? Il est bien en nous par la foi, mais nous supplions pour qu'il advienne en fait. Frères, le diable trouble l'ordre du monde par toutes sortes de méchancetés et en employant mille artifices pour tromper : il met sens dessus dessous les esprits et les mœurs des hommes, il exerce ses ravages par les idoles, il se déchaîn~ dans les sacrilèges, il trompe par les augures, il ment par la divination, il dupe par les prétendus signes, il se moque des hommes par les astres, il s'empare des esprits par les spectacles, il les assiège par les vices, il blesse par les péchés, met à mal par les crimes, jette à terre par le désespoir. Eh bien, en faisant tout cela, il retarde et éloigne de nous le règne du Christ. Nous prions donc pour que vienne le temps où, une fois jeté dehors l'auteur de si grands méfaits, le monde tout entier, la création tout entière règnent et tr10mphent pour la gloire du Christ seul, et que la volonté de Dieu soit la seule à dominer sur la terre comme au ciel, ainsi que le souhaite la demande suivante. Qu'alors la terre soit pour nous le ciel, que notre vie soit Dieu, narre temps, l'éternité, notre patrie, le repos éternel, que notre condition pre­mière redevienne l'innocence, que notre honneur soit l'immortalité, notre gloire, la chasteté, qu'enfin Dieu soit notre tout.

Le Seigneur ajoute :

Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien

Nous recevons le commandement de demander le pain quo­tidien après avoir prié pour que soient manifestés la paternité de Dieu, la sainteté de son nom, le royaume des cieux. Le Christ, pour autant, ne cède pas à l'oubli ; il ne nous fait pas proférer de demandes contraires à ses commandements; c'est lui, en effet, qui a dit : Ne soyez pas en peine pour votre vie de ce que vous mangerez ou boirez (Mt., 6, 25). Mais lui~même est le pain descendu du ciel (Jn., 6), réduit en farine par la meule de la loi et de la grâce, brisé par la souffrance de sa croix et fermenté par le mystère de son immense amour. II arracha au sépulcre le levain de sa pâte légère, il fut cuit au feu de sa divinité, lui~même fit fondre par sa cuisson le four de l'enfer ; chaque jour, il est apporté à la table

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PIERRE CHRYSOLOGUE 203

de l'Eglise comme une nourriture céleste ; il est rompu en rémission des péchés ; il alimente et nourrit pour la vie éternelle œux qui le consomment ; aussi nous demandons que ce pain nous soit donn~ chaque jour jusqu'à ce que nous le savourions dans la joie du jour sans déclin.

Remets~nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs

0 homme, en toi~même réside le pouvoir de pardonner et le droit d'user d'indulgence. Tu es constitué auteur de h remise de ta propre dette. Mais c'est en vain que tu demandes le pardon si tu dédaignes de l'octroyer à un autre. 0 homme, tu cs devenu la mesure même de la miséricorde qui te sera faite. Autant tu désires d'indulgence pour toi, autant tu dois en donner.

Et ne nous induis pas en tentation

La tentation, mes frères, est un simulacre décevant qui déguise la prospérité sous les voiles de l'adversité et vice~versa. C'est elle qui conduit l'humaine ignorance à des chutes dans des traquenards bien dissimulés. Nous prions donc pour ne pas tomber sous l'impul­sion du péché, dans les trappes creusées par les tentations. Dieu est dit nous induire en tentation lorsqu'il abandonne à eux~mêmes ceux qui courent au crime.

Mais délivre~nous du mal

Il désigne ici le pervers auteur de ce mal, c'est~à~dire le diable. Nous demandons donc d'être délivrés d'un seul coup de tous les maux en même temps que de leur auteur.

Notre Père qui es dans les cieux

Que personne, même s'il s'intitule fils, ne s'étonne de demeurer encore dans l'état de la servitude. Car s'il est aujourd'hui élu pour une filiation divine, il n'y est toutefois pas encore promu. II faut savoir qu'il s'agit d'un espoir, non de l'obtention dl? b réalité. Ecoutons l'Apôtre nous dire: Nous avons été sauvés en espérance

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204 LE PATER

(Rom., 8). Or l'objet de l'espérance une fois vu ne laisse p:~s place à l'espérance. Ce que l'on voit, comment l'espérer 1 Mais si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, c'est par l:l patience que nous l'attendons. Aujourd'hui, c'est le jour de l'adoption. Aujourd'hui, c'est le temps de la promesse. Ecoute, crois, attends, confie~toi à ton Créancier, lui qui se confie au débiteur que tu es ; attends tm peu jusqu'à ce qu'il vienne, lui qui a supporté si long­temps tes délais. Donne~lui le temps de remplir ses prome<;ses, alors qu'il t'a déjà remis l'intégralité de ta dette. Ou pourquoi te lasses~tu de pratiquer l'espérance alors que subsiste par elle et vit de la foi tout le genre humain ?

L'agriculteur ne sèmerait pas à grands efforts s'il n'espérait pas en son temps le fruit de son labeur. Le voyageur n'affronterait pas les fatigues d'un long voyage s'il ne pensait pas pouvoir parvenir à destination. Le marin ne se livrerait pas aux caprices des flots s'il n'espérait pas compenser par des gains futurs les difficultés de la navigation. Le soldat ne passerait pas la totalité de sa jeunesse dans les dangers s'il n'ambitionnait pas dans sa vieillesse les hon­neurs les plus élevés. Le fils ne supporterait pas la période où il est soumis à la domination pat~rnelle s'il n'espérait pas devenir un jour l'héritier des biens de son père.

Ainsi toi, si tu crois être le fils de Dieu, fais comme dit Je pro­phète: Attends le Seigneur, agis uirilement et que ton cœw· s'affer.­misse (Ps., 26, 14). Attends, pour réussir à obtenir l'héritage de Dieu en récompense de la foi de ton attente et de la force de ta pntience. Ecoute l'Apôtre nous dire: Nous sommes les fils de Dieu et notre condition future n'est pas encore apparue, mais nous saPons que, lorsque viendra le temps de sa manifestation, nous serons s~mblables à lui (I Jn., 3, 2). Et encore: Votre vie est cachée avec le Christ en Dieu : lorsque le Christ, votre vie, apparaîtra, vous apparaîtrez vous aussi avec lui dans la gloire (Col., 3, 4).

Frères, bienheureux sont les fils de Dieu parce qu'ils pos~èderont l'héritage de toutes choses et que, du haut du séjour de lem Père, ils n'auront plus à connaître les douleurs du monde présent.

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PIERRE CHRYSOLOGUE 205

SERMON 72

Ce que je suis sur le point de vous dire non sans un grand tremblement, ce que vous allez <::ntendre vous aussi dan3 la révé­rence, bien plus, le nom même que vous devez proférer dans une crainte semblable, cela est aussi pour les anges objet de stupeur, pour les vertus, raison d'effroi, pour les hauteurs des cieux, valeur incompréhensible. Le soleil ne peut voir cette réalité, la terre ne la supporte pas, la création tout entière n'y comprend rien. Quel rapport possible entre cela et notre cœur humain, notre esprit obtus, les limites de notre sentiment, le bruit de notre voix, la loqua~ cité si vite condamnée au silence de notre langue ? Lorsque Paul eut vu cela d'une manière pourtant invisible à l'œil humain, il le révéla sans cependant le découvrir en disant: Ni l'œil n'a I'U, ni l'oreille n'a entendu, ni n'est monté au cœur de l'homme ce que Dieu a préparé à ceux qui l'aiment (1 Cor., 2, 9).

Lorsqu'Isaïe eut commencé à en avoir la révélation, il doute de trouver accès et créance auprès des hommes incapables de s'élever à ce niveau ; c'est pourquoi il dit : Seigneur, qui a cru à notz·e révélation ? (ls. 53).

Quant à Jérémie, lorsqu'il commença à entrer en contact avec la parole divine, il ne pouvait supporter l'enfantement de ces corn· munications d'en~haut et criait: Mes entrailles/, mes entrailles sont dans la douleur et l'intime de mon cœur est bouleversé (Jér., 4),

Enfin Habacuc s'en expliquait davantage sous le souffle du divin Esprit en disant : Je me suis gardé et mes entmilles ont frémi à la voix de la prière de mes lèvres, la crainte est entrée dans mes os et ma force s'est dérobée à moi. Bien qu'élevé par la force de Dieu, il sentit que sa force s'était dérobée à lui (Hab., 3, 16),

Il serait trop long de poursuivre sur le mystère de cette crainte et de dénombrer les exemples fournis par les saints. Le temps ne me permet pas de demeurer longtemps dans cette frayeur et d'ail­leurs l'élan du céleste enfantement de ceux qui vont naître ne me donne pas la latitude de m'attarder, Je vous dis donc et je vous y engage fortement par ma pao:ole, je vous en averti!:~ par une exhortation attentive à vos besoins, à vous qui êtes encore au fond du sein maternel: avant même d'avoir vu votre Mère, appelez

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206 LE P.i\TER

votre Père ; avant de goûter les tendresses maternelles, tendez en toute hâte vers le royaume de votre Père; avant de vous sus~ pendre au sein de votre mère, venez d'abord prendre le pain de votre Père ; que le besoin de votre mère ou les nécessités de votre âge ne revendiquent rien pour eux mais que tout en vous réponde à votre Père divin et céleste et accoure vers l'auteur de votre vie.

Notre Père qui es dans les cieux

Voici enfin ce que je craignais de dire, ce que je tremblais de proférer, ce que la condition proprement terrestre ne permettait à personne, qu'il soit du ciel ou de la terre, de soupçonner. Un tel échange entre le ciel et la terre, entre la chair et Dieu, ne pouvait se produire soudain que si Dieu se faisait homme, faisait l'homme Dieu, le Seigneur serviteur, et le serviteur fils, et qu'il n'y eut plus, selon un mode ineffable, qu'un seul et éternel rapport entre la divi~ nité et l'humanité. Et à la vérité, la condescendance de la divinité envers nous est telle que la créature ne peut plus savoir ce qu'elle doit davantage admirer: ou que Dieu se rabaisse jusqu'à notre servitude ou qu'il nous élève à la dignité de sa divinité. De là vient, ô homme, le motif pour lequel t'exhorte divinement celui qui est enflammé d'un tel amour pour toi. Il le prouve en t'adoptant pour fils, selon tes paroles mêmes, alors que tu es encore dans le sein maternel, en voulant que tu ne deviennes pas seulement libre, mais que tu naisses comme tel, en mettant en liberté à cause de toi la nature elle~même, de peur que la naissance selon la servitude antique ne te souille de quelque tache ou défaut.

Heureux êtes~vous, vous auxquels il fut donné de dominer avant de naître, de régner avant de vivre, de parvenir à la gloire de Dieu votre Père avant de connaître la lignée de votre propre bassesse. L'Eglise qui, comme une heureuse mère, vous reçoit tels que vous êtes, s'étonne d'avoir engendré de cette manière, tout en gardant la virginité de pareils enfants en si grand nombre.

Jadis, cet enfantement fut préfiguré de plusieurs façons: c'est ainsi que Jacob, luttant avec son frère dans le sein maternel, rem­porta la victoire. De même, les jumeaux qui combattaient dans le sein de Thamar pour savoir qui aurait l'honneur du droit d'aînesse, retardaient ainsi leur venue au jour, mais ils préféraient vaincre avant même de voir la lumière. C'est Jean aussi qui bondit préma­turément et accourt à la rencontre de son auteur avant même d'être sorti du sein de sa mère. Et si ces enfants des hommes luttent

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PIERRE CHRYSOLOGUE 207

ainsi pour Dieu avant d'être nés à leurs parents et de vivre dans le monde, qu'y~a~t~il d'étonnant à ce que les germes divins de l'Eglise et la propre race de Dieu, encore dans le sein, confesse ce qu'il y a de divin en elle?

Notre Père qui es dans les cieux

Nous sommes au comble de la stupeur en voyant .ie Christ, du sein de Dieu son Père, appder sa mère et la proclamer telle sur la terre, tout autant que de voir un homme, du sein de sa mère. appeler Dieu son Père et le confesser comme résidant aux cieux.

«Notre Père qui es dans les cieux»: Jusqu'où, ô homme, t'a soudain élevé la grâce ? Jusqu'où la nature céleste t' a~t~e1le ravi ? Au point que, résidant encore dans la chair et sur la terre, tu ne connaisses déjà plus ni l'une ni l'autre, au point de dire : « Notre Père qui es dans les cieux » ? Que celui donc qui se proclame et se croit le fils d'un tel Père réponde par sa vie à sa noblesse, imite les mœurs paternelles et fasse connaître par sa mentalité et ses actes ce qu'il a obtenu par sa nature céleste.

Que ton nom soit sanctifié

Nous sommes appelés du nom de celui à la famille de qui nous avons commencé à appartenir et c'est pourquoi nous demandons que demeurent en nous la sainteté, l'honneur et la prérogative de ce nom que suréleva de telle sorte l'excellence de notre Père.

Qu'advienne ton règne

Nous ne demandons pas cela pour Dieu à qui n'a jamais manqué le règne et qui est lui~même le royaume et contient en lui tout le pouvoir d'un roi. Mais celui qui veut nous voir parvenir à la gloire du royaume qu'il nous a promise, nous enseigne à le demander de tous nos vœux, à y aspirer de tout notre être. De quelle témé­rité ne fait pas preuve, en effet, celui qui remet en cause sa race, quelle ignorance ne montre pas celui qui s'attriste, 3'inquiète, s'essouffle en tendant vers le bien promis et en marchant vers le royaume?

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208 LB PATER

Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel

Qu'il en soit sur la terre comme au ciel. Là est dé'à tout le ciel; l'unique esprit de Dieu règle les cœurs de tous, .tous sont dans le Christ et le Christ en tous, lorsque tous goûtent et accom~ plissent les volontés de Dieu seul, lorsque tous sont un et que l'unité est faite de tous, lorsque l'esprit de Dieu vit seul en tous.

Donne~nous aujourd'hui notre pain quotidien

Comme il est dit dans le psaume : Béni soit Dieu aujourd'hui et chaque jour, ainsi est.-il dit ici: « Donne~nous aujourd'hui notre pain quotidien ». Nous disons « quotidien » pour dire « éternel » (1 ) , Ce pain éternel est Celui qui est descendu du ciel. Je suis le pain descendu du ciel (Jn., 6). C'est déjà le pain de la béatitude parfaite. Aujourd'hui, c'est~à~dire: dans le temps présent, nous commençons déjà à vivre de ce pain dont nous nous rassasierons dans l'éternité, c'est~à~dire au long des jours de notre vie future.

Et remets .. nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs

La source du pardon jaillit du cœur même du suppliant et reflue vers le pardon, en ce que tout cet amour débordant qui se répand sur un autre obtient autant d'indulgence pour soi qu'il en a fait don à son frère.

Et remets--nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs

L'homme miséricordieux est puissant en luttant avec Dieu sur le terrain de l'amour puisqu'il désire que lui soit donné autant qu'il a donné lui~même et que lui soit pardonné autant qu'il a pardonné. 0 homme, que le pardon règne toujours dans ton cœur si tu veux ne pas avoir à redouter les accusations.

l. Explication fort contestable 1

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PIERRE CHRYSOLOGUE 209

Et ne nous induis pas en tentation

Il y a besoin ici d'une explication : car il faut savoir que la tentation est l'amère servante et introductrice du diable; aussi long .. temps que nous sommes renfermés dans ce corps fragile, il est pour nous de toute nécessité de prier pour que la tentation ne trouve pas de porte ouverte en nous et que l'accès soit ainsi fermé au diable.

Mais délivre ... nous du mal

Que ce même Seigneur, notre Dieu nous délivre du mal et nous conduise à tout bien, Lui qui vit et règne, Dieu, maintenant et tou­jours, dans l'éternité des siècles des siècles. Amen.

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LIVRES LITURGIQUES

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212 LE PATER

Les anciens livres liturgiques (1) ne nous fournissent pas uni­quement des textes mais également des commentaires, comme nous le montrent ces deux paraphrases du Pater, solennellement chanté à la messe, en Orient, par l'assemblée toute entière.

Le Missel Gélasien, ainsi appelé parce que sa partie !Jl'incipale est l'œuvre du pape Gélase, peut être considéré comme un livre officiel de la liturgie romaine. De Rome il a passé en Italie, en Espagne, dans les Gaules, en Angleterre.

Ici les notations au sujet des diverses demandes du Pater sont courtes mais riches pour la réflexion chrétienne.

Le Missel Gallican ancien est tm peu plus tardif. Le seu! matlus­crit que nous en possédons est du septième ou huitième siècle. Il nous fournit les textes liturgiques en usage dans les Gaules. Le Pater y est également commenté, Les deux commentaires sont semblables.

1. On trouvera le Misse/ Gélaslen dans la PL. 74, 10911. Le Missel Gallican ancien dans la P.L. 72, 353. Il existe des éditions plus récentes.

Les présentes traductions ont été faites par les Bénédictines de Caluire et Cuire (Rhône) .

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MISSEL GÉLASIEN 213

PRÉFACE DE L'ORAISON DOMINICALE

(Missel Gélasien)

Les fidèles sont instruits comme plus haut par le diacre :

Notre Seigneur et Sauveur Jésus~Christ, parmi d'autres pré~ ceptes salutaires, donna à ses disciples qui lui demandaient comment prier, un modèle d'oraison. C'est celui que vous avez pu connaître plus pleinement encore par la lecture qui vient de vous en être faite.

Que votre Charité écoute maintenant de quelle mO'niëre le Sei­gneur Jésus enseigne à ses Apôtres à prier le Père, Dieu, Tout­Puissant « Pour toi, dit~il. quand tu pt'ieras, entre dans ta chambre, ferme la porte et prie ton Père ».

Ce qu'il appelle la chambre n.e désigne pas une demeure secrète mais le Maître rappelle ainsi que, pour lui seul, doivem s'ouvrir les retraites de notre cœur.

Et nous devons adorer Dieu la porte close; c'est~à~dire qu'il nous faut barrer d'une clef mystique l'accès de notre cœu-r: à toute pensée mauvaise et, dans le silence des lèvres, converser avec Dieu par la pureté de notre esprit. Notre Dieu, en effet, tend l'oreille à notre foi, non à nos sons de voix.

Que notre cœur soit donc protégé par la clef de la foi contre les embûches de l'Adversaire ~t qu'il s'ouvre à Dieu seul dont, comme vous le savez, il est le temple. Ainsi, comme il habite en nos cœurs, qu'Il soit lui~même l'Avocat qui présente nos prières.

Le Christ, notre Seigneur, donc, lui qui est Parole et Sagesse de Dieu, nous enseigne cette oraison afin que nous priüms ainsi :

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214 LE PATER

Après cela, on entre et on dit :

Notre Père qui es dans les cieux

C'est la voix de la liberté. Elle est riche de confiance, Il vous faut donc vivre de telle manière que vous puissiez être fils de Dieu et frères du Christ. Car sous l'effet de quelle témérité pourrait~il présumer d'appeler Dieu son Père, celui qui se montre dégénéré en s'éloignant de la volonté divine?

Donc, très chers frères, montrez~vous dignes de l'adoption divine puisqu'il est écrit : «Pour autant qu'ils crurent en lui, il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu ». ·

Que ton nom soit sanctifié

C' est~à~dire non pas que Dieu puisse être sanctifié par nous, lui qui est perpétuellement saint. Mais nous demandons que son nom soit sanctifié en nous, pour que nous persévérions dans la sanctification qui a commencé pour nous au baptême en son nom.

Que ton règll,e arrive

Quand donc pourrait~il se faire que notre Dieu ne règne pas pleinement, lui dont le règne est éternel ? Mais lorsque nous disons : « que ton règne arrive » nous demandons l'avènement dn royaume à nous promis par Dieu et acquis par le sang et la passion du Christ.

Que ta volo.tté soit faite sur la terre comme au ciel

C' est~à~dire : << Que ta volonté soit faite » en ce que nous accomplissions sans reproche, nous qui vivons sur terre, ce que tu veux dans le ciel.

Don11e~nous aujourd'hui notre pain quotidien

Nous devons comprendre ici qu'il s'agit de la nomriture spi­rituelle. Le Christ est, en effet, notre pain, lui qui a dit: fe suis le pain vivant descendu du ciel. Nous parlons de ce pain comme quo­tidien, parce que nous devons demander toujours l'immunité du péché de telle sorte que nous soyons dignes des nourritures célestes.

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MISSEL GÉLASIBN 215

Pardonne~nous nos offenses comme nous pardonnons nous aussi à nos débiteurs

La signification de ce précepte est la suivante : nous ne pouvons mériter le pardon de nos péchés que si nous~mêmes auparavant nous avons remis leur dette à nos frères qui ont péché contre nous, comme le dit le Seigneur dans l'Evangile: Si vous ne p3rdonnez pas leurs péchés aux hommes, le Père non plus ne votts pardon­nera pas les vôtres (Mt., 6, 14).

Ne nous induis pas en tentation

C'est~à~dire: ne souffre pas que nous soyons induits au mal par le tentateur, père du Mal. Car l'Ecriture dit: Ce n'est pas Dieu qui pousse au mal. C'est le diable qui est le tentateur. Pour l'écarter, le Seigneur dit : Veillez et priez afin de ne pas entrer en tentation (Mt., 26, 41).

Mais délivre~nous du mal

Il dit cela suivant l'affirmation de l'Apôtre: Vous ne savez pas ce qu'il vous faut demander. Un seul Dieu, Tout~Puissant doit être imploré par nous afin que, dans sa bonté, le Seigneur Jésus, notre Seigneur daigne nous accorder ce pouvoir que n'a pas notre fra­gilité humaine de nous éloigner du mal et de l'éviter. C'est lui, Jésus~Christ qui vit et règne, Dieu, dans l'unité du Saint Esprit, pour les siècles des siècles.

Le Diacre proclame de noupeau, comme ci~dessus :

Gardez l'ordre et le silence, écoutant avec attention :

Vous avez entendu, frères très chers, les saints mystères de l'Oraison Dominicale. Renouvelez~les maintenant dans vos cœurs en vous retirant, pour pouvoir être parfaits dans le Christ, afin d'obtenir et d'éprouver la miséricorde de Dieu, Le Seigneur, notre Dieu est puissant. Qu'il vous conduise au bain de l'eau régénératrice, vous qui courez à la foi et qu'il nous fasse parvenir avec vous au royaume céleste, nous qui vous avons livré tout à la fois le mys­tère de la croyance catholique. C'est lui, ce Seigneur, qui vit et règne avec Dieu, son Père, dans l'unité du Saint Esprit, pour les siècles des siècles.

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EPI,LO;GUE

LAUDES DE FRANÇOIS D'ASSISE

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218 LE PATER

On nous permettra de clore cette anthologie par la paraphrase du Pater, composée par le Poverello, en forme de prière de louanges. Le ton évangélique s'apparente aux commentaires que nous ont laissés les Pères de l'Eglise. Les laudes commencent par ces mots :

« Voici les laudes composées par notre bienheureux père François. Il les disait à toutes les heures du jour et de la nuit et aiJant l'Office de la bienheureuse Vierge Marie 1 » :

1. L'authenticité de cette paraphrase, disent les éditeurs de Quaracchi, est incontestable. Texe latin, dans Opuscules de saint François, Paris 1935.

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FRANÇOIS o' ASSISE 219

Notre Père très saint, notre Créateur, notre Rédempteur, notre Sauveur, notre Consolateur.

Qui es aux cieux, dans les anges et dans les saints : tu les illumines afin qu'ils te connaissent, parce que toi, Seigneur, tu es l'Amour; tu les habites et les remplis, tant qu'ils possèdent la béa ti~ tude, parce que toi, Seigneur, tu es le bien souverain, le bien éternel, de qui découle'tout bien, hors de qui il n'existe aucun bien.

Que ton nom soit sanctifié : que ta connaissance soit rendue claire en nous, afin de pouvoir comprendre ce qu'est la largeur de tes bienfaits, la longueur de tes promesses, la hauteur de ta majesté, la profondeur de tes jugements.

Que ton règne arrive ; en sorte que tu règnes en nous par ta grâce, et que tu nous fasses parvenir en ton royaume, où est mani~ feste la vision de Toi, parfait l'amour de Toi, bienheureuse la société avec Toi, éternelle la jouissance de Toi.

Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Que nous t'aimions de tout notre cœur, en pensant à toi sans cesse ; de toute notre âme en te désirant toujours ; de tout notre esprit, en dirigeant vers toi toutes nos intentions, et en cherchant ton bonheur en toutes choses ; de toutes nos forces, en dépensant toutes nos forces et toutes les ressources de notre âme et de notre corps au service de ton amour; et à rien d'autre. Que nous aimions nos proches comme nous~mêmes, en les attirant tous, selon notre pouvoir, à ton amour ; en nous réjouissant de leur bonheur comme du nôtre, en compa~ tissant à leur malheur; en ne faisant d'offense à personne.

Donne~nous aujourd'hui notre pain quotidien, ton Fils bien­aimé, notre Seigneur Jésus~Christ, donne~le nous aujourd'hui; afin de nous rappeler, de comprendre et de vénérer l'amour qu'il nous a porté, et tout ce que pour nous il a dit, accompli et souffert.

Et remets~nous nos offenses, par ta miséricorde ineffable ; par la vertu de la Passion de ton Fils bien~aimé, Jésus~Christ, par les mérites et l'intercession de la très bienheureuse Vierge Marie et de tous vos élus.

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220 LE PATER

Comme nous~mêmes, faisons remise à nos débiteurs. Et ce que nous ne remettons pas pleinement, toi, Seigneur, fais que nous le remettions pleinement, afin que nous aimions sincèrement nos enne~ mis à cause de toi, que pour eux nous intercédions dévotement auprès de toi: qu'à personne nous ne rendions le mal pour le mal. et que nous nous efforçions de faire à tous du bien, en toi.

Et ne nous soumets pas à la tentation, occulte ou manifeste, subite ou importune.

Mais délivre~nous du mal, passé, présent et futur.

Amen.

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NIHIL OBSTAT V esontione,

Fr. lEgidius MEYER O.F.M. Cens. dep.

IMPRIMI POTEST Metis,

Fr. Andreas DIER O.F.M. Min. prov.

IMPRIMATUR V esontione,

t Mauritius DuBOURG Archiepiscopus Bisuntin.

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TABLE ANALYTIQUE

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Notre Père

Tertullien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 Cyprien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 Origène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Cyrille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 Grégoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 Ambroise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 Jean Chrysostome . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101, 107 Théodore . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117 Augustin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125, 136 Jean Cassien ...................... , , ................ , 173 Pierre Chrysologue . . . . . . . . . . . . 184, 188, 194, 196, 201, 206 Missel Gélasien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214 François d'Assise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219

Qui es aux cieux

Tertullien .......................................... . Cyprien Origène ............................................ . Cyrille ............................................. .

21 30 47 81

Grégoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 Ambroise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 Jean Chrysostome . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101 Théodore . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117 Augustin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125, 136, 145, 154, 156 Jean Cassien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173 Pierre Chrysologue... 184, 188, 194, 197, 199, 201, 203, 206, 207 Missel Gélasien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214 François cl' Assise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219

Que ton Nom soit sanctifié

Tertullien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

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Cyprien

Origène ............................................ .

Cyrille ............................................. .

32

50

81

Ambroise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96

Jean Chrysostome . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103, 108

Théodore ......................................... , . 118

Augustin .............................. 125,137,145,156

Jean Cassien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173

Pierre Chrysologue . . . . . . . . . . . . . 184, 189, 194, 197, 201, 207

Missel Gélasien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214

François cl' Assise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219

Que ton Règne arrive

Tertullien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

Cyprien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33

Origène ................................. , . . . . . . . . . . . 52

Cyrille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81

Ambroise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96

Jean Chrysostome . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103, 108

Théodore . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118

Augustin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125, 137, 146, 157

Jean Cassien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174

Pierre Chrysologue . . . . . . . . . . . . . 184, 189, 194, 197, 202, 207

Missel Gélasien ...... , ......... , . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214

François d'Assise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219

Que ta Volonté soit faite

Tertullien .......................................... , 22

Origène .................... , . , . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54

Cyrille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81

Ambroise ........................................... , 96

15

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Jean Chrysostome . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104, 109

Théodore . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119

Augustin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126, 138, 146, 157

Jean Cassien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175

Pierre Chrysologue ............... , , . . . . . 184, 190, 198, 208

Missel Gélasien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214

François d'Assise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219

Donne~nous notre pain quotidien

Tertullien .......................................... .

Cyprien

Origène ............................................ .

Cyrille ............................................. .

24

36

57

82

Ambroise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96

Jean Chrysostome . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104, 110

Théodore . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120

Augustin .. .. . .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. 127, 138, 147, 160

Jean Cassien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176

Pierre Chrysologue.................. 184, 190, 198, 202, 208

Missel Gélasien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214

François d'Assise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220

Remets~nous nos offenses

Tertullien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 Cyprien 39 Origène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64

Cyrille ...................................... , , . . . . . . 82

Ambroise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97

Jean Chrysostome . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105, 110

Théodore .................................... , . . . . . . 121

Augustin .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. . .. .. .. . 129, 140, 148, 162

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Jean Cassien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176

Pierre Chrysologue.................. 185, 190, 198, 203, 208

Missel Gélasien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215

François d'Assise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220

Ne nous induis pas en tentation

Tertullien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26

Cyprien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

Origène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

Cyrille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82

Ambroise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97

Jean Chrysostome . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106

Théodore . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121

Augustin .............................. , . . . . 141, 151, 163

Jean Cassien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177

Pierre Chrysologue. . . . . . . . . . . . . . . . . . 185, 190, 198, 203, 209

Missel Gélasien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215

Franço~ d'Ass~e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220

Mais délivre.-nous du Mal

Tertullien .......................................... .

Cyprien

Origène ............................................ .

Cyrille ............................................. .

Ambroise ........................................... .

Théodore .......................................... .

26

42

77

83

97

122

Augustin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152, 167

Jean Cassien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178

Pierre Chrysologue. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185, 190, 203, 209

Missel Gélasien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215

François d'Assise ............. , ... , . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220

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TABLE DES MATIBRES

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Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . _ . . . . . . . . . . . . . . . . 9

Introduction :

Utilisation liturgique 11

Structure du Notre Père. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

Tertullien (160~vers 220). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

Cyprien de Carthage (200/210~258)..................... 27

Origène (185~253/54) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43

Cyrille de Jérusalem (t 386) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79

Grégoire de Nysse (t 394) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85

Ambroise de Milan (339~397) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93

Jean Chrysostome (344A07)..... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99

Théodore de Mopsueste (t 428) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115

Augustin (354~430) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123

Jean Cassien (t vers 430) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171

Pierre Chrysologue (t vers 450) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181

Missel Gélasien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211

Epilogue : Laudes de François d'Assise. . . . . . . . . . . . . . . . . . 217

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A C H E V É D' 1 M P R I M E R LE 16 OCTOBRE 1962, SUR LES PRESSES DE L'IMPRIMERIE M. DA UER 6, RUE MORAND, PARIS 11' POUR LE COMPTE DES ÉDITIONS FRANCISCAINES 9• RUE MARIE-ROSE- PARIS-14 1

DÉPOT LEGAL N• 283 • 4• TRIMESTRE , 96o